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N° 1271

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 novembre 2008.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES

en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur les affections de longue durée

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Jean-Pierre DOOR,

Député.

——

INTRODUCTION 9

I.- LE RÉGIME DES AFFECTIONS DE LONGUE DURÉE (ALD) VISE À PERMETTRE L’ACCÈS AUX SOINS AUX PERSONNES ATTEINTES DE PATHOLOGIES LOURDES EN LEUR ASSURANT UNE LARGE PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE 11

A. LE RÉGIME DES ALD VISE À PERMETTRE L’ACCÈS AUX SOINS EN CAS DE PATHOLOGIES LOURDES 11

1. Le régime des ALD, créé en 1945, traduit le principe de solidarité collective et vise à permettre l’accès aux soins aux personnes exposés à des soins longs et coûteux 11

2. Le périmètre des affections de longue durée exonérantes laisse place à une marge d’appréciation 11

3. Le protocole de soins fixe les soins et traitements pris en charge à 100 % par l’assurance maladie 13

4. La Haute Autorité de santé joue un rôle central 13

B. L’ADMISSION EN ALD DONNE ACCÈS À UN RÉGIME PRÉFÉRENTIEL DE PRISE EN CHARGE DES PRESTATIONS EN NATURE MAIS L’AVANTAGE DIFFÉRENTIEL QU’IL PROCURE EST AUJOURD’HUI PLUS FAIBLE 14

1. Le périmètre des soins exonérés est limité 15

a) L’exonération du ticket modérateur est limitée aux soins en rapport avec la maladie exonérante 15

b) Le régime des ALD est devenu un système d’exonération sur critère médical 15

2. L’exonération joue dans la limite du tarif sécurité sociale 15

a) L’exonération ALD joue dans la limite du tarif sécurité sociale des actes et prestations et ne prend pas en compte certaines dépenses, notamment les dépassements d’honoraires 15

b) Le régime ALD n’exonère pas du paiement de plusieurs contributions créées récemment visant à responsabiliser les patients 16

c) Les nouveaux copaiements ne peuvent pas être pris en charge dans le cadre des contrats responsables par les assurances complémentaires 18

II. LES ALD ABSORBENT UNE PART DE PLUS EN PLUS PRÉPONDÉRANTE DES DÉPENSES D’ASSURANCE MALADIE MAIS LE SURCOÛT DE L’EXONÉRATION EST LIMITÉ 21

A. LE NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES DU RÉGIME ALD AUGMENTE RAPIDEMENT 21

1. Près de 10 millions de personnes bénéficient du régime ALD, soit environ 15 % des assurés 21

2. Le nombre de personnes en ALD augmente de près de 4 % par an 22

a) Le rythme d’augmentation des effectifs de personnes en ALD est encore élevé 22

b) L’augmentation de la prévalence des ALD est le principal facteur de croissance, loin devant le vieillissement de la population 23

3. Quatre pathologies concentrent 75 % des personnes en ALD et la durée de vie en ALD s’allonge 23

a) Quatre groupes d’affections concentrent trois quarts des personnes en ALD et sont à l’origine de l’essentiel de la croissance des effectifs en ALD 23

b) Du fait du développement des polypathologies, le nombre d’ALD croît plus vite que le nombre de personnes en ALD 26

c) La durée de vie en ALD, de même que l’âge moyen des bénéficiaires, augmentent 26

B. LES DÉPENSES LIÉES AUX ALD SONT EN FORTE PROGRESSION 27

1. Les dépenses liées aux ALD concentrent 65 % des remboursements de l’assurance maladie 27

a) En 2007, les dépenses des ALD représentent près de 80 milliards d’euros et concentrent près de 65 % des remboursements de l’assurance maladie 27

b) Les remboursements aux personnes en ALD sont, en moyenne, onze fois plus élevés que pour les non ALD 29

c) La population des personnes en ALD étant hétérogène, les disparités dans le montant des dépenses sont très importantes 30

2. La part des dépenses pour les ALD dans les dépenses d’assurance maladie augmente d’un point par an 31

a) Le poids des ALD dans les dépenses totales de soins progresse de près d’un point par an 31

b) L’intensification des soins dispensés aux patients relevant de pathologies lourdes et chroniques tire les dépenses à la hausse 31

c) L’impact de l’intensification des soins délivrés aux ALD sur le volume global des soins est particulièrement sensible en médecine de ville 32

3. Mais le coût de l’exonération est limité à 10 % des remboursements de soins des personnes en ALD 34

a) Le coût pour la sécurité sociale de l’exonération est limité à 10 % des dépenses remboursées aux assurés bénéficiaires du régime ALD 34

b) En 2006, le coût de l’exonération s’est élevé à 7,7 milliards d’euros et 1 000 euros par bénéficiaire du régime ALD 35

c) Le coût de l’exonération ALD n’explique qu’une faible part de la croissance des dépenses d’assurance maladie 36

C. LA POLARISATION DE L’ASSURANCE MALADIE SUR LES ALD DEVRAIT SE POURSUIVRE 36

1. Le nombre de personnes en ALD pourrait augmenter de 20 % d’ici 2012 pour atteindre 12 millions 36

2. La structure de la population des assurés évolue au profit des ALD 37

3. La croissance des dépenses d’ALD devrait se poursuivre 37

III. LE RÉGIME DES ALD NE PERMET PAS TOUJOURS D’ASSURER UNE PRISE EN CHARGE MÉDICALE OPTIMALE ET UNE RÉELLE ÉQUITÉ DANS LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE 39

A. LE RÉGIME DES ALD S’EST COMPLEXIFIÉ ET NE PERMET PAS TOUJOURS D’ASSURER UNE PRISE EN CHARGE MÉDICALE OPTIMALE 39

1. Le régime des ALD est devenu complexe et il n’est pas tiré parti de toutes les dispositions en vigueur 39

a) Le régime de prise en charge des soins délivrés aux personnes en ALD est devenu complexe et difficile à comprendre par les personnes concernées 39

b) Les dispositions permettant de réserver l’exonération ou de la moduler ne sont pas utilisées 39

2. Le régime des ALD a permis d’améliorer l’accès aux soins mais ne permet pas toujours d’assurer une prise en charge médicale optimale 40

a) Le régime des ALD concrétise la nécessaire solidarité entre les bien portants et les malades et permet d’assurer l’accès aux soins des malades les plus lourds 40

b) Mais le dispositif de protocole de traitement est coûteux en temps médical et son contrôle est mal vécu par les prescripteurs 41

c) Le système de rémunération du médecin traitant pousse à l’admission en ALD sans toujours garantir une prise en charge médicale optimale 41

B. LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE N’EST PAS TOUJOURS ÉQUITABLE ET MODIFIE LA RÉPARTITION DE LA COUVERTURE DES DÉPENSES ENTRE L’ASSURANCE MALADIE OBLIGATOIRE ET LES ORGANISMES COMPLÉMENTAIRES 42

1. Des progrès ont été accomplis dans le respect de l’ordonnancier bizone 42

a) Le contrôle de l’ordonnancier bizone a permis de faire évoluer les pratiques 42

b) La liquidation médicalisée devrait permettre de nouvelles améliorations dans la juste application de l’exonération ALD 43

2. La politique de responsabilisation des patients entraîne une augmentation des restes à charge des personnes en ALD dont certains peuvent être importants 44

a) Le régime des ALD permet d’assurer une prise en charge financière plus importante des dépenses de santé mais pas une prise en charge intégrale 44

b) Le système de prise en charge peut entraîner des disparités et des restes à charge importants 44

3. La prise en charge des personnes en ALD repose de plus en plus sur les régimes obligatoires 45

a) L’attractivité du régime des ALD a des effets pervers 45

b) Le développement des ALD entraîne un déport de charges vers l’assurance obligatoire, au bénéfice des organismes complémentaires 46

IV.- LE RECENTRAGE DU RÉGIME DES ALD S’INSCRIT DANS L’OBJECTIF D’AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE MÉDICALE DES MALADIES CHRONIQUES ET DE RENFORCEMENT DE L’ÉQUITÉ DE LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE 49

A. MIEUX CIBLER LE RÉGIME DES ALD 50

1. Réserver l’exonération ALD aux affections longues et coûteuses 50

2. Optimiser la prise en charge médicale en demandant à la HAS d’établir des référentiels hiérarchisés de traitement 51

3. Améliorer le remboursement de certains biens et services nécessaires à la prise en charge de la pathologie 52

4. Généraliser la liquidation médicalisée 52

B. AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES MALADIES CHRONIQUES 52

1. Prendre en compte l’ensemble des maladies chroniques 52

a) Les personnes en ALD ne représentent qu’un tiers des malades chroniques 52

b) Près d’un adulte sur deux relève d’une affection chronique 53

2. Développer la prévention et la lutte contre les facteurs de risque de maladies chroniques 53

3. Favoriser l’amélioration de la qualité des traitements 55

a) Accélérer la diffusion des logiciels d’aide à la prescription 55

b) Généraliser la diffusion de « guides médecins » et de « guides patients » pour chaque pathologie 55

c) Développer le contrat d’amélioration des pratiques individuelles et les actions d’appui de la HAS et des caisses d’assurance maladie 56

d) Généraliser la protocolisation et donner au contrat de soins un contenu opérationnel et une finalité définie et objectivable 56

e) Favoriser la coopération entre les professionnels de santé et la délégation de tâches 57

f) Faire de la prise en charge des maladies chroniques un thème prioritaire de formation médicale initiale, de formation médicale continue et d’évaluation des pratiques professionnelles 57

4. Faire du patient un véritable acteur de sa santé 57

a) Développer et valoriser l’éducation thérapeutique 58

b) Renforcer l’accompagnement du patient, notamment grâce au développement de téléservices 58

C. RENDRE LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE PLUS ÉQUITABLE 58

1. Préparer la mise en place du bouclier sanitaire 59

a) Mener les études complémentaires d’impact nécessaires 60

b) Étudier la prise en compte du revenu 61

c) Conduire les travaux techniques nécessaires et fixer un échéancier de mise en œuvre 63

2. Renforcer l’aide à la complémentaire santé et en faciliter l’accès 64

3. Associer les organismes d’assurance complémentaire 64

4. Mener des actions d’explication et d’information sur le bouclier sanitaire en direction des assurés 64

LISTE DES PROPOSITIONS 65

CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DE LA MISSION 67

CONTRIBUTION DE M. JEAN-LUC PRÉEL, AU NOM DU GROUPE NOUVEAU CENTRE 67

CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL ET CITOYEN 69

CONTRIBUTION DE MME JACQUELINE FRAYSSE ET DE M. MAXIME GREMETZ 75

TRAVAUX DE LA COMMISSION 77

ANNEXES 91

ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION 91

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 93

ANNEXE 3 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 95

ANNEXE 4 : GLOSSAIRE 215

INTRODUCTION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a demandé à la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de se pencher sur la question des affections de longue durée (ALD).

Ce sujet, en raison des enjeux sanitaires et humains qu’il représente mais aussi de son poids financier, est central pour l’avenir de l’assurance maladie.

Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 indique ainsi qu’en matière d’assurance maladie, « le défi majeur pour l’équilibre des comptes réside dans la progression rapide des dépenses prises en charge en totalité par le régime obligatoire, au titre notamment du dispositif des affections de longue durée ».

Cette question très sensible touche en effet au cœur même du « pacte social » de 1945. Elle est à relier à l’importance croissante des maladies chroniques et revêt une nouvelle acuité depuis que l’idée de mettre en place un « bouclier sanitaire » a été évoquée.

La MECSS a souhaité aborder cette question en ayant toujours pour objectif l’amélioration de la prise en charge médico-économique des personnes en affections de longue durée.

Mais le sujet des affections de longue durée ne peut être considéré isolément et doit être replacé dans l’ensemble du système d’assurance maladie et, au-delà, de la protection sociale. La MECSS a conduit ses réflexions en prenant en compte le critère de l’efficience et le principe d’équité de la prise en charge. Ce souci l’a naturellement conduite à toujours vérifier la faisabilité et la soutenabilité des diverses options d’évolution envisageables.

Durant trois mois, La MECSS a procédé à une quinzaine d’auditions avec la participation d’une magistrate de la Cour des comptes.

Le rapport rappelle l’intérêt du système actuel de prise en charge des ALD (I) et le poids de plus en plus prépondérant qu’il représente pour l’assurance maladie (II) ; il souligne aussi que le régime d’exonération ne permet pas toujours d’assurer la qualité de la prise en charge médicale et son équité financière (III) et propose plusieurs voies d’amélioration, dont la création du bouclier sanitaire (IV).

I.- LE RÉGIME DES AFFECTIONS DE LONGUE DURÉE (ALD) VISE À PERMETTRE L’ACCÈS AUX SOINS AUX PERSONNES ATTEINTES DE PATHOLOGIES LOURDES EN LEUR ASSURANT UNE LARGE PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE

Le régime de prise en charge des affections de longue durée a été créé en même temps que la sécurité sociale, en 1945. Il a alors constitué un très grand progrès.

A. LE RÉGIME DES ALD VISE À PERMETTRE L’ACCÈS AUX SOINS EN CAS DE PATHOLOGIES LOURDES

1. Le régime des ALD, créé en 1945, traduit le principe de solidarité collective et vise à permettre l’accès aux soins aux personnes exposés à des soins longs et coûteux

Le régime d’exonération des ALD remonte aux origines de l’assurance maladie.

Il a été créé à une époque où la population n’était que très peu protégée par les couvertures complémentaires : le taux de couverture complémentaire n’était encore que de 31 % en 1960.

L’objectif était alors d’exprimer deux valeurs fondamentales de notre solidarité collective : l’attention particulière aux plus grands malades et la couverture universelle des risques les plus lourds entraînant les frais les plus importants.

Il s’agissait de permettre aux personnes les plus exposées à des maladies longues et coûteuses d’accéder aux soins en prévoyant une exonération des frais de soins.

2. Le périmètre des affections de longue durée exonérantes laisse place à une marge d’appréciation

Il faut distinguer les affections de longue durée exonérantes et les affections de longue durée non exonérantes. L’affection de longue durée non exonérante est une affection qui nécessite une interruption de travail ou des soins d’une durée supérieure à six mois, mais qui n’entre pas dans l’une ou l’autre des catégories de maladies exonérantes figurant sur une liste ou « hors liste ».

Les maladies appelées « affections de longue durée exonérantes » ouvrent droit à l’exonération du ticket modérateur, c’est-à-dire à l’exonération de la participation de l’assuré à la prise en charge financière des frais de soins.

● Les « ALD 30 »

L’article L. 322-3 du code de la sécurité sociale précise que pour bénéficier d’une exonération de participation au coût de ses soins, le malade doit être atteint d’« affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse ».

Les affections concernées sont fixées par décret sur une liste de 30 groupes d’affections (article D. 322-1 du code de la sécurité sociale). La liste des ALD 30, qui est arrêtée après avis de la Haute Autorité de santé (HAS), ne doit pas être confondue avec une simple liste de trente pathologies. Elle répertorie des groupes d’affections dont certains abritent des pathologies très différentes. Pour chaque ALD, des critères médicaux sont utilisés pour la définition des conditions d’admission au bénéfice du dispositif. Ces critères, annexés à la liste des ALD, sont opposables.

L’admission en ALD suppose en principe l’association obligatoire du critère de durée et du critère de coût. Mais aujourd’hui, seule la durée garde une définition réglementaire. Le critère de coût n’est plus défini de façon directe depuis 1986.

91 % des admissions en ALD sont effectuées au titre des ALD 30.

● Les ALD « hors liste »

Toutefois, l’affection n’est pas obligatoirement prédéfinie puisque des affections « hors liste » pour lesquelles les médecins conseils de l’assurance maladie estiment qu’il s’agit de troubles graves et dont la prise en charge est longue et coûteuse peuvent aussi ouvrir droit à l’exonération de ticket modérateur. C’est le mécanisme communément appelé de la « 31e et de la 32e maladies » :

– la 31e maladie vise la situation où « le malade est atteint d’une forme évolutive ou invalidante d’une affection grave (…) pour des soins continus d’une durée prévisible supérieure à six mois. ». La 31e maladie concerne 7 % des admissions ;

– la 32e maladie vise la situation où « le malade est atteint de plusieurs affections caractérisées entraînant un état pathologique invalidant pour lequel des soins continus d’une durée prévisible supérieure à six mois sont nécessaires ». La 32e maladie vise en fait les polypathologies invalidantes ; elle concerne 2 % des admissions.

L’absence de définition objective des maladies justifiant l’accès aux 31e et 32e maladies donne un réel pouvoir d’appréciation au médecin-conseil de l’assurance maladie. C’est d’ailleurs un des éléments qui peut expliquer les variations constatées dans les taux de refus d’admission dans le régime des ALD, selon les régions.

Il est à noter que le ticket modérateur au titre des 31e et 32e maladies est pris en charge par le fonds national d’action sanitaire et sociale de la branche maladie.

3. Le protocole de soins fixe les soins et traitements pris en charge à 100 % par l’assurance maladie

La demande du bénéfice du régime des ALD est formulée par le médecin et la décision d’admission est prise par le médecin-conseil.

Le protocole de soins est, en principe, établi par le médecin traitant en concertation avec le patient et avec le ou les autres médecins correspondants qui interviennent dans le suivi de la maladie. Il est ensuite étudié par le médecin-conseil de l’assurance maladie qui donne son accord, ou non, pour la prise en charge à 100 % d’une partie ou de la totalité des soins et traitements liés à la maladie. Le protocole précise également les soins et les traitements pris en charge à 100 % dans la limite du tarif de la sécurité sociale, ceux remboursés aux taux habituels de la sécurité sociale et ceux qui ne sont pas du tout pris en charge.

Le maintien du service des prestations est subordonné au respect du protocole thérapeutique. Le protocole est établi pour une durée déterminée, indiquée sur le protocole de soins par le médecin-conseil. C’est le médecin traitant qui doit assurer l’actualisation du protocole de soins, en fonction de l’état de santé du patient, des avancées thérapeutiques ou bien si le patient – ou, le cas échéant, l’un des spécialistes qui suit le patient – en fait la demande.

Dans certains cas, à titre dérogatoire, notamment lorsque le diagnostic est fait à l’hôpital ou dans un contexte d’urgence, un médecin autre que le médecin traitant peut établir le protocole de soins. La prise en charge à 100 % peut alors être ouverte pour une période de six mois renouvelable une fois. Pendant cette période, le patient doit consulter son médecin traitant afin qu’il établisse, si nécessaire, un nouveau protocole de soins.

Depuis la loi du 13 août 2004 relative à l‘assurance maladie, le protocole de soins doit être signé par le patient. Cette disposition vise à recueillir le consentement éclairé du patient et son adhésion plus explicite au traitement prescrit par le médecin traitant.

4. La Haute Autorité de santé joue un rôle central

La Haute Autorité de santé donne son avis sur le décret fixant la liste des ALD.

La HAS formule des recommandations sur les critères médicaux utilisés pour la définition des ALD et, en conséquence, l’admission en ALD.

Par ailleurs, la HAS établit des référentiels de traitement pour les ALD qui fixent la liste des actes et prestations nécessaires à la prise en charge de chaque affection. Les référentiels sont des listes indicatives et ne sont donc pas opposables. Cependant, ces listes donnent à l’assurance maladie des outils médicalement et scientifiquement établis pour gérer l’ordonnance bizone.

La HAS édite également des guides pratiques à destination des médecins (« guides médecins ») et des patients (« guides patients ») qui sont distribués par l’assurance maladie.

Depuis trois ans, la HAS a procédé à une révision complète de la liste des trente groupes d’affections classées en ALD et des référentiels d’actes et de prestations. Selon les indications données par M. Laurent Degos, président de la HAS, lors de son audition par la MECSS, à la fin de l’année 2008, l’ensemble des « ALD trente » auront été passées en revue, tant pour ce qui concerne les critères d‘admission que pour les listes d’actes et de prestations.

Fin 2008, 87 % des ALD auront fait l’objet de guides ALD. La partie restante correspond aux 31e et 32e maladie hors liste, sans critères d’admission ni listes d’actes et de prestations, et à un grand nombre de maladies rares dont sont atteints un très petit nombre de patients.

La HAS joue donc un rôle déterminant dans l’orientation du dispositif des ALD pour ce qui concerne la prise en charge médicale, avec des conséquences directes sur la prise en charge financière et les coûts induits.

B. L’ADMISSION EN ALD DONNE ACCÈS À UN RÉGIME PRÉFÉRENTIEL DE PRISE EN CHARGE DES PRESTATIONS EN NATURE MAIS L’AVANTAGE DIFFÉRENTIEL QU’IL PROCURE EST AUJOURD’HUI PLUS FAIBLE

À l’origine, le principe était que la personne en ALD devait bénéficier d’une prise en charge intégrale de ses frais de traitement.

Aujourd’hui, le régime des ALD a une portée plus limitée. Il vise à réduire le reste à charge des patients bénéficiaires du régime pour les soins liés à l’ALD exonérante. Il procure toujours un avantage différentiel certain mais, en raison de l’évolution des règles le régissant ainsi que de celles concernant l’ensemble du système de prise en charge des assurés, l’avantage comparatif a été réduit.

L’intérêt du régime des ALD apparaît ainsi plus limité. Il permet encore d’assurer une prise en charge plus importante que pour les autres patients mais pas une prise en charge intégrale comme le pensent souvent – ou veulent le croire, à tort – certains médecins et de nombreux patients. Cette situation est notamment due au fait que le système de prise en charge financière a beaucoup évolué et s’est complexifié au cours des dernières années.

1. Le périmètre des soins exonérés est limité

a) L’exonération du ticket modérateur est limitée aux soins en rapport avec la maladie exonérante

Le régime d’exonération ALD ne couvre qu’une partie des dépenses de soins

En 1986, une modification importante a été apportée au régime des ALD. Il a été décidé d’abandonner le critère du coût des soins pour ouvrir droit au bénéfice du régime ALD. En contrepartie, le champ de l’exonération a été limité aux seuls soins de ville en rapport direct avec la maladie exonérante. Depuis cette date, les soins qui ne sont pas en rapport avec la maladie exonérante n’ouvrent donc plus droit à l’exonération.

b) Le régime des ALD est devenu un système d’exonération sur critère médical

À l’origine, l’admission au régime des ALD supposait la réunion d’une condition médicale (une maladie de longue durée) et d’une condition de coût (un traitement particulièrement coûteux). Cette approche médico-économique n’est plus appliquée aujourd’hui. De fait, avec la suppression en 1986 de la prise en compte directe du critère du coût, le régime des ALD a perdu une partie de sa spécificité. L’abandon du critère de coût explique d’ailleurs en partie la dynamique du régime. L’application de ce critère serait au contraire certainement de nature à réduire la croissance constatée.

2. L’exonération joue dans la limite du tarif sécurité sociale

a) L’exonération ALD joue dans la limite du tarif sécurité sociale des actes et prestations et ne prend pas en compte certaines dépenses, notamment les dépassements d’honoraires

Pour tous les assurés, le remboursement des soins est toujours établi sur la base du tarif de la sécurité sociale, et non sur la base des frais réels. En conséquence, pour les soins en rapport avec l’affection de longue durée exonérante, le remboursement est effectué à 100 % sur la base du tarif de la sécurité sociale.

Pour les soins sans rapport avec l’ALD, ce sont les taux de remboursement habituels qui sont pratiqués, c’est-à-dire dans le cadre du parcours de soins :

– 70 % du tarif de la sécurité sociale pour les consultations et examens radiologiques ;

– 65 % pour les spécialités pharmaceutiques (sauf les médicaments à vignettes bleues qui sont remboursés à 35 % et à vignettes orange qui sont remboursés à 15 %) et pour les dispositifs médicaux ;

– 60 % pour les soins infirmiers, actes de kinésithérapie et examens biologiques.

L’exonération ALD correspond donc à une prise en charge supplémentaire par l’assurance maladie obligatoire (AMO) à hauteur de 30 %, 35 % ou 40 % (65 % pour les médicaments à vignettes bleues) du tarif fixé par la sécurité sociale pour les différents actes et traitements.

L’exonération correspond donc environ à un tiers des dépenses remboursables.

Pour les patients qui ne bénéficient pas du régime ALD et relèvent par exemple d’une maladie de longue durée non exonérante, les compléments de prise en charge sont versés par les organismes d’assurance sociale complémentaire.

En permettant ainsi de bénéficier d’une meilleure couverture par le régime obligatoire sans majoration de cotisation et sans s’exposer, en cas de risque élevé de santé, à devoir payer un montant de cotisation important à un organisme d’assurance maladie complémentaire, le régime ALD est bien la traduction de la logique de solidarité qui est le principe fondateur de la sécurité sociale.

Toutefois, l’exonération ALD ne couvre pas la prise en charge des dépassements de tarifs de biens médicaux ni les dépassements d’honoraires qui ont tendance à augmenter fortement. Or les dépassements pèsent en grande partie sur les personnes en ALD, qui sont de gros consommateurs de soins.

Par exemple, en 2006, les dépassements d’honoraires des médecins s’élevaient à 2,1 milliards d’euros, soit 12,3 % du montant total des honoraires. Sur la période 2000-2006, les dépassements d’honoraires des médecins ont augmenté de 7,6 % par an et la tendance est à l’accélération de la hausse par rapport à la décennie précédente.

La prise en charge à 100 % ne concerne pas non plus les actes et prestations non prévus au remboursement, comme les médicaments non inscrits sur la liste des médicaments remboursables.

b) Le régime ALD n’exonère pas du paiement de plusieurs contributions créées récemment visant à responsabiliser les patients

En 2005, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a souligné que l’exonération ALD trouvait à s’appliquer davantage en médecine de ville qu’à l’hôpital. L’essentiel des économies réalisées par les assurés résultant de l’exonération ALD se faisaient sur les soins de ville (87 %), l’avantage différentiel de l’exonération ALD étant très faible sur les dépenses hospitalières.

Le Haut conseil estimait alors « cohérent de faire supporter aux ALD les participations de type franchise dès lors que les plus modestes en sont dispensés (par la CMUC et ses compléments). »

Depuis quelques années, la volonté de mieux maîtriser l’évolution des dépenses d’assurance maladie a conduit à un approfondissement de la politique de responsabilisation des patients. Dans cette logique, les bénéficiaires du régime ALD ont été appelés à accroître leur participation au financement de l’assurance maladie.

Ainsi, ils n’ont pas été exonérés de la plupart des contributions créées ces dernières années pour responsabiliser l’ensemble des patients. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie évalue les mesures ainsi créées entre 2004 et 2007 à près de trois milliards d’euros.

Les patients en ALD sont donc assujettis à la participation forfaitaire d’ordre public d’un euro, applicable depuis le 1er janvier 2005. Le forfait est dû pour toute consultation ou acte réalisé par un médecin généraliste ou spécialiste (que ce soit à son cabinet, au domicile du patient, dans un dispensaire ou dans un centre de soins, en consultations ou aux urgences à l’hôpital). La participation s’applique également aux examens de radiologie et aux analyses médicales. Elle est toutefois plafonnée à 50 euros, ce qui permet d’écrêter la participation des gros consommateurs de soins.

Les personnes en ALD n’ont pas non plus été exonérées de l’augmentation du forfait journalier hospitalier. Elles ont aussi été assujetties aux nouvelles « franchises » forfaitaires sur les actes médicaux dont le tarif est égal ou supérieur à 91 euros (franchise de 18 euros), sur les boîtes de médicaments (50 centimes), les transports sanitaires et les actes paramédicaux (2 euros) dans la limite, également, de 50 euros par an, au total, par assuré. On peut à cet égard préciser que 5 % des assurés consomment en moyenne plus de 232 boîtes de médicaments par an. La CNAMTS estime que 60 % des personnes en ALD atteignent le plafond de 50 euros, contre 11 % pour l’ensemble des assurés.

Les pénalisations qui ont été instituées en cas de non-respect du parcours de soins coordonnés – et que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoit de renforcer – sont également applicables aux personnes en ALD.

Les patients en ALD se voient ainsi appliqués de plus en plus les règles de droit commun concernant la participation des assurés, à la différence des personnes titulaires de la couverture maladie universelle complémentaire qui, elles, sont exonérées des participations forfaitaires.

c) Les nouveaux copaiements ne peuvent pas être pris en charge dans le cadre des contrats responsables par les assurances complémentaires

En principe, la part non remboursée par l’assurance maladie obligatoire peut être prise en charge, partiellement ou totalement, par une mutuelle ou une assurance complémentaire.

Toutefois, la volonté de renforcer la responsabilisation des assurés, notamment les assurés en ALD, a conduit à décider que les nouvelles participations des assurés ne pourraient pas être prises en charge par les organismes d’assurance maladie complémentaire, dans le cadre des « contrats responsables ».

Les contrats responsables d’assurance maladie complémentaire

L’article 57 de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a créé les contrats responsables d’assurance maladie complémentaire. Un décret du 29 septembre 2005 en a défini les critères dans un cahier des charges.

Celui-ci comporte à la fois des interdictions et des obligations de prise en charge que les contrats complémentaires doivent respecter pour bénéficier des incitations fiscales et sociales qui s'y attachent.

1. Interdictions de prendre en charge :

– la participation forfaitaire de 1 € par acte médical et de biologie, introduite en 2005 ;

– les pénalisations pour non-respect du parcours de soins coordonné, appliquées à partir de 2006 ;

– les participations forfaitaires sur les boîtes de médicaments, les transports sanitaires hors urgence et les actes d’auxiliaires médicaux, appliquées depuis 2008.

2. Obligations de prendre en charge :

– les consultations chez le médecin traitant : 30 % du tarif opposable (AMO + AMC = 100 % tarif opposable) ;

– les médicaments remboursés à 65 % par l’assurance maladie obligatoire : 30 % au moins du tarif de responsabilité si prescrit par le médecin traitant (minimum AMO + AMC = 95 % tarif opposable) ;

– les analyses médicales : 35 % du tarif de responsabilité si prescrites par le médecin traitant (minimum AMO + AMC = 95 % tarif opposable) ;

– les prestations de prévention : au moins deux prestations à hauteur de 100 % du ticket modérateur parmi les prestations définies dans l’arrêté du 8 juin 2006.

En conséquence, la répartition de la prise en charge des frais de soins des personnes en ALD exonérante s’établit ainsi.

Répartition de la prise en charge des frais de soins des personnes en ALD : exonération ALD, contrats responsables et reste à charge des personnes

Copaiement

Exonération

Contrat responsable

Reste à charge

Ticket modérateur à l’hôpital

oui (1)

-

non

18 euros actes = 91 €

oui

-

non

Forfait journalier à l’hôpital

non

oui

selon contrat

1 euro

non

non

oui
(plafond 50 €)

Franchises

non

non

oui
(plafond 50 €)

Parcours de soins (2)

non

non

oui

(1) Pour les hospitalisations en rapport avec l’ALD exonérante.

(2) Pénalisations en cas de non-respect du parcours de soins : ticket modérateur majoré de 10 % dans la limite de 2,50 euros par acte ou séjour, et dépassement autorisé de 8 euros par acte clinique ou technique réalisé par les médecins spécialistes du secteur 1.

Par ailleurs, le déremboursement de médicaments à service médical rendu insuffisant a pu faire sortir ces produits du champ de l’exonération ALD.

II. LES ALD ABSORBENT UNE PART DE PLUS EN PLUS PRÉPONDÉRANTE DES DÉPENSES D’ASSURANCE MALADIE MAIS LE SURCOÛT DE L’EXONÉRATION EST LIMITÉ

Les remboursements de dépenses de soins des personnes en ALD augmentent rapidement et absorbent une part de plus en plus importante des ressources de l’assurance maladie. De fait, la quasi-totalité de la croissance des dépenses de l’assurance maladie résulte de la croissance des dépenses des patients en ALD.

Ce constat n’est pas nouveau. Mais la dynamique est telle que se pose aujourd’hui la question de la soutenabilité du régime ALD, parfois considéré comme très coûteux et source de dérives. Mais si la concentration croissante des dépenses sur une minorité d’assurés peut susciter des interrogations sur la viabilité du régime, force est de reconnaître que le coût, lui-même, de l’exonération ALD est relativement limité.

Il est en effet essentiel de bien distinguer le coût total que représentent les soins délivrés aux personnes bénéficiant du régime ALD et le surcoût que ces soins génèrent au titre de l’exonération ALD pour l’assurance maladie. La présentation qui est très souvent faite de la masse globale des dépenses résultant de la prise en charge des personnes en ALD peut être impressionnante mais elle est trompeuse.

A. LE NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES DU RÉGIME ALD AUGMENTE RAPIDEMENT

1. Près de 10 millions de personnes bénéficient du régime ALD, soit environ 15 % des assurés

Fin 2007, près de 9,4 millions de personnes bénéficiaient du régime des affections de longue durée, dont 8 millions d’assurés relevant du régime général (224 000 dans les départements d’outre-mer), 841 000 affiliés à la mutualité sociale agricole (MSA) et 416 000 assurés au régime social des indépendants (RSI).

Compte tenu de la progression du nombre de personnes en ALD, on peut estimer que fin 2008, plus de 9,7 millions de personnes bénéficieront de l’exonération ALD, soit environ 15 % des assurés. On peut rappeler que le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie avait prévu en 2005 que le chiffre de dix millions de personnes en ALD pourrait être atteint en 2010.

Les personnes en affection de longue durée fin 2007 dans les trois principaux régimes obligatoires d’assurance maladie

Régime

Nombre d’assurés (millions) (1)

Nombre d’assurés en ALD

Proportion d’assurés en ALD

Couverture des assurés par le régime

Proportion des assurés ALD dans le total des trois régimes

Régime général

56,5

8 000 000

14,2 %

88 %

86,4 %

MSA

3,5

841 500

23,6 %

salariés et non salariés

31 %

non salariés seuls

5,5 %

9,1 %

RSI

3,3

416 000

12,6 %

5,1 %

4,5 %

Total

63,3

9 257 500

14,6 %

98,6 %

100 %

(1) Fin 2007, selon l’INSEE, la population totale s’élevait à 64,2 millions de personnes

La proportion d’assurés bénéficiaires du régime des ALD est particulièrement élevée à la MSA, en raison du vieillissement accentué de la population assurée par ce régime. Près d’un assuré de la MSA sur quatre (23,6 %) et près d’un assuré non salariés sur trois (31 %) relève des ALD. De la même façon, les ressortissants en ALD de la MSA sont ainsi surreprésentés dans l’ensemble de la population en ALD. Les assurés MSA représentent ainsi 5,5 % du total des assurés mais 9,1 % des personnes en ALD.

