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N° 677

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 février 2008.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

relatif à l’évolution de l’actionnariat d’EADS en 2005 et 2006

ET PRÉSENTÉ

par M. Didier MIGAUD,

Député.

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I.– INTRODUCTION 5

II.– CONTRIBUTIONS DES GROUPES 9

A.– CONTRIBUTION DU GROUPE UMP AU RAPPORT D’INFORMATION SUR LE DOSSIER EADS 9

B.– CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE MEMBRES DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN 13

1.– Un certain nombre de constats sont établis à l'issue de ces auditions 14

2.– L'action du gouvernement actuel et de ses prédécesseurs depuis 2005 est en cause 17

3.– Un certain nombre de points restent à éclaircir et auraient justifié la constitution d'une commission d'enquête 19

C.– CONTRIBUTION DE M. CHARLES DE COURSON, AU NOM DU GROUPE NOUVEAU CENTRE SUR LES CONDITIONS DE L’ÉVOLUTION DE L’ACTIONNARIAT D’EADS EN 2005 ET 2006 21

D.– POSITION DU GROUPE DE LA GAUCHE DÉMOCRATE ET RÉPUBLICAINE 23

III.– RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION 25

A.– INFORMATION DE L’ÉTAT SUR LA SITUATION DES ENTREPRISES PUBLIQUES 25

B.– GOUVERNANCE DE LA CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS 25

IV.– AUDITION SUR LES MODALITÉS D’ACHAT D’ACTIONS D’EADS PAR LA CDC EN AVRIL 2006 : 27

– M. Philippe Auberger, ancien président de la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations

– M. Pierre Hériaud, ancien président de la Commission de surveillance

– M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

– M. Dominique Marcel, directeur financier

V.– AUDITION SUR LES CONDITIONS D’ÉVOLUTION DE L’ACTIONNARIAT D’EADS : 47

– M. Xavier Musca, directeur général du Trésor et de la politique économique

– M. Philippe Pontet, président du Conseil d’administration de SOGEADE

VI.– AUDITION SUR LA PARTICIPATION D’IXIS-CIB À L’ÉVOLUTION DE L’ACTIONNARIAT D’EADS ET SUR LES MODALITÉS DE CETTE PARTICIPATION : 70

– M. Anthony Orsatelli, président du directoire d’IXIS-CIB

– M. Bernard Migus, directeur général d’IXIS-CIB

VII.– AUDITION SUR LA GOUVERNANCE D’EADS, L’ÉVOLUTION DE SON ACTIONNARIAT, SES RELATIONS AVEC L’ÉTAT FRANÇAIS ET LE PARTENARIAT FRANCO–ALLEMAND : 85

– M. Arnaud Lagardère, président du groupe Lagardère

VIII.– AUDITION SUR LES CONDITIONS D’ÉLABORATION ET LE CONTENU DU PACTE D’ACTIONNAIRES D’EADS : 109

– M. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie

IX.– AUDITION SUR LE RÔLE DE L’ÉTAT DANS L’ÉVOLUTION DE L’ACTIONNARIAT D’EADS EN 2005–2006 : 123

– M. Thierry Breton, ancien ministre des Finances

X.– EXAMEN EN COMMISSION 147

I.– INTRODUCTION

Le Parlement assume de longue date une responsabilité particulière à l’égard du secteur public.

Les dispositions régissant les pouvoirs du ou des rapporteurs spéciaux chargés de « suivre et apprécier la gestion des entreprises nationales » ont été soigneusement distinguées de celles concernant le contrôle des services de l’État. Ces règles, fruit d’une longue histoire, sont bien vivantes : leurs dernières modifications datent de 2000 (1).

L’assistance de la Cour des comptes se déroule également selon des modalités propres pour les « rapports particuliers » par lesquels elle expose « ses observations sur les comptes, l’activité, la gestion et les résultats » des entreprises publiques et peut exprimer son avis sur la qualité de leur gestion ainsi que sur la régularité et la sincérité de leurs comptes (2).

Dans le cas particulier de la Caisse des dépôts et consignations, le Parlement détient un rôle de garant, sa surveillance étant le gage de la « foi publique ». Conséquence : le président du conseil de surveillance est membre de votre commission des Finances.

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Rien d’étonnant, dans ces conditions, que, lorsque le besoin s’en fait sentir, le Parlement s’implique davantage. La création, en janvier 2003, d’une commission d’enquête sur la gestion des entreprises publiques n’a été qu’une expression parmi d’autres de l’attention portée au suivi du secteur public et à la modernisation de sa gouvernance.

Le rapport de cette commission d’enquête, préparé par notre collègue Michel Diefenbacher, rapporteur spécial durant la dernière législature, a vigoureusement soutenu la refonte du rôle de l’État. Afin de promouvoir une vision plus stratégique et des contrôles moins tatillons, était encouragée la création d’une agence des participations, l’APE, qui a vu le jour par décret du 9 septembre 2004.

*

En complément du contrôle exercé de façon continue par votre rapporteur spécial, la commission des finances se tient régulièrement informée des évolutions les plus significatives. C’est ainsi qu’en 2006, au cours de cette année difficile pour le groupe EADS, ses co-présidents exécutifs successifs, MM. Noël Forgeard et Louis Gallois, ont été auditionnés, l’un en juin, l’autre en novembre  (3).

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Dans la ligne de cette démarche vigilante, dès l’annonce de soupçons de délit d’initié, mais surtout de difficultés plus graves et plus anciennes qu’annoncé, votre commission des Finances a tenu à mettre en oeuvre ses pouvoirs pour faire la clarté. Il va sans dire que l’objet des travaux excluait les faits susceptibles de recevoir une qualification délictueuse. L’enquête de l’Autorité des marchés financiers ayant conduit à une saisine de la justice, la séparation des pouvoirs ne l’aurait pas permis.

Au demeurant, l’enjeu principal et légitime portait sur la gouvernance publique, autour de deux questions : l’État actionnaire a-t-il joué convenablement son rôle ? Le rachat, par la Caisse des dépôts et consignations, d’actions EADS peu avant la chute de leurs cours est-elle révélatrice de dysfonctionnements au sein de l’État ou de la Caisse ?

Les six auditions réalisées du 9 au 26 octobre, puis le 4 décembre 2007, parallèlement à celles menées par le Sénat, ont eu pour commune inspiration la volonté de révéler la vérité, dans un esprit non polémique et respectueux des personnes entendues.

Après avoir entendu les responsables de la Caisse des dépôts, en fonctions au moment des faits et actuellement, la Commission a souhaité être éclairée sur le rôle de l’État actionnaire puis sur les modalités techniques de l’évolution de l’actionnariat d’EADS. Avec M. Arnaud Lagardère, gérant commandité du groupe Lagardère, elle a pu évoquer, du point de vue de l’entreprise, l’évolution de sa gouvernance et de son actionnariat, le rôle de l’État et le partenariat franco-allemand. Étant revenue plus en détail sur la genèse du pacte d’actionnaires avec M. Dominique Strauss-Kahn, elle a conclu avec son successeur  (4)M. Thierry Breton sur le rôle de l’État.

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Chacun pourra se forger une opinion à la lecture des quelque 120 pages de compte rendu qui suivent. Elles auront permis :

– de préciser la chronologie des faits, et surtout de mieux cerner les asymétries de l’information : qui savait quoi et à quelle date ;

– de rendre compréhensibles les modalités techniques du montage financier retenu par Lagardère pour faire évoluer son capital (la fameuse « ORAPA »), avec leurs diverses conséquences, notamment fiscales ;

– de mieux cerner les motivations des protagonistes, notamment au sein de l’entreprise EADS et à la Caisse des dépôts et consignations ;

– de mettre en évidence certaines insuffisances de l’État actionnaire dans l’organisation du circuit de l’information : tant à l’intérieur du ministère des Finances entre l’APE et la Direction générale du Trésor et de la politique économique qu’entre l’APE et la société EADS, au conseil d’administration de laquelle l’État est représenté par la Sogeade ;

– s’agissant de la Caisse, d’illustrer des singularités de gouvernance, en partie révolues, mais auxquelles le Parlement ne peut rester indifférent eu égard à son rôle propre.

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La démarche poursuivie au long de ces auditions a consisté à s’informer pour mieux comprendre, et à rechercher de meilleures règles de gouvernance. C’est pourquoi il a paru utile au débat public de réunir les comptes rendus de ces auditions, assortis des observations des groupes composant la commission des Finances et de préconisations faisant l’objet d’un consensus.

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II.– CONTRIBUTIONS DES GROUPES

A.– CONTRIBUTION DU GROUPE UMP AU RAPPORT D’INFORMATION SUR LE DOSSIER EADS

Le 3 octobre 2007, le journal « le Figaro » a mentionné l’existence d’une enquête de l’Autorité des Marchés Financiers pour « délit d’initiés » concernant les dirigeants et 1 200 collaborateurs d'EADS, ces derniers étant soupçonnés d’avoir exercé leurs options quelques semaines avant l’annonce de difficultés relatives à la production de l’avion A380.

Au regard de la nature de l’activité d'EADS, de la composition de son actionnariat et de la place de l’État au sein de ce groupe, il est apparu, d’une part, normal et, d’autre part, nécessaire que la commission des Finances, de l'économie générale et du plan de l’Assemblée nationale, comme l’a d’ailleurs aussi fait son homologue du Sénat, procède à l’audition des acteurs majeurs de ce dossier, auditions relatives à l’évolution du capital d'EADS en 2005 et 2006.

L'objectif de la Commission fut, dans un premier temps, de mieux percevoir les enjeux et les circuits d’informations au sein d’une société aussi complexe que peut l’être EADS et, dans un second temps, de tirer les éventuels enseignements et les possibles conséquences notamment concernant le rôle et la place de l’État actionnaire.

Il apparut notamment utile de revenir, à plusieurs reprises, sur les conditions de la constitution du groupe EADS. En 2000, le monde de l’aéronautique était secoué par de grands mouvements capitalistiques. La question de la marginalisation de l’Aerospatiale et, par conséquent, de la France, se posait. En effet, alors que British Aerospace et Dasa avaient entamé des discussions en vue d’une éventuelle fusion, une réponse rapide et efficace à ces éventuels bouleversements du secteur s’imposait. C’est ainsi que le groupe de défense français Matra devenait un acteur central du nouvel ensemble européen qui allait naître : après un rapprochement entre Aerospatiale et Matra, ces derniers ont fusionné avec DaimlerChrysler Aerospace AG et l’espagnol Casa. Ainsi naquit EADS, au capital de laquelle sont entrés les britanniques.

Il convient de saluer la construction de cette entreprise et, dès lors, le travail effectué quotidiennement par l’ensemble des salariés du groupe. Il convient aussi de rappeler l’unanimité politique autour de cette création : un Président de la République de droite, un Premier Ministre socialiste et un ministre des Transports communiste ont contribué à l’émergence de cette entreprise au rayonnement mondial.

Le dossier qui retient, aujourd’hui, notre attention expose au grand jour la difficulté de faire cohabiter différentes cultures économiques et politiques au sein d’un même groupe. Les conditions de la constitution du capital d’EADS et les différences d’approches entre les acteurs, notamment allemands et français, en sont la plus parfaite illustration, la place de l’État actionnaire venant cristalliser les oppositions entre cultures économiques différentes. Que l’État français n’ait pu être présent au capital d’EADS que par l’intermédiaire d’une société holding portant les intérêts publics et privés français, les rapports de ces derniers étant définis dans le cadre d’un pacte d’actionnaire particulièrement complexe, est, à cet égard, particulièrement révélateur.

En France, l’État a joué et joue toujours un rôle particulier dans l’économie française, l’importance de ce rôle variant selon les circonstances politiques et idéologiques du moment. Mais tout le monde s’accorde à penser qu’il doit demeurer un acteur majeur dans différents secteurs, notamment l’aéronautique et la défense. Se posent alors les questions de son rôle en tant qu’actionnaire, de sa représentation au sein des organes sociaux (Conseil d’administration, Conseil de surveillance…) des sociétés dont il est actionnaire, du circuit et de la qualité des informations que ses représentants peuvent obtenir dans le cadre de leur mandat. A ce titre, le fonctionnement de l’Agence des Participations de l’État s’est avéré central dans le dossier qui retient ici notre attention. En effet, un sujet récurrent des auditions a été la nature des notes de l’Agence des Participations de l’État, de leurs conditions d'élaboration, de leur objet, de leur utilisation. Il ne s’agit nullement de remettre ici en cause la compétence ou l’intégrité des membres de cette agence mais de faire en sorte que la représentation nationale connaisse les tenants et les aboutissants de son fonctionnement pour, le cas échéant, pouvoir formuler des propositions permettant d’améliorer ce dernier. La fonction de cette agence, qui est de gérer le patrimoine collectif des français, se doit d’être d’une transparence totale, exigence d’autant plus forte qu’il s’agit de fonds publics.

Le rôle et le fonctionnement de la Caisse des dépôts ont aussi retenu, au cours de ces différentes auditions, toute notre attention. En effet la Caisse des dépôts, qui se trouve être au confluent du public et du privé, du Gouvernement, du Parlement et des collectivités locales, est un acteur particulièrement important de notre économie du fait de son rôle pivot de financeur du logement social et d’investisseur à long terme. C’est ce dernier rôle qui a été au centre de nos interrogations : quel est le processus de décisions des investissements ? Quelle est la logique qui gouverne ces investissements ? Y a t il des relations entre la Caisse des dépôts et l’État, entre la Caisse des dépôts et l’Agence des Participations de l’État ? L'idée de la création d'un comité d’investissement, consulté sur l'initiative du Directeur Général, préalablement à toute décision d’investissement à caractère stratégique, sort renforcée des échanges entre la commission des Finances et les différentes personnes auditionnées.

Enfin, l'examen de la situation d'EADS nous amène naturellement à nous interroger sur les rapports entre le rôle de l’Autorité des Marchés Financiers et celui de la justice. Alors que s’ouvre, à l’initiative du chef de l’État, une réflexion sur la dépénalisation du droit des affaires, la cohérence et l’efficacité des différentes procédures possibles en cas de soupçons de délit boursier nous paraissent être des enjeux primordiaux. Il en va de l’image et de la crédibilité de la place financière de Paris aux yeux des investisseurs français et internationaux ; sécurité juridique, célérité des décisions, respect des droits de la défense étant des composantes de cette crédibilité. Il apparaît indispensable que les champs d’intervention respectifs de l’Autorité des Marchés Financiers et de la justice soient clairement définis. De plus, une réflexion au sujet, d’une part, de l’amélioration du processus de décision en matière de sanctions et, d’autre part, du contenu de la panoplie de sanctions dont dispose actuellement l’Autorité des Marchés Financiers semble s’imposer. L’exemple des homologues anglo-saxons de la place de Paris, sans servir de modèle, pourrait être une source d’inspiration.

La question de la qualité de l’information financière délivrée par les entreprises au marché s’est aussi posée. Mais s’il est toujours possible, naturellement, de s’améliorer, il convient de constater que les obligations, à la charge des entreprises, en la matière, n’ont cessé, au cours des dernières années, d’augmenter et de se préciser. Le cadre législatif actuel semble, par conséquent, relativement satisfaisant et complet. Cela ne voulant pas dire qu’il ne faudra pas, ici ou là, apporter des précisions nécessaires, la qualité et la pertinence de l’information financière étant déterminantes pour un bon fonctionnement du marché.

Un débat annexe s’est naturellement ouvert au sujet de l’usage des stock-options. Il est nécessaire, en la matière, de s’interroger sur la nature et l’objet même des stock-options et, au-delà, sur l’ensemble des dispositifs qui permettent d’associer les dirigeants et les collaborateurs d’une société à son capital et à ses résultats. L’exigence de transparence doit être totale : quels sont les critères d’attribution ? Qui décide des attributions ? A quel moment ont lieu ces attributions ? Quelles sont les conditions d’exercice ? Cette transparence doit être le corollaire de la complexité des différents dispositifs existants, l’opacité entraînant son cortège de mythes et de rumeurs peu propices au déroulement serein du processus économique.

Pour le groupe UMP

Jérôme CHARTIER, député du Val d’Oise

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B.– CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE MEMBRES DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

En octobre dernier, l’Autorité des marchés financiers a transmis au parquet de Paris les conclusions d’un rapport préliminaire mettant en cause les actionnaires et les dirigeant d’EADS en faisant état de ventes concomitantes et massives d’actions avant l’annonce officielle des difficultés d’Airbus et des retards de production de l’A 380 et de l’A 350.

Sans préjuger des enquêtes judiciaires en cours, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche a déposé le 17 octobre 2007, une proposition de résolution tendant à la création d’un commission d’enquête sur le rôle et le contrôle exercés par l’État sur l’évolution de l’actionnariat au sein d’EADS depuis novembre 2005 (n°298). En effet, il appartient au Parlement d’exercer sa mission de contrôle des entreprises au sein desquelles l’État exerce des responsabilités stratégiques d’actionnaire.

Cette initiative fait suite au dépôt le 31 octobre 2006 d’une première proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus, sur les conséquences industrielles et sociales du plan de restructuration du groupe EADS (n° 3401) qui n’a jamais été examinée ni par la commission des affaires économiques qui en avait été saisie, ni a fortiori par l'Assemblée nationale.

Depuis le milieu de l'année 2006 le groupe aéronautique EADS est dans une situation difficile et doit faire face à un vaste plan de restructuration. En octobre 2006, le conseil d’administration d’European Aeronautic Defense and Space company (EADS) a présenté le plan dit power 8, dont l’objet principal est de réaliser des économies face aux difficultés industrielles et financières de l’entreprise.

Il s’agit pour la direction de l’entreprise de faire face notamment aux retards de production et de livraison de l’A380. Ce plan doit générer des économies de trésorerie de 5 milliards d’euros d’ici 2010. Il conduit inévitablement à des suppressions d’emplois au sein du groupe et à une pression très forte sur tous les sous-traitants et équipementiers, essentiellement des PME et PMI déjà en grande difficulté.

Ce plan cherche à réduire les coûts de fonctionnement et de structure, à réorganiser la chaîne des fournisseurs, à charge pour eux d’assumer les coûts qui en découlent. Ce plan semble répondre en réalité à une logique purement financière en lien direct avec les préoccupations patrimoniales au détriment de l’intérêt stratégique. Compte tenu de sa contribution aux résultats d’EADS, Airbus est la filiale qui participe le plus aux efforts de restructuration.

Plusieurs questions sont posées concernant les réductions d’activité et la fermeture de sites de production. Des milliers d’emplois sont en jeu. En 2006, les salariés d’Airbus ont finalement renoncé à leurs primes.

Si aucune de ces deux propositions de résolution n’a abouti à la mise en place d’une commission d’enquête, le groupe socialiste juge très positivement le travail réalisé au sein de la commission des finances, autour de son Président, qui a permis d'informer les parlementaires et plus largement l'opinion publique sur un certain nombre de points et de clarifier plusieurs questions notamment sur le rôle de l’État dans l’évolution de l’actionnariat au sein d’EADS depuis novembre 2005.

Reste que le travail réalisé à travers cette série d'auditions aurait utilement pu débuter il y a plusieurs mois sans qu'il soit besoin d'attendre que la presse révèle le lancement d'une enquête de l'Autorité des marchés financiers.

1.– Un certain nombre de constats sont établis à l'issue de ces auditions

Le pacte d'actionnaire mis en place en 1999 n'est pas à l'origine des dysfonctionnements constatés depuis la fin 2005

Les mises en cause du pacte d’actionnaires dès 2006 par le précédent gouvernement, notamment par la voix de M. Thierry Breton, de même que celles faites par l'actuel gouvernement, ont été clairement démenties par l'examen attentif des dispositions du pacte et les déclarations de l'ensemble des personnes auditionnées.

Le pacte d’actionnaires initial d’EADS est fondé sur l’ambition de construire un groupe à dimension européenne reposant sur un équilibre franco-allemand de la gouvernance et l’exclusivité de l’engagement des opérateurs. Il s’agissait de combiner une logique politique de long terme et une logique industrielle et technologique d’excellence.

Compte tenu des exigences des différents partenaires, le pacte représente un point d'équilibre qui a permis la création d'EADS. Les différentes auditions, et notamment celle de l’ancien ministre de l’économie, Dominique Strauss-Kahn, ont permis de clarifier ce point.

La confirmation d'un dysfonctionnement d'origine politique

Aujourd’hui, la société Airbus, présentée à juste titre comme un exemple de réussite d’intégration et de coopération européenne, apparaît comme la victime de plusieurs décisions successives, et pour le moins contestables, qui n’ont fait que fragiliser le pacte d’actionnaires initial d’EADS.

Les conditions de la nomination en juin 2005 de Noël Forgeard à la co-présidence d’EADS en remplacement de Philippe Camus, qui occupait le poste depuis juillet 2000, ont été mal ressenties par les responsables allemands du groupe.

Le témoignage d'Arnaud Lagardère a confirmé l'existence d'une véritable « chasse à l'homme », dont M. Camus fut l’objet, mais les causes et les acteurs, notamment au sein du pouvoir exécutif français, de cette « chasse » n'ont à ce stade pas pu être précisés.

Questionné à ce sujet, M. Lagardère n’a pas souhaité répondre. Il apparaît pour autant que le remplacement de M. Camus par M. Forgeard était bien l’expression d’une volonté du pouvoir politique et non de l’actionnaire. Cela réduit à ses justes proportions l’affirmation, démentie également par l’examen des dispositions réelles du pacte, selon laquelle le pacte d’actionnaire ne permettait pas au pouvoir politique d’avoir la moindre influence sur les nominations de dirigeants au sein d’EADS.

Les conditions très contestables du départ de Noël Forgeard à l’été 2006 n’ont fait qu’accentuer la crise de confiance au sein du groupe.

Contrairement aux affirmations initiales des représentants de l'État et du gouvernement, l'exécutif a connu dès l'origine la volonté des actionnaires industriels de diminuer leur participation et pour une large part les modalités de ce retrait

La décision du groupe Lagardère de céder la moitié de sa participation au sein d’EADS, quelles qu’en soient les motivations, a fragilisé d’autant plus la structure de l’actionnariat d’EADS qu’elle répond à la volonté d’Arnaud Lagardère de recentrer les activités de son groupe sur les médias.

Le 28 novembre 2005, les groupes Lagardère et Daimler Chrysler annoncent publiquement leur intention de réduire leur participation au sein du capital d’EADS. Lors de son audition Arnaud Lagardère a précisé avoir tenu au courant l’État de cette intention de céder la moitié de sa participation à des investisseurs institutionnels français.

En janvier 2006, l’Agence française des participations de l’État recommande à l’État de céder une partie des actions qu’il détient au sein d’EADS. L’Agence mentionne le fait que d’autres actionnaires de référence comme les groupes Daimler Chrysler et Lagardère envisagent de procéder à des cessions de même nature.

Le 28 mars 2006, la Caisse des dépôts et consignations signe une lettre d’engagement avec le groupe Lagardère. Le 12 avril 2006, la Caisse des dépôts et consignations se porte acquéreur de titres détenus par le groupe Lagardère dans le capital d’EADS. L’opération s’effectue sous la forme d’émission d’obligations remboursables en actions à parité ajustable EADS qui seront souscrites par la banque IXIS CIB. Celle-ci a prévu de placer préalablement la plus grande partie des actions EADS en question auprès d’investisseurs institutionnels français au moyen d’une vente à terme. Les modalités de la transaction permettent notamment au groupe Lagardère d’éviter une surtaxation de sa plus value de cession.

Compte tenu du pacte d’actionnaires qui inclut un droit de préemption, la cession des actions du groupe Lagardère ne peut pas être effectuée sans que l’État soit informé, notamment du montant et de la nature de la transaction, voire de l’identité de l’acheteur.

Le 3 avril 2006, le conseil d’administration de la SOGEADE, société qui porte la participation de l’État et du groupe Lagardère dans EADS, au sein duquel siègent des représentants de l’État et notamment du ministère des finances, approuve cette opération en insistant notamment sur la nécessité que de tels mouvements au sein de l’actionnariat ne soient pas interprétés comme « une défiance à l’égard du groupe et plus particulièrement d’Airbus, sachant que le groupe aéronautique va entrer dans une phase plus agitée ».

L'Agence des participations de l'État n'a pas assumé de façon satisfaisante la totalité de sa fonction de représentant de l'État actionnaire pour laquelle elle avait été récemment créée

Au sein d’EADS, l’État a un rôle particulier à jouer parce qu’il est actionnaire, mais aussi parce qu’il s’agit de l’avenir d’un grand groupe industriel européen dans des secteurs stratégiques de la défense nationale et de l’aéronautique, et de milliers d’emplois directs et indirects dans de nombreuses régions de notre pays.

Pourtant, il apparaît que l’État actionnaire n’a pas, au cours des années 2005 et 2006, véritablement rempli son rôle stratégique au sein du capital d’EADS, par le biais de la SOGEADE. Il semble également qu’il n’ait pas exercé de vigilance sur le plan industriel pendant la même période.

Lors de leurs auditions, les représentants et les responsables de l'Agence se sont largement retranchés derrière une analyse du pacte d'actionnaire qui les aurait privé de toute capacité d'information, d'influence et de décision au sein du conseil d'administration d'EADS.

En réalité, les informations précises recueillies sur les dispositions du pacte, de même que l'ensemble des déclarations des autres parties prenantes indiquent que l'APE, au sein de la SOGEADE et par l'intermédiaire de son représentant au sein du Conseil d'administration d'EADS, était en mesure d'accéder aux informations ou du moins d'en demander la production, et de peser sur les positions prises au sein du Conseil d'administration.

2.– L'action du gouvernement actuel et de ses prédécesseurs depuis 2005 est en cause

Quel que soit le degré d'information de l'APE, le gouvernement est resté inactif à une période cruciale de la vie d'EADS

Les choix de production et de montage de l’A380 n’ont pas véritablement tenu compte de l’organisation industrielle du groupe Airbus entre ses différents sites. Les incompatibilités apparues dans la chaîne de production et d’assemblage ont constitué des alertes sérieuses des difficultés industrielles. Le gouvernement de l’époque ne pouvait pas ne pas être informé des difficultés financières et techniques du groupe. Cela n’est pas vraisemblable, sauf à avoir fait preuve d’une incurie coupable.

Le ministère de l’économie participait en effet aux discussions entre les actionnaires soucieux de vendre rapidement une partie de leur participation. Le ministère de la défense ne pouvait pas ne pas être informé compte tenu des implications en matière de politique de défense. Le ministère de l’intérieur exerçant la tutelle directe sur les préfets ne pouvait pas ne pas être informé des difficultés économiques et sociales au sein d’Airbus et des réactions suscitées sur les différents sites de production. Le ministère des transports ne pouvait pas ne pas être informé des difficultés industrielles et technologiques d’Airbus.

L’attitude passive du gouvernement, une fois les retards de production de l’A380 révélés officiellement en juin 2006, confirme l’absence de véritable volonté d’apporter des réponses industrielles aux difficultés d’Airbus et aux défis de la concurrence avec Boeing et par conséquent des réponses sociales aux salariés et aux élus des territoires concernés.

Parallèlement, la question est posée est celle de la mission réellement assumée par l'Agence des Participations de l'État.

Alors que sa mise en place avait été souhaitée initialement par l'actuelle majorité en réaction à ce qu'elle présentait comme des crises de gouvernance, l'agence ne semble pas avoir été en mesure d'assumer en l'espèce son rôle de représentant des intérêts de l'État actionnaire.

Les déclarations des représentants de l'Agence peuvent susciter une certaine inquiétude tant elles semblent réduire leur rôle à une maximisation de la valorisation des participations de l'État, avec peu d'égard pour la question de la bonne gouvernance et des intérêts stratégiques de long terme des entreprises. Le contrôle du Parlement sur l'Agence est limité, comme l'a a plusieurs reprise signalé le groupe socialiste lors de l'examen de la mission « Participations financières de l'État », les indicateurs de performance étant frustes et l'Agence n'étant pas directement comptable de ses résultats.

Le gouvernement était beaucoup mieux informé qu'il ne l'a initialement affirmé de la décision et des modalités de cession de leurs participations par les actionnaires industriels.

Les déclarations initiales du ministre de l'économie et des finances Thierry Breton, selon lesquelles il n’était pas informé de l’opération initiée par le groupe Lagardère et du rôle de la Caisse des dépôts et consignations sont remises en cause par les déclarations des autres parties prenantes et du Premier Ministre de l'époque.

Dès lors, il disposait de moyens d'expression et d’intervention qu'il n'a pas jugé bon d'utiliser.

L'État n'a pas joué tout le rôle qui aurait pu être le sien dans le processus de décision d'investissement de la Caisse des dépôts et consignations.

Pour quelles raisons l’État, à qui l’Agence française des participations conseille la vente de ses propres actions, ne manifeste finalement aucune objection lorsque la Caisse des dépôts et consignations se porte acquéreur quelques jours plus tard ?

L'explication initialement donnée reposant sur l'inutilité d'une prise de position face à un processus de décision d'investissement sur lequel il n'aurait pas prise n'est guère satisfaisante, rapportée à la pratique constante des représentant de l'État au sein de la Caisse des dépôts et consignations.

La Caisse des dépôts et consignations ne doit pas servir de bouc émissaire et l'affaire EADS ne doit pas être utilisée pour remettre en cause la soumission de la Caisse des dépôts et consignations au contrôle du Parlement et non de l'exécutif.

Le fait pour la Caisse de se porter acquéreur de titres de la société EADS, une industrie stratégique d'un secteur de pointe, est parfaitement légitime.

Par ailleurs, les annonces faites par le Directeur général de la Caisse devant la commission, visant notamment à la mise en place d'un comité d'investissement, sont des gages d'une volonté d'amélioration des modes de décision interne de la Caisse.

La seule question posée est celle du manque de transparence de l'État au regard de la Caisse.

Le gouvernement actuel a choisi délibérément de confirmer dans son rôle de représentant commun de l'État et de la société Lagardère au sein du conseil d'administration d'EADS Arnaud Lagardère.

Malgré son droit de veto, le gouvernement ne s’est pas opposé au fait qu’Arnaud Lagardère devienne président de la SOGEADE en remplacement de l’actuel titulaire atteint par la limite d’âge en octobre 2007 et membre du conseil d’administration du groupe EADS.

Malgré ses déclarations selon lesquelles il avait le choix d'apparaître soit incompétent soit malhonnête, celui-ci sera donc promu à la présidence du conseil d’administration de la SOGEADE et reconduit dans ses fonctions d’administrateur d’EADS en tant que représentant de la SOGEADE et désigné à cet effet par elle, malgré une enquête en cours de l'AMF qui aurait pu inciter à faire jouer une clause de prudence. A aucun moment les représentants de l’État au sein de la SOGEADE n’ont manifesté la moindre opposition à ces nominations alors même qu’ils en avaient la possibilité pour peu que le gouvernement leur eût donné instructions en ce sens.

Aujourd’hui, l’attitude du Président de la République et des membres du gouvernement se limite à dénoncer les délits d’initiés présumés que révèle l’autorité des marchés financiers, sans évoquer leurs propres responsabilités dans l’exercice du contrôle de l’État à la fin de l’année 2005 et au cours de l’année 2006 sur les mouvements au sein de l’actionnariat d’EADS, et pas davantage leur accord de facto aux récentes nominations dont a bénéficié M. Lagardère.

3.– Un certain nombre de points restent à éclaircir et auraient justifié la constitution d'une commission d'enquête

Les auditions ont mis à jour des divergences dans les déclarations, voire des contradictions flagrantes. Parallèlement, certaines personnes auditionnées ont préféré s'abstenir de répondre à certaines questions précises.

Ainsi, plusieurs points importants restent à éclaircir :

Quels ont été les responsables, au sein du gouvernement et de l'administration, ayant participé à la nomination de Noël Forgeard à la tête d'EADS et à l'éviction de Philippe Camus, processus décrit par Arnaud Lagardère comme une « chasse à l'homme ».

Comment expliquer le contenu de la note de l'Agence des participations de l'État conseillant au Ministre la vente d'une part des participations détenues par l'État dans le groupe EADS ?

Le consensus de marché semble largement différer par rapport au contenu de cette note, alors même que les représentant de l'APE se sont retranchés derrière la transcription d'un avis consensuel chez les analystes.

Les auditions et les recherches effectuées n'ont pas permis d'éclairer le Parlement sur la réalité de l'existence d'un tel consensus selon lequel la valorisation du titre serait relativement élevée. Notamment, c'est paradoxalement au nom du consensus de marché que les responsables de la Caisse des dépôts ont justifié leur entrée au capital d'EADS au même moment, sachant qu'un achat est justifié par un cours relativement « attractif » sur le marché.

Comment expliquer que le représentant de l'État au sein de la Caisse des dépôts n'ait pas été conduit à transcrire les oppositions que le Ministre déclare avoir eu vis à vis du choix d'investissement de la Caisse des dépôts et consignations de se porter acquéreur des titres EADS cédés par les actionnaires industriels ?

Bien évidemment, la Caisse des dépôts et consignations n’a pas statutairement à informer l’État et a fortiori à demander son autorisation pour réaliser une opération d’investissement. Elle prend acte de l’approbation du conseil d’administration de la SOGEADE, en application des règles issues du pacte d’actionnaires, mais le gouvernement, par l’intermédiaire du directeur du Trésor, qui siège au sein du conseil de surveillance de la Caisse, peut ne pas rester inactif et encore moins accepter de jouer le « muet du sérail ».

Cette cession permet à un actionnaire privé de se désengager du capital d’une entreprise où l’État est actionnaire et ainsi de faire porter à un organisme public les pertes liées aux difficultés du groupe. La vente à terme, effectuée en avril 2006, a d’ores et déjà nécessité pour la Caisse une provision de 191 millions d’euros. La Caisse des dépôts, à ce jour, a réalisé une mauvaise opération.

En conclusion, une commission d'enquête aurait pu clarifier ces points et trancher un certain nombre de divergences apparues dans les déclarations des uns et des autres. Elle aurait pu établir les motivations ayant conduit le gouvernement à présenter une version altérée de la vérité.

Parallèlement à l'enquête menée par l'Autorité des Marchés Financiers sur l'existence d'un délit d'initié au sein du management et de l'actionnariat d'EADS, ou sur la diffusion d'informations volontairement incomplètes ou trompeuses, la constitution d'une commission d'enquête sur l’évolution de son actionnariat permettrait de trancher définitivement un certain nombre des contradictions levées dans le cadre des auditions.

C.– CONTRIBUTION DE M. CHARLES DE COURSON, AU NOM DU GROUPE NOUVEAU CENTRE SUR LES CONDITIONS DE L’ÉVOLUTION DE L’ACTIONNARIAT D’EADS EN 2005 ET 2006

Le Nouveau Centre, par le biais de son porte-parole sur les questions budgétaires et fiscales, Charles de Courson, souhaite aborder trois points :

La question d’un éventuel délit d’initié

La justice a été saisie sur cette question d’un éventuel délit d’initié. Il faut donc attendre qu’elle se prononce et ne faire aucune conclusion hâtive. C’est une question juridique et non politique. Il faut, en la matière, respecter la séparation des pouvoirs.

En réalité, cette affaire EADS révèle une chose : c’est qu’elle place les cadres dirigeants dans une position intenable puisqu’ils sont autorisés à lever des droits d’option alors qu’ils se trouvent dans un position d’information privilégiée.

C’est pourquoi, au Nouveau Centre, nous souhaitons que la proposition Balladur soit retenue. Il s’agit d’interdire de lever ou céder des options pour l’ensemble des mandataires sociaux, tant qu’ils exercent des fonctions dans l’entreprise. Cette interdiction doit aussi s’appliquer aux attributions d’actions gratuites.

Cette réforme est indispensable si l’on veut éviter les délits d’initiés et si l’on veut éviter que les « stock-options » perdent toute légitimité aux yeux des actionnaires, et notamment des plus modestes d’entre eux.

La question de la gouvernance au sein de la Caisse des dépôts et consignations – CDC

Il n’est pas normal que le Conseil de surveillance de la CDC ait été informé a posteriori de cette décision d’acquérir 2,25  % de titres d’EADS, augmentant ainsi la participation de la Caisse de 0,58 % à 2,83 %.

Le Nouveau Centre souhaite donc que soit réformée la CDC selon les orientations données par son directeur général, Augustin de Romanet.

Ainsi le Nouveau Centre est favorable à la mise en place d’un comité des investissements – au sein de la commission de surveillance – auquel seront soumises les opérations de marché les plus confidentielles.

Ce Comité sera compétent pour examiner a priori les investissements les plus importants.

Cette solution est équilibrée et permettra d’améliorer la gouvernance de la CDC sans en dénaturer sa spécificité.

La question du pacte d’actionnaires

L’État actionnaire ne pouvait exercer ses droits d’actionnaire par défaut d’information a priori. Ainsi, les représentants de l’Agence des Participations de l’État n’exerçaient pas leur fonction d’actionnaires puisqu’ils n’ont eu aucune indication sur la moindre difficulté d’industrialisation de l’A380.

Cette défaillance est liée à un montage juridique imparfait et au pacte d’actionnaires inadapté.

En outre, nous avons un pacte d’actionnaires déséquilibré puisque deux actionnaires privés ont cédé la moitié de leur participation. Il va donc falloir trouver de nouveaux investisseurs industriels.

*

* *

D.– POSITION DU GROUPE DE LA GAUCHE DÉMOCRATE ET RÉPUBLICAINE

L’évolution de l’actionnariat d’EADS en 2006, mécanisme extrêmement complexe, a été l’occasion et le résultat d’affrontements d’intérêts puissants et très divers, d’ambitions personnelles, tant en France qu’en Allemagne. Mais, dans ce processus tortueux, au bout du compte, il apparaît que plus aucune autorité politique n’avait la volonté ni les moyens de garantir l’intérêt national et l’intérêt général, avec ce que cela suppose de cohérence, de vision à moyen et long terme et de souci du meilleur usage des deniers publics.

C’est ainsi qu’au moment où chacun peut dresser le constat d’un recul rapide du pouvoir des États en matière économique et financière, il est surprenant et inquiétant d’apprendre qu’il existerait en France, au sein du ministère de l’économie et des finances, une « muraille de Chine » qui sépare la direction du Trésor, de l’Agence des participations de l’État au détriment de la transparence et de l’efficacité de l’action de l’État, ce qui a été l’une des causes des dysfonctionnements gouvernementaux dans cette affaire.

Comme l’a relevé le rapporteur général : « Il ressort de l’exposé de Monsieur STRAUSS-KAHN que l’État avait la volonté affirmée d’organiser sa présence dans la durée au sein d’EADS. Le contraste est frappant entre cette volonté affichée, qui s’est traduite par l’élaboration de moyens juridiques, et le sentiment que nous ont laissé les auditions de certains représentants des intérêts de l’État. Quelques années après la mise en place du pacte [d’actionnaires], on a l’impression d’une impuissance de l’État, d’une véritable paralysie et d’une ignorance généralisée de ce qui se passe à l’intérieur d’EADS ».

L’évolution de l’actionnariat d’EADS a été une illustration frappante des mécanismes qui ont pour conséquence, dans le fonctionnement économique actuel, que les bénéfices sont privatisés, mais que les risques et les pertes sont supportés par les personnes publiques, avec des conséquences financières directes et des dommages sociaux dont la réparation pèse aussi sur la collectivité.

Si la question de l’actionnariat, et donc du devenir des entreprises participant à la fabrication des Airbus, est un sujet de grande importance, force est de constater que la question de l’emploi des salariés qui travaillent quotidiennement à ce grand projet, n’est, elle, jamais traitée comme une question majeure. On ne peut qu’en déduire qu’elle a été considérée comme une simple variable d’ajustement, comme en a témoigné ensuite clairement le plan social « Power 8 ».

S’agissant de la gouvernance de la Caisse des dépôts, qui a été mise en cause dans le processus d’achat des actions vendues par Monsieur LAGARDÈRE, elle mérite en effet examen. Mais cet aspect de la question a été utilisé comme un leurre pour tenter de brouiller les responsabilités. Cet examen ne doit pas être effectué avec la volonté, que l’on voit se dessiner à droite, de réduire le rôle des parlementaires, en particulier dans la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts, sous le prétexte d’une prétendue incompétence de leur part en matière de gouvernance.

Les parlementaires sont, en tant que représentants de la nation, des dépositaires de l’intérêt général et leur présence au sein de la Commission de surveillance est non seulement légitime, mais aussi complètement logique, compte tenu des missions d’intérêt général qui sont celles et doivent rester celles de la Caisse des dépôts et de ses filiales à caractère non marchand.

L’évolution de l’actionnariat d’EADS a été marqué également par une opacité anormale. L’État, et plus précisément le gouvernement de l’époque, se sont révélés très peu curieux et fort peu réactifs face aux informations préoccupantes sur les retards prévus pour la réalisation et la commercialisation de l’A380.

Le ministère de l’économie des finances et de l’industrie, dont le poids et l’influence dans l’appareil d’État sont considérables a négligé d’utiliser les informations et les pouvoirs dont il disposait lors des faits analysés par la Commission des finances.

Cette situation résulte d’une combinaison de causes structurelles et de choix politiques condamnables au niveau gouvernemental. Il est donc nécessaire que la Commission des finances tire toutes les conclusions des auditions effectuées et poursuive ce travail sous la forme d’une commission d’enquête parlementaire, sous réserve des questions dont la justice est saisie et en prenant en compte, le moment venu, les décisions qu’elle sera conduite à prendre.

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III.– RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION

A.– INFORMATION DE L’ÉTAT SUR LA SITUATION DES ENTREPRISES PUBLIQUES

Le directeur général du Trésor et de la politique économique a indiqué à la commission des Finances qu’il n’avait pas systématiquement connaissance des documents établis par l’Agence des participations de l’État –APE- à destination du ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie. Cette déclaration n’a pas laissé de surprendre, dans la mesure où l’Agence est un service placé auprès du directeur du Trésor.

Afin de remédier à ce dysfonctionnement, il conviendrait que le décret portant création du service à compétence nationale « Agence des participations de l’État » dispose que tous les documents destinés au ministre de l’Économie soient au préalable visés par le directeur général du Trésor et de la politique économique.

Par ailleurs, il est apparu que le pacte d’actionnaires relatif à EADS, s’il excluait que des représentants de l’État siègent au conseil d’administration de cette entreprise, prévoyait toutefois la participation à ce conseil de membres du conseil d’administration de la SOGEADE, laquelle représentait les intérêts de l’État. Le défaut d’information dont se prévalent les services de l’État quant à l’activité d’EADS et d’Airbus, ne trouve donc pas de justification sérieuse. En conséquence, il conviendrait que la Charte relative aux relations entre l’APE et les entreprises à participation de l’État fasse obligation aux représentants, directs ou indirects, de l’État de jouer un rôle actif dans la demande d’informations tendant à connaître l’évolution réelle de la situation de ces entreprises et, le cas échéant, de signaler les obstacles mis à une connaissance complète par l’État de cette situation.

B.– GOUVERNANCE DE LA CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS

La CDC est placée, depuis sa création en 1816, « de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative », par l’intermédiaire de sa Commission de surveillance, laquelle comprend un sénateur et trois députés dont l’un est son président. L’exécutif est placé sous la responsabilité d’un directeur général.

Actuellement, dans le cadre de ses fonctions, le directeur général prend seul les décisions relatives aux participations que la Caisse est amenée à prendre ou à céder.

Il est apparu, à l’occasion de la montée effectuée par la Caisse des dépôts dans le capital d’EADS en 2006, qu’en l’absence d’information a priori, la commission de surveillance n’avait pas été à même de juger de l’opportunité de cette opération ni de donner un avis.

Les membres de la Commission de surveillance ont souhaité voir évoluer le mode de gouvernance de la Caisse des dépôts sous une double condition posée par son Président, naturellement partagée par l’ensemble de la commission des Finances : que cette gouvernance ne soit pas banalisée et que le périmètre d’activité de la Caisse ne soit pas remis en cause.

Dans ce cadre, il pourrait être créé un comité d’investissement qui aurait pour mission d’étudier les projets d’investissement dont l’importance stratégique ou financière est avérée. Ce comité, composé de plusieurs membres de la Commission de surveillance, serait systématiquement consulté par le directeur général qui, s’il ne suivait pas son avis, devrait motiver sa décision devant la Commission de surveillance.

Mardi 9 octobre 2007, séance de 11 h 30

IV.– AUDITION SUR LES MODALITÉS D’ACHAT D’ACTIONS D’EADS PAR LA CDC EN AVRIL 2006 :

– M. Philippe Auberger, ancien président de la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations

– M. Pierre Hériaud, ancien président de la Commission de surveillance

– M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

– M. Dominique Marcel, directeur financier

Le Président Didier Migaud : Nous accueillons MM. Philippe Auberger, qui présidait la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) au moment des faits, M. Pierre Hériaud, ancien président de cette même commission de surveillance et qui présidait le comité d’examen des comptes et des risques (CECR) au moment des faits, M. Augustin de Romanet, directeur général de la CDC, et M. Dominique Marcel, directeur financier de la CDC.

La Commission est réunie pour revenir sur les conditions dans lesquelles ont été réalisées, en 2006, des opérations sur les titres de la société EADS. Certains mouvements, suivis d’une baisse très importante des cours de l’action, avaient suscité des interrogations. Notre Commission, conjointement avec la commission des Affaires économiques, de l’environnement et du territoire, a d’ailleurs entendu à ce sujet, le 28 juin 2006, M. Noël Forgeard, alors co-président exécutif d’EADS, et l’Autorité des marchés financiers (AMF) a alors déclenché une enquête dont les premiers résultats sont connus depuis peu. Nous souhaitons que l’enquête de l’AMF aille à son terme et que la justice, qui est saisie, accomplisse son travail.

