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COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

Mardi 28 novembre 2006

Séance de 16h15

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Pierre Méhaignerie,
Président de la Commission des finances, de l’économie générale et du Plan
et de M. Patrick Ollier,
Président de la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

 

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– Audition conjointe avec la commission des Affaires économiques de M. Louis Gallois, co-président exécutif d’EADS sur la stratégie et les perspectives du groupe EADS

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– Information relative à la commission

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La commission des Finances a procédé à l’audition, conjointe avec la commission des Affaires économiques, de M. Louis Gallois, co-président exécutif d’EADS et président exécutif d’Airbus sur la stratégie et les perspectives du groupe EADS.

M. Patrick Ollier, Président de la commission des Affaires économiques, de l’environnement et du territoire, s’est dit heureux d’accueillir M. Louis Gallois, et d’entendre ses réflexions sur des sujets tels que la réorganisation de l’entreprise, sa structure capitalistique, sa croissance extérieure, le développement de l’Airbus A 380 et les perspectives de financement de l’Airbus A 350, qui intéressent au plus haut point la représentation nationale. Cette audition est aussi un préalable à toute décision sur la demande du groupe socialiste, dont le président, M. Jean-Marc Ayrault, est présent, de la constitution d’une commission d’enquête.

Le Président Pierre Méhaignerie a dit mesurer les défis auxquels est confronté EADS, à l’heure où nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le devenir de l’industrie française en général, au-delà même des secteurs de l’aéronautique ou de l’automobile. Il est également indispensable de se soucier des conditions d’entrée de nouveaux actionnaires éventuels.

M. Louis Gallois, co-président exécutif d’EADS et président exécutif d’Airbus, s’est dit honoré de l’invitation que lui ont adressée les deux commissions réunies, et s’est proposé de décrire tout d’abord la situation d’Airbus, qui représente quelque 70 % du chiffre d’affaires d’EADS.

La situation d’Airbus est paradoxale, puisque jamais l’entreprise n’a livré autant d’avions - 430 cette année, sans doute 450 en 2007 et à peu près autant en 2008 -, que son plan de charge est au maximum, que la cadence de livraison est passée de 30 à 32, puis à 34 appareils par mois, et sera peut-être de 36 ultérieurement, soit un niveau inégalé pour une production d’avion commercial. Boeing a certes plus de commandes cette année. Mais Airbus est encore au sommet de ses prises de commande, avec plus de 500 avions en 2006, soit le second meilleur score de son histoire Et pourtant, les difficultés que traverse l’entreprise sont plus élevées que jamais. Elles ont trois causes essentielles : l’A 380, le dollar, et la situation compétitive de son principal concurrent, c’est-à-dire Boeing.

L’A 380 est victime d’un paradoxe supplémentaire, puisque l’excellence de cet avion est unanimement reconnue, tant du point de vue de la sécurité que du confort et du bruit, si l’on en croit les comptes rendus de vols faits par les pilotes de toutes les compagnies clientes. Et pourtant, cet avion est en train de coûter à l’entreprise une fortune, notamment parce que nous n’avons pas bien réussi l’industrialisation de sa production. Le développement de l’appareil est désormais achevé, il sera certifié avant la fin de l’année 2006, mais son industrialisation a souffert de difficultés majeures, ayant notamment trait au câblage électrique d’une partie du fuselage. Le câblage est certes chose complexe, surtout lorsque les interconnexions sont plus nombreuses, les espaces attribués sur les parois et les planchers plus minces que sur les modèles précédents, mais l’on aurait pu croire que la résolution de ces difficultés ne poserait pas de tels problèmes.

La cause profonde de cette difficulté technique est en fait la non-intégration de l’entreprise Airbus. Airbus résulte de la fusion de quatre entreprises : Aérospatiale, DASA, British Aerospace et CASA. Cette fusion est une réalité sur le plan juridique, mais non sur celui des processus industriels. L’analyse faite par M. Christian Streiff, prédécesseur de M. Louis Gallois à la tête d’Airbus, se révèle juste : l’entreprise a une hiérarchie officielle, supranationale, mais elle a aussi conservé en son sein, au niveau national, des relations hiérarchiques parallèles et une organisation industrielle propre.

