Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

Document
mis en distribution

le 19 janvier 2009


N° 1358

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 décembre 2008.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
sur l’
industrie pharmaceutique en France
et plus particulièrement sur
Sanofi-Aventis,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Pierre GOSNAT, André CHASSAIGNE, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Jacques DESALLANGRE, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs mois, la France est confrontée à une des crises les plus profondes de son histoire. La financiarisation des économies, le mode de gouvernance des entreprises cotées sur les places financières, le capitalisme boursier démontrent leurs limites et leurs faiblesses. La dissociation entre économie réelle et marchés financiers se révèlent très dangereuse. Cette crise, dont les conséquences sociales dramatiques sont déjà perceptibles, actualise le débat sur la nécessaire réforme de notre système économique et du mode de gouvernance des grandes entreprises nationales et transnationales. Les pouvoirs publics, par le biais des représentants de la souveraineté nationale sont dans l’obligation de saisir cette opportunité. Cette question se pose à l’ensemble des secteurs économiques, cependant certains secteurs stratégiques doivent plus particulièrement concentrer l’attention et la mobilisation des parlementaires.

Il en va ainsi pour l’industrie pharmaceutique, acteur central dans le domaine de la santé et enjeu politique majeur. Ce constat est d’autant plus criant qu’il s’inscrit dans un cadre juridique précis. La Constitution de 1946 de l’OMS proclame que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». Ces dispositions sont notamment reprises dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans l’article 11 de la charte sociale européenne et dans la Convention européenne des droits de l’homme. Or, les principaux groupes pharmaceutiques mondiaux ont fait le choix de la financiarisation au détriment de l’investissement dans la recherche et le développement industriel. La conjoncture actuelle nous encourage à nous questionner sur ces choix de gouvernance, notamment de la part du leader européen, le groupe français Sanofi-Aventis.

Depuis une dizaine d’années, l’industrie pharmaceutique française vit au rythme des fusions acquisitions. Sanofi, fondée en 1973 par la compagnie pétrolière ELF Aquitaine suite à son rachat du groupe pharmaceutique Labaz, fusionne en 1999 avec Synthélabo détenu majoritairement par le groupe français de cosmétique L’Oréal. Pour sa part, Aventis est le produit du rapprochement entre Rhône-Poulenc, et Hoechst Roussel Uclaf intervenu à la même époque. La fusion Sanofi Aventis fut particulièrement encouragée par le ministre des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui y voyait un moyen « de conforter les acquis stratégiques et le savoir-faire français ».

En 2004, la fusion entre ces deux entreprises donne naissance à un groupe de 100 000 employés dont le chiffre d’affaires avoisine les 28 milliards d’euros. Sanofi-Aventis emploie 55 377 personnes en Europe, dont plus de 28 000 en France sur plus de 40 sites. À l’échelle nationale, le groupe SA domine le marché de l’industrie pharmaceutique, les entreprises Servier, Pierre Fabre et Ipsen occupant une place respectable mais plus marginale (6 milliards de CA au total). Plus largement, Sanofi-Aventis est la troisième entreprise française en terme de résultat net après Total et BNP Paribas. Elle représente un tiers des compétences de l’industrie pharmaceutique en France, près de 50 % des effectifs de recherche et développement de l’industrie du médicament et 40 % des effectifs de production. Le groupe Sanofi est incontournable en France et en Europe. Il représente un potentiel scientifique et industriel important. Le capital financier du groupe est détenu à 12,7 % par Total et 9 % par L’Oréal. Les capitaux français représentent 46 % du capital global de l’entreprise.

