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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 avril 2008.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES
en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle
des lois de financement de la sécurité sociale
sur
la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments
ET PRÉSENTÉ
PAR Mme Catherine LEMORTON,
Députée.
——
INTRODUCTION 9
I.- LA FRANCE SE CARACTÉRISE PAR UNE CONSOMMATION RECORD DE MÉDICAMENTS 11
A. LA FRANCE EST LE PREMIER PAYS CONSOMMATEUR DE MÉDICAMENTS EN EUROPE 11
1. Les Français détiennent le record européen de la consommation de médicaments 11
a) Ce constat est largement partagé 11
b) La France détient toujours le record en termes de quantité et de dépense de médicaments par habitant 12
c) Mais dans certaines classes de médicaments, les écarts de consommation avec les principaux pays européens ont tendance à se réduire 13
2. La consommation de médicaments est fortement concentrée sur les personnes relevant d’une affection de longue durée 15
a) Chaque Français consomme, en moyenne, une boîte de médicaments par semaine 15
b) Mais les affections de longue durée (ALD) concentrent la moitié de la consommation de médicaments 15
c) Au sein des ALD, la consommation est concentrée sur les affections qui nécessitent un traitement pharmaceutique innovant et coûteux 16
d) La durée de traitement des personnes relevant d’une ALD a tendance à s’allonger 16
e) L’augmentation des dépenses de médicaments pour les personnes relevant d’une ALD constitue l’essentiel de la croissance de la dépense totale de médicaments 16
3. Près d’un quart de la consommation de médicaments en ville résulte de prescriptions hospitalières et cette part devrait continuer de croître 17
a) La rétrocession hospitalière diminue mais la prescription en activité ambulatoire se développe 18
b) La prescription hospitalière exerce un effet d’entraînement sur la prescription en ville 18
c) Les effets de la sortie de la réserve hospitalière : l’exemple de l’érythropoïétine (EPO) 19
4. Les médecins de ville français sont de gros prescripteurs de médicaments 20
a) Les médecins français prescrivent beaucoup 20
b) La prescription est davantage orientée vers les spécialités récentes et comporte peu de génériques 21
c) Les médicaments prescrits ne sont pas toujours efficaces et la qualité des prescriptions n’est pas toujours optimale 22
B. LA CONSOMMATION ÉLEVÉE DE MÉDICAMENTS EST COÛTEUSE ET PEUT ENTRAÎNER CERTAINES CONSÉQUENCES SANITAIRES REGRETTABLES 22
1. Les dépenses de médicaments sont en forte croissance 22
a) Les dépenses de médicaments représentent une part importante du PIB 23
b) La part des dépenses de santé que consacre la France aux dépenses de médicaments est plus importante que dans la plupart des autres pays 23
c) Le rythme de croissance des dépenses de médicaments est élevé 24
d) Les nouveaux produits « tirent » la croissance du marché 25
e) Une boîte de médicaments vendue sur cinq est un produit générique 25
f) La tendance à l’augmentation des dépenses de médicaments devrait se poursuivre 27
2. Les médicaments remboursés représentent la quasi-totalité de la consommation et l’automédication est peu développée 27
a) 90 % des médicaments consommés font l’objet d’une prise en charge par l’assurance maladie 28
b) Il est encore trop tôt pour évaluer les effets de la franchise sur la consommation des médicaments 29
c) Les médicaments consommés sont, pour l’essentiel, soumis à prescription médicale obligatoire 31
d) L’automédication occupe une place limitée et stagne 32
e) Les effets des changements dans les conditions de remboursement sont différents selon qu’il s’agit d’une diminution du taux de remboursement ou d’un déremboursement 34
3. Le fort recours aux médicaments n’est pas toujours justifié et peut entraîner des effets sanitaires néfastes 35
a) La surconsommation médicamenteuse française n’apparaît pas pleinement justifiée au regard des indicateurs de morbi-mortalité 35
b) La surconsommation de médicaments peut avoir des effets négatifs en termes de santé publique 36
II.- AMÉLIORER L’ENCADREMENT DE LA VIE DU MÉDICAMENT ET RENFORCER LA SÉLECTIVITÉ DE L’ACCÈS AU REMBOURSEMENT 37
A. AMÉLIORER L’ENCADREMENT DE LA VIE DU MÉDICAMENT 37
1. Le circuit administratif du médicament est complexe 37
a) Le chemin est long, du fabricant au consommateur 37
b) En France, la régulation du médicament est répartie entre plusieurs acteurs 39
c) D’autres pays ont un système de régulation plus regroupé 39
2. Veiller au bon usage des procédures dérogatoires de mise sur le marché et de prescription 40
a) Veiller au bon usage de l’autorisation temporaire d’utilisation 40
b) Contrôler et évaluer les prescriptions hors autorisations de mise sur le marché (AMM) 41
B. RENFORCER LA SÉLECTIVITÉ DE L’ACCÈS AU REMBOURSEMENT 42
1. Renforcer les règles de l’admission au remboursement et de fixation du prix 42
a) Recourir au critère de l’intérêt de santé publique pour l’appréciation du service médical rendu (SMR) 42
b) Développer les essais cliniques contre comparateurs pour l’appréciation de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) 43
c) Veiller à la mise en œuvre rapide de la nouvelle compétence médico-économique de la Haute Autorité de santé (HAS) 43
2. Améliorer le suivi des médicaments en pratique médicale réelle 45
a) Renforcer l’efficacité de la pharmacovigilance 45
b) Développer l’évaluation post-autorisation de mise sur le marché 46
c) Gérer de manière plus active la liste des médicaments remboursables 47
III.- FAIRE ÉVOLUER LES COMPORTEMENTS DES PRESCRIPTEURS ET DES CONSOMMATEURS 49
A. RENFORCER L’INFORMATION SUR LE MÉDICAMENT 49
1. Assurer l’indépendance et la transparence de l’expertise 49
2. Mettre en place une base publique d’information, exhaustive et gratuite, sur le médicament 50
B. AGIR SUR LES DÉTERMINANTS DE LA PRESCRIPTION 51
1. Améliorer la formation des médecins en pharmacologie et en économie de la santé 51
a) Réformer la formation initiale des médecins sur le médicament 51
b) Veiller à la montée en charge de la formation professionnelle continue et de l’évaluation des pratiques professionnelles 52
2. Rééquilibrer l’information des médecins sur le médicament 54
a) Maîtriser l’impact de la visite médicale 54
b) Développer l’information publique 56
c) Diffuser les logiciels certifiés d’aide à la prescription 58
3. Renforcer les actions de maîtrise médicalisée des dépenses de médicaments de l’assurance maladie 59
a) Développer l’analyse des prescriptions 59
b) Renforcer l’efficacité de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé 60
c) Amplifier la communication de l’assurance maladie 62
d) Poursuivre la montée en charge des actions individuelles en direction des médecins 63
C. FAVORISER LE BON USAGE CHEZ LES CONSOMMATEURS 65
1. Développer et coordonner l’information du grand public sur les médicaments 65
a) Dissiper le malentendu entre les médecins et les patients sur la demande de médicaments 65
b) Renforcer l’information publique en direction des patients 66
2. Inciter à l’observance, encadrer les programmes d’accompagnement des patients et développer l’éducation thérapeutique 67
a) L’observance des traitements est un enjeu majeur 67
b) Encadrer strictement les programmes d’accompagnement des patients financés par l’industrie pharmaceutique 68
c) Favoriser le développement de programmes d’accompagnement des patients par l’assurance maladie et l’éducation thérapeutique des patients 69
d) Promouvoir sur internet l’information de qualité sur les médicaments 70
IV.- S’APPUYER SUR LE RÉSEAU DES PHARMACIES D’OFFICINE POUR PROMOUVOIR LES GÉNÉRIQUES ET DÉVELOPPER UNE AUTOMÉDICATION RESPONSABLE 73
A. DÉVELOPPER LE RÔLE DE CONSEIL DES PHARMACIENS D’OFFICINE 73
a) Le pharmacien d’officine de proximité doit pouvoir s’appuyer sur le dossier pharmaceutique pour assurer la sécurité de la dispensation 73
b) Le rôle des pharmaciens d’officine dans le conseil et l’accompagnement des patients doit être développé 74
B. PROMOUVOIR LES GÉNÉRIQUES 75
1. Contrer les stratégies de contournement des génériques 76
a) La France n’a comblé qu’une partie de son retard en matière de médicaments génériques 76
b) Les moyens de lutter contre les stratégies de contournement des génériques doivent être renforcés 77
2. Accroître la délivrance de génériques 78
a) Renforcer les actions conventionnelles avec les médecins et promouvoir la prescription en dénomination commune 78
b) Poursuivre la mobilisation des pharmaciens sur le droit de substitution et l’effort d’information des assurés 79
C. DÉVELOPPER UNE AUTOMÉDICATION RESPONSABLE 80
1. Définir l’automédication 80
a) Le droit français ne définit pas expressément l’automédication 80
b) L’automédication pourrait être définie comme un comportement 81
2. Maîtriser la mise devant le comptoir des officines de certains médicaments à prescription médicale facultative 82
a) Les conditions de mise en place sont en cours de définition 82
b) L’intérêt de la démarche n’est pas toujours bien compris et les conditions de mise en œuvre suscitent des inquiétudes 83
V.- FAVORISER LA MISE EN PLACE D’UNE FISCALITÉ PLUS SIMPLE ET STRUCTURANTE 85
A. VEILLER À L’INDÉPENDANCE DES ORGANISMES QUI PERÇOIVENT LES TAXES RÉMUNÉRANT DES SERVICES RENDUS 85
1. La Commission de la transparence est financée en quasi-totalité par une taxe payée par les laboratoires pharmaceutiques 85
2. Plus de la moitié du financement de l’AFSSAPS est assuré par cinq taxes payées par les laboratoires pharmaceutiques 86
3. Le mode de financement des organismes qui délivrent les autorisations et évaluent les médicaments doit permettre d’assurer leur indépendance 86
B. SIMPLIFIER, STABILISER OU RENDRE PLUS STRUCTURANTE LES TAXES AFFECTÉES À L’ASSURANCE MALADIE 87
1. Aménager les deux taxes destinées à maîtriser la dépense de médicaments remboursés par l’assurance maladie 88
a) Mobiliser la taxe sur les dépenses de promotion pour améliorer la régulation de la visite médicale 88
b) Simplifier la contribution à la clause de sauvegarde de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) pour la rendre effectivement applicable 88
2. Stabiliser les deux autres taxes destinées à procurer des ressources à l’assurance maladie 90
a) Maintenir la taxe sur les grossistes répartiteurs 90
b) Stabiliser la taxe sur le chiffre d’affaires 90
3. Assurer le recouvrement de la TVA sur les médicaments et évaluer les effets des déremboursements sur les recettes de taxes 91
CONCLUSION 93
LISTE DES PROPOSITIONS 94
TRAVAUX DE LA COMMISSION 105
ANNEXES 109
ANNEXE 1 : Composition de la mission 109
ANNEXE 2 : Liste des personnes auditionnées 111
ANNEXE 3 : Comptes rendus des auditions 115
ANNEXE 4 : Glossaire 397
ANNEXE 5 : Communication de la Cour des comptes concernant les taxes sur le mėdicament humain 401
ANNEXE 6 : Communication de la Cour des comptes concernant la consommation et la prescription des médicaments 431
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a demandé à la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de consacrer son premier rapport de la législature à « la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments ». Cet intitulé traduit la volonté d’aborder le sujet du médicament selon une approche médico-économique équilibrée.
C’est une constante dans les travaux de la Mission que de prendre en compte à la fois les préoccupations de santé publique et les objectifs de maîtrise des finances sociales. La vocation de la MECSS est en effet de rechercher les voies et moyens de parvenir au plus haut niveau de protection sociale et de santé publique durablement soutenable et compatible avec les capacités de l’économie.
Dans ce cadre, la Mission a choisi de centrer son analyse sur la prescription et la consommation de médicaments en ville et sur la fiscalité spécifique applicable au secteur du médicament.
Au cours de ses travaux, la Mission a toujours veillé à éviter toute caricature ou stigmatisation des acteurs du médicament, qu’il s’agisse des laboratoires pharmaceutiques qui assurent la recherche, la fabrication et la fourniture des médicaments, des agences sanitaires et autorités de santé qui les régulent et formulent des recommandations, des médecins qui les prescrivent, des grossistes-répartiteurs qui les distribuent, des pharmaciens qui les dispensent, des patients qui les consomment, et de l’assurance maladie qui les rembourse. À ces acteurs, nombreux et aux intérêts multiples, complémentaires ou divergents, doit être ajouté l’État qui a pour mission d’assurer le pilotage du secteur du médicament dans le cadre fixé par le Parlement, notamment par les lois de financement de la sécurité sociale ainsi que celles relatives à la santé publique et à l’organisation des soins.
On comprendra que dans un tel contexte, il est difficile de définir les conditions permettant de concilier, d’une part, le bon usage des médicaments avec pour objectif de renforcer en permanence la qualité et l’efficience des soins et des prescriptions médicamenteuses et, d’autre part, le développement sur notre territoire du secteur économique stratégique que constituent les industries de santé, et tout particulièrement les laboratoires pharmaceutiques.
Tout au long de ses travaux, la MECSS a pu constater que les « mécanismes intimes » de la prescription et de la consommation des médicaments sont encore mal connus. Cela peut s’expliquer par le fait que les efforts de maîtrise médicalisée de la prescription et de la consommation de médicaments sont récents et que la recherche dans ce domaine est insuffisante.
Trois questions ont guidé les réflexions de la Mission :
– Le niveau de consommation de la France en médicaments est-il vraiment plus élevé que celui de pays voisins comparables, au point que l’on puisse parler d’une situation de surconsommation ?
– Comment promouvoir le bon usage des médicaments, faire évoluer les comportements des prescripteurs et des consommateurs ainsi que les stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses ?
– Comment améliorer la fiscalité du secteur du médicament ?
Pour tenter de répondre à ces questions complexes et formuler des propositions de réforme concrètes, opérationnelles et réalistes, la MECSS a bénéficié du concours de la Cour des comptes. Celle-ci a, en réponse à la demande qui lui avait été adressée lors de la législature précédente, remis deux communications à la Mission, la première concernant « les taxes sur le médicament humain », au mois de mai 2007, la seconde portant sur « la consommation et la prescription de médicaments », au mois de juillet 2007. Ces communications, dont il convient de remercier la Cour, sont publiées en annexe au présent rapport.
Par ailleurs, la Mission, avec la participation d’une magistrate de la Cour des comptes, a, durant quatre mois et demi, entendu, lors d’une trentaine de séances d’auditions publiques, soixante-quinze personnes représentant les principaux acteurs concernés par le médicament.
En outre, la MECSS a entendu des membres de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui ont présenté deux rapports récents de leur administration concernant, d’une part, l’information des médecins sur le médicament, d’autre part, les programmes d’accompagnement des patients financés par l’industrie pharmaceutique.
La Mission a enfin entendu, le 12 février dernier, M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, et Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
La Mission tient à remercier toutes les personnalités entendues dont la liste ainsi que les comptes rendus des auditions sont annexés au rapport.
La Mission a d’abord constaté que la France se caractérise par une consommation de médicaments record qui est la conséquence de comportements de prescription et de consommation difficiles à faire changer (I). La Mission formule ensuite dans les parties II à V de son rapport une série de propositions visant à développer un partenariat de santé favorisant le bon usage des médicaments.
*
I.- LA FRANCE SE CARACTÉRISE PAR UNE CONSOMMATION RECORD DE MÉDICAMENTS
Le médicament est l’élément le plus familier de notre consommation de soins. Chacun est, tout au long de sa vie, amené à consommer des médicaments, de manière plus ou moins contrainte. Mais le médicament est, encore aujourd’hui, souvent considéré comme le principal vecteur de la guérison. Le haut niveau de consommation français résulte de comportements de prescriptions et de consommation bien ancrés qu’il est difficile de faire changer.
A. LA FRANCE EST LE PREMIER PAYS CONSOMMATEUR DE MÉDICAMENTS EN EUROPE
Les comparaisons internationales sur la consommation de médicaments se sont développées depuis une vingtaine d’années. Dès les premières analyses, la situation de la France est apparue particulière, avec une dépense moyenne par habitant la situant au premier rang européen. La conjonction de forts volumes et du prix élevé des médicaments consommés, notamment dans les classes thérapeutiques majeures, ainsi que la faible propension à utiliser les réserves d’économie liées aux génériques semblent expliquer la situation particulière de la France au regard des autres pays européens.
Cette spécificité française continue à susciter des interrogations sur l’efficience du recours au médicament et sur les effets négatifs d’une telle surconsommation tant sur le plan sanitaire qu’économique.
1. Les Français détiennent le record européen de la consommation de médicaments
a) Ce constat est largement partagé
Dans sa communication à la MECSS sur la prescription et la consommation de médicaments, la Cour des comptes indique que « la France se caractérise par un niveau de consommation de médicaments supérieur à celui de ses voisins européens sans que cela se justifie par des indicateurs de morbidité ou de mortalité différents ».
De même, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, dans son avis du 29 juin 2006 sur le médicament, indique que « Les Français sont, avec les Américains, les premiers consommateurs de médicaments par habitant, en volume (doses journalières) comme en valeur relative. »
La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) note également, dans un Point d’information, du 13 mars 2008 que : « la France se caractérise par un recours élevé aux médicaments, avec à la fois des volumes de consommation importants et des coûts de traitements supérieurs à ceux de ses voisins européens. »
Les indicateurs de l’OCDE sur le panorama de la santé 2007 soulignent également que « La France est au tout premier rang pour la consommation de médicaments dans les pays de l’OCDE » et précise que « les dépenses de médicaments en France sont plus de 30 % supérieures à la moyenne des pays de l’OCDE. »
b) La France détient toujours le record en termes de quantité et de dépense de médicaments par habitant
Les données de l’OCDE concernent les médicaments prescrits et l’automédication, laquelle est plus ou moins développée selon les pays. Ces données sont exprimées en dollars américains, ajustées par la parité de pouvoir d’achat.
Alors que les dépenses de produits pharmaceutiques prescrits par habitant sont, en 2005, de 413 dollars en moyenne pour l’ensemble des pays de l’OCDE, la dépense s’élève en France à 554 dollars. Dans des pays à développement comparable, à l’exception des États-Unis (792 dollars) et du Canada (589), la dépense est moins élevée en Espagne (517), en Italie (509), en Allemagne (498), en Suisse (436), en Finlande (380), en Suède (351), en Irlande (320), aux Pays-Bas (318) et au Danemark (276).
Par ailleurs, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), dans une étude sur les cinq pays européens ayant les marchés du médicament les plus importants, note aussi que la France enregistre, en 2004, les ventes de médicaments par habitant les plus élevées (284 €), devant l’Allemagne (244 €, soit 14 % de moins qu’en France), le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne (autour de 200 €, soit 30 % de moins que dans notre pays).
Mais la France se distingue surtout par le niveau beaucoup plus élevé des quantités vendues en officine par habitant, de plus de 50 % supérieur à la moyenne des autres pays. Le rapport est même de 1 à 2 avec l’Italie. Cette surconsommation quantitative est en partie compensée par un niveau de prix fabricant moyen inférieur d’environ 20 % à la moyenne des autres pays.
Chiffre d'affaires des ventes de médicaments par habitant,
quantités vendues par habitant et prix fabricant moyen, en 2004
Chiffre d’affaires des ventes aux officines par habitant |
Quantités d’unités standards vendues aux officines par habitant |
Prix fabricant moyen par unité standard | |
France Allemagne Royaume-Uni Italie Espagne Moyenne |
284 244 202 202 193 210 |
1 535 1 049 1 136 746 1 023 989 |
0,18 0,23 0,18 0,27 0,19 0,22 |
Source : IMS Health – calculs DREES.
Mais aux effets prix et quantités il faut ajouter l’effet structure. Or, la France se caractérise par une consommation plus forte de médicaments récents, innovants et plus chers que la moyenne des médicaments du marché et souvent génériqués.
La France continue donc à occuper le deuxième ou troisième rang mondial, après les pays d’Amérique du Nord, et la première place des pays européens pour la dépense moyenne de médicaments par habitant.
c) Mais dans certaines classes de médicaments, les écarts de consommation avec les principaux pays européens ont tendance à se réduire
Cependant, on note au niveau européen une tendance à la réduction des écarts, voire une inversion des écarts entre la France et les principaux pays européens pour certaines classes de médicaments. Dans les années quatre-vingt-dix, des analyses par classes thérapeutiques avaient mis en évidence des rapports de 1 à 2 ou 1 à 3, pour beaucoup de classes de médicaments, entre la France et le Royaume-Uni ou l’Allemagne, et des écarts moins significatifs avec les pays du Sud comme l’Espagne ou l’Italie. Des études récentes conduisent à nuancer cette analyse en faisant notamment apparaître que la France est aujourd’hui devancée par d’autres pays pour certaines classes thérapeutiques : par exemple, par le Royaume-Uni pour les anti-asthmatiques et les statines (utilisées contre le cholestérol), par l’Allemagne pour les anti-hypertenseurs ou encore par l’Espagne pour les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP, utilisés contre les maladies digestives).
Cette situation est confirmée par les résultats d’une étude récente publiée par la CNAMTS, au mois de décembre 2007 (Points de repère n° 12), qui compare les consommations de la France et de ses principaux voisins (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie) pour huit classes de médicaments couramment prescrits et représentant près de 30 % du volume global de la consommation de médicaments et 40 % des dépenses totales de médicaments de l’assurance maladie (8 milliards d’euros en 2006).
La CNAMTS relève que c’est en France que le montant moyen par habitant est le plus élevé des cinq pays européens pour ces huit classes de médicaments : 118 euros, soit 24 euros de plus que le deuxième pays – l’Italie – et 46 euros de plus que l’Allemagne. Cette situation résulte de la combinaison de deux facteurs : d’une part des volumes de consommation qui restent pour la plupart des classes dans le haut de la fourchette, même si la France n’occupe pas la première place pour toutes les classes ; d’autre part, des coûts moyens de traitement souvent plus élevés que dans les autres pays, induits par une structure de consommation différente, où les produits les plus récents et les plus chers occupent une place prépondérante au détriment de molécules plus anciennes et souvent génériquées.
La comparaison, en volumes d’unités standards (comprimé, cuillerée…), place la France au premier rang pour la consommation d’antibiotiques, d’antidiabétiques oraux, d’hypocholestérolémiants (mais au second rang pour les seules statines), d’antidépresseurs et de tranquillisants. Elle est au second rang pour la consommation d’antiasthmatiques et d’IPP et au troisième rang pour la consommation d’antihypertenseurs.
L’unité de mesure en volume de la consommation de médicaments
Trois unités peuvent être utilisées pour mesurer la consommation de médicaments en volume et effectuer les comparaisons internationales en matière de consommation de médicaments : le nombre de boîtes, le nombre d’unités standards ou le nombre de doses d’entretien quotidiennes. Les trois unités de mesure ont leurs avantages et leurs inconvénients, et le choix de l’une ou de l’autre conduit à des résultats un peu différents en termes de classement relatif des pays.
L’« unité » de conditionnement (la boîte) est l’indicateur le plus utilisé du fait de sa simplicité d’accès. Il comporte néanmoins de nombreux biais du fait de la diversité des tailles de boîtes et de dosage que l’on constate dans les différents pays.
L’« unité standardisée », qui est un indicateur produit par la société d’étude sur le secteur du médicament IMS Health, correspond à l’unité de prise contenue dans le conditionnement. L’unité standard est ainsi un comprimé, une gélule, ou encore une cuillerée, une bouffée ou une injection. Cette mesure permet de s’affranchir des problèmes posés par les différences de conditionnement et de formes pharmaceutiques (comprimés, gélules, sachets, solutions buvables, suspensions injectables). Néanmoins, elle ne permet pas, par exemple, de distinguer un comprimé à faible dosage d’un comprimé à fort dosage.
La « DDD » (defined daily dose) est la dose d’entretien quotidienne usuelle pour un médicament dans son indication principale pour un adulte. Elle permet donc de s’abstraire des différences de conditionnement et de dosage, mais ne permet pas de tenir compte du nombre d’unités de prise.
Il convient toutefois de souligner que ces comparaisons internationales de consommation ne prennent pas en compte les spécificités de chaque pays en termes de marché et de distribution des médicaments, mais aussi de prévalence des différentes maladies et des recommandations qui y ont cours.
2. La consommation de médicaments est fortement concentrée sur les personnes relevant d’une affection de longue durée
a) Chaque Français consomme, en moyenne, une boîte de médicaments par semaine
Chaque Français consomme en moyenne cinquante unités (boîtes, flacons…) de médicaments par an, soit une par semaine, ou encore 1 500 unités standards par an.
Cette consommation est fortement concentrée. Ainsi, 10 % des Français n’en consomment pas, mais les 5 % qui en consomment le plus acquièrent près de 300 boîtes par an. En outre, parmi les 10 millions de personnes âgées de plus de 65 ans, environ 1,5 million consomment quotidiennement 7 médicaments, ou plus, de classes thérapeutiques différentes.
b) Mais les affections de longue durée (ALD) concentrent la moitié de la consommation de médicaments
La moitié de la dépense de médicaments remboursée est imputable aux traitements des personnes relevant d’une affection de longue durée (ALD).
Fin 2004, on recensait près de 8 millions de personnes en ALD, dont 60 % de personnes âgées. Chaque année, plus d’un million de nouvelles admissions en ALD sont enregistrées (1 130 000 en 2004). Entre 1994 et 2004, le nombre de personnes en ALD a augmenté de 5,7 % par an, en moyenne. En 2004, les personnes en ALD représentaient 14 % des assurés mais contribuaient à hauteur de 60 % aux dépenses d’assurance maladie remboursées. Elles pourraient représenter 70 % de ces dernières en 2015.
On peut aussi rappeler que les dépenses de soins sont sept fois supérieures pour un patient en ALD (7 450 € en 2004) que pour un patient non ALD (1 050 €). Plus précisément, en 2002, les achats par les personnes en ALD de médicaments remboursés représentaient près de la moitié (49 %) des dépenses de médicaments remboursées à l’ensemble des patients. Pour les patients en ALD, la pharmacie est le premier poste de dépenses et représentait 43 % des dépenses remboursables de soins de ville contre 37,9 % pour le reste de la population.
Toujours en 2002, la dépense moyenne en pharmacie s’élevait à 1 351 € pour les personnes en ALD et 218 € pour les personnes ne relevant pas de ce régime ; ainsi la dépense est six fois plus élevée pour une personne en ALD.
En 2001, le nombre moyen de boîtes de médicaments remboursées aux patients relevant d’une ALD s’élevait à 110 contre 28 pour les personnes non ALD.
Ainsi, le niveau élevé des dépenses de remboursement par l’assurance maladie des médicaments consommés par les patients en ALD résulte, d’une part, de la consommation très supérieure chez ces patients par rapport aux autres et, d’autre part, du niveau de prise en charge élevé du fait de l’exonération du ticket modérateur. Le classement en ALD ouvre, en effet, droit à une prise en charge intégrale des frais de traitement de l’ALD, dans la limite des montants remboursables.
c) Au sein des ALD, la consommation est concentrée sur les affections qui nécessitent un traitement pharmaceutique innovant et coûteux
Au sein même de la consommation de médicaments par les patients en ALD, on observe une concentration de la dépense. Certaines ALD font, en effet, principalement l’objet d’une prise en charge au moyen de traitements pharmaceutiques lourds et de faibles dépenses en honoraires médicaux et analyses biologiques. Il s’agit en particulier des ALD relatives au VIH, à l’hémophilie, à la mucoviscidose, aux transplantations d’organes et à la paraplégie. Ces ALD concernent souvent des personnes jeunes. Elles se caractérisent par une augmentation importante des remboursements par patient du fait d’innovations pharmaceutiques qui ont modifié les traitements. C’est notamment le cas de la trithérapie qui s’est fortement diffusée comme traitement des malades atteints du VIH.
d) La durée de traitement des personnes relevant d’une ALD a tendance à s’allonger
Le recours à des médicaments innovants et coûteux et la tendance à l’allongement de la durée des traitements des personnes atteintes d’ALD contribuent aussi fortement à la hausse de la dépense de médicaments remboursée.
De fait, le progrès médical permet de traiter efficacement aujourd’hui des personnes qui hier n’avaient aucun espoir. Des maladies chroniques sont devenues compatibles avec une vie normale et longue. En dix ans, l’espérance de vie des patients relevant d’une ALD a augmenté de quatre ans, en moyenne. Elle est passée de 71 ans en 1994 à 75 ans en 2004.
e) L’augmentation des dépenses de médicaments pour les personnes relevant d’une ALD constitue l’essentiel de la croissance de la dépense totale de médicaments
Au total, la croissance de la dépense remboursable de médicaments résulte pour une grande part de l’augmentation des dépenses imputables aux personnes relevant d’une affection de longue durée. Entre 2000 et 2002, les dépenses de médicaments remboursées pour les patients relevant d’une affection de longue durée ont contribué pour plus des trois quarts (13 points) à la croissance de la dépense totale de médicaments du régime général d’assurance maladie (17 points), les dépenses pour les autres patients n’y ayant contribué que pour moins d’un quart (4 points).
Ce constat recoupe, en grande partie, celui selon lequel le marché est dominé par quelques classes thérapeutiques. Ainsi, sur 341 classes thérapeutiques comprenant des médicaments remboursables, 25 concentrent 50 % du chiffre d’affaires global.
Les principaux postes de dépenses de médicaments remboursables concernent l’appareil cardio-vasculaire (21 %), le système nerveux central (20 %), l’appareil digestif (16 %) et l’appareil respiratoire (15 %). Cette répartition du marché français correspond à peu près à celle observée sur le marché européen.
En revanche, la France se singularise par sa consommation élevée d’antibiotiques (notamment pour certaines familles d’antibiotiques les plus récentes), une utilisation plus élevée de psychotropes (notamment les benzodiazépines) que dans la quasi-totalité des autres pays européens, et une forte consommation de statines.
Aussi, alors que le vieillissement de la population s’accélère, les maladies chroniques ainsi que les polypathologies tendent à devenir le centre de gravité du système de santé et constituent un enjeu majeur en matière de consommation de médicaments. Cette évolution laisse penser que le dynamisme de la demande de médicaments devrait se poursuivre, voire s’accentuer durant les prochaines années, tant en ville qu’à l’hôpital.
La CNAMTS indique qu’en 2007 les dépenses de médicaments destinées aux pathologies lourdes telles que le cancer, le sida ou la polyarthrite rhumatoïde ont augmenté de 11 % et représentent 56 % de la croissance totale des dépenses de médicaments.
3. Près d’un quart de la consommation de médicaments en ville résulte de prescriptions hospitalières et cette part devrait continuer de croître
De nombreuses prescriptions établies par des médecins hospitaliers à l’intention de patients qui ne sont pas hospitalisés sont exécutées en ville. Il peut s’agir de prescriptions effectuées à l’issue d’un séjour dans un établissement hospitalier ou bien lors d’une consultation externe ou à l’occasion de soins dispensés dans un service d’urgence.
En 2004, 23 % des médicaments délivrés en ville et remboursés (soit 4,7 milliards d’euros) ont été prescrits par des médecins hospitaliers ou en centre de santé. Cette part a continué de progresser. En 2007, selon la CNAMTS, elle s’élevait à 25 %.
a) La rétrocession hospitalière diminue mais la prescription en activité ambulatoire se développe
Les médicaments délivrés par les pharmacies hospitalières destinées à soigner des malades non hospitalisés, c’est-à-dire la rétrocession hospitalière, représentaient en 2004 environ 40 % des prescriptions hospitalières exécutées en ville. Au début des années 2000, la rétrocession hospitalière a connu une forte croissance. Depuis 2005, en raison du nouveau cadre juridique de la rétrocession, défini par le décret du 15 juin 2004, et de la sortie de certains médicaments de la réserve hospitalière, le montant des médicaments rétrocédés à tendance à diminuer.
En 2004, les médicaments prescrits à l’occasion de l’activité ambulatoire, de consultations externes et de passages aux urgences représentaient aussi environ 40 % des prescriptions hospitalières exécutées en ville.
Enfin, environ 20 % du montant des médicaments prescrits par les médecins hospitaliers et délivrés en ville étaient directement liés à un séjour hospitalier. Il s’agit de médicaments que l’assuré hospitalisé est invité à aller chercher en pharmacie d’officine (comme les produits de contraste en radiologie).
b) La prescription hospitalière exerce un effet d’entraînement sur la prescription en ville
La prescription hospitalière est d’autant plus importante qu’elle acquiert aux yeux du patient et du médecin un statut particulier. En effet, le médecin de ville, qui a la charge de poursuivre le traitement, peut éprouver par la suite des difficultés à le modifier pour, par exemple, y substituer des génériques ou modifier la prescription. La prescription hospitalière peut ainsi induire un effet d’entraînement sur la prescription de ville, d’où l’importance essentielle de la qualité de la prescription hospitalière.
Or, il faut rappeler que faute d’enveloppe médicaments au sein de l’ONDAM, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, les dépenses de médicaments sont imputées sur l’enveloppe hospitalière ou sur l’enveloppe de ville.
Les dépenses de médicaments résultant de prescriptions hospitalières qui font l’objet d’une dispensation en ville ne sont donc pas prises en charge sur l’enveloppe hospitalière mais sont remboursées aux assurés sociaux par les caisses d’assurance maladie et imputées sur l’enveloppe de soins de ville. Les deux secteurs ne sont donc pas étanches et il y a bien une certaine porosité entre eux.
Les transferts d’achats de médicaments de l’hôpital vers la ville expliquent donc une partie de l’augmentation du chiffre d’affaires de la dispensation en ville. Ainsi, la CNAMTS, dans son Point d’information du 13 mars 2008, indique que les prescriptions hospitalières ont représenté, en 2007, près de la moitié (49 %) de la croissance des dépenses de médicaments de ville.
L’impact du transfert croissant de médicaments de l’hôpital vers la ville devrait se poursuivre, particulièrement sous l’effet du développement de la chirurgie ambulatoire et des soins à domicile, notamment pour certaines pathologies lourdes qui peuvent désormais être soignées à domicile (cancer, sida) après une sortie précoce de l’hôpital.
Force est cependant de constater que si le poids de la prescription peut passer du secteur hospitalier au secteur de ville, des mouvements inverses peuvent aussi exister. Des médecins de ville peuvent, par commodité ou dans le but de ne pas « dégrader » leur profil de prescriptions, conseiller au patient, dans certains cas, de se rendre à l’hôpital et, ainsi, être à l’initiative de prescriptions de médicaments (ou d’actes divers) qui apparaîtront comme hospitalières.
Plus généralement, ce constat renvoie à la nécessité de sortir du cloisonnement actuel du système de soins et de construire la continuité indispensable entre les soins ambulatoires, les soins hospitaliers et la prise en charge médico-sociale. La mise en place des agences régionales de santé (ARS) devrait favoriser cette approche globale.
c) Les effets de la sortie de la réserve hospitalière : l’exemple de l’érythropoïétine (EPO)
Au printemps 2005, l’érythropoïétine (EPO), utilisée dans le traitement de l’anémie chez les patients souffrant d’insuffisances rénales chronique et les adultes traités par chimiothérapie, est sortie de la réserve hospitalière.
À la suite de cette décision, les produits composés d’EPO ont contribué, pour chacune des années 2005 et 2006, à un point de croissance du marché des médicaments remboursables délivrés en ville, ce qui a fait de cette classe thérapeutique la plus dynamique du marché. En 2006, en l’absence de l’effet EPO, la croissance du marché officinal – qui a été de 1 % – aurait été nulle. En 2007, l’impact direct lié à la sortie de la réserve hospitalière semble avoir été stoppé.
L’évolution constatée est caractéristique des produits sortis de la réserve hospitalière : leur croissance, très élevée la première année, diminue ensuite rapidement, car le caractère spécifique des pathologies traitées entraîne une saturation du marché.
Cependant, la sortie de la réserve hospitalière s’est aussi accompagnée d’une augmentation de la taille du marché en volume : dans les deux mois qui ont suivi la sortie de la réserve hospitalière, les volumes ont atteint 3 millions de doses quotidiennes alors que les volumes à l’hôpital ne baissaient que de 2,3 millions. On a ainsi constaté un saut dans les volumes totaux ville + hôpital d’environ 700 000 doses. Selon la DREES, ce saut représente une croissance du marché de 20 % en volume. Après ce saut, les volumes ont continué d’augmenter selon la dynamique forte observée avant la sortie de la réserve hospitalière.
4. Les médecins de ville français sont de gros prescripteurs de médicaments
La prescription médicale est l’élément central de la consommation médicamenteuse. On le sait, globalement, les médecins français prescrivent beaucoup et pas toujours de la manière la plus rationnelle ou la plus utile qui devrait conduire à retenir le médicament le plus efficace et le moins coûteux, c’est-à-dire celui présentant le meilleur rapport coût-efficacité.
a) Les médecins français prescrivent beaucoup
Les comparaisons internationales soulignent une médicalisation plus forte qu’ailleurs des problèmes de société en France et un recours plus systématique aux médicaments dans la stratégie thérapeutique. En conséquence, le niveau de prescription des médecins est plus élevé que dans les autres pays européens. Cette situation ne semble avoir que peu évolué depuis vingt ans.
Selon l’étude réalisée en 2005 par IPSOS, à la demande de la CNAMTS sur le rapport des patients à l’ordonnance et aux médicaments dans quatre pays européens (France, Allemagne, Espagne et Pays-Bas), c’est en France que l’équation « consultation = ordonnance = médicaments » est la plus forte.
En moyenne, dans ces quatre pays, 80 % de la population consulte un médecin au moins une fois dans l’année. En revanche, si le niveau de consultation en France est proche de celui de deux des trois autres pays étudiés, il est nettement supérieur à celui du troisième. Ainsi, le nombre de consultations dans l’année est de 4,9 en France, contre 5,2 en Allemagne, 4,8 en Espagne mais il est de 3,2 aux Pays-Bas.
En France, l’accès aux médicaments est facile et sécurisé
La France compte environ 210 000 médecins dont 120 000 médecins libéraux qui se répartissent entre 54 000 spécialistes et 61 000 omnipraticiens (dont 54 000 généralistes).
La densité moyenne de médecins s’élève à 340 médecins pour 100 000 habitants. Elle est de 15 % supérieure à celle de la moyenne des pays de l’OCDE (289) et légèrement plus importante que celle de l’Union européenne (326). La densité moyenne de médecins libéraux s’élève en France à 88 pour 100 000 habitants. À partir de 2008, sous le double effet, d’une part, de la baisse du numerus clausus jusqu’au milieu des années 1990, et, d’autre part, des départs à la retraite de nombreux professionnels (la moyenne d’âge des médecins libéraux est de 50 ans), le nombre de médecins devrait commencer à baisser, pour diminuer de 15 % à 25 %, selon les diverses estimations et sous l’hypothèse du maintien d’un numerus clausus à 7 000, entre 2002 et 2025.
Le réseau de distribution et de dispensation des médicaments en ville est très encadré et développé. La recherche de la sécurité a conduit la France à instituer un monopole de la dispensation par des professionnels bien formés et indépendants. Cela interdit de fait, puisque la publicité sur les médicaments remboursés est prohibée, la vente de médicaments en dehors des officines, par correspondance ou par internet.
Afin d’assurer en tout lieu l’accès rapide, complet et sécurisé au médicament, un maillage dense du territoire a été institué. La dispensation des médicaments est assurée par un réseau de 23 000 pharmacies d’officine (soit en moyenne une officine pour cinq médecins) et un peu plus de 54 000 pharmaciens exerçant en officine (soit un peu moins d’un pharmacien d’officine pour deux médecins libéraux). La France compte ainsi, en moyenne, une officine pour 2 560 habitants (contre 3 300 habitants, en moyenne, en Europe).
En 2006, environ 9 400 présentations, dont 6 600 présentations remboursables et 2 800 non remboursables, ont été vendues au moins une fois. Ce nombre est plutôt supérieur à ce qu’on connaît dans les autres pays européens.
Le prix public moyen d’un médicament remboursable (prix réglementé) s’élevait à 9,10 euros, en 2005. Celui d’un médicament d’automédication (prix libre) s’élevait à environ la moitié (4,50 euros).
Par ailleurs, selon le rapport sur le médicament, de juin 2006, du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, 90 % des consultations réalisées en France, se concluent par une ordonnance (en moyenne plus longue que dans d’autres pays), contre 83 % en Espagne, 72 % en Allemagne et 43 % aux Pays-Bas. Ce taux de 90 % est même jugé plus bas que la réalité par les médecins interrogés dans le cadre de l’enquête, pour lesquels ces 10 % de consultations sans ordonnance de médicaments renvoient à des situations non thérapeutiques, comme la délivrance d’attestations pour la pratique sportive.
La DREES, a publié, en novembre 2005, les résultats d’une enquête sur les consultations et visites des médecins généralistes libéraux menée en 2002 (Études et résultats n° 440). Le taux de consultation se terminant par une ordonnance est un peu inférieur au chiffre avancé par le Haut conseil pour la France. Selon cette enquête près de 80 % des consultations donnaient lieu, en 2002, à la prescription d’au moins un médicament. Et, en moyenne, les médecins prescrivent 2,9 médicaments et 6 boîtes de médicaments par consultation.
Quoi qu’il en soit, cette habitude de conclure presque systématiquement (dans au moins trois cas sur quatre) une consultation par une prescription n’est pas le seul fait d’une minorité de surprescripteurs, mais constitue une pratique courante et quasi généralisée. C’est bien le trait le plus marquant de ce que le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie dans son avis sur le médicament, de juin 2006, appelle le « modèle français de prescription ».
b) La prescription est davantage orientée vers les spécialités récentes et comporte peu de génériques
En outre, les médecins français sont très sensibles à la mise sur le marché des nouveaux médicaments et prescrivent plutôt des spécialités récentes qui sont en général plus coûteuses que les spécialités plus anciennes ou les génériques, encore peu prescrits par les médecins. À cet égard, force est de constater que la progression récente des génériques est davantage le résultat de l’exercice du droit de substitution par les pharmaciens que de la prescription des médecins. La situation a tout de même commencé à évoluer puisque, lorsque le médecin a le choix entre un princeps et un générique, il prescrit un générique dans un peu plus d’un tiers des cas.
c) Les médicaments prescrits ne sont pas toujours efficaces et la qualité des prescriptions n’est pas toujours optimale
Enfin, selon une étude de 2005 de la Fédération nationale de la Mutualité française, les médecins français prescrivent plus de médicaments à service médical rendu insuffisant (SMRI) : 2,2 lignes de prescription par habitant et par an, contre 1 ligne en Allemagne, 0,8 en Espagne, 0 au Royaume-Uni et au Canada.
On peut d’ailleurs ajouter que, selon cette même étude, 17 % des médicaments – prescrits ou non – vendus en France sont des médicaments à SMR insuffisant.
Enfin, la qualité des prescriptions n’est pas toujours optimale.
Les quelques études menées sur ce point, d’ailleurs de manière dispersée et sans cohérence d’ensemble, montrent que les indications pour l’utilisation des médicaments fixées par les autorisations de mise sur le marché (AMM) et les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et de la Haute Autorité de santé (HAS) ne sont pas toujours respectées, de même que les posologies et les durées de traitement.
Ces études ponctuelles montrent que dans 30 % à 50 % des cas, les recommandations ne sont pas respectées et que de nombreuses prescriptions sont effectuées en dehors des indications prévues par l’AMM, ou entraînent des dépassements des posologies usuelles maximales recommandées et des dépassements de durée de traitement.
B. LA CONSOMMATION ÉLEVÉE DE MÉDICAMENTS EST COÛTEUSE ET PEUT ENTRAÎNER CERTAINES CONSÉQUENCES SANITAIRES REGRETTABLES
1. Les dépenses de médicaments sont en forte croissance
En 2006, les ventes de médicaments en ville ont représenté 3 milliards de boîtes vendues pour un montant de 20,4 milliards d’euros, soit environ 15 % de l’ONDAM (141,8 milliards d’euros), un tiers des dépenses de soins de ville (66,7 milliards d’euros) et la moitié de l’ensemble des prescriptions (médicaments, indemnités journalières, examens…) des médecins libéraux (41,6 milliards d’euros).
a) Les dépenses de médicaments représentent une part importante du PIB
Les données de l’OCDE portant sur l’année 2003, montraient que la France était le pays où la part des médicaments délivrés sur ordonnance et en automédication (donc à l’exclusion de la consommation pharmaceutique à l’hôpital) dans le PIB était nettement la plus forte. En 2003, la part du PIB consacrée par la France aux dépenses de médicaments était supérieure de 9 % à celle des États-Unis, de 30 % à celle de l’Allemagne, de 45 % à celle du Japon et de 73 % à celle du Royaume-Uni.
Dépenses de produits pharmaceutiques en % du PIB en 2003
France |
États-Unis |
Italie |
Canada |
Allemagne |
Japon |
Royaume-Uni |
2,11 |
1,94 |
1,86 |
1,67 |
1,62 |
1,45 |
1,22 |
Source : Eco santé OCDE 2005
Les nouvelles données « Eco santé » de l’OCDE portant sur l’année 2005 montrent toutefois que le pourcentage français a sensiblement baissé.
Dépenses de produits pharmaceutiques en % du PIB en 2005
France |
États-Unis |
Italie |
Canada |
Allemagne |
Japon |
1,8 |
1,9 |
1,8 |
1,7 |
1,6 |
1,5 |
Source : Eco santé OCDE 2007
Selon ces nouvelles statistiques, la part du PIB français consacrée aux dépenses d’achats de médicaments prescrits et à l’automédication reste à un niveau élevée mais proche de celle qu’y consacrent des pays comparables.
b) La part des dépenses de santé que consacre la France aux dépenses de médicaments est plus importante que dans la plupart des autres pays
La part des dépenses pharmaceutiques dans les dépenses de santé est en France supérieure à celle de nombreux pays de l’OCDE comparables. En 2003, les dépenses pharmaceutiques représentaient 20,9 % des dépenses de santé en France, contre 18,4 % au Japon, 16,9 % au Canada, 14,6 % en Allemagne, 12,9 % aux États-Unis, 11,4 % aux Pays-Bas, 10,5 % en Suisse, 9,8 % au Danemark et 9,4 % en Norvège (plus du double). Seules l’Italie (22,1 %) et l’Espagne (21,8 %) consacrent aux dépenses de médicaments une part des dépenses de santé proche de celle de la France.
c) Le rythme de croissance des dépenses de médicaments est élevé
Selon les données de l’OCDE, sur la période 1998-2003, la croissance annuelle moyenne des dépenses pharmaceutiques a été beaucoup plus forte en France (+ 5,8 %) qu’en Allemagne (+ 3,5 %), en Espagne (+ 3,4 %), en Italie (+ 3,2 %) et au Japon (+ 2,2 %). Elle a en revanche été sensiblement inférieure à celle des États-Unis (+ 9,6 %).
En France, sur la même période, la croissance annuelle des dépenses pharmaceutiques a été aussi nettement plus élevée (5,8 %) que la croissance de l’ensemble des dépenses de santé (3,5 %). Le rythme de croissance annuelle des dépenses pharmaceutiques est ainsi de 66 % supérieur à celui de l’ensemble des dépenses de santé. Il est aussi nettement supérieur à la croissance du PIB en valeur (+ 3,9 %).
Les données « Eco santé 2007 » de l’OCDE, concernant la période 1995-2005, fournissent de nouveaux éléments qui modifient sensiblement les résultats de la comparaison avec les pays comparables. Sur cette période, la croissance moyenne annuelle réelle des dépenses pharmaceutiques en France est ramenée à 3,1 % (au lieu de 5,8 % sur la période 1998-2003). Elle est ainsi du même ordre que celle de l’Allemagne (inchangée à 3,5 %) et de l’Italie (2,9 %) mais inférieure à celle de l’Espagne (3,4 %) et des États-Unis (7,1 %), pays dans lequel on constate un ralentissement de la progression, ces dernières années.
Par ailleurs, l’OCDE note que, depuis 1995, dans l’ensemble des pays membres de l’organisation, le montant moyen des dépenses pharmaceutiques par habitant a augmenté de plus de 50 % en valeur réelle et plus rapidement que l’ensemble des dépenses de santé.
Selon les données nationales, depuis 2003, la croissance des dépenses de médicaments en France s’est poursuivie à un rythme élevé (+ 6,4 % en 2004 et + 4,8 % en 2005), sauf en 2006.
Le ralentissement de la croissance du marché des médicaments remboursables en 2006 (+ 1,1 %) s’explique par les déremboursements ou les changements de taux de remboursement de certaines classes thérapeutiques, la montée en charge des génériques (notamment dans les classes très vendues), la diminution de 15 % des prix sur le répertoire générique et la réduction en volume des ventes de certains médicaments, laquelle résulte de la politique de maîtrise médicalisée des dépenses de l’assurance maladie.
Ce freinage aura toutefois été de courte durée, puisque, selon la CNAMTS, les remboursements de médicaments par le régime général d’assurance maladie ont à nouveau fortement augmenté en 2007, de + 4,8 %, soit au même rythme qu’en 2005.
La CNAMTS note toutefois, dans son Point d’information du 13 mars 2008, que, sous l’effet de la maîtrise médicalisée, du développement des génériques et des baisses de prix, la croissance enregistrée en 2007 a été deux fois moins élevée que celle observée au début des années 2000 (+ 8,8 % en 2001).
d) Les nouveaux produits « tirent » la croissance du marché
L’âge des produits a une incidence importante sur le dynamisme des ventes pharmaceutiques. Ce sont les nouveaux produits qui constituent l’essentiel de la croissance des dépenses de médicaments.
Nouveaux produits et nouvelles présentations
La nouveauté réside soit dans la mise sur le marché de nouveaux médicaments qui n’existaient pas l’année précédente soit dans une présentation générique ou encore dans de nouvelles présentations de produits qui existaient déjà et peuvent prendre la forme de nouvelles associations, de nouvelles formes d’administration, de contenances ou de dosages différents d’un même produit.
En 2006, les produits mis sur le marché depuis moins de dix ans, qui représentent 51 % des médicaments remboursables, ont contribué à 8,7 points de la croissance des ventes. Par ailleurs, ce sont les produits de moins de deux ans qui apportent la plus forte contribution et « tirent » le marché. Inversement, les médicaments qui ont été mis sur le marché il y a plus de dix ans ont un impact négatif sur les ventes globales (-7,7 points).
Par ailleurs, la CNAMTS indique qu’en 2007 les dépenses de médicaments de moins de trois ans ont représenté une dépense de près de 1,4 milliard d’euros et ont contribué pour 85 % à la croissance totale des dépenses de médicaments. Seulement un tiers de cette augmentation est lié à des innovations thérapeutiques importantes (ASMR de niveau 1,2 ou 3). Le reste des dépenses supplémentaires est imputable pour 45 % à des molécules qui ne présentent pas ou peu d’amélioration du service médical rendu et à hauteur de 25 % à des traitements transférés de l’hôpital vers la ville (en grande partie des anti-cancéreux).
En 2006, le dynamisme des nouvelles présentations s’explique surtout par l’arrivée de conditionnements de trois mois pour des produits déjà existants. Un décret du 16 décembre 2004 prévoit en effet, pour le traitement des affections de longue durée, la possibilité de délivrer des médicaments pour une période de trois mois.
e) Une boîte de médicaments vendue sur cinq est un produit générique
En 2006, plus d’une présentation remboursable sur trois était une présentation générique, recensée au répertoire de l’AFSSAPS. Les génériques représentaient 9 % des ventes globales de médicaments et 18 % du nombre total de boîtes vendues.
Cet écart provient des différences de prix entre médicaments princeps et génériques. Il faut en effet rappeler que, depuis février 2006, un médicament générique ne peut être commercialisé que si son prix est inférieur de 50 % au prix du princeps.
Médicaments génériques et princeps en 2006
Génériques |
Princeps génériqués |
Autres médicaments |
Total | |
Nombre de présentations (%) |
38 |
6,5 |
55 |
100 |
Part de marché 2006 (%) |
9 |
11 |
80 |
100 |
Taux de croissance 2006 (%) |
11,4 |
- 33,4 |
7,7 |
0,94 |
Sources : GERS, AFSSAPS, traitement DREES.
La croissance des ventes de génériques s’est poursuivie en 2006 à un rythme élevé (+ 11,4 %) quoique moins soutenu qu’en 2005 (+ 24,2 %).
Toutefois, la part des génériques dans le total des ventes reste encore modeste en France, en comparaison avec d’autres pays européens. Par exemple, aux Pays-Bas, en 2005, une boîte de médicaments vendue sur deux était une boîte de médicaments génériques.
La pénétration des génériques sur le marché du médicament est inégale : sur 348 classes thérapeutiques, seules 85 comptaient des présentations génériques, en 2006.
Mais les classes thérapeutiques dans lesquelles la part des génériques est la plus importante ont peu d’impact sur la croissance globale du marché. En effet, il s’agit pour la plupart de classes dans lesquelles les présentations génériques sont apparues depuis plusieurs années et qui semblent donc avoir atteint leur part de marché maximale. Elles traitent principalement les affections des appareils digestif, locomoteur et cardiovasculaire. S’y retrouvent également des anti-infectieux par voie générale.
Par ailleurs, la mise en œuvre, depuis 2003, du tarif forfaitaire de responsabilité (TFR), qui permet de rembourser les médicaments appartenant à un groupe générique sous TFR au prix des médicaments génériques, favorise la baisse des prix des princeps. En outre, dans les groupes soumis au TFR, les ventes de génériques se substituent progressivement aux princeps et, en deux ou trois ans, prennent le pas (c’est-à-dire représentent plus de la moitié des ventes) sur celles de ces derniers.
En 2006, les 126 groupes génériques soumis au TFR représentaient 2,2 % des ventes du marché global des médicaments et 12,4 % des ventes de l’ensemble des groupes génériques (soumis ou non au TFR).
f) La tendance à l’augmentation des dépenses de médicaments devrait se poursuivre
L’augmentation des dépenses de santé est le résultat des effets cumulés des deux types de causes. Les causes liées aux soins : les progrès du dépistage, de la médecine prédictive, des techniques et des pratiques médicales et les nouveaux médicaments. Les causes liées aux patients : l’évolution de la morbidité liée à la démographie et à l’émergence de pathologies nouvelles, les attentes et les exigences des usagers, les modes de consommation des soins.
Aussi, dans les années à venir, sous l’effet du vieillissement de la population et, si rien n’est fait, de l’augmentation des admissions en ALD conjuguée à l’allongement de la durée des traitements, la dépense de médicaments devrait continuer de croître. L’utilisation de nouveaux médicaments plus coûteux que les anciens, tirée par certains produits réellement innovants mais aussi par les politiques industrielles et commerciales des laboratoires qui poussent au renouvellement et à la diffusion rapide des produits pour contourner les mesures de maîtrise, pourrait aussi contribuer à pousser la dépense à la hausse. On peut s’interroger sur le point de savoir si cette tendance au renchérissement du coût des médicaments est inévitable.
Pour sa part, la CNAMTS prévoit une croissance des dépenses de santé et de médicaments de 50 %, d’ici 2015.
La croissance des dépenses de médicaments est par ailleurs l’une des principales causes de l’augmentation des dépenses de santé. Cependant, il faut souligner que la relation entre les deux termes est complexe. Ainsi, une augmentation accrue des dépenses pharmaceutiques pour soigner des maladies qui autrement nécessiteraient une hospitalisation et une intervention coûteuses, peut conduire à une réduction des dépenses globales de santé.
Quoi qu’il en soit, la forte consommation française de médicaments génère des coûts croissants qui sont très largement pris en charge par l’assurance maladie et les organismes de protection sociale complémentaire.
2. Les médicaments remboursés représentent la quasi-totalité de la consommation et l’automédication est peu développée
La prise en charge des médicaments par l’assurance maladie permet de garantir, en principe, l’accès de tous à tous les médicaments qui répondent à des exigences minimales de service rendu.
En 2006, le chiffre d’affaires du médicament remboursable s’est élevé à 18,1 milliards d’euros (en prix fabricant hors taxes). Ces dépenses représentent environ un tiers des dépenses de médecine de ville et « tirent » la croissance des soins de ville.
a) 90 % des médicaments consommés font l’objet d’une prise en charge par l’assurance maladie
Les médicaments pris en charge par l’assurance maladie représentent la quasi-totalité du marché puisque 90 % des unités et près de 93 % du marché (en chiffre d’affaires au prix fabricant) sont remboursables par les régimes sociaux.
Selon l’OCDE, en 2005, la part des dépenses totales de santé financées sur fonds publics est de 80 % en France, soit un niveau supérieur à celui de pays comparables (Allemagne et Italie 77 %, Espagne 71 %, Pays-Bas 66 %, Suisse 60 %, États-Unis 45 %), à l’exception du Royaume-Uni (87 %).
En revanche, la part des dépenses pharmaceutiques (délivrées sur ordonnance et en automédication) financées sur fonds publics en France s’élève à 69 %, soit un niveau un peu inférieur à celui de l’Allemagne et de l’Espagne (73 %), mais nettement supérieur à celui des États-Unis (24 %), de l’Italie (50 %) et des Pays-Bas (57 %).
Mais le financement public des produits pharmaceutiques (prescrits et d’automédication) est sensiblement moins important que pour les autres services médicaux, en France (69 % contre 86 %), comme dans les autres pays de l’OCDE. Cela traduit l’orientation commune aux différents pays consistant à assurer une meilleure prise en charge des dépenses hospitalières par des financements publics par rapport aux dépenses de santé de ville.
Le marché des médicaments remboursables
et médicaments non remboursables en 2005 et 2006
Médicaments non remboursables |
Médicaments remboursables au taux de : |
Total marché | ||||
15 % |
35 % |
65 % |
100 % | |||
Nombre de présentations en 2005 |
2 596 |
0 |
1 484 |
4 377 |
256 |
8 713 |
Nombre de présentations en 2006 |
2 839 |
92 |
1 217 |
5 019 |
280 |
9 447 |
Part de marché 2005 |
6,8 % |
0 % |
16,7 % |
70 % |
6,5 % |
100 % |
Part de marché 2006 |
8,0 % |
1,2 % |
12,4 % |
70,6 % |
7,8 % |
100 % |
Chiffre d’affaires 2006 (milliards d’€) |
1,56 |
0,23 |
2,44 |
13,81 |
1,53 |
19,57 |
Source : GERS, traitement DREES.
Le marché pharmaceutique français (médicaments non remboursables compris) se compose principalement de médicaments remboursés par la sécurité sociale à 65 %. En 2006, les présentations remboursées à 65 % représentent plus d’une présentation sur deux et concentrent 71 % des ventes. Ces présentations restent donc celles qui ont l’impact le plus dynamique même si leur contribution se réduit d’années en années.
Cette situation s’explique notamment par le fait que la quasi-totalité des médicaments qui obtiennent une autorisation de mise sur le marché sont admis au remboursement (96 %), et que 87 % le sont au taux de 65 %. Pourtant, plus de la moitié des médicaments évalués chaque année (58 % en 2005, 54 % en 2006) n’apportent pas d’amélioration du service médical rendu.
Environ 0,5 % des médicaments prescrits sont remboursés à 100 % mais ils représentent près de 10 % des dépenses de remboursement.
Par ailleurs, les médicaments dont le prix est supérieur à 30 euros la boîte représentent près de 15 % des 5 000 médicaments remboursés par l’assurance maladie. Ils correspondent à 5,5 % des médicaments prescrits mais génèrent 44 % des dépenses de remboursement de médicaments en 2006 (contre 40 % en 2005).
En outre, toujours en 2006, les médicaments de plus de 15 euros représentaient près de 67 % des dépenses de remboursement de médicaments (42 % en 2000 et 63,5 % en 2005).
Le marché des médicaments remboursables est dominé par un nombre restreint de produits et de classes thérapeutiques. En 2006, sur les 348 classes thérapeutiques comprenant des médicaments remboursables, 25 concentraient 49 % du chiffre d’affaires global.
Ces données sur les remboursements traduisent à nouveau la tendance à la concentration de la dépense de médicaments sur le traitement des ALD et sur des produits de plus en plus chers.
b) Il est encore trop tôt pour évaluer les effets de la franchise sur la consommation des médicaments
À partir du 1er janvier 2008, une franchise médicale s’applique sur les boîtes de médicaments, les actes paramédicaux et les transports sanitaires. Le montant de la franchise est de 50 centimes d’euro par boîte de médicaments ou toute autre unité de conditionnement (flacon…), de 50 centimes d’euro par acte paramédical et de 2 euros par transport sanitaire. La franchise est plafonnée à 50 euros par an, au total, par assuré.
La franchise sur les médicaments concerne tous les médicaments allopathiques ou homéopathiques et les préparations magistrales. Elle ne s’applique qu’aux médicaments remboursés par l’assurance maladie. Elle n’est donc pas applicable aux médicaments achetés sans prescription médicale et ne concerne pas l’automédication. En outre, dans le cadre de sa politique de prévention, l’assurance maladie a décidé de ne pas appliquer la franchise et de maintenir la prise en charge à 100 % du vaccin anti-grippal pour les personnes de plus de 65 ans et du vaccin contre la rougeole (ROR) pour les enfants de moins de 13 ans.
Le prix des médicaments remboursables payé en officine n’est pas affecté par la franchise. Le montant de la franchise est déduit du remboursement effectué par l’assurance maladie pour la boîte de médicaments achetée. En cas de tiers payant, la franchise est déduite sur un remboursement ultérieur. Il y a donc un décalage entre la date de l’acte et la date de prélèvement de la franchise. Dans la quasi-totalité des cas, les mutuelles et assurances complémentaires ne prévoient pas la prise en charge des franchises.
Cependant, environ un Français sur quatre est exonéré de la franchise : les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire, les femmes enceintes et les enfants. Par ailleurs, les personnes en difficulté qui sont assujetties à la franchise peuvent demander à bénéficier d’une aide sociale financée par le fonds d’action sociale de la sécurité sociale.
Compte tenu du décalage des remboursements, la CNAMTS estimait que pour le mois de janvier 2008 il était difficile d’évaluer précisément l’impact éventuel des franchises sur les volumes de soins de ville. Pour le premier mois de l’année 2008, le montant de la franchise s’est, au total, élevé à 69 millions d’euros. Dans sa note d’actualité concernant le mois de février 2008, la CNAMTS souligne la tendance à la croissance modérée des dépenses de soins de ville remboursées par le régime général observée depuis plusieurs mois, notamment en raison d’un contexte épidémique plus favorable qu’en 2007. Dans ce contexte, le poste médicaments est en diminution sensible : - 3,6 % (en données corrigées des jours ouvrables et des variations saisonnières). La CNAMTS ajoute que « l’évolution du poste médicaments traduit en particulier la mise en place des franchises médicales depuis le 1er janvier ». Mais elle ne fournit pas davantage de précisions. Il faudra attendre de connaître les données du premier trimestre 2008 pour pouvoir procéder à une première évaluation de l’impact de la franchise sur la prescription et la consommation de médicaments.
L’instauration de la franchise vise notamment à responsabiliser les patients sur leur consommation de soins. Cependant, plusieurs personnes auditionnées par la Mission ont estimé que la franchise ne permettra pas d’infléchir durablement la consommation de médicaments. Leur prévision est qu’elle pourrait entraîner une réduction passagère liée à l’utilisation des médicaments stockés dans les armoires à pharmacie familiales, avant que la consommation ne retrouve le niveau et le rythme antérieur de progression. Par ailleurs, le risque de voir certains malades refuser ou retarder le recours aux soins et aux médicaments a été évoqué qui pourrait entraîner l’aggravation de certaines pathologies et, finalement, une consommation de soins accrue.
La MECSS souhaite que soit assuré l’égal accès aux médicaments et que soit prévu un suivi précis des effets de l’instauration de la franchise sur la prescription et la consommation de médicaments. La Mission souhaite que l’évaluation permette notamment de prendre la mesure d’éventuels retards dans le recours aux médicaments par les patients et de leurs conséquences sanitaires. La MECSS souhaite aussi que soient évalués les effets de la franchise sur le développement des médicaments génériques.
c) Les médicaments consommés sont, pour l’essentiel, soumis à prescription médicale obligatoire
Les médicaments consommés peuvent être soumis à prescription médicale obligatoire (PMO), faire l’objet d’une prescription médicale facultative (PMF) ou être autoconsommés, c’est-à-dire être directement achetés en officine par le consommateur, sans prescription médicale. L’essentiel des médicaments consommés en France est constitué de produits à prescription médicale obligatoire, lesquels sont pratiquement tous remboursables, puisque seulement 1 % des unités et 2 % du chiffre d’affaires ne le sont pas.
En 2005, les médicaments PMO ont représenté 55 % du marché total en volumes mais 81 % en valeur.
Les produits à prescription médicale facultative ont donc représenté 45 % du marché total en volume (1,4 milliard de boîtes) mais seulement 19 % du chiffre d’affaires (3,6 milliards d’euros). Cependant, l’immense majorité des produits de prescription médicale facultative est remboursable : 80 % en unités et 75 % en valeur.
Cette situation est spécifique à la France, puisque dans de nombreux pays on assimile totalement ou largement prescription médicale facultative et médicaments non remboursables.
Répartition du marché des médicaments selon l’obligation de prescription
et le taux de remboursement (chiffre d’affaires 2005 - prix fabricants hors taxes en millions d’euros)
Vignette |
Prescription obligatoire |
Prescription facultative |
TOTAL |
Non remboursable |
366 |
941 |
1 308 |
15 % |
0 |
344 |
344 |
35 % |
1 415 |
1 464 |
2 879 |
65 % |
12 618 |
867 |
13 486 |
100 % |
1 263 |
0 |
1 263 |
Total |
15 662 |
3 617 |
19 279 |
Source : données GERS ; exploitation secrétariat général du HCAAM
On peut ainsi constater que :
– d’une part, la prescription est le mode privilégié d’accès au médicament ;
– d’autre part, les médicaments prescrits sont presque toujours remboursables.
Cela traduit, fort logiquement, la préférence partagée par les médecins et les patients pour les médicaments prescrits et remboursables.
d) L’automédication occupe une place limitée et stagne
Le rapport sur la situation de l’automédication en France et les perspectives d’évolution, remis au gouvernement par MM. Alain Coulomb et Alain Baumelou, en janvier 2007, souligne que le marché de l’automédication français se distingue de celui des pays voisins européens par sa faible importance, en valeur comme en volume, et par sa faible dynamique.
En 2005, les médicaments d’automédication ont représenté près d’un cinquième des unités de médicaments vendues en ville (17 %) mais seulement moins d’un dixième du chiffre d’affaires total (8 %). Cet écart s’explique par le fait que les médicaments d’automédication sont en moyenne moins chers que les médicaments remboursables.
Source : rapport sur la situation de l’automédication en France et les perspectives d’évolution, janvier 2007.
En 2006, selon la DREES, les ventes de médicaments non remboursables, prescrits ou non, ont représenté 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires. En outre, les médicaments non remboursables regroupaient un nombre important de présentations : 2 840 (en augmentation de près de 10 % en 2006), soit près d’un tiers du total des présentations de médicaments.
En 2007, selon les données d’IMS Health, le chiffre d’affaires de l’automédication s’est élevé à 1,9 milliard d’euros et a connu une progression de 4,4 % par rapport à 2006. L’automédication représentait 423 millions d’unités vendues (en augmentation de 4,1 %), soit une part de marché de 13,2 % en volume. Le prix public moyen des médicaments d’automédication s’élevait à 4,56 euros par boîte. Comme pour les produits remboursables, c’est l’innovation qui tire la croissance du secteur. Ainsi, les 95 nouveaux produits lancés en 2007 ont contribué à hauteur de 61 % à l’augmentation du chiffre d’affaires. En outre, les dix premières marques de médicaments d’automédication représentent un cinquième du chiffre d’affaires des produits à prescription médicale facultative non remboursables.
Cependant, le rapport Coulomb-Baumelou précité indique qu’entre 2000 et 2005, alors que le marché pharmaceutique total a évolué de 5,9 % par an en valeur et de 0,7 % en volume, le marché des médicaments PMF a stagné tant en valeur qu’en volume et que la part des PMF est en recul constant.
Cette stagnation des médicaments de PMF résulte, d’une part, d’un accroissement des ventes de médicaments remboursés au sein des PMF, d’autre part, d’une régression de l’automédication (- 2,1 % en volume et - 1 % en valeur).
La comparaison des cinq principaux marchés européens de l’automédication montre que la France est en dernière position après l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne.
Au total, alors que les dépenses de médicaments en France sont parmi les plus élevées de l’OCDE, celles-ci concernent peu les produits d’automédication et relativement moins que dans les autres pays européens : 27 euros par personne et par an en France, contre 60 euros en Allemagne et 40 euros au Royaume-Uni et en Italie.
e) Les effets des changements dans les conditions de remboursement sont différents selon qu’il s’agit d’une diminution du taux de remboursement ou d’un déremboursement
La politique de remboursement est un élément stratégique de pilotage du marché des médicaments. Il est donc important de connaître, à partir des expériences passées, l’impact des changements de conditions de remboursement sur la consommation de médicaments.
En ce qui concerne les produits dont les taux de remboursement sont passés de 65 % à 35 %, la réduction du taux de remboursement n’a pas entraîné une réduction de la consommation des médicaments concernés, et leur évolution tendancielle n’a pas été modifiée. En outre, la réduction du taux de remboursement n’a pas conduit à des phénomènes de substitution entre produits de la même classe. La structure de consommation de ces médicaments a finalement peu changé. De plus, les prix des produits, qui ne sont pas libres du fait de leur caractère remboursable, ont varié de façon limitée en dehors des négociations régulières. Au total, la diminution du taux de remboursement n’a pas eu d’incidence sur la consommation. Ce constat est logique dans la mesure où les couvertures complémentaires garantissent le plus souvent le remboursement total des médicaments remboursables, quelle que soit la part remboursée par les régimes obligatoires. La demande de médicaments est donc relativement peu sensible à la diminution du taux de remboursement. Toutefois, dans certains cas, on note un effet de déport de la prescription vers d’autres médicaments mieux remboursés.
En revanche, en cas de déremboursement, la consommation des produits déremboursés diminue fortement. La diminution, mesurée par le chiffre d’affaires, est encore plus nette quand on tient compte de la politique de prix des laboratoires. En effet, en cas de déremboursement, les laboratoires peuvent fixer librement les prix des produits et, en général, choisissent d’augmenter fortement les prix de ces produits. Le plus souvent, cette augmentation des prix ne permet pas de maintenir la consommation de ces produits au niveau antérieur au déremboursement. On observe même que l’augmentation des prix, qui peut être forte (par exemple de 50 %, dès le mois suivant le déremboursement), peut entraîner l’accélération du cycle de vie du produit et son déclin. En outre, dans la plupart des cas, la diminution du chiffre d’affaires des produits déremboursés semble n’induire qu’un effet de substitution limité par des produits restant remboursés au sein des mêmes classes de médicaments. Toutefois, dans certains cas, on observe un effet de substitution plus marqué des produits déremboursés par des produits innovants non remboursés par la sécurité sociale. Dans ces cas, l’aspect innovant du produit l’emporte sur son caractère non remboursable et le nouveau produit concentre sur lui les consommations des anciens produits.
3. Le fort recours aux médicaments n’est pas toujours justifié et peut entraîner des effets sanitaires néfastes
À côté du défi financier que représente la forte consommation de médicaments, celle-ci recouvre aussi des enjeux de santé publique importants.
a) La surconsommation médicamenteuse française n’apparaît pas pleinement justifiée au regard des indicateurs de morbi-mortalité
Si, globalement, les indicateurs de santé de la France sont favorables, ils ne sont pas forcément meilleurs que ceux des pays comparables qui dépensent moins pour leur santé et consomment moins de médicaments.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, a ainsi remarqué, lors de son audition par la MECCS, le 12 février 2008 : « Tout le monde reconnaît que la consommation de médicaments par les Français n’est pas en corrélation avec nos performances en matière de morbidité et de mortalité. »
Cependant, les résultats d’une étude académique du Commonwealth Fund, publiée au mois de janvier 2008, et réalisée dans 19 pays à niveau de prise en charge de la santé comparable à la France, montre que notre pays est placé en première position pour la guérison des maladies curables. Il est bien évidemment difficile de distinguer ce qui, dans ce résultat, est imputable à l’organisation du système de soins, à la compétence des médecins, à la meilleure observance des traitements par les patients ou à d’autres facteurs comme l’importance de la consommation de médicaments.
b) La surconsommation de médicaments peut avoir des effets négatifs en termes de santé publique
Le mauvais usage du médicament peut se traduire par une quantité excessive, une qualité inadaptée ou encore par la non-observance du traitement prescrit par le médecin. Le mésusage peut entraîner des risques de iatrogénie et d’accidents liés à la prise de médicaments. Cela peut même conduire au développement de résistances et à une perte d’efficacité du médicament, comme dans le cas des antibiotiques.
Actuellement, il est estimé que la iatrogénie médicamenteuse est responsable de 130 000 hospitalisations par an, ce qui représente 5 à 10 % des hospitalisations au total. Or, il est considéré que 40 à 60 % de ces événements iatrogènes, qui sont d’origines diverses, sont évitables.
La population des plus de 65 ans est la plus exposée, notamment en raison du nombre important mais souvent nécessaire de médicaments qu’elle consomme. En effet, parmi les 10 millions de personnes âgées de 65 ans ou plus, environ 1,5 million consomment quotidiennement sept médicaments ou plus de classes thérapeutiques différentes.
Par ailleurs, en France, la résistance aux antibiotiques est un important problème de santé publique. Avec plus de 30 doses d’antibiotiques par jour pour 1 000 habitants, la France consomme deux fois plus d’antibiotiques que l’Allemagne et le Royaume Uni et trois fois plus que les Pays-Bas. Cette consommation est aussi la plus importante des pays européens pendant les mois d’hiver, période de recrudescence des affections hivernales. Elle augmente de 33 % à cette période contre 20 % au maximum dans les pays du nord (Suède, Danemark, Norvège). Cette forte consommation d’antibiotiques a une conséquence regrettable : la France est le pays européen où les phénomènes de résistances aux antibiotiques sont les plus élevés. Cette situation est susceptible d’entraîner une perte d’efficacité des antibiotiques et des pertes de chance de guérison pour les patients.
Partant de ce constat sur le modèle de surconsommation français de médicaments, la MECSS a souhaité formuler un ensemble cohérent de propositions concernant les différents acteurs de la chaîne du médicament pour faire évoluer les comportements de prescription et de consommation dans le sens du bon usage.
II.- AMÉLIORER L’ENCADREMENT DE LA VIE DU MÉDICAMENT ET RENFORCER LA SÉLECTIVITÉ DE L’ACCÈS AU REMBOURSEMENT
En France, compte tenu des caractéristiques du médicament, c’est-à-dire son utilité en matière de soins et sa dangerosité potentielle, la mise sur le marché ainsi que la distribution et la dispensation sont strictement encadrées. De même, en raison de la prise en charge collective d’une grande partie du coût des médicaments remboursables, ceux-ci relèvent d’un régime de prix administrés et l’admission au remboursement est décidée par l’État ainsi que le niveau de remboursement.
Des améliorations pourraient être apportées tant en matière de mise sur le marché qu’en ce qui concerne l’admission au remboursement et le suivi des médicaments en pratique médicale réelle.
A. AMÉLIORER L’ENCADREMENT DE LA VIE DU MÉDICAMENT
1. Le circuit administratif du médicament est complexe
a) Le chemin est long, du fabricant au consommateur
Le médicament n’est pas un produit comme les autres. En raison de sa nature et du fait qu’il est généralement pris en charge par la collectivité, il fait l’objet d’un encadrement de sécurité sanitaire et de conditions de mise sur le marché et de vente spécifiques.
Pour être commercialisé en France, un médicament doit avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM), délivrée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ou par l’Agence européenne d’évaluation du médicament (EMEA). L’AMM résume les caractéristiques du médicament, sa composition, les maladies qu’il est destiné à soigner ou à prévenir, son mode d'action et ses limites d'utilisation.
La Commission de la transparence, constituée, au sein de la Haute Autorité de santé (HAS), de médecins hospitaliers, de médecins généralistes et de pharmaciens, évalue ensuite, indication par indication, le service médical rendu (SMR) et l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par le médicament.
La décision d’inscription sur la liste des spécialités remboursables est prise par le ministre en charge de la santé au vu de l’avis rendu par la Commission de la transparence.
Le prix des médicaments remboursables par l’assurance maladie est fixé par le Comité économique des produits de santé (CEPS) en fonction de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) et après négociations avec les laboratoires qui les produisent.
Les taux de remboursement sont fixés par l’UNCAM, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie. Ils varient en fonction du service médical rendu (SMR), tel qu’apprécié par la Commission de la transparence :
– médicaments irremplaçables et coûteux (vignette blanche et barrée) : 100 % ;
– médicaments dont le service médical rendu a été considéré comme majeur ou important (vignette blanche) : 65 % ;
– médicaments destinés au traitement des affections sans caractère habituel de gravité ou dont le service médical rendu n’a pas été considéré comme majeur ou important (vignette bleue) : 35 % ;
– médicaments destinés au traitement de certaines affections sans caractère de gravité et dont le service médical rendu est jugé insuffisant : 15 % (taux créé à titre provisoire jusqu’au 1er janvier 2008 pour certains médicaments antérieurement mieux remboursés mais désormais classés à SMR insuffisant à la suite de leur réévaluation).
La somme qui reste à la charge de l’assuré social après le remboursement par l’assurance maladie est le ticket modérateur. Celui-ci peut être remboursé par une mutuelle ou une assurance complémentaire.
En cas d'affection grave et de longue durée (ALD) inscrite sur une liste officielle de trente maladies, les médicaments destinés à soigner cette maladie peuvent être remboursés au taux de 100 %, quelle que soit leur catégorie. C’est également le cas pour d’autres maladies graves, lorsqu’elles sont déclarées « hors liste » par un médecin conseil de l’assurance maladie.
Le prix des médicaments non remboursables est libre et peut donc varier d’une pharmacie à l'autre.
Les médicaments disponibles sur ordonnance (médicaments à prescription médicale obligatoire : PMO) sont les médicaments présentant des difficultés d'emploi ou des risques en cas d'utilisation inappropriée. Ils sont inscrits sur deux listes distinctes : la liste I ou la liste II. Ils ne peuvent être obtenus que sur prescription d’un médecin, d’un dentiste ou d’une sage-femme.
En France, les médicaments sont tous vendus au public dans des pharmacies (officines et pharmacies hospitalières), qu’ils soient disponibles sur ordonnance ou non. Les médicaments PMO inscrits sur la liste I ne peuvent être délivrés qu’une seule fois par le pharmacien, sauf si le médecin mentionne expressément la possibilité d’un renouvellement sur son ordonnance. La délivrance des médicaments PMO inscrits sur la liste II peut être renouvelée pendant six mois, même si le médecin ne le mentionne pas. À chaque renouvellement, le pharmacien ne délivre que la quantité nécessaire à un mois de traitement, sauf dans le cas des contraceptifs.
Les médicaments dont la prescription par un médecin n’est pas obligatoire (les médicaments sans ordonnance ou à prescription médicale facultative : PMF), souvent utilisés dans le cadre de l’automédication, sont soumis aux mêmes règles de surveillance que les médicaments à prescription obligatoire.
Les médicaments à prescription médicale obligatoire sont en principe remboursables. Certains médicaments à prescription médicale facultative sont remboursables, d’autres ne le sont pas.
b) En France, la régulation du médicament est répartie entre plusieurs acteurs
Les acteurs intervenant dans la régulation du secteur du médicament sont nombreux. Les compétences sont éclatées et le circuit administratif du médicament remboursable est complexe.
La France a fait le choix, confirmé avec la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, d’une organisation complexe de la régulation du secteur du médicament qui pose certains problèmes de pilotage et de coordination.
Dans une note de veille sur l’État et les agences, de janvier 2008, le Centre d’analyse stratégique (CAS) soulignait, en faisant référence aux agences sanitaires du type de l’AFSSAPS, à laquelle est délégué l’octroi des autorisations de mise sur le marché des médicaments, le risque de « tutelle inversée ». La note du CAS indique notamment : « Il est peut-être difficile pour les 300 fonctionnaires de la direction générale de la santé de coordonner et de piloter l’action des sept agences mentionnées quand les seuls effectifs cumulés des deux principales (l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) s’élèvent déjà à 2 000 agents. »
Par ailleurs, le conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril 2008 a décidé de regrouper les agences sanitaires nationales en pôles cohérents correspondant à leurs grandes missions. L’objectif est de simplifier les conditions de pilotage par l’État des agences, de renforcer leurs capacités d’expertise interne, de réduire les risques de redondance entre elles et de rendre plus lisible l’ensemble du dispositif.
