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le 7 décembre 2009


N° 2076

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 novembre 2009.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
relative aux algues vertes en France,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

François de RUGY, Yves COCHET et Noël MAMÈRE,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 28 juillet 2009, en baie de Saint-Michel-en-Grève couverte d’algues vertes, un cheval enlisé dans la vase est mort et son cavalier, évanoui, a été sauvé in extremis par des ouvriers, justement occupés à charger des algues dans des camions.

Quelques jours auparavant, le 22 juillet, un homme est mort subitement à Lanvollon : il déchargeait des algues dans une unité de compostage.

En 2008, deux chiens de 13 et 25 kilos sont retrouvés se décomposant dans un dépôt d’algues, à Hillion.

Déjà, en 1989, un jogger était retrouvé mort et, en 1999, déjà à Saint-Michel-en-Grève, un chauffeur de camion passait plusieurs jours dans le coma quand un autre perdait la vue à Lannion.

Sans doute la liste des victimes des « marées vertes » qui empuantissent la Bretagne depuis le début des années 70 pourrait être continuée longtemps si certaines plages, tellement polluées, n’étaient interdites d’accès – même aux opérations de ramassage !

En effet, selon un rapport de l’INERIS commandé par le gouvernement le 11 août 2009, soit près d’un mois après l’accident de Saint-Michel-en-Grève et après nettoyage de la baie, les teneurs en hydrogène sulfuré, un gaz éminemment toxique émis, avec l’ammoniac, par les ulves en décomposition, étaient de 1 000 ppmv (parties par millions en volume), un taux pouvant causer la mort en quelques minutes et que l’institut écrit ne rencontrer que rarement et surtout dans les milieux confinés, comme les milieux industriels ou les égouts !

Comment en sommes-nous arrivés là ? Il est aberrant que le gouvernement lance une énième et dilatoire mission interministérielle chargée de présenter un plan d’action « algues vertes ». Déjà, il y a 10 ans, il avait été demandé à différents ministres leurs propositions d’action ! Quand les écologistes, militants et associatifs, avertissaient du danger et proposaient leurs solutions depuis les années 70 !

Or, il existe un consensus scientifique. Les ulves sont des végétaux nitrophiles, c’est-à-dire fortement demandeurs d’azote ainsi que de phosphore. Cet apport azoté qui permet la croissance des algues se fait principalement sous la forme de nitrate issu du lessivage des terres agricoles recouvertes d’engrais et de lisier, notamment lors des pluies printanières. Ainsi, comme le note le Conseil Scientifique de l’Environnement de Bretagne (CSEB), « les flux d’azote allant à la mer pour l’ensemble des bassins versants de Bretagne sont de l’ordre de 75 000 tonnes d’azote par an, ce qui correspond à un flux spécifique moyen de 25 kilos par hectare et par an » quand « un flux spécifique sans conséquences environnementales néfastes serait de 5 kilos par hectare et par an ». Soit un flux 5 fois supérieur à la normale !

Dans sa note confidentielle du 4 septembre 2009, le préfet des Côtes-d’Armor écrit d’ailleurs au cabinet du Premier Ministre, prenant l’exemple du bassin versant du Lieue de Grève qui regroupe 170 exploitations agricoles, que « les taux de nitrates moyens actuels s’élèvent à 30 mg/l. Pour limiter fortement les marées vertes, il faudrait descendre à 15 voire 10 mg/l. »

Ainsi l’azote, d’origine principalement agricole, est le facteur principal de la prolifération algale.

Quant au phosphore, autre nutriment des algues vertes, il s’est certes accumulé naturellement au cours des millénaires dans les sédiments marins estuariens. Mais il faut noter que la population humaine en Bretagne produit chaque année 1 500 tonnes de phosphore, dont le tiers est issu de l’utilisation de lessives. Le cheptel animal, quant à lui, produit 62 000 tonnes de phosphore par an, soit l’équivalent d’une population de 45 millions d’habitants ! Un tel ordre de grandeur ne donne-t-il pas un nouveau sens à la notion « d’agriculture intensive » ?

Cette vérité scientifique est devenue vérité judiciaire depuis que l’État s’est désisté de son appel du jugement du 25 octobre 2007 rendu par le tribunal administratif de Rennes. Dans ses attendus, le juge administratif note – et cela vaut la peine de le citer in extenso : « Cela résulte en outre clairement de l’instruction et notamment des pièces du dossier que la prolifération des algues vertes est directement liée à la présence dans l’eau des nitrates à un taux supérieur à 5 ou 10 mg/l qui en est le seuil déclencheur ; que les nitrates sont amenés dans les baies en cause par les cours d’eau s’y déversant ; que les pièces des dossiers et notamment le rapport de la cour des comptes de 2002, le rapport du CSEB de 1998, les actes du colloque de l’IFREMER de 1999, établissent l’origine principalement agricole des nitrates, apportés dans les baies de Saint-Brieuc et de Douarnenez par les flux terrigènes des cours d’eau ; que les actes du colloque de l’IFREMER fixent à un pourcentage égal ou supérieur à 95 cette origine pour les cours d’eau de Saint-Brieuc ; qu’ainsi il est établi que les marées vertes en cause dans la présente instance ont trouvé très majoritairement leur origine dans les nitrates issus de la dégradation des apports azotés agricoles ; que ces apports azotés proviennent essentiellement de l’épandage des lisiers issus des exploitations d’élevage. »

Cette condamnation de la défaillance de l’État « dans la mise en œuvre des réglementations européennes et nationale », notamment la directive « Nitrate » n° 91/677/CEE du 12 décembre 1991, n’est pas la première.

