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N° 2676

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2010.

PROPOSITION DE LOI

ayant pour objet l’organisation du certificat d’obtention végétale,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

Thierry LAZARO, Lionnel LUCA, André WOJCIECHOWSKI, Bérengère POLETTI, Jean-François CHOSSY, Jean-Pierre DECOOL, Gabriel BIANCHERI et Jean-Michel FERRAND,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le secteur semences français a une place prépondérante en Europe (1er pays producteur) et dans le monde (2e exportateur mondial), notamment grâce à ses 73 entreprises de sélection, dont une majorité de coopératives et de PME familiales.

Si ces dernières créent plus de 400 nouvelles variétés par an c’est parce que la France a adopté en 1970 un système particulier de propriété intellectuelle sur les variétés végétales (dit protection des obtentions végétales) qui permet de rémunérer la recherche, mais qui, contrairement au brevet, laisse libre pour tous l’accès à la variété créée en tant que nouvelle ressource génétique.

Il est aujourd’hui nécessaire d’adapter ce droit aux évolutions tant de la recherche en amélioration des plantes que de nos pratiques agricoles, et d’actualiser notre législation au regard des engagements internationaux et communautaires.

Dans sa première partie (I), la présente proposition vise ainsi à définir plus précisément l’étendue du droit accordé à l’obtenteur d’une nouvelle variété.

Il s’agit de prémunir le créateur d’une nouvelle variété contre une appropriation de sa variété par une autre entreprise par la seule inclusion d’une invention biotechnologique ; c’est ce qu’on appelle une « variété essentiellement dérivée », notion introduite par l’article 14 de la Convention UPOV (Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales) révisée en 1991, pour éviter l’appropriation du droit sur une variété qui n’aurait été modifiée que de façon très marginale.

La deuxième partie de cette proposition (II) établit une rétroactivité rendant applicables aux COV en cours les conditions d’application de la dérogation « semences de ferme ». Il est toutefois introduit une limite à cette rétroactivité : elle concerne le cas des variétés essentiellement dérivées en cours de mise au point, c’est-à-dire qui auraient déjà fait l’objet d’une exploitation ou de préparatifs d’exploitation.

La troisième partie de la proposition (III) vient établir que l’introduction de la notion de variété essentiellement dérivée ne saurait remettre en cause « l’exception de sélection », c’est-à-dire la possibilité d’utiliser une variété protégée pour créer une nouvelle variété librement, soit sans aucune autorisation ou rémunération du propriétaire de la variété protégée. Un tel dispositif favorise la recherche tout en maintenant la protection de la variété initiale.

Cette proposition précise également les limites des droits des obtenteurs qui ne s’exercent qu’une fois par cycle de végétation et ne s’appliquent pas à l’exportation lorsque ladite exportation est à des fins alimentaires directes (consommation humaine ou animale directe du produit exporté) afin de ne pas faire obstacle à l’aide alimentaire internationale.

Enfin, la quatrième partie de la présente proposition (IV) vise à autoriser la pratique des semences de ferme, en conformité avec le droit communautaire qui autorise cette pratique sous réserve d’un paiement par les agriculteurs bénéficiaires aux titulaires des droits sur les variétés concernées.

Elle vient en outre corriger une situation paradoxale : pendant des dizaines d’années, les royalties rémunérant les nouvelles variétés n’étaient perçues que sur les semences certifiées et non sur les semences de ferme autoproduites par les agriculteurs ; les législations nationales étaient diverses, certains pays autorisant ces semences de ferme pour quelques espèces, d’autres, comme la France, les interdisant.

Or, d’une part, cette pratique interdite en France reste largement utilisée pour de nombreuses espèces dont les semences sont faciles à reproduire et d’autre part, la France a milité au niveau international pour reconnaitre cette pratique tout en lui permettant de participer au financement de la recherche (l’Europe a adopté en 1994 des dispositions de ce type).

Cette proposition vise donc à accroitre la liberté des agriculteurs mais sans mettre en danger la sélection nationale. Elle s’appuie sur l’expérience de l’accord interprofessionnel existant depuis 2001 en blé tendre, et qui a permis que plus aucune action en contrefaçon ne soit engagée contre les agriculteurs produisant leurs semences de variétés nouvelles et que les sélectionneurs de blé reçoivent une rémunération complémentaire de plus de 30 % de leur rémunération totale.