2. Le nombre de personnes en ALD augmente de près de 4 % par an

a) Le rythme d’augmentation des effectifs de personnes en ALD est encore élevé

Dans le régime général, le nombre de personnes en ALD a augmenté de 60 % en dix ans (5 millions en 1997 et 8 millions en 2007).

Le nombre de patients admis en ALD augmente beaucoup plus rapidement (5,3 % par an) que la population globale (1,3 %), mais on observe, depuis 2004, un ralentissement du rythme de progression.

Sur la décennie 1994-2004, le rythme de progression annuel moyen était de 5,7 %. En 2005 et 2006, alors que le nombre de bénéficiaires du régime général a augmenté de moins de 1 % par an, le rythme annuel de progression du nombre de personnes en ALD a été de 3,6 %. Cette tendance au ralentissement a été stoppée en 2007, puisqu’on observe un léger rebond avec un taux d’augmentation de 4,2 %, soit une augmentation de 321 000 personnes (après + 265 000 en 2005 et + 320 000 en 2006).

b) L’augmentation de la prévalence des ALD est le principal facteur de croissance, loin devant le vieillissement de la population

Dans le régime général – qui représente 88 % des assurés – les évolutions démographiques n’expliquent qu’à hauteur de 40 % la croissance du nombre de personnes en ALD : 1,6 point sur 3,9 sur la période 2005-2007, dont 0,8 lié à l’augmentation de la population et 0,8 à son vieillissement.

Le reste, c’est-à-dire 60 % de la croissance, provient d’une augmentation de la prévalence des ALD à un âge donné.

L’augmentation de la prévalence des ALD est liée à plusieurs facteurs, dont l’importance varie selon les maladies :

– les évolutions épidémiologiques ; par exemple, la prévalence du diabète s’est accrue d’un tiers entre 2000 et 2005 (2,7 % de la population en 2000 et 3,6 % en 2005) ;

– la reconnaissance plus rapide de la maladie, grâce aux progrès techniques de l’imagerie et des examens biologiques ainsi qu’au développement du dépistage ;

– la propension à proposer l’admission des patients en ALD, notamment en raison de l’augmentation du coût des traitements ; ainsi parmi les diabétiques reconnus et traités, la part des patients en ALD est passée de 70 % en 1998 à près de 80 % en 2005 ;

– la plus grande efficacité des traitements qui permet d’allonger la vie des malades et conduit donc aussi à une augmentation des effectifs en ALD ; on peut citer l’exemple des personnes malades de la mucoviscidose, dont l’âge moyen était de cinq ans dans les années 60 et qui est passé à 27 ans aujourd’hui.

Ces différents facteurs se combinent et s’additionnent pour accroître la tendance à la hausse de la prévalence des ALD.

3. Quatre pathologies concentrent 75 % des personnes en ALD et la durée de vie en ALD s’allonge

a) Quatre groupes d’affections concentrent trois quarts des personnes en ALD et sont à l’origine de l’essentiel de la croissance des effectifs en ALD

Dans le régime général, les quatre principaux groupes de maladies dont relèvent les personnes en ALD sont les suivants :

– les maladies cardiovasculaires avec 2,6 millions de personnes, soit un tiers des personnes en ALD et 4,7 % des bénéficiaires du régime général ;

– le cancer avec 1,6 million de personnes, soit 20 % des personnes en ALD et 2,8 % des bénéficiaires du régime général ;

– le diabète avec 1,5 million de personnes, soit 19 % des personnes en ALD et 2,7 % des bénéficiaires du régime général ;

– les affections psychiatriques avec 900 000 personnes, soit 11 % des personnes en ALD et 1,6 % des bénéficiaires du régime général.

Au total, 6,6 millions de personnes, soit 11,7 % des bénéficiaires du régime général, relèvent de ces quatre groupes de maladies.

Sur l’ensemble de la population, on peut estimer qu’environ 7,3 millions de personnes relèvent de ces quatre groupes de maladies.

Sur les dernières années, la répartition entre les affections est relativement stable.

Ainsi, quatre groupes de maladies, sur trente figurant sur la liste des ALD, concentrent près de trois personnes en ALD sur quatre.

En 2007, les pathologies dont la croissance a le plus contribué à l’évolution du nombre de personnes en ALD sont le diabète (+ 8,2 %), les tumeurs malignes (+ 6,5 %) et les maladies cardiovasculaires (+ 6,4 %).

En 2007, ces trois groupes de maladies ont contribué pour plus de 75 % à l’augmentation du nombre d’ALD. Les maladies cardiovasculaires contribuent pour plus d’un tiers à la croissance (36,6 %) et les cancers et le diabète chacun pour un cinquième. En l’espace de deux ans, en 2006 et 2007, le nombre de personnes admises en ALD pour une maladie cardiovasculaire a augmenté de près de 300 000, le nombre de celles admises pour un cancer de près de 200 000 et le nombre de celles admises en ALD pour un diabète de près de 210 000.

Évolution des effectifs de personnes en affection de longue durée
pour les principales ALD dans le régime général

Intitulé de l’affection

Effectif au 31/12/2005
régime général

Effectif au 31/12/2006
régime général

Effectif au 31/12/2007
régime général

Taux de croissance 2007/2006

Contribution à la croissance du nombre d’ALD
2007/2006

Maladies cardiovasculaires

2 340 778

2 476 184

2 635 380

6,4 %

36,6 %

Hypertension artérielle sévère (ALD 12)

845 504

909 619

986 944

8,5 %

14,1 %

Maladie coronaire (ALD 13)

709 300

746 142

786 332

5,4 %

7,3 %

Insuffisance cardiaque grave (ALD 5)

447 462

486 206

531 549

9,3 %

8,3 %

Artériopathies chroniques (ALD 3)

331 194

349 184

371 129

6,3 %

4,0 %

Accident vasculaire cérébral invalidant (ALD 1)

196 913

209 294

225 090

7,5 %

2,9 %

Tumeur maligne (ALD 30)

1 412 839

1 500 517

1 598 226

6,5 %

17,8 %

Tumeur maligne du sein chez la femme

406 266

429 583

455 872

6,1 %

4,8 %

Tumeur maligne de la prostate

223 482

249 712

277 616

11,2 %

5,1 %

Tumeur maligne du colon

152 647

158 591

167 379

5,5 %

1,6 %

Tumeur maligne des bronches et du poumon

58 415

59 291

62 136

4,8 %

0,5 %

Diabète de type 1 et diabète de type 2 (ALD 8)

1 310 864

1 402 573

1 517 773

8,2 %

21,0 %

Affections psychiatriques de longue durée (ALD 23)

886 279

889 796

918 508

3,2 %

5,2 %

Insuffisance respiratoire chronique grave (ALD 14)

269 212

277 620

290 073

4,5 %

2,3 %

Maladie d'Alzheimer et autres démences (ALD 15)

186 975

198 319

214 221

8,0 %

2,9 %

Affections neurologiques et musculaires, épilepsie (ALD 9)

160 889

171 999

185 267

7,7 %

2,4 %

Maladies chroniques actives du foie et cirrhoses (ALD 6)

140 172

145 508

151 746

4,3 %

1,1 %

Polyarthrite rhumatoïde évolutive grave (ALD 22)

132 375

140 526

150 032

6,8 %

1,7 %

Rectocolite hémorragique et maladie de Crohn (ALD 24)

87 709

92 984

99 286

6,8 %

1,2 %

Déficit immunitaire primitif, infection par le VIH (ALD 7)

81 032

83 281

86 485

3,8 %

0,6 %

Maladie de Parkinson (ALD 16)

71 684

75 063

79 106

5,4 %

0,7 %

Néphropathie chronique et syndrome néphrotique (ALD 19)

69 883

74 990

81 266

8,4 %

1,1 %

Sclérose en plaques (ALD 25)

51 789

54 647

57 900

6,0 %

0,6 %

Spondylarthrite ankylosante grave (ALD 27)

49 885

53 245

57 633

8,2 %

0,8 %

PAN a, LEAD a, sclérodermie généralisée évolutive (ALD 21)

40 156

43 036

46 604

8,3 %

0,7 %

Maladies métaboliques héréditaires (ALD 17)

28 708

32 787

37 120

13,2 %

0,8 %

Paraplégie (ALD 20)

31 758

31 898

32 207

1,0 %

0,1 %

Hémophilies et affections de l’hémostase graves (ALD 11)

16 857

18 646

20 657

10,8 %

0,4 %

Scoliose structurale évolutive (ALD 26)

15 946

16 564

17 431

5,2 %

0,2 %

Tuberculose active, lèpre (ALD 29)

11 809

10 642

9 756

-8,3 %

-0,2 %

Hémoglobinopathies, hémolyses (ALD 10)

9 399

10 137

11 043

8,9 %

0,2 %

Insuffisances médullaires (ALD2)

8 405

9 311

10 361

11,3 %

0,2 %

Suites de transplantation d'organe (ALD 28)

4 807

5 050

5 394

6,8 %

0,1 %

Mucoviscidose (ALD 18)

4 628

4 811

4 995

3,8 %

0,0 %

Bilharziose compliquée (ALD 4)

148

145

151

4,1 %

0,0 %

cause médicale d'ALD non précisée

680 816

687 939

687 939

-2,4 %

-3,1 %

Total patients en ALD 30 (un patient peut avoir plusieurs ALD)

7 121 352

7 382 992

7 693 622

4,2 %

 

Total patients en ALD 31

334 794

356 694

383 418

7,5 %

4,9 %

Total patients en ALD 32

74 590

70 829

68 814

-2,8 %

-0,4 %

Total patients (ALD 30, 31 ou 32)b

7 419 581

7 685 314

8 005 860

4,2 %

 

a : PAN périartérite noueuse, LEAD lupus érythémateux aigu disséminé.

b : Données définitives pour 2005 et 2006, provisoires pour 2007.

Source : CNAMTS

Parmi les affections dont le taux de croissance est particulièrement dynamique, on retrouve les tumeurs malignes de la prostate (+ 11,2 % en 2007), avec un taux de croissance annuel moyen supérieur à 11 % sur les treize dernières années ; cette évolution, qui correspond à un quadruplement du nombre de patients en ALD pour cancer de la prostate (65 000 en 1994 et 278 000 en 2007) est notamment due au développement du dépistage par le dosage du PSA.

b) Du fait du développement des polypathologies, le nombre d’ALD croît plus vite que le nombre de personnes en ALD

Le nombre moyen d’affections déclaré par patients en ALD augmente. Chaque patient en ALD déclare, en moyenne, 1,2 affection ouvrant droit au régime ALD. Ce nombre était de 1,14 en 2004. Cette progression traduit l’association de plus en plus fréquente de plusieurs maladies chroniques au cours de la vie (maladie cardiovasculaire, diabète et tumeur par exemple), mais résulte aussi de la rénovation des modalités de prise en charge et d’une déclaration plus précise des ALD dans les protocoles.

Du fait de l’augmentation du nombre moyen d’ALD par personne, le nombre de personnes en ALD progresse moins vite (+ 4,2 % en 2007) que le nombre d’ALD (+ 6 %).

Cette évolution devrait limiter les conséquences de l’augmentation du stock de personnes en ALD sur le coût de l’exonération ALD.

c) La durée de vie en ALD, de même que l’âge moyen des bénéficiaires, augmentent

L’âge moyen des personnes en ALD, qui est actuellement de 61,6 ans, s’accroît régulièrement. En 2007, il est passé de 61,4 à 61,6 ans, soit une augmentation de plus de deux mois. En dix ans, l’espérance de vie des patients relevant d’une ALD a augmenté de quatre ans, en moyenne. Elle est passée de 71 ans en 1994 à 75 ans en 2004.

Mais il existe des différences importantes selon les pathologies. Ainsi, l’âge moyen est de 18 ans pour la mucoviscidose et de 82 ans pour la maladie d’Alzheimer. L’âge moyen des personnes ayant des maladies cardiovasculaires est de 70 ans. Il est proche de 65 ans pour les tumeurs et le diabète mais il est de 48 ans seulement pour les affections psychiatriques.

Toutes affections confondues, on compte 1,4 million de personnes de 80 ans et plus en ALD, soit moins du cinquième (18 %) des personnes en ALD.

Néanmoins, le taux de personnes en ALD est très fortement lié à l’âge. Il progresse ainsi de moins de 2 % avant 5 ans jusqu’à plus de 75 % à partir de 90 ans. Près de 60 % des personnes en ALD sont âgées de plus de soixante ans.

Les femmes représentent 52 % des personnes en ALD. Toutefois, la part des hommes en ALD est supérieure à celle des femmes à âge égal ce qui traduit la surmorbidité et la mortalité plus précoce des hommes. Ainsi, pour les personnes âgées de 70 à 74 ans, 49 % des hommes sont en ALD et seulement 36 % des femmes.

L’entrée plus précoce en ALD et l’amélioration de la prise en charge médicale entraînent un allongement de la durée de vie en ALD et donc du bénéfice du régime spécifique de prise en charge. Le progrès médical permet en effet de traiter des personnes qui hier n’avaient aucun espoir.

B. LES DÉPENSES LIÉES AUX ALD SONT EN FORTE PROGRESSION

La poursuite de l’augmentation des effectifs en ALD devrait conduit à une accélération de la dépense de santé et à une concentration croissante des prestations d’assurance maladie sur les patients les plus lourds.

L’augmentation de la part des ALD dans l’ensemble de la population est le premier facteur de croissance de la dépense d’assurance maladie. Cela résulte du fait que les dépenses moyennes des patients en ALD sont nettement plus élevées que celles des personnes qui ne sont pas en ALD.

1. Les dépenses liées aux ALD concentrent 65 % des remboursements de l’assurance maladie

a) En 2007, les dépenses des ALD représentent près de 80 milliards d’euros et concentrent près de 65 % des remboursements de l’assurance maladie

En 2007, dans le régime général d’assurance maladie, les dépenses de remboursement pour les soins et prestations aux personnes en ALD se sont élevées à 70,7 milliards d’euros sur un total de 109,1 milliards d’euros pour l’ensemble des assurés relevant du régime général, ce qui représente 64,8 % du total des dépenses.

On peut estimer que pour l’ensemble des régimes, les dépenses au titre des ALD se sont élevées à environ 80 milliards d’euros en 2007, ce qui équivaut au rendement de la contribution sociale généralisée (80,5 milliards d’euros).

Les dépenses du régime général pour l’ensemble de ses assurés se répartissent en 49,6 milliards d’euros de soins de ville (45 %) et 59,5 milliards d’euros de soins hospitaliers (55 %).

Les dépenses du régime général au titre des ALD se répartissent en 28,7 milliards d’euros de soins de ville (41 %) et 42 milliards d’euros de soins hospitaliers (59 %).

Ces chiffres soulignent le poids – et même de la prédominance – des ALD dans l’ensemble des dépenses. Cependant, il y a peu de différence dans la répartition entre les soins de ville et les soins hospitaliers entre les ALD et l’ensemble de la population. Mais le contenu des traitements en soins hospitaliers est un peu plus important pour les assurés en ALD par rapport à l’ensemble des assurés.

En 2005, 42 % des personnes en ALD ont eu des soins hospitaliers pour une durée moyenne de 29 jours, contre 13 % pour les non ALD et une durée moyenne de 10 jours.

Soins de ville remboursés par le régime général aux ALD en 2007

Catégories de dépenses

Total SDV
(milliards d’euros) (1)

SDV des ALD (milliards d’euros) (2)

Part des SDV des ALD dans le total SDV (en %)

Structure des SDV des ALD

Structure des SDV des non ALD

Honoraires

15,2

5,3

35 %

18 %

47 %

Auxiliaires

6,2

4,2

68 %

15 %

8 %

Pharmacie

21,1

13,1

62 %

46 %

31 %

Biologie

3,1

1,4

45 %

5 %

7 %

Produits et prestations (LPP)

3,5

2,4

69 %

8 %

4 %

Transports

2,6

2,1

81 %

7 %

2 %

Autres SDV

0,3

0,2

67 %

1 %

1 %

Total soins de ville

49,6

28,7

58 %

100 %

100 %

Près de la moitié des dépenses de soins de ville des ALD sont consacrées aux médicaments (46 %) contre moins d’un tiers (31 %) pour les non ALD. Autre concrétisation du poids des ALD : les personnes relevant de ce régime représentent 81 % des frais de transports sanitaires.

À l’inverse, les ALD représentent 35 % des honoraires médicaux contre 65 % pour les non ALD. La fréquence plus grande de consultation des ALD est partiellement compensée par l’effectif beaucoup plus élevé des assurés qui ne sont pas en ALD (7,7 millions d’ALD et 48 millions de non ALD en 2007 dans le régime général).

Dépenses hospitalières remboursées par le régime général aux ALD en 2007

Structures d’accueil

Total hospitalisation (milliards d’euros)

Hospitalisation ALD (milliards d’euros)

Part hospitalisation ALD dans le total hospitalisation (en %)

Structures des hospitalisations des ALD

Structures des hospitalisations des non ALD

Hospitalisation privée

9,0

5,2

58 %

12 %

22 %

Hospitalisation publique

40,2

28,5

71 %

68 %

66 %

dont MCO

30,1

21

70 %

(50 %)

(52 %)

dont psy

6,6

5,2

79 %

(12 %)

(8 %)

dont SSR

3,5

2,3

66 %

(5 %)

(6 %)

Médico-social

10,3

8,2

80 %

20 %

12 %

Total

59,5

42

71 %

100 %

100 %

MCO : médecine, chirurgie, obstétrique ; Psy : psychiatrie ; SSR : services de soins de suite et de réadaptation

Par ailleurs, on peut noter la surreprésentation des ALD dans les structures d’accueil médico-social (20 % pour les ALD et 12 % pour les non ALD) et, à l’inverse, leur sous-représentation dans l’hospitalisation privée (12 % contre 22 %). Cette dernière différence peut notamment s’expliquer par le fait que les patients en ALD sont souvent hospitalisés pour des durées plus longues et s’orientent davantage vers les hôpitaux publics.

b) Les remboursements aux personnes en ALD sont, en moyenne, onze fois plus élevés que pour les non ALD

En 2006, les dépenses des personnes en ALD étaient comprises entre 7 000 et 12 000 euros pour les pathologies les plus fréquentes (pathologies cardiovasculaires, tumeurs, diabète, affections psychiatriques), et étaient de l’ordre de 8 700 euros pour l’ensemble des ALD.

Source : CNAMTS

Hors ALD, les dépenses moyennes les plus élevées s’observent en cas d’épisode aigu hospitalier ou de maternité (un peu moins de 3 000 euros). Elles sont comprises entre 1 000 et 2 000 euros pour les patients classés comme chroniques (à l’exception de l’asthme).

Compte tenu de la fraction importante de la population n’ayant que des dépenses ambulatoires courantes (près de 15 millions sur 55,8 millions d’assurés dans le régime général), ou peu (10,7 millions d’assurés) ou pas de soins (4 millions d’assurés), soit au total 30 millions de personnes, la dépense moyenne de l’ensemble de la population hors ALD reste modérée puisqu’elle s’élève à 800 euros par an.

En moyenne, les remboursements effectués par l’assurance maladie aux personnes en ALD (8 700 euros) sont ainsi onze fois plus élevés que pour les personnes qui ne sont pas en ALD (800 euros).

Ces chiffres montrent bien que le régime ALD couvre, effectivement, très largement les pathologies coûteuses.

c) La population des personnes en ALD étant hétérogène, les disparités dans le montant des dépenses sont très importantes

Beaucoup de personnes en ALD ont peu de dépenses, mais un petit nombre d’entre elles sont de gros consommateurs de soins.

De fait, les montants de dépenses des ALD sont très variables selon les maladies et leur stade d’évolution. Les dépenses sont très concentrées, toutes ALD confondues et au sein de chaque ALD.

En 2004, dans le régime général, 5 % des personnes en ALD avaient des remboursements supérieurs à 32 000 euros et concentraient plus de 41,5 % des remboursements. Les ALD du dernier centile avaient les remboursements les plus élevés ; ils dépassaient chacun 80 000 euros et totalisaient près de 16 % des dépenses. 9 000 patients en ALD (0,1 %) avaient des remboursements annuels moyens supérieurs à 150 000 euros.

À l’opposé, 50 % des personnes en ALD ne concentraient que 7,6 % des remboursements, et 20 % des personnes en ALD ne concentraient que 1,3 % avec un remboursement annuel inférieur à 937 euros.

En outre, la première année d’ALD qui correspond notamment à la recherche du diagnostic et à une phase active du traitement (chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie, hospitalisation avec instauration du traitement) et la dernière année de vie (avec un poste d’hospitalisation qui augmente) sont les périodes les plus coûteuses.

La proximité du décès est ainsi un facteur de coût démontré. On peut à cet égard rappeler que 79 % des personnes qui décèdent sont en ALD.

2. La part des dépenses pour les ALD dans les dépenses d’assurance maladie augmente d’un point par an

a) Le poids des ALD dans les dépenses totales de soins progresse de près d’un point par an

Selon les projections de la CNAMTS, les dépenses du régime général devraient passer de 109 milliards d’euros en 2007 à 130 milliards d’euros en 2011, soit une augmentation de 21 milliards d’euros.

Dans le même temps, les dépenses au titre des ALD devraient passer de 70,7 milliards d’euros à 89 milliards d’euros, soit une augmentation de 18,3 milliards d’euros.

Les ALD absorberaient ainsi 87 % de l’augmentation des dépenses pour l’ensemble des assurés. Autrement dit, la quasi-totalité de la croissance des dépenses de l’assurance maladie proviendrait de la croissance des remboursements de soins aux personnes en ALD exonérantes.

En conséquence, la part des ALD dans les dépenses du régime général devrait passer de 64,8 % en 2007 à 68,5 % en 2011, soit une augmentation de près de quatre points ou encore une progression moyenne de près d’un point par an.

b) L’intensification des soins dispensés aux patients relevant de pathologies lourdes et chroniques tire les dépenses à la hausse

À l’évolution démographique vient s’ajouter l’évolution des modalités de traitement qui se traduit par une progression régulière du volume des soins remboursés par malade, cette progression étant sensiblement plus importante pour les ALD (+ 2,2 % par an) que pour les non ALD (+ 1,2 %).

La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a effectué une première analyse prospective sur l’évolution des ALD sur la période 2008-2011. Cette étude permet de commencer à décomposer, dans les évolutions de dépenses, ce qui relève d’effets démographiques et épidémiologiques, de l’évolution des modalités de traitement, et d’expliciter les facteurs qui sont à l’origine de la formation des dépenses.

Selon les projections de la CNAMTS, l’effet d’entraînement des ALD est particulièrement net pour les soins de ville : la tendance est à une croissance annuelle comprise entre 4 et 6 % pour la plupart des ALD. Globalement, toutes ALD confondues, le volume de soins de ville, s’il poursuit son évolution récente, augmenterait de 4,7 % par an entre 2008 et 2011. L’écart est important avec les 86 % de la population qui ne sont pas en ALD, et dont le volume de soins par tête augmenterait, en moyenne, de 0,5 %. Le rythme d’augmentation des dépenses serait ainsi dix fois plus élevé pour les ALD que pour les non ALD.

La dynamique serait plutôt inverse pour les soins en établissements hospitaliers et médico-sociaux, dont le volume par personne augmente plus rapidement pour d’autres catégories de population, notamment des patients ayant des épisodes de soins aigus, ou certains patients sous traitement médicamenteux régulier, mais qui ne sont pas en ALD.

La dynamique des soins de ville pour les patients en ALD est notamment liée à des évolutions médicales.

Par exemple, en cinq ans, sur la période 2000-2005, les dépenses de médicaments des patients atteints de diabète ont doublé. Cette forte progression résulte, certes, de l’augmentation du nombre de diabétiques, mais aussi de l’augmentation de près de la moitié du coût moyen de traitement. De plus en plus de patients sont en effet traités par des combinaisons de médicaments appartenant aux classes thérapeutiques les plus récentes et les plus chers.

Ces évolutions de traitement peuvent être positives, lorsqu’elles correspondent à l’application des recommandations de bonne pratique. Cependant, dans certains cas, l’amélioration de la couverture pourrait être effectuée à un moindre coût grâce à un meilleur usage des différentes molécules.

L’augmentation des coûts moyens de traitement par patient est également très soutenue pour d’autres pathologies, comme le cancer (recours accru à la chimiothérapie, aux thérapeutiques antianémiques ou endocrines), les maladies psychiatriques (utilisation de nouveaux antipsychotiques) ou le SIDA (médicaments innovants associant plusieurs principes actifs). Le recours aux médicaments innovants contribue donc fortement à l’accroissement du poste médicaments pour ces pathologies.

c) L’impact de l’intensification des soins délivrés aux ALD sur le volume global des soins est particulièrement sensible en médecine de ville

Selon les projections de la CNAMTS, si l’on combine les tendances d’évolution concernant les effectifs de patients – en ALD ou non – et les volumes de consommation par tête, on aboutit, sur l’ensemble de la période 2008-2011, à une croissance moyenne annuelle des volumes de soins (ville + hôpital + médico-social) de 4,5 %.

L’évolution prévue est encore plus soutenue pour les soins de ville : + 5,6 % en moyenne annuelle, contre + 3,4 % pour l’ensemble du secteur hospitalier et médico-social (+ 2,7 % pour les soins hospitaliers et + 7,0 % pour les soins médico-sociaux).

Au total les volumes de soins de ville contribuent à la croissance totale des volumes de soins pour 2,6 points, soit 58 %, en moyenne annuelle, le secteur hospitalier et médico-social pour 1,9 point, soit 42 % ; le seul secteur hospitalier pour 1,2 point soit 27 % et le secteur médico-social pour 0,7 point soit 15 %.

Le volume des soins pour les patients en ALD progresse plus vite : + 6,0 % en moyenne annuelle et contribue pour les deux tiers (4,0 points) à la croissance globale des volumes de soins. Celui des non ALD progresse de +1,5 % en moyenne annuelle, et contribue pour 1,5 point à la croissance globale.

En particulier, la dynamique des dépenses de soins de ville est fortement tirée par les ALD, dont les volumes de soins progressent de 8,7 % en moyenne par an ; ils contribuent pour environ 95 % (5,3 points de croissance) à la croissance totale des soins de ville. Cette croissance provient d’ailleurs davantage de celle du volume de soins par tête (4,7 points) que de celle des effectifs (3,8 points).

Trois grandes catégories de pathologies (cardiovasculaires, cancer et diabète) expliquent près des deux tiers de la croissance des volumes des soins de ville.

La croissance des volumes de soins de ville pour les patients qui ne sont pas en ALD est, elle, relativement faible (0,8 % en moyenne par an).

En outre, sur la période 2008-2011, les remboursements de pharmacie contribuent pour près de 60 % à la croissance des volumes des soins de ville, mais cette contribution résulte de la seule pharmacie délivrée aux patients en ALD.

Il en est quasiment de même en ce qui concerne l’augmentation prévue de 3,5 % des volumes de soins en établissements hospitaliers et médico-sociaux, en moyenne annuelle et sur la même période ; celle-ci résulte en grande partie de la contribution des patients en ALD, puisqu’elle représente 81 % de l’augmentation.

Source : CNAMTS

Les projections de la CNAMTS concernent les volumes de soins ; le passage aux dépenses supposerait que soient formulées des hypothèses sur les évolutions de prix des services et de biens de santé.

3. Mais le coût de l’exonération est limité à 10 % des remboursements de soins des personnes en ALD

a) Le coût pour la sécurité sociale de l’exonération est limité à 10 % des dépenses remboursées aux assurés bénéficiaires du régime ALD

Il convient de prendre en compte la vraie mesure du surcoût du régime des ALD. Pour cela, il faut comparer l’exonération ALD avec le taux de prise en charge des assurés non ALD. Il apparaît alors que le surcoût lié à l’exonération ALD est limité et tend à se réduire.

On peut en effet rappeler que le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie estimait en 2005 que le taux de prise en charge par les régimes de base s’élevait à 94,3 % de la dépense reconnue pour les bénéficiaires du régime ALD contre 78,4 % pour les assurés non ALD. L’exonération ALD permet ainsi de bénéficier d’une prise en charge à un taux plus élevé de 16 points.

Pour ce qui concerne les dépenses hospitalières, l’exonération ALD n’a pas une grande incidence puisque l’essentiel des dépenses est exonérable au titre du K 50, c’est-à-dire lorsqu’il y a eu lors de l’épisode hospitalier au moins un acte technique exonérant, d’une valeur supérieure à 91 euros. L’avantage spécifique du régime ALD ne concerne que les soins pour lesquels le ticket modérateur serait supérieur au forfait journalier (c’est notamment le cas pour les séjours de moins de trente jours en service de médecine).

L’avantage différentiel du régime ALD est donc globalement faible pour les soins hospitaliers. En 2005, le taux de prise en charge était de 96,3 % pour les ALD contre 93,9 % pour les non ALD, soit un avantage de 2,4 points seulement.

L’avantage différentiel est en revanche nettement plus important pour ce qui concerne les soins de ville, même si, rappelons-le, l’exonération ne concerne plus depuis 1986 que les soins en rapport avec l’ALD.

Environ un quart des soins de ville (7 milliards d’euros) des personnes en ALD sont relatifs à des pathologies sans rapport direct avec la maladie exonérante. Par ailleurs, 77 % des dépenses (22,5 milliards d’euros) sont en rapport avec l’ALD et ouvrent droit à l’exonération totale du ticket modérateur.

Au total, le taux de prise en charge des soins de ville par le régime général est de 91,8 % de la dépense reconnue (hors dépassements des tarifs), contre 70 % pour les non ALD. L’avantage du régime ALD pour les soins de ville est donc de près de 22 % de la dépense reconnue.

En 2006 le taux de prise en charge des dépenses des personnes qui bénéficient du régime ALD n’est plus que de 10 points supérieur à celui des personnes qui n’en bénéficient pas.

De fait, l’exonération ALD ne joue pleinement que sur la part des soins de ville qui représente environ 40 % des soins consommés par les personnes en ALD. En conséquence, l’exonération représente seulement 10 % des dépenses remboursées aux bénéficiaires du régime ALD.

En cinq ans, notamment sous l’effet de la création de divers dispositifs de copaiement (1 euro par consultation, franchises et pénalisations en cas de non respect du parcours de soins), dont les patients en ALD n’ont pas été exonérés, la proportion que représente le surcoût lié au régime ALD aurait diminué de 6 points.

Par exemple, la franchise forfaitaire sur les médicaments, qui n’est pas réassurable par les organismes d’assurance maladie complémentaire, réduit l’impact de l’exonération ALD. Pour un médicament remboursé à 35 % d’un prix public moyen de 5,40 euros, l’exonération ALD correspond à 65 %. Avec la franchise de 0,50 euro par boîte, le supplément de taux de remboursement par l’assurance maladie obligatoire lié à l’exonération ALD est en fait de 56 % [(5,4 x 65 %) - 0,50 euro]. La franchise réduit de 9 points le supplément de prise en charge par l’assurance maladie lié à l’exonération ALD, soit une réduction du surcoût de 14 % (9/65).

Pour prendre la mesure complète de l’effet de décélération du coût de l’exonération ALD dû aux franchises, il faudrait additionner à l’effet automatique ci-dessus rappelé, les effets éventuels liés à des réductions de quantités consommées et à des diminutions de prix, ces derniers servant de base de calcul de la part prise en charge par l’assurance maladie. Les récentes données de la CNAMTS sur les dépenses de soins indiquent une sensible décélération du rythme de progression de la consommation des médicaments – en valeur – depuis le début de 2008, date d’instauration des franchises.

Il faudra vérifier l’éventuel effet de décélération sur les quantités consommées et son maintien sur le long terme. Le premier rapport d’évaluation remis par le Gouvernement au Parlement, qui concerne les six premiers mois de l’année 2008, indique que la franchise sur les médicaments a favorisé l’essor des grands conditionnements mais n’a pas eu d’impact sensible sur l’évolution du volume – en nombre de boîtes – de médicaments consommés : augmentation de 1,2 %, soit un rythme de progression comparable à celui des années précédentes.

b) En 2006, le coût de l’exonération s’est élevé à 7,7 milliards d’euros et 1 000 euros par bénéficiaire du régime ALD

Le surcoût du régime des ALD a été estimé par la CNAMTS à 7,7 milliards d’euros en 2006, ce qui représente 10 % des dépenses remboursées par le régime aux personnes en ALD.

Le coût de l’exonération par bénéficiaire s’élève ainsi à environ 1 000 euros sur une dépense remboursée par l’assurance maladie obligatoire de 9 000 euros.

c) Le coût de l’exonération ALD n’explique qu’une faible part de la croissance des dépenses d’assurance maladie

Dans la communication de la Cour des comptes à la commission des affaires sociales du Sénat sur la répartition du financement des dépenses de maladie depuis 1996, la Cour se livre à un calcul concernant les années 2004 à 2006. Elle estime que, sur cette période, l’augmentation du surcoût lié aux ALD s’est élevée à environ 864 millions d’euros pour tous les régimes d’assurance maladie, ce qui représente seulement 6,2 % de la croissance des dépenses d’assurance maladie obligatoire.

Cependant, à mesure que le coût des ALD augmente, l’assiette du ticket modérateur se réduit et les recettes qui en résultent diminuent. Ce phénomène est encore amplifié par le fait qu’il existe à côté de l’exonération ALD près d’une trentaine d’autres dispositifs d’exonération du ticket modérateur. Ainsi, actuellement, le ticket modérateur ne porte que sur 64 % de la dépense reconnue de soins de ville (hors dépassements de tarifs).

C. LA POLARISATION DE L’ASSURANCE MALADIE SUR LES ALD DEVRAIT SE POURSUIVRE

1. Le nombre de personnes en ALD pourrait augmenter de 20 % d’ici 2012 pour atteindre 12 millions

Si l’on prolonge la tendance récente en matière d’augmentation de la prévalence par âge et si on la combine avec les prévisions d’évolution démographique, le nombre de personnes en ALD pourrait augmenter d’ici 2012 au rythme annuel moyen de 3,8 %, soit de 20 % en cinq ans et passer d’environ 10 millions à près de 12 millions de personnes. 80 % de la progression devrait résulter de l’augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies cardiovasculaires, de cancer ou de diabète.

Ce chiffre pourrait être plus important si toutes les personnes atteintes d’une affection de longue durée ouvrant droit au régime des ALD demandaient à en bénéficier. On estime, par exemple, qu’il existe dans le régime général, environ 350 000 personnes traitées pour diabète qui pourraient bénéficier de l’exonération ALD si elles en avaient fait la demande.

L’exemple du diabète illustre la puissance de la dynamique d’augmentation du nombre de personnes en ALD et des coûts associés. La croissance envisagée d’ici 2015 de 32 % des effectifs de diabétiques traités et de 15 % du taux de diabétiques admis en ALD conduirait à une progression des effectifs ALD de 52 %. Il est en outre estimé que la dépense par personne pourrait croître de 41 %. Au total, sur la période, la dépense publique pour ces malades pourrait doubler et passer de 10 à 20 milliards d’euros d’ici 2015.