Le même conseil de modernisation a également décidé de réorganiser l’administration centrale de la santé et de la solidarité et, à cet effet, de clarifier le rôle et la position de certaines missions et délégations, cette clarification pouvant aller jusqu’à la ré-internalisation de certaines missions au sein des directions d’administration centrales.
c) D’autres pays ont un système de régulation plus regroupé
L’organisation française de la régulation du médicament est proche de celle qui prévaut en Grande-Bretagne. En revanche, d’autres pays comme la Belgique ont fait le choix de confier à une instance unique le soin de veiller à la qualité, la sécurité et l’efficacité des médicaments, de leur conception à leur emploi, dans l’intérêt de la santé publique. Placée au niveau fédéral, la direction belge du médicament regroupe ainsi les fonctions recherche et développement, la mise sur le marché des médicaments, la vigilance sur leur utilisation, le contrôle de la production et de la distribution, ainsi que le contrôle de la publicité, de l’information et du bon usage des médicaments.
Quelle que soit l’organisation, l’objectif est d’assurer la sécurité des médicaments et leur bon usage. Cela suppose, en premier lieu, de veiller à l’indépendance des experts en charge de vérifier le respect des conditions de mise sur le marché des produits.
2. Veiller au bon usage des procédures dérogatoires de mise sur le marché et de prescription
Comme cela a été rappelé, en principe, pour être commercialisés, tous les médicaments doivent faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché. Toutefois, certains médicaments ne disposant pas d’AMM peuvent être exceptionnellement commercialisés en obtenant une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Par ailleurs, les médicaments disposant d’une AMM peuvent être prescrits en dehors des indications de l’autorisation.
Ces deux pratiques qui ont pour objet de contourner l’AMM et tendent à se développer devraient être mieux contrôlées.
a) Veiller au bon usage de l’autorisation temporaire d’utilisation
Une ATU peut être délivrée par l’AFSSAPS à des médicaments nouveaux qui sont autorisés à l’étranger ou encore en cours de développement. Elles sont délivrées aux spécialités destinées à traiter, prévenir ou diagnostiquer des maladies graves ou rares, lorsqu’il n’existe pas de traitement approprié, et que leur efficacité et leur sécurité d'emploi sont présumées en l'état des connaissances scientifiques.
Il existe deux types d’autorisation temporaire d’utilisation. L’ATU nominative est délivrée pour un seul malade nommément désigné, à la demande et sous la responsabilité du médecin prescripteur. L’ATU de cohorte concerne un groupe de patients, traités et surveillés suivant des critères définis dans un protocole d’utilisation thérapeutique et de recueil d’informations. Elle est délivrée à la demande du titulaire des droits d’exploitation, qui s'engage à déposer une demande d’AMM dans un délai fixé.
Ce dispositif, mis en place en France depuis 1994, concerne plusieurs centaines de spécialités pharmaceutiques et a permis le traitement par de nouveaux médicaments, plusieurs mois avant leur AMM, de plusieurs dizaines de milliers de patients en situation d’échec thérapeutique. En 2004, plus de 24 000 ATU nominatives concernant plus de 180 spécialités ont été octroyées par l’AFSSAPS.
En outre, le prix des médicaments disposant d’une autorisation temporaire d’utilisation est libre. Il est tout de même prévu la possibilité de récupérer tout ou partie de la différence entre le prix pratiqué sous le régime de l’ATU et le prix fixé par le CEPS après l’AMM. Cependant, pour certains médicaments, le délai pour passer de l’ATU à l’AMM est particulièrement long et peut atteindre sept ans.
La MECSS souhaite donc que la procédure dérogatoire de l’ATU ne soit pas utilisée pour contourner l’AMM et que le délai entre l’ATU et l’AMM soit le plus court possible.
b) Contrôler et évaluer les prescriptions hors autorisations de mise sur le marché (AMM)
Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) définit les conditions d’utilisation du médicament. En principe, les prescriptions de médicaments en dehors des indications de l’AMM ne peuvent donc être admises au remboursement. Cependant, on estime que les prescriptions hors AMM pourraient représenter 15 % à 20 % du total des prescriptions. Les prescriptions hors AMM peuvent résulter d’erreurs de prescription mais aussi du délai de mise à jour de l’AMM en fonction de nouvelles données scientifiques ou du refus des laboratoires de modifier l’AMM pour éviter le coût des essais.
À l’hôpital, avec la mise en place de la tarification à l’activité, la prescription hors AMM de médicaments innovants et coûteux a été autorisée dans le cadre de protocoles thérapeutiques définis par l’AFSSAPS, la HAS ou l’Institut national du cancer (INca).
Depuis 2007, un dispositif dérogatoire analogue est prévu pour la médecine de ville. Lorsque, pour le traitement d’une affection de longue durée, il n’existe pas d’alternative appropriée, tout médicament utilisé hors AMM peut faire l’objet d’un remboursement pour une durée limitée et dans le cadre d’un avis ou d’une recommandation de la HAS pris après consultation de l’AFSSAPS.
Il convient de s’assurer que les nouvelles règles de prescription hors AMM ne sont pas utilisées par les laboratoires pour contourner l’AMM.
À cet effet, la MECSS souhaite que les prescriptions hors AMM en médecine de ville soient contrôlées et qu’il soit procédé à une évaluation de l’impact médico-économique de ces prescriptions, en particulier de celles effectuées dans le cadre du dispositif dérogatoire. La Mission considère que sur la base des résultats de l’évaluation, un renforcement de l’encadrement des prescriptions hors AMM pourrait, le cas échéant, être envisagé. La MECSS souhaite également que la HAS agisse auprès des médecins, aussitôt après que le médicament est mis sur le marché, afin d’éviter l’installation d’usages non conformes aux indications de l’AMM.
B. RENFORCER LA SÉLECTIVITÉ DE L’ACCÈS AU REMBOURSEMENT
1. Renforcer les règles de l’admission au remboursement et de fixation du prix
a) Recourir au critère de l’intérêt de santé publique pour l’appréciation du service médical rendu (SMR)
Actuellement, le système d’admission au remboursement des médicaments, fondé sur l’appréciation du SMR, est peu sélectif. La quasi-totalité des médicaments qui obtiennent une AMM sont admis au remboursement (96 %). En 2006, seules 16 spécialités ont été considérées comme ayant un SMR insuffisant au stade de la première inscription au remboursement, soit 3,5 % de l’ensemble des SMR attribués. En outre, la plupart des médicaments (87 % en 2006) se voient attribuer un SMR important qui ouvre droit à un remboursement à 65 %.
Cette situation est due au fait que le SMR est principalement apprécié en fonction de l’efficacité et des effets indésirables du médicament, c’est-à-dire de son intérêt clinique. Le critère d’admission au remboursement fondé sur l’intérêt de santé publique, c’est-à-dire l’intérêt pour la collectivité (impact du médicament sur l’état de santé de la population, réponse apportée à un besoin de santé publique et impact du médicament sur le système de santé) pourtant prévu pour l’appréciation du SMR, est peu utilisé en pratique. La prise en compte effective du critère d’intérêt de santé publique permettrait de donner une dimension collective à l’appréciation du SMR et à l’admission au remboursement et irait dans le sens d’une meilleure analyse médico-économique. Cette évolution devrait être aussi l’occasion de clarifier la notion de SMR insuffisant ; celui-ci devrait signifier soit que l’intérêt clinique du médicament est insuffisant, soit que l’intérêt qu’il présente pour la santé publique n’est pas suffisant pour justifier une prise en charge par la collectivité.
La concrétisation du projet de réforme de l’appréciation du service médical attendu (lors de l’évaluation initiale) ou rendu (lors d’une réévaluation) par le médicament qui prévoit trois niveaux de cotation – important, modéré et mineur – pourrait permettre d’aller dans le sens souhaité puisqu’il est prévu qu’en cas de service médical mineur, le médicament ne peut être inscrit sur la liste des médicaments remboursables.
M. Didier Houssin, directeur général de la santé, a indiqué, lors de son audition par la MECSS, partager le constat de l’insuffisante sélectivité de l’admission au remboursement des médicaments. Il a souhaité que la dimension médico-économique et l’intérêt de santé publique soient mieux pris en compte par la Commission de la transparence. En outre, après avoir souligné que la Commission de la transparence se distingue trop peu de la Commission d’AMM, il a évoqué la possibilité, d’une part, de transférer la compétence actuelle de la Commission de la transparence à la Commission d’AMM, d’autre part, de confier à la HAS ou à une nouvelle structure l’appréciation de l’intérêt de santé publique.
La MECSS souhaite une meilleure sélectivité dans l’admission au remboursement des médicaments. À cet effet, elle préconise le recours au critère de l’intérêt de santé publique pour l’appréciation du SMR, dans l’attente d’une réforme plus globale.
Par ailleurs, la Mission souhaite que des contrôles puissent être effectués en ce qui concerne le respect des règles relatives aux indications remboursables et aux indications non remboursables pour lesquelles l’ordonnance doit, en principe, porter la mention « NR » (non remboursable).
b) Développer les essais cliniques contre comparateurs pour l’appréciation de l’amélioration du service médical rendu (ASMR)
L’appréciation de l’amélioration du service médical rendu détermine le niveau de prix du médicament mais aussi l’admission au remboursement pour les médicaments qui n’apportent pas d’amélioration du service médical rendu mais qui apportent une économie dans le coût du traitement médicamenteux. Or, actuellement, l’appréciation de l’ASMR est le plus souvent fondée sur la seule comparaison du médicament avec un placebo et dans moins de la moitié des cas sur une comparaison avec des comparateurs. Cependant, une majorité des médicaments qui sont évalués par la Commission de la transparence n’apportent pas d’amélioration du service médical rendu (58 % en 2005, 54 % en 2006).
La MECSS, dans le même esprit de privilégier l’admission au remboursement des médicaments qui apportent une réelle ASMR, demande que l’appréciation de l’ASMR soit fondée non seulement sur une comparaison avec un placebo mais également sur des essais cliniques contre comparateurs, lorsqu’ils existent, afin de mesurer la valeur ajoutée thérapeutique. En outre, dans un but de transparence et d’analyse des remboursements de médicaments selon leur ASMR, la Mission souhaite que soit établie une liste des médicaments classés par niveau d’ASMR.
c) Veiller à la mise en œuvre rapide de la nouvelle compétence médico-économique de la Haute Autorité de santé (HAS)
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a doté la HAS d’une compétence médico-économique.
Cet élargissement de la compétence de la HAS doit lui permettre de développer l’appréciation du rapport coût-efficacité et la transversabilité de l’approche. La HAS, à la différence de l’AFSSAPS, peut désormais procéder à des comparaisons entre le médicament et les autres possibilités thérapeutiques (chirurgie, radiothérapie…). Le médicament sera replacé dans le cadre d’une stratégie globale de prise en charge, et la HAS devrait pouvoir, au regard des évaluations médico-économiques et des analyses sur la complémentarité des stratégies thérapeutiques, recommander ou non une stratégie thérapeutique médicamenteuse.
Cela suppose que la Haute Autorité de santé mette rapidement en place les outils qui lui permettront de développer sa capacité d’analyse médico-économique. La HAS a déjà engagé la réflexion sur ce sujet. Celle-ci pourrait utilement s’inspirer des expériences étrangères, notamment celles de l’Allemagne et du Royaume-Uni qui consistent à définir des priorités concernant l’admission au remboursement et la définition du panier de médicaments pris en charge.
La HAS considère que l’intégration de la dimension économique dans la décision de santé ne peut être durablement acceptée que si elle s’inscrit dans une démarche globale de prise en compte des dimensions collectives. Pour désigner cette approche globale de l’évaluation en santé, qui intégrerait les aspects économiques, sociaux et éthiques, elle envisage de recourir à la notion d’évaluation du « service rendu à la collectivité » (SERC). Préalablement à la montée en charge de sa nouvelle compétence médico-économique, la HAS a engagé des concertations sur ce thème, au premier trimestre 2008, et elle a prévu de constituer un réseau de partenaires pour développer la culture de l’évaluation et un groupe d’experts pour définir les méthodes d’évaluation du SERC.
En outre, la HAS a prévu de mener, en 2008, des analyses médico-économiques dans le cadre de la réévaluation de plusieurs classes de médicaments : les IEC (utilisés dans le traitement de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque) et les sartans (diabète), les IPP (acidités de l’estomac) et les statines (cholestérol). Des évaluations de type SERC seront aussi engagées concernant les hormones de croissance, certaines injections intra-vitréennes pour lutter contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge et la prise en charge médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer.
Par ailleurs, un programme d’étude pluriannuel porte sur la prise en charge par les assurés de leur santé et le recours au médecin. Dans ce cadre, doivent notamment être abordées les questions relatives à la responsabilisation du patient et au développement des alternatives aux prescriptions médicamenteuses.
Afin de mettre en œuvre sa nouvelle compétence médico-économique, la HAS a annoncé, en mars 2008, la mise en place d’une nouvelle organisation qui vise à favoriser l’approche transversale et globale des sujets.
La HAS est désormais organisée pour assumer ses deux missions principales qui consistent à :
– donner un avis sur le panier de biens et services (médicaments, actes et dispositifs) et sur les actions de santé publique, en associant une approche médicale et une approche économique ;
– mettre en œuvre des actions d’amélioration de la qualité des soins, selon une approche mieux intégrée allant de la recommandation aux actions de mise en œuvre.
À cet effet, deux nouvelles directions sont mises en place :
– La direction de l’évaluation médicale, économique et de santé publique (DEMESP) est chargée de l’évaluation des médicaments, actes et dispositifs, ainsi que de la production de recommandations et de rapports d’orientation en santé publique. Le développement de l’évaluation médico-économique est l’une des priorités de cette nouvelle direction ;
– La direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (DAQSS) se voit confier la gestion de l’ensemble des dispositifs dédiés à l’amélioration des pratiques : certification, indicateurs, évaluation des pratiques professionnelles et accréditation, recommandations de bonnes pratiques et prise en charge des ALD. L’objectif est de favoriser l’optimisation du panier de biens et l’amélioration effective de la qualité et de la sécurité des soins.
La MECSS considère que la HAS, désormais dotée d’une nouvelle compétence médico-économique, devrait participer à la redéfinition régulière des contours du panier de médicaments pris en charge. Elle souhaite que la HAS conduise une réflexion sur les moyens les plus efficaces de réduire la surprescription qualitative et quantitative, les usages irrationnels et injustifiés de médicaments ainsi que la valorisation de la qualité des pratiques. Dans cet esprit, la Mission souhaite que la HAS mène rapidement ses travaux sur le développement des alternatives à la prescription de médicaments. Elle souhaite aussi que la HAS évalue mieux l’impact de ses recommandations et mette en place des tableaux de bord pour mesurer l’évolution des comportements de prescription des médicaments. La MECSS souhaite également que la HAS puisse disposer d’un corps de délégués de santé pour promouvoir le bon usage des médicaments
2. Améliorer le suivi des médicaments en pratique médicale réelle
Le suivi des médicaments après leur commercialisation reste insuffisant et les conséquences qui sont tirées de l’observation en vie réelle des médicaments sont souvent partielles et tardives.
a) Renforcer l’efficacité de la pharmacovigilance
Avant de délivrer l’AMM, l’AFSSAPS effectue une évaluation de la balance bénéfice-risque du médicament. Après la mise sur le marché, l’AFSSAPS doit surveiller le risque et le bon usage du médicament. Cette mission de pharmacovigilance de l’agence revêt une importance accrue depuis que la loi du 26 février 2007 transposant la directive européenne 2004/27/CE sur le médicament a prévu la possibilité de renouvellement de l’AMM sans limitation de durée (l’AMM est, en principe, délivrée pour cinq ans).
En fonction du résultat des réévaluations, l’AFSSAPS peut décider le retrait ou la suspension de l’AMM ou prévoir des restrictions d’indications. Cependant, parfois les décisions de l’Agence sont tardives (jusqu’à quatre ans après les résultats de l’enquête montrant les effets indésirables) ou limitée à de simples restrictions d’indications alors que l’efficacité des médicaments n’est pas avérée. En outre, la transparence sur les études de pharmacovigilance n’est pas toujours assurée ou les résultats des études sont publiés tardivement. Aussi, l’information en direction des prescripteurs n’est pas non plus toujours assurée ni le contrôle de l’application des restrictions d’indications.
En conséquence, la MECSS souhaite, d’une part que les résultats des études de pharmacovigilance soient publiés rapidement et que les décisions de suspension ou de retrait d’AMM soient prises sans retards, d’autre part que l’information sur les restrictions d’indications soit systématisée et que le contrôle de leur application soit assuré.
b) Développer l’évaluation post-autorisation de mise sur le marché
Au-delà de la stricte pharmacovigilance, les études post-AMM peuvent aussi contribuer à la réalisation de l’objectif de sécurité des médicaments. Mais, les dispositions récentes visant à renforcer les obligations dans ce domaine sont peu appliquées et l’intervention publique reste trop réduite.
Depuis fin 2005, les laboratoires sont tenus d’intégrer des plans de gestion des risques (PGR) dans le dossier d’AMM pour certains produits (nouveaux médicaments, médicaments génériques en cas de risque identifié sur le princeps, extension d’AMM avec changements significatifs des conditions d’emploi). Ces plans peuvent prévoir, à la demande de l’AFSSAPS, des études post-AMM et/ou un plan de minimisation des risques.
Des études post-AMM peuvent aussi être demandées par le CEPS en application de l’accord-cadre conclu avec le LEEM – les entreprises du médicament – en 2003, visant à les développer et à assurer leur financement. Mais, en l’absence d’un dispositif de sanction applicable, les dispositions de cet accord sont encore peu appliquées. L’article 42 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 qui visait justement à prévoir un dispositif de sanction, a été annulé par le Conseil constitutionnel pour un motif de forme. Cette disposition devra être reprise rapidement.
Pour sa part, l’AFSSAPS développe un programme d’études pharmaco-épidémiologiques mais ces dernières ne sont pas toujours publiées. Par ailleurs, l’activité du groupement d’intérêt scientifique « évaluation épidémiologique des produits de santé », qui réuni le ministère de la santé, la CNAMTS et l’INSERM, reste limitée. Dans certains cas, la difficulté d’accéder à des données nominatives peut ralentir voire empêcher la réalisation des études.
La MECSS souhaite, d’une part, que l’action publique soit plus active en matière d’évaluation post-AMM et que soit relancée l’activité du groupement d’intérêt scientifique « évaluation épidémiologique des produits de santé », d’autre part, que soit instauré un dispositif de sanction pour défaut ou retard de réalisation d’études post-AMM.
c) Gérer de manière plus active la liste des médicaments remboursables
Les conséquences des réévaluations des médicaments ne sont pas non plus toujours tirées dans les meilleurs délais en ce qui concerne les conditions de remboursement.
Depuis 1999, l’ensemble des médicaments remboursables a fait l’objet d’une réévaluation du SMR. Sur les 4 490 spécialités réévaluées par la Commission de la transparence, 835, soit près de 20 %, ont présenté un SMR insuffisant pour justifier leur remboursement par la sécurité sociale. L’AMM de certaines spécialités a été retirée.
S’agissant des spécialités dont l’AMM a été maintenue, le ministre en charge de la santé n’a pas toujours suivi l’avis de déremboursement de la HAS. Pour certaines spécialités, il a bien été décidé de suivre l’avis de la HAS et de dérembourser les spécialités concernées. En revanche, pour d’autres, le remboursement a été maintenu, à titre provisoire, mais le taux de remboursement est passé à 35 % ou 15 % et, dans certains cas, une baisse de prix pouvant aller jusqu’à 20 % leur a été aussi appliquée. De ce fait, on ne tire pas tout le parti des réévaluations et les économies potentielles qui devraient en résulter ne sont que partiellement réalisées.
Or, l’objectif d’affectation en priorité des financements collectifs à la prise en charge des traitements les plus performants devrait conduire à une gestion plus active de la liste des produits remboursables. La nouvelle compétence médico-économique de la HAS devrait favoriser une telle évolution.
La MECSS souhaite donc que les recommandations de la HAS consécutives à la réévaluation des SMR des médicaments remboursables soient mieux suivies et appliquées avec davantage de célérité.
III.- FAIRE ÉVOLUER LES COMPORTEMENTS DES PRESCRIPTEURS ET DES CONSOMMATEURS
La juste prescription doit permettre d’une part, d’améliorer la qualité des soins et la santé publique, d’autre part, de mieux maîtriser les dépenses de médicaments. Dans ces domaines, il semble qu’il y ait des marges de progrès considérables. Mais, le renforcement de l’efficience des prescriptions et la responsabilisation des consommateurs passent par une démarche partenariale. Seul le développement d’un partenariat de santé peut favoriser le bon usage des médicaments. Cela suppose la mobilisation et la participation de tous les acteurs pour faire évoluer les comportements de chacun, les prescripteurs comme les consommateurs.
A. RENFORCER L’INFORMATION SUR LE MÉDICAMENT
1. Assurer l’indépendance et la transparence de l’expertise
Pour assurer leur mission d’évaluation, l’AFSSAPS et la Haute Autorité de santé recourent à des experts extérieurs. Afin d’assurer la crédibilité de l’expertise, qui est essentielle tant pour les patients que pour les professionnels de santé, il est indispensable d’assurer la transparence des procédures et d’éviter les conflits d’intérêts. Or, les pratiques dans ces domaines restent perfectibles et il faut soutenir tout ce qui favorise la transparence des processus d’évaluation et de décision dans le domaine du médicament.
La loi du 26 février 2007 de transposition de la directive communautaire 2004/27 CE a fixé de nouvelles obligations pour les agences en matière de transparence. Elle prévoit le principe d’une déclaration annuelle des experts et agents. Mais cette obligation n’est pas toujours respectée. Certaines déclarations sont faites avec retard et les actualisations ne sont pas systématiques. C’est notamment le cas pour les déclarations d’intérêts de certains experts extérieurs de la Commission de la transparence qui joue un rôle déterminant en matière d’appréciation du SMR et de l’ASMR du médicament, alors même que ces éléments conditionnent très largement l’admission au remboursement et le prix du médicament. L’indépendance des experts de la Commission de la transparence est donc cruciale.
La MECSS considère que la confiance dans l’expertise est une question centrale et qu’il y a lieu d’être très vigilant en matière d’indépendance des experts et de gestion des conflits d’intérêts. Elle demande, en conséquence, à l’AFSSAPS et la HAS, de veiller, avec la plus grande rigueur, au respect des règles en vigueur.
Dans le même esprit, la MECSS souhaite que l’AFSSAPS et la HAS appliquent strictement et complètement les dispositions de la loi du 26 février 2007 concernant la transparence de l’expertise qui prévoit la publication du règlement intérieur des commissions, des ordres du jour et des comptes rendus, assortis des décisions prises et du détail des votes et des explications de vote, y compris les opinions minoritaires. La Mission souhaite que ces différents documents soient systématiquement publiés dans les meilleurs délais et, en particulier, les ordres du jour et les comptes rendus de la Commission de la transparence, lesquels ne sont toujours pas mis en ligne sur le site internet de la HAS. Par ailleurs, la MECSS souhaite que la HAS et l’AFSSAPS développent leur politique d’ouverture au public des travaux d’expertise. Cela pourrait se traduire par l’organisation de séances publiques, par exemple pour des réunions de la Commission de la transparence.
2. Mettre en place une base publique d’information, exhaustive et gratuite, sur le médicament
Actuellement, en dépit des dispositions législatives prises au début de la décennie, il n’existe aucune base d’information publique et exhaustive sur les médicaments. Les bases auxquels peuvent accéder les prescripteurs et les consommateurs, sont partielles, incomplètes et certaines sont privées.
La base AMM de l’AFSSAPS comprend essentiellement les relevés des caractéristiques des produits dont l’AMM a été délivrée après le 1er janvier 2002. Lors de son audition par la MECSS, le 4 octobre dernier, M. Jean Marimbert, directeur général de l’AFSSAPS, a indiqué que sur les 16 000 produits autorisés, dont 11 000 à 12 000 sont effectivement commercialisés, 5 000 RCP avaient été mis en ligne et que, pour la fin de 2008, l’ensemble de la production serait téléchargé sur la base médicament de l’agence. Toutefois, cette base ne comporte pas d’indication sur le service médical rendu, alors qu’il s’agit d’une information essentielle pour les prescripteurs.
De même, les deux bases privées (Vidal et Claude Bernard) qui sont payantes, et la base publique Thesorimed, qui a succédé à la base Thériaque, ne comprennent pas toutes les données utiles à la complète information de l’ensemble des partenaires de santé et, notamment, des prescripteurs.
La base Thériaque, initiée il y a plus de vingt ans par le Centre national interhospitalier d’information sur le médicament (CNHIM), est la plus complète. Mais, le GIE Système d’information sur les produits de santé (SIPS) qui est chargé de gérer et de financer la base a connu des difficultés liées, notamment, au désengagement du CNHIM du GIE, au mois d’août 2007. Et, contrairement à ce que prévoyait le projet initial, l’AFSSAPS a toujours refusé de s’associer au groupement.
La nouvelle base Thesorimed qui reprend les informations contenues dans la base Thériaque et en comprendra d’autres est en cours de finalisation et devrait être accessible gratuitement au public, c’est-à-dire à tous les professionnels de santé et au grand public, au mois d’avril 2008. Thesorimed est d’ores et déjà accessible, avec un abonnement payant, aux établissements hospitaliers. Elle sera interopérable avec les logiciels d’aide à la prescription (LAP) de médecine de ville, comme cela est déjà possible pour les LAP hospitaliers. La base comprendra une fonction d’analyse d’ordonnance qui permettra notamment de connaître les interactions médicamenteuses. Le GIE SIPS, chargé de la gérer, associe désormais la CNAMTS (40 % des voix), la Mutualité sociale agricole (MSA, 30 %) et le Régime social des indépendants (RSI, 30 %).
La HAS, pour sa part, développe une base de données comportant les fiches de transparence établies par la Commission de la transparence. Ces fiches ont pour but de guider les praticiens dans leurs prescriptions et favorisent le bon usage du médicament. Elles font la synthèse des travaux des experts sur le service médical rendu et l’amélioration du service médical rendu et visent à faire le point sur une classe thérapeutique ou sur une stratégie thérapeutique.
L’assurance maladie met aussi en ligne des informations sur les médicaments, notamment sur les taux de remboursement.
Cette dispersion des données ne peut perdurer. Il est souhaitable que les informations des trois bases soient regroupées dans une base unique, facilement accessible. Parallèlement, les bases privées pourront se développer dans le cadre de la certification des sites internet dédiés à la santé mise en œuvre par la HAS.
La MECSS considère que la création d’une base publique d’information sur les médicaments, indépendante, exhaustive, gratuite, accessible à tous les acteurs du système de santé et interopérable avec les logiciels d’aide à la prescription est indispensable. Elle veillera tout particulièrement à la réalisation de ce projet que la ministre en charge de la santé, s’est engagée, lors de son audition par la Mission, à faire aboutir pour la fin de 2009.
B. AGIR SUR LES DÉTERMINANTS DE LA PRESCRIPTION
La formation et l’information des médecins sur le médicament sont essentielles pour influencer le niveau et la qualité des prescriptions.
1. Améliorer la formation des médecins en pharmacologie et en économie de la santé
La formation est un élément déterminant de l’amélioration de l’usage du médicament dans le système de santé, en particulier en médecine de ville. Les actions de formation doivent s’inscrire dans un continuum : formation initiale, formation médicale continue et évaluation des pratiques professionnelles (EPP).
a) Réformer la formation initiale des médecins sur le médicament
Le constat est souvent fait des insuffisances de la formation médicale initiale aux questions thérapeutiques, celle-ci étant essentiellement orientée vers l’apprentissage clinique. L’enseignement de la pharmacologie est peu développé. Cette matière est peu enseignée (environ 80 heures) et il est considéré que les cours sont dispensés trop tôt dans le cursus universitaire. L’enseignement en économie de la santé est aussi insuffisant. Les futurs médecins ne sont pas informés du coût des thérapeutiques et ils sont mal informés des moyens de financement de la solidarité nationale. Il est pourtant indispensable que les jeunes médecins aient une vision des grands enjeux médico-économiques du système de santé. Et l’initiation à la politique du médicament est un moyen de préparer au bon usage de celui-ci.
Depuis septembre 2007, une clarification des compétences entre la direction générale de la santé (DGS) et la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) a été apportée dans le pilotage de la formation médicale. La DHOS a désormais une vision d’ensemble de la formation initiale et de la formation continue.
La DHOS qui a, avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la responsabilité directe de la formation initiale des médecins, a engagé une réflexion pour revoir les volumes horaires et l’organisation des enseignements, notamment des médecins généralistes dans le cadre de la nouvelle filière universitaire. Il s’agit d’un enjeu majeur car ce sont les généralistes, dont le rôle est renforcé dans le parcours de soins, qui sont au quotidien les premiers prescripteurs de médicaments.
La MECSS souhaite que les réflexions engagées visant à réformer la formation médicale initiale des médecins, au-delà de la réforme en cours de la première année de médecine, aboutissent rapidement et permettent de renforcer les enseignements en pharmacologie, en pratiques thérapeutiques, notamment médicamenteuse, et en économie de la santé de manière à mieux intégrer la prescription en dénomination commune internationale et les problématiques de santé publique. La Mission souhaite aussi que soit limitée l’influence des laboratoires pharmaceutiques sur les étudiants en médecine, notamment par le biais des leaders médicaux et lors des stages en milieu hospitalier.
b) Veiller à la montée en charge de la formation professionnelle continue et de l’évaluation des pratiques professionnelles
L’obligation de formation continue des médecins a été instaurée, en 1995, il y a treize ans, et l’obligation d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), en 2004, il y a quatre ans. Force est de constater que ces obligations sont encore peu respectées. Cela s’explique notamment par le fait que l’organisation qui a été retenue pour leur mise en œuvre est complexe et tarde à se mettre en place. En outre, le financement de la formation professionnelle continue reste essentiellement assuré par les firmes pharmaceutiques et les risques de conflits d’intérêts subsistent.
Selon le rapport présenté en janvier 2006 par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l’organisation juridique, administrative et financière de la formation professionnelle continue des professions médicales et paramédicales, l’essentiel de la formation professionnelle continue (plus des trois quarts) est financé par les firmes pharmaceutiques : entre 300 et 600 millions d’euros par an en 2005. Les financements institutionnels publics et privés sont très modestes : 70 millions d’euros pour les financements conventionnels de la CNAMTS et 5 millions d’euros pour le fonds d’assurance formation des professions libérales.
L’organisation de la formation médicale continue (FMC) a été confiée à trois conseils nationaux de la formation professionnelle continue (CNFMC) spécialisés pour les médecins libéraux, les médecins hospitaliers et les médecins salariés. Afin d’harmoniser le fonctionnement et les procédures (barème de FMC et cahier des charges uniques), un comité de coordination a été créé. Pour l’évaluation des pratiques professionnelles, la compétence est partagée entre la HAS et la profession. La HAS est chargée de la définition des méthodes d’évaluation et de l’agrément des organismes d’EPP, et pour les médecins libéraux, les unions régionales des médecins libéraux (URML) habilitent les médecins prestataires d’EPP qui sont formés par la HAS. L’éclatement de la gestion de la formation professionnelle continue et de l’EPP est source de complexité pour les acteurs et notamment pour les organismes de formation. L’IGAS, dans le rapport susmentionné, a recommandé, dans un but de simplification, d’efficacité et d’économie, d’adosser les CNFMC à la HAS.
En outre, les dispositions visant à éviter les conflits d’intérêts ne sont pas suffisantes tant en ce qui concerne la délivrance des agréments aux organismes de formation par la CNFMC – qui regroupent notamment des représentants des organisations syndicales et des organismes de formation – que pour l’encadrement des pratiques des entreprises pharmaceutiques en matière de financement, de qualité et d’indépendance des formations. Le code de bonnes pratiques conclu entre le LEEM et les CNFMC est dépourvu de caractère contraignant.
Sur les cinq priorités définies par le CNFMC, en 2006, pour les cinq prochaines années, une seule concerne le médicament : la iatrogénèse.
La MECSS souhaite que la mise en place du dispositif de formation médicale continue des médecins et d’EPP soit rapidement achevée afin que celui-ci puisse réellement monter en charge. La Mission demande que soit étudiée la possibilité d’adosser les CNFMC à la HAS et que le ministère de la santé, la HAS et l’assurance maladie soient associés à la décision sur les thèmes prioritaires de FMC et d’EPP. Elle préconise de renforcer les conditions d’agrément des organismes de formation (cahier des charges plus précis et référentiel de qualité) afin d’assurer leur indépendance à l’égard de l’industrie pharmaceutique, de confier le contrôle du respect de l’agrément à des organismes habilités par la HAS et de prévoir des sanctions en cas de non-respect. Par ailleurs, la Mission souhaite qu’un dispositif de sanction soit prévu en cas de non-respect des obligations de formation continue et d’EPP. La MECSS souhaite aussi que des formations associant médecins et pharmaciens soient développées de même que la formation à l’écoute et à la gestion de la relation avec les patients. Enfin, la Mission souhaite que soit étudiée la possibilité d’un renforcement des financements institutionnels de la FMC et que soit créé un fonds regroupant les financements publics et privés.
2. Rééquilibrer l’information des médecins sur le médicament
La qualité de l’information sur le médicament est un enjeu majeur tant en termes de qualité des soins que de maîtrise des dépenses.
Les médecins s’estiment globalement bien informés sur le médicament. Mais ils trouvent l’information surabondante, éprouvent des difficultés à l’ordonner et la hiérarchiser et font aussi état de manques et de besoins non satisfaits. Par ailleurs, et peut-être surtout, le trait le plus marquant est, comme pour la formation médicale continue, le poids déterminant de l’industrie pharmaceutique dans le financement de l’information des médecins sur le médicament. Les firmes pharmaceutiques consacrent des moyens très importants à la promotion de leurs produits et jouent, par le biais de la visite médicale, un rôle essentiel dans l’information des médecins sur les médicaments. À côté de l’action des fabricants de médicaments, l’action publique est insuffisante pour contrebalancer la première.
Il est donc indispensable que les pouvoirs publics définissent une stratégie cohérente de communication sur le médicament. En effet, la promotion du bon usage des médicaments conditionne les bonnes pratiques de prescription.
a) Maîtriser l’impact de la visite médicale
Selon le rapport de l’IGAS de septembre 2007 sur l’information des médecins généralistes sur le médicament, l’industrie pharmaceutique consacre au moins 3 milliards d’euros à la promotion de ses produits, dont les trois-quarts à la visite médicale (VM). Le poids important de la visite médicale des prescripteurs dans les dépenses promotionnelles s’explique notamment par le fait que la publicité pour les médicaments remboursables, qui représentent l’essentiel de la consommation, est interdite en direction des patients.
Le reste de l’action marketing de l’industrie pharmaceutique est consacré à la publicité à caractère général et en direction des prescripteurs (13 %) – notamment dans la presse médicale, aux congrès (9 %) et aux échantillons (2 %).
L’intensité de la visite médicale est particulièrement forte en France. Les moyens affectés à la VM représentent 14 % du chiffre d’affaires ou encore 25 000 euros par médecin généraliste, c’est-à-dire l’équivalent de 285 heures d’activité du médecin (environ un mois et demi de travail).
Près de 23 000 visiteurs médicaux, soit 22 % des effectifs de l’industrie pharmaceutique, effectuent en moyenne 330 visites de 8 à 9 minutes, par an et par généraliste, ce qui représente l’équivalent d’environ une semaine et demi de travail. Le nombre de visiteurs médicaux a doublé en vingt ans. Ils sont en partie (20 % à 30 %) rémunérés en fonction de l’expansion des prescriptions et de l’atteinte des objectifs (volume de prescription, part de marché…).
La visite médicale est, en fait, financée par la collectivité à travers les prix administrés du médicament. Selon l’IGAS, la visite médicale « s’avère un moyen coûteux d’apporter de l’information aux généralistes. » En outre, le contenu informatif de la VM est souvent biaisé et pousse à la prescription, en particulier des médicaments nouveaux, pas toujours plus efficaces mais souvent plus chers. Une étude réalisée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), menée à la fin des années 1990, a bien montré la corrélation forte qui existe entre l’investissement promotionnel des firmes et le nombre de lignes de prescription des médicaments concernés. En outre, la VM ne semble pas être le meilleur vecteur pour promouvoir le bon usage.
Les tentatives d’encadrement de la VM au moyen de la certification par la HAS, en application de la charte de la visite médicale qui a été conclue entre le LEEM et le CEPS en décembre 2004, ne semblent pas avoir profondément modifié la situation. Les organismes certificateurs n’ont pas les moyens nécessaires à la vérification du respect des prescriptions de la charte et aucun dispositif de sanction n’est prévu en cas de non-respect. On peut même craindre que la certification par la HAS donne à la visite médicale une caution dont elle ne disposait pas auparavant.
Cependant, force est de reconnaître qu’à défaut de moyen d’information institutionnel concurrent aussi efficace, la visite médicale organisée par les firmes pharmaceutiques est appréciée d’un grand nombre de médecins généralistes qui considèrent que, malgré les biais qui peuvent l’affecter, elle est un moyen d’information utile. Le contact, en face à face, permet d’apporter directement aux praticiens, dans son cabinet, de l’information sur des médicaments nouveaux qui peuvent être sophistiqués et complexes à utiliser. À certains égards, la visite médicale permet de pallier les insuffisances de la formation médicale continue et de l’information sur les médicaments. Encore peut-on observer que les nouvelles générations de médecins, mieux informés des nouvelles connaissances scientifiques et médicales, semblent moins intéressées par la VM et recourent davantage à d’autres sources d’information, comme l’Internet.
L’IGAS, dans le rapport précité, a recommandé un « désarmement » promotionnel qui pourrait se traduire par une réduction progressive de moitié des dépenses de promotion. Selon son calcul, cela permettrait de mobiliser progressivement plus de 1 à 1,5 milliard d’euros d’économie sur les dépenses de promotion du médicament à l’avantage des laboratoires (baisse des charges de promotion) et des pouvoirs publics (prix et remboursements moins élevés). Pour y parvenir, le rapport de l’IGAS propose d’augmenter la taxe sur la promotion en élargissant son champ et de fixer des objectifs quantitatifs de VM pour les classes de médicaments où la promotion est manifestement excessive.
D’ores et déjà, parallèlement à la régulation qualitative de la VM par la charte et la certification, les firmes pharmaceutiques se sont engagées conventionnellement dans un commencement de régulation quantitative. Le LEEM et le CEPS ont signé un accord qui prévoit la réduction sur trois ans (- 6 % en 2006, - 10 % en 2007 et - 12 % en 2008) du nombre de visites médicales pour quatre classes de médicaments : les statines, les sartans, les médicaments de l’asthme et les antibiotiques fluoroquinolones. Les pourcentages de réduction se cumulent, de sorte que, fin 2008, le nombre de contacts pour ces classes devrait avoir diminué de 28 % par rapport à 2005. Toutefois, les effets de cet accord devraient être limités puisque les classes retenues représentaient, en 2005, seulement 20 % du nombre de VM. Les résultats de la première année ont conduit le CEPS à décider, en 2007, une baisse de prix de 3 % pour quatre produits. Ce système constitue un premier pas positif.
La MECSS estime que la qualité de la visite médicale peut être encore améliorée et que la qualité doit primer sur la quantité. À cet égard, il serait souhaitable de s’assurer que les visiteurs médicaux remettent systématiquement le relevé des caractéristiques du médicament et la fiche de transparence. La MECSS souhaite aussi que les organismes certificateurs disposent des moyens juridiques nécessaires pour vérifier le respect de la charte et qu’un dispositif de sanction soit instauré.
En outre, la Mission souhaite que la politique contractuelle de réduction du nombre de contacts engagée entre le CEPS et les firmes pharmaceutiques soit poursuivie et étendue. Elle souhaite, notamment, d’une part, que l’abus de visite médicale soit défini dans la charte, d’autre part, que des objectifs quantitatifs plus ambitieux soient progressivement fixés qui, pour être équitable et éviter de créer un avantage concurrentiel, s’appliquent à toutes les firmes.
Par ailleurs, la MECSS souhaite que des études comparatives soient menées permettant de mettre en évidence les différences de comportement de prescription et de respect du bon usage entre les médecins gros consommateurs de VM et les médecins qui les refusent.
b) Développer l’information publique
Les médecins disent avoir besoin d’une information objective, claire, complète, mais synthétique et adaptée aux exigences de leur exercice quotidien. Ils souhaitent disposer des informations utiles concernant les modalités pratiques de prescription (forme, posologie) et susceptibles de servir de support à leurs choix thérapeutiques (place de la molécule dans la stratégie thérapeutique, comparaison avec les autres molécules…). L’information doit être simple mais non simpliste et doit permettre de satisfaire le prescripteur pressé comme le prescripteur curieux.
Les grands groupes pharmaceutiques obéissent à des stratégies industrielles et commerciales internationales, voire mondiales, et déploient leur communication à tous les niveaux et par tous les canaux possibles, les plus efficaces. Par ailleurs, la communication des firmes est très intense et diffuse. Elle intervient à tous les niveaux de la vie du prescripteur, lors des études initiales, durant les stages, à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle et pendant la formation médicale continue. Il serait souhaitable que cette présence très forte de la communication des firmes pharmaceutique puisse être équilibrée par une information d’intérêt général essentiellement orientée sur le bon usage. D’autant que, selon les praticiens, la crédibilité de l’information venant de l’industrie pharmaceutique est faible ou très faible (80 %), alors que la crédibilité de l’information provenant des organismes publics (HAS et AFSSAPS) est bonne ou très bonne (90 %).
L’information publique sur le médicament destinée aux médecins devrait avoir une place plus importante. Cela correspond au souhait de voir se développer l’information par les pouvoirs publics, par des media diversifiés. Or, l’information publique est souvent dispersée, sous-utilisée et peu adaptée aux pratiques médicales. Le « bruit » promotionnel et la disproportion entre les moyens publics et ceux des laboratoires sont tels que l’information publique est peu audible. L’information publique devrait donc davantage recourir à certaines des techniques utilisées par les firmes pharmaceutiques.
La loi du 13 août 2004 a donné un rôle primordial à la HAS en matière d’information médicale des professionnels de santé et du public. L’AFSSAPS dispose, pour sa part, d’une compétence spécifique en matière de sécurité sanitaire et de contrôle de la publicité. Quant à la compétence en matière de bon usage, elle est partagée entre ces deux organismes. Il en résulte que chacun d’eux publie plusieurs types de documents d’information au contenu scientifique et pratique variable. En dépit d’efforts réels de simplification des messages et d’amélioration de leur lisibilité, la dualité des structures et la multiplicité des supports compliquent l’accès à l’information et ne favorisent pas autant qu’il le faudrait la sécurité et la qualité des prescriptions.
À cet égard, on peut rappeler que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a donné à la HAS le droit d’émettre des avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescription ou de prise en charge les plus efficientes.
La MECSS souhaite faciliter l’accès à l’information sur les médicaments, notamment en qui concerne leur bon usage, et renforcer les moyens d’actions de la HAS en ce domaine. À cet effet, la Mission préconise de faire de la HAS l’émetteur unique d’information sur le bon usage des médicaments. Elle préconise aussi de renforcer sa capacité d’analyse et d’évaluation des stratégies promotionnelles et de communication de l’industrie pharmaceutique ainsi que des prescriptions. Cela pourrait se traduire, par exemple, par la création d’un observatoire de la prescription et d’un réseau de médecins chargés de l’observation de la visite médicale. Il serait notamment utile que la HAS établisse une recommandation sur le bon usage de la visite médicale. En outre, la MECSS souhaite, par mesure de cohérence, que la mission de contrôle de la publicité soit transférée de l’AFSSAPS à la HAS. Elle demande que l’accessibilité – notamment sur le site internet de la HAS, et la lisibilité de l’information sur les médicaments soient encore améliorées et que soient multipliés les documents synthétiques et pratiques du type fiches de bon usage du médicament (qui indiquent souvent le coût du traitement). Par ailleurs, la MECSS souhaite que la HAS soit dotée de la capacité de diffuser de l’information sur le médicament aux médecins, en face à face. À cet effet, la HAS devrait pouvoir disposer d’un corps de « délégués de santé » spécialement formés et certifiés par la HAS. Ce corps, constitué à partir des délégués de l’assurance maladie, serait copiloté par la HAS et la CNAMTS et géré administrativement par la CNAMTS.
c) Diffuser les logiciels certifiés d’aide à la prescription
L’objectif des logiciels d’aide à la prescription (LAP) est de faciliter le travail du prescripteur pour lui permettre d’améliorer la qualité et la sécurité de la prescription tout en diminuant le coût du traitement à qualité égale. Les LAP sont utilisés depuis plusieurs années dans les établissements hospitaliers. Des LAP de médecine de ville existent aussi. Mais ils sont encore peu utilisés, surtout dans leur fonction administrative (édition de feuilles d’ordonnance…) et peu dans leur fonction d’aide à la prescription.
Afin de fiabiliser les LAP, la loi du 13 août 2004 a confié à la HAS, la mission de déterminer la procédure de certification des logiciels.
La HAS a mis en place un référentiel de certification. Elle a aussi décidé que, pour être certifiés, les LAP doivent utiliser une information de qualité et, en conséquence, des bases de données conformes à une charte de qualité. Les LAP doivent tout d’abord fournir l’information sur leur concepteur et la nature de leur financement. Les LAP doivent aussi permettre, notamment, la prescription en dénomination commune internationale (DCI), l’affichage du SMR, de l’ASMR, de l’éventuelle TFR et de l’inscription du médicament dans un groupe générique, des interactions médicamenteuses, de l’historique des traitements, de messages d’alerte, des conditions de remboursement ainsi que du coût par lignes de prescriptions et du coût total, afin de permettre l’optimisation du coût. Par ailleurs, les LAP sont susceptibles d’être utilisés par les praticiens pour les aider dans la démarche d’évaluation de leurs pratiques professionnelles.
Depuis dix-huit mois, les éditeurs de logiciels ont accompli un important travail de mise à niveau.
Cependant, la mise en œuvre de la certification des LAP est retardée par la redéfinition, en cours, du référentiel afin, notamment, de tenir compte de la nouvelle disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 prévoyant l’affichage des prix des médicaments au moment de la prescription. Une fonction de comparaison de prix devrait être intégrée dans les LAP. Les modalités d’adhésion à la charte qualité devraient être précisées au mois de mai 2008. Les éditeurs de logiciels pourront ensuite adhérer à la charte et la certification des LAP devrait débuter au mois de juin 2008.
Actuellement, la certification des LAP n’est pas obligatoire. L’IGAS, dans le rapport précité, préconise de la rendre obligatoire.
La MECSS souhaite que la certification des logiciels d’aide à la prescription soit obligatoire et que la procédure de certification des LAP en médecine de ville soit mise en œuvre rapidement afin que tous les logiciels sur le marché soient certifiés à la fin de l’année 2009. La Mission souhaite aussi que soit étudiée la possibilité d’adjoindre aux LAP une fonction d’aide à la décision thérapeutique. Compte tenu de l’impact de la prescription hospitalière sur la prescription et la consommation de ville, la MECSS souhaite également que le processus de certification des LAP hospitaliers soit engagé rapidement.
3. Renforcer les actions de maîtrise médicalisée des dépenses de médicaments de l’assurance maladie
La maîtrise médicalisée des dépenses vise à inciter les médecins à réduire leurs prescriptions sur certains postes jugés prioritaires et, dans ce sens, les actions de communication de l’assurance maladie contribuent à la réalisation des objectifs conventionnels et individuels fixés et au développement du bon usage. Les diverses actions menées sur ces thèmes ont commencé à produire des résultats, mais les réserves d’économies liées au développement du bon usage sont encore importantes.
La réalisation du potentiel d’optimisation des prescriptions suppose de renforcer les outils d’analyse des prescriptions, d’amplifier la maîtrise médicalisée et de développer les outils de communication adaptés.
a) Développer l’analyse des prescriptions
La conduite d’une politique d’amélioration de la sécurité et de la qualité des prescriptions de médicaments ainsi que de maîtrise des coûts suppose de pouvoir contrôler, analyser et évaluer les prescriptions.
Actuellement, le système d’information de la CNAMTS ne permet pas de procéder à une analyse systématique de toutes les prescriptions. Il ne permet que des contrôles limités du bon usage (par rapprochement de la prescription et de la pathologie) effectués à partir de l’historique des remboursements des prescriptions d’un praticien lorsque la prescription est spécifique à une pathologie ou en matière d’affections de longue durée. En 2005, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a, en effet, autorisé la CNAMTS à exploiter les données rendues anonymes du fichier des ALD. La CNAMTS peut notamment contrôler le respect de l’ordonnancier bizone qui prévoit que seules les prescriptions de médicaments liées à l’ALD doivent être mentionnées dans la partie haute de l’ordonnance pour ouvrir droit au remboursement à 100 %.
La MSA a mis en place, depuis 2004, un système d’information médicalisée, dénommé ARCHIMED, généralisé à l’ensemble des services du contrôle médical. Lorsqu’une anomalie de prescription est repérée, un courrier est adressé au praticien, et le cas échéant, un entretien confraternel est organisé. Un courrier suffit d’ailleurs en général à modifier les habitudes de prescription et le succès repose sur l’implication du praticien. Le dispositif est donc conçu pour offrir aux médecins un retour sur leurs pratiques. Il a été enrichi de fonctions « observatoire du médicament », « gestion du risque » et de modules concernant la maîtrise médicalisée (polymédication des personnes âgées, interactions, génériques, respect de l’ordonnance bizone…).
La MECSS souhaite que les caisses d’assurance maladie poursuivent le développement de leur capacité d’analyse des prescriptions, à l’instar du système d’information médicalisée ARCHIMED de la MSA. Les caisses devraient ainsi pouvoir alerter les prescripteurs en cas de primo-prescription non conforme au bon usage ou de polymédication présentant des risques iatrogènes.
L’extension, voire la généralisation, du dispositif d’analyse des prescriptions est en effet une des conditions du renforcement de l’efficacité de la maîtrise médicalisée des dépenses d’assurance maladie.
b) Renforcer l’efficacité de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé
La convention médicale du 12 janvier 2005 et l’avenant n° 12, de mars 2006, ont fixé des objectifs de diminution des prescriptions (antibiotiques, statines, inhibiteurs de la pompe à protons, anti-ulcéreux, hypnotiques, lutte contre la iatrogénie), ou de limitation d’augmentation (sartans) ou d’augmentation de prescriptions (génériques).
La Cour des comptes, dans ses communications à la MECSS, dresse un bilan sévère des actions conventionnelles de maîtrise médicalisée. Elle considère que les objectifs qui ont été fixés en montants auraient dû être fixés en volume, afin de neutraliser les effets prix (baisses de prix décidées par le CEPS), de structure (arrivée sur le marché de nouveaux génériques) et de substitution (prescription du médecin dans le répertoire ou exercice du droit de substitution par le pharmacien). En outre, certains objectifs sont imprécis et il n’est pas précisé comment ils doivent être atteints (développement des génériques, limitation ou meilleur ciblage des prescriptions). Par ailleurs, les modalités de calcul des objectifs sont contestables. La méthode de calcul la plus favorable, c’est-à-dire la moins exigeante, a été systématiquement retenue pour les différents paramètres : base de référence, tendance d’évolution, calcul de l’évolution. Cela a conduit à surestimer les économies attendues.
En dépit de ce mode de calcul favorisant quelque peu artificiellement le respect des objectifs conventionnels, ces derniers n’ont pas été atteints et l’impact sur les prescriptions a été très faible.
En 2005, seulement 17 millions d’euros d’économies ont été générés par l’infléchissement des prescriptions sur les trois classes de médicaments visées par la convention médicale (antibiotiques, statines et psychotropes). Si l’on tient compte de la pénétration des génériques, les économies de maîtrise médicalisée s’élèvent à environ 70 millions d’euros (à comparer aux 340 millions d’économies attendues). Toutefois, une stabilisation du nombre de nouveaux traitements par statines a été observée alors que l’effectif de malades à risque cardiovasculaire augmente.
En 2006, les économies nettes des effets prix, générication et déremboursement, notamment liées au plan médicament, s’élèvent à 120 millions d’euros au lieu de 222 millions d’euros d’économies attendues. Cela confirme que la maîtrise médicalisée contribue à modifier les prescriptions des médecins, mais dans des proportions moindres que ce qui était attendu.
L’avenant n° 23, de juin 2007, à la convention fixe des objectifs de réduction de la iatrogénie et prévoit la déclinaison individuelle des objectifs nationaux en ce qui concerne les génériques, les IPP, les antibiotiques et le respect de l’ordonnancier bizone. Mais les objectifs individuels ne sont pas opposables et la convention ne précise pas comment évaluer leur respect.
L’article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a apporté plusieurs améliorations. Désormais, les engagements conventionnels de maîtrise médicalisée des dépenses de prescription de médicaments devront être exprimés en volume, indépendamment de toute évolution tarifaire. Par ailleurs, les médecins peuvent conclure avec les caisses locales d’assurance maladie des contrats comportant des objectifs individuels, notamment de prescription, d’amélioration des pratiques, de formation et d’information. Ces contrats individuels prévoiront des contreparties financières liées à l’atteinte des objectifs par le praticien.
La CNAMTS a publié, au mois d’octobre 2007, une étude comparative des pratiques en France et dans quatre autres pays européens (Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni) concernant la consommation et les dépenses liées à neuf classes de médicaments qui représentent plus d’un tiers de la consommation de médicaments et 40 % des dépenses. Il en ressort que la France est en tête de la consommation pour 6 des 9 classes étudiées. Elle apparaît surtout comme la plus dispendieuse avec le montant moyen par habitant le plus élevé des cinq pays européens pour ces 9 classes de médicaments : 130 euros, soit 32 euros de plus que le deuxième pays, l’Italie. Selon la CNAMTS, ce sont plusieurs centaines de millions d’euros qui pourraient être économisés si la France avait une consommation et des coûts moyens similaires à ceux de ses voisins. Si l’on prend les trois principales classes étudiées (hypertenseurs, IPP et statines), le différentiel de la France par rapport à l’Allemagne, c’est-à-dire avec la même structure de consommation que l’Allemagne, atteint 1,5 milliard d’euros : 640 millions d’euros sur les hypertenseurs et les sartans, 430 millions d’euros sur les IPP et 400 millions d’euros sur les statines.
La consommation moyenne de statines (anti-cholestérol) est de 50 % supérieure à celle de l’Allemagne (en dose consommée par habitant, par jour). Et cet écart ne peut s’expliquer par des différences d’état de santé de la population puisque la prévalence des facteurs de risques cardio-vasculaire est la même dans les deux pays.
La marge de progrès en matière de maîtrise médicalisée apparaît donc importante. À cet égard, on peut indiquer que la MSA a décidé, pour 2007, de passer d’une logique d’obligation de moyens à une obligation de résultats en fixant un montant national d’économies à réaliser par régions.
La MECSS souhaite que les efforts de maîtrise médicalisée soient poursuivis, amplifiés et étendus à de nouvelles classes de médicaments. La Mission souhaite également, d’une part, que la politique de publication d’accords de bon usage des soins soit relancée, d’autre part, que les dispositions issues de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, et notamment celle concernant l’individualisation des objectifs de maîtrise médicalisée et d’amélioration des pratiques, soient rapidement mises en œuvre par les partenaires conventionnels. Elle souhaite que cette action s’appuie en particulier sur un effort accru des caisses d’assurance maladie en matière de communication sur la démarche qualité et le bon usage.
c) Amplifier la communication de l’assurance maladie
Les caisses d’assurance maladie concourent à l’information et à la communication sur le bon usage du médicament et viennent appuyer la réalisation des objectifs de maîtrise médicalisée.
Les campagnes de communication sur les antibiotiques, ciblées à la fois sur les prescripteurs et les consommateurs, ont donné des résultats encourageants. La campagne menée depuis 2002 a notamment pour objectif de lutter contre les phénomènes de résistance aux antibiotiques qui sont un problème majeur de santé publique. Elle a contribué à la baisse sensible de la consommation d’antibiotiques, surtout chez les enfants de 0 à 5 ans qui sont la cible prioritaire du programme. Depuis 2002, le nombre de prescriptions pendant la période d’hiver a diminué de 4,5 %, en moyenne, et l’exposition aux antibiotiques a été réduite de près de 20 %. Cela prouve l’efficacité d’une action médico-économique coordonnée entre les différents acteurs et soutenue dans la durée. Mais la France continue de consommer deux fois plus d’antibiotiques que l’Allemagne et le Royaume-Uni et trois fois plus que les Pays-Bas. La marge de progression du bon usage et d’économies qui pourraient en résulter apparaît donc, là aussi, importante.
On peut également citer l’efficacité de l’action de maîtrise médicalisée et de communication de l’assurance maladie concernant les psychotropes qui a permis de réduire les remboursements des anxiolitiques et des hypnotiques. Il reste que le niveau de consommation des Français est encore, en moyenne, neuf fois plus élevé qu’en Allemagne, quatre fois plus élevé qu’en Espagne et le double de celui du Danemark ou la Norvège.
Une autre action coordonnée a été engagée par l’assurance maladie pour lutter contre la iatrogénie médicamenteuse, notamment chez les personnes âgées. Cette action s’appuie sur la diffusion de documents d’information, notamment les recommandations de l’AFSSAPS sur la iatrogénie et de la HAS sur la polymédication, auprès des prescripteurs et des patients, ainsi que sur le développement des entretiens confraternels.
L’assurance maladie diffuse aussi d’autres documents d’information claire et synthétique comme la « lettre aux médecins » et la « lettre aux pharmaciens » ou encore des supports mémos, brefs, clairs et synthétiques, sous le double timbre de la CNAMTS et de l’AFSSAPS, à visée de bonnes pratiques ou médico-économique et faisant apparaître le coût de traitement mensuel. Dans l’objectif de réduction des dépenses, ces fiches apparaissent particulièrement utiles. À titre d’exemple, on peut citer le cas du coût du traitement mensuel par statines qui peut, selon le médicament prescrit, aller du simple, avec la molécule la moins chère, au triple, avec la molécule la plus chère. S’agissant d’une classe de médicament très consommée et avec une forte dynamique potentielle de développement, on mesure, là encore, la marge de progrès possible en termes d’économies tout en assurant la même qualité de traitement.
La MECSS souhaite que l’assurance maladie amplifie ces actions de communication et développe des campagnes sur de nouveaux thèmes ciblés.
d) Poursuivre la montée en charge des actions individuelles en direction des médecins
L’assurance maladie développe aussi des actions individuelles auprès des médecins, notamment par le biais des délégués de l’assurance maladie (DAM) qui visent à contrebalancer l’influence de la visite médicale des fabricants de médicaments.
La mise en place des DAM a commencé en 2005 par redéploiement d’effectifs au sein du régime général d’assurance maladie. Leur nombre est actuellement de 950 et devrait être porté à 1 400 à la fin de 2009. Ce nombre peut être comparé aux près de 24 000 visiteurs médicaux des 200 laboratoires pharmaceutiques. Pour 2007, les DAM avaient un objectif de 300 000 visites de praticiens.
Les DAM reçoivent une formation théorique (300 heures) et pratique (900 heures) et devraient être progressivement tous certifiés. Ils viennent en appui des actions de communication de l’assurance maladie pour faire connaître la convention médicale et sensibiliser les médecins aux objectifs de maîtrise médicalisée. Les DAM visent ainsi à favoriser la réalisation de l’important potentiel d’optimisation des prescriptions. À cet effet, ils apportent notamment aux praticiens un retour d’information sur leur pratique de prescription de médicaments au moyen de profils personnalisés et d’éléments de comparaison. L’image des DAM semble avoir évolué positivement, même si, il faut le reconnaître, des résistances subsistent. S’ils ont souvent été perçus, au départ, comme des contrôleurs, les praticiens considèrent aujourd’hui qu’ils peuvent leur apporter un retour d’information utile sur leurs pratiques. Ils sont aussi considérés comme un moyen de rompre l’isolement de la pratique individuelle et d’engager un dialogue dans un cadre différent de celui de la démarche, principalement commerciale, de la visite médicale. La visite des DAM peut aussi permettre de préparer dans de meilleures conditions un éventuel entretien confraternel avec un médecin contrôleur de la caisse d’assurance maladie.
Les premiers éléments d’évaluation de l’activité des DAM semblent démontrer leur efficacité. Par exemple, la diminution de la consommation des antibiotiques est plus forte, lorsque la visite des DAM aux praticiens est répétée tous les mois. Cela permet de vérifier que le contact direct, en face à face, est un des leviers les plus efficaces pour agir sur les comportements individuels. L’industrie pharmaceutique l’a bien compris qui utilise ce moyen depuis longtemps et dispose d’outils d’analyse très fins du rapport coût-efficacité de l’investissement promotionnel que constitue la visite médicale.
Pour sa part, la MSA utilise son réseau, dense, de délégués cantonaux pour relayer les actions qu’elle mène en matière de médicaments. Dans son plan d’action pour 2006 et 2007, elle a notamment prévu de développer le dialogue médical de groupe.
La MECSS considère que les contacts en face à face avec les médecins doivent être développés et estime que l’action conduite par les DAM est intéressante et a produit de premiers résultats positifs. Elle souhaite cependant que, dans un but de rationalisation et d’efficacité, le corps des délégués soit placé sous le contrôle de la HAS qui a une compétence essentiellement médicale et a vocation à piloter les actions de communication visant à optimiser les prescriptions et à promouvoir le bon usage des médicaments. Dans cette optique, elle souhaite un renforcement de la formation médicale des délégués de santé et que tous les délégués soient certifiés par la HAS. Par ailleurs, elle souhaite que soient développés, en coordination entre la HAS et l’assurance maladie, les outils permettant aux médecins d’évaluer leur pratique ainsi que les communications personnalisées sous la forme de courriers, de contacts téléphoniques ou d’entretiens confraternels, en particulier lorsque des anomalies de prescriptions (polymédication excessive, risques iatrogéniques, primo-prescription trop longue, choix de médicaments chers, non-respect de l’ordonnancier bizone…) sont constatées.
C. FAVORISER LE BON USAGE CHEZ LES CONSOMMATEURS
1. Développer et coordonner l’information du grand public sur les médicaments
a) Dissiper le malentendu entre les médecins et les patients sur la demande de médicaments
Certes, l’acte de prescription est le fait du praticien. Mais celui-ci est soumis aux attentes de prescription, voire à la pression du patient. Cette pression est d’ailleurs ressentie par les praticiens français comme étant plus forte que dans d’autres pays européens. Pourtant, l’étude réalisée par IPSOS-santé, publiée en octobre 2005, sur le rapport des Français et des Européens à l’ordonnance et aux médicaments montre que la perception de cette demande de médicaments par les praticiens ne semble pas correspondre aux attentes réelles des patients. Il existerait donc un malentendu entre médecins et patients sur la demande de médicaments. Dans certains cas, la surprescription de médicaments résulterait d’une surévaluation de l’attente du patient.
Les Français, champions d’Europe de la consommation de médicaments, sont ouverts à des évolutions et imaginent sans peine de nouvelles pratiques. Ils sont prêts à rompre avec le système de l’ordonnance reine et de la prescription quasi-systématique de médicaments. Les patients sont nombreux à déclarer être davantage demandeurs d’écoute, d’explications, de réassurance, de conseils hygiéniques et de messages d’éducation en santé susceptibles de les aider à modifier leurs habitudes et leur comportement, plutôt que de traitements médicamenteux. De fait, pour les patients comme pour les médecins, l’échange est la première attente, bien avant l’ordonnance et la prescription médicamenteuse. Huit patients sur dix déclarent qu’ils auraient confiance dans un médecin qui ne leur prescrirait pas de médicament en fin de consultation ou qui saurait remplacer certains médicaments par des conseils utiles. Pour les patients, la prescription, éventuelle, de médicaments n’est qu’un des éléments de la prise en charge.
Force est de reconnaître que la priorité donnée à la prescription de médicaments résulte souvent de l’habitude d’un schéma de consultation. Elle est aussi, parfois, une facilité permettant d’apporter une réponse immédiate à une souffrance sociale et à un besoin psycho-social qui pourrait nécessiter une prise en charge différente ou plus lourde et plus compliquée et surtout supposant de disposer de davantage de temps que lors d’une consultation normale. Le principe de précaution et le manque de formation à l’échange, à l’éducation thérapeutique et au conseil peuvent aussi expliquer le réflexe du recours au médicament. Dans certains cas, la brièveté de la consultation peut pousser à la surprescription de médicaments et aussi favoriser l’apparition de phénomènes de dépendance aux médicaments.
L’information du grand public et des patients sur le médicament peut contribuer à réduire ce hiatus, limiter l’appétence pour les médicaments, modifier les comportements des patients et inciter à la bonne observance des traitements. Elle doit inciter le patient à devenir acteur de sa propre santé et à rechercher un nouvel équilibre entre le conseil médical et la prescription de médicaments.
La MECSS souhaite que les études médicales et la formation médicale continue permettent de valoriser le dialogue médecin-patient et les alternatives à l’ordonnance et au « tout médicament ».
b) Renforcer l’information publique en direction des patients
Malgré des améliorations récentes, l’information publique sur les médicaments en direction des patients est insuffisante et mal coordonnée.
Outre la diffusion de documents d’information sur support papier, notamment par le biais des pharmacies, le régime général d’assurance maladie et la MSA ont mené des campagnes grand public qui ont produit des effets positifs, par exemple pour les antibiotiques et les génériques. L’assurance maladie a d’ailleurs reconduit pour la période 2008-2010 son programme sur les antibiotiques lancé en 2002. Les caisses recourent aussi, depuis peu, à des techniques de communication directe auprès des assurés qui ont montré leur efficacité. En outre, les courriers d’information personnalisée envoyés aux assurés et les contacts téléphoniques ciblés sur certains thèmes comme les médicaments génériques ont permis de réaliser des économies importantes. Les sites internet des caisses mettent aussi à disposition des informations pratiques. Dans ce domaine, un effort de simplification a été fait, mais les sites pourraient encore être améliorés pour faciliter l’accès aux informations utiles.
L’AFSSAPS diffuse des documents pratiques à destination du grand public : « Vous et votre traitement » et « Questions/réponses ». Elle développe, et c’est un des objectifs de la convention d’objectifs et de gestion, un partenariat avec les associations de patients, lesquelles sont notamment invitées à procéder à la relecture des documents produits par l’agence. Elle joue aussi un rôle essentiel dans le contrôle a priori de la publicité destinée au grand public pour ce qui concerne les médicaments d’automédication. L’AFSSAPS a diffusé des avertissements concernant la contrefaçon des médicaments et l’achat de médicaments par internet. Le site internet de l’agence, désormais plus accessible, reste perfectible : même si l’information de l’agence intéresse principalement les professionnels, il serait souhaitable qu’un accès par catégories de public soit prévu.
Le site de la HAS comporte désormais des accès spécifiques aux informations dédiées aux différentes catégories de public, ce qui en facilite l’utilisation. Les patients atteints d’une ALD peuvent ainsi accéder aux guides patients (par exemple « Vivre avec un diabète de type 2 »). Cependant, la nature des informations auxquelles peut accéder le grand public est peu différente de celles accessibles aux professionnels de santé. Les informations à destination du grand public devraient faire l’objet d’un retraitement pour les simplifier et améliorer leur compréhension.
L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) peut aussi jouer un rôle important en matière de consommation de médicaments. Les campagnes de prévention et d’éducation à la santé que mène l’institut peuvent notamment contribuer à freiner le recours aux médicaments, en favorisant l’éducation à la santé et la prévention, le développement des aptitudes individuelles, la création d’environnements favorables à la santé et en luttant contre la banalisation du médicament. Encore faut-il observer que les relations entretenues entre la prévention et le médicament sont ambivalentes puisque, dans certains domaines, les actions de prévention peuvent contribuer à accroître la consommation de médicaments. On peut citer le cas de la lutte contre le tabagisme.
La MECSS souhaite que les actions d’information institutionnelle du grand public sur les médicaments soient davantage développées et mieux coordonnées. L’INPES devrait être le diffuseur de l’information sur le médicament en direction du grand public. Par ailleurs, la MECSS souhaite également que soient multipliés les actions ciblées et les contacts directs avec les patients, notamment à l’initiative des caisses d’assurance maladie. Elle demande que l’information en matière d’achat de médicaments sur internet ou par correspondance et de contrefaçon soit développée et davantage visible. Elle estime utile que les associations de patients soient davantage associées à la définition et à l’évaluation des actions d’information sur le médicament des différents acteurs institutionnels. L’INPES pourrait aussi contribuer, grâce à une action dans la durée, à installer dans l’opinion le thème du bon usage du médicament et à responsabiliser les patients en modifiant leur regard sur la prise en charge de leur santé. La Mission souhaite enfin que l’ergonomie des sites internet des organismes soit améliorée. Le site de la CNAMTS, dénommé ameli, devrait être aussi enrichi de données ciblées et de conseils, notamment concernant les pathologies chroniques. Ces compléments pourraient être accessibles sur des sites spécialisés par pathologies.
2. Inciter à l’observance, encadrer les programmes d’accompagnement des patients et développer l’éducation thérapeutique
a) L’observance des traitements est un enjeu majeur
Le médicament n’est, et ne sera jamais, un produit de consommation ordinaire : on ne peut attendre de bénéfices d’un médicament que s’il est correctement utilisé ; son usage comporte toujours des risques.
Pourtant, bien que mal évaluée, la non-observance thérapeutique est fréquente. Selon le rapport de l’IGAS d’août 2007 sur l’encadrement des programmes d’accompagnement des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques, la non-observance concernerait 30 % à 50 % des patients voire 90 % des personnes atteintes d’affections chroniques à un moment donné de leur maladie. La non-observance entraîne des effets délétères pour la santé du patient (diminution de l’efficacité du traitement, risques de complications et de rechutes plus graves), parfois pour son entourage (risques contagieux) et pour la société tout entière (résistance aux antibiotiques, mauvaise couverture vaccinale et prévalence plus importante de l’agent infectieux). Les enjeux de la non-observance sont également financiers tant pour le financeur public (surcoûts de prise en charge liés à l’augmentation de la consommation de soins en ville ou à l’hôpital) que pour les entreprises pharmaceutiques (manque à gagner lié au mésusage). L’industrie pharmaceutique américaine estime que le manque à gagner lié au mésusage s’élève à 30 milliards de dollars par an.
L’observance des traitements est donc une question centrale. Elle relève au premier chef du praticien qui a prescrit le traitement. Cependant, faute de temps, le suivi par le praticien n’est pas toujours bien assuré. Il y a donc un véritable besoin d’accompagnement de certains patients dans l’observance de leur traitement.
Depuis quelques années, les initiatives des firmes pharmaceutiques se multiplient pour accompagner les patients et, depuis peu à l’initiative de l’assurance maladie, pour développer l’éducation thérapeutique.
b) Encadrer strictement les programmes d’accompagnement des patients financés par l’industrie pharmaceutique
Les firmes pharmaceutiques tentent de développer des programmes d’aide à l’observance ou d’accompagnement des patients. Ces programmes répondent à plusieurs évolutions de l’industrie pharmaceutique : la sophistication et la complexité d’administration de certains produits, notamment sortis de la réserve hospitalière, le changement dans les stratégies de communication des firmes qui cherchent à compenser la pression sur la visite médicale et à contourner l’interdiction de la publicité directe auprès du public pour les spécialités remboursables, la volonté des firmes de se différencier des concurrents et de développer des interventions à distance pour fidéliser leurs clients.
La plupart des programmes concernent aujourd’hui des médicaments injectables. Ils visent à former le patient à l’auto-injection et associent diverses actions : formation et assistance par téléphone, brochures d’information, DVD d’auto-formation, courriers, visites.
En l’absence de cadre juridique clair – les initiatives tendant à encadrer ces programmes par la loi n’ayant pu aboutir, l’AFSSAPS a autorisé quelques programmes qui sont, en réalité, davantage des programmes d’éducation des patients que d’accompagnement ou d’aide à l’observance. Ces programmes présentent des risques et ouvrent une brèche dans la nécessaire protection renforcée du public qui ne doit pas être soumis à une pression promotionnelle pour les médicaments prescrits.
La MECSS souhaite qu’un cadre législatif définisse et limite très strictement les programmes d’accompagnement ou d’aide des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques. Seuls des programmes de courte durée et limités à l’apprentissage d’une technique d’administration particulièrement complexe concernant un médicament présentant un intérêt thérapeutique important (ASMR 1 ou 2) pourraient être autorisés. L’autorisation pourrait être délivrée aux opérateurs par la HAS à condition de satisfaire à des exigences (compétence, indépendance, qualité, objectivité, non-sélectivité…).
c) Favoriser le développement de programmes d’accompagnement des patients par l’assurance maladie et l’éducation thérapeutique des patients
Depuis 2007, l’assurance maladie peut mettre en place des programmes d’accompagnement des patients atteints de maladies chroniques visant à leur apporter des conseils en termes d’orientation dans le système de soins et d’éducation à la santé (article 91 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007).
L’assurance maladie a lancé, au mois de mars 2008, avec l’autorisation de la CNIL, un service d’accompagnement pour les personnes atteintes de maladies chroniques dénommé sophia. La création de ce service s’inscrit aussi dans le cadre de la politique de gestion du risque de l’assurance maladie et correspond à un des objectifs du plan ministériel 2007-2011 d’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques, qui prévoit de « développer un accompagnement personnalisé des malades ». L’assurance maladie cherche ainsi à instaurer un nouveau type de relation avec ses assurés et à développer un véritable partenariat de santé.
Le service est, dans un premier temps, mis en place dans dix départements. Il est proposé à 136 000 patients diabétiques pris en charge à 100 %, mais concerne aussi les 6 000 médecins traitants. Il s’agit d’un service volontaire et gratuit qui vise à relayer l’action des médecins traitants en proposant aux patients des services de conseil, d’écoute et d’information. Le service comprend des outils d’information pratiques et pédagogiques (notamment le magazine « sophia et vous »), un accompagnement téléphonique par du personnel paramédical de l’assurance maladie, formé et expérimenté (principalement des infirmières) et des services disponibles sur internet. L’accompagnement doit être adapté aux besoins de chaque patient. Le principe est de créer des contacts réguliers toutes les six semaines. Les médecins traitants participants au programme seront rémunérés par un forfait annuel par patient.
De manière générale, il est souhaitable de développer l’éducation thérapeutique des patients par l’intermédiaire des médecins au premier chef, notamment dans le cadre des réseaux de soins, mais aussi d’autres acteurs, tout particulièrement l’assurance maladie qui, en tant qu’assureur, peut s’impliquer dans la gestion et la prévention du risque.
L’éducation thérapeutique du patient-acteur de sa santé est une discipline relativement jeune. Le potentiel de mieux-être, d’amélioration de la santé et, finalement, d’économies que recèlent l’éducation thérapeutique et une bonne hygiène de vie est difficile à évaluer, mais il est probablement important. Les effets se mesurent à moyen et long terme. À cet égard, on peut évoquer l’importance des marges potentielles de progrès concernant certains problèmes de santé publique comme le tabagisme, l’obésité ou le stress.
Il est donc essentiel de mieux utiliser le levier de l’éducation thérapeutique et du conseil en hygiène de vie pour faire évoluer les comportements, en amont de la prescription et de la consommation de médicaments. L’enjeu est d’améliorer l’état de santé et d’optimiser les soins, c’est-à-dire de choisir le mode d’intervention le plus efficace.
La MECSS considère qu’il appartient en priorité aux acteurs institutionnels d’apporter des réponses adaptées aux besoins d’aide à l’observance et d’accompagnement des patients. Elle souhaite que l’assurance maladie poursuive et amplifie ses efforts dans ce domaine, en coordination avec l’AFSSAPS et la HAS et en concertation avec les médecins et les associations de patients. Au-delà, la MECSS souhaite que la HAS réfléchisse à la définition d’une stratégie de développement de l’éducation thérapeutique.
d) Promouvoir sur internet l’information de qualité sur les médicaments
Les patients vont de plus en plus chercher de l’information sur internet. Aujourd’hui, environ un patient sur cinq consulte un site internet pour rechercher de l’information médicale ou de santé. Dans certains cas, la recherche d’information sur internet a pour objet de pallier l’insuffisance des informations délivrées par le professionnel de santé. Les patients sont à la recherche de plus de conseil et de plus de dialogue. Ils cherchent à mieux comprendre leur maladie et leur traitement mais aussi à communiquer avec d’autres malades. Ils estiment être ainsi plus à même de partager une décision concernant leur santé et pouvoir mieux se prendre en charge. Mais cette évolution peut modifier la relation avec le médecin. Moins de la moitié des internautes parlent à leur médecin de leurs recherches d’informations sur internet. Certains n’osent pas, car ils ne savent pas comment aborder la question, d’autres ne souhaitent pas donner au médecin l’impression de le remettre en cause. Pourtant, l’échange entre le médecin et le patient peut permettre à ce dernier de progresser dans la connaissance de sa maladie et d’être davantage acteur de sa santé. Cela peut être aussi l’occasion pour le médecin d’enrichir son expertise de la pathologie, de développer un dialogue constructif susceptible de déboucher sur des conseils hygiéniques ou comportementaux et de conseiller au patient des sites de qualité.
La qualité de l’information sur les médicaments diffusée sur internet revêt donc une importance croissante. La loi du 13 août 2004, répondant aux recommandations du plan d’action eEurope 2002 visant notamment à développer les usages d’internet en matière de santé, a confié à la HAS la mission de déterminer les règles de bonnes pratiques devant être respectées par les sites français d’information de santé. Le contrôle systématique et continu de la qualité de l’information médicale délivrée par les sites n’apparaissant pas réaliste, la HAS a établi une recommandation destinée aux patients pour les aider à chercher une information sur internet et à identifier des sites santé en évitant les pièges d’internet.
Par ailleurs, la HAS a confié à une organisation non gouvernementale, Health On The Net (HON), l’attribution d’un label HON aux sites qui respectent les huit principes d’un code de bonnes conduites (HONcode). Ces principes concernent la qualification des rédacteurs, l’indication du caractère complémentaire des informations à la relation médecin-patient, la confidentialité des informations personnelles soumises par les visiteurs du site, la mention des dates et sources des données en ligne, la justification des affirmations sur les bienfaits et inconvénients des produits ou traitement, le professionnalisme et l’accessibilité de l’information, la transparence du financement, la séparation de la publicité de la politique éditoriale. Le label ne garantit pas la qualité du contenu, mais garantit la transparence et l’éthique du fonctionnement du site. Health On The Net est une fondation à but non lucratif dont le siège est situé à Genève. Fin 2007, HON était présente dans 72 pays. Environ 5 700 sites étaient certifiés HON dont plus de 300 sites français. La certification est délivrée pour un an et il est procédé à une réévaluation annuelle systématique.
Le recours à l’information sur internet, notamment en santé et sur les médicaments, va continuer de se développer. Une étude de Médiamétrie publiée en mars 2008, montre que 80 % des internautes vont chercher, chaque jour, des informations de toutes natures sur internet. Internet est donc un outil d’information quotidien qui pourrait être mieux utilisé, pour informer de façon ciblée les patients sur leur pathologie, le bon usage et l’observance des traitements, les accompagner de manière interactive et favoriser leur expression et leurs échanges (blogs, forums).
La MECSS souhaite que les sites certifiés soient tenus de faire figurer sur leur page d’accueil des liens internet vers les sites institutionnels d’information en santé. Par ailleurs, la MECSS souhaite que la HAS, d’une part, évalue la mise en œuvre de la certification des sites d’information en santé, d’autre part, mène des études sur la demande et la consommation d’information en santé et les possibilités d’améliorer l’accès du grand public à une information simple et de qualité sur les médicaments.
IV.- S’APPUYER SUR LE RÉSEAU DES PHARMACIES D’OFFICINE POUR PROMOUVOIR LES GÉNÉRIQUES ET DÉVELOPPER UNE AUTOMÉDICATION RESPONSABLE
A. DÉVELOPPER LE RÔLE DE CONSEIL DES PHARMACIENS D’OFFICINE
a) Le pharmacien d’officine de proximité doit pouvoir s’appuyer sur le dossier pharmaceutique pour assurer la sécurité de la dispensation
Les pharmacies d’officine jouent un rôle essentiel dans la consommation et le bon usage des médicaments. Les 23 000 pharmacies d’officine disposent du monopole de vente des médicaments et assurent la qualité et la sécurité de la délivrance des médicaments. Avec le développement de la contrefaçon des médicaments (des matières premières ou des produits finis) et des possibilités d’achats par internet, le rôle de sécurisation de la dispensation assuré par le pharmacien d’officine apparaît particulièrement nécessaire.