Pour sa part, la Commission souhaite obtenir tous les éclaircissements souhaitables sur les conditions dans lesquelles la répartition du capital d’EADS a été modifiée, lorsque le groupe Lagardère a décidé de céder la moitié de sa participation, soit 7,5 % du capital. Dans quelles conditions la CDC a-t-elle décidé d’accroître son engagement dans le capital d’EADS en acquérant une partie de la participation du groupe Lagardère, par l’intermédiaire d’un autre acteur, dont nous serons peut-être également amenés à rencontrer les dirigeants, IXIS CIB ? Quelles ont été les relations entre la CDC et les différents services de l’État ? Entre la CDC et SOGEADE, la holding commune à Lagardère et à l’État ? Comment la CDC a-t-elle pris cette décision d’acquisition ? Pourquoi la cession a-t-elle été réalisée au moyen d’un dispositif d’obligations remboursables en actions d’EADS ?

Cette audition venant après beaucoup d’informations parues dans la presse et après une audition, vendredi dernier, devant le Sénat, nos questions doivent tenir compte des éléments d’appréciation déjà connus. Je pense notamment au procès-verbal de la réunion du 12 juillet 2006, selon lequel, dans le cadre des dispositions prévues par le pacte d’actionnaires, l’État autorisait la CDC à procéder à cette acquisition. Toutefois l’ancien ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie a déclaré en audition publique qu’il s’agissait d’une erreur d’interprétation juridique et la CDC, dans un communiqué, affirme qu’aucune instruction n’a été demandée à l’État et que celui-ci n’a donné aucune autorisation. C’est à se demander si les participants aux réunions relisent les procès-verbaux !

Je demande à tous de rendre cette audition la plus vivante possible, avec des questions directes et des réponses étrangères à la langue de bois.

M. Philippe Auberger : J’ai siégé vingt et un ans dans cette Commission et mes anciens collègues savent que je n’ai jamais été un adepte de la langue de bois !

Je n’ai pas pris de notes précises mais, d’après mes souvenirs, j’ai entendu parler pour la première fois de l’intention de la CDC de prendre une participation dans EADS le matin du 4 avril 2006, lors de notre petit-déjeuner bimensuel, auquel participaient ce jour-là M. Jean Sebeyran, directeur général par intérim et secrétaire général de la CDC – qui remplaçait M. Francis Mayer, hospitalisé –, M. Dominique Marcel, directeur financier, et ma directrice de cabinet. Si mes souvenirs sont exacts, il n’était pas encore question du taux de 2,25 % ; il me semble que M. Marcel a alors évoqué une fourchette de 1,5 à 2,5 % et que M. Mayer y réfléchissait. On m’a dit que le montage de l’opération était assez complexe et qu’il était présenté par IXIS CIB, banque de financement et d’investissement appartenant au groupe de la Caisse nationale des caisses d’épargne.

Je crois me souvenir que j’ai demandé si le ministre de l’Économie et de finances ou son cabinet avait été informé de cette intention, non pas d’ailleurs pour des considérations de prix ou de quantum qui relèvent en effet de la compétence du directeur général, sous réserve des objections de la commission de surveillance ; la gouvernance de la CDC n’impose pas au directeur général de soumettre ses prises de participation au ministère.

Le Président Didier Migaud : Et quelle réponse vous a été apportée ?

M. Philippe Auberger : Je précise les raisons pour lesquelles j’ai formulé cette question. À l’époque, je crois me souvenir que j’ignorais l’existence de la SOGEADE et la vocation de l’Agence des participations de l’État (APE) à suivre les comptes d’EADS. Cette société procédant d’un accord franco-allemand, j’étais cependant conscient de la nécessité de respecter un certain équilibre, d’autant qu’elle œuvre dans les domaines sensibles de l’aéronautique, du spatial et du militaire.

Je crois me souvenir que l’on m’a répondu que l’information auprès du ministère était en cours. Si le directeur général m’avait demandé mon opinion, je lui aurais recommandé d’avertir le ministre, mais il n’est malheureusement plus là pour témoigner.

La commission de surveillance s’est réunie le 5 avril et je me suis étonné que le compte rendu n’évoque pas cette affaire. Dans les questions diverses, j’ai pourtant demandé s’il était opportun d’aborder le dossier EADS et il m’a été répondu que c’était prématuré ; la cassette de l’enregistrement de la réunion en atteste. Je précise que, d’après la gouvernance, c’est le directeur général qui rapporte sur tous les sujets, la commission de surveillance n’émettant qu’un avis sur ses propositions.

Il semble que l’opération n’était effectivement pas encore faite. Il existerait une lettre d’intention signée le 28 mars. Le 5 avril, Lagardère rend public un communiqué annonçant le déclenchement de l’opération, ce qui signifie qu’il a obtenu le feu vert de la SOGEADE et que l’État a décidé de ne pas lever son droit de préemption. La prise ferme d’IXIS CIB, d’après mes informations, intervient le 6 avril, mais, à cette date, l’identité des acquéreurs n’est sans doute pas encore déterminée dans le détail. D’après mes informations, la CDC aurait conclu avec IXIS CIB le 12 avril.

Le Président Didier Migaud : D’où tenez-vous ces informations ?

M. Philippe Auberger : D’un rapport, rédigé à ma demande par Pierre Hériaud et dont je dirai un mot tout à l’heure.

L’affaire est évoquée devant la commission de surveillance le 26 avril 2006, en présence de M. Mayer. Elle est présentée comme une opération de portefeuille normale, comparable à celle évoquée le même jour concernant Eiffage.

Ensuite, les cours d’EADS subissent une chute très importante et M. Forgeard est auditionné par la commission des Finances et la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale. Voyant l’agitation qui commence à se manifester et les risques potentiels de délit d’initié évoqués dans la presse, je demande à Pierre Hériaud d’examiner l’opération dans le détail afin de déterminer si son évaluation ou son déroulement avaient donné lieu à des problèmes. Cette demande est confirmée le 21 juin 2006 en réunion de la commission de surveillance.

Dans son rapport, qui recueille l’aval de la commission de surveillance le 12 juillet 2006, Pierre Hériaud garantit que l’opération a été menée dans des conditions tout à fait régulières. Il souligne notamment que l’évaluation des titres a résulté de deux notes d’analyse financière élaborées respectivement par les banques Morgan Stanley et JP Morgan, et que l’opération a été conduite aux conditions du marché de l’époque.

Il convient d’éviter d’émettre une interprétation trop ramassée du compte rendu du 12 juillet 2006. Autant que je me souvienne, c’est lors du conseil d’administration de la SOGEADE du 3 avril 2006 que l’État aurait dit à Lagardère qu’il n’entendait pas utiliser son droit de préemption, en conséquence de quoi Lagardère pouvait vendre, par l’intermédiaire d’IXIS CIB, à qui il l’entendait parmi les opérateurs français. En tout cas, le 4 avril au matin, la CDC ne savait pas quelle proportion de la capitalisation d’EADS elle achèterait. Et je répète que l’État n’avait pas à donner d’autorisation à la CDC mais qu’il était logique de le tenir informé, compte tenu du caractère stratégique du secteur.

M. Pierre Hériaud : Philippe Auberger m’a en effet demandé, en qualité de président du CECR, d’examiner la situation d’un peu plus près, car, après le 4 avril, nous avions observé l’évolution des cours et des process industriels. J’ai donc rédigé une note dont les conclusions ont été suivies par la commission de surveillance.

Je vous signale d’emblée que ses trois réunions successives se sont tenues en présence du directeur général du trésor et de la politique économique ou de son représentant mais que ceux-ci sont restés totalement muets. L’objet de la note était de déterminer les conditions de réorganisation d’une opération d’acquisition de capital d’EADS et ses conséquences en termes de risque financier sur le patrimoine de la CDC.

Cette note rappelle qu’il s’agit d’une opération de marché résultant d’un contrat passé avec la banque d’investissement IXIS CIB, signé le 28 mars 2006. L’opération s’est déroulée le 6 avril 2006 – c’est-à-dire postérieurement au 4 avril – sur un prix réfèrent de 32,60 euros l’action. Lagardère était détenteur de 15 % du capital d’EADS, l’État de 15 % et les Allemands de 30 %.

Le montage, complexe, visait à faire bénéficier le vendeur d’un intéressement éventuel en cas de hausse du titre EADS, avec une émission d’obligations remboursables en actions à parité ajustable (ORAPA). IXIS CIB a souscrit à cette opération en gardant 2,5 % des parts et en mettant les 5 % restants sur le marché, dont 2,25 % ont été pris par la CDC. Les actions étant valorisées à 32,60 euros pièce, les 18 399 000 actions reprises par la CDC représentaient un peu moins de 600 millions d’euros. Il s’agissait d’un achat à terme faisant passer le nombre de parts détenues par la CDC de 0,58 à 2,83 %, mais après trois ans, au terme de trois échéances, pour un tiers du total chacune, en 2007, 2008 et 2009.

IXIS CIB a confirmé à la CDC la vente et l’achat à terme d’actions EADS le 12 avril 2006 après une lettre d’engagement du 28 mars 2006. En voici les modalités prévues : les dates de conclusion et de commencement sont fixées aux 12 et 11 avril 2006 ; le nombre total d’actions cédées, ajusté le cas échéant, est de 18 399 000, pour une valeur de 599 807 400 euros ; pour chaque tranche, le nombre d’actions cédées sera égal au tiers du nombre total d’actions ; la devise est l’euro ; l’organisme de compensation est Euroclear France ; à l’échéance, le prix de vente d’une action est déterminé en fonction d’un calcul de taux d’intérêt ; les dividendes ne sont connus qu’à la fin de chaque exercice ; au terme de l’opération, le prix peut différer légèrement par rapport au montant de 32,60 euros.

Quel est l’environnement économique de l’opération ?

Fin mars, début avril, le prix de l’action s’établit à 33 euros. Les cabinets d’audit Stanley Morgan et JP Morgan tablent à terme sur 27, 33 ou 45 euros selon les scénarios. La valeur de 32,60 euros est donc conforme au cours du marché. Il faut resituer le mouvement de baisse de l’action EADS dans le contexte boursier de l’époque : depuis le 1er janvier 2006, le CAC 40 a connu des évolutions contrastées, avec une chute de 5 200 à 4 700 points, suivie, fin juin et début juillet – c’est-à-dire au moment où je rédige la note –, d’une remontée à 4 900 points. Ainsi, le 30 juin 2006, l’indice est en progression, à onze heures, de 1 % à 4 929 points et même, à dix-sept heures quarante-cinq, de 1,75 % à 4 965 points. Dans ce mouvement de grande amplitude, le titre EADS a plongé de 30 à 16,75 euros à la mi-juin pour remonter à 22 euros. Avec 30 % de perte sur 600 millions d’achat, il faut passer 180 millions de provision – dans les faits, 191 millions. Si la cotation remonte, une partie des provisions peut être annulée.

Tout le problème, c’est l’exposition de la CDC au risque de placement. Comme je l’indiquais en conclusion de la note, c’est sur ce point que nous avons cherché à y voir clair, avec les services de la maison, à la lumière d’éléments techniques relatifs à l’environnement économique et financier du moment, à l’entreprise EADS et à sa valorisation compte tenu des analyses effectuées par les cabinets d’audit, à la nature et au montage de l’opération de marché, au contrat passé le 28 mars entre IXIS CIB et la CDC, à la valorisation de l’action à 32,60 euros, à l’évolution du cours de l’action dans une période de crise de gouvernance d’EADS, au montant des provisions à passer en comptabilité et aux reprises éventuelles. La note, qui s’efforce de répondre à ces questions, a été présentée à la commission de surveillance et à son président.

M. Augustin de Romanet : Je vous remercie de votre invitation, qui donne l’occasion de revenir en détail sur cette opération d’acquisition de 2,25 % de titres EADS. J’en profiterai pour vous annoncer une initiative relative à la gouvernance de la CDC. Vous me pardonnerez de lire un document de temps à autre car je vous dois la précision.

La CDC a été contactée, dès janvier 2006, pour participer à l’acquisition d’une partie des titres EADS. Francis Mayer, après instruction par ses services, a pris la décision, le 28 mars, de s’engager à acquérir 2,25 % des titres mis en vente. Ces titres n’ont pas été acquis directement auprès de Lagardère mais auprès d’IXIS CIB, qui a structuré l’opération. La vente a été rendue définitive le 12 avril 2006. L’investissement a pris la forme d’un achat à terme au prix de 32,60 euros par action, dont les échéances de livraisons étaient prévues en juin 2007, en juin 2008 et en juin 2009.

Le Président Didier Migaud : Par qui la CDC a-t-elle été contactée en janvier 2006 ?

M. Augustin de Romanet : Par des banques conseils.

Sur quoi se fondait la décision d’acquisition ?

Ne perdons pas de vue le contexte dans lequel est née cette opération de marché, conduite en s’appuyant sur toute l’information financière disponible à l’époque. Le potentiel de hausse du titre faisait consensus : la moyenne du cours cible pour les analystes externes s’établissait à 36 euros ; le flottant allait augmenter sensiblement, ce qui constituait un autre facteur haussier ; le souhait de vendre exprimé par M. Lagardère, connu du marché, constituait un overhang, une épée de Damoclès ; personne ne comprenait qu’EADS, en duopole avec Boeing, dégage une valorisation inférieure de 20 %. Cette bonne appréciation a été confirmée par la facilité avec laquelle Daimler a cédé ces propres titres, en trois heures de temps. Enfin, l’investissement apparaissait cohérent avec la politique d’investisseur de long terme de la CDC, le secteur aéronautique présentant les caractéristiques d’un cycle long.

Trois éléments particuliers ont donné lieu à commentaires.

Premièrement, ne nous trompons pas de débat. Dans cette opération, la CDC est une double victime présumée : en tant qu’actionnaire préexistant, victime présumée d’un délit d’initié ; dans le cadre de l’achat du bloc d’actions, victime présumée d’un délit de fausse information financière. C’est en raison de mon devoir de défense des intérêts de la CDC que j’ai déclaré, le 24 mai dernier, que nous nous joindrions aux procédures qui en découleraient si les enquêtes en cours démontraient des présomptions de délits.

Deuxièmement, à propos de la gouvernance, nous devons nous méfier de tout anachronisme.

Mon prédécesseur a respecté les mécanismes de gouvernance. Les services de la CDC ont été contactés par des conseils. Francis Mayer a décidé, le 28 mars 2006, d’acquérir 2,25 %. Le président de la commission de surveillance en a été prévenu le 4 avril. Ce dernier l’a évoqué très rapidement à la fin de la commission de surveillance du 5 avril, comme l’atteste l’enregistrement des débats. La commission de surveillance a été informée dans le détail le 26 avril, lors de sa séance suivant immédiatement la formalisation juridique de l’achat des titres, en date du 12 avril. Aucun membre de la commission de surveillance n’a émis d’observation ou posé de question lors des séances du 5 avril et du 26 avril ; n’oublions pas qu’à l’époque cette opération ne suscitait aucun débat, d’autant que l’État lui-même avait marqué son attachement à EADS en ne vendant pas ses propres titres.

La commission de surveillance, le 21 juin, a demandé à « examiner la manière dont s’est déroulé le processus d’acquisition, et à vérifier que les intérêts de la Caisse des dépôts ont été correctement pris en compte » ; cette mission a été confiée à M. Pierre Hériaud, qui vient de vous en rendre compte. Le 12 juillet, M. Hériaud a présenté sa note aux membres de la commission de surveillance – elle leur avait été diffusée avant la séance – et le procès-verbal public des débats atteste que deux membres de la commission ont formulé des observations sans remettre en cause l’opération.

La CDC a agi dans le cadre de ses procédures normales, de manière autonome, et je vous confirme qu’elle n’a reçu ni demandé aucune instruction des pouvoirs publics. D’ailleurs, alors en fonction à la Présidence de la République, je précise que mes collaborateurs et moi-même avons appris cette acquisition une fois qu’elle a été rendue publique, comme il se doit pour une opération de marché.

Ce point étant acquis, une question théorique se pose : le ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie aurait-il pu ou dû dissuader la CDC d’effectuer cet achat ? Soit il disposait d’informations particulières, et, en tout état de cause, il n’avait alors pas à les répercuter à la CDC plutôt qu’aux autres investisseurs acquéreurs des 15 % mis sur le marché. Soit il ne savait rien de particulier, et il n’avait alors pas de motif de mettre en garde la CDC face à un investissement justifié au vu de conditions du marché.

Pour tirer les enseignements de cet événement et dissiper tout doute sur les conditions d’intervention de la CDC, j’ai décidé de proposer la mise en place d’un comité des investissements.

Depuis quelques jours, refait surface un marronnier : le débat sur la gouvernance de la CDC. À cet égard je rappelle tout d’abord que l’originalité de la gouvernance de la CDC est le reflet de l’originalité de l’établissement lui-même et de ses missions : par son statut, il est placé par la loi « de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative ». Cette gouvernance a fait ses preuves cent quatre-vingt-onze ans durant, par-delà les changements de régimes politiques et les crises. Cette stabilité a été un facteur favorable au mouvement. En tout cas, la CDC ne manque pas de contrôles. Comme l’a déclaré M. Pierre Simon, président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP), membre de la commission de surveillance, il n’existe pas d’autres exemples, dans les secteurs public et privé, de contrôles aussi assidus et approfondis.

La commission de surveillance est composée de personnalités indépendantes : quatre parlementaires, le président de la CCIP, de hauts fonctionnaires, de hauts magistrats, le gouverneur de la Banque de France. Elle se réunit deux fois par mois, soit vingt-deux séances en 2006. Elle s’est dotée de comités spécialisés, qui se sont réunis seize fois en 2006.

La CDC est aussi soumise au contrôle de la Cour des comptes. Chaque fois qu’elle reçoit un mandat de l’État, une instance de gouvernance et de contrôle spécifique est mise en place. Enfin, nous sommes régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

Cela signifie-t-il que rien ne doit changer ? Non. Comptable de la transparence et de l’efficacité des interventions de la CDC, je suis favorable à toute évolution renforçant la clarté de son action. Les interrogations sur le rôle et sur le mode de décision de la CDC montrent que des progrès peuvent être faits.

S’agissant du rôle de la CDC, nous devons toujours mieux expliquer son action. C’est tout le sens du travail sur la lisibilité de son intervention que j’ai entrepris depuis mon arrivée.

En acquérant ces titres EADS, la CDC intervenait comme investisseur de long terme, attentif à accompagner des entreprises, grandes ou petites, sur la durée. Compte tenu du cycle aéronautique, c’était une décision stratégique qui l’engageait à moyen terme car elle ne devrait pas revendre ses titres avant de très longues années. Il faut donc lire et commenter l’acquisition à l’aune de ce critère et non à celle d’une opération financière de court terme. Comme le dit l’adage boursier un peu théorique mais vrai : « Tant qu’on n’a pas vendu, on n’a pas perdu. »

Cette fonction d’investisseur n’est peut-être pas assez lisible, j’avais eu l’occasion de le constater dès mon arrivée et de vous l’indiquer lors de mon audition du 25 septembre dernier. C’est l’une des raisons qui m’ont conduit à lancer le programme d’orientation stratégique Élan 2020, qui s’achèvera en décembre.

S’agissant des modes de décision, je suis également soucieux, depuis mon arrivée, d’en renforcer encore la clarté, sachant, je le répète, qu’aucune faute de gestion ne peut être imputée à la CDC dans cette affaire. Il me paraît néanmoins important de mieux encadrer les échanges d’information entre le directeur général et la commission de surveillance.

À cet effet, je propose, en accord avec M. Michel Bouvard, une amélioration de la gouvernance de la CDC. Il s’agit de créer, au sein de la commission de surveillance, un comité des investissements auquel seront soumises les opérations de marché les plus confidentielles. Ce comité sera notamment compétent pour examiner a priori les investissements les plus importants, comme celui qui est l’objet de notre discussion. Il n’y aura plus d’ambiguïté sur la systématisation de la réflexion collégiale.

Sur les autres aspects de la gouvernance, les pouvoirs publics m’ont invité à leur livrer des propositions, que je leur réserve. Il faut en tout état de cause bien mesurer ce qu’un nouveau système pourrait apporter. Je m’inscris pleinement dans le cadre tracé par M. Bouvard le 25 septembre : pas de banalisation de la gouvernance et maintien du périmètre du groupe.

M. Dominique Marcel : Je rappelle, ayant vécu cette affaire que, si la Caisse des dépôts a fait une mauvaise affaire, c'est parce qu'elle a été placée dans une situation de mauvaise information du marché, car si nous avons eu des informations, elles étaient tronquées.

Le Président Didier Migaud : Pourtant cette fameuse note de l’APE, qui ne semble pas partager le consensus de marché, date du mois de janvier…

Pourquoi l’APE peut-elle conclure que le marché n’est pas favorable et qu’il faut vendre, alors que dans le même temps vos analystes vous expliquent qu’il vaut mieux acheter ?

M. Augustin de Romanet : Dans la déontologie de la profession réglementée d’analyste financier, on a le devoir de rendre publiques toutes les informations que l’on peut connaître. Dès lors que le consensus des analystes considère le 30 mars que le cours cible est à 36 €, on doit considérer que tout ce qui a été accessible aux spécialistes est connu du public ; c’est cela l’information du marché.

M. Dominique Marcel : Je souhaite également expliquer pourquoi nous avons choisi d’investir dans EADS.

Le directeur général estimait que nous étions sous pondérés dans cette entreprise stratégique dont nous disposions de 0,56 % du capital. Il était donc logique que depuis quelques mois nous nous intéressions à cette valeur, dont on pouvait penser, sans avoir aucune information précise à ce propos, que l’actionnariat allait évoluer.

Aurait-on d’ailleurs préféré que des fonds chinois ou des Hedge Funds prennent la participation cédée, plutôt que la Caisse des dépôts ? Et cette dernière n’est-elle pas dans son rôle d’investisseur de long terme quand elle réalise ce type d’opération ? En effet c’est bien sur le long terme qu’il faut insister : pour l’instant, la Caisse porte une perte latente. Bien évidemment, il aurait mieux valu acheter quand on a su les mauvaises nouvelles, mais il est bien facile aujourd’hui de prévoir le passé…

Il est vrai que le sujet est un peu plus sensible dans la mesure où nous avons été en déficit d’information sur la réalité et où nous sommes donc en position de victimes. Mais si d’aucuns considèrent que la Caisse n’a pas à prendre ce type de participation, dans ce cas à quoi sert-elle ?

Tout a été dit sur les conditions de l’opération qui a été menée par mon équipe et pilotée par Francis Mayer. Celui-ci était malade, mais il avait la pleine possession de ses moyens intellectuels. La situation n’était pas simple ; toutefois il a suivi cette affaire et, maintenant qu’il est mort, il est indécent de broder sur ce qu’aurait pu faire et ce qu’aurait pu dire le directeur général de la Caisse des dépôts. Qui plus est ce qui est dit ne correspond pas à la réalité.

S’agissant de la mauvaise affaire qu’aurait réalisée la Caisse, je rappelle que nous avons pris toutes les précautions et que nous avons intégralement provisionné cette opération. Nous n’en avions pas l’obligation et cela représente à ce stade un coût net d’environ 120 millions d’euros, qui figure intégralement dans nos résultats 2006.

En dépit de ce coût, ces résultats ont été tout à fait corrects, avec un rendement de notre portefeuille équivalent et même légèrement supérieur à celui du CAC 40. Malgré certaines contraintes qui pèsent sur ce portefeuille, depuis 15 ans, son rendement est nettement supérieur à celui du CAC 40. Cela montre que notre gestion est avisée, même si ne nous ne pouvons bien évidemment pas tout prévoir. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls ; n’oublions pas que l’opération s’est réalisée rapidement sur le marché en Allemagne et que le reste des titres a trouvé preneur en France. Il est vrai que l’on remarque davantage ce que fait la Caisse. Cela étant, ce sont aussi la taille de son bilan, la structure et la stabilité de ses ressources qui lui permettent de mutualiser les risques, de s’engager sur des montants aussi importants plus facilement que d’autres investisseurs, ce qui est quand même fort utile à l’économie du pays.

Pour répondre à Philippe Auberger, j’ai effectivement informé, au cours du petit-déjeuner du 4 avril, le président de la commission de surveillance de cette opération. Celle-ci avait été juridiquement conclue le 28 mars, puisque j’avais signé un engagement ferme de la Caisse d’acquérir ces titres, à la condition que l’opération se déroule également en Allemagne, le prix de marché dépendant directement du prix allemand. En effet, lorsque nous avons décidé de participer à cette opération, nous avons mis comme condition que nous ne soyons pas seuls – on imagine ce que l’on dirait aujourd’hui si tel avait été le cas… – et que cela se fasse au prix du marché. Une fois ces conditions remplies, nous avons donc signé logiquement l’acquisition définitive des titres.

De mémoire, j’ai dit au président de la commission de surveillance que l’opération n’étais pas définitivement bouclée, tout simplement parce que c’était ce que nous disait la banque IXIS, à partir d’éléments dont nous n’avions pas connaissance. En revanche, je ne crois pas lui avoir dit que nous n’étions pas sûrs du niveau de participation.

S’agissant du procès-verbal, je rappelle qu’il s’agit d’un résumé et que tous les propos tenus n’y sont donc pas cités. Et quand ce procès-verbal rapporte que l’on a dit que l’on pouvait y aller, cela signifie simplement que l’on considérait que toutes les formalités et toutes les conditions du pacte d’actionnaires de la SOGEADE avaient été remplies. Si j’ai dit au président Auberger que les « autorisations » étaient en cours, c’est parce qu’il existait un pacte d’actionnaires avec la SOGEADE et que, dès lors, le cabinet et le ministère étaient forcément au courant, non pas de la participation de la Caisse des dépôts, mais de l’existence d’une opération de ce type au sein d’EADS.

Pour ce qui concerne la Caisse, ni le directeur général, que je voyais durant cette période deux fois par jour à l’hôpital pour lui rendre compte de tout ce qui se passait, ni moi-même n’avons reçu d’un quelconque organe des pouvoirs publics la moindre instruction ni la moindre orientation.

M. Henri Emmanuelli : Ni la moindre information ?

M. Dominique Marcel : Je parle d’instructions et d’orientations.

Par ailleurs, pour les raisons qu’a indiquées le directeur général, nous n’avons pas souhaité informer l’État de cette opération. Tout simplement parce que nous étions avec d’autres investisseurs dans une opération de marché sur une société cotée. Dans quelle situation serions-nous aujourd’hui, l’État comme nous, si nous l’avions informé ? Il eut été très dangereux que l’État donnât un conseil à la Caisse des dépôts et pas aux autres investisseurs. En effet, même si la Caisse est une institution publique, elle est aussi un investisseur institutionnel, qui agit en conformité avec les règles boursières dont on sait qu’elles sont très exigeantes - j’espère que les conclusions des enquêtes en cours le confirmeront...

L’exigence de confidentialité était totale. Au sein de la Caisse, j’ai pris avec mes équipes le maximum de précautions, c’est pour cela que nous n’étions pas très nombreux à être informés et que nous n’en avons parlé qu’au dernier moment au président de la commission de surveillance.

Je réaffirme donc avec force que nous n’avons pas reçu d’instruction et que nous n’avons jamais informé l’État. Je crois que c’était bien comme cela.

Le Rapporteur général : Ces exposés très clairs montrent la cohérence de l’investissement de la Caisse dans EADS par rapport à sa politique générale d’investissement stratégiques.

Il apparaît par ailleurs que, compte tenu de ses dates de réunion et des informations dont elle disposait aux différentes étapes, la commission de surveillance a parfaitement rempli sa mission. La note très claire de M. Heriaud en témoigne : la commission a été informée pour la première fois lors de sa réunion du 5 avril et elle a réagi extrêmement rapidement par rapport à la dégradation du cours de bourse. Le seul point sur lequel on peut donc faire des observations est l’articulation entre le fonctionnement et les responsabilités de la commission de surveillance et ceux de la direction générale. La suggestion de créer un comité d’investissement pour que la commission de surveillance se prononce préalablement sur ces décisions d’investissement paraît donc bonne.

En effet, lorsque la commission est informée pour la première fois le 5 avril, le montage est totalement bouclé depuis la lettre d’engagement du 28 mars et la décision est en fait prise. Cet engagement achève un processus engagé par la direction générale dès le mois de janvier et qui conduit à un accord d’une très grande complexité. Je souhaiterais savoir à ce propos quelle a été exactement l’articulation entre IXIS, qui était encore il y a peu une filiale de la Caisse, et son client CDC.

Le contrat passé avec Lagardère est très intéressant pour ce dernier, qu’il garantit contre d’éventuelles baisses du marché, le paiement se faisant par échange d’obligations sur trois ans avec une garantie du prix de référence à chacune des échéances annuelles et avec révision à la hausse si jamais le prix devait passer au-delà de 32,70 euros, dans une limite de 115 %. Cela permet également de toucher les dividendes tant que les actions n’ont pas été échangées. L’aspect fiscal était aussi intéressant puisque 2007 est la première année d’exonération totale, après l’exonération progressive des plus-values sur les titres de participation que nous avons adoptée il y a quatre ans.

Cette cession a donc fait l’objet d’un processus très approfondi. L’audition qui s’est tenue au Sénat vendredi dernier a montré qu’une réunion officielle a eu lieu à la direction du Trésor le 20 mars pour examiner les conditions d’une cession par EADS et Lagardère à d’éventuels preneurs. Or c’est huit jours plus tard qu’a été signée la lettre d’engagement…

Il est évident que l’État, en tant que membre de la commission de surveillance, a bénéficié des mêmes informations a posteriori que celles qu’a évoquées Philippe Auberger. En revanche, dans le processus en amont, comment imaginer que l’État n’ait pas été tenu au courant ?

M. Jérôme Cahuzac : On connaît le montant et le calendrier de l’opération elle-même et l’on sait, comme vient de le rappeler Gilles Carrez, que la hausse peut se répercuter sur le prix final, mais pas la baisse. Il serait intéressant de savoir qui a décidé de modalités aussi asymétriques, dans lesquelles le risque n’est porté que par l’acheteur, tandis que les avantages ne profitent qu’au vendeur.

On vient de nous expliquer de façon assez appuyée que la Caisse était à l’époque persuadée de faire une bonne affaire. Pourtant, dans les deux estimations citées dans la note de M. Heriaud, celle de J.P. Morgan n’exclut pas une baisse de 20 % du cours. Qui plus est, dès le mois de décembre précédent, l’APE avait recommandé à l’État de céder sa participation. Or, le directeur général l’a rappelé, la profession d’analyste est réglementée et tout ce que disent les analystes est supposé être connu de tous. Cependant, dans ce cas, comment se fait-il que les responsables de la Caisse, en particulier son directeur financier, n’aient pas eu connaissance de ce que tout le monde savait ?

Si la Caisse a par ailleurs une autre conception de son rôle d’investisseur de long terme, existe-t-il d’autres exemples d’un investissement de cette ampleur dans des entreprises stratégiques ? Si tel est le cas, dans quelles conditions la CDC a-t-elle pu entrer dans leur capital ? N’a-t-elle jamais informé l’État de sa prise de participation dans des entreprises stratégiques ?

Enfin, quelles ont été les banques françaises qui ont contacté la Caisse, voire qui l’ont encouragée à procéder à cette acquisition ? HSBC est-elle du nombre ?

M. Charles de Courson : Le problème n’est pas l’augmentation de la participation de la Caisse de 0,58 à 2,83 %, mais la date et le prix auxquels cela a été fait.

Les informations qui ont entraîné l’effondrement du cours de l’action EADS, c’est-à-dire le dérapage du planning de la construction de l’A380, étaient connues. En tant que rapporteur spécial du budget des transports aériens, je puis témoigner que Noël Forgeard, qui était alors le patron d’EADS, m’a dit que cela se savait depuis des mois et que le sujet avait même été abordé en conseil d’administration. L’APE, qui représente l’État au sein du groupe, était donc parfaitement au courant de ce dérapage, qui était à l’époque de six mois et qui a atteint un an par la suite. Le problème, c’est que cela n’avait pas encore entraîné la chute de l’action, qui s’est en fait produite au cours de la période dont nous parlons. Néanmoins Noël Forgeard a aussi déclaré que tous les directeurs d’usine avaient affirmé pouvoir rattraper le temps perdu.

Ces événements posent la question de l’information des équipes de la Caisse. Pourrait-on nous dire concrètement quelles ont été les banques d’affaires qui ont apporté cette opération et à qui au sein de la Caisse ?

Par ailleurs, certains de vos collaborateurs vous ont-ils fait remonter l’information quant aux problèmes de planning de l’A380 dont la presse se faisait l’écho et dont on sait bien ce qu’ils coûtent à une entreprise ?

Enfin, le directeur du Trésor est membre de la commission de surveillance et il était pour sa part parfaitement au courant puisqu’il participe aussi au conseil d’administration de la SOGEADE, qui a évoqué ces problèmes à plusieurs reprises. A-t-il dit quelque chose à ce propos lors des réunions de la commission de surveillance ?

M. Jérôme Chartier : M. de Romanet a rappelé à juste titre que la Caisse des dépôts est placée sous la protection du Parlement. En fait, il suffirait, pour que cette protection soit complète, que le Parlement nomme son directeur général, j’espère que tel sera prochainement le cas.

Que M. Marcel ne se méprenne pas : la commission des Finances ne souhaite culpabiliser personne, elle veut simplement comprendre. Aussi, aimerais-je savoir quelles ont été les différentes étapes entre le moment où la Caisse des dépôts a été contactée, au mois de janvier, et celui où elle a signé la lettre d’engagement, fin mars.

Pouvez-vous également me dire s’il y a eu des contacts directs entre Arnaud Lagardère et Francis Mayer ?

Enfin, pourquoi le taux du coupon de l’ORAPA est-il de 7,9 %, ce qui est relativement élevé. Cela est-il lié au mécanisme d’intéressement à la hausse du cours de l’action EADS ?

M. Gérard Bapt : Je veux, moi aussi, insister sur les conditions très avantageuses de la cession pour le groupe Lagardère.

Par ailleurs, si le ministre a été informé dès le 5 octobre par Lagardère et Daimler de leur intention de vendre, il est assez surprenant qu’il ne se soit intéressé qu’à partir du mois d’avril à cette opération qui touchait pourtant un secteur stratégique et sensible.

Dans la mesure où la Caisse jouit d’une indépendance complète et où elle n’est soumise à la surveillance et à la garantie que de l’autorité législative, il serait intéressant de savoir si des représentants du gouvernement siégeront au sein du futur comité des investissements. Je pose cette question tout simplement parce que j’ai lu hier dans la Gazette du Midi, à propos d’une prise de participation possible de la Caisse, une déclaration de son directeur régional selon lequel cela se fera à l’échelon central et « en liaison étroite avec Bercy et l’Élysée »…

M. Jean-François Lamour : D’après ce qui vient de nous être dit, les principes de gouvernance ont été respectés tout au long de la procédure.

Je souhaite néanmoins que vous nous disiez, M. Marcel, si les banques d’affaires qui ont sollicité la Caisse l’ont fait sous mandat d’IXIS.

Par ailleurs, vous êtes-vous retournés vers JP Morgan et Morgan Stanley pour comprendre pourquoi ces deux analystes s’étaient trompés aussi lourdement. Que vous ont-ils répondu, en particulier à la lumière de la note de l’APE ? À l’occasion de la récente audition de la commission des Finances sur les subprimes et la crise immobilière aux États-Unis, nous avons vu que le cloisonnement entre les analystes et les banques d’affaires n’était pas toujours aussi rigoureux qu’on le pensait. À votre connaissance, ces deux analystes, qui sont également des banques d’affaires, ont-ils des liens avec certains actionnaires d’EADS ? Enfin, si vous n’avez pas obtenu de réponse satisfaisante à ces questions, avez-vous changé d’analystes ?

M. Henri Emmanuelli : Je rejoins la proposition de M. Chartier : le directeur général de la Caisse devrait être nommé par le Parlement, à la majorité qualifiée. Il est en effet un peu archaïque et bancal qu’il soit désigné en conseil des ministres alors que la Caisse est placée sous l’autorité du pouvoir législatif.

Je suis par ailleurs surpris d’une transaction dans laquelle tous les risques sont pour l’acheteur, qui se prive par avance de toute possibilité de gain, et aucun pour le vendeur. Une telle opération a-t-elle un nom en termes boursiers ?

Compte tenu du fait que l’APE a émis une note le 2 décembre 2005, compte tenu de ce que la SOGEAD est une société holding dont l’État détient la moitié du capital, compte tenu de la nature du ministère des finances et de la surface de la place de Paris, vous paraît-il pensable, s’agissant d’une opération en cours depuis janvier 2006, que ni la direction du Trésor ni le cabinet du ministre n’aient eu connaissance de votre intention d’acheter ?

M. Louis Giscard d’Estaing : Je m’interroge sur le calendrier.

Le 4 avril, le président de la commission de surveillance pose la question et on lui répond qu’il y a une « intention », alors que la lettre d’engagement est signée depuis le 28 mars. D’après le président de la commission de surveillance, lors de la réunion du 5 avril, il lui a été dit qu’aborder cette question paraissait prématuré. Le lendemain, 6 avril, la transaction a lieu, au cours de 32,60 euros l’action.

Par ailleurs, il a été dit que les représentants de la direction du Trésor avaient été muets. S’agit-il d’un comportement habituel de leur part ?

S’agissant enfin de l’opération de marché, est-il normal dans une cession d’une telle importance, de ne prévoir qu’une clause d’intéressement à la hausse ?

M. Gaétan Gorce : Il apparaît que le Gouvernement ne pouvait pas ignorer l’intention de certains actionnaires de vendre une partie de leur participation. Il ne pouvait pas non plus ignorer les difficultés dans lesquelles se trouvait EADS et les conséquences que cela pouvait avoir sur le cours des titres. Nous savons également que la Caisse des dépôts n’a pas informé le gouvernement de son intention d’acheter.

On continue toutefois à se demander pourquoi l’État ne s’est pas préoccupé pendant six mois de la façon dont la vente des actions pourrait intervenir, donc de l’évolution de l’actionnariat de l’entreprise. Il serait intéressant de savoir quels autres investisseurs institutionnels se sont porté acquéreurs du reste des actions. Combien ont-ils été et combien d’acheteurs potentiels existait-il sur la place ? La réponse permettrait de savoir si l’État ne pouvait vraiment pas être informé, d’une manière ou d’une autre, que la Caisse des dépôts ne pourrait pas faire autrement que de se porter acquéreur.

M. Camille de Rocca Serra : On a en effet l’impression qu’en raison de l’étanchéité liée au statut de la Caisse, cette dernière n’a pas eu à donner d’information sur l’opération. Cependant on peut aussi se demander si une rétention d’information n’a pas gêné la prise de décision : certains connaissent mais n’agissent pas, d’autres ne connaissent pas mais agissent. Je me demandais donc tout simplement si vous auriez agi de la même façon si vous aviez eu connaissance des informations.

M. Augustin de Romanet : Le rapporteur général s’est demandé pourquoi l’État n’était pas au courant le 28 mars. Dans les dispositions de gouvernance de la Caisse, les opérations de marché ne font pas l’objet d’un comité d’engagement spécifique et il n’y a pas de formalisation des contacts entre le directeur général et la commission de surveillance. Ainsi, lorsqu’un bloc de Véolia a été acheté il y a quelques années, cela s’est fait sans communication. C’est à cette insuffisance de communication que la proposition de créer un comité des investissements vise à remédier. Il faut que le directeur général et le président de la commission de surveillance soient incités à une coopération sans faille.

Je réponds d’ailleurs à M. Bapt qu’afin d’éviter que l’État ne soit juge et partie, il conviendrait sans doute qu’il ne soit pas représenté au sein de ce comité des investissements, dont j’imagine qu’il pourrait être présidé par le président de la commission de surveillance et composé du président du comité des risques et d’un autre membre compétent pour ses qualités économiques et financières, et dont le directeur général pourrait être le rapporteur.

M. Philippe Auberger : En raison de son statut spécifique, la Caisse des dépôts de relève en aucun cas de l’APE. Nous n’avions donc pas eu connaissance des notes de cette dernière. Les deux institutions sont totalement étanches, Francis Mayer y tenait.

Le directeur du Trésor ou son représentant est systématiquement présent à toutes les réunions de la commission de surveillance, mais il a le même statut que les autres membres, au regard des informations données comme de tout le reste.

Je confirme qu’au cours des différentes réunions où il a été question de cette prise de participation, la direction du Trésor n’a pas souhaité prendre la parole.

M. Henri Emmanuelli : Le Trésor est à la commission de surveillance et il est très proche de l’APE. Sauf à ce que son représentant soit sourd, l’État est donc informé chaque fois que la Caisse des dépôts va procéder à un achat.

Le Président Didier Migaud : Vous pourrez dès cet après-midi poser directement la question au directeur général du Trésor.

M. Dominique Marcel : Cette opération nous laisse plutôt un mauvais souvenir, même si nous sommes plutôt confiants quant aux perspectives à long terme de cette belle entreprise stratégique pour la France comme pour l’Europe. Il ne faut pas oublier qu’au moment de cette affaire, nous étions engagés dans une bataille avec la CNCE, dans laquelle nous avons d’ailleurs bénéficié de l’appui de votre commission des finances.

Dans cette opération, IXIS n’est pas une banque conseil, mais une banque intermédiaire. Nous avons eu des liens avec cette banque qui s’est développée au sein de la Caisse, mais qui ne se situe plus aujourd’hui dans le groupe. C’est donc IXIS qui est intervenue à partir du 15 janvier, avec Lazard. Plus rien ne s’est ensuite passé avant le 15 mars. Nous n’avons eu de contacts ni avec l’équipe opérationnelle de Lagardère ni avec l’équipe d’EADS.

Nous n’avons mandaté ni PJ Morgan, ni Morgan Stanley spécialement ; les notes des deux établissements mentionnés nous ont été fournies, parmi d’autres. Nos équipes de gestion ont étudié cette valeur, regardant l’ensemble de la littérature des analystes, le consensus, la moyenne, la dispersion, la structure et les perspectives financières de l’entreprise, et tous les commentaires sur EADS. C’est sur cette base que nous avons pensé pouvoir réaliser l’opération, pour des raisons stratégiques mais aussi financières, car nous nous préoccupons bien évidemment de notre intérêt patrimonial, notamment de long terme. Les analystes concluaient plutôt positivement. L’information sur les six mois de retard de l’A380 était parue dans la presse et connue des marchés, mais les problèmes de conception et de livraison de l’A350 et les nouveaux retards sur l’A380 n’ont été révélés que quelques semaines plus tard.

S’agissant des mécanismes assez particuliers et complexes mis en oeuvre, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’abord d’une opération entre Lagardère et IXIS. Lagardère émet des ORAPA (obligations remboursables en actions), qui sont souscrites par la banque, il touche le cash, il paie le coupon et il rembourse en trois tranches annuelles en actions. Il s’est agi en l’occurrence d’une opération de produits structurés, dans laquelle Lagardère a été intéressé à une hausse éventuelle des titres. Néanmoins, ce mécanisme n’est pas gratuit : la banque fait payer à l’émetteur le risque qu’elle prend en l’intéressant. Tout cela ne concerne ni la CDC ni les autres investisseurs.

Ce qui nous concerne, en revanche, c’est que, dans la mesure où il y a des obligations remboursables en trois tranches annuelles, nous sommes saisis d’une vente à terme : la banque, pour couvrir une partie de son risque, doit céder une grande partie des actions qu’elle reçoit le jour de l’opération. Pour notre part, nous avons simplement pris le risque que l’on prend dès lors que l’on achète une action, quelle qu’elle soit. Dès lors, qu’on achète au comptant ou à terme, ce risque est le même. Acheter à terme ne pose pas de problème particulier à la Caisse, qui a un horizon de détention long et qui a, en outre, bien négocié les conditions avec la banque. Dans l’achat à terme, on achète une action au comptant, sur la base du prix du marché, on paie un coût de portage puisqu’on n’a pas à déboucler la trésorerie, on enlève les dividendes et on retire aussi une commission que l’on a très bien négociée. Aujourd’hui, au regard de l’évolution des taux d’intérêt et le taux de cette commission, ces conditions nous ont permis d’obtenir un produit financier non négligeable.

Le Rapporteur général : Est-ce Lagardère qui a choisi IXIS ?

M. Dominique Marcel : J’ai toutes les raisons de le penser.

Nous n’avons pas couvert l’opération parce que cela serait très onéreux et que cela n’aurait aucun sens : cela voudrait dire que nous ne prenons plus un risque action, ce que nous recherchons en l’occurrence.

M. Jérôme Chartier : Vous avez quand même bénéficié du coupon.

M. Dominique Marcel : Non, c’est IXIS.

Je ne suis pas le mieux qualifié pour donner les noms des autres investisseurs. On nous a proposé des titres, la condition était que nous ne soyons pas seuls dans le tour de table et qu’une opération similaire soit conduite en Allemagne, mais on ne nous a pas dit quels seraient les autres souscripteurs. On a cité les noms, qui circulent d’ailleurs dans la presse, de grands institutionnels.

Francis Mayer n’a jamais fait allusion devant moi à des conversations qu’il aurait eues avec Arnaud Lagardère. Je sais simplement qu’il l’avait rencontré à l’automne, au même titre que d’autres grands patrons d’entreprise, ce qui est normal pour un directeur général de la Caisse. Il l’a en outre appelé après que l’opération a été conclue.

Pour revenir sur la chronologie, je précise que le 4 avril nous sommes déjà engagés juridiquement, même si cette procédure pouvait encore ne pas avoir lieu si les conditions n’étaient pas remplies.

Il ne m’est par ailleurs pas possible de répondre à la question de M. Emmanuelli sur la position de la direction du Trésor et du cabinet. Pour ma part, je me suis concentré sur l’opération menée par la Caisse des dépôts, dans un contexte dont j’ai dit combien il était difficile, avec une opération violente sur la CNCE et avec un directeur général souffrant.