2. La structure de la population des assurés évolue au profit des ALD

Au fil des ans, sous l’effet de l’augmentation continue et à un rythme élevé du nombre de personnes en ALD, la structure de la population des assurés se déforme au profit des ALD. Corollairement, les effectifs de patients chroniques hors ALD diminuent.

Par exemple, on observe que l’ensemble des malades chroniques ayant des pathologies ou des risques cardiovasculaires (ALD cardiovasculaire, ALD diabète et patients non en ALD mais prenant régulièrement un traitement médicamenteux cardiovasculaire), soit 8,6 millions de personnes, ne progresse que de 0,6 %, mais qu’au sein de cet ensemble, l’augmentation du nombre des personnes en ALD est de 4,5 %.

3. La croissance des dépenses d’ALD devrait se poursuivre

L’évolution de la population et de sa répartition générerait à elle seule, même si les dépenses moyennes par catégorie de patients restaient inchangées, 2,1 % de croissance par an (dont 0,8 point lié à la démographie globale, et 1,2 point d’effet de structure lié à la progression des ALD).

Sous les effets combinés de la démographie, du vieillissement et de l’intensification des soins donnés aux personnes en ALD, la part que représentent les remboursements au titre des ALD pourrait atteindre, dans les dix ou quinze prochaines années, 80 % de l’ensemble des remboursements aux assurés.

Environ 20 % des assurés pourraient ainsi concentrer 80 % des dépenses.

Aujourd’hui, deux tiers des remboursements de l’assurance maladie sont le fait d’un sixième des assurés. Dans dix ou quinze ans, quatre-cinquièmes des dépenses pourraient être le fait d’un cinquième des assurés.

Dans la projection réalisée par la CNAMTS en 2007, il est prévu que la part des assurés en ALD passerait à 19 % en 2015 et que les dépenses à ce titre pourraient représenter 70 % des remboursements de l’assurance maladie.

Encore faut-il préciser que ces projections sont fondées sur la seule prévision d’évolution des volumes de soins. Elle ne prend pas en compte l’évolution des prix des biens et prestations de santé. On comprend, dès lors, l’importance d’une surveillance très précise de l’évolution des prix pour contrer ou ralentir le mouvement de polarisation croissante de l’assurance maladie obligatoire sur la prise en charge des dépenses des personnes en ALD.

III. LE RÉGIME DES ALD NE PERMET PAS TOUJOURS D’ASSURER UNE PRISE EN CHARGE MÉDICALE OPTIMALE ET UNE RÉELLE ÉQUITÉ DANS LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE

Plusieurs facteurs socio-médico-économiques, tels que le vieillissement de la population, la tendance à la chronicisation des maladies, l’évolution de la prise en charge médicale et de l’ensemble du système de prise en charge financière, conduisent à s’interroger sur la pertinence et la soutenabilité du régime des ALD.

A. LE RÉGIME DES ALD S’EST COMPLEXIFIÉ ET NE PERMET PAS TOUJOURS D’ASSURER UNE PRISE EN CHARGE MÉDICALE OPTIMALE

1. Le régime des ALD est devenu complexe et il n’est pas tiré parti de toutes les dispositions en vigueur

a) Le régime de prise en charge des soins délivrés aux personnes en ALD est devenu complexe et difficile à comprendre par les personnes concernées

Au fur et à mesure de l’évolution du régime de sécurité sociale, les conditions de prise en charge des soins des personnes en ALD ont évolué et se sont complexifiées. En raison de la multiplication des dispositifs de copaiement et d’exonérations, il est devenu plus difficile d’appréhender la cohérence d’ensemble du système. Celui-ci est difficilement lisible et compréhensible par les assurés. Cette complexité peut, dans certains cas, nuire à la transparence d’ensemble, aboutir à des inéquités dans la prise en charge médicale et financière et ne pas produire tous les effets attendus d’une meilleure responsabilisation des différents acteurs.

Le manque de lisibilité du dispositif, le système de rémunération des médecins et la croyance trop répandue que l’admission en ALD ouvre droit à une prise en charge intégrale de tous les frais de soins et à une médecine gratuite peuvent entraîner certains effets pervers pour les assurés et l’assurance maladie.

b) Les dispositions permettant de réserver l’exonération ou de la moduler ne sont pas utilisées

Trois dispositions législatives, auxquelles on pourrait pourtant recourir, ne sont pas appliquées :

– celles concernant les conditions d’accès à l’exonération (le critère du coût pour l’admission en ALD et la limitation aux actes effectués dans le cadre d’une prise en charge organisée) ;

– celles relatives au niveau de l’exonération (modulation selon les catégories de prestations et les conditions dans lesquelles sont dispensés les soins) ou son mode de calcul (participation proportionnelle ou forfaitaire).

En effet, depuis la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, le code la sécurité sociale prévoit la possibilité de fixer par décret, pris sur proposition de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), les règles visant à réserver la limitation ou la suppression du ticket modérateur au titre des ALD aux prestations exécutées dans le cadre d’un réseau de santé ou d’un dispositif coordonné de soins (dernier alinéa de l’article L. 322-3). Mais cette disposition n’a pas été utilisée.

En outre, les dispositions législatives en vigueur prévoient la possibilité de moduler l’exonération des dépenses des soins des personnes en ALD.

En effet, les dispositions législatives n’imposent pas l’exonération totale de ticket modérateur puisque l’article L. 322-2 du code de la sécurité sociale dispose que « la participation peut être proportionnelle (…) ou fixée à une somme forfaitaire. Elle peut varier selon les catégories de prestations, les conditions dans lesquelles sont dispensés les soins ».

C’est une disposition réglementaire qui prévoit l’exonération totale du ticket modérateur (article R. 322-5).

Ces dispositions législatives ouvrent de nombreuses possibilités et, si elles étaient appliquées, permettraient de faire évoluer le système de prise en charge et, selon les orientations qui seraient retenues, le cas échéant, de dégager des marges de manœuvre non négligeables.

2. Le régime des ALD a permis d’améliorer l’accès aux soins mais ne permet pas toujours d’assurer une prise en charge médicale optimale

a) Le régime des ALD concrétise la nécessaire solidarité entre les bien portants et les malades et permet d’assurer l’accès aux soins des malades les plus lourds

Le régime des ALD est l’expression de la solidarité nationale et a constitué une réelle amélioration dans la prise en charge des personnes atteintes des pathologies les plus lourdes.

Il est incontestable que le régime des ALD permet encore aujourd’hui d’assurer la prise en charge de nombreux patients qui sans cela ne le seraient pas ou ne pourraient pas accéder dans de bonnes conditions aux soins primaires, faute de pouvoir bénéficier d’une assurance maladie complémentaire offrant une couverture équivalente.

Le régime des ALD permet effectivement d’améliorer la couverture des maladies lourdes grâce à l’effort de la solidarité nationale.

b) Mais le dispositif de protocole de traitement est coûteux en temps médical et son contrôle est mal vécu par les prescripteurs

La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a institué un nouveau dispositif de protocole de soins qui s’est substitué, à partir du mois de novembre 2005, au PIRES (protocole inter-régimes d’examen spécial). Pour les personnes couvertes par le régime ALD avant cette date, le nouveau protocole de soins doit se substituer à l’ancien avant fin 2008.

Le protocole de soins, qui définit les actes et prestations nécessaires au traitement de l’affection, est opposable à l’assuré et au professionnel de santé. Il précise les obligations imposées à la personne en ALD et il est périodiquement révisable, notamment en fonction de l’état de santé de la personne et des avancées thérapeutiques. Il définit les actes et prestations pour lesquels l’exonération peut jouer, compte tenu des recommandations de la HAS.

Le protocole doit être signé par le patient qui doit le présenter au médecin pour pouvoir bénéficier de l’exonération. Mais la portée juridique de cette signature est mal cernée. Elle semble ne revêtir qu’un caractère symbolique plus qu’une véritable adhésion du patient au protocole. Aucune sanction n’est prévue en cas d’absence de signature.

En outre, le protocole de soins, qui vise à assurer le bon usage des soins en faveur des personnes en ALD et à exonérer ce qui doit l’être au titre de l’ALD, fait l’objet de critiques récurrentes de la part des professionnels de santé qui considèrent que le dispositif a un caractère administratif marqué et qu’il est coûteux en temps médical.

Le protocole ne semble donc pas avoir complètement satisfait à toutes les ambitions qu’on avait placées en lui, notamment pour optimiser la prise en charge médicale. Encore faut-il ajouter que le contrôle du protocole des soins effectué par le médecin-conseil qui doit ensuite donner son accord pour sa mise en œuvre a une vertu pédagogique puisqu’il pousse à la responsabilisation des prescripteurs.

c) Le système de rémunération du médecin traitant pousse à l’admission en ALD sans toujours garantir une prise en charge médicale optimale

De fait, l’objectif d’amélioration de la qualité de la prise en charge médicale ne semble pas avoir été toujours complètement atteint. À la suite de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie et de la convention médicale de 2005, il a été prévu de rémunérer le médecin traitant à hauteur de 40 euros par assuré en ALD et par an. Cette rémunération est intégralement à la charge des régimes d’assurance maladie obligatoire. Cette rémunération du suivi annuel était censée améliorer le suivi de la prise en charge et favoriser la révision périodique des protocoles.

La Cour des comptes a souligné que la création de ce forfait avait poussé à la hausse du nombre d’admissions en ALD. En effet, le forfait de 40 euros a pu être utilisé parfois comme un moyen de compléter des revenus considérés comme insuffisants, accentuant la propension à l’admission en ALD. La question de la modification des comportements de recours à l’ALD n’est pas secondaire surtout si l’on rappelle la tendance actuelle au maintien dans le régime ALD alors que cela n’est pas toujours justifié.

En outre, le travail de suivi et de réévaluation des protocoles pourrait être assuré de manière plus précise et plus systématique par les praticiens et le contrôle médical.

À cet égard, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a plusieurs fois souligné que le régime préférentiel de prise en charge financière des ALD ne garantit pas pour autant que la qualité de la prise en charge médicale est toujours optimale.

Les référentiels, non opposables, de la HAS fixent une liste d’actes et de prestations nécessaires au traitement de l’ALD, mais les traitements, notamment médicamenteux, pourraient être mieux hiérarchisés.

B. LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE N’EST PAS TOUJOURS ÉQUITABLE ET MODIFIE LA RÉPARTITION DE LA COUVERTURE DES DÉPENSES ENTRE L’ASSURANCE MALADIE OBLIGATOIRE ET LES ORGANISMES COMPLÉMENTAIRES

En dépit de progrès dans le respect de l’ordonnancier bizone, les conditions de prise en charge financière des soins et prestations de santé pour les personnes en ALD exonérantes ou non ne sont pas toujours cohérentes et sont source d’inégalités.

1. Des progrès ont été accomplis dans le respect de l’ordonnancier bizone

Il a longtemps été considéré que l’ordonnancier bizone était insuffisamment respecté et mal contrôlé. Des progrès ont été accomplis dans ce domaine qui doivent être prolongés par la mise en place de la liquidation médicalisée.

a) Le contrôle de l’ordonnancier bizone a permis de faire évoluer les pratiques

L’ordonnancier bizone est censé permettre aux médecins de mentionner sur l’ordonnance les soins liés à l’ALD qui ouvrent droit à l’exonération des autres soins qui sont pris en charge dans les conditions de droit commun.

Cette mesure qui permet l’application concrète des conditions de prise en charge en vigueur est mal vécue par les médecins prescripteurs. Comme les représentants des syndicats de médecins l’ont indiqué lors de leur audition par la MECSS, ils considèrent que cette tâche complique leurs conditions d’exercice et n’est pas toujours médicalement facile à respecter.

Toutefois, les efforts continus des partenaires sociaux, accomplis notamment dans le cadre de la convention médicale pour améliorer le respect de l’ordonnancier bizone, ont donné certains résultats. Dans son rapport de 2006, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie notait ainsi un meilleur usage de l’ordonnancier bizone et l’amorce d’un changement de tendance dans l’évolution de la part des dépenses des personnes en ALD remboursées à 100 %, le ratio entre les actes avec ticket modérateur et les actes sans ticket modérateur fléchissant légèrement en 2005 (- 1 %), après la forte hausse des années précédentes (+ 7 %).

b) La liquidation médicalisée devrait permettre de nouvelles améliorations dans la juste application de l’exonération ALD

En application des dispositions issues de la loi du 13 août 2004 (article L. 314-1 du code de la sécurité sociale), qui autorise un contrôle avant le paiement des prestations, les caisses se sont progressivement engagées dans la liquidation médicalisée qui doit permettre, à terme, une juste application de l’exonération ALD pour les soins en rapport avec l’ALD du patient.

Le régime social des indépendants (RSI) a mis en place un système de liquidation médicalisée qui permet de contrôler, avant le paiement des prestations, le respect du périmètre de l’exonération du ticket modérateur au titre des ALD. Ce dispositif, expérimenté depuis 2004, a été étendu fin 2007.

Désormais, le RSI contrôle de façon automatisée le rapport des actes et prestations qui lui sont présentés au remboursement avec l’ALD du patient. Le RSI prend en charge les soins au taux adapté : 100 % si les soins sont effectivement liés à la pathologie exonérante ou taux de droit commun dans les autres cas. Le RSI prévoit en outre d’étendre ce dispositif à d’autres pathologies et à d’autres thématiques que les ALD, en particulier les médicaments.

La MSA mène aussi des actions de contrôle de l’ordonnancier bizone. Depuis 2005, elle renvoie aux médecins prescripteurs, pour l’ensemble de leur patientèle en ALD, la liste des anomalies de ventilation sur le bizone constatées par le médecin conseil à partir des données recueillies à l’aide du logiciel Archimed. Cet envoi est suivi d’un entretien confraternel téléphonique afin de fixer, de manière contractuelle, le relevé des anomalies après étude de la situation médicale de chaque patient. Cette action qui concernait au départ uniquement les prescriptions de pharmacie et de biologie a été étendue à l’ensemble des prescriptions.

Pour les années 2005 à 2007, près de 4 000 médecins généralistes ayant une clientèle MSA significative en ALD ont fait l’objet de ce contrôle qui a concerné 200 000 assurés MSA en ALD. Les résultats semblent encourageants, puisque les remboursements de médicaments prescrits par les omnipraticiens pour les patients en ALD (qui représentent 72 % de la dépense totale) ont baissé de 2 % entre 2005 et 2007 alors que les remboursements pour les patients non ALD ont augmenté de 8 %. Il est considéré que cette évolution correspond à un transfert de prescriptions vers la partie basse de l’ordonnance bizone.

En plus de ce contrôle a posteriori, la MSA va, comme le RSI, lancer une expérimentation de consultation en ligne du protocole de soins. Le médecin pourra prendre connaissance de la liste des actes et prestations remboursables à 100 % pour son patient exonéré pour une ou plusieurs ALD, ainsi que celle des actes non remboursables mais figurant dans le référentiel. Cette expérimentation préfigure la liquidation médicoadministrative a priori qui pourrait être réalisée à partir du poste du professionnel de santé, soit chez l’exécutant, soit sur le flux arrivant à la caisse.

La CNAMTS s’est aussi engagée dans cette démarche, mais le nombre de personnes concernées rend sa mise en œuvre plus difficile.

2. La politique de responsabilisation des patients entraîne une augmentation des restes à charge des personnes en ALD dont certains peuvent être importants

a) Le régime des ALD permet d’assurer une prise en charge financière plus importante des dépenses de santé mais pas une prise en charge intégrale

Comme cela a déjà été souligné, la création des nouveaux copaiements et des contrats responsables d’assurance maladie complémentaire, qui sont destinés à mieux responsabiliser les patients, a entraîné une réduction de la prise en charge par l’assurance maladie obligatoire et une augmentation du reste à charge des personnes en ALD.

Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie estimait en 2005 que les nouvelles dispositions financières devraient se traduire par une augmentation de l’ordre de 60 euros (5 euros par mois) du reste à charge des patients en ALD, soit une progression de 10 % du reste à charge.

b) Le système de prise en charge peut entraîner des disparités et des restes à charge importants

Certaines personnes en ALD peuvent avoir à supporter des restes à charge élevés, en raison des participations financières sur les soins en rapport avec leur ALD mais aussi parce que leurs dépenses sur la partie des soins sans rapport avec leur maladie de longue durée exonérante sont importantes.

Ainsi, selon le rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard sur le bouclier sanitaire, de septembre 2007, 15,9 % des assurés en ALD – soit environ 1,6 million de personnes – contre 8,8 % des assurés non ALD, ont un reste à charge (RAC) supérieur à 500 euros en soins de ville. En outre, les 5 % de personnes en ALD – soit environ 500 000 personnes – qui ont les restes à charge les plus élevés doivent supporter un reste à charge moyen de près de 1 500 euros. Et 1 % des personnes en ALD, soit près de 100 000 personnes, ont un reste à charge en soins de ville très élevé, d’un montant moyen supérieur à 2 700 euros.

Encore faudrait-il ajouter, dans certains cas, des restes à charge élevés de dépenses hospitalières ; 1,5 million de personnes en ALD ou non ont des restes à charge hospitaliers supérieurs à 500 euros. De nombreuses personnes en ALD accumulent ainsi des forfaits journaliers dont elles ne sont pas exonérées et qui sont mal couverts par les assurances complémentaires et peuvent entraîner des charges élevées.

À l’opposé, près de 40 % des assurés en ALD – soit près de 4 millions de personnes – ont un reste à charge inférieur à 100 euros. Dans ce cas, qui concerne donc une grande part des personnes en ALD, l’exonération peut apparaître excessive dans la mesure où les dépenses ne sont pas telles qu’elles justifient une exonération aussi généreuse.

3. La prise en charge des personnes en ALD repose de plus en plus sur les régimes obligatoires

a) L’attractivité du régime des ALD a des effets pervers

Outre la forte propension à l’admission en ALD – pas toujours justifiée –due à l’attractivité médicoéconomique de l’exonération, on observe une différence dans les taux de couverture par une assurance complémentaire selon que les assurés bénéficient ou non de l’exonération ALD. Le taux de couverture par une assurance complémentaire est supérieur pour les assurés non ALD que pour les assurés en ALD.

Nombre de personnes en ALD pensent en effet, à tort, que le régime ALD leur assure une prise en charge intégrale de leurs frais de soins. Et, trop souvent, par méconnaissance ou par souci d’économie, ces personnes renoncent à prendre une couverture complémentaire ou résilient leur contrat. Or, dans de nombreux cas – on l’a vu – le bénéfice de l’exonération ALD ne permet pas d’éviter le risque d’avoir à supporter des restes à charge qui peuvent être importants.

Le taux de personnes sans couverture maladie complémentaire était en 2004 de 11,2 % pour les personnes en ALD et de 8,1 % pour les assurés non ALD. Ainsi, plus d’un million de personnes en ALD ne sont pas couvertes par une complémentaire. Il s’agit souvent d’assurés modestes, âgés et inactifs. Ces personnes doivent assumer directement l’intégralité du reste à charge. Cette situation peut les conduire à renoncer à des soins. On sait en effet que la renonciation aux soins est plus fréquente pour les assurés sans complémentaire.

Bien que le taux de personnes en ALD sans couverture complémentaire se soit réduit – il est passé de 13,7 % en 2000 à 11,2 % en 2004 – on remarque que le taux des personnes en ALD sans couverture complémentaire croît avec l’âge : 7,2 % entre 2 et 15 ans, 10,2 % entre 16 et 39 ans, 8,8 % entre 40 et 64 ans, 12 % entre 65 et 79 ans et 15,2 % à partir de 80 ans. C’est donc aux âges où l’état de santé à tendance à se dégrader et où les dépenses de santé sont, en moyenne, les plus élevées et que les restes à charge des personnes peuvent être importants que la désaffiliation aux complémentaires est la plus forte, alors que c’est justement dans cette situation que les complémentaires peuvent jouer tout leur rôle.

Cette question a constitué un sujet de préoccupation important pour la MECSS, tout au long de ses travaux. Les personnes auditionnées ont été souvent interrogées sur ce point sans qu’il soit apporté de réponse satisfaisante. La MECSS souhaite que les organismes de sécurité sociale et les organismes complémentaires se mobilisent pour mieux informer les assurés, en particulier les assurés en ALD, sur l’importance de conclure un contrat de couverture complémentaire ou de maintenir son contrat, même lorsque la personne vient à bénéficier du régime ALD.

b) Le développement des ALD entraîne un déport de charges vers l’assurance obligatoire, au bénéfice des organismes complémentaires

L’augmentation du nombre de personnes en ALD entraîne une modification de la répartition du financement des dépenses de soins entre l’assurance maladie obligatoire (AMO) et les assurances complémentaires (AMC). Cette augmentation pousse à la hausse la part des dépenses de soins prises en charge par l’assurance obligatoire et à la baisse la part des dépenses prises en charge par les assurances complémentaires. Cet effet de déport vers l’AMO a été estimé par le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, dans son rapport de juillet 2008, à près de 3 milliards d’euros en cinq ans, soit environ 600 millions d’euros par an.

Selon le Haut conseil, quatre facteurs principaux poussent à l’augmentation spontanée du taux de prise en charge par l’assurance maladie :

– la croissance rapide des dépenses des assurés en ALD. Comme le taux de ticket modérateur appliqué à leurs soins de ville est de 8 % contre 31 % pour les autres assurés, la concentration croissante de la dépense sur les assurés ALD tire à la hausse le taux moyen de remboursement par l’assurance maladie. Le Haut conseil estime ce facteur à 1,9 milliard d’euros à l’horizon 2013, soit environ les deux tiers du déport de dépenses à la charge de l’assurance maladie obligatoire ;

– l’effet de structure du marché du médicament dont le taux moyen de remboursement s’accroît avec la poussée des médicaments à 100 % ;

– le vieillissement de la population puisque le taux de prise en charge des dépenses croît avec l’âge : 77,7 % au-dessous de 60 ans et 83,7 % au dessus. ;

– l’augmentation des dépenses de soins dans le secteur médico-social où le taux de prise en charge est plus élevé que le taux moyen en assurance maladie.

Le Haut conseil a retenu comme axe de ses réflexions de stabiliser sur les cinq prochaines années le taux de prise en charge de la sécurité sociale.

Le Gouvernement a décidé de retenir cette option.

Afin de compenser le transfert de charges vers l’assurance obligatoire, l’article 12 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoit d’augmenter de 2,5 % à 5,9 % le taux de la taxe sur le chiffre d’affaires santé des organismes complémentaires. L’intégralité du produit de la taxe sera affectée au Fonds de financement de la couverture maladie universelle (CMU). À partir de 2009, le Fonds sera donc lui-même intégralement financé par ladite taxe et les régimes d’assurance maladie obligatoire ne participeront plus au financement de la CMU complémentaire (CMUC) et à l’aide à la complémentaire santé (ACS) qui seront intégralement pris en charge par le Fonds.

Cette mesure constitue une clarification importante du financement de l’assurance maladie. La taxe sur les organismes de protection complémentaires financera désormais en totalité la couverture universelle du risque maladie et les régimes obligatoires seront recentrés sur leur rôle de financeurs de la protection maladie de base.

En contrepartie, l’article 31 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoit que l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire (UNOCAM) sera systématiquement associée aux négociations conventionnelles avec les professionnels de santé. Il prévoit aussi que la signature de l’UNOCAM sera obligatoire lorsque les accords, conventions ou avenants, concerneront des professions ou prestations, définies par arrêté des ministres en charge de la santé et de la sécurité sociale, pour lesquelles la part des dépenses prises en charge par l’assurance maladie obligatoire est minoritaire, c’est-à-dire inférieure à 50 % du total des dépenses pour le patient, comme c’est actuellement le cas pour l’optique et le dentaire.

IV.- LE RECENTRAGE DU RÉGIME DES ALD S’INSCRIT DANS L’OBJECTIF D’AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE MÉDICALE DES MALADIES CHRONIQUES ET DE RENFORCEMENT DE L’ÉQUITÉ DE LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE

Selon M. Didier Houssin, directeur général de la santé, qui a été auditionné par la MECSS : « le dispositif ALD ne peut poursuivre deux lièvres à la fois. Il ne peut pas concourir à l’amélioration de la qualité grâce aux protocoles et à l’organisation des soins tout en cherchant à résoudre les difficultés financières que nous connaissons et qui se poseront avec plus d’acuité dans les années à venir. »

De fait, le système de prise en charge des soins des personnes en ALD est devenu complexe et pas toujours compréhensible pour les personnes concernées. Cette complexité génère des peurs, plus ou moins rationnelles, qui sont sources de blocages. Il devient, dès lors, très difficile de toucher à un paramètre du régime pour le faire évoluer ou le réformer. Le choix qui a jusqu’à présent été fait a, pour l’essentiel, été de laisser le régime d’exonération en l’état et d’agir sur des paramètres de la prise en charge financière qui lui sont extérieurs.

Cependant, la dynamique du régime ALD qui polarise de plus en plus la dépense de soins peut, à terme, poser des problèmes de cohésion entre les assurés et d’adhésion au système de prise en charge collectif. De plus, l’admission, ou le maintien en ALD, n’est pas toujours cohérente ou justifiée et ne garantit pas toujours une prise en charge médicale optimale.

La réforme des ALD doit s’inscrire dans la réforme globale de l’offre de soins en lien avec le développement des maladies chroniques qui doit conduire à faire évoluer les modes de prise en charge médicale et économique.

L’objectif prioritaire, qui est d’ailleurs à la source de toutes les réflexions de la MECSS, est de rendre le système plus efficient, plus simple et plus juste.

Dans cet esprit, trois orientations pourraient être privilégiées :

– le régime des ALD pourrait être mieux ciblé ;

– les maladies chroniques pourraient faire l’objet d’une prise en charge médicale améliorée ;

– à moyen terme, un système de prise en charge financière plus simple et plus équitable pourrait être mis en place.

A. MIEUX CIBLER LE RÉGIME DES ALD

Si la MECSS a souhaité engager une réflexion de fond sur le sujet sensible du régime des affections de longue durée exonérantes c’est parce que ce régime polarise une part grandissante des remboursements de l’assurance maladie.

Cette polarisation correspond à certaines évolutions médicales lourdes comme le renforcement des traitements et l’utilisation d’innovations coûteuses, mais aussi à une augmentation des effectifs en ALD qui résulte d’une combinaison de facteurs précédemment développés. Ces différents « moteurs » entraînent une accélération de la dépense et une concentration croissante des prestations d’assurance maladie sur les patients les plus lourds.

Cette question renvoie à celle de la soutenabilité de l’évolution de notre système d’assurance maladie.

La Mission a souhaité aborder ce sujet sans tabou, mais toujours avec la volonté d’améliorer la prise en charge médicale, en particulier pour les patients atteints des maladies les plus lourdes et souvent les plus longues et les plus coûteuses.

Elle considère cependant que des marges de manœuvre existent pour infléchir certaines tendances et que des gains d’efficience peuvent être réalisés et redéployés pour mieux répondre aux besoins réellement prioritaires.

1. Réserver l’exonération ALD aux affections longues et coûteuses

L’exonération ALD est efficace puisqu’elle permet effectivement de réduire de manière importante le reste à charge des personnes qui sont admises dans le régime spécifique et peuvent ainsi bénéficier d’un complément de prise en charge qui leur permet d’accéder facilement aux soins nécessaires au traitement de leur pathologie. Mais l’exonération est relativement coûteuse et de plus en lourde à supporter pour l’assurance maladie.

Si rien n’est fait, et pour les raisons déjà évoquées, la tendance à l’augmentation du nombre de personnes en ALD et des coûts pour l’assurance maladie devrait se poursuivre, voire s’accentuer au point de rendre le dispositif difficilement supportable, tant financièrement que politiquement.

Cela devrait conduire à réserver l’exonération aux patients atteints de maladies longues et coûteuses qui sont réellement exposés à des restes à charge importants. Il a été rappelé que 40 % des personnes qui bénéficient de l’exonération ALD, soit près de quatre millions de personnes, ont un reste à charge de médecine de ville inférieur à 100 euros ce qui est très sensiblement inférieur au reste à charge moyen des personnes en ALD qui s’élève à 280 euros et même au reste à charge moyen des assurés non ALD qui s’élève à 200 euros.

Sous réserve d’études complémentaires précises, prenant en compte les dépenses hospitalières, qui viendraient confirmer la soutenabilité pour les patients concernés de la non-application de l’exonération, il ne serait pas illogique ni illégitime de placer hors champ de l’exonération les personnes relevant d’affections de longue durée non coûteuses.

Les études devraient être menées de concert par la HAS, les services de l’État et les caisses d’assurance maladie, en concertation avec les représentants des médecins, les associations représentatives de malades et les organismes complémentaires. Les modalités d’application de cette orientation, visant à définir et prendre en compte le critère du coût pour l’admission en ALD exonérante, devraient être fixées, dans un délai relativement limité, à l’issue de ces travaux.

Cela suppose que la HAS, qui est dotée d’une compétence médicoéconomique, effectue une révision de la liste des ALD exonérantes et des critères d’admission et de sortie du régime. Il pourrait être envisagé un dispositif de sortie progressif du régime, notamment à l’occasion du réexamen des protocoles de soins.

L’objectif n’est pas de faire des économies à tout prix mais simplement de recentrer l’exonération sur les personnes qui en ont réellement besoin pour accéder aux soins qui leur sont nécessaires. Les moyens dégagés pourraient être redéployés pour améliorer la prise en charge des maladies chroniques, développer la prévention et l’accompagnement des malades. Le recentrage du dispositif ALD devrait en outre permettre une meilleure gestion et un meilleur suivi des bénéficiaires. Les personnes qui ne bénéficieraient plus de l’exonération verraient leur prise en charge médicale assurée dans le cadre nouveau concernant les maladies chroniques qu’il est proposé d’instaurer. En outre, les personnes qui sont dans le champ de l’aide à la complémentaire santé (ACS) pourraient, le cas échéant, bénéficier d’une aide renforcée.

2. Optimiser la prise en charge médicale en demandant à la HAS d’établir des référentiels hiérarchisés de traitement

Lors des auditions organisées par la MECSS, il a été demandé, à plusieurs reprises, notamment par des syndicats de médecins, que la Haute Autorité de santé publie des référentiels de traitement hiérarchisés pour les ALD afin d’aider les médecins dans leurs choix thérapeutiques et leurs prescriptions, et favoriser le bon usage des soins.

M. Laurent Degos, président de la HAS, s’est déclaré en accord avec cette orientation. Ainsi, la Haute Autorité de santé a publié au mois d’octobre 2008, une fiche de bon usage des médicaments pour traiter l’hypertension artérielle essentielle non compliquée. Il est ainsi recommandé aux médecins de prescrire le traitement le plus économique compatible avec la qualité des soins c’est-à-dire de préférence un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) plutôt qu’un sartan, qui est un médicament aussi efficace mais plus coûteux.

Il serait souhaitable que la HAS s’engage plus avant dans ce sens et établisse rapidement des référentiels hiérarchisés de traitement des principales pathologies les plus coûteuses, avant de généraliser cette pratique pour l’ensemble des pathologies concernées.

3. Améliorer le remboursement de certains biens et services nécessaires à la prise en charge de la pathologie

Un effort pourrait notamment être accompli dans ce sens pour certaines pathologies chroniques ou épisodes de traitement qui n’ouvriraient plus droit au régime ALD. Cette orientation s’inscrit notamment dans le cadre du plan « qualité de vie des malades chroniques », lancé début 2007 par le gouvernement. Elle correspond à la volonté de mieux moduler la prise en charge des traitements et à améliorer celle-ci lorsque cela est effectivement nécessaire.

4. Généraliser la liquidation médicalisée

La généralisation de la liquidation médicalisée par toutes les caisses d’assurance maladie devrait permettre de s’assurer du respect des protocoles de traitement et de réserver l’exonération ALD aux seuls produits et prestations en rapport avec l’affection exonérante.

Par ailleurs, une expérimentation pourrait être menée pour permettre la délégation de l’admission en ALD aux médecins qui s’engageraient dans la démarche qualité et concluraient un contrat d’amélioration des pratiques individuelles.

B. AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES MALADIES CHRONIQUES

Au-delà de la prise en charge des seules personnes en ALD se pose la question de la prise en charge des maladies chroniques qui couvrent un champ encore plus large.

1. Prendre en compte l’ensemble des maladies chroniques

a) Les personnes en ALD ne représentent qu’un tiers des malades chroniques

Près de 10 millions de personnes sont en ALD. Elles relèvent de maladies chroniques mais elles ne représentent pas l’ensemble des personnes atteintes de maladies chroniques. En effet, le nombre de personnes non ALD, mais relevant aussi de maladies chroniques, au sens où elles prennent régulièrement des traitements médicamenteux (au moins 8 prescriptions par an) est presque deux fois plus élevé (1,86 fois fin 2007) que le nombre de personnes en ALD.

Ainsi, dans le régime général – qui couvre 88 % de la population – 14,9 millions personnes non ALD relèvent de maladies chroniques, contre près de 8 millions de personnes en ALD.

Sur l’ensemble de la population, on peut estimer que 18,5 millions de personnes non ALD relèvent de maladies chroniques.

b) Près d’un adulte sur deux relève d’une affection chronique

Au total, le nombre de personnes en ALD ou non relevant de maladies chroniques est de l’ordre de 28 millions de personnes, soit près de 44 % de la population. On peut ainsi dire que près d’un adulte sur deux bénéficie d’un traitement chronique.

Ces chiffres sont en eux-mêmes impressionnants. Ils montrent en tout cas que le sujet des ALD ne représente qu’une partie du problème de la prise en charge médicale et financière de la maladie chronique.

2. Développer la prévention et la lutte contre les facteurs de risque de maladies chroniques

Ces chiffres doivent nous conduire à accentuer les efforts de prévention et de lutte contre les facteurs de risque de maladies chroniques. Surtout si l’on rappelle que nombre de facteurs de risque liés à une mauvaise hygiène de vie et à des déséquilibres alimentaires ou d’autre nature, dont il n’est pas tenu compte ou qui ne sont pas identifiés par les personnes concernées, peuvent entraîner des affections non seulement de longue durée, mais avec lesquelles les personnes devront vivre durant toute leur vie.

Le renforcement de la prévention passe notamment par l’instauration d’une éducation en santé à l’école, durant tout le cursus scolaire et des études supérieures, et l’augmentation des moyens qui y sont consacrés. L’engagement du Président de la République d’augmenter les moyens dédiés à la prévention de 7 % à 10 % des dépenses de santé ainsi que la mise en place des agences régionales de santé devraient, en particulier, le permettre.

