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le 19 mars 2009


N° 1498

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mars 2009.

PROPOSITION DE LOI

instituant le droit de mourir dans la dignité
et garantissant aux
médecins le droit de conscience,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

Yves COCHET, Martine BILLARD, Noël MAMÈRE
et François de RUGY,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Hollande, la Suisse romande et alémanique, la Belgique, l’État d’Oregon aux États-Unis, la Colombie et bien d’autres pays démocratiques ont mené des réflexions sur le droit à mourir dans la dignité. Ces pays se sont dotés d’une législation en conséquence.

La nuit du 19 au 20 février 2008, le Luxembourg est devenu le troisième pays européen à autoriser le droit à l’aide active à mourir. Les députés luxembourgeois se sont en effet majoritairement déclarés favorables à la loi Err/Huss sur la dépénalisation de l’euthanasie. Jean Huss est un député Vert qui est l’origine de ce projet de loi et en est à la fois le co-rapporteur. Pour démontrer la justesse de ce projet, il a déclaré : « ce n’est pas dans la légalité que les abus ont lieu, mais bel et bien dans l’illégalité ».

En France, le débat est ouvert depuis quelques années. Il a connu de nouveau une actualité avec le cas de Mme Chantal Sébire, atteinte d’une tumeur incurable causant une dégradation de son visage et de nombreuses souffrances. Lundi 17 mars 2008, le vice-président du Tribunal de Grande instance de Dijon a rejeté sa demande de mourir dans la dignité. Le magistrat a écrit que cette requête « s’oppose au code de déontologie médicale, lequel dispose que le médecin n’a pas le droit de délibérément donner la mort ». La loi sur la fin de vie du 22 avril 2005 (appelée Loi Léonetti) tend en effet à instaurer un droit au « laisser mourir », contribuant à aggraver les souffrances de personnes déjà gravement malades et qui ne seront plus alimentées.

Il n’appartient certes pas au législateur de répondre aux questions ultimes que se posent nos contemporains sur la mort. Mais il est de sa responsabilité de légiférer pour passer de la répression pénale au droit.

Actuellement, la législation fait de l’euthanasie un crime. On observe déjà des pratiques qui quoique non condamnées ne sont pas éloignées de l’euthanasie. En réalité, l’euthanasie est pratiquée par les médecins : en réanimation, 50 % des patients décèdent après décision médicale (selon Le Monde du 8 mai 2002 se référant à une enquête de The Lancet). C’est le médecin qui décide d’arrêter un appareil ou de ne pas en ajouter un. En néonatologie, l’euthanasie est un geste fréquent – évalué, discuté, accepté.

Contrairement à d’autres législations comme celles de l’Espagne ou celui de la Suisse, notre code pénal ne fait aucune distinction entre la mort donnée à autrui par compassion et celle préparée et infligée, qualifiée d’assassinat et punie de réclusion criminelle à perpétuité. À la législation répressive s’ajoutent les règles de déontologie, qui sont aussi dissuasives. Le code de déontologie dans son article 38 stipule que le médecin « n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » de son malade.

Cependant il arrive au corps médical de pratiquer ce que l’on peut qualifier de « lente euthanasie ». Il s’agit alors d’administrer à un malade des antalgiques de plus en plus puissants destinés à alléger sa souffrance, même s’ils risquent d’abréger sa vie. Cette façon de procéder est, en principe, non répréhensible, puisque l’intention du médecin n’est pas de provoquer la mort de son patient, mais de soulager sa douleur. Le critère réside donc dans l’intention de l’auteur de l’acte et l’excuse, de ce que l’on dénomme « la loi double effet », permet de pratiquer une lente euthanasie pour les malades en phase terminale, éprouvant d’intenses douleurs physiques. Cette façon de procéder a certes des avantages, mais apparaît aussi comme une profonde hypocrisie, montrant la situation de malaise dans lequel se trouve un médecin confronté à la phase ultime et douloureuse de la maladie de son patient.

S’il est accusé d’avoir agi avec l’intention de provoquer la mort de ce malade, il risque outre une condamnation pénale d’être suspendu ou interdit de l’exercice de sa profession.

Toutefois, encore en 2009, la France reste l’un d’entre les pays développés dont la loi et même la pratique sont le moins favorables à l’exercice du droit fondamental de chaque être humain sur sa propre vie.

Le Comité Consultatif National d’Éthique a admis le principe d’une exception euthanasique.

Cette législation est en contradiction totale avec les souhaits plusieurs fois exprimés, à l’occasion de sondages, par les citoyens de notre pays. Ceux-ci estiment, avec constance, que sur ce point la loi, comme la déontologie médicale, est devenue inadéquate, anachronique, injuste. Pour ne répondre qu’à la question aujourd’hui posée, la dépénalisation de l’aide apportée à mourir, sur la demande expresse de la personne concernée, est souhaitée par 88 % des sondés en 2001 (sondage IFOP 2002). Ce sondage a été réalisé alors qu’était intervenue la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs.