Par ailleurs, les officines qui élaboraient ou préparaient les médicaments sont devenues, principalement, des dispensateurs de médicaments fabriqués par l’industrie pharmaceutique. Et il s’agit, le plus souvent, de médicaments remboursables : environ 80 % du chiffre d’affaires des officines correspond à des produits pris en charge par l’assurance maladie. Par ailleurs, les pharmaciens d’officine sont souvent les professionnels de santé les plus proches et les plus faciles à contacter. Ils bénéficient d’une forte confiance et sont le premier recours susceptible de rendre des services adaptés et personnalisés pour ensuite orienter le patient vers d’autres professionnels de santé. Chaque jour, 4,5 millions de personnes entrent dans une officine.
Afin de favoriser la coordination, la qualité, la continuité des soins et la sécurité de la dispensation des médicaments, la loi du 30 janvier 2007 a prévu la création d’un dossier pharmaceutique (DP). Il a pour objet d’enregistrer tous les médicaments, prescrits ou non, remboursables ou non, délivrés au patient dans n’importe quelle officine au cours des quatre derniers mois. Il comporte uniquement l’identification, la quantité et la date de délivrance des médicaments. Le prescripteur, le prix et le lieu de délivrance ne sont pas indiqués.
Le DP est ouvert avec l’accord du patient. Tout pharmacien d’officine peut ainsi consulter et alimenter le DP du patient au moment de la dispensation en utilisant la carte Vitale du patient (mais sans utiliser son numéro de sécurité sociale) et sa carte professionnelle. Le DP n’est donc consultable que par le pharmacien, en présence du patient. Le DP est destiné à alimenter le futur dossier médical personnel mais il restera distinct de lui. Le DP doit permettre au pharmacien de déceler les risques de redondances ou d’interactions indésirables entre des médicaments, d’améliorer ainsi son conseil et de faciliter le suivi thérapeutique.
Afin de tester le dispositif, une expérimentation, autorisée par la CNIL, a été lancée dans six départements, au second semestre 2007. Le 14 février 2008, la CNIL a autorisé la prolongation de l’expérimentation pour six mois et son extension à deux nouveaux départements et 2 000 officines dans les autres départements. L’Ordre des pharmaciens, qui finance le dispositif, envisage la généralisation du DP à l’ensemble de la France au mois de septembre 2008.
Dans les départements pilotes, 14 % des officines concernées sont entrées dans le dispositif. 168 000 dossiers ont été ouverts, ce qui correspond à un taux d’acceptation par les patients de 80 %. Seulement 20 % le refusent. Le DP est considéré comme fiable et facile d’utilisation. Il peut être un vecteur efficace pour renforcer la confiance entre le patient et le pharmacien. Le patient peut refuser l’utilisation du DP et demander sa fermeture à tout moment. Il peut aussi en demander une copie papier pour compléter l’information de son médecin ou en cas d’hospitalisation. En effet, le médecin peut consulter « l’historique des remboursements » du patient (précédemment appelé Web-médecin), qui est géré par la CNAMTS, mais cet historique ne comporte que les médicaments présentés à l’assurance maladie pour remboursement.
La MECSS souhaite un renforcement de la vigilance à l’égard des contrefaçons de médicaments. Elle demande, d’une part, que toutes les mesures soient prises pour assurer la traçabilité des lots de médicaments afin de faciliter le repérage et le retrait des lots contrefaits, d’autre part que les actions d’inspection auprès des fabricants et grossistes soient multipliées. Elle souhaite aussi un renforcement de la lutte contre les circuits non contrôlés d’importation, de distribution et de commercialisation ainsi que la relance de la réflexion engagée sur la création d’un site internet permettant de sécuriser l’offre de dispensation à distance de médicaments par le circuit des pharmaciens d’officine. Par ailleurs, dans l’attente de la mise en œuvre du dossier médical personnel, la MECSS souhaite le déploiement national, aussi rapidement que possible, du dossier pharmaceutique et la publication du décret nécessaire à cette généralisation.
b) Le rôle des pharmaciens d’officine dans le conseil et l’accompagnement des patients doit être développé
La dispensation du médicament ne se limite pas à la simple délivrance. Le code de la santé publique prévoit notamment que le pharmacien doit aussi fournir aux patients les informations et les conseils nécessaires au bon usage des médicaments. À cet effet, la convention nationale des pharmaciens du 23 mars 2006 comporte des dispositions concernant le suivi et l’accompagnement pharmaceutique des patients, l’observance des traitements et le bon usage des médicaments. Un sondage d’IPSOS-santé sur « les Français et leur pharmacien », effectué en janvier 2008, montre que ce rôle de conseil du pharmacien est reconnu par les patients. D’ailleurs, le recours aux pharmacies est souvent déconnecté de l’acte d’achat de médicaments ; dans près de la moitié des cas, la personne entre dans la pharmacie pour demander au pharmacien un conseil au sujet d’un problème de santé ou des informations sur un médicament consommé. Différentes études montrent d’ailleurs que les patients sont généralement très fidèles à leur pharmacien, ce qui est favorable à la création d’un lien continu entre le patient et le pharmacien.
Le dossier pharmaceutique est un outil pratique qui peut favoriser l’évolution vers un meilleur accompagnement du patient. Le DP contribue, en effet, à renforcer le rôle du pharmacien dans le système de soins et dans la prise en charge individualisée du patient. Il permet un approfondissement de la relation du pharmacien avec le patient et rend possible la mise en place d’un véritable suivi thérapeutique à l’officine.
Cette évolution est d’ailleurs souhaitable. Avec le développement de médicaments de plus en plus complexes, notamment sortis de la réserve hospitalière et destinés à traiter des maladies graves, tels que le cancer et le sida, le besoin de conseils, d’aide à l’observance et d’accompagnement thérapeutique des patients devrait augmenter. Le pharmacien d’officine, dont la formation doit être adaptée aux nouvelles exigences de la dispensation, sera de plus en plus sollicité. Cette évolution a d’ailleurs été amorcée avec l’exercice du droit de substitution pour les médicaments génériques. Elle sera encore accentuée et d’autant plus nécessaire avec le développement, d’une part du maintien à domicile des personnes âgées souvent atteintes d’affection de longue durée et polymédiquées, d’autre part de l’automédication. Par ailleurs, l’évolution de l’exercice de la médecine vers une pratique plus collégiale pouvant associer, à l’instar d’autres pays comme le Royaume-Uni, plusieurs catégories de professionnels médicaux et paramédicaux (médecins, pharmaciens, infirmières, diététiciens…) devrait également conduire à développer le rôle de conseil et d’accompagnement du pharmacien d’officine. À cet égard, on peut citer l’exemple de la nouvelle convention des infirmières qui donne à celles-ci le droit de prescrire certains dispositifs médicaux.
La MECSS souhaite que soient définis, en concertation avec les représentants de la profession, les voies et moyens d’une valorisation du rôle des pharmaciens d’officine et d’une optimisation du service pharmaceutique qui passe par un renforcement de leur mission en matière de conseil, d’éducation thérapeutique, d’observance, d’aide et d’accompagnement des patients.
La politique de développement des génériques a été engagée en France en 1996, avec retard par rapport à l’Allemagne qui a commencé la promotion des génériques dès les années 1980.
En outre, on peut rappeler que la France se caractérise par un phénomène qui ne se retrouve pas dans les autres pays européens : un déplacement des prescriptions vers les produits les plus récents non génériqués, plus onéreux et dont le service médical rendu est souvent équivalent. Par exemple, au Royaume-Uni, 83 % des prescriptions d’IPP sont réalisées dans le répertoire des génériques contre 50 % en France.
Or, les médicaments génériques ont la même efficacité que les médicaments princeps mais ils sont environ 30 % à 40 % moins chers. La politique de développement des génériques ne vise donc pas un objectif direct de santé publique, mais a pour objet une meilleure maîtrise des dépenses de médicaments. Il s’agit, à efficacité thérapeutique identique, de favoriser la prescription des médicaments au plus faible coût.
Le marché des génériques qui représente déjà 10 % du marché mondial des médicaments devrait se développer rapidement dans les prochaines années. En France, avec l’arrivée, entre 2004 et 2007, de nombreux brevets de médicaments dans le domaine public, la politique de développement des génériques revêt une grande importance. On estime que les molécules concernées représenteraient une économie potentielle de plus de 3,8 milliards d’euros pour l’assurance maladie. La question est donc de savoir comment réaliser ce potentiel.
1. Contrer les stratégies de contournement des génériques
a) La France n’a comblé qu’une partie de son retard en matière de médicaments génériques
La France, en dix ans, a rattrapé une partie de son retard sur ses principaux voisins européens. La part des génériques, en volume, dans les médicaments remboursables est passée de 5,4 % en 2000 à 17,7 % en 2006. Cela reste toutefois inférieur au niveau atteint par l’Allemagne et le Royaume-Uni, où la part des ventes de génériques dans l’ensemble des ventes de médicaments était déjà supérieure à 20 % en 1996 ou 1997. En 2006, en France, un peu plus d’une boîte de médicaments vendue sur six est générique, contre une boîte sur deux aux Pays-Bas, au Danemark et en Allemagne. Au Royaume-Uni, les génériques représentent 60 % des boîtes et 24 % du chiffre d’affaires. En France, les génériques représentaient 9,9 % du chiffre d’affaires des médicaments.
Fin mai 2007, le taux de pénétration dans le répertoire des génériques s’élevait à 74,5 % (cela signifie que la délivrance du générique est acceptée dans les trois quarts des cas), soit une hausse de 4,5 points par rapport à fin 2006. La France se situe ainsi à un niveau comparable à celui de ses voisins européens. Le répertoire des génériques est la liste des spécialités princeps généricables et des génériques qui lui sont attachés. C’est dans ce répertoire que peut s’exercer le droit de substitution des pharmaciens.
L’assurance maladie rembourse environ 440 millions de boîtes de génériques par an, soit cinq fois plus qu’en 1999. La CNAMTS estime qu’au total, en 2006, plus d’un milliard d’euros d’économies a été réalisé grâce au développement des médicaments génériques. La pénétration des génériques a contribué à ces économies à hauteur de 600 millions d’euros. Le reste des économies est lié aux baisses de prix appliquées dans le répertoire (400 millions d’euros) et à la mise en place des tarifs forfaitaires de responsabilité (70 millions d’euros).
La poursuite de la progression des génériques se heurte maintenant à la diminution de la part du répertoire dans l’ensemble des médicaments. Fin 2007, le répertoire des génériques comprenait 211 molécules.
b) Les moyens de lutter contre les stratégies de contournement des génériques doivent être renforcés
Les firmes pharmaceutiques mettent en place des stratégies de contournement des génériques pour éviter que ceux-ci ne viennent se substituer au médicament princeps au moment où son brevet tombe dans le domaine public. Afin de bloquer la mise sur le marché des génériques ou limiter la substitution du générique au princeps, les laboratoires cherchent à accroître la durée de la protection du brevet, notamment en étendant les indications du médicament princeps, ou en diversifiant leur gamme de produits par la création de nouveaux dosages, d’associations de molécules ou de nouvelles présentations.
La principale stratégie de contournement de génériques consiste à mettre sur le marché avant la générication d’un produit fabriqué par le laboratoire (ou même d’un produit concurrent) un produit très similaire (un me too). Alors que le produit en voie d’être génériqué n’est plus du tout promu, le nouveau produit, à force de promotion par les visiteurs médicaux auprès des médecins, viendra remplacer l’ancien produit et captera la part de marché durant plusieurs années, sans risque d’être génériqué.
Cette stratégie a, par exemple, parfaitement fonctionné pour Inexium d’AstraZeneca qui a été mis sur le marché dans le but de remplacer le Mopral (génériqué en 2004) mais aussi ses concurrents.
La stratégie la plus récente de contournement de génériques consiste à fabriquer des associations de molécules avec une molécule dont le brevet tombe dans le domaine public et une autre qui est encore protégée par un brevet. L’association permet de conserver une part de marché de la molécule génériquée tout en captant une autre part de marché de la molécule associée.
On peut citer l’exemple du laboratoire MSD qui a lancé, fin 2005, le produit Fosavance, dans le but de reprendre la part de marché de Fosamax qu’il commercialisait mais dont le brevet était menacé. La substitution du nouveau produit à l’ancien a très bien fonctionné. Fosamax est aujourd’hui substitué à 60 %.
Afin de contrer ces stratégies de contournement des génériques, plusieurs modifications de la législation ont été récemment apportées. D’une part, la création, en 2005, de l’autorisation de mise sur le marché globale (AMM globale) vise à empêcher l’obtention d’une protection supplémentaire en cas d’extension de gamme des médicaments princeps. Par ailleurs, la définition du médicament générique et le champ du répertoire des groupes génériques ont été étendus.
Cependant, le droit actuel ne permet pas de limiter les associations de médicaments. Or, ces associations, qui permettent d’accroître la durée de protection des données mais ne visent pas à apporter une réelle innovation thérapeutique, augmentent les risques de surmédication.
Par ailleurs, la principale difficulté que rencontrent les génériqueurs est le manque d’information sur la date d’expiration des brevets.
La MECSS souhaite que soit encouragé l’élargissement du répertoire des génériques et que soit prévue la possibilité d’empêcher la prolongation de la protection des données en cas d’association de médicaments n’apportant pas de réelle innovation thérapeutique. La MECSS souhaite également l’instauration, pour les laboratoires exploitants des spécialités pour lesquelles ils détiennent des brevets, d’une obligation de déclarer au CEPS les titres considérés et leur date d’échéance. En outre, la MECSS souhaite qu’il soit apporté une attention particulière aux conditions permettant d’assurer la viabilité économique de la fabrication de génériques et le développement de ce marché en France.
2. Accroître la délivrance de génériques
a) Renforcer les actions conventionnelles avec les médecins et promouvoir la prescription en dénomination commune
Le développement des génériques suppose d’inciter les médecins à prescrire, soit directement un générique, soit un princeps dans le répertoire des génériques pour que le pharmacien puisse exercer le droit de substitution, soit, enfin, un médicament en dénomination commune internationale (DCI), ce qui facilite l’exercice du droit de substitution.
L’accord conventionnel du 5 juin 2002 prévoyait qu’en contrepartie de la revalorisation du tarif de la consultation à 20 euros les médecins devaient prescrire 25 % de leurs lignes de prescription en DCI ou directement en génériques. La prescription en DCI a progressé mais l’objectif n’a pas été atteint. Elle est passée de 4,2 %, en 2002, à 11,2 %, fin 2006. En outre, elle reste beaucoup moins fréquente chez les spécialistes (4,1 % fin 2006). En revanche, l’objectif de prescription dans le répertoire a été largement atteint.
La convention des médecins du 12 janvier 2005 met l’accent sur le développement des génériques. Les délégués de l’assurance maladie, dans le cadre du retour personnalisé d’information des médecins sur leurs pratiques, doivent notamment les informer de leur niveau de prescription de génériques.
Par ailleurs, l’avenant n° 12, du 3 mars 2006, à la convention prévoit une amplification de l’effort en matière de prescription dans le répertoire des génériques, notamment sur la classe thérapeutique des statines, des IPP et des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et des sartans.
Enfin, l’avenant n° 23, du 29 mars 2007, fixe un objectif collectif de prescription d’IPP dans le répertoire de 75 % (en nombre de boîtes) et une déclinaison par médecin avec un retour d’information personnalisé.
La MECSS souhaite que la mobilisation pour la prescription de génériques soit poursuivie et que la formation initiale et continue des médecins intègre mieux l’enseignement en DCI.
b) Poursuivre la mobilisation des pharmaciens sur le droit de substitution et l’effort d’information des assurés
Les pharmaciens sont les premiers promoteurs des génériques auprès des assurés. Le développement des génériques résulte, en effet, en grande partie, de l’exercice du droit de substitution par les pharmaciens d’un générique à un médicament princeps dans le répertoire des génériques prescrit par le médecin.
Les pharmaciens jouent donc un rôle clé dans ce domaine et leur mobilisation sur ce thème est essentielle. L’accord conventionnel du 6 janvier 2006 a fixé un objectif de pénétration des médicaments génériques à 70 % du répertoire pour la fin 2006 (61,4 % en 2005). Cet objectif a été décliné pour chaque officine, en fonction du taux initial de délivrance de médicaments génériques. L’objectif a été globalement atteint au niveau national mais des différences subsistent selon les pharmacies : les pharmacies de petite taille ou situées dans les grandes villes délivrent moins de génériques. En 2007, les délégués de l’assurance maladie ont effectué 24 000 visites chez les pharmaciens afin de présenter l’accord ainsi que les profils personnalisés par officine et un numéro de la « lettre aux pharmaciens » de l’assurance maladie a été consacré à ce sujet.
Les campagnes de communication de l’assurance maladie qui ont pour but de convaincre les patients d’accepter les génériques contribuent aussi au développement de ces produits. L’assurance maladie a multiplié les contacts directs avec les assurés. Plus de 400 000 courriers leur ont été envoyés. Des lettres ciblées destinées, d’une part à informer les assurés qui consomment peu ou pas de génériques, d’autre part à remercier ceux qui ont modifié leur comportement en faveur des génériques, ont été envoyées.
La montée en charge du dispositif « tiers payant contre génériques » qui prévoit la suppression de la dispense d’avance de frais en cas de refus de la substitution d’un générique au princeps a également favorisé le développement de la substitution. Ce dispositif est actuellement appliqué dans plus de la moitié des départements (55).
La MECSS considère que des marges de progrès dans la délivrance des médicaments génériques subsistent. Afin de les réaliser, elle souhaite l’accentuation de la mobilisation des pharmaciens et des DAM sur ce thème et le développement de la communication de l’assurance maladie en direction des assurés. Elle souhaite également que le dispositif du « tiers payant contre génériques » soit généralisé à l’ensemble des départements qui n’atteignent pas les objectifs fixés par les accords conventionnels.
C. DÉVELOPPER UNE AUTOMÉDICATION RESPONSABLE
On peut rappeler qu’en France, l’automédication occupe une place limitée. Elle représente 17 % des médicaments vendus, en volume, et 8 % du chiffre d’affaires, soit 1,6 milliard d’euros, en 2005. En outre, la part de marché des médicaments consommés en automédication est stagnante. Rappelons aussi que l’automédication comprend les produits qui ne peuvent pas être remboursés et la part des produits remboursables de prescription médicale facultative (PMF) qui ne sont pas présentés au remboursement parce qu’ils ont été achetés sans ordonnance (un quart des PMF).
L’automédication correspond au souhait d’autonomie des patients qui sont, pour une bonne part d’entre eux, de mieux en mieux informés ou, parfois, croient l’être. L’automédication est l’expression de la volonté du patient de se prendre en charge lui-même pour soigner son affection. En décidant de recourir à l’automédication pour de petits maux de santé, le patient s’inscrit dans une démarche responsable.
Le développement d’une automédication responsable et maîtrisée devrait permettre de mieux responsabiliser les patients et au médecin de redéployer une partie son temps médical vers d’autres activités, par exemple de prévention ou d’éducation thérapeutique.
a) Le droit français ne définit pas expressément l’automédication
Le droit français ne définit pas explicitement les médicaments à prescription médicale facultative ni l’automédication.
On peut rappeler que tous les médicaments, qu’ils soient soumis à prescription médicale obligatoire (PMO) ou à prescription médicale facultative (PMF), doivent, pour être vendus en officine, avoir fait l’objet de la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) par l’AFSSAPS.
Le code de la santé publique dispose que la prescription est obligatoire pour toutes les spécialités inscrites sur une liste (liste I, liste II, stupéfiants). Les listes I et II comprennent en particulier « les médicaments susceptibles de présenter directement ou indirectement un danger pour la santé » ou « contenant des substances dont l’activité ou les effets indésirables nécessitent une surveillance médicale » (article L. 5132-6). La liste I comprend les médicaments présentant les risques les plus élevés.
Mais le code de la santé publique ne fixe pas de définition spécifique pour les spécialités de prescription médicale facultative. Ces dernières représentent, par défaut, toutes les spécialités ne présentant pas les critères d’inscription sur une des listes citées.
La réglementation européenne est un peu plus précise. Elle prévoit, en effet, que les médicaments non soumis à prescription sont « ceux qui ne répondent pas aux critères énumérés » que doivent respecter les médicaments soumis à prescription médicale (article 72 du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain). Le code communautaire ajoute que c’est l’autorité d’enregistrement qui, en délivrant l’AMM, décide du statut du médicament.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) donne, dans une recommandation relative à l’automédication publiée en 2000, une définition plus explicite encore puisqu’elle considère que l’automédication consiste en la sélection et l’utilisation de médicaments par les personnes pour traiter les maux et symptômes qu’elles ont elles-mêmes identifiés. Dans cette recommandation, l’OMS ajoute, d’une part, que les médicaments d’automédication sont ceux qui ne nécessitent pas de recours à une prescription médicale, qui sont produits, distribués et vendus dans le but d’une utilisation à l’initiative du consommateur et sous sa propre responsabilité, d’autre part, que le conditionnement et les informations sur le produit figurant sur la boîte et la notice doivent être adaptés pour permettre une correcte automédication.
Actuellement, tous les produits dont le principe actif ne figure pas sur une des listes prévues par le code de la santé publique peuvent donc faire l’objet d’une automédication, c’est-à-dire être achetés sans prescription médicale. Or, l’accès au remboursement et l’obligation de prescription médicale ne sont pas superposables, puisque certains médicaments ne sont disponibles que sur prescription médicale sans être remboursables par l’assurance maladie. En conséquence, le champ des médicaments d’automédication recouvre des produits non remboursables mais aussi des produits qui sont remboursables lorsqu’ils font l’objet d’une prescription médicale.
b) L’automédication pourrait être définie comme un comportement
Le rapport sur l’automédication remis, en janvier 2007, par MM. Alain Coulomb et Alain Baumelou à M. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé et des solidarités, estime que l’automédication doit être considérée comme un comportement et non comme une catégorie de produits.
En conséquence, il propose de définir « l’automédication comme le fait pour un patient d’avoir recours à un ou plusieurs médicaments de prescription médicale facultative (PMF) dispensé(s) dans une pharmacie et non effectivement prescrit(s) par un médecin ».
On peut noter que cette définition exclut l’utilisation des médicaments à prescription obligatoire stockés dans « l’armoire à pharmacie familiale ».
L’Ordre des pharmaciens, dans son livre blanc sur le bilan et les perspectives de la pharmacie d’officine en France, publié au mois de janvier 2008, estime qu’il serait préférable d’utiliser l’expression de « médication officinale » plutôt que celle d’automédication. La première traduirait mieux le caractère sécurisé de la dispensation à l’officine.
2. Maîtriser la mise devant le comptoir des officines de certains médicaments à prescription médicale facultative
Le gouvernement a annoncé sa volonté d’autoriser la mise à disposition de médicaments non soumis à prescription devant le comptoir des pharmacies dans des conditions devant permettre d’assurer la sécurité de la dispensation et dans le respect du monopole des pharmaciens. À cet égard, on peut rappeler que, lors de la remise du rapport présenté par M. Jacques Attali, au nom de la commission pour la libération de la croissance française, au mois de janvier 2008, le Président de la République a indiqué qu’il n’était pas favorable à la mise en vente de médicaments dans les grandes surfaces.
a) Les conditions de mise en place sont en cours de définition
En décembre 2007, quatre groupes de travail ont été créés pour préparer le cadre de cette évolution. À l’issue de la réunion de concertation, organisée le 15 janvier 2008, la ministre de la santé a fixé les principes du libre accès de certains médicaments dans les officines, avec pour objectif un démarrage effectif au premier semestre 2008.
Le principe du libre choix, pour le pharmacien, d’organiser ou non dans son officine l’accès direct à des médicaments PMF a été retenu. L’AFSSAPS doit établir la liste de spécialités qui devront respecter certains critères. Il est prévu de commencer avec une première liste d’environ 200 spécialités qui sera progressivement élargie. Le conditionnement devra être adapté à la posologie et à la durée de traitement et, à terme, muni d’un dispositif en vue de s’assurer qu’il n’a pas été ouvert. Le contenu de la notice devra être adapté pour la bonne information du patient. Les spécialités ne devront pas avoir fait l’objet d’une restriction de publicité dans leur AMM.
Les spécialités en accès direct devront être présentées dans un espace réservé et clairement identifié. L’objectif est d’éviter toute confusion ou mélange avec des produits n’ayant pas d’AMM.
Les prix devront être clairement affichés et l’ensemble des acteurs devra s’engager dans une modération des prix. Un « observatoire des prix » de ces médicaments sera créé pour suivre leur évolution.
Dans sa rédaction actuelle, le code de la santé publique interdit le libre accès à des médicaments, qu’ils soient à prescription obligatoire ou facultative, remboursables ou non. Un décret en Conseil d’État devrait donc être publié au printemps 2008 pour permettre de démarrer le libre accès à certains médicaments PMF dans les officines avant l’été.
Ces principes paraissent de nature à pouvoir sécuriser le démarrage de la mise à disposition devant le comptoir des produits à PMF. Le déploiement national du dossier pharmaceutique pourrait aussi y contribuer.
b) L’intérêt de la démarche n’est pas toujours bien compris et les conditions de mise en œuvre suscitent des inquiétudes
Cependant, à ce stade, selon deux sondages Ipsos santé, réalisés aux mois de janvier et février 2008, l’idée d’un libre accès de certains médicaments dans les pharmacies ne recueille qu’une approbation minoritaire des patients (62 % des personnes se disant plutôt pas favorables – 30 % – ou pas du tout favorables – 32 %) et des pharmaciens (84 % y sont défavorables). Certains pharmaciens expriment la crainte que les médicaments PMF finissent un jour par être vendus dans les grandes surfaces, que le libre accès ne fasse pas baisser le prix des médicaments et ne permette pas à la sécurité sociale de faire des économies ni à responsabiliser le patient et provoque des comportements dangereux. Ils évoquent aussi le manque d’information ou de place dans la pharmacie et le manque d’intérêt de la part des patients.
Force est de constater qu’il reste à lever certaines inquiétudes et à convaincre les principaux acteurs de l’intérêt de cette démarche.
La MECSS souhaite que la mise à disposition devant le comptoir des produits à prescription médicale facultative s’effectue dans le respect du libre choix des pharmaciens. La Mission souhaite aussi qu’il soit veillé au respect de l’engagement de modération sur les prix des médicaments non remboursables et à ce que la dispensation soit sécurisée et accompagnée du conseil du pharmacien. Par ailleurs, la MECSS souhaite, d’une part, que soient étudiées les conditions de la prise en charge des médicaments concernés par les organismes de protection sociale complémentaire, d’autre part, qu’il soit procédé à une évaluation de la mise en avant des comptoirs des médicaments à prescription médicale facultative.
V.- FAVORISER LA MISE EN PLACE D’UNE FISCALITÉ PLUS SIMPLE ET STRUCTURANTE
La MECSS a souhaité compléter son approche sanitaire du médicament en se penchant sur la fiscalité applicable au secteur, stratégique, du médicament. La fiscalité est, en effet, un levier essentiel qui peut contribuer à la compétitivité de notre industrie et favoriser le développement des activités de recherche et de production de médicaments sur notre territoire.
Or, au fil du temps, la fiscalité spécifique du médicament s’est de plus en plus complexifiée. Elle est, aujourd’hui, non seulement complexe mais aussi instable et peu structurante.
Les entreprises qui fabriquent ou qui distribuent les médicaments sont redevables de onze taxes, à rendement très inégal. En 2006, le montant total de ces taxes s’est élevé à 1 021 millions d’euros, ce qui représente environ 4 % du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique réalisé en France.
On peut répartir ces taxes en deux catégories, d’une part les taxes qui rémunèrent des services rendus par les organismes régulateurs (environ 60 millions d’euros en 2006), d’autre part les taxes affectées à la sécurité sociale (962 millions d’euros en 2006).
Par ailleurs, on peut ajouter la TVA sur les médicaments (1,1 milliard d’euros en 2006) dont l’essentiel de la ressource est affecté à l’assurance maladie.
A. VEILLER À L’INDÉPENDANCE DES ORGANISMES QUI PERÇOIVENT LES TAXES RÉMUNÉRANT DES SERVICES RENDUS
La Haute Autorité de santé et l’AFSSAPS, qui jouent un rôle essentiel en matière de régulation du médicament, sont en partie financées par des taxes pour services rendus.
1. La Commission de la transparence est financée en quasi-totalité par une taxe payée par les laboratoires pharmaceutiques
La Haute Autorité de santé perçoit une taxe destinée à couvrir le coût de l’évaluation du service médical rendu par le médicament. Elle est d’un montant forfaitaire pour chaque dossier présenté, mais variable selon que la demande concerne l’inscription initiale sur la liste des médicaments remboursables ou une modification ou un renouvellement de l’inscription.
Cette taxe est de faible rendement puisqu’elle a rapporté 4,2 millions d’euros en 2006, ce qui correspond à près de 7 % des recettes de la HAS. Mais elle couvre 90 % du coût de fonctionnement de la Commission de la transparence (rattachée à la HAS) qui est chargée de l’évaluation du SMR des médicaments. Cette taxe ne génère aucun contentieux.
2. Plus de la moitié du financement de l’AFSSAPS est assuré par cinq taxes payées par les laboratoires pharmaceutiques
L’AFSSAPS perçoit cinq taxes : une taxe est calculée sur le chiffre d’affaires, les quatre autres sont liées au nombre de dossiers de demandes traités par l’agence. En 2006, au total, les cinq taxes ont rapporté à l’AFSSAPS 55 millions d’euros, ce qui représente 55 % de son budget total, lequel s’est élevé à près de 100 millions d’euros.
La première est la taxe sur le chiffre d’affaires des médicaments disposant d’une AMM. Cette taxe vise à financer l’ensemble des activités de sécurité sanitaire de l’agence. Elle est payable selon un barème qui comprend neuf tranches. En 2006, elle a été payée par 400 entreprises et a rapporté 19,3 millions d’euros, ce qui représente 19 % des ressources de l’AFSSAPS.
Les quatre autres taxes sont :
– le droit progressif par demande d’autorisation de mise sur le marché (nouveaux principes actifs ou nouvelles indications) ou de modification ou de renouvellement ; il varie, selon le type de demande de 700 à 25 000 euros ; en 2006, il a rapporté à l’AFSSAPS environ 30 millions d’euros, ce qui représente 30 % des ressources de l’agence ;
– le droit pour chaque demande de visa ou de renouvellement de visa de publicité (5,6 millions d’euros) ;
– le droit d’enregistrement des médicaments homéopathiques (0,1 million d’euros) ;
– le droit pour les dossiers de demande d’importation parallèle (0,06 million d’euros).
Hormis la taxe sur le chiffre d’affaires, le rendement des autres taxes est instable et varie d’une année sur l’autre, en fonction de la politique industrielle et commerciale des laboratoires.
3. Le mode de financement des organismes qui délivrent les autorisations et évaluent les médicaments doit permettre d’assurer leur indépendance
Le financement du contrôleur par le contrôlé peut présenter un risque de conflit d’intérêts. Cette question a été fréquemment évoquée lors des auditions auxquelles a procédé la Mission. M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, ainsi que la Cour des comptes, les différents directeurs en charge de la tutelle des organismes concernés de même que les dirigeants des organismes ont estimé que le financement par des taxes pour services rendus d’une partie non négligeable des besoins de la HAS et de l’AFSSAPS ne posait pas de réel problème, dans la mesure où le dispositif est transparent.
La Cour des comptes estime toutefois préférable que la collecte de la taxe sur le chiffre d’affaires des spécialités soit assurée par la direction générale des impôts (fusionnée début avril 2008 avec la direction générale de la comptabilité publique au sein de la direction générale des finances publiques) en même temps que la TVA. Il conviendrait toutefois de s’assurer qu’un éventuel changement des modalités de collecte ne vienne pas compliquer les formalités à accomplir par les entreprises.
La MECSS comprend l’avantage qu’il y a à financer par des taxes pour services rendus une partie des besoins de la HAS et de l’AFSSAPS. Toutefois, la Mission souhaite qu’il soit veillé à ce que les conditions de financement des organismes concernés permettent d’assurer leur indépendance à l’égard de l’industrie pharmaceutique.
B. SIMPLIFIER, STABILISER OU RENDRE PLUS STRUCTURANTE LES TAXES AFFECTÉES À L’ASSURANCE MALADIE
Depuis plusieurs années, dans le cadre de la politique de maîtrise des dépenses de médicaments et de renforcement des ressources de l’assurance maladie, cinq taxes ont été créées dont les produits lui sont affectés. En 2006, elles ont représenté 962 millions d’euros.
En outre, depuis 2006, l’assurance maladie bénéficie du reversement du produit de la TVA sur les médicaments : 1,1 milliard d’euros.
Au total, en 2006, ce sont ainsi près de 2,1 milliards d’euros de taxes sur le médicament qui ont abondé les ressources de l’assurance maladie.
Taxes sur le médicament affectées à l’assurance maladie, en 2006
(en millions d’euros)
TVA nette sur le médicament |
1 142 |
Taxe sur le chiffre d’affaires |
375 |
Taxe sur les grossistes répartiteurs |
375 |
Taxe sur la promotion |
212 |
Contribution de sauvegarde |
0 |
Total |
2 104 |
1. Aménager les deux taxes destinées à maîtriser la dépense de médicaments remboursés par l’assurance maladie
a) Mobiliser la taxe sur les dépenses de promotion pour améliorer la régulation de la visite médicale
La taxe sur les dépenses de promotion des médicaments remboursables (375 millions d’euros) est calculée à partir de quatre tranches de barème applicables aux dépenses de promotion. L’assiette est constituée des rémunérations et des charges sociales et fiscales afférentes, des frais des visiteurs médicaux et des frais de publication et d’achats d’espace publicitaire (rémunérations, frais, publication). Des taux progressifs (en 2006 : 19 %, 29 %, 36 % et 39 %) sont appliqués en fonction de quatre tranches de barème qui tiennent compte du rapport entre les dépenses de promotion et le chiffre d’affaires en spécialités remboursables. Plus le poids relatif de l’effort de promotion dans le chiffre d’affaires est élevé, plus le taux de contribution est important. Elle est acquittée par les entreprises sur une base déclarative.
L’impact réel de la taxe sur les dépenses de promotion est incertain. La Cour des comptes estime qu’« il est vraisemblable que son effet régulateur est faible ». En outre, la taxe sur les dépenses de promotion est source de contentieux concernant la définition des différents éléments pris en compte pour son calcul (frais professionnels, dépenses de fabrication des objets promotionnels, dépenses de publication et d’achats d’espaces publicitaires…) et la date d’application des changements de doctrine de l’administration fiscale.
M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, a indiqué, lors de son audition par la Mission, qu’une réflexion était engagée concernant la réforme de la taxe sur la promotion et de la taxe sur le chiffre d’affaires, réflexion qui pourrait se traduire par des dispositions insérées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.
La MECSS souhaite que la sécurité juridique de la taxe sur la promotion soit assurée et que les textes nécessaires à la clarté du dispositif soient publiés dans les meilleurs délais. Elle souhaite aussi qu’une réflexion soit engagée avec l’industrie du médicament et le CEPS en vue d’améliorer la régulation quantitative (objectifs quantifiés) et qualitative (analyse des effets de la certification) de la visite médicale et, le cas échéant, de renforcer la taxe sur la promotion.
b) Simplifier la contribution à la clause de sauvegarde de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) pour la rendre effectivement applicable
La contribution à la clause de sauvegarde de l’ONDAM a été créée en 1999. Elle est destinée à recouvrer une partie du dépassement constaté entre la croissance du chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises pharmaceutiques et un taux de progression (taux K) défini, chaque année, en loi de financement de la sécurité sociale. Elle est due seulement par les entreprises qui n’ont pas conclu de convention avec le CEPS et dont le chiffre d’affaires réalisé au titre des spécialités remboursables dépasse le taux de progression de l’ONDAM. Les entreprises ayant conclu une convention avec le CEPS sont exonérées du paiement de cette contribution et s’acquittent, en contrepartie, du paiement de remises conventionnelles.
Le taux K est donc le taux de progression à partir duquel le calcul de la contribution est effectué. Ce taux a ainsi évolué : 2 % en 2000, 3 % en 2001 et 2002, 4 % en 2003, 3 % en 2004, 1 % de 2005 à 2007, 1,4 % en 2008.
En cas de dépassement, un taux de contribution croissant (50 %, 60 % et 70 %) est appliqué en fonction de l’importance du dépassement du chiffre d’affaires par rapport à l’objectif fixé pour l’ONDAM (inférieur à 0,5 %, entre 0,5 % et 1 %, au-dessus de 1 %). Plus le dépassement est important, plus le taux de la contribution est élevé. Le montant de la contribution est réparti entre les entreprises redevables et en trois parts qui prennent en compte le niveau du chiffre d’affaires (30 %), la progression du chiffre d’affaires (40 %) et les frais de promotion (30 %).
Le dispositif est particulièrement complexe. Il articule un seuil de déclenchement, une taxation collective et une valorisation individuelle compliquée qui prend donc en compte, notamment, les dépenses de promotion, lesquelles sont déjà assujetties à la taxe sur la promotion. D’autre part, les URSSAF qui sont chargées du recouvrement rencontrent des difficultés pour déterminer les entreprises redevables et des difficultés pratiques de calcul qui engendrent de nombreuses opérations de régularisation. En outre, le dispositif ne permet, en théorie, de récupérer qu’une partie du dépassement et on ne peut pas considérer qu’il correspond à la logique d’enveloppe fermée ou de crédits limitatifs que le rapport Attali, susmentionné, propose d’instaurer.
En fait, la contribution à la clause de sauvegarde de l’ONDAM est de rendement nul. Elle a perdu tout objectif de rendement et aucune entreprise ne l’acquitte. De fait, elle n’est plus qu’un dispositif d’incitation à la contractualisation des laboratoires avec le CEPS.
Il faut en effet rappeler que les entreprises conventionnées, en application de l’accord-cadre conclu entre le CEPS et le LEEM, s’engagent à verser des remises conventionnelles. En 2006, celles-ci ont représenté 507 millions d’euros, soit environ 2 % du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique.
La clause de sauvegarde conserve donc son utilité : elle sert d’étalon puisque les remises ne peuvent excéder, globalement, le montant de la clause de sauvegarde que l’ensemble des entreprises auraient payé si elles n’avaient pas été conventionnées.
On peut ajouter que le champ d’application de la clause de sauvegarde de l’ONDAM a été étendu en 2006 aux médicaments faisant l’objet d’une rétrocession hospitalière mais que les textes d’application de cette mesure n’ont pas encore été publiés.
La MECSS souhaite, d’une part, que le dispositif de clause de sauvegarde de l’ONDAM soit simplifié afin de rendre possible, le cas échéant, son application effective, d’autre part, que les textes d’application de ladite contribution aux spécialités pharmaceutiques faisant l’objet d’une rétrocession hospitalière soient rapidement publiés.
2. Stabiliser les deux autres taxes destinées à procurer des ressources à l’assurance maladie
a) Maintenir la taxe sur les grossistes répartiteurs
La taxe sur les grossistes-répartiteurs, aussi dénommée « contribution sur les ventes directes », est due par les entreprises de vente en gros de médicaments (grossistes-répartiteurs) et par les fabricants de médicaments qui vendent directement en gros. La taxe est calculée, d’une part, sur le chiffre d’affaires au taux de 1,9 %, d’autre part, sur la progression du chiffre d’affaires au taux de 2,25 %. En 2006, elle a rapporté 375 millions d’euros.
En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, a créé une contribution exceptionnelle de régulation due par les mêmes entreprises et calculée sur la même assiette avec des taux respectifs de 0,21 % et 1,5 %. Le rendement prévu était de 37 millions d’euros.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 prévoyait de proroger pour 2008 cette contribution exceptionnelle en portant le taux applicable au chiffre d’affaires à 0,22 % et en laissant inchangé à 1,5 % le taux applicable à la progression du chiffre d’affaires. Le rendement attendu était de 50 millions d’euros. La contribution a finalement été remplacée par une réduction des marges des grossistes, d’impact financier équivalent.
b) Stabiliser la taxe sur le chiffre d’affaires
La taxe sur le chiffre d’affaires est due par les entreprises qui exploitent des médicaments remboursables. Instaurée en 2004, à titre exceptionnel, pour compenser la baisse des recettes résultant de la modification des tranches du barème de la taxe sur la promotion, elle a été reconduite depuis, tous les ans, par les lois de financement de la sécurité sociale. Son taux, initialement fixé à 0,525 % en 2004, a été porté à 0,6 % en 2006. Le taux de la contribution a été fixé, « à titre exceptionnel », à 1,76 % en 2007 et à 1 % en 2008.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a, en outre, supprimé l’abattement à la taxe sur le chiffre d’affaires créé par la loi du 26 février 2007 d’adaptation du droit communautaire dans le domaine du médicament, à la suite de la décision prise par le Conseil stratégique des industries de santé. Cette suppression est la conséquence de la réforme du crédit d’impôt recherche (CIR) prévu par la loi de finances pour 2008. La réforme du CIR est en effet bien plus favorable pour les entreprises pharmaceutiques que l’abattement.
En 2006, la taxe sur le chiffre d’affaires a rapporté 375 millions d’euros.
La taxe sur le chiffre d’affaires est utilisée comme un moyen de régulation. Le taux est adapté en fonction de l’évolution des ventes de médicaments. Elle est un des outils disponibles pour assurer la régulation du secteur, à côté des réductions de prix et des remises conventionnelles.
La fluctuation du taux de la taxe et le fait que celui-ci soit connu tardivement, au moment de la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale, font l’objet de critiques, les entreprises se plaignant de manquer de visibilité pour établir leurs prévisions budgétaires.
La MECSS estime qu’il serait souhaitable de donner une meilleure visibilité aux entreprises pharmaceutiques en matière de taxe sur le chiffre d’affaires. Elle demande qu’une réflexion soit engagée avec l’industrie pharmaceutique, par exemple dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé, visant à fixer un taux pluriannuel de taxe sur le chiffre moins élevé en contrepartie d’un renforcement des remises conventionnelles.
3. Assurer le recouvrement de la TVA sur les médicaments et évaluer les effets des déremboursements sur les recettes de taxes
Depuis 2006, la sécurité sociale reçoit, en compensation des exonérations de charges sociales, un panier de taxes – parmi lesquelles la TVA sur les médicaments – dont une grande partie du produit est affectée à l’assurance maladie.
Le taux de la TVA applicable aux médicaments remboursables s’élève à 2,1 % et celui applicable aux médicaments non remboursables à 5,5 %. En 2006, le montant de la TVA nette déclarée par les entreprises du médicament s’est élevé à 1,1 milliard d’euros.
Les contrôles opérés ont été productifs puisqu’ils ont permis de récupérer 53 millions d’euros en 2006, soit près de 5 % de la recette nette de TVA sur les médicaments.
Les décisions de déremboursement sur les recettes de TVA et des autres taxes sur les médicaments ont des conséquences sur les prix des médicaments et les volumes vendus et remboursés. Mais on n’a qu’une connaissance partielle de ces effets. Ainsi, on sait que le déremboursement d’un médicament conduit à une diminution des dépenses d’assurance maladie et met fin au versement des taxes dues au titre des médicaments remboursables, mais on ne peut en établir un bilan précis.
La MECSS souhaite, d’une part, que l’administration fiscale poursuive une politique active de contrôle de la TVA sur les médicaments, d’autre part, que l’impact des déremboursements sur les recettes de TVA et des autres taxes sur le médicament soit évalué.
*
La MECSS a souhaité s’appuyer sur un constat chiffré, étayé et précis de la consommation de médicaments en France et a cherché à prendre la mesure des différents facteurs expliquant le haut niveau de prescription et de consommation de médicaments en ville qui caractérise notre pays.
Les propositions qu’elle formule visent à promouvoir le bon usage des médicaments et à renforcer l’efficience des prescriptions. Elles concernent tous les acteurs intéressés et leur mise en œuvre suppose une mobilisation de chacun d’entre eux dans le cadre d’un partenariat actif de santé. Le pari de la responsabilisation de tous peut être gagné si les enjeux sont bien compris, la démarche éclairée et partagée. Notre souhait est que le présent rapport puisse y contribuer.
Les mesures proposées seront d’autant plus efficaces si elles s’inscrivent dans l’évolution de l’organisation du système de soins avec le décloisonnement de la médecine de ville, de l’hôpital et du médico-social que devrait notamment permettre la création des agences régionales de santé, un exercice plus en équipe de la médecine de ville, le développement de la prévention, du conseil et de l’accompagnement des patients que doit favoriser l’évolution vers de nouveaux modes de rémunération des professionnels médicaux et paramédicaux.
À l’issue de cette réflexion, la MECSS souhaite en effet souligner le rôle déterminant de la prévention, de l’éducation en santé, de l’éducation thérapeutique et du conseil pour faire évoluer les comportements de prescription et de consommation des médicaments.
*
La MECSS, comme le prévoit l’article LO 111-9-3 du code de la sécurité sociale, notifiera les préconisations du présent rapport au Gouvernement et aux organismes de sécurité sociale concernés, lesquels seront tenus d’y répondre dans un délai de deux mois, et assurera le suivi de ses conclusions.
I. AMÉLIORER L’ENCADREMENT DE LA VIE DU MÉDICAMENT ET RENFORCER LA SÉLECTIVITÉ DE L’ACCÈS AU REMBOURSEMENT
A. Veiller au bon usage des procédures dérogatoires de mise sur le marché et de prescription des médicaments
1. Veiller à ce que l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ne soit pas utilisée pour contourner l’autorisation de mise sur le marché (AMM)
2. Veiller à ce que le délai entre l’ATU et l’AMM soit le plus court possible
3. Contrôler, évaluer et encadrer la prescription hors AMM
B. Renforcer les règles de l’admission au remboursement et à la fixation du prix des médicaments
4. Recourir au critère de l’intérêt pour la santé publique (ISP) pour l’appréciation du service médical rendu (SMR) qui détermine le taux de remboursement du médicament
5. Contrôler le respect des règles relatives aux indications remboursables ou non (mention « NR » sur l’ordonnance)
6. Rendre obligatoire les essais cliniques contre comparateurs avant l’appréciation de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par la Commission de la transparence
7. Établir un classement des médicaments par niveau d’ASMR
8. Veiller à la mise en œuvre rapide de la nouvelle compétence médico-économique de la Haute Autorité de santé (HAS)
9. Faire participer la HAS à la redéfinition régulière du panier de médicaments pris en charge
10. Demander à la HAS d’étudier les moyens de réduire la surprescription, développer le bon usage et les alternatives à la prescription médicamenteuse
11. Demander à la HAS d’évaluer l’impact de ses recommandations et de mettre en place des indicateurs et tableaux de bord pour mesurer l’évolution des comportements de prescription
12. Évaluer les effets de la franchise sur la prescription et la consommation de médicaments ainsi que sur le développement des médicaments génériques
C. Améliorer le suivi des médicaments en pratique médicale réelle et gérer de manière plus active la liste des médicaments remboursables
13. Veiller à publier rapidement les résultats des études de pharmacovigilance et prendre sans retards les décisions de suspension ou de retraits d’AMM
14. Rendre systématique l’information sur les restrictions d’indications et assurer le contrôle de leur application
15. Relancer l’activité du groupement d’intérêt scientifique « évaluation épidémiologique des produits de santé » afin de développer l’évaluation post-AMM
16. Instaurer un dispositif de sanction pour défaut ou retard d’étude post-AMM
17. Appliquer avec davantage de célérité les recommandations de la HAS consécutives à la réévaluation des SMR
II. FAIRE ÉVOLUER LES COMPORTEMENTS DES PRESCRIPTEURS ET DES CONSOMMATEURS
A. Renforcer l’information sur le médicament
18. Veiller à l’indépendance des experts de l’AFSSAPS et de la HAS, notamment des membres de la Commission de la transparence
19. Assurer la transparence et la publicité des travaux d’expertise de l’AFSSAPS et de la HAS
20. Mettre en place, dans le meilleur délai, une base publique, exhaustive et gratuite d’information sur les médicaments
B. Agir sur les déterminants de la prescription
Réformer la formation initiale des médecins sur le médicament
21. Réformer la formation médicale initiale des médecins afin de renforcer les enseignements en pharmacologie, en pratiques thérapeutiques, notamment médicamenteuse, en économie de la santé et en prescription en dénomination commune internationale (DCI)
22. Limiter l’influence des laboratoires pharmaceutiques sur les étudiants en médecine, notamment lors des stages en milieu hospitalier
Veiller à la montée en charge de la formation médicale continue et de l’évaluation des pratiques professionnelles
23. Achever la mise en place des dispositifs de formation médicale continue (FMC) et d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP)
24. Étudier la possibilité d’adosser les conseils nationaux de la FMC à la HAS
25. Associer le ministère de la santé, la HAS et l’assurance maladie à la définition des thèmes prioritaires de FMC et d’EPP
26. Renforcer les conditions d’agrément des organismes de formation : cahier des charges plus précis, référentiel de qualité, indépendance à l’égard de l’industrie pharmaceutique, contrôle, sanctions
27. Instaurer un dispositif de sanctions en cas de non-respect des obligations de formation continue et d’EPP
28. Développer les formations associant médecins et pharmaciens
29. Développer les formations à l’écoute et à la gestion de la relation avec les patients ainsi qu’aux alternatives au médicament
30. Créer un fonds regroupant les financements publics et privés et étudier la possibilité d’un renforcement des financements institutionnels de la FMC
Rééquilibrer l’information des médecins sur le médicament
Maîtriser l’impact de la visite médicale
31. S’assurer de la remise systématique par le visiteur médical (VM) au médecin du relevé des caractéristiques du produit (RCP) et de la fiche de transparence
32. Définir l’abus de VM, doter les organismes certificateurs de la visite médicale des moyens juridiques nécessaires afin de leur permettre de contrôler le respect de la charte de la VM, instaurer un dispositif de sanction en cas de non-respect de la charte
33. Demander au Comité économique des produits de santé (CEPS) d’étendre et renforcer la régulation quantitative de la visite médicale
34. Mener des études sur l’impact de la visite médicale sur les comportements de prescription
Développer l’information publique
35. Faire de la HAS l’émetteur unique d’information sur le bon usage des médicaments
36. Transférer de l’AFSSAPS à la HAS la mission de contrôle de la publicité sur les médicaments
37. Renforcer les capacités de la HAS en matière d’analyse et d’évaluation des stratégies promotionnelles de l’industrie pharmaceutique et des prescriptions : création d’un observatoire de la prescription adossé à un réseau de médecins
38. Demander à la HAS d’établir une recommandation sur le bon usage de la visite médicale
39. Améliorer la lisibilité du site internet de la HAS et développer la diffusion de documents d’information pratique indiquant le coût des traitements
40. Doter la HAS de la capacité de diffuser de l’information sur les médicaments aux médecins en face à face : création d’un corps de « délégués de santé », spécialement formés et certifiés par la HAS, notamment pour promouvoir le bon usage des médicaments ; ce corps, constitué à partir des délégués de l’assurance maladie, serait copiloté par la HAS et la CNAMTS et géré administrativement par la CNAMTS
Diffuser les logiciels certifiés d’aide à la prescription
41. Rendre obligatoire la certification d’aide à la prescription (LAP), mettre en œuvre rapidement la procédure de certification des logiciels en médecine de ville afin que tous les logiciels proposés sur le marché soient certifiés à la fin de l’année 2009
42. Étudier la possibilité d’adjoindre aux LAP une fonction d’aide à la décision thérapeutique
43. Engager, sans tarder, le processus de certification des LAP hospitaliers
Renforcer les actions de maîtrise médicalisée de l’assurance maladie
Développer l’analyse des prescriptions
44. Développer les capacités d’analyse des prescriptions des caisses d’assurance maladie
45. Étendre au régime général le système, en vigueur à la MSA, d’alerte du prescripteur en cas de primo-prescription non conforme au bon usage ou de polymédication présentant des risques iatrogènes
Renforcer l’efficacité de la maîtrise médicalisée
46. Amplifier les efforts de maîtrise médicalisée et les étendre à de nouvelles classes de médicaments
47. Relancer la politique de publication d’accords de bon usage des soins
48. Veiller à ce que les partenaires conventionnels mettent en œuvre rapidement les dispositions issues de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 concernant l’individualisation des objectifs de maîtrise médicalisée et d’amélioration des pratiques
49. Renforcer les actions de communication des caisses d’assurance maladie sur la démarche qualité et le bon usage des médicaments
Poursuivre la montée en charge des actions individuelles sur les médecins
50. Développer, en coordination entre la HAS et l’assurance maladie, les outils permettant aux médecins d’évaluer leur pratique ainsi que les communications personnalisées de l’assurance maladie sous la forme de courriers, de contacts téléphoniques ou d’entretiens confraternels
C. Favoriser le bon usage chez les consommateurs
Développer et coordonner l’information du grand public sur les médicaments
51. Faire de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) le pilote de la diffusion de l’information sur le médicament en direction du grand public
52. Développer la communication de l’INPES sur le bon usage des médicaments et la prise en charge de sa santé
53. Renforcer la communication sur les alternatives au médicament, sur la contrefaçon de médicaments, ainsi que la vente de médicaments par correspondance et par internet
54. Améliorer la coordination des actions de communication en direction du grand public et multiplier les actions ciblées et les contacts directs avec les patients à l’initiative des caisses d’assurance maladie
55. Associer davantage les associations de patients à la définition et l’évaluation des campagnes sur le médicament
56. Enrichir et améliorer l’ergonomie des sites internet d’information institutionnelle sur le médicament
57. Mettre en place des sites d’information institutionnelle spécialisés par pathologies
Inciter à l’observance, encadrer les programmes d’accompagnement des patients et développer l’éducation thérapeutique
Encadrer strictement les programmes d’accompagnement des patients financés par l’industrie pharmaceutique
58. Définir un cadre législatif qui limite très strictement les programmes d’accompagnement ou d’aide des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques : seuls des programmes de courte durée et limités à l’apprentissage d’une technique d’administration particulièrement complexe concernant un médicament présentant un intérêt thérapeutique important (ASMR 1 ou 2) pourraient être autorisés par la HAS à condition de satisfaire à des exigences de compétence, d’indépendance, de qualité, d’objectivité, de non-sélectivité…
Favoriser le développement de programmes d’accompagnement des patients par l’assurance maladie et l’éducation thérapeutique des patients
59. Demander à la HAS de définir, en coordination avec l’AFSSAPS et l’assurance maladie, une stratégie de développement de l’éducation thérapeutique
60. Amplifier les efforts de l’assurance maladie en matière d’aide à l’observance et d’accompagnement des patients, en coordination avec l’AFSSAPS et la HAS et en concertation avec les médecins et les associations de patients
Promouvoir l’information de qualité sur les médicaments sur internet
61. Prévoir, dans le cadre de la certification des sites internet d’information en santé, l’obligation de faire figurer, sur la page d’accueil, des liens internet vers les sites institutionnels d’information en santé, tels que ceux de la HAS, l’AFSSAPS et l’INPES
62. Demander à la HAS d’évaluer la mise en œuvre de la certification des sites d’information en santé
63. Demander à la HAS de mener des études sur la demande et la consommation d’information en santé et les possibilités d’améliorer l’accès du grand public à une information simple et de qualité sur les médicaments
III. S’APPUYER SUR LE RÉSEAU DES PHARMACIES D’OFFICINE POUR PROMOUVOIR LES GÉNÉRIQUES ET DÉVELOPPER UNE AUTOMÉDICATION RESPONSABLE
A. Développer le rôle de conseil des pharmaciens d’officine
Le pharmacien d’officine de proximité doit pouvoir s’appuyer sur le dossier pharmaceutique pour assurer la sécurité de la dispensation
64. Renforcer la vigilance à l’égard des contrefaçons de médicaments, assurer la traçabilité des lots de médicaments afin de faciliter le repérage et le retrait des lots contrefaits, multiplier les actions d’inspection auprès des fabricants et grossistes
65. Renforcer la lutte contre les circuits non contrôlés d’importation, de distribution et de commercialisation
66. Étudier la création d’un site internet qui permette de sécuriser l’offre de dispensation à distance de médicaments par le circuit des pharmaciens d’officine
67. Réaliser le déploiement national du dossier pharmaceutique et publier le décret nécessaire, aussi rapidement que possible, dans l’attente de la mise en œuvre du dossier médical personnel
Développer le rôle de conseil et d’accompagnement des patients des pharmaciens d’officine
68. Valoriser le rôle des pharmaciens d’officine et optimiser le service pharmaceutique en matière de conseil, d’éducation thérapeutique, d’observance, d’aide et d’accompagnement des patients
B. Promouvoir les génériques
Renforcer les moyens de lutter contre les stratégies de contournement des génériques
69. Encourager l’élargissement du répertoire des génériques
70. Prévoir la possibilité d’empêcher la prolongation de la protection des données en cas d’association de médicaments n’apportant pas de réelle innovation thérapeutique
71. Instaurer, pour les laboratoires exploitant des spécialités dont ils détiennent les brevets, une obligation de déclarer au CEPS les titres considérés et leur date d’échéance
Accroître la délivrance de génériques
Renforcer les actions conventionnelles avec les médecins et promouvoir la prescription en dénomination commune
72. Amplifier la mobilisation de tous les acteurs, notamment des parties à la convention médicale, pour la prescription de génériques et renforcer l’action des DAM sur ce thème
73. Développer l’enseignement en DCI, en formation initiale et en formation médicale continue
Poursuivre la mobilisation des pharmaciens sur le droit de substitution et l’effort d’information des assurés
74. Amplifier la mobilisation des pharmaciens pour l’exercice du droit de substitution
75. Développer la communication de l’assurance maladie en direction des assurés sur le thème des médicaments génériques
76. Généraliser à l’ensemble des départements qui n’atteignent pas les objectifs fixés par les accords conventionnels le dispositif du « tiers payant contre génériques »
C. Développer une automédication responsable
Maîtriser la mise devant le comptoir des officines de certains médicaments à prescription médicale facultative
77. Définir l’automédication
78. Respecter le libre choix des pharmaciens pour la mise à disposition devant le comptoir des produits à prescription médicale facultative (PMF)
79. S’assurer que la dispensation des médicaments exposés devant le comptoir soit sécurisée et accompagnée du conseil du pharmacien
80. S’assurer du respect de l’engagement de modération sur les prix des médicaments non remboursables
81. Étudier les conditions de la prise en charge des médicaments concernés par les organismes de protection sociale complémentaire
82. Développer la communication institutionnelle sur l’automédication et veiller à la qualité de l’information délivrée par l’industrie pharmaceutique sur les produits à PMF concernés
83. Évaluer les effets de la mise devant le comptoir des officines de certains médicaments à prescription médicale facultative
IV. FAVORISER LA MISE EN PLACE D’UNE FISCALITÉ PLUS SIMPLE ET STRUCTURANTE
A. Veiller à l’indépendance des organismes qui perçoivent les taxes rémunérant des services rendus
84. Veiller à ce que le financement de l’AFSSAPS et de la HAS par des taxes pour services rendus permette d’assurer l’indépendance des organismes à l’égard de l’industrie pharmaceutique
B. Simplifier, stabiliser ou rendre plus structurante les taxes affectées à l’assurance maladie
Aménager les deux taxes destinées à maîtriser la dépense de médicaments remboursés par l’assurance maladie
Mobiliser la taxe sur les dépenses de promotion pour améliorer la régulation de la visite médicale
85. Publier les textes nécessaires pour assurer la sécurité juridique de la taxe sur la promotion
86. Engager une réflexion avec l’industrie du médicament et le CEPS ayant pour objet d’améliorer la régulation quantitative (objectifs quantifiés) et qualitative (analyse des effets de la certification) de la visite médicale et, le cas échéant, de renforcer la taxe sur la promotion
Simplifier la contribution à la clause de sauvegarde de l’ONDAM pour la rendre effectivement applicable
87. Simplifier le dispositif de clause de sauvegarde de l’ONDAM afin de rendre possible, le cas échéant, son application effective
88. Publier les textes d’application de ladite contribution aux spécialités pharmaceutiques faisant l’objet d’une rétrocession hospitalière
Stabiliser les deux autres taxes destinées à procurer des ressources à l’assurance maladie
89. Maintenir la taxe sur les grossistes répartiteurs
90. Engager une réflexion avec l’industrie pharmaceutique, par exemple dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé, visant à fixer un taux pluriannuel de taxe sur le chiffre d’affaires moins élevé en contrepartie d’un renforcement des remises conventionnelles
Assurer le recouvrement de la TVA sur les médicaments et évaluer les effets des déremboursements sur les recettes de taxes
91. Demander à l’administration fiscale de développer les contrôles du paiement de la TVA sur les médicaments
92. Évaluer l’impact des déremboursements sur les recettes de TVA et des autres taxes sur le médicament
*
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d’information, présenté par Mme Catherine Lemorton, rapporteure, en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments, au cours de sa séance du mercredi 30 avril 2008.
Un débat a suivi l’exposé de la rapporteure.
M. Georges Colombier, après avoir remercié Mme la rapporteure, ainsi que les deux coprésidents de la Mission, MM. Pierre Morange et Jean Mallot, qui ont assisté cette dernière dans son travail, a souligné combien le rapport d’information, dont le titre, « Médicaments : prescrire moins, consommer mieux », constitue à lui seul un programme très positif et démontre encore une fois l’utilité de la MECSS.
Il convient maintenant de veiller à l’application des quatre-vingt-douze propositions du rapport.
M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS, président, a rappelé que la philosophie de la MECSS n’est pas de se contenter de déclarations pertinentes, mais bien de voir chacune de ses recommandations suivie d’effet, comme de nombreux exemples en attestent.
M. Jean-Pierre Door a estimé que ce rapport d’information, non seulement est excellent, mais répond également à l’ambition ancienne de la MECSS de se pencher sur le sujet, important, du médicament.
Concernant, d’abord, le constat, l’analyse de l’impact des affections de longue durée (ALD) dans la consommation de médicaments constituera une excellente base pour l’élaboration du prochain rapport de la MECSS sur les ALD.
De même, en retraçant toute la chaîne du médicament, qui va du chercheur au patient, le rapport fait parfaitement ressortir les points qui peuvent être améliorés, qu’il s’agisse de la consommation médicamenteuse des particuliers, de la prescription des professionnels de santé, de l’intervention des grossistes répartiteurs, de la qualité de la visite médicale ou encore de l’attractivité du territoire auprès de l’industrie pharmaceutique.
S’agissant, ensuite, des propositions d’action, il convient de souligner, en particulier, celles relatives à la formation des prescripteurs, à l’information et l’accompagnement des patients ou au déploiement des logiciels certifiés d’aide à la prescription auprès des professionnels de santé ainsi qu’au dialogue à développer avec l’industrie pharmaceutique, le tout afin d’éviter une trop grande consommation.
Ce qu’il faut, c’est mieux soigner sans trop consommer.
M. Jean Mallot, coprésident de la MECSS, a tenu également à souligner la qualité du rapport d’information présenté par Mme Catherine Lemorton, que les coprésidents de la MECCS n’ont fait qu’assister dans son travail.
Dans sa première partie, le rapport comporte une somme de données objectives qui seront utiles à tous, tant pour argumenter en la matière que pour imaginer, éventuellement, d’autres propositions. Parmi ces données, il convient notamment de souligner le poids économique extrêmement fort du secteur du médicament dont les ventes en ville ont représenté, en 2006, 20,4 milliards d’euros, soit environ 15 % de l’ONDAM, chiffres qui montrent l’importance de ce secteur d’activité pour la maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Les propositions formulées soulignent à cet égard tout l’intérêt pour la santé publique d’une meilleure prescription, donc d’une meilleure consommation et d’un meilleur état de santé des Français.
Concernant les propositions, il a semblé d’abord nécessaire de clarifier les compétences au sein du paysage institutionnel du médicament, qui a beaucoup évolué au cours des quinze ou vingt dernières années. Ce paysage n’est en effet pas toujours très lisible avec autant d’intervenants que l’AFSSAPS, le CEPS, l’INPES, la CNAMTS (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés), la HAS et d’autres encore, d’autant que chacun dans son rôle a un impact en matière d’autorisation de mise sur le marché, d’appréciation de l’amélioration du service médical rendu et de remboursement par l’assurance maladie. Toutes ces questions concernent la santé publique en général, et il serait souhaitable que les propositions formulées, qui susciteront certainement des réactions, soient suivies d’effet.
Dans cette nébuleuse, la HAS devrait disposer d’un rôle plus important en ce qui concerne les aspects médico-économiques. L’orientation médico-économique de la prescription, soulignée à juste titre par plusieurs personnes auditionnées, doit en effet permettre de redonner tout son rôle à la puissance publique – ce qui explique d’ailleurs la volonté de créer des délégués de santé venant, en quelque sorte, contrebalancer le rôle des visiteurs médicaux –, et la HAS semble la mieux placée pour incarner l’intérêt général en cette matière.
Il est encore trop tôt pour apprécier l’impact des franchises médicales sur la consommation de médicaments, le nécessaire développement de la prévention, le recours aux génériques ou encore la responsabilisation du patient. Il y a lieu d’être, à ce stade, très dubitatif concernant cet impact. Mais les évaluations du nouveau dispositif permettront d’y voir plus clair.
Il convient, par ailleurs, de mettre l’accent, d’une part, sur les propositions formulées en matière de formation des professionnels de santé, en particulier des médecins – c’est en effet une des clés du problème –, et d’autre part, sur la fiscalité, question que le rapport analyse parfaitement sans toutefois avancer de propositions bien précises, étant entendu qu’une réflexion est en cours en la matière.
S’il ne ressort pas des travaux de la MECSS que le poids de la fiscalité spécifique au secteur des médicaments soit excessif ou qu’il nuise à la compétitivité des entreprises françaises sur le marché international ou à l’implantation de laboratoires pharmaceutiques sur le territoire national, les critiques concernant la complexité de cette fiscalité ont conduit à avancer des propositions afin de la simplifier, de la rendre plus structurante et, surtout, de la stabiliser, car les chefs d’entreprise pharmaceutique ont besoin de connaître à l’avance les règles applicables en la matière.
En tout état de cause, le travail considérable qui a été accompli, à la suite notamment des nombreuses et intéressantes auditions, va maintenant se poursuivre par le biais aussi bien des réactions qu’il suscitera que par la mise en œuvre des préconisations présentées au sein des institutions concernées. La MECSS veillera, en effet, à ce que ses recommandations soient suivies d’effet.
M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS, président, s’est félicité du travail extrêmement positif ainsi réalisé, qui ne fait que justifier la pertinence de la MECSS, dont la composition paritaire l’exonère de tout esprit polémique et lui donne la capacité à aborder, dans un excellent esprit, les problèmes de façon exhaustive et à formuler des propositions pragmatiques et concrètes. Elle a su mettre en œuvre la logique de l’évaluation et du contrôle, dont il est tant question depuis quelques années.
La MECSS aura à cœur, dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, de veiller à la traduction, par voie législative ou réglementaire, de ses préconisations afin que celles-ci soient appliquées effectivement dans le système de soins.
La commission a autorisé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.
ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION
Présidents
M. Jean Mallot
M. Pierre Morange
Membres
Mme Martine Billard
M. Philippe Boënnec
Mme Martine Carrillon-Couvreur
M. Georges Colombier
M. Rémi Delatte
M. Jean-Pierre Door
Mme Jacqueline Fraysse
Mme Catherine Génisson
M. Maxime Gremetz
Mme Danielle Hoffman-Rispal
M. Olivier Jardé
Mme Catherine Lemorton
M. Claude Leteurtre
Mme Geneviève Levy
M. Jean-Luc Préel
Mme Marisol Touraine
ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Pages
27 septembre 2007
11 heures – Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des Comptes, M. Michel Braunstein, conseiller maître, et Mme Stéphanie Bigas, conseiller référendaire 115
4 octobre 2007
9 h 30 – Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) au ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité 131
10 h 30 – M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), et M. Michel Pot, secrétaire général 140
11 h 30 – M. le Professeur Laurent Degos, président de la Haute autorité de santé (HAS), M. François Romaneix, directeur, M. le Professeur Gilles Bouvenot, membre du collège de la HAS et président de la commission de la transparence, et M. Étienne Caniard, membre du collège de la HAS et président de la commission qualité et diffusion de l'information médicale 151
18 octobre 2007
9 h 30 – M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, et M. Pierre-Jean Lancry, vice-président 157
10 h 30 – M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, et Mme Danièle Golinelli, adjointe à la sous-directrice politique des pratiques et des produits de santé 165
11 h 30 – M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et M. Jean-Pierre Roblet, directeur de l’offre de soins, M. Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA), et M. Pierre-Jean Lancry, directeur de la santé, M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI), et M. Philippe Ulmann, directeur de la politique de santé et gestion du risque 174
8 novembre 2007
9 h 30 – M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, et M. Lionel Joubaud, chef du bureau produits de santé 183
10 h 30 – M. Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé 194
11 h 30 – M. Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général adjoint de la Fédération nationale de la mutualité française, Mme Laure Lechertier, responsable du département politique du médicament, et M. Vincent Figureau, responsable du département relations extérieures 206
22 novembre 2007
9 h 30 – M. le Professeur Robert Nicodème, membre du Conseil national de l'Ordre des médecins, vice-président de la section formation et compétences médicales 216
10 h 30 – M. Pierre Levy, secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Jean-Louis Caron, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, M. Félix Benouaich, président de l’Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France accompagné de M. Jean-Gabriel Brun, vice-président, et M. Martial Olivier-Koehret, président de MG France 226
11 h 30 – M. Alain Rouché, directeur santé de la Fédération française des sociétés d'assurances, et M. Gilles Johanet, président du comité maladie-accidents, M. Michel Charton, directeur technique santé individuelle d’AXA France, M. Henri Laurent, directeur général de SwissLife prévoyance et santé, et M. Laurent Doubrovine, directeur assurance de personnes des Assurances générales de France (AGF) 233
6 décembre 2007
9 h 30 – M. Jean Parrot, président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens 243
10 h 30 – M. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, accompagné de M. Jean-Pierre Lamothe, premier vice-président, président de la commission économie de l'officine, M. Claude Japhet, président de l'Union nationale des pharmaciens de France, et Mme Marie-Josée Augé-Caumon, membre du conseil d'administration de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine 256
11 h 30 – M. Christian Lajoux, président du LEEM – Les entreprises du médicament – accompagné de M. Claude Bougé, directeur général adjoint 266
20 décembre 2007
9 h 30 – Mme Marie-Noëlle Banzet, vice-présidente des laboratoires Servier, M. Éric Ducourneau, secrétaire général des laboratoires Pierre Fabre, et M. Christian Lajoux, président directeur général de Sanofi Aventis France, accompagné de M. Philippe Cheng, directeur de la stratégie 278
10 h 30 – Mme Anne Baille, présidente des Laboratoires Ranbaxy pharmacie génériques, Mme Marie-Josèphe Baud, présidente directrice générale de Sandoz, Mme Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale de GEnériques Même MEdicaments (GEMME), M. Maurice Chagnaud, président directeur général du Laboratoire Teva Classics, et M. Gilles Chaufferin, directeur général délégué adjoint des Laboratoires Boiron 287
11 h 30 – M. Christophe Weber, président de Laboratoires internationaux de recherche (LIR), M. Jean-Christophe Tellier, président de Novartis Pharma, M. Louis Couillard, président directeur général de Pfizer France, et Mme Sabine Dandiguian, présidente directrice générale de Janssen-Cilag France 298
17 janvier 2008
9 h 30 – Mme Annie Podeur, directrice de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, M. Bernard Ortolan, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins libéraux, M. Alain Beaupin, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins salariés, et M. Dominique Bertrand, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins hospitaliers 312
10 h 30 – Mme Nathalie Tellier, chargée de mission à l’Union nationale des associations familiales et membre du bureau du Collectif interassociatif sur la santé, M. Jacques Mopin, administrateur de l’Union fédérale des consommateurs - Que choisir, accompagné par M. Christophe Le Guehennec, chargé de mission santé, et M. Thierry Saniez, délégué général de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie 324
11 h 30 – M. Bertrand Garros, président de l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, et M. Philippe Lamoureux, directeur général 331
31 janvier 2008
9 h 30 – M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général, et M. Aquilino Morelle, inspecteur, membres de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) 338
10 h 30 – M. Philippe Brunet, directeur du cabinet du commissaire européen en charge de la santé 345
11 h 30 – M. Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de la revue Prescrire 354
12 février 2008
9 h 30 – M. Jacques Sauret, directeur du Groupement d’intérêt public du dossier médical personnel (GIP-DMP) 363
10 h 30 – M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique 373
11 h 30 – Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports 381
ANNEXE 3 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braunstein, conseiller maître, et Mme Stéphanie Bigas, conseillère référendaire, sur les deux communications de la Cour des comptes à la MECSS concernant la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, mesdames, monsieur, d’avoir répondu à notre invitation et vous félicite, madame la présidente, pour votre récente nomination à la tête de la sixième chambre de la Cour des comptes.
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a demandé, fin 2005, à la Cour des comptes d’effectuer un travail préalable sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. Celle-ci nous a remis deux communications, l’une sur la fiscalité du médicament au mois de mai dernier et l’autre sur la prescription et la consommation des médicaments au mois de juillet. Je vous donne la parole, madame la présidente, pour la présentation de ces rapports.
Mme Rolande Ruellan : Pour répondre à la demande de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes vous a fait parvenir, fin 2005, les extraits de ses rapports annuels sur la sécurité sociale concernant le médicament. Les deux communications de la Cour des comptes, qui vous ont été transmises récemment, permettent d’approfondir et de vérifier les évolutions en ce domaine.
Je présenterai en premier le rapport sur la consommation et la prescription des médicaments, dont l’objet était d’analyser les facteurs pouvant expliquer la surconsommation de médicaments en France.
Trois séries de facteurs explicatifs ont été isolées : le circuit de la mise sur le marché et de l’admission au remboursement, qui est insuffisamment sélectif, les comportements de prescription des médecins, trop faiblement encadrés, et les comportements de consommation des patients, dont l’information est encore insuffisante. Le champ de l’enquête a été limité aux médicaments délivrés en ville, à l’exception de l’automédication, qui se limite en France à 6 % de la consommation. Je signale, par ailleurs, que, dans le rapport annuel 2007 de la Cour des comptes qui est paru ce mois-ci, est analysé l’achat de médicaments à l’hôpital.
La situation française est bien connue. Notre pays est au premier rang en Europe pour le niveau des médicaments prescrits et vendus, sans que cela se justifie par des indicateurs de morbidité ou de mortalité particuliers. La consommation est très concentrée. Elle concerne les affections de longue durée (ALD) et les personnes âgées, 10 % des assurés sociaux consommant 47 % des médicaments remboursés. La classe qui détient le record des médicaments consommés reste les antibiotiques, malgré une baisse due à la campagne, très efficace, conduite par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés – la CNAMTS. On constate toujours une surconsommation d’antibiotiques générant des résistances – comme les céphalosporines –, de psychotropes, de statines, d’IPP – inhibiteurs de la pompe à protons – de veinotoniques et de vasodilatateurs.
Le niveau de prescription est élevé puisque 90 % des consultations de généralistes comportent une prescription de médicaments. On note de grandes disparités de comportement entre départements et entre catégories de praticiens pour un même médicament.
Les enjeux de santé publique sont importants avec des problèmes d’affections iatrogènes et l’impact sur les dépenses d’assurance maladie est lourd puisque le coût des médicaments dans les soins de ville augmente très fortement chaque année.
L’une des premières raisons de la situation atypique de la France, de cette autre exception française, est que le circuit de la mise sur le marché et de l’admission au remboursement est insuffisamment sélectif, que ce soit lors de la première inscription des médicaments ou après leur commercialisation. La Cour des comptes avait déjà dénoncé ce manque de sélectivité en 2004.
Les autorisations de mise sur le marché (AMM) sont maintenant essentiellement délivrées par l’Agence européenne du médicament (EMEA). Celles délivrées par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) concernent surtout des génériques et des me too. La revue Prescrire a noté que plus de 85 % des dossiers examinés n’apportent rien de nouveau. Toutefois la procédure d’AMM n’a pas pour objet de faire des comparaisons : si les trois critères de l’efficacité, de l’innocuité et de la qualité du médicament sont réunis, l’AMM est délivrée.
S’agissant de l’admission au remboursement, la Cour a constaté que la réforme des critères de l’évaluation initiale prévue depuis 2004 n’est toujours pas intervenue. Les quatre niveaux de service médical rendu (SMR) qui déterminent les taux de remboursement – 65 %, 35 % ou 0 – ne permettent pas une grande sélectivité, comme le prouve le fort taux – 86 % – d’attribution de SMR important en 2006.
L’intérêt de santé publique n’est pas suffisamment pris en compte, alors qu’il a été défini par la Haute autorité de santé, la HAS. Il en résulte une confusion entre les notions de SMR insuffisant et d’inefficacité du produit. La Cour recommande donc une nouvelle fois la réforme des critères d’admission selon un schéma qui permette de prendre en compte l’intérêt de santé publique.
L’amélioration du service médical rendu (ASMR) doit être appréciée pour chaque indication, sur la base de comparaisons avec des alternatives thérapeutiques. Elle détermine le niveau de prix. Les ASMR de niveau V doivent diminuer le coût du traitement pour être admis. Une majorité de décisions de la commission de la transparence débouche sur des ASMR V.
La Cour regrette que les essais cliniques entre comparateurs ne soient pas obligatoires et qu’il n’existe pas de liste de médicaments classés par niveau d’ASMR. Elle recommande de remédier à ces insuffisances.
En 2004, la Cour avait déjà noté qu’il n’y a pas d’analyse médico-économique permettant de rapporter l’efficacité des médicaments à leur coût. Des pays voisins, dont la Grande-Bretagne et l’Allemagne, introduisent un critère économique dans leurs décisions de prise en charge des médicaments. La CNAMTS a reçu le pouvoir de fixer le taux de remboursement mais pas la liste des médicaments ni leur prix. Son pouvoir est donc illusoire, alors qu’elle est habilitée à inscrire les actes médicaux dans la classification commune de ces derniers, la CCAM. La Cour considère que le financeur devrait avoir plus de place dans la procédure d’admission au remboursement. La CNAMTS pourrait s’appuyer sur des analyses médico-économiques, que la HAS est prête à faire, pour intervenir en ce domaine.
La Cour s’est à nouveau intéressée au suivi des médicaments en vie réelle pour constater que la réévaluation de la balance bénéfice-risque est très timide. Elle a notamment déploré l’insuffisance de réactivité en pharmacovigilance, en observant que les décisions de suspension ou de retrait interviennent tardivement, alors qu’elles sont plus rapides dans d’autres pays. Cela lui a paru d’autant plus dommage que la loi du 26 février 2007 permet de renouveler l’AMM sans limitation de durée au bout de cinq ans, ce qui impose une plus grande vigilance aux difficultés pouvant surgir pendant l’utilisation des médicaments.
Je déplore que la communication adressée à la MECSS se soit retrouvée dans la presse fin août, alors qu’elle comprenait des exemples que nous avions jugés utiles de vous signaler et qui ne sont pas publiés dans le rapport annuel de la Cour des comptes sur la sécurité sociale.
La réglementation communautaire impose, depuis novembre 2003, d’intégrer des plans de gestion des risques dans le dossier d’AMM pour certains produits. Ces plans peuvent prévoir des études post-AMM, que la Cour avait déjà demandées en 2004.
L’AFSSAPS et le Comité économique des produits de santé (CEPS) demandent la réalisation de telles études mais peu vont jusqu’à leur terme. La Cour s’interroge sur la manière de rendre ces procédures plus efficaces et suggère de prévoir des sanctions financières contre les entreprises qui ne réalisent pas, ou ne réalisent pas dans les délais impartis, les études post-AMM demandées par l’AFSSAPS.
Le suivi des médicaments est également apparu peu réactif. Les opérations de réévaluation entreprises entre 1999 et 2001 n’ont pas été suivies d’effet suffisamment rapidement : il y a eu des baisses de prix et la création d’un ticket modérateur à 15 %, présenté comme une marche d’escalier vers le déremboursement. La Cour constate que les économies attendues en ont été réduites.
De manière générale, et la Cour n’est pas la seule à le dire, la transparence des travaux d’évaluation des médicaments n’est pas suffisamment assurée. La Cour a examiné la question des déclarations d’intérêt des agents et des experts, la publication des rapports d’évaluation d’AMM – les fameux RAPPE –, ainsi que celle des ordres du jour, des comptes rendus et du règlement intérieur des commissions, toutes informations rendues obligatoires par la loi du 26 février 2007 qui a assuré la transposition de la directive communautaire 2004/27/CE. Si la loi date de 2007, la directive remonte à 2004 et les établissements concernés auraient dû se préparer plus vite. On constate encore des délais très longs et des insuffisances dans la publication. La Cour recommande aussi de renforcer la transparence des groupes de travail de l’AFSSAPS et d’améliorer la gestion des conflits d’intérêt.