La préoccupation de la prévention doit être partagée par l’ensemble des acteurs du système de santé et concerner toutes les personnes, à tous les âges de la vie. Le médecin traitant, placé au cœur du parcours de soins coordonnés, doit aussi considérer qu’il a pour mission prioritaire d’assurer une prévention personnalisée de ses patients, notamment les plus âgés.

L’action de prévention exemplaire concernant la vaccination antigrippale

Avec en moyenne 2,5 millions de personnes touchées chaque année en France, la grippe peut entraîner des complications sévères chez les personnes les plus fragiles, notamment nombre de celles qui sont en ALD.

Afin de pallier ce problème, l’assurance maladie a prévu pour la campagne de vaccination antigrippale de l’hiver 2008 une information personnalisée des assurés les plus fragiles et une information ciblée en direction des médecins traitants.

1. Une information personnalisée en direction des patients les plus fragiles

Pour inciter davantage les personnes âgées de 65 ans et plus et les patients porteurs de certaines ALD à se faire vacciner, l’assurance maladie adresse des courriers personnalisés à chacun des 9 millions d’assurés concernés qui peuvent se faire vacciner gratuitement, dès le mois d’octobre.

La personnalisation des courriers tient compte de trois critères : la situation médicale, l’âge de la personne et son statut vaccinal. Le message est donc adapté à chaque situation.

Pour les personnes ayant bénéficié de la prise en charge en 2007, le courrier propose un bon pour la délivrance gratuite du vaccin antigrippal directement par le pharmacien et une injection réalisée par une infirmière, sans prescription médicale préalable. Cela doit permettre à 5 millions de personnes d’accéder plus facilement à la vaccination antigrippale.

Pour les quatre millions de personnes n’ayant pas bénéficié de la prise en charge en 2007, le courrier les incite à se rendre chez leur médecin traitant pour se faire prescrire le vaccin antigrippal. Ce courrier est accompagné d’un dépliant informatif sur l’efficacité et l’innocuité du vaccin antigrippal afin de rassurer les assurés. Le vaccin est ensuite délivré gratuitement par le pharmacien.

À mi-campagne, au début du mois de décembre 2008, l’assurance maladie a décidé de faire un effort particulier concernant les personnes âgées de 65 à 69 ans ; un courrier de relance sera adressé à celles qui n’auront pas encore été vaccinées à cette date.

2. Une information ciblée sur les patients à risque particulier en direction des médecins traitants

Afin de permettre aux médecins traitants de remplir leurs objectifs définis dans les contrats d’amélioration des pratiques individuelles, l’assurance maladie fera parvenir, en début de campagne, à chaque médecin la liste de ses patients à risque particulier (ALD, asthme, maladies respiratoires chroniques) ayant droit à la gratuité du vaccin.

Puis, à mi-campagne, le médecin recevra la liste de ses patients à risque particulier et celle de ses patients âgés de 65 à 69 ans qui n’auront pas encore été vaccinés à cette date.

Enfin, pour faciliter la prescription des médecins, l’assurance maladie fera parvenir aux patients non vaccinés en 2007, un dépliant d’information permettant de faire le point sur l’innocuité et l’efficacité du vaccin antigrippal.

3. Un accès facilité à la vaccination grâce à la délégation de tâche aux infirmiers

En application de l’article 40 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, les nouvelles dispositions réglementaires prévues par un arrêté du 28 août 2008 donnent la possibilité aux infirmiers de vacciner certains de leurs patients contre la grippe sans prescription médicale préalable lorsqu’il ne s’agit pas d’une primo-injection.

Cette action de prévention de l’assurance maladie est positive. L’information personnalisée des patients est généralement efficace. L’information ciblée des médecins traitants doit les aider à mettre en place une approche populationnelle sur leur patientèle. Enfin, le système de bon ouvrant droit à vaccination gratuite directement, sans nouvelle prescription médicale, et la délégation de tâche de la vaccination aux infirmiers doivent permettre aux médecins traitants de se mobiliser davantage pour inciter les patients qui ne se sont pas fait vacciner l’année précédente. En 2007, le taux de couverture de la population visée était de 59 %. L’objectif de santé publique est de porter ce taux à 75 % fin 2009.

Agir sur les facteurs de risque de nombreuses maladies graves et parfois mortelles mais pourtant évitables, comme par exemple l’obésité qui résulte le plus souvent d’un déséquilibre alimentaire et d’une sédentarité excessive, peut être bien plus efficace que de combattre la maladie lorsqu’elle est irrémédiablement installée pour la vie.

3. Favoriser l’amélioration de la qualité des traitements

Des progrès pourraient être accomplis dans plusieurs domaines.

a) Accélérer la diffusion des logiciels d’aide à la prescription

La MECSS a déjà eu l’occasion d’insister sur la nécessité de donner aux professionnels de santé la possibilité de s’appuyer sur des logiciels d’aide à la prescription (LAP), notamment dans son rapport sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments.

Cette orientation a d’ailleurs recueilli un soutien unanime des acteurs de santé auditionnés par la MECSS sur le thème des ALD.

Il est souhaitable que les LAP certifiés dans le cadre de la procédure définie par la HAS puissent rapidement être mis à la disposition des professionnels de santé qui le demandent.

Il conviendrait que la HAS se mobilise sur ce sujet afin d’accélérer le déploiement des logiciels d’aide à la prescription (LAP).

b) Généraliser la diffusion de « guides médecins » et de « guides patients » pour chaque pathologie

La Haute Autorité de santé pourrait aussi généraliser la mise en place de guides médecins et de guides patients pour chacune des pathologies chroniques.

Au-delà, comme le président de la HAS en a émis la proposition lors de son audition par la Mission, toutes les maladies pourraient faire l’objet de guides médecins et de guides patients.

c) Développer le contrat d’amélioration des pratiques individuelles et les actions d’appui de la HAS et des caisses d’assurance maladie

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a prévu la possibilité pour les médecins de s’engager dans une démarche qualité en signant un contrat individuel d’amélioration des pratiques.

Un projet de contrat qui serait conclu entre le médecin et l’assurance maladie est en cours d’élaboration. Il prévoit un engagement du médecin, pour trois ans, portant sur plusieurs thèmes : le dépistage et la prévention, le suivi des patients relevant de maladies chroniques – en particulier le diabète, l’hypertension artérielle et l’asthme – et, enfin, l’efficience des prescriptions de médicaments. Le médecin bénéficierait d’un retour d’information trimestrielle sur son activité et le respect des objectifs chiffrés fixés, à l’aide d’indicateurs. En contrepartie, en fonction de l’atteinte des objectifs, un complément de rémunération lui serait versé.

Ce dispositif est particulièrement adapté à la prise en charge des maladies chroniques et son développement doit être encouragé.

Cette action doit être fortement relayée et soutenue par les caisses d’assurance maladie, notamment par les délégués de l’assurance maladie. La mise en œuvre de ce nouveau contrat individuel doit être l’occasion pour l’assurance maladie de poursuivre son évolution en qualité de fournisseur de services participant à la gestion du risque et d’approfondir le dialogue avec les professionnels de santé.

La mise en œuvre du dossier médical personnel (DMP), dans les délais les plus brefs possibles, devrait permettre d’appuyer cette démarche.

d) Généraliser la protocolisation et donner au contrat de soins un contenu opérationnel et une finalité définie et objectivable

L’objectif premier de la MECSS est l’amélioration de la prise en charge médicale des patients. Dans cet esprit, il serait souhaitable que les malades chroniques bénéficient, comme les personnes en ALD exonérante, d’un protocole de soins qui pourrait prendre la forme d’un contrat thérapeutique ou d’un contrat de soins conclu avec le médecin.

La formalisation de la relation entre le médecin et le patient peut être utile pour favoriser l’adhésion au traitement et ainsi en renforcer l’observance et l’efficacité. Cela serait particulièrement opportun en cas d’affections chroniques au très long cours dont le traitement suppose l’implication forte du patient et des modifications durables d’habitudes de vie. L’engagement dans un protocole de soins peut être un moyen de mieux responsabiliser le patient dans la prise en charge de sa maladie.

Pour certaines affections chroniques dont la liste pourrait être établie par la HAS, le contrat de soins pourrait être assorti d’objectifs quantifiés et d’indicateurs de suivi.

e) Favoriser la coopération entre les professionnels de santé et la délégation de tâches

Les maladies de longue durée exonérantes ou non exigent souvent l’intervention de plusieurs catégories de professionnels de santé ou paramédicaux. On le sait, la coordination n’est pas toujours bien assurée ce qui rend la prise en charge d’ensemble du patient moins efficiente qu’il serait souhaitable.

Il faut donc développer des modes de prise en charge intégrée qui soient plus respectueux de la personne, permettent une meilleure orientation du patient dans le système de soins et un accès plus simple et plus facile aux soins. Là encore, la création des agences régionales de santé devrait notamment permettre de rendre le système de soins plus cohérent et plus lisible. Les maisons de santé pluridisciplinaires ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la coopération entre les professionnels de santé et la prise en charge plus efficiente des maladies chroniques.

Le déplacement du centre de gravité du système de santé du curatif – cette dimension garde bien sûr toujours sa pertinence – vers le traitement des maladies chroniques, doit aussi nous conduire à adapter l’organisation de notre système de soins à ce nouvel enjeu. C’est l’objet du projet de loi « hôpital, patients, santé et territoires ». Aussi, le développement des pathologies chroniques, l’évolution de la démographie médicale et des soins à domicile doivent conduire à développer la délégation de tâches, comme cela a d’ailleurs commencé d’être fait, notamment en faveur des infirmiers.

f) Faire de la prise en charge des maladies chroniques un thème prioritaire de formation médicale initiale, de formation médicale continue et d’évaluation des pratiques professionnelles

L’importance des maladies chroniques et de la consommation de soins qu’elles induisent doit également conduire à faire de la prise en charge de ces maladies un thème prioritaire de la formation médicale, tant initiale que continue, et de l’évaluation des pratiques professionnelles.

4. Faire du patient un véritable acteur de sa santé

Comme cela a été évoqué précédemment, il apparaît crucial de faire du patient relevant d’une maladie chronique un acteur de sa santé et non pas seulement un consommateur passif de soins.

a) Développer et valoriser l’éducation thérapeutique

De nombreux travaux ont été menés sur l’éducation thérapeutique du patient qui montrent tout l’intérêt qu’elle peut représenter en termes d’efficience des traitements. Il serait désormais souhaitable de passer à l’acte et de s’engager résolument dans cette voie. L’implication du patient dans la guérison ou dans la stabilisation de sa maladie suppose qu’il soit mieux éclairé.

Mais la condition nécessaire pour permettre un réel développement de l’éducation thérapeutique du patient est que celle-ci puisse être valorisée à son juste niveau. Il serait souhaitable qu’elle le soit, notamment lorsqu’il s’agit de pathologies nécessitant une participation active du patient au traitement de sa maladie.

b) Renforcer l’accompagnement du patient, notamment grâce au développement de téléservices

Dans le même esprit, il serait souhaitable de développer des programmes d’accompagnement des patients, à l’instar de ce qui a été mis en œuvre à titre expérimental par la CNAMTS pour l’accompagnement des patients diabétiques. Cette action devrait être démultipliée pour ce qui concerne les principales pathologies afin d’accompagner le patient dans son parcours de soins.

À cet effet, des plateformes de téléservices associant des services d’assistance et de conseil téléphoniques s’appuyant sur des personnels paramédicaux et des sites Internet spécialisés devraient être mises en place.

La mise en œuvre de cet ensemble d’actions coordonnées devrait permettre de fiabiliser l’information, le conseil et l’accompagnement en santé des patients relevant de maladies chroniques, lesquels sont d’ailleurs souvent demandeur de davantage de conseils que de soins.

C. RENDRE LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE PLUS ÉQUITABLE

Une autre solution – alternative ou de plus long terme que celle proposée ci-dessus de recentrage de l’exonération ALD – pourrait consister en la mise en place du bouclier sanitaire. Cette solution repose sur la prise en compte de l’effort maximal à demander aux assurés fondée sur le critère des dépenses constatées. Cela reviendrait à dissocier les objectifs de qualité de la prise en charge médicale et de neutralisation des gros restes à charge. La mise en œuvre du bouclier sanitaire supposerait donc la suppression du régime des ALD exonérantes et l’adoption d’un système unique de taux de ticket modérateur associé à un plafonnement du reste à charge des assurés.

Cette solution permettrait à la fois de rendre la prise en charge financière plus équitable qu’actuellement et de simplifier et rendre plus lisible le système complexe de la trentaine d’exonérations du ticket modérateur existantes. Elle ne constituerait cependant pas une solution miracle de nature à régler tous les problèmes qui se posent aujourd’hui en matière d’assurance maladie. Elle ne dispenserait pas non plus, bien au contraire, de mener tous les efforts rappelés ci-dessus concernant l’amélioration de la prise en charge médicale, la bonne gestion et la prévention. Ces actions sont complémentaires.

Le bouclier sanitaire est une option d’évolution du système de prise en charge. Cette solution permettrait notamment un meilleur pilotage du système de sécurité sociale et une simplification en regroupant les exonérations existantes dans un dispositif unique d’exonération. Par ailleurs, la mise en place du bouclier sanitaire ne constituerait pas une rupture du pacte de 1945, car affirmer le principe de la participation de chacun en fonction de ses moyens c’est revenir au cœur des préoccupations du pacte de 1945. Mais cette option doit susciter une importante réflexion.

Entretien de Profession cardiologue avec M. François Ecalle, économiste, Université Paris I (septembre 2008)

Faut-il réformer le système des affections de longue durée (ALD) ?

Oui, cela est devenu nécessaire pour trois raisons. La première est que le coût de ce dispositif est de plus en plus élevé et qu’il va largement contribuer, si rien n’est fait, au déficit de l’assurance maladie dans les années à venir. La deuxième raison est que ce système est terriblement compliqué et difficile à gérer. Il est en effet souvent difficile de faire la différence, au niveau du remboursement, entre ce qui relève des soins de longue durée et des autres soins. C’est une source de gaspillage d’énergie pour les médecins et les contrôleurs de la sécurité sociale.

À quel niveau ?

Ce système est inéquitable, car il conduit à prendre en charge à 100 % des gens qui ont des revenus suffisants pour participer à la prise en charge de leurs soins. À l’inverse, certaines personnes, ayant des ressources modestes et n’ayant pas nécessairement accès à une assurance complémentaire, se retrouvent avec des restes à charge élevés à cause de pathologies associées qui ne sont pas prises en charge à 100 %.

Mais comment réformer ce système sans provoquer le mécontentement ou l’inquiétude des patients ?

Il faudrait remplacer ce dispositif des ALD et toutes les autres exonérations de ticket modérateur par un dispositif unique de type bouclier sanitaire. Le remboursement à 100 % interviendrait seulement à partir du moment où le reste à charge dépasse un certain pourcentage du revenu et ne reposerait plus sur la distinction entre pathologies graves et moins graves. Si on ne procède pas de la sorte, il sera impossible de réformer le système.

1. Préparer la mise en place du bouclier sanitaire

Selon le principe du bouclier sanitaire, dès qu’une personne atteint le plafond de reste à charge fixé sur les dépenses remboursables, la part de dépenses qui le dépasse fait l’objet d’une prise en charge intégrale par l’assurance maladie. Cela reviendrait à instaurer une exonération totale au-delà d’un plafond (et non pas au premier euro comme dans le régime ALD). En dessous du seuil, les tickets modérateurs et participations forfaitaires resteraient à la charge de l’assuré.

a) Mener les études complémentaires d’impact nécessaires

La MECSS a noté avec intérêt, lors de ses auditions, le large accord sur le principe de la mise en place du bouclier sanitaire.

Mais la mise au point du modèle est délicate. Elle suppose de procéder à certains arbitrages sur les principes de la réforme avant d’en arrêter les différents paramètres qui auront des conséquences en termes de redistribution des participations entre les assurés.

Afin de prendre la mesure globale des enjeux, on peut rappeler, d’une part, que le total des restes à charge est de 12 milliards d’euros pour les soins de ville et de 2,5 milliards d’euros pour les soins hospitaliers, d’autre part que le reste à charge moyen par assuré s’élève à 200 euros pour les soins de ville (280 euros pour les ALD et 200 euros pour les non ALD) et 45 euros pour les soins hospitaliers (de l’ordre de 165 euros pour les ALD).

À partir de ces données de base, une série de questions se posent auxquelles il convient d’apporter des réponses, préalablement à la mise en place du bouclier sanitaire.

– Quel doit être le niveau du plafond ?

– Le plafond doit-il être global ou faut-il créer un plafond de reste à charge de soins de ville et un plafond de soins hospitaliers ?

– Faut-il fixer le plafond en valeur ou en pourcentage du revenu ?

– Faut-il moduler le plafond en fonction du revenu ou, à défaut, de la situation familiale pour éviter que les familles nombreuses n’aient à supporter un effort maximal trop élevé ?

– Quelle doit être l’ampleur de la modulation ?

– Faut-il intégrer ou pas les participations forfaitaires dans le plafond ?

– À quel niveau doit être fixé le (ou les) taux de ticket modérateur ?

– Faut-il maintenir une différenciation des taux de ticket modérateur entre les ALD et les non ALD pour atténuer les éventuels effets de la réforme sur les ALD ?

– Quels effets peut-on attendre de la mise en place du bouclier sanitaire sur la consommation de soins ?

– Quelles seront les conséquences du bouclier sanitaire sur l’affiliation aux couvertures complémentaires et la répartition de la prise en charge entre l’assurance maladie obligatoire et les organismes de protection complémentaire ?

– Comment devraient évoluer la CMUC et l’ACS ?

À toutes ces questions, le rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard sur le bouclier sanitaire, de septembre 2007, apporte des éléments de réponse dans le sens de la faisabilité technique de la réforme, sans bouleversements du système solidaire d’assurance maladie ni de remise en cause du pacte social de 1945.

Bien au contraire, la mise en œuvre du bouclier sanitaire serait de nature à conforter le caractère solidaire du système et l’équité de la prise en charge. Il faut le redire ici.

Ces premiers éléments de réflexion délivrés dans un délai restreint, comme les auteurs de l’étude le soulignent, sont intéressants.

Cependant, compte tenu de l’importance du sujet et de la complexité du bon équilibrage du système à mettre en place, il paraît souhaitable de conduire des investigations complémentaires permettant d’éclairer plus précisément les différentes options.

Des travaux sur ce sujet ont été engagés à la demande du gouvernement par la CNAMTS. Les résultats de ces investigations devraient être remis au gouvernement prochainement.

b) Étudier la prise en compte du revenu

Les investigations complémentaires devraient notamment permettre d’avoir une meilleure perception de l’éventualité de la prise en compte du revenu des assurés dans la définition du plafond de reste à charge.

Il n’y a pas lieu de faire de cette question, certes sensible, un point de fixation. La réforme peut se faire sans que le revenu soit pris en compte. Mais sa prise en compte constituerait toutefois un élément de modulation supplémentaire. L’introduction de la notion de « taux d’effort » dans la modulation devrait permettre d’assurer une prise en charge encore plus juste.

Mais force est de reconnaître que ce sujet a une portée symbolique forte.

Il est d’ailleurs parfois considéré, à tort, que la prise en compte du revenu dans la détermination de la prise en charge constituerait un changement de paradigme et une remise en cause du principe de solidarité de 1945 qui constitue le fondement de l’assurance maladie selon lequel : « chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ».

Les travaux en cours devraient apporter de nouveaux éléments d’appréciation sur cette question.

Certains pays, comme l’Allemagne et la Belgique ont mis en place un dispositif de bouclier sanitaire qui prend en compte le critère de revenu.

Le système du plafonnement du reste à charge en Allemagne

1. Le système de franchises avec plafonnement du reste à charge a été instauré en 2004

Avant 2004, dans le cadre de la médecine de ville, les patients pouvaient ne rien débourser du fait d’un système généralisé de tiers payant, d’une prise en charge totale des frais médicaux courants et des prix des médicaments, surtout des génériques, largement utilisés en Allemagne. Un système de ticket modérateur existait toutefois déjà pour les soins hospitaliers.

Face à une augmentation importante des dépenses de santé (avec un déficit de 3,5 milliards d’euros en 2003) et dans le cadre de l’Agenda 2010, dont l’objectif général était la maîtrise des prélèvements sur les salaires afin de renforcer la compétitivité des entreprises, l’Allemagne a adopté, en 2004, un plan de réforme de la sécurité sociale. Parmi d’autres mesures, dont la maîtrise comptable des dépenses de médecine de ville, celui-ci a prévu l’instauration d’un système généralisé de reste à charge par le biais de franchises. Afin d’en limiter l’impact sur les populations les moins favorisées, ce système a été assorti d’un dispositif de plafonnement de la participation des assurés.

Ce système concerne l’assurance maladie légale uniquement. Cette dernière concerne obligatoirement tous les salariés dont le revenu annuel brut est inférieur à 48 150 euros (4 012 euros par mois), c’est-à-dire 89 % des assurés. Les salariés dont le revenu dépasse ce seuil ainsi que les travailleurs indépendants, soit au total 9 % des assurés, ont la possibilité de ne pas payer cette cotisation s’ils s’assurent auprès d’assureurs privés. Les fonctionnaires, soit 2 % des assurés, bénéficient d’un système de prise en charge directe par les autorités publiques.

2. Les franchises prévues

Le reste à charge correspond pour l’essentiel à des franchises, applicables seulement aux adultes :

– 10 euros par trimestre pour la médecine de ville et les soins dentaires de base, sauf pour les consultations de prévention ;

– 10 euros par jour dans la limite de 28 jours pour les soins hospitaliers ;

– 10 % du prix des médicaments, des prothèses et des frais de transport, dans une limite comprise entre 5 et 10 euros ;

– 10 % du prix des soins à domicile, auxquels s’ajoutent 10 euros par prescription ;

– 50 % des prothèses dentaires selon le tarif unifié, ou 30 % ou 20 % en cas de suivi régulier des consultations de prévention ;

– 25 % des frais d’optique dans la limite de 37,50 euros.

3. Le plafond du reste à charge est fixé à 2 % des revenus bruts et à 1 % pour les malades chroniques

Les revenus de l’activité et du capital ainsi que les allocations de remplacement sont pris en compte après l’application d’abattements de 4 470 euros sur le revenu du conjoint (15 % d’une grandeur de référence), 2 980 euros pour chaque autre membre du ménage percevant des revenus (10 % de la grandeur de référence) et de 3 648 euros par enfant à charge.

Pour un assuré vivant seul et sans enfant avec un revenu de 25 000 euros, le plafond s’élève à 500 euros. Pour un couple marié sans enfant dont le revenu de l’assuré est de 35 000 euros et celui du conjoint de 15 000 euros, le plafond s’élève à 910 euros. Pour un couple marié ayant deux enfants et les mêmes revenus, le plafond s’élève à 765 euros.

Le classement des patients atteints de maladie chronique est décidé sur avis médical par la caisse d’assurance maladie, en fonction de la pathologie ou des modalités de son traitement. Dans ce cas, le plafond de reste à charge de 1 % est appliqué à l’ensemble du ménage. En outre, les malades chroniques peuvent participer à des « programmes bonus » permettant un meilleur suivi et bénéficier, à ce titre, d’une exonération du ticket modérateur pour les consultations de médecine de ville.

4. La mise en œuvre du plafonnement s’effectue à la demande du patient

Il revient en effet au patient d’exercer son droit au plafonnement du reste à charge. Pour cela, il doit conserver l’ensemble des reçus des tickets modérateurs, franchises et compléments (pour les soins dentaires) qu’il a versés. Une fois que le montant total de ces frais déboursés correspond au plafond, il doit en informer sa caisse d’assurance maladie en lui fournissant les preuves. Après vérification, celle-ci établit un certificat d’exonération que le patient doit présenter aux professionnels (médecins, pharmaciens, administration hospitalière…) afin de ne pas se voir facturer de franchise ou ticket modérateur supplémentaire.

Cependant, les caisses d’assurance maladie ont la possibilité d’effectuer une transaction avec les assurés, notamment les malades chroniques. Dans ce cas, le patient concerné verse directement à sa caisse le montant du plafond pour l’année et obtient en retour le certificat d’exonération.

5. L’offre privée d’assurance maladie complémentaire reste modeste et est essentiellement centrée sur l’optique et les soins dentaires

La réforme de la sécurité sociale allemande de 2004 ainsi que la réforme de 2007 ont prévu des dispositions visant à favoriser le développement d’une offre d’assurance complémentaire par les caisses d’assurance maladie du régime obligatoire. Ces assurances optionnelles permettent une prise en charge jusqu’à 75 % du tarif unifié pour les prothèses dentaires et 80 % pour l’optique. En aucun cas elles ne sont censées couvrir les franchises.

Parallèlement, l’assurance maladie complémentaire auprès des opérateurs privés, mutuels ou compagnies à structure capitalistique, assureurs par ailleurs des personnes bénéficiant de la liberté d’affiliation, est très peu développée. Selon la fédération professionnelle qui les regroupe, seulement 1 million d’Allemands a souscrit ce type de contrats, pour 40 millions d’assurés sociaux.

Selon les acteurs de l’assurance maladie, publics comme privés, ce phénomène est essentiellement dû à la faiblesse du reste à charge, hors optique et prothèse dentaire, et plus encore à la perception qu’en a la population. La situation antérieure à 2005 et la lenteur de l’adaptation aux nouvelles données de la prise en charge expliquent aussi cette situation.

6. Des incertitudes sur l’efficacité du dispositif

Dans un pays où la population était jusqu’alors habituée à ne rien débourser directement pour bénéficier des services de santé, l’impact des nouvelles mesures sur les finances sociales est difficile à mesurer. En effet, le ministère de la santé ne publie pas de statistique sur les recettes créées par les franchises. Peut-être parce que dans un système d’assurance maladie très éclaté, celles-ci sont défalquées des honoraires que chacune des caisses verse aux praticiens, le tout dans un exercice d’enveloppes contraintes.

De même, l’effet vertueux sur le comportement des patients est sujet à discussion. La réforme de 2004 a eu des effets positifs sur les comptes de l’assurance maladie, même s’il a été nécessaire de la remettre sur le métier en 2007 afin d’éviter de nouveaux dérapages. Il est toutefois difficile d’identifier la part de la responsabilisation des patients dans ce rétablissement des comptes.

c) Conduire les travaux techniques nécessaires et fixer un échéancier de mise en œuvre

Si le rapport Briet-Fragonard indique que les questions de fond ne paraissent pas insurmontables – ce que les études actuellement menées permettront de confirmer ou pas – en revanche il souligne certaines difficultés techniques et pratiques dont la solution devrait nécessiter un délai minimum de deux années, à partir du moment où la décision d’instaurer le bouclier sanitaire serait prise.

La résolution des problèmes liés à la disponibilité et au traitement des données nécessaires à la mise en place et à la gestion du bouclier sanitaire devrait, compte tenu de l’insuffisance actuelle des systèmes d’information, prendre un peu de temps.

Par exemple, dans le cas de l’instauration d’un plafond individuel il faudra mettre en place un système de gestion de soixante millions de compteurs de reste à charge. Le choix d’un plafond de reste à charge global pour les soins de ville et les soins hospitaliers supposerait de disposer de données rapidement établies sur les consommations hospitalières individuelles, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En outre, la prise en compte du critère de revenu supposerait aussi de mettre en place une communication des données entre les services publics concernés.

Si le choix du bouclier sanitaire devait être confirmé, il serait souhaitable qu’une programmation et un calendrier précis et réalistes des travaux préparatoires soient établis.

2. Renforcer l’aide à la complémentaire santé et en faciliter l’accès

Dans le cas où le bouclier sanitaire serait mis en œuvre sans prendre en compte le critère de revenu, il serait souhaitable de renforcer l’aide à la complémentaire santé et de la rendre plus accessible aux personnes susceptibles de pouvoir en bénéficier. Sans attendre la mise en place du bouclier sanitaire, il convient de poursuivre les efforts engagés sur le dernier point.

3. Associer les organismes d’assurance complémentaire

Compte tenu de l’impact que peut avoir la mise en place du bouclier sanitaire, surtout en cas de modulation du plafond, il apparaît nécessaire d’associer étroitement les organismes d’assurance maladie complémentaire à la démarche et aux réflexions qui seraient engagées.

4. Mener des actions d’explication et d’information sur le bouclier sanitaire en direction des assurés

Il conviendrait aussi de préparer soigneusement en amont la mise en œuvre de la réforme avec les associations représentatives de malades et en impliquant l’ensemble des assurés.

À cet effet, des actions d’explication et d’information devraient être menées pour expliquer les véritables enjeux, lever les craintes et répondre aux interrogations légitimes sur le nouveau système de prise en charge.

LISTE DES PROPOSITIONS

I.-  Mieux cibler le régime des affections de longue durée exonérantes (ALD)

1. Réserver le bénéfice du régime aux ALD longues et coûteuses et réviser les listes de pathologie en conséquence ;

2. Demander à la Haute Autorité de santé (HAS) d’établir des référentiels de traitements hiérarchisés par pathologie ;

3. Généraliser la liquidation médicalisée afin de réserver l’exonération ALD aux seuls produits et prestations en rapport avec l’affection exonérante.

II.- Améliorer la prise en charge des maladies chroniques

4. Développer la prévention et la lutte contre les facteurs de risque ;

5. Accélérer le déploiement des logiciels d’aide à la prescription (LAP) ;

6. Demander à la HAS de généraliser les guides médecins et les guides patients par pathologies ;

7. Développer le contrat d’amélioration des pratiques individuelles et les actions d’appui de la HAS et des caisses d’assurance maladie ;

8.  Généraliser le contrat de soins ;

9. Donner au contrat de soins un contenu opérationnel et une finalité définie et objectivable ;

10. Favoriser la coopération entre les professionnels de santé et la délégation de tâches ;

11. Développer et valoriser l’éducation thérapeutique ;

12. Développer l’accompagnement du patient, notamment grâce au développement de téléservices ;

13. Faire de la prise en charge des maladies chroniques un thème prioritaire de formation médicale initiale, de formation médicale continue et d’évaluation des pratiques professionnelles.

III.- Rendre la prise en charge financière plus équitable

14. Mener les études complémentaires d’impact nécessaires concernant le bouclier sanitaire ;

15. Étudier la prise en compte du revenu dans la fixation du plafond ;

16. Préparer la mise en place du bouclier sanitaire ;

17. Conduire les travaux techniques nécessaires et fixer un échéancier de mise en œuvre ;

18. Renforcer l’aide à la complémentaire santé et en faciliter l’accès ;

19. Associer les organismes d’assurance maladie complémentaire ;

20. Mener des actions d’information en direction des assurés sur le nouveau système de prise en charge.

* *

*

La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a adopté le présent rapport lors de sa réunion du jeudi 20 novembre 2008.

CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DE LA MISSION

CONTRIBUTION DE M. JEAN-LUC PRÉEL,
AU NOM DU GROUPE NOUVEAU CENTRE

Le rapport de Jean-Pierre Door, effectué au nom de la MECSS sur les affections de longue durée, est intéressant.

Les affections de longue durée, maladies longues et coûteuses, représentent l’exemple le plus abouti du principe de solidarité, caractéristique de notre système de santé.

Certes, leur prise en charge par le régime général est coûteuse, représentant 80 milliards d’euros, soit 65 % des dépenses de l’assurance maladie, et le nombre de bénéficiaires, près de 10 millions de personnes, soit environ 15 % des assurés, augmente plus vite que la population du pays.

Quatre groupes d’affections (maladies cardiovasculaires, cancers, diabète et maladies psychiatriques) concentrent à elles seules 75 % des personnes en ALD. Mais cette augmentation n’est-elle pas due pour une bonne part au vieillissement de la population ?

L’un des points importants du rapport est de montrer que le coût de l’exonération est limité à 10 % des remboursements de soins des personnes en ALD, soit 7,7 milliards, 1 000 euros par bénéficiaire, ce qui pour une maladie grave n’est pas finalement considérable.

A contrario, les personnes en ALD ont, pour leur maladie, un reste à charge qui n’est pas négligeable : 16 %, soit 1,6 million ont, en soins de ville, un reste à charge supérieur à 500 euros et, pour 5 %, celui-ci atteint 1 500 euros : dépassements d’honoraires, franchises, forfaits, médicaments ou dispositifs nécessaires non remboursés.

La première question est simple : La solidarité nationale doit-elle continuer à prendre en charge les maladies longues et coûteuses ? La réponse, pour le Nouveau Centre, est clairement OUI.

Le dispositif actuel est-il satisfaisant ? Il convient de l’améliorer, en revoyant les critères pour mieux prendre en compte les maladies aujourd’hui longues et coûteuses, notamment les maladies chroniques.

Il convient donc d’actualiser régulièrement la liste des maladies, les médicaments et dispositifs remboursés à 100 %, de définir les référentiels maladie et de bonnes pratiques, de contractualiser avec le médecin traitant et le patient.

Les diverses propositions du rapporteur méritent d’être prises en compte.

Je souhaite, cependant, faire deux remarques :

Les dépenses de santé ont tendance à augmenter. Nous devons rechercher l’efficience, tout en préservant la solidarité. Le problème est celui du financement par la solidarité nationale de ces dépenses de santé qui contribuent, elles aussi, à la richesse nationale (salaires, médicaments, matériel médical…). Espérer faire des économies importantes sur les affections de longue durée, en revoyant les critères d’entrée et de sortie, semble illusoire puisqu’un diabète stabilisé ou un cancer hors traitement lourd sont peu coûteux. De plus, si les diabétiques, par exemple pour prévenir les complications, bénéficiaient tous des examens complémentaires souhaitables (ophtalmo, rénaux), nous constaterions, dans un premier temps, un surcoût.

Le rapporteur est très favorable au bouclier sanitaire. J’émets, au contraire, de grandes réserves, sauf s’il s’agit du reste à charge total, c’est-à-dire prenant en compte les dépassements d’honoraires, les dépenses de santé non ou mal remboursées (dentisterie, optique etc.). Mais dans ce cas, que deviennent les complémentaires ? S’il s’agit, au contraire, d’un bouclier sanitaire pour les seules dépenses remboursables par le régime général, comment expliquer à nos concitoyens que, outre le reste à charge du bouclier sanitaire, ils auront toujours à financer, eux-mêmes, un autre reste à charge pour les dépassements d’honoraires, la dentisterie, l’optique… Il restera, enfin, à définir si ce bouclier sanitaire dépendra ou non du revenu, ce qui modifierait grandement le principe actuel de solidarité auquel nous sommes, en principe, tous très attachés.

