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le 14 octobre 2009


N° 1954

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2009.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences sur la santé des salariés des restructurations permanentes, des nouvelles formes d’organisation du travail et méthodes de gestion du personnel à France Télécom comme dans l’ensemble des secteurs de l’économie nationale,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Roland MUZEAU, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

député-e-s.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

France Télécom n’en finit pas de défrayer la chronique. Mais il n’est plus question de vanter la formidable réussite de la mutation industrielle de l’opérateur téléphonique, ni de saluer le passage des valeurs supposées dépassées du service public à celles plus modernes du marché, et encore moins de congratuler son PDG pour ses performances, sa stratégie, son prix du manager de l’année…

Sur le devant de la scène, cette fois, la violence de la situation faite au travail aux salarié(e)s de ce géant. Les méfaits sur la santé psychologique des hommes et des femmes de cette marche forcée vers la financiarisation érigée en dogme. Le mal être généralisé des agents remerciés hier par un ex-PDG pour leur « effort gigantesque » et dont l’« exceptionnelle capacité d’adaptation » était reconnue par un ancien ministre.

Après EDF, IBM, Renault, le ministère de l’équipement ou de la justice, cette ancienne entreprise publique est de nouveau confrontée au suicide de ses salariés, le vingt-quatrième depuis février 2008.

Certains dirigeants succombent encore à la tentation de banaliser cette situation – le taux de suicide chez les salariés de France Télécom n’est guère plus élevé que la moyenne nationale –, se laissent aller à parler de « mode du suicide », renvoient ces actes désespérés à la vulnérabilité psychologique individuelle, aux difficultés rencontrées par le salarié dans sa sphère privée. Si effectivement les causes d’un suicide peuvent être plurielles, « expliquer ainsi le geste comme le font les directions, c’est s’appuyer sur une coupure entre vie personnelle et vie au travail. Or, sur le plan psychique, elle n’existe pas. Quand quelqu’un souffre au travail, cela vient dégrader sa vie personnelle » insiste Christophe Dejours, titulaire de la chaire « Psychanalyse, santé, travail » au Conservatoire national des arts et métiers.

La lecture de ce psychanalyste nous enseigne également « que le nombre de suicide ici n’a guère d’importance. Un seul suicide sur les lieux de travail, ou manifestement en rapport avec le travail, c’est en fait toute la communauté de travail qui est déjà en souffrance »… « Un suicide classé sans suite accroît les risques pour la santé mentale de ceux qui restent » prévient-il. Manifestement, les nombreux travaux réalisés depuis une quinzaine d’années autour de la souffrance au travail n’ont pas pénétré France Télécom.

Au-delà des suicides et avant même ceux-ci, la direction de France Télécom comme l’État actionnaire peuvent difficilement soutenir qu’ils ne savaient pas les problèmes rencontrés par une majorité de salarié. Des indicateurs auraient du retenir leur attention et donner lieu à réaction. L’absentéisme anormalement élevé tout d’abord, 20 jours par an en moyenne pour cause de maladie en 2008, 63 jours pour les non-cadres dans les centres d’appel, les boutiques. La multiplication par quatre du nombre de démission entre 2004 et 2008.

Pire encore, les nombreuses alertes émanant là de médecins du travail, là d’expertises initiées par les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) quand elles n’était pas contestées en justice par la direction, faisant toutes état de la dégradation de la santé des salariés, « d’un mal vivre au travail », « d’une situation profondément perturbée » « sérieuse et générale » liant celle-ci « aux évolutions organisationnelles successives » et à « l’intensification du travail » ont été systématiquement ignorées. Le travail de l’observatoire du stress, crée à l’initiative de certains syndicats, n’a pas eu plus d’écoute. Ces drames étaient pourtant évitables.

Dans un communiqué du 1er octobre 2009, le SNPST (syndicat national des professionnels de la santé au travail) confirme avoir été entravé dans ses missions dès lors que l’action des médecins du travail n’étaient « pas conforme à la doctrine managériale ». Il déplore aussi que leur indépendance soit régulièrement menacée et confirme les démissions de nombreux professionnels de santé ces deux dernières années. Il est légitime que la représentation nationale puisse faire la lumière sur de tels faits aux conséquences dramatiques sur la santé des salariés de France Telecom et désigner les responsables de ces entraves au bon fonctionnement du service de santé au travail. Pourquoi les pouvoirs publics ont-t-ils été aussi complaisants vis-à-vis de la direction en laissant fonctionner sans agrément le service autonome de médecine du travail ?