La forte consommation de médicaments est également due au fait que les prescriptions ne sont que faiblement encadrées.
Deux méthodes de contournement de l’AMM, qui ont leurs justifications, peuvent conduire à des abus : la procédure d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) et les prescriptions hors AMM.
L’ATU nominative ou cohorte est normalement accordée par l’AFSSAPS dans l’intérêt des malades. La Cour n’en conteste pas le bien fondé, dès lors que cela ne sert pas de procédure dilatoire pour éviter de faire des demandes d’AMM. Les risques dus à la liberté des prix des médicaments en ATU ont été pris en compte dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2007 mais l’article correspondant est d’une telle complexité que l’on est en droit de se demander s’il sera jamais appliqué.
Les prescriptions hors AMM sont plus problématiques car, quoique normalement interdites, elles sont nombreuses. Il faudrait mieux les contrôler. La prescription hors AMM est autorisée à l’hôpital selon des protocoles thérapeutiques définis par l’AFSSAPS, la HAS et l’Institution national du cancer, l’INca. En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a tenté d’encadrer la pratique en ville, qui représente entre 15 et 20 % des prescriptions : elle est permise pour des ALD ou des maladies rares sur la base de recommandations de la HAS. Il faudra veiller à ce que les autorisations dérogatoires soient utilisées uniquement dans l’intérêt médical du patient mais la Cour n’a pas de recul pour porter une appréciation sur la mise en œuvre de ce texte.
La Cour s’est également intéressée à la formation et à l’information des médecins.
Elle n’a pas procédé à une enquête spécifique sur la formation initiale, d’une part, parce que cela n’est pas de la compétence de la sixième chambre de la Cour et, d’autre part, parce que le Sénat a rédigé un rapport sur le sujet. Ce dernier montre que la place accordée au médicament dans les études médicales est extrêmement réduite et que le ministre de la santé joue un rôle trop limité dans la définition des enseignements.
S’agissant de la formation continue, la Cour n’a pas, comme elle le souhaitait, fait d’investigation particulière car l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) venait de réaliser un rapport. Elle a fait quelques études complémentaires centrées sur les questions du médicament. Il en ressort que la formation médicale continue (FMC) qui se met en place au bout de dix ans, avec beaucoup de difficultés, fait l’objet d’une organisation complexe qui ne permet pas d’éviter les conflits d’intérêts. Elle continue d’être essentiellement financée par l’industrie pharmaceutique, avec laquelle les fonds publics ne pourront jamais rivaliser.
Un code de bonnes pratiques signé entre « Les entreprises du médicament » (LEEM), les comités nationaux de FMC et le ministre de la santé en novembre 2006 a admis le financement par l’industrie, encadré par des procédures d’agrément des organismes de formation, mais elles sont dépourvues de tout caractère contraignant. Les cahiers des charges devront être précisés et il faudra peut-être prévoir des sanctions si les prescriptions de ces derniers ne sont pas respectées. Un suivi devra être organisé de cette procédure engagée depuis déjà longtemps.
L’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) prévue par la loi de 2004 est une autre approche qui devrait permettre de progresser sur l’encadrement des pratiques de prescription. Son organisation est très complexe. Alors que ce sont souvent les mêmes organismes qui font de la formation et de l’évaluation, ces deux aspects obéissent à des cahiers des charges et à des procédures parallèles.
Au total, ni le ministère en charge de la santé, ni l’assurance maladie, qui pourtant finance, ni la HAS n’ont les moyens de définir des priorités en matière de FMC ou d’EPP, ce qui empêche d’en faire un moyen d’action sur les prescriptions. Sur les cinq priorités définies pour la FMC en 2006, une seule concerne le médicament : la iatrogénie.
S’agissant de l’information des médecins, la Cour est revenue sur les bases de données de médicament pour regretter qu’il n’existe pas encore une base publique d’accès gratuit, exhaustive, objective, regroupant toutes les données administratives et médicales : AMM, dénomination commune internationale (DCI), SMR, ASMR, taux de remboursement, prix. La Cour a analysé les trois bases existantes, dont deux sont privées et une publique. La base publique Thériaque est la plus proche de l’optimum mais son avenir est menacé par la mésentente avec les partenaires du GIE Système d’information sur les produits de santé (SIPS). La Cour reste convaincue de la nécessité d’une base d’accès gratuite et indépendante.
La principale source d’information des médecins reste la visite médicale dont l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) a démontré l’influence sur le comportement des prescripteurs. La HAS doit, en vertu de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, certifier la visite médicale afin d’en garantir la conformité à la charte de la visite médicale (VM) signée en décembre 2004 entre le LEEM et le CEPS. La Cour est restée perplexe devant la définition de l’objectif premier de la VM, qui est « d’assurer la promotion des médicaments auprès du corps médical et de contribuer au développement des entreprises du médicament. ». Le souci d’informer sur la qualité et d’éviter le mésusage arrive en second. Il faudra rester vigilant. Le CEPS doit arrêter les classes thérapeutiques pour lesquelles il estime qu’une réduction de la VM est nécessaire et prévoir des sanctions en cas de non-respect. Il est trop tôt pour apprécier l’effet que cela peut avoir.
L’information publique délivrée aux médecins souffre d’une trop grande dispersion entre la HAS et l’AFSSAPS. Les publications de cette dernière sont riches mais trop complexes et d’un accès parfois difficile. Celles de la CNAMTS sont plus synthétiques et claires : lettres aux médecins et aux pharmaciens, supports mémo. L’assurance maladie a également développé des entretiens confraternels et les visites des délégués à l’assurance maladie, les DAM, qui ont bien démarré et devront s’amplifier.
Les outils d’aide à la prescription doivent être certifiés par la HAS. Le processus est en cours de mise en forme. Le problème est la base de données sur le médicament à laquelle les organismes certificateurs devront adhérer.
L’assurance maladie, de son côté, développe une analyse des prescriptions des médecins mais celle-ci est limitée par la méconnaissance, en dehors des ALD, des pathologies. Elle inclut également des objectifs de maîtrise médicalisée sur des postes prioritaires : antibiotiques, statines, anxiolytiques, génériques, IPP, inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC), Sartans. La Cour montre que le bilan est en demi-teinte, surtout si on retire des économies réalisées ce qui ne relève pas de la modification des comportements mais de la politique de baisse des prix, y compris les progrès des génériques – qui sont souvent le fait des pharmaciens – ou de déremboursement. L’impact financier de la baisse des volumes est toujours nettement inférieur aux objectifs.
Enfin, les accords de bon usage des soins, les fameux AcBUS, sur lesquels était fondé beaucoup d’espoir, ont eu un impact modeste, puisqu’il n’y en a qu’un qui a été appliqué, mais il l’a été avec succès : le test de dépistage rapide de l’angine. L’usage des antiagrégants plaquettaires a été retardé.
La Cour s’est également penchée sur les actions sur les comportements des patients.
L’information grand public sur le médicament est insuffisante, malgré les efforts déployés par la CNAMTS, la Mutualité sociale agricole (MSA), l’AFSSAPS et la HAS, qui ont des sites internet. La CNAMTS a conduit une seule campagne de communication sur les antibiotiques, qui a eu beaucoup de succès. De manière générale, l’information produite est éparpillée et peu lisible.
Là encore, une place importante est laissée à l’information privée, qui dépend de l’industrie. Les programmes d’aide à l’observance ou d’accompagnement des patients, développés pas les laboratoires, devront être strictement encadrés. Ils sont actuellement soumis à la commission de la publicité de l’AFSSAPS, qui en a approuvé huit, qui sont plus des programmes d’éducation du patient. Une annexe d’une recommandation de l’agence européenne – sans portée réglementaire – permet d’intégrer ces programmes dans les plans de gestion des risques. Suite au retrait d’un article du projet qui est devenu la loi du 26 février 2007 habilitant le Gouvernement à encadrer ces programmes par ordonnance, une proposition de loi est en cours d’élaboration. La Cour ne peut qu’insister sur le fait que le besoin d’accompagnement des patients ne doit pas être abandonné à l’industrie.
Concernant les génériques, la Cour a noté leur développement rapide ces dernières années mais n’a pas fait, cette fois-ci, d’étude très approfondie des stratégies de contournement des laboratoires : procédures contentieuses afin de défendre des brevets en justice, tendance à étendre les indications ou à diversifier les présentations pour retarder l’entrée dans le domaine public des médicaments.
La transposition en droit interne d’une directive de 2004, qui a introduit la notion d’AMM globale et une extension de la définition du générique, permettra peut-être de limiter certaines dérives. Cependant la définition de l’AMM globale est actuellement sujette à discussion.
Par ailleurs, le droit actuel ne permet pas de limiter les associations de médicaments, si bien qu’on peut fabriquer un nouveau médicament à partir de deux qui n’avaient pas beaucoup d’intérêt, la combinaison des deux n’en ayant pas davantage.
Les génériqueurs, de leur côté, butent sur la difficulté de connaître la date d’expiration des brevets.
Pour encourager la délivrance des génériques, plusieurs mesures ont été prises : accords conventionnels avec les médecins pour développer la prescription dans le répertoire et en DCI – dénomination commune internationale – ; droit de substitution et accord conventionnel en faveur des pharmaciens.
Auprès des patients, la Caisse primaire d’assurance maladie de Paris a initié un refus de tiers payant en cas de refus de la substitution. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a permis d’étendre cette mesure par convention à tous les assurés, y compris à ceux bénéficiant de la couverture maladie universelle (CMU). Elle n’est pas encore généralisée. Début 2007, seuls seize départements l’ont mise en œuvre.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je vous remercie, madame Ruellan, pour le panorama complet de la situation que vous avez dressé. En ma qualité de pharmacienne, je puis en mesurer l’exhaustivité.
J’aimerais savoir quelle est la formation, notamment pharmacologique, des délégués de l’assurance maladie ?
Par ailleurs, quelles sanctions peuvent être envisagées à l’encontre des contournements des génériques, d’une part, par les laboratoires qui jouent sur la forme galénique ou la présentation orodispersible ou micronisée pour que leurs médicaments ne soient pas génériqués et, d’autre part, par les médecins qui ne jouent toujours pas le jeu des génériques ?
Mme Rolande Ruellan : La Cour n’a pas fait d’investigation spécifique sur le rôle et la formation des délégués de l’assurance maladie.
Mme Stéphanie Bigas : Aucun bilan de l’action des délégués de l’assurance maladie (DAM) et aucune enquête sur la satisfaction des médecins ne sont encore disponibles à l’assurance maladie. La formation des délégués de l’assurance maladie est un problème qui suscite effectivement des inquiétudes car ce sont souvent des personnes reconverties qui font ce métier. Un premier bilan du ressenti des médecins sur les compétences et l’information dispensée par ces délégués serait donc important, mais il n’a pas encore été réalisé.
Mme Rolande Ruellan : Cela ne fait que deux ans que la CNAMTS a mis en place la visite des DAM. Par ailleurs, le système SESAM-Vitale a entraîné une réduction de ses effectifs et la reconversion des liquidateurs en interlocuteurs des médecins. La Cour a prévu d’aller voir ce que sont devenus ses effectifs, en termes quantitatifs et qualitatifs.
M. Pierre Morange, coprésident : Je précise que la télétransmission des feuilles de soins électroniques atteint désormais un taux de couverture de 70 %, et qu’elle a permis le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, ce qui s’est traduit par une diminution du nombre de salariés au sein de l’assurance maladie de quelque 2 200 en 2005 et 1 400 en 2006, générant une économie de quelque 160 millions d’euros par an.
M. Michel Braunstein : L’action des délégués de l’assurance maladie vise surtout à alerter les médecins sur leur consommation par rapport à leurs collègues d’une même caisse primaire d’assurance maladie. Un certain nombre de CPAM se sont fortement impliquées dans le recueil de données en ce domaine. Celle de la Sarthe, par exemple, qui est citée dans le rapport de la Cour de 2005, fournit chaque année, depuis deux ans, des informations sur la consommation de chaque médecin en prescriptions médicales, en nombre de visites et en nombre d’indemnités journalières autorisées et situe chaque médecin par rapport à tous ses collègues de la CPAM, en le classant entre le premier et le dixième décile.
La CNAMTS s’emploie actuellement à généraliser ce travail dans toutes les CPAM. Le travail des DAM consiste à informer le médecin sur sa position par rapport à ses collègues.
Aucune étude d’ensemble n’a encore été faite sur l’activité des DAM puisque leur création est toute récente.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les DAM, qui interviennent aussi auprès des pharmaciens, ont effectivement une vision comparative entre professionnels de santé. Ils essaient de voir, par exemple, pourquoi telle pharmacie vend 80 % de génériques, alors que telle autre n’en délivre que 40 % pour la même population.
Il faut savoir aussi que, quand les médecins de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) interviennent chez leurs collègues qui exercent dans les cliniques ou les hôpitaux, ils sont très souvent mal reçus par ces derniers. Dès que l’intervention des DAM, qui ne sont pas médecins, dépasse le simple comparatif, leurs rapports avec les médecins doivent être difficiles. Cela méritera une évaluation. Cela étant, les visiteurs médicaux, bien que non médecins, sont bien accueillis par les médecins. On peut imaginer que, après formation, les DAM puissent faire un travail d’information objective identique au leur.
M. Michel Braunstein : Il suffit de lire la revue de presse quotidienne de la CNAMTS pour se rendre compte de la sensibilité très forte des médecins à ces visites et à leur contenu.
Mme Rolande Ruellan : Les articles de la presse spécialisée ont fait part du mécontentement des médecins à l’égard des caisses, allant même jusqu’à parler de harcèlement à leur égard ! Les DAM se présentent plus en informateurs qu’en contrôleurs. Mais la frontière peut paraître ténue.
Nous ne critiquons pas les médecins. Nous considérons qu’ils sont mal informés et mal outillés, et nous constatons que, quand les caisses font de gros efforts, cela produit des résultats. L’art et la manière, jointes à de bons supports, ne peuvent qu’être convaincants.
Concernant les stratégies de contournement, la Cour fonde ses espoirs sur la notion d’AMM globale, mais ce concept n’est pas encore clairement défini. Appliquer des sanctions semble difficile. Il semble préférable d’agir en amont, au stade de la délivrance des AMM.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez souligné à plusieurs reprises, dans votre présentation la complexité des structures chargées, d’une part, de la formation et de l’information – HAS, CNAMTS, AFSSAPS – et, d’autre part, de l’analyse médico-économique – CNAMTS, Commission de la transparence, CEPS –, et parfois leur manque de coordination. Pouvez-vous nous faire part des réflexions de la Cour à ce sujet ?
Mme Rolande Ruellan : Nous avons recommandé que toutes les structures impliquées dans le médicament travaillent ensemble, de façon à mieux se répartir les tâches. En théorie, c’est simple : l’AFSSAPS est compétente pour la mise sur le marché des médicaments, le contrôle de la publicité et la pharmacovigilance ; la HAS, pour décider de l’admission au remboursement. Les deux instances édictent des recommandations de bonne pratique, réalisent des travaux et diffusent des publications.
Nous avons recommandé, sans préciser qui doit faire exactement quoi, qu’elles se coordonnent un peu plus et qu’elles aient des sites un peu plus accessibles. Comme elles interviennent toutes les deux, avec le CEPS et la CNAMTS, sur le médicament, il faut qu’elles se répartissent les travaux et les modalités d’information en direction à la fois des médecins, du public et de tous les intervenants du système de santé.
Des clarifications sont peut-être à apporter dans les textes mais, à partir du moment où le législateur a voulu séparer les métiers en relation avec le médicament, chaque structure a sa légitimité. Seul un travail en commun, sous l’égide de l’administration, peut permettre de remédier au fait qu’elles ont tendance à empiéter les unes sur les autres. Nous souhaitons que le ministère de la santé se préoccupe du sujet.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La Cour a-t-elle réalisé une étude sur l’éducation sanitaire, notamment à l’école ? J’ai découvert très récemment que, dans un livre de lecture du cours préparatoire, on trouvait une publicité pour un sirop commercialisé sous AMM, qui avait échappé aux enseignants. Cela est de nature à impulser des comportements d’hyper-consommation dès le plus jeune âge.
La Cour a-t-elle étudié, par ailleurs, l’impact des publicités des médicaments sous AMM déremboursés, qui, de la même manière, font rentrer le médicament dans la vie quotidienne des personnes ?
La libre publicité des médicaments est sur le point d’être accordée au niveau européen. La France y est opposée mais le droit communautaire prend quelquefois le pas sur le droit français.
Mme Rolande Ruellan : La Cour n’a pas fait d’étude en direction de l’Éducation nationale. Les questions soulevées pourraient peut-être faire l’objet d’un approfondissement de la part de la MECSS.
Mme Stéphanie Bigas : Nous n’avons pas dissocié le cas des enfants du reste de la population. En revanche, nous avons fait une étude concernant la certification des sites d’information sur la santé. La HAS a reçu la mission de s’assurer que l’information mise à disposition du public, et qui est pléthorique faute d’information publique sur le sujet, présente un minimum de garanties. La Cour montre dans le rapport que la HAS a des difficultés pour mette en place cette procédure de certification et ne sait pas très bien par quel bout s’y prendre face à la multiplicité des sites et au renouvellement permanent de l’information. Dernièrement, elle songeait à déléguer cette fonction mais sans trop savoir comment.
M. Jean Mallot, coprésident : Dans le rapport, la Cour dénonce le fait que les décideurs ne sont pas les payeurs et que les payeurs ne sont pas les utilisateurs. Une meilleure coordination entre les structures se révèle souhaitable. L’État ne devrait-il pas avoir un rôle plus directif afin que chacun joue pleinement son rôle et que l’intérêt général soit mieux assuré ?
Mme Rolande Ruellan : Il est ressorti de plusieurs enquêtes que le ministère chargé de la santé, notamment la direction générale de la santé (DGS), ne remplissait pas suffisamment son rôle de pilote et de coordinateur des agences. Le ministère est un peu débordé maintenant par ces puissants féodaux, d’autant plus qu’il les finance peu. Quand les agences ne sont pas financées par l’industrie du médicament pour services rendus, elles le sont par l’assurance maladie. S’étant retiré du financement, l’État s’est peut-être un peu trop retiré en même temps de l’impulsion. Les audits sur la DGS et la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) auxquels a procédé la Cour le montrent.
Nous avons insisté sur l’importance de disposer d’une base de données publique d’accès gratuit. L’État ne doit pas se désintéresser de cette réalisation. Or la base Thériaque est un véritable panier de crabes. Suite à une mésentente, la CNAMTS a décidé de réduire son financement et le partenaire ne veut plus, dès lors, rester dans l’affaire. De plus le nom « Thériaque » est réservé.
Mme Stéphanie Bigas : Nous n’avons pas eu les dernières évolutions – peut-être les choses se sont-elles débloquées ! – mais le principal problème est de savoir qui va conserver le travail réalisé. Si le CNIHM – le Centre national hospitalier d’information sur le médicament – se désengage du GIE-SIPS, on ne sait pas qui va conserver les droits de propriété sur la base et les applications nécessaires pour l’utilisation et l’exploitation de la base.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous allons vous demander de présenter le second rapport, madame Ruellan, sur la fiscalité du médicament.
Mme Rolande Ruellan : On dénombre onze taxes d’importance très inégale, qui ont rapporté un milliard d’euros en 2006, représentant 4 % du chiffre d’affaires des industries.
Elles ont deux grandes finalités : d’une part, la rémunération d’un service rendu et, d’autre part, l’apport de ressources à l’assurance maladie.
La taxe perçue par la HAS, pour l’inscription d’un médicament sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables ou la liste des médicaments agréés à l’usage des collectivités publiques, couvre 90 % du coût de fonctionnement de la commission de la transparence.
Certaines personnes sont parfois choquées que le contrôleur soit payé par le contrôlé. C’est une pratique assez courante. Toutes les hautes autorités de contrôle indépendantes qui œuvrent dans le domaine financier sont financées par les contrôlés. D’ailleurs, en 1945, le contrôle général de la sécurité sociale était censé être financé par les caisses. Cela ne s’est jamais fait parce que les partenaires sociaux et l’État n’avaient pas des relations suffisamment confraternelles pour assumer ce financement.
L’AFSSAPS perçoit cinq taxes qui concernent, d’une part, les demandes d’AMM, que ce soit un premier examen, un renouvellement ou une modification, et, d’autre part, le contrôle de la publicité, la pharmacovigilance. Elles représentent 55 % du budget de l’AFSSAPS.
Le nombre de dossiers d’AMM soumis à l’AFSSAPS baisse du fait de la montée en charge du dispositif d’AMM européenne. Les médicaments passant par l’agence française sont surtout des génériques et des me too. Les nouvelles molécules, les nouveaux principes actifs et les nouvelles indications, eux, sont traités au niveau européen. L’AFSSAPS participe à l’instruction des dossiers de l’agence européenne et est rémunérée à cette fin mais c’est en dehors de cette question de taxe.
Il n’y a pas de problème particulier de recouvrement des taxes de la HAS et de l’AFSSAPS. La Cour a simplement noté qu’il n’y avait eu aucun contrôle effectué sur l’assiette. Les deux agences ne sont pas des percepteurs. C’est pourquoi la Cour a de nouveau préconisé que la collecte de la taxe annuelle sur le chiffre d’affaires soit recouvrée par la direction générale des impôts (DGI) avec la TVA. Mais sa recommandation n’a pas eu beaucoup de succès chez les intéressées.
Les taxes affectées à l’assurance maladie sont plus importantes.
Elles ont deux finalités essentielles : maîtriser la dépense de médicament, et procurer des recettes à l’assurance maladie.
La première taxe destinée à maîtriser la dépense de médicaments est celle sur les dépenses de promotion des médicaments. Elle pose un énorme problème d’assiette suscitant des contestations contentieuses. Son champ n’est pas bien précisé. Une circulaire à son sujet tarde à être publiée.
En fait, c’est son principe même qui est contesté. Elle est ancienne, puisqu’elle a été instaurée en 1983 et est toujours aussi mal supportée par les laboratoires.
La Cour a suggéré que l’on en évalue l’impact sur les dépenses de promotion des laboratoires – a-t-elle un caractère dissuasif et limitatif ? – et d’examiner sa cohérence et sa complémentarité avec des dispositifs plus nouveaux : la charte de la visite médicale et la certification par des organismes accrédités de la conformité de la visite médicale à ladite charte. Néanmoins cette dernière est en cours de mise en œuvre et ne permet donc pas de faire cet examen.
La seconde taxe destinée à maîtriser la dépense de médicaments est la contribution de la clause de sauvegarde de l’ONDAM, appelée parfois, en raccourci, clause de sauvegarde, créée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Elle est calculée d’une façon extrêmement complexe. Elle s’applique quand l’évolution du chiffre d’affaires hors taxe en France en spécialités remboursables – sauf médicaments orphelins – est supérieure au fameux taux K fixé en loi de financement de la sécurité sociale, et qui est, depuis plusieurs années, à 1 %, et ne concerne que les entreprises qui n’ont pas passé convention avec le CEPS, lesquelles sont très minoritaires. La taxe est ensuite répartie entre les laboratoires en fonction de trois éléments : le chiffre d’affaires, la progression de celui-ci et les dépenses promotionnelles.
La complexité de la méthode de calcul est accrue du fait que celle-ci doit tenir compte du montant versé au titre de la taxe sur les dépenses de promotion, lequel est connu avec retard. Le périmètre des débiteurs est très difficile à établir, du fait de la mobilité du tissu industriel. Les recouvreurs, qui sont les URSSAF de Paris et de Lyon, sont obligés de faire des enquêtes presque policières pour connaître le fichier éventuel des débiteurs, et sont donc en relation avec le CEPS.
En outre, cette taxation déclenchée sur la base d’une évolution du chiffre d’affaires global du secteur peut avoir pour résultat qu’une entreprise non conventionnée dont le chiffre d’affaires progresse plus que le taux K échappe à toute taxation si le chiffre d’affaires des produits remboursables n’a pas excédé ce taux, et inversement.
Depuis plusieurs années, cette taxe n’a aucun rendement. Son seul objet est finalement d’inciter au conventionnement avec le CEPS.
Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, elle est applicable aux spécialités rétrocédées. Mais les textes d’application n’ont pas été publiés.
La première taxe destinée à procurer des recettes à l’assurance maladie est celle sur les grossistes répartiteurs, due par les entreprises de vente en gros et les entreprises assurant l’exploitation d’une ou plusieurs spécialités quand elles vendent en gros. Elle est assise sur le chiffre d’affaires hors taxe réalisé en France sur les spécialités remboursables hors médicaments orphelins.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a créé une contribution exceptionnelle de régulation assise sur le chiffre d’affaires hors taxe pour l’année civile 2006 réalisé en France auprès des pharmacies d’officine, mutualistes et due par les mêmes. Son rendement initialement de 50 millions d’euros a été ramené à 37 millions du fait de la baisse du taux de 0,28 à 0,21 % au cours de la discussion parlementaire.
La seconde taxe destinée à procurer des recettes à l’assurance maladie est celle sur le chiffre d’affaires, créée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 et pérennisée par la loi du 13 août 2004. Elle est appliquée au chiffre d’affaires hors taxe de toutes les entreprises qui exploitent des médicaments ayant une AMM, en dehors des génériques – à l’exception de ceux qui sont remboursés sur la base d’un tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) – et des médicaments orphelins. Son taux est passé de 0,6 % à 1,76 % en 2006 et est revenu à 1 % en 2007.
La Cour a observé, sans trouver d’explication, qu’on avait, dans la même loi, la baisse du taux de la taxe sur le chiffre d’affaires et la création d’une contribution exceptionnelle applicable aux grossistes répartiteurs.
Enfin, la TVA brute collectée par les commerçants en gros en produits pharmaceutiques fait partie du panier fiscal affecté par la loi de finances pour 2006 à la compensation des exonérations de cotisations générales sur les bas salaires. La plus grosse part va à l’assurance maladie.
Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, ces quatre taxes – grossistes répartiteurs, clause de sauvegarde, taxe sur le chiffre d’affaires et taxe sur les dépenses de promotion – sont recouvrées, non plus par l’ACOSS, qui n’était pas très outillée pour procéder aux recouvrements, mais par les deux URSSAF de Paris et de Lyon.
Le coût de recouvrement est estimé à 325 000 euros en 2005. En 2006, le plan de contrôle des deux URSSAF a rapporté 126 000 euros pour trente et une entreprises contrôlées.
Les entreprises contestent ces contrôles et jusqu’à la compétence des inspecteurs du recouvrement. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 a dû valider les opérations de contrôle appuyées sur le motif de l’irrégularité de l’agrément des inspecteurs. Cependant des actions sont pendantes devant la cour administrative d’appel de Paris.
Le rendement des taxes affectées à l’assurance maladie est de 961 millions d’euros en 2006 – à comparer au milliard rapporté par l’ensemble des taxes. Ce rendement est très sensible à la hausse des taux puisque la majoration de la taxe sur le chiffre d’affaires de 0,6 % à 1,76 % en 2006 a provoqué une augmentation de 40 % du produit global des taxes.
La fiscalité du médicament souffre d’une grande complexité due à des règles qui varient d’une taxe à l’autre, alors qu’elles visent les mêmes entreprises, à la mobilité du secteur – fusions, cessions, disparitions, remariages –, et à la tendance procédurale des débiteurs.
La conclusion de la Cour est modeste car elle n’a voulu ni faire perdre des ressources à l’assurance maladie, ni empiéter sur un domaine qui est éminemment de la compétence du Parlement. Elle estime cependant indispensable de revoir la pertinence de ces taxes, d’en réduire le nombre, d’en stabiliser et d’en simplifier le mode de calcul. Tout ce qui est compliqué est mal appliqué, est source de contentieux et de conflits et aboutit finalement à des pertes d’argent.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je veux revenir sur les ressources de l’AFSSAPS, qui accorde les AMM.
Selon la revue Prescrire, entre 80 et 85 % des nouveaux produits mis sur le marché avec AMM n’ont pas un service médical rendu supérieur à ceux qui existent déjà, et ont même parfois un SMR insuffisant. Ne pensez-vous pas qu’il y ait un rapport entre ces pourcentages et le fait que l’AFSSAPS n’ait pas de financement indépendant des laboratoires ?
Mme Rolande Ruellan : Franchement non. À partir du moment où ce sont des taxes qui sont prévues par la loi, il n’y a, dans la tête des experts et des agents de l’Agence, aucun rapport entre leurs décisions et le financement.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je regrette que, quand un médicament sous DCI fait l’objet, après un suivi post-AMM, d’un retrait du marché dans d’autres pays, la France tarde à en faire autant.
Mme Rolande Ruellan : Je vous renvoie aux réponses que nous avons publiées à ce sujet dans le rapport de la Cour sur la sécurité sociale qui est paru il y a quelques semaines. L’AFSSAPS n’a pas été satisfaite de notre travail. Quand nous lui avons reproché de tarder à prendre des décisions de suspension et de retrait de médicament, cela a été peu apprécié.
M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous, madame Ruellan, nous fournir des précisions sur les effets des déremboursements ? Il semble que vous ayez eu quelques difficultés à en mesurer tout l’impact.
Pouvez-vous également affiner le chiffrage de l’économie potentielle attendue de l’arrivée sur le marché de nouveaux médicaments génériques ?
Mme Rolande Ruellan : Les effets financiers des économies réalisées du fait des déremboursements sont difficiles à séparer de l’impact de la maîtrise médicalisée. L’administration, comme la CNAMTS, ne les distinguent pas toujours clairement dans leur bilan. De plus, certains plans médicament, prévus pour s’étaler sur plusieurs années, combinent plusieurs mesures qui interagissent les unes avec les autres.
M. Michel Braunstein : Les chiffres indiqués dans le rapport proviennent de la direction de la sécurité sociale (DSS). La Cour n’a pas procédé à des vérifications particulières.
Mme Stéphanie Bigas : Les chiffres de la DSS cités dans le rapport distinguent l’effet prix, l’effet structure et l’effet volume.
Mme Rolande Ruellan : Quant aux nouveaux génériques, la Cour n’a pas fait de prévisions sur les économies futures liées à la croissance de ce marché. C’est une idée d’étude intéressante, compte tenu du nombre de brevets qui vont tomber dans le domaine public.
Il sera d’autant plus important d’éviter les contournements. L’AMM obéit à des critères très objectifs et ne permet pas actuellement de faire des comparaisons et des sélections. Il faudra donc être très vigilant au niveau de l’admission au remboursement. Cela nécessitera de la part de la commission de la transparence et ensuite du ministre, puisque c’est lui qui décide de l’inscription sur la liste, une politique sélective en la matière.
M. Jean Mallot, coprésident : Existe-t-il un mécanisme qui permet d’avoir la conviction que la charge sur l’entreprise de la taxe sur les dépenses de promotion des médicaments n’est pas répercutée in fine sur le consommateur lors de la fixation des prix ?
Mme Rolande Ruellan : Les prix des médicaments remboursés sont réglementés. Ils sont d’ailleurs de plus en plus souvent fixés en référence aux niveaux de prix européen, voire international. Par contre, les prix des médicaments non remboursés étant libres, les laboratoires font ce qu’ils veulent.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions, mesdames, monsieur.
*
Audition de Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) au ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale. Avant de donner la parole à notre rapporteure, je vous propose de présenter brièvement les missions qui sont les vôtres dans le domaine du médicament qui fait actuellement l’objet des travaux de notre mission.
Mme Anne-Marie Brocas : En ce qui concerne le médicament, la DREES conduit deux types d’approche.
La première est une approche comptable, à travers l’analyse des comptes de la santé, qui sont des satellites des comptes de la nation et qui permettent de décrire l’ensemble des dépenses du secteur de la santé. Nous développons ainsi des analyses sur l’évolution de chacun des secteurs, en particulier sur le poste des médicaments pour lequel nous analysons les évolutions des prix et des volumes et nous recherchons quels sont les financeurs. Il y a donc d’un côté l’analyse des dépenses et de l’autre celle des recettes. C’est là que l’on trouve les données qui font l’objet de nombreux commentaires, c’est-à-dire celles qui ont trait à la part prise en charge par la sécurité sociale et par les organismes complémentaires et à celle qui reste à la charge des malades.
Cette année, nous avons mené des travaux sur la rétropolation afin d’établir de manière cohérente des séries chiffrées concernant les 55 dernières années. L’intérêt est de tracer une perspective historique afin de voir comment, au sein des dépenses de santé, la structure entre les différents postes a été déformée au fil du temps.
Cependant nous avons aussi une seconde approche, à partir des données issues des remontées statistiques des administrations ou des enquêtes, en particulier des informations émanant des banques de données propres au secteur du médicament.
À partir de là, la DREES analyse chaque année l’évolution du marché des médicaments remboursables. Depuis deux ans, à la suite d’une préconisation du Conseil national de l’information statistique (CNIS), elle s’efforce également d’analyser les chiffres relatifs aux types de médicaments qui font l’objet d’une rétrocession de la part des hôpitaux. Ce travail est encore récent mais on peut espérer que l’on disposera à l’avenir d’analyses plus détaillées.
Toujours à partir des données statistiques de l’industrie du médicament, des comparaisons sont effectuées entre le marché français et les marchés étrangers afin de mieux comprendre les ressorts propres à l’évolution de ce secteur en France.
À ces études générales s’ajoutent des analyses plus précises sur un produit ou sur une classe thérapeutique, comme l’étude conduite récemment sur les statines.
On le voit, il s’agit d’un travail d’études et d’analyse, mais il n’appartient pas pour autant à la direction que je dirige d’entrer dans le champ des préconisations en matière de politiques publiques.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je vous remercie pour cette présentation synthétique du périmètre de votre action.
Quelles sont les relations de la DREES avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, et avec la Haute Autorité de santé, la HAS ? Des données sont elles échangées avec ces organismes ? Travaillez-vous de manière interactive ? Votre direction leur apporte-t-elle des informations pour qu’elles les traitent ? À l’inverse, alimentent-elles vos travaux ?
Mme Anne-Marie Brocas : L’AFSSAPS dispose d’une base de données administrative puisque c’est elle qui est à l’origine des autorisations de mise sur le marché (AMM), qui donne son avis au titre de la commission de la transparence et qui recueille les déclarations administratives obligatoires des laboratoires. Jusqu’à présent, il était difficile de mobiliser ces informations, le CNIS l’avait d’ailleurs noté dans un rapport de 2005. La DREES a désormais passé une convention avec l’Agence afin de disposer de cette base de données, qu’elle utilisera à l’avenir.
Pour l’heure, les bases que la DREES peut le plus facilement mobiliser sont celles qui sont produites par l’industrie du médicament sur l’activité des laboratoires pharmaceutiques : le GERS – le groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques – et l’IMS - Intercontinental Marketing Services. Ces données ne transitent pas par l’AFSSAPS. Les organismes qui les collectent sont totalement indépendants. La DREES paye pour pouvoir les utiliser.
Pour sa part, la HAS n’est pas une source de données, même si chacun constate bien évidemment les effets de ses actions, en particulier de la production des références de bonnes pratiques médicales, lorsque sont conduites des études sur certains secteurs ou sur le remboursement.
En fait, pour caractériser les relations de la DREES avec ces organismes on peut dire que les études que réalise la DREES, qui montrent des inflexions pour certaines classes thérapeutiques spécifiques, permettent à la Haute Autorité de santé, mais aussi à d’autres acteurs comme les caisses d’assurance maladie ou la direction du ministère de la santé chargée du médicament, de mesurer l’impact de telle ou telle action.
M. Pierre Morange, coprésident : La DREES rencontre-t-elle des difficultés particulières pour collecter les informations nécessaires à l’exercice de ses missions ? Quelles mesures concrètes, de nature législative ou réglementaire, conviendrait-il d’adopter afin qu’elle dispose de l’ensemble des données ?
Mme Anne-Marie Brocas : La démarche de collecte des données n’est pas entravée par des obstacles juridiques. Cela ne signifie pas que des progrès sont impossibles et la DREES s’efforce d’en réaliser, notamment en ce qui concerne le secteur des médicaments à l’hôpital, pour lequel elle manque d’informations, les données qu’elle collecte par les bases de données privées étant très focalisées sur la médecine ambulatoire. Si, en ville, grâce aux systèmes des prix administrés, elle dispose d’informations sur les prix et sur les volumes, à l’hôpital en revanche les prix peuvent varier de façon importante puisque les établissements hospitaliers sont libres de négocier l’achat des médicaments avec les laboratoires pharmaceutiques. Dans ce dernier cas, les remontées d’informations sont donc plus compliquées.
Il est vrai que, depuis deux ans, des données sur les volumes et sur les prix sont collectées dans les remontées sur les dépenses hospitalières mais nous n’avons pu présenter pour l’instant de publications que sur des données globales car nous ne disposons pas d’un recul suffisant pour apprécier le degré de fiabilité de ces informations. Il serait pourtant extrêmement utile de pouvoir mener des comparaisons sur les prix et sur les volumes entre les établissements hospitaliers, mais aussi entre la pratique hospitalière et la pratique de ville.
M. Pierre Morange, coprésident : Ces remontées récentes d’informations sont-elles le fruit d’une collecte de données macroéconomiques et macrosanitaires ou s’agit-il de l’addition des informations provenant de chaque structure hospitalière ?
Mme Anne-Marie Brocas : C’est bien d’une addition d’informations qu’il s’agit, qui permettront, à l’avenir, de se livrer à des analyses assez fines. Cependant, au préalable, une itération est nécessaire pour s’assurer de la fiabilité des données.
M. Pierre Morange, coprésident : La DREES dispose-t-elle de remontées d’informations quant aux effets de la politique des achats groupés ?
Mme Anne-Marie Brocas : Non. C’est l'un des sujets qui doivent être étudiés.
Ces données doivent aussi permettre d’analyser la rétrocession hospitalière, qui consiste à ce que des médicaments soient revendus aux malades par les hôpitaux qui sont eux-mêmes remboursés par la sécurité sociale. Dans les données qui émanent des hôpitaux, a été individualisée la part de cette rétrocession et la DREES dispose d’informations sur les types de médicaments qui en font l’objet, sur les volumes et sur les dépenses. Une analyse historique montre que le point culminant de cette rétrocession a été atteint en 2004, avec un montant global d’environ 2,5 milliards d’euros. Depuis lors, diverses mesures ont été prises et l’on observe une décrue.
Le premier exercice en la matière a porté uniquement sur les centres hospitaliers universitaires (CHU) et sur les centres de lutte contre le cancer. Sans surprise, il a été constaté que les antirétroviraux faisaient le plus fréquemment l’objet une rétrocession dans les CHU et les traitements contre le cancer dans les centres de lutte contre cette maladie.
Cette année, la DREES a pu étudier les informations en provenance de l’ensemble des centres hospitaliers et des cliniques privées. Pour l’instant, elle dispose de données sur les masses globales de dépenses et a réalisé une analyse sur les types de médicaments qui constituent les postes de dépenses les plus importants à l’hôpital, dans les centres de lutte contre le cancer et dans la rétrocession des hôpitaux.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La DREES a-t-elle également étudié l’impact, en termes de volumes et de prix, de la sortie de la réserve hospitalière ? Il faut rappeler, en effet, que la rétrocession concerne souvent des médicaments pour les traitements lourds comme la trithérapie ou l’interféron, qui sont initialement prescrits à l’hôpital mais que le malade peut ensuite se procurer en ville.
Mme Anne-Marie Brocas : On mesure l’impact de ces traitements dans les études annuelles sur le marché du médicament. Ce sont en effet souvent des molécules très coûteuses qui font l’objet de cette sortie de la réserve hospitalière et les effets sur la dépense en ville sont donc forts.
M. Pierre Morange, coprésident : Les médicaments sortis de la réserve hospitalière représenteraient 20 % de la dépense des médicaments délivrés en ville. Est-il possible de confirmer ce chiffre ? Ces dépenses en ville, mais dont l’origine se trouve dans une prescription hospitalière, ont un impact sur l’évolution de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ambulatoire. Peut-on le mesurer ?
Mme Anne-Marie Brocas : La DREES n’a pas réalisé de chiffrage mais elle regarde comment répondre précisément à cette question. Pour l’instant, elle se contente d’observer l’impact sur le marché global mais sans ventilation par produit.
Elle analyse la contribution à l’augmentation globale des dépenses des dix classes thérapeutiques qui y ont joué le rôle le plus important. Ce ne sont pas toujours les mêmes et l’on voit bien apparaître, en fonction des années, certaines molécules qui font l’objet d’une plus large diffusion. Ainsi, en 2005, nous avons constaté un fort impact de l'érythropoïétine, l’EPO, à hauteur de 1 % sur une croissance totale de 6,7 %. C’est très important !
Dans la mesure où l’on souhaite pouvoir distinguer ce qui incombe à la ville de ce qui relève de l’hôpital, la DREES doit vérifier si les outils dont elle dispose lui permettent de réaliser cette analyse.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Au-delà du confort que représente pour le malade le fait de pouvoir se procurer à la pharmacie de son quartier le médicament qui est sorti de la réserve hospitalière, il est important de vérifier si le fait de lui permettre d’aller voir son généraliste une fois qu’il est muni de la prescription hospitalière initiale est en soi un gage d’économie pour l’assurance maladie, s’agissant de traitements qui coûtent souvent plus de 1 500 € par mois.
L’assurance maladie affirme que les médicaments coûtent de plus en plus cher en médecine de ville, mais il ne faut pas oublier que les sorties de la réserve hospitalière alourdissent le panier de soins en ville.
Mme Anne-Marie Brocas : Pour le vérifier, il faudrait analyser l’évolution de quelques molécules significatives au cours des dernières années.
On peut d’ailleurs rapprocher cette question de celle, plus générale, de la dynamique du marché du médicament : si l’on se demande ce qui tire ce marché vers le haut, on constate, année après année, que la dépense est tirée par les molécules les plus récentes. En moyenne, plus de la moitié de la croissance des dépenses est imputable aux molécules de moins de cinq ans. Et il y a bien là un lien avec la sortie de la réserve hospitalière, qui vise souvent des molécules récentes et coûteuses.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez rappelé, à juste titre, que chaque site hospitalier a sa propre stratégie d’élaboration des prix ; mais que se passe-t-il lors de la sortie de la réserve hospitalière ? Il paraîtrait logique que l’effet volume entraîne une diminution du prix de vente en ville. Avez-vous des informations à ce propos ?
Mme Anne-Marie Brocas : La DREES ne dispose pas d’éléments de comparaison des prix, mais c’est un objectif qu’elle poursuit, car il paraît essentiel de disposer de telles données pour se comporter en acheteur avisé. À partir des données dont elle dispose, elle s’efforcera de fournir un éclairage pour une ou deux molécules.
Chaque année, un faible nombre de classes thérapeutiques explique les mouvements du marché, mais ces derniers sont en partie contrebalancés par la montée en charge des génériques. Celle-ci demeure sans doute insuffisante, mais elle évite une trop forte polarisation du marché : si les nouvelles molécules expliquent 50 % de la croissance aujourd’hui, elles en représentaient 80 % au début des années 2000. On observe, outre les effets du volume de vente et du prix des génériques, que l’existence de ces derniers conduit souvent les laboratoires à aligner le prix du princeps.
M. Pierre Morange, coprésident : Lors de l’audition de la semaine passée, il a été demandé aux représentants de la Cour des comptes s’ils disposaient d’informations sur les économies globales réalisées grâce aux génériques. Depuis 2002, de nombreuses molécules à fort taux de rentabilité – les blockbusters – sont tombées dans le domaine public et ce mouvement va se poursuivre jusqu’en 2010. Les économies potentielles réalisables sur les médicaments récemment tombés dans le domaine public ont été estimées à plus de trois milliards d’euros. Pouvez vous confirmer ce chiffre ? Avez-vous fait des prévisions d’économies pour l’assurance maladie pour les deux ou trois années à venir ?
Mme Anne-Marie Brocas : Aucune analyse prospective n’a été menée sur ce point.
En revanche, des analyses rétrospectives de la DREES sur la contribution des génériques à l’évolution des dépenses montrent que leur effet est très marqué.
Elle s’est également intéressée à la place des médicaments génériques dans les pays étrangers et a constaté que la France se caractérise par l’étroitesse de son répertoire de médicaments génériques et par une part des génériques dans le volume global des ventes jusqu’à cinq fois inférieures à ce que l’on constate chez nos voisins européens.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La DREES a-t-elle comparé l’importance du phénomène de contournement des génériques dans les différents pays ? C’est sans doute un des éléments qui expliquent que le taux de pénétration ne progresse guère en France. On sait en effet que certains laboratoires, dès lors que leur princeps tombe dans le domaine public, en sortent une autre forme galénique, par exemple en remplaçant un effervescent par un orodispersible, sans que le service médical rendu ne soit amélioré. Ce phénomène a-t-il été évalué ? Alors que les pharmaciens ont beaucoup fait pour le développement des génériques, ces contournements font un peu mal au cœur…
Mme Anne-Marie Brocas : La DREES ne dispose pas des outils nécessaires et ne compte pas assez de médecins dans ses équipes pour mener des études aussi pointues, qui relèvent sans doute davantage de la HAS ou de l’AFSSAPS. Toutefois il n’est pas certain que les choses se présentent de façon différente chez nos voisins car les stratégies des laboratoires y sont sans doute identiques.
M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous mené des études sur les conséquences économiques et sanitaires des déremboursements ? Ces derniers entraînent-ils des modifications dans la stratégie de prescription au profit de médicaments remboursés, avec les effets financiers que l’on imagine ?
Mme Anne-Marie Brocas : Les déremboursements ont un impact comptable. On observe ainsi une nette rupture dans l’évolution des dépenses à la suite des mesures prises en 2006, la croissance du poste médicament n’ayant été que de 0,9 % alors qu’elle était comprise entre 5 et 7 % depuis une dizaine d’années.
En 2004, afin de mettre en lumière la stratégie des laboratoires à la suite de déremboursements et les effets de ces derniers sur la prise en charge des malades, la DREES a mené une étude sur quelques molécules ayant fait l’objet d’un déremboursement : anti-diarrhéiques, enzymes anti-inflammatoires, vasodilatateurs cérébraux et périphériques, anti-acides. En fait, cette étude a montré qu’il n’y avait pas de réponse unique à votre question et que les choses variaient en fonction du produit. Ainsi, pour les vasodilatateurs, la structure de consommation a peu changé, le prix a varié de façon limitée et il n’y a pas eu de transfert vers d’autres produits. En revanche, pour les antiacides, a été observé un effet de substitution par des produits remboursés. L’évolution tient donc à la nature même des produits et aux pathologies traitées et l’on ne peut pas parler de transferts systématiques vers des produits plus coûteux.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les vasodilatateurs sont fréquemment prescrits chez des personnes âgées, pour des affections de longue durée (ALD) prises en charge à 100 %. C’est sans doute parce que les complémentaires ont accepté de compléter le remboursement qu’il n’y a pas eu de changement de comportement dans les prescriptions. En revanche, pour les veinotoniques, le déremboursement a entraîné un transfert vers des produits de contention veineuse, plus onéreux.
Mme Anne-Marie Brocas : La DREES n’a pas étudié les veinotoniques. Sur les cinq classes thérapeutiques auxquelles elle s’est intéressée, elle a constaté une forte diminution globale de la consommation des produits déremboursés, mais avec des variations selon les classes, sans doute pour des motifs comme celui que la rapporteure a indiqué, qui tiennent en particulier aux types de malades et à la prise en charge assurancielle.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les déremboursements affectent fortement l’homéopathie, dont le taux de remboursement, qui est actuellement de 35 %, tomberait à 8 % avec la franchise de 50 cents par tube de granules. Si aucun système assuranciel ne vient prendre en charge cette différence, il y a un risque de transfert vers l’allopathie et de surcoût, comme celui qui a été observé en 2003 et 2004. La DREES dispose-t-elle d’une analyse à ce propos ?
Mme Anne-Marie Brocas : Non, ce n’est pas un sujet que la DREES a étudié spécifiquement.
M. Jean Mallot, coprésident : Les laboratoires interviennent dans plusieurs États et la réglementation est de plus en plus européenne. Les comportements envers les génériques varient selon les pays et les effets de contournement ne sont pas les mêmes. Est-il possible d’en savoir davantage à ce propos afin que l’on puisse mieux comprendre d’où viennent les problèmes ?
Mme Anne-Marie Brocas : Les exercices de comparaisons sont assez globaux. Ils montrent que la France se caractérise par un volume de médicaments consommés très supérieur à celui de ses voisins et que les prix y sont plutôt inférieurs.
S’agissant des volumes, si l’on regarde les ventes moyennes de médicaments aux officines, comptabilisées en unité standard par habitant, on obtient un chiffre de 750 pour l’Italie, de 1 000 pour l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni, et de 1 500 pour la France.
Quant au prix moyen par unité standard, il est de 0,18 à 0,19 € en France, en Espagne et au Royaume-Uni mais il atteint 0,23 € en Allemagne, où le système de forfait par classe ne couvre que 60 % du marché, les prix étant libres par ailleurs. Le prix moyen est encore plus élevé en Italie puisqu’il atteint 0,27 €.
Le volume de médicaments vendus en France conduit à placer notre pays en tête de tous les pays européens pour la dépense de médicament par habitant. Ainsi, le chiffre d’affaires des ventes aux officines par habitant est de 284,40 € en France, contre 244 € en Allemagne et environ 200 € dans les autres pays.
On constate également qu’en France 8 ou 9 consultations sur 10 débouchent sur une prescription de médicaments alors que ce taux tombe à 1 sur 2 au Royaume-Uni.
Une analyse plus qualitative montre que la répartition par classe thérapeutique varie beaucoup selon les pays. Ainsi, la France est en tête pour les antibiotiques, tandis qu’en Allemagne d’autres médicaments sont beaucoup plus vendus. Les Allemands pourraient donc se poser à propos d’autres produits les questions que nous nous posons quant à la pertinence de la prescription des antibiotiques ou des antidépresseurs.
Au Royaume-Uni, on observe une forte consommation de médicaments peu consommés en France, comme ceux qui sont destinés à la lutte contre l’obésité ou au sevrage tabagique, ce qui s’explique par une action forte les pouvoirs publics en la matière.
M. Jean-Marie Rolland : Outre les études selon les classes thérapeutiques, la DREES procède-t-elle à des analyses en fonction du service médical rendu (SMR), par exemple sur la substitution de produits de contention et de conseils d’hygiène à la prescription de veinotoniques ?
Par ailleurs, la DREES a-t-elle déjà eu l’occasion de travailler sur la possibilité récemment offerte aux professionnels paramédicaux de prescrire eux-mêmes un certain nombre de produits, en particulier du petit matériel ?
Mme Anne-Marie Brocas : La DREES n’a pas conduit d’études prenant en compte le SMR. Cela relève plutôt de l’AFSSAPS ou d’autres organismes. Elle ne dispose pas non plus d’analyses sur la substitution aux prescriptions de veinotoniques. Ce phénomène de substitution, étudié à l’occasion de certains déremboursements, varie beaucoup en fonction de la classe thérapeutique envisagée.
L’autorisation de prescrire du petit matériel vient d’être donnée aux professionnels paramédicaux et la DREES n’a pu l’étudier pour l’instant. De manière plus prospective, il semble que l’évolution démographique des différentes professions conduira probablement à un déplacement du partage des compétences.
M. Pierre Morange, coprésident : La DREES dispose-t-elle d’informations sur l’implantation dans les pays voisins de logiciels d’aide à la prescription, dont la diffusion est encore embryonnaire en France ?
Mme Anne-Marie Brocas : La DREES n’a pas travaillé sur ce sujet. En revanche, il a été constaté que, par des mécanismes très différents, en particulier par l’action des associations de médecins et par le conventionnement, la prescription médicale est bien davantage orientée en Allemagne et au Royaume-Uni qu’elle ne l’est dans notre pays.
En la matière, l’organisation de la pratique médicale joue un rôle très important : un très gros cabinet de groupe anglais n’a rien à voir avec un généraliste français. En Allemagne, la situation est encore différente avec une forte présence des paramédicaux au sein des cabinets. Il est plus facile pour des cabinets importants que pour un médecin isolé de recourir à un logiciel d’aide à la prescription.
M. Pierre Morange, coprésident : La philosophie du système de santé mais aussi les modes de financement des médecins diffèrent beaucoup entre ces trois pays.
Mme Anne-Marie Brocas : Effectivement, mais l’organisation concrète de la pratique est également importante, de même que le rôle particulier que joue l’hôpital dans notre pays.
Toutefois cela ne contredit par l’enquête de la DREES sur les prescriptions des médecins généralistes et leurs déterminants en France. Il n’a pas été trouvé de différences majeures selon que l’on exerce en cabinet de groupe ou de manière individuelle. Peut-être cela tient-il au fait que, en France, ouvrir un cabinet de groupe consiste surtout à mettre en commun une secrétaire et des logiciels.
M. Georges Colombier : En Italie, on consomme donc moins de médicaments, mais les prix y sont plus élevés. A-t-on pour autant constaté que cela induisait des différences en termes de santé ?
Mme Anne-Marie Brocas : On dit souvent que le système français est le meilleur. Il faut pour le vérifier disposer des statistiques relatives à l’espérance de vie. Elles seront communiquées à la MECSS. Cela étant, on a du mal à établir une corrélation effective entre consommation de médicaments et de soins d’une part, espérance de vie d’autre part.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie d’avoir répondu de façon aussi précise à l’ensemble de nos questions et je vous invite à faire parvenir à la Mission toutes les précisions, commentaires et propositions susceptibles de nourrir sa réflexion.
Mme Anne-Marie Brocas : J’ai pris bonne note des questions auxquelles il ne m’a pas été possible de répondre de façon complète et je ne manquerai pas de vous faire parvenir les compléments de réponse par écrit.
*
Audition de MM. Jean Marimbert, directeur général de l’AFSSAPS, et Michel Pot, secrétaire général.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pouvez-vous définir le périmètre des missions de l’AFSSAPS et préciser ses relations, en termes d’échanges d’information, avec la Haute Autorité de santé et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.
M. Pierre Morange, coprésident : Comment pourrait-on harmoniser les différentes missions qui sont imparties à ces organismes ?
M. Jean Marimbert : L’AFSSAPS est l’héritière de l’Agence du médicament. C’est une autorité sanitaire déléguée. Elle a reçu une très large délégation de l’État pour accomplir des tâches d’évaluation des produits de santé, notamment l’évaluation du bénéfice/risque, avant la mise sur le marché, et après la mise sur le marché.
L’Agence exerce également des missions de puissance publique, dans la mesure où elle est chargée de prendre des décisions publiques de gestion du bénéfice/risque : octroi des autorisations de mise sur le marché pour les médicaments, suspension, retrait, modification du régime du médicament au fil des modifications qui peuvent se produire dans sa vie, en raison de l’évolution de la connaissance scientifique et des informations fournies par les conditions réelles d’utilisation de ce médicament, par des milliers, voire des millions de personnes ; en effet, le rapport bénéfice/risque ne peut être qu’approché au moment de l’AMM.
Autre mission de puissance publique : l’inspection des sites. Il peut s’agir des sites de production, des laboratoires, des essais cliniques en France ou à l’étranger, des sites où se déploient d’autres types d’activités, comme la thérapie cellulaire.
Dernière mission, qui a pris de l’importance ces dernières années : le contrôle de qualité des produits en laboratoire. Il est bon que des laboratoires publics puissent pratiquer des contrôles, soit de façon aléatoire, soit de façon plus ciblée, en fonction d’une analyse de risques, en fonction de signaux qui leur parviennent par ailleurs, pour vérifier que les produits contiennent la quantité normale de substances actives, que leur qualité pharmaceutique est bonne et éventuellement qu’ils ne comportent pas de substances toxiques, comme on l’a vu dans certains cosmétiques importés.
Ces missions s’exercent au travers de quatre séries de métiers : l’évaluation avant et après l’AMM, l’inspection, le contrôle en laboratoire et la production d’informations touchant au bénéfice/risque du médicament.
J’ai été nommé à la direction de l’AFSSAPS en février 2004, quelques mois avant le vote de la loi sur l’assurance maladie, qui a créé la Haute Autorité de santé. Le législateur a décidé de transférer les fonctions d’évaluation du service rendu à la HAS, fonctions qui étaient jusqu’alors rattachés à l’Agence, après l’avoir été au ministère de la santé. Il a donc fallu construire des articulations avec la HAS sur deux points principaux.
Le premier a été le suivi post AMM. Les études post AMM sont utiles pour mieux informer, à partir des données de la vie réelle, pour apprécier le rapport bénéfice/risque du médicament – notamment le suivi de la toxicité des produits – et la réalité du service rendu, ce dernier domaine relevant de la commission de la transparence qui fait partie de la HAS.
Au deuxième semestre 2005 a été mis en place un mécanisme de coordination : d’un côté les équipes AMM et du suivi post AMM, de l’autre les équipes de la commission de la transparence. Elles se réunissent très régulièrement, environ tous les quinze jours, pour échanger sur les dossiers et les besoins d’études post AMM en fonction des produits concernés par l’évaluation. En cas d’évaluation française, les produits obtiennent l’AMM et passent ensuite à la transparence. En cas d’évaluation européenne, il faut anticiper les besoins en études post AMM avant même l’obtention de l’AMM européenne.
L’idée est de ne pas faire de demandes dispersées aux laboratoires et d’éviter que ces études ne fassent double emploi. On essaie de configurer des études post AMM susceptibles d’atteindre les deux types de résultats : les données sur le bénéfice/risque actualisées en vie réelle et les données sur le service rendu et l’intérêt de santé publique ; ou bien l’on articule les demandes d’études de manière qu’il n’y ait pas de chevauchements.
Cette première collaboration est complétée par des réunions avec la Direction générale de la santé, qui ont lieu deux ou trois fois par an. On n’examine pas l’ensemble des dossiers post AMM, mais on se concentre sur quelques grands dossiers qui représentent un enjeu de santé publique ; Accomplia ou Gardazil, par exemple.
Le deuxième aspect de cette coordination avec la HAS concerne la diffusion de l’information dans le domaine des produits de santé. Il faut remarquer que le terme de « bon usage » a plusieurs significations. Pour le sens commun, c’est l’usage sûr ; c’est la manière d’utiliser le produit en maximisant ses avantages et en minimisant ses risques. Toutefois c’est aussi le bon usage du point de vue de la valeur thérapeutique : l’usage du médicament, dans une stratégie thérapeutique où il n’y a pas nécessairement que le médicament. C’est enfin le bon usage du point de vue du payeur public, dans le sens du meilleur coût/bénéfice.
L’idée a été d’échanger avec la Haute Autorité de santé pour produire des documents qui soient les plus complémentaires possibles et, dans certains cas, produire des documents sous double timbre, comme ce fut le cas pour Accomplia.
Aujourd’hui, le principal problème pour l’information publique du médicament est quantitatif. Il est lié à la capacité de produire une bonne information et de l’actualiser.
On peut citer l’exemple de coopération, hors AMM, avec la HAS et l’Institut national du cancer – INca. Lorsque le décret sur la tarification à l’activité – T2A – est sorti, il a été prévu que les hôpitaux devraient passer avec les agences régionales d'hospitalisation – ARH – des conventions portant notamment sur le bon usage des médicaments. Le ministère s’est aperçu que, pour que ces conventions réussissent, il fallait disposer de référentiels de bon usage. Le plus simple qui existe, et qui est actualisé, c’est l’AMM.
Cependant il y a de très nombreuses prescriptions hors AMM, notamment à l’hôpital et en cancérologie. Il était donc nécessaire de produire des référentiels publics qui permettent de distinguer, à l’intérieur du hors AMM, ce qui est scientifiquement acceptable, car, même si l’on n’a pas le niveau de preuve de l’AMM, on dispose de l’expérience clinique des soignants, et ce qui est scientifiquement moins acceptable, voire pas du tout. On s’est alors rendu compte qu’aucune des institutions prise isolément n’avait les moyens de produire très rapidement l’ensemble des référentiels dont on avait besoin. On s’est donc réparti la tâche de façon pragmatique : la HAS commence à produire des référentiels sur les dispositifs médicaux ; l’INca des référentiels hors AMM en cancérologie ; l’AFSSAPS des référentiels de médicaments hors cancérologie, avec un mécanisme de relecture réciproque entre les équipes d’experts des différentes institutions.
M. Pierre Morange, coprésident : Au-delà de cette répartition des tâches, existe-t-il une base de données commune ? Est-ce que, sur un seul et même site, se trouve l’ensemble des données qui colligent l’ensemble des domaines qui ont été répartis en fonction de cette ventilation ? A-t-on couvert, 70, 80 % ou 100 % de ce champ entre les trois secteurs qui ont été rappelés ?
M. Jean Marimbert : Votre première interrogation renvoie à la question de la base de données sur le médicament. C’est un sujet lancinant, au sens où il est abordé dans un certain nombre de rapports parlementaires ou de la Cour des comptes depuis cinq ou six ans.
Il a été décidé de mettre en place une base publique du médicament. Celle-ci sera opérationnelle à la fin de 2008. Les médicaments représentent environ 16 000 produits autorisés dont 11 000 à 12 000 effectivement commercialisés. Pour chaque produit, existe un mode d’emploi et un relevé des caractéristiques, avec la particularité qu’ils ont été autorisés au fil du temps. On se trouve donc devant une masse d’informations dont la grande majorité n’est pas informatisée, se présentant parfois sous forme de pelures, qui ne sont pas très exploitables pour faire une base de données.
Un tel projet est très lourd : il consiste à reprendre les relevés des caractéristiques de produits, à les faire transcrire dans une forme informatiquement utilisable. Il faut les faire relire et valider par les pharmaciens de l’organisme public et, petit à petit, les mettre en ligne.
M. Michel Pot : Il y a 5 000 produits en ligne et 3 000 validés et en interaction avec les laboratoires pour vérification.
M. Jean Marimbert : D’ici fin 2008, les données de la base seront reprises sous forme informatique, en mode « base de données ». Pour y parvenir, il a fallu conduire, notamment en décembre 2005, des négociations budgétaires qui ont été âpres mais fructueuses.
Cette base est fondée sur des données de l’AMM. Évidemment, il serait utile d’utiliser cette base dans une logique d’intérêt public plus globale, dans un travail commun avec la HAS, pour y greffer des données autres que celles de l’AMM, en particulier sur le service médical rendu, ce qui profiterait aux médecins.
M. Michel Pot : Pour greffer des données autres, il faut qu’elles existent et qu’elles soient accessibles. Le problème se pose de la même façon pour la HAS : l’historique du service rendu remonte à un certain temps, où les données n’étaient pas informatiquement utilisables et donc pas immédiatement disponibles. On ne pourra donc pas les intégrer où les renvoyer à des liens tant qu’elle n’aura pas fait le même travail sur le service rendu.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelles seront les données collectées et mises à la disposition des professionnels de santé à la fin de l’année 2008 ? Ces derniers auront-ils accès à la fiche de transparence du médicament, qui leur fait souvent défaut lorsqu’un visiteur médical d’un laboratoire vient au cabinet ou à la pharmacie, à l’AMM, au SMR ? Pourront-ils savoir si une étude post AMM est en cours ? Par qui ? De quelles informations pourront-ils disposer sur le prix ? Pourront-ils faire des comparaisons avec les prix des autres médicaments dans la même classe thérapeutique ?
M. Michel Pot : Non, le chantier consiste d’abord à mettre en ligne les données dont dispose l’AFSSAPS : les AMM, les annexes aux AMM, les résumés des caractéristiques du produit – RCP. Les fiches de transparence ne sont pas à l’AFSSAPS, c’est la HAS qui est en train de les informatiser.
M. Pierre Morange, coprésident : Il n’y a donc pas de travail d’articulation entre l’AFSSAPS, la HAS et l’INca pour la constitution d’une base de données commune qui permettrait de balayer le sujet du bénéfice/risque, la logique du SMR et le domaine de la pathologie cancéreuse ?
M. Michel Pot : L’AFSSAPS s’est engagée à mettre en ligne ses données et la HAS les siennes. Le jour où ce sera fait, il ne sera pas difficile de créer des liens sur les fiches de médicaments de l’AFSSAPS renvoyant aux fiches de transparence de la HAS – et inversement. Techniquement il n’y aura aucun problème. Le problème est d’abord de constituer la base de ses propres données.
M. Georges Colombier : Pouvez-vous nous préciser ce qu’est une fiche de transparence.
M. Jean Marimbert : Il faut distinguer l’AMM, qui consiste à évaluer le rapport bénéfice/risque du médicament et à décider d’autoriser sa mise sur le marché, et l’évaluation du service médical rendu – on dit plutôt maintenant du service médical « attendu » – qui consiste à comparer la quantité d’effets des médicaments, dont le rapport bénéfice/risque est déjà établi et positif, et à mesurer la valeur ajoutée thérapeutique.
La commission de la transparence est chargée de cette deuxième tâche. À partir de ce travail sur les produits qu’elle évalue, elle publie des fiches de transparence qui indiquent le service rendu par le médicament, ce dernier étant classé dans une des cinq catégories de SMR. Le niveau de remboursement et la fixation du prix se fondent sur cette évaluation de l’amélioration du service rendu.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : En ce qui concerne les médicaments génériques, comment peut-on expliquer la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché à des laboratoires dont on sait que le princeps est génériqué ? Y a-t-il une raison cachée ? On peut citer l’exemple de l’AMM qui a été délivré à une Predmisolone orodispersible de même dosage que celle qui existait auparavant sous forme effervescente. Tous les professionnels de santé sont d’accord pour dire qu’elle n’a rien apporté de plus, si ce n’est qu’on ne peut plus génériquer le princeps.
M. Pierre Morange, coprésident : Je précise que la Predmisolone est un corticoïde, avec un effet anti-oedémateux et anti-inflammatoire.
M. Jean Marimbert : Globalement, le générique s’est développé ces cinq dernières années dans notre pays, même si on est parti de très bas.
Il n’y a pas de raison cachée au niveau de l’AFSSAPS, qui travaille dans l’intérêt de la santé publique, et qui cherche à être la plus transparente possible. C’est d’ailleurs la première agence d’Europe qui ait publié, début 2006, des comptes rendus de la commission de pharmacovigilance.
Je n’ai pas d’explication à fournir immédiatement concernant le cas de la Predmisolone, mais je vais me renseigner pour la donner à la Mission. Il faut néanmoins remarquer que, dans l’octroi de l’AMM des génériques, l’AFSSAPS est soumise à la législation européenne et doit respecter la définition européenne du générique qui est transposée dans la loi française.
Les critères sont intangibles : même composition et même forme thérapeutique. Si un produit ne remplit pas ces critères, on ne peut pas le traiter comme un générique, lequel bénéficie d’un régime très allégé. Dans le cas d’un générique, on n’exige pas des études cliniques, simplement la preuve de leur bioéquivalence, au stade de l’évaluation de l’AMM. Dans le cas contraire, on doit demander au laboratoire qui dépose le dossier d’apporter des éléments de preuve clinique, dans la mesure où il ne peut pas se situer par référence aux études cliniques faites pour un produit princeps.
Par ailleurs, au stade de l’AMM, on n’a pas à juger. On ne peut pas refuser l’autorisation parce que tel produit n’apporte pas un plus thérapeutique par rapport au précédent. La seule question à laquelle il faut répondre est : a-t-il plus d’efficacité que de risques ? La législation sur l’AMM n’empêche donc pas, en France comme ailleurs, l’entrée sur le marché des me too, c'est-à-dire des produits qui ne sont pas plus efficaces que les précédents et qui en sont très proches, même si on ne peut pas parler de génériques.
C’est en aval qu’on peut réguler les me too, au stade du travail de la transparence, de l’évaluation, de la comparaison entre médicaments. L’autorité publique peut très légitimement fixer un taux de remboursement ou un niveau de prix tenant compte du fait que le médicament n’apporte pas grand-chose par rapport aux générations précédentes ou à d’autres médicaments existants.
Il serait illégal, en revanche, de refuser une AMM sous prétexte qu’il existe déjà quatre ou cinq médicaments équivalents. Par ailleurs, les profils des patients sont très variés et ceux-ci ne réagissent pas de la même manière à des médicaments de la même classe, très proches sur le plan pharmaceutique et pharmacologique. L’un réussira à une personne, mais pas à une autre. Attention donc à une stratégie dans laquelle, sous prétexte que tel médicament n’apporte pas plus que les précédents, il ne faut pas autoriser sa mise sur le marché. On risque de réduire la palette thérapeutique des médecins.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelle instance peut décider qu’il y a ou non contournement du générique, phénomène connu de tous les professionnels de santé, et décider de ne pas délivrer d’autorisation ?
M. Jean Marimbert : Il existe effectivement des stratégies de contournement. En 2005-2006, on s’est demandé si l’on pouvait modifier la définition du code de la santé publique sur les génériques, afin de faire figurer, dans la même catégorie du répertoire des médicaments génériques établi par l’Agence, davantage de produits. Ces tentatives ont échoué, le Conseil d’État ayant jugé que l’élargissement de la définition qui lui était proposé était contraire à la définition du générique, telle que prévue par la directive européenne.
Il peut exister des médicaments qui sont thérapeutiquement très proches du générique sans pouvoir être qualifiés de génériques, à cause de ce problème de définition. Il ne paraît pas exclu de réfléchir, dans ces cas-là, à la possibilité de permettre la substitution pour ces médicaments qui, à proprement parler, ne remplissent pas tous les critères très précis du générique. Mais il faudrait alors veiller à bien cadrer le système et poser une condition d’équivalence thérapeutique.
L’AFSSAPS est concernée par les polémiques sur la sécurité des génériques. Certains praticiens sont opposés à la substitution dans un domaine particulier, par exemple celui des épileptiques, où ils considèrent que la marge thérapeutique est beaucoup trop étroite. Des sociétés savantes françaises, et même étrangères, ont pris position contre la substitution.
Toute réflexion sur l’élargissement du répertoire, sur l’élargissement du champ de la substitution, doit prendre évidemment en compte les impératifs de sécurité. Si le générique s’est assez bien développé ces cinq dernières années, c’est parce que la population a globalement confiance dans le générique. Il ne faut pas porter atteinte à cette confiance par des accidents ou des manœuvres mal maîtrisées.
Il est tout à fait compréhensible qu’on veuille réfléchir à la façon de contrer les stratégies de contournement, mais on aura du mal à le faire dans le cadre de la notion de répertoire des génériques à proprement parler, en raison du caractère très strict de la définition communautaire. La politique du générique doit être une politique de confiance et il faut être très attentif aux enjeux de substitution qui peuvent parfois poser, même marginalement, des problèmes de sécurité.
M. Pierre Morange, coprésident : S’agissant des bases de données, il faut sortir d’une approche scientifique, le prescripteur n’étant pas du tout dans la même démarche, dans la mesure où il s’attache à la simplicité d’utilisation. Une base de données commune aboutirait à la création d’un logiciel d’aide à la prescription, que tout le monde appelle de ses vœux. En 2008, cela sera-t-il possible ? Aujourd’hui, 5 000 principes pharmaceutiques ont été informatisés. Est-ce que cela a été fait selon un classement alphabétique ou par ordre décroissant de prescription, ce qui serait plus utile ?
Par ailleurs, l’AFSSAPS a un rôle en matière de traçabilité sanitaire et, notamment, de fiabilité du médicament. Est-ce que l’ensemble des génériques qui sont vendus en France et en Europe est élaboré sur la plate-forme occidentale ? Certains sont-ils élaborés sur d’autres plates formes, notamment asiatiques ? On a en effet constaté que les unités de production de certains génériqueurs installés à l’Est du massif continental européen ont parfois montré le caractère aléatoire de la qualité de leurs productions.
M. Michel Pot : À partir de 1999, l’Agence a commencé à archiver électroniquement ses fiches électroniques et à les entretenir. Ce sont elles qui sont sur le site in extenso, c’est-à-dire avec les RCP. Le site comporte 5 000 premières spécialités avec leur composition pharmaceutique. Il n’y a pas de base exploitable facilement dans la mesure où, effectivement, le travail n’est que chronologique. En revanche le travail de reprise est fait en priorité sur des spécialités commercialisées.
S’agissant des logiciels d’aide à la prescription, la stratégie actuelle consiste à dire que pour être certifiés qualité, ces logiciels doivent être reliés à des bases de données médicamenteuses, lesquelles, qu’elles soient publiques ou privées, ont signé une charte de bonne conduite définie dans des travaux menés conjointement par la HAS et l’AFSSAPS. Cette charte, qui a été publiée, a été élaborée avec des professionnels des bases. Ces bases doivent répondre à un certain nombre de critères, notamment en termes d’exhaustivité, en particulier sur les RCP, les fiches de transparence.
Dès lors que l’AFSSAPS sera à même de fournir ces données qui seront aisément absorbables par n’importe quelle base et que la HAS sera à même de le faire de son côté, la question sera réglée par le biais de l’adhésion des bases, quelles qu’elles soient, à la charte qui a été définie entre l’AFSSAPS et la HAS.
M. Jean Marimbert : Pour faire une bonne base de données de données de médicaments, il faut d’abord faire les investissements préalables et mettre en forme utilisable pour une base de données tout le corpus existant. À partir de là, l’imagination peut être au pouvoir en matière de coopération, pour regrouper les données les plus utilisables et les plus accessibles pour les praticiens et les professionnels de santé, voire pour le public.
On peut citer l’exemple des dispositifs médicaux. L’AFSSAPS a des contacts avec la direction de la sécurité sociale depuis quelques mois. L’Agence dispose d’une source de données sur les dispositifs médicaux liée à la déclaration des dispositifs médicaux de trois des quatre classes ; elle concerne la mise sur le marché. La direction de la sécurité sociale souhaiterait que l’Agence mette dans cette base, dans un avenir le plus proche possible, des éléments sur l’inscription des dispositifs médicaux sur la liste des produits et prestations – LPP, c’est-à-dire l’équivalent d’éléments sur le service rendu. Le but est que soient accessibles sur une même base des données sur l’amont, c’est-à-dire sur la mise sur le marché du produit, et des données sur le statut du produit par rapport à la prise en charge. Cela signifie qu’à partir du moment où l’on dispose d’un outil à un endroit donné, on peut lui faire remplir un rôle qui dépasse les missions, dans une optique de bonne organisation du système.
M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous revenir à la question de la fiabilité des génériques, leur traçabilité et le problème de la sécurisation quand la chaîne de production implique des sites lointains de l’extrême Est ?
M. Jean Marimbert : Il faut être conscient que le fait d’utiliser des génériques, même produits sur le territoire national, pose des questions de traçabilité. À partir du moment où un médecin prescrit un médicament et ne s’oppose pas à sa substitution, un générique peut être substitué à ce médicament. En cas d’effets indésirables, on peut s’interroger sur la cause : est-ce que ces effets sont dus au produit princeps ou au générique ? Le pharmacien le sait, le patient aussi, mais pas le médecin. Des discussions ont eu lieu en commission de pharmacovigilance sur ce sujet. Il faut y travailler.
Ce qui est plus préoccupant, c’est que la chaîne de fabrication du générique est de plus en plus étendue. Certaines étapes sont de plus en plus souvent effectuées à l’étranger, parfois sur des sites très lointains. La fabrication des matières premières pharmaceutiques utilisées dans les génériques est à 80-90 % extra-européenne : Inde, Chine, Brésil et Amérique du Sud. Par ailleurs, les essais de bioéquivalence destinés à vérifier que le produit générique se diffuse dans l’organisme de manière comparable au produit princeps sont de plus en plus souvent effectués ailleurs, notamment sur des sites asiatiques. Dans ces pays, il y a des gens qui travaillent très bien, mais il y a aussi de vilains canards. Cela oblige à consacrer une partie de son temps à aller inspecter dans ces pays lointains, en particulier en Inde et en Chine, pour le compte de l’AFSSAPS ou de l’OMS. Il est évident que le contrôle de la qualité de l’amont de la chaîne, dans ces pays-là, dépasse les forces de n’importe quelle agence individuelle, même la FDA américaine.
M. Pierre Morange, coprésident : Il faut rappeler le cas d’équipes d’experts qui étaient passées dans des territoires asiatiques. Ils avaient constaté que les chaînes de production étaient conformes aux normes exigées, mais, quelques semaines après, les mauvaises habitudes étaient reprises. Cela pose des problèmes, notamment pour les pays qui commandent des médicaments à bas prix sur la base d’un référentiel théoriquement correct. Ce n’est pas parce qu’ils sont pauvres que leur population doit absorber des génériques mal élaborés.
M. Jean Marimbert : On ne sera jamais à l’abri de ce qu’on pourrait appeler « le syndrome de Potemkine » : on met en place des décors accrocheurs qu’on enlève après le passage des hautes personnalités. Reste que, pour relever ce défi, une coopération de plus en plus accrue est nécessaire entre les services d’inspection des différents pays. De nombreuses agences font des contrôles, mais, ce qui compte, c’est qu’au niveau européen et mondial, des échanges d’informations aient lieu et que lorsqu’un problème est repéré par l’une d’entre elles, elle le fasse savoir aux collègues des autres pays.
Pour la deuxième fois, une réunion a été organisée avec une vingtaine d’agences. Parmi les thèmes identifiés on peut citer : les moyens d’améliorer la coopération pour lutter contre la contrefaçon, qui se trouve à nos portes, et la lutte contre la fraude dans le domaine des essais cliniques.
Autre aspect : le contrôle en laboratoire.
Depuis sept ou huit ans, l’Agence s’est mise à opérer des contrôles de routine sur les génériques, quelle que soit leur origine. C’est le moyen de détecter d’éventuels défauts de qualité sur ces produits.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Comment l’AFSSAPS travaille-t-elle avec les centres de pharmacovigilance ? Les pharmaciens sont amenés à participer à des recueils de données. Comment l’Agence procède-t-elle pour les recueillir et les traiter ?
Que pense l’Agence des ventes par Internet de médicaments soumis à AMM, au sens français ?
M. Jean Mallot, coprésident : Les taxes que perçoit l’AFSSAPS constituent une part importante de ses ressources. Quelles sont vos propositions pour assurer une meilleure cohérence du financement avec les objectifs que poursuit l’Agence ? Ne faudrait-il pas simplifier le dispositif, qui est assez complexe ? Enfin, comment simplifier et améliorer le système de recouvrement de ces taxes, lequel représente une charge pour l’Agence ?
M. Jean Marimbert : L’AFSSAPS a tenu une conférence de presse au mois de mai dernier, avec M. Jean Parrot, le président du conseil national de l’Ordre des pharmaciens, sur la contrefaçon, qui n’est plus un phénomène réservé aux pays en voie développement. À cette occasion, il a été rappelé que la loi française ne permettait pas de réguler la vente des médicaments sur Internet. Le droit européen est un peu plus nuancé en la matière. En conséquence, on ne peut pas garantir la qualité des médicaments vendus par Internet. Il ne faut donc pas aller sur Internet pour acheter des médicaments.
Malgré tout, Internet est très présent aujourd’hui. Certaines personnes ont même pris l’habitude d’acheter certains types de médicaments, par des filières qui ne sont contrôlées qu’épisodiquement par des sondages, au coup par coup. Il y a donc lieu de s’interroger sur la législation en la matière.
M. Pierre Morange, coprésident : On peut se demander si une simple mesure législative serait suffisante pour encadrer la vente des médicaments sur Internet. J’invite l’AFSSAPS à transmettre à la MECCS d’éventuelles suggestions, qui pourraient, le cas échéant, être intégrées, par voie d’amendement, dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. Jean Marimbert : Il faut aborder la question au niveau international et européen. On peut provoquer le débat au niveau européen sans même attendre une hypothétique régulation communautaire. Il conviendrait également de réfléchir à la manière d’organiser, sur le territoire français, la vente par Internet.
Trop souvent on s’adresse à des sites derrière lesquels il n’y a pas d’opérateurs pharmaceutiques sérieux, des sites dont les messages ne sont pas contrôlés, qui n’ont aucune accréditation et n’ont adhéré à aucune charte régissant la qualité de l’information délivrée au public. Certains pays voisins ont commencé à mettre en place des systèmes dans lesquels la vente sur Internet est possible, mais avec des opérateurs ayant pignon sur rue et répertoriés, offrant des garanties pharmaceutiques, dans des conditions de transparence et vérifiables par l’utilisateur. Une réflexion mériterait d’être lancée en ce sens.
Le système français de maillage territorial des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), qui n’est pas très répandu en Europe, suscite de l’intérêt lors des débats internationaux. Les collègues étrangers s’intéressent à l’articulation entre une autorité nationale publique jouant un rôle de coordination et de mise en œuvre, l’AFSSAPS, et les centres régionaux qui constituent un appui. Ces centres de pharmacovigilance sont logés dans des CHU ; ainsi, les pharmacologues sont en relation avec les cliniciens. L’Agence a veillé, avec la direction des hôpitaux, à ce que, dans le cadre de la T2A, les missions des CRPV soient clairement identifiées comme des missions d’intérêt général.
