Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 3707

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 juillet 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Éric CIOTTI,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors même que les chiffres de la délinquance sont globalement en baisse depuis 2002, le nombre de mineurs délinquants est lui en augmentation. La progression de la délinquance chez les mineurs est bien réelle.

– Entre 1977 et 1992, les faits de délinquance impliquant des mineurs sont passés de 82 000 à 98 000 par an, soit une augmentation de 20,4% ;

– Entre 1992 et 2001, l’augmentation a été de + 79 %. 177 000 actes de délinquance commis par des mineurs ont été recensés en 2001 ;

– Entre 2004 et 2009, la tendance s’est nettement ralentie mais l’augmentation demeure à hauteur de 16,2 %, avec 214 000 faits recensés en 2009.

Cette évolution n’est pas spécifique à la France. Nos voisins européens sont confrontés à la même situation. Ainsi les mineurs sont impliqués dans 15 % des actes de délinquance au niveau européen, alors qu’en France, la part des mineurs mis en cause pour des faits délictueux s’élève à 18 %.

De nombreuses études sociologiques, des missions d’information et des rapports ont tenté de démontrer les causes de cette situation (1).

L’ensemble des études converge sur un certain nombre de points.

D’une part, le premier cercle de construction d’un jeune en devenir est sa cellule familiale. C’est au sein de sa famille qu’un enfant va acquérir les bases de son éducation, de sa socialisation.

Dès lors même si la délinquance n’est pas corrélée à la structure familiale, il est indéniable que le fonctionnement de cette structure est prépondérant, pour ne pas dire déterminant, dans l’éducation des enfants.

L’adolescence est par essence une période de déni, où pour se construire le jeune va souvent passer par un refus des règles de la société, un refus des cadres établis qui peut aller jusqu’à une certaine forme de nihilisme.

D’autre part, la personnalité même du jeune délinquant peut le conduire dans une spirale de violences et de délinquance.

Il ne fait aucun doute que la précocité des premiers faits de délinquance est un facteur d’aggravation. 74 % des jeunes ayant commis un délit avant 12 ans seront impliqués dans un acte plus grave par la suite.

Ainsi, sur la récidive et la réitération, il convient de noter qu’en 2008 :

– 1,37 % des condamnations pour crime commis en état de récidive concernaient des mineurs,

– 335 mineurs de moins de 18 ans ont été condamnés pour délit commis en récidive légale,

– 5,76 % des condamnations en situation de réitération sont des mineurs, soit 7 537.

Ce noyau dur concerne généralement des jeunes issus de quartiers où se côtoient trafics de drogue et d’armes, et où les phénomènes de bandes sont amplifiés, ce que confirme le troisième constat.

En effet, la fréquentation de groupes sensibles et des bandes sont autant de facteurs aggravants en termes de délinquance. Cette appartenance, souvent revendiquée, va compenser l’effritement de la relation familiale, la faiblesse du soutien collectif. Le primat du groupe sur la société, d’un territoire sur un autre, va engendrer une forme de « patriotisme de la cité » qui s’opposera aux lois de la République.

Depuis 2002, notre législation a évolué pour mieux appréhender les différents aspects de cette délinquance. Là où certains dénoncent une surenchère législative, il s’agit en fait d’adapter nos outils aux diverses situations afin de mieux prendre en charge ces jeunes délinquants.

De nouveaux établissements éducatifs ont été ouverts, de nouveaux moyens de prévention mais aussi de réponse de la justice aux actes commis par les mineurs ont été adoptés.

Ainsi, la loi du 9 septembre 2002, dite loi d’orientation et de programmation pour la justice a modifié l’article 33 de l’ordonnance du 2 février 1945 pour instaurer les centres éducatifs fermés.

Établissements publics ou privés habilités, ils accueillent des mineurs placés en application d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve, d’un placement extérieur ou d’une libération conditionnelle.

Ces jeunes sont pris en charge par une équipe pluridisciplinaire qui contribue à la mise en place d’un véritable projet éducatif favorisant des perspectives concrètes de réinsertion professionnelle et sociale.

Il y a actuellement 45 structures pour une capacité globale de 500 places, ce nombre doit être porté à 65 d’ici la fin de l’année 2011.

Les premiers résultats, portant sur 3 800 mineurs placés depuis 2003 démontrent que ce dispositif est extrêmement pertinent. Au-delà de quatre mois de placement, le taux de réitération diminue.

De même, la loi du 5 mars 2007, dite loi sur la prévention de la délinquance a introduit de nombreux dispositif de prévention mais a également permis une meilleure diversification et individualisation des mesures pouvant être prononcées par un magistrat à l’encontre de mineurs: placement dans un établissement scolaire éloigné, exécution de travaux scolaires supplémentaires, placement en internat, etc.

