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mis en distribution

le 24 juillet 2008


N° 857

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mai 2008.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’aide active à mourir,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Henriette MARTINEZ, Brigitte BARÈGES, Jacques Alain BÉNISTI, Jean-Yves BONY, Jean-Claude BOUCHET, Bernard BROCHAND, René COUANAU, Patrice DEBRAY, Jean-Pierre DECOOL, Alain FERRY, Arlette FRANCO, Louis GUÉDON, Jacqueline IRLES, Jean LASSALLE, Pierre LELLOUCHE, Jean-Louis LÉONARD, Lionnel LUCA, Jean-Pierre NICOLAS, Bérengère POLETTI, Axel PONIATOWSKI, Francis SAINT-LÉGER, Bruno SANDRAS, François SCELLIER, Guy TEISSIER et Michel VOISIN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd'hui, et malgré les avancées de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, le droit français n'est pas adapté aux cas des personnes qui demandent lucidement une aide active à mourir. Le moment est donc venu de préciser le champ des droits de chacun sur sa fin de vie.

Quels que soient le lieu, les circonstances, les croyances philosophiques ou religieuses, mourir est une épreuve difficile pour la plupart des êtres humains, à plus forte raison, lorsque la mort s'accompagne de souffrances qui atteignent un degré tel qu'elles détruisent celui qui les subit au point d'enlever tout sens à sa fin de vie.

Alors que l'homme conduit sa vie dans la liberté, on est surpris de constater que, parvenu aux limites du supportable, il n'a pas le droit d'obtenir une réponse légale à sa demande de délivrance.

Contrairement aux dispositions pénales comme celles de l'Espagne et de la Suisse, contrairement aux législations néerlandaise et belge, le code pénal français ne fait aucune distinction entre la mort donnée à autrui par compassion et celle infligée dans la plus noire intention, qualifiée à juste titre d'assassinat et punie de la réclusion criminelle à perpétuité.

La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, permet de prendre en charge une partie des situations de souffrances et de détresse. Le droit de demander l'arrêt des soins ou de refuser les soins est un droit acquis, même s'il n'est pas toujours respecté. Cependant des situations d'extrême souffrance n'entrent pas dans le champ d'application de la loi.

Par ailleurs, il est incontestable que les soins palliatifs apportent dans l'accompagnement des mourants une solution appréciable et humaine. Cependant, même en espérant qu'ils puissent atteindre dans les années à venir un développement suffisant pour répondre aux besoins du plus grand nombre des malades, ils ne peuvent pas répondre à toutes les situations et n'apportent pas de solution à ceux qui, atteints de maladies incurables et invalidantes ou en situation pathologique irréversible, formulent le souhait de voir s'arrêter une vie jugée par eux vide de sens.

Entre les soins palliatifs et la possibilité de fixer le terme d'une vie devenue insupportable, il y a non pas contradiction mais souvent complémentarité : tel qui accepte avec reconnaissance des soins palliatifs peut bien, à partir d'un certain moment, souhaiter hâter une fin de vie qu'il ne peut provoquer seul.

De très nombreuses voix ne cessent de s'élever pour demander que soit reconnu un droit impossible à exercer dans les conditions actuelles de la législation française, celui d'une aide active à mourir.

La dépénalisation voulue par 9 Français sur 10 et 7 médecins sur 10 aurait, d'une part, le mérite de consacrer un droit individuel, un impératif de liberté, d'autre part, permettrait de protéger les tiers intervenants.

Elle condamnerait, dès lors, tout acte d'aide à mourir qui ne serait pas pratiqué à la demande exclusive et réitérée d'un patient, ni réalisé dans le respect de conditions rigoureuses.

La présente proposition de loi ne vise en aucun cas à banaliser un acte qui engagera toujours l'éthique et la responsabilité de ses acteurs. Elle a pour but de remédier aux inégalités devant la mort et de fournir aux tribunaux les outils juridiques appropriés.

Elle permet, enfin, de reconnaître à chacun le droit d'aborder la fin de vie dans le respect des principes d'égalité et de liberté qui sont le fondement de notre République.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Lorsqu'une personne fait état d'une souffrance ou d'une détresse constante insupportable, non maîtrisable, consécutive à un accident ou à une affection pathologique, lorsqu'elle est atteinte d'une maladie dégénérative incurable, elle a le droit d'obtenir une aide active à mourir si elle estime que l'altération de sa dignité et de sa qualité de vie la place dans une situation telle qu'elle ne désire pas poursuivre son existence.

Article 2

Celui qui apporte cette aide ne commet pas d'infraction s'il s'est préalablement assuré que la personne majeure a formulé sa demande de façon libre, lucide et réitérée et qu'elle se trouve dans une situation médicale non susceptible d'amélioration significative.

Article 3

Avant qu'il soit fait droit à la demande d'aide à mourir, la personne reçoit, de la part du médecin traitant, assisté d'un ou deux confrères, une information claire et complète sur son état de santé ainsi que sur les possibilités de recours à des soins palliatifs. Ces éléments sont consignés dans un document signé des médecins consultés.