Comment justifier un tel déni, cet attentisme, cette abstention fautive dans la prise en compte de cette réalité, l’absence d’actions de prévention primaire pour prévenir la souffrance psychique ? France Télécom comme tout employeur n’est-il pas tenu par une obligation de santé-sécurité, obligation de résultat incontournable englobant la protection contre le stress, les risques psychosociaux ? En partie par le fait que les conséquences de ces risques ne sont pas reconnues comme des maladies professionnelles ou des accidents du travail et qu’ainsi de fait, les employeurs n’ayant pas à supporter financièrement le coût de leur réparation ne sont pas incités à les prendre en compte. Le manque de volontarisme de la puissance publique en matière de santé au travail comme pour imposer la reconnaissance de la pénibilité au travail n’est pas non plus sans incidence.

Les faits dramatiques de ces dernières semaines n’ont pas laissé d’autres choix au gouvernement et à l’exécutif de France Télécom que de démissionner le directeur France et d’accepter enfin de jouer la carte de l’expertise, de la négociation interne sur des thèmes aussi centraux que les conditions de travail, l’organisation du travail, l’accompagnement à la mobilité… Il n’en reste pas moins que les syndicats demeurent inquiets, circonspects quant au peu de chance de réussite de ces négociations. Il est vrai que les mesures dites d’urgence prises d’ores-et-déjà par la direction ne semblent témoigner ni d’une réelle prise de conscience de l’ampleur du phénomène des souffrances psychiques ni d’une volonté de changer de méthode. Pour exemple, les mobilités sont suspendues temporairement. À n’en pas douter la création de la commission d’enquête que nous appelons de nos vœux serait un signal fort en direction de France Télécom l’invitant à rompre avec les mesures d’affichage, de replâtrage, de pseudo-prévention comme les cellules d’écoute.

Ces drames humains, ces suicides et tentatives de suicide symboliquement commis sur le lieu de travail, ou accusant explicitement le travail, « l’enfer devant l’écran », « le management par la terreur », « l’acharnement à faire partir les gens », interrogent directement le travail, son organisation, la dégradation des conditions de son exercice, sa déshumanisation et la perte de sens, les méthodes de management et de gestion… Comprendre ce qui ne va plus dans le travail c’est aussi accepter de le transformer, de remettre en cause les logiques à l’œuvre.

Or, pour France Télécom et l’État actionnaire majoritaire c’est là que se noue le problème car cela impliquerait de reconnaître que le changement de statut, les réorganisations permanentes, les objectifs annuels de réduction d’effectifs, le management agressif, la mobilité forcée…toutes ces logiques internes à l’entreprise pour satisfaire les impératifs du marché, faire du « cash » ont été néfastes pour la santé des salariés. « Comment imposer un travail sur la prévention primaire, celui lié à l’organisation et au management, alors que cela fait partie de la politique de France Telecom d’user de la souffrance pour faire partir les gens ? » résume un élu CFE-CGC au conseil national d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail.

À France Télécom comme dans les autres entreprises d’ailleurs, la souffrance au travail, les suicides, ne doivent rien au hasard. La littérature, les études abondent sur l’émergence, la généralisation des troubles psychosociaux. La relation de cause à effet entre la montée de ces troubles et l’évolution de l’organisation du travail, la croissance des activités de service, l’entrée dans les entreprises de modes violents de management n’est plus à faire.

On constate depuis plusieurs années, une véritable dégradation des conditions de santé des salariés, une augmentation des souffrances au travail. Une étude de la DARES de mai 2004 rend le travail responsable d’un problème de santé sur cinq.

Le travail tue, blesse et rend malade, à raison de deux morts par jour dus à des accidents, de huit morts par jour dus à l’amiante, de deux millions et demi de salariés exposés quotidiennement à des cocktails cancérigènes, de millions d’hommes et de femmes constamment poussés aux limites de ce qu’un être humain peut supporter, moralement et physiquement. Et encore ces données de l’assurance maladie sont sous-estimées.

