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le 4 juin 2008


N° 832

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 avril 2008.

PROPOSITION DE LOI

tendant à accorder des droits aux parents d’enfants nés
sans vie
, qui le souhaitent,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. Jacques REMILLER, Bernard PERRUT, Jean-Claude MATHIS, Patrick BEAUDOUIN, Georges COLOMBIER, Daniel FIDELIN, Claude BODIN, Alain FERRY, Mme Françoise HOSTALIER, MM. Étienne MOURRUT, Philippe VITEL, Thierry MARIANI, Céleste LETT, Mme Henriette MARTINEZ, MM. Patrice MARTIN-LALANDE, philippe armand MARTIN, Olivier DASSAULT, Mme Muriel MARLAND-MILITELLO, MM. Michel DIEFENBACHER, Jean-Pierre DECOOL, Marc FRANCINA, Yves BUR, Patrice CALMÉJANE, Laurent HÉNART, Mme Martine AURILLAC, MM. Lionnel LUCA, Jean-Pierre GRAND, Michel GRALL, Marc LE FUR, Mme Arlette FRANCO, MM. Michel LEJEUNE, Daniel FASQUELLE, Loïc BOUVARD, Mme Valérie BOYER, M. Christian MÉNARD, Mme Isabelle VASSEUR, MM. Jean-Yves COUSIN, Francis SAINT-LÉGER, Alain MARTY et Étienne BLANC,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 6 février dernier, la Cour de cassation a rendu trois arrêts qui ont aussitôt suscité de nombreuses réactions. Trois familles d’enfants mort-nés s’étaient vu refuser l’inscription de leur enfant à l’état civil et la délivrance d’un « acte d’enfant sans vie », tel que prévu par l’article 79-21 alinéa 2 du code civil. Ces trois refus se fondaient sur une circulaire de 2001 intégrée à l’instruction générale de l’état civil, qui prévoit qu’un tel acte est délivré si l’enfant mort-né pèse au moins cinq cents grammes ou s’il est mort après vingt-deux semaines d’aménorrhée. Ces critères sont ceux retenus par l’Organisation mondiale de la santé pour définir la viabilité.

Tel n’était pas le cas puisque les trois fœtus pesaient entre cent cinquante-cinq et quatre cents grammes et étaient morts entre dix-huit et vingt et une semaines d’aménorrhée. Les trois familles avaient alors saisi la justice. Elles avaient été déboutées en première instance et par la cour d’appel de Nîmes. Les décisions, toutes concordantes, tiraient argument de ces mêmes textes, tout en reconnaissant qu’ils ne pouvaient avoir de caractère normatif.

La Cour de cassation a cassé les trois arrêts, rappelant qu’une circulaire ne peut avoir d’autorité juridique. Les juges du fond auraient dû s’en tenir aux termes mêmes de la loi, et de l’article 79-1 du code civil, qui « ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse ».

Quel était le droit positif jusqu’à ces trois arrêts ?

L’article 79-1 a été introduit dans notre code civil par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993. Avant cette date, seuls les enfants viables décédés avant la déclaration de naissance devaient faire l’objet d’une déclaration à l’état civil. Étaient considérés comme viables les enfants nés après une grossesse de cent quatre-vingts jours ou six mois. L’acte établi était un acte d’enfant sans vie.

L’article 79-1 a distingué deux situations différentes :

– l’enfant né vivant et viable, décédé avant la déclaration de naissance, pour qui est prévu un état civil complet (acte de naissance et acte de décès). Ces actes sont établis par l’officier d’état civil sur présentation d’un certificat médical, certifiant que l’enfant est né vivant et viable et indiquant les jour et heure de sa naissance et de sa mort ;

– si ce certificat médical ne peut être délivré, l’officier d’état civil délivre un acte d’enfant né sans vie, inscrit à sa date dans le registre des décès, et qui indique les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et nom, date et lieu de naissance, profession et domicile du père et de la mère et du déclarant s’il y a lieu.

Ce certificat ouvre un certain nombre de droits, si les parents en font la demande. Il donne à l’enfant un état civil, par l’attribution de prénoms. Ceux-ci peuvent figurer dans le livret de famille, si les parents en possèdent un, au titre des mentions administratives. Enfin les parents peuvent réclamer le corps de l’enfant, dans un délai de dix jours, et organiser les obsèques.

Qu’en est-il à l’étranger ?