Les CRPV sont assez fortement représentés au sein du comité technique de pharmacovigilance et de la commission de pharmocovigilance. On s’appuie en permanence sur eux. Par exemple, lorsqu’on met sur le marché un produit, on peut décider qu’en raison de certains risques identifiés lors des études cliniques, il faut mettre en place un plan de gestion des risques. Si, dans le cadre de ce plan, on prévoit un suivi renforcé de pharmacovigilance, on mandate généralement un centre régional qui deviendra pilote sur ce produit. Il sera chargé d’assurer la synthèse du suivi de tous les signalements qui remontent vers les centres, d’en faire rapport devant le comité technique de pharmacovigilance, puis devant la commission de pharmacovigilance, d’où l’importance de ce maillage et de ce travail avec les CRPV.
En ce qui concerne le financement de l’AFSSAPS, il y a fort à craindre d’un système de budgétisation totale de l’Agence, dans le contexte budgétaire d’aujourd’hui. Certes, le système actuel a des faiblesses. Une toute petite minorité de gens prétend que, parce que l’Agence collecterait elle-même des prélèvements obligatoires ayant pour la majorité la qualification de taxes fiscales prélevées par l’agent comptable d’un établissement public administratif national, au lieu de l’être par le receveur percepteur territorial, son financement deviendrait impur. Ce raisonnement est difficile à comprendre. En revanche, le système actuel comporte beaucoup d’avantages.
L’Agence dispose d’une ressource directement accessible ; c’est elle qui prélève les taxes pour le compte de l’État. Le taux de recouvrement des mandats émis est de 99,97 %, un quart de point supérieur au taux de recouvrement des impôts directs. De ce point de vue, le système est donc raisonnablement efficace.
Ensuite, il est beaucoup plus pratique que l’établissement public administratif perçoive directement, car l’assiette des prélèvements dépend de paramètres opérationnels liés aux AMM, par exemple la classification des AMM dont dispose l’Agence et dont ne disposerait pas un receveur. La vérification de ces paramètres en interne, au sein de l’établissement public, est donc très simple.
Enfin, personne n’a pu sérieusement soutenir que, sur la durée, le fait que trois quarts de ses ressources soient issues de prélèvements obligatoires sur les industries de santé – taxe sur le chiffre d’affaires perçue par l’établissement ou droits fixes perçus sur des dossiers – ait pu influencer significativement la ligne de santé publique de l’Agence. Je suis prêt à rendre compte du moindre des choix de l’Agence sur ce point-là, depuis mon arrivé à la direction de l’AFSSAPS, il y a quatre ans.
Le système de recouvrement fonctionne assez bien. Il est assez simple. Il a assuré, sur la durée, un financement correct des besoins d’exploitation et des besoins d’investissement de l’Agence. Or une agence des produits de santé ne doit pas être paupérisée. Elle doit pouvoir investir dans son système d’information, dans ses laboratoires.
Quand l’État a considéré qu’il y avait un fonds de roulement trop important, il en a repris l’essentiel, ce qui était normal. Quand les dépenses d’intérêt public sont inférieures aux ressources publiques affectées au fonctionnement de l’Agence, l’État peut les reprendre pour d’autres usages.
Il faut donc bien réfléchir avant de transformer ce système.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous validez donc le système en place. Nous vous remercions de transmettre à la MECSS toute information complémentaire ou suggestion de réforme et de bien vouloir répondre aux questions qui vous seront adressées par écrit à la suite de cette audition.
*
Audition de MM. Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé (HAS), François Romaneix, directeur, Gilles Bouvenot, membre du collège de la HAS et président de la commission de la transparence, et Étienne Caniard, membre du collège de la HAS et président de la commission qualité et diffusion de l’information médicale.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La MECSS s’intéresse à la politique du médicament dans le cadre de la maîtrise médicalisée des soins. Il serait donc intéressant que vous nous indiquiez quel est le périmètre d’action de la Haute Autorité de santé et quelles relations celle-ci entretient avec l’AFSSAPS.
M. Laurent Degos : La HAS est une autorité indépendante – ce qui implique de se plier aux règles de la transparence, sur le plan tant des résultats que des méthodes, le médicament étant au centre de tous les acteurs de la santé –, dont le caractère scientifique signifie, ce qui fait sa force, qu’elle ne travaille pas dans l’arbitraire, mais sur des bases scientifiques, conformément aux méthodes de l’evidence based medecine, c’est-à-dire la médecine par la preuve. Afin de renforcer cette indépendance, outre le fait qu’un guide de gestion des conflits d’intérêt existe, les déclarations de conflit d’intérêt, de la part aussi bien des experts, des membres du collège que des responsables de la HAS, sont rendues publiques, et un groupe extérieur, présidé par M. Vigouroux, conseiller d’État, intervient en matière de déontologie et de règlement de tels conflits.
Le périmètre d’action de la Haute Autorité comporte trois grands domaines.
Tout d’abord, l’évaluation des technologies de santé, ce qui consiste à évaluer les médicaments, les dispositifs et les actes, dans le dessein d’aider le décideur – dans le cadre du service médical rendu et de l’amélioration de celui-ci – ainsi que les professionnels – dans le cadre du bon usage ;
Ensuite, les recommandations de bonne pratique médicale en matière de santé publique et de sécurité des soins ;
Enfin, l’action, puisque la HAS dispose des moyens de certifier à la fois les établissements hospitaliers et, par le biais de l’évaluation des pratiques professionnelles, tous les médecins, et qu’elle joue également un rôle en matière de prise en charge des maladies chroniques et de certification de l’information, laquelle va jusqu’à la certification de la visite médicale, ce que la France est seule à pratiquer.
Dans cet esprit, quatre objectifs guident la Haute Autorité.
Le premier est celui de la transversalité, c’est-à-dire le souci d’une vision globale du médicament au sein de la stratégie médicale, ce qui permet de préconiser des recommandations, et, en matière d’action, d’intervenir au niveau de la pratique professionnelle, de l’information et de la prise en charge à 100 %. La vision globale permet ainsi de mettre en lumière certains problèmes, par exemple le fait qu’un médicament aux effets modestes, mais au service médical rendu (SMR) suffisant, entrant dans une médication d’affection de longue durée (ALD), soit automatiquement pris en charge à 100 %.
Le deuxième objectif tient à une approche plus globale de la qualité, qui permet de replacer le médicament dans son contexte organisationnel et économique, sans oublier l’aspect sécurité des soins. Outre le fait que l’aspect médico-économique ne rencontre plus d’obstacles d’ordre culturel de la part des médecins, l’appréciation du coût du médicament peut répondre à différents critères : une approche coût/utilité comme en Grande-Bretagne – combien d’années de vie difficiles le patient est-il prêt à sacrifier pour une année de vie en bonne santé ? – ; une approche subjective – combien le patient est-il prêt à payer pour que le médicament soit pris en charge ? – ; ou une approche nouvelle coût/efficacité, telle celle sur laquelle les Allemands travaillent, mais à condition de l’aborder de manière séquentielle, c’est-à-dire en examinant d’abord l’aspect médical et, ensuite seulement, l’aspect économique.
Le troisième objectif porte sur l’évaluation continue. En France, dès que l’AFSSAPS autorise la mise sur le marché d’un médicament, la HAS détermine si celui-ci doit être ou non remboursé et à quel prix, alors qu’à l’étranger les listes ne sont pas positives, mais négatives – c’est-à-dire qu’après deux ou trois ans de vie, il peut être décidé que tel médicament n'est plus remboursé – et le prix d’un médicament y est d’emblée fixé par l’industriel. Encore faut-il, une fois la mise sur le marché intervenue, surveiller le médicament : tel est l’objet des études post-AMM.
Le quatrième objectif, enfin, a trait au bon usage du médicament, ce qui oblige la HAS à être lisible – par le biais d’édition de fiches courtes et très simples – et visible – en faisant connaître son action dans différents organes de presse –, effort de lisibilité et de visibilité auquel la Cour des comptes a rendu hommage. Dans le même esprit, il revient à la Haute Autorité de changer la culture des médecins dans leur pratique, et de réfléchir aux moyens de permettre une appropriation par tous les acteurs. C'est sur la base de l’avis de tous les professionnels que, par exemple, un plan d’action en matière de psychotropes, qui sera conduit par la direction générale de la santé, a été défini.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quels rapports la Haute Autorité entretient-elle avec l’AFSSAPS ?
M. Laurent Degos : La HAS, contrairement à l’AFSSAPS, a une vision globale du médicament. Elle peut donc procéder à une comparaison entre le médicament et les autres méthodes thérapeutiques – chirurgie, radiothérapie, etc. – et elle est consubstantielle à la solidarité, en ce sens qu’elle décide, face à un produit mis sur le marché national, s’il doit ou non être remboursé – travail qui, aux États-Unis, est effectué par les assurances. En revanche, il y a chevauchement pour tout ce qui concerne le bon usage et la pratique.
M. Pierre Morange, coprésident : Quand la HAS, associée à l’AFSSAPS, pourra-t-elle fournir un guide informatique opérationnel tant au prescripteur qu’à l’assuré ?
M. Étienne Caniard : La certification des logiciels d’aide à la prescription suit la même démarche que toutes les missions sur le médicament lancées par la HAS, à savoir être à l’écoute des besoins des prescripteurs – faire en sorte, par exemple, que l’ergonomie corresponde à la pratique des médecins.
L’étude des trois bases de données existantes – la mission donnée par la loi à l’AFSSAPS de constituer une base de données n’ayant jamais pu être totalement remplie – a montré qu’à quelques ajustements près elles répondent aux caractéristiques, notamment d’exhaustivité et de rapidité de mise à jour, que la HAS attend des logiciels d’aide à la prescription. L’action de la Haute Autorité a simplement consisté à publier une charte de qualité, au début du mois de septembre dernier. Ainsi, un logiciel ne sera certifié que s’il a été fait appel à une base de données médicamenteuses dont les éditeurs auront signé la charte.
Reste à savoir si l’utilisation d’un logiciel certifié modifiera réellement les pratiques et si les médecins seront suffisamment incités à utiliser un logiciel certifié plutôt qu’un logiciel non certifié. Ensuite, on pourra, le cas échéant, envisager d’instaurer une obligation de certification des logiciels.
M. Pierre Morange, coprésident : Reste que, actuellement, la dimension médico-économique n’est pas prise en compte dans les logiciels d’aide à la prescription. Quand sera-t-il possible d’accéder aux fiches de transparence ?
M. Gilles Bouvenot : Du fait de la demande pressante des ministres en charge de la santé, priorité a été donnée, à la fin des années quatre-vingt-dix, à la réévaluation des médicaments dits à SMR insuffisant, au détriment des réévaluations habituelles de classe. Comme il ne pouvait être question durant ces années de produire des fiches de transparence sur des produits qui pouvaient être déremboursés, ce n'est qu’une fois ce travail accompli, après que plus de 890 produits eurent été réévalués, que la HAS a pu reprendre son activité de réévaluation quinquennale des produits et de rappel pour réévaluation de classe, et donc d’édition de fiches de transparence.
Cependant, si les fiches de transparence apportent des informations, il n'est pas sûr qu’elles soient lues. C’est pourquoi l’accent a été mis, à la demande du Parlement, de la Cour des comptes et de l’IGAS, sur les fiches « bon usage du médicament ». La philosophie de la HAS n’étant pas de se contenter de lancer des actions, mais également de mesurer leur impact, les dix premières fiches publiées en 2007 – leur nombre devrait atteindre quinze par an –, feront l’objet d’une telle mesure d’impact, sans que cela se fasse au détriment de la production des fiches de transparence – celle sur les médicaments de la maladie d’Alzheimer est prête –, qui restent au cœur de la mission de la Haute Autorité, laquelle est de situer le médicament dans le cadre d’une stratégie globale de prise en charge.
En tout cas, à chaque fois qu’une dérive de prescription d’un médicament ou un risque de mésusage est possible, ou encore qu’un médicament est capable de modifier de façon très sensible l’organisation du système de soins, tels les nouveaux traitements de la polyarthrite qui ont fait exploser le nombre de séances en hôpital de jour, une fiche de bon usage sera éditée.
M. Pierre Morange, coprésident : On estime que 12,5 % de la population française consomment 47 à 48 % des dépenses d’assurance maladie. Avez-vous publié des fiches de bon usage des médicaments pour le traitement des maladies chroniques ?
M. François Romaneix : Au mois de juin 2007, 62 % des ALD étaient couvertes et 76 %, cancer inclus, par des fiches de bon usage. Le pourcentage de 100 % sera atteint, avec l’aide de l’INca, fin 2008.
M. Laurent Degos : La réflexion de la Haute Autorité de santé repose toujours sur l’étude des besoins des professionnels et des patients. À côté de la fiche de bon usage, de la fiche de transparence et des guides pour le médecin et pour le patient, existent également les fiches synthétiques qui préconisent des recommandations. Par exemple, si elles décrivent, pour l’hypertension, tous les moyens thérapeutiques existants, elles recommandent de commencer par les thiazides, qui coûtent moins cher. Cette action reste cependant discrète, faute pour la HAS d’avoir, jusqu’à maintenant, une compétence médico-économique.
M. Étienne Caniard : L’enjeu est moins de disposer de fiches exhaustives que d’offrir un outil qui permette au médecin de s’approprier celles-ci dans sa pratique quotidienne. Plutôt que de donner une date à laquelle l’ensemble du champ sera couvert, mieux vaudrait parler de date à laquelle seront mis à disposition les outils permettant au médecin une approche globale.
M. Pierre Morange, coprésident : Estimez-vous souhaitable de rendre obligatoire la certification des logiciels d’aide à la prescription et faudrait-il prévoir, dans cette hypothèse, une disposition réglementaire ou législative ?
M. Étienne Caniard : La loi du 13 août 2004 oblige, selon son interprétation actuelle, à mettre en place une procédure de certification, non à utiliser des logiciels certifiés. Dans ces conditions si le dispositif qui sera mis en place dans les prochaines années fonctionne, c’est-à-dire si une vraie discrimination dans l’utilisation des logiciels intervient et si le marché suit, l’obligation de certification ne sera pas nécessaire. Dans le cas contraire, il faudra passer à la seconde étape.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Étant rappelé que les travaux de la MECSS visent à prendre en compte les enjeux financiers mais aussi les préoccupations de santé publique, il serait intéressant de savoir si des fiches de transparence relatives aux médicaments non remboursés sont également éditées par la HAS ou par d’autres instances.
M. Laurent Degos : La compétence de la Haute Autorité est limitée aux médicaments remboursés. L’évaluation des médicaments non remboursés manque à l’heure actuelle. La HAS, par exemple, ne peut être impliquée en matière d’automédication, faute de lien avec un quelconque remboursement.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Avez-vous mené des études comparatives sur la prescription de médicaments en France et dans les autres pays européens. Des liens ont-ils été tissés avec des instances étrangères ? A-t-on pu établir une corrélation entre le rôle que jouent les laboratoires pharmaceutiques dans la vie médicale – lesquels dépensent en France, en dépenses de promotion, 8 500 euros par médecin – et la surconsommation médicamenteuse, apparemment propre à notre pays ?
M. Laurent Degos : Tisser des liens avec des organismes similaires à la HAS a été mon tout premier souci. Les liens avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont été ainsi étendus au Danemark et à l’Irlande. Il vaut mieux, en effet, lutter à plusieurs que tout seul, ne serait-ce justement que vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique dont la pression se fait sentir tant dans le domaine de la visite médicale que dans celui de la régulation européenne. Celle-ci est en effet soumise à un point tel à l’influence de l’industrie que le guide diabète, par exemple, que Bruxelles voulait imposer a été rejeté par la Haute Autorité qui refuse une telle déviation de la vision des problèmes.
M. Étienne Caniard a fait remarquer que si le volume global des dépenses de promotion du médicament est comparable entre les différents pays, la part de la visite médicale dans le total est, en revanche, beaucoup plus élevée en France. Elle y représente en effet 75 % des dépenses promotionnelles contre 68 à 70 % en Europe et 57 ou 58 % aux États-Unis, les différences de stratégie de communication s’expliquant tant par la faiblesse de contre-pouvoirs à la visite médicale que par les spécificités culturelles de chacun des pays.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie pour ces précisions et vous demande de faire parvenir à la Mission toute suggestion ainsi que de répondre aux questions complémentaires qui vous seront adressées par écrit.
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Audition de MM. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, et Pierre-Jean Lancry, vice-président.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Comment expliquez-vous que le comité d’alerte se soit manifesté aussi tardivement alors que le seuil de déclenchement fixé à 0,75 % de dépassement de l’ONDAM – objectif national de dépenses d’assurances maladie – avait été largement atteint ?
M. Bertrand Fragonard : Vous devriez poser cette question aux responsables de ce comité. Ils ont en fait procédé en deux temps, en émettant d’abord une première appréciation puis un avis. La loi fixe comme date butoir le 1er juin, mais c’est au moment où le comité considère qu’existe un risque sérieux de dépassement de l’ONDAM de 0,75 % qu’il peut intervenir. Fallait-il qu’il le fasse quelques semaines plus tôt ? Je l’ignore, d’autant que le Haut Conseil se garde bien d’intervenir dans la vie conjoncturelle.
Cela étant, je connais les membres du comité d’alerte, qui sont compétents et indépendants, et je n’ai aucune raison de considérer qu’ils n’ont pas rempli leur fonction de façon pertinente et qu’ils n’ont pas agi conformément à l’esprit et à la lettre de la loi.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Le seuil des 0,75 % avait été dépassé bien avant le mois de juin.
M. Bertrand Fragonard : Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire cela. On n’a pas, notamment pour l’hôpital, une visibilité suffisante et assez précoce pour pouvoir prendre position plus tôt. L’avis définitif comporte d’ailleurs un certain nombre de réserves et c’est un des points qui fait contentieux avec les médecins libéraux, qui considèrent que l’on connaît mieux les risques de dépassement de l’ONDAM liés à leur pratique et que l’on est plus flou en ce qui concerne l’hospitalisation. Cela a peut-être joué dans l’idée qu’il fallait attendre quelques semaines de plus, mais prendre position au mois de mars aurait sans doute été prématuré.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Vous avez observé lors de votre audition par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales que l’on était passé de 5,4 à 9 visites par an chez le médecin, pouvez-vous préciser sur quelle durée ?
M. Bertrand Fragonard : Sur 25 ou 30 ans, mais l’état de santé des Français ne s’étant pas dégradé, au contraire, au cours de cette période, cela signifie que nous sommes entrés dans une société dans laquelle le recours au médecin est devenu un trait culturel. Il est encore plus fréquent au Japon, mais ce mouvement est significatif dans notre pays, d’autant que dans neuf cas sur dix la consultation débouche sur la prescription de médicaments. Cette évolution a une influence majeure sur les comptes de la sécurité sociale.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pensez-vous qu’en obligeant, dans le cadre du parcours de soins, à passer devant le médecin traitant avant de se rendre chez un spécialiste, la réforme de 2004 a entraîné une augmentation du nombre des visites ? Certains syndicats de médecins ont dit à ce propos qu’il ne fallait plus parler de « médecins traitants » mais de « médecins sous-traitants »…
M. Bertrand Fragonard : Il ne faut pas surestimer les effets du parcours de soins sur la pratique médicale. Dans les faits, beaucoup de Français avaient déjà un médecin de famille et les analyses sur les parcours spontanés, avant les contraintes tarifaires, montrent que le recours spontané aux spécialistes n’était pas très fréquent. La réforme ne pouvait donc pas avoir un effet radical sur les comportements. On a craint qu’elle entraîne une augmentation du volume des consultations, la visite chez le médecin traitant apparaissant souvent superfétatoire. Or, dans les faits, on observe plutôt une légère diminution du nombre des recours au médecin, sans qu’on puisse véritablement l’imputer au parcours de soins. En fait, c’est l’annonce même de la réforme qui a eu des effets psychologiques sur les médecins et sur les patients.
Il y a eu tout au plus un peu de crispation pour certaines spécialités, comme la dermatologie, qui ont amené les partenaires conventionnels à adopter quelques mesures de compensation.
M. Pierre Morange, coprésident : Si la philosophie générale du bouclier sanitaire est d’aboutir à une nouvelle répartition de la prise en charge, le Haut Conseil a-t-il également réfléchi aux effets que ce bouclier aurait sur les médicaments ? Quelles pourraient en être les conséquences sur le plan budgétaire et sur les comportements ?
M. Bertrand Fragonard : Le bouclier n’a pas vocation à influencer la pratique médicale. Il s’agit d’un réajustement, mais ce n’est pas cela qui modèle la prescription. Dans son avis de juin 2006 sur la prescription des médicaments, le Haut Conseil a exprimé sa conviction que, dans un marché très ouvert où l’on admet les médicaments vite et bien et à des prix plutôt raisonnables, la vraie question est celle de la pression que l’on exerce pour contenir la prescription.
Le constat est connu et les communications de la Cour des Comptes à la MECSS le confirment : nous sommes dans un pays où l’on a heureusement accès aux progrès thérapeutiques liés à l’innovation pharmaceutique et où l’on accepte le principe d’un marché ouvert. Or un marché ouvert fortement solvabilisé crée un contexte propice aux abus de prescription. Dès lors, la prescription n’est pas à l’optimum en quantité puisque presque chaque consultation débouche sur une ordonnance, en général de trois lignes et dont le coût unitaire progresse. En moyenne, chaque fois que l’on va voir un généraliste, cela conduit à 50 euros de prescriptions pharmaceutiques. La France est un pays gros consommateur de médicaments. Dans d’autres pays un grand nombre de consultations ne se traduisent pas par une ordonnance. Ce phénomène tient sans doute à la culture française, c’est-à-dire à la formation initiale des médecins.
La prescription n’est pas non plus à l’optimum en termes de qualité. Sans même parler du risque que fait courir la prescription de certains médicaments, nous constatons de nombreuses prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM), qui ne sont pas totalement maîtrisées, et, surtout, hors répertoire. L’économie du médicament repose sur le princeps, sur le générique et sur les médicaments dits « me too », c’est-à-dire des produits assimilables, de la même classe thérapeutique et qui ont probablement la même aptitude à soigner les malades.
Quand on arrive au terme d’un brevet, la générication est possible, elle entraîne une baisse du prix, qui a été plus prononcée depuis les récentes décisions gouvernementales puisque le générique est introduit à 50 % du prix du princeps et que l’on fait baisser le prix de ce dernier de 15 %. On attend donc de l’arrivée du générique une baisse prononcée du coût de la prescription. Or on n’obtient pas ce résultat car la prescription se fait souvent en dehors du répertoire. Le laboratoire responsable du princeps a tendance à limiter l’effort de promotion puisque cela lui rapporte moins, mais, faute de contacts avec les médecins, les génériqueurs n’ont pas de politique de promotion, si ce n’est en direction des pharmaciens. À l’inverse, les laboratoires qui proposent des me too exercent une pression forte sur les prescripteurs. Ainsi, alors que chacun sait que l’on pourrait soigner davantage en utilisant le répertoire – princeps ou générique –, on observe une augmentation préoccupante de la prescription hors répertoire.
C’est pour cela que nous avons insisté sur la convergence des prix, c'est-à-dire sur la nécessité de revoir les prix des me too au moment où l’on génériquait un produit. Cette option a été retenue dans la lettre d’orientation que le ministre a envoyée au mois d’octobre au président du Comité économique des produits de santé (CEPS).
Il n’y a pas encore eu de modélisation pour voir quelle pourrait être l’étendue du répertoire. C’est un exercice difficile, car la notion de me too n’est pas aussi précise que celle de générique et l’on ne peut pas considérer que tous les produits sont équivalents. Le répertoire représente actuellement 20 % des prescriptions, on ignore s’il pourrait atteindre 30 % ou 40 %, mais il est certain qu’il y a une marge de progression, donc un gisement considérable, probablement de plusieurs centaines de millions d’euros. C’est pour cela que depuis le mois d’octobre le président du CEPS s’efforce de revoir les prix des me too qui sont à l’origine légèrement inférieurs au prix princeps mais qui, après la générication, valent plus que le générique mais aussi que le princeps. Il faut faire converger le prix des me too vers cette référence qu’est le prix de marché, l’enjeu étant de repérer le gisement et de l’exploiter.
Même si l’avenant 23 à la convention médicale fixe un objectif de prescription dans le répertoire pour certaines classes de médicaments, faire évoluer la prescription nécessite beaucoup de temps. Aussi, l’impatience gagnant les gestionnaires, il faut contourner cette résistance en ajustant la politique des prix, c’est l’objet du processus de convergence. C’est un sujet essentiel car si l’on ne fera pas varier ainsi le volume et la qualité de la prescription, on agira au moins sur son prix.
M. Jean Mallot, coprésident : Vos comparaisons internationales, par exemple sur la formation initiale des médecins, vous ont-elles permis de repérer de bonnes idées qui permettraient d’améliorer la situation dans notre pays ?
M. Bertrand Fragonard : La formation initiale et continue et l’évaluation des pratiques sont des enjeux fondamentaux.
Le rapport complexe à la consultation chez le généraliste renvoie à des contenus humains qui n’ont rien à voir avec la mécanique financière que je viens d’exposer. La pratique médicale est le fait de professionnels compétents mais qui évoluent peu et qui sont peu confrontés aux autres. C’est précisément ce qui rend importantes la formation continue et l’évaluation des pratiques. Toutefois il y a aussi une vie collective du corps médical et c’est pour cela que la maîtrise médicalisée a tendance à faire changer les habitudes de prescription.
Une politique brutale de déremboursement de médicaments aurait sans doute des effets plus rapides, mais elle n’est ni souhaitable ni envisageable. La maîtrise médicalisée progresse lentement, mais elle va dans le bon sens. Éclairer la pratique médicale, ne serait-ce qu’en la décrivant, rendre les référentiels de la Haute Autorité de santé (HAS) plus précis, mieux les diffuser, permet de faire évoluer la prescription. Cependant, cette politique ne saurait se substituer à une politique des prix et d’admission sur le marché à des conditions de remboursement raisonnables.
M. Jean Mallot, coprésident : Il faut donc se demander comment accélérer les effets de la maîtrise médicalisée et comment gagner en efficacité.
M. Bertrand Fragonard : Dans un cadre conventionnel on est aussi tenu par le rythme de ses partenaires. Les directeurs des caisses ont sans doute d’autres pistes, mais quand on a fait le choix, que je trouve positif, de la maîtrise médicalisée on est tenu d’avancer au rythme auquel on élabore les instruments. N’oublions pas que la maîtrise médicalisée a décollé à partir du moment où l’on a pu coder les médicaments.
Il n’est pas facile d’aller plus vite. Dans la mesure où les médecins sont les ordonnateurs, on peut certes essayer de réduire la pression des laboratoires, mais lorsque, en dépit des efforts en faveur de la maîtrise médicalisée, on constate que la croissance des prescriptions est forte, il est légitime que l’assureur récupère une partie du surcroît sur les laboratoires, sur les grossistes-répartiteurs et sur les pharmacies d’officine.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous allons en revenir aux questions de notre rapporteure, mais il serait intéressant que nous disposions de plus d’éléments sur les comparaisons internationales en ce qui concerne les schémas organisationnels, l’articulation entre les différentes structures qui régulent le marché du médicament, la constitution des prix et la fiscalité, dont les communications de la Cour des Comptes à la MECSS soulignent la très grande complexité et le manque d’efficacité dans notre pays.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pensez-vous que le mode de rémunération actuel des médecins par le paiement à l’acte a des effets sur la prescription excessive de médicaments ?
Considérez-vous par ailleurs que la place que prennent les visiteurs médicaux dans l’information des médecins a une influence sur les prescriptions hors répertoire ?
M. Bertrand Fragonard : Aucune analyse n’a été menée sur ce sujet. On ignore donc si la rémunération à l’acte entraîne une inflation des recours au médecin, des indemnités journalières et des prescriptions. Il faut par ailleurs prendre en compte le contexte de la démographie médicale : lorsqu’un médecin a trop de clients, les défauts éventuels de la tarification à l’acte s’effacent.
Le projet de loi de financement de sécurité sociale pour 2008 introduit la possibilité très intéressante de mener des expérimentations, pendant cinq ans, d’engagements des médecins sur des objectifs contractuels individualisés d’amélioration de leurs pratiques et l’on verra si la réorganisation de la prise en charge a un effet sur le recours au médecin et sur la prescription d’indemnités journalières et de médicaments.
Les comparaisons internationales sont très difficiles car les contextes ne sont pas les mêmes. Certains pays appliquent des méthodes plus énergiques, par exemple avec des enveloppes fermées de prescriptions et d’honoraires.
M. Pierre-Jean Lancry : En effet, on ne parvient pas vraiment à comparer, même si l’on voit bien que nous consommons beaucoup plus que les autres. On a pensé pendant un moment qu’il y avait un effet d’offre car 9 000 médicaments, dont 6 700 remboursables, sont vendus en France. Mais on n’observe pas ce phénomène en Allemagne, où il y a pourtant deux fois plus de médicaments. La comparaison ne donne donc pas de résultats très nets.
Il est vrai que les contextes sont très différents puisqu’on a observé que les patients n’utilisaient pas les mêmes formes galéniques. Les Anglais refusent les suppositoires tandis que, dans le pourtour méditerranéen, l’injection est considérée comme une preuve de l’importance de la pathologie. En France, on a tout !
Une étude assez ancienne des comportements des prescripteurs a toutefois permis de mettre en évidence certains éléments, en particulier qu’il y aurait un lien entre l’activité d’un médecin et la prescription par acte : plus le médecin fait d’actes, plus il prescrit à chaque acte, peut-être pour se couvrir dans la mesure où il consacre moins de temps à son patient, peut-être aussi pour rassurer celui-ci.
M. Bertrand Fragonard : Ce n’est pas un phénomène majeur.
On peut bien évidemment s’intéresser de près à quelques très gros prescripteurs, mais ce dont on parle, ce sont des habitudes globales de prescription. Les modifications d’organisation ont donc plus d’effet que des processus administratifs ou que d’éventuels changements du mode de rémunération. Personne ne propose d’aller vers une rémunération par capitation. Tout au plus peut-on valoriser des comportements différents par des rémunérations différentes.
Il est évident que les visiteurs médicaux ont une influence sur la prescription hors répertoire : ils sont là pour promouvoir leurs produits. Notre pays a entrepris d’encadrer cette pratique par une charte, qui est suivie, qui a une influence, mais qui n’empêche pas la promotion. On essaye aussi de la contenir au moyen d’une taxation spécifique.
Cependant, d’autres influences s’exercent sur le médecin. Ainsi, celui qui élabore les référentiels doit guider la pratique médicale, ce qui renvoie aux problèmes d’élaboration et d’appropriation des référentiels. Une autre influence est celle du gestionnaire du risque et la Caisse nationale d’assurance maladie s’efforce de peser dans ce débat. Enfin, on n’a pas encore exploité la possibilité d’une gestion collective par les médecins libéraux. S’ils discutaient davantage, s’ils se situaient dans une analyse collégiale des pratiques, il est certain que les choses évolueraient plus rapidement.
C’est parce que la visite médicale a tendance à se porter vers le me too au moment de l’apparition du générique qu’il nous a semblé nécessaire de compléter tout ceci par une politique des prix. Car il n’est pas gênant que le médecin prescrive le me too si son prix est voisin de celui du répertoire. C’est tout l’enjeu de la convergence.
Et si l’on a fait beaucoup d’efforts en faveur du droit de substitution, les caisses étant allées jusqu’à subordonner le tiers-payant à l’acceptation du générique, pour que la substitution joue, encore faut-il que la prescription soit faite dans le répertoire. Pour cela, la visite médicale ne doit pas être le seul élément qui détermine la prescription.
M. Pierre Morange, coprésident : Quel est votre sentiment quant aux différents schémas d’organisation qui existent en Europe ?
Que pensez-vous par ailleurs d’une éventuelle extension des compétences de la Haute Autorité de santé (HAS) à la formulation de recommandations prenant en compter le critère médico-économique ?
M. Bertrand Fragonard : Le débat a été assez vif en 2004. Donner des responsabilités différentes à la HAS serait une bonne chose, à condition qu’elle ne soit pas perçue comme obsédée par la volonté de contenir les prix et de limiter les actes. Il faut donc qu’elle conserve son autorité d’émetteur de référentiels et qu’elle montre que certains processus de prise en charge thérapeutique sont plus efficaces et plus économiques que d’autres. C’est sur des grands chantiers comme l’éducation thérapeutique ou la prise en charge des malades chroniques que la Haute Autorité peut adosser une approche plus économique. Toutefois il faut aussi qu’elle garde présente à l’esprit l’importance des liens de confiance avec la communauté médicale et hospitalière.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Un sondage publié l’an dernier montre que 78 % des généralistes ignorent l’existence de la charte de la visite médicale.
On sait par ailleurs que la formation initiale des médecins est particulièrement centrée sur l’hôpital. Existe-t-il précisément, au sein des hôpitaux, une obligation de prescrire des génériques ? Car si un jeune médecin n’a eu que des spécialités à prescrire à l’hôpital, on peut penser qu’il aura ensuite le réflexe de faire de même dans son cabinet.
M. Pierre-Jean Lancry : Certains centres hospitaliers universitaires, enseignent les thérapeutiques avec les dénominations communes internationales, les DCI, d’autres ne le font pas. Il est certain qu’un jeune médecin qui a appris les noms de spécialités les prescrit plus facilement par la suite. Par ailleurs, les prescriptions à l’hôpital portent souvent sur des produits innovants et onéreux, sous brevet, pour lesquels il n’est pas possible de prescrire des génériques. Pour les produits qui sont davantage de routine, il est assez fréquent qu’on ne se préoccupe pas des DCI car, en raison du mécanisme d’achat par appel d’offres, le médecin dispose d’une liste de produits arrêtés par son comité économique du médicament. Qui plus est, les produits déjà anciens sont vendus à un prix dérisoire sur le marché hospitalier car les laboratoires savent très bien que l’on suscite la prescription de ville par la prescription hospitalière.
En Grande-Bretagne, les gros cabinets de généralistes disposent d’un pharmacien conseil qui, même s’il ne dispose pas du droit de substitution, est chargé de voir ce qu’il est possible de faire à partir de la prescription. Cependant cette dépense ne peut être amortie que dans le cadre d’un cabinet de groupe.
M. Pierre Morange, coprésident : Quelle appréciation le Haut Conseil porte-t-il sur les logiciels d’aide à la prescription ?
M. Bertrand Fragonard : Nous n’avons pas eu à étudier cette question. Le Haut Conseil s’est borné à constater qu’il y a un peu de retard dans l’agrément des logiciels et que l’approbation des référentiels est lente.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Le système des ententes préalables pour les médecins « déviants » peut-il s’appliquer aux médicaments ?
M. Jean Mallot, coprésident : J’aimerais aussi connaître l’appréciation que vous portez sur les effets de la probable institution des franchises.
M. Bertrand Fragonard : L’article relatif à la mise sous entente préalable a été introduit en 2004, mais pour un champ limité, en particulier les indemnités journalières. L’article 26 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 propose d’étendre la procédure à l’ensemble des prescriptions.
Il est d’ores et déjà possible, lorsque l’on dispose d’éléments concordants sur la prescription d’indemnités journalières et de médicaments, d’évaluer le comportement global d’un médecin.
Par ces dispositions, on cherche d’abord à rappeler à l’ordre une petite minorité dont le comportement n’a, statistiquement, rien à voir avec la pratique courante. Seulement quelques dizaines de praticiens sont concernés – 150 cette année – et l’économie attendue est donc marginale. Mais on entend aussi adresser un message global aux médecins et à l’opinion. En abaissant le seuil de repérage on changerait d’exercice car il s’agit pour l’instant d’une procédure d’exception, qui vise des médecins qui sont huit ou dix fois au-dessus de la moyenne, certains allant jusqu’à prescrire 25 000 indemnités journalières dans l’année.
S’agissant des franchises, il faut d’abord savoir si elles seront réassurables. La question semble avoir été tranchée, la notion de contrats responsables exerçant une pression sur les assureurs pour qu’ils ne prennent pas en charge les franchises.
Les franchises poursuivent à la fois un objectif de responsabilisation et un objectif financier.
L’institution d’une franchise non réassurable de 0,50 euro par boîte ne saurait avoir un effet majeur par rapport au prix des médicaments. La modestie relative des sommes en jeu - 850 millions d’euros, tous secteurs confondus - montre bien qu’il n’y a pas de déremboursement massif. D’ailleurs, on ne cherche pas à avoir un effet fort sur les prix mais à adresser un signal. On peut par exemple se dire que, dès lors que la franchise éveillera l’attention, les patients vérifieront s’ils n’ont pas déjà ce médicament chez eux avant de l’acheter. En revanche, il est peu probable que le comportement du prescripteur s’en trouve modifié. L’effet sur les comportements est difficile à apprécier. Il va de soi qu’un déremboursement majeur influe sur la consommation. La seule expérience dont on dispose en la matière est celle du Kentucky, où on a constaté que, quand on diminuait radicalement le taux de remboursement, la consommation diminuait et l’état de santé se dégradait. Toutefois s’il y a un effet structurant quand on réduit de 25 % le taux de remboursement, ce ne sera pas le cas avec des franchises de faible montant comme c’est le cas pour le médicament avec une franchise de 0,50 € par boîte.
Les franchises sont une des approches possibles pour stabiliser le taux de prise en charge de la sécurité sociale, mais il en existe bien d’autres, par exemple l’augmentation du ticket modérateur. Tout dépend en fait de l’importance de l’effort supplémentaire que l’on entend demander aux assurés sociaux. À cet égard, l’émotion suscitée par les franchises est peut-être excessive. Je n’avais d’ailleurs pas non plus compris l’émotion qu’avait provoquée l’annonce du forfait journalier de 18 euros à l’hôpital, mesure logique et de faible incidence financière.
M. Pierre Morange, coprésident : Il est vrai que cet effet est marginal, surtout si on le compare au reste à charge pour l’accueil en établissement pour personnes âgées dépendantes, qui n’est couvert par aucun organisme complémentaire.
M. Bertrand Fragonard : Le Haut Conseil, où l’on cherche un accord, y compris avec des organisations qui sont très rétives à l’idée que l’on touche au taux de remboursement, a quand même admis un certain nombre d’éléments. Il a par exemple évoqué la piste d’un déremboursement des médicaments à vignette bleue à prescription facultative.
M. Pierre Morange, coprésident : Merci pour cette analyse très fine du sujet.
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Audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, et Mme Danièle Golinelli, adjointe à la sous-directrice politique des pratiques et des produits de santé.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d’accueillir M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, accompagné de deux collaboratrices.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Monsieur le directeur, nous aimerions connaître les domaines de compétence de la direction générale de la santé en matière de médicaments, en particulier délivrés en ville. Comment est-il géré ? Comment expliquer la surconsommation de médicaments en France par rapport aux autres pays européens ?
M. Didier Houssin : Merci de votre invitation.
La direction générale de la santé a un rôle assez général en matière de santé publique. Son intervention sur le champ du médicament se fait essentiellement à travers la notion d’intérêt de santé publique. Bien sûr, elle joue un rôle en matière de réglementation et de discussion au niveau européen sur les aspects réglementaires, mais c’est son rôle en matière de santé publique qui est le plus caractéristique.
Elle cherche à s’assurer que certaines populations qui n’ont pas accès à certains médicaments puissent y accéder, et à faire en sorte que l’on prenne en compte, dans le processus qui conduit au remboursement du médicament la notion d’intérêt de santé publique. Nous partageons tout à fait l’analyse qui a été faite par la Cour des comptes en ce domaine : cette prise en compte est sans doute tout à fait insuffisante aujourd’hui.
Par ailleurs, elle est amenée, pour des raisons de sécurité sanitaire, à travers sa participation au Comité économique des produits de santé (CEPS), à promouvoir le développement des études post AMM – autorisation de mise sur le marché –, qui permettent d’apprécier la manière dont les médicaments fonctionnent dans la vie réelle. Sur ce point, la Cour des comptes a souligné qu’il y avait beaucoup de progrès à faire.
Je ne parlerai pas des aspects qui touchent au médicament en matière de sécurité sanitaire : tout ce qui concerne la préparation aux plans de défense contre le terrorisme ou les menaces de grande ampleur. En ce domaine, la direction générale de la santé a un rôle assez spécifique d’identification, de stockage. De la même façon, elle a un rôle particulier en cas de problèmes majeurs de santé publique générés par l’utilisation de certains médicaments ou l’absence de médicaments ; je pense aux problèmes de vaccinations dans le cas de certaines épidémies. Mais je crois que ce n’est pas l’objet de vos travaux.
Je me concentrerai donc sur la question du médicament dans la pratique habituelle, en particulier sur le point souligné par la Cour des comptes, la surconsommation de médicaments en situation de médecine libérale.
La Cour a en effet remarqué que le circuit qui conduit à l’admission au remboursement des médicaments est insuffisamment sélectif. Nous partageons totalement cette analyse. Selon nous, la commission de la transparence se distingue trop peu aujourd’hui de la commission de l’AMM. Elle s’appuie d’ailleurs sur les dossiers d’AMM et son travail duplique celui de la commission de l’AMM. Elle est composée de professionnels de santé de nature assez voisine de ceux qui peuplent la commission de l’AMM, ce qui explique en grande partie cet état de fait. Nous serions donc très favorables à ce que la composition de la commission de la transparence soit nettement modifiée, dans un sens beaucoup plus tourné vers la prise en compte de l’intérêt de santé publique. Quelle sera la population cible pour l’usage de ce médicament ? Comment mieux prendre en compte l’impact de ce médicament en termes de mortalité, morbidité, lié à l’usage de ce médicament ? Et surtout, comment mieux prendre en compte en compte la dimension médico-économique ? En effet l’équilibre financier du système d’assurance maladie est pour la direction générale de la santé un objectif majeur en termes de santé publique. C’est ce dispositif qui garantit aujourd’hui l’égalité d’accès aux soins.
Il est exact que la surconsommation de médicaments a un grand impact, qui ne fait que s’accentuer, sur le plan économique. Nous voudrions donc que la dimension médico-économique soit beaucoup mieux prise en compte par la commission de la transparence, par exemple lorsqu’un médicament représente un intérêt sanitaire marginal par rapport à un produit existant, mais qu’il revient beaucoup plus cher.
A-t-on besoin d’une commission de la transparence, dans son fonctionnement actuel ? On pourrait imaginer qu’il suffirait d’élargir un peu le champ de vision de la commission de l’AMM pour qu’elle puisse s’occuper du service médical attendu. La commission de l’AMM remplirait ainsi le rôle que joue aujourd’hui la commission de la transparence. Pourquoi pas, à la condition qu’au sein de la HAS, ou à côté, on crée une structure qui concentrerait son activité autour de la notion de santé publique.
Pour alimenter cette réflexion et cette décision sur l’intérêt de santé publique, il faut des gens qui aient une compétence en matière de santé publique et une compétence médico-économique. Il faudrait aussi que cette structure puisse s’appuyer sur des données. Or aujourd’hui, la commission de la transparence n’a pas beaucoup de données complémentaires par rapport à la commission de l’AMM. Si on voulait que l’intérêt de santé publique soit mieux pris en compte, il faudrait que, très en amont, avec les industriels, lors du dépôt de la demande d’AMM, on puisse disposer d’études beaucoup plus précises pour répondre aux questions suivantes : quelle est la population cible ? Comment se présentera la dimension médico-économique ? Comment aborder la question vis-à-vis des produits existants par ailleurs ? Toutes ces questions sont assez peu documentées actuellement.
Voilà vers quoi nous aimerions aller. Je ne méconnais pas les difficultés que nous pouvons rencontrer dans ce sens. Dans le court terme, il est sûr que la manière dont sera composée et présidée la commission de la transparence sera déterminante. Nous souhaitons voir celle-ci s’infléchir d’ores et déjà de plus en plus vers la prise en compte de l’intérêt de santé publique.
Autre question : la prescription peu encadrée. Aujourd’hui, un des facteurs de surconsommation réside très certainement dans le fait que la mécanique de l’exercice libéral est très propice à l’accentuation de la prescription. On pourrait imaginer que dans une mécanique différente de l’exercice médical, qui permettrait un meilleur équilibre entre la prise en compte des aspects de santé publique, de prévention et la prise compte des aspects de soins, le moteur qui conduit à une prescription importante serait freiné.
Des questions importantes se posent s’agissant du mode de rémunération des médecins. La prescription à l’acte est un facteur déterminant de l’accentuation importante de la prescription de médicaments. Si l’on veut s’attaquer à la racine de la surconsommation, il faudra s’intéresser à la manière dont s’organise la relation entre le médecin et le malade, en particulier au mode de rémunération de l’exercice médical.
Autre aspect de la surconsommation : la formation et l’information des médecins.
Je ne suis pas sûr que, dans ce domaine, on puisse attendre des miracles. Les médecins sont aujourd’hui exposés à une information envahissante, multiforme. Il est donc très difficile de décider d’accentuer l’information sur les médicaments. Des progrès ont été faits, mais c’est un travail de longue haleine, qui passera peut-être par la formation des médecins pour qu’au fil des années, la dimension de santé publique et la dimension médico-économique soient prises en compte. Actuellement, dans sa prescription, un médecin se demande rarement si tel médicament est plus cher que tel autre. C’est une question très difficile.
La direction générale de la santé joue par ailleurs un rôle de coordinateur entre les très nombreux acteurs : AFSSAPS, HAS, assurance maladie, Comité économique des produits de santé. Je pense notamment aux études post AMM, qui ne sont pas assez développées en France. Nous avons créé un comité de liaison pour avoir une approche la plus rassemblée possible dans ce domaine. Des sujets très « chauds » se sont fait jour dernièrement, comme le vaccin contre le virus HPV – responsable du cancer de l’utérus.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous parlez du groupe d’intérêt scientifique d’évaluation épidémiologique des produits de santé ?
M. Didier Houssin : Ce groupe d’intérêt scientifique a été en effet créé pour favoriser le développement des études post AMM et permettre l’accès aux bases de données. En effet, on ne dispose pas en France d’accès facile à une base de données publique permettant de conduire aisément des études post AMM. Mais il se trouve que le GIS ne nous a pas permis de percée spectaculaire dans ce domaine.
Mme Danièle Golinelli : Trois études ont effectivement été mises en œuvre à travers ce groupe d’intérêt scientifique, mais celui-ci n’a pas fonctionné comme nous l’aurions souhaité, pour des raisons techniques. Nous avons interrogé la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) à ce propos. Il faut reconnaître que le recueil des données fait par les caisses d’assurance maladie n’est pas destiné, au départ, à renseigner des études épidémiologiques. Il faudrait des moyens assez considérables pour modifier l’orientation et faire en sorte que ce recueil puisse être utilisé dans le cadre de ces études. C’est un frein important.
M. Pierre Morange, coprésident : Dans la prochaine audition, nous écouterons à la fois les représentants de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), de la Mutualité sociale agricole (MSA) et du Régime social des indépendants (RSI). Il existe tout de même un dispositif d’information avec des logiciels et des structures informatiques qui s’inscrit dans cette perspective. Et il ne serait pas inintéressant de vous adresser à d’autres partenaires. La MSA et le RSI peuvent fournir des bases de données. Ils ont certainement développé de façon plus précoce une structuration ancienne et mené des expériences intéressantes à cet égard. La MSA a, par exemple, développé un outil d’analyse des prescriptions dénommé ARCHIMED.
M. Didier Houssin : Étant donné les difficultés auxquelles on se heurte du côté de la CNAMTS, il serait peut-être utile – c’est l’une des préconisations du rapport en cours de finalisation de M. Bernard Bégaud, établi à la demande de la direction générale de la santé et l’AFSSAPS, intitulé « La France face au défi de l’évaluation des médicaments après leur mise sur le marché et la gestion des risques » – de se tourner vers la MSA, sans doute plus accessible, techniquement, s’agissant de l’accès à ses bases de données. Cela dit, il existe aujourd’hui d’autres méthodes.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous nous avez dit que trois études avaient débouché sur une mise en œuvre. De quoi s’agissait-il ?
Mme Danièle Golinelli : En raison de ces importantes difficultés, nous n’avions pas prévu de faire plus de quatre ou cinq études par an. Il s’agit d’études de suivi des médicaments, dans leurs conditions réelles de prescription. Elles doivent servir à fonder la réflexion de la commission de la transparence lorsque celle-ci doit réévaluer les médicaments et apprécier le service médical rendu au bout de quelques années de consommation – cinq années, en l’occurrence.
M. Pierre Morange, coprésident : Est-il possible, dans ce délai de cinq ans, d’apprécier l’ensemble des molécules à disposition ?
M. Didier Houssin : Cela n’est pas impossible, mais il faut bien reconnaître que jusqu’à présent, peu de choses ont pu être mises en route. Le processus est de toutes façons long et coûteux. On peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de ce type de méthode. D’autres méthodes existent en matière de pharmacoépidémiologie, qui seraient peut-être plus fructueuses et plus rapides. Je pense aux études cas témoins.
Les études post AMM consistent à suivre une population dans la vraie vie, et à compter ce qui s’est passé au terme d’un certain délai. D’autres types d’études consistent à partir de l’hypothèse qu’il peut survenir telle ou telle pathologie : par exemple la sclérose en plaques chez des sujets jeunes, après une vaccination. On peut alors construire une étude cas témoins, à partir d’un groupe de témoins et d’un groupe de patients traités par le vaccin. Cela permet de faire émerger beaucoup plus rapidement le sur-risque qui pourrait être lié à l’utilisation du vaccin. On peut faire la même chose s’agissant de médicaments qu’on soupçonne de comporter des risques cardiovasculaires, ou de diabète, etc.
Une telle approche, plus ciblée sur des hypothèses de départ, a l’avantage d’être plus rapide et d’éviter de s’engager dans des études à très grande échelle, alors même qu’on redoute tel ou tel inconvénient. Aujourd’hui, peu de personnes ou de groupes sont capables de faire des enquêtes cas témoins, mais elles vont sûrement se développer.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je reviens sur la prescription peu encadrée de la médecine libérale. Pour l’instant, les prescripteurs sont essentiellement informés sur les médicaments par les laboratoires eux-mêmes, par la visite médicale. Pensez-vous que les délégués de l’assurance maladie, les DAM, peuvent avoir une action positive en termes de prescription de médicaments ? Pensez-vous que leur formation doive être améliorée ?
M. Didier Houssin : L’industrie pharmaceutique a une grande force motrice, à travers la visite médicale, très professionnalisée, très présente et très équipée. D’où une promotion considérable de la prescription. L’assurance maladie a tenté de réorienter certains de ses agents, qui sont chargés d’éclairer les médecins sur leur pratique. C’est une bonne idée. Cela permet aux médecins, à partir de documents relativement simples, de se situer, de comparer leur pratique de prescription avec celle de leurs collègues, et éventuellement de la modifier.
Est-ce que les DAM ont été convenablement formés ? Il est un peu tôt pour le dire, car ils ne sont installés que depuis deux ans. Il serait intéressant de tenter d’évaluer l’impact de leur action et de voir, éventuellement, ce qu’il faudrait faire pour améliorer leur efficacité.
M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous réfléchi sur les schémas organisationnels ? Avez-vous un éclairage européen sur des modèles qui pourraient s’avérer plus efficients ?
M. Didier Houssin : Le sujet est vaste. On peut certainement s’interroger à propos de l’information sur le médicament. Mais ces questions ne sauraient être totalement retirées à l’AFSSAPS, qui se trouve au point de départ de l’usage du médicament et doit jouer un rôle majeur en la matière.
Le rôle de la HAS est plutôt orienté vers la stratégie thérapeutique et l’insertion du médicament dans un ensemble thérapeutique. Il faut donc organiser la complémentarité, ce qui n’est pas très facile. J’ai d’ailleurs souligné à plusieurs reprises que la question de l’indépendance de la HAS m’avait semblé problématique.
M. Jean Mallot, coprésident : La multiplication d’agences plus ou moins indépendantes, de commissions, a abouti à une certaine dilution des responsabilités et à la dépossession de l’État de son rôle d’arbitre. Il faut trouver un équilibre. N’est-on pas allé un peu loin dans la dispersion, la perte de lisibilité du dispositif et la perte de responsabilités ?
M. Didier Houssin : Oui et non. La création des agences a été un processus réactionnel dans le domaine de la sécurité sanitaire, la réponse à des problèmes. De ce point de vue, l’État s’est renforcé, il s’est doté de bras armés capables d’agir et a amélioré le service qu’il pouvait rendre à la population.
Aujourd’hui cependant, la situation est un peu parcellisée, avec une collection d’agences qui, de l’extérieur, peut sembler compliquée. Il n’est pas exclu qu’un jour on décide de rassembler ce qui est épars, dans un ordre un peu différent.
S’agissant du médicament, la question se pose entre l’AFSSAPS, la HAS, l’assurance maladie et le CEPS : faut-il instituer un dispositif plus simple ? S’agissant d’autres domaines intéressant la sécurité sanitaire, la question peut également se poser. Je ne suis pas sûr qu’il faille une agence unique, en raison des spécificités. Dans les années à venir, on aura à prendre conscience de cette diversité et il faudra trouver des arrangements.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Comment envisagez-vous de sanctionner les laboratoires qui tardent à produire des études post AMM ?
M. Didier Houssin : Ces études sont difficiles, longues et coûteuses. On ne peut pas s’attendre à des résultats immédiats, mais il est vraisemblable que des laboratoires traînent un peu les pieds en s’appuyant sur les difficultés qui se posent en termes de méthode. Serons-nous capables de discerner ceux qui ont effectivement des difficultés et ceux qui traînent les pieds ? Nous pensons qu’il faut prévoir un dispositif de sanctions. La question est de déterminer les critères qui permettront de décider de ces sanctions.
Néanmoins j’aurais tendance à dire que, plutôt que de sanctionner, il faudrait faire un gros effort d’anticipation pour régler le problème des études post AMM. Il faudrait aborder d’ores et déjà la question du médicament dans la vraie vie et celle de l’intérêt de santé publique.
M. Jean Mallot, coprésident : Quels sont les leviers sur lesquels on peut jouer pour faire évoluer les comportements des consommateurs ?
M. Didier Houssin : Le consommateur a une grande part de responsabilité, en effet. Si on analysait, par une approche humaine et sociale, les mécanismes intimes de la prescription, on trouverait chez l’usager une accentuation du désir de consommation au fil des années. Cependant on trouverait aussi chez le médecin le sentiment que la prescription est devenue, au plan concret, son unique mode de réponse. Dans une situation de diagnostic difficile, ce peut être le moyen de reporter le problème, et lorsqu’un patient vient en demandant un scanner, il le prescrit.
M. Pierre Morange, coprésident : Quel est le domaine de compétence de l’AFSSAPS en matière de traçabilité et de sécurité sanitaire, s’agissant des filières de production de médicaments dans certaines zones où le contrôle est plus malaisé et où les capacités et les critères de vérification et d’expertise ne sont pas les mêmes que sur le sol français ? Y a-t-il des mesures à prendre ? Car le risque ira toujours croissant.
M. Didier Houssin : Je partage votre analyse. Nous avons eu l’occasion d’évoquer ces questions avec M. Jean Marimbert.
Dans les années à venir, nous allons être confrontés à un problème majeur en termes de risques sanitaires liés aux médicaments, du fait du développement de certaines organisations ou pratiques. Je pense notamment aux opérateurs des pays émergents, qui vont prendre de l’importance dans le domaine de la fabrication des médicaments génériques. Cela rend plus difficile les contrôles et la vérification de la traçabilité, ne serait-ce que celle des matières premières.
Autre problème : celui des circuits de distribution. On voit se développer à l’étranger des importations parallèles de médicaments. La France est encore relativement préservée, en raison de son circuit d’officines, de son monopole pharmaceutique et d’une industrie pharmaceutique solide. Mais cela ne va pas durer. Sans compter le problème d’Internet.
Voilà pourquoi il me semble que nous allons devoir gérer des risques sanitaires liés aux médicaments mal faits, non intentionnellement ou intentionnellement.
M. Pierre Morange, coprésident : Sans parler des mécanismes de contrefaçon industrielle.
M. Didier Houssin : Au moment de la présidence allemande, j’avais beaucoup insisté pour que le thème de la contrefaçon du médicament soit mis à l’ordre du jour. Le sujet est abordé au niveau européen et il concerne la Commission. Ce sera l’un des enjeux de l’Europe dans les années à venir que de prévenir les risques liés à la sécurité du médicament. En l’occurrence je vise ses aspects de base, à savoir le produit lui-même.
M. Pierre Morange, coprésident : Il est évident que la question est de dimension européenne. La France se trouve encore dans une bulle sécurisée, mais celle-ci peut se fragiliser à tout moment. A-t-on planifié les travaux sur cette question au niveau européen ?
Mme Danièle Golinelli : Pour le moment, il n’y a pas de réflexion très formalisée sur la contrefaçon. Néanmoins, ce sujet est évoqué dans le cadre du Forum pharmaceutique européen d’une manière générale.
M. Didier Houssin : Nous n’avons pas encore été confrontés à des situations dramatiques. Il n’est pas facile de mettre, d’avance, des dispositifs en place. Toutefois viendra un jour où on se reprochera de n’avoir pas su anticiper. Il faudrait, au niveau européen, être plus prégnant sur ce sujet.
Mme Danièle Golinelli : Des réseaux ont tout de même été mis en place. L’AFSSAPS y participe. Il s’agit de réseaux de systèmes d’inspection dans les États membres. Un groupe se réunit régulièrement pour mettre en commun un certain nombre d’éléments relatifs à la contrefaçon du médicament.
M. Pierre Morange, coprésident : L’AFSSAPS a mis en œuvre plusieurs actions en coopération avec un certain nombre d’États de différents continents, afin de faire partager cette culture de sécurité sanitaire. Une démarche similaire a-t-elle été envisagée à l’échelle européenne, pour sécuriser certains sites de production très fragiles ?
M. Didier Houssin : L’AFSSAPS, dans le cadre de ses relations avec l’Agence européenne du médicament et avec les autres agences nationales, travaille sur ce type de projet. Je me demande si la question ne devrait pas être envisagée à un niveau encore plus large.
En matière de sécurité sanitaire s’agissant du médicament, mais aussi du dépistage des épidémies, la formation est un enjeu majeur au niveau mondial : formation des cadres, des dirigeants de laboratoires, des agences nationales. Le pôle de Lyon que la France anime autour de l’OMS pourrait être un lieu de formation de ces cadres pour les pays émergents et en voie de développement. Mais la question doit être abordée à l’échelon de l’OMS et au niveau mondial.
Mme Danièle Golinelli : L’OMS s’est penchée sur ces problèmes de contrefaçon. Elle a mis en place il y a deux ans le Groupe Impact, dans lequel sont représentés les pays ainsi que l’Union européenne, qui contribue à ses travaux. Il y a donc d’assez nombreuses réflexions sur le sujet. L’idée était d’aboutir à des instruments assez contraignants. Mais ensuite, se posent des difficultés de mise en œuvre dans les différents pays.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Que pensez-vous du fait que l’AFSSAPS collecte les taxes sur les laboratoires ? Pourquoi ne serait-ce pas l’URSSAF ou l’administration fiscale qui s’en chargerait ? Je m’interroge en effet sur l’indépendance de décision de l’agence.
M. Didier Houssin : On voit très bien les réflexions que cela peut susciter : l’agence risque de ne plus être indépendante des laboratoires. Dès lors qu’elle est financée par tous les laboratoires, je ne pense pas que le problème se pose de manière aussi aiguë. Malgré tout, il faut une limite. L’État doit jouer son rôle et contribuer.
Autant l’indépendance des experts est un sujet majeur sur lequel nous avons beaucoup travaillé ces derniers mois, autant le financement d’une agence par l’ensemble des laboratoires ne me paraît pas un élément à même de compromettre l’indépendance de celle-ci.
Aujourd’hui, nous nous heurtons à de grandes difficultés en matière d’expertise, comme dans d’autres pays. Aux États-Unis, l’affaire a pris des proportions importantes. On y a écrit de nombreux ouvrages et de nombreux articles dans les revues médicales sur la manière dont l’articulation se faisait entre les laboratoires et les experts. C’est pourquoi la direction générale de la santé a produit un projet de rapport : « Indépendance et valorisation de l’expertise », lequel est actuellement examiné par l’ensemble des agences sanitaires et des organismes de recherche apparentés, comme l’INSERM. L’idée est de valoriser des mécanismes permettant de renforcer encore l’indépendance de l’expertise, par exemple : code de déontologie ; contrôle de l’indépendance des experts une fois qu’ils auraient déclaré d’éventuels conflits d’intérêts. Cela fait partie des propositions que nous ferons au ministre.
Se pose aussi la question de la valorisation de l’expertise. On constate aujourd’hui, qu’il s’agisse de la carrière des chercheurs ou des enseignants chercheurs, que le travail d’expertise, qui peut-être très lourd et représenter une grande responsabilité par les conséquences qu’il risque d’avoir en termes de santé publique, n’est pas considéré comme très sérieux, à l’égal d’une publication originale ou d’un brevet. Nous sommes donc en train de travailler avec le Conseil national des universités et la Conférence des présidents d’université et des organismes de recherche pour faire en sorte que, petit à petit, sur des critères qui restent à définir, le travail d’expertise sanitaire soit mieux valorisé dans le secteur public.
M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur le directeur général, je vous remercie. Bien sûr, de nombreuses questions n’ont pas pu vous être posées. Nous serons donc très attentifs aux propositions que vous pourriez nous faire et que nous pourrions intégrer au cadre législatif.
*
Audition de MM. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Jean-Pierre Roblet, directeur de l’offre de soins, Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA), et Pierre-Jean Lancry, directeur de la santé, Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI), et Philippe Ulmann, directeur de la politique de santé et gestion du risque.
M. Pierre Morange, coprésident : Je souhaite la bienvenue aux représentants de la CNAMTS, de la MSA et du RSI, et je passe immédiatement la parole à madame la rapporteure.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je vous demanderai d’abord, messieurs, pourquoi les caisses d’assurance maladie acceptent de rembourser des médicaments ou des me too mis sur le marché afin de contourner les génériques, surtout lorsque leur prix est supérieur à celui de ces derniers. La décision est-elle prise de façon collégiale au niveau des trois caisses ?
M. Frédéric Van Roekeghem : En la matière, Mme Rolande Ruellan a déjà pu préciser lors d’une audition précédente, ici même, qu’il n’existe pas de possibilité juridique de ne pas rembourser un médicament dès lors que celui-ci a reçu l’autorisation de mise sur le marché – l’AMM – par l’AFSSAPS et que le service médical rendu a été évalué par la commission de la transparence. Dans ce contexte, le Comité économique des produits de santé (CEPS) négocie les prix, et il n'est pas fondé à refuser d’attribuer un prix. À partir du moment où la discussion aboutit au sein du CEPS, au sein duquel nous sommes tous représentés, les procédures réglementaires font obligation au directeur général de l’UNCAM de fixer un taux, sa seule marge étant de ne pas fixer de taux aux médicaments à SMR insuffisant, faute de texte précis en la matière. La décision est alors renvoyée au ministère de la santé.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La promotion des génériques auprès de la population représente un travail énorme. Leur contournement par des spécialités à SMR égal est décourageant.
M. Frédéric Van Roekeghem : Notre pays a fait le choix politique de proposer au remboursement tous les médicaments, ce qui présente des avantages – aucun frein n'est mis à l’arrivée de médicaments –, mais également des inconvénients. Reste la question de la lisibilité de la politique tarifaire, notamment avec les remises arrière.
M. Pierre Morange, coprésident : Quelle appréciation portez-vous sur les nouveaux horizons qui s’ouvrent à la Haute Autorité de santé avec l’article 29 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, qui prévoit de lui attribuer une capacité à formuler des avis et des recommandations d’ordre médico-économique ? Quelles en seront les conséquences sur les différentes missions de la CNAMTS et des autres partenaires assurantiels ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Le problème ne tient pas à l’élargissement des missions de la HAS en matière médico-économique, évolution que nous soutenons, mais à sa capacité à rendre des avis non pas fondés sur une approche globale, mais qui soient lisibles et applicables sur le terrain. L’autorité allemande, l’IQWIG, par exemple, a émis un avis très clair sur les médicaments anticholestérol en privilégiant des médicaments moins onéreux que d’autres, tout en étant aussi efficaces. De même, la Grande-Bretagne, vient d’aborder le sujet de l’efficacité thérapeutique des médicaments pour les patients en Alzheimer en phase avancée. Là encore, on voit la distance qui nous sépare des systèmes voisins.
M. Yves Humez : Nous sommes, pour notre part, des opérateurs du remboursement engagés dans la maîtrise médicalisée. À cet égard, il nous faut des dispositifs simples, clairs et applicables.
M. Pierre-Jean Lancry : Le CEPS ne prend pas en compte les études médico-économiques, mais il s’intéresse à l’impact budgétaire. Selon la formule du président du Comité : « Si au prix que vous demandez, le produit est efficace, il le sera encore plus au prix que je vous donne. »
Néanmoins, si l’article 29 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 est voté, se posera alors la question du lien entre le travail de la HAS et celui du CEPS, car, théoriquement, c’est ce dernier qui a en charge les aspects médico-économiques du médicament.
M. Pierre Morange, coprésident : C’est bien pour que les choses soient parfaitement claires en ce domaine, que l’article en question a, me semble-t-il, été écrit.
M. Dominique Liger : Nous sommes d’accord avec nos collègues s’agissant de l’opposabilité des décisions de la HAS...
M. Pierre Morange, coprésident : Il ne s’agit que d’avis ou de recommandations.
M. Dominique Liger : ...mais je ne vois pas, pour le moment, comment le système pourrait fonctionner.
M. Pierre Morange, coprésident : Sans faire un plaidoyer pro domo, l’avantage du dispositif est de permettre à la HAS de formuler des avis et recommandations sur des bases scientifiques, tout en prenant en compte l’incidence médico-économique du médicament. Il faut bien aux responsables politiques et assurantiels un éclairage objectif et indépendant afin de pouvoir prendre une décision.
M. Frédéric Van Roekeghem : Avant de poser la question de l’opposabilité, il faut être certain de l’efficacité du système et, en particulier, de l’applicabilité des recommandations. C'est pourquoi nous privilégions plutôt une approche pragmatique qui permette assez vite une application concrète, vu l’ampleur du déficit.
M. Philippe Ulmann : Dans les autres pays, on assiste – avec NICE en Grande-Bretagne ou encore avec l’IQWIG en Allemagne – à la mise en place d’agences qui ont la capacité de faire des recommandations à partir d’une approche de type micro-économique et fondées sur une comparaison coût/efficacité d’un médicament par rapport à d’autres. Une approche globale risquerait de déboucher sur des recommandations trop générales pour avoir une réelle utilité.
Néanmoins, ces agences s’appuient sur une expertise publique. Or, pour des raisons budgétaires, la capacité de la France à mobiliser des équipes indépendantes de chercheurs ou d’universitaires est très limitée. On reproche à l’industrie pharmaceutique de ne publier que les études qui l’arrangent, mais les pouvoirs publics ne se sont jamais dotés des moyens d’une contre-expertise publique.
La question porte donc à la fois sur l’applicabilité et sur l’éventuelle opposabilité de la démarche. L’expérience a montré que des référentiels potentiellement opposables entraînent des changements de comportement.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pour en venir à la formation continue des médecins, la MSA et le RSI ont-ils adopté la même démarche que le régime général avec les délégués de l’assurance maladie- les DAM ?
M. Dominique Liger et M. Yves Humez : Non.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelle est la formation des DAM et quelle est leur mission auprès des cabinets médicaux ? Sont-ils encadrés ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Le système des DAM a été mis en place à partir de 2005 pour faire connaître aux différents professionnels de santé la nouvelle convention médicale, notamment les engagements en matière de maîtrise médicalisée. Ces personnels, recrutés par redéploiement au sein de l’assurance maladie, ont vu progressivement leur nombre et leur formation évoluer. Alors qu’au début ils étaient 450, ils devraient être environ 950 à la fin de l’année, l’objectif étant de certifier 350 d’entre eux fin 2007, tous devant, au final, répondre au standard applicable dans ce domaine.
Les matières abordées ayant un contenu médical, il n’était pas souhaitable de laisser cette activité se développer de façon trop aléatoire. C'est pourquoi une équipe a été constituée, dédiée aux produits de santé et comportant trente personnes dirigées par un pharmacien-conseil. Toutes les visites des DAM font l’objet d’un cahier des charges. Les laboratoires pharmaceutiques soumettent d’ailleurs la Caisse à un examen extrêmement attentif pour des raisons à la fois d’image du produit et de respect de la concurrence. Dans ces conditions, devoir à la fois analyser la littérature internationale, notamment anglo-saxonne, s’assurer des conditions des AMM, et vérifier que toutes les réglementations sont respectées lorsque les DAM se rendent sur place, nécessite une organisation extrêmement précise.
La formation des délégués repose sur un dispositif de formation de 300 heures théoriques et méthodologiques avec une activité professionnelle encadrée de 900 heures, sachant que nous avons « benchmarké » avec les visiteurs médicaux. En outre, le processus de validation de la certification professionnelle repose sur cinq outils de validation de compétences, et la décision a été prise de professionnaliser la fonction de manager de DAM.
Il existe, par ailleurs, une articulation entre les DAM et les praticiens-conseils dans certaines entreprises du secteur privé de manière que lorsque les premiers sont confrontés à une question à contenu médical important, ils puissent la renvoyer aux seconds. La médicalisation de l’action de l’assurance maladie reposera d’ailleurs de plus en plus sur un rapprochement entre les équipes médicales et administratives. Nous avons ainsi créé, fin 2005, en accord avec le médecin-conseil national, des équipes pluridisciplinaires.
M. Pierre Morange, coprésident : Le nombre de 950 DAM sera-t-il un maximum ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Notre convention d’objectif et de gestion prévoit la suppression de 4 500 emplois, après les 3 000 de la période 2004-2005, mais nous avons obtenu l’accord de l’État de pouvoir augmenter jusqu’à 1 400 à la fin 2009 le nombre de nos DAM par redéploiement au sein des caisses – où le métier de DAM est maintenant considéré comme valorisant –, sans qu’il s’agisse pour autant d’arriver à saturation comme les 200 laboratoires avec leurs 23 000 visiteurs.
Pour ce qui est du taux de refus de visite, il est largement inférieur à celui d’autres systèmes car nous essayons de nous positionner en tant que promoteur non pas du produit mais du bon usage des soins et des ressources communes.
M. Pierre Morange, coprésident : Existe-t-il une volonté de coordination entre vos trois caisses afin d’assurer le meilleur rapport coût/efficacité des soins ? Qu’en est-il, par exemple, avec le dispositif ARCHIMED de la MSA ?
M. Yves Humez : Le logiciel ARCHIMED est un outil approprié à notre problématique puisque les 8 % de la population que nous assurons sont répartis sur tout le territoire, contrairement au régime général qui s’adresse à l’ensemble des assurés. Ce logiciel nous permet, par exemple, d’observer les prescriptions abusives, et, à cet égard, je considère que nos médecins-conseils ont une action complémentaire à celle menée par les DAM. Cela n’empêche pas que nous partagions, au sein du collège des directeurs, les mêmes enjeux en matière de maîtrise médicalisée.
M. Frédéric Van Roekeghem : La MSA et le RSI disposent d’équipes médicales et administratives intégrées ce qui, historiquement, n’est pas le cas du régime général. Nous avons cependant arrêté une orientation de notre réseau qui privilégie un tel rapprochement. En outre, la MSA dispose d’un système interne informatique avec des niveaux d’accès différents et sécurisés, ce que la Caisse nationale d’assurance maladie doit mettre progressivement en place. Ce qui est possible au sein du RSI et de la MSA ne l'est donc pas toujours au sein du régime général, mais nous nous voyons régulièrement pour confronter nos points de vue sur des enjeux importants. L’historique des remboursements, par exemple, est commun aux trois caisses.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les chiffres de la consommation des médicaments sont-ils comparables entre les trois régimes ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Les populations concernées ne sont pas tout à fait comparables. Or si l’on veut comparer, il faut le faire à « patientèle » comparable. Pour notre part, nous menons des travaux sur la segmentation des patients.
M. Yves Humez : D’autres paramètres, notamment territoriaux, sont à prendre en compte, et c'est en les croisant que l’on pourra mettre en évidence les meilleures pratiques et s’aligner sur elles.
M. Philippe Ulmann : Une réunion des directeurs doit avoir lieu à la fin du mois justement pour essayer de mettre en œuvre des comparaisons entre les régimes. La population visée par le RSI consomme, par exemple, beaucoup de médicaments – c’est le second poste de nos dépenses après celui de l’hospitalisation –, mais comme la consommation de soins est un peu moins forte dans notre régime que dans les autres, il faut relativiser cette donnée.
M. Frédéric Van Roekeghem : En matière de générique, la MSA était pour sa part apparue un peu meilleure que le régime général.
M. Yves Humez : La MSA dispose de sept délégués dans chaque canton. C’est un moyen de communication important qui explique que nos campagnes de prévention aient un bon retour, par exemple en matière de génériques.
M. Pierre Morange, coprésident : De nombreux brevets de molécules blockbuster sont tombés récemment dans le domaine public. Une étude a-t-elle été faite sur le gisement d’économies potentielles recélé par les molécules qui tomberaient dans les trois prochaines années dans le domaine public ? Par ailleurs, où en est-on du dossier pharmaceutique ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Des évolutions sont intervenues au sein de la CNAMTS depuis 2004. En particulier, ont été mis en œuvre, d’une part, un suivi des actions grâce à un système de reporting performant – nous avons ainsi été capables de surveiller les ventes de Tamiflu au jour le jour –, et, d’autre part, un mécanisme d’anticipation permettant de prévoir, par exemple, quels seront les prochains blockbusters.
M. Pierre Morange, coprésident : Disposez-vous de chiffres en la matière ?
M. Frédéric Van Roekeghem : De mémoire uniquement. Nous vous les fournirons par écrit.
Le problème ne tient pas seulement à la tombée des molécules dans le groupe générique, mais à l’effet de fuite qui en découle. Dès lors qu’une molécule est génériquée, le mix produit se révèle beaucoup plus coûteux en France qu’ailleurs en Europe, du fait de cet effet de fuite important.
M. Pierre-Jean Lancry : Dans l’ensemble, les génériques ont un coût de 30 % supérieur en France.
M. Pierre Morange, coprésident : Pourquoi ?
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Du fait des marges arrière.
M. Frédéric Van Roekeghem : Nous avons tout de même baissé récemment le prix du générique de façon importante. Par ailleurs, la CNAMTS a proposé d’expérimenter, dans le cadre du CEPS, une sorte de mise en concurrence de médicaments génériques dans certaines classes.
M. Pierre Morange, coprésident : Qu’en est-il du dossier pharmaceutique ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Nous ne sommes pas pour notre part en charge de ce dossier. Néanmoins sa mise en place est soutenue notamment par le fonds d’aide à la qualité des soins de ville, qui a dégagé une enveloppe financière à cet effet. Ce dossier nous semble complémentaire de l’historique des remboursements.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Avez-vous constaté des changements de comportement de la part des médecins après les visites des DAM ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Pour prendre l’exemple des statines, qui ont donné lieu à des visites, mais également, comme tous les cas d’intervention plus médicalisée, à des entretiens confraternels, le taux de croissance de la consommation des statines a été notablement infléchi suite au plan médicament de 2005. Au Royaume-Uni au contraire, où les statines dosées à dix milligrammes ont été mises en vente libre, leur consommation, qui était en 2002 bien en deçà de la nôtre, l’a aujourd’hui dépassée. Pour autant, les patients qui, en France, ont besoin de ces médicaments ne sont pas pénalisés, puisque le taux de couverture par les statines des patients diabétiques, par exemple, continue de croître.
M. Jean-Pierre Roblet : Nous procédons à un suivi des visites à la fois quantitatif et qualitatif afin de déterminer leur impact sur les prescriptions et leurs conséquences financières. Que l’étude soit menée en interne ou en externe, comme avec IPSOS pour les pharmaciens, les résultats montrent que l’objectif de la convention, qui a été le fait générateur de la maîtrise en encourageant les engagements individuels, est beaucoup plus partagé qu’il y a cinq ou dix ans.
M. Frédéric Van Roekeghem : Une enquête BVA menée sur Paris en janvier 2006 auprès des généralistes, des spécialistes et des pharmaciens a montré que 83 % d’entre eux jugeaient que la démarche DAM était plutôt novatrice, 77 % qu’elle était légitime, 70 % qu’elle faisait réfléchir, 70 % qu’elle les intéressait, et 61 % qu’elle les incitait à adapter leur comportement. Il nous faut néanmoins amener ces DAM au meilleur standard de qualité et faire évoluer le contenu de la visite. Nous attendons à cet égard l’avis de la HAS pour médicaliser la visite portant sur les statines.
M. Jean Mallot, coprésident : On ne peut dissocier le prescripteur et le patient. Les caisses se préoccupent-elle de cette interface ?
M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons été frappés par l’extrême difficulté de la communication entre l’AFSSAPS, la HAS et l’assurance maladie pour constituer une base de données commune. Où en êtes-vous sur ce sujet stratégique qui vise à mettre à la disposition des prescripteurs comme, éventuellement, de la population, des données certifiées ?
M. Frédéric Van Roekeghem : On ne peut déployer des politiques de gestion du risque efficaces si elles ne sont pas déployées à la fois sur l’offre de soins et sur les patients qui sont les porteurs du risque. Cependant, autant l’action en direction des prescripteurs doit être impérativement coordonnée, autant chacun des régimes est responsable de ses assurés. C'est en ce sens qu’un accord est intervenu très tôt au sein du collège des directeurs : nous agissons sur les mêmes thèmes, mais chacun est responsable du développement de ses actions. Le RSI et la MSA ont ainsi lancé des actions qui ont inspiré la CNAMTS.
M. Yves Humez : Changer les comportements des patients est un travail sur le long terme. À cet égard, nous redoutons toute inversion de politique qui viendrait couper l’élan engagé. Il ne faudrait pas, par exemple – hypothèse qui est évoquée – changer la donne avec les ARS – agences régionales de santé – en bouleversant la dynamique que nous avons lancée.
M. Pierre Morange, coprésident : Qu’en est-il des bases de données ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Nous n’en partageons pas avec l’AFSSAPS et avec la HAS, mais il faut bien reconnaître que la question n’a pas été posée.
M. Philippe Ulmann : Nos trois régimes font partie d’un GIP et, dès l’origine, il avait été proposé à l’AFSSAPS de nous rejoindre, ce qui n’a pu se faire.
M. Pierre Morange, coprésident : Le projet est en cours ?
M. Frédéric Van Roekeghem : La question n’a pas été reposée. En tout cas, l’assurance maladie est très attachée à cette base de données publique. Il faut simplement la remettre sur la bonne voie, c’est-à-dire apurer les retards et faire saisir les données par des personnels adaptés.
M. Pierre Morange, coprésident : Un agenda existe-t-il ?
M. Frédéric Van Roekeghem : Oui. Une fiche pourra vous être fournie sur le sujet. De manière générale, il serait souhaitable de se rapprocher notamment de l’AFSSAPS qui dispose d’une base plus détaillée que la nôtre. Ce serait un gain en termes de productivité et d’efficacité.
M. Jean Mallot, coprésident : Une évolution conduisant à des regroupements serait certainement rassurante. Il semble cependant que la stratification se poursuive.
M. Frédéric Van Roekeghem : Il est sûr que la tendance dans notre pays est à la constitution d’institutions de plus en plus nombreuses, sans pour autant supprimer celles présentes antérieurement. Il faut cependant tenir aussi compte des spécificités et de l’histoire. En tout cas, la création du RSI est un exemple de diminution du nombre des institutions.
M. Pierre Morange, coprésident : Le premier thème des réflexions de la MECSS portait justement sur la mutualisation, et le RSI est la matérialisation réussie de ses préconisations, alors que des esprits chagrins avaient jugé cette création impossible. Au-delà de la nécessité de respecter l’histoire, le bon sens veut que la mutualisation et les technologies permettent une harmonisation des procédures afin d’améliorer la rationalité.
Messieurs, je vous remercie. Les questions qui n’ont pas pu vous être posées vous seront adressées par écrit. Nous serons également très attentifs aux propositions que vous pourriez faire.
*
Audition de MM. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale (DSS) au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, et Lionel Joubaud, chef du bureau produits de santé.
M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur Libault, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les missions de la direction de la sécurité sociale ?
