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N° 2965

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les discriminations territoriales
pénalisant les
habitants des villes populaires,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

François ASENSI, Marie-Hélène AMIABLE, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le droit français s’enorgueillit depuis la Révolution de 1789 de garantir l’égalité en droit de tous les hommes et, par conséquent, d’interdire toute discrimination.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Constitution du 4 octobre 1958 interdisent ainsi toute discrimination opérée à l’encontre des citoyens et résidents en France fondée sur l’origine, la race, le sexe, ou bien encore la religion, que ces appartenances soient réelles ou supposées.

Sous l’impulsion du droit européen, le principe d’égalité des citoyens a été renforcé par le développement de la lutte contre les discriminations, inscrites dans les directives 2000/43/CE relative à l’égalité raciale et 2000/78/CE relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

La France, qui réprime les discriminations dans son code pénal depuis 1972, s’est inscrite dans ce mouvement et a adopté un train de mesures législatives précisant la notion de discrimination –directe et indirecte- et étendant son champ et ses critères.

Sont actuellement prohibés par la loi française 18 critères de discrimination : âge, sexe, origine, situation de famille, orientation sexuelle, mœurs, caractéristiques génétiques, appartenance vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, apparence physique, handicap, état de santé, état de grossesse, patronyme, opinions politiques, convictions religieuses, activités syndicales.

Une discrimination est cependant restée ignorée de la loi : la discrimination territoriale.

***

Au cours de ces dernières années, des travaux de recherche se sont penchés sur les discriminations dont pâtissent les habitants des quartiers populaires en renouvelant leur angle d’approche. Partant du constat que les discriminations ethniques et patronymiques, d’une ampleur et d’une gravité incontestables, ne suffisaient à expliquer entièrement le processus de ségrégation à l’œuvre dans les aires métropolitaines, les auteurs se sont intéressés à l’existence de « discriminations par l’adresse ».

Les conclusions de ces études (1) démontrent invariablement que les citoyens résidant dans les villes populaires encourent des discriminations à raison de leur seul lieu de résidence, notamment dans le domaine de l’emploi. Selon la DARES, un jeune qualifié résidant dans une commune réputée défavorisée a une chance de décrocher un emploi de 6 points inférieure aux autres diplômés (2).

Il existe ainsi au sein de notre République des discriminations territoriales à l’encontre des villes populaires, stigmatisées par la vision la couverture de certains médias sensationnalistes, mais aussi par les pouvoirs publics qui les dénomment improprement « quartiers sensibles » ou « quartiers difficiles ». Ce stigmate « s’attache » aux habitants qui en retour ne bénéficient pas des mêmes droits et des mêmes chances que l’ensemble des citoyens, en violation flagrante de notre pacte républicain.

Le mouvement social a saisi à bras le corps cette question, avec la volonté de sortir de la position de « sujet » des discriminations territoriales pour devenir « acteur » de la lutte contre celles-ci. Les associations de quartiers ont été fer de lance de cette mobilisation.

Plus récemment les villes populaires se sont rassemblées pour refuser la stigmatisation dont elles sont parfois victimes et pour dénoncer leur manque de ressources. Dans une démarche inédite, de nombreuses municipalités ont ainsi crée l’Académie des banlieues, association dont le but est de valoriser la richesse des quartiers populaires, de dénoncer les idées reçues et le mépris visant parfois certains d’entre eux.

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La responsabilité de l’État est également engagée dans la persistance des discriminations territoriales. Aux discriminations commises par des personnes physiques, ou groupes de personnes, s’ajoutent des politiques publiques qui discriminent – directement ou indirectement – les villes populaires.

Première des discriminations territoriales : la fiscalité locale. Les collectivités territoriales accueillant les populations les plus paupérisées sont celles qui disposent des ressources les plus faibles, en raison de l’organisation fiscale inégalitaire promue par l’État. La réforme de la taxe professionnelle, liquidant de facto les maigres mécanismes de péréquation, renforcera assurément les inégalités. Les habitants de Sevran ou de Clichy-sous-Bois continueront à payer plus d’impôts locaux que les riches habitants de Neuilly ou de Puteaux.

La discrimination territoriale concerne en second lieu les crédits inférieurs consacrés aux services de l’État et aux services publics situés dans les quartiers populaires. Les habitants le constatent : les caisses d’allocations familiales n’ont plus les moyens humains et matériels d’absorber les demandes, les agences postales se déshumanisent ou voient leurs files d’attente s’allonger, les agences Pôle emploi sont saturées. Des services publics aussi fondamentaux que l’état civil n’assurent plus leurs missions régaliennes de manière satisfaisante. En Seine-Saint-Denis, le délai de délivrance de la carte d’identité est six fois supérieur au délai dans la capitale. Ces discriminations territoriales s’immiscent dans la plupart des politiques publiques, tout particulièrement l’aménagement du territoire et les transports.

