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le 15 décembre 2008


N° 1301

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2008.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d’enquête sur les conditions de recours à la procédure d’arbitrage et les raisons qui ont conduit les pouvoirs publics à vouloir clore le litige entre le groupe Bernard Tapie Finance et le Consortium de réalisation,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du Plan, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jérôme CAHUZAC, Jean-Marc AYRAULT, Dominique BAERT, Gérard BAPT, Jean-Pierre BALLIGAND, Philippe MARTIN, Jean-Louis IDIART, Patrick LEMASLE, et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche(1) et apparentés(2),

députés.

____________________________

(1)  Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Mme Delphine Batho, M. Jean-Louis Bianco, Mme Gisèle Biemouret, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Christophe Bouillon, Mme Monique Boulestin, M. Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mmes Catherine Coutelle, Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, M. Pascal Deguilhem, Mme Michèle Delaunay, MM. Guy Delcourt, Michel Delebarre, François Deluga, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Mme Corinne Erhel, MM. Laurent Fabius, Albert Facon, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mmes Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, M. Pierre Forgues, Mme Valérie Fourneyron, MM. Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Mme Geneviève Gaillard, MM. Guillaume Garot, Jean Gaubert, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Mme Pascale Got, MM. Marc Goua, Jean Grellier, Mme Élisabeth Guigou, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. François Hollande, Mmes Sandrine Hurel, Monique Iborra, M. Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Mme Colette Langlade, MM. Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Mme Annick Le Loch, M. Patrick Lemasle, Mmes Catherine Lemorton, Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Mmes Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, MM. Jean-René Marsac, Philippe Martin, Mmes Martine Martinel, Frédérique Massat, MM. Gilbert Mathon, Didier Mathus, Mme Sandrine Mazetier, MM. Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Mmes Marie-Renée Oget, Françoise Olivier-Coupeau, M. Michel Pajon, Mme George Pau-Langevin, MM. Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, MM. Philippe Plisson, François Pupponi, Mme Catherine Quéré, MM. Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Alain Rousset, Patrick Roy, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Mme Odile Saugues, MM. Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Mme Marisol Touraine, MM. Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque.

(2)  Mme Chantal Berthelot, MM. Guy Chambefort, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Mme Annick Girardin, MM. Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Albert Likuvalu, Mmes Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Martine Pinville, M. Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Marcel Rogemont et Mme Christiane Taubira.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 7 juillet dernier, le Consortium de Réalisation, structure de cantonnement et de défaisance des actifs et créances compromis du Crédit Lyonnais, est condamné par un tribunal arbitral à verser 285 millions d’euros à Bernard Tapie dont 45 millions d’euros au titre de la réparation du préjudice moral.

Cette décision vient alors clore le litige entre le groupe Bernard Tapie Finance et le Crédit Lyonnais sur les conditions de cession de la société Adidas en 1993. Le groupe Bernard Tapie Finance estime que le Crédit Lyonnais, qui a racheté le groupe Adidas, a réalisé une plus-value à son insu lors de la cession du groupe Adidas. Par ailleurs, Bernard Tapie considère que la banque a procédé à une opération de montage frauduleuse au moment de la cession.

Le versement de telles sommes d’argent public ne peut laisser indifférent. Au-delà de l’émotion légitime exprimée par le contribuable, il convient de s’attarder longuement et avec rigueur sur les faits et les raisons qui ont conduit à de tels choix de la part des pouvoirs publics.

Ainsi des auditons ont été organisées, à l’initiative du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, avaient pour but de retracer précisément le fil des évènements et de comprendre d’une part le déroulement des procédures judicaires, et d’autre part les raisons qui avaient conduit l’État à accepter de recourir à la procédure d’arbitrage, délaissant ainsi la justice ordinaire.

Les faits en cause

Fin décembre 1992, Bernard Tapie met en vente Adidas. Il conclut un accord avec le Crédit Lyonnais stipulant que la société doit être vendue avant le 15 février 1993. Aucun acheteur classique ne semble être intéressé. Un groupe d’investisseurs rachète alors Adidas le 11 février 1993, dont la majorité semble appartenir par l’intermédiaire de participations directes ou indirectes au Crédit Lyonnais.

N’ayant pas trouvé d’acheteur au prix minimum assuré à Bernard Tapie Finance, le Crédit Lyonnais a décidé d’accepter l’intégralité des pertes de la société, tout en confiant sa gestion à un nouveau dirigeant. En contrepartie, la banque s’est assurée une part des plus-values futures.

À la fin de 1994, le président du directoire d’Adidas prend le contrôle de la société, réalisant une plus-value de 550 millions d’euros. En juillet 1995, Bernard Tapie réclame au Crédit Lyonnais 229 millions d’euros de plus-value dégagés par la cession de 1994, alors qu’il n’était plus actionnaire à cette époque.

En novembre 1995, Adidas est introduit en bourse pour 1,677 milliard d’euros. Le montant de la plus-value engrangée par le Crédit Lyonnais augmente en conséquence.

Un an plus tard, le tribunal correctionnel de Paris condamne le Crédit Lyonnais à verser à Bernard Tapie une provision de 91,5 millions d’euros. Mais en octobre 1998, celui-ci réclame 990 millions d’euros au Crédit Lyonnais pour « montage frauduleux » au moment de la cession de février 1993. Le tribunal transfère alors le dossier à la Cour d’appel de Paris et annule la provision de 91,5 millions d’euros.

En novembre 2004, la Cour d’appel de Paris autorise une médiation entre Bernard Tapie et l’État pour un accord amiable. En avril 2005, la médiation échoue.