Un sondage plus récent, réalisé par la SOFRES en février 2007, montre l’engagement constant des Français sur cette question. À la question « Le fait qu’un candidat à l’élection présidentielle se prononce favorablement à l’assistance médicalisée à mourir vous inciterait-il à voter pour lui ? », 86 % des sondés répondent oui. Ils sont 89 % à considérer cette question importante ou très importante. 9 % d’entre eux la trouvent prioritaire.

Le moment est venu de venir en aide à celles et ceux qui sont dans une situation si douloureuse que leur volonté de quitter la vie soit devenue plus forte que leur désir d’y demeurer encore quelques jours ou quelques semaines.

La présente proposition de loi, ne vise en aucun cas à banaliser un acte qui engagera toujours l’éthique et la responsabilité de ses acteurs.

Elle comporte deux premiers articles destinés à définir et circonscrire les cas dans lesquels une aide active à mourir dans la dignité, peut être apportée à une personne qui le demande. Les trois articles suivants définissent les étapes de cette démarche : la demande au médecin, la consultation d’un confrère du corps médical, les termes des délais obligatoires. Il est précisé que l’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.

L’article 6 définit les conditions d’application d’aide active à mourir en cas d’incapacité de l’intéressé d’exprimer une demande.

Les articles 7 et 8 définissent les conditions de protection du médecin. L’article 7 fixe les moyens de défense du médecin en cas d’une procédure judiciaire. L’article 8 précise que le médecin est toujours libre d’invoquer la clause de conscience et ne subit aucune obligation de mise en œuvre d’une aide active à mourir.

Les articles 9 et 10 rappellent le besoin d’information concernant l’aide active à mourir. L’article 9 incite le gouvernement à prendre des initiatives pour rappeler leurs droits aux patients hospitaliers. L’article 10 crée une « Commission nationale de contrôle des pratiques en matières d’aide active à mourir » ainsi que des commissions régionales présidées par les préfets de région.

L’article 11 stipule que la mort de la personne intéressée est réputée naturelle en ce qui concerne les contrats où elle était partie.

Les articles 12 et 13 tirent les conséquences de la dépénalisation de l’euthanasie sur les articles 222-1 et 221-5 du code pénal.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d’adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

I. – Une personne peut demander qu’il soit mis fin à sa vie par un moyen indolore lorsqu’elle juge que son état de santé, que la qualité et la dignité de sa vie l’y conduisent.

II. – L’article L. 1110-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. L. 1110-2. – La personne malade a droit au respect de sa liberté et de sa dignité. Elle peut bénéficier dans les conditions prévues par le présent code, d’une aide active à mourir. »

Article 2

L’article L. 1110-9 du code la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne, en phase avancée ou terminale d’une affection reconnue grave et incurable ou placée dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée pour mourir. Lorsque la personne refuse un acharnement thérapeutique, le médecin doit s’y conformer, sous réserve d’invoquer la clause de conscience.»

Article 3

Après l’article L. 1111-10 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1111-10-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-10-1. – Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, ou placée du fait de son état de santé dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, demande à son médecin traitant le bénéfice d’une aide active à mourir, celui-ci saisit sans délai un confrère pour s’assurer de la réalité de la situation dans laquelle se trouve la personne concernée.

« Les médecins en charge de la personne concernée ont la faculté de faire appel à tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer, dans les conditions définies par voie réglementaire. Ils vérifient le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande présentée, lors d’un entretien au cours duquel ils informent l’intéressé des possibilités qui lui sont offertes par les soins palliatifs et l’accompagnement de fin de vie.

« Les médecins rendent leurs conclusions sur l’état de l’intéressé dans un délai maximum de huit jours. Lorsque les médecins constatent la situation d’impasse dans laquelle se trouve la personne, et le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa demande, l’intéressé doit, s’il persiste, confirmer sa volonté par écrit et, à défaut, en présence de sa personne de confiance désignée à l’avance. Le médecin traitant respecte cette volonté.

« L’acte d’aide active à mourir pratiqué sous son contrôle ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date de confirmation de la demande. Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de l’intéressé si les médecins précités estiment que cela est de nature à préserver la dignité de celui-ci.

« L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.

« Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’aide active à mourir, adresse à la commission régionale de contrôle prévue à l’article L. 1111-14 un rapport exposant les conditions du décès. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article. »

Article 4

L’article L. 1111-11 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Dans le deuxième alinéa, les mots : « en tient » sont remplacés par les mots : « doit en tenir » ;

2° Après le deuxième alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Dans ces directives, la personne indique ses souhaits en matière de limitation ou d’arrêt de traitement. Elle peut également indiquer dans quelles circonstances elle désire bénéficier d’une aide active à mourir telle que régie par le présent code. Elle désigne dans ce document la personne de confiance chargée de la représenter le moment venu.

« Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national automatisé tenu par la Commission nationale de contrôle des pratiques en matière d’aide active à mourir. Toutefois, cet enregistrement ne constitue pas une condition de validité du document.