Les conséquences sur l’image de l’entreprise ont été considérables : pour avoir à trois reprises annoncé des retards de livraison, Airbus a perdu une partie de sa crédibilité et de la confiance de ses clients. La commercialisation de l’A 380 en est rendue plus difficile, car les clients attendent de voir les premiers appareils en service chez Singapore Airlines, alors même que 4 avions font l’objet de présentations dans le monde entier et que, de Hambourg à Canton, les gens se pressent par dizaines de milliers pour venir le voir voler.

En termes de résultats, ces retards auront coûté à l’entreprise, entre 2006 et 2010, 4,8 milliards d’euros en RBE et un total de 6,3 milliards d’euros en trésorerie. Une partie du RBE sera récupérée après 2010, mais une partie seulement. L’entreprise a su mobiliser de façon exceptionnelle son ingénierie pour rattraper le retard, mais le câblage ne pourra être réalisé selon un processus industriel qu’à partir du vingt-sixième exemplaire, si bien que les vingt-cinq premiers auront été produits avec un surcoût très élevé.

La deuxième cause des difficultés d’Airbus tient à la politique menée par Boeing. Boeing a connu une crise profonde en 2001-2002, avant de faire, suite à un changement de direction et de stratégie, un retour spectaculaire sur le marché, obtenu grâce à une profonde réorganisation de son appareil industriel – presque toutes les unités fabriquant des aérostructures ont été vendues, si bien que 80 % de ses aérostructures sont désormais réalisées à l’extérieur, au lieu de 30 % seulement chez Airbus –, grâce aussi à une forte baisse des prix et à la conclusion de partenariats fructueux avec des industriels japonais ou italiens, grâce surtout au lancement de nouveaux programmes, en grande partie fondés sur des technologies duales – c’est-à-dire civilo-militaires –, parmi lesquels le 787, qui a investi le créneau des longs-courriers qui, couplé avec le 777, représente 40 % du marché.

La troisième cause de la faiblesse d’Airbus est la faiblesse du dollar : dix centimes de baisse coûtent, sur une base annuelle, un milliard d’euros à Airbus, en l’occurrence 700 millions sur les neuf premiers mois de l’année 2006. L’entreprise s’est dotée de couvertures de change qui l’aident à faire face en grande partie à cette baisse, mais à des taux qui sont en train de monter. Le chiffre d’affaires, s’il restera entièrement couvert en 2007, le sera un peu moins en 2008 et moins encore en 2009. L’entreprise s’emploie à reconstituer ses couvertures sur la base d’un euro à 1,30 dollar, car elle ne considère pas que cette situation, sur laquelle elle n’a aucune prise, soit conjoncturelle. S’il y a des divergences d’analyse au sein de l’eurogroupe sur la question du dollar, il n’y en a aucune, au sein d’EADS, entre Espagnols, Allemands et Français !

Il est donc nécessaire de mettre en œuvre un programme de compétitivité très lourd, afin qu’Airbus soit durablement compétitif entre 1,3 et 1,4 dollar pour un euro. Il s’agit : d’accélérer le rythme de développement des programmes comme dans le reste de l’industrie, afin de réduire les coûts de développement ; de réorganiser la chaîne des fournisseurs en ramenant de 3 000 à 500 le nombre des fournisseurs de niveau 1, à charge pour eux de constituer et d’organiser leurs propres chaînes à partir des autres ; et éventuellement de s’installer dans des zones dollar ou à bas coût; d’accroître, d’ici 2010, la productivité de 10 % de plus que ce qui était prévu à l’origine ; de réduire les coûts structurels ; de mieux mobiliser la trésorerie, notamment dans des discussions avec les fournisseurs sur les délais de paiement, d’une façon harmonisée au niveau européen de façon à ce que les fournisseurs français ne se sentent pas pénalisés ; de vérifier, enfin, que la satisfaction des clients ne souffre pas des mesures précitées.