En cause aussi, les modes d’organisation du travail totalement précarisé. Pour Dominique Huez, médecin du travail, « les conséquences de la précarité sur la santé sont liées aux contraintes majeures pour les salariés, générées par l’organisation du travail, qui ont un impact sur la sphère physique et psychique ».

Tel est le cas du modèle de production qui fragilise le plus les salariés, que l’on peut appeler en français le « flux tendu », et qui correspond en réalité à un modèle de gestion d’entreprise initié au Japon dans les années 70, avant d’être théorisé au début des années 90 aux États-Unis par James P. Womack et Daniel T. Jones, le « lean production ».

Cette méthode de gestion repose sur le principe de l’accroissement permanent de la capacité de production en diminuant le plus l’ensemble des dépenses qualifiées par ses théoriciens de «gaspillages », couplée à une exigence temporelle de «juste temps », qui impose le travail à flux tendu, la flexibilité des horaires, et le recours aux contrats atypiques, particulièrement à l’intérim.

Ce mode de gestion, qui s’accompagne de bouleversements managériaux n’est pourtant pas sans conséquence sur la santé des salariés. Une étude européenne de 2000, reprise par la Revue de santé publique montrait que les organisations ayant appliqué ces méthodes de gestion, exposaient d’avantage leurs salariés à l’ensemble des souffrances physiques et psychiques que des salariés soumis à d’autres formes d’organisation du travail. Ainsi, dans les entreprises soumises au « lean production », ils seraient 66 % des salariés à déclarer que le travail affecte négativement leur santé, contre 60 % des salariés soumis à d’autres formes de gestion.

Cette précarisation du travail accompagne un autre mouvement, son intensification. L’intensification du travail, dont on a pu croire qu’elle allait progressivement disparaître avec l’émergence des technologies nouvelles s’est en fait accrue considérablement car elle est, comme le souligne Laurence Thery, inspectrice du travail et auteur du livre Le travail intenable, « au cœur des transformations touchant à l’organisation du travail et de la production ». Cette intensification apparaît comme l’une des principales conséquences d’une gestion à flux tendu. Dans les entreprises soumises à de telles méthodes de management et d’organisation du travail hérité de la logique de flux tendu (« lean production » notamment), les pressions temporelles se sont accrues et imposent aux salariés des contraintes qui sont parfois contradictoires comme la rapidité du travail, et la qualité.

Par ailleurs, l’accroissement de la charge de travail revêt également la forme de la multiplication des heures supplémentaires, qu’elles soient ou non rémunérées, qu’elles soient volontaires ou contraintes. Et ce d’autant plus que ces pratiques, qui ne concernaient qu’une partie des salariés (les cadres) se sont aujourd’hui généralisées à l’ensemble du salariat.

Les salariés sont alors tenus entre deux contraintes, l’une professionnelle de réalisation des objectifs – notamment parce qu’une part de la rémunération peut être assujettie à la réalisation de ces objectifs – et la protection de leur propre santé.

Il résulte de l’intensification du travail, couplé à la précarité de l’emploi et du travail, une impossibilité d’opérer des choix clairs et raisonnés en termes de santé, ce qui a fait dire à Stéphane Le Lay – sociologue du travail – que « l’intensification du travail, faute de régulation sociale, semble n’avoir pour limite que les possibilités physiologiques et psychologiques des individus ».

Car paradoxalement, alors que les nouveaux modes de direction des personnels tendent à faire croire que les salariés disposent d’une plus grande autonomie, on observe la réduction des marges de manœuvre des salariés dans la réalisation concrète de leur travail. Les salariés ne peuvent alors plus élaborer des stratégies leur permettant de concilier objectifs professionnels et préservation de la santé, comme le soulignait Christophe Dejours dans son livre Usure mentale, publié en 2008.

En outre, en raison même de la structure économique libérale, pour laquelle les fusions ou les acquisitions d’entreprises sont devenues une finalité en soi, les lieux de décision sont souvent éloignés des lieux d’exécution. Cela est particulièrement le cas lorsque la direction de l’entreprise se situe à l’international. Cela peut renforcer le sentiment d’isolement des salariés, et ce d’autant plus que les entreprises dans lesquelles ils travaillent peuvent être détenues non plus par une personne ou une famille, mais par un ensemble d’actionnaires.

