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N° 2837

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 octobre 2010.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à apporter le soutien de l’Assemblée nationale à l’élaboration d’une convention internationale relative à la protection de la vie privée et des données personnelles,

présentée par Mesdames et Messieurs

Patrick OLLIER, Gabriel BIANCHERI, Antoine HERTH, Laure de LA RAUDIÈRE, Jean-Marie MORISSET, Serge POIGNANT, Josette PONS et René-Paul VICTORIA,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le développement de la société de l’information est un formidable vecteur de progrès. L’avènement du numérique a déjà révolutionné notre sociabilité, nos pratiques culturelles, nos façons de travailler. Il va continuer à remodeler notre quotidien. Notre croissance économique a été portée depuis vingt ans par le développement de l’informatique. Qu’il faille s’en féliciter ou le rejeter, la démocratie moderne elle-même ne se conçoit plus sans le débat public ouvert à tous qu’a permis le développement d’internet.

Il y a là la promesse évidente d’une plus grande liberté : accéder à des informations et des opinions plus variées, communiquer avec ses proches ou des inconnus de manière plus aisée, se décharger sur cet environnement informationnel d’une partie des nécessités matérielles. Mais il y a aussi le danger d’un assujettissement invisible de l’individu et d’une remise en cause de nos valeurs. L’environnement numérique ne nous donnera pas de lui-même un monde meilleur. C’est une innovation technologique qu’il nous faut maîtriser.

Le développement des technologies de l’information et de la communication menace notre vie privée, alors que celle-ci est au cœur de notre système politique. Benjamin Constant disait que la liberté des modernes est l’« indépendance » et qu’elle interdit que « toutes les actions de l’individu soient soumises à une surveillance sévère ». Ce n’est qu’en l’absence de cette surveillance, qu’avec la possibilité de se soustraire aux regards, que l’intimité a un sens. Que ceux qui veulent s’affranchir de toute intimité le fassent, mais nul ne doit être obligé de vivre comme dans Loft Story.

La conscience de ces dangers n’est pas nouvelle. C’est elle qui a conduit le législateur français, dès 1868, à réprimer toute publication dans la presse relative à un fait de la vie privée. Mais le développement du numérique a suscité de nouveaux risques.

Ceux-ci ont d’abord été liés à la mise en place de traitements de données automatisées, qui ont fait exploser la contrainte matérielle qui pesait jusqu’alors sur la collecte d’informations individuelles. Les différentes lois « informatique et libertés » qui se sont succédées depuis 1978 ont eu pour principale ambition de répondre à ce défi.

Mais il y a aujourd’hui d’autres risques. Ils proviennent pour l’essentiel de la transformation de notre milieu de vie en « environnement communiquant », du fait du développement de nouvelles techniques qui quadrilleront bientôt notre quotidien : nano-informatique, géo-localisation, réseaux sociaux, réseaux de communication électronique…

Chacune de ces technologies n’est pas dangereuse en soi mais le croisement des données personnelles qu’elles permettent menace la survie de toute sphère privée.

Le danger n’est pas tant celui d’une surveillance centralisée réalisée par l’État – qu’il est toujours possible de contrôler – que celui de la surveillance décentralisée opérée par une myriade d’acteurs économiques. Comme l’a justement dit Alex Türk, président de la Commission nationale informatique et liberté, le péril n’est plus big brother mais des légions de nano brothers.

Les députés aiment à parfois à croire qu’il leur suffit de faire preuve de détermination pour régler les difficultés auxquels ils sont confrontés. C’est souvent vrai, mais c’est aussi parfois faux. L’interdépendance croissante entre les économies, l’immense développement des flux d’information transfrontaliers, l’émergence en somme d’une société de l’information mondialisée, rendent l’action au seul niveau français ou européen inefficace.

Pourquoi ? D’abord, parce que l’autarcie n’est ni souhaitable ni possible. Les « robinets » de l’information ne se fermeront ni en France ni ailleurs. Cette évolution est pour le meilleur, avec la promotion de la démocratie et une meilleure garantie des droits fondamentaux sur l’ensemble de la planète, comme pour le pire, avec la diminution drastique de la capacité d’action nationale.

Ensuite, parce qu’on ne peut pas s’en remettre la bonne volonté des États. Certaines entreprises, dépourvues de toute conscience morale, feront pression pour bénéficier de législations laxistes, et la concurrence économique entre États risque de conduire à la victoire du « moins-disant » en matière de protection de la vie privée.

Seul un instrument international contraignant de protection de la vie privée pourrait empêcher cette dynamique néfaste. Or il n’en existe aujourd’hui aucun.

La 31e conférence des commissaires à la protection des données et à la vie privée a adopté, le 5 novembre 2009 à Madrid, une proposition conjointe pour l’établissement de normes internationales sur la vie privée et la protection des données personnelles. Cette proposition représente un compromis équilibré entre la diversité des traditions nationales et la nécessité d’une norme commune. Elle serait une base utile pour l’élaboration d’une convention internationale. Elle a déjà reçu le soutien unanime du Congrès des députés espagnols, le 13 avril 2010.

La protection de la vie privée et des données personnelles au niveau international est indispensable pour protéger nos valeurs et notre compétitivité. Il s’agit d’un combat réaliste.

Il y a plus d’un siècle et demi, la France a été le premier État à sanctionner dans le droit national la protection de la vie privée. Il y a trente ans, à l’aube du développement de l’informatique, elle s’illustra par sa législation sur la protection des données. Elle s’honorerait d’être parmi les premiers promoteurs d’une convention internationale en cette matière.

Tel est le sens de la présente proposition de résolution que je vous demande d’adopter.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, et notamment son article 2 qui dispose que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » ;

Vu la décision n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004 du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et notamment son deuxième considérant selon lequel « la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée » ;

Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, et notamment son article 12 qui énonce que « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation » et que « toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » ;

Vu la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950, et spécialement son article 8 qui stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » ;

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’entrée en vigueur le 1er décembre 2009, et notamment son article II-7 qui stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications » ;

Considérant que le droit à la vie privée est une valeur fondamentale de notre société ; que le développement des moyens d’information et de communication doit être encadré afin d’empêcher les utilisations des données personnelles qui mettent ce droit en péril ;

Considérant que la mondialisation rend inefficace la seule édiction à cette fin d’une législation nationale ou européenne ; qu’elle appelle la mise en place de normes internationales contraignantes ; qu’il n’existe pas aujourd’hui de telles normes ;

Considérant que la Résolution sur l’urgence de protéger la vie privée dans un monde sans frontière et d’élaborer une proposition conjointe pour l’établissement de normes internationales sur la vie privée et la protection des données personnelles, dite Résolution de Madrid, adoptée par la 31e Conférence des commissaires à la protection des données et à la vie privée représente une proposition équilibrée entre le respect des différentes traditions nationales et la nécessité d’une norme commune ; qu’il est urgent qu’elle recueille le plus large soutien ;

1. Apporte son soutien à la Résolution de Madrid ;

2. Souhaite que tous les moyens soient mis en œuvre pour promouvoir, sur cette base, l’élaboration d’une convention internationale sur la vie privée et la protection des données personnelles ;

3. Invite les institutions de l’Union européenne et les pouvoirs publics des États membres, notamment les Parlements nationaux, à s’associer à cette initiative.


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