Sur le plan industriel proprement dit, l’optimisation de la répartition des chaînes d’assemblage entre Toulouse et Hambourg ne sera pas simple, car la charge symbolique est très forte, et les collectivités territoriales des deux sites ont consenti des efforts considérables pour maintenir ce partage « politique » de la production, partage qui ne disparaîtra pas du jour au lendemain.

Réorganiser l’outil industriel, cela veut dire passer de quatre entreprises à une seule. En effet, les quatre organisations industrielles d’origine n’ont pratiquement pas évolué, même si les usines sont magnifiques, à la pointe de la modernité. Il faut aussi savoir que chacun des quatre pays souhaite conserver chez lui les éléments de technologie les plus avancés, comme les composites, ce qui peut certes se comprendre, mais qui a pour contrepartie une dispersion, forcément coûteuse, des moyens. En toute hypothèse, il y a in fine une limite à toute réorganisation : c’est le respect de la clé de répartition fixée au départ, à savoir 35 % de la responsabilité de la charge de production pour la France et pour l’Allemagne, 20 % pour le Royaume-Uni et 10 % pour l’Espagne.

Vaut-il mieux acheter les pièces ou les produire soi-même ? Actuellement, 30 % des aérostructures sont réalisées à l’extérieur ; l’objectif est de porter ce pourcentage à 50 % pour l’A 350 – s’il est décidé de lancer cet avion. Ceci doit permettre, à tous les partenariats d’obtenir des financements, attendus à hauteur de 1,8 milliard d’euros, pour le développement des parties réalisées à l’extérieur ; elle aura en outre accès à des ressources d’ingénierie, les siennes étant largement saturées ; elle pourra produire, enfin, en zone dollar.

Le président Louis Gallois avait annoncé, dès le départ, qu’il mènerait à bien le plan de redressement en respectant deux principes : celui du dialogue – tant avec les fournisseurs qu’avec les syndicats et les autorités locales – et celui de l’équilibre des efforts entre les quatre pays – sachant que cette contrainte joue, sur le plan industriel stricto sensu, contre l’optimisation des capacités.

C’est dans ce contexte que se pose la question du lancement de l’A 350, concurrent potentiel du Boeing 787 – et, pour partie, du 777 – sur un segment du marché qui représente, en valeur, 40 % de celui-ci. Renoncer à lancer l’A 350 reviendrait, de la part d’Airbus, à permettre à Boeing de dégager, l’absence de concurrence aidant, des marges considérables sur 40 % du marché, et de faire preuve d’agressivité commerciale accrue sur les segments où Airbus est présent. C’est pourquoi le président Louis Gallois présentera de façon positive le projet au conseil d’administration, mais il a indiqué aux partenaires sociaux que le lancement de l’A 350 n’est possible que dans la perspective de la mise en oeuvre du programme de compétitivité.

La compétitivité est une condition sine qua non du lancement, mais non une condition suffisante. Il faut trouver une dizaine de milliards d’euros, soit l’équivalent du tunnel sous la Manche ou du projet ITER ! Cette somme devra être apportée soit par les ressources internes d’EADS – qui en est capable en temps normal, mais ses résultats sont actuellement obérés par les difficultés de l’A 380 –, soit par d’éventuels partenaires industriels – à hauteur de 1,8 milliard d’euros –, soit par les marchés financiers.

Il s’agit, chacun doit en être conscient, d’une des décisions les plus lourdes qu’Airbus ait eu à prendre. Si l’A 380 constitue en effet un segment très particulier du marché, dont Airbus avait pu demeurer absent en trente ans d’existence, l’entreprise ne peut, en revanche, faire l’impasse sur un segment qui représente 40 % du marché en valeur.

Le président Louis Gallois a ensuite présenté de façon plus succincte les autres secteurs d’activité d’EADS.

Eurocopter est en pleine croissance, et son principal problème est que ses fournisseurs lui procurent au bon rythme les pièces dont il a besoin. Il lui faut également trouver des financements pour ses programmes de recherche et technologie : concours publics –indispensables et d’ailleurs autorisés par l’OMC – mais aussi recours à l’autofinancement. L’entreprise doit aussi finir de développer et de mettre en production le Tigre et le NH 90, qui ont connu beaucoup de mésaventures mais paraissent aujourd’hui tirés d’affaire.