En dehors de ces remarques, j’approuve, au nom du Nouveau Centre, le rapport présenté par Jean-Pierre Door.

CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS
DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL ET CITOYEN

(M. Jean Mallot, Mmes Martine Carrillon-Couvreur, Marie-Françoise Clergeau, Catherine Génisson, Catherine Lemorton et Marisol Touraine)

• Un rapport qui ne règle pas la question des ALD mais prépare des évolutions risquées pour le devenir de l’assurance maladie

Le rapport fait le point sur le système de prise en charge des ALD, « affections de longue durée ». Il en montre la complexité, les avantages et les inconvénients, et avance des propositions très diverses allant de la modification du régime actuel à son remplacement par un bouclier sanitaire.

Depuis quelques années, lorsque l’on parle de la situation financière de l’assurance maladie, et de la progression du volume des dépenses, les ALD sont pointées du doigt. Leur remise en cause est souvent évoquée, en raison de leur coût et aussi du fait que ce système ne serait pas satisfaisant pour les malades.

Le 19 février dernier, la Ministre de la Santé déclarait : « Les affections de longue durée (ALD) regroupent des maladies très diverses. Des maladies très graves, comme le cancer, le sida, Alzheimer… et des maladies moins graves comme le diabète ou l'hypertension ». Cette façon de hiérarchiser les maladies graves avait choqué les malades, leurs proches, et plus globalement les Français. Si les personnes atteintes de diabète vivent plus longtemps aujourd’hui, c’est grâce à l’amélioration de la prise en charge de la maladie et de ses complications.

Les complications du diabète représentent près de 20 % des maladies cardiovasculaires. Elles sont aussi la première cause de cécité avant 65 ans, de plus de 8 000 amputations par an et de 20 % des dialysés, d’où l’importance d'une bonne prise en charge qui permet de bien se soigner.

Peu de temps après, la Ministre est revenue sur ses déclarations et elle a écarté l'idée de dérembourser partiellement la prise en charge des affections de longue durée (ALD). En revanche, elle avait évoqué l'instauration d'un ticket modérateur et un durcissement de l'entrée dans le dispositif des ALD qui, selon ses propos, « peut donner lieu à un certain laxisme ». Elle oubliait que le système a déjà fait l’objet de plusieurs réformes tendant justement à mieux contrôler l’entrée dans le dispositif.

● Un système créé pour assurer la solidarité envers les plus malades et rigoureusement encadré

L’assurance maladie créée en 1945 a pour première fonction de favoriser l’accès aux soins en prenant en charge la majeure partie des dépenses courantes de soins. Le dispositif des ALD est venu compléter le système. Il prévoit une exonération de ticket modérateur pour les patients dès lors qu’ils sont reconnus comme souffrant d’une pathologie figurant sur une liste réglementaire déterminée.

Le rapport montre bien à quel point le système ALD est extrêmement contrôlé. Ainsi, depuis 1986, les exonérations concernent uniquement les soins liés à l’affection qui a justifié l’ouverture des droits pour le malade. Le médecin utilise pour cela une ordonnance appelée « bizone » distinguant les différentes prescriptions.

La loi de 2004 a également instauré un protocole de soins qui définit les actes et prestations nécessaires. Il faut cependant pointer la « lourdeur administrative » du protocole de soins, qui pénalise les malades mais aussi les médecins, lesquels se plaignent à juste titre de la réduction du temps médical.

● L’augmentation du nombre de malades en ALD correspond à une réalité sanitaire

En 2007, près de 8 millions d’assurés du régime général ont bénéficié du régime des ALD. Le nombre de patients admis a augmenté de 60 % en 10 ans.

Cette augmentation est liée à celle de la prévalence des ALD. Elle s’explique par plusieurs facteurs : les évolutions épidémiologiques comme l’augmentation du diabète, l’amélioration du dépistage de ces maladies grâce notamment aux progrès de l’imagerie, l’amélioration de l’efficacité des traitements qui allonge la vie des malades.

En réalité on pourrait se réjouir de l’augmentation du nombre de bénéficiaires du régime des ALD, car elle correspond à une amélioration de la prise en charge de ces pathologies.

Par contre, cela induit effectivement des coûts et donc une augmentation des dépenses de santé : 70,7 milliards d’euros et près de 65 % des remboursements de l’assurance maladie en 2007.

Mais, comme le souligne le rapport, la présentation qui est faite de la masse globale des dépenses résultant de la prise en charge des personnes en ALD est trompeuse :

– il faut distinguer dans le surcoût net de l’exonération les autres facteurs qui alourdissent la dépense totale consacrée aux ALD, notamment la croissance du coût moyen des traitements. En effet, des études ont montré que l’exonération en elle-même n’entraîne pas une augmentation de la consommation pour une même affection traitée (rapport de la Cour des comptes) ;

– pour prendre la vraie mesure du surcoût du régime des ALD, il faut comparer l’exonération ALD avec le taux de prise en charge des assurés non ALD. Il apparaît alors que le coût de l’exonération pour la sécurité sociale est limité à 10 % des remboursements de soins aux assurés en ALD.

● Un reste à charge qui demeure important pour les malades en ALD

Rappelons que les malades en ALD supportent le poids des taxes sur les malades. La liste des contributions déjà supportées par les malades est de plus en plus longue : la hausse du forfait hospitalier, le forfait de 1 € par consultation, qui peut être prélevé jusqu’à quatre fois par jour, et le forfait de 18 € sur les actes de plus de 91 euros, les franchises médicales.

Les conséquences sanitaires, sociales (recours tardifs aux soins…), et financières de ces mesures n’ont pas été évaluées. Elles apportent des ressources marginales eu égard au déficit des comptes de l’assurance maladie et aux dépenses proportionnellement fortes pour les foyers les plus modestes et les plus fragilisés par la maladie.

Les personnes touchées par une affection de longue durée voient leur budget doublement atteint par leur précarisation sociale et professionnelle : un million des personnes en ALD et 3,3 millions de personnes non ALD ont un reste à charge excédant 600 euros annuels, selon le rapport de R. Briet et B. Fragonard.

Le débat sur les ALD aboutit à un débat plus large sur la part respective de financement entre le régime obligatoire, les assurances complémentaires, et les ménages.

D’ailleurs à l’occasion d’un discours au Sénat à l’automne 2007, le Président de la République a souhaité une réflexion sur la part publique et la part privée consacrée à la dépense de santé, en appelant de ses vœux une augmentation de la part privée.

Le 24 juin 2008, le directeur de la CNAM a provoqué une levée de boucliers en préconisant, dans le plan d’économies demandé par le Gouvernement (malgré l’absence de saisine du comité d’alerte, la prévision de hausse des dépenses de santé n’ayant pas dépassé le seuil d’alerte contrairement à l’année précédente), de transférer aux assurances complémentaires le remboursement des médicaments à vignette bleue (35 %) des patients en ALD.

Les récents rapports commandés par le Gouvernement démontrant la bonne santé financière des assurances complémentaires et les multiples déclarations de la Ministre de la santé vantant le fort taux de prise en charge global de la population nous incitent à la prudence et à la plus grande vigilance. Le Gouvernement fait manifestement le choix d’une diminution de la part publique dans la prise en charge des soins.

En mai 2006, la Haute Autorité de santé (HAS) avait appelé à une « réflexion » sur la prise en charge à 100 % des pathologies graves. Ayant mené ces travaux pour une vingtaine de ces pathologies, elle était arrivée à la conclusion que le système n'est pas réformable et qu'il vaudrait mieux le supprimer.

Dans un avis publié le 10 décembre 2007, elle juge que « le système actuel est inadapté au motif qu’il s'efforce de poursuivre à l'aide d'un même outil deux objectifs distincts : un objectif social (exonération du ticket modérateur) et un objectif médical (protocolisation des parcours de soins) ». Or, les sommes restant à la charge de certains patients en ALD sont élevées et le suivi médical n'est pas forcément meilleur.

Elle soutient l’idée du bouclier sanitaire et préconise une « réforme d'ensemble rapide du dispositif » en définissant « des outils appropriés pour chacun des objectifs ». Le niveau de la prise en charge ne serait plus lié à la nature de la pathologie. Le volet social devrait reposer sur une mesure objective des coûts supportés par l'assuré. Il ne devrait pas faire intervenir des critères de nature médicale. Le bouclier sanitaire garantirait que les sommes restant à la charge d'une personne pour sa santé seraient plafonnées annuellement.

Dans cet avis, la Haute Autorité de santé critique à juste titre deux autres scénarios que le présent rapport évoque également :

– l’actualisation médicale des critères des ALD qui « figerait durablement une situation très peu satisfaisante ».

– le retrait de la liste d’une partie des 30 ALD, en ne conservant que les « affections chroniques évolutives » : par exemple l'hypertension artérielle, les formes non compliquées de certaines maladies (diabète) … mais selon la HAS ce scénario serait « fragile compte tenu de l'absence de définition explicite des soins particulièrement coûteux », et « contradictoire avec l'objectif de santé publique qui reste d'éviter les complications grâce à une prise en charge de qualité aussi précoce que possible ».

● Le bouclier sanitaire : une réforme complexe et dangereuse en l’état actuel

En septembre 2007 le rapport remis par Raoul Briet (membre de la HAS) et Bertrand Fragonard (président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie) évaluait la possibilité de mettre en place un dispositif de type « bouclier sanitaire » évoqué durant l’été 2007 par Martin Hirsch.

Le présent rapport évoque cette possibilité qui a manifestement la faveur du rapporteur.

Elle consisterait à instaurer un plafond annuel au-delà duquel les dépenses seraient entièrement prises en charge par l’assurance maladie, en dehors des dépassements et des franchises. Ce plafond pourrait être variable en fonction du revenu avec dès lors un risque de remise en cause du « pacte de 1945 ». Un tel bouclier existe en Allemagne et en Belgique où le plafond de dépenses est compris entre 1 % et 3 % du revenu.

Ce bouclier remplacerait notamment le régime des ALD et tous les assurés auraient le même taux de remboursement, quelles que soient leurs pathologies. Cela aurait le mérite de régler le problème de la distinction parfois difficile à faire entre les soins relevant de l’ALD et les autres, pour une même personne.

Néanmoins, à l’heure actuelle le bouclier sanitaire apparaît comme extrêmement compliqué à mettre en œuvre. Le rapport évoque un délai minimal de 2 ans.

● Il faut renforcer le régime obligatoire, seul garant d’une véritable amélioration de la qualité et de l’accès aux soins pour tous

Une réforme comme la mise en place d’un bouclier sanitaire serait rapidement dévoyée de son objet par le Gouvernement et sa majorité qui, compte tenu de ses intentions, risque d’en faire simplement un instrument pour réduire la prise en charge et augmenter la part des assurances complémentaires. Il faut rappeler que l’augmentation de la taxe sur les assurances complémentaires votée par la majorité dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 va se traduire à terme par une hausse des cotisations pour les assurés. Par ailleurs, un certain nombre de personnes n’ont pas d’assurance complémentaire : le rapport rappelle que « plus d’un million de personnes en ALD ne sont pas couvertes par une complémentaire, il s’agit d’assurés modestes, âgés, et inactifs ». Plutôt que d’augmenter les aides à l’accès à une complémentaire il convient de renforcer et de sécuriser le régime obligatoire.

En conclusion, le recours au bouclier sanitaire ne peut être la seule solution à envisager. Il faut en priorité définir de nouvelles modalités de prise en charge des maladies chroniques, dans un système solidaire, avec comme objectifs l’amélioration de la qualité et de la coordination de la prise en charge des patients. Dans la perspective d’un débat sur ce sujet, il faut également inclure la question d’un réel encadrement des dépassements d’honoraires, du maintien d’une offre à tarifs opposables dans tous les territoires, de la meilleure articulation des rôles entre régime obligatoire et régime complémentaire, et de la création d’un plan personnalisé de prévention et de soins, en plus de la prise en charge financière.

Enfin les travaux sur une modification éventuelle de la prise en charge médicale et financière des ALD devront se faire en prenant en considération les mesures annoncées quant à l’organisation du système, avec notamment la création des ARS.

CONTRIBUTION DE MME JACQUELINE FRAYSSE
ET DE M. MAXIME GREMETZ

Le rapport sur les affections de longue durée, établi par notre collègue Jean-Pierre Door dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale et soumis le 26 novembre 2008 à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, est le résultat d'un travail sérieux et documenté. Pour autant, et malgré quelques propositions intéressantes, nous n'en partageons pas la philosophie, notamment concernant l'instauration d'un bouclier sanitaire. Plus généralement, nous considérons que la question du coût des ALD pour l'assurance maladie ne pourra être résolue sans l'apport de recettes nouvelles qui passent par une remise en cause des modalités de financement de la sécurité sociale en France.

Le rapport de Jean-Pierre Door a tout d'abord le mérite de dresser un constat fiable et chiffré de la situation des ALD et de leur coût pour l'assurance maladie. En ce sens, il fournit des éléments de réflexion intéressants.

Il formule quelques propositions utiles telles que l'accentuation nécessaire de l'effort de prévention contre les facteurs de risque (mauvaise hygiène de vie, déséquilibres alimentaires…) et l'éducation à la santé à l'école. Mais malheureusement, aucune mesure concrète ne les accompagne, sinon l'engagement du Président d'augmenter les moyens dédiés à la prévention et la conscience professionnelle du médecin traitant, qui « doit considérer qu'il a pour mission prioritaire d'assurer une prévention personnalisée de ses patients », sans que cette mission ne lui soit à ce jour rémunérée.

Quant à la proposition de demander à la Haute Autorité de santé de produire des référentiels hiérarchisés de traitement pour « aider les médecins dans leurs choix thérapeutiques et leurs prescriptions », nous restons très sceptiques. Le risque est grand en effet de voir dans cette instance la démarche scientifique supplantée par une démarche comptable, voire une atteinte à la liberté de prescription des médecins fondée sur l'intérêt de leurs patients.

Si les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine sont ouverts aux réformes nécessaires d'organisation permettant une meilleure efficience dans une démarche avant tout motivée par des considérations sanitaires, conformément à l'esprit d'équité et de solidarité qui a présidé à la création de notre sécurité sociale solidaire, ils regrettent de constater que ce n'est pas cette philosophie qui sous-tend ce rapport.

En effet, les pistes de réflexion évoquées posent comme préalable que les dépenses de santé sont aujourd'hui trop élevées et qu'il faut impérativement les réduire. Or, d'une part, les dépenses de santé ne sont pas particulièrement élevées en France, puisqu'elles se situent à un niveau comparable à celui de l'Allemagne et bien moins élevées qu'aux États-Unis, avec des résultats très supérieurs, notamment en terme de couverture sociale.

Il est illusoire de croire et/ou de faire croire que les dépenses de santé doivent diminuer. Elles augmentent et augmenteront dans les années à venir sous l'effet conjugué de l'augmentation de la population (plus la France compte d’habitants, plus la consommation totale de soins augmente), de son vieillissement (une personne de 80 ans dépense 4 à 5 fois plus pour se soigner qu’une personne de 20 ans), de l'augmentation du niveau de vie (les dépenses de santé sont ce que les économistes appellent un bien supérieur : elles augmentent beaucoup plus vite que le PIB et ce dans tous les pays) et des progrès de la connaissance scientifique et technique (traitements plus efficaces mais aussi plus chers, coût élevé du matériel médical). Toute politique qui restera obnubilée par la réduction des dépenses de santé est donc vouée inévitablement à l'échec, comme le confirme d'ailleurs la situation actuelle, après les multiples et définitifs plans de « sauvetage de la sécurité sociale », tous assortis de vaines promesses de retour à l'équilibre.

Concernant plus spécifiquement les ALD, il est non seulement inhumain, mais également vain d'un point de vue médical, de chercher à faire des économies en réduisant la prise en charge. On n'obtiendrait alors qu'une réduction de l'accès aux soins dont les conséquences seraient particulièrement dramatiques et coûteuses. Pour le diabète par exemple, que Mme la ministre de la santé considère comme « moins grave » que d'autres ALD, un mauvais suivi peut avoir des conséquences très préjudiciables (oculaire, cardiovasculaires, neurologiques) dont les répercussions humaines, mais également financières, sont élevées.

Inévitablement, on en revient donc aux modalités de financement de la Sécurité sociale, qu'il faut revoir. Et la proposition d'instaurer un bouclier social ne peut sérieusement pallier l'absence d'une telle réforme. En effet, ce « bouclier » rompt radicalement avec l'esprit d'une sécurité sociale solidaire où chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. C'est une fausse bonne idée, une nouvelle usine à gaz adossée sur les revenus au nom de l'équité, alors que les cotisations sociales sont déjà proportionnelles aux salaires. L'urgence est de faire contribuer tous les revenus, y compris les stock-options par exemple, au même niveau que les salaires, ce serait simple et efficace.

Les députés communistes et républicains formulent plusieurs propositions de réformes du financement de la sécurité sociale dont la crise conforte la pertinence. Elles permettraient de résoudre la question des ALD comme le déficit de la sécurité sociale dont la charge de la dette nous coûte 7,7 milliards par an, directement versés aux banques au lieu de financer la protection sanitaire et sociale.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d’information, présenté par M. Jean-Pierre Door, rapporteur, en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), sur les affections de longue durée, au cours de sa séance du mercredi 26 novembre 2008.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la MECSS. Les travaux que la Commission des affaires sociales a demandé à la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de mener sur les affections de longue durée ont commencé avant l’été. Le projet de rapport a reçu l’aval des commissaires de la MECSS et sera complété par les contributions de divers groupes politiques

Le rapport rappelle l’intérêt du système de prise en charge des affections de longue durée (ALD) et le poids croissant qu’il représente pour l’assurance maladie. Mais ce régime ne permet pas toujours d’assurer la qualité de la prise en charge médicale, ni son équité financière. Il faut donc explorer des voies d’amélioration.

Le régime des ALD assure à ses bénéficiaires une meilleure prise en charge grâce à une exonération du ticket modérateur, qui ne joue toutefois que dans la limite du tarif de la sécurité sociale. Les dépassements de tarifs et d’honoraires ne sont donc pas couverts, non plus que les participations demandées aux malades, telles que le forfait journalier le 1 euro par acte médical et de biologie, les franchises sur les médicaments, les actes d’auxiliaires médicaux et les transports sanitaires, ni les pénalisa tions pour non respect du parcours de soins. En outre, depuis 1986, le critère du coût du traitement n’est plus pris expressément en compte pour bénéficier de l’exonération mais, en contrepartie, seuls les soins liés à l’affection de longue durée sont désormais couverts. L’avantage différentiel que procure l’exonération est par conséquent plus faible aujourd’hui qu’à la création du régime en 1945.

Près de 15 % des assurés bénéficient aujourd’hui de ce régime, soit 10 millions de personnes – sans doute 12 millions en 2012 et 15 millions en 2015. Davantage que le vieillissement de la population, c’est l’augmentation de la prévalence des maladies qui explique cette forte croissance, prévalence due à l’amélioration du dépistage et de l’efficacité des traitements. Cette augmentation des effectifs et du coût des traitements tirent les dépenses à la hausse : 80 milliards d’euros en 2007, soit l’équivalent de la contribution sociale généralisée (CSG), et probablement 2,2 points de produit intérieur brut (PIB) supplémentaires à l’horizon 2015. Cela représente 65 % des remboursements de la sécurité sociale aujourd’hui, une part qui croît tous les ans. Quatre groupes de pathologies concentrent 80 % des bénéficiaires : les maladies cardio-vasculaires, le cancer, le diabète et les maladies psychiatriques. Les ALD sont à 90 % la cause de la croissance des dépenses de médecine de ville.

C’est surtout pour les soins donnés en médecine de ville que l’exonération constitue un avantage : la différence du taux de prise en charge par rapport aux autres assurés s’élève à 22 points, contre 2,4 seulement pour les dépenses hospitalières. Les dépenses étant réalisées pour 60 % à l’hôpital et 40 % en ville, l’exonération ne représente au total que 10 % des remboursements faits aux malades en ALD. En 2006, l’exonération a représenté, en moyenne, mille euros par bénéficiaire. Elle n’a contribué qu’à hauteur de 6,2 % à la croissance des dépenses de l’assurance maladie entre 2004 et 2006. Enfin, 5 % seulement des personnes en ALD reçoivent près de la moitié des remboursements du régime, alors que 50 % d’entre elles n’en totalisent que 8 %.

Si le régime des ALD concrétise la solidarité entre bien-portants et malades, il ne permet pas toujours une prise en charge médicale optimale. Le dispositif, devenu complexe, peut être source d’incompréhension et d’effets pervers. Assurés comme professionnels peuvent concevoir le sentiment que les soins sont gratuits, ce qui peut les éloigner des bonnes pratiques de soins. En outre, les médecins considèrent le dispositif de protocole des soins comme beaucoup trop coûteux en temps. Quant à la prise en charge financière, malgré les progrès accomplis, elle n’est pas toujours équitable. Elle peut entraîner des disparités et des restes à charge importants pour les malades. Enfin, le développement des ALD entraîne un report des dépenses sur l’assurance maladie, au bénéfice des organismes de couverture complémentaire.

Le régime de prise en charge des ALD est devenu complexe, ce qui le fragilise. Il convient de rechercher un recentrage du régime, dans un objectif d’amélioration de la prise en charge médicale des maladies chroniques et de l’équité de la prise en charge financière. Pour obtenir ce recentrage, il faudrait d’abord réserver le bénéfice de l’exonération aux affections longues et coûteuses – le coût du traitement est d’ailleurs un critère en vigueur d’origine législative. Cela suppose que la Haute Autorité de santé revoie la liste des ALD ainsi que les critères d’admission et de sortie du régime. La Haute Autorité devrait par ailleurs établir des référentiels hiérarchisés de traitement pour optimiser la prise en charge médicale, en commençant par les pathologies les plus coûteuses mais en les généralisant par la suite. Le recentrage pourrait s’accompagner d’un meilleur remboursement des biens et services nécessaires à certaines pathologies chroniques n’ouvrant plus droit à l’exonération. Par ailleurs, la généralisation de la liquidation médicalisée devrait permettre de mieux respecter les protocoles de traitement et de réserver l’exonération aux seuls produits et prestations liés à l’ALD. Enfin, l’admission en ALD pourrait être décidée par les médecins, à condition qu’ils se soient engagés dans la démarche qualité et aient conclu un contrat d’amélioration des pratiques individuelles, comme la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 en a prévu la possibilité.

Il faut aussi améliorer la prise en charge des maladies chroniques, qui débordent largement du cadre des ALD et concernent près d’un adulte sur deux. Pour cela, il faudrait développer la prévention et la lutte contre les facteurs de risque, ainsi que l’éducation thérapeutique et l’accompagnement des patients. Cela correspond à une forte demande des associations de malades. Pour améliorer la qualité des traitements, il faudrait aussi accélérer la diffusion des logiciels d’aide à la prescription, développer la coopération entre tous les acteurs de la santé, généraliser le contrat de soins entre patient et médecin traitant et faire de la prise en charge des maladies chroniques un thème prioritaire de la formation médicale et de l’évaluation des pratiques professionnelles.

Ces deux volets peuvent être mis en place relativement rapidement. À plus long terme, il convient de rendre la prise en charge financière plus équitable en préparant la mise en place du bouclier sanitaire. Il s’agit d’une exonération totale pour tous les assurés, mais au-delà d’un plafond, et non au premier euro comme dans le régime des ALD. Les enjeux sont importants : le total des restes à charge est de 12 milliards d’euros pour les soins de ville et de 2,5 milliards d’euros pour les soins hospitaliers, soit en moyenne respectivement 200 et 45 euros par assurés et 280 euros et de l’ordre de 165 euros pour les personnes en ALD. Le bouclier sanitaire permettrait de simplifier grandement le système de sécurité sociale, puisqu’un dispositif unique se substituerait à la trentaine d’exonérations du ticket modérateur qui existent. Il ne constitue en rien une rupture, puisque la participation de chacun en fonction de ses moyens était au cœur du pacte de 1945. Il respecte en effet le principe selon lequel : « chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. » Cette solution permettrait de dissocier totalement les questions médicales de celles du financement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Elle soulève cependant des questions qui doivent recevoir des réponses précises. Le rapport de MM. Briet et Fragonard de septembre 2007 apporte des éléments de réflexion intéressants, mais il faut attendre le résultat des études menées par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés pour préciser le dispositif, auquel de nombreux économistes se montrent favorables. Il faudra notamment décider si le plafond doit être fonction du revenu, comme c’est le cas en Allemagne et en Belgique – soit par l’application d’un pourcentage, soit en étant déterminé à l’intérieur d’une fourchette. Les organismes complémentaires devraient être associés aux réflexions engagées.

Le pacte de solidarité de 1945 est fragilisé et sa perpétuation est même sujette à caution. Il y a urgence : il faut le renforcer, en en changeant les modalités. Le bouclier sanitaire est un choix politique. Nombre de partenaires du système de santé auditionnés par la MECSS ont manifesté leur intérêt pour ce dispositif, même s’il soulève des questions fondamentales. Il est évoqué comme une piste par de nombreux économistes et acteurs du secteur et il est déjà appliqué dans des pays étrangers. Il faut donc mener la réflexion à ce sujet.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je remercie M. Door pour la qualité de son rapport, du point de vue tant du diagnostic que des propositions. Il s’agit d’une question très importante et il appartient à notre commission de préparer le débat national qui interviendra sur ce sujet.

M. Jean-Luc Préel. Le rapport est en effet très intéressant, et les auditions que nous avons menées ont été instructives. Les affections de longue durée sont l’exemple le plus abouti du principe de solidarité qui caractérise notre système de santé mais elles sont aussi très coûteuses, ce qui conduit à rechercher des économies. Le coût des ALD est de 80 milliards d’euros, soit 65 % des dépenses de l’assurance maladie, et le nombre des bénéficiaires est en augmentation constante. Mais cette augmentation étant largement due au vieillissement de la population, la recherche de moyens propres à la freiner ne semble pas être une piste très efficace. Le rapport montre bien que le coût de l’exonération ne représente que 10 % des remboursements des personnes en ALD, ce qui pour une maladie grave n’est pas considérable. En revanche, le reste à charge pour les malades est loin d’être négligeable : il est supérieur à 500 euros pour 16 % d’entre eux, et même à 1 500 euros dans 5 % des cas. Ce reste à charge est dû aux dépassements d’honoraires, aux franchises, aux forfaits divers et aux médicaments et dispositifs nécessaires mais non remboursés.

La solidarité nationale doit-elle continuer à prendre en charge les maladies longues et coûteuses ? Il est évident que oui. Mais le dispositif actuel n’est pas satisfaisant. Il faut revoir les critères d’admission pour mieux prendre en compte les maladies chroniques et actualiser régulièrement la liste des pathologies concernées – mais ce ne sera pas un facteur d’économies, puisque très peu de maladies pourront sortir de la liste. Il faut aussi revoir la liste des médicaments indispensables, remboursés à 100 %, définir des référentiels de bonne pratique – la Haute Autorité de santé doit agir très rapidement sur ce sujet – et développer la contractualisation entre le patient et le médecin traitant.

Il est certes indispensable, face à des dépenses de santé en augmentation considérable, de rechercher la meilleure efficience possible. Mais il ne faut pas considérer les dépenses de santé dans la seule optique du déficit de la sécurité sociale : n’oublions pas qu’elles contribuent aussi à la richesse nationale, en payant des salaires, des médicaments et du matériel médical. Par ailleurs, espérer faire des économies en revoyant les critères d’entrée et de sortie du dispositif est tout à fait illusoire : par exemple, un diabète équilibré ou un cancer après la phase de traitement elle-même ne sont pas coûteux. En outre, si les référentiels étaient strictement appliqués – si les diabétiques par exemple bénéficiaient de tous les examens complémentaires souhaitables, ophtalmologiques en particulier – le surcoût dans l’immédiat serait évident, même s’il permettrait de prévenir des complications.

Enfin, j’émets les plus grandes réserves quant au bouclier sanitaire, sauf à considérer que le calcul serait basé sur le reste à charge total, incluant les dépassements d’honoraires ou les dépenses de santé mal remboursées comme la dentisterie et l’optique – et dans ce cas, il resterait à s’interroger sur le rôle des complémentaires. Au contraire, si le bouclier ne prend en considération que les dépenses remboursables par le régime général, comment expliquer à nos concitoyens qu’ils auront un nouveau reste à charge à financer ? Enfin, le bouclier, s’il était fonction du revenu, modifierait profondément le principe de solidarité auquel nous sommes tous attachés.

En dehors de ces remarques non négligeables, j’approuve le rapport au nom du groupe Nouveau Centre.

M. Jean Mallot, coprésident de la MECSS. Je voudrais à mon tour féliciter la MECSS, à commencer bien sûr par son rapporteur Jean-Pierre Door, pour son travail approfondi. Les auditions ont été passionnantes et le rapport fait le tour de la question. Certes, il contient une contradiction puisque, parmi les propositions avancées, deux volets sont de nature à améliorer le système actuel alors que le troisième vise au contraire à le changer, avec l’instauration du bouclier sanitaire. Le rapporteur montre clairement sa préférence pour cette option, c’est son droit.

On ne peut pas être par principe pour ou contre le bouclier sanitaire. Il faut en examiner les modalités, et les évolutions auxquelles il peut conduire. Certes, il existe dans d’autres pays, mais qui ont une structure assurantielle et une histoire différentes. Pour notre part, nous n’avons que trop l’expérience de ces dispositifs – parfaits sur le papier, mais qui se transforment en véritables usines à gaz sur le terrain – pour ne pas nous montrer prudents. Par ailleurs, la question de la prise en compte du revenu de l’assuré remet en cause le pacte de 1945. Le paradigme de départ était que chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Faire intervenir le revenu à un deuxième niveau du dispositif risque d’entraîner des effets pervers.

Ainsi que l’a dit M. Didier Houssin, directeur général de la santé, cité dans le rapport, la révision du dispositif des ALD ne peut poursuivre deux buts à la fois : l’amélioration de la qualité des soins et la résorption des difficultés financières de la sécurité sociale. Je pense que l’accent doit d’abord être mis sur le premier point et qu’il y a des marges de progression importantes dans ce domaine. Dès lors que nos concitoyens seront satisfaits de la qualité de leur système de soins, la question du financement sera moins cruciale car non seulement ce système ne sera pas vraiment plus onéreux, mais chacun sera d’accord pour en payer le prix.

Cela m’amène au point nodal du débat sur les ALD ; l’augmentation du nombre de patients traités pour ALD et du coût de la prise en charge de ces affections correspond-elle exclusivement à une réalité sanitaire ? Si tel est le cas, la question est celle du financement et nous sommes tous d’accord pour consentir un effort collectif, en recherchant le plus de justice possible.

Si ces augmentations résultent d’autres causes, comme des dysfonctionnements du système, alors des mesures telles que celles qui sont proposées dans la première partie du rapport peuvent être envisagées. Je serai prudent sur la révision des listes : on peut les toiletter, mais en retirer des pathologies marginales tout en en ajoutant d’autres ne permettra pas de résoudre le problème financier. Un travail d’élaboration de référentiels ou de recommandations, tel celui que mène la Haute Autorité de santé, me paraît plus efficient. En tout état de cause, le dispositif du bouclier sanitaire n’est pas adapté.

Jean-Luc Préel a raison de se demander si le périmètre du reste à charge doit inclure les soins optiques et dentaires, et les dépassements d’honoraires. S’il n’inclut pas l’ensemble des soins, le bouclier sanitaire sera peu utile.

Cela nous ramène au rapprochement, évoqué lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2009, entre assurances obligatoire et complémentaires : à force de les rapprocher, on finit par créer un régime unique. Des articles du PLFSS ont prévu les mêmes obligations d’information ; le milliard d’euros prélevé sur les assurances complémentaires relève de la même logique. Le débat sur ce qu’est un régime complémentaire, sur sa place, est devant nous. La question du bouclier sanitaire en accroît l’acuité.

Enfin, différents chantiers sont ouverts. Le projet de loi « hôpital-patients-santé-territoires », qui devrait être discuté en janvier prochain, aura un impact sur l’organisation de l’offre de soins. Modifier séparément plusieurs curseurs à la fois peut entraîner des résultats différents de ceux recherchés. De ce fait, il serait sans doute opportun d’insérer les éventuelles propositions de réforme de la prise en charge des ALD dans ce nouveau dispositif.

Nous ne souhaitons pas nous prononcer contre le rapport de Jean-Pierre Door : il laisse ouvertes des questions comme celle du bouclier sanitaire. Elles supposent des études, un débat, et une décision à l’occasion d’une importante échéance démocratique. Afin de compléter sa réflexion, les membres de la MECSS du groupe socialiste, républicain et radical ont déposé une contribution retraçant les éléments que je viens d’évoquer et qui appelle à la vigilance sur ce sujet important de la prise en charge des ALD.

M. le rapporteur. Je remercie Jean-Luc Préel de sa contribution déposée au nom du groupe Nouveau Centre. Mais il n’est pas question « d’économies » dans ce rapport : nous parlons, à propos du bouclier sanitaire, de « simplification » d’un système dont la croissance est aujourd’hui exponentielle. La multitude d’exonérations qu’il comporte le rendant fragile ; nous souhaitons les remplacer par un dispositif unique.

Il n’y a par ailleurs pas de lien entre les dépassements d’honoraires et le bouclier sanitaire. Aujourd’hui, l’assurance maladie prend en charge le panier de soins, mais pas les dépassements d’honoraires. Le rôle des assurances complémentaires n’est pas remis en cause par l’institution du bouclier sanitaire.

M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS. Je salue moi aussi l’extrême qualité du rapport.

Son premier volet, qui dresse un état des lieux particulièrement exhaustif de la problématique, fait l’objet d’un consensus. Il sera un élément de référence pour la réflexion, notamment grâce aux éléments très précis qu’il contient sur le vieillissement démographique.

Le deuxième volet est constitué de préconisations. Les treize premières font aussi l’objet d’un consensus, dans la mesure où elles sont marquées du sceau du pragmatisme et où chacun les analyse comme un référentiel adossé sur la compétence particulière de la Haute Autorité de santé, qui va définir, donc rationaliser les conduites des professionnels de santé et des populations atteintes de ces pathologies lourdes.

Le troisième volet est consacré à une réflexion que porte Jean-Pierre Door, et qui est partagée par certains d’entre nous. Il élargit le champ de la réflexion et s’attache à l’inéquité du reste à charge. Cette question est importante pour certaines populations, qu’elles soient ou non atteintes d’une ALD. Ce volet reste au conditionnel. Il est suspendu à une évaluation, au travers d’études d’impact, et à un débat, qui pourra ainsi s’adosser non pas sur des opinions ou des convictions mais sur des données suffisamment éclairantes pour pouvoir aboutir à des conclusions ; il s’agit du coeur fondateur du pacte républicain, la solidarité, aujourd’hui mise à mal par l’inéquité dans l’accès aux soins que crée ce reste à charge.