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Les « politiques de la ville » se sont fondées dans les années 1980 sur le constat qu’il existait des inégalités insoutenables entre les territoires de la République, et qu’il convenait de mettre en place des politiques de « rattrapage ». Autrement dit une « discrimination positive » à l’échelle des territoires.

Mais en s’abstenant de reconnaître la persistance de « discriminations territoriales » au sein même des politiques publiques, d’analyser sérieusement leurs causes et d’en tirer toutes les conséquences, la politique de la ville pouvait-elle réussir ?

Par cette politique de la cécité, les gouvernements de toute sensibilité confondue ont condamné les villes populaires à la spirale de la relégation sociale. Leurs politiques ont au pire soutenu, au mieux compensé une organisation spatiale inégalitaire, intrinsèque au développement du capitalisme. Les infrastructures publiques, routes, autoroutes et lignes ferroviaires, se sont attachées à desservir les pôles économiques les plus riches, en délaissant certains territoires. Elles se sont implantées dans les espaces fonciers les plus accessibles, les villes populaires, en produisant de véritables fractures urbaines. Les habitants pâtissent encore des nuisances sonores, de la pollution, de la dégradation environnementale entraînées par ces choix.

L’accent mis depuis plusieurs années sur le renforcement des crédits de droit commun, véritable renversement doctrinal de la politique de la ville, est l’aveu implicite de la persistance de ces discriminations territoriales au sein des politiques publiques.

Cette reconnaissance explicite est essentielle dans la lutte pour l’égalité des territoires. Elle ne pourra intervenir sans la prohibition juridique de ces pratiques.

***

Dans sa délibération du 22 février 2010, la Halde a reconnu l’existence de discriminations territoriales, en réponse à la saisine de la ville de La Courneuve. Plusieurs départements se sont engagés dans ce même mouvement, en réclamant à l’État les crédits dus à des transferts de charges non compensés.

L’organisme en charge de la lutte contre les discriminations s’est dit favorable à la reconnaissance de la notion de « discrimination territoriale » dans la loi et dans l’évaluation des politiques publiques. La Halde a également recommandé de lutter plus activement contre les discriminations territoriales dans le domaine de l’emploi.

La présente proposition de loi vise à traduire ces recommandations dans le domaine législatif, en inscrivant la répression de la discrimination territoriale dans le domaine pénal et en prohibant toute discrimination tenant au lieu d’habitation ou de résidence dans le code du travail.

L’article 1er reconnaît dans le code pénal un nouveau motif de discrimination, lié au lieu d’habitation ou de résidence. La discrimination concerne les actes commis par des personnes physiques ou morales.

Selon l’article 2, les discriminations liées au lieu d’habitation ou de résidence ne tombent pas sous le coup de la présente loi lorsqu’elles répondent à un motif conforme à l’intérêt général.

L’article 3 intègre cette discrimination dans la loi de transposition de la directive communautaire relative à la lutte contre les discriminations.

L’article 4 autorise les associations luttant contre les discriminations liées au lieu d’habitation ou de résidence à se porter parties civiles devant les juridictions pénales.

L’article 5 vise à prohiber les discriminations liées au lieu d’habitation ou de résidence sur le marché de l’emploi.

L’article 6 permet d’apprécier « l’offre économiquement la plus avantageuse » au regard du respect des dispositions pénales prohibant les discriminations territoriales, en l’intégrant parmi les critères d’attribution des marchés publics.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Aux premier et dernier alinéas de l’article 225-1 du code pénal, après les mots : « activités syndicales, », sont insérés les mots : « de leur lieu d’habitation ou de résidence, ».

Article 2

L’article 225-3 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 6° Aux discriminations fondées sur le lieu d’habitation ou de résidence lorsqu’un tel motif est justifié par la promotion de l’égalité ou tout autre motif d’intérêt général. »

Article 3

Au premier alinéa de l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, après les mots « ses convictions, », sont insérés les mots : « son lieu d’habitation ou de résidence, ».

Article 4

Au premier alinéa de l’article 2-1 du code de procédure pénale, après le mot : « combattre », sont insérés les mots : « les discriminations liées au lieu d’habitation ou de résidence, ».

Article 5

À l’article L. 1132-1 du code du travail, après les mots : « opinions politiques», sont insérés les mots : « de son lieu d’habitation ou de résidence, ».

Article 6

Au 1° du I de l’article 53 du code des marchés publics, après les mots : « en difficulté, », sont insérés les mots : « la conformité aux dispositions des articles 225-1 et suivants du code pénal, ».

1 () Les effets du lieu de résidence sur l’accès à l’emploi : une expérience contrôlée sur des jeunes qualifiés en Île-de-France, Centre d’études de l’emploi, juillet 2010 ; L’Emploi des jeunes des quartiers populaires, Conseil économique et social, 2008 ; Discriminations à l’embauche. Un testing sur les jeunes des banlieues d’Île-de-France, Centre d’analyse stratégique, 2007.

2 () Les facteurs de discrimination à l’embauche pour les serveurs en Île-de-France, DARES, Premières synthèses n°40.1, septembre 2009.


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