L’activité espace, qui était gravement déficitaire, a été redressée de façon remarquable. Le marché du satellite de télécommunications est hautement concurrentiel, du fait que les industriels américains, soutenus par leur vaste marché institutionnel, peuvent se permettre de pratiquer des prix très bas sur un créneau qui reste au demeurant marginal pour eux. Ariane 5, après des débuts difficiles, s’emploie à hâter la cadence, alors que l’on constate une forte hausse des coûts de lancement en Russie, liée à celle du pouvoir d’achat. Quant aux missiles balistiques, le succès de l’essai effectué il y a trois semaines participe de la crédibilité de la force française de dissuasion.

Dans le domaine militaire, EADS développe des programmes importants de plateformes, dont l’Eurofighter, programme associant 4 pays qui en ont commandé de l’ordre de 600 avions. L’A400M est un avion de transport européen, très complexe à développer parce qu’il s’agit d’un avion civil à fort contenu militaire. Le programme « ravitailleur en vol », enfin, est susceptible de prolonger la vie d’un certain nombre d’appareils, comme l’A 330, qui pourra trouver une seconde vie en version cargo ou ravitailleur en vol lorsque l’A350 le remplacera comme avion passagers.

Il convient enfin de saluer le développement remarquable des activités « systèmes » et « systèmes de systèmes », dont les 2500 ingénieurs vont s’installer à Elancourt (Yvelines), dans d’excellentes conditions d’accueil.

La trésorerie d’EADS reste solide : celle d’Airbus également avec 2 milliards d’euros et aucune dette ! Elle sera cependant fortement entamée par le programme A 380, l’entreprise commençant à subir des surcoûts de développement ainsi que des pénalités. Sur les neuf premiers mois de 2006, les résultats sont en baisse significative par rapport à la période correspondante de 2005. Pour l’avenir, l’entreprise entre dans une phase d’investissement, qui nécessitera des financements considérables. C’est pourquoi EADS a demandé aux divisions autres qu’Airbus de dégager, ensemble, un excédent d’un milliard d’euros en 2008. Pour mémoire, leur résultat global était déficitaire en 2001. Le groupe a besoin de parvenir, entre Airbus et le reste de ses activités, à un équilibre plus proche de celui qui existe au sein de Boeing, où l’aviation commerciale représente de l’ordre de 50 % du chiffre d’affaires – au lieu de 70 % chez EADS. Un tel équilibre permettrait d’assurer le groupe contre les fluctuations très fortes du marché de l’aéronautique. L’exemple de l’économie, enfin, devra venir du siège lui-même, et la direction de l’entreprise s’attachera donc à montrer qu’elle participe à l’effort d’économie.

S’agissant de la gouvernance de l’entreprise, il est certain qu’il n’est pas optimal d’avoir deux présidents et deux présidents exécutifs d’EADS, travaillant de surcroît à 800 kilomètres de distance. C’est le résultat de l’Histoire. La création d’EADS n’aurait pas été possible sans cet équilibre, dont Mme Angela Merkel a tenu à dire personnellement au président Louis Gallois l’importance qu’elle y attachait. Il faut une bonne relation entre les deux présidents et entre les deux présidents exécutifs. S’agissant d’Airbus, le fait de cumuler la casquette de coprésident exécutif d’EADS et de président directeur général d’Airbus supprime un échelon hiérarchique source de conflits. Cela dit, il faudra bien faire admettre que respecter au millimètre près les équilibres subtils entre les quatre pays fondateurs risque de paralyser l’entreprise.

EADS est la première l’entreprise véritablement européenne. C’est l’Europe concrète. Il ne faudrait pas qu’EADS en souffre en étant considérée comme étrangère dans ses pays partenaires.

M. Serge Poignant a remercié le président Louis Gallois d’avoir répondu à l’invitation des deux commissions, et lui a demandé à quelle échéance interviendraient les mesures de réorganisation, ainsi que la décision de lancer ou non l’A 350.