Ce très beau rapport va donc être une base pour des travaux complémentaires.

M. le président Pierre Méhaignerie. Dans quels délais seront menés ces travaux ?

M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS. Le rapporteur envisageait un délai de deux ans. Le temps nécessaire aux études d’impact prospectives ne se mesure pas en semaines ni en mois.

La philosophie de la MECSS est double : il s’agit de rationaliser, dans un souci non pas comptable mais d’optimisation, l’usage des deniers publics dans une vocation sanitaire et sociale, et de dégager des prospectives s’inscrivant dans le cadre des principes de solidarité républicaine.

M. Maxime Gremetz. Ce rapport de qualité nous donne de nombreuses informations sur une réalité : la diminution de la prise en charge des ALD, qui ne vont pas cesser d’augmenter. Il est quand même surprenant, qu’après le vote d’un plan de lutte contre la maladie d’Alzheimer, une maison de retraite augmente de 10 % la participation des familles… À l’évidence, on veut faire payer les personnes âgées et leurs familles !

Notre conclusion n’est donc pas celle du rapport, qui cherche avant tout, face aux coûts de plus en plus élevés des soins et aux difficultés croissantes de la sécurité sociale, à faire des économies – tel est bien l’objectif du bouclier sanitaire – et à éviter la prise en charge.

Pour notre part, voilà des années que la même question nous hante : comment financer réellement la sécurité sociale ? Or, on ne parle jamais de financement.

On nous dit que les économies seront en relation avec les revenus. Mais ces derniers sont déjà pris en compte pour le calcul des cotisations sociales. Il faut confirmer les principes de la solidarité intergénérationnelle, pour toutes les branches, et de la participation des entreprises et des salariés, en fonction de leurs revenus, posés par le Conseil national de la Résistance et lors de la création de la sécurité sociale. C’est cela l’originalité du système français. Au nom du « trou » de la sécurité sociale, on veut remettre en cause ce principe. Mais les exonérations non justifiées de cotisations patronales représentent de 27 à 30 milliards d'euros. En outre, chaque chômeur supplémentaire, représente une perte de cotisations.

Chaque fois que des mesures de déremboursement, de non remboursement ou de franchises médicales sont prises, les patients, y compris en ALD, payent. Et leurs revenus baissent.

Par ailleurs, confier la décision à la Haute Autorité de santé est une remise en cause de la gouvernance de la sécurité sociale. Ce sont les travailleurs et les entrepreneurs qui payent les cotisations sociales, pourquoi quelqu’un d’autre déciderait-il à leur place ? La création des ARS, les agences régionales de santé, relève de la même logique. Et il n’y a plus d’élections des administrateurs de la sécurité sociale depuis 1983. Quelle gouvernance démocratique reste-t-il dans ce domaine ?

Nous formulons une appréciation positive sur le rapport : il décrit bien la situation, sans rien cacher. Nous sommes aussi d’accord pour suivre la piste des réductions des dépenses, dans la mesure où elles ne touchent pas aux soins.

En revanche, nous sommes contre le bouclier sanitaire : en instituant un remboursement en fonction du revenu il modifie le pacte de 1945 et relève d’une autre conception.

Nous nourrissons de nombreuses craintes dans le domaine de la santé : que penser en particulier de la situation des hôpitaux, à qui l’on impose la tarification à l’activité alors qu’ils sont en difficulté financière ?

En fait, nous sommes d’accord avec la façon dont le problème est posé, mais en désaccord avec les propositions faites. C’est pourquoi notre collègue Jacqueline Fraysse présentera des propositions alternatives ainsi qu’une contribution au nom du groupe Gauche démocrate et républicaine.

M. le rapporteur. Je ne parle jamais, notamment dans le rapport, de « réduction des prestations », mais de « simplification » et de « rationalisation ». Je dis aussi que notre système est complexe et fragile, et qu’il faut l’améliorer, et non réduire sa place dans la prise en charge des soins.

M. Maxime Gremetz. C’est une question de formulation : dans les entreprises, « restructuration » est une formule élégante pour « plan de licenciement » ...

M. Yves Bur. Je remercie la MECSS de son rapport, et, plus généralement, de sa capacité à s’emparer de sujets majeurs et sensibles pour notre système de soins. Ses travaux sont utiles à notre réflexion.

En tant que rapporteur de la partie « recettes et équilibre général » du PLFSS, je rappelle que la charge de la dette est cette année de 7,4 milliards d’euros ; elle sera l’an prochain de 8,9 milliards d’euros ; elle passera très certainement fin 2011 à plus de 12 milliards d’euros.

Elle est pour l’essentiel issue des déficits de la sécurité sociale depuis 1995. A force de temporiser, de ne pas analyser au fond le fonctionnement de notre système de santé, l’efficience des dépenses, et peut-être en raison de la nécessité d’augmenter les ressources de l’assurance maladie, nous en arrivons à préférer verser 9 milliards d’euros aux financiers chinois plutôt que de les investir dans le système de santé. Or, cette somme représente le double du montant de l’augmentation de l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) pour 2009. En continuant à ne pas aborder de front les difficultés, nous accroissons la ponction sur nos concitoyens, et nous dévions la ressource de leurs besoins fondamentaux au profit de la finance.

Il en est de même de notre système de retraites. Si nous continuons sur la lancée, le déficit sera en 2040 de 63 milliards d'euros, que nous laisserons à la charge des générations futures.

Dans ce contexte, l’évolution des ALD est l’enjeu majeur pour notre système de soins et pour notre assurance maladie. Le nombre de personnes concernées va passer de 8 à 12 millions en 2015 et les ALD représenteront 70 % de la dépense. Le rapport insiste sur trois orientations : mieux soigner, mieux accompagner et mieux financer.

Mieux soigner signifie mieux organiser la prise en charge thérapeutique : il faut rendre l’efficacité de la dépense vérifiable et réelle. La Haute Autorité de santé, qui a été investie d’un rôle d’analyse médico-économique, doit s’engager dans cette mission ; j’attends d’elle d’autres avis que celui qu’elle a rendu sur les ALD pour lesquelles elle a botté en touche. Elle doit s’investir dans l’optimisation de la dépense. C’est la première condition pour le maintien de la solidarité.

Ensuite il faut miser de façon résolue et déterminée sur la prévention et l’accompagnement thérapeutique : ce sera peut-être la seule manière de limiter l’envolée des dépenses. Nous ne pouvons plus nous limiter à prodiguer des soins, distribuer des médicaments et accorder des séjours hospitaliers. Il faut accompagner de façon effective les malades atteints d’ALD pour leur permettre de changer leur hygiène de vie, dans des conditions qui produisent des économies ; il ne faut pas avoir peur du mot...

Nous tardons à développer ces démarches globales. Ce que fait l’assurance maladie avec Sophia pour le diabète est un premier pas. Cependant, compte tenu de la rareté du temps médical, il faut s’interroger sur les agents qui seront chargés de cet accompagnement thérapeutique. Il faudra innover.

Enfin, les déficits considérables de l’assurance maladie – probablement 5 ou 6 milliards d’euros l’an prochain – nous imposent de mieux organiser les financements, et surtout de poser le principe de l’équilibre des finances sociales. Nous ne pouvons pas continuer à faire payer les maladies de la grand-mère par ses petits-enfants. C’est non seulement absolument stupide, mais immoral. Une fois posé ce postulat de l’équilibre financier, il faudra analyser les différentes options, dont le bouclier sanitaire. Mais j’ai bien peur que cette piste soit, comme c’est souvent le cas, enterrée pendant cinq ou dix ans – au cours desquels nous aurons transféré encore des déficits considérables. Et une fois nos mécanismes de solidarité revus et modernisés, il faudra aussi avoir le courage, le cas échéant, d’expliquer que le recours à des recettes supplémentaires reste malgré tout indispensable. La réalité nous rattrapera toujours. Au sortir de la crise financière et économique que nous subissons actuellement, nous aurons sans doute des décisions déchirantes à prendre. Cette discussion aura été l’occasion de réfléchir à ces enjeux.

M. Bernard Debré. Je voudrais féliciter Jean-Pierre Door pour son rapport passionnant sur ce sujet extrêmement important. D’abord, il me semble qu’il ne faut pas avoir peur du mot « économies » : il ne s’agit pas de brimer les gens, mais de dépenser l’argent avec la plus grande efficacité possible. Dans cette optique, il faut d’abord se demander si tous les malades déclarés en ALD le sont à bon escient, donc s’interroger sur l’entrée et la sortie du régime. L’admission dans le dispositif s’obtient très facilement. Or, si un cancer du rein est opéré et guéri en quelques jours, il n’est absolument pas justifié que l’ALD se prolonge pendant des années ! Il faut donc s’assurer que le régime bénéficie à plein, mais à ceux qui en ont besoin.

La modulation des remboursements en fonction des revenus du malade pose aussi problème, puisque les cotisations sont déjà calculées sur cette base. Ce serait une double peine, un dispositif totalement immoral. Reste bien sûr le problème du reste à charge mais à ce propos, il me semble qu’il serait possible de faire appel aux mutuelles : le système est bien commode pour elles, puisque la sécurité sociale rembourse les dépenses à 100 % alors que ce sont elles qui perçoivent les cotisations ! La séparation entre la sécurité sociale et les mutuelles tend à devenir moins importante, et certaines ont les moyens de faire des dépenses somptuaires pour tout autre chose que la maladie – essayer de sauver le Matin de Paris de la faillite, par exemple. Les assurances complémentaires ont un excédent de réserves en fonds propres de 17 milliards d’euros. Elles devraient être partie prenante du dispositif des ALD.

M. le président Pierre Méhaignerie. Il faut rappeler qu’au-delà d’un certain niveau de dépenses sociales, on peut étouffer l’emploi. Ce niveau, nous n’en sommes pas loin. Il ne faut pas refuser par principe de s’intéresser aux économies !

M. Philippe Boënnec. Il est vrai que les termes « d’économie » et de « bonne gestion » revêtent maintenant un caractère négatif. J’ai personnellement lu cet excellent rapport dans l’optique d’une meilleure gestion et d’une meilleure performance. Les ALD représentent un budget énorme pour l’assurance maladie. Si nous ne menons pas une réflexion sérieuse, et compte tenu du vieillissement de la population, nous irons droit dans le mur. L’objectif est de concilier la qualité des soins, qui doit être sans cesse améliorée, et l’équilibre des comptes de la sécurité sociale. On ne peut pas faire autrement. L’examen des comptes de l’assurance maladie fait froid dans le dos : dans ces conditions, l’immoralité ne serait-elle pas de continuer en faisant semblant de rien, de laisser les autres payer, plutôt que de chercher des solutions en faisant appel à l’ensemble de la population d’une façon équitable ?

Le rapport contient des propositions intéressantes à court terme, et pose aussi la question du bouclier sanitaire. De mon point de vue, le bouclier sanitaire réaffirme le pacte de 1945 plutôt qu’il ne le remet en cause : chacun reçoit selon ses besoins et contribue selon ses moyens. Le contexte actuel impose de toute façon de réfléchir à un réaménagement : il est hors de question de s’en dispenser.

Reste bien sûr la question importante du dentaire et de l’optique, et surtout de la participation des complémentaires, qui ont tout de même 17 milliards d’euros d’excédent de réserves en fonds propres. Il est clair que les cotisations aux complémentaires représentent un prélèvement de plus, qu’elles pèsent sur le pouvoir d’achat et que ces fonds doivent donc être utilisés pour la bonne cause. Les complémentaires doivent donc être associées à la réflexion pour parvenir à un système où les gens seront mieux soignés et les comptes équilibrés. Il faut aussi rendre le dispositif plus lisible et mieux prendre en charge les maladies chroniques.

Compte tenu du vieillissement de la population, les ALD vont se développer de façon exponentielle. Il faut donc agir très vite et de manière volontariste pour sauvegarder le pacte de 1945, sans quoi nous nous condamnons à une fuite en avant complètement irresponsable. C’est un débat passionnant, qu’il faut entamer au plus vite.

Mme Jacqueline Fraysse. Je salue moi aussi le très intéressant et très instructif travail du rapporteur, mais je ne partage pas la philosophie qui le sous-tend. J’admets bien volontiers que le dispositif actuel doit être revu, et que la notion d’économies n’a rien de tabou. Revoir sans cesse notre organisation pour utiliser l’argent public au mieux, au bénéfice des personnes qui en ont le plus besoin, est notre devoir. De ce point de vue, le rapport a le grand mérite de mettre l’accent sur la prévention, qui est une des principales solutions, avec le suivi des patients chroniques – que l’on ne peut pas guérir aujourd’hui mais que l’on sait traiter. Les efforts d’éducation, de suivi et de prévention entraîneront des économies, en termes humains certes, mais aussi financiers. Toutefois, bien que le rapport souligne que le médecin traitant doit avoir pour mission prioritaire d’assurer la prévention, aucune rémunération n’est prévue pour cet important travail. Ce sera donc sans effets.

Le rapport est indiscutablement de qualité et il comporte des éléments de réflexion intéressants. Cependant, quels que soient les mots utilisés par le rapporteur, il est sous-tendu par la nécessité de remettre en cause la prise en charge des patients victimes d’ALD.

Je partage l’idée qu’il faut faire attention à l’entrée en ALD. De même dans certains cas, et c’est heureux, des patients peuvent sortir d’une ALD. Cela justifie qu’on revisite les situations.

Mais l’évolution des connaissances et de la durée de vie continuera à avoir pour conséquence l’augmentation des dépenses de santé. Il faut cesser d’entretenir l’illusion qu’on pourra les réduire, même en étant plus efficaces. C’est un choix de société : notre pays a-t-il les moyens de financer ces dépenses ? Quelle part de ses ressources veut-il y consacrer ? Dans quelles conditions et pour quelle équité ?

Il faut en finir avec les « mesurettes » multiples et complexes qui permettent de très faibles économies pour dépenser plus ailleurs : on le sait, des diabétiques mal suivis développeront des complications extrêmement graves et coûteuses.

Je suis préoccupée du rôle économique qu’on commence à donner à la Haute Autorité de santé. Le corps médical accorde beaucoup d’intérêt aux documents qu’elle produit : ils sont fondés sur des compétences scientifiques et donnent des conseils très utiles. Si les médecins découvrent que ces conseils ne sont pas essentiellement inspirés par des préoccupations médicales mais par des considérations économiques, la Haute Autorité de santé perdra une bonne part de son autorité.

Ce rapport est sérieux et de qualité. Il comporte, notamment sur la prévention et le suivi des traitements, des propositions que nous pouvons partager. En revanche, nous ne partageons pas sa philosophie, notamment l’idée d’un bouclier sanitaire.

La question de fond est celle du financement de la protection sociale, dans un pays qui dispose des moyens pour cela. Les cotisations sont fixées en fonction des revenus ; il y a beaucoup de travail à faire pour qu’elles soient fixées de façon équitable, acquittées par tous les revenus, et pour que la nécessaire augmentation des recettes de la protection sociale soit respectueuse de la justice sociale.

Je rejoins sur ce dernier point l’appréciation de notre collègue Yves Bur ; il est aberrant, alors que nous avons des difficultés à financer la santé et les retraites, de verser tous les jours de l’argent au monde de la finance. Il est urgent de revoir et d’augmenter les financements, en utilisant les richesses du pays, sans perdre de vue la nécessité de l’efficience de l’organisation.

M. le rapporteur. Les premières propositions du rapport semblent partagées par tous : mieux cibler les affections, développer la prévention, améliorer les relations avec les professions de santé, pour des soins de bonne qualité.

En revanche, la problématique du bouclier sanitaire me semble mal perçue. Je précise qu’il se déclenche à partir d’un plafond. Soit, comme en Belgique, on calcule ce plafond sur la base d’un minimum et d’un maximum liés au revenu, entre 400 et 1500 euros, soit comme en Allemagne, on le calcule en pourcentage du revenu et en fonction du type de maladie, 1 % du revenu pour les patients atteints d’ALD, 2 % pour les autres.

Si quelqu’un n’est pas malade, il n’aura pas de dépenses de santé et le bouclier ne trouvera pas à s’appliquer. S’il est peu malade, ses dépenses resteront en dessous du plafond à partir duquel le bouclier se déclenche. Si ses dépenses dépassent ce plafond, le bouclier se mettra en œuvre.

Le solde non pris en charge par le bouclier le sera par les assurances complémentaires, qui peuvent être privées. En France, ce solde est de 12 % ; en Allemagne, 8 % à 9 % des dépenses ne sont pas incluses dans le panier de soins. Le bouclier sanitaire n’est donc pas du tout une double peine.

M. le président Pierre Méhaignerie. Cette explication ne remet-elle pas en cause la proportionnalité du bouclier par rapport au revenu ?

M. Bernard Debré. Mais pourquoi une proportionnalité alors que les cotisations sont déjà fixées par rapport au revenu ?

M. le rapporteur. Le nouveau système permet aussi de supprimer la CMU, pour l’intégrer dans un dispositif unique.

M. Jean Mallot, coprésident de la MECSS. La prise en charge du revenu pour déterminer le reste à charge plafonné est une vraie question de principe, qui justifie un débat.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je tire trois conclusions. Chacun salue le remarquable sérieux du rapport ; sur ses grandes orientations, il y a plutôt convergence et consensus ; en revanche, les appréciations divergent sur le bouclier sanitaire, qui mérite une analyse, une réflexion et un débat pédagogique dans le pays.

La Commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

ANNEXES

ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION

Présidents

M. Jean Mallot

M. Pierre Morange

Membres

Mme Martine Billard

M. Philippe Boënnec

Mme Martine Carrillon-Couvreur

Mme Marie-Françoise Clergeau

M. Georges Colombier

M. Rémi Delatte

M. Jean-Pierre Door

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Catherine Génisson

M. Maxime Gremetz

M. Olivier Jardé

Mme Catherine Lemorton

M. Claude Leteurtre

Mme Geneviève Levy

M. Jean-Luc Préel

Mme Marisol Touraine

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Pages

30 avril 2008 :

9 h 30 – M. Didier Houssin, directeur général de la santé (DGS) au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative 95

15 mai 2008 :

9 h 00 – M. le Professeur Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé (HAS), M. François Romaneix, directeur, et M. Raoul Briet, membre du collège, président de la commission périmètre des biens et services remboursables (ALD) 103

10 h 15 – M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAM) 112

11 h 15 – M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Hubert Allemand, médecin-conseil national de la CNAMTS, M. Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA), M. Vincent Van Bockstael, médecin conseiller technique de la MSA, et M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI) 117

29 mai 2008 :

9 h 30 – M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale (DSS) au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative et M. Jean-Philippe Vinquant, sous-directeur en charge du financement du système de soins 126

10 h 30 – M. Robert Nicodème, membre du Conseil national de l’Ordre des médecins 133

11 h 30 – M. Christian Saout, président du bureau du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), M. Gérard Raymond, président de l’Association française des diabétiques (AFD), M. Christophe Duguet, chargé de mission à l’Association française contre les myopathies (AFM), Mme Nathalie Tellier, chargée de mission à l’Union nationale des associations familiales (UNAF), et M. Thierry Saniez, délégué général de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV) 137

12 juin 2008 :

9 h 30 – Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, et Mme Anne-Carole Bensadon, conseillère technique 144

10 h 30 – M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux (SML), M. David Tarac, vice-président de l’Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France, M. Claude Lecheir, vice-président de MG France, et M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF) 150

11 h 30 – M. Daniel Lenoir, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française, Mme Christine Meyer, directrice des garanties mutualistes et de l’assurance santé 156

26 juin 2008 :

9 h 30 – M. Philippe Josse, directeur du budget au ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, et M. François Carayon, directeur adjoint, en charge de la 6e sous-direction 163

10 h 30 – Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) au ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, et Mme Lucille Olier, sous-directrice en charge de l’observation de la santé et de l’assurance maladie 170

11 h 30 – M. Alain Rouché, directeur santé de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA), M. Stéphane Lecocq, directeur technique santé et assurances collectives d’AXA France, et M. Jean-François Pluchet, directeur à la direction santé de MMA 173

10 juillet 2008 :

9 h 30 – M. Pierre-Louis Bras et M. Gilles Duhamel, inspecteurs généraux à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité 182

10 h 30 – M. Claude Le Pen, professeur à l’Université Paris IX – Dauphine 190

11 h 30 – M. Christian Lajoux, président de LEEM – Les entreprises du médicament, et M. Claude Bougé, directeur général adjoint, M. Dominique Amory, président de LIR – Laboratoires internationaux de recherche – et président de Lilly France 195

24 septembre 2008 :

11 h 30 – Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative 204

ANNEXE 3 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

AUDITION DU 30 AVRIL 2008

Audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous entamons aujourdhui une série dauditions consacrées à notre nouveau thème détude : les affections de longue durée. Je souhaite la bienvenue à M. Didier Houssin, directeur général de la santé, première personnalité à être consultée sur ce sujet. Par ailleurs, je précise que Mme Anny Golfouse-Buet, rapporteure à la sixième chambre de la Cour des comptes, nous assistera dans nos travaux sur ce sujet.

Je rappelle, en outre, que la Mission dévaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale vient dadopter à lunanimité le rapport présenté par Mme Catherine Lemorton consacré à notre précédente thématique, la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. Ce rapport sera présenté tout à lheure devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, puis présenté à la presse, dont je salue les représentants présents aujourdhui.

Pourquoi sintéresser aux affections de longue durée (ALD) ? Parce quelles comptent pour une bonne part dans le défi sanitaire auquel notre pays est confronté. Ainsi, comme la rappelé Mme Catherine Lemorton dans son rapport, les dépenses liées aux ALD représentent 60 % des dépenses de lassurance maladie. Et les patients atteints daffections de longue durée, qui représentent 14 % des assurés, consomment à eux seuls la moitié des médicaments, en raison des pathologies lourdes dont ils sont affectés.

Sans attendre, je laisse la parole à notre rapporteur, M. Jean-Pierre Door.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les affections de longue durée sont en effet un sujet dont nous nous préoccupons depuis longtemps, car les statistiques montrent quelles tendent à tirer vers le haut lévolution des dépenses de santé. Ainsi, selon les derniers chiffres dont disposent les caisses dassurance maladie, la croissance des dépenses liées aux soins de ville est de 0,9 % pour les patients non ALD et de près 9 % pour les patients en ALD. Cela nous incite à nous poser certaines questions au sujet de lavenir de la protection sociale et de lorganisation de notre système de santé. Nous avons tous lu attentivement le rapport sur le bouclier sanitaire que MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard viennent de remettre à la ministre de la santé. Ce rapport, sur lequel je vous demanderai votre avis, confirme que la progression des dépenses de médicaments se concentre surtout sur les patients en ALD. Le constat est donc sans appel.

Aussi, jaimerais avoir votre sentiment sur ce sujet et savoir quelles seraient vos pistes de réflexion. Faut-il revoir la liste des ALD, qui sont aujourdhui au nombre de trente, sans compter les « hors-liste » ? Faut-il modifier les critères de sortie ou considérer quun patient doit être maintenu toute sa vie dans le système ? Dune manière générale, comment la direction générale de la santé est-elle impliquée dans la réflexion engagée sur la prise en charge des affections de longue durée ?

M. Didier Houssin : Les affections de longue durée représentent un problème délicat, peut-être le plus difficile de ceux auxquels nous sommes confrontés. Si améliorer la santé de la population est notre objectif prioritaire, il est également essentiel de rendre cette amélioration accessible à tous. Or lévolution du dispositif ALD rend plus délicate la conciliation de ces deux objectifs.

Je ne rappellerai que brièvement cette évolution, déjà présentée dans le rapport rédigé par MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard avec le concours de M. Pierre-Jean Lancry et dans nombre détudes récentes. Le dispositif, né avec la sécurité sociale, est marqué par une approche centrée sur les soins, héritière dune époque où la médecine semblait de nature à résoudre presque tous les problèmes. De fait, un système fondé sur une liste de maladies conduit à aborder la santé publique et sa dimension financière à travers le prisme de la médecine et du soin.

Il ny a cependant pas lieu de regretter cette option. Le système des ALD a représenté une évolution formidable. À une époque où la médecine était triomphante, il constituait la meilleure façon de prendre les malades en charge, et a permis de soigner des patients qui, autrement, nauraient pas pu lêtre. Une étude de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a montré quen 2004, le coût annuel de traitement dun malade était de 23 000 euros pour une néphropathie chronique grave, de 26 000 euros pour une hémophilie, de 16 000 euros pour une suite de transplantations dorganes, de 21 000 euros pour une mucoviscidose et de 17 000 euros pour une paraplégie – pour prendre les chiffres les plus élevés. Ce sont des coûts très importants, et sans une prise en charge totale, les victimes de ces pathologies de longue durée nauraient pu être soignées. Par ailleurs, certaines pathologies plus fréquentes et qui entraînent souvent la mort, telles que les affections cardiovasculaires ou les cancers, représentent un coût moindre par personne, mais beaucoup plus important à léchelle de la population. Il faut donc bien distinguer les affections qui se révèlent extrêmement coûteuses pour une personne de celles qui le sont pour la société. Ce ne sont pas les mêmes.

Le dispositif ALD est remarquable, mais il est victime de son succès. Les études prospectives montrent quen 2015, il pourrait concerner 12 millions de personnes et concentrer 70 % des dépenses d’assurance maladie remboursées. La question se pose donc de savoir si nous pouvons continuer ainsi ou si une réforme simpose.

Ma contribution à cette réflexion, particulièrement complexe et qui comprend une importante dimension économique, ne peut quêtre modeste et se limiter à tracer quelques pistes.

Première remarque : léquilibre financier de notre système dassurance maladie est un objectif majeur en termes de santé publique. Nous avons la chance de vivre dans un pays qui offre, malgré les limites et les fragilités du système, une certaine égalité daccès à la prévention et aux soins. Il est essentiel de conserver cet acquis, même sil tend aujourdhui à être remis en cause par des problèmes dinégalités territoriales ou de dépassements dhonoraires – ou même par linstauration de franchises, bien que leur niveau reste aujourdhui modeste. Quoi quil en soit, il convient de sinterroger sur la façon de pérenniser un système qui garantit globalement légalité daccès aux soins et à la prévention.

Deuxième remarque : une des faiblesses du système ALD est peut-être son approche centrée sur les soins. On laisse ainsi de côté des éléments déterminants, relatifs à lenvironnement ou au comportement, qui devraient faire lobjet dune prévention hors du système de soins. Beaucoup de choses se jouent avant même que se pose la question de laffection de longue durée. Les exigences de santé publique comme lapproche économique imposent daborder le sujet en amont.

Troisième remarque : lavantage du dispositif ALD, cest quil permet dès le début une prévention secondaire ou tertiaire, laquelle pourrait être compromise par une entrée plus tardive dans le dispositif. Si, comme il en a été question, nous modifions les critères dadmission en ALD, en particulier sagissant des affections cardiovasculaires, du diabète et de lhypertension, alors il conviendra de mettre en œuvre des actions de prévention au moins aussi efficaces que celles qui sont menées lorsque le patient bénéficie de la prise en charge au titre des affections de longue durée. On peut imaginer, par exemple, une consultation de prévention systématique.

Réviser le dispositif ALD, qui atteint peut-être ses limites, ne doit donc pas conduire à jeter le bébé avec leau du bain, car les apports de ce dispositif sont irremplaçables, en particulier pour les affections les plus coûteuses dont je citais à linstant des exemples.

M. Pierre Morange, coprésident : Que les choses soient claires : le propos de la Mission dévaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale nest en aucun cas de jeter lopprobre sur une catégorie de la population en raison des maux dont elle souffre ni de la désigner comme responsable du déséquilibre des comptes sociaux et sanitaires. Vous avez judicieusement souligné le caractère essentiel et novateur de ce dispositif, dont lorigine se confond avec celle de la sécurité sociale. Nous ne cherchons quà dresser létat des lieux et à établir des prévisions, afin den tirer les conséquences à court, moyen et long terme, sur le plan sanitaire comme sur le plan budgétaire.

En effet, en dépit des réformes successives dont a bénéficié le système de soins, la situation budgétaire reste critique. La laisser perdurer reviendrait à remettre en cause lexpression, en matière sanitaire, de principes fondamentaux de la République. Nous sommes unanimes à rappeler la nécessité de concilier qualité des soins, proximité et égalité daccès. Or M. Jean-Pierre Door a évoqué le rapport MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard sur le bouclier sanitaire, qui propose un véritable changement de paradigme. En effet, depuis lorigine de la sécurité sociale, on cotisait selon ses moyens et on recevait selon ses besoins. Dans un système de bouclier sanitaire, dès lors quun critère financier intervient pour définir le remboursement, on peut affirmer, en outrant quelque peu le propos, que lon cotise et reçoit selon ses moyens. Quel est votre sentiment sur ce sujet, sachant quun tel dispositif ne pourrait pas être opérationnel avant trois ou quatre ans, dans le meilleur des cas, compte tenu de la complexité des données à maîtriser et de la coordination qui sera nécessaire entre les différentes structures ?

M. Didier Houssin : Le dispositif ALD ne peut pas poursuivre deux lièvres à la fois. Il ne peut pas concourir à lamélioration de la qualité grâce aux protocoles et à lorganisation des soins tout en cherchant à résoudre les difficultés financières que nous connaissons et qui se poseront avec plus dacuité dans les années à venir. Le bouclier sanitaire relève, lui, dune approche essentiellement financière qui a le mérite dêtre assez simple. Je ne suis pas le mieux placé pour juger de sa faisabilité, mais je présume que ce sera difficile, surtout si le bouclier doit sexprimer en fonction du revenu, ce qui me semble légitime. La même somme na en effet pas la même valeur selon les revenus dont on dispose. Pour assurer une certaine justice, il convient donc de corréler le dispositif aux ressources disponibles, quitte à exonérer totalement les personnes dépourvues de revenus.

Toutefois, les difficultés techniques et le temps nécessaires à la mise en œuvre de ce projet ne doivent pas constituer un frein. Cest une solution séduisante, sans doute plus que celle qui consisterait à rechercher, par exemple dans le cas de lhypertension artérielle, le moment à partir duquel doit survenir ladmission en ALD.

M. Pierre Morange, coprésident : Les critères seraient impossibles à définir.

M. Didier Houssin : Compte tenu de la complexité de la médecine et de la diversité des êtres humains, ce serait en effet très difficile. Mieux vaut, sans doute, passer à autre chose, tout en conservant lesprit qui a présidé à la création du système ALD.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ce système est en effet remarquable, tant il est lexpression de la solidarité nationale. Mais la liste des pathologies concernées est très ancienne. Doit-elle être revue ? De même, faut-il redéfinir les critères dadmission en ALD ? Et les critères de sortie ? En tant quancien cardiologue, je sais que de nombreuses personnes ont été maintenues en ALD alors quelles auraient pu sortir du système. Dès lors, le « stock » de patients concernés ne fait que croître. Lorsque des patients vont mieux, lorsque laffection est stabilisée, ne devraient-ils pas se retirer du système de solidarité afin que dautres en bénéficient ?

M. Didier Houssin : Vous avez raison, et des tentatives ont dailleurs eu lieu en ce domaine. Ainsi, lordonnancier bizone est un moyen de distinguer les soins qui relèvent de la maladie exonérante de ceux qui en sont éloignés. Par ailleurs, il serait sans doute utile de sinterroger sur les critères de sortie du système ALD pour certaines affections, de même que lon sest posé la question pour ladmission, notamment sagissant du diabète ou de lhypertension. La difficulté est de définir des critères légitimes, compte tenu de la spécificité de chacune des situations. On peut donc essayer de mettre en œuvre les mesures que vous évoquez, et tenter de faire preuve de plus de discernement, au moins pendant la période transitoire qui nous sépare de la mise en place dun système plus juste et efficace. Déventuels ajustements, qui auraient pour motivation principale la nécessité de répondre à la situation financière, ne feraient que reporter le problème : il faudra bien, de toute façon, mettre en place un nouveau système tel que le bouclier sanitaire.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Aujourdhui, dans le système ALD, tout est intégralement pris en charge, y compris les médicaments à vignette bleue, qui ne sont en principe remboursés quà 35 %. Est-il logique de rembourser totalement des médicaments ou des actes qui ne sont pas indispensables au traitement de laffection de longue durée ? Certes, lordonnancier bizone est un premier pas, mais ne faudrait-il pas envisager une prise en charge séparée pour les médicaments à vignette bleue ?

M. Pierre Morange, coprésident : M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour lavenir de lassurance maladie, sinterrogeait ainsi sur lopportunité de reporter une partie des dépenses ALD, comme le forfait journalier, sur le secteur assurantiel, avec le risque que cela comporte dune inégalité entre les ménages, la dépense sanitaire pesant différemment selon le niveau de vie. Quen pensez-vous ? Vous pourriez me répondre que cest au politique quil revient de trancher la question, mais je vous demande votre avis en tant quexpert.

M. Didier Houssin : Mon sentiment est que lon peut imaginer de nouveaux moyens de distinguer ce qui relève de lALD et ce qui nen relève pas, ce qui serait légitime ou illégitime. Le risque auquel on sexposerait toutefois, cest celui de la complexité.

M. Pierre Morange, coprésident : Exact.

M. Didier Houssin : Le système de lordonnancier bizone nest déjà pas simple. Plus on entrera dans le détail, plus les choses se compliqueront.

M. Pierre Morange, coprésident : Je suis heureux de vous lentendre dire !

M. Didier Houssin : Cela ne veut pas dire que nous devons renoncer à limagination… Malgré tout, il y a une question de fond que lon ne peut éviter de se poser - et le rapport sur le bouclier sanitaire a ce mérite –, cest celle de savoir si lapproche ALD, toute formidable quelle soit, est viable dans les trente ans à venir. Personnellement, jai tendance à en douter.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Nous aussi. Nous aimerions sauvegarder le système, mais nous nous demandons comment faire.

M. Didier Houssin : Pendant un à cinq ans, on pourrait procéder à des ajustements, en faisant en sorte quils soient le mieux compris possible.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela serait-il suffisant pour répondre au défi que représente laggravation du déficit budgétaire ?