La personne doit avoir la possibilité de s'entretenir de sa demande avec toutes les personnes qu'elle désire rencontrer.

Article 4

La volonté de la personne qui demande une aide active à mourir est exprimée par écrit, ou oralement à deux reprises, espacées d'au moins huit jours, devant deux témoins, dont l'un au moins n'a pas d'intérêt matériel à sa disparition. Cette demande est révocable à tout moment.

Article 5

Si la personne est physiquement dans l'impossibilité de rédiger et de signer, sa déclaration est consignée par écrit par une personne majeure de son choix, en présence d'un homme de loi et de deux témoins majeurs, dont l'un au moins n'a pas d'intérêt matériel ou moral à son décès.

Un certificat médical constatant l'impossibilité physique ci-dessus qualifiée est joint à la déclaration.

Article 6

Dans le cas où une personne est dans l'incapacité physique de demander une aide active à mourir, mais qu'elle a rédigé, depuis moins de cinq ans, une déclaration de volonté anticipée, cette dernière reçoit application, sans conséquence pénale ou professionnelle pour celui qui la met en œuvre.

Article 7

Toute personne majeure peut, pour le cas où elle ne pourrait plus manifester sa volonté, consigner par écrit, dans une déclaration, sa volonté qu'on lui apporte une aide active à mourir si le médecin constate :

1° qu'elle est atteinte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ;

2° qu'elle est inconsciente ;

3° que cette situation est irréversible selon l'état actuel de la science.

La déclaration désigne une ou plusieurs personnes de confiance majeures, classées par ordre de préférence, qui mettent le médecin traitant au courant de la volonté du patient.

La déclaration est exprimée par écrit, datée et signée par le déclarant et par deux personnes majeures, dont l'une au moins n'a pas d'intérêt, matériel ou moral, au décès du déclarant.

Elle est révocable à tout moment.

Article 8

Dans le cas prévu à l'article 7, sans préjudice des conditions complémentaires que le médecin désirerait mettre à son intervention, il doit préalablement :

– consulter un autre médecin quant à l'irréversibilité de la situation médicale du patient, en l'informant des raisons de cette consultation. Le médecin consulté prend connaissance du dossier médical et examine le patient. Il rédige un rapport de ses constatations. Le médecin consulté doit être indépendant à l'égard du patient ainsi que du médecin traitant et être compétent quant à la pathologie concernée ;

– s'il existe une équipe soignante en contact régulier avec le patient, s'entretenir avec celle-ci ;

– si la déclaration désigne une personne de confiance, s'entretenir avec elle de la volonté du patient, ainsi qu'avec les proches connus du médecin ou désignés par la personne de confiance.

Article 9

La personne qui a pratiqué une aide active à mourir le déclare, dans les quatre jours ouvrables, à une commission nationale de contrôle et d'évaluation dont la composition est fixée par décret.

La forme et le contenu de la déclaration sont également fixés par décret.

Article 10

La commission nationale examine les déclarations d'aide active à mourir qui lui sont transmises. Elle vérifie si l'acte a été effectué selon les conditions et la procédure prévues par la présente loi et son décret d'application. Elle peut demander au médecin traitant de lui communiquer tous les éléments du dossier médical.

La commission émet un avis dans les deux mois de sa saisine. Lorsque, par un avis pris à la majorité, elle estime que les conditions prévues à la présente loi n'ont pas été respectées, son président envoie le dossier au procureur de la République compétent.

Article 11

L'article 221-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l'aide active à mourir pratiquée à la demande de la personne concernée, dans les conditions et dans le respect de la procédure prévues par la loi, n'est pas un meurtre pénalement punissable. »

Article 12

L'article 221-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l'aide active à mourir pratiquée à la demande de la personne concernée, dans les conditions et dans le respect des procédures prévues par la loi, n'est pas un empoisonnement pénalement punissable. »

Article 13

Tout médecin ou autre professionnel de la santé peut opposer la clause de conscience à une demande d'aide active à mourir.

Si le médecin consulté refuse d'apporter une aide active à mourir, il est tenu d'en informer sans délai le patient ou la personne de confiance désignée dans la déclaration. Dans le cas où ce refus est justifié par un motif médical, celui-ci est consigné dans le dossier médical du patient.

Le médecin qui refuse d'apporter une aide active à mourir est tenu, à la demande du patient ou de la personne de confiance, de transmettre immédiatement le dossier médical du patient au médecin désigné par ce dernier ou par la personne de confiance.

Article 14

La personne décédée à la suite d'une aide active à mourir dans le respect des conditions imposées par la présente loi est réputée décédée de mort naturelle pour ce qui concerne l'exécution des contrats auxquels elle était partie, en particulier les contrats d'assurance. Les dispositions de l'article 909 du code civil sont applicables aux médecins et membres de l'équipe soignante.


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