S’agissant d’autre part des sites de Nantes-Saint-Nazaire, les salariés sont inquiets. Peuvent-ils recevoir l’assurance qu’Airbus restera Airbus ?

M. Henri Emmanuelli a souligné que le président Louis Gallois a exprimé, comme il se devait, le point de vue de l’industriel, mais a dit souhaiter des précisions supplémentaires sur la problématique du capital. Il serait difficilement compréhensible que le gouvernement français n’ait pas les mêmes objectifs que son homologue allemand, à savoir maintenir une part nationale – qu’elle soit privée ou, si besoin est, publique, ainsi que l’a envisagé explicitement Mme Angela Merkel elle-même – dans le capital de l’entreprise. Il serait également inconcevable que l’on tergiverse sur la nécessité de construire l’Airbus A 350. Il existe des procédures de financement classiques, mais le gouvernement français semble peu enclin à les mettre en œuvre. La France ne doit pas oublier qu’elle a su payer le prix fort, et à juste titre, pour la constitution d’un pôle européen de l’aéronautique.

Lorsque le président Louis Gallois dit qu’il faut que la fabrication se fasse pour moitié en zone dollar, il a la franchise d’ajouter que cela se doit se traduire par un apport de financements privés à hauteur de 1,8 milliard d’euros, mais à combien s’élèvera, pour les quatre pays concernés, le coût social de cette délocalisation ? Et comment mesurer le risque de transfert de savoir-faire technologique dans les pays émergents ? Si, en regard d’un apport de 1,8 milliard d’euros, le coût social devait, au final, être double, il y aurait motif à s’interroger.

En tout état de cause, ne pas faire l’A 350 serait une aberration, car non seulement Airbus serait absent de 40 % du marché, mais son concurrent Boeing en retirerait un avantage considérable sur le reste dudit marché. Il y va donc de la survie même de l’entreprise. Aussi faut-il souhaiter que le Parlement français et ses commissions prennent position avec force en faveur du projet.

La capitalisation de départ aurait mérité quelques garanties supplémentaires, notamment sur le droit de préemption des actions, qu’actuellement les deux actionnaires privés peuvent revendre comme bon leur semble. Si le groupe socialiste a demandé la constitution d’une commission d’enquête, c’est parce qu’il sait que les difficultés ne datent pas d’hier, mais remontent à deux, voire trois années, ce qui suscite pour le moins des interrogations. La transparence doit également être faite sur les ventes de paquets d’actions par les deux actionnaires privés, ainsi que de stock options par les membres de la technostructure. L’ancien PDG d’EADS avait déclaré, devant les députés, que tout était normal, mais la justice n’a pas l’air de considérer les choses ainsi, et le Parlement se serait honoré s’il avait pu mener un travail de vérification.

M. Pierre Cohen a félicité le président Louis Gallois pour la clarté de son propos, qui tranche avec celui de son prédécesseur. Si la crise, comme il l’a expliqué, est due à des raisons techniques, il n’en demeure pas moins qu’elle a entraîné une dégradation de l’image et de la crédibilité de l’entreprise. Le groupe socialiste a interpellé le Gouvernement voici quelques mois déjà, et désormais tout le monde semble conscient de la gravité de la crise.

Le plan Energie 8 est un ensemble de propositions sans doute nécessaires, mais qui apportent des réponses relativement dangereuses pour l’aéronautique française et européenne. Externaliser à 50 % la production, en allant chercher l’ingénierie à l’étranger, peut être positif à court terme, mais le risque que les pays émergents acquièrent une ingénierie supérieure à celle des Européens n’est pas faible. Il y a d’ailleurs un certain paradoxe à ce que la première entreprise à identité européenne ait besoin de se refaire une santé par la délocalisation en zone dollar.