M. Dominique Libault : La direction de la sécurité sociale a pour mission de piloter l’ensemble des questions de sécurité sociale, telles qu’elles se posent à l’État depuis 1945, date de mise en place de celle-ci et de création de la direction. Le champ de la sécurité sociale n’a pas beaucoup changé depuis 1945. Il prend en compte quatre risques : maladie-maternité, vieillesse-veuvage, famille, accidents du travail. Ce pilotage porte sur une masse financière qui se monte pour 2008 à 420 milliards d’euros.
La mission de la direction de la sécurité sociale est triple.
La première est financière et consiste à éclairer les décideurs sur la situation financière de la sécurité sociale et les mesures de nature à remédier à d’éventuels problèmes financiers : pilotage du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), préparation des rapports de la commission des comptes de la sécurité sociale.
La deuxième mission est de nature plus juridique. Elle consiste à porter les politiques relevant de la sécurité sociale : politiques de la vieillesse, d’accès aux soins, de la famille, de la santé au travail, ainsi que de la maîtrise de la dépense. L’une des raisons d’être de la direction de la sécurité sociale, à laquelle je tiens beaucoup, est de trouver l’équilibre adéquat entre les solutions à apporter aux problèmes financiers et la préservation, voire le développement, des politiques sociales qui, pour moi, sont des éléments fondamentaux de notre pays.
La troisième mission de la direction de la sécurité sociale est d’assurer la tutelle du service public de la sécurité sociale, c’est-à-dire des différentes caisses – Caisse d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), Caisse nationales d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) – et de les piloter à travers les conventions d’objectifs et de gestion.
L’ONDAM, l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie, que nous proposons au Gouvernement, comprend des arbitrages entre les différentes sphères de l’assurance maladie qui peuvent se traduire par des sous-ONDAM. Le médicament n’a pas de sous-ONDAM. Néanmoins, il s’inscrit dans une logique et une cohérence globales. Quand on propose des mesures, on cherche un équilibre entre ce qui peut porter sur le médicament, comme sur les rémunérations en ville ou les frais à l’hôpital.
La première question que l’on est en droit de se poser est de savoir quelles sont les marges de manœuvre en matière de prix des médicaments. Certains documents issus de l’industrie pharmaceutique montrent que cette dernière pense que l’on pourrait avoir une progression très élevée de la dépense de médicaments dans les prochaines années. Je ne peux pas partager ce point de vue compte tenu des finances sociales de la France et de la nécessité de rééquilibrer les comptes sociaux. Dans la loi de financement de la sécurité sociale, des prévisions pluriannuelles sont faites. Si l’on veut parvenir en 2010 au rééquilibrage de l’assurance maladie comme le souhaitent les pouvoirs publics, il faut, même avec une politique de ressources dynamique, une croissance, une masse salariale et des recettes satisfaisantes, qu’il y ait une maîtrise de la dépense se traduisant par un ONDAM pas très élevé, en tout cas moins élevé que ce que serait la tendance spontanée des dépenses de santé dans notre pays.
La politique du médicament remboursé doit s’inscrire dans cette stratégie.
Quand on entend les représentants de l’industrie du médicament, on a l’impression qu’ils sont les premiers à souffrir de ces plans. Cela pose la question de la juste mesure. Or on constate que la consommation de médicaments est très forte en France par rapport à d’autres pays et que son poids dans le PIB est plus important. Cela laisse penser qu’il y a encore des marges de manœuvre, tout en veillant à préserver l’accessibilité de tous au médicament, c’est-à-dire à assurer la pérennité de la sécurité sociale, avec des niveaux de remboursement satisfaisants. Cela exige, d’abord, de payer correctement le prix du médicament et, ensuite, de ne pas avoir une consommation excessive par rapport aux besoins de santé de la population. Nous essayons, à travers des propositions de nature législative ou réglementaire, d’édicter des règles du jeu incitant la chaîne du médicament à s’organiser en ce sens.
M. Jean Mallot, coprésident : Considérez-vous que l’État dispose des outils nécessaires pour obtenir l’équilibre dont vous parlez ? Sinon, quels outils faudrait-il ?
M. Dominique Libault : C’est une question pertinente que nous nous posons en permanence. La plupart des personnes que vous avez entendues – dont j’ai lu attentivement les auditions – ainsi que les rapports publiés sur le sujet, notamment celui du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, soulignent que la spécificité de la consommation de médicaments en France est liée à des facteurs pluriels, dont certains sont culturels, liés en particulier à la formation des médecins et à l’éducation à la santé de la population. Agir sur ces facteurs demande des actions dans la durée, dont les résultats ne sont pas immédiats. Il est plus facile de faire une action sur les prix des médicaments à travers le Comité économique des produits de santé qu’une action sur les volumes ou les prescriptions.
Un certain nombre d’outils ont été mis en place, notamment lors de la réforme de 2004. D’autres sont proposés dans le PLFSS pour 2008.
Le bilan de ces outils est mitigé. Je ne peux pas dire que, à ce stade, il y ait des évolutions importantes des comportements. Je suis frappé de voir qu’un certain nombre des résultats que nous avons obtenus ne sont pas toujours dus à l’action directe des médecins. L’un des succès indéniables en matière de changement de comportement, à savoir l’achat de génériques, a ainsi été obtenu en passant par le biais des pharmaciens.
On arrive à un résultat quand il y a une dimension très forte de santé publique, comme cela a été le cas pour les antibiotiques. Quand la prescription d’un médicament est néfaste pour la santé publique, il y a plus d’accroche et de capacité de réponse. Sur des sujets plus économiques, il est plus difficile de faire changer les comportements.
Parmi les outils dont on dispose, il y a, notamment, les délégués de l’assurance maladie et la Haute Autorité de santé (HAS). Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, le rôle médico-économique de la HAS a été renforcé afin d’améliorer le dialogue entre celle-ci et les autres acteurs, notamment l’assurance maladie.
Néanmoins il y a encore beaucoup à faire pour rendre plus efficaces les différents outils qui ont été mis en place. Sans doute en faudra-t-il d’autres, mais il faut d’abord rendre plus opérationnels ceux qui existent déjà et qui ne sont pas sans intérêt.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Est-ce vous qui déclenchez le Comité d’alerte quand vous sentez un dérapage des comptes ? Êtes-vous en amont ou en aval ? Comment expliquez-vous que le Comité d’alerte ait déclenché l’alerte très tard en 2007, alors que les volumes des médicaments en médecine de ville ont dépassé l’ONDAM dès le mois de mars ?
M. Dominique Libault : La direction de la sécurité sociale n’avise pas le Comité d’alerte. Celui-ci se tient au courant et dispose d’un certain nombre de moyens d’information. Il peut demander des auditions des administrations : la DSS, qui est l’une de ses sources d’information importantes, mais aussi, bien entendu, la Caisse nationale d’assurance maladie. Au vu de ces auditions et de ses informations, le Comité d’alerte décide en toute liberté et indépendance du moment où il juge bon de déclencher l’alerte.
Les prévisions en matière d’assurance maladie sont très compliquées. Il y a eu des signaux de dépassement assez tôt dans l’année, mais l’information la plus intéressante est celle de la consommation en date de soins qui est connue avec deux ou trois mois de retard par rapport à l’événement. Pour connaître les premiers mois de l’année - janvier, février -, il faut attendre deux ou trois mois. Personnellement, je n’ai rien à dire de particulier sur le moment où le Comité d’alerte a déclenché son alerte.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quand vous définissez l’ONDAM de l’année à venir, avez-vous tous les éléments pour chiffrer en fonction des nouveaux médicaments de ville qui vont arriver sur le marché, qu’il s’agisse des molécules qui vont tomber dans le domaine public ou des nouvelles molécules promues par les laboratoires ?
M. Dominique Libault : Nous avons une certaine visibilité dans le domaine du médicament, car les processus sont longs. Le Comité économique des produits de santé a une visibilité encore meilleure, puisqu’il suit la chaîne du médicament en permanence.
Cela étant, dire qu’il y a un lien mécanique entre cette visibilité et la construction de l’ONDAM serait excessif. D’abord, il n’y a pas de sous-objectif du médicament en tant que tel. Ensuite, dans ce domaine, comme dans les autres, il faut essayer d’appréhender à la fois l’impact de nouvelles stratégies thérapeutiques ou de nouvelles décisions d’admission au remboursement ou d’amélioration des droits sociaux, et les possibilités d’économies et de maîtrise des dépenses. La construction de l’ONDAM est opérée à partir de l’équilibre entre ces deux points de vue. C’est un exercice difficile.
Nous nous sommes efforcés, dans les annexes du PLFSS pour 2008, notamment dans l’annexe numéro 7, de mieux documenter cet équilibre entre la partie économie et la partie dépenses nouvelles.
On ne peut évidemment pas prétendre que la construction de l’ONDAM soit précise au point de permettre de connaître à l’avance le coût de l’innovation.
Je rappelle également que, même si nous connaissons les molécules qui peuvent arriver, la discussion des prix, souvent, n’a pas eu lieu. Une chose est de connaître qu’une molécule va tomber dans le domaine public, une autre est de connaître son impact réel sur les comptes de l’assurance maladie : cela suppose d’avoir une vue sur le prix et sur la force de pénétration du médicament, c’est-à-dire sa vitesse de substitution aux produits antérieurs. C’est un exercice assez complexe.
M. Pierre Morange, coprésident : Le rapport de la Cour des comptes montre que la fiscalité du médicament est quelque peu anarchique. Les règles qui la définissent ont un caractère changeant, peu propice à l’établissement d’une stratégie de court, moyen et long termes. Or l’industrie pharmaceutique a besoin, du fait de ses contraintes et de sa spécificité, de planifier ses investissements, notamment en recherche et développement. Quand les règles changent tous les ans, il est impossible d’établir une stratégie. Une stabilisation de celles-ci serait nécessaire.
En ce qui concerne la prescription et la consommation des médicaments, une information objective s’impose. Il conviendrait à ce sujet de mieux définir les missions et les actions des différentes agences et des différents acteurs, tant publics que privés, chargés de celle-ci.
Enfin, avez-vous des informations sur la décision qu’a rendue ou que doit rendre le tribunal de grande instance au sujet de la base Thériaque permettant d’alimenter les logiciels à la prescription ?
M. Dominique Libault : Je comprends la demande faite par l’industrie pharmaceutique d’avoir une politique du médicament stable et visible à long terme.
M. Pierre Morange, coprésident : Demande appuyée par la Cour des comptes…
M. Dominique Libault : La politique du médicament a fait de grands progrès depuis quinze ans, et l’industrie pharmaceutique le reconnaît. La politique conventionnelle mise en place à compter de 1994 est très stable dans son fonctionnement, ses modalités et ses objectifs et établit un rapport satisfaisant entre ceux qui fixent le prix des médicaments et l’industrie pharmaceutique.
Les critiques de la Cour des comptes concernant la fiscalité – j’ai lu avec attention l’audition de Mme Rolande Ruellan –, portent sur l’addition d’un certain nombre de taxes complexes. Chacune est due, en fait, à un épisode de l’histoire, voire de la négociation.
Faut-il simplifier ou stabiliser, même si c’est complexe ? J’entends plutôt un message de stabilité. Les taxes sont certes complexes, mais tout le monde y est habitué.
M. Pierre Morange, coprésident : Simplification et stabilisation ne sont peut-être pas incompatibles.
M. Dominique Libault : Je n’en suis pas sûr.
D’une part, nous avons affaire à des entreprises qui ont de très bons services juridiques qui n’hésitent pas à faire beaucoup de procédure à chaque nouvelle définition d’assiette ou autre. Nous sommes donc assez prudents sur les redéfinitions. La taxe de la promotion pharmaceutique a donné lieu à beaucoup de contentieux, une difficulté consistant, par exemple, à savoir si le véhicule de fonction des visiteurs médicaux était ou non un avantage en nature et s’il devait ou non être compris dans l’assiette. Cette taxe est aujourd’hui à peu près stabilisée.
Redéfinir quelque chose, c’est aussi poser à nouveau un certain nombre de problèmes et créer une incertitude juridique. Chaque fois que l’on crée du droit, on crée aussi de l’incertitude.
Je n’ai pas de dogme en la matière, mais il est clair qu’il faut choisir entre stabilité et simplification.
D’autre part, il faut bien voir que la condition de la stabilité de la fiscalité, c’est l’équilibre de l’assurance maladie. Si l’on n’atteint pas l’équilibre, on se retrouve dans un déséquilibre. Les pouvoirs publics s’agitent, le Parlement interpelle le Gouvernement en faisant valoir qu’il est insupportable de reporter nos dépenses de médicament d’aujourd’hui sur les générations futures, et prône des mesures.
L’hôpital n’est pas un bon « client » pour réaliser des économies de court terme dans un plan d’assurance maladie. Il n’y a pas non plus beaucoup d’enthousiasme à baisser les honoraires. Le médicament est l’un des segments où il est plus facile de faire des économies de court terme. C’est pourquoi je dis fréquemment aux responsables de l’industrie du médicament qu’ils sont ceux qui ont le plus intérêt à ce qu’on ne fasse pas de plan de maîtrise parce qu’ils risquent d’être mis à contribution et de pâtir de l’instabilité de la politique en ce domaine.
La condition de la stabilité de la politique du médicament, que ce soit sur la fiscalité ou sur la dépense, c’est, je le répète, l’équilibre de l’assurance maladie. Donc, vous devriez, mesdames, messieurs les parlementaires, être les premiers promoteurs de cet équilibre, c’est-à-dire avoir des objectifs compatibles avec les perspectives financières de la France. Fixer des objectifs ONDAM de 2 % au-dessus du PIB n’est pas très sérieux.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous entendons bien le message selon lequel la rationalisation des moyens dans le secteur hospitalier ne peut générer que des marges de manœuvre à long terme. Ce propos, que l’on tient depuis un certain nombre d’années, n’aboutit cependant qu’à favoriser les mesures de court terme.
M. Dominique Libault : La direction de la sécurité sociale est très favorable à une politique de moyen et de long termes sur l’assurance maladie. Nous avons développé les éléments pluriannuels dans la loi organique relative aux lois de financement du 2 août 2005. Nous sommes prêts à continuer et je sais que le Parlement est dans la même disposition d’esprit. Plus nous aurons une vision globale et cohérente dans la durée, mieux ce sera pour l’assurance maladie et pour tous les partenaires de celle-ci. Je reconnais la légitimité de la demande de l’industrie pharmaceutique sur ce point.
Sur votre deuxième question, concernant l’information sur le médicament, je partage votre diagnostic. Il y a beaucoup d’acteurs qui font de l’information sur le médicament et leur coordination n’est pas toujours parfaite, loin de là. Dans la loi relative à l’assurance maladie du 13 août 2004, on a essayé de donner un rôle de coordination à la Haute autorité de santé, qui ne s’est pas totalement concrétisé jusqu’à présent.
Je serai, personnellement, très attentif aux préconisations de votre mission sur un tel sujet. Chaque agence fait valoir qu’elle a une légitimité ou des données qui justifient sa présence sur ce terrain, ce qui n’est pas complètement faux. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a des données particulières.
M. Pierre Morange, coprésident : L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), dans son récent rapport sur l’information des médecins sur les médicaments recommande que la HAS soit l’interlocuteur unique pour dispenser l’information à destination des prescripteurs, afin de clarifier le rôle et l’articulation avec l’AFSSAPS. Quel est votre avis à ce sujet ?
M. Dominique Libault : Pour parler franchement, j’aimerais être plus convaincu de la capacité de la HAS à divulguer des messages simples et lisibles avant de lui donner ce rôle. C’est l’une des missions qu’on lui avait données en 2004 quand elle s’est substituée à l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Les messages de cette dernière étaient d’une telle complexité qu’ils étaient difficilement lisibles pour le généraliste de base. La HAS a commencé ce travail avec des fiches produits mais n’a pas encore la simplicité requise.
Actuellement, l’information est donnée soit par des gens qui ne sont pas des autorités scientifiques aussi établies que la HAS mais qui ont plus l’habitude de passer des messages de vulgarisation compréhensibles, soit par des autorités scientifiques qui n’ont pas encore tout à fait la capacité de faire passer l’information scientifique en messages simples. Je comprends la difficulté de l’exercice. Comme l’information est donnée sous le label HAS, elle est entourée de toutes les précautions propres aux scientifiques qui rechignent à simplifier à l’extrême et à exclure telle ou telle figure.
Tout cela est en construction. Je n’ai pas encore d’avis déterminé, mais je serai attentif, là aussi, à vos recommandations.
M. Lionel Joubaud : Je répondrai à votre troisième question, monsieur le président, sur le contentieux portant sur la base Thériaque. Les divergences entre les deux membres du GIE – groupement d’intérêt économique – qui sert de support à la base, en particulier entre la CNAMTS et le Centre national hospitalier d’information sur le médicament (CNHIM), a entraîné, au cours de l’été, le retrait de ce dernier, un changement de statut et un changement de nom. Elle s’appelle désormais la base Thesorimed. La DSS n’a pas d’information sur l’issue du contentieux mais peut vous rassurer : la base continue à être mise à jour. Des retards ont été pris du fait des turbulences engendrées par les divergences mais les gestionnaires s’attachent à le rattraper et la base est toujours financée par la CNAMTS.
M. Pierre Morange, coprésident : Quand la base sera-t-elle finalisée ?
M. Lionel Joubaud : Elle est déjà finalisée. Le retard concerne les mises à jour. Les gestionnaires prévoient qu’il sera comblé d’ici à la fin de l’année.
M. Jean Mallot, coprésident : Le contentieux n’est pas encore tranché ?
M. Lionel Joubaud : A ma connaissance non.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quel est votre avis sur l’incidence du mode de rémunération à l’acte des médecins libéraux de ville en France ? Y a-t-il un lien entre ce paiement à l’acte et la surconsommation de médicaments dans notre pays ?
Une charte de la visite médicale a été signée, mais plus de 60 % des médecins généralistes libéraux n’en ont jamais eu connaissance. Il est prévu à cette occasion la présentation de la fiche de transparence du produit. Or peu de visiteurs médicaux l’ont sur eux.
M. Dominique Libault : Sur la question de savoir s’il y a un rapport entre le paiement à l’acte et la surprescription, je serai, là aussi, assez humble. J’ai lu beaucoup d’avis à ce sujet. Certains disent que, dans d’autres pays où le paiement est également à l’acte, il ne s’accompagne par comme chez nous d’une surprescription ; le rapport n’est pas aussi simple que cela. D’autres évoquent le fait que le paiement à l’acte n’a pas tout à fait les mêmes effets en période de surdémographie médicale où le médecin peut être tenté de répondre plus à la demande de son patient et en période, comme actuellement, de pénurie de médecins où ceux-ci n’ont pas besoin d’aller chercher le patient, et sont plus autonomes et plus capables de réguler les demandes de ce dernier.
Beaucoup de médecins faisaient valoir à une époque que, s’ils ne prescrivaient pas à leurs patients les médicaments qu’ils demandaient ou ne leur accordaient pas l’arrêt de travail qu’ils sollicitaient, ils iraient en voir un autre. On observe que les patients ne changent pas de médecin traitant tous les jours. Le raisonnement selon lequel, le système étant tellement libéral, les patients peuvent aller voir ailleurs, n’empêche pas de faire un peu d’éducation et d’expliquer pourquoi il n’y a pas forcément besoin d’une ordonnance aussi longue.
Ce qui explique la surprescription, c’est moins le paiement à l’acte que le fait qu’il n’y a pas, dans le système financier, d’incitations à délivrer de bonnes prescriptions ou à faire évoluer les comportements d’une façon plus cohérente avec les besoins de santé publique ou de l’assurance maladie.
En prévoyant l’instauration dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, d’un contrat individuel – dont les finalités restent à définir –, on se donne la possibilité d’expérimenter des tarifications annexes qui peuvent intéresser aussi le médecin et faire évoluer son comportement. Cela me semble une voie d’avenir.
Concernant la seconde question, il est certain que la charte de la visite médicale est insuffisamment connue. Il faut davantage l’installer dans le paysage. Si la fiche de transparence n’est pas en possession du visiteur, c’est dommage. Il faut de plus en plus renforcer les exigences déontologiques de la visite médicale qui contribue à l’information des médecins.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Y a-t-il un comparatif, entre les pays européens notamment, de la pénétration d’un nouveau médicament en fonction de l’investissement fait sur la visite médiale ?
M. Dominique Libault : Des études ont été réalisées sur le taux de pénétration d’une nouvelle molécule en France. Elles montrent que ce taux est beaucoup plus rapide en France que dans beaucoup d’autres pays.
Deux explications sont possibles : la médecine libérale, d’une part, la sécurité sociale, d’autre part. Ce qui caractérise fondamentalement notre pays, c’est qu’il n’y a pas de problèmes financiers pour accéder très rapidement à de nouvelles molécules. Quand les médicaments sont inscrits au remboursement, il y a une diffusion rapide de ces derniers.
Distinguer l’effet de la sécurité sociale par rapport à l’effet de promotion est beaucoup plus complexe.
M. Lionel Joubaud : À ma connaissance, il n’y a pas eu d’étude établissant un lien.
M. Jean Mallot, coprésident : Parmi les outils à votre disposition, il en est deux principaux : le déremboursement et le prix du médicament. Quel est leur impact sur la prescription et la consommation ?
M. Dominique Libault : Si l’on veut faire place à de nouveaux médicaments, il faut être capable d’avoir une certaine fluidité du panier remboursé. Donc il est assez logique que certains produits sortent, à un moment donné, du remboursement.
Si je précise ce point, c’est parce que, bien qu’elle ne soit pas nouvelle, cette stratégie soulève encore des questions. Une partie de l’industrie pharmaceutique y reste hostile, alors que cette manière de procéder me semble indispensable pour faire place à l’innovation dans le remboursement.
Il ne faut pas renoncer à la fluidité du panier de soins, mais il faut également faire une plus grande place à l’automédication, sujet repris récemment par Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Certains médicaments qui ne sont pas prioritaires dans le remboursement doivent pouvoir avoir une vie après le déremboursement et les gens doivent pouvoir se les procurer. Le jour où l’on aura progressé sur la possibilité de donner une vie au médicament après remboursement, ce sera plus facilement vécu.
M. Pierre Morange, coprésident : La DSS a-t-elle des informations sur l’incidence financière, notamment sur le poste médicament de l’assurance maladie, du déremboursement d’une bonne centaine de médications et du transfert de remboursement sur d’autres thérapeutiques ?
M. Dominique Libault : Nous pourrons vous donner un document sur l’impact financier des déremboursements. Sur les effets de substitution, nous n’avons pas d’étude générale, mais des éléments d’appréciation. Nous avons regardé ce qu’il en est sur certains champs, et il ressort de notre analyse qu’il y a bien un impact positif.
Cela étant, comme je l’ai déjà indiqué, étant donné qu’il y a un remboursement très fort des médicaments par la base et les complémentaires, il existe une certaine indifférence en France par rapport au prix des médicaments. Ce dernier, même très élevé, n’est pas un facteur de diminution de la consommation.
M. Jean-Marie Rolland : L’apparition d’une nouvelle classe thérapeutique bouleverse aussi les habitudes de soins. On n’opère plus, par exemple, de l’ulcère de l’estomac parce que sont arrivés, dans les années 1980, de nouveaux médicaments qui permettent de traiter cette maladie. Un grand nombre de médicaments existent pour traiter l’hypertension artérielle. Ils coûtent de plus en plus cher, mais entraînent une diminution des accidents vasculaires cérébraux et des séquelles graves et un allongement de l’espérance de vie. Si les hôpitaux psychiatriques ont été en grande partie vidés de leurs patients, c’est grâce à l’apparition de neuroleptiques retard et à l’aménagement de modes de prise en charge ambulatoire. Est-on capable aujourd’hui d’évaluer les effets de ces évolutions, à la fois sur l’économie générale et sur la classe thérapeutique ?
M. Dominique Libault : Vous avez raison de souligner qu’il existe des stratégies par le médicament qui permettent d’éviter des hospitalisations, mais cela n’apparaît pas dans les comptes et il n’y a pas d’automaticité parce que les financements et les personnes sont distincts. Le sujet est très complexe. Il y a également plus de spécialisations du fait du vieillissement de la population.
Il est central de mesurer l’effort à faire sur tel ou tel secteur au regard des stratégies thérapeutiques et des besoins en santé publique. Nous devons en effet progresser dans la bonne allocation des ressources dans notre système contraint.
Une des raisons pour lesquelles on a mis la commission de la transparence au sein de la HAS, est de travailler davantage sur les stratégies thérapeutiques afin que le collège puisse donner son avis et nous éclairer sur celles-ci. Tout cela est actuellement en germe.
M. Pierre Morange, coprésident : Il apparaît très malaisé de réaliser une étude qui prenne en compte les sorties et les entrées liées à l’apparition de nouvelles thérapeutiques. Un récent rapport de la CNAMTS étudie trois postes médicamenteux – les inhibiteurs de la pompe à protons, les statines et les antihypertenseurs – et fait état de marges de manœuvre financières importantes, puisque la somme totale avoisinerait le milliard et demi d’euros, les économies potentielles pour chaque poste indiqué variant entre 400 et 600 millions d’euros.
Autant il peut être aisé de dresser le bilan de l’effet de la suppression d’une hospitalisation en cas d’ulcère grâce aux antiulcéreux de dernière génération, autant il est malaisé de suivre les processus plus fins de prise en compte thérapeutique, comme celui entraîné par le passage, pour les antihypertenseurs, les diurétiques et les beta-bloquants aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion et aux sartans. A-t-on globalisé le coût de chaque stratégie pour chaque pathologique ?
M. Dominique Libault : Non.
M. Pierre Morange, coprésident : Il serait intéressant que, dans le cadre des nouvelles dispositions prévues par le PLFSS pour 2008, les analyses médico-économiques réalisées par la HAS ciblent ces trois postes et permettent une analyse globale des coûts induits par les anciennes stratégies – qui avaient fait la démonstration de leur efficacité, mais entraînaient des effets secondaires ou une surveillance importante – et des coûts des nouvelles stratégies, qui sont plus onéreuses, mais nécessitent peut-être moins de surveillance ou s’accompagnent d’effets secondaires moins importants. De tels éléments sont-ils, à votre connaissance, maîtrisés ?
M. Dominique Libault : Ils ne sont pas maîtrisés, mais votre question montre tout l’intérêt que la HAS s’oriente vers une stratégie médico-économique. Cela me semble un thème tout à fait intéressant pour le démarrage des travaux de celle-ci.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je vous poserai une dernière question sur le thème de l’égalité d’accès aux soins et aux médicaments, à laquelle vous avez déclaré être vigilant.
Les premiers déremboursements concernaient des vitamines, des tonifiants et des revitalisants, alors qu’ils portent maintenant sur des médicaments qui ont leur efficacité, comme la pseudoephedrine. On peut considérer que leur SMR est insuffisant mais, dans l’exemple que j’ai cité, le médicament apportait du confort aux personnes souffrant de petites pathologies respiratoires. Les classes modestes ne peuvent plus y accéder, car il est devenu trop cher. Il faut savoir que les laboratoires multiplient par deux, voire par trois, le prix hors taxe une fois que les médicaments sont déremboursés. C’est compréhensible : ils se rattrapent sur le prix par rapport à la perte de volume, puisque ces médicaments ne sont plus prescrits.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports a déclaré que ces médicaments seront mis « en libre-service » devant les comptoirs des pharmacies. Or, au bout d’un moment, il y aura forcément transfert sur des produits remboursés. Je crains donc que les déremboursements massifs des médicaments précédemment prescrits pour les pathologies respiratoires génèrent un transfert sur les antibiotiques dont les prescriptions vont augmenter. Quel est votre avis ?
M. Dominique Libault : La direction de la sécurité sociale n’intervient pas du tout dans la détermination de la liste des médicaments à service médical rendu insuffisant. Cette liste est établie par une autorité scientifique et nous la respectons.
Par ailleurs, il y a de plus en plus de médicaments qui sont pris en charge à 100 % par la sécurité sociale du fait de la croissance des affections de longue durée, les ALD. Si l’on reste dans le système tel qu’il est, on sait que ces dernières vont concentrer une part croissante des capacités de ressources de l’assurance maladie obligatoire. Si l’on se projette à quinze ou vingt ans, on pourrait craindre que les médicaments soient remboursés pour les maladies longues et le soient moins pour les maladies courantes. Cela nécessite une réflexion sur la part des médicaments remboursés à 100 %, à 65 %, etc.
Cela étant, la maîtrise du 100 % est indispensable si l’on veut garder une part importante de médicaments courants pour des pathologies bénignes, importants dans le vécu des gens, qui soient bien pris en charge par la sécurité sociale.
Le remboursement est de plus en plus opéré par l’assurance de base et une assurance complémentaire, puisque, heureusement, 90 % des assurés sociaux ont une complémentaire. Il faut également continuer à travailler pour les gens qui n’en ont pas, en particulier, par le biais de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMUc. On travaille beaucoup également sur l’aide à la complémentaire santé, qui ne fonctionne pas encore suffisamment bien pour solvabiliser au-delà de la CMUc. L’équilibre entre le remboursement à 100 % et le maintien d’un bon remboursement pour des médicaments courants est une question qui nous interpelle.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous aurions une foule d’autres questions à vous poser. Nous nous permettrons de vous les transmettre par écrit.
Je vous remercie, messieurs.
*
Audition de M. Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé (CEPS).
M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur Renaudin, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament et je vous donne la parole pour une brève présentation de l’organisation et des missions du Comité économique des produits de santé.
M. Noël Renaudin : Le Comité économique des produits de santé est un petit organisme. Ses services permanents regroupent quatorze personnes à temps plein et le comité, lui-même, qui est collégial, rassemble dix personnes, avec voie délibérative. Outre le président et le vice-président, il comprend quatre représentants de l’État – le directeur de la sécurité sociale ou son représentant, le directeur général de la santé ou son représentant, le directeur général des entreprises au ministère de l’économie, des finances et de l’emploi ou son représentant et le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou son représentant – et, depuis la réforme de l’assurance maladie de 2004, quatre représentants des payeurs : trois représentants de l’assurance maladie obligatoire – deux de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et un représentant commun au régime des agriculteurs, la Mutualité sociale agricole (MSA), et au régime social des indépendants (RSI) – et un représentant des organismes d’assurances complémentaires, délégués par l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (UNOCAM).
La mission principale du comité est de fixer les prix des médicaments remboursables ou les tarifs des dispositifs médicaux pris en charge par l’assurance maladie. Il est à cette fin organisé en deux sections – une section du médicament et une section des dispositifs médicaux – composées pour une part des mêmes personnes qui se réunissent à des moments différents, avec des ordres du jour différents et une configuration éventuellement différente. La fixation des prix comprend la fixation initiale et également l’évolution des prix : augmentation ou diminution.
De façon secondaire, bien que cela l’occupe pas mal de temps, le comité est chargé par la loi d’une mission générale de régulation – mais il ne s’agit pas vraiment de régulation – du marché du médicament remboursable en conventionnant les entreprises dans le cadre de la contribution de sauvegarde, organisée par la loi, aux termes de laquelle, lorsque les ventes de médicaments ont dépassé, par rapport à l’année précédente, un taux fixé par le Parlement – le taux K –, les entreprises présentes sur ce marché sont astreintes à une contribution dont elles peuvent être exonérées si elles ont passé des conventions avec le comité.
En pratique, toutes les entreprises passent des conventions avec le CEPS et ces dernières donnent lieu au versement de ristournes qui sont la contrepartie de la taxe qui n’est pas payée. Il y a une différence importante entre les deux systèmes en ce sens que la taxe a, comme toute taxe, des règles nécessairement simples pour ne pas dire simplistes, alors que la convention permet de répartir la contribution des entreprises de façon plus conforme aux orientations de la politique du Gouvernement. Par exemple, dans le système conventionnel, on exonère la croissance des génériques car cela paraît idiot de faire payer les entreprises sous prétexte qu’elles ont vendu plus de génériques alors qu’on les y encourage, et on exonère pendant un certain temps les produits les plus innovants en reconnaissance de leur caractère innovant. Le système conventionnel présente d’autres spécificités par rapport à la taxe de droit commun, mais ce sont là les deux principales.
Cette deuxième mission est accessoire par rapport à la fixation des prix, puisqu’elle n’a pas une grosse influence sur les grands équilibres de l’assurance maladie, mais elle alimente un débat conventionnel avec les entreprises, qui présente une certaine utilité.
En couplage avec cette deuxième mission, le comité est chargé d’observer le marché du médicament, de rendre compte au Gouvernement des observations qu’il peut faire et, éventuellement, de l’alerter, sans se mettre, bien entendu, à la place du comité d’alerte, si la situation lui semble appeler des mesures correctrices, y compris réglementaires ou législatives.
Au fil des ans, la loi a dévolu au comité un certain nombre d’autres activités. Il a été chargé, en particulier, de négocier la charte de la visite médicale avec l’industrie pharmaceutique. Celle-ci est maintenant remise entre les mains de la Haute Autorité de santé (HAS), à qui la loi confie le soin de la faire appliquer et de veiller à la certification des entreprises au regard de celle-ci en agréant les organismes certificateurs. La HAS, à partir de la charte, a établi le référentiel de certification qui sert aujourd’hui aux entreprises pour se mettre en conformité avec celle-ci.
Il revient également au CEPS de sanctionner les entreprises dont les publicités ont été interdites par le directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Le comité a le pouvoir – et le devoir – de prononcer, le cas échéant, des sanctions pécuniaires à l’encontre des entreprises en infraction.
Le comité exerce ses missions en appliquant le code de la sécurité sociale, lequel contient très peu d’indications sur la fixation des prix, mais des indications importantes. Il y est, en particulier, précisé qu’on ne peut pas inscrire un médicament ou un dispositif médical qui n’apporte pas d’amélioration du service rendu s’il n’entraîne pas une économie. Autrement dit, pour inscrire un médicament, il faut ou bien qu’il y ait une amélioration du service rendu – dans ce cas, il peut être aussi cher ou plus cher –, ou bien, s’il n’y a pas d’amélioration, qu’il soit moins cher. C’est une règle de bon sens mais la France est presque le seul pays à l’avoir.
Il est également indiqué, dans le code de la sécurité sociale, que les prix sont normalement fixés par convention entre le CEPS et les entreprises. Ils peuvent être fixés autrement, notamment de façon unilatérale par le comité qui a un pouvoir réglementaire de ce point de vue. Il ne le fait jamais à l’inscription car cela n’aurait pas de sens, puisque personne ne peut forcer une entreprise à commercialiser un médicament. Donc, ou bien on se met d’accord sur un prix et c’est la voie conventionnelle, ou bien on ne se met pas d’accord et le produit n’est pas inscrit. En revanche, la possibilité de fixer les prix de façon unilatérale s’exerce parfois, bien que très rarement, lorsqu’il s’agit de modifier les prix de médicaments ou de dispositifs déjà inscrits au remboursement.
Concrètement, les entreprises qui demandent l’inscription d’un produit déposent un dossier composé de deux parties principales : une partie médico-technique destinée principalement à la commission de la transparence de la HAS et une partie économique destinée au CEPS. Les produits sont d’abord évalués par la commission de la transparence qui se prononce sur le service médical rendu, sur l’amélioration de celui-ci et sur la population ciblée par le médicament, puis le comité désigne ou non un rapporteur, selon la complexité du sujet. Celui-ci peut être soit un agent des caisses d’assurance maladie, soit un fonctionnaire, soit un retraité et doit avoir pour qualités principales d’être indépendant de l’industrie et d’être intéressé par le sujet à la fois sous l’angle pharmaceutique et sous l’angle économique. Il présente le dossier au comité qui vote. Le jeu consiste à réunir à la fois une majorité du CEPS en faveur de l’inscription, ce qui ne va pas de soi, et l’accord de l’entreprise. On considère qu’un prix sur lequel on a réussi à mettre d’accord une majorité du comité, constitué de la manière collégiale que j’ai décrite, et l’entreprise a des chances d’être un bon prix.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quand il apparaît qu’il y a un contournement de générique, comme cela s’est produit pour un médicament de la classe thérapeutique des anti-ulcéreux, comment se fait-il, alors que le service médical rendu (SMR) n’est pas supérieur, qu’il obtienne un prix plus important ?
M. Noël Renaudin : On s’est rendu compte de l’existence de ce problème il y a sept ou huit ans seulement. Un ou deux produits sont rentrés dans la classe sans qu’on s’en aperçoive pour ainsi dire. Ces problèmes peuvent être réglés éventuellement par des baisses de prix ultérieures. C’est ce qu’on a fait dans un certain nombre de cas.
M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous nous faire un bilan de ces baisses de prix au fur et à mesure de la vie du médicament et nous donner une idée des économies générées ?
M. Noël Renaudin : Une doctrine, issue des orientations ministérielles, prévaut clairement en la matière : lorsqu’un produit faisant l’objet d’une demande de remboursement présente un caractère de détournement de générique – c’est-à-dire est susceptible de se substituer à un produit qui est génériqué ou en passe de l’être –, on distingue deux cas, en dehors de celui, très rare, où ce produit est assez fortement innovant, c’est-à-dire avec une amélioration du service médical rendu (ASMR) 3, 2 ou 1, auquel cas il est traité comme une innovation.
Premièrement, dans le cas où le produit ne présente pas d’amélioration du service médical rendu, il peut être inscrit à un prix tel qu’il ne coûte pas plus cher que le générique. Cette règle est mise en œuvre de façon régulière. L’exemple qui concerne le marché le plus élevé est celui des antihistaminiques H1. Nous avons inscrit le Xyzall, qui est de la lévocétirizine, c’est-à-dire un lévogyre de Zyrtec, à un prix tel que, en prix public, c’est-à-dire chez le pharmacien, il coûte autant que le Zyrtec.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’État est neutre en la matière. Il lui importe peu que les ventes soient faites par un génériqueur ou par le fabricant du princeps. Ce qui l’intéresse, c’est le prix. Si un médicament princeps est vendu au même prix que le médicament générique, cela nous est égal. Nous considérons que ces médicaments ont le droit de vivre dès l’instant qu’ils ne sont pas plus chers.
Le second cas est celui où le médicament a une ASMR 4, ce qui correspond au médicament que vous aviez en tête, madame la rapporteure, quand vous avez posé votre question : l’esomeprazole, vendu sous le nom d’Inexium. Les orientations ministérielles dans ce cas sont les suivantes : nous devons nous débrouiller pour que le produit soit inscrit à un prix tel, ou avec un échéancier de prix tel, que sa prescription ne coûte pas plus cher que la prescription du princeps remplacé. L’Inexium remplace le Mopral, qui est génériqué par l’Omeprazol. Les médecins prescrivent peu l’Omeprazol. Par contre, il est substitué au Mopral chez les pharmaciens, selon un taux assez important. Nous avons fait une hypothèse hardie, tablant sur une substitution des prescriptions de Mopral à 60 % les dix-huit premiers mois et à 80 % au bout de deux ou trois ans, si bien que nous avons pris, pour le prix public d’Inexium, la moyenne pondérée entre le prix de Mopral et le prix de l’Omeprazol.
Si l’Inexium est objectivement plus cher à la consommation que certains autres inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), cela vient du fait qu’il existe deux catégories d’IPP : Mopral et les autres. Une indication essentielle des inhibiteurs de la pompe à protons est la protection contre les dégâts éventuellement commis par les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Dans cette indication, le Mopral n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) qu’à la pleine dose – 20 milligrammes –, alors que les autres IPP ont l’indication à la demi-dose. C’est pourquoi ils coûtent moins cher.
Pour en revenir à l’explication de la doctrine ministérielle, le prix d’Inexium a été fixé sur la base d’une hypothèse ambitieuse qui s’est avérée juste par la suite.
Le prix d’Inexium s’est ensuite à nouveau trouvé décalé par rapport au prix pondéré Mopral-Omeprazol parce que, entre-temps, on a baissé l’ensemble du répertoire générique, c’est-à-dire princeps et génériques. Début 2006, la diminution a été de 15 %, et parfois plus, et elle a concerné Mopral et Omeprazol, de sorte que les prescriptions de Mopral ont à nouveau coûté moins cher que celles d’Inexium. Cet écart s’est maintenu un certain temps, je suis prêt à le reconnaître, mais nous y avons remédié l’année dernière en organisant une nouvelle baisse assez importante du prix d’Inexium dans le cadre de ce qu’on a appelé les baisses de cohérence qui correspondent à une autre orientation ministérielle selon laquelle, lorsque, dans une classe pharmaco-thérapeutique, coexistent des médicaments ayant perdu leur brevet et des médicaments l’ayant encore, on doit s’efforcer de rapprocher les prix des médicaments qui restent brevetés des prix des médicaments qui ont perdu leur brevet, afin de ne pas laisser subsister des écarts trop importants dans des classes que l’on pourrait considérer comme des classes d’équivalence.
Procéder à des baisses de prix au fur et à mesure que les produits vieillissent est une activité permanente du comité, et celui-ci les actualise tous les ans.
Les chiffres des quatre dernières années sont assez présents à mon esprit parce que, comme vous vous en souvenez sans doute, le Gouvernement a demandé au comité de procéder à de fortes baisses de prix dans le cadre de ce qu’on a appelé « le plan médicament » qui accompagnait la réforme de l’assurance maladie. En 2004, il a été demandé de réaliser 354 millions d’euros d’économies au moyen de baisses de prix des médicaments sous brevet en trois ans. Cette demande a été renforcée en 2006, où il a fallu accroître l’effort de 200 millions d’euros, ce qui portait les baisses à 550 millions sur trois ans. À mi-année, le comité a été prié, après l’alerte donnée par le Comité d’alerte, d’en ajouter encore 100 millions.
En pratique, les économies dues à des baisses de prix ont été d’environ 160 millions d’euros en 2005, après 28 ou 30 millions réalisées dès 2004. Il s’y est ajouté 190 millions d’euros en 2006. Elles devraient s’élever à 250 millions en 2007.
M. Jean Mallot, coprésident : Comment sont mesurées les économies ?
M. Noël Renaudin : On multiplie la baisse par boîte en prix public par le taux de remboursement réel de l’assurance maladie et par le nombre de boîtes vendues dans l’année. Cela permet d’obtenir l’impact réel de la baisse.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous mesurez l’impact strict.
M. Noël Renaudin : Absolument. On ne compte pas deux fois les économies, et la mesure se fait médicament par médicament.
Je donnerai un exemple. On a baissé de manière assez forte le prix du COX-2 subsistant, Celebrex. On a alors mesuré un certain niveau d’économie. Puis les ventes ont beaucoup baissé. Nous avons compté une déséconomie, c’est-à-dire une économie négative, compte tenu du calcul que je viens d’indiquer.
M. Pierre Morange, coprésident : Il ressort du point d’information mensuel publié par l’assurance maladie le 19 octobre 2007 que, en matière de consommation d’inhibiteurs de la pompe à proton, la France se situe au deuxième rang de la consommation des pays européens derrière l’Espagne. Or bien que la France ait une consommation moins élevée que l’Espagne, ses dépenses sont plus importantes. Ce phénomène est dû au fait que les Espagnols consomment à peu près 85 % d’IPP génériqués, donc moins coûteux, alors que leur part en France n’est que de 50 %. Cette tendance à la prescription des médicaments les plus récents et les plus coûteux tend à s’accentuer. Avec la même consommation d’IPP qu’actuellement, et avec un coût moyen par habitant comparable à celui de ses voisins, la France pourrait réaliser une économie de l’ordre de 430 millions d’euros. Quelles réflexions vous inspire cette analyse ?
M. Noël Renaudin : Elle m’inspire deux réflexions.
Le point établi par l’assurance maladie apporte plusieurs informations.
La première, qui est très importante, est que, en France, les médecins prescrivent plus cher. Quand il y a un mix-produit dans une classe de médicaments, qu’il s’agisse des antihypertenseurs, des IPP ou autres, alors même que les prix de chacun des composants sont plutôt plus bas en France et que le taux de substitution est satisfaisant, les médecins prescrivent volontiers hors du répertoire, c’est-à-dire des molécules pour lesquelles il ne peut pas y avoir de substitution. Le mix-produit prescrit est plus cher. Cette tendance appelle indéniablement des mesures d’orientation de la prescription.
La note d’information de l’assurance maladie met en avant un autre point, sur lequel je suis moins d’accord, à savoir que les prix des génériques en Espagne sont beaucoup moins chers qu’en France. C’est exact pour les génériques d’omeprazole et de lansoprazole – autre IPP déjà génériqué en Espagne, alors qu’il ne le sera en France qu’en décembre –, mais on ne peut pas en tirer de conclusion générale car il faut raisonner sur l’ensemble du marché des génériques. On peut toujours trouver – et c’est un jeu qui fait fureur – un pays où un médicament est moins cher, et quelquefois beaucoup moins cher, qu’en France. En revanche, quand on regarde le marché, il est difficile de trouver un pays dans lequel la moyenne des prix des médicaments est plus basse qu’en France. J’ai entendu les choses les plus invraisemblables au sujet des génériques. On a dit, par exemple, qu’en prix sortie d’usine, ils étaient six fois moins chers au Royaume-Uni qu’en France.
La réalité est que les génériqueurs en France ne gagnent pas d’argent – sauf deux, et encore ils n’en gagent pas beaucoup –, alors qu’ils ont les mêmes conditions d’approvisionnement que leurs concurrents anglais, espagnols ou allemands. Les grands génériqueurs indiens comme le grand génériqueur israélien Teva ne s’approvisionnent pas différemment que pour le marché français ou le marché anglais. Néanmoins, les génériqueurs français ne gagnent pas d’argent. Dès lors, on ne peut pas soutenir que les prix des génériques sont trop élevés en France.
Cela étant, ils sont un peu plus chers en prix public parce qu’on a fait le choix – choix imposé dans la mesure où il n’y a aucune sensibilité au prix, et on ne souhaite pas qu’il y en ait, chez les assurés – de rémunérer les pharmaciens pour la vente des génériques. Cela consomme un peu de marge, mais pas au point, de mon point de vue, d’entraîner un réel problème, même en prix public. Il faut avoir une vue d’ensemble sur les prix des génériques.
C’est ma réponse au miroitement d’une possible économie de 430 millions d’euros. Un tel raisonnement donne l’impression que tout le monde est tombé sur la tête et qu’il n’y a qu’à être un peu intelligent pour économiser 400 millions d’euros sur les IPP et – pourquoi pas ? – 350 millions sur les antihypertenseurs, et 600 millions sur les statines. Ce n’est pas possible. Pas de cette manière, en tout cas.
En revanche, on peut certainement – et on doit – économiser de l’argent en posant des règles en matière de prescription.
M. Pierre Morange, coprésident : Comment peut-on expliquer que les prix des génériques soient moins élevés en Espagne ? Est-ce dû à la localisation des sites de production ?
M. Noël Renaudin : Je précise à nouveau que, si les prix des génériques d’omeprazole et de lansoprazole sont moins chers en Espagne qu’en France, ce n’est pas un cas général. Ensuite, les différences de prix ne proviennent jamais d’une différence de sites de production. Elles résultent éventuellement des conditions de marché.
En France, il y a une règle – qui vaut ce qu’elle vaut – selon laquelle la décote du générique par rapport au princeps est à peu près constante – car c’est plus simple. Actuellement, le générique coûte chez nous 50 % de moins que le princeps.
Dans l’ensemble, ce système fonctionne assez bien parce que nos princeps, surtout en fin de vie lorsque le générique arrive, sont plutôt moins chers que dans le reste du monde.
Sur les marchés où il existe, pour des raisons diverses, des éléments de concurrence par les prix, ces derniers peuvent baisser éventuellement beaucoup plus. La production de l’omeprazole ne coûte pratiquement rien, ni en France, ni en Grande-Bretagne, ni en Espagne. Donc les différences de prix ne proviennent pas de la production mais du fait que les entreprises essaient de gagner de l’argent. Or il est connu que les génériqueurs français n’en gagnent pas beaucoup et même que la plupart en perdent. La fixation des prix des génériques à la moitié des prix des princeps donne un niveau général des prix plutôt bon.
Comme nous n’avons aucun élément de concurrence par les prix sur aucune molécule, sur certaines molécules très concurrencées, on peut trouver, ici ou là, des prix vertigineusement plus bas. Le paracétamol est vendu cinq fois moins cher qu’en France sur tel ou tel marché ou sur internet.
M. Pierre Morange, coprésident : Les médicaments génériques vendus en France sont-ils tous produits en Europe ou proviennent-ils d’autres sites de production ?
M. Noël Renaudin : Ils sont actuellement très majoritairement, c’est-à-dire dans une proportion de 90 %, produits en Europe, mais évidemment pas exclusivement.
Les deux grands génériqueurs qui représentent une bonne partie du marché en France sont MERCK génériques et Biogaran. Ce dernier, à ma connaissance, ne produit qu’en Europe, c’est-à-dire en France dans les usines Servier ou, en Hongrie où Servier a fait des usines de production importantes. MERCK génériques est installé en Europe, en particulier en Allemagne.
L’un des deux génériqueurs indiens, Ranbaxy, avait hérité du portefeuille Rhône-Poulenc et fabriquait en France, ce qui lui coûtait très cher. Il est en train de retourner vers ses approvisionnements normaux indiens, qui sont de bonne qualité, contrairement aux produits chinois pour lesquels nous avons quelques craintes car ils sont nettement moins propres, mais ils finiront par le devenir. Les usines indiennes sont visitées par la FDA, Food and drug administration, comme les usines françaises.
Pour l’instant, la production de génériques est majoritairement européenne et il est souhaitable que cela dure.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez évoqué la prime à la nouveauté et les mécanismes de transfert de la prescription sur des molécules plus récentes, suite à ce rapport de l’assurance maladie…
M. Noël Renaudin : Nous manquons cruellement d’un dispositif crédible d’aide à la prescription. Le système français est le meilleur du monde en matière d’évaluation et de mise sur le marché des médicaments. C’est le plus rationnel. C’est aussi le seul qui permette d’éviter les me too, qui peuvent atteindre, voire dépasser, le prix des médicaments déjà existants ; le code de la sécurité sociale ne le permet pas. Mais notre système est radicalement insuffisant, une fois que les médicaments sont là, pour que la prescription soit rationnelle.
La raison en est à la fois historique, culturelle et réglementaire. La France a adopté un système d’assurance maladie universelle, dans lequel personne ne paie. On ne veut pas que les médecins soient responsabilisés financièrement sur leurs prescriptions. Dans d’autres pays, ceux-ci ont des enveloppes, l’accès aux spécialistes est long, les restes à charge peuvent être élevés pour les assurés, et les uns et les autres sont sensibilisés aux prix. En France, lorsque vous allez chez le médecin, vous savez qu’il ne sera pas empêché de vous prescrire le meilleur médicament, sous prétexte qu’il a déjà atteint la limite de son budget. Et c’est une bonne chose. Reste qu’il nous manque une mécanique médico-économique d’orientation de la prescription chez les médecins.
Aujourd’hui, nous disposons d’un certain nombre d’instruments d’ordre médical, comme les fiches de transparence qui indiquent que, dans telle situation pathologique, il faut tel ou tel médicament, tel ou tel cheminement thérapeutique. C’est plutôt bien fait. Nous disposons aussi d’un début d’orientation d’ordre économique, lorsque la CNAMTS demande que les médecins prescrivent dans le répertoire. Mais ce n’est pas suffisant.
Notre système est très bien pour inscrire les médicaments qui ne sont pas meilleurs, ce qui permet de faire des économies ; il ne permet pas de payer les médicaments les plus innovants à un prix significativement différent de celui accepté dans les autres pays de l’Union européenne. Mais nous n’avons pas de système médico-économique qui réponde à la question : les prix des médicaments étant ceux-ci, comment peut-on utiliser ces médicaments de façon rationnelle ? La seule institution qui en soit capable et qui ait la légitimité pour le faire est la HAS.
Voici un exemple pour illustrer mon propos : dans l’hypertension, la catégorie la plus moderne (le système rénine/angiotensine) est composée de deux classes de médicaments : les inhibiteurs d’enzymes de conversion, ou IEC, qui sont génériqués et qui coûtent 20 centimes par jour ; et les inhibiteurs de récepteurs à l’angiotensine II, les sartans, dont aucun n’est génériqué et qui coûtent deux ou trois fois plus cher que les IEC. Les sartans ont eu, à l’époque, une ASMR 3, qui était sans doute justifiée. En effet, 20 %, des patients qui consomment des IEC toussent de façon très désagréable, et les sartans évitent la toux. Toutefois, il existe aujourd’hui de très bonnes initiations au traitement qui se font directement par les sartans. Les médecins auraient tort de se gêner : ils sont sûrs que le traitement aura de l’effet sur l’hypertension et qu’en outre, le patient ne toussera pas. Mais qui peut dire aujourd’hui aux médecins : c’est mal de commencer par un sartan, il faudrait commencer par un IEC. Je ne peux pas le dire. La CNAMTS non plus.
M. Jean-Marie Rolland : N’est-ce pas le rôle des délégués de l’assurance maladie (DAM) ?
M. Noël Renaudin : La CNAMTS n’en a pas la légitimité. Cela dit, les sartans seront bientôt génériqués. Il en est de même des statines et des inhibiteurs de la pompe à protons. S’il n’y avait que cela, demain, on pourrait dormir sur nos deux oreilles, mais ce n’est évidemment pas le cas, et la dépense de médicaments ne baisse pas. En effet, alors que ces grandes classes de médicaments décroissent, le marché s’enrichit de médicaments horriblement coûteux, des médicaments de « niches », pour des populations cibles assez restreintes.
Notre système consiste à séparer, au niveau de la HAS, et sur des critères purement médicaux, ce qui apporte quelque chose, de ce qui apporte significativement quelque chose – et dont l’absence entraînerait une perte de chances inacceptable pour un groupe de malades – et de ce dont on pourrait éventuellement se passer. Néanmoins, une fois cela fait, on n’a plus de liberté sur le prix.
Il faudrait que quelqu’un puisse dire : à ce prix-là, nous demandons que vous, médecins, réserviez la prescription à telle sous partie de la population cible. On ne peut pas faire autrement. Mais c’est beaucoup plus difficile.
Autre exemple exagérément simple : nous dépensons 400 millions d’euros en érythropoïétine, utilisée pour compenser certains dégâts de la chimiothérapie ou pour les dialyses. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire que ce n’est pas un bon médicament, mais il y a peut-être quelque chose à dire sur les taux au-dessous desquels il est légitime d’en prescrire, et au-dessus desquels il serait légitime d’attendre. On voit bien que ce n’est pas la CNAMTS qui peut le dire. Il faut que cela soit dit par des personnes ayant une légitimité et une responsabilité médicales pour le faire. La loi va peut-être le préciser, mais je pense qu’un des enjeux importants de la période qui vient sera que la HAS fasse la promotion, non pas du bon usage du médicament, mais de son usage rationnel.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je rejoins M. Jean-Marie Rolland et sa remarque sur les délégués de l’assurance maladie. Il y a un an et demi, ils avaient été désignés pour surveiller une des classes de statines, le Crestor, un des médicaments beaucoup plus cher…
M. Noël Renaudin : Non, le Crestor coûte exactement le même prix que la simvastatine générique. Le Comité économique des produits de santé applique les orientations des ministres.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Vous avez sans doute raison. Le risque était que les médecins aillent immédiatement au plus fort dosage, qui était évidemment plus cher. Et les DAM avaient pour mission de faire de l’information auprès des médecins.
M. Noël Renaudin : La Commission de la transparence s’était prononcée sur le Crestor. Le dosage le plus élevé devait être peu utilisé. Il faut savoir que le Crestor a été inscrit en deux temps : dans un premier temps, on a inscrit un dosage élevé, pour une population très restreinte, avec un contrat bien ficelé entre l’entreprise et le CEPS ; dans un second temps, est arrivé le Crestor 5 mg, qui est devenu une statine de plein exercice, comparable aux autres, utilisable sans risque à la place des autres. Et c’est ce dosage à 5 mg dont nous avons fixé le prix, conformément aux orientations du ministre, au prix de la simvastatine générique.
Je suis totalement indifférent au fait que les médecins prescrivent du Crestor ou du Zokor substitué par la simvastatine. Je préfère même qu’ils prescrivent du Crestor, car c’est l’équivalent d’une substitution à 100 %. Un petit débat est né entre l’assurance maladie et nous-mêmes. Chaque position se défend. L’assurance maladie a une préférence pour le générique. À prix égal, je n’en ai pas.
M. Pierre Morange, coprésident : Si je comprends bien, vous êtes relativement serein s’agissant de ces grandes classes de molécules qui vont tomber dans le domaine public. Avez-vous pu établir une prospective des économies générées potentiellement sur les cinq prochaines années ? Je ne vous demande pas l’information tout de suite, mais il serait utile que vous nous fournissiez des éléments assez précis sur le sujet.
S’agissant des thérapeutiques onéreuses, quelle stratégie est envisagée, notamment au niveau européen ? Les populations cibles sont peu nombreuses sur le sol national, mais la dépense pourrait être mutualisée sur le plateau continental européen, d’autant qu’il s’agit de populations solvables, ce qui permettrait de faire baisser le prix des produits.
M. Noël Renaudin : Je pense que c’est le marché qui décidera. Cela étant, notre stratégie consiste à dire et à redire en France et à l’étranger aux entreprises multinationales qu’elles sont sur une voie impossible et qu’elles vont devoir changer de modèle. Certaines commencent à s’en rendre compte et à faire ce que nous disons depuis un certain temps : les grands pays développés, qui ont fait la fortune des entreprises de médicaments depuis trente ans, commencent, sans exception, à toucher le plafond. Et ce d’autant plus vite qu’aux États-Unis, l’inégalité d’accès à ces médicaments innovants devient un vrai problème. Le jour où les Américains, qui ont été la principale ressource de l’industrie pharmaceutique, vont ressentir la nécessité de faire accéder les plus pauvres ou les personnes âgées aux médicaments innovants, ils ne pourront pas les payer à ces prix-là. Et alors, il me semble inévitable que les prix s’assagiront.
M. Pierre Morange, coprésident : Le marché est donc adossé à la solvabilité des puissances occidentales, solvabilité qui est plafonnée. Ne pourrait-on pas envisager la création d’une dynamique occidentale ou européenne, qui anticipe cette évolution inéluctable du marché et qui, jouant sur les volumes, fasse baisser les coûts, ce qui bénéficierait au plus grand nombre de patients ? Car les médicaments innovants, très onéreux, représentent tout de même des chances de vie.
M. Noël Renaudin : Je crois que c’est trop tôt. Les grands pays d’Europe du Nord ne fixent pas les prix. Ils ont tort et je pense qu’ils y viendront, mais, pour l’instant, ils résistent. Nous n’avons donc pas d’interlocuteurs dans ces pays-là. Nous ne pouvons pas nous adresser aux Italiens, parce qu’il faudrait discuter avec toutes les régions italiennes. Nous pourrions discuter avec les Espagnols, et nous avons commencé à le faire, mais cela ne va pas très loin.
Cela dit, la France a tout de même une influence sur le niveau général des prix. En effet, les entreprises peuvent très difficilement se passer d’elle pour de tels produits. Nous ne pesons que 5 % ou 6 % du marché mondial, un peu plus pour les produits très chers parce que nous avons un système généreux. Néanmoins, c’est d’autant plus intéressant pour les entreprises qu’un certain nombre de pays suivent ce qui se passe en France et s’en inspirent pour fixer les prix de remboursement.
D’une certaine manière, donc, la France pèse sur les prix. Mais je ne pense pas que nous puissions le faire en nous entendant avec nos collègues.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Nous avions beaucoup d’autres questions que nous allons vous adresser. Merci beaucoup.
*
Audition de M. Jean-Martin Cohen Solal, directeur général adjoint de la Fédération nationale de la mutualité française, Mme Laure Lechertier, responsable du département politique du médicament, et M. Vincent Figureau, responsable du département relations extérieures.
M. Pierre Morange, coprésident : Madame, messieurs, bienvenue à l’Assemblée nationale.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Merci d’avoir répondu à notre invitation. Pensez-vous que l’admission des médicaments au remboursement est suffisamment sélective ? De votre point de vue, la franchise de 50 centimes sur le prix des médicaments aura-t-elle un impact positif sur le volume de produits consommés ? Risque-t-elle de créer une inégalité dans l’accès aux soins ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Merci de nous avoir invités. Je vous prie d’accepter les excuses de M. Daniel Lenoir, qui a eu un empêchement de dernière minute.
Le sujet du médicament nous préoccupe et notre fédération y travaille depuis de très longues années. Le poste « médicament », pour les mutuelles que nous représentons, est le premier poste de dépenses, soit 34 % de celles-ci. Si cette proportion est stable, son volume croît chaque année de 5 %. C’est donc un sujet majeur, en termes à la fois quantitatifs et qualitatifs.
Depuis très longtemps, la mutualité communique sur le médicament. Nous avons été les premiers à parler des génériques. Cela paraissait assez étonnant à l’époque, on s’interrogeait même sur notre légitimité à en parler comme sur l’intérêt des génériques. Or il y a deux jours, un sondage a révélé que, maintenant, 80 % des Français y sont favorables.
S’agissant de l’admission des médicaments au remboursement, la mutualité a proposé, lors de son congrès de Toulouse en 2003, la création d’une haute autorité de santé. Nous avons donc été très été satisfaits de sa création par la loi du 13 août 2004. Nous attendions, avec les autres organismes chargés du médicament, que cette Haute Autorité de santé (HAS) procède à un classement et donne un avis très précis sur la nécessité ou non d’admettre le remboursement. Nous avons regretté que le Gouvernement ne suive pas les avis de la HAS jusqu’au bout et maintienne un remboursement minimum pour certains médicaments à service médical rendu insuffisant ; il s’agissait des veinotoniques. La mutualité, qui représente 38 millions de personnes protégées, a pris alors une décision collective consistant à ne pas rembourser les médicaments remboursés à hauteur de 15 %, les médicaments à vignette orange. Elle suivait en cela l’esprit de la recommandation de la HAS. Cela a provoqué une forte baisse de la prescription, donc de la consommation de ces médicaments en 2006 et 2007.
Pour nous, il est effectivement important que la HAS puisse faire un choix et donner un avis sur l’utilité médicale majeure de tel ou tel produit pharmaceutique. Le poste du médicament croît tous les ans de façon importante. La presse évoque presque quotidiennement le problème de la surconsommation des médicaments en France. Il vaudrait mieux utiliser ces sommes importantes à des médicaments vraiment innovants et vraiment efficaces. Pour cela, nous faisons confiance aux organisations qui sont chargées de le faire.
Nous nous inquiétons de toutes les manœuvres de contournement comme les me too, de l’insuffisance de développement de la politique du générique – même si cela a beaucoup évolué – et de la politique des marges arrières qui nous semble contestable. Un rapport d’IMS Health a montré, la semaine dernière, que la différence de prix des médicaments génériques par rapport aux médicaments princeps n’était pas supérieure à 40 % en France contre 60 à 80 % dans les pays scandinaves probablement, en particulier, à cause des marges arrières. On peut donc aller plus loin dans la politique du générique, ce qui permettrait de consacrer le juste prix aux médicaments.
Nous disposons d’un tableau qui, en tant que professionnel de santé, me paraît intéressant. Il est fait sur la base de molécules phares. S’agissant des antiulcéreux, la différence de prix entre le Mopral princeps – 28 comprimés de 20 mg – et l’Oméprazol générique – 28 comprimés de 20 mg – est de 41,5 %. C’est la même molécule et l’efficacité thérapeutique est la même. Cela représente des sommes non négligeables, qui devraient être mieux utilisées dans le système de santé. Le cas des statines est encore plus marquant : entre le Tahor, le plus prescrit et le plus cher, et la prévastatine en générique, sous une même présentation et le même conditionnement, la différence est de 61,5 % : 37,81 euros et 14,57 euros. Je pourrais vous laisser ce tableau, s’il vous intéresse. Il porte sur des médicaments totalement comparables en termes d’efficacité, sinon des génériques purs. Des économies non négligeables pourraient donc être réalisées, sans diminuer en rien la qualité de la santé publique.
La mutualité a clairement exprimé son opposition au principe même des franchises. Nous estimons que ce n’est pas une bonne solution. Quant à la fixer à 50 centimes par boîte de médicament, cela nous semble étonnant à plusieurs titres.
Premièrement, ce n’est pas l’assuré qui décide de la prescription, c’est le médecin. J’exerce encore comme médecin libéral, je fais des ordonnances, je prescris et je choisis les médicaments pour le patient.
Deuxièmement, l’idée de la franchise est de responsabiliser financièrement le patient en disant que ce dernier va se rendre compte du coût du médicament et qu’il va réfléchir. Mais le prescripteur connaît-il lui-même le coût du médicament qu’il indique sur l’ordonnance ? Je veux bien faire le pari que non. On peut faire l’effort et chercher sur le Vidal le prix du médicament, mais ce n’est pas spontané. Jamais on ne responsabilise le prescripteur sur le prix des médicaments, des analyses ou des examens. Plutôt que de culpabiliser le patient sur la consommation de médicaments, on ferait mieux de sensibiliser le prescripteur à son rôle économique.
Plus généralement, à la mutualité, nous pensons que le corps médical dans son ensemble n’intègre pas suffisamment le fait qu’il est aussi un acteur économique. Quand on fait une prescription, quelle qu’elle soit, on génère une dépense sur des fonds collectifs ou sur des fonds privés, souvent mutualisés. Cette prescription a donc un coût que la collectivité subit. Il ne semblerait pas aberrant d’aller vers des modes de prescription qui permettent au prescripteur de le percevoir. Je pense notamment à des logiciels d’aide à la prescription.
M. Pierre Morange, coprésident : Le principe de la mention du prix des médicaments dans les logiciels d’aide à la prescription a été inscrit, par voie d’amendement, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2008. Cette disposition sera définitivement adoptée après le vote de la Haute assemblée.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Nous avions bien noté que c’était l’un des points positifs du PLFSS 2008 voté, en première lecture, par l’Assemblée nationale. Si l’on veut, en effet, que les logiciels d’aide à la prescription soient efficaces, il faut faciliter la vie des médecins et intégrer les prix dans les logiciels. Sinon, ce sera un vœu pieux.
M. Pierre Morange, coprésident : Ce n’est pas un vœu pieux, si on se réfère au texte du PLFSS. De toute façon, le dispositif s’inscrira dans le cadre de logiciels qui devront être certifiés.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : En dernier lieu, de nombreuses dépenses de médicaments sont réglées en tiers payant. Lorsque l’assuré ira à la pharmacie, il ne paiera pas la franchise, qui sera seulement imputée sur ses remboursements futurs. Pour que cette franchise soit perceptible, il faudrait supprimer le tiers payant, ce qui serait un recul social et technique. Enfin, en cas de traitements répétitifs, la franchise peut représenter un coût non négligeable de 50 euros par an, et la mesure peut alors être vécue, en effet, comme source d’inégalité.
M. Pierre Morange, coprésident : Faites-vous la même analyse s’agissant du forfait hospitalier ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : À l’origine, le forfait hospitalier a été instauré pour compenser les dépenses de bouche des patients hospitalisés. Puis le système a dévié. Son montant a tellement augmenté qu’on ne peut soutenir aujourd’hui qu’il ne sert qu’à compenser les dépenses de bouche.
Nous craignons que la franchise ne subisse le même sort. En effet, si la loi l’a instituée, elle n’en a pas fixé le montant, qui est d’ordre réglementaire ; et nous avons peur que, par la suite, on utilise ce mécanisme pour remplir les caisses de l’assurance maladie.
M. Pierre Morange, coprésident : Je considère que le forfait hospitalier, qui a connu des augmentations conséquentes, n’est plus pertinent. Il faut plutôt considérer le reste à charge. Je pense notamment aux personnes âgées dépendantes accueillies en établissements d’hébergement. En effet, il n’y a aucune prise en charge, ce qui pose le problème de l’inégalité d’accès aux soins.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : On peut craindre la multiplication de ces mesures.
M. Pierre Morange, coprésident : Il faudrait que les principes républicains d’équité et d’égalité d’accès aux soins soient préservés.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : En outre, la franchise n’est pas structurante. Elle ne modifie pas l’organisation du système de soins, ni du médicament. Ce n’est qu’une mesure comptable.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Elle ne répond pas non plus aux problèmes d’excès de consommation de médicaments et de mauvais encadrement de la prescription. Une telle mesure ne s’inscrit pas dans une vision de la politique de maîtrise des dépenses de médicaments. Nous constatons que celle-ci est aujourd’hui quasiment inexistante.
Nous constatons également une disparité au niveau organisationnel : trois instances différentes, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), la Haute Autorité de santé (HAS) et le Comité économique des produits de santé (CEPS), et par ailleurs, des pouvoirs de négociation conférés aux nombreux industriels, d’où parfois un manque de cohérence dans l’accès au marché des médicaments.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons bien compris votre position, mais l’objet de la MECSS est bien de veiller à la rationalisation de l’utilisation des deniers publics dans le domaine sanitaire et social et de préserver ces conditions d’accès républicain. Sa composition paritaire lui permet de s’exonérer de prises de position politiques. On y prend acte des positions de chacun, mais ce n’est pas une tribune.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : L’objectif des franchises, auxquelles je suis opposée, est tout de même de réduire la consommation de médicaments, dès lors qu’ils sont pris en charge par l’assurance maladie. Cependant, on remarque que, dès lors qu’ils ne sont plus remboursés, on en facilite l’accès. Pourtant, ainsi que Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, l’a répété dans l’hémicycle, il y a la volonté de favoriser la vente des médicaments devant le comptoir des pharmacies, quasiment en libre-service. Voilà la réalité.
Quel regard la mutualité porte-t-elle sur la formation continue des médecins ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : La formation initiale en matière de thérapeutique courante est notoirement insuffisante. La formation médicale continue, malgré un certain nombre de textes allant dans le bon sens, n’a pas pris l’essor qu’elle aurait dû avoir dans un pays comme le nôtre. La place prise par l’industrie pharmaceutique compense, de facto, un manque de formation médicale continue organisée et cohérente.
Il est inévitable que l’industrie pharmaceutique fasse en sorte de développer la vente de ses produits. Selon les chiffres récents de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), 25 000 euros sont dépensés par généraliste, chaque année, pour la visite médicale, laquelle mobilise 23 000 visiteurs médicaux. Au total, c’est une somme de 3 milliards d’euros qui est dépensée pour la visite médicale, ce qui est sans commune mesure avec les pays voisins. Cela est dû notamment au fait que la formation médicale continue est mal organisée.
Quelles en sont les raisons ?
La mutualité française considère que le mode d’exercice libéral des médecins et le paiement exclusif à l’acte ne favorisent pas la formation médicale continue. En outre, on n’aide pas les médecins à se former régulièrement. Pour eux, avoir accès aux dernières données de la science demande un effort important. Il est beaucoup plus simple qu’un visiteur médical vienne les leur exposer, entre deux patients. Cela s’intègre facilement à leur quotidien.
On ne pourra pas isoler ce problème de la formation médicale continue si l’on ne prend pas en compte l’organisation générale du système. Le président de la mutualité a regretté que la médecine libérale en France soit toujours organisée selon la Charte de 1927, alors que la médecine a fondamentalement évolué. Moi-même, je me suis aperçu que, depuis trente-quatre ans que je suis sorti de la faculté, s’agissant d’une pathologie simple comme celle de l’ulcère de l’estomac, les diagnostics avaient changé plusieurs fois et les thérapeutiques avaient été profondément modifiées. Face à une telle évolution, un médecin, seul dans son cabinet, a du mal à s’informer. Rien n’est fait pour le favoriser. Il faudrait donc que les organismes publics, notamment la HAS, dont c’est l’une des missions, fassent davantage pour améliorer la formation médicale continue. La HAS doit faire en sorte que les informations des guides de bonne pratique qu’elle diffuse soient aisément assimilables et intégrables dans le quotidien des médecins ; les schémas thérapeutiques doivent être simples et compréhensibles.
M. Pierre Morange, coprésident : Le réseau mutualiste a décidé collectivement de ne pas rembourser certains médicaments. Quelle a été l’incidence financière de ces mesures sur la comptabilité de la mutualité française en termes d’économies ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Si les mutuelles avaient décidé de rembourser les médicaments à 15 %, elles auraient dû augmenter leurs cotisations de deux points.
M. Pierre Morange, coprésident : J’ai du mal à comprendre ce raisonnement, sachant que ces médicaments étaient auparavant remboursés à 35 %.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Plus précisément, faire passer le remboursement de ces médicaments de 35 % à 15 % ou 20 % aurait abouti à une augmentation des cotisations de deux points.
Ce choix a été difficile à expliquer à nos adhérents. Il nous a fallu faire beaucoup d’efforts de communication, notamment au sein de la presse mutualiste, pour leur faire comprendre pourquoi nous ne remboursions plus ces médicaments. Nous leur avons dit que nous suivions en cela les avis de la Haute Autorité de santé.
Ce que l’on a pu faire pour les médicaments, à 15 %, ceux à vignette orange, n’est pas possible pour les médicaments à 35 %, à vignette bleue. En effet, les organismes d’assurance complémentaire ne connaissent que les pourcentages de remboursement et ne peuvent pas faire un tri entre les médicaments à service médical rendu insuffisant (SMRI) et à SMR important.
Mme Laure Lechertier : En fait, vous nous interrogez sur l’impact de ces mesures administratives sur le ticket modérateur. Nous avons fait un tableau récapitulatif sur 2006, qui permet de constater les économies réalisées : 267 millions d’euros grâce au déremboursement de certains médicaments à SMRI ; 41 millions d’euros, grâce à la baisse du taux de remboursement et à une baisse de prix de 12 %, etc. Tout cela rentre dans une gestion dynamique du panier de soins, en vue de financer des thérapeutiques de qualité.
M. Pierre Morange, coprésident : L’économie de 300 millions d’euros réalisée par la mutualité au travers de mesures de déremboursements a-t-elle porté exclusivement sur le médicament ou sur une prise en charge plus globale sur les frais d’optique, les frais dentaires ou autres ? Est-ce que ces économies étaient proportionnelles aux pourcentages de dépenses que vous avez évoqués ? Est-ce que le poste des médicaments, qui représente 34 % de vos dépenses, a donné lieu à des économies à hauteur de 34 % de ces 300 millions d’euros ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Les dépenses ne sont pas affectées de cette façon-là. Parallèlement, il y a eu des baisses de remboursement des médicaments à 35 %, et de nouvelles charges sur les mutuelles. Globalement, l’augmentation des dépenses des mutuelles suit l’augmentation des dépenses de santé de l’assurance maladie obligatoire. En l’occurrence, c’est l’augmentation des cotisations qui a pu être ainsi modulée.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : L’analyse que je vais développer pour le déremboursement des veinotoniques vaut pour les déremboursements d’autres classes. On sait que le déremboursement des veinotoniques s’est traduit par un transfert sur la contention, qui est dans la classe des dispositifs et non des médicaments. Je ne le regrette pas, car la contention est bien plus efficace que les veinotoniques. Avez-vous pris en compte ce transfert ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Non ! Certaines mutuelles prennent en charge les bas de contention, d’autres non. Effectivement, il y a eu un transfert, mais, objectivement, les dépenses de moyens de contention ne sont pas du tout du même niveau que les dépenses de veinotoniques. Comme nous ne disposons pas de données suffisamment fines, nous n’avons pas pu chiffrer ce transfert.
On a dit aussi que ce déremboursement avait provoqué une augmentation de la consommation d’autres médicaments, comme les antalgiques. Mais, là encore, nous sommes incapables d’apprécier s’il y a bien eu un transfert ou si, tout simplement, nous sommes face à un phénomène culturel, celui des Français vis-à-vis du médicament. Dans son discours au Sénat, le Président de la République a rappelé que 90 % des visites chez le médecin en France se terminent par une ordonnance, contre 40 à 60 % dans les pays du Nord : 40 % aux Pays-Bas.
On peut enfin penser que, face aux problèmes de jambes lourdes, l’exercice physique, la contention, le fait de surélever les pieds, sont souvent au moins aussi efficaces que des médicaments.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez dit que la baisse du remboursement à 15 % des médicaments à 35 % se serait traduite pour vous par une augmentation des cotisations de deux points. Confirmez-vous les chiffres du rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, qui s’était penché sur le système assurantiel en général ? Celui-ci évoquait le haut niveau de l’assurance obligatoire français et remarquait que le transfert d’un point d’assurantialité obligatoire sur les complémentaires se traduirait par une augmentation de 4 % des primes de ces complémentaires.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est le rapport que nous avons effectivement en tête. C’est le débat qui aura lieu sans doute dans les prochains mois sur la répartition régime obligatoire/complémentaires.
M. Pierre Morange, coprésident : C’est vous qui avez fait ce calcul ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Non, ce sont les services du Haut conseil.
M. Pierre Morange, coprésident : La philosophie est différente, entre les complémentaires et le régime obligatoire qui prend en compte la réalité sanitaire et ne fait pas de sélection.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est tout le débat sur le rôle des complémentaires, qui sont des assurances santé de droit privé, avec des contrats différents et des risques importants de transfert de l’obligatoire vers le complémentaire. La mutualité pourra contribuer à ce débat.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : On sait que des médecins travaillent dans les centres de soins de la mutualité. Comment est assurée leur formation continue ? Est-elle différente de celle des médecins libéraux, seuls dans leur campagne ou dans leur cabinet et qui ont du mal à s’informer ? Les médecins de la mutualité ont-ils d’autres comportements lorsqu’ils font des prescriptions ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est une très bonne question. Dans les établissements mutualistes, nous faisons en sorte de privilégier une formation de meilleur niveau, en équipe, et avec une dimension médico-économique. Pour nous, la santé publique passe par une adéquation des moyens aux besoins. Le fait d’intégrer des données médicales et économiques pour mieux utiliser des ressources collectives consacrées à la santé doit faire partie de la base de la réflexion du corps médical.
Sans que ce soit parfait, nous essayons de faire des efforts pour dégager du temps et des moyens afin de former les médecins. Nous essayons également de faire passer des informations spécifiques aux médecins mutualistes. Néanmoins nous n’avons pas d’éléments fiables montrant que la prescription est très différente dans les établissements mutualistes. Quoi qu’il en soit, l’effort de formation est intégré dans l’exercice. Nous nous sommes notamment battus pour que les médecins fassent des prescriptions de génériques ou en dénomination commune internationale (DCI).
M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez évoqué les marges arrière. La mutualité a-t-elle mené des réflexions ou fait des propositions sur ce sujet ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Nous considérons comme particulièrement choquantes les marges arrière sur les génériques, tout comme les remises sur un certain nombre de médicaments. Il y a une certaine opacité s’agissant du calcul du prix des médicaments. Le système des marges arrière est aberrant. J’ai d’ailleurs noté que le Président de la République s’était prononcé pour leur suppression dans la grande distribution ; je pense qu’il visait le principe même des marges arrière. Cela me semble la bonne attitude et j’espère qu’elle concernera aussi le domaine du médicament.
Nous avons constaté, concernant les marges arrière pour les génériques, qu’il devait y avoir une limite de 15 % ; qu’il devait y avoir un contrôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), mais qu’un moratoire avait été institué. Nous souhaitons que ce moratoire soit levé et, surtout, qu’on aille vers la suppression du système des marges arrière. Ce dernier explique en partie, à notre sens, que la différence de prix entre les médicaments princeps et les médicaments génériques en France ne soit pas aussi importante que dans d’autres pays.
Nous souhaitons donc que l’on revienne sur le problème des marges arrière.
M. Pierre Morange, coprésident : Pour les génériques ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Oui, car il faut qu’il y ait une vérité des prix et que la baisse des prix, notamment des génériques, bénéficie au consommateur.
Il en est de même des remises de prix, qui bénéficient à l’assurance maladie obligatoire, mais pas aux complémentaires, ni à l’assuré. C’est un problème de vérité des prix du médicament.
Mme Laure Lechertier : Nous ne souhaitons pas voir se développer les mécanismes qui déconnectent un prix facial d’un prix réel.
M. Jean-Martin Cohen-Solal. Nous souhaitons une vraie transparence des prix, et que les payeurs paient le prix réel.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Il faut rappeler l’historique des marges arrière et la volonté de favoriser la pénétration des génériques. Certes, il convient de revenir sur les marges arrière qui ont forcément une incidence sur le prix des génériques, mais cela doit se faire obligatoirement avec la prescription en DCI.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est notre position depuis plusieurs années. Cela nous ramène à notre propos sur la formation médicale initiale et continue. Il est exact que les médecins n’ont pas appris la prescription en DCI. Les professionnels de santé ont en tête des noms de produits ; il faut leur mettre en tête des noms de DCI, ce qui est tout de même plus simple. Vous avez donc raison, et je pense que le mouvement prendra progressivement de l’ampleur, tout comme pour les génériques.
M. Pierre Morange, coprésident : Cela nous ramène à la réflexion sur les logiciels d’aide à la prescription, qui sont devenus indispensables.