Cette modification du code de la propriété intellectuelle contribuera, vingt ans après les autres grandes nations semencières, de conforter, en France, un système de protection des obtentions végétales qui est la meilleure défense contre la brevetabilité du vivant.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi qu’il vous est demandé d’adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

I. – L’article L. 623-4 du code de la propriété intellectuelle est ainsi rédigé :

« Art. L. 623-4. – 1° Toute obtention végétale peut faire l’objet d’un titre appelé certificat d’obtention végétale, qui confère à son titulaire un droit exclusif de produire, reproduire, conditionner aux fins de la reproduction ou de la multiplication, offrir à la vente, vendre ou commercialiser sous toute autre forme, exporter, importer ou détenir à l’une des fins ci-dessus mentionnées du matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée.

« 2° Lorsque les produits ci-après mentionnés ont été obtenus par l’utilisation non autorisée de matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée, le droit exclusif s’étend :

« – au produit de la récolte, y compris aux plantes entières et aux parties de plantes.

« – aux produits fabriqués directement à partir du produit de récolte de la variété protégée.

« 3° Le droit exclusif du titulaire s’étend :

« a) aux variétés qui ne se distinguent pas nettement de la variété protégée au sens de l’article L. 623-1 ;

« b) aux variétés dont la production nécessite l’emploi répété de la variété protégée.

« 4° Le droit exclusif du titulaire d’un certificat d’obtention végétale portant sur une variété initiale s’étend aux variétés essentiellement dérivées de cette variété.

« Constitue une variété essentiellement dérivée d’une autre variété dite variété initiale, une variété qui :

« a) est principalement dérivée de la variété initiale, ou d’une variété qui est elle-même principalement dérivée de la variété initiale ;

« b) se distingue nettement de la variété initiale au sens de l’article L. 623-1 ;

« c) est conforme à la variété initiale dans l’expression des caractères essentiels résultant du génotype ou de la combinaison de génotypes de la variété initiale, sauf en ce qui concerne les différences résultant de la dérivation. »

II. – Les dispositions de l’article L. 623-4 sont applicables aux certificats d’obtention végétale délivrés avant l’entrée en vigueur de la présente loi. Toutefois, les variétés essentiellement dérivées au sens du 4° du même article, dont l’obtenteur aura, avant l’entrée en vigueur de la présente loi, fait des préparatifs effectifs et sérieux en vue de leur exploitation, ou que l’obtenteur aura exploitées avant cette date, ne sont pas soumises aux dispositions dudit 4°.

III. – Après l’article L. 623-4 du même code, sont insérés deux articles L. 623-4-1 et L. 623-4-2 ainsi rédigés :

« Art. L. 623-4-1. – 1° Le droit du titulaire ne s’étend pas :

« a) aux actes accomplis à titre privé à des fins non professionnelles ou non commerciales ;

« b) aux actes accomplis à titre expérimental ;

« c) aux actes accomplis aux fins de la création d’une nouvelle variété ni aux actes visés au 1° de l’article L. 623-4 portant sur cette nouvelle variété, à moins que les dispositions des 3° et 4° de l’article L. 623-4 ne soient applicables.

« 2° Le droit du titulaire ne s’étend pas aux actes concernant sa variété ou une variété essentiellement dérivée de sa variété, ou une variété qui ne s’en distingue pas nettement, lorsque du matériel de cette variété ou du matériel dérivé de celui-ci a été vendu ou commercialisé sous quelque forme que ce soit par le titulaire ou avec son consentement.

« Toutefois, le droit du titulaire subsiste lorsque ces actes :

« a) impliquent une nouvelle reproduction ou multiplication de la variété en cause ;

« b) impliquent une exportation vers un pays n’appliquant aucune protection de la propriété intellectuelle aux variétés appartenant à la même espèce végétale, de matériel de la variété permettant de la reproduire, sauf si le matériel exporté est destiné, en tant que tel, à la consommation humaine ou animale. »

« Art. L. 623-4-2. 1°) Par dérogation à l’article L. 623-4, pour les espèces énumérées par un décret en Conseil d’État, les agriculteurs ont le droit d’utiliser sur leur propre exploitation, sans l’autorisation de l’obtenteur, à des fins de reproduction ou de multiplication, le produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture d’une variété protégée.

2°) Sauf en ce qui concerne les petits agriculteurs au sens du règlement (CE) n° 2100/94 du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, l’agriculteur doit une indemnité aux titulaires des certificats d’obtention végétale dont il utilise les variétés.

3°) Lorsqu’il n’existe pas de contrat entre le titulaire du certificat d’obtention végétale et l’agriculteur concerné, les conditions d’application de la dérogation établie au 1°) ci-dessus, y compris les modalités de fixation du montant de l’indemnité, sont établies par le décret en Conseil d’État prévu au 1°) ci-dessus.

4°) Le non respect par les agriculteurs des conditions d’application de la dérogation leur fait perdre le bénéfice des dispositions du présent article. »


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