La loi a également prévu la possibilité de recourir à la procédure de composition pénale dès l’âge de 13 ans.

Néanmoins, et malgré tout l’intérêt de ces différentes mesures, il nous faut aller plus loin et trouver de nouvelles solutions pour ces jeunes délinquants en manque de repères, avant que la rupture avec la société ne devienne irrémédiable.

En effet, la prison constitue, a fortiori pour des mineurs, l’ultime recours. Mais, notre système ne connaît pas véritablement de structures qui permettent d’accueillir de jeunes délinquants pour les accompagner dans une réinsertion sociale et professionnelle.

Entre la prison et la rue, il n’y a pas suffisamment d’alternatives.

Or, il est parfois nécessaire de provoquer une rupture avec un environnement souvent enclin à accroître cette déviance et leur inculquer les notions qui souvent leur font défaut.

L’ordonnance du 2 février 1945 doit donc être adaptée à la situation actuelle par des mesures qui peuvent être prononcées par les magistrats, au titre des alternatives à la sanction pénale, de la composition pénale, mais aussi au titre des peines prononcées dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve.

Cette proposition vise à compléter les structures et propose l’instauration d’un service citoyen pour les mineurs délinquants (2).

Cette mesure est plébiscitée par nos concitoyens, par-delà les clivages politiques. Ainsi, selon un sondage IFOP effectué le 10 juin 2011 pour La lettre de l’opinion, 93 % (90 % pour les sympathisants de gauche contre 97% à droite) sont favorables à l’instauration d’un service civique pour les mineurs délinquants (3).

La présente proposition de loi vise à instaurer un service citoyen proposé aux mineurs délinquants de 16 ans avec pour principal objectif de rechercher la resocialisation de ces jeunes et de les protéger des risques qu’ils courent si on ne leur permet pas très vite de rompre avec la délinquance.

Il s’agit, très concrètement, de (ré-)inculquer des principes de vie en société tels que le respect de l’autre, de la collectivité, mais aussi le respect de soi et le goût du travail et ce, grâce à une discipline stricte mais valorisante inspirée de la rigueur militaire.

L’objectif est également de transmettre à ces jeunes en rupture, des notions quelque peu oubliées telles que la citoyenneté, le respect de la règle collective et de l’autorité, le sens de l’effort et la récompense du mérite.

Cette formation civique sera utilement complétée par une mise à niveau scolaire mais aussi par des actions au profit de la collectivité afin qu’ils puissent prendre conscience de leur utilité mais aussi que le regard de la société, à leur égard, change.

Or ce type de formation et d’approche de jeunes en risque de marginalisation existe au travers de l’établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE.

Créé par l’ordonnance du 2 août 2005, cet établissement est placé sous la triple tutelle des ministères chargés de la Défense, de l’Emploi et de la Ville.

L’EPIDE a pour mission « d’assurer l’insertion sociale et professionnelle de jeunes en difficulté scolaire, sans qualification professionnelle ni emploi, en risque de marginalisation et volontaires au terme d’un projet éducatif global, la formation dispensée contribuant à une insertion durable. » 

Aussi, la présente proposition de loi repose sur l’instauration d’un service en établissement d’insertion de la défense, dont le régime est une déclinaison de celui du contrat de volontariat pour l’insertion fixé par le code du service national, contrat qui permet de recevoir une formation dispensée par un centre de formation de l’établissement public d’insertion de la défense (EPIDE).

À l’issue de la période d’exécution judiciaire de ce service en EPIDE, le jeune mineur, s’il le souhaite, pourra poursuivre ce service en signant une prolongation de la convention d’engagement.

Parallèlement, si le jeune mineur délinquant ne respecte pas ses engagements au sein de l’EPIDE, la convention de placement sera rompue et, l’autorité judiciaire devra alors tirer les conséquences de cette décision.

Dans ce contexte,

La proposition de loi introduit dans l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante un nouveau dispositif : le contrat de service en établissement d’insertion de la défense, dont le régime est une déclinaison de celui du contrat de volontariat pour l’insertion fixé par le code du service national.

Ce contrat permet de recevoir une formation dispensée par un centre de formation de l’établissement public d’insertion de la défense (EPIDE).

L’article 1 modifie l’article 7-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante en introduisant le contrat de service en établissement d’insertion de la défense parmi les mesures de composition pénale.

