Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 3396

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mai 2011.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux emprunts et produits structurés contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Claude BARTOLONE, Jean-Marc AYRAULT, Dominique BAERT, Valérie FOURNEYRON, Guillaume GAROT, Marc GOUA, Régis JUANICO, Serge JANQUIN, Thierry CARCENAC, Henri EMMANUELLI, Jean LAUNAY, Aurélie FILIPPETTI, Henri NAYROU, Christian ECKERT, Jean-Pierre BALLIGAND, Pierre-Alain MUET, Michel VERGNIER, Jean-Louis IDIART, Alain CLAEYS, Jean-Louis DUMONT, Pierre BOURGUIGNON, Jérôme CAHUZAC, Victorin LUREL, François HOLLANDE, Pierre MOSCOVICI, David HABIB, Patrick LEMASLE, Alain RODET, Michel SAPIN, Annick GIRARDIN et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

____________________________

(1)  Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Patricia Adam, Sylvie Andrieux, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Delphine Batho, Marie-Noëlle Battistel, Jean-Louis Bianco, Gisèle Biémouret, Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Monique Boulestin, Pierre Bourguignon, Danielle Bousquet, François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Martine Carrillon-Couvreur, Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Guy Chambefort, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, Frédéric Cuvillier, Claude Darciaux, Pascal Deguilhem, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, Michel Delebarre, François Deluga, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Odette Duriez, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Laurent Fabius, Albert Facon, Martine Faure, Hervé Féron, Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, Pierre Forgues, Valérie Fourneyron, Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Guillaume Garot, Jean Gaubert, Catherine Génisson, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Pascale Got, Marc Goua, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, David Habib, Danièle Hoffman-Rispal, François Hollande, Sandrine Hurel, Monique Iborra, Jean-Louis Idiart, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Marietta Karamanli, Jean-Pierre Kucheida, Conchita Lacuey, Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Marylise Lebranchu, Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Annick Le Loch, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Annick Lepetit, Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Marie-Claude Marchand, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Gilbert Mathon, Didier Mathus, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Marie-Renée Oget, Michel Pajon, George Pau-Langevin, Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Marie-Françoise Pérol-Dumont, Martine Pinville, Philippe Plisson, François Pupponi, Catherine Quéré, Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Marie-Line Reynaud, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Bernard Roman, Gwendal Rouillard, René Rouquet, Alain Rousset, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Odile Saugues, Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Marisol Touraine, Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

(2)  Chantal Berthelot, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Annick Girardin, Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Apeleto Albert Likuvalu, Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Simon Renucci, Chantal Robin-Rodrigo, Christiane Taubira.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans ses rapports publics 2009 et 2010, la Cour des comptes a attiré l’attention du législateur sur l’opacité et les dangers des emprunts et produits structurés, dits « toxiques », contractés par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et par les autres acteurs publics locaux.

Dès 2008, des élus locaux de plus en plus nombreux et d’appartenances politiques diverses avaient par ailleurs déjà exprimé publiquement leurs préoccupations quant à la présence importante dans les encours des collectivités territoriales d’emprunts dont l’indexation est aussi complexe que risquée.

En adoptant une posture commerciale volontariste, les établissements bancaires ont incité ces dernières années, et plus particulièrement au milieu des années 2000, les responsables du secteur public local à installer dans leurs encours des contrats qui leur procuraient des taux bas les premières années, avec en contrepartie une prise de risques ultérieure sur laquelle les collectivités locales n’étaient pas clairement informées.

Cette prise de risque s’est avérée très élevée pour les acteurs publics locaux en situation de crise économique et financière majeure : une commune comme Saint-Étienne a récemment vu le taux d’intérêt d’un prêt atteindre les 24%. Les acteurs publics locaux se sont retrouvés engagés dans des opérations de nature spéculative, en contradiction patente avec les missions de service public qui leurs sont dévolues par la loi.

Des précédents éloquents à ce scénario existaient pourtant dans des pays étrangers. Dans les pays anglo-saxons, et notamment en Grande-Bretagne, des collectivités locales avaient par exemple eu recours à des swaps dès la fin des années 1970 pour tenter de compenser la baisse de leurs ressources décidée par le gouvernement de Margaret Thatcher. Le krach financier de 1987 les avaient plongées dans une crise sans précédent du fait de la remontée brutale des taux des swaps précédemment souscrits : la perte globale pour les communes a été évaluée à près de 500 millions de livres (575 millions d’euros), entraînant de leur part des recours judiciaires visant à l’annulation de leurs contrats.

C’est juste après cette période que des emprunts à taux variables indexés sur des valeurs aussi « exotiques » que le cours des monnaies ou les taux de change, sont apparus sur le marché français du financement des acteurs publics locaux, pour ce qui concerne notamment la gestion de leur dette. À ces emprunts structurés, sont souvent venus s’ajouter successivement des produits hors bilan de type swaps, aggravant le risque qu’ils auraient dû couvrir. Un certain nombre d’établissements bancaires ont imaginé des produits toujours plus risqués et sophistiqués, apparemment aussi toujours plus profitables, dont il s’avère aujourd’hui qu’ils étaient de nature à mettre en danger la santé des comptes publics locaux.