M. Didier Houssin : Je ne sais pas. Je nai pas la compétence nécessaire, ni une vision suffisamment globale pour répondre à une telle question, car trop de facteurs entrent en jeu. En revanche, si vous me demandez quelles sont les meilleures pistes à explorer – sans que je puisse en évaluer limpact financier –, je dirais que lon pourrait réexaminer les critères dentrée en ALD pour lhypertension artérielle et le diabète, à condition de préserver la fonction de prévention assurée par le système. De même, la question de la sortie de lALD mériterait sans doute dêtre explorée, notamment en matière de pathologie cardiovasculaire.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : En effet, un patient ayant subi un triple pontage peut, dans certains cas, être considéré comme tout à fait guéri, même sil doit suivre un traitement par aspirine. Il peut vivre ainsi pendant dix, quinze, vingt ans. Or il demeure en ALD de façon permanente. Ne pourrait-il pas en sortir, quitte à y revenir le jour où surviendrait un nouvel incident ?

M. Didier Houssin : On peut aussi se poser la question en matière de cancérologie.

Nous nous demandons déjà comment faire en sorte que des malades ayant subi des pathologies graves telles que cancers, affections cardiovasculaires ou par le VIH ne soient pas par la suite, pénalisés dans laccès au logement, à lassurance ou à lemprunt. Cela passe par une réflexion sur la notion de guérison, quil serait logique de relier à la question de la sortie de lALD.

Cest donc sur lentrée et la sortie de lALD que nous devons nous concentrer.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Mais faut-il tout prendre en charge ? Un patient en ALD ne devrait-il pas relever du régime de droit commun pour lachat de médicaments à vignette bleue, qui ne sont pas strictement indispensables, ou sagissant du transport sanitaire – lequel contribue largement à laugmentation des dépenses –, dès lors quil ne sagit que de se rendre à un contrôle de routine ?

De même, comment pourrait-on mieux responsabiliser les patients bénéficiant de lALD ? Souvent, lorsque lon évoque ce sujet de médecin à patient, la réaction est la même : « Jy ai droit ». Les caisses dassurance maladie ne devraient-elles pas leur adresser une information écrite rappelant les devoirs qui incombent aux patients bénéficiant de la solidarité nationale ?

M. Pierre Morange, coprésident : Il ne sagit pas dadopter un point de vue strictement comptable ni dimposer des contrôles tatillons mais de rendre le système plus souple, plus rationnel, de loptimiser, afin de dégager certaines marges de manœuvre. Je comprends que vous ne disposiez pas de toutes les données macroéconomiques nécessaires pour répondre à nos questions, mais ny a-t-il pas, au sein de votre ministère, des gens capables dévaluer, pour chacune des hypothèses que nous avons évoquées, le montant des économies possibles ?

M. Didier Houssin : Les marges de manœuvre les plus évidentes sont à rechercher dans les modalités dentrée en ALD pour les maladies cardiovasculaires, lhypertension et le diabète, et dans celle de sortie pour les cancers et les maladies cardiovasculaires. Ce sont des domaines où il vaut la peine de rechercher des ajustements. Mais quant à leur impact financier éventuel, je ne dispose pas dautres données que celles issues des rapports publiés. Il faudrait interroger les responsables de la CNAMTS ou de la direction de la sécurité sociale.

M. Pierre Morange, coprésident : Ils font partie des personnalités que nous avons prévu de recevoir.

M. Didier Houssin : Jen reviens à la question de M. Jean-Pierre Door. Beaucoup dassurés sétonnent de ne pas savoir combien ils coûtent à la société, contrairement à ce qui se passe dans certains pays comme les États-Unis, où lon peut connaître le montant exact des dépenses occasionnées. Il faudrait réfléchir au moyen de délivrer une telle information, même si cela peut, là encore, poser des problèmes techniques. La responsabilisation peut venir de linformation.

M. Pierre Morange, coprésident : Javais justement déposé un amendement sur ce sujet lorsque jétais rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en 2004. Mais il na pas soulevé lenthousiasme des membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – toutes tendances confondues, dailleurs. Une injection de rappel ne serait pas inutile, et je vous remercie dy contribuer.

M. Didier Houssin : Je ne prétends pas que leffet serait spectaculaire ni immédiat, mais cela pourrait représenter un moyen de responsabilisation.

M. Pierre Morange, coprésident : Bien entendu, cette information serait confidentielle et la personne concernée en aurait la totale maîtrise. Il ne sagit en aucun cas de stigmatiser certains patients.

M. Didier Houssin : Bien sûr. Mais la responsabilisation passe également par la prévention et par léducation, en particulier en direction des plus jeunes. Cela peut avoir une grande importance pour prévenir certaines affections cardiovasculaires ou certains cancers. Il sagit là dune politique à long terme, mais la prévention ne doit pas se limiter à la contrainte ou laction sur lenvironnement.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La responsabilisation, cest aussi celle des médecins, car ce sont eux qui déclenchent la prise en charge au titre de lALD. Selon moi, ils font bien leur travail, mais la qualité de linformation quils transmettent a une grande importance : cest en effet à partir du formulaire quils ont rempli que le médecin-conseil de la caisse dassurance maladie prend la décision de valider ou non les critères dadmission en ALD, en général sans voir le patient. Par la suite, un contrôle a lieu tous les deux ans. Cest un système qui, en 2008, peut apparaître un peu archaïque. Ne faudrait-il pas en revoir les modalités ?

M. Didier Houssin : La responsabilisation des médecins est effectivement un point très important. La difficulté, cest que leur position dans la société, la manière dont ils sont perçus et dont ils se perçoivent a évolué. Il y a quelques dizaines dannées, ils étaient plus en situation de donner quelque chose. Nombre dentre eux avaient dailleurs un comportement sacrificiel en travaillant sans compter, et cette manière dexercer leur métier, de traduire leur vocation leur garantissait lestime. Mais la situation a changé : aujourdhui, ils répondent à une demande. Linscription en ALD peut participer de ce phénomène : « jy ai droit », dit le patient. Tout ce qui permet de lutter contre cette tendance et de repositionner le médecin en tant qu« offreur » de santé ne peut qualler dans le bon sens.

Je pense aux vétérinaires, qui ont une double fonction : ils remplissent un rôle dordre privé, mais aussi une mission de service public. Il serait bon que les médecins jouissent dun statut comparable, quils soient responsables de la santé dune population, dun groupe de personnes.

M. Jean Mallot, coprésident : Mais comment ?

M. Didier Houssin : Le mandat de santé publique, institué par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, constitue un pas dans cette direction, mais ce nest quun début. Il faut approfondir la question, qui touche, bien sûr, à lexercice de la médecine ou au mode de rémunération.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Dans le cadre de lALD, les honoraires du médecin sont majorés : il touche un forfait annuel de 40 euros en contrepartie de la gestion du protocole de soins. Or lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous lavez noté, nous avons adopté une mesure permettant de forfaitiser les honoraires, de prévoir une rémunération spécifique pour un suivi du patient au long cours, dans le cadre dun réseau de soins. Cela concerne en particulier les affections de longue durée. Faudrait-il revoir ce système, en concertation avec les médecins ?

M. Didier Houssin : On pourrait lenrichir de façon à ce quil sarticule autour dune action de prévention. Dès lors, dispenser des soins ne serait pas, pour le médecin, la seule façon dexercer son métier.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Cela passe par une prise en charge plus globale du patient, qui ne se limiterait donc pas au remplissage dun formulaire.

M. Didier Houssin : Oui, une prise en charge globale de personnes, pas nécessairement de patients. Il sagit de mener des actions de prévention, dinformation, de dépistage ou de vaccination, avant même de prendre en charge une maladie si cest nécessaire.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Disposez-vous détudes comparatives sur ce qui se passe à létranger ? En Allemagne, le système ALD nexiste pas, car ils ont mis en place un bouclier sanitaire. Mais savez-vous ce quil en est en Angleterre ou dans les pays scandinaves ?

M. Didier Houssin : Non, mais je peux me renseigner.

M. Pierre Morange, coprésident : M. Jean-Pierre Door a évoqué le processus médico-administratif conduisant à ladmission dun patient en ALD. Pensez-vous que le médecin contrôleur devrait voir le patient avant de prendre une décision ?

M. Didier Houssin : À mes yeux, ce serait aller un peu loin. En revanche, lors de lévaluation des pratiques professionnelles des médecins – qui devrait constituer une pierre angulaire de notre politique de santé –, il faudrait porter une attention particulière à la prise en charge en ALD, au diagnostic ou à la validation des critères.

M. Pierre Morange, coprésident : Mais dès lors que le médecin a considéré la demande dadmission comme légitime, le reste ne devrait relever que de la gestion administrative. On peut donc se demander quelle est lutilité du médecin contrôleur dans la procédure.

M. Didier Houssin : Disons que, compte tenu du poids financier que représente la prise en charge des ALD, il serait légitime que chaque médecin sache où il se situe par rapport à ses confrères en termes de taux dinscription en ALD ou de sortie dALD. Ce regard extérieur sur sa pratique, qui pourrait être porté par la CNAMTS, permettrait de corriger déventuels comportements aberrants. Par ailleurs, jinsiste sur limportance de lévaluation des pratiques professionnelles.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Avant de terminer, jaimerais aborder la question du dossier médical personnel, le DMP, auquel jattache - comme vous, je crois – une grande importance. Nous avons proposé de relancer ce projet, et le rapport de la mission conduite par M. Michel Gagneux, membre de lInspection générale des affaires sociales (IGAS), remis fin avril à la ministre en charge de la santé, abonde dans notre sens. Le DMP étant loutil idéal de coordination des soins, il permettrait de mieux suivre les patients souffrant de maladies graves et chroniques. Il serait donc légitime que les patients en ALD constituent un public prioritaire lors de son expérimentation. La direction générale de la santé est-elle prête à accélérer le processus ? Je sais que Mme la ministre doit nous présenter ses conclusions à la fin mai, mais ce nest que dans un mois. Nous serions ravis de connaître dores et déjà votre avis sur ce sujet.

M. Pierre Morange, coprésident : Dautant que nos amis de la presse, ici présents, auraient ainsi un scoop !

M. Didier Houssin : Je me demande si le DMP na pas plutôt souffert, à un moment, dune accélération excessive plutôt que dun ralentissement. Quoi quil en soit, il sagit dun projet capital, qui semble repartir sur des bases plus réalistes. Dans la mesure où le système ALD est une marque de la solidarité nationale, il serait en effet légitime de rechercher tous les moyens den assurer le fonctionnement le plus juste et le plus efficace. À cet égard, le DMP serait certainement un bon outil, même sil existe de multiples difficultés et si beaucoup de temps sera sans doute nécessaire pour mettre en œuvre ce projet. À titre personnel, jy suis très favorable, mais je nai aucun scoop à vous apporter sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Comme vous, nous souhaitons que ce chantier démarre sans délai. Cest une orientation inéluctable.

M. Pierre Morange, coprésident : Merci, monsieur le directeur général.

*

AUDITION DU 15 MAI 2008

Audition de M. le Professeur Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé (HAS), M. François Romaneix, directeur, et M. Raoul Briet, membre du collège, président de la commission périmètre des biens et services remboursables (ALD).

M. Jean Mallot, coprésident : Nous accueillons aujourd’hui M. le professeur Degos, président de la Haute Autorité de santé, M. François Romaneix, directeur, et M. Raoul Briet, membre du collège, président de la commission périmètre des biens et services remboursables (ALD), qui a travaillé sur le bouclier sanitaire.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Merci, messieurs, de votre présence.

Monsieur le professeur, vous nous avez déjà communiqué une note concernant les affections de longue durée (ALD), sur lesquelles vous avez engagé depuis deux ans et demi un travail de réexamen que vous devriez conclure à la fin de cette année.

Dans cette note, vous avez retenu trois scénarios. Le premier consiste à actualiser sur le plan médical les critères actuels des ALD ; le deuxième à refaire complètement la liste des trente maladies avec les critères d’admission ; le troisième à procéder à une réforme d’ensemble, qui pourrait passer par la mise en place d’un bouclier sanitaire.

Pourriez-vous commenter ces trois scénarios et nous exposer les premières recommandations que vous pourriez faire dans le cadre d’une réforme du système des ALD ? Cette réforme pourrait concerner notamment le dispositif d’exonération du ticket modérateur ainsi que le suivi de la qualité de la prise en charge de ces maladies.

M. Laurent Degos : Ce sujet nous préoccupe depuis le début de l’installation de la HAS et M. Raoul Briet suit le dossier de très près.

Au 1er mai 2008, les guides ALD établis par la HAS et destinés aux médecins couvrent 67 % des ALD. Et en décembre, 87 % des ALD seront couvertes. Pourquoi pas 100 % ? Parce qu’il existe une myriade de maladies très rares, dont sont atteints une cinquantaine ou une centaine de patients, surtout parce qu’il y a des « hors liste » : la 31e et la 32e maladies, sans critères d’admission ni listes d’actes et de prestations.

En dehors de ces derniers cas, à la fin de l’année 2008, la HAS aura procédé à l’examen de l’ensemble des ALD de la liste et revu les critères d’admission ainsi que les listes indicatives des actes et prestations nécessités par leur traitement. Nous aurons également mis au point, ce qui n’était pas prévu, des guides médecins et des guides patients pour chacune des 30 ALD. Maintenant que ce travail est presque terminé, il est temps en effet d’ouvrir le débat.

À l’origine, on parlait de maladies de longue durée et coûteuses. Cependant, depuis 1986, le coût ouvrant droit à l’exonération du ticket modérateur n’est plus défini de façon directe. En 1945, la correspondance entre la longue durée d’une affection et son coût était évidente. Mais le progrès médical et l’évolution du coût des soins devraient conduire à dissocier le volet médical du volet financier de la prise en charge des ALD.

On aboutit aujourd’hui à une injustice sociale, dont il convient de discuter. Le nombre des personnes qui entrent en ALD progresse de 5 % par an. L’évolution du coût est facile à apprécier. Mais le nœud du problème est ailleurs : c’est l’évolution médicale, dont on parle assez peu.

D’abord, ce qui était chronique est devenu aigu ; ainsi la tuberculose et l’hépatite ne sont plus des maladies chroniques mais aiguës.

Ensuite, de plus en plus de personnes, notamment âgées, présentent des polypathologies, par exemple des rhumatismes chroniques, plus une dépression, plus un diabète, etc. On s’aperçoit déjà qu’il va falloir personnaliser et non plus faire entrer les malades dans une liste prédéfinie.

Enfin, quel est le début d’une maladie de longue durée ? Est-ce le fait d’avoir 1,2 g de glycémie ? Mais pourquoi ne pas prendre en compte ceux qui ont d’autres risques cardiovasculaires, comme ceux qui présentent une hypercholestérolémie, un tabagisme chronique, une obésité, etc. ? Est-ce la première manifestation clinique ? Mais quelle est la première manifestation clinique ? Ou inversement, l’hémochromatose qui se prédit dès la naissance ? Sans compter les diagnostics anténataux, avant la naissance, ou préimplantatoires, avant la vie ? On rencontre donc aujourd’hui une difficulté médicale à déterminer le début d’une maladie.

Une difficulté équivalente se pose pour la sortie d’une maladie, donc sa guérison. On peut dire qu’une maladie infectieuse est guérie, et encore… Pour un cancer, on parle plutôt de rémission.

Venons-en au parcours de soins du patient. Ce sont toujours des allers et retours entre des phases aiguës et des phases chroniques, des phases de guérison et des phases de rémission. Il faut donc penser différemment la prise en charge médicale et aller vers une prise en charge intégrée, réunissant tous ceux qui travaillent pour le patient, pluridisciplinaire, pluriprofessionnelle, qui implique le patient lui-même.

S’il est facile d’apprécier le coût d’une maladie, il est très difficile de définir la maladie elle-même. On est passé d’un problème financier, en 1945, à un problème médical, en 2008. Pour le médecin comme pour le patient, il faut essayer de trouver la meilleure prise en charge du patient. Il n’y a plus de correspondance avec la liste, il n’y a plus de notion d’entrée et de sortie de la maladie, il y a des maladies aiguës qui coûtent plus cher que des maladies chroniques, il y a des profils pluripathologiques, tout cela fait qu’il faut repenser totalement le système. Il faut plus de justice sociale. Il faut distinguer prise en charge médicale d’une part, financière et sociale d’autre part. Le protocole doit être à la fois médical et financier. Il faut donc personnaliser la prise en charge, à la fois médicale et financière.

Voilà pourquoi nous en sommes arrivés à ces trois scénarios : soit on réactualise cette liste, mais le système, on l’a vu, est illogique, injuste et aboutit à une mauvaise prise en charge ; soit on le révise, par exemple, en corrigeant l’illogisme de la prise en charge du risque cardiovasculaire. Mais les personnes concernées ne comprendront pas qu’on ne les prenne plus en ALD à 1,2 g de glycémie. Et si on prend tout le monde, il en résultera une surcharge pour les ALD. Le dernier scénario consiste à adopter un autre système, dissociant la prise en charge médicale et financière, qui constitue la base même de notre réflexion.

Il faut optimiser la prise en charge médicale, faire en sorte qu’elle soit intégrée c’est-à-dire pluridisciplinaire, pluriprofessionnelle, avec un patient acteur de sa santé, et rendre plus juste la prise en charge financière, pour que tous les citoyens aient le même reste à charge. Au-delà, il faut aussi assurer une prise en charge sociétale, en définissant la place du malade atteint de maladie chronique dans la société.

Pourquoi ne va-t-on pas dans cette direction, qui paraît logique ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à se détacher du passé ? Probablement parce que les médecins et les patients ont toujours en tête que, parce qu’il existe une prise en charge financière, on est bien soigné. Pour le collège de la HAS, une telle équation n’est pas valable. On peut être bien soigné pour une maladie aiguë, sans prise en charge financière à 100 %. D’ailleurs, pourquoi n’y aurait-il de guides médecins ou patients que pour les maladies de la liste ? Il en faudrait pour toutes les maladies. Avant d’aller plus loin, nous devons jouer auprès des professionnels et des patients un rôle fort d’éducation et d’information. Auparavant, un choix politique s’impose.

Une autre réticence vient des institutionnels, principalement des financeurs qui doivent contrôler les protocoles de soins concernant les maladies figurant sur la liste des ALD. Pour eux, c’est un moyen de mieux contrôler le risque. Tant que ce seul élément de diagnostic sera transmis aux caisses, celles-ci seront réticentes pour sortir du système existant.

Pour le patient, avoir un système de prise en charge médicale intégrée, c’est le futur. C’est pourquoi nous allons travailler à une éducation thérapeutique, à la personnalisation du soin, à des coopérations interprofessionnelles pour mieux prendre en compte le risque. C’est dans ce sens qu’il faudra passer de la prise en charge par liste à une prise en charge personnelle. Cela ira dans le sens de plus de justice sociale et d’une meilleure prise en charge médicale. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a publié un avis sur la prise en charge des ALD, au mois d’avril 2005. La Cour des comptes a publié une analyse sur ce même thème dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de septembre 2006. Enfin, MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard ont publié, au mois de septembre 2007, un rapport sur la dissociation de la prise en charge, qui envisage des scénarios de prise en charge financière plus juste et répondant de façon plus adaptée à la prise en charge sociale des personnes.

M. Raoul Briet : Ce qui fondait le système des ALD est devenu de plus en plus fragile. Il avait été construit pour éviter que des patients atteints de maladies longues et coûteuses ne puissent accéder aux soins en raison du coût élevé du ticket modérateur et de l’absence, à cette époque, de dispositif de protection sociale complémentaire. Mais on s’aperçoit aujourd’hui que le système fonctionne de manière très imparfaite : certaines personnes en ALD ont des restes à charge élevés, parce que leurs dépenses sur la partie des soins sans rapport avec leur maladie sont importantes ; d’autres personnes ont des restes à charge faibles, du moins sur une année, parce que leur maladie s’est stabilisée ; en dehors des ALD, une part importante des assurés subit des restes à charge élevés.

En empilant les dispositifs d’exonérations, de plafonnement, de tickets modérateurs, en restant sur la lancée du système économique des ALD, la situation n’est plus équitable. Le système ne remplit pas bien sa fonction première qui est de neutraliser tous les gros restes à charge, mais rien que les gros restes à charge.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quand vous parlez de l’empilement des dispositifs d’exonération, est-ce que vous y incluez celui concernant les ALD ainsi que les exonérations personnelles ?

M. Raoul Briet : J’y inclus les pensionnés militaires, les accidentés du travail, certains actes comme les K 50, etc. Si on n’a pas aujourd’hui de dispositif général et unique, à chaque fois qu’on met en place un dispositif de copaiement, qu’on l’appelle ticket modérateur, forfait ou participation, parce qu’on ne veut pas que ces participations aient des effets sociaux indésirables, on instaure des dispositifs de cantonnement, de plafonnement, de non-cumul qui rendent le système parfaitement illisible, peu responsabilisant et difficile à gérer. Il existe aujourd’hui une juxtaposition de mini boucliers par participation, mais pas de bouclier général qui s’attache à une personne.

L’idée toute simple du bouclier sanitaire est de laisser de côté les objectifs médicaux, qui doivent être traités par une voie autre que celle qui consiste à attacher une exonération à un dispositif particulier de prise en charge ; de créer un compteur unique, généralisé ; de déclencher l’exonération du ticket modérateur à partir du moment où un assuré aurait à sa charge un montant que l’on aura déterminé. De notre point de vue d’experts, M. Bertrand Fragonard et moi-même, ce montant devrait être modulé en fonction du revenu. Autrement dit, nous ne considérerions pas comme légitime et juste un bouclier uniforme, quel que soit le revenu de la personne.

M. Laurent Degos : Le troisième scénario est celui que nous préférons.

M. Raoul Briet : Le bouclier sanitaire est une manière comme une autre de dissocier prise en charge médicale et neutralisation des restes à charge.

M. Jean Mallot, coprésident : La liste a au moins l’avantage d’être délimitée et définie. Le troisième scénario suppose des bouleversements organisationnels. Dans ce cas, qui a le pouvoir de décision ?

M. Laurent Degos : S’agissant de la prise en charge médicale, il n’y a pas de changement. Pour l’instant, c’est toujours le médecin traitant, associé au spécialiste. Nous allons essayer de faire en sorte que le parcours soit davantage intégré, défini à partir des guides qui ne porteraient pas que sur ces trente maladies, mais sur toutes les autres. Le principe est d’étendre à toutes les pathologies la vision de la prise en charge intégrée des personnes. Aujourd’hui, le médecin prend en charge le patient, qu’il soit ou non en ALD. Pourquoi guider le médecin et le patient parce qu’il est sur la liste et pas les autres patients ?

Prenez l’exemple d’un protocole tripartite signé avec l’assurance maladie et réunissant médecins généralistes, assurés et assureurs. Les spécialistes et hospitaliers ne s’y retrouvent pas, alors qu’ils décident ; le généraliste qui signe considère qu’il ne connaît pas les détails des maladies rares d’un patient, en tout cas moins que les spécialistes et les hospitaliers, etc. De tels protocoles, tout comme l’ordonnance bizone, gênent le médecin traitant dans la pratique. Ils seraient supprimés et la prise en charge médicale serait simplifiée.

S’agissant de la prise en charge financière, on pourrait parler de curseur : à partir d’un certain montant de dépenses, la prise en charge serait totale. Certaines situations aiguës ambulatoires peuvent être très coûteuses.

M. Raoul Briet : Nous avons examiné les ALD une par une et nous avons essayé, avec les caisses d’assurance maladie, de mesurer les coûts qui s’attachaient à chacune de ces affections. Nous nous sommes alors aperçus que nous ne pouvions pas, de façon pertinente et bien ciblée, associer une définition de caractère médical – maladie et critères – au fait que, pour toute personne, à tout moment et selon ces critères, cette pathologie entraîne des dépenses élevées. Associer un dispositif de neutralisation financière à une liste de pathologies et de critères obligerait, soit à puiser trop largement dans la liste, soit à laisser de côté des personnes qui n’y figureraient pas.

Le dispositif du bouclier n’appelle pas de décisions individuelles, il est automatique. Actuellement, l’assurance gère déjà certaines formes de plafonnement, des copaiements, des franchises ou des participations. Il s’agirait donc de généraliser un tel dispositif, en lien avec les revenus.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Y a-t-il effectivement une grande variabilité financière en fonction du stade de l’ALD ?

M. Raoul Briet : En effet : selon les personnes, selon la date à laquelle on photographie leur situation, et de plus en plus souvent selon qu’elles présentent ou non une polypathologie. Les ALD évoluent avec le vieillissement de la population. Lorsque certains médecins conseil essaient, à juste titre, de sortir un patient d’une maladie en ALD, il arrive fréquemment que ce patient y entre à nouveau, pour une autre maladie. Il est difficile de gérer une ordonnance bizone pour une seule maladie. Mais pour plusieurs, cela devient impossible.

M. Jean Mallot, coprésident : Dans votre schéma, il y aura tout de même des guides, des critères dans une liste non fermée qui aideront à la décision. Il faut que vous nous en disiez plus sur l’organisation qui serait mise en place. Un bouclier sanitaire, en lui-même, ne réglera pas tout.

M. Laurent Degos : Aujourd’hui, nous établissons des listes très longues de médicaments, de prestations, d’actes possibles pour chacune des maladies. On peut tout oublier et dire, par exemple, qu’un diabétique peut être soigné de telle manière lorsqu’il a des problèmes ophtalmiques, cardiologiques, etc. Par ces recommandations de bonne pratique, on en revient à ce que nous faisions à l’origine. Voilà pourquoi nous avons complètement modifié l’organigramme de la HAS. Jusqu’à 2004, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) et l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) considéraient que les recommandations de bonnes pratiques étaient une fin. Aujourd’hui, la HAS considère que ces recommandations constituent le début de l’action. C’est à partir de là qu’on agit en disant au médecin ce qu’il doit faire, tout en ayant le moyen de contrôler, par le biais soit d’indicateurs au niveau des hôpitaux, soit de l’évaluation de pratiques professionnelles, soit de l’information délivrée et certifiée, soit des guides pour maladies chroniques.

L’avenir est beaucoup plus dans la bonne pratique personnalisée, intégrée à une coopération interprofessionnelle, et dans l’éducation thérapeutique, que dans le maintien de listes autour de l’idée que si l’on y figure, tant mieux, sinon, tant pis !

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : C’est un changement radical de philosophie et de pratique médicale. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a prévu la possibilité d’une rémunération différente en cas d’engagement individuel de bonne pratique du médecin.

M. François Romaneix : Nous pouvons agir à partir de trois piliers : d’abord, les actions développées par la HAS, notamment les recommandations de bonnes pratiques, qui s’appliquent à l’ensemble des patients, qu’ils soient ou non en ALD, ou l’évaluation des pratiques professionnelles qui est un moyen d’agir sur le terrain ; ensuite, les actions conduites par l’assureur, en particulier l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), comme les contrats individuels qui s’appuient sur des recommandations de la HAS ou sur des actions conventionnelles ; enfin, l’organisation du système de soins, notamment de proximité. Ces trois éléments doivent évoluer parallèlement pour se rejoindre.

M. Laurent Degos : Il faudra mener une réflexion sur ces contrats, notamment pour qu’ils ne chevauchent pas trop l’évaluation des pratiques professionnelles qui vise à l’amélioration de la qualité.

M. Jean Mallot, coprésident : C’est en effet un changement d’approche assez prononcé. Je suppose que vous avez réfléchi, au plan institutionnel, à l’articulation des tâches des uns et des autres ?

M. Laurent Degos : Nous avons des relations plus formalisées avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). Lorsque l’on parle de prise en charge, on entend à la fois la prise en charge thérapeutique et la prise en charge du dépistage, qui relèvent de notre compétence, et la prise en charge de la prévention et de l’éducation thérapeutique, que l’INPES appelle « éducation en santé ». Nous avons rédigé des guides et des manuels communs et nous travaillons avec l’institut lorsque des actions publiques de prévention sont menées.

Nous travaillons aussi avec la direction générale de la santé (DGS). Nous avons mené un travail intégré sur l’infarctus du myocarde. Nous faisons de même sur les accidents cardiovasculaires (AVC). Dans les deux cas, il s’agit de gagner le maximum de temps, c’est donc un problème d’organisation.

Pour les maladies chroniques, l’idée est la même : intégrer tous les chaînons qui permettent de prendre en charge une personne. L’avenir est bien de personnaliser le soin de façon intégrée, en ne pensant plus ni aux listes, ni aux correspondances liste et coûts, etc.

M. Pierre Morange, coprésident : Et avec l’assurance maladie ?

M. Laurent Degos : Le positionnement essentiel, existentiel de la HAS est d’être « entre », « en alliance », « avec », mais pas dans la dépendance d’un décideur ou d’un financeur – comme des patients ou des industriels. Au niveau institutionnel, en matière d’aide à la décision, il faut absolument que nous soyons entre les deux.

NICE (National Institute for clinical excellence), notre équivalent anglais, fait actuellement partie du NHS (National Health Service). Il est en grande discussion pour faire en sorte, au mois d’août, d’être indépendant comme nous le sommes. IQWIG (Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen), notre équivalent allemand, n’appartient ni à l’un ni à l’autre. Mais on lui reproche d’être trop affilié aux assureurs.

L’avenir appartient à ces agences régulatrices, indépendantes, européennes, dont la HAS est un modèle, grâce à vous. Indépendance ne signifie pas faire n’importe quoi. Mais il ne faut pas que sa réflexion et son expertise soient critiquées parce qu’elles auraient été menées conjointement avec un décideur ou avec un financeur.

M. Pierre Morange, coprésident : Le Parlement est extrêmement soucieux de cette indépendance. Malgré tout, des stratégies communes ne seraient pas absurdes.

M. Laurent Degos : C’est ma demande depuis les débuts de la HAS. Quelles sont les grandes priorités nationales auxquelles nous pourrions travailler ensemble, le décideur-financeur et nous-mêmes, en tant que conseillers ?

Au bout de deux ans et demi, nous avons choisi des priorités : les personnes âgées et les maladies cardiovasculaires, en y incluant l’obésité. Ce n’est pas en prenant cent médicaments par jour que les personnes âgées iront mieux. Quant aux maladies cardiovasculaires, notamment l’infarctus et les accidents vasculaires cérébraux (AVC), elles constituent une troisième maladie prioritaire, avec les cancers et la maladie d’Alzheimer, qui sont maintenant bien pris en charge. Après avoir travaillé à des soins intégrés pour l’infarctus, nous faisons de même pour les AVC.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle est la position de l’assureur ?

M. Laurent Degos : Il n’y voit pas d’inconvénient. En effet, c’est surtout l’hôpital, qui prend très vite en charge ces personnes, qui est concerné. Or l’assureur ne sait pas très bien ce qui s’y passe.

Cela dit, nous travaillons beaucoup plus en collaboration et en concertation avec la direction générale de la santé (DGS) et la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS), en apportant des conseils par le biais de l’évaluation des pratiques professionnelles. Mais il faut que cela se traduise, pour les patients, en termes de résultats cliniques. Chaque fois que nous entreprenons quelque chose, nous mettons à la fin un registre, une mesure pour pouvoir apprécier toute amélioration. C’est ainsi que vous disposerez des résultats annuels de chacune de nos actions.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : En deux ans et demi, vous avez déjà émis des avis sur les ALD, sur leur définition, des recommandations sur la prise en charge, les prestations, sur les critères d’admission. Tout ceci a-t-il été suivi d’effets ?

M. Laurent Degos : Nous avons fait le travail qui nous était demandé, qui était de revoir les périmètres et les critères d’admission en ALD ainsi que les listes des actes et prestations nécessaires au traitement des ALD. Cela a-t-il été suivi d’effets ?

Nous avons eu quelques petites difficultés avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), qui nous a reproché d’avoir mis des produits hors autorisation de mise sur le marché (AMM) dans des listes. Nous avons répondu que nous l’avions fait parce que les médecins utilisaient de tels produits pour telle ou telle maladie. Maintenant, nous envoyons à l’AFSSAPS toutes nos recommandations de listes, qui nous les renvoie, etc. Un échange a donc lieu.

Le payeur nous a dit que nous étions laxistes. Mais, dans chaque comité ou commission, il y avait à la fois des praticiens et des représentants de patients. En tant que Haute Autorité de santé, nous sommes là pour écouter tout le monde et pour que tout le monde s’entende.

Il y a des sujets dont on peut discuter. Par exemple, doit-on mettre dans ces listes des médicaments remboursés à 35 %, qui sont considérés comme d’intérêt mineur ou seulement des médicaments remboursés à 100 % ? Les laxatifs sont des médicaments indispensables pour les paraplégiques ; ce n’est pas pour autant qu’ils doivent être pris en charge à 100 % pour toute ALD. De même, des médicaments hors AMM comme les crèmes solaires, sont indispensables pour les xéroderma pigmentosum. Tout cela suppose une vraie réflexion, que nous a d’ailleurs demandée Mme la ministre en charge de la santé. Nous vous en donnerons les résultats prochainement.

M. Raoul Briet : Tout le travail qui a été conduit depuis près de trois ans sur les ALD ne se limite pas à la recommandation de la HAS de décembre 2007 qui propose trois scénarios. Pour la quasi-totalité des ALD, nous avons répondu à la demande, à savoir : définir la liste des actes et des prestations qui sont en rapport avec la maladie, de manière à donner à l’assurance maladie les outils médicalement et scientifiquement légitimes pour gérer l’ordonnance bizone, qui permet de distinguer les prescriptions en rapport ou non avec une ALD.

Nous avons profité de l’occasion pour essayer de donner un fil directeur au médecin, un guide qui lui permette de rassembler les éléments clés de la bonne prise en charge médicale de la pathologie concernée. Nous avons également édité, pour certaines pathologies, des guides patients, ces derniers ayant un rôle essentiel à jouer dans les pathologies chroniques. C’est l’assurance maladie qui diffuse ces guides.

Nous nous sommes donné comme objectif, pour la fin de l’année, de faire remonter, dans le cadre du suivi des AMM, mais aussi par les associations de patients et par les représentants des professionnels de santé, les éléments permettant de mesurer l’impact, dans la vraie vie, de nos listes, de nos guides médecin et de nos guides patient.

C’est un changement important, même si cette dynamique a du mal à se mettre en route, compte tenu du nombre des personnes concernées ; des centaines de milliers de personnes entrent en effet chaque année en ALD. La loi du 13 août 2004 avait posé le principe d’un protocole médical « individualisé ». Nous nous contentons de fournir le socle commun. Nous disons au médecin traitant, avec l’accord du médecin conseil, qu’il peut adapter le protocole de base en fonction de la situation des personnes. Bien sûr, il est difficile d’appliquer une mécanique aussi ambitieuse à un traitement de masse. Il est difficile de faire du sur mesure et d’actualiser régulièrement le protocole.

M. Laurent Degos : Nous n’avons pas de données sur ce sujet. Cela demande du temps pour les collecter.

M. Raoul Briet : Nous commençons à en rassembler. L’assurance maladie y travaille. Et, d’ici à la fin de l’année, nous essaierons de mettre en face ces matériaux. Mieux vaut disposer de chiffres que se contenter d’exprimer des avis ou des intentions.