L’article 2 modifie l’article 20-7 de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’ajournement en introduisant l’engagement d’effectuer un contrat de service en établissement d’insertion de la défense parmi les mesures susceptibles de caractériser les perspectives favorables d’évolution de la personnalité du mineur permettant à la juridiction pour mineurs, après avoir déclaré le mineur coupable et statué sur les intérêts civils, d’ajourner le prononcé de la sanction et d’apprécier, au regard du déroulement des mesures, l’opportunité de prononcer une sanction.

L’article 3 complète l’article 20-10 de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante en faisant de l’engagement d’effectuer un contrat de service en établissement d’insertion de la défense une des obligations du sursis avec mise à l’épreuve.

L’article 4 modifie le code du service national en faisant du contrat de service en établissement d’insertion de la défense une modalité spécifique du contrat de volontariat pour l’insertion lorsqu’il est accompli au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante. Il prévoit également le régime de cette mesure (accord, durée, pécule...) lorsqu’elle est ordonnée dans un cadre pénal.

L’article 5 reprend les dispositions financières.

Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé de bien vouloir adopter les dispositions suivantes.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après le 5° de l’article 7-2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, est inséré un 6° ainsi rédigé :

« 6° Exécution, lorsque le mineur est âgé de plus de 16 ans, d’un contrat de service en établissement d’insertion de la défense prévu par les articles L. 130-1 à L. 130-5 du code du service national. »

Article 2

Le deuxième alinéa de l’article 20-7 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée est complété par les mots : « le cas échéant, pour les mineurs âgés de plus de seize ans, par l’accomplissement d’un contrat de service en établissement d’insertion de la défense prévu par les articles L. 130-1 à L. 130-5 du code du service national. »

Article 3

Après le deuxième alinéa de l’article 20-10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précité, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La juridiction de jugement peut également astreindre le condamné âgé de plus de seize ans, dans les conditions de l’article 132-43 du code pénal, à l’obligation d’accomplir un contrat de service en établissement d’insertion de la défense prévu par les articles L. 130-1 à L. 130-5 du code du service national ; le non respect de cette obligation peut entraîner la révocation du sursis avec mise à l’épreuve et l’exécution de la peine d’emprisonnement. L’obligation d’accomplir un contrat de service en établissement d’insertion de la défense ne peut être prononcée contre le prévenu qui la refuse ou qui n’est pas présent à l’audience. Le président du tribunal, avant le prononcé du jugement, informe le prévenu de son droit de refuser l’accomplissement d’un contrat de service en établissement d’insertion de la défense et reçoit sa réponse. »

Article 4

Le chapitre III du titre II du livre Ier du code du service national est complété par un article L. 130-5 ainsi rédigé : 

« Art. L. 130-5. – I. – Lorsqu’il est accompli dans les conditions prévues par les articles 7-2, 20-7 ou 20-10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, le contrat de volontariat pour l’insertion est dénommé contrat de service en établissement d’insertion de la défense.

« Le magistrat ou la juridiction qui prescrit l’accomplissement d’un contrat de service en établissement d’insertion de la défense en fixe la durée qui ne peut être inférieure à quatre mois ni supérieure à six mois.

« Toutefois, le mineur peut, à sa demande et sur avis favorable de l’établissement d’accueil, prolonger la durée de son contrat dans les conditions prévues à l’article L. 130-2 du code de service national.

« II. – L’accord du mineur et des titulaires de l’exercice de l’autorité parentale est recueilli en présence d’un avocat choisi ou désigné conformément au second alinéa de l’article 4-1 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945. Le magistrat ou la juridiction qui prescrit l’exécution d’un contrat de service en établissement d’insertion de la défense valide le contenu du projet sur proposition de la protection judiciaire de la jeunesse, au regard de son caractère formateur.

« III. – Le contrat de service en établissement d’insertion de la défense ouvre droit à un pécule remis au terme de celui-ci. »

Article 5

I. – Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour les collectivités territoriales sont compensées à due concurrence par un relèvement de la dotation globale de fonctionnement, et corrélativement pour l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

1 () « Prévenir la délinquance des jeunes : Un enjeu pour demain » – Rapport d’étape 18 février 2010 – Jean-Yves Ruetsch.

« Rapport de la Commission d’enquête sur la délinquance des mineurs » du Sénat présidée par Jean-Pierre Schosteck.

Avis du Conseil national des villes sur la mise en oeuvre de la loi « Prévention de la délinquance » mars 2009.

2 () Rapport en conclusion de la mission sur l’exécution des peines confiée par le Président de la République à Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes le 7 juin 2011.

3 () Sondage Ifop paru le 10 juin 2011 pour le magazine La lettre de l’opinion – réalisé du 7 au 9 auprès de 1 013 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus.


© Assemblée nationale