Il ne m’appartient pas plus de répondre sur une éventuelle rétention d’informations. Si nous avions disposé d’éléments plus précis sur la situation d’EADS, nous aurions sans doute regardé le dossier d’un œil différent.

À plusieurs occasions dans le passé nous avons réalisé des opérations pour des montants élevés. Ainsi, nous avons pris une participation très importante dans Véolia, et nous en sommes très satisfaits. Globalement, nos opérations sont de très très loin plus positives que négatives et nous permettent d’enregistrer des plus-values élevées ; c’est heureux car c’est de l’argent du contribuable et de l’État qu’il s’agit. Nous pouvant également nous réjouir de l’importante participation que nous avons prise dans Eiffage, ainsi que de celle au sein du groupe Accor. Toutes ces opérations ont été conduites de la même manière, mais elles ne se présentaient pas tout à fait dans la même configuration. S’agissant d’une participation dans une entreprise stratégique comme EADS, je rappelle que nous sommes présents dans le capital de Thalès.

M. Michel Bouvard : Il existe aussi un fonds de placement pour les PME travaillant dans le secteur de la défense.

M. Charles de Courson : Je vous avais également interrogé sur l’attitude du représentant de la direction du Trésor lors des réunions de la commission de surveillance.

Le Président Didier Migaud : Vous pourrez poser directement cette question au directeur du Trésor.

M. Jean-Pierre Balligand : Je suis le seul élu de l’opposition à siéger à la commission de surveillance, après en avoir été le président. À ce titre je puis témoigner que les représentants de la direction du Trésor participent toujours très activement aux réunions, qu’ils parlent beaucoup, qu’ils prennent énormément de notes et qu’ils pèsent parfois de tout leur poids pour qu’une décision soit prise. On peut donc considérer que lorsque le représentant du Trésor ne parle pas, cela a une signification.

M. Augustin de Romanet : Comme le Président Balligand, je crois que le Trésor fait son métier. Tous ceux qui participent à des Conseils d’administration savent qu’ils ne peuvent pas tirer des conclusions définitives du fait que le procès-verbal ne mentionne pas une prise de parole.

M. Jérôme Cahuzac : M. Auberger a déclaré qu’il lui avait été indiqué fin mars – début avril qu’un caractère urgent était attaché à cette opération. Pouvez-vous le confirmer ?

M. Dominique Marcel : Nous avons commencé à travailler à cette opération d’envergure entre le 15 et le 20 mars et l’engagement a été conclu le 28. Il s’agissait d’une très importante opération de marché sur une entreprise très sensible. Voilà où se situait l’urgence : dès lors qu’une opération de ce type commence à être vraiment instruite, elle ne saurait rester très longtemps en suspens.

M. Louis Giscard d’Estaing : Pourtant, lorsque le 5 avril le président de la commission de surveillance demande à traiter la question de l’achat éventuel des titres EADS, on lui répond que c’est prématuré. Or l’opération se fait le lendemain…

M. Dominique Marcel : On n’a pas dit qu’elle était prématurée, mais que toutes les conditions n’étaient pas encore réunies, que l’opération pouvait encore ne pas se réaliser et qu’elle n’était pas encore publique. Elle l’a été le lendemain, mais pas pour la Caisse des dépôts : Lagardère a communiqué sur son opération ORAPA. Au vu de cela, la Caisse a communiqué le 10 avril, afin que le marché soit informé.

M. Jean-François Lamour : Quelles conséquences ont-elles été tirées de la très mauvaise appréciation de deux analystes ? Vous deviez prendre une décision rapidement, mais je suppose que vous avez également fait travailler vos propres analystes, ce que la note de M. Heriaud ne montre pas.

M. Dominique Marcel : Début janvier, avant même toute conversation à propos de cette opération, nous avions une analyse plutôt positive de la part de nos gérants, qui rejoignait d’ailleurs celles qui nous ont été fournies par la suite.

Les analystes ont bien évidemment fait état des informations dont ils disposaient : si tout le monde a avait eu connaissance des problèmes, on ne débattrait pas aujourd’hui de la mauvaise information du marché…

M. Michel Bouvard : Je suis persuadé que la Caisse des dépôts a subi une situation. Les problèmes ne viennent donc pas d’elle et il ne faudrait pas que les projecteurs se détournent de ceux sur lesquels ils devraient être braqués. Par conséquent la commission de surveillance est unanime dans la volonté d’engager toutes les démarches judiciaires nécessaires si le délit d’initié est avéré.

Cette affaire ne remet pas en cause les orientations générales des modifications qui doivent être apportées à la gouvernance de la Caisse. Augustin de Romanet a eu raison de souligner que ce débat ne porte ni sur le périmètre de la Caisse ni sur la nature de l’établissement. Des enseignements devront toutefois être tirés et le directeur général a fait des propositions en ce sens.

Bien évidemment, dès lors que la Caisse est sous l’autorité du Parlement et même si tout ne relève pas du domaine législatif, l’ensemble de ces propositions devra être discuté avec les commissions des Finances des deux assemblées, j’en prends l’engagement au nom des parlementaires qui siègent à la commission de surveillance.

Le Président Didier Migaud : Cette audition était la première sur ce thème. Nous entendrons cet après-midi le directeur général du Trésor, le directeur de l’APE et le président de SOGEADE. Ce que nous venons d’entendre pourrait nous donner aussi l’envie de poser des questions aux dirigeants d’IXIS, à M. Arnaud Lagardère, voire à M. Thierry Breton, même s’il a déjà été entendu par la commission des Finances du Sénat.

Merci à tous ceux qui ont participé à cette audition.

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Mardi 9 octobre 2007, séance de 17 heures

V.– AUDITION SUR LES CONDITIONS D’ÉVOLUTION
DE L’ACTIONNARIAT D’EADS :

– M. Xavier Musca, directeur général du Trésor et de la politique économique ;

– M. Philippe Pontet, président du Conseil d’administration de SOGEADE.

Le Président Didier Migaud : La commission des Finances a décidé d’organiser une série d’auditions consacrées aux questions que soulèvent les conditions dans lesquelles l’actionnariat d’EADS a évolué au cours de ces dernières années, notamment en 2006. Plus précisément, nous nous interrogeons sur le rôle de l’État, de ses services et de SOGEADE dans les opérations réalisées au cours du premier semestre 2006.

Quel était le degré d’information de l’État quant aux difficultés d’EADS durant cette période ? Quelles relations l’État entretenait-il avec les dirigeants de cette société, avec le groupe Lagardère ou encore avec la Caisse des dépôts et consignations au moment de l’acquisition à laquelle cette dernière a procédé.

Nous avons entendu ce matin M. Philippe Auberger et M. Pierre Hériaud, anciens présidents de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, M. Augustin Romanet, directeur général de la CDC, et M. Dominique Marcel, directeur financier de la CDC, sur les conditions dans lesquelles la Caisse a acquis une fraction de la participation cédée par le groupe Lagardère à IXIS CIB.

Cet après-midi, nous accueillons M. Xavier Musca, directeur général du Trésor et de la politique économique, M. Bruno Bezard, directeur général de l’Agence des participations de l’État, qui a déjà été entendu par la commission des Finances du Sénat vendredi dernier, ainsi que M. Philippe Pontet, président du conseil d’administration de SOGEADE.

Ce matin, nous avons obtenu certaines précisions qui nous donnent envie d’en savoir un peu plus et qui font apparaître que d’autres auditions seront sans doute nécessaires, notamment pour cerner le rôle d’IXIS CIB et du groupe Lagardère dans ce dossier.

Il serait intéressant que M. Xavier Musca nous précise les relations que la direction générale du Trésor a pu entretenir, le cas échéant, avec la Caisse des dépôts au sujet d’EADS, sachant que cette direction est représentée aux réunions de la commission de surveillance de la CDC. Je lui demanderai également, ainsi qu’à M. Bruno Bezard, de nous informer sur les relations de l’Agence des participations de l’État – APE – avec la direction du Trésor, le cabinet du ministre des finances, le ministre des finances lui-même, mais aussi avec les directeurs des entreprises publiques en général. Comment cela se passe-t-il ? Le cas d’EADS est-il un cas particulier par rapport à d’autres entreprises publiques ?

Nous souhaiterions également que M. Philippe Pontet précise le rôle de SOGEADE. Comment cette société intervient-elle ? Comment l’APE a-t-elle pu rédiger une note à l’intention du ministre pour lui suggérer un retrait partiel de l’État alors même que la CDC était sollicitée pour acquérir une part du capital ? Dans l’esprit de beaucoup de gens, l’État étant présent tant au Trésor qu’à APE, à la SOGEADE ou à la CDC, il est difficilement concevable que le pouvoir politique soit informé plus par la presse que par ses propres services – ce que laisse pourtant apparaître l’audition de M. Thierry Breton, ancien ministre de l’Économie et des finances, sur ce sujet.

M. Xavier Musca : Je m’efforcerai de répondre avec le plus de précision possible aux questions que, légitimement, la représentation nationale se pose. Au préalable, il convient de clarifier les rôles respectifs de l’État et de la Caisse des dépôts et consignations.

La Caisse des dépôts a-t-elle, dans cette affaire, agi à la demande des services de l’État ? La CDC a elle-même répondu clairement à cette question, d’abord par la voix de M. Dominique Marcel lors de la séance de la commission de surveillance du 12 juillet 2006, puis par de nombreux communiqués : la réponse est non. Je confirme que ce n’est pas à la demande de la direction du Trésor et des services de l’État que la Caisse est intervenue.

Par le passé, cela a pu arriver. Ce fut par exemple le cas pour le dossier Alsthom : l’intervention effectuée à la demande de l’État avait été formalisée par un échange de lettres. Autant que je me souvienne, la Caisse des dépôts avait demandé à l’État des garanties. Il n’y a rien de tel ici.

La Caisse a-t-elle alors été autorisée par la commission de surveillance à acheter les titres d’EADS ? La réponse est encore négative. C’est une information et non une autorisation qui est requise. Dans le cas d’espèce, la commission intervient le 26 d’avril, soit plusieurs semaines après l’achèvement de la transaction. Cette pratique est conforme, en particulier, à l’article L 518-11 du code monétaire et financier.

Dernière question : la Caisse des dépôts a-t-elle cherché, au-delà de ce que requièrent les textes, à entrer en contact avec les services de l’État pour recueillir leur avis ou leur approbation ? Encore une fois, la réponse de la CDC, que je suis aujourd'hui en mesure de confirmer, est négative.

On peut alors s’étonner, comme l’a fait l’Agence France Presse, que l’État soit resté silencieux lors de la réunion de la commission de surveillance du 26 avril. Il aurait fallu cependant, pour que le représentant de l’État soit en mesure de s’exprimer ce jour-là, qu’il y ait un dossier et que des questions soient posées sur ce dossier. Or aucun dossier n’a été envoyé aux membres de la commission de surveillance, dont l’approbation n’a pas été sollicitée.

Dès lors, une ambiguïté peut être relevée : pourquoi la commission de surveillance est-elle toujours saisie a posteriori ? Ne vaudrait-il pas mieux qu’elle le soit a priori ? Quel sens peut avoir la présentation de tels investissements par la CDC ? La question a été soulevée et, à mon sens, résolue à l’occasion de l’opération Club Méditerranée-Accor en 2004. Le représentant de la direction du Trésor – la personne qui siégeait également lors de la séance du 26 avril – avait alors demandé si la commission de surveillance était censée approuver l’opération.

Le procès-verbal le confirme : « En réponse à Mme Barbat-Layani, s’enquérant du rôle de la commission de surveillance par rapport à cette communication, M. Mayer indique qu’il ne sollicite pas l’avis de la commission et qu’il s’agit strictement d’un point d’information. » En d’autres termes, il n’y a pas à prendre la parole puisqu’il ne s’agit que d’information. Au demeurant, le représentant de l’État ne s’est pas davantage interrogé sur cet investissement que sur les multiples investissements réalisés par la Caisse durant les cinq dernières années : Eutelsat, Veolia et tant d’autres. Dans tous les cas, l’information de la commission de surveillance est intervenue a posteriori.

Quoi qu’il en soit, le représentant de l’État ne devait-il pas s’interroger sur la pertinence de l’investissement dont il était ainsi informé ? Une nouvelle fois, la réponse est claire : aucun des éléments dont il disposait ne pouvait l’amener à tirer de telles conclusions. La transaction s’est faite à un cours de l’ordre de 32,60 euros, inférieur au plus haut de 35 euros atteint quelques semaines auparavant, mais aussi à l’objectif de 34 euros fixé par les analystes financiers. Aucune des informations publiques de marché ne pouvait inciter une personne raisonnablement informée à s’interroger sur la valeur du titre.

On pourra objecter que le représentant de la direction du Trésor aurait pu avoir des informations en provenance de l’APE. C’est sans compter l’existence d’une muraille de Chine : l’APE a précisément été créée pour éviter qu’il y ait confusion entre des intérêts qui ont vocation à rester séparés. Cela est particulièrement vrai s’agissant de la Caisse des dépôts. Souvent, l’État est dans le rôle du vendeur et la Caisse des dépôts dans celui de l’acheteur : pour les autoroutes ou pour la SEMMARIS, elle a été candidate, et ce dans le cadre de procédures d’appel d’offres ouvert, comme M. Bezard pourra le confirmer. On ne peut imaginer qu’il y ait communication entre ces deux parties. De même, aucune information provenant de l’APE n’était détenue par le service de la direction du Trésor chargé de la tutelle de la Caisse. Je revendique l’existence de cette séparation stricte entre différents services de l’État car elle est conforme aux exigences de bonne gouvernance.

On pourra enfin nous demander pourquoi nous ne nous sommes pas interrogés sur la procédure de saisine a posteriori et pour information de la commission de surveillance. La réponse est que cette procédure est conforme au droit actuel régissant la Caisse des dépôts. Chaque fois que le Trésor a évoqué le sujet en commission de surveillance, il lui a été clairement signifié qu’il outrepassait les textes en demandant une information préalable. Nous ne nous sommes pas contentés de cette réponse : à plusieurs reprises, nous avons fait état de nos interrogations et de nos doutes face à ce dispositif. Je tiens à la disposition de la commission un recueil de notes relatives à la gouvernance de la Caisse des dépôts : dans chacune d’entre elles, il est demandé que ce dispositif, dans lequel le directeur général de la Caisse décide seul, sans approbation préalable ni de la commission de surveillance ni du Trésor ni de toute autre personnalité extérieure, soit modifié, car il nous paraît porteur de nombreux risques.

Ainsi, le 22 juin 2004, mon prédécesseur écrivait : « La presse s’est fait l’écho le 11 juin dernier de la participation de la Caisse des dépôts et consignations à l’opération de rachat du Club Méditerranée par Accor. Mes services, pas plus que la commission de surveillance de la caisse des dépôts, pourtant réunie le 9 juin dernier, n’ont été informés de cette opération. Il s’agit d’un nouvel exemple de dysfonctionnement de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignation, qu’il devient urgent de réformer. »

Le Président Didier Migaud : Avant de donner la parole à M. Bruno Bezard, je veux revenir sur la « muraille de Chine » que vous avez évoquée, monsieur le directeur général.

L’Agence des participations de l’État relève de la direction générale du Trésor et de la politique économique. Lorsque l’APE adresse une note au ministre de l’Économie et des finances, est-il possible que vous n’ayez pas connaissance de son contenu ? On peut également supposer que le directeur général de l’APE rencontre le ministre. De telles rencontres se font-elles en tête à tête ou le directeur général du Trésor est-il convié ? La « muraille de Chine » peut se concevoir, mais comment cela se traduit-il dans les faits ?

M. Xavier Musca : Tout d’abord, je précise que le directeur général de l’APE est nommé par le ministre sur proposition du directeur général du Trésor. L’APE est en effet intégrée à la direction générale du Trésor et de la politique économique. Cela permet la mobilité des agents entre les différentes parties de la maison au cours de leur carrière. Cela permet également de travailler ensemble sur un certain nombre de dossiers d’intérêt commun. Ainsi, lorsque l’Agence vend des participations pour le désendettement de l’État, l’opération intéresse la direction générale du Trésor et de la politique économique au titre de sa fonction de surveillance générale des finances publiques françaises, mais elle intéresse également l’Agence France Trésor, qui dépend elle aussi de la direction générale du Trésor et de la politique économique. Il existe donc des travaux communs pour lesquels il n’y a pas de muraille de Chine.

Cela étant, le directeur général de l’APE signe, sous sa seule responsabilité, ses notes au ministre. Il n’est dans mes pouvoirs ni de les corriger ni de les signer. Lorsque ces notes ont un caractère secret, notamment s’agissant d’entreprises cotées, elles ne circulent pas au sein de la DGTPE mais je peux y avoir accès. Lorsque M. Bruno Bezard doit s’entretenir avec le ministre du traitement de la dette du SAAD, laquelle a un impact réel sur la dette de l’État, la discussion a lieu en ma présence dans la mesure où le sujet intéresse d’autres parties de la DGTPE. Lorsqu’il s’agit d’une opération de prise de participation ou de cession, la discussion n’a pas lieu en ma présence.

J’espère que ces éléments auront pu vous éclairer.

Le Président Didier Migaud : Pas tout à fait. Aviez-vous connaissance de la note adressée par l’APE au ministre le 20 janvier ?

M. Xavier Musca : Non, je n’ai pas eu connaissance de cette note.

M. Bruno Bezard : Tout en confirmant ce que vient d’exposer Xavier Musca, je souhaite ajouter quelques éléments.

Tout d’abord, ne faisons pas comme si la note du 20 janvier 2006, qui semble faire l’objet de nombreux fantasmes, décrivait une situation gravissime devant amener l’État à vendre sa participation le plus vite possible. Si telle avait été la question, votre surprise quant à cette « muraille de Chine » aurait été légitime, monsieur le président. Mais la note ne dit nullement qu’il y a péril en la demeure, pour la bonne raison qu’EADS ne livre quasiment aucune information à l’État bien que celui-ci détienne 15 % de son capital. Elle dit simplement que le consensus s’établit en effet autour de 32 euros mais qu’une étude approfondie, réalisée par l’APE à partir de dix-huit recommandations d’analystes, conduit à attirer l’attention sur l’évolution de l’environnement, et notamment du marché aéronautique.

Un risque de haut de cycle dans les commandes des compagnies aériennes était notamment signalé à l’époque par une partie du marché. À cet égard, les augmentations successives des objectifs de cours fixés par les analystes nous étaient apparues à l’époque comme susceptibles de constituer une « bulle ». Que l’on se rappelle l’évolution de l’action France Télécom.

Le 20 janvier 2006, donc, sans disposer de la moindre information véritable en provenance de l’entreprise mais en travaillant sur la base de données publiques, l’APE appelle l’attention sur le comportement moutonnier du marché et demande que l’on privilégie une analyse industrielle.

Le Président Didier Migaud : Manifestement, vous vous interrogiez plus que les analystes consultés par la Caisse des dépôts et consignation !

M. Bruno Bezard : Comme sur d’autres lignes, cotées ou non, nous avons essayé de faire ce pour quoi l’APE a été créée : ne pas s’en tenir au seul Reuter, mais s’intéresser à l’environnement de nos entreprises, à leurs clients, au contexte concurrentiel et stratégique.

Toujours est-il que la note en question, loin de décrire une situation gravissime, indique l’existence d’un risque potentiel de fin de cycle à moyen terme. Nous pouvons citer plusieurs analystes qui le disaient à l’époque.

M. Xavier Musca : Quelque chose me gêne dans ce débat, monsieur le président. La direction générale du Trésor et de la politique économique est constamment en situation d’avoir des informations, privilégiées ou non. Nous siégeons par exemple à l’Autorité des marchés financiers, à la commission bancaire, à la commission de contrôle des assurances. Par ailleurs, une entité publique, la Caisse des dépôts, est en situation d’investisseur. Le représentant de l’État auprès de la CDC doit-il lui donner les informations qu’il tire de l’ensemble des autres activités de la DGTPE ? Certainement pas ! Ce serait non seulement une grave erreur, mais aussi, dans certains cas, un délit.

Au surplus, si l’APE avait eu connaissance – ce qui n’est pas le cas – d’informations non « disclosées » au marché, elle aurait été dans son rôle en demandant leur divulgation, nullement en avertissant la Caisse des dépôts pour que celle-ci fasse une bonne affaire ou évite une mauvaise affaire. La « muraille de Chine » prend ici tout son sens.

En outre, je suis surpris par le raisonnement selon lequel ce serait une mauvaise affaire d’acheter lorsque l’État vend. Si tel était le cas, pourquoi mènerions-nous une politique de privatisations ? La Caisse des dépôts a bien acheté la SNI à l’État sans que personne y perde. Elle est en situation d’acheteur – c’est son métier –, alors que l’État, lui, cherche à se désendetter en vendant sa participation dans des sociétés sur lesquelles il juge qu’il n’a plus aujourd'hui à exercer son contrôle. Tout ceci me paraît tout à fait normal.

M. Henri Emmanuelli : L’État cherche surtout à combler ses déficits !

M. Xavier Musca : C’est un autre débat…

Au demeurant, dans le cas qui nous occupe, c’est Lagardère, et non l’État, qui cède. À quel titre aurions-nous pu empêcher la Caisse des dépôts d’acheter à un tiers des participations à une autre société, quand bien même l’État y aurait lui aussi des intérêts ? Tenir un tel raisonnement reviendrait à soutenir que l’État connaissait par avance la catastrophe qui s’est produite quelques semaines plus tard. Or, je le répète, l’État n’avait aucune information d’initié lié aux retards de l’A380. Il n’existait aucune raison de demander à la Caisse des dépôts de ne pas acheter.

J’ai parfois le sentiment qu’on nous fait deux reproches inverses. On a créé l’APE parce que l’on voulait en finir avec le mélange des genres – que l’on se rappelle le Crédit lyonnais. L’État régulateur et l’État actionnaire sont désormais séparés, et voilà que l’on trouve bizarre que les informations ne circulent pas entre l’APE et la CDC !

M. René Couanau : Je crains que l’on ne s’engage dans un faux débat et je ne comprends pas bien votre véhémence, monsieur le directeur général. Ma longue expérience de l’administration m’a toujours fait imaginer une direction de Trésor à la fois omniprésente et toute-puissante. Je découvre aujourd'hui que, finalement, vous ne savez pas grand-chose. Vous comprendrez que cela nous étonne quelque peu et nous amène à vous poser des questions.

Il me semblait aussi que ce n’était pas le débat sur la Caisse des dépôts que nous devions poursuivre cet après-midi : nous nous adressons maintenant à l’État et examinons sa responsabilité.

M. Xavier Musca. : Pardonnez ma véhémence, monsieur le député. Je n’élude nullement les questions que vous posez. La direction du Trésor, que vous imaginez omnipotente et omnisciente, n’est pas en situation de connaître ex ante les investissements réalisés par le directeur général de la Caisse des dépôts.

Le Président Didier Migaud : Votre intervention et celles de ce matin l’ont bien établi, monsieur le directeur général. Intéressons-nous plutôt, comme l’a suggéré M. René Couanau, au rôle de l’État, de l’APE et de la SOGEADE. Vous comprendrez que certains collègues aient, depuis quelques jours, le sentiment de tomber des nues, eu égard à ce qu’ils pouvaient penser des pouvoirs de la direction du Trésor.

M. Bruno Bezard : L’APE a été créée en mars 2003 à la suite de la crise de France Télécom. L’objectif de cette création était – on goûtera le paradoxe – de savoir ce qui se passe dans les entreprises publiques et les entreprises privées dans lesquelles l’État a une participation. La seule mission de l’Agence est d’être actionnaire. Il est important qu’elle n’ait aucune autre responsabilité, car c’est le mélange des genres qui a posé des problèmes par le passé.

Ses méthodes de travail reposent sur une charte des relations entre l’État actionnaire et les entreprises publiques, que l’on peut consulter sur son site Internet et qui pose des principes d’une grande banalité dans le monde des entreprises : avertir son actionnaire avant de réaliser un investissement, soumettre les dossiers à un comité d’analyse stratégique puis à un conseil d’administration, bref, tous les principes de base de la bonne gouvernance.

L’APE siège dans tous les conseils d’administration et tous les comités d’audit – cela a représenté cinq cents séances en 2006 –, tous les comités d’analyse stratégique et presque tous les comités de rémunération, à une exception près : EADS. La situation d’EADS est l’antithèse de ce pour quoi l’APE a été créée et nous n’avons eu de cesse de le souligner. Le pacte d’actionnaires mis en place organise la mise à l’écart de l’État en ce qui concerne non seulement la gestion, mais aussi – plus grave – le contrôle de l’entreprise.

M. Louis Giscard d’Estaing : En quelle année ce pacte a-t-il été conclu ?

M. Bruno Bezard : En 1999. Il ne m’appartient pas d’entrer dans une polémique de nature politique.

J’ai bon espoir que la réforme de la gouvernance annoncée le 16 juillet permette d’avancer. Dans la période concernée, tout était fait pour que l’État ait peu d’informations. Il est même précisé que les fonctionnaires en activité ne peuvent pas siéger au conseil d’administration d’EADS. On comprendra dès lors l’ironie qu’il y a à nous demander si nous n’avions pas trop d’informations en provenance d’EADS !

Tout a été fait, je le répète, pour que les informations données à l’État actionnaire soient la portion congrue.

Le 2 décembre 2005, lors d’une réunion avec le management d’EADS emmené par M. Noël Forgeard, les retards considérables qui allaient être annoncés ultérieurement n’ont à aucun moment été évoqués. EADS n’a pas même mentionné de problème d’industrialisation : le terme n’a été prononcé devant l’APE que le 18 mai 2006, assorti au demeurant de propos rassurants sur l’impact financier de ces difficultés et sans qu’il soit encore fait mention de retards supplémentaires.

J’y insiste : EADS représente à mes yeux l’antithèse de ce qui a justifié la création de l’APE. On assiste dans ce dossier à la rencontre de deux « non-gouvernances », pour ainsi dire.

La note de l’APE est à la disposition de la commission des Finances, de même que les notes des deux réunions dont j’ai parlé. Elle comporte, comme beaucoup des mille cinq cents notes que nous rédigeons chaque année, un avertissement sur les risques à moyen terme : l’industrie aéronautique connaissant aussi des cycles, il convient d’être prudent et de ne pas suivre de façon moutonnière le marché. Hélas, aucune information sur la nature des problèmes qu’EADS rencontrait à l’époque n’a été portée à notre connaissance à ce moment.

À l’appui de l’intervention de M. Xavier Musca, j’insiste sur le fait que, pour d’autres entreprises qu’EADS, nous avons fréquemment des informations privilégiées – nous travaillons en permanence, par exemple, sur de grands projets d’investissement –, ce que nous ne manquons pas d’indiquer dans nos notes. On ne saurait imaginer que ces informations circulent en dehors des personnes qui ont besoin d’en connaître. Dans le cadre de nos opérations de marché, par exemple, la Caisse des dépôts est présente comme d’autres investisseurs « longs » (par opposition aux hedge funds). Les informations détenues par l’APE n’ont nullement vocation à circuler, qu’elles soient privilégiées ou non.

Le Président Didier Migaud : Pourriez-vous maintenant nous expliquer le rôle de la SOGEADE, M. Pontet ?

M. Philippe Pontet : Je m’exprimerai en qualité de président à la fois de SOGEPA et de SOGEADE.

Historiquement, le président de SOGEPA, holding qui détenait l’Aérospatiale, était également, jusqu’à la fusion de cette dernière avec Matra, président de l’Aérospatiale. Depuis cette date, SOGEPA est devenue l’actionnaire public d’abord d’Aérospatiale-Matra, puis, lorsque EADS a été créée, de la SOGEADE, qui incarne l’actionnaire français, c’est-à-dire, à égalité, l’État français, via SOGEPA, et le groupe Lagardère.

Leurs conseils d’administration se réunissent le même jour et sont composés de hauts fonctionnaires, de personnalités qualifiées, d’un commissaire du Gouvernement et, dans le cas de SOGEPA, d’un contrôleur d’État.

SOGEADE et SOGEPA ont, pour l’essentiel, deux missions : s’informer de l’évolution des résultats et des perspectives du groupe ; appliquer les pactes d’actionnaires lorsque certains sujets peuvent nécessiter l’intervention préalable de SOGEADE, telles l’autorisation pour des investissements de plus de 500 millions d’euros, ou encore l’application du droit de veto que l’État s’est réservé lors de la fondation d‘EADS sur des sujets relatifs à la défense.

Ces conseils se réunissent à peu près au même rythme que les boards d’EADS, voire de façon exceptionnelle, comme ce fut le cas le 3 avril afin de statuer sur les demandes de Lagardère et de Daimler Chrysler de vendre 7,5 % de leurs participations dans EADS.

Quel était le niveau d’information des conseils d’administration de SOGEPA et de SOGEADE sur les difficultés industrielles rencontrées par Airbus à propos du câblage de l’A380, et qui ont entraîné, après leur officialisation, le décrochage du cours de l’action ?

À aucun moment ils n’ont été mis au courant des difficultés techniques susceptibles d’affecter le calendrier des livraisons de l’A380 prévues par Airbus. Je tiens à la disposition de la commission tous les procès-verbaux de ces conseils d’administration. Celui du 7 mars 2005 relate ainsi que « EADS prévoit qu’Airbus livrera 350 à 360 avions », que « le résultat par action devrait augmenter de 5 % » et que « la guidance sera encore renforcée. » Quant à celui du 16 décembre 2005, qui portait sur la présentation du plan opérationnel 2007.2008, il précise que « ce plan a été élaboré sur des bases prudentes » et que « les livraisons pour Airbus devraient atteindre le point le plus haut en 2007 avec 470 unités dont 50 A380. »

M. Henri Emmanuelli : Qui parle ainsi ?

M. Philippe Pontet : Pour EADS, M. Christian Pechman, numéro  2 de la direction financière, et, pour Airbus, M. Olivier Andriès, directeur de la stratégie.

« Toutefois, les personnalités qualifiées évoquent les points susceptibles d’être négatifs : la possibilité d’une baisse importante du dollar par rapport à l’euro, un renforcement de la concurrence avec Boeing avec, pour conséquence, une guerre des prix, et la possibilité d’un retournement du cycle dans l’aérospatiale civile rendant nécessaire le renforcement du second pied du groupe, à savoir le secteur de la défense. » À cette occasion, il nous est confirmé que le programme de livraison s’établit notamment à 426 appareils en 2006 et à 470 en 2007.

Lors du conseil d’administration du 25 juillet 2005, il nous est annoncé, après le vol inaugural du 27 avril, 150 commandes fermes et 16 engagements d’achat. Si des retards sont alors évoqués, ils portent sur Eurocoptère, à savoir le NH90 et le Tigre.

M. Jérôme Chartier : Avez-vous parlé au sein de ces conseils de l’information selon laquelle Lagardère voulait céder ses titres ?

M. Philippe Pontet : Je reviendrai sur le conseil qui a été consacré spécifiquement à cette cession.

Le 3 mars 2006, c’est-à-dire à une date proche de la fameuse officialisation des difficultés de câblage sur l’A380, il nous est indiqué, à l’occasion de la présentation des comptes, que « la certification de l’A380 est en bonne voie.» L’un des administrateurs, le directeur général de l’aviation civile lui-même, ayant évoqué « des informations qui ont circulé concernant des fissures constatées lors des tests de charge sur les ailes de l’A380 », il nous est répondu que cela sera sans effet sur les délais de livraison, l’agence européenne de certification, l’EASA, ayant elle-même précisé que cet incident n’aurait pas de conséquence sur la certification de l’appareil.

M. Jérôme Cahuzac : Si ce sont toujours les mêmes personnes qui parlent, sont-elles elles-mêmes des ingénieurs ?

M. Philippe Pontet : Ce sont les mêmes que j’ai citées qui parlent.

Le 3 avril 2006, a lieu la réunion au cours de laquelle SOGEADE devait statuer sur les demandes de dilution de Daimler Chrysler et de Lagardère.

M. Jérôme Chartier : Dans aucun conseil auparavant la vente de titres par Lagardère n’a été évoquée ?

M. Philippe Pontet : Jamais ! Lors du conseil d’administration du 1er juin 2006, soit treize jours avant l’annonce des difficultés dramatiques de l’A380, rien n'est dit à propos de cet appareil. Bien que réunis à nouveau le 27 juin 2006, les membres des conseils d’administration de SOGEADE et de SOGEPA n’ont pris connaissance du sujet qu’à la lecture de la presse. Ce n'est que lors du conseil du 28 septembre que les représentants d’Airbus viendront, à notre demande, nous exposer les raisons des difficultés et les remèdes que la direction générale du groupe entend apporter.

M. Michel Bouvard : Il n’y a eu aucune question sur le sujet le 27 juin alors que l’information figurait dans la presse le 13 juin ?

M. Philippe Pontet : Le 27 juin, aucun représentant d’EADS et d’Airbus n’assiste au conseil. L’ordre du jour portait sur un point très précis : la demande de British Aerospace d’exercer sa possibilité d’option de vente d’actions Airbus.

M. Jérôme Chartier : L’ordre du jour d’un conseil n’est jamais modifié, même dans le cas d’informations aussi importantes ?

M. Philippe Pontet : Le problème a été examiné, mais lors d’un conseil suivant.

À aucun moment, lors des conseils de SOGEPA et de SOGEADE, nous n’avons eu d’information, jusqu’à leur officialisation en juin 2006, relatives à des problèmes industriels particuliers. Pourtant, je le répète, des questions très précises ont été posées par les administrateurs.

Le Président Didier Migaud : Il est étonnant, dans ces conditions, que vous preniez pour argent comptant les réponses qui vous sont apportées, alors qu’elles sont quelque peu en contradiction avec ce qui peut se lire dans la presse.

Par ailleurs, certains administrateurs de la SOGEADE sont-ils également administrateurs d’EADS ?

M. Philippe Pontet : Aucun, en dehors de M. Louis Gallois jusqu’en juillet 2006. Le président de Lagardère, lorsqu’il était co-CEO du groupe, ne siégeait pas au conseil d’administration de la SOGEADE, ainsi que cela avait été décidé en 1999, lors de la constitution du groupe EADS, après que les négociations eurent été menées, pour le compte de l’État, par M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie et des finances du gouvernement Jospin, avec MM. Jürgen Schremp et Jean-Luc Lagardère.

M. Henri Emmanuelli : Alors que le 13 juin des informations paraissent dans la presse faisant état de difficultés du programme A380, le conseil d’administration de la SOGEADE les ignore complètement le 27 juin ?

M. Philippe Pontet : Nous ne les ignorions pas puisqu’elles étaient en effet parues dans la presse, mais elles n’étaient pas à l’ordre du jour du conseil. Elles l’ont été lors d’un conseil ultérieur.

M. Henri Emmanuelli : Au mois de septembre !

M. Philippe Pontet : Le sujet abordé le 27 juin, c’est-à-dire le rachat par EADS des 20 % que BAE détenait dans son capital, était suffisamment important pour justifier à lui seul la réunion du conseil d’administration.

M. Henri Emmanuelli : Les informations parues dans la presse sur certaines difficultés ne vous sont pas apparues comme un sujet suffisamment important ?

M. Philippe Pontet : Bien sûr que si : les administrateurs ont demandé des explications lors du conseil suivant.

Si la question est de savoir si les conseils d’administration de SOGEPA ou de SOGEADE ont eu, en amont, des informations sur les difficultés de câblage de l’A380, la réponse est négative.

Le Président Didier Migaud : L’absence totale d’information de SOGEADE sur la réalité de l’entreprise EADS reste pour nous un sujet d’étonnement

M. Philippe Pontet : Il a été fait allusion à des indiscrétions ou à des rumeurs. Jamais il n’y a eu la moindre indiscrétion ou la moindre rumeur concernant des difficultés de câblage sur l’A380. C'est un communiqué d’EADS qui a officialisé celles-ci.

M. Henri Emmanuelli : Elles étaient connues par le rapporteur depuis l’automne !

M. Charles de Courson : Auditionné comme tous les autres responsables d’EADS et d’Airbus en septembre 2006 par moi-même en qualité de rapporteur pour les transports aériens, Noël Forgeard a bien indiqué que le groupe était parfaitement au courant d’un dérapage possible, mais que si personne ne s’était inquiété c’était parce que les responsables techniques des usines allemandes où était né le problème nous assuraient qu’ils étaient capables de faire face à celui-ci.

Les représentants de la direction de l’APE et du Trésor peuvent-ils nous affirmer qu’ils ne savaient rien et qu’ils ont tout appris par la presse ?

M. Bruno Bezard : A question précise, réponse précise : le 2 décembre, l’APE n’a eu aucune indication sur la moindre difficulté d’industrialisation de l’A380. Cette indication ne nous est parvenue que le 18 mai.

M. Philippe Pontet : Je ne savais, pour ma part, absolument rien.

M. Louis Giscard d’Estaing : A-t-il été fait état, aux représentants de l’APE au sein du conseil d’administration de SOGEADE, de la note du 20 janvier 2006 faisant état de préoccupations concernant l’évolution du groupe ?

M. Bruno Bezard : Il ne faut pas, en l’espèce, confondre deux sujets : l’existence ou non d’un problème grave d’industrialisation de l’A380 pouvant avoir des conséquences financières dramatiques, et une interrogation sur les prévisions de commande des compagnies aériennes à moyen terme.

M. Jean-François Lamour : A qui cette note était-elle destinée ?

M. Bruno Bezard : Au ministre exclusivement, comme toutes nos notes.

M. Henri Emmanuelli : Le cabinet était forcément au courant.

M. Bruno Bezard : Bien entendu, nos notes sont destinées au Ministre et à son Cabinet.

M. Jean-François Lamour : Une telle note ne peut donc être soumise à la réflexion des actionnaires de la SOGEPA ou de la SOGEADE ?

M. Bruno Bezard : Qu’aurait pu faire la SOGEADE d’une réflexion de moyen terme de l’État sur le fait que l’industrie connaissait peut-être un haut de cycle ?

M. Yves Deniaud : A quelle date chacun des quatre échelons – SOGEPA, SOGEADE, APE et direction générale du Trésor – a-t-il eu connaissance, d’une part, de l’intention du groupe Lagardère de vendre ses parts et, d’autre part, des difficultés d’ordre industriel de l’A380 ? Quant à la muraille de Chine, dois-je rappeler qu’elle a été souvent franchie en achetant les défenseurs ?

M. Frédéric Lefebvre : L’ordre du jour du 27 juin étant fixé à l’avance, pouvez-vous au moins nous rassurer sur le fait qu’au cours de cette réunion vous avez pris la décision de saisir EADS pour avoir des explications ?

M. Jean-Michel Fourgous : Vous avez parlé tout à l’heure, M. Bruno Bezard, de votre « métier ». Quelles sont, selon vous, les principales compétences qui vous semblent indispensables pour occuper une telle responsabilité ?

M. Gérard Bapt : La deuxième résolution du conseil d’administration du 3 avril 2006 de la SOGEADE indique que celle-ci avait décidé de ne pas exercer certains droits de préemption et de sortie conjointe. Une telle décision peut-elle être prise par les représentants de l’État sans l’avis même du ministère qu’ils représentent ?

Concernant, ensuite, l’avis sur la composition du conseil d’administration d’EADS que la SOGEADE doit donner, celle-ci s’est-elle déjà réunie afin d’examiner ce point, sachant que, le 22 octobre prochain à Amsterdam, une assemblée générale d’EADS doit justement renouveler le mandat du conseil d’administration ? Les représentants de l’État en son sein ont-ils à cet égard reçu des mandats de leurs ministères respectifs ?

M. Jérôme Chartier : Au moment de sa note, l’APE a-t-elle déjà eu connaissance du souhait de Lagardère de se séparer de ses titres EADS ?

Avant le 3 avril, les conseils d’administration SOGEPA et SOGEADE évoquent-ils, de façon formelle ou informelle, la cession de titres par Lagardère, et des questions sont-elles posées sur les sociétés décidées à acquérir ces titres ?

M. Philippe Pontet : Jusqu’au 13 juin, date de l’officialisation des difficultés de câblage et du décrochage de l’action, les conseils d’administration de SOGEPA et de SOGEADE n’ont eu aucune information sur ces difficultés. Pour autant, si l’ordre du jour du 27 juin portait sur le put de BAE, nous ne sommes pas restés inertes. Selon le procès-verbal de la réunion, « le président rappelle qu’il vient d’inviter M. Noël Forgeard à commenter au plus vite les difficultés traversées par le groupe, mais qu’une réunion ne devrait pas pouvoir se tenir avant le 21 juillet. » Cette réunion n’a finalement pas eu lieu tout simplement parce que le 2 juillet les conseils d’administration de SOGEPA et de SOGEADE se sont réunis afin de remercier M. Noël Forgeard et de nommer M. Gallois.

M. Jérôme Chartier : Cela signifie qu’entre la tenue de ces conseils d’administration, il y a eu contact entre les actionnaires sans qu’il en soit fait mention dans aucun procès-verbal ?

M. Philippe Pontet : Les conseils d’administration de SOGEPA et de SOGEADE sont des exécutants techniques des stratégies qui sont décidées par ailleurs.

Pour revenir sur les conseils du 3 avril, ceux-ci se sont réunis à la demande de Daimler Chrysler, par lettre du 27 mars, et de Lagardère, par lettre du 22 mars, de céder 7,5 % de leurs participations.

M. Henri Emmanuelli : Vous ignoriez tout jusque-là ? Vous n’aviez pas lu la presse à l’automne ?

M. Philippe Pontet : Nous ignorions tout. Tant les déclarations du groupe Lagardère au marché financier selon lesquelles il envisageait de ne pas rester au sein d’EADS que les notes de nombreux analystes sur les difficultés épouvantables que rencontrait Daimler Chrysler aux États-Unis étaient dans le domaine public, mais nous n’en avons été saisis officiellement, et en application du pacte d’actionnaires, que par ces lettres du mois de mars. Nous n’avons su qu’ultérieurement que Manfred Bischoff et Arnaud Lagardère avaient rendu à une date inconnue une visite de courtoisie au ministre de l’économie et des finances pour l’informer de leurs projets.

M. Jérôme Cahuzac : Cette visite a eu lieu le 28 novembre. Vous ne le saviez vraiment pas ?

M. Philippe Pontet : Non, nous n’en avons pas été informés. Je n’ai ainsi été prévenu que la veille de sa réception que SOGEPA et SOGEADE allaient recevoir une notification officielle et qu’il convenait, par conséquent, de réunir leurs conseils d’administration. Cette réunion a eu lieu le 3 avril.

Dans sa lettre, Lagardère saisissait SOGEPA, en application de l’article 11 des statuts, d’une requête aux fins de cession à terme d’un maximum de 61 110 000 actions EADS en remboursement d’ORAPA souscrites par la banque IXIS CIB. Quant à la lettre de Daimler Chrysler, elle valait transfer notice, en application de l’article 15.2 du participation agreement, de céder le même nombre d’actions dans le cadre d’un placement privé conduit par la banque JP Morgan Chase. Ces deux lettres précisaient que la réduction de 7,5 % était concertée et identique.

Au cours de ce conseil du 3 avril, il nous a été brièvement exposé que Lagardère souhaitait réduire sa décote de holding dont l’impact avait augmenté avec l’accroissement de la valorisation de sa participation dans EADS, et que l’objectif de cette opération pour le groupe Lagardère était de ramener sa participation dans EADS à 20 % des actifs de Lagardère SCA, comme c’était le cas lors de la formation d‘EADS. Concernant Daimler Chrysler, il a été indiqué aux administrateurs de SOGEPA et de SOGEADE qu’il s’agissait pour l’entreprise de dégager les moyens financiers pour investir dans son cœur de métier qu’est l’automobile.

Sur quoi les conseils de SOGEPA et de SOGEADE devaient-ils statuer en application des pactes d’actionnaires ? Ils ne devaient pas statuer, comme j’ai pu le lire, sur une autorisation ou sur un refus de ces opérations. La faculté de sortir ou de se diluer pour un des grands actionnaires – y compris l’État – fondateurs d’EADS, est de droit. En revanche, nos conseils avaient à statuer sur trois points : l’exercice ou pas des droits de préemption ; la décision de l’État de céder ou pas 7,5 % de ses actions en même temps que les deux autres actionnaires de référence ; le transfert technique des actions à céder.

S’agissant des droits de préemption, SOGEADE a signifié à Daimler Chrysler qu’elle n’exercerait pas les siens.

Le Président Didier Migaud. Sur instruction du ministre ?

M. Philippe Pontet : Bien sûr. Je le répète : les conseils d’administration de SOGEPA et de SOGEADE exécutent des décisions qui sont prises par ailleurs.

De même, concernant Lagardère, si l’État pouvait également préempter les 7,5 %, ce droit n’était que théorique, car il avait accepté, lors de la constitution d’EADS, de limiter, à la demande pressante des Allemands d’ailleurs, sa participation à 15 % au maximum.

Pour ce qui est du second point – dilution conjointe ou pas –, M. Breton, ministre de l’Économie et des finances à l’époque, a estimé que la participation de l’État était stratégique, et celui-ci n’a pas vendu.

M. Henri Emmanuelli : Et personne ne s’est demandé à qui ces participations seraient vendues ?

M. Philippe Pontet : En cas de cession d’actions EADS à un cessionnaire pressenti, SOGEADE Gérance, d’après ses statuts, doit examiner s’il y a lieu d’agréer ledit cessionnaire. Certains ont avancé que la participation de la CDC à l’opération était connue du conseil d’administration de SOGEADE Gérance. En réalité, il n’y avait pas lieu d’agréer qui que ce soit car les statuts sont clairs : si l’un des actionnaires fondateurs vend l’intégralité de son bloc, un agrément est requis car le nouvel actionnaire demandera à bénéficier du pacte d’actionnaires ; en revanche, en cas d’opération de marché, aucun agrément n’est nécessaire. Or la cession envisagée était assimilable à une opération de marché.

