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N° 1895 (rectifié)

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 septembre 2009.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

estimant urgente la mise en œuvre l’article 11 de la Constitution
sur l’extension du référendum,

présentée par

M. Jean-Marc AYRAULT, député,

au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a institué une procédure de référendum mélangeant l’initiative parlementaire et le soutien populaire.

Cette initiative résulte d’amendements soutenus par tous les groupes de l’Assemblée nationale, sous-amendée par le rapporteur de la commission des lois. Une quasi-unanimité s’est exprimée sur nos bancs pour leur adoption lors de la séance du 22 mai 2008, dépassant les clivages politiques.

Les propositions du comité Balladur s’inspiraient elles-mêmes des propositions faites par le comité Vedel au président François Mitterrand en 1993 et que la plupart des candidats à l’élection présidentielle de 2007 s’étaient prononcés plus ou moins nettement en faveur du référendum d’initiative populaire.

Exclue du projet de loi gouvernemental initial mais réintroduite à l’initiative des députés, la rédaction adoptée modifie l’article 11 de la Constitution conformément au dispositif suivant :

– l’initiative du référendum reviendrait à un cinquième des parlementaires soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Il ne s’agit donc pas stricto sensu d’une initiative populaire mais une initiative partagée donnant la priorité à une initiative parlementaire, laquelle doit être soutenue par un mouvement populaire.

– l’initiative prendrait la forme d’une proposition de loi. Elle ne concerne que les matières visées à l’article 11, lesquelles ont été étendues par un amendement de notre collègue M. Bertrand Pancher aux réformes relatives à la « politique environnementale de la Nation » et donc la Charte de l’environnement de 2004.

Le champ d’application du référendum est désormais :

– l’organisation des pouvoirs publics,

– les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent,

– la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Le référendum ne pourrait pas abroger une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Cette restriction a pour objet d’éviter que la procédure puisse permettre à un groupe parlementaire d’essayer de remettre en cause immédiatement, par la voie référendaire, un texte qu’il aurait combattu lors des débats parlementaires, mais qui aurait été adopté définitivement par le Parlement.

– la régularité de l’initiative serait contrôlée par le Conseil constitutionnel, dans des conditions fixées par une loi organique. L’article 61 de la Constitution a en effet été également modifié, à cet effet et à l’initiative du Sénat, afin de prévoir un contrôle de constitutionnalité avant l’organisation d’un référendum.

Pour la mise en œuvre de cette procédure, une loi organique est prévue pour déterminer « les conditions de présentation » de l’initiative référendaire ainsi que les « conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect de ces dispositions ».

Or, aucun projet de loi organique de mise en œuvre de l’article 11 n’a pour l’instant été déposé et n’est même pas programmé ou annoncé.

Pourtant, d’autres dispositions de la Constitution, toutes aussi importantes, ont déjà fait l’objet de mesures d’applications de nature organique, simple et ont conduit à la réforme des règlements des assemblées parlementaires :

– une loi organique n° 2009-966 du 3 août 2009 a prorogé le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental publiée tandis qu’un projet de loi organique relatif à cette institution a été déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 25 août dernier ;

– en matière électorale, une loi organique n° 2009-38 du 13 janvier 2009 a porté application de l’article 25 de la Constitution ; un projet de loi organique relatif à l’élection des députés a été déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 29 juillet 2009, tandis que deux projets de lois, déposés le 25 août dernier, ratifient, d’une part, l’ordonnance n° 2009-936 du 29 juillet 2009 relative à l’élection de députés par les Français établis hors de France et, d’autre part, l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés ;

– un projet de loi relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, déposé le 3 juin 2009, est en cours d’examen par notre commission des Lois ;

– le projet relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, déposé le 8 avril 2009, doit être examiné par notre assemblée en septembre ;

– la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution a permis aux assemblées parlementaires de réviser leurs règlements respectifs afin notamment de mettre en œuvre la réforme de la procédure législative ;

– au Sénat, un projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution a été déposé le 10 juin dernier.

Ainsi qu’on le voit, la plupart des dispositions constitutionnelles adoptées en juillet 2008 et dont l’effectivité dépend de l’adoption d’une disposition de nature organique ont fait l’objet d’une initiative gouvernementale.