Une étude de droit comparé, réalisée en 1999 dans les quatorze pays membres de la Commission internationale de l’état civil, montre que tous les pays prévoient une déclaration obligatoire à l’état civil des enfants mort-nés, à l’exception de la Turquie, où l’on ne dresse aucun acte d’état civil pour les enfants mort-nés. Mais il est toujours fait référence à une durée minimale de gestation ou à un poids minimal du fœtus, proche des recommandations de l’OMS.

On peut également noter que de nombreux pays prévoient la possibilité, pour les parents qui le souhaitent, d’obsèques pour les fœtus nés en dessous du seuil de déclaration obligatoire.

Cette étude démontre également que la France se distingue de la plupart des autres pays considérés par la faible portée donnée à l’acte d’enfant né sans vie.

Un besoin bien réel dans notre pays.

Tous les ans, on compte cinq mille à six mille enfants mort-nés ou nés sans vie. Toutes les parties concernées par ces drames s’accordent sur un nécessaire accompagnement des parents, des familles concernées. Des équipes pluridisciplinaires composées d’obstétriciens, de sages-femmes, de psychiatres et de psychologues, accueillent et suivent celles et ceux qui sont confrontés à la mort précoce de leur bébé. Ce travail a été rendu indispensable par les progrès de la médecine et de l’échographie, qui ont totalement transformé les rapports entre la femme enceinte, le père et le bébé attendu. Tous en soulignent l’impérieuse exigence, tout en reconnaissant et en insistant sur la nécessaire liberté de choix dont doivent bénéficier les parents.

C’est d’ailleurs ce qui a motivé les actions judiciaires des trois familles, comme l’a déclaré l’une des mères concernées : « Nous, nous ne demandons aucun droit. Tout ce que nous voulons, c’est récupérer les corps de nos enfants et les inscrire sur le livret de famille. »

C’est bien ce qui ressort d’une lecture attentive des trois arrêts, ainsi que de l’avis et du rapport qui y sont attachés. La Cour de cassation a simplement rappelé les conditions d’établissement de l’acte d’enfant né sans vie, tel que défini par le code civil. La notion de viabilité n’est pas remise en cause. Elle n’a pas voulu aller plus loin et a souhaité que le législateur se saisisse pour définir et fixer les normes.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi. Son but est simplement de mettre en œuvre les conclusions de ces trois arrêts et de préciser les conditions d’établissement de l’acte d’enfant né sans vie ainsi que ses conséquences.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le Parlement est saisi de cette question.

Le rapport d’information des sénateurs Sueur et Lecerf sur le bilan des perspectives de la législation funéraire, déposé le 31 mai 2006, préconise, dans ses recommandations, « d’humaniser la prise en charge des morts périnatales », reprenant ainsi de nombreuses demandes.

Lors des discussions au Sénat, le 22 juin 2006, de la proposition de loi relative à la législation funéraire, déposée à la suite de ce rapport, cette question a été à nouveau abordée. Il a été rappelé que l’acte d’enfant né sans vie, tel que défini actuellement par le code civil, n’ouvre d’autre droit que celui de laisser une trace de l’enfant mort-né dans le livret de famille et de faire procéder à son inhumation ou à sa crémation. Comme le soulignaient les sénateurs Sueur et Lecerf dans leur rapport, il n’a d’autre vocation que de « témoigner pour leurs parents de l’existence de l’enfant et, par là même, d’aider les parents et la famille dans leur travail de deuil ».

Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce que soutiennent certaines associations comme le Mouvement français pour le planning familial, de remettre en cause les lois sur l’avortement.

Il ne s’agit pas davantage, de revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation en matière pénale, laquelle n’est pas visée par la présente proposition de loi.

Il ne s’agit donc pas de bouleverser les droits à prestations maladies ou sociales auxquelles ont droit les mères et les familles. Cela ne devrait pas être le cas puisque l’ouverture des droits est fixée en fonction de considérations cliniques et médicales, selon un calendrier lié au déroulement de la grossesse. Les administrations concernées réfléchissent cependant à de possibles adaptations de la réglementation. Il ne faudrait pas, en effet, que des personnes dénuées de scrupules puissent bénéficier d’un vide juridique.

Il ne s’agit donc pas de revenir sur les droits reconnus par le code civil à l’enfant à naître, notamment en matière successorale, ou de lui en attribuer de nouveaux.