Lagardère a émis, sous sa propre responsabilité, une ORAPA, et SOGEADE devait livrer les titres en trois fois. La première livraison est d’ailleurs intervenue récemment, le 25 juin 2007. IXIS CIB a donc joué le rôle d’intermédiaire financier et replacé les actions sous-jacentes par des ventes à terme auprès d’investisseurs institutionnels. SOGEADE n’a jamais su quels seraient les bénéficiaires et n’avait nullement à le savoir, car les titres étaient sur le marché.

Le Président Didier Migaud : Par chance, c’est tombé sur des investisseurs institutionnels. Mais que serait-il advenu si des investisseurs privés s’étaient manifestés ?

M. Henri Emmanuelli : SOGEADE, défenseur des intérêts français, vend donc ce capital sans se préoccuper à aucun moment de ce qu’il deviendra, entre les mains de qui il tombera ?

M. Philippe Pontet : Nous n’avons reçu ni instruction ni information. Du côté de Daimler Chrysler comme du côté de Lagardère, les transactions ont eu lieu sur le marché.

M. Louis Giscard d’Estaing : Le compte rendu du conseil d’administration du 3 avril est explicite : « Lagardère va émettre des obligations remboursables en actions EADS […] qui seront toutes souscrites par la banque IXIS CIB, cette dernière ayant placé préalablement la plus grande partie des actions EADS sous-jacentes auprès d’investisseurs institutionnels français au moyen d’une vente à terme. »

M. Jean-Yves Leclercq : L’opération est assimilable à une vente à terme d’un bloc d’actions sur le marché. Nous avons compris qu’IXIS CIB avait pour projet non pas de vendre les actions, qu’elle ne détenait d’ailleurs pas, mais de mener une opération de couverture pour son propre compte. La banque aurait aussi pu attendre juin 2007 puis juin 2008 et juin 2009 pour recevoir les blocs d’actions et les balancer sur le marché. Elle avait le projet de céder ces actions à terme majoritairement auprès d’investisseurs institutionnels, dont elle n’était pas tenue de révéler l’identité, pas plus que Daimler Chrysler n’avait à révéler le nom de personnes figurant sur le livre d’ordres de la banque JP Morgan, pas plus que l’APE n’a vocation à vérifier l’identité de personnes auprès desquelles elle place des titres France Télécom.

M. Henri Emmanuelli : Nous progressons ! Nous savons maintenant que SOGEADE était au courant que les actions seraient reprises par des investisseurs institutionnels. Reste à savoir quel champ recouvre, dans ce pays, la notion d’investisseur institutionnel…

M. Philippe Pontet : Nous ignorions qui allait souscrire les actions sur le marché. Le groupe EADS est coté sur les grandes places financières, avec des mouvements de titre à Londres, Madrid, Francfort ou Paris. C’était une opération de marché.

Le Président Didier Migaud : Mais une opération de marché un peu particulière. C’est pourquoi l’on peut être surpris d’entendre un ancien ministre prétendre qu’il ne savait rien et qu’il apprend tout par la presse.

M. Bruno Bezard : L’APE est notamment chargée de trois missions.; premièrement, elle veille au développement et à la rentabilité des entreprises ; les comptes combinés de l’État actionnaire font apparaître 13 milliards d’euros de résultat en 2006 ; deuxièmement, elle veille à ce que ces entreprises publiques présentent un bilan sain ; le levier, c’est-à-dire le ratio dette sur fonds propres, est passé d’un facteur de 8 à 2,6 en cinq ans ; troisièmement, elle propose si nécessaire au ministre des évolutions concernant la part de l’État dans le capital des entreprises publiques ; c’est ce que nous faisons quotidiennement.

Le ministre a-t-il reçu une deuxième note en mars, lorsque la cession de Lagardère a débuté ? Oui, en date du 21 mars 2006, et elle est à votre disposition. Elle peut être distribuée aux parlementaires.

Le Président Didier Migaud : Dès lors que vous en parlez, vous suscitez notre curiosité. Voulez-vous développer ?

M. Bruno Bezard : Cette note était relative à l’exercice du droit de préemption. Elle s’achève par ces mots : « Je serais reconnaissant au ministre de me faire connaître ses orientations s’agissant d’un éventuel exercice par l’État de son droit de sortie conjointe. » Et cette phrase est assortie de ces quelques mots manuscrits : « Je comprends que ce n’est pas à ce stade le souhait du Gouvernement. » La réponse nous vient, comme il est d’usage, sous la forme d’une annotation : « Accord, sans préemption ni sortie conjointe. »

M. Charles de Courson : Le procès-verbal indique : « Le président insiste sur la nécessité que ce mouvement d’actionnaires ne soit pas interprété comme un acte de défiance vis-à-vis d’EADS qui rentre, et notamment Airbus, dans une phase plus agitée. » Qu’entendiez-vous par cette expression, monsieur Pontet ?

Le principe de la Grande Muraille, c’est qu’elle est chinoise d’un côté et mongole de l’autre. Or le directeur du trésor est à la fois Chinois et Mongol : Chinois car il siège au conseil de surveillance de la CDC et Mongol car l’APE lui fait remonter des informations. Le problème n’est-il pas la schizophrénie du montage juridique ? En d’autres termes, faut-il maintenir une représentation de la direction du trésor au conseil de surveillance de la CDC ?

Quelle appréciation le directeur général de l’APE porte-t-il sur le pacte d’actionnaires qui, au fond, a ôté à l’État tout moyen d’assumer sa responsabilité d’actionnaire d’EADS, alors qu’il était l’un des trois principaux actionnaires ?

M. Gérard Bapt : La SOGEADE a-t-elle donné son avis concernant la recomposition du conseil d’administration d’EADS, qui doit être décidée en assemblée générale, le 22 octobre à Amsterdam ? En a-t-elle débattu ? A-t-elle décidé d’un mandat ? Quel a été le vote des représentants du ministère ?

Contrairement à ce que m’a répondu Mme la ministre en début d’après-midi, l’État participe bien à l’assemblée générale des actionnaires. Quel mandat a été donné à son représentant pour voter en assemblée générale le 22 octobre, notamment sur la huitième résolution, qui renouvelle le mandat de M. Arnaud Lagardère ?

M. Jérôme Cahuzac : M. Pontet, vous siégez donc au conseil d’administration de la SOGEPA en qualité de personnalité qualifiée, vous en présidez le conseil d’administration, et c’est à ce titre que vous êtes membre de la SOGEADE et que vous en présidez également le conseil d’administration. La SOGEADE n’est pas tenue par le pacte d’actionnaires : sa mission est de tenir l’État informé de ce qu’elle sait. Alors pourquoi invoquez-vous le pacte d’actionnaires pour vous justifier de ne pas avoir informé l’État, qui vous a nommé à vos fonctions ?

Avez-vous informé le ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie, l’un de ses collaborateurs ou l’un de ses directeurs d’administration centrale de ce que vous avez appris officiellement lors du conseil d’administration du 3 avril, à savoir le placement d’obligations auprès d’investisseurs institutionnels ? Si oui, l’avez-vous fait avant le 10 ou le 12 avril ? Habituellement, faites-vous passer rapidement au ministre les informations de cette importance ?

Quand la réunion du conseil d’administration du 3 avril a-t-elle été convoquée ? S’agissait-il d’un conseil d’administration ordinaire ou extraordinaire ? Saviez-vous, en le convoquant, que le représentant du groupe Lagardère allait donner cette information ? L’ordre du jour prévoyait-il une communication ou une délibération relative à l’évolution du capital d’EADS ?

Enfin, avez-vous eu des conversations régulières avec le ministre ou ses collaborateurs concernant les difficultés d’EADS ou n’êtes-vous que le fidèle exécutant d’ordres venus d’ailleurs, ce que j’ai du mal à imaginer, eu égard à votre expérience, à votre passé et à votre statut de personnalité qualifiée ?

M. Henri Emmanuelli : Nous avons bien compris que la SOGEADE applique les instructions que lui donne l’APE en fonction de réponses que lui adresse le ministre ; la Grande Muraille est donc déjà ébranlée. Nous avons aussi entendu que le Gouvernement n’aurait aucune responsabilité possible dans la gestion d’EADS. Ces propos sont-ils crédibles alors que nous avons assisté, pendant toute l’année 2005, à une bataille de titans pour le remplacement de M. Philippe Camus par M. Noël Forgeard, dans laquelle les pouvoirs publics se sont largement impliqués ? De même, comment le conflit à la tête d’EADS aurait-il pu aboutir à une célèbre affaire actuelle ?

M. Jérôme Chartier : Je ne m’explique pas bien comment des professionnels pourraient laisser faire la cession de 7,5 % d’une entreprise aussi stratégique qu’EADS sans connaître précisément les bénéficiaires de l’opération. Ce n’est pas neutre du point de vue des assemblées générales ni de la position de la France en tant qu’actionnaire. En novembre, lorsque Lagardère et Daimler Chrysler font part au ministre de leur réflexion sur leur sortie partielle d’EADS, le rôle de patriote économique de l’APE n’aurait-il pas dû la conduire à poser les bonnes questions ?

M. Xavier Musca : La commission de surveillance de la CDC ne s’occupe pas uniquement de prises de participation ; elle est chargée de superviser les missions d’intérêt général de la CDC et de veiller aux fonds d’épargne. De ce point de vue, elle fonctionne correctement. C’est un lieu de débat, où sont abordés les dossiers avec une véritable instruction et un vrai travail, au cours duquel le représentant de l’État s’exprime. La difficulté tient à la question des prises de participation, qui ne lui sont pas obligatoirement soumises a priori ; dans les faits, au cours des cinq dernières années, elles l’ont toujours été a posteriori. Cette situation est embarrassante car, informée a posteriori, que peut faire la direction du trésor ?

Dans EADS comme dans la CDC, les moyens d’exercer le contrôle réel des opérations sont refusés à l’État, dans le premier cas en raison de la construction compliquée liée aux relations franco-allemandes, dans le second à cause de la volonté de tenir le Trésor éloigné de l’instruction des dossiers d’investissement.

Au moment de l’information a posteriori donnée par la CDC sur ses investissements, nous ne sommes plus en mesure ni d’empêcher l’investissement, ni de corriger quoi que ce soit. C’est pourquoi, dans la note du 9 février 2006 relative à la gouvernance de la CDC, j’ajoute une annotation manuscrite : « Des progrès récents ont été réalisés en matière de gouvernance. Il est possible et souhaitable d’aller plus loin en faisant de la commission de surveillance le lieu qui adopte les grandes lignes stratégiques d’action de la Caisse, notamment dans les activités d’intérêt général, et en instaurant un principe de transparence à son bénéfice, afin qu’elle soit informée des opérations individuelles importantes, ce qui est parfois le cas mais pas toujours. »

Nous avons aussi demandé que soit créé un comité des investissements, afin d’épauler le directeur général et de spécifier le rôle de chacun des acteurs. Il existe un réel problème de gouvernance et je me félicite que le Gouvernement ait entamé une réflexion à ce sujet.

M. Louis Giscard d’Estaing : Notre assemblée a été saisie des difficultés rencontrées dans le processus préalable à certains investissements dans des entreprises publiques comme EDF ou France Télécom. Le problème n’était cependant pas en rapport avec la gouvernance mais avec la difficulté à prendre des décisions motivées portant sur plusieurs milliards de francs. La création de l’APE a du reste été la conséquence d’une commission d’enquête parlementaire.

M. Michel Bouvard : Le problème est bien que SOGEADE et SOGEPA n’avaient pas d’informations sur les retards et les risques, informations qui auraient dû être portées à la connaissance de tous, dans un souci de transparence. On peut toujours reprocher à la CDC de ne s’être appuyée que sur deux expertises financières, mais le vrai problème, c’est que la Caisse a eu la même démarche que les autres investisseurs et que ceux-là même qui étaient en phase avec ce qui ce passe à EADS ou chez Airbus n’avaient pas l’information.

Pour le reste, s’agissant de titres d’une entreprise aussi stratégique, il n’est pas plus mal qu’une institution comme la CDC se soit portée acquéreuse.

M. Xavier Musca : Je ne critique pas les investissements de la CDC. Seulement, lorsqu’elle intervient quelque part, le fait-elle ou non pour le compte de l’État ? L’absence de clarté sur les règles du jeu nous impose aujourd’hui un débat relatif au rôle des différents acteurs, que nous aurions pu aisément éviter.

M. Bruno Bezard : L’APE a fait ce qu’on lui a demandé le 21 mars : examiner les conditions techniques de la sortie partielle de Lagardère, dans le respect du pacte, instruire le dossier et transmettre très rapidement des propositions au ministre. Je ne vois pas ce que nous aurions pu faire de plus qu’appliquer le texte du pacte. Quant à savoir s’il conviendrait de se donner à l’avenir les moyens de se préoccuper plus de l’évolution du capital d’une entreprise aussi stratégique, j’en suis d’accord et c’est la raison pour laquelle nous sommes en train d’y travailler, afin de prendre les dispositions nécessaires dans ce domaine avec nos partenaires, notamment allemands.

En réponse à la question de M. Emmanuelli, quand une instruction ministérielle relative à un sujet d’État est transmise, je ne vois pas en quoi il s’agit d’une défaillance du service.

L’APE a effectivement eu pour objectif de faire en sorte que la gouvernance des entreprises publiques soit remise à plat et cela a marché, sauf à EADS, parce que nous n’en n’avions pas les moyens juridiques. Dans les autres entreprises, nous avons dépensé beaucoup d’énergie, les dents ont grincé, mais l’État actionnaire a repris sa place et retrouvé l’autorité qui lui manquait.

M. Philippe Pontet : Lors de la réunion du 3 avril, j’ai en effet insisté sur la nécessité que ce mouvement d’actionnaires ne soit pas interprété comme un acte de défiance vis-à-vis d’EADS, et je l’assume totalement. Nous n’étions alors pas du tout au courant des difficultés de câblage d’Airbus mais cette remarque était motivée par des considérations financières : lorsque l’on vend deux paquets d’actions de 7,5 %, cela pèse sur le marché.

Je vais maintenant m’exprimer à titre personnel. EADS est un très beau groupe qui mérite de se développer. Il a un vrai avenir car la demande d’avions restera soutenue et il est impensable que le duopole mondial laisse la place à un monopole américain. Les professionnels d’EADS et d’Airbus sont de grands experts qui produisent des avions magnifiques. Si j’ai parlé de « phase agitée », c’est que le timing des dilutions n’a pas été optimal.

Premièrement, l’A350 n’était pas prévu au programme mais il a fallu fournir une réponse stratégique au fameux Dreamliner de Boeing ; le premier avion proposé par Airbus ne constituait pas un vrai saut qualitatif et il a fallu proposer un deuxième projet, dont le coût n’était plus de 4,5 milliards d’euros mais d’au moins 9 milliards. Airbus devait donc financer son effort de recherche. Deuxièmement, je pense que la parité entre le dollar et l’euro place Airbus et EADS face à un problème majeur qui risque de durer. Troisièmement, à ce stade, il existe un déséquilibre entre le secteur civil et le secteur défense, qui ne possède pas encore la taille critique.

J’ai par conséquent considéré qu’il était de mon devoir personnel, en tant que président, d’appeler l’attention sur le risque, même si, je le répète, personne n’avait le pouvoir de s’opposer aux choix stratégiques des groupes Lagardère et Daimler Chrysler.

J’ai été nommé en 1999, au moment de la création d’EADS, et mes mandats ont été renouvelés depuis. Je suis très fier de la confiance que l’État a bien voulu me témoigner, sur des dossiers si importants et difficiles. Mes mandats vont cependant arriver à leur terme puisqu’il a été décidé que la présidence de SOGEADE Gérance échouerait à M. Arnaud Lagardère, qui ne sera plus co-chairman du groupe après l’abandon de la bicéphalie du groupe.

M. Henri Emmanuelli : Avez-vous une autre activité ?

M. Philippe Pontet : Oui, je suis le Chairman Investment Banking de la banque HSBC. Lorsque j’ai pris cette responsabilité, j’ai mis officiellement mes mandats à la disposition de mes ministres de tutelle.

Après les réunions des conseils d’administration de SOGEPA et de SOGEADE, l’information des pouvoirs publics est assurée de façon structurelle puisque des représentants des ministères de tutelle – finances, défense, transport – y siègent et que les procès-verbaux sont aussitôt transmis.

Dans les actes fondateurs d’EADS, il est prévu que SOGEPA et SOGEADE soient les exécuteurs techniques des décisions prises par l’État actionnaire : nous sommes effectivement des courroies de transmission, au sens noble du terme ; nous n’avons pas de pouvoir de décision.

M. Jérôme Cahuzac : Mais alors, quand avez-vous informé vos autorités de tutelle de ce qui a été annoncé au conseil d’administration du 3 avril ? Il ne s’agissait pas de nouvelles anodines.

M. Philippe Pontet : Je le répète, j’ai reçu, le 22 mars, une lettre du groupe Lagardère et, le 27 mars, une autre du groupe Daimler Chrysler. J’ai d’ailleurs immédiatement demandé qu’elles soient transmises à l’APE.

M. Jérôme Cahuzac : Ce n’était pas le sens de ma question. Le 3 avril, M. Pierre Sellier, représentant du groupe Lagardère, informe le conseil d’administration de la SOGEADE qu’IXIS CIB est mandatée et a préalablement placé la majeure partie des actions concernées auprès d’investisseurs institutionnels. C’est une information complémentaire par rapport à celles contenues dans les deux courriers. Quand en avertissez-vous les ministères de tutelle ? Nous pourrions d’ailleurs auditionner leurs représentants pour le savoir.

M. Philippe Pontet : Les informations que nous avons eues le 3 avril ont été instantanément transmises aux autorités de tutelle via les représentants des autorités de l’État.

M. Jérôme Cahuzac : Vos autorités de tutelle savent donc, le 4 avril au plus tard, que des investisseurs institutionnels s’apprêtent à reprendre tout ou partie des 7,5 % que M. Lagardère a décidé de vendre.

M. Philippe Pontet : Oui.

M. Jérôme Cahuzac. Cela signifie qu’entre le 4 et le 12 avril, pendant toute une semaine, personne, au plus haut niveau du ministère de Finances, ne se préoccupe de savoir qui va racheter. C’est troublant.

Le Président Didier Migaud : C’est difficile à croire.

M. Philippe Pontet : Pour répondre à M. Bapt, le 16 juillet, les grands actionnaires d’EADS, l’État, le groupe Lagardère et le groupe Daimler Chrysler, négocient un term sheet réformant la gouvernance d’EADS, dont les grandes lignes seront médiatisées à l’envi : suppression de la bicéphalité, présidence allemande, CEO français et réforme du conseil d’administration.

Ce document, examiné par le conseil d’administration de SOGEADE du 20 septembre 2007, se traduit par des projets de résolution aujourd’hui publics qui seront présentés à l’assemblée générale d’EADS du 22 octobre. En qualité de président de SOGEADE, j’ai effectivement reçu instruction de l’État de voter les résolutions proposées. Les noms des administrateurs indépendants, notamment des personnalités internationales, seront proposés à l’assemblée générale par le Board et le président d’EADS.

M. Gérard Bapt : Votre réponse est très claire, mais quelle sera la position de l’État, qui siège directement en tant que tel à l’assemblée générale ?

M. Philippe Pontet : Sa position sera identique.

M. Xavier Musca : Je précise que la CDC est engagée depuis le 28 mars par une lettre d’intention.

M. Michel Bouvard : Plus exactement par une lettre d’engagement. L’irréversibilité date de ce jour.

Le Président Didier Migaud : Nous allons certainement continuer les auditions. Je remercie M. le Directeur général, M. le Directeur et M. le Président.

*

* *

Mardi 16 octobre 2007, séance de 10 h 30

VI.– AUDITION SUR LA PARTICIPATION D’IXIS-CIB À L’ÉVOLUTION DE L’ACTIONNARIAT D’EADS ET SUR LES MODALITÉS DE CETTE PARTICIPATION :

– M. Anthony Orsatelli, président du directoire d’IXIS-CIB ;

– M. Bernard Migus, directeur général d’IXIS-CIB

Le Président Didier Migaud : Je souhaite la bienvenue à M. Anthony Orsatelli, président du directoire d'IXIS CIB, et à M. Bernard Migus, directeur général.

La commission des Finances souhaite, messieurs, être éclairée sur les conditions dans lesquelles le groupe Lagardère, désireux de céder une partie de sa participation dans le capital d’EADS, a fait appel à vous afin d’organiser cette cession : quand et comment s’est établie cette connexion entre le groupe Lagardère et IXIS CIB ? Pour quelles raisons et comment l’ORAPA a été élaborée ? De quelle façon et à quel moment la Caisse des dépôts a été approchée ? De qui étiez-vous le conseiller ? Êtes-vous toujours en possession d’une partie de la participation du groupe Lagardère ?

M. Anthony Orsatelli : IXIS CIB est aujourd’hui une filiale du groupe NATIXIS. À l’époque, elle était une filiale à 100 % du groupe Caisse d’épargne.

Nous avons rencontré le groupe Lagardère dans le cadre des démarches commerciales que nous entreprenons de manière régulière avec les grandes entreprises françaises, puisque IXIS CIB est une banque de financement et d’investissement dont les grands clients sont les grandes entreprises françaises, notamment celles du CAC 40. C'est donc à cette occasion que nos équipes ont effectué, avec le groupe Lagardère, un tour d’horizon classique de ses problématiques et des solutions que nous pourrions apporter à certaines d’entre elles.

Lors de la première réunion, nous avons évoqué, parmi d’autres questions, celle de la diminution de la participation du groupe dans EADS, question qui se posait de façon publique puisque la plupart des analystes financiers de la place savaient, à la suite de réunions avec le groupe, que celui-ci avait l’intention de s’alléger de sa participation dans l’aéronautique. Nombre d’entre eux, d’ailleurs, conseillaient cet allégement, estimant que la holding du groupe était trop exposée vis-à-vis du groupe aéronautique compte tenu de la hausse de valeur d’EADS. Ils lui appliquaient même une décote, classique, de conglomérat.

Cette possibilité que le groupe s’allège est une idée dont on avait déjà parlé à l’époque lors de réunions commerciales, mais elle ne semblait pas très mure. C'est au cours de cette première réunion, le 28 novembre 2005, qu’il a semblé que l’idée devenait plus mature.

M. Bernard Migus : C’est en effet au cours de cette première réunion qu’est envisagée, parmi les opérations potentielles, la cession d’une partie des actions EADS détenues par le groupe Lagardère. La direction financière nous donne à cette occasion la possibilité de réfléchir au sujet et de faire des propositions. Des réunions de travail avec le groupe s’ensuivent afin de comprendre ses objectifs et ses contraintes, de façon à présenter le produit qui correspond le mieux à son attente. Nous avons bien entendu le sentiment de ne pas être alors les seuls sur le dossier, nos concurrents ayant certainement effectué la même sorte de démarche que nous.

Il nous apparaît, à l’issue de plusieurs réunions de travail, que l’objectif du groupe est de sortir en douceur sur une certaine durée, en gardant les droits de vote le plus longtemps possible, tout en conservant, dans la mesure du possible, une participation au profit en cas de hausse du titre. En tout état de cause, l’idée est de replacer les « actions » – je reviendrai sur ce que signifie ce mot dans le cas précis – auprès d’un petit groupe d’investisseurs institutionnels français, sachant que le groupe Lagardère attache une importance extrême à la confidentialité, point qui le préoccupera tout au long du process. C'est d’ailleurs ce qui explique que la liste des investisseurs avec lesquels nous engagerons par la suite des discussions soit restreinte.

Une idée commence à se dessiner, mi-décembre, celle d’une ORAPA, produit qui n'est pas nouveau – c'est même la troisième ou la quatrième du genre -, mais que nous remettons au goût du jour. Il s’agit d’un financement, opéré à 100 % par IXIS, sous la forme d’obligations remboursables en actions, dont la parité est ajustable : outre le fait que ces obligations figurent dans le bilan d’IXIS – il est bien spécifié, contractuellement, que nous les conservons –, nous sommes remboursés en actions en trois échéances, en juin 2007, 2008 et 2009, le caractère ajustable signifiant que si le cours du titre EADS monte jusqu’à 15 %, le nombre d’actions que l’on nous donne est réduit proportionnellement : en fonction de l’augmentation ou non du titre, il peut nous être donné entre 7,5 % et 6,5 % d’actions. Au-delà de 15 %, rien ne change : le compteur reste bloqué à 6,5 %.

La banque IXIS ayant l’obligation de détenir ces obligations, elle a donc un risque sur l’action EADS, avec une composante dite de « dérivé » puisque le mécanisme de 15 % intègre un aspect dérivé, ou optionnel. C'est ce que l’on appelle un produit structuré. Pour couvrir notre position, autrement dit pour protéger nos risques, nous prenons alors une part du gâteau, c’est-à-dire que, pour couvrir notre position de dérivé, nous gardons à peu près 1,75 à 1,8 % des actions, sachant qu’une fois l’opération menée à bien, nous sommes intervenus tous les jours en achetant ou en vendant en fonction de la hausse ou de la baisse. C'est d’ailleurs ce qui fait que, mi-juin, au moment de l’annonce, nous avons également été impactés par la chute du titre EADS, et cela d’une manière non négligeable.

Notre couverture nécessitait donc, à la fois, que nous prenions des actions et que nous en revendions, si possible à terme, à des investisseurs. Si, d’un côté, IXIS détient 100 % de titres structurés qu’elle n’a pas l’intention de céder, de l’autre, elle vend des actions EADS, en l’occurrence des actions à terme – mais qu’elles soient à terme ou au comptant ne change par grand-chose en la matière.

Pour en revenir à la chronologie, nos interlocuteurs chez Lagardère commencent, début janvier, à être convaincus que l’idée d’ORAPA avec mécanisme de couverture n'est pas absurde. Ils nous autorisent alors à procéder à une sorte de sondage auprès de quelques investisseurs institutionnels sélectionnés afin de savoir s’ils trouveraient un intérêt à acheter des actions du groupe EADS, cette tâche étant répartie entre la maison Lazard, avec laquelle nous avons un accord de coopération, et nous.

Tandis que la banque Lazard se charge de la syndication auprès des investisseurs institutionnels du bloc d’actions, déduction faite de 1,75 à 1,8 % d’actions que nous conserverions, nous avons, pour notre part, la responsabilité des rapports avec Lagardère, du montage de l’opération ainsi que de l’adéquation des ORAPA et de la couverture pendant toute la durée de vie du produit, c’est-à-dire jusqu’en juin 2009. Parmi les investisseurs contactés en janvier par la banque Lazard, je crois alors savoir que figure la Caisse des dépôts.

Le Président Didier Migaud : Il suffit de lire les journaux.

M. Anthony Orsatelli : Comme nous n’étions pas partis à la démarche, nous ne pouvions être sûrs que la CDC ait été contactée en janvier. Nous savions simplement que plusieurs investisseurs avaient été approchés par Lazard.

M. Bernard Migus : Pour être clair, nous n’avons vu ni les investisseurs, ni des responsables du ministère des Finances, ni des représentants de cabinet ministériel.

M. Michel Bouvard : Qui a arrêté la liste des investisseurs à contacter ?

M. Bernard Migus : Le choix s’est fait entre Lazard et nous, pour l’essentiel. En revanche, à ma connaissance, Lagardère sait, à ce moment-là, que la Caisse des dépôts fait partie des investisseurs institutionnels qui seront contactés.

M. Michel Bouvard : La liste a été soumise à Lagardère ?

M. Bernard Migus : Je ne crois pas. Nous ne lui parlons, à titre illustratif, que d’investisseurs institutionnels du type Caisse des dépôts.

M. Anthony Orsatelli : Les grands investisseurs de moyen terme en France sont malheureusement dix tout au plus. Il est donc facile de les visiter tous. S’il y en avait eu 200, la question se serait posée différemment.

M. Jérôme Chartier : Si je comprends bien, vous avez surtout contacté les investisseurs de la place de Paris. Cela signifie-t-il que le groupe Lagardère avait donné pour consigne de vendre par priorité à des investisseurs français ?

M. Anthony Orsatelli : Ce n’était pas une consigne, plutôt une préférence. Il ne nous était pas interdit de rencontrer des investisseurs étrangers si jamais nous n’arrivions pas à boucler l’opération.

M. Bernard Migus : La préférence allait à des investisseurs français de long terme. Le souhait de Lagardère était de ne pas déstabiliser le capital d’EADS. C'est pour cette raison que nous avons cité la Caisse des dépôts, qui représentait l’archétype des investisseurs français de long terme.

M. Jerôme Chartier : Qui a engagé les premiers contacts avec Lagardère : les équipes de NATIXIS ou celles de votre filiale Nexgen ?

M. Bernard Migus : L’une et l’autre : la frontière entre les deux est assez ténue. En l’occurrence, celui qui a pris le rendez-vous était un salarié d’IXIS, et il a dirigé la réunion, accompagné de plusieurs personnes, dont un salarié de Nexgen. Considérons cependant IXIS comme un bloc. À vrai dire, la différenciation apporte peu de chose.

Je tiens ici à apporter une précision : si je puis m’exprimer aujourd’hui à la fois sur la partie Lagardère et sur la partie Caisse des dépôts, c'est parce que nous avons demandé à tous deux la levée du secret bancaire et qu’ils nous l’ont accordée par écrit, sans aucune difficulté.

M. Jérôme Chartier : Vous êtes donc en mesure de nous parler de la relation entre IXIS et Lagardère, et cela de façon très détendue ?

M. Anthony Orsatelli : Absolument, encore que « d’une façon détendue », je ne sais pas !

M. Jérôme Cahuzac : Dès le mois de janvier, Lazard organise donc la syndication des investisseurs ?

M. Anthony Orsatelli : Non, elle prend les premiers contacts afin de procéder à des sondages.

M. Jérôme Cahuzac : Les dix investisseurs institutionnels de long terme dont vous avez fait état sont sondés à cette époque-là ?

M. Anthony Orsatelli : Probablement.

M. Bernard Migus : Je ne suis pas sûr que tous l’aient été, car la question à ce moment-là est encore de savoir si l’opération est faisable. L’idée est d’interroger quelques investisseurs afin de juger de leur réaction : si les quatre premiers répondent négativement à ce sondage, cela signifie que notre montage n'est pas le bon. Je parle de sondage car, je le répète, Lagardère a fait part, à chaque étape, de sa préoccupation de confidentialité.

M. Anthony Orsatelli : Une telle opération, somme toute classique dans nos métiers, prend du temps, car elle demande un va-et-vient permanent. Il nous faut d’abord, à partir de ce que demande le client et de ce que le marché permet, élaborer les paramètres du produit que nous proposons. Puis, sur la base des réactions du client, il convient de retravailler ces paramètres et tester alors à nouveau le produit auprès de quelques investisseurs en qui nous avons confiance et qui nous font confiance. Ce n’est pas un simple dessin au tableau noir qu’il nous faut esquisser. Notre produit n’est pas quelque chose de tout prêt.

M. Jérôme Cahuzac : La Caisse des dépôts fait-elle partie des premiers investisseurs sondés ?

M. Bernard Migus : Oui.

M. Jérôme Cahuzac : M. Lagardère est-il informé que la Caisse de dépôts fait partie de ces investisseurs ?

M. Bernard Migus : La réponse est également oui. La Caisse des dépôts est un investisseur de long terme, qui correspond idéalement au profil du dispositif imaginé. Le groupe Lagardère est au courant du test en janvier, étant précisé que nous ne bénéficions alors d’aucun mandat de sa part. Autrement dit, il s’agit...

Le Président Didier Migaud : De contacts officieux.

M. Anthony Orsatelli : Disons de contacts commerciaux.

M. Bernard Migus : À ce stade, avons-nous le mandat ne serait-ce que moral de faire l’opération ? La réponse est non. Est-ce qu’à ce moment-là des concurrents travaillent sur des projets alternatifs ? C'est le sentiment que nous avons.

M. Louis Giscard d’Estaing : Assuriez-vous un suivi des contacts de la banque Lazard avec les investisseurs institutionnels, et confirmez-vous qu’à ce stade, vous n’aviez pas un mandat exclusif du groupe Lagardère ?

M. Anthony Orsatelli : Nous n’avions pas de mandat du tout.

M. Bernard Migus : Même pas un mandat moral nous garantissant que nous aurions au final le mandat. Simplement, plus on travaille, plus on se dit que nos chances augmentent.

S’agissant de la maison Lazard, l’erreur à ne pas commettre en cette sorte d’affaire est d’être deux à faire la même chose, sinon c'est la pagaille assurée à tous les coups. La banque a donc effectué un travail classique en élaborant un document à son nom ne comportant, bien entendu, que des informations publiques.

Pour reprendre la chronologie, c'est le 27 janvier qu’une réunion est organisée entre la maison Lazard, nous-mêmes et le groupe Lagardère : la transparence prévaut. Nous ne sommes pas en effet une interface entre les maisons Lazard et Lagardère. Cela ne servirait d’ailleurs à rien, sinon à favoriser une déperdition d’informations, d’autant que notre accord de coopération avec Lazard est public. Les discussions sont menées à trois, la banque faisant part à cette occasion d’un retour de marché plutôt positif.

M. Michel Sapin : La caractéristique de votre montage est qu’il se projette à trois ans, ce qui implique une analyse de l’évolution potentielle du montant de l’action. Avez-vous envisagé une diminution du cours ?

M. Anthony Orsatelli : Sur un tel produit, nous faisons, par définition, un travail d’ingénierie financière sur la base d’informations publiques, comme n’importe quel analyste financier. Or, à l’époque, 90 % des analystes qui, dans le monde, suivent le cours d’EADS, voient l’action monter dans les années suivantes.

M. Bernard Migus : D’abord, nous sommes indifférents, dans la gestion de notre couverture, à l’évolution du cours de Lagardère – sauf quand il baisse de 20 % ! Ensuite, notre client étant le groupe Lagardère, notre intention est de lui présenter le meilleur produit. Dans un tel exercice, vous n’avez qu’un maître : votre client.

M. Michel Sapin : Le consensus du marché a-t-il évolué durant le va-et-vient dont vous avez fait état ?

M. Anthony Orsatelli : Non !

M. Michel Sapin : Il a toujours été à la hausse ?

M. Bernard Migus : Oui !

M. Michel Sapin : Étiez-vous informés du fait que des ventes d’actions avaient lieu durant cette période ?

Le Président Didier Migaud : D’autant que c'est à peu près à la même époque que l’Agence des participations de l’État prévoit que le cours va plutôt baisser.

M. Anthony Orsatelli : Je ne dis pas que je regrette de ne pas avoir lu ce rapport, car j’aurais alors été un initié, mais je puis vous assurer que nous n’en avions pas connaissance.

M. Jérôme Chartier : Si vous n’avez pas signé d’accord de confidentialité au départ, vous saviez tout de même que vous étiez l’un des acteurs privilégiés, sinon le seul, de l’opération.

Par ailleurs, avez-vous, à un moment ou à un autre, pu penser que Lagardère pourrait ne pas réaliser l’opération ?

M. Bernard Migus : Oui. L’opération n’a pour nous été certaine qu’à la fin.

M. Louis Giscard d’Estaing : C’est-à-dire en mars ?

M. Bernard Migus : Oui. C'est à ce moment-là que l’on a eu le sentiment que l’on avait le mandat.

S’agissant de l’engagement de confidentialité, nous en avons peut-être signé un, comme c'est classique.

Le Président Didier Migaud : peut-être ?

M. Bernard Migus : Je n’ai pas avec moi l’accord qui a été alors signé.

M. Anthony Orsatelli : Cela signifie simplement que nous ne l’avons plus en tête.

M. Bernard Migus : La probabilité d’avoir signé au démarrage de l’opération, comme d’autres confrères qui ont participé à celle-ci, un accord de confidentialité tendant à ce que nous ne divulguions pas d’informations, est de l’ordre de 90 %.

Pour ce qui est des informations portant sur des ventes d’actions à l’époque, le fait que plusieurs banques travaillaient sur le dossier a pu faire naître une rumeur selon laquelle Lagardère allait se désengager partiellement du groupe EADS. Dans de telles conditions, le réflexe normal de tout investisseur basique, face à un groupe qui communique sur le fait qu’il souhaite céder ses titres à un moment ou à un autre, est de vendre ceux qu’il détient. Il faut cependant relativiser : il n’y avait pas de raz-de-marée.

M. Michel Bouvard : Par rapport à la chronologie côté français, à quel moment savez-vous qu’une opération de cession de titres similaire se prépare côté allemand ?

M. Bernard Migus : Dès le début, ou à vrai dire, très rapidement, puisqu’il est bien entendu que le prix de référence sera celui des Allemands. Le groupe Lagardère nous a fait part relativement tôt du fait qu’une opération similaire aurait lieu avec les Allemands sous forme d’ABB.

M. Michel Bouvard : Lorsque vous proposez le montage ORAPA, vous savez donc que le prix de référence sera le prix allemand ?

M. Bernard Migus : Non, c'est nous qui proposons que ce soit le prix allemand, au nom du principe d’équité selon lequel le prix doit être le même pour tout le monde.

M. Jérôme Cahuzac : Vous acceptez que le groupe Lagardère bénéficie d’une option de retour à meilleure fortune ; d’une certaine manière, vous prenez un risque.

M. Bernard Migus : Nous sommes payés pour.

M. Jérôme Cahuzac : Quelle est la majoration de votre tarif pour accepter ce risque ?

M. Bernard Migus : L’affaire est un peu compliquée. Disons que nous avons reçu des commissions : le taux du coupon de 7,9 % sert à la fois à payer l’option et à nous permettre de dégager un éventuel profit.

M. Anthony Orsatelli : Nous ne pourrons faire le bilan de l’opération qu’à la fin. Il nous faut continuer à gérer les tensions actuelles jusqu’à la fin, peut-être avec des bas, comme nous en avons connu un lorsque le titre a chuté. Nous verrons si le coupon permet de dégager un profit à la fin de l’opération.

M. Bernard Migus : Le mauvais cas de figure pour nous, c’est lorsque le titre bouge beaucoup dans la journée, soit à la hausse soit à la baisse. Cela oblige à des réajustements qui conduisent à des pertes. C'est tous les jours qu’il nous faut gérer la position, et ce n'est donc bien qu’en 2009 que nous pourrons faire les comptes, en espérant qu’ils seront positifs.

M. Louis Giscard d’Estaing : Êtes-vous tenu à effectuer un provisionnement dans vos comptes ?

M. Anthony Orsatelli : Ce que nous faisons, c’est du mark to market, c’est-à-dire que nos positions sont réévaluées tous les jours.

M. Jérôme Chartier : Vous avez distingué deux opérations pour IXIS : celle portant sur les ORAPA, avec une rémunération à un taux particulier qui prend en compte le retour à meilleure fortune, et celle ayant trait à la cession de titres. À cet égard, quelles sont les conditions de cession des titres ? Les avez-vous fixées préalablement ou dépendent-elles du cours du jour ? Celui qui rachète les titres bénéficie-t-il aussi d’une rémunération puisque, finalement, il court un risque ?

M. Bernard Migus : Celui qui fait ce rachat, achète une action EADS, point.

M. Jérôme Chartier : Il l’achète quand et à quel prix ?

M. Bernard Migus : Il l’achète le jour de l’ABB au prix de l’ABB, normalement. Nous verrons que ce sont des actions à terme, et ce que cela change, mais, en tout état de cause, il achète des actions EADS comme il le ferait pour des actions Lagardère ou autres.

M. Jérôme Chartier : Il achète les actions sans bénéficier ni du droit de vote ni du dividende jusqu’à ce que ces actions soient libérées ?

M. Bernard Migus : Puisqu’il s’agit d’actions à terme, il ne les achète pas tout à fait au même prix que les actions au comptant. Il y a là un avantage, ce qui explique qu’il n’a ni droit de vote ni dividende.

M. Jérôme Chartier : Qu’en est-il exactement de cet avantage ?

M. Bernard Migus : Il est calculé de telle sorte que l’acheteur y trouve une relative équivalence, voire un peu plus. Pour la Caisse des dépôts, par exemple, il était un tout petit peu plus rentable d’acheter sous cette forme-là qu’au comptant. En l’occurrence, que des investisseurs achètent des actions « normales », c'est la vie de tous les jours.

En tout cas, les deux opérations intéressant IXIS sont distinctes, et c’est à tort que l’on fait le lien, sauf à considérer qu’elles représentent la couverture d’IXIS. D’un côté, celle-ci fait une ORAPA avec Lagardère, qu’elle gère au mieux tous les jours, et, de l’autre, elle vend des actions.

À partir du 27 janvier, nous avons une sorte de feu vert pour engager le travail technique. Nous regardons les divers aspects, notamment juridiques, de l’opération et étudions sa faisabilité. Cela nous prend un mois. En février, nous élaborons la documentation juridique, qui est assez épaisse. À ce stade, nous commençons à penser que nos chances augmentent mais nous n’avons toujours pas de mandat.

Le 8 mars, nous participons à une réunion de travail avec la direction financière du groupe Lagardère. La question du prix est abordée : Lagardère fait pression sur nous en arguant de la compétition avec d’autres acteurs, ce qui s’inscrit dans le jeu normal. Nous finissons par nous mettre d’accord, à peu de choses près. C’est à partir de ce moment que je considère que nous commençons à avoir un mandat moral, même s’il n’y pas encore d’écrit. Nous soumettons alors le dossier aux différents comités de crédit, directoire et autres, de manière à faire valider l’opération en interne. Nous reprenons également contact avec les investisseurs à la mi-mars : le 13 mars, une discussion en présence de la direction financière de Lazard nous avait permis de lancer ce processus de façon ferme. Il s’agissait d’obtenir des acquisitions sur ces actions avant le lancement de l’ABB, qui aurait lieu, selon nos estimations, au début d’avril.

M. Michel Bouvard : Lorsque vous reprenez contact avec les investisseurs, est-ce directement ou par l’intermédiaire de Lazard ?

M. Bernard Migus : C’est Lazard qui reprend contact, étant entendu que nous travaillons ensemble.

Le 23 mars, nous signons avec Lagardère la lettre d’engagement, qui contient un nombre non négligeable de conditions suspensives – la réalisation de l’ABB, entre autres. La lettre d’engagement avec la Caisse des dépôts est signée quant à elle le 28 mars.

M. Michel Bouvard : Est-ce également à cette date que vous signez avec les autres investisseurs ?

M. Bernard Migus : Je vous prie de m’excuser : pour ce qui touche aux autres investisseurs, je suis soumis au secret bancaire. Je ne peux rien dire, même de façon allusive.

La répartition des tâches entre Lazard et IXIS est simple : Lazard, avec son prospectus, essaie de convaincre les investisseurs de l’intérêt de l’opération – rien que de très normal – ; IXIS a la charge de la rédaction de la partie juridique et traite directement de cet aspect avec les investisseurs, puisque la cession est faite par IXIS et ne passe pas par le bilan de Lazard.

S’agissant de la Caisse des dépôts, j’ai eu avec M. Dominique Marcel une discussion que je qualifierai de serrée sur l’écart de prix entre le terme et le comptant.

M. Louis Giscard d’Estaing : À quelle date ?

M. Bernard Migus : Juste avant le 28 mars. Il n’a pas signé avant d’avoir obtenu son rabais.

M. Michel Bouvard : La Caisse a donc bien négocié par rapport aux autres.

M. Bernard Migus : Je ne peux pas répondre au sujet des autres.

M. Jérôme Chartier : Pouvez-vous nous répondre en revanche sur les relations que vous avez eues durant cette période avec Daimler-Chrysler ou avec ses conseils pour mener cette opération conjointe ?

M. Bernard Migus : Nous n’avons eu quasiment aucunes relations. Il existe, comme dans toute opération de type ABB, un document signé par Lagardère et spécifiant que, depuis le 8 mars – date, sauf erreur de ma part, de présentation des comptes annuels d’EADS –, le groupe Lagardère ne dispose d’aucune information susceptible d’avoir un impact significatif sur le cours. C’est ce qu’on appelle, en langage technique, les reps and warranties – représentations et garanties –, et c’est une procédure classique dans les opérations de cession de blocs. Les investisseurs chefs de file passent par nous pour obtenir cette lettre, que nous répliquons d’une certaine manière puisque nous garantissons également que nous ne disposons d’aucune information particulière susceptible d’influer sur le cours d’EADS depuis la parution des comptes annuels de ce groupe.

M. Lionel Tardy : usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres : Qu’est-ce qui est décidé exactement le 28 mars ? Lors de l’audition des responsables de la Caisse des dépôts, on nous a déclaré que la décision avait été prise par la CDC le 26. Y a-t-il eu des négociations après cette date ?

M. Bernard Migus : La date du 28 mars correspond à la signature, qui intervient après des discussions sur la partie juridique le 27. J’ignore pour ma part la date à laquelle M. Francis Mayer a pris la décision.

Après la signature, l’ABB sort le 6 avril. L’opération est dès lors définitive. C’est grâce à vous que nous avons appris que Lagardère avait décidé de nous confier le mandat : il ne nous en a informés qu’au dernier moment afin de faire pression sur les prix, ce qui est de bonne guerre.

Depuis le 6 avril, la gestion de la position nous occupe quotidiennement.

M. Jérôme Chartier : Je souhaite revenir sur les relations avec Daimler-Chrysler. L’opération ayant eu lieu le même jour, il a fallu au moins un coup de téléphone pour s’accorder sur la date. Est-ce IXIS qui l’a passé ? Lagardère et Daimler-Chrysler se sont-ils mis d’accord sans vous ?