Si les élus et directions financières des collectivités ont le sentiment d’avoir été abusés par des banques avec lesquelles ils entretenaient des relations de confiance parfois anciennes, l’État semble aussi ne pas avoir joué son rôle de conseil et d’alerte. Ses services n’ont exercé ni leur pouvoir de contrôle de légalité ni celui de contrôle comptable. De même, l’Autorité des marchés financiers aurait pu se saisir d’une question qui entre directement de son champ de compétences. Dans ce contexte, la Représentation nationale peut donc apporter un éclairage particulier sur les nombreuses interrogations qui se sont fait jour ces derniers mois.

Au moment où la Chambre des Lords déclarait les contrats de swaps des communes britanniques nuls et illégaux et interdisait aux collectivités britanniques toute opération purement financière, entraînant les banques britanniques à investir le marché français, une circulaire était bien publiée en France en 1992 pour encadrer l’usage de produits dérivés par les collectivités. Malgré sa grande clarté, ce texte s’est vite avéré insuffisant, d’une part parce que sa portée juridique était discutable et d’autre part parce qu’il ne s’appliquait qu’aux seules collectivités territoriales.

Face aux prises de parole publiques de plusieurs parlementaires et dirigeants d’exécutifs locaux, le Gouvernement a réagi en suscitant en 2009 une charte de bonne conduite lacunaire et non coercitive, et en nommant pour les seules collectivités territoriales un médiateur en charge des emprunts structurés et des swaps complexes. Après que plusieurs députés aient conjointement déposé des amendements pour réguler les relations entre établissements bancaires et collectivités territoriales, une nouvelle circulaire s’appuyant sur la directive européenne sur les marchés d’instruments financiers (MIF), a enfin été publiée le 25 juin 2010 pour actualiser la réglementation en vigueur.

Ces initiatives montrent une réelle volonté de corriger les errements du passé qui sont ainsi démontrés. Elles n’en règlent malheureusement ni les dérives persistantes ni les conséquences qui doivent certainement passer par des actes législatifs et réglementaires, et ce au-delà des diverses assignations en cours d’établissements bancaires par des collectivités européennes, comme la commune italienne de Milan. La récente condamnation d’une grande banque allemande par la Cour fédérale de Karlsruhe, la plus haute juridiction allemande, pour défaut de conseil d’un de ses clients, est assurément une décision majeure dans les nombreux conflits en cours.

En l’absence de centralisation précise des données financières par l’État, un état des lieux de la part des emprunts et produits structurés dans l’encours global des collectivités doit être au préalable réalisé.

Les pouvoirs publics vont devoir faire preuve de fermeté pour l’avenir. Les collectivités territoriales étant des « investisseurs non professionnels » au sens de la directive européenne sur les marchés d’instruments financiers (MIF), l’interdiction de la souscription des produits les plus complexes et les plus volatils par les collectivités territoriales, est une nécessité.

Les collectivités étant tenues à de strictes conditions d’équilibre de leurs budgets, elles ne pourront enfin pas assumer seules les lourds risques financiers inhérents aux produits structurés vendus par les banques. Plusieurs parlementaires et élus locaux ont déjà fait part de leur souhait que le législateur étudie la possibilité de créer une structure de sortie des contrats dont les termes sont aujourd’hui dénoncés. La Représentation nationale, qui est garante de l’amélioration de l’équilibre des comptes publics, ne peut laisser sans réponses les appels qui lui sont adressés par les élus locaux.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d’adopter la présente proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les emprunts et produits structurés contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux.

Cette commission doit avoir plusieurs missions :

1. Évaluer l’encours global d’emprunts et de produits structurés, de swaps et tout autre produit financier à risque s’inscrivant dans une gestion active de la dette, affectant les acteurs publics locaux, son coût prévisionnel, les risques de dégradation supplémentaire, et son impact sur les comptes publics.

2. Déterminer la composition et la structure exactes de cet encours, par type de risque (indices sous-jacents et structures), par nature juridique, par type d’acteur public local, par groupe bancaire et par année de souscription et d’échéance.

3. Étudier le rôle et les intérêts de chacun des acteurs des comptes locaux dans la constitution de cet encours : les établissements bancaires, les acteurs publics locaux, les conseils juridiques et financiers, et l’État.

4. Mesurer les marges cachées réalisées par les banques et évaluer les mécanismes de titrisation auxquels a donné lieu le marché de ces emprunts structurés.

5. Étudier la dette structurée des collectivités territoriales des autres pays européens, en particulier en Italie, en Grande-Bretagne et en Allemagne, ainsi que la réaction des pouvoirs publics de ces pays face à cette situation de crise.

6. Proposer des mesures législatives et réglementaires s’appliquant aux banques et aux acteurs publics locaux, qui règlent la situation actuelle et à venir en France.

7. Étudier la possibilité de créer une structure de sortie des contrats qui mettent aujourd’hui en danger les comptes des acteurs publics locaux.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres visant à étudier les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés, des swaps et tout autre produit financier à risque s’inscrivant dans une gestion active de la dette, ont été contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux, l’encours qu’ils représentent, leur nature et leur impact sur les comptes publics, ainsi que les conséquences législatives et réglementaires que leur souscription pourrait entraîner.


© Assemblée nationale