Il s’agit tout simplement de prendre en compte la douleur des parents d’enfants nés sans vie, de les aider à faire leur deuil, sans porter aucun jugement de valeur sur les choix qu’ils font pour se remettre de cette épreuve et d’humaniser le contexte juridique dans lequel ils se trouvent.

La possibilité ainsi donnée aux familles de faire le deuil, en toute liberté de choix, de cet enfant attendu et perdu permettra aussi aux équipes hospitalières qui doivent affronter cette douleur et suivre les familles, de mieux les accompagner.

Certains objecteront, sans doute, les difficultés matérielles supplémentaires que rencontreront les équipes médicales notamment pour le recueil de ces corps, qui devront être conservés pour respecter le délai de dix jours prévu par la réglementation. Or dans les faits, cette question est déjà abordée et réglée par la circulaire du 30 novembre 2001. Celle-ci admet en effet que même en l’absence d’acte d’enfant né sans vie, ces corps peuvent être inhumés, en considération de la douleur des familles, et sous réserve de l’accord du maire. Les établissements de santé sont invités à avertir les familles de cette possibilité. Les pratiques de ces établissements ne se trouveront pas modifiées.

Certaines communes vont au-delà des prescriptions réglementaires. Des emplacements spécifiques, parfois appelés « carré des anges » sont prévus dans les cimetières, et certaines vont même jusqu’à proposer une inscription dans un registre spécifique pour les fœtus de moins de vingt-deux semaines.

On voit bien que les pratiques se sont adaptées pour mieux prendre en compte la douleur des familles et les accompagner le plus dignement possible.

Le Médiateur de la République s’est saisi, lui aussi, de cette douloureuse question. Un groupe de travail a été constitué, à son initiative : composé de représentants des ministères concernés, de juristes et de médecins, il devrait mettre au point un guide destiné à soutenir les familles confrontées à ce drame et proposer des améliorations juridiques. Plusieurs pistes ont été évoquées, comme la délivrance d’un livret de famille pour les couples non mariés dont le premier enfant est né sans vie ainsi que la simplification des modalités d’inscription, dans le livret de famille, de ces enfants nés sans vie, lorsqu’un des deux parents non mariés en possède un.

Une première étape a été franchie puisque les pères d’enfants nés sans vie peuvent, depuis le mois de janvier 2008, bénéficier d’un congé de paternité. Cette amélioration est incontestable pour un meilleur accompagnement des familles, et a été saluée par tous.

Deux difficultés subsistent néanmoins :

– l’impossibilité pour un couple non marié, et dont le premier enfant est né sans vie, de se voir délivrer un livret de famille et donc d’y mentionner cet enfant ;

– l’impossibilité pour ces enfants nés sans vie d’avoir un nom patronymique et donc une filiation reconnue.

Il est donc nécessaire de tirer les conséquences des trois arrêts précédemment cités et de combler les lacunes. On décrira dans un premier temps et le plus précisément possible les conséquences de l’acte d’enfant né sans vie, tel que le prévoit l’article 79-1, alinéa 2, du code civil. Il faudra aussi le compléter, pour mieux prendre en compte la douleur des familles, tout en rappelant que toutes ces prescriptions sont laissées à la libre appréciation des familles, et que leur volonté doit être absolument respectée.

L’article 1er complétera l’alinéa 2 de l’article 79-1 par l’énumération des effets de l’acte d’enfant né sans vie, tout en rappelant de manière solennelle que leur mise en œuvre est laissée à la libre appréciation des parents. Seront ainsi énumérées les possibilités de donner des prénoms à l’enfant, de reconnaître sa filiation, de le faire figurer dans le livret de famille et de prévoir ses obsèques. L’article 2 complétera les dispositions de l’article 310-3 du code civil, pour permettre d’établir sa filiation.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article premier

Le deuxième alinéa de l’article 79-1 du code civil est complété par deux phrases rédigées :

« À la suite de son établissement et à la seule demande des parents, l’acte ainsi établi permet l’attribution d’un ou plusieurs prénoms, la reconnaissance de la filiation à l’égard de la mère et du père cités dans l’acte, ainsi que l’inscription, à titre de mention administrative, dans le livret de famille. Il autorise enfin les parents à réclamer, dans un délai de dix jours, le corps de l’enfant décédé pour organiser ses obsèques. »

Article 2

Le premier alinéa de l’article 310-3 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Elle peut également se prouver par l’acte d’enfant né sans vie. »


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