M. Bernard Migus : Je vous ai sans doute répondu un peu rapidement tout à l’heure. Il y a eu, j’imagine, des contacts entre les deux groupes, mais je ne peux parler pour Lagardère. Il y a eu aussi des discussions entre les banques chefs de file et IXIS sur le calendrier et les modalités de l’ABB.

M. Jérôme Chartier : Quand ces discussions se sont-elles tenues ?

M. Bernard Migus : Entre le moment où nous avons obtenu le mandat et celui où l’opération s’est finalisée : aux alentours du 22 mars, donc. Il n’y avait pas lieu, du reste, de commencer ces discussions avant. Nous sommes entre professionnels et la procédure est classique, sans difficulté particulière. Les choses sont donc allées très vite.

M. Jérôme Chartier : Je souhaite également revenir sur le prix d’achat des titres par la Caisse des dépôts et consignations.

L’obligation vous apporte une rémunération, avec un coupon à 7,9 %. La Caisse et les autres acheteurs ne vous demandent-ils pas de profiter eux aussi, en partie, de cette rémunération, du fait de la clause de retour à meilleure fortune ? La Caisse n’a-t-elle pas bénéficié de conditions substantielles lui permettant de s’en sortir plutôt bien ?

M. Bernard Migus : Je le répète, c’est nous qui détenons les ORAPA. Il n’est nullement question d’en céder le moindre avantage à qui que ce soit. J’ai l’habitude de nous définir, par plaisanterie, comme une « entreprise à but non philanthropique ». Le montage nous convient tel qu’il est et il n’est pas question de vendre autre chose que des actions. Nous conservons les ORAPA et les gérons dans le temps : il n’a jamais été question d’autre chose. C’est un point qui ne pouvait être mis en discussion.

M. Jérôme Chartier : Il reste difficile à comprendre que deux opérations aient lieu le même jour, l’une sur le marché en Allemagne, l’autre en France dans des conditions particulières qui font que les titres seront libérés, pour chaque tiers des 7,5 %, sur trois ans. Jusqu’en juin 2007, ces titres ne donneront droit à aucun droit de vote ni à aucun dividende.

M. Bernard Migus : En effet, mais les investisseurs ont reçu en contrepartie un avantage : le prix du terme a été bien négocié et ils s’y retrouvent. Sur ce point, les inconvénients que vous mentionnez ont été largement éliminés par la qualité de la négociation, en tout cas en ce qui concerne la Caisse des dépôts. Pour ce qui est des autres investisseurs, vous comprendrez que je ne puisse répondre.

M. Jérôme Chartier : Cela signifie qu’elle était en position de force et peut-être, par voie de conséquence, qu’il a été plutôt difficile de placer les titres.

M. Anthony Orsatelli : D’une manière générale, un grand investisseur institutionnel est en position de force lorsqu’il prend part à des opérations significatives. Nous essayons de négocier au mieux, mais il faut reconnaître que la CDC est toujours en position de force lorsqu’elle négocie ce type de placement.

M. Bernard Migus : Il existe cependant une limite : si l’investisseur va trop loin dans ses exigences, nous pouvons mettre fin à la discussion.

M. Jérôme Chartier : On a le sentiment que l’opération a été bouclée en très peu de temps : moins d’un mois. Pensez-vous – ou la banque Lazard, chargée du placement des titres, vous a-t-elle laissé penser – que la nature particulière de l’opération, ainsi que l’opération menée au même moment sur le marché allemand, a fait que peu d’investisseurs se sont présentés à la porte de la banque, d’autant que Lagardère souhaitait des investisseurs français ?

M. Bernard Migus : La question doit être inversée : c’est parce que Lagardère souhaitait un nombre limité d’investisseurs que nous avons vu un nombre limité d’investisseurs. Il eût été plus facile pour nous, bien évidemment, de procéder à un démarchage plus large. L’opération est plus difficile à boucler lorsque l’on ne dispose que d’une dizaine d’établissements.

M. Louis Giscard d’Estaing : Le 8 mars, vous avez eu une réunion avec la direction financière de Lagardère au sujet du prix. Vous considérez que c’est le début d’un mandat moral mais vous ne détenez pas encore de mandat écrit. À partir de ce moment, le dossier est examiné par les comités d’IXIS. A-t-on, à un moment de la procédure, posé la question d’éventuelles difficultés industrielles pour Airbus et de leurs conséquences sur l’évolution du groupe EADS ? Comme l’a relevé Michel Sapin, le principe de l’ORAPA est qu’il n’existe pas de clause de révision à la baisse. Le comité des risques a-t-il pris en compte cet aspect ?

M. Anthony Orsatelli : Pour le comité des risques, il s’agit d’une opération de marché, qui sera donc valorisée en mark to market pendant toute la durée du produit. Nous élaborons à cet effet des « stress scenarios » : par exemple, si le CAC 40 s’effondre brutalement de 25 %, quelles seront les répercussions sur la couverture ? Nous calculons le risque de marché encouru, aussi appelé « risque de gap » : pendant un nombre donné de jours, on n’arrive pas à rebalancer correctement la position et on subit une perte – c’est au demeurant ce que nous avons connu. Dès lors, on calibre le montant de risque que l’on est prêt à allouer à cette opération. Il s’agit là d’une procédure classique de gestion de risque de marché.

M. Bernard Migus : Nous utilisons le marché des dérivés et des options pour faire notre travail de couverture, étant entendu que cette couverture n’est jamais parfaite.

M. Louis Giscard d’Estaing : S’agissant maintenant du pacte d’actionnaires – puisque ce bloc d’actions se trouve à l’intérieur d’un pacte impliquant deux structures, la SOGEPA et la SOGEADE –, nous avons auditionné M. Philippe Pontet, président du conseil d’administration de la SOGEADE. Il a réuni ce conseil d’administration le 3 avril. Avez-vous eu des contacts avec les représentants du pacte, le groupe Lagardère devant nécessairement obtenir l’autorisation de ce conseil d’administration.

M. Bernard Migus : La réponse est dans la question : c’est le groupe Lagardère qui prend en charge l’intégralité de ce dispositif, dont nous n’avons pas connaissance. Ce sont les avocats qui nous certifient, dans la documentation, qu’ils ont vérifié l’accord de la SOGEADE. Nous n’avons eu aucun contact avec la SOGEADE et nous n’avions pas à en avoir, toujours selon le principe qu’il vaut mieux ne pas être deux à faire la même chose. Ma seule tâche a été de vérifier que le groupe Lagardère était en mesure de signer, qu’il a bien purgé les droits de préemption, etc. Je dispose de la note élaborée par des avocats. Je suis de ce point de vue parfaitement couvert.

M. Michel Bouvard : Vous aviez donc l’assurance qu’il n’existait pas de problème au regard d’un éventuel droit de préemption de l’État. Dans le même ordre d’idées, l’éventualité d’une dilution des titres de l’État a-t-elle fait l’objet d’une interrogation ?

M. Bernard Migus : Pas pour ce qui nous concerne. Nous n’avons jamais parlé de l’État actionnaire. Lagardère s’est adressé à nous seulement pour la partie technique de l’opération. Pour le reste, c’est par vous, par exemple, que j’ai appris l’existence de la note. Nous ignorions ce que faisait Lagardère et quels étaient ses interlocuteurs pendant toute cette période. Nous n’avions pas à lui poser la question car il n’appartient pas au prestataire de poser des questions à son client sur des sujets qui ne le concernent pas. Nous nous cantonnons aux questions techniques.

M. Jean-Pierre Balligand : Nous vous remercions pour votre précision quant aux dates. Désormais, nous avons une idée bien nette du déroulement des opérations entre les premiers contacts en novembre 2005 et la signature les 23 et 28 mars 2006.

Or nous apprenons ce matin, par la voix des avocats des actionnaires minoritaires, que M. Forgeard annonce pour la première fois des retards lors d’un comité technique qui s’est tenu le 6 mars 2006. Ma religion est à peu près faite : pendant que vous faites votre travail suivant un calendrier d’environ cinq mois, il se passe des choses, notamment au cours du dernier mois. Cela nous amène au vrai sujet : des entreprises cotées en bourse ne fournissent pas les informations en temps et en heure et des personnes susceptibles d’être informées de manière préférentielle vendent leurs actions. La procédure que vous nous décrivez n’est pas en cause.

M. Bernard Migus : Nous ne connaissions pas, bien entendu, ces informations.

M. Jean-Pierre Balligand : La commission des Finances essaie de comprendre le processus. Mais la question de fond est le possible délit d’initié.

M. Michel Bouvard : Dès lors que les contacts ont eu lieu directement avec Lagardère, et à aucun moment avec la SOGEADE ou la SOGEPA, on voit bien que les institutions financières ont agi en fonction des informations dont elles disposaient. La Caisse des dépôts, pour ce qui la concerne, a négocié au plus dur pour compenser un achat à terme sans droit de vote et sans dividendes liés jusqu’à l’acquisition des titres. Le déroulé a été normal.

La vraie question est la suivante : pourquoi la SOGEADE et la SOGEPA n’ont pas eu les informations sur la situation industrielle d’Airbus ? Alors que des programmes d’avions nouveaux de cette ampleur connaissent très souvent des retards, à aucun moment la SOGEADE et la SOGEPA – et les représentants de l’État dans ces structures – n’ont cherché à savoir si le programme se déroulait normalement. Ne pas avoir d’informations est une chose, mais on ne s’est pas non plus demandé comment un tel programme avançait !

Le Président Didier Migaud : Nos invités d’aujourd'hui ne sont pas forcément les bons interlocuteurs sur ce sujet.

M. Michel Bouvard : Bien sûr, monsieur le Président. Mais nous constatons ce matin que le déroulé de l’opération a été normal en ce qui concerne l’institution financière.

M. Jérôme Chartier : Nous avons bien compris qu’IXIS a mené deux opérations disjointes et qu’il n’y a pas de lien entre Lagardère et les acquéreurs des titres EADS. Avez-vous cependant informé le premier de l’identité des seconds ? Si tel a été le cas, pouvez-vous nous en informer également ?

M. Bernard Migus : J’avoue ne pas me souvenir. Nous avons dû le faire mais je n’en suis pas certain. Nous avons à coup sûr informé le groupe Lagardère de la venue de la Caisse des dépôts et du quantum qui revenait à celle-ci.

Le Président Didier Migaud : Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi vous ne lui auriez pas parlé des autres…

M. Bernard Migus : Je ne puis garantir que nous ayons donné la liste précise des clients.

M. Jérôme Chartier : Lagardère avait marqué une préférence pour des investisseurs français : il vous a donc posé au moins la question de la nationalité des acquéreurs.

M. Bernard Migus : Probablement.

Le Président Didier Migaud : Nous aurons l’occasion de poser ces questions au cours d’autres auditions.

M. Jérôme Chartier : L’identité des autres acquéreurs relève-t-elle du secret bancaire ?

M. Anthony Orsatelli : Oui.

M. Jérôme Chartier : Y a-t-il parmi eux des actionnaires d’IXIS ?

M. Anthony Orsatelli : Je le répète, cela relève du secret bancaire. Nos avocats nous mettent en garde. Je vais pour une fois respecter leurs conseils…

M. Louis Giscard d’Estaing : Il serait intéressant pour nous de savoir si vos interlocuteurs du groupe Lagardère sont également les représentants du groupe au conseil d’administration de la SOGEADE.

M. Bernard Migus : J’ignore qui siège à la SOGEADE. Pour notre part, nous avons parlé avec Dominique D’Hinnin, directeur financier du groupe Lagardère, M. Sellier, son trésorier et M. Sorba, directeur des risques – plus fréquemment avec ces deux derniers, qui étaient présents quasiment à chaque réunion. Nous avons également parlé avec différents services techniques, tels la direction juridique ou le service en charge des affaires fiscales.

Le Président Didier Migaud : Nous vous remercions pour toutes ces précisions.

Je rappelle que deux autres auditions sont prévues la semaine prochaine, l’une avec M. Arnaud Lagardère, l’autre avec M. Dominique Strauss-Kahn sur les conditions d'élaboration et le contenu du pacte d'actionnaires.

Jeudi 25 octobre 2007, séance de 11 h 30

VII.– AUDITION SUR LA GOUVERNANCE D’EADS, L’ÉVOLUTION DE SON ACTIONNARIAT, SES RELATIONS AVEC L’ÉTAT FRANÇAIS ET LE PARTENARIAT FRANCO–ALLEMAND :

– M. Arnaud Lagardère, président du groupe Lagardère

Le Président Didier Migaud : Nous sommes aujourd’hui réunis pour entendre M. Arnaud Lagardère, président du groupe Lagardère, dans le cadre des auditions que la commission des finances organise depuis quelques semaines sur certains aspects du dossier EADS.

M. le président, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Les questions qui retiennent notre attention dans ce dossier concernent la place de l’État actionnaire dans les instances d’EADS et dans la société SOGEADE, la gouvernance de l’entreprise, les relations entre les représentants de l’État et EADS dans le cadre du pacte d’actionnaires et du partenariat franco-allemand, le circuit de l’information entre tous ces acteurs et les conditions dans lesquelles l’actionnariat d’EADS a évolué au cours de l’année 2006.

Nous avons déjà entendu des représentants des services de l’État, le directeur du Trésor, le directeur général de l’Agence des participations de l’État, le président de la SOGEADE, les dirigeants de la CDC et ceux de l’établissement financier IXIS CIB. La commission des Finances du Sénat a de son côté auditionné certains responsables politiques et ceux de différentes institutions. Nous avons obtenu quelques précisions sur le rôle de chacun d’entre eux dans le capital, dans la gouvernance d’EADS.

Aujourd’hui, c’est sur votre rôle en tant qu’actionnaire d’EADS, représentant la SOGEADE, que nous attendons des informations complémentaires. Il y aura des questions concernant le pacte d’actionnaires élaboré en 1999 entre la SOGEADE, dans laquelle Lagardère et l’État français sont représentés, et la société allemande Daimler-Chrysler. Nous avons déjà, au cours des auditions récentes, obtenu des informations sur la nature des relations du groupe Lagardère avec l’État français à l’intérieur de la holding SOGEADE, sur le circuit de l’information d’EADS vers la SOGEADE, et, bien sûr, sur l’évolution de l’actionnariat, y compris sur la chronologie des événements et les motivations des uns et des autres.

Nous nous interrogeons en effet sur ce qui vous a motivé à céder une partie de votre participation dans EADS. Quelles ont été les relations du groupe avec les représentants de l’État pendant toute cette période ? Comment l’opération de cession s’est-elle déroulée ?

D’autres travaillent sur le dossier, et il ne faut pas mélanger les genres. La commission des Finances de l’Assemblée nationale vous entend, M. le président, dans le cadre de sa mission, qui est de contrôler et de comprendre le déroulement des opérations dans lesquelles l’État est concerné. Comment l’État fonctionne-t-il ? Comment prend-il ses décisions ? Quels sont les rapports qu’il entretient avec ses partenaires ? Tel est l’objet des auditions que nous avons organisées.

Je vais donner la parole au président Arnaud Lagardère en guise d’introduction. Ensuite les députés pourront poser leurs questions.

M. Arnaud Lagardère : C’est d’abord à moi de vous remercier, M. le président de la commission des Finances, messieurs les députés, de me laisser l’opportunité de m’exprimer devant la représentation nationale. C’est un honneur, d’autant que, à travers vous, je m’adresse aux Françaises et aux Français qui se posent des questions, et des questions légitimes s’agissant des sommes dont on entend parler.

J’en profiterai pour rectifier un certain nombre et même un nombre certain de contrevérités dont certaines étaient assez blessantes. Je ne parle pas de ma personne. La vie, vous le savez, m’a suffisamment gâté pour que je ne me plaigne pas, mais je pense en particulier aux salariés du groupe Lagardère, à ceux d’EADS et d’Airbus. Faisons attention à l’amalgame.

Je saisis avec plaisir l’occasion que vous m’offrez parce que, avant d’en venir aux questions, je voudrais traiter quatre points importants pour rectifier ces contrevérités.

Premièrement, je comprends la détresse des salariés, notamment d’Airbus. Je comprends leur colère et je tiens à leur dire, devant vous et dans ce lieu hautement symbolique de la démocratie de notre pays, que l’actionnaire Lagardère ne les a pas trahis. L’entreprise Lagardère n’a pas commis de délit d’initié.

Si j’emploie sciemment le terme « entreprise », c’est que, contrairement à ce qui a été dit, je n’ai pas, personnellement, cédé de titres EADS. Je n’ai pas de stock-options EADS, ni de stock-options Lagardère, depuis que je suis responsable de ce groupe, c’est-à-dire depuis 2003, et pour aller jusqu’au bout de la bonne gouvernance, je n’ai pas de parachute doré. Bien au contraire. On pourrait même parler d’un parachute plombé, puisque je suis l’un des rares chefs d’entreprise de ce pays à être responsable sur mes biens propres de la santé de mon entreprise. Quand on parle de bon comportement, de comportement citoyen des chefs d’entreprise, je vous déclare très solennellement que je n’ai de leçon à recevoir de personne. Aucune leçon, de personne !

Je répète aux salariés d’Airbus et d’EADS qu’ils ont mon soutien plein et entier. Ils l’ont eu dans le passé ; ils l’ont maintenant et ils l’auront à l’avenir.

Deuxièmement, malgré les difficultés évidentes que traversent aujourd’hui les entreprises EADS et Airbus, je souligne – et je pense que vous serez tous d’accord pour aller dans mon sens – qu’EADS est une immense réussite : une immense réussite économique, stratégique, industrielle et commerciale. Il ne faut jamais l’oublier. Tous les actionnaires qui ont créé cette entreprise, les actionnaires fondateurs que sont l’État français, le groupe Lagardère et le groupe Daimler, ont apporté non pas de l’argent, mais des actifs et ont réuni des femmes et des hommes qui sont probablement ce qui se fait de mieux dans leur activité, qu’elle soit militaire ou civile. Il ne faut jamais l’oublier.

L’État français, à travers EADS, y a gagné ; je me place à aujourd’hui. Il y a même beaucoup gagné, ainsi que les contribuables que nous sommes tous. J’y reviendrai sans doute dans mon quatrième point.

Troisièmement, puisque l’on parle beaucoup de gouvernance, du rôle de l’État - c’est un point qui importe à la commission des Finances –, je tiens à retracer très brièvement ce qu’a été le rôle de l’État durant les sept années d’EADS, qui a été créée fin 1999-début 2000.

On parle de « l’État », mais il y a eu plusieurs États, selon les personnes qui étaient à sa tête. Autant les groupes Daimler et Lagardère ont été constants dans leur stratégie vis-à-vis de l’entreprise, autant l’État a eu plusieurs visages et des stratégies assez différentes, ce qui n’est pas toujours une bonne chose pour une entreprise. Il faut bien en prendre acte.

Première contre-vérité que j’ai entendue : le pacte d’actionnaires et la gouvernance initiale auraient été bâclés ; ils auraient été mauvais. C’est absolument faux. Il faut se remettre dans le contexte.

A cet égard je rends hommage à l’équipe de l’époque, c’est-à-dire au Premier ministre, Lionel Jospin, et à son ministre de l’Économie et des finances Dominique Strauss-Kahn, que vous allez recevoir bientôt, ainsi qu’à une personne qui n’a peut-être pas participé aux négociations du pacte d’actionnaires, mais qui a joué un rôle extrêmement positif pour l’entreprise ; je veux parler du ministre des transports Jean-Claude Gayssot. Cette équipe était face à Daimler, qui ne souhaitait pas que l’État français soit partie prenante, ni même actionnaire d’EADS, alors en cours de constitution. Il a donc fallu composer et négocier, pour trouver un équilibre, un juste équilibre dans une gouvernance qui, finalement, quand on l’examine sereinement et avec sang-froid, a eu ses vertus. Elle a en effet permis de créer EADS et de faire de grandes choses.

Toutes les activités en dehors d’Airbus se portent magnifiquement bien, et il en a toujours été ainsi. Bien sûr, il y a eu des difficultés, mais, globalement, tout va très bien. Pour Airbus, si on laisse de côté les difficultés liées au retard, l’A380, qui est en ce moment même en train de réaliser son premier vol commercial entre Singapour et Sydney, est une formidable réussite. Grâce à EADS, Airbus est devenu le premier avionneur mondial. Il ne faut pas l’oublier.

L’État français, à l’époque, détenait l’Aérospatiale, à hauteur de 65 %, et notre groupe, à travers Matra, en était actionnaire à 35 %. L’État avait donc le choix : soit continuer avec une entreprise formidable, mais très franco-française, soit constituer un pôle européen fort, seul capable de se confronter à armes égales avec Boeing, qui est notre vrai concurrent. Je n’aurais pas hésité devant un tel enjeu. Sinon, sept ans plus tard, je me serais retrouvé avec une Aérospatiale franco-française, avec Boeing en leader mondial, et peut-être même avec un autre pôle européen qui aurait pu être constitué par les Allemands de Daimler et les Anglais de BAE. Encore une fois, et même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde, je tiens à rendre hommage à Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn, qui ont permis à EADS de naître.

Ensuite, plusieurs épisodes se sont succédé. Je n’en cite qu’un, au cours d’une période délicate pour moi, aux alentours de 2003-2004. Je ne fais de procès d’intention à personne, mais j’ai regretté alors, dans mes échanges soutenus et prolongés avec le ministre de l’économie de l’époque, M. Francis Mer, que l’État se préoccupe davantage de remplacer une tête française par une autre tête française que de jeter les bases d’une nouvelle gouvernance – pourtant, la possibilité existait ; il y avait une fenêtre –, ce qui a été fait quelques années plus tard. Toutes ces préoccupations ont un peu « pollué » – il ne faut pas prendre le terme dans un sens trop négatif –, disons plutôt déstabilisé l’entreprise. J’ignore si c’est la source de tous ses maux ; ce n’est pas à moi d’en décider, mais je pense que cela a été mauvais pour elle.

Je rappelle aussi l’intervention du ministre de l’Économie et des finances Thierry Breton. Il n’y a là rien que de normal puisque ce ministère est l’une des tutelles de l’entreprise. Thierry Breton a puissamment contribué à résoudre une crise grave, en juin 2006.

Enfin, l’acte final a été le changement de gouvernance entériné par l’actuel Président de la République et la Chancelière Mme Angela Merkel, qui a permis de clarifier et de simplifier la structure.

Cela étant, je ne voudrais pas que l’on retienne uniquement que tous les maux d’Airbus sont dus à sa gouvernance, car c’est faux.

Quatrièmement, il y a la cession des titres EADS par le groupe Lagardère le 4 avril 2006. Là encore, examinons les événements avec sang-froid et en toute transparence.

J’ai annoncé, en août 1999, à une époque où EADS n’existait pas encore et où Lagardère était actionnaire d’Aérospatiale-Matra, que l’avenir du groupe Lagardère résidait dans les médias. Nous contrôlions à 100 % cette activité et il me semblait, en tant que gérant - et je n’étais pas le seul et je ne suis pas le seul – que nous pouvions créer davantage de valeur à long terme pour nos actionnaires en nous focalisant en priorité sur les médias. Je n’ai cessé de le répéter, encore et encore. L’information était donc connue du grand public et notre décision n’a pu surprendre personne.

Pourquoi la cession n’est-elle intervenue qu’en avril 2006 ? Pour la bonne et simple raison qu’il n’y avait pas d’autre fenêtre qui s’offrait à moi. Entre 2000, année de création d’EADS, et 2003, il y avait ce que l’on appelle dans le jargon que vous connaissez tous, un lock-up, c’est-à-dire une interdiction faite aux actionnaires de céder quelque action que ce soit. Lagardère, comme les autres, ne pouvait donc pas céder ses titres EADS.

De l’été 2003 à l’été 2005, j’avoue avoir eu deux soucis majeurs, même si ce n’était pas les seuls : la succession financière de Jean-Luc Lagardère et le combat incessant, qui a fait les beaux jours de la presse mais le malheur de notre entreprise – même si ce n’était pas le seul –, entre Noël Forgeard et Philippe Camus, contre lequel a été organisée une sorte de chasse à l’homme. Philippe Camus n’avait pourtant vraiment pas démérité à la tête d’EADS. Il avait fait partie des équipes fondatrices et il a magnifiquement accompli son mandat à la tête de cette entreprise. Nous y reviendrons sans doute.

À l’été 2005, donc, je lance l’opération à laquelle je pensais déjà cinq ans auparavant. Je contacte évidemment nos amis allemands. Nous allons voir le ministre de l’Économie et des finances de l’époque, M. Thierry Breton, le 27 ou le 28 novembre 2005, et nous lui annonçons que nous souhaitons nous retirer pour moitié, ce qui était d’ailleurs prévu par le protocole initial. Nous discutons, et nous ratons la première fenêtre qui se ferme pour des raisons boursières en janvier 2006. De son côté, l’État prend le temps de réfléchir à l’avenir. Tout naturellement, nous recommençons lorsque s’ouvre la deuxième fenêtre et nous réussissons. Nous cédons donc le 4 avril 2006 la moitié, mais la moitié seulement, de notre participation.

Je ne veux pas, dans mes propos liminaires, me lancer dans les détails des instruments financiers, comme les obligations remboursables en actions à parité ajustable, les ORAPA. Vous aurez sans doute beaucoup de questions à ce sujet. Comme j’ai beaucoup de réponses à vous apporter, cela tombe bien et je vous remercie une nouvelle fois, M. le Président de la Commission, de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous.

Le Président Didier Migaud : Merci beaucoup pour cette courte intervention.

La parole est à M. le Rapporteur général.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Monsieur le Président, j’ai deux brèves questions sur le rôle de l’État.

Vous venez de nous dire que, si l’État ne jouait pas le rôle normalement dévolu à un actionnaire, cela résultait des décisions prises en 1999–2000, lors de la conclusion du pacte d’actionnaires et de la création d’EADS, qui résultaient eux-mêmes d’une demande expresse du partenaire allemand Daimler-Benz. Or, lors d’auditions précédentes, les représentants de l’État nous ont déclaré ne pas avoir pu exercer leur rôle. Dès lors, nous ne devions pas nous étonner qu’ils n’aient pas été informés et qu’ils n’aient pas exercé leurs responsabilités. Le responsable de l’Agence des participations de l’État est allé jusqu’à dire que, parmi les participations de l’État, EADS constituait un cas particulier. Pourtant, selon vous, la gouvernance aurait pu être modifiée plus tôt qu’elle ne l’a été. Il n’en demeure pas moins que, même si elle l’a été ces derniers mois, l’État continue d’être confiné dans son rôle, par sociétés interposées, la SOGEADE notamment. Pensez-vous aujourd’hui que, s’agissant de l’actionnaire État, la gouvernance pourrait être modifiée ?

Lorsque votre décision de céder votre participation est intervenue – et nous nous souvenons tous que vous aviez indiqué que vous souhaitiez que le groupe Lagardère se diversifie, notamment dans les médias et le sport – est-ce que l’État vous a fait savoir qu’il fallait trouver des acquéreurs français ? Si oui, comment ? Dans quelles conditions ces discussions se sont-elles déroulées ?

Le Président Didier Migaud : Monsieur le président, je vous donne la parole puisque nous sommes convenus que vous répondriez immédiatement à chacun des intervenants.

M. Arnaud Lagardère : Premièrement, ce que je savais, ce que je sais, l’État le savait et l’État le sait. Je ne veux pas laisser la moindre ambiguïté sur ce point : il n’y avait absolument aucune divergence, aucune différence dans le niveau d’information entre l’État actionnaire et l’actionnaire Lagardère.

Deuxièmement, vous dites que les Allemands ne souhaitaient pas que l’État soit actionnaire. Oui, mais l’État est aujourd’hui actionnaire et il en joue le rôle. Il ne joue peut-être pas le rôle de gestionnaire – moi non plus d’ailleurs – mais il joue son rôle d’actionnaire dans EADS ; on ne peut pas le lui retirer, même si c’est au travers d’instances que vous avez citées.

L’État dit, à juste titre car c’est techniquement exact, qu’il n’a pas de représentant direct au sein du conseil d’administration d’EADS. Néanmoins tous les administrateurs français d’EADS sont proposés à la SOGEADE, discutés et validés par elle. Or, que je sache, l’État est bien représenté à la SOGEADE. Je ne me cache pas derrière mes responsabilités. Je ne dis pas que d’autres le font, mais j’assumerai toujours mon rôle jusqu’au bout.

L’État est un partenaire : c’est un mot important. Comme dans la vie privée ou sentimentale, un partenaire, ce n’est pas rien ; dans les affaires non plus, même quand les affaires sont difficiles. Je serai toujours solidaire de mon partenaire.

Le rôle de l’État est-il de gérer une entreprise, EADS en particulier ? C’est une question idéologique qui n’est peut-être pas de mon ressort, mais, très franchement, je ne le crois pas. Je serais tenté de dire, et dans un sens positif, que, aujourd’hui, dans EADS, l’État est à sa place. Il est représenté, mais indirectement. Il est informé. Le président de la SOGEADE a dû vous le dire : il y a eu des présentations opérationnelles d’Airbus au sein de la SOGEADE qui a, en particulier, entendu M. Andriès et M. Pochet. Je ne me souviens plus exactement des personnes, mais des présentations ont été faites.

Ensuite, je ne voudrais pas que vous conserviez en tête l’hypothèse selon laquelle des gens savaient, mais que l’État ne savait pas. Je vous le dis en vous regardant dans le fond des yeux : je ne savais pas, donc l’État ne pouvait pas savoir non plus. Revenons-en aux bases, car c’est important.

Vous m’avez ensuite demandé si, pendant la période qui commence en novembre 2005, l’État m’avait encouragé à trouver de préférence des acquéreurs français. Je vais le dire de manière un peu agressive, pardonnez-moi : je n’ai de leçon de patriotisme à recevoir de qui que ce soit. Je n’ai pas besoin que quelqu’un me rappelle que la France est importante dans EADS. Je suis conscient que je porte aussi le drapeau français au sein d’EADS. Je n’avais donc pas besoin que l’État me précise qu’il fallait des actionnaires français.

D’ailleurs, le choix que nous avons fait de céder à IXIS – et à personne d’autre ! – s’est accompagné de recommandations. Une note sur ce sujet a même été remise à Matignon en janvier 2006. Nous déclarions que nous trouverions normal que les repreneurs soient de grands investisseurs institutionnels. Nous avons notamment cité la Caisse des dépôts parce que cela va de soi. Il n’y a aucune autre explication. De plus, je vous rappelle, mais c’est inutile parce que vous le savez, qu’un des actionnaires d’IXIS, à l’époque, était justement la Caisse des dépôts, à hauteur de 35 %. ; je crois que ce n’est plus le cas maintenant.

Mon propos ne vise personne en particulier, mais arrêtons l’hypocrisie. Nous avons joué notre rôle. J’ai joué mon rôle, en citoyen, en patriote. Jusqu’au bout, j’ai souhaité que la cession se fasse auprès d’institutionnels français. Nous avons vendu à IXIS.

M. Henri Emmanuelli : Je vous remercie de votre franchise, M. le président. Cela nous change de certaines autres auditions.

Vous avez déclaré : « ce que je sais, l’État le sait ». Vous avez ajouté ensuite que ce n’est pas l’État qui désigne les administrateurs d’EADS, mais que c’est au sein de la SOGEADE que la décision se prend. Cela sous-entend tout de même que l’État était informé. Une petite précision : il me semble que la SOGEADE a un droit de veto. Si tel est le cas, on ne voit pas très bien, contrairement à ce qui nous a été dit, comment l’État ne serait pas informé.

Vous avez vous-même fait allusion à l’épisode, entre 2003 et 2005, de la bataille au sommet, qui a effectivement beaucoup nourri le débat public. J’aurais voulu avoir votre sentiment à ce sujet, exprimé avec la franchise dont vous venez de faire preuve. Nous nous sommes en effet entendu dire à plusieurs reprises que le pacte d’actionnaires était libellé de telle manière que l’État n’avait aucune responsabilité dans la gouvernance d’EADS. Comment un État qui n’a aucun moyen d’action dans la gouvernance d’EADS peut-il arriver à en changer la tête ?

M. Arnaud Lagardère : Votre réputation vous précède, M. Emmanuelli. Il faut toujours se méfier de vos compliments !

M. Henri Emmanuelli : Ce n’était pas méchant.

M. Arnaud Lagardère : Mais je les prends au pied de la lettre !

Vous avez raison : il y a un droit de veto à la SOGEADE. Il est clair que l’on n’aurait jamais imposé des administrateurs sans l’avis de l’État. Cela va de soi. Parfois, cependant, la technique juridique fait oublier le bon sens. C’est la vie des affaires.

Vous avez employé des termes que je ne prendrai pas à mon compte, car ils sont lourds de sens. Vous avez parlé de « responsabilité de l’État ». Je préfère m’en tenir à un vocabulaire plus feutré, plus engageant.

M. Henri Emmanuelli : J’y suis allé en douceur, pourtant.

M. Arnaud Lagardère : Sûrement.

Votre question est très embarrassante, pour le coup. Comment se fait-il qu’un État qui n’a aucun droit et aucune responsabilité arrive à remplacer une personne par une autre ? J’ai peur de ne pas pouvoir apporter de bonne réponse à une très bonne question. Je ne vais pas donner de détails sans avoir de preuves, bien que je sente à votre regard que vous m’y invitiez.

La raison pour laquelle, à la fin de 2004, et, même si cela doit vous faire sourire, avec l’aide du ministre de l’Économie et des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, je décide de trancher, c’est qu’à un moment donné il faut bien décider. Je n’avais plus le choix parce ne nous avions assisté, pendant pratiquement un an et demi, à des bagarres incessantes. Là encore, je vais faire le parallèle avec la vie privée, parce que la règle est la même. Quand il n’y a plus de désir, il n’y a plus de désir. Cela ne sert à rien de forcer le cours des choses. Il n’y avait plus de désir de continuer ensemble – en tout bien tout honneur – de la part de MM. Philippe Camus et de Noël Forgeard. Il fallait donc prononcer le divorce, et choisir.

J’ai choisi aussi parce que je voulais que Philippe Camus, qui, encore une fois, n’a absolument pas démérité – loin de là – chez EADS et Lagardère, reste auprès de moi, ce qu’il a accepté avec beaucoup de gentillesse et de courage. Lui aussi a traversé une période extrêmement difficile. La conséquence en a été la nomination de Noël Forgeard à la tête d’EADS.

Vous me permettrez un court aparté sur Noël Forgeard.

Je n’aime pas que l’on brûle les idoles que l’on a adorées. En outre, tant qu’il n’est pas coupable, Noël Forgeard est innocent. Nous en sommes tous d’accord. N’oublions pas qu’il a porté Airbus à la place de leader mondial de l’aéronautique. Il n’était pas seul, il avait une équipe, des salariés français, mais pas seulement. Il y avait aussi des Allemands, des Anglais, des Espagnols. En tout cas n’oublions pas.

À la fin de 2004, donc, porter à la présidence d’EADS Noël Forgeard, avec son profil, coulait de source. Le groupe Lagardère le connaissait bien puisqu’il y avait travaillé de nombreuses années. Il était à l’origine d’un formidable succès : Airbus était alors leader d’un marché très compliqué et très compétitif. C’était un bon choix pour l’entreprise. J’ai agi dans l’intérêt social de l’entreprise.

Je n’entrerai pas davantage dans les détails, mais j’avoue que c’était une période très compliquée, et très éprouvante.

Puisque je suis devant la représentation nationale, n’oubliez pas – et, encore une fois, il n’est pas question de me plaindre – que j’arrive alors dans la vie active, seul après le décès de mon père en 2003. Or l’État français et la République ne m’accueillent pas à bras ouverts, c’est le moins que l’on puisse dire. J’en ai été assez choqué et déçu. Je n’ai aucun compte à régler, ce n’est pas mon propos, mais j’attendais davantage de mon pays que j’avais servi, même à mon niveau et sous l’ombre de mon père, et que je continue à servir. Il est important que l’État honore et soutienne tous ceux qui agissent pour lui, quels qu’ils soient, y compris les acteurs économiques et les chefs d’entreprise, même s’ils n’ont pas toujours bonne presse. Je ferme la parenthèse.

M. Henri Emmanuelli : Était-ce un choix purement personnel ?

M. Arnaud Lagardère : Celui de Noël Forgeard ? Un choix purement personnel, mais forcé après une chasse à l’homme. Je ne suis pas sûr que l’État y ait été pour rien, en tout cas mon interlocuteur principal, Francis Mer. Il n’y était peut-être pour rien, je ne veux donc pas l’accabler mais je n’en suis pas sûr.

M. Louis Giscard d’Estaing : Je m’interroge sur les conditions techniques de cession des titres détenus par le groupe Lagardère dans EADS. Nous avons essayé de comprendre quelles avaient été les conditions pratiques de mise sur le marché, par l’intermédiaire de la banque IXIS, et les mécanismes de contrôle, ou les règles de gouvernance, qui ont joué notamment lors de la réunion du conseil d’administration du 3 avril 2006 de la SOGEADE.

Les responsables d’IXIS nous ont fourni des informations sur le calendrier de leurs négociations avec le groupe Lagardère, sur le mandat moral qui leur a été confié début mars 2006. Ils nous ont indiqué que, auparavant, ils étaient dans une phase de négociation qu’ils considéraient de leur côté comme n’étant pas totalement exclusive.

Le mécanisme des ORAPA a été validé par le conseil d’administration de la SOGEADE du 3 avril 2006. Le procès-verbal indique que le groupe Lagardère émettra des ORAPA qui seront toutes souscrites par la banque IXIS, cette dernière « ayant placé préalablement la plus grande partie des actions EADS sous-jacentes auprès d’investisseurs institutionnels français au moyen d’une vente à terme ».

En dehors de la Caisse des dépôts et consignations, à propos de laquelle nous avons la réponse puisqu’elle valide le 28 mars 2006 la prise de participation, d’autres investisseurs institutionnels français ont-ils souscrit à ces ORAPA ? Pour ne pas répondre à cette question la banque IXIS nous a opposé le secret bancaire.

En ce qui concerne le déroulement du conseil d’administration de la SOGEADE, étaient présents, outre les administrateurs, M. Pierre Sellier, directeur de la trésorerie et du financement du groupe Lagardère. Or ce dernier participait aux négociations avec la banque IXIS. Il intervient devant le conseil en indiquant que « ces opérations feront l’objet, le jour de leur mise en œuvre, compte tenu du caractère sensible de l’annonce de cette opération, de communiqués de presse, préparés avec le plus grand soin par chaque actionnaire, chacun pour ce qui le concerne ». Il ajoute que « cette communication est d’ores et déjà coordonnée entre Lagardère SCA et Daimler-Chrysler » et qu’elle est « effectuée en liaison avec les services d’EADS. » Pouvez-vous nous préciser ces conditions ?

Une dernière question concerne l’information sur la situation d’Airbus.

Lors de ce conseil d’administration, le président Philippe Pontet insiste sur la nécessité que ce mouvement d’actionnaires ne soit pas interprété comme un acte de défiance vis-à-vis d’EADS « qui rentre, et notamment Airbus, – la phrase est très sensible – dans une phase plus agitée. » Cette déclaration intervient le 3 avril. Des informations sur Airbus étaient-elles déjà connues le 4 avril 2006 ?

M. Arnaud Lagardère : Voilà beaucoup de questions différentes

Je réponds tout de suite à la dernière, pour ne pas l’oublier : non, il n’y avait pas d’autres informations. Toutes celles que le conseil d’administration a eues ont été transmises au marché. Vous avez fait référence à un conseil d’administration qui a eu lieu en avril. J’y reviendrai parce que, techniquement, c’est important, mais, jusqu’à juin, il n’y avait pas d’informations sur des retards.

Pour être pédagogique, je dirais : oui, il y avait des difficultés. Un premier retard avait déjà été annoncé en juin 2005. Toutefois ce type d’aléa est inhérent à ce genre de programme. Les difficultés étaient publiques ; les journalistes en faisaient état tout le temps. Ce n’est pas une information d’initié. En revanche, la transformation des difficultés en retards – c’est le point crucial du dossier – n’était pas connue. Jusqu’en juin, – et les PV qui l’attestent sont dans les mains de l’AMF et d’autres – à la question normale, que l’on pose à propos de tous les programmes, il nous était répété sans cesse qu’il n’y avait pas de retard prévu et que les difficultés seraient surmontées les unes après les autres.

Bien évidemment, le 3 avril, la SOGEADE valide notre schéma, ce qui prouve bien que nous n’avons jamais agi en catimini. C’est une preuve de plus. Je pourrais en donner davantage, mais je vous remercie de me servir celle-là.

Vous avez dit que le mandat d’IXIS avait été donné en mars. Techniquement, c’est vrai, mais, comme vous le savez, les entreprises fonctionnent souvent sur parole avec les banques d’affaires. Elles entament un processus, qu’elles entérinent ensuite. L’outil financier qui nous avait été présenté par IXIS fin 2005 était en cours d’élaboration. Nous y travaillions déjà. Les choses n’ont pas commencé au mois de mars, loin de là.

Pourquoi des ORAPA ? Il y a plusieurs raisons.

Nos partenaires allemands souhaitaient, eux, sortir sur le marché, mais mettre 7,5 % du capital sur le marché financier, c’est lourd. Évidemment, le risque était de tirer le cours de bourse vers le bas. Rajouter 7,5 % de plus aurait été pire. Nous avions donc opté pour un outil différent. Vous avez parlé d’une vente à terme. Il s’agit plus précisément d’un prêt remboursable en actions. Je peux vous fournir les détails techniques, même sans être un spécialiste de la finance, et vous expliquer comment fonctionne le mécanisme de protection à la hausse. Nous avons donc choisi cette voie d’abord pour ne pas peser sur le cours de bourse.

Ensuite, nous voulions garder le plus longtemps possible les droits de vote. Certes, la répartition des pouvoirs restait inchangée, puisque, vous le savez, chacun pouvait, conformément aux accords initiaux, baisser de moitié sa participation et conserver tous ses pouvoirs. Si l’État avait souhaité en faire autant, il aurait gardé tous ses pouvoirs. Cela n’aurait rien changé à l’équilibre qui préside aux décisions de l’entreprise.

La troisième raison, même si elle peut paraître insensée au grand public, c’est que nous voulions nous protéger contre une hausse du cours. Nous vendions aux alentours de 32,50 euros – le cours du 4 avril – et je ne voulais pas, compte tenu du blocage de trois ans, que les actionnaires de Lagardère risquent de me reprocher de ne pas avoir profité d’une éventuelle hausse du cours. C’est pourquoi nous avons choisi les ORAPA, en toute intelligence avec la SOGEADE et l’État. On n’a rien caché à personne.

Vous avez parlé de M. Pierre Sellier qui est dans notre groupe depuis très longtemps. Il est dans l’équipe du directeur financier Dominique d’Hinnin. Il était là pour informer la SOGEADE, pour informer l’État, en toute transparence. Rien de plus.

Quant aux actionnaires autres que la Caisse des dépôts, je ne les connais pas. Je n’en sais rien. Je sais que la Caisse des dépôts est actionnaire parce qu’elle en a parlé publiquement.

À propos de cette dernière dont j’ai entendu dire qu’elle avait perdu énormément d’argent, je peux en parler maintenant, mais peut-être dois-je attendre une question plus précise ?

Le Président Didier Migaud : Allez-y, même si devancer les questions peut être une technique…

M. Arnaud Lagardère : N’y voyez aucune malice de ma part.

La Caisse des dépôts aurait donc perdu beaucoup d’argent.

Premièrement, il y a une règle de base : on ne perd de l’argent que quand on vend.

Deuxièmement, nous avons vendu à 32 euros. C’est juste, mais, à la veille de l’annonce des retards de l’A380, en juin, le cours est non pas à 32 euros, mais à 25,50 euros. Que s’est-il passé entre le 4 avril 2006, jour de la vente, et le jour de l’annonce des retards ? D’abord les marchés financiers ont baissé ; le titre EADS aussi, mécaniquement. Ensuite, le dollar s’est déprécié. Or le vrai problème d’Airbus, ne l’oublions jamais, c’est le taux de change du dollar. Enfin, le prix du baril de pétrole a augmenté.

En conséquence le cours d’EADS a baissé, avant même l’impact des retards de l’A380 : il est passé de 32,50 euros à 25,50 euros.

Pour moi, le véritable impact des retards commence à se faire sentir au cours de 25,50 euros. Aujourd’hui, nous sommes à un cours de 24,20 euros environ, disons 24 euros. Cela représente 1,50 euro par titre. Sachant que la Caisse des dépôts détient à peu près 18 millions de titres, la moins-value latente, du fait du retard de l’A380, est de 27 millions d’euros. Comme j’ai entendu d’autres chiffres, je voulais rectifier. En outre, l’entreprise Lagardère est touchée, elle aussi. Nous gardons 7,5 % du capital d’EADS. Nous sommes fiers de les avoir, et de les garder, mais nous subissons aussi cet impact négatif.

Je ne sais pas qui d’autre que la Caisse des dépôts est actionnaire. En ce qui me concerne, je suis tenu non par le secret bancaire, mais par ce que je sais. J’imagine que ces actionnaires se manifesteront bien un jour.

M. Jérôme Cahuzac : Comme mes collègues, j’apprécie le climat dans lequel se déroule cette audition et la volonté de franchise dont vous faites preuve.

Je souhaite d’abord obtenir des précisions sur le pacte d’actionnaires, car vos propos ne corroborent pas – c’est le moins qu’on puisse dire – les réponses qui nous ont été données par certains membres du Gouvernement.

Aux termes de ce pacte, le groupe Lagardère propose la nomination des administrateurs d’EADS et du président de la SOGEADE, mais on a soutenu devant nous que, proposant, le groupe disposait aussi. Or l’État n’a pas à contempler passivement ce que le groupe Lagardère propose : il possède un droit de veto tant pour la nomination des administrateurs d’EADS que pour la présidence de la SOGEADE, que vous exercez désormais.