D’autant que ce mouvement de concentration d’entreprises ne s’est pas accompagné d’avancées démocratiques permettant aux salariés, au travers leurs représentants, de disposer de lieux de dialogue, de concertation et de décision. Cela accentue le sentiment de « désincarnation de l’autorité hiérarchique », et les décisions qui s’imposent aux salariés, apparaissent – souvent légitimement – comme principalement dictée par une logique spéculative, en lieu et place d’une logique industrielle.

La suppression de l’ensemble des mécanismes de protection et droits collectifs (suppression des horaires collectifs de travail, accroissement de la part variable de la rémunération, individualisation des objectifs parfois déconnectés de toute réalité, et ne tenant pas compte des objectifs réalisés dans le passé) aggrave le sentiment d’isolement du salarié.

Cette individualisation du travail est l’émergence d’une « réelle atomisation du travail et des rapports sociaux », comme le soulignait Danièle Linhart dans un article du Monde diplomatique de mars 2006).

Plus le patronat demande l’individualisation des relations de travail, plus il exige de ses salariés qu’ils fassent preuve d’initiative, plus il limite le champ de leur autonomie.

Il suffit pour s’en convaincre d’observer comment à France Télécom, les nouvelles technologies ont permis de réduire considérablement le pouvoir de décisions et d’initiatives des salariés. À titre d’exemple, alors que la direction imposait aux cadres de l’entreprise la fameuse règle du « Time to move » (« le temps de se déplacer ») qui les obligeait à subir une mutation tous les 3 ans, les demandes de mobilité choisies par les salariés étaient, elles, au contraire, toutes bloquées. De la même manière, les salariés opérant dans des plateformes téléphoniques, sont contraints à respecter des scripts et scénarii très précis auxquels ils ne peuvent déroger.

En réalité, la seule part d’autonomie laissée aux salariés réside dans les choix qu’ils doivent opérer entre les différentes méthodes de contournement de la législation, mais surtout, de contournement de leurs propres limites, capacités ou besoins, renvoyant leurs éventuelles difficultés à leurs propres décisions.

C’est d’ailleurs en se fondant sur cette logique de « responsabilité » des salariés que s’assoit le mode de management par la souffrance. Les attentes des équipes de direction sont d’autant plus grandes que les salariés sont livrés à eux-mêmes. On leur demande tour à tour d’être des exécutants, des initiateurs, et de s’engager personnellement dans leur activité professionnelle, un peu comme s’ils étaient eux-mêmes des entrepreneurs dans leurs établissements. À ceci près que, contrairement à l’entrepreneur, les employés ne disposent pas de l’opportunité de faire ou de ne pas faire, « d’y aller ou de ne pas y aller », tout comme ils ne disposent pas de la jouissance des fruits de leur activité.

Cet investissement du salarié passe encore une fois par une individualisation de la gestion des personnels. Si tous doivent se comporter comme des «auto-employeurs », alors, les autres salariés de l’entreprise sont au mieux des personnes « à côté de ses propres objectifs », au pire, « des concurrents », particulièrement lorsque la rémunération est en partie assise sur la réalisation de ses propres objectifs, ou que planent dans l’entreprise, des menaces de restructuration.

Ce mécanisme de « sur-isolement » est générateur de troubles qui revêtent principalement deux formes. Une forme physique, principalement dans les postes impliquant des tâches répétitives, ou qui font appel à la capacité du salarié à surmonter des épreuves. Et une forme psychique (la dépression par exemple) pour les salariés qui se trouvent enfermés dans un conflit avec la hiérarchie.

Gérard Lasfargues, chef du département d’expertises en santé environnement du travail à l’Afsset reconnait « les consultations pour troubles psycho-sociaux ont été multipliées par quatre en cinq ans. Il s’agit du premier motif d’examen pour les femmes, et du troisième pour les hommes, après les maladies du système respiratoire et les cancers ».