Mme Laure Lechertier : Avec une base de données publique, permettant cette prescription directe, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Ces logiciels devraient permettre à la fois la prescription en DCI et le calcul des coûts.
M. Vincent Figureau : Vous avez évoqué l’avancée permise par l’Assemblée nationale sur la DCI. Cependant cette avancée avait déjà eu lieu dans la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire sur le médicament du 26 février 2007. C’était d’ailleurs la résultante d’une de nos propositions qui avait été reprise par la rapporteure de l’Assemblée nationale, Mme Cécile Gallez, adoptée à l’unanimité et conservée ensuite au Sénat. Par ailleurs, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté hier un amendement mettant en place une banque de données publique sur le médicament. Nous nous en réjouissons, car c’était, là encore, une de nos propositions.
M. Jean-Martin Cohen-Solal : Je veux préciser que nous publions des documents sur le médicament, ainsi qu’un certain nombre de rapports. Nous envoyons également tous les ans à nos responsables et aux élus un mémento du médicament.
En conclusion, je m’étonne qu’aujourd’hui, malgré toute l’information diffusée sur les problèmes de surconsommation en France, on ait du mal à passer vraiment à l’acte. Il serait bon qu’il y ait quelque contrôle s’agissant du lobby pharmaceutique. Dans le domaine de la formation continue et de la visite médicale, les médecins n’ont pas de contre-pouvoir pour s’opposer aux laboratoires, qui font par ailleurs leur métier. Nous souhaitons qu’il y ait de plus en plus de médicaments innovants. La mutualité n’est pas contre l’industrie pharmaceutique, contrairement à ce qui a été dit. Simplement, il faut consacrer la juste ressource aux médicaments innovants et à la recherche, aux dépens, notamment, de la promotion. Nous souhaitons également que les élus prennent des décisions pour modifier vraiment la politique du médicament en France, qui a besoin d’être modernisée.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelle est votre position sur les délégués de l’assurance maladie ?
M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est une bonne chose, même si j’ai lu dans le compte rendu de votre audition du directeur de la CNAMTS, qu’il en est prévu 950 pour la fin de 2007, alors qu’il y a 23 000 visiteurs médicaux.
Dans le mode de fonctionnement des professionnels de santé, le contact humain est beaucoup plus simple que le contact écrit. Reste à savoir si, aujourd’hui, l’assurance maladie a les moyens d’affecter autant de personnes pour aller discuter avec ces professionnels.
La formule permet également aux médecins de mieux comprendre l’assurance maladie, qui n’est pas leur adversaire, et d’améliorer, de façon générale, les relations entre les payeurs et les professionnels de santé. On ne fera évoluer le système que s’ils parviennent à travailler ensemble.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous avions encore toute une série de questions à vous poser, que nous nous permettrons de vous adresser prochainement. Je vous remercie.
*
Audition de M. le Professeur Robert Nicodème, membre du Conseil national de l'Ordre des médecins, vice-président de la section formation et compétences médicales.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : En effet, notre mission se penche sur le problème du médicament en France. Et c’est à dessein que je parle de « problème » car nous savons bien qu’il existe, en particulier par rapport à nos voisins européens, une hyperconsommation qui a des conséquences sur les comptes de la sécurité sociale. Le but de cette étude est donc d’en comprendre les raisons pour, si possible, trouver des solutions.
Nous tenions tout particulièrement à auditionner l’Ordre des médecins – le tour de l’Ordre des pharmaciens viendra bientôt –, tout simplement parce qu’ils sont les principaux prescripteurs de médicaments.
Pourriez-vous en premier lieu nous indiquer quelle est la durée moyenne d’une consultation chez un médecin généraliste ?
M. Robert Nicodème : Je suis particulièrement sensible à votre invitation et il est particulièrement intéressant pour un médecin qui a plus de trente années d’expérience de parler devant vous du médicament.
En moyenne, les médecins généralistes effectuent trois à quatre consultations par heure. Leur activité est de vingt consultations par jour, cinq jours par semaine.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : J’avais pour ma part entendu parler d’une durée de sept minutes pour une consultation…
M. Robert Nicodème : Les données varient considérablement en fonction des territoires. S’il est facile d’établir une moyenne nationale grâce aux données de l’assurance maladie, on se rend compte que dans certaines régions de moindre densité médicale, on arrive jusqu’à 40 ou 50 consultations par jour.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Savez-vous combien, toujours en moyenne, les médecins reçoivent de visiteurs médicaux chaque année ?
M. Robert Nicodème : Non et j’ignore si quelqu’un le sait. Il est vrai que le nombre de visites est important, mais les médecins savent les réguler eux-mêmes : ils reçoivent deux ou trois visiteurs par semaine ou un par jour, en début de consultation. Néanmoins il faut aussi savoir que les laboratoires ont recours à des visiteurs différents pour présenter les mêmes médicaments.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les généralistes sont-ils confrontés à des difficultés dans leur formation continue ? Le Conseil de l’Ordre s’est-il penché sur cette question ? Pouvez-vous nous présenter un tableau de cette formation et des voies choisies par les médecins libéraux ?
M. Robert Nicodème : Les ordonnances Juppé de 1996 avaient prévu la mise en place d’un Conseil national de la formation médicale continue (FMC), mais celui-ci a fait long feu en raison de problèmes de financement et de difficultés à trouver des référents.
La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a institué trois conseils nationaux : un pour les médecins libéraux, un autre pour les médecins salariés et un troisième pour les médecins hospitaliers. Ils doivent être chapeautés par un comité de coordination, mais nous attendons toujours les décrets d’application pour mettre en place les conseils régionaux de la FMC, qui seront adossés aux conseils régionaux de l’Ordre, ce dernier en assurant le financement.
L’objectif est d’améliorer la formation médicale continue et l’évaluation des pratiques professionnelles, qui seront obligatoires dès le début de l’année prochaine pour chaque médecin, qu’il soit libéral, salarié ou hospitalier.
M. Jean Mallot, coprésident : Comment sont déterminées les priorités en matière de formation ? On comprend que les médecins souhaitent eux-mêmes se former dans un certain nombre de domaines, mais la puissance publique, y compris l’Ordre des médecins, doivent aussi pouvoir faire passer leur priorité au sein du système de formation.
M. Robert Nicodème : Les priorités varient selon les spécialités. Globalement, il faut veiller à l’actualisation des connaissances en matière de diagnostic et de thérapeutiques, qu’il s’agisse d’inciter à renoncer à certaines techniques de prise en charge qui n’ont pas véritablement prouvé un bénéfice pour le patient ou qui ont été à l’origine d’effets indésirables, ou de mettre en place de nouvelles activités et de nouveaux modes de prise en charge.
Bien évidemment, les priorités concernent aussi le médicament.
M. Jean Mallot, coprésident : Peut-on imaginer que les autorités qui ont en charge ce secteur décident que, pour une période donnée, la formation des médecins se concentrera sur tel ou tel aspect, par exemple pour les amener à modifier leurs habitudes de prescription ?
M. Robert Nicodème : La prescription de médicaments évolue. Par exemple, la prescription des nouveaux anti-inflammatoires connus sous le nom de Coxibs a été complètement modifiée après la mise en évidence d’événements indésirables. De même, à la suite de l’intervention de la Haute Autorité de santé (HAS), la stratégie thérapeutique a beaucoup évolué en ce qui concerne le traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause. Il s’agit bien là d’orientations ciblées.
S’agissant encore de la formation continue, on peut s’étonner que soient désormais appelées à coexister une formation continue conventionnelle, rémunérée au motif qu’elle correspond aux thèmes fixés par l’assurance maladie, et une formation continue obligatoire non rémunérée, bien qu’elle poursuive en fait les mêmes objectifs.
M. Pierre Morange, coprésident : Pourriez-vous nous indiquer concrètement à combien d’heures de formation correspondent ces FMC obligatoires et conventionnelles ? Ce qui nous intéresse est de savoir, au-delà des textes, quelle est la formation continue dont bénéficient effectivement les médecins sur le terrain.
J’aimerais aussi connaître votre sentiment sur les logiciels d’aide à la prescription.
M. Robert Nicodème : La durée de la FMC est codifiée par le Conseil national sous forme de crédits de formation. Je ne dispose pas ici des chiffres exacts mais je vous les ferai parvenir. Chaque médecin doit recevoir un certain nombre de ces crédits pour valider sa FMC obligatoire. Le système impose également une évaluation, collective ou individuelle, des pratiques professionnelles. Ces obligations ne sont pas très lourdes.
M. Pierre Morange, coprésident : Au-delà du montant des crédits de formation, ce qui nous intéresse est de savoir à quoi ils correspondent dans les faits, même si nous sommes conscients qu’il faut s’attendre à une montée en charge de ce nouveau dispositif.
M. Robert Nicodème : Ces informations existent et je vous les adresserai également.
Nous ferons par la suite l’évaluation de ce dispositif.
Il existe en effet des logiciels de prescription, dont le plus connu est édité par Vidal. D’autres logiciels jouent un rôle beaucoup plus précis et leur diffusion est plus confidentielle. C’est par exemple le cas de ceux qui calculent la dose de traitement d’antivitamine K et d’anticoagulant en fonction des résultats biologiques de la coagulation sanguine ou de ceux qui déterminent le risque cardio-vasculaire pour savoir s’il faut ou non traiter. L’ensemble de ces logiciels sont édités soit par le groupe Vidal soit par l’industrie pharmaceutique.
S’agissant plus particulièrement du médicament et de la prescription, j’observe que les structures en place travaillent toujours avec un temps de retard. Ainsi, l’industriel qui lance une nouvelle molécule mène des études rigoureuses au vu desquelles il demande une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne qui est ensuite validée par la France. De la sorte, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et la HAS étudient les programmes validés par les industriels mais elles-mêmes ne produisent aucune étude sur le médicament. Pourtant, pour rigoureuses qu’elles soient, ces études sont parfois éloignées de la vraie vie en ce qu’elles retiennent des critères d’exclusion importants, dans la mesure où, pour apprécier les états d’un médicament donné, il est légitime d’éviter les interférences. Or, dans la vraie vie les interférences sont fréquentes.
En ce qui concerne la toxicité du médicament, il existe un certain nombre d’événements indésirables. Reprenons l’exemple des Coxibs, qui ont été un des groupes de médicaments les plus vendus ces dernières années et qui ne le sont pratiquement plus, le dernier venant d’être retiré du marché. En fait, les évènements indésirables ont été observés, à un moment où le produit était déjà très largement utilisé, alors même que, pour un coût élevé, son service médical rendu (SMR) était comparable à celui des autres anti-inflammatoires.
N’oublions pas qu’il n’y a guère chaque année qu’un ou deux médicaments vraiment innovants mais qu’il en sort des dizaines qui appartiennent à des classes thérapeutiques existantes. Les centres de pharmacovigilance travaillent précisément à l’amélioration du service médical rendu (ASMR), qui est notée de 1 à 5, et je rends hommage au travail accompli à Toulouse par le professeur Montastruc, qui avait levé le lièvre des Coxibs deux ans et demi avant tout le monde.
Pour l’instant, aucun logiciel ne mentionne l’ASMR, alors que ce serait de nature à aider le prescripteur.
Ce qui gêne aussi le prescripteur c’est le trop grand nombre de médicaments par classe thérapeutique. Si l’on prend l’amoxicilline, pénicilline qui a été un grand progrès il y a plus de vingt-cinq ans et qui marche toujours très bien, il y en a plus de cinquante sur le marché. Les hôpitaux ont fait le ménage : au sein d’une classe, ils choisissent un seul produit. Dans le secteur libéral, on a les 50 amoxicillines et on demande aux médecins de faire le choix. Il me semble que, sans retirer pour autant les autres produits du marché, l’assurance maladie pourrait quand même décider que c’est tel médicament qui rend le meilleur service et qui a le meilleur rapport coût-efficacité. Un logiciel qui serait élaboré par une structure indépendante pourrait y aider.
Vous m’avez également interrogé sur l’articulation avec la HAS. Celle-ci marque incontestablement un grand progrès au plan professionnel : elle permet aux médecins de disposer de recommandations claires qui les aident. Cela étant, il en manque beaucoup. Par exemple quand on pose la question de savoir s’il faut donner des hypolipémiants pour faire baisser le taux de cholestérol chez les personnes de plus de 80 ans, personne n’apporte de réponse. Un grand nombre de patients concernés sont sous statines, avec une bonne efficacité sur le taux de cholestérol, mais quand on en discute de façon scientifique au plus haut niveau, personne n’est capable de dire si c’est ou non ce qu’il faut faire.
Même si l’on ne dispose pas de référence scientifique solide, il me semble que la Haute Autorité de santé pourrait donner une orientation, par exemple en disant que lorsqu’une personne va bien après 80 ans, même avec 3 grammes de cholestérol, il n’est pas nécessaire de la traiter. Cela apporterait une véritable aide et ferait diminuer la prescription de médicaments.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : On sait que les industries pharmaceutiques investissent chaque année environ 25 000 euros par médecin dans le cadre de la visite médicale. Pensez-vous que celle-ci est trop prégnante dans les cabinets ? Un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) est assez critique à l’égard de cette pratique ; c’est un sujet qui nous intéresse tout particulièrement et nous aimerions avoir votre avis à ce propos.
M. Robert Nicodème : Les grandes études scientifiques sur les médicaments sont faites par l’industrie. Les grands congrès mondiaux qui font autorité dans les spécialités n’existent que par l’industrie. Bien entendu, les visiteurs médicaux s’appuient sur ces références, c’est-à-dire sur les travaux réalisés par leurs entreprises et par les interventions favorables à leurs produits effectuées à l’occasion des congrès. Or, si les progrès sont indéniables, il est évident que le coût pourrait être beaucoup amélioré au bénéfice de l’assurance maladie.
On dit souvent que la prescription médicamenteuse est une prescription technique : il y a un examen, un diagnostic et l’on prescrit le médicament qu’il faut. Il n’y a donc là rien de magique. Pourtant, une revue sérieuse titrait récemment sur « l’art de transformer les perceptions en prescriptions »… On retrouve là toute la dimension non scientifique de la prescription médicale, qui correspond à une demande des patients, pour lesquels il y a en effet une part de magie ou d’irréel, ainsi qu’une représentation de la maladie et du médicament qui peuvent induire une demande. Et c’est peut-être ainsi que, lorsqu’une personne âgée est en pleine forme mais a un peu de cholestérol, le médecin est tenté de prescrire une statine. C’est là qu’intervient l’effet de la visite médicale, qui a montré tous les bénéfices que pouvait avoir un médicament donné, qui a donné un grand nombre d’arguments scientifiques que le médecin a, consciemment ou inconsciemment, intégré et transformé en prescription.
D’ailleurs la visite médicale marche très bien : plus il y en a, plus on prescrit. Qui plus est – on rejoint là la question sur la HAS –, il n’existe pas de contre-pouvoir à cette action de l’industrie pharmaceutique. Cela serait pourtant possible, par une meilleure articulation entre la HAS, l’AFSSAPS et le conseil scientifique de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Ainsi pourrait-on, si ce n’est produire des recommandations scientifiques, au moins aider les médecins en leur donnant des orientations dans les domaines qui ne sont pas scientifiquement démontrés. Ce serait une bonne chose et un logiciel pourrait y aider.
M. Pierre Morange, coprésident : On voit bien qu’il y a là un triptyque avec d’une part la recommandation sur la prescription médicale, et l’idée d’y intégrer le SMR, d’autre part la formation, à propos de laquelle vous constatez que l’on part d’assez bas, ce qui pourrait nous amener à formuler des préconisations, et enfin l’évaluation. Comment articuler ces trois idées afin d’être véritablement opérationnel en combinant satisfaction des besoins des patients et rationalisation des moyens ?
M. Robert Nicodème : La formation se met en place, les médecins se forment. On a d’ailleurs une médecine de soins habituels de très bonne qualité : la population est prise en charge et le tissu médical assume ses responsabilités à l’égard de la santé publique.
Il faut en fait distinguer trois types de formation. La première porte sur les connaissances pures et l’on peut regretter de ce point de vue que les référentiels ne s’appuient que sur les travaux des laboratoires, alors qu’ils pourraient aussi se fonder sur des groupes d’experts, pour peu qu’on les réunisse et qu’ils parviennent à des conclusions claires.
Le second type de formation porte sur l’activité du médecin dont le contenu doit progresser afin de mieux assurer son rôle de santé publique. Ainsi, compte tenu de la raréfaction de certains spécialistes, un généraliste doit se mettre à niveau en pédiatrie ou en gynécologie.
Le troisième niveau est celui de la coordination des soins, du travail en équipe : le médecin doit être capable d’organiser des soins, de demander des avis. C’est ce qui se fait déjà à travers les « groupes de pairs ».
Pour l’évaluation il est également nécessaire de comparer l’activité du médecin avec des référentiels quand il en existe ou avec celle de ses confrères qui se trouvent dans la même situation, c’est aussi le rôle des groupes de pairs.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quels pourraient être selon vous les contre-pouvoirs à la visite médicale des laboratoires ? Ce rôle pourrait-il être tenu par les délégués de l’assurance maladie, dès lors qu’on leur donnerait un autre cahier des charges, une autre mission et une autre formation ?
M. Robert Nicodème : C’est à tort que j’ai utilisé l’expression « contre-pouvoir », mieux vaut parler de : « autres références ».
Les délégués de l’assurance maladie font un excellent travail : ils constatent qu’un médecin consomme plus que les confrères de son secteur, qu’il prescrit plus de transports en ambulance ou plus de médicaments de tel ou tel type par rapport à la moyenne, mais ils n’apportent pas de références et leurs relevés des écarts d’activité ne comportent pas de dimension technique. En fait, ils constatent mais ils n’apportent pas de solution ; ils sensibilisent les médecins, mais ils ne développent pas d’argumentation. C’est toute la différence avec la visite médicale : le laboratoire présente un argumentaire scientifique en faveur de son produit.
À l’université, nous avons fait depuis quelques années un énorme travail de formation à la lecture critique des articles scientifiques. Nous apprenons aux internes à regarder quels sont exactement les critères de jugement de l’étude. En fait, un seul critère doit prévaloir, celui de la morbidité-mortalité : quand on donne une statine à une personne de 80 ans, ce qui est intéressant ce n’est pas de voir si son taux de cholestérol va chuter mais si elle va vivre une ou deux années de plus qu’elle n’aurait vécu sans le médicament. Le taux de cholestérol est un indicateur technique, ce n’est pas un résultat pour la santé.
M. Jean Mallot, coprésident : Verriez-vous un intérêt à ce que, en prévoyant des contreparties, on aille vers une sorte de contractualisation avec chaque médecin sur des objectifs précis, notamment en termes de prescription ? Quels pourraient être les obstacles à une telle démarche ? Comment la mettre en œuvre concrètement ?
M. Robert Nicodème : L’idée de l’assurance maladie d’octroyer quelques avantages aux médecins en contrepartie d’une réduction des coûts a fait l’objet d’un courrier du Conseil national de l’Ordre rappelant qu’on ne peut pas contractualiser l’activité des médecins sur la base d’une diminution des coûts car ils doivent demeurer indépendants afin de se consacrer à leur objectif principal qui est le soin apporté aux patients. Nous sommes d’accord pour que l’on s’efforce de réduire les surcoûts mais nous refusons une contractualisation sur la base d’un objectif purement financier.
Nous nous sommes beaucoup intéressés à cette question de l’implication personnelle de chaque médecin dans une amélioration globale de la prescription. Il faut en particulier prendre en considération le fait que près de la moitié des internes qui sortent d’une formation en médecine générale se tournent vers les urgences, la gériatrie, la médecine polyvalente, voire vers des remplacements, mais qu’ils ne veulent pas s’installer en ville car ils trouvent que les contraintes de l’exercice libéral sont trop importantes. C’est en particulier le cas des jeunes filles, qui sont désormais la moitié des internes et qui jugent souvent l’exercice libéral incompatible avec la maternité. Cet état de fait va aggraver la crise de la démographie médicale.
Dans ces conditions, si on impose aux médecins, outre la permanence des soins et le risque de la responsabilité médico-légale – sujet sur lequel il faudra bien revenir un jour –, des objectifs financiers dans leur façon de travailler, je crains fort que l’on ne déstabilise totalement cette profession. Il faut donc faire très attention.
M. Jean Mallot, coprésident : Dans ces conditions, sur quels objectifs faudrait-il contractualiser ?
M. Robert Nicodème : Aux termes de l’article 8 du code de déontologie médicale, « le médecin doit limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. ». Il faut en rester là et je pense que cette audition doit avant tout nous amener à insister sur la nécessité de trouver des références dans des domaines qui sont mal balisés pour la prescription des médicaments.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Nous aimerions quand même comprendre pourquoi, en France, 90 % des consultations débouchent sur une prescription de médicaments, contre 45 % aux Pays-Bas et moins de 75 % en Allemagne.
Pour notre part, nous avons d’ores et déjà identifié deux pistes et nous aimerions savoir si vous considérez que c’est bien dans cette direction qu’il faut aller ou s’il existe à vos yeux d’autres explications à ce décalage.
En premier lieu, dans la mesure où nous avons observé l’importance de la visite médicale des laboratoires pharmaceutiques dans notre pays, il serait intéressant de savoir si elle est aussi prégnante dans les autres pays d’Europe.
En second lieu, on peut se demander s’il n’y a pas là une conséquence du paiement à l’acte, qui conduit à une inflation du nombre des consultations, donc à la nécessité de chercher à répondre rapidement à la demande du patient. Pour reprendre l’exemple des statines, il paraît en effet plus facile, plus simple et plus rapide de les prescrire que de prendre le temps nécessaire, après un premier dépistage de cholestérol, pour rappeler l’importance de l’hygiène diététique et de l’exercice physique.
M. Robert Nicodème : Nous sommes d’accord sur le constat de la consommation de médicaments.
Cela tient tout d’abord au fait que, en France, le médicament est globalement bien remboursé et qu’il ne coûte presque rien au patient.
Par ailleurs, sa prescription n’est finalement pas très encadrée. Du fait de la visite médicale, c’est souvent le plus cher et le dernier médicament qui est prescrit, bien que l’amélioration du service médical rendu ne soit pas très importante car, je l’ai souligné, le médecin ne la connaît pas.
Vous évoquez le paiement à l’acte, mais il n’est absolument plus nécessaire de s’en prendre à lui, car, aujourd’hui, tous les jeunes médecins généralistes veulent être salariés. En effet, ils préfèrent très largement être praticiens hospitaliers, avec le salaire correspondant, les gardes payées et un repos compensatoire, qu’exercer en ville ! C’est bien pourquoi nous sommes persuadés qu’il est nécessaire d’aller vers des maisons médicales avec un statut particulier pour les médecins, qui viendraient par exemple y travailler deux ou trois jours et qui y prendraient leurs gardes de nuit.
S’agissant du médicament, ce sont les règles de prise en charge qui font défaut. En Angleterre, on n’opère pas un patient qui a besoin d’une intervention cardiaque tant qu’il n’a pas arrêté de fumer. En France, lorsqu’un patient obèse présente un taux trop élevé de cholestérol, on ne lui demande pas d’arrêter de boire, de fumer et de trop manger avant de lui donner un médicament. Cela n’est pas dans notre culture : d’un point de vue éthique nous considérons qu’il faut le protéger contre le risque d’accident cardio-vasculaire en lui donnant le médicament. Mais, en fait, les choses sont plus compliquées que cela : quand on dit que ce patient ne fait pas les efforts nécessaires parce qu’il a des problèmes psychologiques, force est de remarquer que ces problèmes peuvent l’empêcher d’arrêter de fumer mais pas de consulter, de suivre un régime mais pas de prendre ses médicaments. Quand on parle d’êtres humains, il est parfois difficile de raisonner en termes statistiques…
M. Pierre Morange, coprésident : Merci pour ces propos empreints d’humanisme et de bon sens.
Quel est votre sentiment en ce qui concerne la vente des médicaments sur Internet ?
M. Robert Nicodème : Le problème tient à la sécurité sanitaire. Nous avons la chance que soit assurée en France une bonne sécurité sur les aliments et sur les médicaments. En va-t-il de même des médicaments génériques vendus sur Internet, qui sont fabriqués moins cher dans des pays émergents ?
Il faut d’abord se demander s’ils sont efficaces, c’est-à-dire s’ils contiennent effectivement la molécule parfaite nécessaire. De ce point de vue, il me semble que, dès lors qu’il y a prescription médicale et prise en charge par l’assurance maladie, l’action d’un médicament devrait être vérifiée.
Je suis moins inquiet quant à une éventuelle toxicité de ces produits, tout simplement parce que les effets indésirables se voient et parce que les centres de pharmacovigilance les repèrent, alors qu’il est plus difficile d’apprécier l’efficacité d’un médicament censé traiter une maladie chronique.
M. Pierre Morange, coprésident : L’AFSSAPS, qui délivre la certification, doit s’assurer que la molécule est effectivement présente, mais on peut imaginer que certains produits passent à travers les mailles du filet.
M. Robert Nicodème : Dans un autre domaine, chez Airbus, de nombreuses pièces sont produites à l’étranger mais les ingénieurs se rendent sur place pour vérifier le processus de fabrication et le contrôle qualité s’exerce au moment où les pièces arrivent en France.
M. Pierre Morange, coprésident : L’AFSSAPS effectue également des contrôles sur les sites de production et à l’arrivée des médicaments. Mais par rapport au volume des ventes, c’est la fréquence et la régularité des contrôles qui peut poser problème.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Dans la mesure où les Français sont hyperconsommateurs de médicaments, pensez-vous que ce soit une bonne idée de mettre en libre-service ce que l’on appelle les « médicaments conseils », surtout sachant qu’il ne s’agit plus seulement de vitamines et de revitalisants et que, dans le cadre des accords commerciaux imposés par les laboratoires, on va ainsi trouver bientôt sur les présentoirs des pharmacies des produits comme la pseudo-éphédrine ?
Cette mesure vous paraît-elle de nature à réguler la consommation des médicaments dans le cadre du cabinet du médecin ?
M. Robert Nicodème : Le médicament a une dimension un peu magique et nous sommes de plus en plus dans une société d’addiction. Ainsi, on trouve aujourd’hui des personnes qui ont besoin de vitamines dès le matin pour se sentir en forme, qui mangent peu le midi, qui prennent quelque chose dans l’après-midi pour éviter le coup de barre et qui prennent à nouveau un produit pour trouver le sommeil le soir. Ainsi, aux fonctions naturelles d’une personne qui se porte comme un charme, s’ajoutent tout au long de la journée des produits plus ou moins inefficaces. Cette habitude anglo-saxonne n’est pas bonne et il faut donc éduquer les patients afin qu’ils comprennent que, dans un pays où on s’alimente correctement, on n’a pas besoin de médicaments pour vivre normalement.
Toutefois ce qui nous préoccupe plus particulièrement, c’est la surconsommation de médicaments remboursés et il faut donc la replacer dans le cadre de notre système de prise en charge globale. Quand on s’interroge sur l’efficacité de ce système, on est bien obligé de constater que nous avons d’excellents résultats, par exemple en ce qui concerne la longévité. Si les Françaises vivent plus longtemps que leurs voisines, c’est peut-être parce qu’elles sont mieux soignées et parce qu’on leur donne plus de médicaments.
Le taux de consommation de psychotropes est de 20 % en France contre 6 % en Allemagne. Ces produits ont non seulement un rôle personnel mais aussi un rôle social : un certain nombre de personnes, en particulier des cadres et des intellectuels, seraient incapables de mener une vie normale s’ils n’en prenaient pas. La question n’est donc pas de savoir si l’on en consomme trop mais s’il est bon pour la population d’en prendre.
Pour conclure, je souhaite à nouveau insister sur la nécessité de donner des références, même si elles ne sont pas scientifiques et si elles émanent d’un groupe d’experts : nous avons en France suffisamment de personnes compétentes pour y parvenir.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Merci beaucoup. Je vous sais gré en particulier d’avoir mentionné le professeur Montastruc car je fais partie du même réseau de pharmacovigilance.
M. Pierre Morange, coprésident : Merci.
*
Audition de MM. Pierre Levy, secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux français, Jean-Louis Caron, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, Félix Benouaich, président de l’Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France accompagné de Jean-Gabriel Brun, vice-président, et Martial Olivier-Koehret, président de MG France.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue. Quel est votre sentiment à propos de la surconsommation de médicaments en France ? Que préconisez-vous pour rationaliser la consommation ?
M. Pierre Levy : Avant d’évoquer la surconsommation, il convient de parler de la prescription. La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) a toujours prôné une prescription fondée sur la qualité. Elle l’a prouvé avec la convention médicale de 1993 et les références médicales opposables, qui ont généré des économies notables et continuent d’être appliquées par des médecins et des étudiants en médecine. Toutefois, après le succès fugace de la maîtrise médicalisée, sont survenues dix années de maîtrise comptable qui se sont soldées par un échec total.
Parmi les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2008, les contrats individuels liant la rémunération du médecin aux économies accomplies sur ses prescriptions seraient tout à fait délétères pour la profession.
La convention médicale de 2005, dispositif plus récent de maîtrise médicalisée, a permis de dégager 1,3 milliard d’économies en 2005-2006, du jamais vu. Les médecins libéraux ont manifestement joué le jeu, et nous sommes étonnés que le système soit modifié. Nous pensons simplement que des marges de progression demeurent et que les référentiels devraient être revus périodiquement car ils ne sont pas toujours adaptés à l’exercice de la médecine ambulatoire.
M. Pierre Morange, coprésident : La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) n’est pas un tribunal. Nous avons pour seul objectif d’optimiser l’utilisation des deniers publics dans le domaine de la protection sanitaire et sociale. C’est pourquoi nous souhaitons que vous nous donniez votre sentiment sur les dysfonctionnements du système que vous constatez au quotidien dans votre pratique de professionnels de santé et de prescripteurs. Nous tournons toujours autour du même sujet : la formation initiale et continue, les logiciels d’aide à la prescription, les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et les processus d’évaluation.
M. Pierre Levy : La dernière étude de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) montre que le dynamisme des prescriptions est en grande partie dû au développement des affections de longue durée (ALD).
Les gains imputables à la maîtrise médicalisée reposent sur trois socles.
Premièrement, l’information doit être diffusée vers les patients et les professionnels de santé, dans le cadre conventionnel. Je reçois régulièrement de ma commission paritaire locale d’excellents documents statistiques sur les prescriptions.
Deuxièmement, nous espérons que le dossier médical personnel (DMP) sera recentré sur sa vocation : un outil de partage de l’information, même s’il doit rester la propriété exclusive du patient. Mais, comme avec le livret de santé, il existe un risque d’échec majeur, compte tenu de la possibilité d’un masquage des informations par le médecin traitant, sous la pression du patient.
Troisièmement, la formation initiale et continue est cruciale, de même que l’évaluation des pratiques. Elles sont maintenant entrées dans les mœurs mais le retard est considérable et nous attendons encore le décret de mise en place des conseils régionaux de la formation médicale continue. Les médecins se désespèrent car la formation médicale continue est obligatoire depuis 1995. L’information émane d’abord de la Haute Autorité de santé (HAS). L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) continue d’émettre des recommandations. Il est aberrant d’éliminer l’industrie pharmaceutique de la réflexion et de l’information ; la charte de la visite médicale, élaborée en concertation avec tous les acteurs, prouve que l’industrie pharmaceutique s’engage dans une démarche de qualité. Enfin, la charte de la formation médicale continue doit être respectée et ce volet doit bénéficier de financements.
M. Jean-Louis Caron : Le médecin prescripteur intervient en bout de chaîne. Il a été formé essentiellement à l’hôpital, avec des médicaments princeps. Il est soumis à des informations diverses, plus ou moins objectives, de la part des délégués de l’assurance maladie (DAM), qui passent une ou deux fois par an, des délégués médicaux, qui leur rendent visite cinq ou six fois par semaine, voire davantage, ou par le biais de courriers des caisses.
Les médecins sont pour la plupart de grands professionnels mais il leur est difficile de faire le tri entre ces informations contradictoires, d’autant que la prescription est rédigée à l’issue d’une négociation avec le patient. Les médecins ne sont pas formés pour acquérir l’esprit critique nécessaire ; ils se le forgent au fil de la pratique. J’appelle de mes vœux une formation et une information neutres, objectives, pédagogiques, accessibles aux médecins et d’une intensité équivalente à celle de la visite médicale, sur des disciplines comme la pharmacologie ou la iatrogénie, à partir d’un fonds dédié, constitué en partie par l’industrie.
M. Félix Benouaich : Je m’exprimerai en tant que représentant syndical de médecins, mais aussi en tant que médecin libéral en exercice.
Le médecin prescripteur est le dernier maillon de la chaîne : il n’agit aucunement sur la validité du médicament ni sur son prix, fixé en fonction du coût de la recherche. Nous reconnaissons la qualité des nouveaux médicaments et, une fois la molécule amortie, nous acceptons volontiers les génériques, bénéfiques à la sécurité sociale.
La prescription est délivrée uniquement en fonction de la santé du patient. Si des antibiotiques sont prescrits pour soigner une maladie virale, c’est que les pressions sont énormes, tout particulièrement de la part des parents lorsqu’un enfant présente de la fièvre. La nouvelle convention a débouché sur une maîtrise médicalisée qui a essentiellement porté sur les antibiotiques. Les résultats sont sans doute insuffisants mais la courbe de croissance s’est infléchie et même inversée : la consommation d’antibiotiques a baissé de 17 %, ce qui représente 13 millions de traitements inutiles évités.
Une prescription doit systématiquement être accompagnée d’explications, à condition que le médecin s’en donne le temps ; sinon, il se décharge en prescrivant n’importe quoi. Mais comment demander à un médecin de prendre beaucoup de temps, alors qu’il doit faire face à tellement de charges ? Il faudrait que nous ayons moins de patients à soigner, afin de gagner autant en travaillant moins, mais nous sommes aussi tributaires de la demande des malades, des épidémies et du stress engendré par les problèmes socioéconomiques.
L’information que nous dispensons est essentielle mais il faut d’abord que nous la recevions. Les DAM, opérationnels depuis peu, présentent un handicap : ils sont ressentis comme des inquisiteurs. Les médecins de la sécurité sociale devraient nouer des contacts plus fréquents avec les médecins de ville, afin d’entretenir des relations confraternelles.
Dans notre cursus initial, il manque une formation en économie et en gestion car nous prescrivons sans savoir ce que recouvre une ordonnance, en termes de coûts des médicaments et des examens complémentaires.
Le masquage d’informations sur le DMP ne doit pas être autorisé. Cela dit, si une femme a subi une interruption volontaire de grossesse (IVG) à dix-huit ans, il serait inutile de lui imposer de l’indiquer dans son dossier.
Est-il envisageable d’instituer un statut de médecin salarié ? Dans quelles conditions ? Quid de la semaine de trente-cinq heures compte tenu des gardes et des heures supplémentaires ? Quelles seront les conditions de départ à la retraite ? Quand j’ai demandé à M. Jean-Marie Spaeth, président du conseil de la CNAMTS, s’il souhaitait la fonctionnarisation des médecins, il m’a répondu qu’il n’était pas fou…
M. Martial Olivier-Koehret : Si nous en sommes là, c’est que les politiques du médicament menées depuis dix ou vingt ans n’ont pas abouti aux résultats escomptés. Tout a été essayé : les sanctions et la maîtrise médicalisée n’ont abouti qu’à une augmentation généralisée des prescriptions. Seules trois orientations ont produit des effets : le déremboursement, mais je n’y suis pas favorable ; la campagne « Les antibiotiques, c’est pas automatique ! », qui a entraîné une baisse de 19 % des ventes, même si les dépenses de médicaments continuent de croître, compte tenu de la mise sur le marché de nouveaux produits ; le médecin référent, qui renforce la relation entre le médecin et son patient.
Cette augmentation pose-t-elle un problème sanitaire ? La France manque cruellement de statistiques sérieuses sur les conséquences des prescriptions ; cela participe de la désorganisation du secteur, marqué par l’absence de gouvernance.
L’article 8 du code de déontologie médicale dispose :
« Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.
« Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.
« Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »
Comment faire pour respecter ces principes ? Le système d’information souffre de procéder pour l’essentiel de l’industrie pharmaceutique. Ce que les organismes nous proposent ne correspond pas à nos besoins. Les médecins britanniques, par exemple, disposent d’une base de données immédiatement accessible avec le National British formulary. En France, il existe une base indépendante mais la CNAMTS tente de la fermer. Les déterminants de la prescription des médecins généralistes tournent autour de la discussion du couple médecin-patient ; les autres paramètres n’influent pas.
La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a créé un couple entre le médecin traitant et le patient. Cependant MG France n’a pas signé la convention médicale de 2005 parce que le DMP, tel qu’il a été présenté, ne contient pas l’ensemble du retour d’information de la part des autres prescripteurs. De surcroît, le système pousse au développement de l’automédication, comme si la surconsommation ne posait un problème sanitaire que lorsque les médicaments sont remboursés. Par exemple, la pathologie qui suscite le plus d’automédication est l’infection urinaire, avec des traitements qui font le lit de l’insuffisance rénale et de la dialyse, faute de prise en charge correcte. Je ne suis pas opposé à l’automédication mais je ne comprends pas que l’information soit jugée inutile dès que l’on sort du champ des médicaments remboursés.
Les logiciels médicaux en sont encore à la préhistoire de l’informatique. En l’état actuel de désorganisation du système de soins et du parc logiciel, je doute qu’une décision quelconque du législateur puisse améliorer la situation en la matière.
Les déremboursements entraînent des économies et réduisent l’activité des médecins généralistes. Cependant, ils occultent la nécessité de définir le rôle du premier recours et ils sont contradictoires avec le choix effectué par tous les autres pays occidentaux pour stabiliser la consommation médicamenteuse : faciliter l’accès des patients au premier recours.
M. Jean-Gabriel Brun : Le généraliste est le principal prescripteur car il intervient en dernière ligne, après le spécialiste et l’hôpital. Une mesure très simple consisterait à demander à l’hôpital et au spécialiste de prescrire en dénomination commune internationale (DCI).
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je poserai quelques questions très courtes.
Les franchises sur les transports sanitaires et surtout sur les médicaments vont-elles pousser les Français à diminuer leur consommation de médicaments ?
Quand une classe de médicaments est déremboursée, constatez-vous un transfert de prescriptions sur une autre classe ? Si oui, êtes-vous en mesure de le chiffrer ?
Que pensez-vous du dossier pharmaceutique expérimenté dans six départements ?
M. Pierre Levy : L’enjeu consiste-t-il à réduire la consommation de médicaments ou à optimiser les soins ? Le déremboursement est clairement un obstacle au recours au médecin, ou plutôt une incitation au report des soins.
Les déremboursements entraînent effectivement un transfert de prescriptions sur d’autres classes.
Comme l’historique des remboursements, le dossier pharmaceutique est un outil complémentaire au DMP mais il ne saurait s’y substituer. Il ne faudrait surtout pas tirer prétexte des difficultés à mettre sur pied le DMP pour se contenter du dossier pharmaceutique et de l’historique de remboursement.
Le renouvellement de la prescription hospitalière est un gros problème. Quand un médecin hospitalier conseille à un patient de poursuivre son traitement, le petit médecin généraliste de banlieue aura du mal à le convaincre de l’interrompre.
M. Jean-Louis Caron : Les franchises entraîneront certainement des économies mais aussi la pénalisation des traitements longs pour les maladies chroniques.
Il est vrai que les déremboursements provoquent des transferts : les prescriptions d’un spray bien connu ont explosé parce qu’il est resté remboursé, contrairement à tous les autres, dont la distribution stagne ou régresse.
Si les sources d’informations restent dissociées, comme c’est actuellement le cas, notamment avec le dossier pharmaceutique et le Web-médecin, nous ne saurons plus où rechercher les éléments dont nous avons besoin. Nous ne pouvons donc nous contenter de succédanés qui retarderaient la mise sur pied du DMP.
M. Félix Benouaich : S’agissant des franchises, pour ceux qui sont à l’aise financièrement, un déremboursement de cinquante ou cent euros par an passe inaperçu ; il ne pose un problème qu’à ceux qui n’ont pas les moyens. La gratuité n’est pas source d’économies mais elle est nécessaire pour que certains malades accèdent aux soins. Or, en tant que médecins, c’est notre seule préoccupation.
Quant aux déremboursements, ils provoquent évidemment des transferts de prescriptions vers des traitements équivalents.
M. Martial Olivier-Koehret : La question des franchises et des déremboursements concerne au premier chef le législateur. La France arrive au deuxième rang mondial en matière de prélèvements obligatoires ; il n’est donc guère compréhensible que vous demandiez aux gens de payer quand ils sont malades, mais c’est à vous de l’assumer lorsque vous retournez vers vos électeurs.
Les franchises auront un impact sur le niveau des remboursements mais cela signifie que des patients, faute de moyens financiers, n’auront pu accéder aux soins. De surcroît, elles vont désorganiser les soins en générant du second recours différé, et cela coûtera plus cher encore. Les franchises procèdent d’une approche idéologique.
Le déremboursement est une hypocrisie complète car les médicaments concernés sont bon marché : pour financer une ampoule d’antimitotique à 9 000 euros l’unité, il faudra économiser sur beaucoup de boîtes de fortifiants ou de gouttes pour le nez !
Le dossier pharmaceutique est un très bon outil pour le pharmacien, tout comme l’historique des remboursements est parfait pour l’assurance maladie. Toutefois, nous autres prescripteurs avons besoin de disposer d’une synthèse d’informations sur les actes de chaque intervenant, du biologiste au radiologue.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Un article du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 prévoit que les logiciels d’aide à la prescription doivent permettre d’afficher le montant total de la prescription. Cela aidera-t-il les médecins à prescrire, notamment pour les patients socialement défavorisés ?
Puisque les patients seront poussés à l’automédication, ne pourrait-elle pas être intégrée dans le DMP, d’autant que celui-ci met du temps à voir le jour ?
M. Pierre Levy : Le coût de l’ordonnance interpelle le médecin, et pas seulement pour les personnes défavorisées. En vertu du code de déontologie, nous devons systématiquement prescrire à bon escient et au meilleur coût. Il serait utile aussi que les hôpitaux disposent d’un tel outil pour que les internes prennent conscience de ce qu’ils prescrivent.
M. Jean-Gabriel Brun : C’est déjà le cas !
M. Pierre Levy : Je constate que la médecine ambulatoire a accompli 1,3 milliard d’économies et que l’hôpital est resté à zéro.
La CSMF s’est élevée contre l’automédication, qui comporte des risques. Avec des vitamines, ce n’est pas bien grave ; avec des anti-inflammatoires ou des molécules innovantes, il y a des effets secondaires. En outre, cela peut retarder le diagnostic d’une maladie grave. Il est donc indispensable que le médecin puisse connaître l’automédication de son patient.
M. Jean-Louis Caron : Le coût d’une ordonnance serait une information intéressante, sous réserve que je puisse le comparer avec d’autres options, afin de faire mieux économiquement tout en conservant la même qualité médicale de prescription.
Nous sommes favorables à l’automédication car les Français possèdent un niveau de connaissance suffisant pour se prendre en charge, par exemple, face à un état grippal, qui, de toute façon, passe tout seul au bout de cinq jours. Mais il convient d’encadrer l’automédication en proposant une formation aux patients, à l’école et pendant d’autres moments de la vie. Les pouvoirs publics doivent aussi organiser des campagnes d’information. Cela dit, l’exposition des produits en libre-service devant le comptoir pose problème, eu égard aux effets secondaires. L’industrie pharmaceutique doit produire des boîtes adaptées à l’automédication, avec des quantités limitées. Et nous sommes favorables à l’intégration de l’automédication dans le DMP.
J’ajoute que nous sommes également favorables au masquage d’informations, sur la demande du patient.
M. Félix Benouaich : L’information sur le coût de l’ordonnance serait en effet utile. Dans un second temps, il faudrait ajouter une dimension comparative.
L’automédication doit être intégrée dans le DMP. Reste à s’entendre sur la signification exacte de l’automédication, mais ce n’est pas le sujet.
M. Martial Olivier-Koehret : Le logiciel que j’utilise me permet déjà de connaître le prix de la boîte de médicaments ; il faut donc aller plus loin. Les logiciels médicaux sont importants sur les plans sanitaire et économique mais ils ne sont pas pilotés ; vous pourriez faire preuve d’innovation en créant un agrément, fondé sur des critères comme l’information relative à la posologie ou à l’aide à la prescription. Pour que nous fassions bien notre métier, nous devons être en mesure de soigner nos patients indépendamment de leur capacité financière, avec le seul souci de traiter leur état de santé. Aujourd’hui, la même angine ne coûte pas le même prix suivant l’endroit où elle est soignée.
M. Jean-Gabriel Brun : À l’hôpital, quand je prescris un traitement onéreux, on m’apporte un formulaire en trois exemplaires sur lequel je dois spécifier le prix des médicaments, le nombre de jours et la posologie. C’est le pharmacien qui délivre ces médicaments, par périodes très courtes. L’hôpital a donc déjà répondu partiellement à votre question. En revanche, le système pêche au niveau des services des urgences, qui travaillent rapidement, et des cliniques, où les médecins remplissent leurs feuilles blanches comme ils l’entendent.
M. Pierre Levy : Je précise que je partage pleinement l’avis de mes confrères sur les logiciels d’aide à la prescription.
M. Pierre Morange, coprésident : Le sujet n’est pas clos ; nous restons ouverts aux remarques et suggestions que vous pourrez nous transmettre par écrit.
*
Audition de MM. Alain Rouché, directeur santé de la Fédération française des sociétés d'assurances, et Gilles Johanet, président du comité maladie-accidents, Michel Charton, directeur technique santé individuelle d’AXA France, Henri Laurent, directeur général de SwissLife prévoyance et santé, et Laurent Doubrovine, directeur assurance de personnes des Assurances générales de France (AGF).
M. Pierre Morange, coprésident : Madame, messieurs, nous sommes heureux de vous accueillir pour vous entendre sur le thème « la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament ».
M. Jean Mallot, coprésident : De par vos fonctions, chacun dans son domaine, vous avez certainement une opinion sur le sujet. J’aimerais que vous nous livriez votre analyse et vos propositions.
M. Gilles Johanet : Inutile de détailler la singularité de la consommation française de médicaments, que ce soit en termes de volumes ou de coût. Je remarquerai cependant que la politique engagée il y a une quinzaine d’années pour remplacer le volume par la valeur et faire que le prix français du médicament rejoigne les standards européens et américains, a échoué. L’écart de prix négatif s’est considérablement réduit, mais l’écart de volume positif ne s’est absolument pas réduit. Cela signifie qu’il y a bien des raisons de fond, des causes majeures à l’origine de cette singularité française.
J’insisterai sur une seconde caractéristique française, qui est l’extrême opacité du système de prescription et de consommation. Nous n’avons pas de dispositif de connaissance et de suivi de la prescription hospitalière, a fortiori de la prescription hospitalière par médecin prescripteur. En 1998, lorsque je suis arrivé à la direction de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), un groupe travaillait depuis dix-huit mois sur l’individualisation de la prescription. Neuf ans plus tard, je ne doute pas qu’il continue de travailler avec acharnement, mais les résultats font partie de ce qu’on appelle les « variables discrètes ».
Autre singularité française : l’assurance maladie complémentaire n’a pas le droit de savoir ce qu’elle rembourse. C’est un problème par rapport à la loi du 13 août 2004 qui instaure un partenariat entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire, partenariat symbolisé par la création de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de l’Union nationale des organismes d’assurance complémentaire (UNOCAM). Et c’est un obstacle à toute recherche de performance s’agissant des contrats de complémentaire santé, puisqu’il n’est pas possible de sélectionner ce qui sera remboursé, en dehors des expérimentations Babusiaux, sur lesquelles je reviendrai, et d’autorisations acquises à titre exceptionnel.
Autre facteur d’opacité : nous n’avons pas de bilan de la politique conventionnelle suivie entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et les laboratoires, que ce soit par classe de médicaments ou par laboratoire. Il n’y a pas d’articulation entre les baisses de prix décidées par le CEPS et les remises. Une mesure très grossière de ces décisions de baisse ou de remise nous fait penser que l’impact financier des remises est environ trois fois plus élevé que celui des baisses de prix. Toutefois la différence principale est ailleurs : les baisses de prix sont définitives et profitent de façon juste et équitable à l’assurance maladie obligatoire et à l’assurance maladie complémentaire ; les remises de prix sont par essence contractuelles, précaires et ne profitent qu’à l’assurance maladie obligatoire, alors que la cause de la remise, c’est-à-dire un dérapage des consommations, a été supportée financièrement par les complémentaires autant que par l’obligatoire ; enfin, elle aboutit à faire en sorte que le taux de prise en charge officiel de certains médicaments soit très différent de leur taux de prise en charge réel.
Je veux revenir sur les propos tenus devant la MECSS par M. Noël Renaudin, président du CEPS, qui ont été repris par la presse, sur l’apparition et la multiplication de médicaments « de niche » horriblement chers, ce qu’on pourrait traduire par « médicaments à spectre étroit et à prix élevé ». Les opérateurs que nous sommes vont se retrouver devant cette alternative : soit maintenir l’opacité actuelle, et le dérapage est garanti ; soit mettre fin au dérapage, et l’on est devant la perspective d’une traçabilité individuelle des prescriptions et des consommations.
La question se pose alors d’un partenariat entre l’assurance maladie obligatoire (AMO) et l’assurance maladie complémentaire (AMC). Est-ce que nous acceptons que l’AMC devienne un acheteur avisé, en commençant par exemple par le médicament ? Un tel partenariat n’est pas incompatible avec nos réflexions sur d’éventuels transferts entre l’AMO et l’AMC, qui pourraient porter sur les médicaments à 35 %. Mais cette recherche de performance impliquerait qu’on ait accès au code identifiant de présentation (CIP) des médicaments, en commençant par exemple par les codes des médicaments remboursés par l’AMO à 35 %. Cela reviendrait à reprendre et à accepter, pour cette fois, l’amendement proposé par M. Yves Bur, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2005.
Une autre question se pose, celle du desease management (soutien à la prise en charge thérapeutique des patients atteints de maladies chroniques). Nous pensons qu’un desease management encadré peut être positif. C’est ce que font certaines sociétés d’assistance liées avec les sociétés d’assurance. Ainsi Mondial Assistance, qui est liée au AGF, fait du desease management auprès de patients atteints d’ostéoporose, et cela marche bien. Le fait de dire que c’est l’intérêt financier des laboratoires n’épuise pas le sujet, dans la mesure où cela peut avoir aussi une utilité médicale pour les patients. C’est en tout cas une piste à explorer.
Je vais évoquer un dernier point sur l’évolution de l’offre : l’automédication.
Celle-ci est très en retard en France. Elle ne se développera jamais et n’aura jamais d’incidence financière pour l’assurance maladie obligatoire tant que 85 % des médicaments en automédication seront également en prescription médicale facultative.
Je termine en remarquant que le remboursement des médicaments représente un poste de dépenses important pour les complémentaires maladies, et qu’il est en croissance forte.
M. Alain Rouché : Pour les complémentaires, la problématique d’accès aux données de soin est très importante. Nous ne connaissons que globalement le taux de remboursement des médicaments. Cette opacité nous empêche d’avoir une véritable efficacité et de mener une véritable politique de gestion des risques.
Nous nous battons depuis de nombreuses années. En 2003, est paru le rapport de M. Christian Babusiaux sur l’accès des assureurs complémentaires aux données de santé des feuilles de soins électroniques. Depuis, la situation a évolué puisque des expérimentations ont démarré ou vont démarrer dans les jours qui viennent. Je pense que Michel Charton, d’AXA, évoquera l’expérimentation qui a débuté dans le département de l’Hérault et Henri Laurent celle de Swisslife. Pour nous, cela est fondamental pour développer des assurances santé répondant mieux aux besoins des assurés et plus efficaces en termes de gestion des risques.
Je vais illustrer l’intérêt de l’accès aux données : en cas de décision de baisse du taux de remboursement, on pourrait se dispenser d’augmenter les cotisations de nos adhérents pour faire face au transfert de charge vers la complémentaire et décider d’un reste à charge de 30 points. Aujourd’hui, on n’a pas d’autre solution que de tout prendre en charge ou de ne rien prendre en charge par taux de remboursement de la sécurité sociale.
Aujourd’hui, nous prenons en charge quelques médicaments non remboursables. Nous devons alors demander à nos assurés de récupérer une facture chez le pharmacien et de nous la transmettre pour que nous puissions procéder au remboursement.
Cette problématique d’accès aux données est absolument essentielle pour les complémentaires. Nous espérons qu’au terme des expérimentations Babusiaux cet accès aux données sera généralisé et définitivement reconnu aux complémentaires.
M. Pierre Morange, coprésident : Quelle est la part du médicament pour les complémentaires, dans le cadre d’un contrat standard ?
M. Michel Charton : De 15 à 40 % selon les cas, car il y a beaucoup de contrats. Pour l’entrée de gamme, c’est 40 %.
M. Alain Rouché : La question des baisses de prix et des remises est très importante pour nous. Nous sommes favorables aux baisses de prix, dans la mesure où les complémentaires en bénéficient, tandis qu’en cas de remises, seule l’assurance maladie obligatoire en bénéficie. Récemment, l’UNOCAM a fait un petit calcul concernant le Gardazil utilisé contre le cancer de l’utérus. Il est théoriquement remboursé à 65 % par l’assurance maladie, mais, si l’on tient compte du processus de remise, les complémentaires en remboursent 53 %, et non 35 %.
M. Michel Charton : Nous avons remarqué que tous nos clients étaient persuadés que le médicament était un produit gratuit. La pratique du tiers payant est devenue universelle. Il est désormais absolument nécessaire de faire évoluer ce concept du médicament gratuit et remboursé systématiquement à 100 % si l’on veut amener nos clients à faire des choix.
Cette part de 15 à 40 % est très importante. Elle est beaucoup plus élevée que pour les remboursements dentaires. La raison en est que l’on n’arrive pas à accéder aux données. Hors remises, l’AMC rembourse à peu près 8 milliards d’euros de dépenses de médicaments. Il s’agit d’une somme considérable, et il est évident que si l’on trouvait les mécanismes qui permettent de réguler ce marché et de mettre en œuvre une gestion des risques, l’intérêt financier serait tout à fait notable.
L’expérimentation Babusiaux menée par AXA a été engagée en mars 2003. Il nous a fallu quatre ans pour commencer à faire passer des flux dans ce système nouveau. Le rapport de M. Babusiaux a proposé de donner aux organismes complémentaires un droit d’accès aux données de santé en respectant certaines conditions. Il a tracé les voies de ces conditions, mais il a fallu mettre des rails derrière. On s’est alors aperçu qu’il était très complexe de vouloir tout protéger et tout sécuriser. AXA a travaillé pendant pratiquement un an pour préparer le dossier à soumettre à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), avec l’aide de la FFSA dans la mesure où nous nous appuyons sur sa maîtrise d’ouvrage. Il nous a fallu ensuite un an de discussions avec la CNIL pour obtenir, en plusieurs étapes, les autorisations nécessaires. Nous avons ainsi commencé nos développements techniques à partir de 2006. Cependant la complexité est telle que les premiers flux n’ont eu lieu que depuis quelques semaines.
Ces changements sont donc lents, progressifs et coûteux. Nous sommes obligés de répercuter ces coûts de fonctionnement sur nos clients. Plus on crée des usines compliquées pour connaître enfin une information dont on pense qu’elle est vraiment nécessaire, plus on génère de frais généraux. C’est un élément à prendre en compte, s’agissant de la façon dont on pourra accéder demain aux données. Certes, on pourra mutualiser certains coûts, mais ils resteront importants et inévitables en matière de décryptage et de sécurité.
Que faire de tout cela ? Il existe de nombreuses pistes de travail. Demain, AXA ayant sa chaîne de traitement spécifique pourrait proposer à ses clients de faire du tout générique et du me too. Cette idée n’est pas aberrante ; nous l’avons mise en pratique pour l’optique. C’est peut-être plus compliqué pour le médicament, mais ce n’est pas infaisable.
On pourrait également décider de ne plus rembourser tel ou tel type de médicaments remboursés par l’AMO à 35 % et à 15 %, voire des médicaments à service médical rendu faible remboursés à 65 % ; et compenser éventuellement par de l’automédication.
On pourrait définir des gammes de produits correspondant aux vrais besoins de certaines populations. Pourquoi mettre dans un contrat qui s’adresse aux jeunes familles la prévention ou le traitement de l’ostéoporose ? Pourquoi laisser le remboursement des anticonceptionnels microdosés dans des contrats destinés aux personnes de plus de cinquante-cinq ans ?
L’accès aux données nous permettrait très concrètement de travailler sur les classes de médicaments. Tel est précisément le cas dans l’expérimentation AXA. Nous avons besoin d’un contrôle de la prescription dans l’immédiat, mais l’idée est de permettre à nos clients de bénéficier d’un remboursement qui serait automatiquement fait à partir des données transmises du poste du professionnel de santé, sans passer par la facturette dont parlait M. Alain Rouché. Cela est très important. La seule façon de développer cette pratique est d’entrer dans un processus de dématérialisation, car le coût de gestion d’une facturette papier est de 2 à 10 euros ; tandis que le flux électronique revient à 0,13 euro. Toutes les tentatives des uns et des autres consistant à mettre un peu d’automédication, un peu de médicaments non remboursés dans nos contrats aboutissent à des faibles taux d’utilisation. Cela est d’ailleurs heureux, sinon nous aurions bien du mal à en supporter les coûts de gestion et à les faire payer à nos clients.
Un processus fluide de dématérialisation et d’accès aux données permettrait de faire baisser de dix points le rapport sinistres/primes, c’est-à-dire de baisser de dix points le prix de la complémentaire santé à service rendu au moins équivalent, si ce n’est supérieur.
M. Henri Laurent : Nous sommes convaincus que la maîtrise du coût du médicament, qui représente 30 % des coûts des assureurs, passe par la mise en place de conditions qui permettent de sortir de cette logique du remboursement systématique. Les assureurs pourraient avoir des politiques de remboursement diversifiées. On pourrait imaginer d’offrir des contrats dont le prix varie en fonction des niveaux de remboursement du médicament ou d’autres prescriptions. On pourrait imaginer des stratégies marketing en ciblant les médicaments qu’on va rembourser en fonction des populations auxquelles on s’adresse.
Swisslife a conduit une expérience en ce domaine. Elle a mis en place la « carte blanche » ; l’objectif est de prendre des initiatives en matière de prévention. Elle a institué un comité d’éthique indépendant, qui l’aide à constituer les listes de médicaments qui seront remboursés, même s’ils ne le sont pas dans le régime général. Cela dit, si l’on sait rembourser des médicaments qui ne le sont pas par le régime général, on ne sait pas ne pas rembourser des médicaments qu’il rembourse, mais dont l’intérêt est douteux. Swisslife a mis également en place des consultations pharmaciens avec ses assurés, qui ont la possibilité de rencontrer leur pharmacien sur des questions d’observance.
D’après nos sondages, nos assurés considèrent que l’assureur est légitime dans ses démarches, non seulement de remboursement, mais aussi d’accompagnement, voire de conseil. Si nous avions la possibilité de mener des politiques de remboursement plus nuancées, nous pourrions mieux maîtriser nos dépenses et limiter l’évolution de nos primes d’assurance, tout en offrant à nos assurés des services qui les amèneraient à consommer de façon plus efficace. Tout cela passe bien entendu par la possibilité de connaître la nature des médicaments que nous remboursons.
Swisslife participe également aux expérimentations. Nous avons choisi la voie du consentement exprès de l’assuré. Si on peut démontrer que l’assuré a donné de manière explicite à son assureur son accord sur la transmission de l’information médicale qui le concerne, on échappe aux restrictions réglementaires. C’est ce que nous sommes sur le point d’expérimenter dans la région de Cambrai.
M. Laurent Doubrovine : Je ne peux qu’appuyer ce qu’ont dit mes collègues. Militer pour une meilleure transparence sur le marché du médicament n’est pas défendre un intérêt particulier, celui des assureurs complémentaires, mais l’intérêt général. L’opacité actuelle de ce marché est à l’origine d’inefficacités monstrueuses, qui se répercutent sur le coût de la prise en charge de la santé.
Nous ne participons pas, à ce stade, aux expérimentations Babusiaux, mais nous les soutenons. Nous avons la prétention de penser que notre métier consiste à donner de la valeur ajoutée à nos clients, laquelle ne peut pas s’exprimer sur un marché sur lequel nous ne disposons d’aucune variable ni d’aucune liberté. Le marché de la santé en général, et celui du médicament en particulier, sont très frustrants de ce point de vue. Nous nous contentons donc des quelques domaines dans lesquels nous pouvons exercer notre créativité, comme la prévention par la prise en charge de vaccins, du sevrage tabagique, par le conseil et l’orientation des clients, la négociation avec certaines officines sur les médicaments non remboursés.
Nous sommes très frustrés par cette situation, qui pourrait facilement évoluer si le problème de l’accès aux données de soin était résolu, ce qui devient crucial.
M. Jean Mallot, coprésident : Avez-vous des éléments complémentaires sur les expérimentations ? Avez-vous des idées d’économies potentielles ?
M. Pierre Morange, coprésident : Il faudrait que vous quantifiiez certains points. Une réflexion est en cours sur un éventuel transfert de l’AMO vers l’AMC ; celui-ci pourrait se répercuter sur les primes d’assurance. Il serait pertinent que vous nous présentiez un catalogue précis de propositions, qui pourraient déboucher sur des mesures législatives ou réglementaires.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quand une classe thérapeutique est déremboursée dans sa totalité, assistez-vous à une baisse de votre participation au remboursement de médicaments ?
Pensez-vous que les franchises sur les médicaments feront baisser la consommation des médicaments en France ?
M. Alain Rouché : Mes collègues assureurs constatent mieux que moi l’impact des déremboursements sur nos résultats. Il est clair qu’ils jouent également sur la part des complémentaires.
M. Henri Laurent : C’est mécanique !
M. Alain Rouché : Nous avons observé, certaines années, une augmentation beaucoup plus modérée que précédemment sur le poste médicaments. C’est une observation globale.
M. Henri Laurent : En cas de déremboursement total !
M. Alain Rouché : Dans un premier temps, nous avons émis des réserves concernant les franchises, à commencer par le fait que ce sont les médecins qui prescrivent et que nous ne voyons pas quel impact ces franchises pourraient avoir sur le comportement des patients.
Ces franchises médicales sont différentes de nos franchises d’assureurs. Lorsque l’aile de la voiture est froissée, le conducteur peut décider ou non de la faire réparer. C’est un peu plus difficile quand on se trouve dans une logique de soins et de prescriptions par les médecins.
Dans un second temps, nous avons revendiqué de pouvoir rembourser ces franchises sans que nos contrats ne soient pénalisés fiscalement. L’idée était de laisser le choix aux assurés, et non de vouloir à tous crins rembourser les franchises. Il me semblerait très préoccupant pour notre avenir d’assureurs complémentaires d’accepter toute une série de contraintes sans que nous ne puissions proposer à nos assurés toute une série de solutions. Il est tout aussi responsabilisant de dire à un assuré que s’il désire que les franchises lui soient remboursées, il verra sa cotisation augmenter de tant, mais qu’il peut choisir un contrat qui ne prévoit pas cette prise en charge.
Par ailleurs, je doute un peu que ces franchises aient un impact sur la consommation de médicaments. Mais soyons sans a priori et contentons-nous d’observer ce qu’il en sera.
M. Gilles Johanet : J’ajoute qu’il s’agit là d’une réforme partielle qui accroît encore la complexité du système et la difficulté que peut avoir le consommateur à le comprendre et à le maîtriser en partie. Il existerait ainsi des franchises à 0,50 euro, à 1 euro ou à 2 euros dont le remboursement serait irresponsable, et la franchise à 18 euros dont le remboursement serait responsable ? Cela ne signifierait-il pas que l’assuré, en aucun cas, ne peut être considéré comme responsable de sa consommation d’actes lourds, mais qu’il serait exclusivement responsable de sa consommation de médicaments ? Ce serait d’ailleurs cohérent avec une autre approche, sémantique celle-là, qui amène à répéter que les Français sont les premiers consommateurs de médicaments du monde, mais jamais à dire que les médecins français sont les premiers prescripteurs de médicaments du monde !
Le débat sur la franchise est ancien. Il a été posé nettement en 1993, et je l’ai vécu. À l’époque, la CNAMTS avait proposé une franchise fondée sur la maîtrise médicalisée, qui n’était pas encore la politique officielle des pouvoirs publics. Cette approche a amené la CNAMTS à proposer que la franchise soit modulée et beaucoup plus forte à partir du cinquième médicament – et non pas à partir du premier médicament – sur une ordonnance. Il y a en effet consensus des experts pour constater que, à partir de cinq médicaments sur une ordonnance, on ne contrôle plus les interactions médicamenteuses. Cette mesure a d’ailleurs été adoptée à l’époque par Mme Simone Veil, alors ministre en charge de la santé… pendant 24 heures, ce qui lui laisse son caractère entièrement novateur pour l’avenir…
M. Henri Laurent : Selon certaines études, notamment américaines, une franchise médicale est efficace à partir d’un montant d’environ 20 % de la dépense. En l’occurrence, nous sommes très loin d’un tel montant. Personnellement, je ne crois pas du tout que les franchises auront un effet sur la consommation de médicaments, même si elles ont un effet mécanique – faible – sur leur coût.
M. Michel Charton : L’effet des franchises sera mineur et très limité dans le temps. Il y aura très vite un effet d’accoutumance à des sommes aussi faibles.
Par ailleurs, s’aperçoit-on des déremboursements ? Le problème vient du fait que lorsque l’on dérembourse une classe de médicaments, on en rembourse une autre. Le Gardazil, c’est 0,5 point sinistrable de plus sur nos contrats. J’en ai discuté avec les laboratoires ; il faut dire que nous commençons à parler avec l’industrie pharmaceutique depuis quelque temps, depuis qu’elle sait que nous pourrions avoir accès aux données de soin ; nous commençons même à réfléchir à des modèles de régulation différents de ceux de la distribution actuelle. Il faut dire que les grands groupes comme AXA interviennent sur le monde entier, et que les enjeux financiers sont de plusieurs milliards d’euros.
Nous ne sommes pas capables de déterminer quel est l’impact sur nos comptes de l’abandon total du remboursement d’une classe thérapeutique. Il y a en permanence 11 000 références de médicaments et lorsqu’on en dérembourse trois, on en rembourse trois autres.
On ne mesure jamais l’effet de substitution du déremboursement. Nous ne pouvons pas le faire, puisque la seule information à laquelle nous accédons est l’indication PH 2, PH 4, PH 7, etc., et le régime obligatoire ne le fait jamais. Toutes les mesures de déremboursement sont évaluées, à condition de fonctionnement égale, sans que jamais le principe de substitution ne soit évoqué. Et ce quelle que soit la substitution, médicamenteuse ou non.
Voilà pourquoi les prévisions et les résultats d’évaluation ne peuvent être fiables. Nous croyons davantage en notre capacité à orienter le client et à le faire payer plus cher si cela est utile. C’est plus efficace qu’un système qui cherche à réguler l’ensemble des processus.
M. Laurent Doubrovine : Après l’instauration du forfait de 1 euro sur la consultation, nous avons observé très temporairement une tout petite diminution de la croissance de la consommation. Mais celle-ci s’est vite effacée, au bout de six mois ou d’un an. Il faut avoir par ailleurs en tête qu’un système complexe coûte très cher à gérer. Le complexifier encore coûte sans doute au moins aussi cher que ce que cela permet d’économiser.
M. Pierre Morange, coprésident : Que pensez-vous du principe des logiciels d’aide à la prescription ?
M. Gilles Johanet : C’est une ambition que nous avons depuis très longtemps et qui se heurte à une difficulté : l’absence d’harmonisation des bases de données, sur laquelle on finira par progresser. À première vue, les principes d’adoption et de diffusion de logiciels d’aide à la prescription sont une bonne chose. Cependant, si cela devait augmenter le handicap majeur qui affecte notre système de soins, ce serait une mauvaise chose.
Je m’explique : dans notre système de soins, l’amont est fort peu régulé, et l’aval l’est beaucoup. On demande aux généralistes de faire preuve d’une vertu romaine et d’une vigueur permanente pour dire « non ». Il me semble très innovant, et très français, de bâtir son chiffre d’affaires sur le fait de dire « non » à ses clients !
On propose de donner aux généralistes le prix des médicaments, pour qu’ils se rendent compte, etc., mais, psychologiquement, on sait qu’ils vont très mal le prendre ; cela revient en effet à leur dire que, maintenant qu’ils connaissent les prix, ils sont encore plus responsables qu’avant.
Penchez-vous sur certaines décisions du CEPS. Vous constaterez qu’un me too, médicament à amélioration du service médical rendu mineure (ASMR 4), peut obtenir un prix de 20 % supérieur au médicament qu’il est censé remplacer ! L’existence d’un logiciel d’aide à la prescription crée, en aval, pour le généraliste, une responsabilité qu’on aurait peut-être pu lui éviter. On ne peut pas tout reporter sur les généralistes. C’est exactement la même problématique que pour les affections de longue durée (ALD), dont les généralistes ne supportent plus le système.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.
*
Audition de M. Jean Parrot, président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je vous remercie, monsieur Parrot, d’avoir répondu à l’invitation de la Mission.
Les études qui ont été réalisées montrent que les Français consomment plus de médicaments que la plupart de leurs partenaires européens. Je vous poserai donc la question que je pose à tous les acteurs de la santé entendus par la MECSS : pensez-vous que l’application de la franchise de cinquante centimes par boîte de médicaments permettra une diminution de la consommation en France ?
M. Jean Parrot : Je précise que l’Ordre des pharmaciens ne fait pas partie de la chaîne économique du médicament. Un certain nombre d’éléments relatifs à l’économie du médicament sont de la responsabilité des syndicats pharmaceutiques ou des autres acteurs de la chaîne du médicament. Cela étant, ayant la responsabilité de l’éthique et de l’ensemble de la gouvernance de la profession, nous sommes en mesure d’apporter un éclairage professionnel sur la question que vous soulevez.
L’application d’une franchise sur les boîtes de médicaments peut inciter les patients à réduire leur consommation, tout en sachant que ces derniers, comme les pharmaciens d’officine, ne sommes pas les prescripteurs. C’est le médecin qui est l’arbitre de la quantité de boîtes qui résulte de son ordonnance.
On pourrait penser que, si l’on propose une boîte de 90 unités de médicament, une seule franchise s’appliquera au lieu de trois pour trois boîtes de 30, mais cette approche est biaisée par de nombreux facteurs qui n’ont pas été perçus par les parlementaires au moment où la mesure a été présentée à l’Assemblée nationale.
Premièrement, les boîtes de 90 ne sont pas aujourd’hui réellement mises sur le marché pour la totalité des molécules destinées au traitement des maladies chroniques. Par ailleurs, il arrive aujourd’hui que les génériques présentés en boîtes de 30 soient moins chers pour l’assurance maladie que la boîte de 90 de génériques. En outre, souvent, seul le médicament princeps est vendu en boîtes de 90. Cela est très pervers car le pharmacien doit, théoriquement, telle que la loi a été votée, délivrer la boîte de 90. Or, s’il le fait, cela ne sera pas source d’économies pour l’assurance maladie puisque le prix de la boîte de 90, qui est la boîte de princeps, sera, en fin de compte, plus chère que trois boîtes de génériques du produit équivalent. C’est un premier biais par rapport au but économique recherché.
Nous en voyons un autre, dont nous avons informé les membres des commissions des affaires sociales des deux assemblées – et Mme la rapporteure, en tant que confrère en activité, y sera sensible – : sur l’ordonnance d’un patient chronique, la totalité du traitement, ne pourra pas toujours être donnée pour trois mois. Dans le cadre de l’observance et du suivi que les pharmaciens font, au mois le mois, pour accompagner les patients dans la prise de leur traitement chronique et vérifier qu’ils séquencent bien la totalité de leurs médicaments et ne « font pas leur marché » dans l’ordonnance en prenant un médicament et pas l’autre, cela leur compliquera encore plus la tâche.
Nous avons souhaité – et la profession, dans son ensemble, est très demanderesse – la mise en place du fameux dossier pharmaceutique – DP – qui est en expérimentation, depuis six mois, dans six départements. Grâce au dossier pharmaceutique, le pharmacien pourra désormais connaître, au moment de la dispensation, tous les médicaments que le patient a pris, toutes pharmacies confondues, dans les quatre mois précédents ; ainsi le biais lié au recours aux boîtes de 90 disparaîtra.
Lors de la mise en place du DP, nous avions prévu de faire uniquement le relevé de trois mois de traitement. A cause des boîtes de 90, nous avons porté ce délai à quatre mois pour bénéficier d’un mois supplémentaire, afin d’être sûrs que ne nous échappe pas la dispensation d’une boîte de 90.
Comme vous le voyez, madame la rapporteure, les réponses à votre question peuvent être multiples. C’est seulement après un temps d’application d’une, deux, voire trois années, que nous saurons si le but recherché, qui est de davantage responsabiliser le patient, sera atteint.
M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous dresser un premier bilan d’étape après six mois d’expérimentation du dossier pharmaceutique ? A-t-il déjà permis d’éviter des interactions médicamenteuses ? Quand pensez-vous étendre le dispositif à l’ensemble des pharmacies ?
M. Jean Parrot : La phase d’expérimentation sur les six départements choisis s’est bien passée. Les pharmacies d’officine concernées ont créé plus de 100 000 dossiers pharmaceutiques. Il faut savoir que, dès qu’un dossier est créé, il est automatiquement consulté lors de toute visite du patient dans une pharmacie équipée. Par le simple fait de la convergence dans le système informatique de la carte du patient et de la carte de professionnel de santé du pharmacien, le dossier apparaît à l’écran en trois secondes. Le pharmacien n’a pas à faire une requête spéciale.
Aujourd’hui, 300 pharmacies sont raccordées et entre 1 000 et 1 200 nouveaux dossiers sont créés chaque jour. Globalement, l’expérience est très positive.
Nous avons cependant rencontré quelques soucis que nous n’avions pas imaginés.
Dans l’expérimentation menée, nous ne devions pas, à l’origine, être les seuls acteurs. Il devait y avoir des communications communes – au besoin avec les moyens des grands medias – pour que la population soit informée de la création des différents dossiers électroniques de santé : le DP au niveau des pharmaciens, et le DMP, le dossier médical personnel, qui devait déboucher sur la mise en place d’un portail destiné à informer les patients. Vous connaissez les aléas qu’a connus le DMP. Cela ne remet pas en cause la philosophe globale du dispositif ni la nécessité d’avoir un jour un dossier électronique pour la totalité des consommations des biens de santé, mais cela nous a laissés seuls. Résultat : nous ne pouvons communiquer qu’avec chaque officine équipée. Nous ne pouvons pas faire de communication globale car les pharmaciens seraient submergés de demandes auxquels les pharmaciens, s’ils ne sont pas équipés, ne pourraient répondre et créerait une certaine frustration chez les patients qui ne pourraient accéder au dispositif présenté par les medias. Ce n’est pas le scénario que nous avions imaginé puisque nous avions même prévu un plan de communication commun avec le groupement d’intérêt public (GIP) du DMP.
La deuxième difficulté a été que, dans le cadre de la mise en place du DP, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) nous a demandé de respecter un certain nombre de règles pour la protection des données individuelles des patients. C’est certainement nécessaire, mais cela a considérablement compliqué l’architecture du DP et son déploiement. Là où nous avions prévu de passer relativement peu de temps avec chaque patient pour expliquer la création et la mise en place du dossier pharmaceutique, la CNIL nous a imposé tout un protocole qui nous oblige à y consacrer plus de temps.
Notre troisième souci vient des difficultés rencontrées par le DMP et du relais médiatique qui en a été fait. Nous devons parfois donner plus d’explications au patient pour le convaincre que ce que nous proposons n’est pas le DMP et que le DP est un dossier professionnel. Cela a nécessité un investissement plus important que prévu.
Mais tout cela ne remet pas en cause le principe général, et le DP fonctionne bien.
Pour répondre à la demande de la CNIL, tous les patients ont la liberté, s’ils le souhaitent, de se rétracter ou même de dire qu’ils ne veulent pas que tel médicament figure sur leur dossier. Dans ce dernier cas, comme le DP reste quand même un dossier professionnel, et non un dossier patient, il y a une trace mentionnant que le dossier est incomplet. Lors de toute dispensation ultérieure faite à ce patient, le pharmacien pourra lui demander si le médicament qu’il lui dispense ce jour-là présente un risque par rapport à ce qu’il n’a pas souhaité porter à la connaissance de l’ensemble des confrères. Le taux de refus de DP est d’environ 15 % et le taux de dossiers incomplets est de 0,002 %.
Les refus se fondent sur des critères variables. Quand on étudie la pyramide des âges, on voit un petit pic correspondant à la population, plutôt féminine, qui débute son âge adulte : les jeunes filles commencent à avoir une vie sexuelle active et ne souhaitent pas que leur famille puisse, éventuellement, savoir le choix de moyen contraceptif qu’elles ont fait.
M. Pierre Morange, coprésident : Cette crainte n’a effectivement aucun fondement. Le DP est un dossier professionnel basé sur la confidentialité.
M. Jean Parrot : Cette crainte n’a effectivement absolument aucun fondement, mais nous devons respecter la liberté des patients.
Il y a un autre pic correspondant à une population relativement jeune, active et, en général, assez instruite, qui estime qu’elle est capable de se gérer toute seule et n’envisage pas de déposer un dossier. Cette tendance ressort dans des départements très urbains. Nous l’avons constatée surtout dans le Rhône.
Pour essayer d’affiner ces observations, nous avons déposé une requête auprès de la CNIL pour passer par une deuxième phase intermédiaire, avant de procéder à un déploiement national.
Nous avons décidé de mettre en place la première phase pilote avec six partenaires qui ont aujourd’hui des dossiers permettant de faire du tiers payant à l’officine, et qui sont nos partenaires les plus importants au niveau du traitement des données pour l’assurance maladie. Le DP a été introduit par les éditeurs dans les logiciels de gestion d’officine (LGO) et nous avons à peu près une vingtaine de partenaires sur toute la France qui font les séquençages nous permettant d’avoir des relations de flux avec l’assurance maladie pour les remboursements de tiers payant.
M. Pierre Morange, coprésident : Ces partenaires sont-ils tout à la fois hébergeurs et transmetteurs ?
M. Jean Parrot : Ils sont transmetteurs.
Les hébergeurs qui existent dans le cadre des LGO sont soit des équipes professionnelles créées par les pharmaciens, soit des outils réalisés de façon indépendante. Des propositions ont même été faites au niveau des consortiums de banques. Mais cela concerne le flux financier, qui est complètement différent du flux DP. Pour ce dernier, nous avons créé une ligne spéciale, directe et sécurisée et nous avons traité avec un hébergeur national – SANTEOS – après avoir lancé un appel d’offres européen. Le flux DP est complètement sécurisé et indépendant.
Sur une vingtaine d’éditeurs LGO, ceux qui ont choisi de nous accompagner dès le départ sont au nombre de six. En réalité, il n’y en a que cinq qui ont vraiment fait l’effort de bien intégrer le DP pour qu’il fonctionne. Si nous décidions un déploiement national du DP, il n’y aurait donc que six éditeurs de LGO capables, du jour au lendemain, de répondre à la demande des pharmaciens dans toute la France. Nous ne sommes pas sûrs que les autres auraient fait l’effort, durant les six mois où ils sont restés dormants, d’adapter leurs logiciels au DP. À mon avis, ils ne seraient pas capables de soutenir la concurrence avec ceux qui ont commencé il y a six mois.
Nous avons demandé à la CNIL une autorisation pour un nouveau déploiement permettant de toucher 5 % de l’effectif des pharmaciens dans tous les départements afin, d’une part, de former des référents DP dans chaque département qui pourront ensuite aider à la formation de leurs confrères et, d’autre part, d’obliger tous les petits fabricants de LGO qui, parfois, agissent seulement dans un ou deux départements, à adhérer au système DP. Nous avons gardé chez SANTEOS un département test pour que tous les LGO entrent en phase test dès le mois de janvier 2008 – dès que la CNIL nous aura donné sa deuxième autorisation – pour être sûrs qu’ils soient tous prêts quand nous ferons le déploiement national – certainement vers le mois de juin ou juillet 2008.