M. Arnaud Lagardère : Depuis ce matin, en effet.

M. Jérôme Cahuzac : Il nous a été explicitement affirmé que vous seriez président de la SOGEADE et membre du conseil d’administration d’EADS en vertu du pacte d’actionnaires, l’État ne pouvant s’y opposer. Selon vous, cette vision du pacte correspond-elle à la réalité, ou avez-vous été nommé à ces fonctions avec l’accord explicite de l’État ?

Par ailleurs, vous avez parlé de « chasse à l’homme » au sujet de Philippe Camus. Le terme est fort.

M. Arnaud Lagardère : Mais il est juste !

M. Jérôme Cahuzac : S’il est juste, quels étaient les chasseurs et quelles étaient leurs motivations ? Nous espérons que vous répondrez avec la même franchise à cette question.

Cette chasse a abouti, d’une certaine manière, à la promotion de M. Noël Forgeard. Lorsque les choses se sont dégradées au sein de l’entreprise – dont vous êtes administrateur, où vous assumez votre qualité d’actionnaire, mais en affirmant que vous n’étiez pas gestionnaire –, estimez-vous que le gestionnaire Noël Forgeard a correctement informé les actionnaires et l’État ?

Au sujet de la cession, l’argument selon lequel vous souhaitiez protéger les actionnaires de votre groupe contre des évolutions boursières est convaincant : on pourrait légitimement vous reprocher de ne pas avoir prévu une hausse éventuelle. Est-ce la seule raison pour laquelle vous avez procédé à cette vente à terme sur trois ans à compter de 2007 ? Existe-t-il aussi – ce qui ne serait ni illégitime ni illégal – des raisons fiscales ? Si oui, lesquelles ?

M. Arnaud Lagardère : Je vous remercie de souligner ma franchise, M. Jérôme Cahuzac, mais il m’est aisé d’être franc : le dossier, même s’il est douloureux pour moi, est extrêmement facile sur le fond. Je peux donc parler en toute liberté. Il n’y a là aucune performance de ma part.

Votre excellente description du fonctionnement de la SOGEADE prouve que la commission des Finances est parfaitement informée de la façon dont on propose, nomme ou refuse les administrateurs. Je ne puis être administrateur d’EADS ou président de la SOGEADE sans l’accord de l’État. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, du reste.

M. Jérôme Cahuzac : Je n’ai pas dit que c’était une mauvaise chose.

M. Arnaud Lagardère : Pardonnez-moi : c’est que, désormais, je me méfie des questions qui pourraient cacher d’autres questions.

L’accord de l’État n’est donc pas une mauvaise chose. Nous avons assisté à plusieurs alternances durant ces sept années et chacun a parfaitement joué son rôle. C’est un point important pour moi : je suis encore jeune, j’ai devant moi une trentaine d’années au service de mon entreprise, mais aussi de mon pays, et je n’ai pas envie que ma vie active soit entachée d’une telle suspicion. Si j’ai souhaité communiquer un peu plus sur ce dossier et me battre davantage, c’est bien pour cela. Quand on est dans son droit, il est facile de se battre.

Pour ce qui est de la « chasse à l’homme », je ne pense pas vous avoir appris quoi que ce soit de nouveau. Tout le monde était au courant, les journalistes parfois avant nous. Je ne comprends pas très bien le sens de votre question. Vous souhaitez savoir si M. Noël Forgeard a informé les actionnaires de sa volonté de succéder à M. Camus…

M. Jérôme Cahuzac : Non : je souhaite savoir qui étaient les chasseurs et quelles étaient les raisons de cette chasse à l’homme. D’autre part, en quoi a consisté l’aide que vous a apportée le ministre de l’Économie et des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy ?

M. Arnaud Lagardère : Je préfère ne pas répondre à la question sur la chasse à l’homme, non parce que je n’ai pas la réponse, mais parce que je préfère la réserver à d’autres interlocuteurs dans d’autres enceintes : l’AMF ou, le moment venu, la juge en charge de cette affaire. Je suis confus de vous décevoir ainsi, mais je ne peux aller plus loin.

M. Jérôme Cahuzac : Même sur les raisons de la chasse à l’homme ?

M. Arnaud Lagardère : C’est lié. Pour moi, c’était de toute façon une mauvaise idée et une mauvaise raison car, dans la gouvernance de l’époque, le rôle de président d’Airbus était extraordinairement important, au moins autant que celui de président d’EADS.

Airbus est le cœur du groupe. Être son président, surtout quand on y a magnifiquement réussi comme cela a été le cas de Noël Forgeard, ce n’est pas rien. Cela doit suffire à la carrière et à l’ego d’un homme. Je pense qu’il en était ainsi pour Noël Forgeard. Au risque de paraître complaisant à son égard, je ne crois pas qu’il soit le seul responsable de cette chasse à l’homme. S’il y avait eu auprès de lui des personnes pour le convaincre que ce n’était pas possible et que les équilibres étaient satisfaisants en l’état, peut-être aurait-on pu éviter cet épisode. Je m’arrête là : vous aurez sans doute compris ce que je veux dire.

M. Jérôme Cahuzac et M. Henri Emmanuelli : Nous avons compris.

M. Arnaud Lagardère : Pour ma part, je ne sais pas ce que vous avez compris puisque je n’ai rien dit… Sur le fond, malheureusement, le sujet n’a rien de drôle et je ne peux en effet répondre à votre question.

M. Jérôme Cahuzac : Qu’en est-il de l’aide qui vous a été apportée par le ministre de l’Économie et de finances de l’époque ?

M. Arnaud Lagardère : Sur ce point, la réponse est aisée.

À la fin de 2004, j’ai, avec le ministre de l’Économie et des finances, Nicolas Sarkozy, des discussions sur l’avenir industriel d’EADS et sur les conséquences à tirer de cette période difficile qui a duré un an et demi. C’est sans doute plus facile pour lui de dresser un tel bilan : il vient de prendre ses fonctions et ne ressent pas le poids des négociations qui avaient eu lieu avec le précédent ministre. Je peux lui signifier que nous n’avons malheureusement plus le choix. Il en tire les conclusions. Nous sommes alors reçus par le Président de la République Jacques Chirac, auquel j’annonce que j’assume le choix de placer Noël Forgeard à la tête d’EADS et de faire revenir Philippe Camus auprès de moi pour lui confier d’autres tâches.

Quant au recours aux ORAPA, je vous en ai exposé les objectifs. S’il en résulte d’autres conséquences bienvenues, notamment fiscales, tant mieux, mais là n’était pas le but : il s’agissait, je le répète, de ne pas peser sur le cours en lâchant toutes les actions sur le marché, de continuer à bénéficier des droits de vote pendant un certain temps et, surtout, de nous protéger à la hausse. Nous avons consulté beaucoup de banques qui nous ont proposé de nombreux outils. Il nous a semblé que celui-ci était le meilleur.

M. Jérôme Chartier : Permettez-moi de revenir sur la période qui nous occupe principalement, celle qui a précédé la cession des titres EADS par le groupe Lagardère. Mettre d’un seul coup soixante millions de titres sur le marché n’est en effet pas sans conséquences : le 4 avril, vous annoncez, conjointement avec Daimler-Chrysler, la cession des titres ; le 5 avril, le marché baisse de 4 % ; le 6 avril, vous vendez à 32,60 euros.

Au mois de novembre 2005, vous allez voir Thierry Breton avec le président de Daimler-Chrysler pour lui faire part de votre intention de mener une opération conjointe de sortie, à hauteur de 7,5 % chacun. Bien que vous n’ayez de leçon de patriotisme à recevoir de personne, ce dont je vous donne acte, M. Breton ne vous demande-t-il pas alors à qui vous allez vendre ? Vous recommande-t-il de vendre à des investisseurs institutionnels français ? Vous conseille-t-il un groupe bancaire pour conduire l’opération ?

Par ailleurs, s’il est exact que la cession de la moitié de vos titres ne change rien au pacte d’actionnaires, considérez-vous toujours que la participation de Lagardère dans EADS est une participation stratégique pour votre groupe ? Telle est en tout cas l’opinion constante de l’État au sujet de sa propre participation dans EADS. Selon vous, l’État doit-il être considéré comme un actionnaire membre de l’assemblée générale parmi d’autres, dans la mesure où il n’est pas directement représenté au sein du conseil d’administration ? Est-ce que, formellement ou informellement, dans le cadre de la SOGEADE ou au sein d’autres instances, les administrateurs qui représentaient la France dans le capital d’EADS se réunissaient avec l’État actionnaire afin de déterminer des positions conjointes ? En d’autres termes, face à l’interdiction fixée par Daimler-Chrysler au moment de la création du pacte d’actionnaire, s’est-on organisé pour défendre les intérêts français ?

Quel est enfin votre sentiment sur la culture d’entreprise d’EADS ? Bien souvent, après une acquisition ou une fusion, l’entreprise qui acquiert ou qui est majoritaire impose sa culture pour créer une synergie dans les équipes de direction. De ce point de vue, la situation d’EADS est singulière puisqu’elle s’apparente à une sorte de fusion à parité où les cultures de management se trouveraient, elles aussi, à parité. Que pensez-vous de cette situation ? Estimez-vous que le management, tant à EADS qu’à Airbus, doit évoluer vers une plus grande unité de culture qui le rendrait plus solidaire et plus dynamique ?

M. Arnaud Lagardère : La baisse de 4 % le 5 avril est-elle imputable à un engorgement de titres ? Je me méfie des analyses boursières et je ne suis pas sûr que l’on puisse isoler les effets de la mise sur le marché des titres ce jour-là de ceux qui résulteraient d’événements exogènes, comme une baisse globale de la bourse ou telle ou telle variation du dollar. Il n’en reste pas moins que la cession d’un nombre trop élevé de titres au même moment peut avoir un effet néfaste sur le cours pendant un ou plusieurs jours.

Le 25 novembre 2005, jour où nous rencontrons Thierry Breton, nous n’avons pas totalement décidé des modalités de la cession. Nous n’avons pas encore choisi IXIS, par exemple, et nous serions bien en peine de dire à qui nous allons céder. Manfred Bischoff et moi-même ne faisons qu’annoncer au ministre de l’Économie et des finances notre retrait partiel – pour moitié –, conformément au pacte d’actionnaires.

M. Bischoff demande en outre au ministre si l’État français compte céder lui aussi une moitié de sa participation. Daimler-Chrysler y aurait intérêt car la parité de détention des titres entre Allemands et Français doit être préservée. Cet aspect, même s’il ne change rien à la gouvernance, n’est pas anodin : pour que Daimler-Chrysler puisse vendre la moitié de ses titres, il faut non seulement que Lagardère vende la moitié des siens, mais que l’État fasse de même. Or Thierry Breton a répondu sans ambiguïté que ce n’était pas dans l’air du temps et qu’il ne se voyait pas céder de titres EADS : pour lui, l’État doit jouer son rôle dans l’entreprise et ce rôle est important. Aucun acheteur particulier n’a été recommandé par le ministre : on n’en était pas là.

Par ailleurs, si je répondais à votre question sur ce que le groupe Lagardère compte faire des 7,5 % qui lui restent dans le capital d’EADS, je ferais de vous un initié. Or je puis vous assurer qu’être l’objet de tels soupçons aujourd'hui, ce n’est pas bon ! La seule chose que je peux affirmer est que nous continuerons à jouer notre rôle dans EADS. Pendant cinq ans, c’est un Allemand qui sera à la tête du conseil d’administration. J’ai en effet souhaité m’effacer pour permettre que le CEO soit français. La cession des 7,5 % restants n’est pas à l’ordre du jour.

L’État doit-il être directement représenté au conseil d’administration ? Si tel avait été le cas, il n’aurait de toute façon pas obtenu plus d’informations qu’il n’en a eu par le biais de la SOGEADE. Je le répète : tout ce que je sais, l’État le sait. Des réunions du « camp » français se sont en effet tenues, auxquelles a participé par exemple le cogérant du groupe Lagardère et membre de la SOGEADE, Pierre Leroy, car, bien évidemment, il convenait de décider d’une position commune sur un certain nombre de sujets. N’oublions pas que l’État français bénéficie dans EADS de droits de veto identiques à ceux dont il disposait au sein d’Aérospatiale, à cela près que ces droits sont désormais étendus à un univers bien plus important : hommage doit en être rendu à l’équipe de Lionel Jospin. Sur tout ce qui concerne les missiles balistiques, les augmentations de capital ou les décisions stratégiques, l’État conserve donc son droit de veto. Les contribuables sont encore protégés, et ce dans un périmètre beaucoup plus large.

S’agissant enfin de la culture d’entreprise d’EADS, je reprendrai, au risque de paraître insistant, l’image du mariage : les conjoints n’ont pas forcément la même culture mais ils vivent ensemble et partagent les décisions. Il en va de même pour nos partenaires allemands et nous. La dualité de culture,voire la pluralité de culture si l’on inclut l’Espagne et la Grande-Bretagne, est inscrite dans les gènes d’EADS et rien ne pourra la faire disparaître, quelque mode de gouvernance que l’on imagine. Il est néanmoins vrai que la nouvelle gouvernance a permis une meilleure fluidité et favorisé la rapidité des prises de décision – même si la précédente gouvernance n’a pas démérité.

En tant qu’actionnaire français, je me bats pour EADS mais aussi pour mon pays. C’est également le cas de l’État, qui a les moyens pour le faire.

M. Gérard Bapt : Qu’il n’y ait pas eu de délit d’initié de la part de l’entreprise Lagardère est une bonne nouvelle pour l’aéronautique. En tant qu’élu de l’agglomération toulousaine, j’estime qu’il est temps que l’entreprise sorte de ces turbulences.

Pouvez-vous toutefois nous indiquer si la structure Lagardère Capital et Management, dont vous êtes personnellement propriétaire, a procédé à des ventes et quelles ont été, le cas échéant, les plus-values qu’elle a réalisées ?

Lorsque vous avez fait part au Président de la République de la nomination de M. Forgeard, vous en a-t-il félicité ? Aviez-vous discuté auparavant avec lui de ce choix ?

En ce qui concerne M. Philippe Camus, dont la compétence et l’autorité en matière aéronautique sont internationalement reconnues, pourquoi ne pas l’avoir rappelé auprès de vous comme vous en aviez, semble-t-il, l’intention ?

Actionnaire minoritaire au sein d’EADS, vous y représentez non seulement votre groupe, mais aussi l’État et la Caisse des dépôts. Il est heureux que vous soyez patriote, mais pensez-vous que cette situation, qui résulte du pacte d’actionnaires, est conforme à la logique ?

Lors de l’assemblée générale d’EADS à Amsterdam, des administrateurs dits « indépendants » ont été nommés. Confirmez-vous que M. Pébereau, qui en fait partie, n’a plus de liens avec votre groupe ?

S’agissant des contacts avec l’État, l’information et les sujets traités étaient-ils différents selon que l’on s’adressait au Président de la République, au Premier ministre ou au ministre de l’Économie et des finances ? Au cours de son audition, M. Pontet a tenu pour sa part les propos suivants : « Lors du conseil d’administration du 1er juin 2006, soit treize jours avant l’annonce des difficultés dramatiques de l’A380, rien n'est dit à propos de cet appareil. […] Ce n'est que lors du conseil du 28 septembre que les représentants d’Airbus viendront, à notre demande, nous exposer les raisons des difficultés et les remèdes que la direction générale du groupe entend apporter. » Est-ce logique, au regard de votre situation au sein du conseil d’administration de la SOGEADE ?

Enfin, lorsque vous avez succédé à votre père, vous avez fait état de votre intention de vous retirer, au moins partiellement dans un premier temps, d’EADS, l’achèvement de ce retrait étant conditionné par la réussite de la commercialisation du programme de l’A380. Quelles sont vos intentions pour l’avenir, sachant que la présence d’un actionnaire stable est capitale dans un secteur aussi sensible et stratégique ?

M. Arnaud Lagardère : La structure par laquelle je contrôle le groupe, Lagardère Capital et Management, n’a pas cédé de titres EADS. Je doute d’ailleurs qu’elle en détienne directement : c’est la société Lagardère SCA, coté en bourse, qui possède ces titres. Un journal a laissé entendre de façon pernicieuse que j’aurais pu bénéficier indirectement d’une partie de la transaction : c’est totalement erroné. Ce que je détiens, ce sont des titres de Lagardère, que, du reste, je ne vends pas. Au contraire, j’en achète.

Le Président de la République, demandez-vous, m’a-t-il félicité de la nomination de M. Noël Forgeard ? Il en a pris acte.

J’ai en effet songé à rappeler Philippe Camus et j’y songe encore. Il faut cependant savoir qu’il était fort marri de la situation – on le serait à moins ! – et qu’il vit désormais aux États-Unis, où il réalise toujours beaucoup de choses pour le groupe Lagardère dont il reste cogérant. Il serait difficile pour lui d’être rappelé en France et cantonné à un rôle de conseil, sachant qu’il n’appartient pas à Lagardère d’exercer un rôle opérationnel dans EADS. Cela ne l’empêche pas d’être toujours de très bon conseil.

Je représente l’État à la SOGEADE, mais pas la Caisse des dépôts : en effet, les 7,5 % du capital que nous cédons sortent du pacte d’actionnaires. Pour la partie française, seuls l’État et le groupe Lagardère sont dans le pacte.

Les liens qui unissent M. Pébereau au groupe Lagardère sont d’abord des liens d’amitié. Nous continuons d’avoir des liens commerciaux avec la BNP mais nous n’avons pas de mandat en ce qui concerne l’aéronautique : dans les discussions récentes, la BNP représentait l’État. M. Pébereau peut donc être qualifié d’administrateur indépendant. Par parenthèse, il est certes important qu’un administrateur soit indépendant, mais il est plus important encore qu’il soit de qualité. Sur les quinze administrateurs d’Enron, quatorze étaient indépendants…

J’ai eu des contacts avec Matignon ; Dominique D’Hinnin en a eu, il y a eu plusieurs notes et plusieurs réunions. Cela a été dit et redit. Pourquoi me serais-je caché ? J’ai bien rencontré les services du Premier ministre de l’époque, M. Dominique de Villepin, et mes services ont rencontré ses services, notamment M. Demarolle. Je suis presque gêné tant la réponse à votre question est évidente. Cela va sans dire mais, si je comprends bien, cela va mieux en le disant.

S’agissant de l’orientation du groupe, j’ai fait état de mes intentions avant même le décès de Jean-Luc Lagardère. Il m’a d’ailleurs reproché de m’exprimer de façon aussi ouverte. J’ai affirmé que notre groupe devait se focaliser en priorité sur les médias, et il est vrai que j’ai dit que nous sortirions au moment de la commercialisation de l’A380. À cet égard, il faut bien distinguer commercialisation et livraison. Lorsque je cède les titres, l’avion est largement commercialisé. Cela signifie que l’on dispose de la base nécessaire pour lancer la fabrication. En outre, l’avion vole et est techniquement irréprochable : c’est une fantastique prouesse technologique.

En ce qui concerne votre dernière question, M. Gérard Bapt, je répète que je préfère ne pas répondre. J’y suis, j’y reste et la sortie n’est pas à l’ordre du jour : c’est tout ce que je puis dire.

M. Hervé Mariton : Vous avez posé un principe clair : ce que vous saviez, l’État le savait.

Si l’on revient sur le calendrier des problèmes industriels du programme de l’A380, tous les intervenants ont indiqué que des difficultés sont annoncées dès le printemps 2005. Lors de son audition par la commission des Finances en 2006, M. Noël Forgeard faisait déjà valoir la capacité de l’entreprise à rattraper ce retard à l’horizon 2006. Entre juin 2005 et 2006, c’est donc le discours que l’on vous tient. Que faites-vous pour vous assurer de cette capacité à rattraper le retard. L’enjeu est considérable. On vous signale un problème tout en vous disant : « Pas de souci ! » Comment vérifier cet énoncé ? Quelles précautions prenez-vous ? Qu’en est-il – autant que vous puissiez le savoir – des précautions prises par les autres actionnaires ?

M. René Couanau : Dans la mesure où l’État savait ce que vous saviez et ne savait pas ce que vous ne saviez pas, vous étiez au moins deux à ne pas savoir que les retards auraient inévitablement des conséquences sur le cours du titre. Nous en prenons acte. Pensez-vous que la nouvelle gouvernance d’EADS est de nature à éviter de tels malentendus, ou le pacte d’actionnaires doit-il être revu afin que les actionnaires puissent désormais savoir ce qui se passe sur le plan technique et ce qui pourrait donner lieu, eu égard au principe de précaution financière, à des informations ?

M. Philippe Martin : Selon vous, à quel moment est-on passé d’un retard de production rattrapable à des retards de livraison dommageables ? Tout le monde a été informé des difficultés, y compris les salariés dans les comités d’entreprise. Les habitants de mon département ont même pu constater la baisse de la fréquence des convois de l’A380. Cet indice en faisait des initiés, mais sans doute n’avaient-ils pas d’actions à vendre.

Se peut-il qu’un partenaire – par exemple le partenaire allemand – ait minimisé les difficultés industrielles susceptibles d’avoir un impact non seulement sur la production, mais aussi sur la livraison, sachant que c’est ce dernier aspect qui a influé sur le cours du titre ? À quel moment avez-vous averti l’État que l’on passait de retards de production rattrapables à des retards de livraison dommageables ? En particulier, avez-vous bien prévenu ce champion du patriotisme économique qu’était Dominique de Villepin ?

M. Arnaud Lagardère : Qu’avons-nous fait entre le printemps 2005 et l’annonce des retards en juin 2006 ? Il y a eu d’abord des réunions. Des audits ont été commandés. Le cabinet McKinsey en a réalisé un. D’autres audits ont été menés en interne au sein d’EADS pour essayer de comprendre d’où venaient les difficultés et si elles étaient rattrapables. Jusqu’en juin 2006, nous n’avons eu aucun élément nous permettant de conclure que les difficultés se transformeraient en retards significatifs. Du reste, même à cette date, les choses n’étaient pas encore très claires, puisque nous avons annoncé encore d’autres retards – six mois supplémentaires – en octobre 2006.

M. Hervé Mariton : Et tout cela a échappé aux audits et aux procédures que vous avez mentionnées ?

M. Arnaud Lagardère : Absolument, sinon, nous aurions su.

Pour ce qui est des effets sur les cours, il faut savoir que les retards ne sont pas toujours suivis des conséquences que nous avons pu observer, à savoir une chute de 20 %. Cela n’a pas été le cas lors de la première annonce des retards de l’A380 en juin 2005. Après les annonces d’octobre 2006, qui modifiaient notamment les prévisions de résultat, le cours ne s’est pas effondré. De même, les récentes annonces de Boeing n’ont fait baisser le titre que de 3 %. Il ne s’agit pas de soutenir que ce sont là des phénomènes normaux que l’on doit accepter, mais il faut constater que de tels retards, s’agissant d’un programme aussi complexe que celui-ci, peuvent être admis et ne se traduisent pas toujours par une baisse significative des cours.

Dès lors, m’objectera-t-on, pourquoi le titre a-t-il chuté précisément en juin 2006 et non avant ou après ? À mon sens, ce phénomène s’explique par une conjonction de facteurs. Il y a d’abord les affaires qui entourent EADS : Clearstream, la lutte Camus-Forgeard... On incrimine aussi – injustement à mon avis, mais telle était la perception des marchés financiers – la gouvernance et le pacte d’actionnaires, jugés trop compliqués. Enfin, on ne dispose pas encore d’assez de précisions pour quantifier véritablement les retards. Toutes ces incertitudes mises bout à bout expliquent la sanction brutale des marchés.

Fort heureusement, nous avons presque rattrapé la totalité de la baisse, puisque nous étions à 25,50 euros et que nous atteignons aujourd'hui 24,20 euros, le plus bas s’étant établi à un peu plus de 18 euros. C’est bien la preuve que l’entreprise s’est malgré tout redressée et a bien rebondi.

Quant à savoir si la faute incombe aux Français ou aux Allemands, c’est un débat dans lequel je ne veux pas entrer. Beaucoup de gens et d’instances examinent ces points en ce moment. J’attends d’avoir tous les éléments. De toute façon, les autorités compétentes se prononceront le moment venu.

M. René Couanau : Comment éviter tout cela à l’avenir ?

M. Arnaud Lagardère : Le changement de gouvernance est assurément un pas important. Il ne faut pourtant pas se leurrer : il existera toujours un bloc allemand puissant et un bloc français puissant. Telle est la réalité industrielle de cette entreprise.

Dans le mariage entre Allemands et Français, la nouvelle gouvernance établit pour ainsi dire le régime de la communauté universelle : c’est une sorte de joint-venture à parité. Cela a permis d’apaiser nos relations et de laisser derrière nous cette sorte de régime marital de communauté « réduite aux aguets » plutôt que réduite aux acquêts. C’est déjà une très bonne chose. Nous continuerons à travailler à des améliorations, mais ne bousculons pas trop l’entreprise dans son fonctionnement quotidien ; elle l’est suffisamment comme cela !

M. Jean-Pierre Balligand : Cette audition nous ramène à nos interrogations sur le rôle de l’État. Elle confirme en effet que l’État était au courant et invalide tous les discours de défausse que nous avons entendus. Des personnes exerçant des responsabilités importantes, notamment au ministère de l’économie, ont déclaré n’être au courant de rien. Tout cela ne tient pas !

La question de fond demeure. Le monde capitaliste ne peut fonctionner que sur la base de la transparence des marchés, donc de la non-rétention des informations. Je prends acte de vos affirmations au sujet de l’absence de délit d’initié. L’information menée par l’AMF n’en montre pas moins qu’un certain nombre de personnes ont vendu des titres ou levé des stock-options avant que la situation réelle de l’entreprise ne soit officiellement connue.

La CDC n’est pas en cause, pas plus que tout autre investisseur institutionnel, puisque le système des ORAPA implique des coupons et une gestion du titre au jour le jour entre juin 2007 et juin 2009. Ce n’est qu’à cette dernière date que l’on pourra calculer les plus-values ou les moins-values vraiment réalisées par les investisseurs institutionnels.

Les conséquences sur les petits actionnaires sont autrement gênantes. Ils se seront littéralement fait voler s’ils ont acheté au mauvais moment puis vendu en cédant à la panique devant la chute du cours. Ce n’est pas ainsi que l’on crédibilisera la place de Paris !

M. Arnaud Lagardère : Tout à fait !

M. Jean-Pierre Balligand : Pour en revenir à la gouvernance d’EADS, je me demande, après vous avoir entendu et après avoir entendu M. Forgeard l’année dernière, si le problème ne tient pas principalement au management d’Airbus au sein d’EADS. Vous êtes, tout comme l’État, l’actionnaire d’une holding aux activités diversifiées. Or c’est au niveau d’Airbus qu’un problème de management se fait jour, dans la période située entre l’annonce, dès 2005, de retards dans le process de fabrication et celle des retards de livraison, qui provoquera la chute du titre.

Par ailleurs, lorsque vous vous rendez à l’Élysée aux côtés du ministre de l’Économie et des finances pour annoncer la nomination de M. Forgeard après un an et demi de conflit, quelle est la contrepartie à cette nomination ? Une sortie par le haut en avril 2006 ?

M. Arnaud Lagardère : Permettez-moi de répondre tout de suite sur ce point : il n’y a aucune contrepartie. On est libre de sortir quand on veut. La liquidité est totale.

M. Jean-Pierre Balligand : Il n’y a donc pas de problème d’ordre fiscal ou autre…

M. Arnaud Lagardère : On sort quand on le veut. C’est ce qui est prévu dans les accords.

M. Jean-Pierre Balligand : Les rencontres avec les autorités de l’État constituent aussi un mystère. Nous aimerions savoir précisément à quel moment elles ont été actées. Les responsables d’IXIS nous ont indiqué que les tractations ont commencé en novembre 2005. Pour la partie qui les concerne, l’affaire est terminée le 28 mars, avant d’être officialisée le 4 avril. La question est de savoir quand l’État est véritablement mis au courant et qui, au sein de l’État, est mis au courant. Vous nous avez donné un nom tout à l’heure mais nous aimerions y voir clair une fois pour toutes. Il faut lever les faux-semblants et les hypocrisies.

M. Arnaud Lagardère : La sortie partielle de Lagardère et de Daimler-Chrysler est annoncée à l’État le 28 novembre 2005 dans les bureaux de M. Thierry Breton. Il ne s’agit pas de consulter, mais de faire part de la cession de 7,5 %, sachant que les Allemands envisagent de porter cette proportion à 15 % en fonction de la réponse que l’État leur fera.

Il s’est agi ensuite de profiter d’une fenêtre de sortie : les règles de l’AMF nous interdisent de sortir à n’importe quelle période. Nous aurions préféré que ce soit au mois de janvier. Cela n’a pas été possible pour des raisons techniques, et peut-être aussi parce que les choses ont quelque peu traîné. Dans l’intervalle, il y a eu des réunions répétées avec les services de M. Dominique de Villepin. Je n’ai pas ici les documents, mais je serai ravi de vous les communiquer. Au demeurant, je pense que l’AMF et d’autres instances en disposent également après les perquisitions qui ont été menées. Il y a eu cinq ou six réunions – peut-être un peu plus – entre mes services et ceux de Matignon ou de Bercy. De notre part, l’information a été constante.

En ce qui concerne le management, je répète qu’il ne faut pas brûler ce que l’on a adoré. Il est hors de question de livrer quelqu’un à la vindicte populaire sans preuves. M. Noël Forgeard a contribué au succès d’Airbus. Nous nous relèverons de ces retards de l’A380 et nous reviendrons bientôt, je l’espère, au même niveau que Boeing. Sur le moyen terme – et sans nier l’existence de préoccupations –, Airbus reste, comme EADS, une formidable entreprise. Cela, on le doit aussi à Noël. A-t-il commis des erreurs de management ? Je préfère attendre les résultats des investigations et d’éventuelles preuves – vous avez par exemple parlé d’usines en Allemagne –, sur lesquelles je ne veux pas me prononcer parce que je ne dispose pas d’informations. Nous serons fixés assez vite : c’est une question de mois. En attendant, réservons notre jugement sur Noël Forgeard. Il est trop facile d’en faire un symbole, une sorte de catalyseur de la colère générale.

M. Jean-Pierre Gorges : Si j’en crois les questions et les réponses que j’ai entendues, tout s’est donc déroulé normalement. L’A380 vole. Le carnet de commandes d’Airbus est au mieux. Il s’ensuit que le titre, qui a quasiment retrouvé son niveau antérieur, vaudra demain très cher. Comment expliquez-vous que le groupe Lagardère ait réalisé une aussi mauvaise opération en se défaisant de 7,5 % d’EADS ? Personnellement, je n’aurais pas vendu !

M. Arnaud Lagardère : Tout choix est discutable. Ce que vous mettez en évidence est l’une des raisons pour lesquelles nous avons gardé 7,5 % et pour lesquelles nous nous sommes protégés à la hausse.

Cependant, le choix opéré est très simple. Au moment du décès de Jean-Luc Lagardère, en mars 2003, la valeur d’EADS représentait 20 % de la valeur de Lagardère. De la mi-2005 à 2006, cette proportion s’est élevée à 40 % et même au-delà. J’ai estimé que cette situation, qui créait une très forte décote de holding sur le titre de Lagardère, devenait insupportable. Souhaitant revenir au niveau plus raisonnable de 20 %, j’ai décidé le retrait partiel. Je suis là dans mon rôle de gestionnaire de l’entreprise Lagardère. Si je n’avais pas pris cette décision, mes actionnaires m’en auraient voulu. Je ne regrette donc pas ce geste naturel de gestion, par lequel je protège l’intérêt social de Lagardère – ce que je me dois de faire – sans changer la gouvernance d’EADS. Pour le reste, je suis ravi des perspectives de hausse du titre que vous dessinez. J’espère que le titre continuera à s’apprécier.

M. François Brottes : Y a-t-il eu, comme la presse en a fait état, une note interne à EADS le 8 mars 2006 sur les retards de livraison ?

M. Arnaud Lagardère : Honnêtement, je n’en sais rien. Je ne vois pas à quelle note vous pouvez faire allusion. De toute manière, si vous avez quelque inquiétude que ce soit, soyez rassuré : l’AMF et d’autres instances disposent de tous les documents. Tout ce que je peux affirmer, c’est que je n’avais pas connaissance de retards dans le programme de l’A380 avant la cession que j’ai effectuée le 4 avril, et même jusqu’au mois de juin. Si cette note a existé, je n’en ai pas eu connaissance. Cela étant, ne nous trompons pas sur les mots : il y a une différence entre « difficultés » et « retards ».

Le Président Didier Migaud : Je vous remercie pour la franchise de vos réponses, M.  le président.

*

* *

Vendredi 26 octobre 2007, séance de 10 h 30

VIII.– AUDITION SUR LES CONDITIONS D’ÉLABORATION ET LE CONTENU DU PACTE D’ACTIONNAIRES D’EADS :

– M. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie,

Le Président Didier Migaud : Je suis heureux d’accueillir Dominique Strauss-Kahn dans une Commission qu’il connaît bien, puisqu’il en a été membre et qu’il l’a présidée.

M. le ministre, je vous remercie d’avoir pris le temps de venir vous exprimer devant nous alors que vous allez prendre dans quelques jours vos fonctions de directeur général du Fonds monétaire international. C’est en votre qualité d’ancien ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie que nous souhaitons vous entendre aujourd'hui. La commission des Finances procède en effet, depuis quelques semaines, à une série d’auditions sur certains aspects du dossier EADS – je dis bien certains aspects car nous laissons bien sûr à l’Autorité des marchés financiers et à la justice, qui a été saisie, le soin d’enquêter sur ce qui pourrait relever de la qualification de délit d’initié. Notre Commission s’intéresse plus particulièrement à la gouvernance publique, aux relations entre l’État français, le groupe Lagardère, Daimler-Chrysler, l’État allemand, et aux conditions d’élaboration du pacte d’actionnaires en 1999.

Nous souhaiterions donc que vous vous reportiez quelques années en arrière pour nous décrire le contexte et les conditions dans lesquels l’État a organisé sa participation dans EADS. Quels sont la genèse, le fonctionnement et les conséquences de ce pacte d’actionnaires qui lie l’État au groupe Lagardère et à la société allemande Daimler-Chrysler ? Quel est le rôle dévolu à chacune des parties prenantes ? Quelles sont les relations de chaque actionnaire avec EADS, ou encore les relations, au sein de la SOGEADE, entre l’État français et le groupe Lagardère ? Quels sont les circuits de l’information entre EADS et la SOGEADE ?

M. Dominique Strauss-Kahn : C’est avec plaisir que je réponds à l’invitation de la commission des Finances ce matin. À vrai dire, ayant quitté l’Assemblée il y a quelques jours, je n’espérais pas y revenir si rapidement !

Pour suivre l’ordre de vos questions, M. le Président, je commencerai par évoquer le contexte.

Dans la période que vous évoquez, le groupement d’intérêt économique Airbus est industriellement bloqué. Il est géré par quatre partenaires et sa structure ne permet pas d’avancer réellement. Le sentiment général est que l’on s’expose à un vrai risque de marginalisation de l’industrie aéronautique française et européenne. Tout laisse à penser que les Allemands et les Britanniques ont plutôt pour objectif de se retrouver entre eux, comme ils l’ont déjà fait pour l’Eurofighter. Cela leur semble plus confortable que de travailler avec l’État français. Rien n’est dit ouvertement, rien n’est formalisé, mais c’est plutôt une alliance germano-britannique qui se dessine pour faire avancer le GIE. J’en veux pour preuve qu’avant les élections de 1997, Alain Juppé avait tenté une opération avec Dassault – qui s’était soldée par un échec – pour sortir le GIE de cette situation. Le tropisme germano-britannique se révèle pleinement un peu plus tard dans les réunions qui se sont tenues à Genève entre la direction de DASA et celle de BAE.

Face à cela, le Gouvernement dont je fais partie se fixe trois objectifs : essayer de conforter durablement l’industrie aéronautique européenne ; veiller au respect du poids de la France dans cette industrie ; plus particulièrement, s’assurer que le site de Toulouse reste le site majeur de l’activité d’Airbus. Les choses ne peuvent rester en l’état : si l’on ne passe pas à la manœuvre, on risque d’assister à l’effilochement, voire à la disparition du système.

La décision est donc prise d’agir en deux temps. Tout d’abord, il faut rassembler les forces françaises : ce sera la fusion Aérospatiale-Matra, préférée pour diverses raisons à la fusion Aérospatiale-Thomson. La parité entre les deux sociétés est souhaitée, d’où la soulte destinée à compenser les apports d’actifs. Il résulte de cette opération qu’en additionnant la part de l’État et celle des salariés dans la société fusionnée, on obtient une majorité. Voilà pourquoi on a parlé, non sans exagération, de « nationalisation » de Matra. Le montant de la soulte a été beaucoup discuté à l’époque. Je n’ai aucun commentaire à faire sur ce point, sinon que la Commission des participations et des transferts a validé les chiffres : tout s’est passé de façon traditionnelle, transparente et ouverte.

Vient ensuite une deuxième étape. À la fin du premier semestre 1999, Jean-Luc Lagardère rencontre le Premier ministre Lionel Jospin. Il lui fait part du résultat de ses discussions avec Dick Evans, patron de BAE, et Jürgen Schremp, patron de DASA, d’où il a conclu que le moment est venu de bouger, en s’arrangeant plutôt avec la partie allemande. Nous sommes, rappelons-le, dans la période des discussions de Genève entre Allemands et Britanniques, qui achoppent sur de sombres histoires de rémunération des dirigeants et de stock-options. L’idée de Jean-Luc Lagardère est que l’État sorte de la structure tandis que Lagardère et DASA avancent. La réaction de Lionel Jospin à cette proposition peut être qualifiée de mesurée, la sortie de l’État ne lui apparaissant pas forcément comme la meilleure voie. On propose donc que l’État participe au processus. La réaction des Allemands est très vive : il est hors de question de s’associer à une opération à laquelle participerait l’État. Il faut dire que M. Schremp garde un très mauvais souvenir d’une affaire assez récente avec Fokker aux Pays-Bas.

Le Premier ministre me confie, pendant l’été 1999, une mission pour tenter de remédier à cette allergie et de mener à bien, malgré tout, l’opération. Je rencontre Jürgen Schremp à de nombreuses reprises en juillet et en août. Nous en arrivons à une position où les Allemands acceptent la présence de l’État et où est instaurée une parité franco-allemande. De mon point de vue, non seulement les Allemands acceptent l’État, mais nous plaçons les pouvoirs publics français en position dominante dans le système. Aux yeux de la partie française en effet, l’engagement de l’État est un engagement de long terme, plus stable et porteur d’une vision plus industrielle que ne peut l’être l’engagement des partenaires privés, qu’ils soient français ou allemands. Par ailleurs, il se pourrait bien qu’un jour ou l’autre, conformément à ce que projetait Alain Juppé, Dassault finisse par rejoindre l’ensemble, ce qui mettrait fin à la parité et donnerait l’avantage à la France.

La dynamique est donc française : sur le long terme, nous avons le sentiment que l’équilibre accepté finalement par la partie allemande est satisfaisant pour nous. D’ailleurs, le marché ne s’y trompe pas : dans les premiers jours de cotation, les volumes de cotation sont à Paris et non ailleurs.

Nous en venons maintenant à la teneur du pacte. Un pacte d’actionnaires est, par définition, un compromis qui lie des partenaires. Pour faire passer la pilule de la participation de l’État, les Français acceptent que celui-ci ne soit pas représenté en tant que tel. En revanche, nous imposons qu’il détienne des droits importants : dans le cadre de la SOGEADE, les décisions importantes – accords stratégiques, coopérations industrielles et financières, acquisitions et cessions d’un montant important, garanties, etc. – doivent être prises à une majorité de six sur huit, ce qui revient à instituer un veto français puisque le public et le privé détiennent chacun quatre voix.

Au total, nous sommes passés d’une situation de départ où les Allemands ne voulaient pas de l’État français dans le système à une situation dans laquelle le partenaire français est organisé de telle manière que l’État un droit de veto sur les grandes décisions. On le voit, beaucoup de chemin a été parcouru.

Les Allemands ont pour leur part obtenu ce qui est un avantage à leurs yeux  : ils bénéficient d’un put – une option de vente – sur leur partie. Ils craignent en effet que l’État français ne se mette à intervenir sur la moindre fermeture d’usine, comme cela avait été le cas avec Fokker, et que des préoccupations non industrielles interfèrent dans la gestion de l’entreprise. En vertu du put, ils peuvent, s’ils veulent sortir, forcer la partie française à racheter leurs titres. S’ils considèrent cela comme une facilité, je vois les choses autrement : à mon sens, si une situation de blocage conduit à l’exercice du put, il nous faudra certes débourser un peu d’argent mais toute l’opération deviendra française.

Je vous l’ai dit : l’objectif de la manœuvre était de construire une industrie aéronautique européenne, mais aussi d’y préserver la part des intérêts français. À cet égard, le put m’apparaît particulièrement bienvenu.

On peut considérer qu’il existe deux pactes : le pacte global entre Français et Allemand d’une part ; d’autre part la partie française de ce pacte, qui prévoit un droit de préemption pour l’État. Contrairement à la version primitive, aux termes de laquelle l’exercice de ce droit est limité par le plafond de 15 % de participation de l’État, le droit de préemption mis effectivement en place permet à l’État – mais aussi à Lagardère, puisque le dispositif fonctionne dans les deux sens – de préempter en dépassant le plafond, à charge pour lui de revenir à 15 % en se défaisant sur un autre partenaire de ce qu’il aura préempté. En d’autres termes, il est possible de préempter « pour compte de », ce qui laisse à l’opérateur plus de latitude.

Autre élément, la nomination des administrateurs d’EADS par la SOGEADE : elle se fait, dans la version initiale du texte, « sur proposition » du groupe Lagardère puis, dans la version finale, « en tenant compte » des propositions du groupe. L’État se voit donc ouvrir la possibilité de choisir. On peut douter qu’il aille jusqu’à le faire en conflit avec la partie privée, mais il ne décide pas sur une liste fermée.

En ajoutant à cela le droit de veto et la promesse de vente sur les missiles balistiques au cas où un tiers viendrait à prendre plus de 10 % du capital d’EADS, on dispose d’une vision complète de l’équilibre institué par ce pacte. Pour moi, je le répète, le résultat dépasse les espérances que l’on pouvait nourrir au début de la négociation en ce qui concerne la présence et les prérogatives de l’État d’une part, la présence et les prérogatives françaises d’autre part, dans le système mis en place.

Les Français doivent arrêter de se taper eux-mêmes sur les doigts. Nous avons toutes les raisons de tirer fierté de ce qui a été construit à ce moment-là. Cette fierté est d’abord industrielle : si l’accord avait échoué, non seulement l’A380 ne volerait pas aujourd'hui mais il ne resterait plus grand-chose de cette industrie. Toutes majorités confondues et avec nos partenaires allemands, nous avons fait œuvre collective et Airbus est devenu, à égalité avec Boeing, le premier avionneur dans le monde. Cette société a une part prépondérante dans le chiffre d’affaires et dans les bénéfices d’EADS, mais il faut aussi mentionner la réussite d’Atrium, d’Eurocopter ou de MTBA.

Au terme d’une négociation où les Allemands ont vu leur intérêt et nous le nôtre, nous obtenons que l’État ne soit pas à moins de 50 % dans SOGEADE, qu’il puisse imposer ses vues pour les décisions importantes et, plus globalement, que la dynamique d’ensemble soit française, l’État étant le seul à même d’avoir une vision de long terme. Du reste, ce que nous observons sur le marché depuis quelques mois – en faisant abstraction des éventuels délits d’initiés – est l’illustration de cet état de fait : un partenaire privé allemand dont l’activité principale est de fabriquer des automobiles et qui, rencontrant des difficultés dans ce secteur, se demande s’il ne va pas se retirer partiellement d’EADS ; un partenaire privé français qui, depuis le décès de Jean-Luc Lagardère, ne fait pas mystère que sa priorité est autre et que son intention est plutôt, quand l’occasion se présentera, de sortir ; enfin, le seul partenaire susceptible de soutenir le projet sur la durée et contre vents et marées : l’État.

Il serait désobligeant pour nos partenaires allemands d’affirmer que le pacte d’actionnaires a été construit de façon déséquilibrée. On dira plutôt qu’il est suffisamment équilibré pour que les intérêts français publics et privés soient préservés sur le long terme.

Cependant, un pacte ne fait pas tout. Derrière, il y a les hommes. Or, dans cette affaire, la personnalité de Jean-Luc Lagardère, grand industriel français passionné d’aéronautique, prêt à prendre des risques et à consacrer à ce projet son temps et son argent, est pour beaucoup. Sa disparition malheureuse a un peu modifié les équilibres. Je tiens en tout cas à rendre hommage à sa mémoire. Il avait au départ une vision dans laquelle l’État n’était pas associé au processus, mais, ayant plus que d’autres le sens de la France, il a accepté au bout du compte que ses intérêts personnels soient peut-être moins bien servis qu’il ne l’aurait souhaité pour préserver l’intérêt du pays et mener le projet à son terme.

Je sais que l’histoire a, depuis, donné lieu aux développements sur lesquels vous enquêtez, mais il m’était demandé de retracer les conditions d’élaboration du pacte : c’est ce que je me suis efforcé de faire dans cette introduction.

Le Président Didier Migaud : Nous n’enquêtons encore sur rien, M. le ministre. Nous essayons, par ces auditions publiques, de nous informer et d’éclairer l’opinion publique.