Il existe toute une batterie d’aides, qui sont classiques et bien connues : il y a les avances remboursables, annoncées par le Premier ministre à Toulouse ; il y a l’aide à l’innovation et à la recherche, qui semble toutefois destinée principalement aux PME ; il y a, surtout, la recherche duale, c’est-à-dire civile et militaire, qui est un élément fondamental de l’aide apportée par les États-unis à leur propre industrie aéronautique. Mais le problème est plus large : il s’agit de savoir quels sont les partenaires réellement porteurs d’une ambition industrielle et non pas seulement financière pour Airbus. On peut déjà nourrir quelques doutes sur les ambitions des partenaires d’origine ; il en va de même pour les Russes, à qui d’aucuns envisagent de donner 5 % du capital, mais aussi pour les banques allemandes, qui songent davantage à leur taux de profit qu’à l’avenir de l’aéronautique. Le gouvernement allemand a d’ailleurs posé, d’une façon étonnamment ouverte compte tenu de la réticence, traditionnelle dans ce pays, envers l’intervention de l’État, la question du poids de la puissance publique.

M. Philippe Auberger a estimé que le président Louis Gallois avait bien cerné, dans son exposé, les problèmes industriels et commerciaux d’EADS. Le lancement de l’A 350, de son propre aveu, nécessitera des moyens financiers importants. Or, force est de constater l’extrême fragilité du capital de l’entreprise, dont Daimler-Chrysler et Lagardère ont annoncé leur volonté de se désengager. Qui plus est, les solutions de remplacement sont quelque peu échaudées : la Caisse des dépôts et consignations a pris 2 % du capital, mais a dû passer 150 millions d’euros de provisions en 2006, avant même d’avoir reçu tous les titres qu’elle achetés… En outre, le fait qu’une enquête de l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur d’éventuels délits d’initiés soit en cours, ainsi que des procédures judiciaires, risque d’autant plus de dissuader les investisseurs que l’enquête de l’AMF sera longue et complexe, et que les juridictions, civiles comme pénales, attendront ses conclusions avant de statuer. Quelles solutions peuvent être envisagées dans ce contexte ?

M. Daniel Paul s’est demandé comment on pouvait expliquer qu’une entreprise telle qu’EADS semble découvrir aujourd’hui seulement le problème posé par sa propre non-intégration. Quant au cours du dollar, ne faudrait-il pas, au lieu de se lamenter sur sa faiblesse, incriminer – même si l’on peut comprendre que le président Louis Gallois se soit gardé de s’y aventurer – la politique de l’euro fort, et prôner une autre politique monétaire européenne, plus favorable à l’investissement industriel ?

Il ne saurait certes être question de renoncer à l’A 350, mais la politique de réduction des coûts, d’externalisation, de délocalisation vers la zone dollar, par laquelle on se propose de financer ce programme, sera lourde de conséquences pour les sites industriels de France et d’Europe. Ne convient-il pas plutôt de mobiliser des ressources supplémentaires, en s’adressant pour cela à l’Union européenne et à divers partenaires publics ?

Enfin, la présidence d’EADS est-elle disposée à recourir à des sous-traitants qui travailleraient aussi pour Boeing ?

M. François Brottes a dit comprendre que le président d’EADS ne veuille pas parler de la répartition du capital, mais la question se pose néanmoins. L’entreprise est certes bien placée sur les marchés, et il n’y a pas de raison qu’elle ne continue pas à croître, mais elle se trouve placée, pour ce faire, devant une alternative : soit fabriquer ailleurs qu’en Europe – au risque que le coût social soit supérieur aux avantages retirés de cette stratégie –, soit « remettre au pot » afin d’accélérer la production et de mettre en chantier l’A 350.

M. Louis Gallois a apporté aux différents intervenants les éléments de réponse suivants :

- Pour ce qui est de la décision de construire ou non l’A 350, l’échéance est une question de jours, car la patience des clients d’Airbus n’est pas infinie, et ils sont démarchés quasi quotidiennement par Boeing, qui leur propose son 787. La décision ne peut donc être reportée de semaine en semaine : quelle qu’elle soit, il faut qu’elle soit connue sans tarder, ne serait-ce que vis-à-vis des équipes d’ingénieurs qui travaillent sur le projet, ainsi que des 100 commandes et 122 engagements déjà reçus.