La gouvernance de l’entreprise se caractérise par des choix essentiellement financiers, amplifiés depuis 2007. Dans le contexte actuel, cette orientation est encore plus préoccupante. De 2003 à 2007, le dividende versé aux actionnaires a doublé, correspondant à une augmentation de près de 19,4 % par an. La stratégie rappelée à l’assemblée des actionnaires en mai 2008 confirme cette tendance. Elle se fixe pour objectif de faire progresser de façon significative pour les années futures le niveau de rémunération des actions. Un article paru le 1er novembre 2008 en pleine crise financière dans Le Journal des Finances, confirme cette tendance. Il stipule « pour l’heure, la capacité bénéficiaire (des actions Sanofi-Aventis) n’est pas remise en cause et certains analystes financiers vont jusqu’à relever leurs prévisions de résultats sur la période 2008-2010. Enfin, le remaniement à la tête du groupe avec l’arrivée de Chris Viehbacher, soutenu par les grands actionnaires, plaide pour une rémunération plus attrayante. Les perspectives de gouvernance de Sanofi-Aventis ne laisse donc pas présager d’un recul de la dépendance du groupe vis à vis des marchés financiers. Le conseil d’administration de Sanofi-Aventis ne semble pas disposé à intégrer dans ses choix en matière d’orientation stratégique les effets de la conjoncture économique actuelle et les limites de la financiarisation à outrance.

Conséquence d’une stratégie uniquement financière, les décisions de la direction de Sanofi-Aventis font planer de lourdes menaces sur la stabilité de l’ensemble de l’industrie pharmaceutique française ainsi que sur la recherche scientifique et médicale. En 2007, sur les 7,1 milliards du résultat net, près de 5,8 milliards ont été consacrés à l’actionnariat : 2,8 milliards en dividendes et près de 3 milliards en rachat d’actions. Un nouveau plan de rachat d’actions à hauteur de 3 milliards a d’ores et déjà été entériné par le CA de mai 2008

Cette pratique exclusivement spéculative a pour finalité unique la destruction d’actions achetées afin d’augmenter le bénéfice net par action, base de calcul des dividendes versées aux actionnaires. En souhaitant maintenir des taux de rémunération du capital à deux chiffres, Sanofi-Aventis diminue les capacités de développement de son activité et maintien une pression constante sur les emplois. Près de 6 milliards en deux ans seront consacrés à cette pratique. Alors même que le gouvernement pourrait octroyer au groupe Sanofi-Aventis jusqu’à 100 millions en crédit d’impôt recherche, celui-ci engage 60 fois plus dans la spéculation. Autre comparaison marquante, l’édition 2008 du Téléthon a contribué à la recherche scientifique à hauteur de 99 millions d’euros, goutte d’eau de solidarité citoyenne dans un océan de spéculation. Les sommes consacrées au capital sont largement supérieures aux sommes injectées dans la recherche scientifique. En 2007, plus de 80 % des recettes ont été prélevées pour les actionnaires contre moins de 25 % en 2005.

En outre, à l’heure où le Président de la République souhaite « moraliser le capitalisme » en supprimant notamment les parachutes dorés, Sanofi-Aventis a consacré près de 5,6 millions d’euros l’an passé à financer les retraites complémentaires pour quatre anciens dirigeants du groupe. Quant au changement de direction, il se chiffre lui aussi en millions. Chris Viehbacher nouveau directeur général voit sa rémunération annuelle fixée à 1,2 million d’euros, à laquelle s’ajoute une rémunération variable oscillant entre 150 % et 200 % de son salaire de base. Le contrat de M. Viehbacher prévoit aussi un parachute doré et une coquette pension de retraite complémentaire. À cela s’ajoutent 265 000 actions Sanofi-Aventis. Gérard Le Fur, ancien directeur général, quitte son poste avec un parachute doré de plus de 2 millions d’euros ! À l’heure où le Président de la République souhaite que la rémunération des dirigeants soit indépendante des marchés financiers, il semble que la direction de Sanofi-Aventis perpétue le modèle traditionnel de gouvernance sans tirer les leçons de la crise financière.