M. Dominique Strauss-Kahn : Bien sûr, M. le Président, vous vous renseignez.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Il ressort de l’exposé de M. Strauss-Kahn que l’État avait la volonté affirmée d’organiser sa présence dans la durée au sein d’EADS. Le contraste est frappant entre cette volonté affichée, qui s’est traduite par l’élaboration de moyens juridiques, et le sentiment que nous ont laissé les auditions de certains représentants des intérêts de l’État. Quelques années après la mise en place du pacte, on a l’impression d’une impuissance de l’État, d’une véritable paralysie et d’une ignorance généralisée de ce qui se passe à l’intérieur d’EADS.

Cela n’est peut-être pas sans lien avec le problème ponctuel que constitue le soupçon de délit d’initié, mais j’y vois aussi quelque chose de plus profond. Le montage élaboré il y a quelques années est ressenti par ceux qui ont à le faire vivre en défendant les intérêts de l’État comme une contrainte paralysante. Le directeur de l’Agence des participations de l’État nous a affirmé par exemple qu’EADS est un cas particulier et que l’Agence est dans l’incapacité de suivre cette entreprise. Le président de la SOGEADE soutient pour sa part que la question, pourtant essentielle, des retards de fabrication de l’A380 est seulement mentionnée en juillet 2006 et abordée véritablement en septembre de la même année. Le directeur du Trésor, quant à lui, se montre tout à fait transparent, au sens littéral du terme.

Se pose donc l’éternel problème du rôle de l’État actionnaire. Comme ministre de l’Économie et des finances, vous avez beaucoup réfléchi à ces questions. Pensez-vous que l’État peut jouer un rôle d’actionnaire minoritaire dans des entreprises du secteur concurrentiel ? Ne peut-on considérer que même les meilleurs montages, ceux qui résultent, comme celui que vous nous avez décrit, de la volonté la plus affirmée de faire jouer un rôle à l’État, se traduisent dans les faits par l’impuissance de l’État ?

Le Président Didier Migaud : Lorsque vous étiez ministre, avez-vous eu vous-même le sentiment, après la conclusion du pacte d’actionnaires, que vous étiez totalement impuissant en ce qui concerne la conduite des affaires d’EADS ?

M. Dominique Strauss-Kahn : À travers la question de la prise de participation minoritaire par l’État, c’est tout le problème de la politique industrielle qui se trouve posé. On peut à cet égard distinguer trois temps.

D’abord le temps socialiste traditionnel : on affirme que la participation de l’État est décisive car elle garantit tout à la fois le long terme, l’intérêt collectif, etc. Tout cela est bien connu.

Ensuite le temps libéral : on soutient que de tels dispositifs ne marchent jamais, que l’État est incapable de s’en occuper – la preuve en est que l’on ne s’en occupe pas –, on brandit les mauvais résultats, etc.

Puis nous entrons dans un troisième temps, qui peut être illustré de deux façons.

Lorsque Daimler-Chrysler décide de réduire sa participation, ce sont d’abord des Allemands qui se proposent d’acheter afin de ne pas provoquer de déséquilibre avec la partie française. Pour une bonne part, ce sont des entités publiques : l’équivalent de la Caisse des dépôts, les Länder. Mme Merkel, qui pourtant n’est pas au parti socialiste, indique qu’elle veut une participation publique allemande dans EADS. C’est là un élément de réponse à votre question, M. Carrez : un État aujourd'hui dirigé par une chancelière qui est loin d’être une gauchiste – certes dans le cadre d’une coalition – saisit l’occasion, non pas pour trouver des partenaires allemands privés, mais pour que des entités publiques achètent.

De façon plus générale, un des grands débats qui agitent la communauté financière internationale concerne les fonds souverains. Ces fonds sont constitués d’argent public généré soit par des excédents de ressources naturelles – Arabie Saoudite, Norvège… –, soit, de façon plus trouble, par des phénomènes de change – en Chine principalement. Par leur biais, l’autorité publique met des milliards de dollars sur le marché et prend des participations minoritaires dans des entreprises partout sur la planète. On pourra saluer dans ce phénomène le grand retour de l’entreprise publique, ce qui n’est d’ailleurs pas totalement faux. Toute considération idéologique mise à part, ce qui est sûr est que Qatar Investment, le fonds de pension gouvernemental norvégien ou les 200 milliards de dollars de réserves de change chinoises investissent effectivement de l’argent public en participation minoritaire dans des entreprises du secteur concurrentiel. À ma connaissance, il ne s’agit pas de généreux donateurs qui perdent leur argent !

Le problème consiste donc, non seulement à réaliser les bons montages, mais surtout à s’en occuper par la suite. Ce n’est pas parce qu’il y a de l’argent public dans une entreprise que, par un coup de baguette magique, les intérêts de la collectivité se trouvent garantis. Il faut des gestionnaires. Du reste, les fonds souverains que je viens d’évoquer sont gérés par des professionnels de la gestion de fonds privés, et ceux-ci gèrent le fonds public comme ils auraient géré un fonds privé, c'est-à-dire en recherchant l’efficacité et la rentabilité, en contrôlant les conseils d’administration, etc. Si les représentants de l’État sont là pour dormir, l’argent part de toute façon à vau-l’eau, que la participation soit majoritaire ou minoritaire !

En définitive, la question n’est pas de savoir s’il faut ou non des participations publiques. Si celles-ci existent, il y a des raisons à cela. La question centrale est de savoir s’il y a des gens pour les gérer. Or notre pays n’est sans doute pas assez armé pour que ses fonds publics soient gérés au mieux.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Je souscris pleinement à cette analyse et souhaite prolonger ma question : pensez-vous que l’État peut gérer en direct ? Ne faut-il pas une vraie intermédiation ? Certains prônent une autonomie bien plus large de l’Agence des participations de l’État, d’autres évoquent le rôle de la Caisse des dépôts. Dans le contexte actuel, et compte tenu des caractéristiques culturelles de notre pays, comment voyez-vous les choses ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Je pense moi aussi qu’une assez grande autonomie de gestion est nécessaire. Dans le cadre d’une structure existante ou non, il faut poser des contraintes d’objectifs – non seulement financiers, mais aussi industriels ou autres – et juger les responsables sur leurs résultats. Cependant, pour la réalisation des objectifs, il faut laisser à ceux-ci une autonomie assez large.

Les fonds souverains auxquels j’ai fait allusion sont loin d’être indépendants. En Russie, dans les émirats ou ailleurs, le pouvoir politique leur donne à tout le moins quelques indications. Mais, dans leur gestion, ils jouissent d’une assez grande indépendance. C’était d’ailleurs, dans une certaine mesure, l’idée qui a conduit à la création de la SOGEADE - laquelle, il faut le reconnaître, n’était nullement une anticipation de génie mais la réponse à une demande très forte des Allemands.

Les structures de gestion des participations de l’État ne doivent pas être cantonnées à l’enregistrement et à la comptabilité : elles doivent être des outils de gestion.

M. Jérôme Cahuzac : Après les nombreuses auditions qui ont précédé la vôtre, il était très intéressant d’avoir votre éclairage sur la genèse du pacte d’actionnaire et sur les garanties qu’au sein de ce dernier l’État a su préserver pour lui-même.

Pour autant, le rôle de l’État se pose puisque le directeur lui-même de l’agence des participations de l’État nous a indiqué qu’EADS était finalement la seule entreprise dans laquelle l’État, en dépit de ses participations, n’avait aucun moyen d’intervenir. Je crois comprendre que c’était là une volonté des Allemands à l’origine, mais si j’ai bien compris hier Arnaud Lagardère, il s’est agi, dans l’affaire qui nous intéresse, beaucoup moins d’une question de pacte d’actionnaire que d’une question de reporting ou d’information des actionnaires. Arnaud Lagardère se considère en effet dans ce domaine non comme un gestionnaire, mais comme un actionnaire ayant, comme l’État, confié la gestion d’EADS à des gens dont c’est le métier – et plutôt correctement rémunérés...

Dans ces conditions, peut-on incriminer le pacte d’actionnaire dans le fait que l’État n’était pas plus informé qu’Arnaud Lagardère ? Si vraiment il y a eu un défaut d’information inhérent au pacte d’actionnaire, cela signifie donc qu’il était consubstantiel au compromis passé avec les Allemands, ce qui peut d’ailleurs expliquer que l’on ait choisi de sauver l’industrie aéronautique à l’époque d’Airbus, quitte à ce que l’État et Lagardère ne jouent qu’un rôle d’actionnaire. Cela étant, on peut tout de même se poser des questions sur ce défaut d’information. N’est-il pas en effet troublant de penser que 1 200 cadres d’une entreprise n’informent, ainsi que cela nous a été affirmé, aucun des actionnaires ?

S’agissant des nominations, pouvez-vous nous confirmer, ainsi que cela nous a été indiqué par deux fois devant la représentation nationale lors des questions au Gouvernement, que le pacte d’actionnaire empêchait toute influence de l’État dans les nominations du groupe Lagardère au sein du conseil d’administration d’EADS ou à la présidence de la SOGEADE ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Les membres du conseil d’administration disent n’avoir pas été informés comme il aurait fallu des difficultés rencontrées. L’ont-ils été ou non ? Je n’en sais rien, faute de disposer d’autres informations que celles que je recueille dans la presse. La seule chose que je sais, en revanche, c'est que la qualité privée ou publique des représentants de la SOGEADE à ce conseil d’administration n'a strictement aucune importance. Toute personne mandatée par son conseil d’administration pour le représenter dans un autre, en rapporte les informations. Quant à savoir de quoi le conseil d’administration d’EADS était au courant, je ne le sais absolument pas.

Pour ce qui est des nominations, je ne peux que répéter ce que j’ai dit. Le pacte d’actionnaire prévoit, pour certaines décisions importantes, une majorité de six membres sur huit, ce que n’atteint ni la partie privée ni la partie publique à elle seule. Il faut donc l’accord des deux partenaires. Toutefois, lorsque l’un des deux – en l’occurrence, le partenaire privé – se retire en partie et que l’autre, le partenaire public, se retrouve posséder 66 % du capital, je ne vois pas très bien comment l’État pourrait être incapable d’avoir une influence sur les nominations. Ayant, pour ma part, quitté le ministère de l’Économie et des finances le 2 novembre 1999, je peux ne pas avoir connaissance de modifications du pacte d’actionnaire intervenues après cette date. En tout cas, tel qu’il a été établi et tel que je le vois fonctionner aujourd’hui, je ne vois pas pourquoi l’État serait dans l’incapacité d’intervenir.

M. Jérôme Cahuzac : Nous avons eu confirmation hier que M. Lagardère et le représentant de Daimler-Chrysler avaient rencontré en novembre 2005 le ministre de l’Économie et des finances de l’époque pour lui faire part non seulement de leur intention, mais de leur décision de vendre leurs participations. Dans l’hypothèse où c'est vous qui auriez été en place, auriez-vous estimé nécessaire, par souci de transparence, d’informer le marché ou auriez-vous, au regard de l’importance stratégique de l’entreprise, plutôt choisi de conserver une certaine confidentialité ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Je peux concevoir que le ministre de l’Économie et des finances, informé par un actionnaire de ses intentions, puisse considérer que cette information est délivrée sous le sceau du secret. Là où je m’interroge, c'est si le ministre en question – il faudrait vérifier les dates – avait une information ou une crainte sur l’évolution du cours à terme. Dans ce cas, une information du marché, non pas sur le projet de vente, mais sur l’évolution du cours, était peut-être nécessaire. Compte tenu des éléments à ma disposition, je ne peux cependant rien affirmer. En tout cas, sur le principe, lorsqu’une évolution de cours est prévisible, surtout lorsque s’y associe une opération de vente, la question se pose pour les autorités de l’information du marché.

M. Jérôme Cahuzac : À l’époque, le ministre, M. Breton, sait qu’il peut y avoir une évolution de cours puisqu’il est alors détenteur d’une note de l’agence des participations de l’État qui l’alerte en ce sens, au point même de lui conseiller de vendre.

M. Dominique Strauss-Kahn : Peut-être, mais heureusement que les ministres ne croient pas toujours les notes de l’administration !

Le Président Didier Migaud : C'est certainement ce qui a dû se passer...

M. Jérôme Chartier : Lorsque le pacte d’actionnaire est projeté avec Jean-Luc Lagardère et Jürgen Schremp, il est établi comme principe qu’aucun représentant de l’État français ne doit être membre du conseil d’administration d’EADS. Est-il cependant fait en sorte que l’État ne perde pas une miette de l’information qui peut être donnée au sein de ce conseil ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Aucun représentant de l’État ne peut être membre du conseil en tant que tel. Cette interdiction ne vaut pas en tant que représentant de la SOGEADE.

M. Jérôme Chartier : Cette dernière pouvait donc désigner un administrateur qui, par ailleurs, exerçait des responsabilités au sein de la structure d’État, comme le directeur de l’agence des participations de l’État ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Je n’en suis pas certain. Le texte exclut, je crois, les fonctionnaires en activité.

M. Jérôme Chartier : Au titre des administrateurs, on pouvait, en revanche, trouver des personnalités qualifiées qui n’étaient pas forcément des ennemis mortels de l’État français ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Ou des anciens agents de l’État ou des agents de l’État en disponibilité exerçant, par exemple, la direction d’une entreprise publique.

M. Jérôme Chartier : Le directeur de l’agence des participations de l’État a-t-il, selon vous, raison ou tort de dire que l’État ne peut remplir son rôle d’actionnaire dans EADS ?

M. Dominique Strauss-Kahn : C’est formellement juste, puisqu’il n’y a pas de représentant de l’État en tant que tel au conseil d’administration. Il me semble néanmoins que la structure même de la SOGEADE permettait à l’État – légitimement puisqu’il est actionnaire – d’être informé de ce qu'il devait savoir. De ce point de vue, l’information que rapportent du conseil d’administration les représentants de la SOGEADE, quelle que soit leur origine, vaut pour tous les partenaires de la SOGEADE. C'est à raison que M. Arnaud Lagardère a pu dire hier, selon ce que j’ai lu dans la presse ce matin, qu’il en savait autant que l’État – pas plus pas moins. Il est en effet informé par les administrateurs de la SOGEADE auprès d’EADS de la même manière que l’est l’État.

M. Jérôme Chartier : Selon le compte rendu, M. Lagardère a dit : « Tout ce que je savais, l’État le savait. »

Le Président Didier Migaud : Il a également eu cette formule : « Tout ce que je sais, l’État le sait. »

M. Jérôme Chartier : Il parlait, bien entendu, d’EADS et d’elle seule.

Le Président Didier Migaud : C'est le seul sujet qui nous intéresse aujourd’hui.

M. Jérôme Chartier : Le rapport entre l’État et la SOGEADE ne change pas tant que Lagardère conserve une participation d’au moins 6 %. À l’époque où vous avez conçu le pacte d’actionnaire, cette disposition existait-elle, ce qui signifierait que Lagardère prévoyait déjà qu’une réduction de sa participation lui permettrait tout de même de conserver sa position d’actionnaire majoritaire ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Je n’ai jamais eu le sentiment – c'est un peu pour cela que je vous parlais tout à l’heure des hommes – que Jean-Luc Lagardère, même s’il pouvait prendre des précautions comme tout bon gestionnaire d’une grande entreprise privée, avait l’intention de lever le pied. Bien au contraire, il voulait ce projet.

M. Jérôme Chartier : Puisque vous fûtes ministre de l’Économie et des finances - ne voyez pas là une question malicieuse – auriez-vous, si vous vous étiez trouvé, fin novembre 2005, face à Arnaud Lagardère et au président en exercice de Daimler-Chrysler venus vous parler de leur intention de céder conjointement une partie de leur participation au sein d’EADS, formulé des demandes ou des conseils particuliers ?

M. Dominique Strauss-Kahn : La tradition anglo-saxonne – à laquelle il va d’ailleurs falloir que je me conforme de plus en plus – est de ne pas répondre aux questions hypothétiques ! Pour répondre cependant à votre question, tout dépend de ce que j’aurais su à ce moment-là sur l’état des finances publiques françaises ou sur notre capacité à investir. Il me semble – avec toutes les précautions d’usage – qu’une opportunité pouvait en l’occurrence se présenter pour l’État de mettre en œuvre ce que certains esprits tout aussi malicieux que le vôtre pouvaient alors concevoir, à savoir saisir l’occasion pour augmenter la participation publique. Mais, je le répète, tout aurait dépendu du contexte. J’aurais pu tout aussi bien préférer convaincre les deux partenaires privés de ne pas poursuivre dans la voie dans laquelle ils voulaient s’engager, car l’équilibre auquel nous étions parvenus était heureux. Cela étant, ils seraient restés libres de faire ce qu’ils entendaient.

Arnaud Lagardère n’a jamais caché son idée de vouloir réorienter son groupe. Cette vente, ce n'est donc pas une tocade de sa part. De même, on voit bien que les problèmes posés par Chrysler justifient la démarche de Daimler-Chrysler. Il n’empêche qu’il y avait peut-être – ou peut-être pas, car je manque d’informations sur ce point – une occasion d’accroître la part publique, ce qui renvoie cependant à la question de M. Carrez : à quoi cela sert-il si on ne sait pas quoi en faire ?

M. Louis Giscard d’Estaing : En 2003, lors des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur la gestion des entreprises publiques, nous nous étions posé des questions analogues à celles d’aujourd’hui sur le rôle de l’État actionnaire. Vous déclariez vous-même d’ailleurs, lors de votre audition du 28 mai 2003 : « l’État doit tout d’abord jouer un véritable rôle d’actionnaire. » Employant le mot de « tutelle », vous précisiez : « Je crois justement qu’il faut que nous sortions de cette logique pour que l’État, lorsqu’il est actionnaire d’une entreprise, qu’il soit majoritaire ou non, ait un comportement d’actionnaire, avec les droits et les devoirs qui s’y attachent » – c'est ce que vous venez de rappeler. « Les nombreuses participations de l’État sont gérées tant bien que mal. On peut critiquer cette situation, même si globalement, à long terme, ce n'est pas si mal. De toute façon la complexité est là, et ce n'est pas parce que l’on regroupera ces participations que l’on aggravera la situation. [...] Quand un ministre nomme un dirigeant, je ne suis pas absolument persuadé qu’ensuite ce dernier lui obéisse beaucoup. J’ai une proposition à faire en ce sens : il pourrait y avoir une procédure de type earings, d’audition du candidat présenté par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale afin de choisir la personne qui dirigera l’agence. Évidemment, dans ces conditions, cette personne aurait ensuite à rendre compte à la représentation nationale. »

Vous concluiez votre propos en vous interrogeant : « Qu’est-ce qu’un ministre ? C'est le chef de l’administration. Là, il s’agit de quelque chose qui est un peu différent d’une administration, c'est le patrimoine des contribuables qui est en cause. Par conséquent, à un moment ou à une autre de la procédure, le fait que la représentation nationale ait à donner son sentiment sur la qualité des personnes amenées à diriger l’agence, non seulement ne me choque pas, mais me paraît même recommandable. » Nous ne pouvons que partager ces propos.

Abordant ensuite le rôle particulier du ministre des finances, en particulier dans l’affaire des acquisitions stratégiques de France Télécom, vous rappeliez ce qu’avait indiqué Michel Bon, le dirigeant de l’entreprise en question : « Quand le ministre est d’accord, le conseil n’a aucune légitimité pour aller contre, car la messe est dite. » S’agissant toujours du rôle dévolu au ministre des finances dans des décisions stratégiques prises par des entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire aux côtés d’entreprises privées ou d’actionnaires individuels, l’État a-t-il selon vous réellement joué son rôle de contrôle dans le cas d’EADS ? Une attitude de sleeping partner n’est-elle pas contraire au rôle qu’il doit jouer selon vous ?

J’ai conclu de vos propos que, dans le cas d’une participation stratégique, l’État se devait de ne pas vendre sa participation. Cela signifie-t-il également que, s’il avait des informations sur une évolution défavorable du cours, il se devait, dans le cadre de son droit de préemption, de ne pas acheter ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Il est toujours dangereux d’être confronté à ce que l’on a dit ! En l’occurrence, je ne renie aucun mot.

Le problème est que je ne dispose que de peu d’informations concernant les questions de fait que vous posez. Selon moi, la SOGEADE, membre du conseil d’EADS, était en situation d’avoir des informations. Dans quelle mesure cependant le conseil a exercé son contrôle industriel, financier, stratégique sur EADS ? Je n’en sais absolument rien.

Plus généralement, la question est de savoir si les dirigeants opérationnels d’EADS ont ou n’ont pas diffusé à leur conseil une information qu’ils détenaient. Tout ce petit monde semblait alors préoccupé par d’autres questions que celles d’ordre stratégique et industriel de l’entreprise. C'est d’ailleurs ce qui expliquerait leur attitude. Pour autant, le problème ne tient pas au pacte d’actionnaire. Quelles qu’aient été les personnes présentes autour de la table du conseil d’administration, le même problème se serait posé.

Pour ce qui est des participations, deux cas sont à considérer : celles que l’État prend pour des raisons d’ordre stratégique, en gérant un projet industriel, comme ce fut le cas pour EADS, et celles qu’il gère, selon l’expression consacrée, comme un père de famille, à l’image du fonds de réserve pour les retraites.

Pour conserver l’exemple d’EADS, ce qui peut pousser l’État à augmenter sa participation, c'est la vision stratégique qu’il a de l’entreprise à long terme, et non le cours du jour, même s’il est préférable qu’il n’achète pas au plus haut et vende au plus bas. Veiller aux intérêts du contribuable est une préoccupation majeure. Néanmoins, elle passe après la préoccupation stratégique, si l’opération peut être utile au pays, à l’Europe, à l’avenir. C'est d’ailleurs pour cela que la responsabilité des décideurs, notamment les responsables politiques, est alors considérable. Si l’investisseur prend son risque pour lui, l’investisseur public prend, lui, le risque pour la collectivité. Ce n'est pas le cours qui doit pousser l’État à participer plus ou à se retirer. Ce qui doit le guider, c'est la vision qu’il a de l’entreprise pour le pays.

M. Jérôme Chartier : Sachant que si l’on détient plus de 6 % d’EADS, rien ne change en termes de pouvoir au sein du conseil d’administration, le groupe Lagardère ou l’État français peuvent donc parfaitement envisager, dans le cas où ils auraient besoin de liquidités, de céder une partie de leur participation.

M. Dominique Strauss-Kahn : Sur cette question, un débat théologique s’est instauré dans notre pays voilà vingt-six ans afin de savoir s’il fallait nationaliser à 100 % ou à 51 %, certains estimant cependant que si la bonne nationalisation se situe à 51 %, il convient néanmoins de nationaliser à 100 % afin de disposer d’une marge de manœuvre le moment venu en vendant 49 % ! Le problème, lorsque l’on est à 51 %, c'est que l’on est au taquet. Si l’on considère qu’il est légitime que, dans un pays comme le nôtre, l’État – notamment parce que c'est le seul à être stable et à avoir une vision à long terme dans ce qui est, non pas une fabrique de petits pois, mais une industrie de l’avenir – ait son mot à dire dans une entreprise de cette importance, il faut en tout cas qu'il soit représenté à égalité avec les autres partenaires parce que, au-delà des arguments juridiques ayant trait au niveau de la participation, la dynamique de groupe fait que l’on a plus d’influence quand on est plus gros que quand on est plus petit.

M. Louis Giscard d’Estaing : Lors de la constitution du pacte d’actionnaires, les Allemands avaient fait part de leur grande réticence à voir l’État français devenir un actionnaire prépondérant.

M. Dominique Strauss-Kahn : Et même un actionnaire tout court !

M. Louis Giscard d’Estaing : Cela signifie-t-il que pour les représentants des actionnaires allemands, il n’est pas concevable que siège au conseil d’administration d’EADS un représentant de l’État français en tant que tel ?

M. Dominique Strauss-Kahn : C’était le cas au départ, mais toute chose est appelée à bouger, surtout dans une structure à 50/50 – mais c’était cela ou rien. Pour autant, cet équilibre n'est pas inscrit dans le marbre jusqu’à la fin des temps. Même s’il était compréhensible que, pendant un temps, une certaine stabilité devait régner, voilà maintenant plusieurs années qu'il est possible aux deux partenaires de renégocier dans un sens ou dans un autre – l’éventail est très large, d’autant que l’attitude de l’État français ne peut être considérée par les Allemands comme ayant été par trop intrusive – c'est même, au contraire, ce que certains lui reprochent. Sans vouloir livrer de secret, certains avaient même à l’idée qu’un jour ou l’autre les Allemands voudraient s’en aller. La situation pouvait donc évoluer dans les deux sens : soit les Allemands entraient de façon plus massive dans cette structure un peu instable par l’intermédiaire de DASA, et ils étaient alors les bienvenus ; soit c'est le contraire qui se passait, et il fallait alors mettre la France en situation de ne pas être perdante. Les deux cas de figure pouvaient convenir.

Le Président Didier Migaud : Il me reste à vous remercier d’avoir accepté d’être entendu par nous et de nous avoir apporté cet ensemble de précisions.

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Mardi 4 décembre 2007 séance de 8 heures 30

IX.– AUDITION SUR LE RÔLE DE L’ÉTAT DANS L’ÉVOLUTION DE L’ACTIONNARIAT D’EADS EN 2005–2006 :

– M. Thierry Breton, ancien ministre des Finances

Le Président Didier Migaud : Je souhaite la bienvenue à M. Thierry Breton, auditionné aujourd’hui au sujet de l’évolution de l’actionnariat d’EADS de 2005 à 2006 en raison de ses anciennes fonctions de ministre des Finances.

Avec cette réunion, la Commission achève le cycle des auditions consacrées à EADS, étant entendu qu’elle a évidemment limité l’objet de son étude au rôle joué par l’État dans l’évolution de l’actionnariat de ce groupe en 2005 et 2006 et à ses relations avec la Caisse des dépôts et consignations.

Entre le 9 et le 26 octobre, la Commission a successivement entendu les anciens et actuels responsables de la Caisse des dépôts, le directeur général du Trésor et de la politique économique au ministère des Finances, M. Xavier Musca, M. Philippe Pontet, qui a présidé le conseil d’administration de la SOGEADE et qui était accompagné de M. Bruno Bézard, directeur de l’Agence des participations de l’État – l’APE –, et de M. Jean-Yves Leclerc, sous-directeur de l’APE, ainsi que MM. Anthony Orsatelli et Bernard Migus, président du directoire et directeur général d’IXIS CB, banque de financement et d’investissement, M. Arnaud Lagardère, président du Groupe Lagardère et M. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Économie et des finances.

La commission des Finances a pu ainsi obtenir des éclaircissements sur le rôle de chaque intervenant dans les opérations de cession et d’acquisition d’une partie du capital d’EADS. Nous avons souhaité vous entendre à la fin de ces auditions, monsieur le ministre, pour vous poser des questions qui demeurent en suspens et pour avoir quelques précisions, notamment quant à la validité du circuit d’information tel qu’il existait entre EADS et les services de l’État, mais également sur les relations entre ces services et la Caisse des dépôts.

Je précise que M. Breton est accompagné de M. Luc Rémont, ancien directeur adjoint de son cabinet, de MM. Bruno Bézard et Jean-Yves Leclerc, respectivement directeur général et directeur adjoint de l’APE, ainsi que de M. Denis Samuel–Lajeunesse, ancien directeur général de l’APE.

S’agissant de la chronologie des événements, vous avez indiqué, monsieur le ministre, notamment lors de votre audition par la commission des Finances du Sénat, qu’à l’issue de votre entrevue avec Manfred Bischoff et Arnaud Lagardère en novembre 2005, vous n’aviez pas eu le sentiment que la décision des actionnaires industriels ait été prise. Cette incertitude avait-elle trait à l’intention même de vendre ou aux modalités de la cession – date, choix de l’intermédiaire et des conditions de ventes ?

Vous avez également précisé au Sénat avoir appris par M. Luc Rémont, en avril 2006, la décision de la Caisse des dépôts d’acquérir 2,25 % du capital d’EADS, M. Rémont tenant lui-même son information de la presse. Voilà qui suscite quelques interrogations ! À l’occasion de son audition, M. Lagardère a déclaré que l’État savait ce que lui-même savait. En janvier 2006, il a ainsi remis un document au Premier ministre dans lequel la Caisse était mentionnée comme étant l’un des acquéreurs des parts du Groupe Lagardère. Pouvez-vous donc préciser vos propos par rapport à ceux que vous avez tenus au Sénat ?

S’agissant du suivi d’EADS à travers la SOGEADE, vous avez indiqué que les particularités du pacte d’actionnaires élaboré en 1999 et 2000 expliquent que l’État ne soit pas directement actionnaire d’EADS et qu’il ne peut avoir des représentants au conseil d’administration de cette entreprise. Toutefois, l’État est actionnaire de la SOGEADE à parité avec le Groupe Lagardère et la SOGEADE a, quant à elle, des représentants à ce conseil d’administration. Vous avez affirmé que l’État ne disposait « que » d’un droit de veto concernant les représentants de la SOGEADE au conseil d’administration d’EADS, mais les choses pourraient sans doute être formulées différemment en disant que l’État « dispose » d’un droit de veto, ce qui signifie que les représentants proposés par le groupe Lagardère ne peuvent devenir des représentants de la SOGEADE qu’avec l’accord de l’État. Les personnes retenues ne sont donc pas imposées à l’État, mais nécessairement « adoubées » par lui et elles ne représentent pas les seuls intérêts du groupe Lagardère, mais ceux de tous les membres de la SOGEADE. Est-ce bien ainsi que vous analysez la situation ?

Comment étiez-vous informé de la situation au niveau de l’entreprise ? À quel moment et dans quelles circonstances avez-vous su que le groupe Lagardère entendait céder une partie de sa participation à des investisseurs institutionnels ? La Caisse des dépôts et consignations a-t-elle été citée à ce moment-là ? Vous avez dit que la prise de participation supplémentaire de la Caisse mettait l’État dans une situation embarrassante à l’égard de son partenaire allemand dans la mesure où celui-ci pouvait considérer qu’il s’agissait d’une intervention en sous main de l’État. Dans ces conditions, en avez-vous fait part à la Caisse des dépôts ? Enfin, connaissiez-vous la situation allemande, où les länder ont également pris une participation qui peut être aussi considérée, en un sens, comme une intervention d’investisseurs institutionnels ?

M. Thierry Breton : Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir convié, avec mes anciens collaborateurs, à revenir sur un sujet sur lequel beaucoup a été dit depuis deux mois. La quasi-totalité des réponses aux questions que vous avez posées a déjà été fournie, mais je m’efforcerai d’y revenir le plus précisément possible.

Il y a deux mois, je suis rapidement revenu des États-unis pour être auditionné par la commission des Finances du Sénat car je sentais que l’État était injustement attaqué. Je comprenais par ailleurs très bien l’émotion suscitée par ce dossier et il m’avait semblé indispensable de venir expliquer la position et le rôle de l’État à ce moment-là. Depuis, votre commission et celle du Sénat ont conduit de nombreuses auditions qui ont contribué, je l’espère, à mieux expliquer un processus dans lequel le rôle de chacun est strictement encadré. Cet encadrement prévaut d’ailleurs pour toutes les relations entre les entreprises ou entre les entreprises et l’État et, a fortiori, s’agissant d’entreprises cotées.

Premier volet de ce dossier : le rôle de l’État dans le pacte d’actionnaires d’EADS.

Ce cadre est donc fixé depuis 1999 et 2000 à travers un pacte d’actionnaires signé par MM. Strauss-Kahn et Fabius à l’issue d’une longue négociation qui a conduit à la création d’EADS. Je crois nécessaire d’en rappeler les principales dispositions.

Je rappelle tout d’abord que l’État n’a pas directement la faculté de nommer un représentant au sein du conseil d’administration d’EADS ; il est en outre seulement représenté au sein de la holding SOGEADE qui porte les actions de l’État et celles du groupe Lagardère. C’est le conseil d’administration de cette holding, composé paritairement d’administrateurs représentant l’État et le Groupe Lagardère, qui pouvait nommer quatre administrateurs d’EADS à parité avec la partie allemande. Le conseil d’administration de SOGEADE Gérance statuant en tenant compte des propositions formulées par le Groupe Lagardère, c’est aux partenaires privés qu’appartient le pouvoir de proposition. Il est de surcroît explicitement prévu que les administrateurs d’EADS nommés sur proposition de la SOGEADE ne peuvent recevoir aucune instruction de celle-ci, sauf sur un nombre très limité de sujets spécifiques.

Pour éviter toute ambiguïté et dans la mesure où j’ai cru comprendre que M. Strauss-Kahn a laissé entendre ici même que l’État aurait pu, par ce moyen, participer aux décisions de gestion d’EADS, je rappelle les seuls cas prévus par le pacte d’actionnaires dans lesquels une majorité des trois-quarts est requise au sein du conseil d’administration de la SOGEADE, donnant ainsi un pouvoir à l’État : acquisitions et cessions de participations ou d’actifs de plus de 500 millions d’euros ; accords stratégiques d’alliances et de coopérations industrielles ou financières ; augmentations de capital d’EADS sans droit préférentiel de souscription lorsqu’elles dépassent 500 millions d’euros ; opérations mettant potentiellement en jeu les engagements d’EADS envers l’État sur sa branche missile-balistique. À l’inverse, une décision de lancement d’un nouveau programme d’avions susceptible de représenter un ordre de grandeur de 10 milliards d’euros d’investissement, par exemple, n’entre pas dans la liste des cas dans lesquels SOGEADE doit être consultée et disposerait d’un pouvoir d’influence quelconque. Sur ces sujets, les administrateurs représentant SOGEADE au conseil d’administration d’EADS sont totalement libres de leur vote.

Deuxième volet : les droits de cession des différents actionnaires.

Chacun des actionnaires membres du pacte est libre de vendre ses actions à condition d’en informer les autres actionnaires qui peuvent seulement préempter la vente ou vendre simultanément le même nombre de titres. L’État s’était en outre engagé envers Daimler à ne jamais dépasser 15 % du capital d’EADS, ce qui est exactement la part de capital détenue par l’État depuis l’origine. L’État ne pouvait donc pas préempter une vente d’actions des autres actionnaires puisqu’il aurait ainsi dépassé le plafond convenu de sa participation.

Telles sont les principales dispositions du pacte qui ont été prévues à la demande des actionnaires industriels, notamment Daimler-Chrysler, à l’époque de la constitution d’EADS. Elles visaient à établir une asymétrie nette entre, d’une part, les actionnaires industriels auxquels le pacte conférait le rôle et les moyens de conduire l’entreprise et, d’autre part, l’État qui disposait seulement de la faculté encadrée de préserver ses intérêts stratégiques en cas d’évolution majeure du périmètre et de préserver sa seule participation en cas d’augmentation du capital.

Par ailleurs, aucune date de révision ou de fin du pacte n’a été prévue. Il n’était donc envisageable de le modifier qu’avec l’accord unanime des trois parties. Je ne critique pas ceux qui ont accepté ces conditions, en 2000, au nom de l’État, car la négociation était sans doute complexe et l’enjeu industriel de création du Groupe EADS était majeur. Je constate simplement que la règle ainsi fixée privait l’État de jouer normalement son rôle d’actionnaire et que rien ne permettait de revenir sur ce point sans l’accord des deux autres parties. L’État n’avait donc pas d’autres options que de respecter les règles qu’il avait acceptées.

Lorsque j’étais au gouvernement, la position de l’État a toujours été de considérer EADS comme une participation stratégique : il n’a donc été procédé à la cession d’aucun titre. Les actionnaires industriels, conformément au pacte d’actionnaires, étaient tenus d’informer l’État de leurs intentions de céder les titres pour lui donner la possibilité de procéder également à des cessions. C’est en application de cette obligation que des contacts ont eu lieu entre novembre 2005 et avril 2006 entre les groupes Lagardère et Daimler puis l’État. Ceux-ci ont connu deux phases : de novembre à février, où les groupes industriels ont évoqué le principe d’une cession partielle de leurs titres – et ils souhaitaient qu’elle soit accompagnée d’une cession par l’État – sans en expliquer les modalités, puis de mars à début avril, où ils ont décidé la mise en œuvre effective d’une cession partielle de leurs titres.

J’ai quant à moi été informé pour la première fois de l’intention de principe des actionnaires industriels de réduire leur participation au cours d’une réunion que j’ai tenue à leur demande avec MM. Lagardère et Bischoff le 28 novembre 2005 en présence de mon directeur-adjoint de cabinet, M. Rémont. Les actionnaires industriels souhaitaient éventuellement réduire partiellement leurs participations pour faire face à des besoins d’investissement dans les autres métiers de leurs groupes respectifs. Ils m’ont suggéré que l’État cède conjointement une partie de ses propres titres s’ils décidaient in fine de mettre en œuvre leur intention. Je leur ai indiqué que la participation de l’État était stratégique et que ce dernier ne céderait donc aucune action. Je leur ai également fait part de mes réserves sur leur projet, considérant qu’un désengagement, même partiel, des actionnaires industriels, pourrait être interprété comme un signal négatif pour l’entreprise. Cela étant, l’État n’avait ni la possibilité de s’opposer à cette cession, ni la faculté de préempter les titres comme l’a rappelé le représentant de Daimler lors de cette réunion.

Des contacts ont eu lieu par la suite en janvier et février 2006 entre le groupe Lagardère et le cabinet du Premier ministre, à qui mes services avaient rappelé les termes du pacte d’actionnaires. Le cabinet a réitéré la position que j’avais exprimée concernant la participation stratégique de l’État. Au terme de ces échanges de principe, dans un mémo daté du 21 février, remis au cabinet du Premier ministre à la fin de ce mois-là – lequel mémo a été ensuite transmis pour information à mon cabinet puis, par ce dernier, à l’APE – le groupe Lagardère suggérait que l’État puisse lever le nantissement de la moitié de ses actions pour les rendre libres à la vente en les sortant du cadre du pacte en vue de faciliter une éventuelle cession ultérieure concomitamment à la baisse de la participation du groupe Lagardère dans SOGEADE. La position de l’État est restée identique, la participation de l’État n’ayant pas vocation à être réduite ni à sortir du périmètre de la SOGEADE.

Une deuxième phase a alors commencé qui a conduit les actionnaires industriels à mettre en œuvre la cession de leurs actions. Le groupe Lagardère a, dans ce but, contacté mon directeur-adjoint de cabinet le 8 mars 2006 pour lui faire part de la décision des actionnaires industriels de mettre en œuvre une réduction partielle de leur participation et demander à ce que cette opération soit examinée dans le cadre du pacte d’actionnaires. Les modalités de la cession envisagée par les actionnaires industriels ont donc été présentées à l’APE au cours d’une réunion qui a eu lieu le 20 mars 2006. Les actionnaires privés ont ensuite notifié formellement leur intention de céder, comme le prévoit le pacte d’actionnaires. Le conseil d’administration de SOGEADE Gérance s’est tenu le 3 avril pour constater l’absence de préemption ou de cession conjointe de l’État. En application du pacte, ce conseil d’administration, tout comme l’État, n’avait aucune autorisation à donner ni aucune possibilité de bloquer une cession des actionnaires industriels.

Le pacte d’actionnaire traite donc différemment l’État des autres actionnaires en le tenant à distance de l’entreprise, conformément à la volonté originelle des actionnaires industriels. Airbus a annoncé à ses clients des retards de livraison de l’A 380 en juin 2005 au salon du Bourget. Un programme de rattrapage a alors été élaboré et annoncé. Ce n’est que le 18 mai 2006 que la direction d’EADS a évoqué pour la première fois avec l’APE le fait que l’industrialisation de l’A 380, je cite, « se passait moyennement », avant que nous ne soyons informés, la veille de l’annonce du 13 juin 2006, de nouveaux retards dans la construction de l’A 380.

Il est exact que l’APE, fin janvier 2006, a procédé à une analyse de la valorisation d’EADS. L’APE a pris l’initiative de cette note, compte tenu de rumeurs de marché évoquant la possibilité d’une cession partielle par les actionnaires industriels. L’APE y fait état d’un ensemble de considérations qui ont trait à des facteurs exogènes – impact de la baisse du dollar sur les résultats d’EADS, agressivité de la concurrence de Boeing, conjoncture générale du cycle aéronautique – pour estimer que le titre EADS est bien valorisé. Compte tenu de cela, elle recommande d’étudier une éventuelle cession. Cette note ne mentionne à aucun moment d’éventuels nouveaux retards de l’A 380 ni la situation industrielle d’Airbus. La réponse que mon directeur-adjoint a adressée à l’APE en mon nom était sans ambiguïté : l’État n’avait pas de raison de se préparer à vendre. Ma position était donc claire.

Le cadre qui s’imposait à l’État était tel que l’État n’avait qu’une seule décision à prendre, sans aucune autre capacité d’appréciation : celle de vendre ou de ne pas vendre d‘actions. C’est sur cette décision qu’il faut juger l’action de l’État à cette période, et celui-ci n’a pas vendu une seule action.

Troisième volet : la décision d’investissement de la Caisse des dépôts.

Il est parfaitement naturel que le groupe Lagardère souhaite proposer ses titres aux investisseurs institutionnels de long terme, parmi lesquels la Caisse des dépôts. Ce groupe a d’ailleurs annoncé son intention de viser cette classe d’investisseurs dans le mémo de principe du 21 février remis au cabinet du Premier ministre et transmis à Bercy. Cela constitue une approche normale et usuelle pour n’importe quelle opération de placement et il est naturel que la Caisse des dépôts soit approchée comme les autres investisseurs. L’opération de placement relevait de la responsabilité des seuls groupes Lagardère et Daimler puis des banques qu’ils avaient mandatées. Dans cette opération sur des titres d’une société cotée à laquelle l’État n’était pas partie prenante, ce dernier, gardien du bon fonctionnement des règles de marché, n’avait en aucun cas à interférer ; s’il l’avait fait, il aurait été fautif. En particulier, l’État n’avait pas à chercher à connaître les intentions ni, a fortiori, à influencer le choix des investisseurs dans un sens ou dans un autre et ce, quels que soient les investisseurs. Il est donc normal que la Caisse des dépôts n’ait ni demandé, ni reçu d’instructions, ni sollicité d’autorisation de l’État. Comme l’a rappelé devant vous M. Dominique Marcel, directeur financier du groupe Caisse des dépôts, conformément à ses procédures internes, la Caisse des dépôts n’a pas informé l’État de ses intentions avant de rendre elle-même sa décision publique le 10 avril 2006.

Même s’il était normal que la Caisse des dépôts soit approchée, au même titre que les autres investisseurs institutionnels, je n’avais pas connaissance de ses intentions d’acquérir des participations non plus que du niveau de participation qu’elle souhaitait atteindre. Pour ma part, j’ai seulement regretté de ne pas pouvoir informer nos partenaires allemands de cette décision quelques heures avant qu’elle ne soit rendue publique afin de prévenir toute réaction négative de leur part. Sur le fond, je n’avais pas plus d’avis à émettre sur cette décision d’investissement prise par la Caisse des dépôts dans le cadre de ses règles de gouvernance interne que pour les autres investisseurs.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Vous avez dit à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que l’État ne pouvait pas exercer ses responsabilités normales d’actionnaire sur EADS, compte tenu des caractéristiques du pacte d’actionnaire. Vous avez été responsable d’entreprises publiques dont le capital est détenu majoritairement par l’État, mais aussi d’entreprises dans lesquelles l’État était actionnaire minoritaire. Qu’entendez-vous par « responsabilité normale de l’État actionnaire » ? Comment ces responsabilités doivent-elles être exercées par l’État ? Doit-il les séparer de ses missions générales de régulation ? Faut-il renforcer le rôle de l’APE par rapport à la direction du Trésor ? Comment envisagez-vous l’organisation de cette difficile mission qui est celle de l’État actionnaire d’entreprises en situation de concurrence ou de monopole ?

L’État, en outre, est représenté par un membre de la direction du Trésor à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts. Quelles instructions lui avez-vous donné avant les différentes réunions de la commission de surveillance ? Comment le dispositif fonctionnait-il ? Si vous répondez en disant que vous ne donniez pas d’instructions particulières, faut-il maintenir un représentant de l’État à la commission de surveillance ? Comment envisagez-vous la gouvernance de la Caisse des dépôts par rapport à l’État ?

M. Thierry Breton : L’APE a été créée en 2004 pour répondre précisément à la question que vous posez sur l’État actionnaire.

S’agissant d’EADS, l’État n’est pas actionnaire direct et ne dispose donc pas d’administrateur direct. Dans la quasi-totalité des autres entreprises dans lesquelles l’État a une participation significative – et j’estime que 15 %, c’est déjà une participation significative, bien entendu – l’État est représenté au sein des conseils d’administration et peut donc s’exprimer. Il participe par ailleurs à de nombreux comités des conseils d’administration, dont les comités stratégiques ou les comités des comptes. Dans ce contexte, l’APE joue pleinement son rôle. À combien de conseils a-t-elle siégé, monsieur Bézard ?

M. Bruno Bézard : Au total, l’APE a siégé l’an dernier dans 500 conseils et comités.

M. Thierry Breton : Mais jamais au sein d’EADS, évidemment. Cette entreprise constitue un cas unique dans le portefeuille des participations gérées par l’APE puisque l’État, donc l’APE, ne peuvent siéger au sein du conseil d’administration. Sans doute est-il impératif de modifier une telle situation. La gouvernance d’EADS a déjà été améliorée à l’initiative du Président de la République, mais il conviendra d’aller plus loin en révisant ce pacte afin que l’État puisse se faire représenter et entendre.

Tel est le vrai problème ! L’asymétrie est palpable par rapport aux autres cas de figure. Peut-être faudrait-il mettre en place une sorte de droit commun des participations gérées par l’APE. Il importe également que l’APE puisse siéger de plus en plus au sein des différents comités des conseils afin que l’État soit en mesure de jouer pleinement son rôle de contrôle et d’accompagnement.