Chez France Telecom, les métamorphoses de l’entreprise, sa privatisation, la dérégulation du secteur des télécommunications, l’obsession de la rentabilité, ne doivent pas être négligés parmi les causes d’un tel développement des risques psychosociaux. En 2004 déjà, Dominique Decèze, auteur de La machine à broyer. Quand les privatisations tuent, faisait ce lien. Aujourd’hui, Ivan du Roy, dans son ouvrage Orange stressée, pointe à sa manière la responsabilité des « mécanismes directement liés aux évolutions de l’entreprise », le passage « d’une culture de service public à une machine à cash ». Pour satisfaire les objectifs commerciaux et financiers, réduire la dette, augmenter les bénéfices et la rémunération des actionnaires, n’a-t-on pas encouragé une politique froide et drastique de réduction des coûts menée de main de maître par la direction ? Le plan NEXT c’est 22 000 suppressions d’emplois en trois ans, c’est 5,2 milliards d’euros de bénéfices en 2008 et des dividendes en augmentation de 38 %.

Les agents ont largement accompagné ce grand saut, ils se sont adaptés en acceptant de changer de métier, de lieu de travail, même si pour beaucoup, profondément attachés à la culture du service public, au travail bien fait, les nouveaux modes de fonctionnement n’étaient plus compris. Mais l’histoire s’est accélérée, les salariés ont perdu toute visibilité sur la viabilité de leur service, toute perspective concernant leur avenir professionnel. En cause là, les restructurations permanentes, les fermetures de site avec l’explosion des collectifs de travail, l’appel grandissant à la sous-traitance, la désorganisation du travail, les mutations glissées, sans parler des pressions permanentes sur certaines catégories de salariés (mères de famille de plus de 50 ans) pour qu’ils quittent « volontairement » l’entreprise…

En cause aussi « le management par la terreur », « par l’incertitude », les méthodes inhumaines coupées des réalités du travail. Objectifs irréalisables, évaluation individuelle des performances, des primes qui en découlent mais qui dépendent aussi des résultats de « l’équipe » de travail. La mobilité forcée, le trop fameux « Time to move » appliqué aux cadres tous les trois ans…

Ces pratiques dénoncées de longue date unanimement par les organisations syndicales mais que certains feignent aujourd’hui de découvrir justifient, si besoin était encore, que les parlementaires que nous sommes puissent expertiser les méthodes en cours, rendre lisibles leurs conséquences psychiques et sociales afin de les remettre en cause et prévenir ainsi collectivement d’autres atteintes à la santé de l’ensemble des salariés.

Si France Télécom a servi, comme l’affirme Pierre Khalfa de « banc d’essai à la libéralisation des services publics », il n’y a pas de doute à avoir sur les conséquences qu’auront l’application de ces méthodes à l’ensemble des services publics que le Gouvernement, sous couvert de directives européennes, entend privatiser.

L’application des règles de la concurrence, parce qu’elles sont contradictoires avec la logique même de service public, ne peuvent avoir que des conséquences néfastes sur la qualité du service, comme sur la santé de ceux qui en sont au cœur.

Si l’application des règles concurrentielles à des secteurs jusqu’alors épargnés peut être insatisfaisante au regard des attentes du public, ces règles peuvent également porter atteinte à la santé des salariés. Cette question, de la mutation des entreprises ou des acteurs de services publics vers une logique libérale de « service tout court » inquiète, particulièrement à l’heure où le Gouvernement organise, projets de lois après projets de lois, la concurrence de l’État par l’État et entend transformer, par exemple, les hôpitaux en de véritables entreprises de soins.

À n’en pas douter, la recherche perpétuelle des économies, contre l’intérêt des usagers, aura sur les agents de ces services publics, les mêmes conséquences que la soumission de double contrainte « rapidité-qualité » dont sont victimes les salariés des entreprises privées, y compris celles récemment privatisées.

Les cas tragiques de souffrances au travail, révélés à France Télécom doivent interroger le législateur. Particulièrement au moment où il s’apprête à prendre de nouvelles décisions stratégiques de grande importance dans une entreprise qui fut jadis, un acteur du grand service de communication.

Toutes ces raisons, Mesdames, Messieurs, justifient l’adoption de la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est crée, en application des articles 137 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête parlementaire de 30 membres en vue de tirer les conséquences des restructurations permanentes, des nouvelles formes d’organisation du travail et méthode de gestion du personnel sur la santé des salariés de France Télécom.


© Assemblée nationale