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N° 1915

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 septembre 2009.

PROPOSITION DE LOI

tendant à créer des sociétés locales de partenariat,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Roland BLUM,

député.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le soutien à l’investissement des collectivités territoriales revêt, dans le contexte de la crise économique, une importance décisive. Dans leur ensemble, les collectivités territoriales ont réalisé, en 2008, près de 73 % de l’investissement public. Donner aux élus locaux les moyens d’accélérer leurs programmes d’investissement, notamment dans les domaines de l’habitat durable, de l’énergie, de l’environnement et des équipements publics structurants constitue par conséquent une urgente nécessité.

Dans cette optique, la création de nouvelles formes de coopération entre les collectivités publiques et le secteur privé apparait particulièrement opportune.

Les partenariats public-privé (PPP) recouvrent une gamme de solutions juridiques visant à faciliter cette coopération. Les contrats de partenariat créés par l’ordonnance du 17 juin 2004 et modifiés par la loi du 28 juillet 2008 s’inscrivent dans cette catégorie. Cependant, en raison de la raréfaction du crédit, mais également de la complexité juridique de ces montages, ceux-ci peinent à se développer.

Les sociétés d’économie mixte locales (SEM) pourraient constituer un levier puissant de développement des PPP, puisque la loi fait obligation aux collectivités territoriales de s’associer en leur sein à des partenaires privés. Mais les conditions particulièrement restrictives qu’elle impose à cette coopération freine le lancement de véritables « PPP institutionnalisés », selon les termes employés par la Commission européenne dans une communication interprétative publiée le 5 février 2008, entendus comme « une coopération entre des partenaires publics et privés qui établissent une entité à capital mixte ».

Dans les faits, les SEM correspondent rarement à cette définition. La règle majoritaire, qui oblige les collectivités territoriales à détenir de 50 à 85 % du capital, dissuade généralement les entreprises privées de s’engager dans un véritable partage des responsabilités et des risques alors que dans les autres pays de l’Union européenne où la répartition du capital des SEM est plus flexible, de tels partenariats se développent depuis plusieurs années. Cela a d’ailleurs conduit en France même à l’essor de dispositifs dérogatoires.

Cependant, le principe de la prééminence des collectivités territoriales dans le capital des SEM, établi dès 1955 et confirmé par les lois successives de 1983 et de 2002 – adoptées toutes deux à l’unanimité du Parlement – est aujourd’hui si profondément ancré dans la histoire et la culture de l’économie mixte locale qu’il apparait préférable de concevoir une forme nouvelle de partenariat entre les collectivités territoriales et le secteur privé, proche mais distincte des SEM afin d’éviter toute confusion dans l’esprit des élus locaux.

La présente proposition de loi vise à autoriser les prises de participation minoritaires des collectivités territoriales au capital de sociétés anonymes ayant un champ d’intervention identique à celui des SEM, dans le cadre des compétences des collectivités territoriales. De cette solution nouvelle, le signataire attend une accélération rapide et durable des programmes d’investissement locaux. Une telle innovation, assortie de garanties de contrôle public, dotera les collectivités territoriales de moyens d’action renforcés pour développer les territoires.

Cette proposition doit être située dans le contexte de l’histoire du droit de l’économie mixte locale et de notre environnement européen (I). Les modalités de cette réforme doivent être ensuite précisées (II).

– I –

En 1926, les décrets-lois Poincaré ont autorisé les collectivités territoriales à constituer des SEM, tout en limitant leur participation à 40 % dans le but de préserver l’épargne publique. Ce texte fondateur a donné naissance à des partenariats public-privé fructueux et durables en favorisant une implication réelle du partenaire privé dans le management des SEM. Certaines SEM créées dans ce contexte existent toujours, à la satisfaction de leurs actionnaires publics comme privés, à l’image de la CPCU à Paris ou de la SOGIMA à Marseille.

Dans le sillage des premières lois de décentralisation, la loi du 7 juillet 1983, tout en alignant les SEM sur le droit des sociétés commerciales, a établi la prééminence des collectivités territoriales dans leur gestion en les obligeant à être majoritaires au capital des SEM nouvellement créées, la participation des autres actionnaires étant au minimum de 20 %. Tant la loi de 1983 que des dispositions législatives postérieures ont cependant maintenu la possibilité de SEM à capitaux privés majoritaires dans certaines régions (Alsace-Moselle, Outre-Mer), ou secteurs d’activité (remontées mécaniques, hospitalier, etc.).

Aujourd’hui, le contexte a profondément évolué :

1. L’intégration européenne a mis en lumière le fait que dans la quasi-totalité des pays de l’Union européenne la composition du capital des SEM n’est soumise à d’autres contraintes que celles du droit des sociétés ;

2. Dans toute l’Europe le co-investissement public-privé apparaît comme un levier pour répondre à un large éventail de besoins collectifs : la crise économique presse les acteurs publics et privés de rechercher des voies nouvelles et sûres permettant de créer des partenariats de long terme au service de l’intérêt général.

Ces évolutions avaient d’ailleurs conduit le législateur à envisager un assouplissement des règles de répartition du capital entre actionnaires publics et privés dans les SEM, lors de la discussion de la loi de modernisation du statut des SEM, promulguée le 2 janvier 2002. Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale avait proposé d’autoriser les collectivités territoriales à détenir de 34 à 100 % du capital des SEM, dans une perspective d’harmonisation européenne. Le gouvernement ayant souhaité qu’une réflexion plus approfondie précède cette évolution, le rapporteur avait retiré ces amendements.