Parmi les LGO qui ont démarré avec nous dans la première phase d’expérimentation, certains sont très gros. L’un d’entre eux représente pratiquement 30 % du parc. Son niveau actuel d’équipement ainsi que celui de la moitié des pharmaciens qui utilisent son LGO, c’est-à-dire environ 2 000, lui permettraient, dès l’autorisation de la CNIL, de réaliser la mise en œuvre du DP par un téléchargement nocturne pour ces 2 000 pharmacies. Tous les pharmaciens qui utilisent le logiciel LGPI de Pharmagest savent que c’est possible. Néanmoins, un basculement aussi rapide n’est pas souhaitable parce que les pharmaciens ne maîtriseraient pas tout le process à suivre pour bien recueillir le consentement du patient et mettre en place le DP.
Nous allons nous employer à former des formateurs dans tous les départements, puis nous continuerons à faire un accompagnement très progressif. Nous voudrions éviter qu’il y ait un effet pic et que cela retombe ensuite. Il y a un temps d’investissement important au moment de la formation et de l’intégration du dossier pharmaceutique.
M. Pierre Morange, coprésident : Pour quand prévoyez-vous la couverture nationale par le DP ?
M. Jean Parrot : La couverture nationale se fera au minimum sur deux ans. D’une part, le parc informatique de nos confrères devra être revu pour moitié parce qu’il n’est pas assez performant. D’autre part, tous les pharmaciens n’ont pas accès à l’ADSL. Il y a encore des zones géographiques en France qui ne sont pas raccordées. Nous avons des contacts avec le ministère concerné pour qu’un effort particulier soit fait en la matière. Par ailleurs, il faut un ADSL sécurisé.
M. Pierre Morange, coprésident : Fin 2009, la couverture devrait donc être à peu près complète ?
M. Jean Parrot : Oui, mais il faut savoir que cela va demander un investissement lourd à la profession. Puisqu’il s’agit d’un outil informatique professionnel, la profession a choisi de le prendre en charge elle-même, comme elle l’a toujours fait pour tout développement informatique.
M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous pu mesurer des premiers bénéfices du dossier pharmaceutiques dans les six départements expérimentaux ?
M. Jean Parrot : Oui, mais notre évaluation est limitée puisque nous nous sommes engagés à ne jamais recueillir de données individuelles patients et à ne pas les traiter de façon nominative. Ce que nous analysons, c’est la quantité de médicaments en cours de dispensation et qui, à un moment donné, ont été stoppés et retirés de la dispensation. Cela signifie que, alors que le pharmacien était en train de faire sa dispensation, sa banque de données lui a signalé qu’il y avait une interaction entre ce qu’il était en train de faire et le dossier patient qu’il avait sur son écran ; il a donc retiré le médicament qu’il avait introduit.
Sur les 100 000 dossiers traités, il y a eu 112 retraits de médicaments.
Nous allons voir avec la CNIL si nous pouvons faire une approche plus fine et connaître l’âge du patient, ou la tranche d’âge dans laquelle il se situe, et, si possible, la classe thérapeutique du médicament.
M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous interrogé les services d’urgence des départements expérimentaux afin de voir si la mise en place du DP avait entraîné une diminution des hospitalisations pour interaction médicamenteuse ?
M. Jean Parrot : C’est aujourd’hui prématuré. Nous ne pourrons mesurer l’impact du DP sur la iatrogénie évitable que lorsque le réseau sera déployé.
Mais ce qui est notable aujourd’hui, c’est qu’on a l’assurance que, dans 112 cas, un médicament en cours de dispensation a été retiré. L’anecdote comptoir qui va avec ce progrès, c’est que des pharmaciens ont appelé leur référent local pour exprimer leur satisfaction d’avoir éviter une interaction médicamenteuse.
M. Jean Mallot, coprésident : Quelle est la structure qui met en place le dossier pharmaceutique et le pilote ?
M. Jean Parrot : En 2004, tous les ordres professionnels de santé ont reçu pour mission supplémentaire de s’assurer de la sécurité de leurs actes. L’Ordre des pharmaciens a donc estimé qu’il lui revenait d’assurer la sécurisation des dispensations. Quand le DMP a été créé, nous avons souhaité nous y intégrer pour créer un outil professionnel de sécurisation en vue de l’abondement thérapeutique.
M. Jean Mallot, coprésident : L’Ordre des pharmaciens est effectivement en première ligne dans ce projet.
M. Jean Parrot : En effet et les cotisations des pharmaciens ont permis de développer, au sein des services de l’Ordre, un département entièrement consacré au DP, et de recruter les personnels nécessaires à sa mise en place.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les médecins peuvent-ils ou pourront-ils accéder au DP au moment où ils prescrivent ?
Comme il est prévu de favoriser l’automédication familiale, donc de faciliter l’accès des patients aux médicaments conseil, qui ne sont pas dénués d’interactions médicamenteuses ni d’effets secondaires, pensez-vous qu’il serait souhaitable d’intégrer ces médicaments dans le DP ?
M. Jean Parrot : Il est malheureusement impossible pour le moment aux médecins d’accéder directement au DP puisque ce dernier est un outil professionnel conçu et organisé au travers d’outils de nos fabricants de logiciels en vue du remboursement par le tiers payant.
Deux éléments favorables ont permis la création du DP. Le premier est le faible nombre de LGO travaillant avec nous – une vingtaine –, dont deux représentant 60 % du marché. Nous savions que nous pouvions monter quelque chose avec eux parce qu’ils n’étaient pas trop émiettés. Le second élément est que tous les médicaments sont codés, tous les pharmaciens ont une carte professionnelle et tous les patients une carte Vitale. De plus, tous les pharmaciens sont équipés en informatique parce qu’ils font tous du tiers payant. Tous les critères étaient donc réunis pour pouvoir créer un outil professionnel.
La seule chose possible vis-à-vis des médecins – et c’est ce qui se fait déjà sur le terrain –, c’est de faire, à la demande du patient, une copie de son dossier, qu’on lui remet en mains propres. Le seul accès du médecin au DP pour le moment est une copie papier.
Compte tenu de la façon dont notre outil est conçu aujourd’hui, il faut, pour qu’un médecin ait accès au DP, que le DMP existe et que le DP y soit intégré. Malgré les difficultés du projet DMP, j’ai plaidé en ce sens auprès de Mme la ministre de la santé, auprès des responsables du GIP-DMP et auprès de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le DMP. Dès l’instant où nous avons l’accord du patient, il faut que nous puissions mettre les données DP dans un outil consultable par les autres professionnels de santé.
Les médicaments conseil figurent déjà dans le DP. Les LGO ne prenaient jusqu’alors en compte que les médicaments remboursables puisque les flux qu’ils traitaient étaient destinés à l’assurance maladie. Ils ont élargi le champ des données collectées et intègrent désormais la totalité des médicaments.
Nous nous étions limités aux médicaments qui commencent par le code 3, mais, comme nous acceptons maintenant les médicaments d’importation, lesquels commencent par un code différent, nous travaillons avec les sociétés informatiques pour voir comment intégrer d’autres codes et, en même temps, comment intégrer les dispositifs médicaux.
Nous aurons également à consentir des efforts en 2009 pour voir comment on peut connecter les pharmacies hospitalières, puisque celles-ci le demandent. Nous reviendrons donc certainement devant le Parlement l’année prochaine pour vous demander une autorisation supplémentaire afin de raccorder les pharmacies hospitalières. Nous nous heurterons alors à une petite difficulté car, si les pharmaciens de ville ont payé leur déploiement et leur intégration au dispositif, il nous faudra, dans le cas des pharmaciens hospitaliers, passer des contrats avec les services hospitaliers. Je me suis déjà rapproché de la Fédération hospitalière de France pour lui présenter le sujet et réfléchir à une solution.
M. Pierre Morange, coprésident : Il ressort des travaux de la mission d’information sur le DMP, présidée par M. Jean-Pierre Door, qui vous a auditionné, que le délai de mise en œuvre de ce dispositif pourrait être de quatre à sept ans et que les masses financières qu’il serait nécessaire de mobiliser pourraient s’élever entre 4 et 5 milliards d’euros. Or vous avez indiqué qu’il était indispensable que le dossier pharmaceutique puisse être connecté avec le futur DMP pour lui donner sa cohérence.
J’ai proposé, en attendant que ce dernier soit mis en place, de cibler la population qui en a besoin de façon primordiale, c’est-à-dire les personnes atteintes d’une affection de longue durée, qui nécessitent une polythérapie et pèsent pour plus de 50 % dans le budget de l’assurance maladie. On pourrait mettre à disposition de chacun de ces patients une clé USB qui serait connectable sur le PC de l’ensemble des intervenants de la chaîne de santé. Un tel dispositif aurait l’avantage d’éviter d’être confronté, non seulement aux difficultés liées au problème de l’hébergeur et du transmetteur qui bloque dans le cadre du DMP, mais également aux réserves de la CNIL sur le plan de la confidentialité. Il pourrait être rapidement mis en place et aurait un coût moindre, tournant autour de 300 millions d’euros, en évaluant une clé USB entre 20 et 30 euros. Le directeur de la sécurité sociale et l’assurance maladie se sont déclarés intéressés par ce dispositif. Qu’en pensez-vous ?
M. Jean Parrot : Le problème posé par le recours à une clé USB est celui de la lisibilité de son contenu par les différents partenaires de santé. Quand vous recherchez quelque chose sur une clé USB, cela demande beaucoup de temps et n’est pas facile, surtout dans le cas d’un patient en ALD ayant des partenaires de santé multiples. Cela ne facilitera pas forcément la tâche lors des consultations. Le chargement sera certainement bien fait, mais il n’est pas sûr que l’outil soit facile à utiliser.
Dans le cadre des auditions auxquelles nous avons été conviés, il nous a souvent été demandé comment nous voyions le montage qui pourrait être fait par rapport à l’outil DP. Nous pensons qu’ils serait utile d’inviter et d’aider tous les professionnels à monter leur propre système : radiologistes, biologistes, pharmaciens, médecins généralistes, hôpitaux, en particulier dans le cadre de la montée en charge de la tarification à l’activité. Ce serait un premier outil vertical.
On pourrait très bien imaginer, au-dessus, un DMP de deux niveaux.
Le premier devrait être un outil partagé entre les professionnels de santé. Les médecins généralistes ne sont pas les seuls intéressés. Les biologistes souhaiteraient également connaître le traitement du patient quand ils font une glycémie. Inversement, les pharmaciens aimeraient connaître les derniers résultats des analyses quand ils doivent délivrer des médicaments anticoagulants. Des liens transprofessionnels doivent être établis. Les responsables du GIP-DMP ont déjà recensé ce que chacun a besoin de connaître dans le métier de l’autre. On pourrait utiliser toutes ces données pour construire ce premier étage.
On pourrait imaginer un deuxième niveau qui serait l’outil patient. Chaque profession, en accord avec les associations de patients, y mettrait toutes les données qui lui sont utiles.
Je vous donne un exemple concernant les pharmaciens.
Il est normal qu’ils donnent au patient la lisibilité des médicaments qu’il achète mais ce dernier n’a pas besoin d’avoir les dates de péremption de ceux-ci ni des détails sur des retraits de lots qui ne le concernent pas. Or il est prévu, dans notre outil professionnel, dès que cela sera possible avec l’industrie pharmaceutique et dès que le système le permettra, de procéder en même temps à une surveillance des spécialités afin de se garantir au maximum contre les entrées en France de médicaments frauduleux.
La contrefaçon des médicaments est un fléau mondial aujourd’hui. Les pays européens qui nous entourent devraient normalement se sentir sécurisés. Or ils ne le sont pas parce que, dans nombre d’entre eux, les importations de médicaments ne sont pas sous la responsabilité pharmaceutique.
En Angleterre, elles peuvent ainsi être faites par tout importateur détenant une licence d’importation. Il y a plus de 3 000 importateurs dans ce pays, qui peuvent importer des médicaments comme du thé ou des chaussures. Ils font rentrer des conteneurs provenant d’Asie ou d’ailleurs et les produits sont ensuite déversés sur les marchés. Or, aujourd’hui, les capacités des contrefacteurs sont telles que la dernière saisie faite en Angleterre correspondait à des produits d’un laboratoire français et portait le même numéro de lot que les médicaments vendus en France au même moment, ce qui a obligé le laboratoire français ainsi que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) à réagir de façon très rapide : ils ont dû retirer et mettre en quarantaine tous les médicaments portant ce numéro de lot en France. Un patient français, qui aurait lu dans un quotidien que tel numéro de lot de tel médicament que lui-même prenait – et qui, de plus, n’était pas un médicament banal – était retiré en Angleterre, n’aurait pas compris qu’il soit laissé en vente en France. Il a été nécessaire de tout bloquer.
En France, la distribution des médicaments est entièrement contrôlée par les pharmaciens. L’Europe, qui nous présentait autrefois comme très archaïque, étudie maintenant notre modèle.
Pour qu’un lot change de place dans l’usine qui le fabrique, un pharmacien responsable de l’usine signe et transmet à un autre pharmacien des affaires réglementaires. Quand le lot est déclaré conforme, le pharmacien industriel le met en quarantaine et attend, avant de le libérer, d’avoir reçu tous les certificats attestant que le lot est libérable. Le lot est alors stocké, soit chez un dépositaire, soit dans le laboratoire et ne peut être vendu qu’à un grossiste répartiteur, un pharmacien engageant sa signature dans le bon de commande.
Ainsi le pharmacien industriel vend à un pharmacien dépositaire, lequel vend à un grossiste. Le grossiste peut également acheter directement au laboratoire. Le lot part ensuite, soit dans une pharmacie hospitalière avec le numéro d’enregistrement d’un pharmacien hospitalier, soit dans une pharmacie d’officine avec le numéro du pharmacien d’officine. Tout cela est relativement transparent parce qu’on ne passe pas notre temps à échanger nos numéros. Les adresses et les certifications sont telles que, si une pharmacie demande à un laboratoire de lui envoyer des médicaments, ce dernier vérifie à la fois l’adresse de son établissement pharmaceutique et son référencement à l’intérieur du site de l’Ordre pour s’assurer qu’elle est bien une officine et qu’elle est ouverte et enregistrée. Ce n’est qu’après toutes ces vérifications qu’elle recevra ses médicaments. Sinon, elle ne reçoit rien.
Grâce à notre système – aussi archaïque qu’il puisse paraître –, il semblerait qu’on n’ait pas eu d’importations frauduleuses jusqu’à présent. Mais nous allons vérifier tout cela.
M. Pierre Morange, coprésident : Sur la sécurité de la chaîne pharmaceutique, vous prêchez des convaincus, mais il était important de rappeler devant les médias que la profession de pharmacien, notamment d’officine, qui a souvent été traitée de ringarde, est la gardienne de la sécurité en matière de médicaments.
Le développement de la contrefaçon de médicaments est préoccupant puisqu’on évoque, notamment en Afrique et dans le Sud-Est asiatique, des pourcentages allant de 35 % à 45 %.
M. Jean Parrot : Le taux de médicaments contrefaits dans les flux médicamenteux dans les pays en voie de développement atteint ces chiffres. Dans des pays dits de haute sécurité, comme les États-Unis d’Amérique, on l’estime entre 10 et 15 %. Cela est dû en partie au fait qu’aux États-Unis, les médicaments sont très chers et qu’environ 50 millions d’Américains n’ont pas de protection sociale. Pour trouver les médicaments les moins chers, ils vont sur Internet où la moitié des médicaments proposés sont contrefaits.
Le Canada est confronté au même problème, d’autant que les réglementations diffèrent selon les États. Le Manitoba a imaginé des pharmacies virtuelles et même des pharmacies situées dans les étages des immeubles, qui ne voient jamais les médicaments car ceux-ci viennent de l’étranger et repartent directement vers les États-Unis. Elles n’enregistrent que les flux financiers. La loi au Manitoba est telle aujourd’hui qu’un médicament qui rentre et qui est destiné à l’étranger n’a pas à être certifié ni ses normes enregistrées. C’est scandaleux.
La contrefaçon est devenue un énorme marché dans le monde, surtout celle des médicaments. Il est beaucoup plus facile et moins cher aujourd’hui pour un contrefacteur de faire des bouts de papier de couleurs différentes et d’y mettre un blister avec pratiquement rien du tout que de fabriquer un faux médicament. Cela nécessite encore moins d’investissement en matière première et la rentabilité est bien meilleure.
Pour revenir au DP, il est un domaine sur lequel nous voulons aussi agir. Nous voulons essayer, également avec l’industrie pharmaceutique, de mettre en place, en quelques années, un marquage de chaque boîte, de façon à ce que, après l’enregistrement informatique de la vente, il y ait effacement de la boîte du marché et qu’elle ne puisse plus y revenir, de quelque manière que ce soit. Grâce à notre système, qui est un outil professionnel, nous aurons un contrôle des flux depuis l’usine jusqu’au consommateur, de sorte qu’il sera impossible qu’une boîte soit recyclée deux fois ou même qu’un contrefacteur imagine une boîte avec le même numéro. Cela se fera, bien entendu, quand les outils informatiques seront développés, mais cela peut aller relativement vite. Il y a quatre ou cinq ans, les industriels n’étaient pas très réceptifs au problème de la contrefaçon alors que, aujourd’hui, nous travaillons en grande harmonie avec eux et des grandes firmes informatiques, dont IBM, nous aident à construire des outils qui devraient nous permettre, demain, de saisir sans souci des milliards de boîtes. Les capacités des ordinateurs le permettent aujourd’hui.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je veux également saluer la capacité du réseau officinal à récupérer des lots rapidement quand l’AFSSAPS signale un problème.
M. Jean Parrot : Dans le DP, nous n’enregistrons que les consommations des quatre derniers mois mais, dans le cas d’un retrait de lot, il y a ce qu’on appelle le « bris de glace ». Dès qu’on aura saisi le lot – ce qui va se produire dans peu de temps puisqu’on va passer de treize chiffres de saisie à quinze, seize ou dix-huit –, on pourra redescendre par le serveur informatique jusqu’au pharmacien qui a vendu la boîte et repérer l’identité de la boîte et du patient. L’opération « bris de glace » fonctionnera jusqu’à la date de péremption de la boîte, puisque, après, on estime qu’on n’a plus à la suivre.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Que pensez-vous de la délivrance exacte du nombre de comprimés nécessaires à un traitement comme dans les pays anglo-saxons, dans le cas, notamment, des pathologies aiguës ?
M. Jean Parrot : Cette question doit être réglée en amont, c’est-à-dire au niveau de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), pour que le conditionnement soit adapté à l’optimisation du traitement. Si le traitement est de huit jours et si la posologie est de deux comprimés par jour, il faut faire des boîtes de seize. Si le traitement est plus court, il faut faire des boîtes encore plus petites. C’est ce que la commission d’AMM et les laboratoires ont progressivement mis au point. Aujourd’hui, les restes médicamenteux pour des traitements courts sont de plus en plus réduits.
Par ailleurs, il faut savoir que le prix d’un médicament n’est pas lié au nombre de comprimés qu’il y a dans la boîte. Il est souvent lié au coût de traitement journalier par rapport à une pathologie donnée ainsi qu’à la difficulté de production de la molécule et au nombre d’étapes de production de celle-ci. Il est plus difficile de fabriquer une antiprotéase que de l’aspirine. Les conditions de synthèse et de fabrication ne sont pas les mêmes. Un élément du prix est lié à la molécule elle-même ; un autre élément est lié à la fois au coût de traitement journalier et au nombre de patients à traiter. Quand un bassin de population de plusieurs millions de patients est à traiter, la négociation entre le Comité économique des produits de santé et les laboratoires tiennent compte de cet élément ainsi que de l’encombrement éventuel d’autres produits sur ce même bassin de population, dans la mesure où il peut y avoir des situations concurrentielles.
Cela étant, l’une des meilleures réponses que l’on peut donner à votre question en tant que pharmacien est la suivante : si on enlève la boîte et la notice et si on se met à déconditionner comme cela se faisait largement dans les pays anglo-saxons, le patient perd beaucoup de qualités liées à cette présentation dite « à la mode française », car beaucoup d’indications sont données sur la boîte et sur la notice, dont le numéro de lot n’est pas la moindre. Pour retrouver ce dernier et tous les éléments utiles de suivi du médicament, il faudrait faire des conditionnements individuels, c’est-à-dire indiquer sur chaque blister individuel tous les éléments d’identité du produit depuis sa fabrication.
Si l’on conditionne tous les médicaments en blisters individuels, ce sera très compliqué, surtout pour les patients qui souffrent de pathologies multiples et suivent des traitements lourds, et qui se retrouveront avec des quantités de petits blisters. Il leur sera difficile de les utiliser, cela demandera beaucoup de temps pour les reconditionner en officine et cela présentera un risque de mélange de spécialités, voire de non-reconnaissance exacte du produit ensuite par le patient. Il n’y a rien de pire que deux comprimés blancs, même s’il y en a un de taille différente par rapport à l’autre. Quand vous sortez deux blisters différents de boîtes de couleurs différentes, vous avez moins de risques de vous tromper.
Pour résumer, je ne suis pas très partisan des déconditionnements en général. Je trouve que c’est une prise de risques.
J’en profite pour vous dire qu’on a également eu une fausse bonne idée entre professionnels en demandant des prescriptions systématiques en dénomination commune internationale (DCI). Intellectuellement, c’est intéressant parce que cela permet aux pharmaciens ainsi qu’aux médecins d’avoir, grâce à la DCI, des références à l’identité de la molécule par rapport à la formule. En revanche le patient se retrouverait avec une ordonnance illisible pour lui. Il vaut mieux avoir des noms de fantaisie, même s’ils sont des noms commerciaux. Ce qui est le plus utile pour le patient, c’est la sécurité d’utilisation, même si, intellectuellement, il est contrariant de ne pas utiliser le nom réel du produit.
Il faut toujours faire attention aux fausses bonnes idées. J’ai, moi-même, milité à une époque pour la prescription en DCI et je me suis aperçu que son application au public n’était pas bonne.
M. Pierre Morange, coprésident : Vous nous avez dit que vous nous demanderez l’autorisation d’étendre le DP aux pharmaciens hospitaliers. Nous sommes ouverts à toutes suggestions pouvant être déclinées soit sous forme réglementaire, soit sous forme législative et participant de notre philosophie commune, à savoir l’intérêt des patients et la bonne gestion de l’argent public.
M. Jean Parrot : Je vous remercie. Pour le moment, le coût pour les pharmaciens du déploiement du dossier pharmaceutique est estimé à environ 20 millions d’euros sur cinq ans. Ce coût est financé par les cotisations des pharmaciens titulaires d’officines, lesquelles ont beaucoup augmenté. Nous avons demandé des possibilités de subventions de la part du Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS) puisque nous contribuons à l’amélioration de la qualité des soins. Mais, comme cela restera un outil professionnel, cela nous demandera quelques investissements.
Pour ce qui concerne les pharmaciens hospitaliers, je suis en train de faire réaliser une évaluation préalable afin d’être en mesure d’indiquer à la Fédération hospitalière de France le coût prévisionnel estimé et lui demander si elle pense pouvoir le supporter, compte tenu du nombre d’établissements à raccorder. Il faudrait que ce soit un prix par établissement. Je ne vois pas comment on peut faire autrement, à moins que l’État veuille prendre en charge ce coût.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Nous avions bien d’autres questions à vous poser mais nous vous les communiquerons en vous demandant de bien vouloir y répondre par écrit.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions.
*
Audition de M. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, accompagné de M. Jean-Pierre Lamothe, premier vice-président, président de la commission économie de l'officine, M. Claude Japhet, président de l'Union nationale des pharmaciens de France, et Mme Marie-Josée Augé-Caumon, membre du conseil d'administration de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Sans revenir sur le caractère juste ou injuste et sur l’efficacité économique de la franchise médicale de 50 centimes par boîte de médicaments, j’aimerais savoir ce que vous en pensez en termes de prescription et de consommation. La jugez-vous de nature à réduire la consommation des médicaments ?
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : Il faut s’interroger sur la prise en charge de ces franchises. La décision n’est pas encore prise pour les complémentaires mais on entend dire qu’il se pourrait que le remboursement soit introduit dans les contrats responsables. Or il va de soi que si le reste à charge de l’assuré est remboursé, la disposition aura une portée moindre.
Il s’agit par ailleurs d’une mesure économique qui risque de pénaliser un certain nombre de patients et qui aura des effets induits. En premier lieu, ceux qui ont besoin de consommer beaucoup de médicaments, en particulier les patients en affection de longue durée (ALD), seront obligés de restreindre leur consommation au risque de ne pas se soigner comme il faut. Cela pourrait être néfaste à la santé des Français.
On risque en deuxième lieu d’assister à des transferts au sein des familles, le premier ayant atteint le plafond de 50 € cherchant à se faire prescrire la totalité des médicaments consommés ensuite par le reste de la famille.
Il me semble que l’on pourrait faire appel à d’autres outils, comme le dossier médical personnel (DMP) et l’observation de la redondance des actes, et faire confiance aux pharmaciens pour le suivi des patients en cas de trop forte consommation. Nous avons d’ailleurs signé une convention avec l’assurance maladie afin d’organiser le suivi des personnes âgées qui consomment beaucoup de médicaments.
M. Claude Japhet : Avant d’en venir aux franchises, je veux rappeler que le discours récurrent sur la surconsommation médicamenteuse dans notre pays traduit en fait une idée reçue. En effet, de 1994 à 2007, la consommation des médicaments remboursés n’a absolument pas varié. Plus exactement, elle a connu une faible augmentation jusqu’en 2004 et la tendance s’est inversée par la suite, ce qui fait que l’on n’a pas consommé davantage de boîtes cette année qu’il y a treize ans.
Qui plus est, la notion de surconsommation est assez floue. Il est en effet très difficile de faire des comparaisons internationales car le contenu des boîtes varie de 12 à 60 voire à 100 unités. En France, on raisonne en nombre de boîtes alors qu’en nombre d’unités, la consommation française a un peu moins progressé que celle des autres pays européens.
Nous demeurons toutefois largement au-dessus de nos voisins avec, en moyenne, quatre boîtes par personne et par mois. Pour disposer de comparaisons plus fines, il faudrait des méthodes de comptage similaires entre pays. En France, cela nous obligerait à remonter à la prescription et à la posologie, mais nous ne disposons pas d’outils suffisamment fins pour cela.
M. Jean Mallot, coprésident : S’il n’est pas possible de mener cette comparaison à grande échelle, on peut toutefois le faire sur un échantillon, ce qui permettrait d’avoir une idée.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : C’est ce qu’on a commencé à faire avec la DDD (Defined Daily Dose – dose journalière définie), mais on se heurte également à des différences de dosage, par exemple 200 mg en Angleterre et 400 mg en France.
M. Claude Japhet : J’en viens aux incidences que la franchise pourrait avoir sur la consommation et sur ses éventuels effets pervers.
Dès lors qu’il y a responsabilisation de l’assuré – et telle est la volonté du législateur – il y aurait autorégulation de la consommation si la mesure intervenait au moment même du paiement par l’assuré. Or tel ne sera pas le cas puisqu’elle sera appliquée par la suite par l’assurance maladie au moyen d’une retenue sur les remboursements qu’elle effectue. On peut donc penser qu’elle ne jouera pas comme un véritable frein à la consommation.
Nous pourrions même avoir un effet de seuil avec une accélération de sa consommation une fois que l’assuré aura atteint le plafond de la franchise. On a vu que le panier moyen de médicaments est de quatre boîtes par mois soit une cinquantaine de boîtes par an, ce qui correspond à peu près au plafond de la franchise. On assistera donc non seulement aux transferts intra familiaux que vient d’évoquer Mme Augé-Caumon, mais aussi à une surconsommation de fin d’année, une fois le plafond dépassée, afin d’anticiper le plafond de l’année suivante. On aura ainsi, au bout du compte, un effet inverse de celui que nous cherchons tous à atteindre, c’est-à-dire une régulation de la consommation de médicaments dans le temps.
Qui plus est, la fiabilité du dossier pharmaceutique personnel se trouvera affectée par les transferts de prescription, notamment au sein des familles, ce qui risque d’obliger les officines à un travail de recherche supplémentaire.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : Ces transferts devraient tout de même être limités par les médecins.
M. Claude Japhet : On voit déjà des anomalies flagrantes dans les prescriptions, par exemple avec un produit pour enfants sur une ordonnance destinée à un adulte. À nous de faire la part des choses, comme nous le faisons déjà.
M. Philippe Gaertner : Quand on parle de surconsommation, on a tendance à mélanger deux notions : la consommation en euros et la consommation en unités. Nous avons donc essayé d’y regarder de plus près et nous avons constaté qu’à partir d’une base 100 en 2001, le chiffre d’affaires industriel est passé à 130 en 2007, tandis que le nombre d’unités se situe entre 97 et 98, donc effectivement en légère diminution, et que la consommation en nombre de boîtes chute à 94. Les différents plans successifs ont donc bien eu un effet sur la quantité d’unités et de boîtes de médicaments consommées.
Je suis en légère divergence avec mes collègues en ce qui concerne la franchise.
J’observe pour ma part que les patients sont déjà fortement sensibilisés, qu’ils nous interrogent régulièrement à ce propos et qu’ils s’attendent même déjà à devoir la payer. Je pense donc que même si elle n’est pas prélevée en officine, elle aura bien un impact sur la consommation en ce qu’elle incitera à vider l’armoire à pharmacie. L’effet sera donc ponctuel mais réel.
Quant à l’effet de seuil, il est possible qu’il se manifeste à la fin de 2008, première année d’application du dispositif, mais plus les années suivantes car le phénomène de report anticipé ne jouera qu’une fois.
M. Jean-Pierre Lamothe : L’effet de la franchise va jouer sur la consommation, mais il s’estompera assez vite, en particulier parce qu’elle sera prélevée au moment du remboursement par l’assurance maladie.
La dérive que je crains est celle d’une demande accrue du patient sur le médecin afin d’avoir immédiatement des bons conditionnements, y compris en initiation de traitement. Cela pourrait entraîner un gâchis, source de surcoût pour l’assurance maladie. Nous commençons d’ailleurs déjà à ressentir ce phénomène au comptoir des officines.
J’exerce dans un quartier plutôt favorisé où les franchises ne sont pas très bien perçues parce que les patients cotisent beaucoup à l’assurance maladie, qu’ils ne sont pas très fréquemment malades et qu’ils n’arriveront pas forcément à obtenir un remboursement correct. Ils pourraient ainsi, à un moment, avoir une légitimité à demander à sortir du système solidaire pour aller vers un système assuranciel privé. Il y a donc là un réel danger pour notre système solidaire collectif.
Cela étant, le dispositif va se mettre en place et il serait malvenu en tant que professionnels de santé que, d’un côté nous demandions à ne pas être toujours la variable d’ajustement lorsqu’il y a un déficit de l’assurance maladie et que, de l’autre, nous refusions tout système responsabilisant le patient et procurant des recettes à l’assurance maladie. Simplement, il faudra veiller à ce que les dérives ne soient pas trop importantes et à ce que les grands conditionnements ne se développent pas à l’excès car cela pourrait être source de gâchis. S’il pouvait sembler logique que, pour un traitement de douze mois, douze boîtes soient remplacées par quatre, il ne faudrait pas que l’on arrive en fait à six ou sept boîtes car cela entraînerait un surcoût pour l’assurance maladie.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : À l’occasion d’un congrès, vous aviez, monsieur Gaertner, présenté un graphique qui montrait fort bien l’évolution de la consommation des médicaments en fonction des prescripteurs et des pharmaciens. Pouvez-vous en dire plus à ce propos ?
M. Philippe Gaertner : Je vous remettrai ce document. Il s’agit d’un graphique qui comporte des éléments purement économiques et d’autres éléments liés à la consommation : chiffre d’affaires industriel, marge des officines, nombre de consultations et de visites dont vos auditions précédentes ont montré qu’il était bien lié à la consommation. En effet, on constate que la courbe des consultations et celle de la consommation en unités sont parallèles.
M. Jean Mallot, coprésident : Comment analysez-vous les relations entre les pharmaciens et ce qui vient en amont, en particulier les efforts promotionnels des laboratoires ? Comment pourrait-on améliorer les choses ?
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : On a coutume de dire que le médecin français est le plus innovant au monde, ce qui signifie que la pénétration des nouveaux médicaments, probablement induite par la visite médicale, réussit assez bien.
On constate toutefois que les choses changent dès lors que l’on introduit un autre intervenant dans le mécanisme, au lieu de laisser se dérouler un dialogue entre le médecin et l’industrie pharmaceutique. Ainsi, l’intervention du pharmacien est propice à une régulation : on a bien vu avec les génériques que les officines pouvaient agir sur la substitution.
Alors que jouent ce que l’on appelle les effets pervers du changement de prescription – c’est-à-dire que l’industrie s’efforce de maintenir un niveau élevé du prix du médicament – passer du duo médecin-industrie à un trio incluant le pharmacien pourrait bien avoir un effet sur l’économie du médicament.
M. Jean Mallot, coprésident : Il devrait même s’agir d’un quatuor car on ne saurait oublier l’assurance maladie…
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : Les délégués de l’assurance maladie ont en effet un rôle efficace auprès des pharmaciens et des médecins, mais on n’en compte que moins d’un millier et leur poids est insuffisant au regard de celui des visiteurs médicaux.
M. Claude Japhet : Je ne me prononcerai pas sur la pertinence de la prescription médicale : les médecins prescrivent en toute liberté et nous n’avons pas à nous ingérer dans leurs relations avec l’industrie pharmaceutique.
Nous constatons néanmoins les effets sur les génériques de cette volonté de prescription favorisant plutôt l’innovation que ce qui existe déjà. Ainsi, on a vu la consommation des prazoles augmenter tandis que celle des produits de substitution demeurait stable. Le phénomène est encore plus frappant pour les statines dont le marché ne fait qu’augmenter jusqu’à ce que la substitution intervienne et que la consommation stagne avant de chuter. Le troisième exemple est celui des acides alendroniques pour lesquels les ventes de Fosamax ont progressé continûment jusqu’à ce que, quelques semaines avant que le brevet ne tombe, le nouveau médicament de contournement enregistre une forte progression tandis que l’ancien chutait brutalement, pratiquement au moment de la sortie du générique.
En disant cela, je ne me prononce nullement sur la pertinence d’aller vers le nouveau médicament. Simplement, il est surprenant qu’il y ait ce transfert de prescription au moment même où un produit est sur le point de tomber dans le domaine public, sachant que l’on n’est plus dans la même gamme de prix…
Ce n’est certes pas le cas pour tous les produits, mais on est quand même globalement dans un phénomène industriel et médical qui favorise de plus en plus l’innovation par rapport aux génériques. D’ailleurs, alors que le marché des génériques aurait dû enregistrer une progression constante, il est très loin des objectifs qui lui avaient été fixés. Cela montre que, quelle que soit la volonté de faire des économies, on ne parviendra jamais aux résultats escomptés au moment où on l’aurait voulu, tout simplement parce qu’il y a des transferts de prescription.
M. Jean Mallot, coprésident : Mais alors que faire ?
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : Inciter à prescrire dans le répertoire des génériques.
M. Claude Japhet : Vous aviez raison de parler d’un partenariat à quatre : si l’industrie, les prescripteurs, les pharmaciens et l’assurance maladie ne se mettent pas d’accord sur des objectifs quantifiés, on ne parviendra pas à les atteindre.
M. Philippe Gaertner : À partir du moment où de nouvelles molécules innovantes sont mises sur le marché, nous sommes l’un des pays où l’accès à cette innovation est le plus rapide. Je ne porte pas de jugement de valeur sur ce phénomène, mais les citoyens, qui sont aussi les patients, attendent cet accès à l’innovation. Et c’est bien la mutualisation de la prise en charge qui le permet.
Je rappelle qu’au moment de l’arrivée des génériques, les officines ne demandaient rien. Cette arrivée a fait suite à une convention entre l’État et l’industrie pharmaceutique qui consistait à mettre en avant les génériques en contrepartie des progrès de l’innovation. C’est dans un deuxième temps, quand on a constaté la très lente montée en charge des génériques, que l’on s’est tourné vers le pharmacien en lui octroyant le droit de substitution, qui a été suivi par un certain nombre d’accords conventionnels. Toutes les conventions passées entre les pharmacies d’officine et l’assurance maladie ont été respectées et leurs objectifs ont même été dépassés.
Je ne reviens pas sur les déplacements de prescription que vient d’indiquer M. Claude Japhet, mais il est quand même quelque peu irritant, quand on a consenti au comptoir un effort important de substitution, de constater des effets de contournement liés à d’autres acteurs, médecins et industriels. Comme vous l’avez dit, il y a pourtant le quatrième partenaire, l’assurance maladie, ainsi qu’un objectif d’équilibre des dépenses.
S’agissant de la visite médicale, un autre phénomène provoque une forte irritation : celui des me too. Il pose un problème pour la pharmacie car on est bien cette fois sur une molécule de même DC (dénomination commune). Par le biais soit des dosages, soit de la forme galénique, on dévie la prescription.
Il ne s’agit pas de porter un jugement, mais simplement de décrire ce que ressentent les pharmaciens d’officine. Pour cela, je prendrai l’exemple d’un des derniers me too dans le domaine de la gynécologie.
Nous avions jusqu’à présent un dosage à 5 mg en boîte de 10 et nous voyons arriver à dosage à 3,75 mg en boîte de 14. Les études montrent bien entendu qu’en hormonothérapie ce dernier dosage a la même efficacité. On comprend fort bien que la femme ne continue pas à prendre 5 mg quand 3,75 sont suffisants et que le prescripteur tienne le même raisonnement. Il faut donc s’intéresser davantage à l’aspect économique pour comprendre l’irritation du pharmacien. Avec l’ancien princeps à 5 mg, la marge brute de la pharmacie était de 4,58 €. Quand on délivre le générique, en 2007, la marge est de 5,28 €, ce qui permet de compenser l’effort de substitution. Quand on passe au nouveau dosage, avec le princeps non substituable, la marge tombe à 3,20 €. La perte de marge est de 30,21 % par rapport au princeps initial et de 61 % par rapport au générique, pour un prix équivalent pour l’assurance maladie. Cela signifie que, dans une telle opération, la pharmacie supporte la totalité de la perte de marge, mais aussi que les pharmaciens ont l’impression que tout le travail qu’ils ont fait en faveur de la substitution est nié.
M. Jean-Pierre Lamothe : Ces dernières années, la consommation en nombre de boîtes vendues n’a pratiquement pas bougé et elle a même légèrement régressé. La visite médicale n’entraîne donc pas une surconsommation en unités, mais bien un changement dans la prescription. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les contournements et les transferts de prescription liés au générique. L’influence essentielle de la visite est donc bien de dire que tel ou tel produit procure un meilleur bénéfice au patient et que c’est donc ce produit qu’il faut utiliser. Il reste toutefois à voir si cette utilisation est véritablement pertinente pour tous les patients. On peut se poser la question pour un certain nombre de produits…
S’agissant de la décision du médecin par rapport à une pathologie déterminée, les délégués de l’assurance maladie peuvent toutefois exercer une réelle influence. Ils peuvent en particulier rappeler qu’à qualité de traitement égal pour le patient il convient de prescrire dans le répertoire des génériques. En ce sens, on peut dire qu’il s’agit de l’ébauche d’un contre-pouvoir.
Par ailleurs, si l’on observe le marché du médicament au cours des quinze dernières années, on s’aperçoit que l’on est dans un modèle inflationniste pur puisque le nombre d’unités vendues ne bouge pas tandis que le chiffre d’affaires progresse. Autant il paraissait légitime de tendre vers une homogénéisation des prix industriels au niveau international, autant il faut être aujourd’hui vigilant quant aux produits de contournement. Observant un début de surchauffe sur les prix des spécialités pharmaceutiques, l’État avait mis en place le système des marges dégressives lissées, qui fait que, bon an mal an, les officines progressent deux fois moins que l’industrie.
S’il était logique dans ce contexte que la marge brute globale des officines soit limitée de la sorte, il faut toutefois faire attention car, avec ce dispositif, l’officine serait particulièrement sensible à un retournement du marché et à une déflation du prix du médicament. Il faudrait donc prévoir des taquets à la baisse. C’était d’ailleurs bien l’idée de l’égalité de marge entre le princeps et le générique. À défaut, la baisse du prix des médicaments aurait été répercutée directement sur la marge. On a vu avec le plan Médicament de 2006 que, alors que les revenus de l’industrie étaient stabilisés, les ressources des officines diminuaient.
On peut donc comprendre l’agacement dont a fait état M. Philippe Gaertner à propos de l’exemple précis d’un produit de contournement, tout simplement parce qu’il n’y a plus de mécanismes de régulation dans un contexte déflationniste. Or la plupart des États développés ont « sur-solvabilisé » la recherche et le développement industriel et l’on va, selon moi, vers une déflation inévitable et durable du prix des spécialités, même si, dans le contexte actuel de déremboursement et de développement des génériques, on assiste à une réallocation des ressources industrielles vers des produits plus onéreux. Les effets des plans médicaments successifs ne se feront sentir qu’à moyen ou à long terme, mais nous devons être vigilants pour que les réseaux ne soient pas déstructurés dans ce contexte déflationniste.
Enfin, s’il est légitime que des informations soient données dans le cadre de la visite médicale, il faut aussi que des contre informations puissent être délivrées.
M. Pierre Morange, coprésident : J’aimerais que nous abordions aussi le sujet des molécules onéreuses, car environ 30 % de l’augmentation des dépenses de médicaments en ville résultent du transfert de prescriptions hospitalières vers la médecine de ville.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : On a déjà tenu compte de l’arrivée des molécules onéreuses et de l’impact qu’aurait leur sortie de la réserve hospitalière quand on a renégocié la marge des pharmacies d’officine, il y a quelques années.
Aujourd’hui, nous sommes tributaires du transfert de l’hôpital vers la ville de molécules et de dispositifs médicaux que nous ne délivrions pas auparavant et ces consommations sont comptabilisées dans l’enveloppe ville et non dans l’enveloppe hôpital. Il y aura de plus en plus de molécules onéreuses supportées par l’enveloppe de ville, mais il y a aussi des traitements liés au suivi de l’hospitalisation, en particulier certains pansements, que l’on délivre désormais en ville, tout simplement parce que le malade reste souvent très peu de temps à l’hôpital.
M. Claude Japhet : Je rappelle que le prix moyen d’une boîte de médicament n’a pas évolué au cours des deux dernières années et qu’il reste autour de 10 €. En revanche, deux marchés se sont véritablement envolés ; celui des médicaments dont le prix public est supérieur à 500 €, – ils représentaient environ 1 % de la dépense de médicaments en ville en 2002 et atteignent 8 % aujourd’hui, ce que confirme le transfert de l’hôpital vers la ville – ; ainsi que celui des médicaments dont le prix public est entre 150 et 183 €, dont la part est passée de 7 % du total en 2004 à 14 % cette année.
Alors que l’on a fait des efforts pour abaisser les prix moyens ou faibles, l’impact des produits sortis de la réserve hospitalière a l’effet exactement inverse. Ce phénomène s’accélère en raison du raccourcissement des hospitalisations et il provoque une déstructuration économique, car un petit nombre seulement de patients est concerné.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : Cela n’a toutefois pas d’incidences sur le patient : le nombre de journées d’hospitalisation diminue, mais il n’y a pas d’incidents, ce qui signifie que les officines répondent bien à cette nouvelle demande.
M. Philippe Gaertner : En effet, les drames que l’on annonçait ne se sont pas produits.
Je vous remettrai également des documents concernant les médicaments sortis de la réserve hospitalière. Le premier montre que, jusqu’en 2005, ils représentaient 20 millions d’euros par mois dans le chiffre d’affaires des officines et qu’on en est aujourd’hui à 120 millions par mois. Ainsi, au mois de septembre dernier, les médicaments sortis de la réserve hospitalière ont représenté 6,3 % du chiffre d’affaires des officines et 3,5 % de la marge des pharmaciens sur les médicaments remboursables.
Il va falloir faire évoluer les modèles et s’intéresser à ce suivi, économiquement important, d’autant qu’un autre document indique que les officines profitent très inégalement de la sortie de la réserve hospitalière. Seules celles qui se trouvent à proximité d’un centre hospitalier universitaire (CHU) en bénéficiant vraiment.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je souhaite revenir sur les me too et sur les contournements de génériques.
Avez-vous remarqué, dans le territoire de votre officine, des variations de comportement des cabinets médicaux, par exemple pour une innovation thérapeutique donnée, après le passage d’un visiteur médical ?
Toujours dans ce territoire, disposez-vous de moyens pour dialoguer avec la profession médicale afin de leur expliquer les efforts que vous accomplissez en faveur des génériques et de leur demander pourquoi ils prescrivent une innovation thérapeutique dont on sait qu’elle n’en est pas vraiment une ?
J’ai ainsi le souvenir, il y a quelques années, d’un antibiotique qui n’apportait rien de plus mais qui était 30 % plus cher. Comment en parler avec les médecins ? Comment faire en sorte que la profession de pharmacien n’ait pas toujours l’impression d’être à la remorque du médecin au lieu d’être actrice ?
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : Je ne suis pas sûre d’avoir compris si vous voulez nous faire dire que les visiteurs médicaux ciblent certains médecins ou qu’il y a des médecins plus sensibles que d’autres à l’influence de la visite…
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je ne fais aucun procès d’intention aux médecins, mais je connais la difficulté qu’ils ont à se former, en particulier lorsqu’ils sont isolés, en milieu rural. Et je constate que les visiteurs médicaux, après s’être rendus chez les médecins, vont aussi dans les officines pour conseiller aux pharmaciens de se procurer un produit qui va être demandé très rapidement. Je me demande donc simplement si le pharmacien – qui a pu faire l’analyse de ce produit, en particulier grâce à la fiche de transparence – s’il constate qu’il s’agit d’un contournement de générique parce qu’il n’y a pas vraiment d’innovation thérapeutique, a la possibilité d’aller l’expliquer aux médecins, par exemple par l’intermédiaire des ordres professionnels.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon : Nous avons toujours été d’une neutralité parfaite vis-à-vis de la prescription médicale. Quand on est au comptoir depuis des années, on sait très bien qu’il suffirait d’un haussement de sourcils, lorsqu’un patient présente une prescription, pour qu’il se détourne du traitement et que l’on pourrait donc ainsi inciter à la non-consommation. En fait nous agissons très peu, au moment de la dispensation, en direction du patient ou du médecin. En revanche, lorsque nous avons l’occasion de nous retrouver avec des médecins, nous ne nous privons pas de leur dire ce que nous pensons. Eux-mêmes nous ressortent souvent les arguments qu’ils ont entendus lors de la visite médicale, à savoir que l’on n’est pas au courant des nouvelles indications ou du RCP (résumé des caractéristiques du produit).
La seule possibilité d’être un tant soit peu efficace en la matière serait que médecins et pharmaciens reçoivent ensemble des formations et des communications, pour être au fait des nouveautés en même temps. Dans ces conditions, comme cela se fait ailleurs au sein de commissions médicales dans les hôpitaux, le pharmacien pourrait avoir une influence sur la prescription. Les réseaux de soins pourraient aussi nous permettre de nous rencontrer davantage.
M. Claude Japhet : Je me refuse à attaquer le choix thérapeutique du médecin, car il est de sa responsabilité de décider en toute connaissance du patient et de la pathologie, de la pertinence de sa prescription.
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un nouveau produit sort que tous les médecins vont entrer dans le dispositif ; il est donc difficile d’apprécier l’impact de la visite en termes de pénétration des nouveaux produits.
J’ajoute que la relation entre médecins et pharmaciens dépend très largement de l’endroit où ils se situent : à la campagne quand, dans une zone déterminée, on a un ou deux pharmaciens pour deux ou trois médecins, il leur est assez facile de se rencontrer et de dialoguer. Des actions locales sont alors possibles parce qu’il y a de plus en plus de rencontres entre médecins et pharmaciens ainsi que des formations croisées, y compris avec l’hôpital. Les choses sont beaucoup plus difficiles en ville, où le nombre de médecins et la concurrence sont bien plus importants.
J’ajoute que je suis assez sceptique quant à la possibilité de nouer ce dialogue dans le cadre des syndicats ou des ordres professionnels.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je n’évoquais pas l’action du pharmacien au moment où il délivre les médicaments, mais j’envisageais bien une intervention en amont, dans un cadre collégial, autour par exemple des préconisations de la Haute Autorité de santé.
M. Pierre Morange, coprésident : L’objectif que nous partageons est celui de la santé de nos concitoyens et, dans ce cadre, chacun doit assumer ses responsabilités : le médecin prescrit, le pharmacien délivre. Il ne faudrait donc pas donner l’impression que l’on fait ici le procès des uns ou des autres, d’autant que le niveau des professionnels de santé français est remarquable et qu’ils recherchent systématiquement le travail en équipe.
Cela étant, la formation en pharmacologie des médecins est faible, en formation initiale comme en formation médicale continue, et il est évident que des progrès sont à faire.
M. Philippe Gaertner : J’ai la chance de travailler en milieu rural et de bien connaître les prescripteurs ; s’ils m’appellent fréquemment pour avoir un renseignement d’ordre pharmacologique, ils n’attendent absolument pas de moi que je les oriente dans la prescription.
S’agissant de l’influence de la visite médicale sur les me too, j’ai déjà dit que cela fonctionnait très bien et que le report de prescription était général et complet.
À propos de l’innovation, je vais prendre l’exemple des antiulcéreux.
Lors du passage de la cimétidine à la ranitidine, utilisées pour les traitements antiulcéreux, on s’est interrogé sur la nécessité d’aller vers un produit plus cher. On s’est ensuite posé la même question au moment de l’apparition des inhibiteurs de la pompe à protons. Aujourd’hui, compte tenu des effets positifs mais aussi des effets indésirables, aucun prescripteur n’envisage de revenir à la cimétidine. On a donc là un exemple manifeste d’innovation véritable, qui nous montre qu’il faut éviter de généraliser.
Enfin, je me suis occupé de formation pendant vingt-cinq ans. Si je suis convaincu de l’intérêt d’aller vers des formations communes, je mesure combien cela est difficile dans la pratique, car les pharmaciens y sont toujours beaucoup plus nombreux que les médecins et cela ne reflète pas l’équilibre normal entre les deux professions. Qui plus est, les contenus des formations nécessaires aux uns et aux autres sont différents.
Il me semble en revanche que les réseaux de soins peuvent être des lieux privilégiés d’échange des pratiques. Il faut donc s’efforcer de bâtir des outils qui soient transposables afin que chacun puisse les utiliser dans sa pratique quotidienne.
M. Pierre Morange, coprésident : Merci d’avoir répondu de façon aussi précise à nos questions.
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Audition de MM. Christian Lajoux, président du LEEM – Les entreprises du médicament, et de Claude Bougé, directeur général adjoint.
M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament.
Vous êtes des acteurs à la fois de la santé et de l’économie. Il nous paraît donc utile de savoir comment vous analysez la pertinence et l’efficacité de la fiscalité française du médicament.
M. Christian Lajoux : C’est au regard de la compétitivité de notre industrie du médicament que la fiscalité doit être considérée.
Auparavant, je veux rappeler qu’aujourd’hui les enjeux de la santé concernent l’industrie des sciences du vivant et du médicament. Quelques pays seulement continueront à participer à la compétition internationale en matière de recherche, car c’est bien là l’essentiel, l’innovation thérapeutique étant la finalité de l’industrie du médicament. Or la France, premier producteur et exportateur en Europe, est aujourd’hui confrontée à de nouvelles concurrences venant d’autres continents.
Dans ce contexte, il faut se demander si notre fiscalité nous pénalise, notamment au regard de l’attractivité de nos centres de recherche. Or, en dehors de ceux de l’industrie française, il y a en France très peu de centres de recherche de grands groupes internationaux. C’est un véritable handicap. De même, pour la production, la France est rarement choisie, les industriels préférant s’installer en Espagne, en Irlande ou en Hongrie.
C’est là qu’intervient notre fiscalité qui est extrêmement complexe, peu lisible, instable et plus lourde que celle de nos voisins. Il s’agit en fait d’une fiscalité d’exception, avec pas moins de onze taxes qui ont perdu leur caractère structurant pour devenir des taxes de rendement. Certaines sont des formes de débudgétisation de services publics, comme celle qui, en 2007, a financé à hauteur de 60 millions d’euros l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et qui porte en particulier sur la recherche biomédicale. De même, les industriels du médicament contribuent chaque année à hauteur de 9 ou 10 millions d’euros au financement du nouveau Centre national de gestion des essais de produits de santé (CeNGEPS).
De façon plus directe, nous sommes peut-être la seule industrie à être taxée sur notre chiffre d’affaires. Nous sommes également taxés sur les ventes directes aux officines ainsi que sur la promotion.
Nous préférerions de beaucoup une fiscalité structurante, par exemple destinée à réduire la consommation de médicaments ou le déficit des comptes sociaux. Tel n’est pas le cas et, même si l’on note certaines évolutions récentes, par exemple en ce qui concerne le crédit d’impôt recherche, cette fiscalité n’est pas de nature à faire choisir la France par les groupes internationaux.
M. Pierre Morange, coprésident : Ce constat est partagé par la Cour des comptes qui a noté le manque de lisibilité et de stabilité de cette fiscalité, que vous-mêmes jugez également contreproductive. Quelle devrait être cette fiscalité « structurante » que vous appelez de vos vœux ?
M. Christian Lajoux : Elle pourrait prendre la forme d’une clause de sauvegarde : dans un cadre défini de croissance du médicament, un accord entre l’industrie et le Comité économique des produits de santé (CEPS) permettrait de taxer les dépassements de chiffre d’affaires.
M. Claude Bougé : Autre exemple : parce qu’il s’agit d’une taxe structurante destinée à relancer la recherche clinique, l’industrie n’a pas contesté il y a deux ans la création de la taxe spécifique destinée à organiser les recherches cliniques au niveau départemental.
En revanche, d’autres taxes ont perdu leur effet structurant. Tel est le cas de la taxe sur le chiffre d’affaires, qui demeure cette année « exceptionnellement » fixée à 1 % au lieu du taux normal de 0,6 % et qui est indéniablement une taxe de rendement. Tel est encore le cas de la taxe sur la publicité qui est devenue complexe, illisible, et qui fait l’objet d’innombrables contentieux.
Au total, nous faisons une nette différence entre les taxes structurantes et les taxes de rendement, illisibles internationalement, d’autant que la France est vue comme un pays où la fiscalité nationale et locale est plutôt élevée, ce qui nuit à son attractivité.
M. Christian Lajoux : Au cours de l’histoire de notre industrie, on a ajouté des taxes aux taxes et les objectifs d’un certain nombre d’entre elles ont été largement oubliés. On peut par exemple s’étonner qu’un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) préconise de taxer la promotion des médicaments alors que cette dernière l’est déjà très lourdement. Peut-être cela fait-il tellement longtemps et l’effet structurant est-il tellement modeste qu’on l’a oublié !
À l’inverse, les accords conventionnels passés avec le CEPS dans les années quatre-vingt-dix ont permis de moderniser l’encadrement du chiffre d’affaires de l’industrie du médicament.
M. Jean Mallot, coprésident : S’agissant précisément de la promotion, je propose que nous en venions à la visite médicale. Comment s’assurer qu’elle joue son rôle sans qu’il y ait de dérive ? Que pensez-vous des propositions qui sont faites pour organiser une forme de contre-pouvoir ?
M. Christian Lajoux : Il y a bien un lien avec la fiscalité puisqu’une partie de la visite médicale est très fortement taxée…
La visite médicale est en complète reconstruction depuis un certain nombre d’années. Nous sommes d’ailleurs le seul pays d’Europe à avoir un tel encadrement de la qualité de la visite. Cela ne signifie bien sûr pas que les choses ne peuvent pas être encore améliorées et qu’il ne faut pas travailler sur un certain nombre de propositions, en particulier celles de l’IGAS.
À la différence des autres pays européens, en France les visiteurs médicaux doivent passer un diplôme reconnu par l’État. En 2003, les industriels du médicament ont élaboré leur propre charte de la visite de façon à promouvoir les bonnes pratiques. En 2004, dans le cadre de négociations avec le CEPS, a été élaborée une charte de la visite médicale qui n’existe que dans notre pays. À partir de cette charte, la Haute Autorité de santé (HAS) a proposé en 2005 que l’on aille vers un processus de certification, qui est en cours. À ce jour, 24 entreprises sont certifiées et 60 autres devraient l’être, au plus tard au début de l’année prochaine. Aucune des entreprises engagées dans ce processus n’a été recalée.
M. Claude Bougé : Les entreprises qui n’auront pas été certifiées en juillet 2008 ne pourront plus être conventionnées dans le cadre de l’accord avec l’État. Voilà qui devrait motiver la centaine d’entre elles qui ne se sont pas encore engagées.
M. Christian Lajoux : Cela montre que les autorités et les industriels ne sont pas restés inactifs et qu’ils ont pris à bras le corps les questions du bon usage, de l’objectivité de l’information et du contenu du métier.
Le récent rapport de l’IGAS ne fait état d’aucun dérapage de l’industrie du médicament par rapport à l’ensemble de ces principes, mais il pose clairement la question d’une nouvelle gouvernance de la santé à travers la répartition des rôles entre les différentes institutions.
M. Jean Mallot, coprésident : Il ne paraît pas anormal que les entreprises assurent la promotion de leurs produits auprès de ceux qui les prescrivent. Pour autant, un dispositif permettant de faire circuler des contre informations paraît utile et l’on parle souvent à ce propos des délégués de l’assurance maladie, les DAM. Comment serait-il possible de compléter le dispositif actuel afin que nous y trouvions collectivement notre compte ?
M. Christian Lajoux : Nous, industriels du médicament, considérons que nous avons des comptes à rendre et nous respectons cette exigence. Nous le faisons vis-à-vis de la HAS comme de l’AFSSAPS, et cette dernièure contrôle tous les documents promotionnels qui sont remis au corps médical. Les interdictions de publicité sont extrêmement rares puisqu’elles ne représentent qu’environ 1 % des documents que nous mettons en distribution et le nombre des mises en demeure est stable.
Cela ne signifie pas que le système ne peut pas évoluer. Des discussions sont en cours avec l’ensemble des autorités pour codifier davantage l’exercice de notre métier. Ainsi, fin 2006, le président du LEEM et le ministre de la santé ont conclu une convention instituant un code de bonnes pratiques des entreprises du médicament dans la formation médicale continue.
Les industriels ne contestent nullement le rôle des DAM, ils demandent simplement qu’ils répondent aux mêmes exigences, en particulier de diplôme, que les visiteurs médicaux. En effet, alors qu’ils assurent le contre-pouvoir des visiteurs médicaux ils n’ont ni la même qualification, ni la même certification par le biais de la HAS. Mais je crois savoir que le directeur de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’UNCAM, est plutôt favorable à cette avancée.
Pour notre part, nous ne refusons aucune évolution. Au contraire, nous avons montré depuis des années que nous acceptons le principe de la régulation et de l’encadrement, au service de la qualité et de l’objectivité de notre métier.
Néanmoins, je veux insister sur le fait que le débat sur la visite médicale ne saurait être l’enjeu majeur pour l’industrie du médicament. Le véritable enjeu est de savoir si l’on fera encore demain de la recherche dans notre pays et si nous serons présents dans la compétition et dans la production des biotechnologies.
Qui plus est, s’il faut la traiter, nous devons être conscients du fait que la question de la visite médicale relève désormais plutôt du passé : la montée en puissance des génériques va conduire des bataillons entiers de visiteurs médicaux à perdre leur emploi dans les mois et les années qui viennent.
M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous faire une projection qui tienne compte de l’entrée des blockbusters dans le domaine public, mouvement déjà largement engagé, et du développement des thérapeutiques issues du génie génétique et des biotechnologies ?
M. Christian Lajoux : C’est un exercice difficile. Cela étant, on voit bien que les nombreux visiteurs médicaux que nous utilisions pour promouvoir les blockbusters ne seront plus nécessaires dès lors que ces produits deviendront des génériques. Au cours de chacune des prochaines années, 800 millions d’euros de médicaments sont ainsi appelés à devenir des génériques. Or il s’agit précisément de médicaments pour lesquels s’exerçait une promotion assez intensive.
M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous donner une estimation chiffrée ?
M. Christian Lajoux : Il y a actuellement 23 000 visiteurs médicaux, dont 5 000 à 10 000 devraient disparaître dans les cinq prochaines années. Il s’agit donc d’un mouvement extrêmement important qui pose un problème, au-delà de la gestion des ressources humaines.
Aujourd’hui, lorsqu’un médicament est enregistré et que l’on débat de son remboursement, les autorités de santé font de plus en plus en sorte – et ce n’est pas contestable – de cibler la population à laquelle il s’adresse. Les médicaments innovants vont donc être destinés à des populations réduites. Cela s’ajoutant à la disparition des blockbusters tels que nous les connaissons aujourd’hui, il est évident que l’exercice d’information des visiteurs médicaux sera beaucoup plus ciblé et beaucoup moins lourd.
Il ne faut pas oublier par ailleurs que ce sont les visiteurs médicaux qui remontent les informations en matière de pharmacovigilance. Alors qu’il existe des structures régionales de pharmacovigilance, sur les 20 000 informations en la matière que recueille chaque année l’AFSSAPS, la moitié provient des visiteurs médicaux. Ne pensons donc pas que le visiteur médical se contente de brandir une pancarte pour que l’on prescrive un produit, son rôle est beaucoup plus complexe et le rapport de l’IGAS montre d’ailleurs les multiples facettes de ce métier.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : J’entends bien que vous êtes préoccupés de l’avenir de notre industrie du médicament et de sa présence future sur le territoire national. C’est bien évidemment aussi le souci du législateur, mais ce dernier ne saurait oublier que c’est également de santé publique qu’il s’agit. Si notre mission a choisi de s’intéresser au médicament, c’est tout simplement parce que nous nous demandons pourquoi, dans notre pays, 90 % des consultations débouchent sur une prescription de médicaments, alors que ce n’est le cas que pour 75 % au plus des visites en Allemagne et pour 45 % aux Pays-Bas.
On pourrait se dire que c’est tant mieux si cela profitait à la santé publique et si les comptes publics se portaient bien, mais tel n’est pas le cas. On ne saurait par exemple ignorer qu’il y a en France 130 000 accidents iatrogènes chaque année.
Dans la mesure où, grâce à vos exportations, vous êtes aussi présents dans les autres pays, avez-vous des explications aux différences que je viens de mentionner ?
M. Christian Lajoux : Nous sommes observateurs et acteurs du système de santé.
En tant qu’observateurs, nous constatons que la médecine préventive est insuffisamment développée dans notre pays.
Si nul ne conteste le chiffre que vous venez de donner, il faut aussi l’analyser au regard du niveau sanitaire de la France : nous sommes l’un des pays d’Europe où l’espérance de vie est la plus élevée, où le taux de mortalité infantile est le plus faible, où l’on vit le mieux lorsque l’on est très âgé. On ne peut donc pas prétendre que l’importance de la prescription qui fait suite à chaque consultation provoque un retard sanitaire. Cela a vraisemblablement un coût pour la collectivité, mais si ce coût permet que notre niveau sanitaire et que la qualité de vie de nos concitoyens soient meilleurs, on ne saurait le regretter ; il faut simplement voir comment assurer le financement du système.
S’agissant de la promotion, je puis vous dire, pour avoir exercé des responsabilités à l’échelle européenne, qu’elle ne présente en France aucune spécificité : nous exerçons notre métier de la même façon dans tous les grands pays européens. Il y a même en France beaucoup plus d’encadrement de l’action des industriels. Ainsi, il n’existe nulle part ailleurs l’équivalent de la commission publicité de l’AFSSAPS. Or celle-ci a précisément pour mission de vérifier la qualité des messages et des documents que nous adressons aux médecins.
Contrairement à ce que laisse entendre le rapport de l’IGAS, la France n’est pas le pays où la visite médicale exerce la plus forte pression. Au Royaume-Uni, le nombre des visites est plus important.
Il me semble donc que la prescription systématique trouve son origine dans les carences de notre système de prévention, dans la formation des médecins ainsi que dans la générosité de notre système de prise en charge.
Aujourd’hui, 96 % des demandes d’inscriptions en affection de longue durée – les ALD – sont acceptées ainsi que 99 % des demandes de renouvellement. C’est un système qui encourage la prescription de médicaments. Ainsi, pour la population hors ALD, la consommation de médicaments progresse de 1 %, tandis que pour les huit millions de patients en ALD, la croissance est de 8 ou 9 %
M. Claude Bougé : La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) vient de publier une étude d’une grande qualité sur la croissance des soins de ville au premier semestre 2007. Les dépenses de médicaments de la population en ALD ont augmenté de 6,5 %, tandis qu’elles diminuaient de 2,3 % pour le reste de la population.
L’entrée en ALD et la gestion des personnes qui y sont posent un vrai problème de santé et de sécurité sociale. Il faut donc s’intéresser à toute la politique menée en la matière.
M. Christian Lajoux : Cela étant, les choses semblent bouger et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2008, comporte un certain nombre de dispositions, comme les contrats individuels entre les caisses d’assurance maladie et les médecins, qui permettront de traiter ce sujet. La HAS a également engagé un travail sur la rationalisation des ALD.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Si la visite médicale est désormais mieux encadrée en France, cela répond peut-être à un besoin que l’on ressent d’ailleurs depuis longtemps, puisque c’est en 1993 qu’a été adoptée la loi « anti-cadeaux ».
M. Christian Lajoux : Une telle loi n’existe toujours pas dans la plupart des autres pays et la France était donc déjà en avance en 1993 quand, en concertation avec les industriels du médicament, on a adopté ce principe. Il existe désormais un code européen de bonne conduite, qui est largement appliqué en France puisque nous sommes beaucoup plus exigeants dans la plupart des domaines.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pourquoi 60 % des médecins ne sont-ils pas au courant du contenu de la charte de la visite médicale ? Certes, ce n’est pas à vous mais à l’UNCAM qu’il revient de la diffuser, mais, pour qu’elle soit appliquée, il faut bien qu’on la connaisse…
M. Christian Lajoux : Sa signature a fait l’objet d’une large publicité. Pour ma part, je retiens du récent rapport que 72 % des médecins se disent satisfaits de la façon dont s’exerce la visite médicale. Sur ce total, 30 % estiment tout de même qu’il est possible de l’améliorer, ce qui montre bien qu’ils ne sont pas nos « otages », comme on a pu le lire. Nous sommes face à des gens éduqués sur le plan thérapeutique et qui savent comment l’industrie du médicament fonctionne. Ils ont tout à fait la possibilité de fermer leur porte ; d’ailleurs une partie d’entre eux ne reçoit pas du tout à son cabinet, tandis que d’autres refusent de recevoir les visiteurs de telle ou telle entreprise, au motif que ses pratiques ne sont pas conformes à la charte.
On le voit, ce système est propice à l’amélioration de la qualité du service que la visite médicale apporte aux médecins en termes d’information.
M. Claude Bougé : J’ajoute que le système de sanctions fonctionne, soit par le biais de la commission de publicité, soit en application de la charte.
M. Pierre Morange, coprésident : En effet, les praticiens ne sont pas pris en otage puisqu’ils peuvent refuser de recevoir les visiteurs médicaux. Pour ma part, je leur demandais de se contenter de déposer les notices.
Pour en revenir à la recherche et développement, il convient en effet de faire en sorte que la France ne soit pas seulement un pays de consommateurs, mais aussi que l’on sache y créer et y produire des médicaments destinés à la population du monde entier. De ce point de vue, il faut prendre en considération d’une part la population solvable, qui se trouve désormais aussi dans certains pays émergents – qui d’ailleurs mènent eux-mêmes une politique active en la matière –, d’autre part les populations non solvables, qui sont les plus nombreuses. Il me semble que c’est un sujet que nous devrions aborder car ce n’est qu’en apparence qu’il sort du champ de notre mission, celle-ci étant vouée à s’assurer de la bonne utilisation de l’argent public au bénéfice du plus grand nombre.
M. Christian Lajoux : Il faut absolument éviter que les entreprises installées en France ne se délocalisent, mais il convient aussi de s’efforcer de faire venir chez nous les grandes entreprises internationales, dont les centres de recherche et les sites de production ne sont pour l’heure pas assez présents sur notre territoire.
Aujourd’hui, la concurrence n’est plus uniquement aux États-Unis, mais aussi en Angleterre et en Allemagne, pour la recherche sur les biotechnologies, et en Inde, en Chine et au Brésil pour la production. Cela est vrai en particulier pour les génériques que ces pays produisent moins à destination de leurs habitants que de ceux des pays développés où ils les vendent avec des marges colossales.
Certaines sociétés indiennes font de la rétro-ingénierie, c’est-à-dire qu’elles partent de la molécule finie et qu’elles redéfinissent des process de fabrication qui rendent les nôtres obsolètes. Nous aurions tort de considérer que cela ne concerne que la production : elles vont devenir demain de grandes sociétés de recherche. L’échiquier des pays qui vont jouer un rôle dans les sciences du vivant est ainsi en train d’être complètement redessiné. Et il ne faut pas négliger le fait que l’indépendance sanitaire d’un pays est un enjeu aussi stratégique que son indépendance militaire.
La France doit aussi se poser la question du rôle qu’elle veut jouer dans la diplomatie sanitaire. Celui-ci sera d’autant plus important qu’elle aura réalisé sur son propre territoire l’intégration totale des différents acteurs qui contribuent à bâtir un modèle de santé efficace, mais aussi qui permettent de réduire les tensions internationales, qui porteront de plus en plus non seulement sur l’accès à l’énergie mais aussi sur l’accès aux médicaments.
Il s’agit donc d’un sujet essentiel et c’est bien pour cela que j’insiste pour que l’on ne résume pas l’industrie du médicament à la simple question de la promotion. C’est un débat d’hier, qui n’a que peu d’incidence et pour lequel nous sommes tous disposés à corriger ce qui peut l’être. Le véritable enjeu, c’est celui de la recherche, celui de l’existence de la France dans les sciences du vivant, celui de son rôle d’acteur majeur pour le médicament.
M. Pierre Morange, coprésident : S’agissant de ces aspects géopolitiques, vous prêchez un converti : M. Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, m’avait en effet confié, en 2004, la mission d’évaluer l’action de la France en faveur de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement dans le domaine de la santé. Je m’étais alors en particulier attaché à définir les moyens permettant au secteur français de la santé d’exercer dans le monde une forte influence, au-delà de la seule notion de diplomatie sanitaire.
Vous avez insisté sur la nécessité que les centres de recherche et de production des grands groupes internationaux soient présents sur le territoire français. Avez-vous des propositions concrètes à faire pour en renforcer l’attractivité ?
M. Christian Lajoux : Nous avons exprimé le souhait que cette nouvelle législature soit l’occasion de relancer le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) qui avait été institué par M. Jean-Pierre Raffarin, afin de rechercher avec les responsables des grands groupes comment la France pouvait être plus compétitive et plus attractive. Il ne s’était depuis lors réuni qu’une seule fois et il faut remercier M. Xavier Bertrand et M. François Loos d’avoir su organiser une deuxième réunion début 2007. Ce conseil sera véritablement relancé au début de l’année prochaine, sous la responsabilité du Premier ministre.
Pour notre part, nous formulons un certain nombre de propositions afin de renforcer l’attractivité de la recherche. Ainsi, nous considérons qu’il faut internationaliser les pôles de compétitivité, sur le modèle de Cambridge. Actuellement, en France, 8 pôles sur 71 sont consacrés à la santé, mais on a du mal à savoir quels sont véritablement les grands pôles internationaux.
Nous devons aussi nous efforcer de conserver nos excellents chercheurs sur le sol national, alors qu’ils sont aujourd’hui particulièrement nombreux à s’expatrier, un doctorant sur dix seulement trouvant un poste en France.
Il convient également que nous nous intéressions à la question des recherches cliniques. Cela concerne au premier chef le législateur, car il faudrait sans doute faire évoluer les lois bioéthiques pour que la France soit aussi compétitive que ses concurrents. Nous avons en particulier besoin de pouvoir suivre de grandes cohortes de population afin de mener des études épidémiologiques.
Ces propositions ont reçu un accueil extrêmement favorable dans les ministères concernés.
Il faut aussi s’intéresser de près à la mutation industrielle afin que nous ne perdions pas tous nos emplois sous la concurrence des pays du Sud et des pays leaders dans les nouvelles technologies.
Nous devrons aussi parler de la fiscalité, dont j’ai déjà dit qu’elle devait être structurante.
M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous des propositions précises afin de rendre cette fiscalité plus lisible, plus stable, plus favorable à la recherche-développement, plus profitable aux comptes sociaux ?
M. Christian Lajoux : Le crédit impôt recherche tel qu’il vient d’être redéfini va dans un sens qui convient aux industriels, en particulier parce qu’il est plus lisible.
La politique fiscale pourrait également être orientée de façon à ce que les investissements se dirigent davantage vers la recherche et vers les pôles de compétitivité. Des propositions ont déjà été faites en la matière, sur lesquelles les industriels du LEEM auront l’occasion de se prononcer. Dès que les ministères, les parlementaires, l’ensemble des institutions et les industriels se mettent à travailler ensemble, on voit bien qu’un certain nombre de pistes qui ont déjà été évoquées n’ont pas été suffisamment explorées. Nous souhaitons non pas que l’on ajoute des dispositifs les uns aux autres, mais que l’on se mette autour d’une table, par exemple au sein du CSIS, pour élaborer un véritable projet redéfinissant l’attractivité du pays.
M. Claude Bougé : Nous avons effectivement des propositions concrètes, par exemple pour que l’on admette dans l’assiette du crédit impôt recherche l’investissement en faveur des études épidémiologiques, ce qui nous permettrait de rattraper notre retard sur les pays très actifs dans le domaine des essais cliniques. S’il y a des études épidémiologiques en Grande-Bretagne, c’est aussi parce que le régime fiscal y est favorable. En France, on a fait le choix inverse et ces études sont insuffisamment développées.
Par ailleurs, quand un produit tombe dans le domaine public, le laboratoire est en fait taxé sur la promotion d’un médicament qui va donner lieu à substitution. Il faut que le laboratoire soit singulièrement vertueux pour continuer de le promouvoir et il y a quelque paradoxe de la part des pouvoirs publics à taxer ce qu’ils entendent développer.
M. Christian Lajoux : Jusqu’à ces derniers jours, il y avait une inégalité dans les conditions commerciales entre les fabricants de génériques et ceux de princeps, mais les règles du jeu semblent devoir être modifiées, ce qui va dans le bon sens.
M. Jean Mallot, coprésident : Nous avons beaucoup parlé de la promotion des médicaments dans le circuit habituel, mais un grand nombre de ventes se font désormais sur Internet. Comment contrôler le phénomène et s’assurer de la qualité des produits ?
M. Christian Lajoux : C’est une catastrophe, tous les industriels vous le diront, car cela permet tout et n’importe quoi.
M. Pierre Morange, coprésident : M. Jean Parrot, président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, nous a dit que 15 % des médicaments vendus sur le territoire américain étaient des contrefaçons.
M. Christian Lajoux : On considère que c’est le cas de 10 % des médicaments vendus dans le monde.
En France, on a beaucoup progressé ces dernières années, grâce à la collaboration entre les industriels, les services des douanes, la police et l’AFSSAPS. Nous étions, il est vrai, en retard puisque la directive européenne de 2004 vient seulement d’être transcrite en droit français. Il était également nécessaire de considérer qu’il ne s’agit pas seulement d’un délit mais d’un crime, car la contrefaçon d’un médicament a d’autres effets que celle d’un tee-shirt. Auparavant, les contrefacteurs étaient passibles de trois ans de prison, désormais celui qui contrefait un médicament encourt cinq ans. L’instruction va en outre être accélérée.
Il faut absolument maintenir notre système de distribution, qui est un des meilleurs du monde, notamment parce que son caractère monopolistique offre une véritable sécurité. Nous sommes sur ce point en accord total avec les pharmaciens d’officine. Ce système est certes onéreux, mais c’est le prix à payer pour la qualité et pour la sécurité. Ainsi, aujourd’hui en France pas un seul citoyen n’a intérêt à acheter ses médicaments sur Internet.
M. Pierre Morange, coprésident : Est-il vraiment possible d’agir à l’encontre des ventes sur Internet, dont on sait qu’elles sont le fait de sociétés extraterritoriales, contre lesquelles les recours judiciaires sont aléatoires ?
M. Christian Lajoux : Il est vrai que l’on n’est ainsi plus dans le cadre du territoire, donc des lois de la République.
Un certain nombre de sociétés ont mis en place des systèmes de détection qui leur permettent de remonter les filières. Il s’agit en fait d’un travail de police, fort long. On découvre ainsi qu’à travers une multitude de petits sites, on a affaire à des sociétés très organisées, qui relèvent de la grande criminalité.
M. Pierre Morange, coprésident : Il est en effet démontré qu’il s’agit pour les mafias d’une nouvelle branche d’activité, plus lucrative que le commerce de la drogue.
Il nous faut maintenant interrompre cette audition. Je vous remercie d’y avoir participé. Nous vous demanderons de bien vouloir répondre par écrit aux questions que nous n’avons pas pu vous poser ce matin.
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Audition de Mme Marie-Noëlle Banzet, vice-présidente des laboratoires Servier, M. Éric Ducourneau, secrétaire général des laboratoires Pierre Fabre, et M. Christian Lajoux, président-directeur général de Sanofi Aventis France, accompagné de M. Philippe Cheng, directeur de la stratégie.
M. Jean Mallot, coprésident : Madame, messieurs, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS, mais aussi rapporteur du projet de loi relatif au pouvoir d’achat qui est inscrit aujourd’hui à l’ordre du jour de la séance publique.
La MECSS travaille sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. De nombreux acteurs de ce dossier ont d’ores et déjà été auditionnés et, ce matin, c’est au tour des représentants de différents laboratoires. À l’issue de l’ensemble de ces entretiens, le rapport de Mme Catherine Lemorton fera état d’un certain nombre de préconisations afin d’améliorer aussi efficacement que possible la situation dans le domaine du médicament.
M. Christian Lajoux : Avant que ne commence l’audition, je souhaite savoir quelle est la logique qui a présidé au choix des participants aux tables rondes.
M. Jean Mallot, coprésident : Il y a bien une logique, mais toutes les règles comportent des exceptions, lesquelles sont susceptibles d’être interprétées différemment. Une audition implique nécessairement un regroupement des personnes afin de faciliter le bon déroulement de la séance.
M. Christian Lajoux : Il y a des regroupements d’entreprises et des regroupements de groupes d’entreprises.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Nous avons tout d’abord souhaité entendre les laboratoires français, puis les laboratoires fabricants de médicaments génériques et, enfin, des laboratoires étrangers, notamment Ranbaxy, génériqueur indien.
Nous aurions souhaité également auditionner un représentant d’un laboratoire biotech, mais cela n’a pas été possible, ce que nous regrettons. J’ajoute que nous aurions voulu inclure dans votre groupe le représentant du laboratoire homéopathique Boiron, mais votre groupe, précisément, nous a fait savoir que ce laboratoire n’avait pas sa place parmi vous, ce qui m’a un peu surprise. Le représentant de ce laboratoire a néanmoins accepté d’être auditionné dans une autre table ronde.
M. Christian Lajoux : Je vous prie d’excuser mon insistance, mais il ne faut pas confondre les laboratoires et les groupes. Les représentants de GÉnériques Même MÉdicaments (GEMME) sont-ils invités en tant que laboratoire ou en tant que GEMME ?
Mme Catherine Lemorton, rapporteure : En tant que GEMME.
M. Jean Mallot, coprésident : Et nous posons quant à nous nos questions en tant que parlementaires.
Je vous laisse auparavant présenter de manière synthétique les entreprises que vous dirigez.
Mme Marie-Noëlle Banzet : Le groupe Servier est le second laboratoire français après Sanofi et le premier laboratoire français indépendant. Il réalise un chiffre d’affaires qui s’élève à 3,5 milliards d’euros. Ce groupe présente deux caractéristiques : un fort engagement dans la recherche puisque 23 % à 25 % du chiffre d’affaires y sont réinvestis ; ses activités sont en outre fortement internationalisées, tout en étant ancrées en France où nous réalisons le plus possible d’activité de production et de recherche. La totalité de la production chimique est réalisée en Normandie, 60 % de la production pharmaceutique dans l’Orléanais et 70 % à 75 % des activités de recherche en France.
Ce positionnement spécifique induit certains ratios un peu atypiques : 80 % de notre production est vendue à l’étranger dans 140 pays ; notre part de marché, s’agissant des princeps remboursables, s’élève à un peu moins de 3 % ; le ratio des dépenses de recherche et de développement (R&D) sur le chiffre d’affaires en France est de 77 % ; nous participons pour plus de 28 % à l’excédent de la balance commerciale du secteur. Par ailleurs, malgré un contexte économique difficile, nous continuons à créer des emplois : plus de 400, cette année, en France. Enfin, 75 % des impôts dus par le groupe sont payés en France.