Le Président Didier Migaud : Lorsque vous avez eu la confirmation que l’État ne pouvait pas intervenir directement, ne vous est-il pas venu à l’idée, spontanément, de vouloir changer la situation ?

M. Thierry Breton : Mais évidemment ! Je l’ai d’ailleurs dit publiquement, y compris, me semble-t-il, à l'Assemblée nationale. Le problème, c’est que les trois signataires du pacte doivent être tous d’accord et que ce n’était pas le cas lorsque je leur en ai parlé. Dès lors que le pacte a été ainsi conçu et qu’il n’y a pas de date butoir pour une éventuelle révision, l’accord des trois demeure nécessaire.

Le Président Didier Migaud : Dès lors qu’il s’agit d’un pacte, il faut bien que l’ensemble des signataires soit d’accord pour le modifier. Mais tout dépend également du rôle que peut jouer l’État à travers la SOGEADE et du niveau d’information qu’il peut exiger.

M. Thierry Breton : Il est tout de même surprenant qu’un pacte ne fasse état d’aucune date. Pourquoi les signataires et l’État en particulier n’ont-ils pas prévu une date de révision ? Cela aurait été utile, de manière à pouvoir discuter plus librement.

M. Henri Emmanuelli : Vous auriez dit, dans ce cas, que cela aurait compliqué la tâche.

M. Thierry Breton : Au contraire ! Une date de révision permet de remettre à plat les différents problèmes qui peuvent se poser.

La commission de surveillance de la Caisse des dépôts a un rôle d’information et non un pouvoir de décision. En l’occurrence, le représentant de l’État n’avait pas de consigne à recevoir puisque, comme les autres membres de la commission de surveillance, il a appris un mois plus tard, de la bouche du directeur général de la Caisse des dépôts, que celle-ci a pris une participation de 2,25 % dans le capital d’EADS. Le directeur du Trésor, qui siège dans cette commission, comme des parlementaires d’ailleurs, n’avait pas à s’exprimer puisqu’il s’agissait d’une information. Un problème se pose sans doute au sein de la gouvernance de la Caisse des dépôts s’agissant non de l’information mais de la décision en matière d’investissements.

M. Jérôme Cahuzac : Il ne me semble pas, contrairement à ce que dit M. le ministre, que les auditions précédentes aient apporté la quasi-totalité des réponses attendues et que son audition soit inutile. En outre, M. le ministre parle en permanence de l’État mais, à ce que je sais, ce dernier ne fonctionne pas en roue libre et dispose de suffisamment de hauts fonctionnaires compétents, lesquels ne reçoivent pas leurs instructions d’une autorité indéfinie mais d’un gouvernement. Il ne faut donc pas se demander si l’État a été ou non irréprochable, mais si le gouvernement l’a été et, en particulier, le ministre qui avait la responsabilité de ce dossier, c’est-à-dire vous. Les mots n’étant pas innocents, vous me permettrez de ne pas faire référence à l’État mais au gouvernement, soit à vous.

Cela dit, je souhaite vous poser une série de questions sur les relations entre le gouvernement et la Caisse des dépôts.

M. Thierry Breton : Donc entre moi et la Caisse des dépôts.

M. Jérôme Cahuzac : Oui, en tant que membre du gouvernement bien entendu, même si d’autres responsables gouvernementaux ont eu à connaître du rôle éventuel de la Caisse des dépôts et des évolutions au sein de la gouvernance d’EADS.

Maintenez-vous les propos tenus devant la commission sénatoriale selon lesquels c’est par la voie d’un article de presse que vous a fait connaître votre directeur de cabinet que vous avez appris, le 10 avril, l’achat par la Caisse d’une participation au sein d’EADS ?

M. Pontet, président du conseil d’administration de la SOGEADE a indiqué ici même que la chose était connue depuis le 3 avril. Il a considéré que, dès lors que le conseil d’administration était informé le 3 avril, l’État le savait le soir même. Entre le 3 et le 10 avril, le délai semble un peu long… De plus, lors de son audition au Sénat, M. de Villepin a indiqué avoir immédiatement saisi Bercy des questions soulevées par ce désengagement et un document remis en janvier 2006 au Premier ministre évoquait d’ores et déjà la Caisse des dépôts. Le Premier ministre a assuré vous l’avoir transmis. Si vous étiez informé de la ferme intention de désengagement des principaux actionnaires privés, trouvez-vous normal de vous en désintéresser au point d’attendre la parution d’un article de presse pour réagir ?

Comment interpréter vos propos au Sénat, qui ont donné l’impression que l’État était bien en roue libre et que le gouvernement n’était pas maître de la situation ?

Enfin, sachant que, selon vous, le gouvernement ne dispose d’aucun levier pour peser sur quelque décision que ce soit en la matière, comment expliquer le rôle de certains qui ont bel et bien utilisé l’État, pour remplacer par exemple M. Camus par M. Forgeard ? En juin 2006, vous avez enfin déclaré en réponse à une question d’actualité à l'Assemblée nationale que les difficultés d’EADS étaient derrière nous. Si gouverner c’est prévoir, vos prévisions étaient un peu douteuses.

M. Thierry Breton : Mes propos liminaires apportent une réponse claire aux questions que vous posez, mais je souhaite tout d’abord relever quelques imprécisions dans vos propos.

La note en question du Premier ministre n’est pas de janvier, je l’ai dit, mais du 21 février. La note de janvier, me demandant si je souhaite ou non vendre des titres, est celle de l’APE. La note du 21 février est remise par les collaborateurs de M. Lagardère au cabinet du Premier ministre et elle contient deux éléments : les équipes de M. Lagardère demandent si l’État ne souhaite pas sortir du pacte une partie de ses actions au prorata de celles que le groupe Lagardère veut mettre sur le marché pour les rendre disponibles et se préparer à les céder concomitamment ; la seconde partie de la note ne dit absolument pas, quant à elle, que la Caisse des dépôts sera actionnaire : elle mentionne simplement le fait que les participations pourraient être présentées, sans aucune surprise, à l’ensemble des investisseurs institutionnels français, dont la Caisse des dépôts.

M. Jérôme Cahuzac : Avez-vous eu connaissance de cette note au mois de février 2006 ?

M. Thierry Breton : Elle a été immédiatement transmise à M. Luc Rémont puis à l’APE.

M. Jérôme Cahuzac : À partir de février 2006, vous saviez donc que la Caisse des dépôts pourrait être actionnaire.

M. Thierry Breton : Bien avant ! La Caisse des dépôts est par définition sollicitée dans ce type d’opération ! Ce n’est pas une nouvelle !

M. Jérôme Cahuzac : Le 26 avril…

M. Thierry Breton : Le 10 avril.

M. Jérôme Cahuzac : Le 10 avril, donc, vous avez dit ne pas avoir été content d’apprendre par voie de presse que la Caisse des dépôts procédait à cet achat. Sachant qu’une telle éventualité était par définition connue, qu’avez-vous fait pour éviter de ne pas être content à la fin du mois d’avril ?

M. Thierry Breton : Je vous renvoie à mes déclarations, monsieur Cahuzac. Le 3 avril, je le répète, la réunion de la SOGEADE n’a pas pour but, contrairement à ce que vous avez affirmé de façon erronée, de dire qui seront les acquéreurs des titres de Lagardère. On ne discute que de la possibilité de « purger » les droits de l’État.

Le 10 avril au matin, M. Luc Rémont vient me voir dans mon bureau et me montre un article des Échos qui indique que la Caisse des dépôts a décidé de se porter acquéreur d’une partie significative des titres mis en vente pas Lagardère.

M. Henri Emmanuelli : Les Échos sont donc mieux informés que le cabinet du ministre !

M. Thierry Breton : Cela arrive, monsieur Emmanuelli.

Quelques heures plus tard, la Caisse des dépôts publie un communiqué pour confirmer son initiative. Si j’ai affirmé que je n’étais pas content, ce n’est pas parce que la Caisse des dépôts s’était portée acquéreur – je répète que je n’ai pas à porter de jugement sur ce point –, mais parce que j’estimais qu’il aurait été plus correct qu’elle m’informe quelques heures avant de sa décision définitive pour que je puisse moi-même, hors marché, prévenir les partenaires allemands de cette décision. C’est tout ce que j’ai dit. Le fait que mon directeur de cabinet ait appris cette nouvelle par la presse a soulevé un peu d’émotion, j’en conviens. Peut-être n’aurais-je pas dû le dire, peut-être ai-je commis une erreur, mais telle est la réalité. Il arrive en effet, dans des opérations où l’État n’a pas à intervenir, que les journalistes soient informés quelques heures avant. C’est ce qui s’est passé.

M. Jérôme Cahuzac : Si, selon vous, ni l’État ni le gouvernement n’ont à agir dans ce domaine, estimez-vous qu’ils ont agi lors du drame qui s’est noué entre MM. Camus, Forgeard et Delmas ? Affirmeriez-vous qu’ils n’ont joué rigoureusement aucun rôle dans cette affaire ?

Le Rapporteur général : En ce qui concerne la Caisse des dépôts, il faut bien séparer la forme et le fond. Sur le fond, il est légitime que la Caisse ait pris cette participation stratégique dans EADS. J’y insiste car M. Jérôme Cahuzac ne l’a pas dit d’emblée.

M. Jérôme Cahuzac : Nous sommes d’accord sur ce point, monsieur le Rapporteur général.

M. Thierry Breton : Pour en revenir à la dernière question de M. Cahuzac, je n’étais pas au gouvernement au moment des faits qu’il évoque.

M. Jérôme Cahuzac : Il est un principe républicain qui s’appelle la continuité de l’État, monsieur le ministre. Vous avez succédé à des personnes qui, manifestement, sont intervenues dans cette affaire. Pouvez-vous nous affirmer, dans le cadre de cette audition, qu’à aucun moment et en aucune circonstance vous n’avez eu à connaître, en tant que ministre, des conditions dans lesquelles M. Forgeard a remplacé M. Camus ? Il vous suffit de répondre par oui ou par non.

M. Thierry Breton : S’agissant des problèmes de management, nous nous parlons, et c’est bien normal. Pour le reste, M. Camus avait déjà quitté l’entreprise lorsque j’ai pris mes fonctions.

M. Jérôme Cahuzac : Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Vous avez soutenu que l’État ne pouvait intervenir dans la gestion de quoi que ce soit dès lors que cela concernait la SOGEADE ou EADS. Estimez-vous que l’État et le gouvernement ont pu intervenir peu ou prou dans l’affrontement entre M. Camus et M. Forgeard ?

M. Thierry Breton : Encore une fois, je ne peux répondre puisque je n’étais pas là ! Il faut le demander à mes prédécesseurs.

M. Jérôme Cahuzac : Donc, vous ne savez pas.

M. Thierry Breton : Je n’ai pas la réponse. En revanche, il est évident que nous avons des discussions sur le management, sachant qu’il revient ensuite aux partenaires industriels et au conseil d’administration d’exécuter. Il est bien évident que nous nous parlons.

M. Jérôme Cahuzac : Votre réponse n’en est pas une.

Le Président Didier Migaud : Le fait de dire que l’on se parle est tout de même un élément intéressant. Si l’on se parle, on parle nécessairement de quelque chose.

M. Jérôme Cahuzac : La presse s’est largement fait l’écho de cette affaire. Cela ne vous a jamais intrigué, monsieur le ministre ?

Le Président Didier Migaud : S’il vous plaît, monsieur Cahuzac, il nous faut avancer.

La parole est à M. Henri Emmanuelli.

M. Henri Emmanuelli : Ma question s’adresse plus particulièrement à M. Luc Rémont, ancien directeur adjoint du cabinet de M. Breton.

Si j’ai bien compris, on essaie de nous expliquer ce matin que le journal Les Échos est mieux informé que le cabinet du ministre au sujet d’opérations patrimoniales dans lesquelles l’État est partie prenante. Pouvez-vous nous le confirmer, monsieur Rémont ? Nous n’avons sans doute pas beaucoup d’expérience, mais il y a quand même des limites !

M. Luc Rémont : Je vous le confirme bien volontiers, monsieur le Député. Contrairement à ce que vous dites, l’État n’est pas partie prenante à cette opération patrimoniale.

M. Henri Emmanuelli : Je sais ce que je dis ! L’État est actionnaire d’EADS. Quand on vend une partie du capital de cette entreprise, il est concerné.

M. Luc Rémont : J’essaie de vous répondre précisément, monsieur le Député. Il s’agit d’une opération de marché à laquelle l’État n’est pas partie prenante. Le directeur financier de la Caisse des dépôts a confirmé ici même que la Caisse n’avait pas informé l’État de ses intentions.

Je vous le confirme donc encore une fois : pour ma part, c’est la lecture des Échos le 10 avril qui m’a appris la décision de la Caisse des dépôts d’investir dans EADS. Cette décision a d’ailleurs été confirmée par un communiqué de la Caisse publié le jour même.

M. Henri Emmanuelli : Vous nous expliquez que la vente de 7,5 % du capital d’une société comme EADS, dont l’intérêt stratégique est évident pour tout le monde, s’est faite sans que l’État soit informé, alors qu’il est lui-même actionnaire de l’entreprise à hauteur de 15 %. En outre, le cabinet du ministre aurait été moins informé que le journaliste des Échos. Ce n’est pas crédible !

C’est d’autant moins crédible que nous avons tous assisté à un feuilleton qui a duré près d’un an et au terme duquel l’État français – il est vrai que c’était avant que vous ne soyez ministre, monsieur Breton, et vous, monsieur le directeur adjoint, vous avez dû en être informé par la presse, qui s’en est gargarisée – a obtenu le remplacement d’un co-président d’EADS. Or M. Breton vient de nous expliquer que l’État n’avait aucune possibilité d’intervenir dans la gestion de la société EADS.

M. Thierry Breton : Je comprends la première partie de votre propos, monsieur Emmanuelli, mais il faut être bien conscient qu’il s’agit d’une opération de marché par laquelle une entreprise privée vend des titres à des investisseurs. Contrairement à ce que vous semblez dire, dès lors que le pacte a prévu que les actionnaires industriels peuvent vendre librement leurs actions, ce qui a été le cas.

M. Henri Emmanuelli : Ce n’est pas ce que nous a dit M. Lagardère.

M. Thierry Breton : Lorsqu’une action est vendue, monsieur Emmanuelli, elle peut être rachetée le lendemain par n’importe qui. C’est tout le problème d’une entreprise cotée. Peut-être n’aurait-il pas fallu coter EADS mais, dès lors que l’entreprise l’est, Lagardère peut vendre ses actions à qui il veut. L’État n’a pas à s’immiscer dans la transaction. Il aurait commis une faute s’il l’avait fait. Voilà pourquoi il a appris la vente par des fuites provenant de la Caisse. Mais ces fuites ne sont pas notre sujet aujourd'hui.

Le Président Didier Migaud : Je propose que l’on avance dans l’audition, monsieur le ministre. Les questions et les réponses ont été répétées et l’on a bien compris qu’il existe des appréciations différentes.

Monsieur Cahuzac, vous avez la parole pour une dernière question.

M. Jérôme Cahuzac : Je souhaiterais que M. Breton confirme un témoignage qui diverge radicalement de celui que M. Arnaud Lagardère nous a fait, et qui démontrait que son auteur était manifestement mieux informé que le ministre.

Vous indiquez, monsieur le ministre, n’avoir été informé que de l’éventualité d’une cession alors que M. Lagardère nous a affirmé qu’il vous avait fait part de son intention de céder. Ce n’est pas jouer sur les mots que de relever la différence entre une éventualité et une intention, car cela peut impliquer qu’un ministre de l’économie et des finances se désintéresse ou non de l’évolution du capital d’EADS.

Nous confirmez-vous que, lorsque vous recevez MM. Lagardère et Bischoff, ceux-ci ne vous font part que d’une éventualité de cession, ou corroborez-vous les propos de M. Lagardère, selon lesquels il vous informe de son intention ferme de vendre ? En d’autres termes, accusez-vous M. Lagardère d’avoir menti ?

M. Thierry Breton : Je l’ai déjà dit : lorsque je les reçois, la décision, à ce que je comprends, n’est nullement prise. Il s’agit donc bien d’une intention. Les nombreuses discussions qui ont suivi cette entrevue montrent bien que les choses ne sont pas arrêtées. La décision finale est prise début mars et le directeur financier du groupe Lagardère l’annonce au directeur adjoint de mon cabinet le 8 du même mois. Avant cela, il ne s’agit que d’intentions et c’est bien ainsi que je l’ai compris.

M. Jérôme Cahuzac : Vous indiquez donc avoir été informé d’une intention éventuelle et confirmez ainsi les propos que vous avez tenus au Sénat, alors que M. Lagardère nous a dit qu’il avait fait part de son intention ferme. Les deux témoignages ne concordent pas totalement. Il nous faudra faire la part des choses.

M. Jean-François Lamour : Je ne vois pas très bien où est le problème.

M. Henri Emmanuelli : Le problème, c’est qu’on se moque de nous !

Le Président Didier Migaud : Peut-être M. Lagardère a-t-il fait état de sa volonté de vendre, mais la question de la date de la vente n’était assurément pas encore tranchée.

La parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier : Permettez-moi de rappeler tout d’abord que cette audition se tient dans le cadre d’une information et non dans celui d’une commission d’enquête. On peut manifester son désaccord, mais il faut respecter certaines règles de forme. Je tiens à dire à M. Breton qu’il n’est absolument pas mis sur la sellette et qu’il n’y aurait d’ailleurs pas de raison à cela. L’objectif de la Commission est de comprendre.

Je vous remercie pour votre propos liminaire, monsieur le ministre, car l’affaire date déjà de deux ans et il est bon de rappeler clairement son déroulement. Certaines informations peuvent certes apparaître contradictoires mais personne ne peut se souvenir des termes précis qui ont été utilisés le 28 novembre 2005. Il existe en revanche une concomitance claire entre cette date et celle du 6 décembre, lorsque MM. Arnaud Lagardère et Manfred Bischoff annoncent à leur conseil de surveillance leur intention de céder.

Selon vos souvenirs, monsieur le ministre, qu’avez-vous répondu à ceux-ci le 28 novembre ? Leur avez-vous fait part de votre désaccord au sujet de cette cession ? Leur avez-vous conseillé, au cas où ils vendraient tout de même, de « vendre français » ?

Nous avons bien compris le fonctionnement du pacte d’actionnaires, en vertu duquel l’État français, qui ne peut être membre du conseil d’administration d’EADS, reçoit les informations par le biais de la SOGEADE. Nous connaissons également les conditions d’exercice et de levée du droit de préemption. En l’occurrence, l’État ne peut l’exercer directement puisqu’il atteint déjà le plafond en pourcentage de parts fixé dans le pacte, mais il peut envisager des voies détournées, à charge pour lui de revenir à 15 %. Au moment où ce droit de préemption est levé, la SOGEADE vous indique-t-elle que c’est IXIS qui rachète les titres ?

M. Thierry Breton : Lorsque MM. Bischoff et Lagardère viennent me faire part de leur intention éventuelle de céder leurs titres, j’émets tout de suite des réserves, étant entendu toutefois que je n’ai pas la possibilité de m’opposer à leur décision. Je préférais en effet qu’ils restent actionnaires et accompagnent l’entreprise dans ses développements à venir. De nombreux projets étaient lancés – l’A380 – ou sur le point d’être lancés : on parlait beaucoup à l’époque des sommes significatives qu’il fallait mobiliser pour mettre en route l’A350. J’ai donc fait part de mes craintes que cette vente ne soit un signal mal perçu tant par les salariés de l’entreprise que par ses clients, ses fournisseurs et tous ceux qui contribuent au succès d’EADS et d’Airbus.

En revanche, je n’ai absolument pas dit : « Si vous vendez, vendez français ! » À partir du moment où une entreprise est cotée, celui qui achète des titres de cette entreprise peut les revendre le lendemain matin, même s’il s’agit d’un investisseur institutionnel français. À cet égard, il serait intéressant de savoir combien de titres, dans ces 7,5 % qui ont été vendus, sont encore détenus par les investisseurs qui les ont acquis en 2006. Il est probable que certains en ont revendu dès le lendemain. C’est la loi du marché. Si on le regrette, il ne fallait pas coter EADS. Ce n’est pas parce qu’un ministre dit « Vendez français ! » que les actions vendues resteront françaises ad vitam aeternam.

Je n’ai donc prodigué aucun conseil en ce sens car ce n’est pas mon rôle. Je le répète, l’État aurait été fautif s’il l’avait fait. Il n’avait pas à indiquer à qui M. Lagardère devait vendre ses actions.

Pour le reste, la banque IXIS était, si mes souvenirs sont bons, l’arrangeur. Ce n’est donc pas elle qui a pu acquérir les titres.

Le Président Didier Migaud : Le terme d’« arrangeur » me paraît, en l’occurrence, un peu connoté…

M. Thierry Breton : C’est le terme technique utilisé par le marché, monsieur le président.

Je confirme qu’IXIS n’a pas acquis les titres. Elle les a placés auprès des investisseurs.

M. Jérôme Chartier : C’est tout de même IXIS qui est l’arrangeur. Du fait du dispositif des ORAPA, la libération des titres se fait par tiers et c’est cette banque qui pilote l’opération. C’est également IXIS qui apparaît en façade au départ. Nous aurions pu ne jamais savoir que la Caisse des dépôts détenait des titres. Sa commission a été informée. Le fait est que l’information a filtré par la suite et s’est retrouvée dans la presse mais, en droit, la détention par la Caisse des dépôts de 2,25 % d’EADS aurait pu ne pas être connue.

M. Thierry Breton : En effet. La déclaration ne doit être faite qu’au-dessus d’un certain seuil – sans doute 5 %.

Le Rapporteur général : Comme vous le savez, monsieur le ministre, le dispositif des ORAPA permettait une optimisation fiscale par rapport à un régime de taxation des plus-values sur titres de participation dont la mise en place était en cours. Les services du ministère, notamment la direction de la législation fiscale, ont-ils regardé de près ce montage ?

M. Henri Emmanuelli : Et l’on soutient encore que le cabinet ne savait pas !

M. Luc Rémont : Dans la mesure où la demande du groupe Lagardère, qui a été formulée le 8 mars, concernait uniquement la réalisation d’une cession dans le cadre du pacte d’actionnaires, c’est aussi dans ce cadre que l’unique examen de cette opération a été réalisé et c’est l’Agence des participations de l’État qui s’en est chargée. La demande ne comportant aucun volet fiscal, elle n’a pas été examinée par la DLF à cette époque. Les conséquences fiscales de cette opération relevaient de la seule responsabilité du groupe Lagardère, en lien, le cas échéant, avec l’administration fiscale. Mais cela n’a été évoqué en aucune manière à cette époque-là.

M. Jérôme Chartier : À partir de quand êtes-vous informé du rôle d’IXIS dans l’opération ?

M. Luc Rémont : À partir de mars, nous savons que c’est IXIS qui organise l’opération.

M. Jérôme Chartier : Pour le reste, j’ai bien entendu ce que M. Breton nous a dit : au moment de la levée du droit de préemption lors du conseil d’administration de la SOGEADE, personne ne connaît l’identité des acquéreurs mais IXIS est identifiée comme banque opératrice.

M. Charles de Courson : Monsieur le ministre, j’ai quatre questions à vous poser.

Premièrement, estimez-vous normal que ni votre cabinet ni la direction du Trésor ni l’Agence des participations de l’État n’aient jamais interrogé EADS, via la SOGEADE ou par tout autre moyen, sur l’état des retards dans les chaînes de production de l’A380 alors que l’information était publique depuis juin 2005 ?

Deuxièmement, alors que les groupes Lagardère et Daimler-Chrysler avaient publiquement annoncé, depuis presque un an, leur intention de se désengager du capital d’EADS, quelles initiatives avez-vous prises durant votre mandat de ministre pour faire évoluer le pacte d’actionnaires, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il était très déséquilibré au détriment de l’État ? Pourquoi votre ministère est-il resté passif ? La cession par les deux actionnaires privés de 7,5 % chacun déséquilibrait encore plus le pacte, ce qui a conduit certains à considérer qu’il était remis en question. Fallait-il que les actionnaires privés cèdent, non pas la moitié de 15 % chacun, mais les deux tiers pour faire tomber le pacte ? Vous leur avez en outre exprimé votre souhait qu’ils ne vendent pas alors qu’ils avaient annoncé depuis des mois qu’ils voulaient se désengager.

Troisièmement, estimez-vous normal, en tant qu’ancien ministre responsable, entre autres, du secteur bancaire et de la Caisse des dépôts et consignations, que des décisions aussi importantes que le rachat par la Caisse de près du tiers des actions cédées par le groupe Lagardère n’ait fait l’objet d’un accord ni de l’État ni de la commission de surveillance ? Pourtant, nous avez-vous affirmé, vous étiez bien conscient que, dès lors que Lagardère vendait, la Caisse des dépôts ou certaines de ses filiales se porteraient acquéreurs d’une partie au moins de ces actions.

Enfin, estimez-vous normal que les quatre dirigeants d’EADS puissent lever des stock options alors qu’ils sont susceptibles de bénéficier d’informations privilégiées ?

Sur ces quatre sujets, quelles sont les réformes que vous estimeriez raisonnables ?

M. Jean-François Lamour : Je souhaite vous poser une question complémentaire, monsieur le ministre. Si nous sommes là pour évoquer ces sujets, c’est parce que l’action EADS a plongé.

M. Gérard Bapt : Il n’y a pas que cela !

M. Jean-François Lamour : C’est une donnée très importante. Si l’action avait monté, il en serait allé tout autrement. Or le cours de vente a été établi par deux analystes, JP Morgan et Morgan Stanley, dans une fourchette de 36,20 à 40 euros, le prix de cession ayant été fixé ensuite à 36,20 euros. Tout cela s’est fait sur la base d’informations erronées et incomplètes. Sinon, comment expliquer que l’action plonge deux à trois mois plus tard, au motif que les retards envisagés ne sont plus rattrapables mais, au contraire, irrattrapables ? Comment expliquez-vous que, ni du côté de Lagardère ni de celui d’IXIS, de la Caisse des dépôts, de l’APE ou de la SOGEADE, aucune information correcte n’ait pu remonter jusqu’à vous ? Si l’on avait alors identifié les difficultés, on aurait fixé un niveau de cession inférieur. C’est bien cela qui est incompréhensible dans cette affaire.

En outre, qu’avez-vous fait pour parer à de tels comportements de la part des analystes, sachant que JP Morgan est également, sauf erreur de ma part, la banque d’affaires choisie par la partie allemande pour organiser la vente ? Le mélange des genres est patent !

M. Thierry Breton : Sans doute faut-il distinguer, monsieur le Président, les sujets sur lesquels des procédures sont ouvertes et les problèmes sur lesquels portent les auditions de la commission des finances.

Le Président Didier Migaud : Nous veillons à ce que les deux aspects soient séparés.

M. Thierry Breton : Monsieur de Courson, je suis obligé de vous dire que votre analyse n’est pas exacte.

M. Charles de Courson : Ce n’était pas une analyse : j’ai posé des questions.

M. Thierry Breton : Selon vous, je n’ai pas interrogé le management d’EADS sur les retards. Or je l’ai fait très souvent, et dès que les responsables ont rendu publique l’information à leurs clients. À chaque rencontre, je leur demandais où en étaient leurs plans. Il m’a toujours été répondu que les plans mis en œuvre ne semblaient pas présenter de décalage et que les affaires étaient suivies. Je n’avais aucune raison de remettre en cause ces propos. Dans une entreprise, c’est le management qui est à même de faire la synthèse entre tous les acteurs – et Dieu sait qu’ils sont nombreux dans l’aéronautique ! – pour pouvoir ensuite vérifier s’il existe ou non un décalage.

Il faut ajouter que les retards sur les programmes aéronautiques de cette nature sont, hélas, assez fréquents, comme on l’a vu dernièrement avec Boeing. Cependant, je le répète, les responsables m’ont toujours indiqué que les sujets étaient pris en compte et qu’ils n’avaient pas de raison de s’en inquiéter.

M. Charles de Courson : Ils ont donc menti !

M. Thierry Breton : Vous ne pouvez pas dire cela, monsieur de Courson !

M. Charles de Courson : Personne n’était au courant au sein du groupe ?

M. Thierry Breton : Quand un programme est lancé, on ne peut affirmer en décembre que l’on sait très exactement ce qui se passera au mois d’avril.

Le Président Didier Migaud : À ma connaissance, une instruction est également ouverte sur ce sujet-là.

M. Charles de Courson : Monsieur le ministre, voilà six ans que je suis rapporteur spécial du budget des transports aériens et c’est en cette qualité que j’ai interrogé M. Forgeard à ce propos. Il m’a dit être parfaitement au courant des retards.

M. Thierry Breton : Oui, et c’est bien pourquoi des plans ont été lancés. L’annonce a été faite le 25 juin 2005.

M. Charles de Courson : M. Forgeard a ajouté que, pendant des mois, les responsables techniques l’ont assuré qu’ils étaient capables de rattraper ces retards.

M. Thierry Breton : Je le confirme.

M. Charles de Courson : Le malheur est que l’on a soutenu pendant six mois que l’on allait rattraper des retards alors que l’on ne les rattrapait pas.

M. Thierry Breton : On m’a dit la même chose qu’à vous.

M. Charles de Courson : On vous a donc menti.

M. Thierry Breton : Cela, je ne le sais pas. C’est un autre sujet.

M. Charles de Courson : En outre, monsieur le ministre, vous auriez pu appeler certaines compagnies aériennes, dont Air France, pour savoir si les dates de livraison étaient respectées.

Le Président Didier Migaud : Je crois que M. Bapt souhaite prolonger la première question de M. de Courson.

M. Gérard Bapt : Je souscris à ce que vient de dire M. de Courson. Comme le relève le rapport du Sénat sur la situation d’EADS et ses perspectives d’évolution, en 2006, la direction générale de l’aviation civile, donc l’État, prend acte que le calendrier de livraison de vingt A380 en 2006 est ramené à deux. Elle était donc parfaitement au courant des difficultés.

Quant au Canard enchaîné, il fait état le 1er décembre 2004 des « sueurs froides des dirigeants d’Airbus ». Dès le mois de mai 2006, l’AFP et Reuter évoquent des retards de livraison.

M. Thierry Breton : De quand date ce rapport du Sénat ?

M. Gérard Bapt : C’est un rapport dont le dépôt est annoncé lors de la séance du 27 juin 2007. Il se réfère lui-même à un rapport de la DGAC qui montre que celle-ci est informée dès 2006 de la modification du calendrier de livraison.

M. Thierry Breton : C’est un rapport établi à la fin de 2006, donc après l’annonce faite au mois de juin de cette même année.

M. Gérard Bapt : Dont acte, monsieur le ministre, mais ce qui est inexplicable, c’est que ni votre cabinet ni l’APE n’aient été plus loin sur ce sujet.

M. Thierry Breton : J’en viens à la deuxième question de M. de Courson.

Le pacte permet aux actionnaires industriels de sortir leurs actions sans que ledit pacte soit modifié, et ce tant que Lagardère détient plus de 20 % du bloc français, soit 3,75 % du capital total. C’est ce qui a été signé en 2000. La vente des 7,5 % de Lagardère ne modifie donc pas le pacte.

M. Henri Emmanuelli : Vous n’avez pas répondu à la question.

M. Charles de Courson : Je vous ai demandé pourquoi vous n’avez pas pris d’initiative alors que, depuis 2005, les deux actionnaires privés ont publiquement fait savoir qu’ils voulaient se désengager.

M. Thierry Breton : J’ai dit à maintes reprises que je souhaitais que le pacte soit rouvert. Cela n’a pas été possible car j’étais le seul demandeur et je n’ai pas réussi à le faire accepter par les autres signataires, qui n’enfreignaient pas le pacte en cédant une partie minoritaire de leurs actions. Votre question est très intéressante, mais c’est aux signataires du pacte qu’il faut demander pourquoi ils n’ont pas prévu la possibilité d’une révision au moment où un actionnaire veut vendre.

L’État était donc engagé dans cette dynamique et, malgré des demandes répétées de ma part et de la part de mes successeurs, le pacte n’a toujours pas été rouvert car nous en sommes empêchés juridiquement.

M. Charles de Courson : Puis-je me permettre de vous rappeler, monsieur le ministre, que le pacte n’est pas le seul outil pour une renégociation. Qui paie les avances remboursables, sinon l’État allemand et l’État français ?

M. Thierry Breton : Vous voulez que la renégociation se fasse au détriment des salariés et des clients ?

M. Charles de Courson : Le groupe Lagardère vit pour partie de la commande publique. Vous avez des moyens de négociation globale.

M. Thierry Breton : C’est un autre sujet.

Le Président Didier Migaud : On peut dire aussi que c’est toujours le même sujet, celui de l’État actionnaire.

M. Thierry Breton : Quant à votre question sur la Caisse des dépôts, monsieur de Courson, j’y ai déjà répondu : si l’État était intervenu, il aurait commis une faute. Il n’avait pas à dire à la Caisse des dépôts si elle devait acheter ou non des actions.

Cela a été confirmé, du reste, par M. Dominique Marcel. Il n’y a eu ni demande ni autorisation ni information, et c’est normal. En revanche, il se pose pour la Caisse des dépôts une question de gouvernance interne : comment faire en sorte que ses décisions d’investissement soient prises correctement et avec un niveau d’information suffisant ? Une réforme est aujourd'hui à l’étude. Elle me semble bienvenue.

M. Charles de Courson : C’est bien de le constater, mais vous avez été ministre et il aurait été encore mieux, puisque vous étiez persuadé que la Caisse des dépôts rachèterait probablement une partie de ces actions, de passer un coup de fil au directeur général en indiquant si vous y étiez favorable.

M. Thierry Breton : Non. La Caisse des dépôts intervient systématiquement dans pratiquement toutes les entreprises du CAC 40. Ce sont des opérations de marché et ce n’est pas au ministre…

M. Charles de Courson : Mais vous nous avez dit que c’était une participation stratégique !

M. Thierry Breton : Pas du tout ! J’ai dit que, à partir du moment où l’on accepte que Lagardère cède ses actions, ces actions peuvent être revendues dès le lendemain parce qu’EADS est une société cotée. Le fait que l’action soit vendue à tel ou tel ne signifie pas qu’elle sera gardée ad vitam aeternam.

Le Président Didier Migaud : On peut ne pas être d’accord, monsieur de Courson, mais la réponse de M. Breton est claire.

M. Charles de Courson : Elle me semble, à moi, un peu schizophrénique.

M. Henri Emmanuelli : M. Alain Quinet, ancien directeur adjoint du Premier ministre Dominique de Villepin, a tenu au Sénat les propos suivants : « Une réunion s'était ensuite tenue le 20 mars 2006 à Bercy et avait permis de prendre connaissance des modalités de ce désengagement. Cependant, il revenait au ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie d'instruire plus précisément l'opération. » Vous n’avez donc rien instruit, monsieur le ministre !

M. Thierry Breton : Mais si !

M. Henri Emmanuelli : Vous nous expliquez en somme que, pour ne pas fausser les règles du marché, vous vous êtes totalement désintéressé de savoir où allaient 7,5 % du capital d’une entreprise stratégique européenne.

M. Thierry Breton : Encore une fois, l’instruction demandée à Bercy concerne la possibilité de « purger » les droits de l’État au sein de la SOGEADE : il s’agit de déterminer si cette opération est compatible avec le pacte qui lie l’État.

Par ailleurs, dès lors que les signataires du pacte acceptent qu’EADS soit une entreprise cotée, que les actions tenues dans le pacte donnent aux actionnaires industriels un droit de gestion de l’entreprise, et que l’on ouvre la possibilité que des actions sortent du pacte, ce qui a été souhaité, voulu et signé notamment par MM. Strauss-Kahn et Fabius…

M. Jérôme Cahuzac : Tout à coup, ce n’est plus l’État qui est en cause !

M. Thierry Breton : Dès lors que tout cela est accepté, les actions sont libres de cession, et ce n’est pas parce que vous vendez à un investisseur à un instant t qu’à l’instant t + 1 il aura gardé les actions.

M. Henri Emmanuelli : Monsieur le ministre, la spécificité de la Caisse des dépôts est précisément qu’elle n’est pas n’importe quel investisseur. Si l’on s’est tourné vers des investisseurs institutionnels, c’est bien parce qu’ils n’ont pas les comportements que vous décrivez. L’État français savait parfaitement que si cette partie du capital d’EADS était entre les mains de la Caisse des dépôts, on ne risquait pas de la voir finir chez Boeing.

M. Thierry Breton : Pardonnez-moi de vous contredire, monsieur Emmanuelli, mais je ne pense pas que la Caisse des dépôts ait gardé aujourd'hui ses 2,25 %.

M. Jérôme Cahuzac : Vous auriez donc des informations à ce sujet, monsieur le ministre ?

M. Thierry Breton : Non, je n’en sais rien.

M. Jérôme Cahuzac : Alors pourquoi dites-vous cela ?

M. Thierry Breton : Parce qu’un investisseur est libre, je le répète, de faire ce qu’il veut des actions qu’il détient.

La Caisse des dépôts a-t-elle gardé les actions, monsieur Balligand ?

M. Jean-Pierre Balligand : Oui, ce n’est pas encore vendu.

Le Président Didier Migaud : Puisqu’il est tant question de précision, monsieur le ministre, je doute que MM. Fabius et Strauss-Kahn aient été ministres en même temps.

M. Thierry Breton : En effet. Le pacte a été signé en deux temps.

La dernière question de M. de Courson porte sur les stock options. C’est un autre volet, qui fait l’objet d’une instruction.

M. Charles de Courson : Je vous interrogeais sur le système lui-même. Est-il raisonnable de donner à des cadres dirigeants la possibilité de lever des stock options alors qu’ils sont en exercice et qu’ils ont des informations privilégiées ? Quelle est votre position personnelle sur ce sujet ?

M. Thierry Breton : C’est une question très large. Il existe des « fenêtres » à l’intérieur desquelles les détenteurs peuvent lever leurs stock options. Tout cela doit être extrêmement encadré. Des personnes, au sein des entreprises, doivent pouvoir déterminer quand la levée est possible et quand elle ne l’est pas, mais il faut compter aussi avec le jugement des détenteurs eux-mêmes, en fonction des informations qu’ils détiennent. Selon moi, il faut réduire le plus possible les « fenêtres » d’exercice des actions, et ne les ouvrir que lorsque toute l’information est connue du marché. C’est pourquoi, en général, les fenêtres sont ouvertes dès la communication des résultats financiers, qu’ils soient trimestriels ou semestriels. Cela dit, le sujet est complexe et mérite une étude approfondie.

M. Henri Emmanuelli : Vous continuez donc à estimer que le ministre que vous étiez n’avait pas à se préoccuper de savoir où allaient les 7,5 % du capital d’EADS…

M. Thierry Breton : Je le dis à nouveau : il s’agit d’une cession des groupes Lagardère et Daimler-Chrysler à des investisseurs, à hauteur de 7,5 % du capital chacun.

M. Henri Emmanuelli : Ma question porte sur la part française.

M. Thierry Breton : Le ministre n’a pas à aider le groupe Lagardère à placer ses titres. Et il ne l’a pas fait.

Le Président Didier Migaud : Nous avons bien compris. En revanche, il n’a pas été répondu à la question de M. Jean-François Lamour.

M. Bruno Bézard : Je serai ravi de le faire, monsieur le président, car elle a trait aux informations que l’Agence des participations de l’État a pu obtenir et aux questions qu’elle a pu poser.

À chacune de nos réunions, nous avons interrogé l’entreprise. Nous avons également posé des questions par l’intermédiaire de l’administrateur auprès de la SOGEADE. Je tiens à votre disposition tous les procès-verbaux des conseils d’administration. J’ai entendu dire que les administrateurs de l’État dormaient : dans ce cas, sans doute sont-ils somnambules puisqu’ils ont parlé en dormant !

L’APE a fait sont travail, et ce dans un contexte où l’on essayait de l’en empêcher. Elle n’était pas en situation de détenir des informations privilégiées – car telle était la première question, posée dans un article du Figaro –, elle détenait plutôt un privilège de sous-information.

M. Henri Emmanuelli : Ah bon ? C’est rassurant !

M. Jean-François Lamour : Aujourd'hui, monsieur Bézard, lorsque vous disposez d’analyses effectuées par telle ou telle agence – du type de celles de JP Morgan et Morgan Stanley, qui nous ont « plantés » –, quels contre-feux pouvez-vous allumer, au titre de l’APE ou de toute autre institution, pour éviter que nous soyons envoyés dans le mur comme cela a été le cas avec EADS ? Je vous avais posé cette question lorsque nous vous avons auditionné une première fois, mais je n’avais pas obtenu de réponse.

M. Bruno Bézard : Voilà longtemps que nous avons appris à nous méfier des analyses des analystes, monsieur le Député.

M. Gérard Bapt : Selon La Dépêche du Midi, alors que les Allemands étaient opposés au versement de la fameuse indemnité de fin de contrat – ou « parachute doré » – à M. Noël Forgeard, vous auriez donné au contraire votre accord au versement de ces quelque 8,5 millions d’euros qui ont d’autant plus choqué à Toulouse que, le lendemain, les salariés recevaient une participation d’un montant de 2,88 euros.

M. Thierry Breton : Nous n’avons pas eu à nous exprimer sur cette question ; je l’ai déjà dit à plusieurs reprises.

M. Gérard Bapt : En outre, maintenant que vous n’êtes plus ministre et que vous avez été auditionné par les commissions des Finances du Sénat et de l’Assemblée, je suppose que votre parole est libre. Je me refuse pour ma part à considérer EADS sous le seul angle du cours de l’action, comme le fait M. Jean-François Lamour. De nombreux sous-traitants, dont l’usine Latécoère, sont implantés dans ma circonscription. Or, dans des déclarations répétées, M. Louis Gallois, suivi maintenant par M. Thomas Enders – mais c’est aussi le cas de M. Charles Edelstenne, PDG de Dassault –, affirme que l’entreprise va désormais délocaliser à marche forcée vers la zone dollar. Dès le départ, on a présenté le plan Power 8 en affirmant qu’il fallait imiter ce que Boeing avait réalisé en termes de restructuration. Boeing s’est sans doute redressée, mais a perdu 80 000 emplois, qui ont été délocalisés.

Le Président Didier Migaud : Quelle est votre question, monsieur Bapt ?

M. Gérard Bapt : C’est une question que j’aimerais aussi poser à Mme Christine Lagarde lors des questions d’actualité : quelle est la position de l’État français vis-à-vis de cette volonté de pratiquer des délocalisations massives qui se traduiront par des pertes d’emplois tout aussi massives ?

Le Président Didier Migaud : Vous savez sans doute que M. Breton n’est plus ministre…

M. Gérard Bapt : Précisément : maintenant, sa parole est libre !

M. Thierry Breton : Nous nous sommes très souvent exprimés sur le problème considérable que représentent les taux de change pour la compétitivité de l’industrie française et européenne. Aujourd'hui, la parité est presque de 1,5 dollar pour 1 euro. Je sais que le Président de la République est très mobilisé sur ce sujet qui nécessite une politique européenne commune. Je mesure comme vous, monsieur Bapt, le poids que représentent ces taux pour l’industrie française et européenne et les risques qu’ils lui font courir. J’espère que le mouvement va s’inverser. Cependant, au vu de la légère tendance inflationniste et des prévisions des analystes sur l’évolution des taux aux États-Unis et en Europe, on peut nourrir des inquiétudes.

Le Président Didier Migaud : Il me reste à vous remercier d’avoir répondu à nos questions, monsieur le ministre.

X.– EXAMEN EN COMMISSION

Le Président Didier Migaud a indiqué que l’ordre du jour appelait l’examen d’un rapport d’information sur l’évolution de l’actionnariat EADS en 2005 et 2006, comme convenu lors de la réunion de la Commission du 13 novembre 2007 qui a adopté le principe de la publication d’un rapport, après réception des contributions des quatre groupes politiques composant la Commission. Ce rapport constitue la suite logique des six auditions réalisées par la Commission en octobre et décembre 2007, avec la préoccupation de mettre au jour la vérité, dans un esprit non polémique.

La première recommandation proposée concerne la gouvernance de l’État actionnaire. Il a semblé que le circuit de l’information n’avait pas fonctionné au mieux. Il mériterait d’être sécurisé par un visa préalable du Directeur général du Trésor et de la politique économique sur les documents destinés au Ministre. Il convient également de réaffirmer que les représentants de l’État dans les entreprises dans lesquelles il détient une participation doivent y exercer un rôle actif.

La seconde recommandation, portant sur la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations, préconise la création d’un comité d’investissement chargé d’étudier les projets dont l’importance stratégique ou financière est avérée. Ce comité, composé de plusieurs membres de la Commission de surveillance, serait systématiquement consulté par le Directeur général de la Caisse.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souligné que cette seconde recommandation présente l’intérêt de souligner que la liaison entre la Caisse des dépôts et l’Assemblée nationale est très forte, le Parlement occupant une place essentielle dans la gouvernance de la Caisse.

La commission des Finances a ensuite adopté ce rapport d’information à l’unanimité.

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1 () Modifications aux alinéas 4 et suivants de l’article 164-IV de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 par la loi de finances rectificative du 13 juillet 2000.

2 () Article L. 135-3 du code des juridictions financières, à l’égard du contrôle des comptes et de la gestion des entreprises publiques prévu à l’article L. 111-4 du même code.

3 () On se reportera aux comptes rendus de leurs auditions :

– audition conjointe avec la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire, de M. Noël Forgeard, co-président exécutif d'EADS, le mercredi 28 juin 2006 (compte rendu n° 74) ;

– audition conjointe avec la commission des Affaires économiques de M. Louis Gallois, co-président exécutif d’EADS sur la stratégie et les perspectives du groupe EADS, le mardi 28 novembre 2006 (compte rendu n° 24).

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