Cette stratégie a un impact réel sur les choix scientifiques du groupe. Aujourd’hui, 80 % des efforts de promotion de Sanofi-Aventis France sont concentrés sur les 10 premiers « produits » du portefeuille, présentés à une population ciblée de médecins, afin de préserver le niveau de marge le plus élevé. Les orientations en matière de recherche sont clairement définies selon des objectifs de rentabilité. Ces choix de gouvernance sont préoccupants pour l’avenir. Les ressources de l’entreprise ne sont pas réinvesties pour assurer une croissance durable fondée sur le développement des compétences et des technologies. Le groupe prévoit, de plus, plusieurs plans de restructuration concernant 1 400 emplois en France dont 930 visiteurs médicaux. 470 emplois sur le site de production chimique et biochimique de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) sont menacés. Ce site centenaire, assure notamment la production de 13 médicaments essentiels dont le Taxotere (anticancéreux) et la Glutamine à la demande expresse de l’OMS. Des compressions d’effectifs sont d’actualité dans la quasi-totalité des activités de Sanofi-Aventis, y compris en recherche et développement, trois sites en France doivent fermer : Bagneux, Rueil (Hauts-de-Seine) et Labège (Haute-Garonne). D’autres sites sont aussi menacés aussi bien en recherche et développement qu’en production ou dans les différents sièges du groupe. Au total, c’est l’ensemble du territoire français qui souffrirait d’une restructuration de l’activité du groupe. Présent dans 13 régions (Auvergne, PACA, IDF, Aquitaine, Alsace, Rhône-Alpes, Basse et Haute-Normandie, Languedoc-Roussillon, Bretagne, Midi-Pyrénées, Bourgogne, Centre et Picardie), Sanofi-Aventis sous-tend l’activité de centaines de sous-traitants. L’ensemble de la représentation nationale se doit de se mobiliser afin de défendre les bassins d’emploi de SA et de maintenir les tissus industriels français. La politique du groupe Sanofi-Aventis ne saurait se dissocier d’une approche terrorialisée des politiques industrielles.

Pour notre pays, pour l’Europe, et pour le monde, Sanofi Aventis détient une place qui lui confère une responsabilité première en matière de santé. L’Europe et la France disposent d’atouts stratégiques scientifiques et industriels considérables. Ces grandes entreprises rassemblent des savoir-faire de haut niveau et des activités de hautes technologies. La gouvernance et les choix stratégiques de ces grandes entreprises ont un impact important sur la croissance. La promotion et le développement de l’industrie pharmaceutique sont des choix d’avenir s’ils s’opèrent selon une logique d’amélioration de l’accès aux soins. Les stratégies de gouvernance doivent être guidées par un objectif d’amélioration des traitements existants, par la découverte de nouveaux médicaments répondant aux besoins non satisfaits, et par la mise à disposition des médicaments à des prix accessibles par toutes les populations.

Face à ce constat, les pouvoirs publics se doivent d’intervenir de façon volontariste. C’est pourquoi, nous vous proposons de créer une commission d’enquête parlementaire chargée de produire une analyse approfondie du rôle et de la place de l’industrie pharmaceutique dans notre société et donc de s’intéresser et de questionner ainsi plus particulièrement le mode de gouvernance et les choix stratégiques de Sanofi-Aventis, en vue notamment de la cession de leur participation au capital de l’entreprise des groupes Total et L’Oréal. L’accent sera mis sur les orientations du groupe en matière d’emploi, de recherche et développement et le mode de rémunération des dirigeants. Les députés consacreront une partie de leurs travaux à l’étude de l’utilisation des subventions publiques en perspective d’une éventuelle intervention publique dans la gouvernance du groupe. Enfin, une analyse sera menée sur le devenir des groupes pharmaceutiques familiaux français Servier et Fabre. Il nous faut penser un nouveau mode d’intervention publique en matière d’industrie pharmaceutique, guidée par l’intérêt général et la recherche de nouveaux traitements en dehors de toute perspective de profits financiers.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du règlement, une commission d’enquête de 30 membres, sur l’impact des modes de gouvernance et des orientations stratégiques de l’industrie pharmaceutique en France et plus particulièrement du groupe Sanofi-Aventis.


© Assemblée nationale