Au contraire, l’extension du référendum réalisé par l’article 11 de la Constitution reste, avec le Défenseur des droits, mentionné par l’article 71-1 de la Constitution, la dernière disposition dont le gouvernement s’est jusqu’à présent complètement désintéressé.

Il n’est pas anodin de constater que le Gouvernement ne montre guère d’empressement à leur égard de ces deux institutions alors même que le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, alors M. Roger Karoutchi, a assuré devant le Sénat, lors de la discussion du projet de loi organique relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, le 12 février 2009, que le Gouvernement y travaillait : « Quant au projet de loi organique sur le référendum, nous y travaillons. Bien sûr, tous les textes prévus par la révision constitutionnelle seront présentés progressivement au Parlement, au cours de l’année 2009 ». Il avait d’ailleurs pris « l’engagement de communiquer à la Haute Assemblée, dans les semaines à venir, le programme et le calendrier précis en la matière, de manière que chacun sache dans quels délais l’ensemble des textes pourra être adopté ». Ce calendrier n’a jamais été communiqué.

Près de huit mois après ces déclarations, rien n’a avancé.

Il est, aux yeux des députés à l’initiative de cette résolution, au contraire urgent de prendre les mesures d’application nécessaires à cette extension du référendum.

Tel est l’objet de cette résolution.

La présente résolution permet de contourner l’obstacle de l’article 40 de la Constitution dont la rigueur ne permettrait pas de discuter une proposition de loi organique ayant le même objet mais ayant pour effet de créer à la charge du Budget de l’État une nouvelle charge publique, avec l’organisation par l’État et à ses frais, de la pétition populaire appuyant l’initiative parlementaire référendaire.

Elle fixe par ailleurs les lignes directrices de cette réforme.

Plusieurs points doivent avoir été préalablement débattus par la représentation nationale pour lever les ambiguïtés du dispositif adopté lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Pour beaucoup de commentateurs avisés en effet, la nouvelle procédure de l’article 11 est un « vrai faux référendum d’initiative populaire ».

Le champ du référendum avait été largement étendu en 1995, aux « réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation ou aux services publics qui y concourent », mais cette extension n’a rien changé à la pratique, puisque de 1995 à 2008 aucun référendum susceptible d’être rattaché à ce nouveau chef de compétence n’a été organisé ni même sérieusement envisagé.

Ainsi, le seuil retenu d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit environ 4,5 millions de signatures, semble trop élevé pour permettre une utilisation fréquente de cette procédure référendaire.

Ainsi, l’Institut européen sur l’initiative et le référendum a calculé (dans « Initiative and referendum monitor », 2004-2005) qu’un pourcentage de signatures de 5 % rend l’exercice du droit d’initiative extrêmement difficile et qu’un pourcentage de l’ordre de 10 % le rendait pratiquement impossible.

À ce sujet, on peut rappeler qu’en Italie, dans un pays dont la population est comparable à la nôtre, le nombre de signatures exigées pour valider une demande de référendum abrogatif est de 500 000 soit environ 9 fois moins que ce qui est prévu par l’article 11 de la Constitution.

Un référendum d’abrogation d’une loi (sauf en matière fiscale, budgétaire et d’amnistie) peut s’obtenir à la demande de cinq conseils régionaux ou de 500 000 électeurs. Nécessitant plus de 50 % des voix et de participation pour qu’elle soit suspendue. De 1970 à 2000, c’est plus de 50 référendums qui furent soumis au vote statuant sur le divorce, la législation des drogues, la privatisation de la RAI, la carrière des magistrats, les privatisations… À tel point que les critiques ont porté, à l’inverse, sur son utilisation excessive.

De même, la Californie, est l’État où le recours au référendum est le plus fréquent avec plus de 70 référendums constitutionnels d’initiative populaire et 200 sur des lois ordinaires depuis 1980.

Le dispositif évoqué par l’article 11 de notre Constitution pose quant à lui cinq séries de questions dont l’importance justifie un débat parlementaire préalable :

1/ la proposition de loi qui constitue l’objet du référendum doit-elle être propre à chaque assemblée ou être conjointe aux deux assemblées ?