En septembre 2005, la Cour d’appel de Paris condamne le CDR à verser 135 millions d’euros à Bernard Tapie et fixe le montant du préjudice à 66 millions d’euros augmentés de l’inflation et de la hausse du titre Adidas.

En octobre 2006, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif qu’elle n’a pas mis en évidence une faute du Crédit Lyonnais et annule l’indemnisation précédente. Le président du CDR déclare alors qu’il est prêt à « reprendre une discussion » avec les liquidateurs de Bernard Tapie sur la base de la proposition de la médiation de 2005.

En octobre 2007, le CDR accepte la saisine d’un tribunal arbitral qui est proposé par les liquidateurs du groupe Tapie. Le 7 juillet 2008, le tribunal arbitral condamne le CDR à verser 285 millions d’euros à Bernard Tapie dont 45 au titre de la réparation du préjudice moral. Dix jours après, le ministre de l’économie ne conteste pas la décision du tribunal arbitral par le biais des représentants de l’État au sein de l’EPFR et du CDR.

Il résulte de cette longue procédure judiciaire que l’État français devra verser une somme importante à Bernard Tapie.

Le comportement de l’État et le recours à la procédure d’arbitrage

Les auditions de la commission des finances de l’Assemblée nationale ont révélé qu’il existe un doute sur la capacité du CDR de choisir la procédure d’arbitrage, étant donné le « droit de veto » de l’EPFR – établissement public administratif lui-même non habilité à recourir à cette procédure – sur les décisions de son conseil d’administration. Ce droit a-t-il pu s’opérer avant de prendre cette décision ?

De même, le recours à une procédure d’arbitrage, par nature confidentielle, alors que des financements publics étaient en jeu, était-il pertinent ?

Si l’on interprète la décision de la Cour de cassation d’octobre 2006 comme favorable à l’État, il aurait peut-être été plus judicieux de poursuivre l’action sur le terrain judiciaire classique.

En outre, le montant des plafonds fixés par la convention d’arbitrage, notamment en ce qui concerne la demande du groupe Bernard Tapie Finance au titre du préjudice moral sont extrêmement élevés et ne semblent pas faire l’objet de précédents.

Il utile de rappeler qu’une disposition tendant à étendre la possibilité du recours à l’arbitrage, notamment aux établissements publics administratifs, avait été invalidée, en mars 2007, par le Conseil constitutionnel, considérée « cavalier législatif » à la loi sur la protection juridique des majeurs.

Lors de leurs auditions, les anciens et actuels présidents du CDR et de l’EPFR ont souligné les liens étroits entre l’EPFR et le CDR. Or, la ministre a indiqué que l’EPFR a pris sa décision d’accepter de recourir à l’arbitrage à l’unanimité. Son conseil d’administration étant composé de représentants de l’État, il parait utile de savoir s’ils ont reçu ou non des instructions écrites ou non.

Par ailleurs, la ministre de l’économie a décidé d’abandonner la voie du recours fin juillet 2008, quelques jours après la décision arbitrale, alors que le délai courrait jusqu’à la mi-août 2008.

Beaucoup de questions restent sans réponse

Pourquoi et comment les différents organes dans lesquels l’État a des représentants, c’est-à-dire le CDR– société anonyme –, dont l’unique actionnaire est l’EPFR – établissement public administratif – ont décidé d’abandonner le terrain judiciaire pour confier à trois arbitres le soin de trancher leurs différends avec le groupe Bernard Tapie Finance, alors que le recours à cette procédure est prohibé pour les personnes publiques ?

Comment est fixé dans le compromis d’arbitrage le montant de l’indemnisation pour préjudice moral compte tenu de la décision de la Cour d’appel de Paris de septembre 2005 ? Par qui est fixé ce montant ?

Pourquoi ont-ils renoncé immédiatement après le rendu de la décision à former un recours en annulation contre la décision, dont on peut considérer qu’elle s’est avérée être défavorable à l’État ?

Apprécier l’opportunité et la légalité du recours à la procédure arbitrale est fondamentale pour évaluer la décision prise par les pouvoirs publics.

Les différentes auditions ont montré que Bernard Tapie, en 1992, vend pour deux raisons. D’une part, il devient ministre et les deux fonctions sont incompatibles. D’autre part, Adidas perd de l’argent.

Faute d’acheteur, il risque de faire une mauvaise affaire. Et pourtant, il retire de cette cession 400 millions de francs de l’époque. Réclamer une partie de la plus-value réalisée ultérieurement par la société paraît pour le moins étonnant, mais cela a paru insuffisant pour que les pouvoirs publics reviennent sur une décision qui conduit l’État à signer un chèque de plusieurs centaines de millions d’euros.

Les auditions ont sans doute permis de dénouer le fil des évènements. Elles n’ont pas encore permis de dévoiler l’ensemble de la vérité.

La représentation nationale ne peut être tenue à l’écart d’un sujet qui concerne la gestion des finances publiques et le choix du type de justice auquel l’État a souhaité recourir.

Une commission d’enquête doit d’une part, déterminer les conditions de recours à la procédure arbitrale et d’autre part établir les raisons pour lesquelles l’État a voulu clore de cette façon le litige entre le groupe Bernard Tapie Finance et le Consortium de réalisation concernant les conditions de vente de la société Adidas en 1993.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d’adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres sur les conditions de recours à l’arbitrage et les raisons qui ont guidé les pouvoirs publics à vouloir clore le litige entre le groupe Bernard Tapie Finance et le Consortium de Réalisation concernant les conditions de vente de la société Adidas en 1993.


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