Déjà, le même tribunal avait condamné l’État par décision du 2 mai 2001 ; la France, en outre, a été condamnée plusieurs fois par la Cour de justice des Communautés Européennes, par arrêts du 8 mars 2001 et du 28 octobre 2004, pour non-respect de la « norme » nitrate et de la directive européenne n° 75/440/CEE du 16 juin 1975 ; enfin, la Commission européenne demandait, dans sa lettre du 25 avril 2009, des explications concernant la réduction insuffisante de la pollution des eaux par les nitrates d’origines agricoles.

On ne s’étonnera donc pas que le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SDAGE Bretagne) adopté le 15 octobre dernier pour satisfaire à la directive cadre sur l’eau du 23 octobre 2000 n° 2000/60/CE engageant les états européens à satisfaire au bon état écologique des eaux en 2015 fixe déjà des reports de ce bon état en 2021 ou 2027…

Certes, tout cela pourrait faire sourire, puisque la France n’a toujours pas exécuté l’arrêt de la CJCE de 2001, suspendu jusqu’à fin 2009 : au pire, dira-t-on, les contribuables paieront quelques milliers d’euros et tout pourra recommencer comme avant, « business as usual ». Est-ce si sûr ? Les montants de l’éventuelle amende sont tout de même de 28 millions d’euros et les astreintes de 117 000 euros par jour de non-conformité…

Peut-être, d’ailleurs, l’argument économique trouvera une oreille plus attentive, y compris auprès de ceux les plus soucieux de la valeur économique certaine des exploitations agricoles. En effet, face aux mises en garde des écologistes, combien de fois n’a-t-on entendu que, certes, ces nuisances étaient déplorables mais que l’agriculture intensive participait grandement au développement économique de la Bretagne ?

Le problème des marées vertes, comme toutes pollutions, est ce qu’il convient d’appeler une « externalité négative » : en bref, ce que paye chaque année une exploitation agricole bretonne, ses investissements, ses achats d’engrais et de bêtes, ne reflète ni ne couvre le coût qu’elle fait supporter à la collectivité – coût payé par l’ensemble des contribuables français.

Les sommes sont énormes et ne se réduisent pas au million d’euros dépensé chaque année pour le ramassage des algues.

Il y a d’abord les « pertes en bien-être » dues aux nuisances olfactives et visuelles et à l’interdiction d’aller sur certains sites ; mais on a aussi montré que les marées vertes nuisaient au tourisme et au secteur immobilier, en affectant le prix des gîtes ruraux et celui des résidences principales.

Surtout, il y a, comme l’estime le CSEB, « le montant global des dépenses publiques engagées depuis le début des années 90 pour réduire les impacts environnementaux de l’agriculture » : près d’un milliard d’euros, dispersé entre les sommes allouées à la Bretagne au titre des différents programmes de Maîtrise des Pollutions d’Origine Agricoles (PMPOA), le programme Pro-Littoral ou le programme Bretagne Eau Pure 3 !...

Pour régler ce problème d’externalité, il y a une solution simple : le principe du « pollueur-payeur ». Or ce principe n’est quasiment pas appliqué en ce qui concerne les marées vertes, à tel point que la cour des comptes en 2002 parlait plutôt d’un principe « pollué-payeur » !

En réalité la France, en privilégiant une approche fondée sur l’empilement inefficace des réglementations non contrôlées, le recours systématique et massif aux aides publiques, le volontariat et l’éducation des agriculteurs, a induit un important effet pervers.

Le CSEB note à propos des subventions : « Comme l’éleveur ne supporte pas le coût réel de l’investissement, ce qui confère à sa production une apparence de rentabilité, il est incité à maintenir voire augmenter son cheptel. En confortant la concentration animale, ces aides couplées freinent l’émergence de voies durables de création de valeur joutée. »

C’est pourquoi il est proposé que l’Assemblée nationale se saisisse de ce dossier et que soit créée une commission d’enquête.

Elle se proposera de répondre à la question de savoir pourquoi la France est dans l’incapacité chronique d’appliquer les différentes réglementations européennes et nationales concernant la pollution des eaux bretonnes par les nitrates, responsable des marées vertes.

Elle se demandera en outre et surtout quelles solutions concrètes peuvent être apportées à ce problème et quelles sont les voies possibles de transformation de la filière agricole bretonne, afin de sauvegarder un secteur utile à la société toute entière.

Enfin, elle se demandera comment réorienter les aides agricoles européennes, utilisées en contradiction avec différents traités européens, vers l’accompagnement d’un plan de reconversion des exploitations dans les bassins concernés.

Sous le bénéfice de ces observations, Mesdames, Messieurs, il vous est demandé de bien vouloir adopter l’article unique de cette proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 137 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête parlementaire de 30 membres relative au problème des algues vertes dans l’Ouest de la France.

Elle devra notamment aborder les questions suivantes :

– les causes de la carence de l’État dans la mise en œuvre des réglementations européennes et nationales concernant la pollution nitratée des eaux bretonnes ;

– les solutions à apporter à ce problème environnemental majeur afin de permettre un développement durable du secteur agricole en Bretagne ;

– la réorientation des aides agricoles européennes pour aider à la reconversion des exploitations dans les bassins concernés.


© Assemblée nationale