Dans le second cas, elle doit donc faire l’objet d’une navette et avoir été discutée par les deux assemblées. Seuls les textes qui font l’objet d’une divergence seraient concernés, car en cas d’accord, la proposition de loi définitivement adoptée a vocation à être promulguée. On voit cependant mal l’appel au référendum pour régler des conflits entre les assemblées.

Le premier cas offre en revanche davantage de souplesse. Toute proposition de loi déposée par tout député ou tout sénateur pourrait faire l’objet de la procédure référendaire.

2/ comment prend la forme du soutien des parlementaires à cette initiative ?

Ce sera aux règlements des assemblées, après le vote de la loi organique, de déterminer la manière dont les votes des parlementaires sont pris en compte pour initier la procédure.

3/ comment s’effectue le recueil des signatures ?

L’ampleur de la quantité requise de signatures pour valider la demande de référendum rend nécessaire une implication active de l’État pour organiser et, naturellement, financer cet exercice démocratique national.

Ce sera à la loi à déterminer le lieu (mairies ? préfectures ?) et le délai de recueil des signatures, ainsi que les modalités de la publicité nécessaire à l’exercice.

4/ dans quelles conditions intervient le Conseil constitutionnel ?

Conformément à une position prise en 1962, confirmée par la suite, le Conseil constitutionnel se refuse à opérer un contrôle de constitutionnalité des lois référendaires adoptées, qui « constituent l’expression directe de la souveraineté nationale ». Il a aussi longtemps renoncé à examiner les actes préparatoires aux campagnes référendaires, estimant que ses pouvoirs consultatifs étaient exclusifs de ses pouvoirs juridictionnels, jusqu’en 2000 où il s’est déclaré compétent.

Il revient donc au législateur organique de préciser les modalités de contrôle de l’initiative populaire, à la fois sur le plan de la recevabilité formelle de l’initiative (validité des signatures...) et de l’adéquation de l’objet avec la liste des matières de l’article 11.

5/ quel est la portée de l’examen par le Parlement ?

La loi organique devra fixer un délai au Parlement pour « examiner » la proposition de loi. À l’issue de ce délai et si l’examen n’est pas intervenu, alors le Président de la République pourra soumettre au référendum ce texte, soutenu par un cinquième des parlementaires et un dixième des Français.

La rédaction actuelle tend à signifier que le gouvernement et sa majorité peuvent éviter le référendum simplement en examinant et en rejetant la proposition de loi, ce qui suffirait d’interrompre définitivement la procédure.

Ainsi, selon le professeur de droit Francis Hamon, est-on fondé à s’interroger : « pourquoi un cinquième des parlementaires se lanceraient-ils dans l’aventure coûteuse et aléatoire d’une demande de référendum alors qu’un examen parlementaire de leur proposition de loi est l’issue la plus probable et qu’ils pourraient sans doute obtenir cet examen à moindre frais et de façon plus rapide en faisant directement inscrire cette proposition à l’ordre du jour de chacune des assemblées (…) Il serait bien surprenant que des militants politiques ou associatifs acceptent de se mobiliser pour collecter quelques millions de signatures en sachant que, même dans le cas où leurs efforts seraient couronnés de succès, rien ne garantit que le référendum aura effectivement lieu ».

Pour revivifier la démocratie, nous considérons au contraire que les modalités d’application de l’article 11 doivent avoir pour objectif de rendre cette procédure utilisable, à moins que celle-ci ait fait partie du marché de dupes de la révision constitutionnelle de 2008 qui était censée renforcer notamment les droits des citoyens.

La discussion de cette résolution permettra certainement de lever ces interrogations et de balayer ces doutes.

Elle doit donner l’occasion à l’Assemblée nationale d’engager un débat sur ces cinq points et favoriser la « coproduction législative » souvent invoquée par le président du groupe majoritaire actuel.

Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé d’adopter cette proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 51-1 de la Constitution,

Vu l’article 11 de la Constitution,

Vu le premier alinéa de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum »,

Considérant que certaines réformes d’ampleur présentées par un Gouvernement, notamment celles qui n’ont pas fait l’objet d’engagements devant les Français lors des campagnes électorales peuvent nécessiter une consultation démocratique par voie référendaire ;

Estime urgente la mise en œuvre de la réforme de l’article 11 de la Constitution par l’adoption des dispositions organiques sans lesquelles cette réforme resterait sans objet.


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