Société réunissant obligatoirement des capitaux publics et privés, la SEM constitue, avec la délégation de service public, l’un des deux modes d’organisation du partenariat public-privé. Dans les faits, cependant, ce partenariat structurel est rarement constitué dans les SEM. Pourquoi ?

L’une des critiques les plus couramment adressées à l’économie mixte locale est que les capitaux privés y représentent la portion congrue. Cette critique n’est pas sans fondement puisque les entreprises privées ne détiennent que 12 % du capital consolidé des 1 100 SEM françaises (2,2 milliards d’euros).

Certes, ce pourcentage modeste masque une partie de la réalité : certaines SEM ont mis en œuvre un partenariat public-privé organique et durable, dans des secteurs comme le tourisme, les transports publics, la valorisation des déchets, le logement.

Mais dans la plupart des SEM force est de constater que la loi a placé les acteurs privés dans la position d’actionnaires figurants, sans rôle ni responsabilité réels, dont la présence ne vise qu’à remplir l’obligation légale de leur réserver 15 % au minimum du capital de la société, alors que son objet social n’intéresse, au sens de l’affectio societatis qui est la base du contrat de société, que les collectivités territoriales.

À l’inverse, dans d’autres cas, les actionnaires privés souhaiteraient, si la loi le permettait, devenir de véritables partenaires agissant en commun avec les collectivités en partageant avec elles les ressources, les risques et les profits.

On le voit, la situation actuelle n’est satisfaisante ni pour les acteurs privés qui ne peuvent s’engager pleinement aux côtés des collectivités territoriales dans le management d’une SEM, ni pour les collectivités territoriales elles-mêmes qui, seules en Europe, voient leur capacité d’initiative entravée et leur responsabilité diminuée, alors même que l’État actionnaire ne s’impose en la matière aucune des règles qui contraignent les collectivités territoriales.

La France est le seul pays de l’Union européenne à avoir encadré la participation des collectivités territoriales au capital des sociétés anonymes de telle sorte que les collectivités ne peuvent en être les seuls actionnaires et qu’elles ne peuvent être actionnaires minoritaires.

Dans le reste de l’Union, qui compte plus de 15 000 entreprises à participation publique, la composition du capital de ces sociétés est extrêmement souple. En Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Irlande, au Royaume-Uni comme en Suède, il n’existe ni plancher ni plafond de participation des collectivités territoriales. En Italie, une participation minimale de 20 % est imposée aux collectivités locales ; au Portugal, les collectivités, associées à des entreprises publiques, doivent être majoritaires.

– II –

La création de sociétés locales de partenariat doit permettre de développer de véritables PPP au service du développement durable des territoires, tout en garantissant aux collectivités territoriales, s’agissant de sociétés auxquelles elles confieront des tâches de leur compétence dans le respect de l’intérêt général, l’exercice d’un contrôle de la gestion et du respect de l’objet initial.

Dans cette optique, le texte proposé maintient la prééminence des collectivités territoriales, garantes de l’intérêt général, en leur assurant dans tous les cas, par la minorité de blocage, le contrôle effectif des décisions relevant de l’assemblée générale extraordinaire, en particulier toute modification de l’objet social. Les actionnaires privés pourront détenir de 51 à 66 % du capital de ces sociétés.

Cette garantie pourra naturellement être complétée, par accord entre les associés, de dispositions particulières insérées dans les statuts ou les pactes d’actionnaires et couramment pratiquées dans le fonctionnement des sociétés commerciales (par exemple : les actions à vote double, la règle du double quorum, la procédure d’agrément des dirigeants par la collectivité).

Les sociétés locales de partenariat resteront naturellement soumises aux obligations de communication spécialement imposées aux SEM de même qu’au double contrôle du Préfet et de la chambre régionale des comptes. Les élus administrateurs des sociétés locales de partenariat bénéficieront, au surplus, de la même protection juridique que les élus administrateurs de SEM.

Les sociétés locales de partenariat pourront être créées pour réaliser des opérations immobilières ou d’aménagement ou pour exploiter des services publics industriels et commerciaux.

Elles seront naturellement soumises, pour l’attribution de missions par les collectivités territoriales, aux procédures de concurrence établies par la loi pour les marchés et les délégations de service public.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le livre V de la première partie du code général des collectivités territoriales est complété par un titre IV ainsi rédigé :

« TITRE IV

SOCIÉTÉS LOCALES DE PARTENARIAT

Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés locales de partenariat dont ils détiennent, séparément ou à plusieurs, au minimum 34 % des parts et un tiers des voix dans les organes délibérants. La participation des actionnaires autres que les collectivités territoriales et leurs groupements ne peut être inférieure à 51 % du capital.

Ces sociétés sont compétentes pour réaliser des opérations d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics industriels et commerciaux ou toutes autres activités d’intérêt général.

Les statuts fixent le nombre de sièges dont les collectivités territoriales et leurs groupements disposent au conseil d’administration ou de surveillance, ce nombre étant éventuellement arrondi à l’unité supérieure. Les sièges peuvent être attribués en proportion du capital détenu respectivement par chaque collectivité ou groupement.

Ces sociétés revêtent la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce et, sous réserve des dispositions du présent article, par le titre II du livre V de la première partie du code général des collectivités territoriales.

Article 2

Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour les collectivités territoriales et leurs groupements sont compensées, à due concurrence, par le relèvement de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement, pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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