« Les modalités de gestion du registre et la procédure de communication des directives anticipées à la commission ou au médecin traitant qui en fait la demande sont définies par décret en Conseil d’État. »

Article 5

L’article L. 1111-12 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Cette demande peut être prise en considération si elle a été consignée par la personne concernée dans un “testament de fin de vie”, déclaration écrite et signée confirmée verbalement ou par signe par elle-même auprès de deux témoins, ou confirmée par écrit si la personne est dans l’incapacité de le faire verbalement, ou, si elle n’est plus en état de s’exprimer, par une autre personne, âgée de vingt-cinq ans au moins, qu’elle aura auparavant chargée de la représenter. »

Article 6

Après l’article L. 1111-13 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1111-13-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-13-1. – Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, se trouve dans l’incapacité d’exprimer une demande libre et éclairée, elle peut néanmoins bénéficier d’une aide active à mourir à la condition que cette volonté résulte de ses directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à l’article L. 1111-11.

« La personne de confiance saisit de la demande le médecin traitant qui la transmet sans délai à un confrère.

« Après avoir consulté l’équipe médicale qui assiste au quotidien l’intéressé, et tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer dans les conditions définies par voie réglementaire, les médecins établissent, dans un délai de quinze jours au plus, un rapport déterminant si l’état de la personne concernée légitime qu’il soit mis fin à ses jours.

« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d’une aide active à mourir, la personne de confiance doit confirmer sa demande en présence de deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral au décès de la personne concernée. Le médecin traitant respecte cette volonté.

« L’acte d’aide active à mourir ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date de confirmation de la demande. Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de la personne de confiance si les médecins précités estiment que cela est de nature à préserver la dignité de la personne.

« Le rapport mentionné des médecins est versé au dossier médical de l’intéressé. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’aide active à mourir adresse à la commission régionale de contrôle prévue à l’article L. 1111-14 un rapport exposant les conditions dans lesquelles celui-ci s’est déroulé.

« À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article, ainsi que les directives anticipées.

« La personne concernée peut également exprimer sa volonté d’être aidée à mourir avant l’échéance naturelle, si la condition prévue à l’article 1er est remplie, par une déclaration verbale réitérée à 48 heures d’intervalle devant deux témoins dont un seulement peut être le conjoint, un ascendant, un descendant ou un collatéral au premier degré. »

Article 7

L’acte d’aide à mourir ne peut être accompli que par un médecin ou sous sa responsabilité. Celui-ci rédigera un procès-verbal relatant les circonstances de l’intervention et auquel seront jointes les pièces l’ayant justifiée. Le procès-verbal et ses annexes seront conservés par un médecin et pourront être produits, nonobstant le secret professionnel, au cas où une procédure judiciaire le rendrait nécessaire pour la défense du médecin.

Article 8

Après l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1111-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-4-1. – Le médecin doit se conformer au refus d’acharnement thérapeutique de la personne intéressée, sous réserve d’invocation de la clause de conscience, définie aux articles L. 2212-8 et L. 2213-2 du code de la santé publique.

« Les professionnels de santé ne sont pas obligatoirement tenus d’apporter leurs concours à la mise en œuvre d’une aide active à mourir. Le refus du médecin de prêter son assistance à une aide active à mourir est notifié sans délai à l’auteur de la demande.

« Dans ce cas, le médecin est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible de déférer à cette demande. Tout autre membre de l’équipe soignante peut refuser de concourir à une aide à mourir mais ne doit pas l’entraver. »

Article 9

Le gouvernement prendra toute initiative pour rappeler aux patients dans les établissements hospitaliers leurs droits, notamment en complétant la Charte du patient hospitalisé annexée à la circulaire ministérielle n° 95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés dont l’affichage dans les établissements de santé est obligatoire.

Une journée d’information annuelle sera instaurée.

Article 10

Après l’article L. 1111-13, il est inséré un article L. 1111-14 ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-14. – Il est institué auprès du Garde des Sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de la santé, un organisme dénommé “Commission nationale de contrôle des pratiques en matière d’aide active à mourir”. Il est institué dans chaque région une commission régionale présidée par le préfet de région ou son représentant. Elle est chargée de contrôler, chaque fois qu’elle est rendue destinataire d’un rapport d’aide active à mourir, si les exigences légales ont été respectées.

« Lorsqu’elle estime que ces exigences n’ont pas été respectées ou en cas de doute, elle transmet le dossier à la commission nationale qui, après examen, dispose de la faculté de le transmettre au procureur de la République. Les règles relatives à la composition ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement des commissions susvisées sont définies par décret en Conseil d’État. »

Article 11

Après l’article L. 1111-14 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1111-15, ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-15. – Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats où elle était partie la personne dont la mort résulte d’une aide active à mourir mise en oeuvre selon les conditions et procédures prescrites par le code de la santé publique. Toute clause contraire est réputée non écrite. »

Article 12

L’article 221-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l’aide active à mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par la loi, n’est pas considérée comme un meurtre. »

Article 13

L’article 221-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l’aide active à mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par la loi, n’est pas considérée comme un empoisonnement. »

Article 14

Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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