- S’agissant des sites de production, rien ne sera annoncé avant que des décisions globales ne soient prises. Dès le début de l’année 2007, des indications pourront être données aux partenaires sociaux. En tout état de cause, les décisions de réorganisation de la production liées au programme A350 n’auront pas d’impact sur les sites avant 2013 ou 2015, ce qui donne du temps pour s’y préparer. Pour l’heure, il n’y a pas de problèmes d’emploi dans la production ni dans l’ingénierie : les équipes sont au contraire surchargées de travail. Toutes les solutions seront envisagées, la religion de la présidence n’est pas faite. Il ne faut pas oublier, enfin, que les usines EADS autres qu’Airbus sont des fournisseurs très importants d’Airbus.

- La position de Mme Angela Merkel en ce qui concerne le capital d’EADS est partagée par la France : la parité franco-allemande est à la base de la création du groupe. Quant à la structure même du capital, c’est une question qui dépasse la présidence de l’entreprise, même si celle-ci peut avoir un avis, et qu’il revient aux actionnaires, dans leur sagesse, d’aborder. Il y a un problème délicat d’équilibre des pouvoirs, dont il faut tenir compte lorsqu’on évoque l’entrée de nouveaux actionnaires.

- La question monétaire, qu’on l’appelle faiblesse du dollar ou niveau élevé de l’euro, est également hors du ressort de l’entreprise. Ce matin, à la radio, M. Jean-Marc Sylvestre semblait considérer que la France est plus sensible à la faiblesse du dollar que d’autres pays parce que son économie est moins saine, mais il y a unanimité, au sein des quatre entités fondatrices d’EADS, pour considérer que l’entreprise a perdu 20 % de compétitivité-prix en cinq ans du fait de l’affaiblissement du dollar.

- Les procédures judiciaires introduites par des actionnaires minoritaires et l’enquête en cours de l’AMF n’appellent pas de commentaires de la part de l’entreprise.

- L’ingénierie est le sujet essentiel. Airbus ne peut rester à l’écart de la course à l’ingénierie au plan mondial, sous peine de voir son concurrent unique, Boeing – qui dispose, par exemple, de 1 200 ingénieurs à Moscou et est également très présent en Italie – capter à son profit la totalité des capacités du reste du monde. Il lui faut donc chercher des alliances.

- Le capital d’EADS connaît, sinon une fragilité, du moins une certaine volatilité : l’action EADS est, au sein du CAC 40, celle qui enregistre les variations les plus fortes, à la hausse comme à la baisse. On ne peut pas dire que cela facilite la gestion du groupe, mais celui-ci n’a pas de besoin prévisible de trésorerie dans les deux ans qui viennent pour développer un nouveau programme.

- EADS ne découvre pas seulement maintenant le problème posé par sa non-intégration. Mais il faut savoir que celle-ci a été voulue par les Etats, qui souhaitaient garder chacun une part garantie de la production. Il y a aussi le poids des cultures d’entreprises : c’est ainsi que l’on constate, au bout de plusieurs années, que les anciennes hiérarchies n’ont pas disparu.

- EADS recherchera le moment venu les financements dont elle aura besoin, mais « remettre au pot » pour construire l’A 350 ne réglerait pas le problème de la compétitivité de la production, qui ne peut être traité qu’en consentant des efforts considérables et en faisant le choix de se placer autant que possible à l’abri du risque dollar.

M. Pierre Hériaud a félicité le président Louis Gallois pour la célérité et le dynamisme avec lesquels il a repris les rênes d’Airbus pour appliquer le plan de redressement et l’a remercié d’avoir envoyé ses équipes expliquer sur le terrain le plan de réorganisation des réseaux de fournisseurs et de sous-traitants. Le retard pris par la production de l’A 380 se traduira par un surcoût de 2 milliards d’euros, à quoi il faut ajouter 2,8 milliards d’euros de pénalités, soit au total 1,2 milliard d’euros par an jusqu’en 2010, tandis que la trésorerie de l’entreprise est actuellement de 4,6 milliards. Or, pour investir dans l’A 350, il faudra des capitaux extérieurs. Lesquels ?

Au début de l’année 2006, les perspectives financières étaient florissantes selon tous les analystes financiers. Or, le cours de l’action a chuté, avant de remonter en partie. Quel jugement faut-il porter sur les instances de contrôle interne et externe, et sur l’efficacité des experts comptables et des commissaires aux comptes ?

M. Daniel Paul a réitéré sa question sur les sous-traitants communs à Airbus et à Boeing.

M. Jean-Michel Fourgous a demandé quels étaient, hormis l’A 350 et l’aéronautique civile en général, les autres projets d’EADS.

Le Président Pierre Méhaignerie a demandé à quoi correspond précisément le chiffre de 1,8 milliard d’euros avancé par le Président Louis Gallois, et si la décision du conseil d’administration sur l’A 350 était suspendue uniquement à la position du gouvernement français, ou à d’autres éléments. 

M. Louis Gallois a indiqué qu’Airbus et Boeing ont de nombreux fournisseurs communs, notamment parmi les motoristes ou les fabricants de trains d’atterrissage. En Italie, Alenia a ainsi deux usines, dont l’une produit des pièces pour Boeing et l’autre pour Airbus.

S’agissant du plan préparé par son prédécesseur Christian Streiff, il a d’autant moins de mal à le défendre et à l’appliquer qu’il en a suivi et approuvé l’élaboration à chaque stade. Certes, une partie des pertes subies entre 2006 et 2010 pourra être récupérée après cette date, mais non les clients perdus, ni le montant, considérable, des pénalités.

Les contrôles financiers internes ne pouvaient déceler les retards d’industrialisation de l’A380, retards dont les responsables, au demeurant, ne se vantent guère dans un premier temps, et qu’ils se font généralement fort, ensuite, de rattraper – toute la question étant de savoir jusqu’à quel moment ces proclamations sont sincères et à partir de quand elles ne le sont plus… C’est pourquoi des audits ont été diligentés sur l’A 380 et l’A 400 M, et d’autres le seront à intervalles réguliers sur les différents programmes, ce qui n’était guère dans les habitudes jusqu’à présent.

Parmi les autres projets de développement d’EADS figurent notamment les avions ravitailleurs militaires, les drones, le missile de croisière navale, un hélicoptère à très grande capacité – dans lequel seront impliqués de nombreux partenaires – et, de façon générale, les questions liées à l’utilisation civile d’outils développés pour le militaire, comme la coordination des forces de sécurité – policière mais aussi civile. C’est moins spectaculaire et moins volumineux que l’aéronautique civile, mais c’est très important dans l’optique du rééquilibrage de l’activité.

Un aspect très important que l’entreprise cherche à développer pour l’avenir concerne le développement de services associés aux plateformes livrées : c’est ainsi qu’EADS a plusieurs dizaines personnes en Afghanistan pour servir le système de télécommunications cryptées, et s’apprête à vendre à l’armée britannique toute la logistique du ravitaillement en vol, c’est-à-dire la mise à disposition d’heures de vol, grâce à une action de l’industriel aux côtés des clients pendant toute la durée de vie du programme. C’est une proposition que nous avons faite à la France à travers le projet MRTT, à un coût inférieur à celui qu’elle assume habituellement. C’est un secteur d’activité promis à un grand avenir, que l’entreprise peut hésiter à développer dans certains cas par crainte d’entrer en concurrence directe avec ses clients, mais où Boeing ambitionne de faire 30 % de son chiffre d’affaires d’ici quelques années. Dans le domaine des satellites, l’entreprise réfléchit à l’articulation des moyens de couverture entre Italie, France et Royaume-Uni ; elle exploite entièrement la constellation Skynet qui fournit le service de télécommunications militaires par satellite de la Grande-Bretagne.

Le montant de 1,8 milliard d’euros correspond à la participation espérée de partenaires industriels au développement du programme A 350, à risques partagés, le coût total étant estimé à 9,6 milliards.

Le Président Pierre Méhaignerie a remercié le président Louis Gallois, au nom des deux commissions, pour la qualité de l’échange qu’il a eu avec leurs membres.

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Information relative à la Commission

La Commission a reçu de la Cour des comptes, en application de l’article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, un rapport sur la formation continue dans les universités.