Le premier objectif est de simplifier la vie du médecin traitant. Il existe maintenant des références indiscutables pour l’établissement des protocoles d’ALD. Cet élément est considéré par principe comme légitime par le médecin conseil. C’est une forme de standardisation, qui peut faciliter la vie quotidienne des médecins traitants comme des médecins conseil.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous souhaitons vivement que les logiciels d’aide à la prescription deviennent obligatoires et soient certifiés dans un délai très bref, de moins d’un an. Dans le cadre des études d’impact que vous avez réalisées, avez-vous pu en apprécier les résultats en termes de dépenses ? Est-ce l’assurance maladie qui s’en chargera ?

M. Laurent Degos : Prenons l’exemple de la prise de psychotropes par les personnes âgées. 25 administrations se sont retrouvées autour de la table pour y travailler. Chacune, comme l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l’INPES, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), etc. a apporté ses tableaux de résultats et l’on a fait un tableau général. Il s’agit d’un tableau médical qui montre l’évolution et l’évaluation médicale de cette prise de psychotropes par les personnes âgées, que ce soit pour l’insomnie, l’anxiété, la dépression, les troubles du comportement, etc. Pour notre part, nous nous en tenons là. Mais je pense que la CNAMTS y a déjà travaillé et a développé des logiciels pour voir si les personnes concernées s’étaient arrêtées de prendre, deux, trois ou quatre psychotropes…

M. Pierre Morange, coprésident : Vous n’en êtes qu’au stade de la supposition ?

M. Laurent Degos : Nous avons élaboré ces tableaux de bord médicaux communs à toutes les administrations.

M. Pierre Morange, coprésident : Utilise-t-on, au travers des différentes structures que vous venez d’évoquer, les mêmes paramètres de langage statistique ?

M. Laurent Degos : Ce fut un travail prospectif et « prototypaire » qui a abouti assez rapidement, en une année, à un tableau de bord commun, malgré quelques réticences quant au partage des données. Chacun en possède un peu, qu’il doit mettre en commun pour qu’on puisse y voir clair quand on mène une action. Pour l’infarctus du myocarde, nous établissons des registres avec le service d’aide médicale d’urgence (SAMU), les cardiologues et d’autres. Tout dépend du sujet.

Jusqu’à présent, on manquait de données et on ne savait pas quel était l’impact des mesures. Aujourd’hui, chaque fois qu’une action est menée, la HAS cherche à en mesurer l’impact. Pour les ALD et le suivi des listes, c’est avec les caisses d’assurance maladie qu’on pourra apprécier cet impact.

M. Gérard Bapt : Je n’appartiens pas à la MECSS, mais je préside une mission d’information sur l’exonération des cotisations sociales. Lors de nos travaux, nous avons abordé la question de la « barémisation » des cotisations, c’est-à-dire l’intégration des exonérations dans le dispositif même de cotisations sociales, lesquelles pourraient être modulées en fonction du salaire. Lors des auditions, nous avons senti une forte réticence, notamment de la part des représentants syndicaux, en particulier de ceux qui sont censés représenter les classes moyennes, à l’égard une telle proposition. En effet, une bonne partie des classes moyennes pourrait cotiser davantage tout en ayant peu recours à l’assurance maladie. On a envisagé par ailleurs de coupler le reste à charge aux revenus. Ne risque-t-on pas qu’une certaine catégorie de population se détourne du système de protection solidaire et essaie de trouver, sur le plan européen, d’autres types d’assurance ? Quelle sera la réaction des partenaires sociaux et de la mutualité ? Lorsque l’on parle de reste à charge, on pense en effet aux assurances complémentaires.

M. Raoul Briet : S’agissant de la prise en compte des revenus, il faut ramener les choses à leur juste place. Il n’est pas question de moduler les remboursements en fonction des revenus mais de déterminer un niveau à partir duquel les personnes accéderaient à l’exonération du ticket modérateur. On fixerait un seuil d’accès aux 100 %, qui ne serait pas le même selon que vous gagnez, une, deux ou trois fois le SMIC. Dans un tel schéma, tout le monde continuerait à bénéficier du premier remboursement quel que soit son niveau de revenus, et demeurerait dans un système solidaire ; la grippe du cadre dirigeant serait remboursée comme celle du bénéficiaire de la couverture maladie universelle (CMU).

Selon moi, un tel système est un peu plus solidaire que le précédent. Aujourd’hui, sur 100 euros de dépenses, 75 sont pris en charge par l’assurance maladie obligatoire, 25 par les ménages ou les complémentaires. Le financement des 75 % prend en compte les revenus. Mais le financement des 25 % restant ne prend pas en compte les revenus. Les restes à charge sont quant à eux à peu près les mêmes en valeur absolue quel que soit le niveau de revenus. Cela signifie qu’ils sont d’autant plus importants (en taux d’effort demandé aux assurés) que les revenus sont faibles. Un dispositif de type bouclier sanitaire prenant en compte de manière un peu exceptionnelle le niveau de revenus signifierait qu’on introduirait, dans cette fraction de la dépense qui reste à charge, une certaine forme de prise en compte des revenus lorsqu’il s’agit de dépenses remboursées par l’assurance maladie obligatoire. Ce ne serait pas une remise en cause systématique et générale du système, mais une gestion différente de la part qui reste à charge. Les systèmes belge et allemand ont également des dispositifs de plafonnement du reste à charge, qui sont dans les deux cas liés aux revenus.

Il faut remarquer enfin que la plupart des systèmes qui ont des dispositifs de copaiement ont également des dispositifs de plafonnement. Nous en avons nous-mêmes, par strates, mais notre système n’est ni général ni universel. Instituer le bouclier conduirait à un dispositif unifié, généralisé de ces restes à charge, au lieu d’une juxtaposition peu lisible et peu juste des plafonnements.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Qu’en est-il au niveau international ?

M. Laurent Degos : Au Japon, le plafonnement est mensuel.

M. Raoul Briet : Il y a quelques mois, nous avons publié une étude comparant les dispositifs de ticket modérateur ou de restes à charge dans quelques pays. On y trouvait souvent des formes de plafonnement. La caractéristique française réside dans le lien très fort qui est fait entre une pathologie et une exonération. Notre pays est sans doute le seul à utiliser de manière aussi marquée des critères médicaux pour définir des critères d’exonération ou de neutralisation des restes à charge.

M. Pierre Morange, coprésident : La notion de reste à charge est au cœur de la réflexion sur le bouclier sanitaire. On ne pourra pas faire l’économie d’un débat à ce propos dans le cadre de la prise en charge de la dépendance, dont l’impact financier est très important et qui concerne aussi bien le patient que la famille au sens large.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie.

*

Audition de M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.

M. Jean Mallot, coprésident : Monsieur le Président, je vous souhaite la bienvenue et je vous pose sans plus tarder une première question : quelles sont les réflexions du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie quant au système de prise en charge des affections de longue durée, les ALD ?

M. Bertrand Fragonard : À ce sujet, nous avons adopté, en avril 2005, un avis que je trouve encore excellent, très actuel. L’idée sous-jacente aux ALD reste robuste. Dans notre système, lorsque les dépenses de santé d’un assuré social excèdent un certain montant, la gratuité des soins est garantie. La prise en charge des ALD constitue une illustration importante de ce principe, tout comme l’exonération dite « du K50 », applicable aux soins hospitaliers dès qu’ils sont un peu lourds, hormis la petite franchise instaurée il y a quelques années. Le régime des ALD a représenté un progrès considérable dans l’accès aux soins. Le Haut conseil n’envisage aucunement d’explorer l’hypothèse brutale de sa suppression. Cela reviendrait au demeurant à déverser sur les complémentaires un montant massif, concentré sur les personnes âgées, avec un système de compensation de solidarité. Le Haut conseil a jugé qu’une réforme des ALD ne saurait aller jusqu’à la casse du concept, à l’instar du forfait hospitalier de 18 euros, qui ne remet pas en cause le principe de l’exonération dite « du K50 ». En réalité, la croissance des ALD ne doit pas être déplorée mais constatée, ce n’est pas un échec mais une donnée : si le nombre de diabétiques augmente, il convient de les soigner correctement et d’assumer la dépense. Si les dépenses liées aux ALD progressent, c’est aussi le cas des dépenses liées aux autres affections, même si leur rythme de croissance est un peu moins rapide.

D’où vient le débat ? Plus que d’autres dispositifs, cette exonération est soumise à une indication médicale. Dans la mesure où les restes à charge – RAC – assumés par les malades non éligibles au dispositif des ALD sont élevés, ne serait-il pas plus équitable de se détacher de la condition médicale ? Mais quelles seraient les conséquences financières de ce changement ? Dès 2005, sans employer l’expression « bouclier sanitaire », nous avions évoqué l’idée d’un mécanisme financier unifiant les prises en charge sur la base d’un plafonnement durable. Le système actuel semble rationnel de loin mais recèle en réalité nombre d’excroissances, de failles et de disparités, notamment des RAC excessifs dans certaines situations. Plusieurs centaines de milliers d’assurés seulement sont frappés mais l’éthique du système s’en trouve entachée. Il ne faut pas négliger non plus les dépassements d’honoraires, devenus l’un des problèmes majeurs de l’assurance maladie.

Pour supprimer les disparités, il existe deux voies : modifier le périmètre de l’ALD pour ne plus protéger que les maladies véritablement longues et coûteuses ; substituer le concept de bouclier sanitaire à celui d’ALD. Dans la première hypothèse, il appartiendrait à la Haute Autorité de santé, la HAS, puis aux autorités de tutelle de définir le cercle béni des ALD. Mais trier entre les maladies serait extrêmement difficile : choisir entre les diabètes ou faire sortir du régime des ALD les malades stabilisés supposerait une énergie politique considérable. La tendance est plutôt à allonger la liste des ALD. Le Haut conseil a d’ailleurs approuvé l’opposition de la HAS à un classement en ALD de toutes les maladies orphelines ou rares.

Finalement, même si des progrès étaient enregistrés dans le tri entre maladies, l’instauration du bouclier serait pertinente car c’est le seul processus rationnel. C’est la conclusion de notre rapport, qui, je le reconnais, a créé quelques perturbations. Deux questions se posent : faut-il mettre en place un bouclier ? Doit-il prendre en compte les revenus ? Cette nouvelle approche, pour pertinente qu’elle soit, ne révolutionnera pas la réalité sociale : nos dépenses augmentent parce que nous détectons les maladies plus rapidement et parce que nous les soignons mieux. C’est d’ailleurs pourquoi le système doit être revu périodiquement. Il n’en reste pas moins qu’une réforme supprimant le concept d’ALD sans lui substituer le bouclier ne saurait faire l’objet d’un consensus au Haut conseil car presque aucun ménage ne pourrait supporter les dépenses liées à certaines maladies.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ne faudrait-il pas dresser des tableaux comparatifs et mener des expérimentations afin d’obtenir des gains permettant de conserver le système des ALD en révisant leur carte ? Tout le monde est d’accord pour une réforme mais personne n’a jamais fait de propositions précises.

M. Bertrand Fragonard : Beaucoup de temps a été nécessaire pour affiner l’analyse de la structure et la chronologie des dépenses liées à chacune des ALD mais cette base documentaire est désormais disponible. De là à prendre la décision de réviser les ALD, le saut logique et politique est considérable. Je ne peux qu’encourager les responsables, notamment la HAS, à aller dans ce sens, mais ils se heurteront forcément à des difficultés politiques car ce sera vécu comme une régression. Songez au temps qu’il a fallu au Gouvernement pour déclasser certains médicaments ! Les enjeux sont sans commune mesure pour les ALD, qui représentent des sommes bien plus significatives.

J’ajoute que, dans notre rapport, nous soulignons la pertinence du bouclier pour les ALD comme pour les autres affections. Il est paradoxal qu’un pays consacrant autant d’argent à la prise en charge accepte des RAC avant dépassement aussi élevés. La réflexion sur la prise en charge ne doit pas s’arrêter aux ALD et les arbitrages doivent s’étendre aux dépassements.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Comment peut-on empêcher les départs de médecins de certaines régions tout en luttant contre les dépassements d’honoraires ou les autres solutions de contournement ?

M. Bertrand Fragonard : Le bouclier n’aurait pas pour objet de traiter les dépassements d’honoraires mais uniquement la dépense reconnue. Il serait donc politiquement erroné de considérer le problème réglé une fois le bouclier institué. Le problème des dépassements est concentré géographiquement sur quelques spécialités mais généralisé en ce qui concerne l’optique, le dentaire ou les audioprothèses et il devient fréquent dans les établissements de santé, notamment pour la prothèse de hanche ou la chirurgie du cristallin. Les dépassements atteignant aujourd’hui un montant global de 10 milliards d’euros, le problème ne peut être réglé par un coup de baguette magique.

C’est pourquoi le Haut conseil a préconisé de commencer par le plus urgent : les dépassements dans les établissements de santé, qui s’élèvent à 500 millions d’euros seulement. Une deuxième vague pourrait concerner certaines prestations comme les audioprothèses. Et nous mettrions en troisième priorité les dépassements courants en soins de ville, chez le dermatologue ou le cardiologue.

Notre rapport de 2007 a conclu qu’il sera extrêmement difficile de maintenir un taux de prise en charge aussi élevé si la dépense réelle continue de croître plus rapidement que le PIB. Il faudra donc bien un jour hiérarchiser les prises en charge. La réflexion sur les ALD doit être intégrée dans ce cadre plus général.

M. Gérard Bapt : Outre les audioprothèses, un gros effort devra être accompli en matière de prévention et de dépistage du bruit au travail comme dans la vie quotidienne.

Il s’avère très difficile non seulement de définir les ALD mais aussi d’envisager les conséquences sociales ou politiques d’une réforme du système, si ce n’est que les économies possibles seraient marginales. Les efforts doivent davantage porter sur la prise en charge individuelle, l’observance et la réduction des inégalités sociales.

M. Bertrand Fragonard : Il n’existe pas de montants marginaux. Même si les très grands ordres de grandeur ne seraient pas bouleversés, le déclassement du diabète ou d’une autre ALD entraînerait des économies significatives : ce ne sont pas des milliards d’euros qui sont en jeu mais des centaines de millions. Qu’une réforme soit envisagée ou non, l’idéal est de traiter au mieux chaque ALD, quel que soit son niveau de prise en charge. Le concept d’ALD prévoit d’ailleurs que la prise en charge soit assortie d’un suivi de la maladie. L’abandon du système des ALD aurait deux conséquences : les RAC seraient banalisés et la HAS devrait imaginer d’autres marqueurs.

Le passage au bouclier ne révolutionnerait pas le concept d’ALD car cela n’influencerait ni le nombre de diabétiques ni les dépenses liées à leur maladie. En revanche, si des marges de manœuvre sont dégagées et affectées à l’élimination de RAC abusifs sur d’autres maladies, ce sera gagnant-gagnant. L’audioprothèse, par exemple, représente un petit marché, du même ordre de grandeur que celui du diabète de type 2, dont le déclassement est souvent évoqué. À âge égal, les problèmes d’audition sont étroitement corrélés aux revenus. Or le taux d’équipement en audioprothèses est beaucoup plus faible parmi les personnes très modestes, pourtant les plus exposées aux nuisances sonores, tout simplement parce que les RAC sont très élevés. Pour l’optique, c’est différent : malgré le niveau des RAC, tout le monde finit par s’équiper d’une paire de lunettes car il est impossible de vivre sans. La prise en charge des ALD étant assurée à hauteur de 90 %, il est légitime de réduire ce taux en douceur afin d’abaisser les dépenses de santé ou de réaffecter les économies, soit en faveur d’autres segments de soins, soit en faveur, par exemple, de la politique familiale.

Ma vision reste cependant optimiste car notre système de solidarité, en dépit de ses déséquilibres, demeure parmi les plus beaux et les plus intelligents qui soient. Nous cherchons simplement à agir aux marges pour améliorer sa gestion.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Il semble que le bouclier sanitaire aurait pour effet d’éviter l’empilement des exonérations. Néanmoins, une fois le reste à charge annuel atteint, le patient pourrait dépenser sans compter.

M. Bertrand Fragonard : C’est déjà le cas, cela n’a aucun rapport avec le bouclier sanitaire ! En France, hormis les assurés ne possédant pas de complémentaire – soit 8 % de la population, catégorie qui est plutôt victime de manque de soins –, il n’existe aucun frein. Le risque de consommation débridée n’est donc pas inquiétant.

M. Jean Mallot, coprésident : La régulation du système est reportée sur l’aval. Quels mécanismes permettraient de résister à cette tendance ?

M. Bertrand Fragonard : Il n’y a pas à choisir entre l’amont et l’aval. Que l’aval soit bien fait constitue déjà un progrès. La qualité des soins accuse-t-elle un déficit majeur en amont, notamment en ce qui concerne la prévention ou la maîtrise médicalisée ? Oui, de même que l’hôpital. Le Haut conseil ne s’est pas hasardé à chiffrer le gain possible mais chacun sait que la gestion du système peut être améliorée. Derrière ce système, 2 millions de professionnels travaillent. Une réforme ne peut donc être conduite qu’avec lenteur. Mais nous sommes engagés dans une course de vitesse contre la croissance des dépenses. Les progrès enregistrés sont d’une ampleur moyenne alors que la dérive du système atteint 3 milliards par an. Des pistes commencent à apparaître pour améliorer la prévention mais leur conséquence sur les comptes reste un mystère. La prévention ne doit pas être conçue comme un outil pour contenir la dépense mais comme un moyen de mieux soigner les gens. De ce point de vue, les bons interlocuteurs sont la HAS et l’UNCAM – l’Union nationale des caisses d’assurance maladie –, ainsi que le corps médial ; ce n’est pas un problème administratif.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Avez-vous débattu de ce problème d’amélioration de la prise en charge avec les professionnels de santé ?

M. Bertrand Fragonard : Il ne faut pas prêter au Haut conseil des vertus qu’il n’a pas. Notre fonction est de rapprocher les analyses assez en amont afin de mieux comprendre le système. Un consensus s’est dégagé à propos de la perspective de trier dans les ALD, et les syndicats de médecins et de professionnels de santé ont voté cet avis, tout en jugeant absurde un déclassement du diabète. L’idée du bouclier n’est pas apparue à la suite de l’annonce des franchises médicales, comme une sorte de contrepartie, mais quatre ou cinq mois auparavant, dès avril 2005.

Ayant conseillé plusieurs ministres, je préconise la modestie. Je mesure l’extrême difficulté à faire bouger l’assurance maladie car cela touche à la vie des professionnels et des malades.

M. Pierre Morange, coprésident : Le délai de mise en œuvre des solutions préconisées s’inscrit dans le moyen terme alors que l’agenda budgétaire est annuel. Dans un rapport de 2007, vous vous interrogiez sur le degré de la prise en charge de l’assurance maladie. Avez-vous progressé sur ce sujet, sachant qu’un point d’assurance maladie obligatoire représente 5 milliards d’euros ?

Pour le bouclier sanitaire, deux options seraient possibles : la prise en compte ou non des revenus. Qu’en pensez-vous ?

M. Bertrand Fragonard : Le Haut conseil est l’une des rares institutions à avoir consacré une séance de travail au thème du bouclier, qui ne suscite guère d’enthousiasme. Trois problèmes centraux se posent.

Premièrement, les assurances complémentaires n’aiment pas le bouclier.

Deuxièmement, des paramètres financiers doivent être fixés et, si un bouclier est créé, il n’est pas exclu que, dans l’avenir, le plafond soit relevé pour soulager les comptes. La tendance naturelle de l’assurance maladie est d’accroître sa participation, tout simplement parce que les soins sont exonérés. Toutes choses égales par ailleurs, le taux d’engagement de la sécurité sociale a toujours monté ; il ne se stabilise que lorsque des coups de canif sont donnés aux remboursements. Un bouclier ne changera pas la donne financière – il faudra toujours compenser les tendances haussières – mais il deviendra beaucoup plus facile de réguler le système qu’avec les ALD.

Troisièmement, si ce changement de paradigme intervient, il faudra examiner l’opportunité de tenir compte du revenu. Si le Haut conseil avait voté sur ce point, je pense que j’aurais été minoritaire et que la réponse aurait été négative. Il faut comprendre que l’assurance maladie est vécue par beaucoup comme l’acquis le plus considérable depuis 1945, le dernier bastion, et que l’on s’est habitué à ce que les remboursements ne tiennent pas compte du revenu. Introduire cette notion, même à la marge, constituerait un choc. Le choix est purement politique et la question doit être posée. En effet, faute de prise en compte du revenu, il faudra accepter des recettes supplémentaires ou une baisse des remboursements pour tout le monde. Le plus facile est d’accroître le ticket modérateur, mais le remboursement est renvoyé aux complémentaires, ce qui met la pression plutôt sur les personnes âgées et les personnes modestes. Une autre solution consiste à créer des franchises, problème qui n’a pas été bien compris. Quelle que soit la formule, il est possible de tenir compte du taux d’effort des ménages. Si le ticket modérateur était complètement supprimé et si les ALD étaient réintégrées dans le droit commun, le gain ne serait que de 7,5 milliards, ce qui ne réglerait pas le problème financier. Et l’essentiel du choc frapperait les ménages les plus modestes et les plus âgés ; il faudrait alors envisager un système d’aide à la souscription d’une assurance complémentaire. Pour maintenir à 75 % le taux des dépenses socialisées, compte tenu de la croissance de la consommation, il faut augmenter la participation sur les soins non exonérés. La question de la prise en compte du revenu se posera de plus en plus, au fur et à mesure que la dépense brute – la dépense réelle – progressera et que le financement de l’assurance maladie se compliquera.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : De quand date l’introduction dans les systèmes allemand et belge d’une modulation des remboursements en fonction des revenus ? Des difficultés ont-elles été rencontrées ?

M. Bertrand Fragonard : En Allemagne comme en Belgique, la modulation en fonction du critère revenu n’a pas fait de bruit, même si le système belge fonctionne mieux. En France, elle provoquerait l’écrêtement du régime des ALD. En Allemagne, le taux de prise en charge était meilleur que le nôtre ; le bouclier a été vécu comme protecteur car il a été introduit au fur et à mesure de l’accroissement de la participation des usagers. Si le bouclier était créé en France, il serait protecteur pour tout le monde mais, psychologiquement, les assurés ne le verraient pas ainsi.

Il convient non pas d’évaluer les mérites et les inconvénients du bouclier mais de le comparer avec les autres techniques.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie.

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Audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Hubert Allemand médecin-conseil national de la CNAMTS, M. Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA), M. Vincent Van Bockstael, médecin conseiller technique de la MSA, et M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI).

M. Jean Mallot, coprésident : Nous accueillons maintenant une délégation de représentants de l’UNCAM, de la CNAMTS, de la MSA et du RSI.

Après avoir abordé le sujet du médicament, sur lequel son rapport vient de paraître, la MECSS a entamé un travail sur les affections de longue durée, et dont le rapporteur est M. Jean-Pierre Door. Elle a déjà auditionné le directeur général de la santé et, ce matin, la Haute Autorité de santé et le président du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, M. Bernard Fragonard.

Le sujet des ALD est sensible et complexe. Faut-il conserver le système actuel ? Faut-il revoir la liste, faut-il même rester dans une liste ? Faut-il changer de système, comme cela est envisagé dans certains documents de la Haute Autorité de santé ? Quelles seraient les conséquences du passage à un « bouclier sanitaire » ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Les projections que nous avons réalisées pour la Cour des comptes et pour le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie montrent une concentration des dépenses d’assurance maladie vers les ALD. Il s’agit d’un phénomène de long terme : en 1992, la part des dépenses d’assurance maladie consacrées aux ALD était d’environ 50 % ; nous atteignons aujourd’hui 60 % et, si la tendance se confirme, en 2015, 70 % des dépenses seront dédiées au financement des soins aux personnes souffrant de pathologies chroniques ou aggravées. On sait aussi que la dynamique de la croissance des dépenses de santé repose principalement – aux trois quarts – sur ces pathologies.

Si je préfère cette dénomination à celle d’ALD, c’est que cette dernière renvoie automatiquement au taux de remboursement. Or faire l’impasse sur la dépense de santé en amont du taux de prise en charge serait une erreur.

Au cours des huit premiers mois de l’année 2007, l’évolution de la dépense prise en charge au titre des ALD, donc à 100 %, s’est accrue de 8 %, dont 4,5 % au titre des effectifs de malades pris en charge à 100 % et 3,5 % pour le coût unitaire des soins délivrés à ces personnes. Les grands facteurs de cette croissance sont les pathologies cardio-vasculaires - 5 % d’augmentation de l’effectif pris en charge à 100 %, avec un coût unitaire qui ne s’accroît, pour les soins de ville, que de 2,7 % –, les cancers, avec une augmentation de 5,6 % de l’effectif qu’explique en partie la plus grande précocité des dépistages –, le diabète, dont l’effectif s’accroît de 6 %. Les affections psychiatriques n’évoluent que faiblement en effectif – 0,5 % –, sans doute parce que les critères d’entrée en ALD ont été un peu resserrés par des décrets pris en 2005 et 2006 ; en revanche, pour les désordres neurologiques liés à l’âge, notamment la maladie d’Alzheimer, l’effectif augmente de 5,4 % et le coût des traitements de 4 %. Les autres ALD évoluent autour de 7,3 %, dont 3,5 % pour l’effectif et 3,8 pour le coût des soins.

La dynamique est donc portée par des évolutions sous-jacentes fortes. De surcroît, on sait bien que la dépense en produits sanguins de synthèse pour un hémophile, par exemple, peut atteindre un ou plusieurs millions d’euros dans l’année. Il faudra donc que le système collectif de prise en charge permette de réassurer – que ce soit en fonction de leurs revenus ou à travers la prise en charge à 100 % – ceux de nos concitoyens qui souffrent de pathologies dont le coût de traitement est élevé.

Malgré cette concentration historique sur les ALD, je pense qu’il existe des marges pour mieux soigner en maîtrisant un peu plus qu’aujourd’hui la dépense de santé.

Tout d’abord, force est de reconnaître que nous n’avons pas investi au niveau nécessaire dans la prévention. Or la prévention est bien un investissement : elle ne permet pas une économie immédiate, le bénéfice, en termes tant de santé publique que d’économies, est différé. Le Gouvernement a souhaité que nous menions cette politique qui s’intègre dans son plan Pathologies chroniques. Nous avons commencé ce travail, mais sans doute aurait-il fallu l’engager il y a dix ans.

On dispose de marges de manœuvre plus directes avec l’optimisation du recours au système de soins et les gains d’efficience que l’on peut obtenir de certains producteurs de soins.

Aujourd’hui, nous soignons l’hypertension artérielle sans hiérarchiser les traitements, notamment l’utilisation des IEC (inhibiteurs de l’enzyme de conversion) et des sartans. Tous les pays qui nous entourent le font et ont émis des recommandations médico-économiques en ce sens. Ce sont vraisemblablement quelques centaines de millions d’euros qui sont ici dépensées de façon « sous-optimale ». Je pourrais également mentionner les traitements du diabète ou le recours à de nombreux produits de santé.

Des marges existent aussi dans l’organisation du processus de soins, dans le recours aux personnels médicaux et paramédicaux et dans le recours à l’hospitalisation, qui n’est pas aujourd’hui totalement organisée. Pour passer de la théorie à la pratique, le parcours de soins doit reposer sur une segmentation extrêmement fine de la patientèle, qu’il est très difficile de réaliser. Le professeur Hubert Allemand, médecin-conseil national de la CNAMTS, vous exposera l’état d’avancement de nos travaux.

À titre d’exemple, entre un patient diabétique non compliqué, équilibré par des antidiabétiques oraux, et un patient diabétique dialysé, le parcours n’est pas de même nature.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ce n’est pas nouveau. Voilà plusieurs années que l’on a instauré des référentiels médicaux.

M. Frédéric Van Roekeghem : Pour mettre en œuvre ces référentiels, il faut segmenter la patientèle. On parlait déjà en 1993 des références médicales opposables, mais on ne peut segmenter la patientèle si on ne dispose pas du codage, qui remonte à 1999 pour le médicament et à 2005 pour les actes techniques médicaux. Ce n’est que depuis très peu de temps que nous savons segmenter les patients diabétiques et pouvons déterminer que certains sont surmédicalisés et que, pour d’autres sujets à risque, il faudra mieux utiliser les référentiels médicaux. Cette connaissance nécessite de disposer de bases de codage et d’être capable de construire la valeur ajoutée. Nos contacts avec l’étranger – les Health Maintenance Organizations (HMO) américaines ou le National Health Service (NHS) britannique, par exemple – nous ont montré que nous ne sommes pas si en retard que cela par rapport aux autres pays.

M. Pierre Morange, coprésident : Le fait de ne disposer que maintenant de ces données illustre l’inertie et la complexité du système. À présent, partagez-vous ces données avec les autres organismes de sécurité sociale et avec la HAS, comme l’exigerait une logique de pédagogie partagée ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Le SNIIRAM – système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie – est ouvert à de très nombreux acteurs depuis 2005. Je récuse la rumeur selon laquelle nous garderions nos données pour nous ! Il ne faut cependant pas être naïf : dans la mesure où le secteur privé attribue à ces données une valeur élevée, nous considérons que leur ouverture doit se faire de façon hiérarchisée et adaptée aux besoins de l’utilisateur, de façon à ce que leur exploitation n’aille pas à l’encontre des intérêts de l’assurance maladie. L’accès au SNIIRAM est sans limite pour l’État, pour tous les régimes d’assurance maladie obligatoires qui participent à ce système, pour l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (l’AFSSAPS) et pour la Haute Autorité de santé. Cette ouverture a fait l’objet de décisions signées.

Le véritable problème est celui que posent ceux qui veulent créer de la valeur ajoutée à partir de ces données et nous demandent sans cesse de produire des études qu’ils ne peuvent réaliser, faute de disposer de la masse médicale critique. Nous sommes alors contraints de faire valoir nos propres missions et nos propres contraintes : nous ne sommes pas une société de service à façon.

Si le partage avec les régimes et les institutions s’impose en revanche, c’est que la ressource médicale publique pour élaborer des stratégies cohérentes est extrêmement limitée. Sur le sujet de l’hypertension artérielle et des statines, la HAS, que nous avons saisie pour qu’elle se prononce sur la bonne utilisation des produits de santé, a travaillé sur la base d’études fournies principalement par l’assurance maladie.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les responsables de la Haute Autorité de santé, que nous avons auditionnés ce matin, ont confirmé que cette instance formule des avis sur la liste des ALD et des recommandations sur les actes et les prestations à prendre en charge, éventuellement sur les critères médicaux de la définition. Recueillez-vous ces informations pour les mettre en pratique ou existe-t-il une certaine réticence ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Prenons l’exemple du diabète. Les quatre documents structurants que la HAS a produits sur cette affection ont été distribués aux professionnels de santé par les délégués de l’assurance maladie. Nous avons utilisé nos propres possibilités d’impression et de distribution.

La difficulté est sans doute ailleurs. Avant 2008, la HAS n’était pas investie de cette mission médico-économique. Il était naturel que l’assurance maladie essaie de suivre une stratégie cohérente et d’être une force de proposition – on lui a suffisamment reproché le contraire ! Nous avons ainsi procédé à des analyses comparatives des recommandations françaises et étrangères et les avons portées à la connaissance de la HAS, que nous avons saisie sur plusieurs sujets. Nous lui avons également communiqué des analyses médico-économiques que nous souhaitons voir prises en compte dans le débat qui se déroulera sous sa responsabilité.

M. Hubert Allemand, médecin-conseil national de la CNAMTS : Si nous disposons en effet de référentiels depuis un certain temps, ceux-ci sont peu hiérarchisés en termes de prestations et se limitent à ouvrir les différentes possibilités thérapeutiques qui s’offrent au médecin pour telle ou telle pathologie. À l’inverse, beaucoup d’agences étrangères ont hiérarchisé les traitements – par exemple les traitements hypotenseurs de première ligne, de deuxième ligne, de troisième ligne, etc. – selon des arguments d’efficience médico-économique. En France, où l’on ne dispose pas de cette hiérarchie, il est possible de commencer à traiter une hypertension, même légère, par tout traitement existant. Or les prix varient considérablement pour une efficacité parfois équivalente.

M. Pierre Morange, coprésident : Pour engager le nécessaire travail de mise en perspective de ces données, un dialogue constructif entre la HAS et les assureurs que sont les régimes d’assurance maladie s’impose. Quel est l’agenda envisagé ? L’opération menée pour réduire la prescription d’antibiotiques a été une réussite tant auprès du public qu’auprès des professionnels de santé, mais elle ne s’est pas inscrite dans un cadre plus structuré, notamment celui du parcours de soins.

M. Frédéric Van Roekeghem : Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 comportera un contrat-type assorti d’un volet d’accompagnement des pathologies chroniques qui s’appuiera sur des recommandations de la HAS pour hiérarchiser les traitements.

M. Pierre Morange, coprésident : Le rapport de la MECSS sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments, présenté par Mme Catherine Lemorton, a mis en évidence que la coordination entre l’assurance maladie et la HAS pouvait être améliorée. Une convention ne pourrait-elle prévoir que les délégués de l’assurance maladie (DAM) contribuent à diffuser les recommandations de la HAS, notamment en matière de hiérarchisation ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Nous n’avons aucune objection à ce que les délégués de l’assurance maladie soient investis de missions « estampillées » par la HAS, puisque nous travaillons déjà ainsi et informons cette instance des documents que les délégués transmettent aux médecins. Dans le même temps, nous souhaitons que l’assurance maladie et ses délégués restent une force active permettant de faire bouger les choses.

M. Pierre Morange, coprésident : Le propos n’est pas de vous déposséder de votre force de frappe…

M. Frédéric Van Roekeghem : J’ai bien compris et je ne suis pas sur cette ligne-là. Comprenons-nous bien. Nous allons engager une nouvelle action sur les statines qui a fait l’objet d’un examen en profondeur de l’ensemble de ses médecins-conseils, au premier rang desquels le professeur Allemand. Cet examen a pris en compte les analyses françaises mais aussi les études internationales – The Lancet, The British Medical Journal, ainsi que les publications américaines.

La justice a rendu il y a deux jours une décision dans un procès qui nous opposait aux laboratoires AstraZeneca. Elle a précisé les conditions dans lesquelles la caisse d’assurance maladie de l’Aube pouvait porter l’information aux professionnels de santé, en prévoyant très logiquement des encadrements : respecter les données acquises de la science, parler de l’autorisation de mise sur le marché, mais pas seulement… Dans tous les pays où les payeurs ou les pouvoirs publics ont commencé à durcir les conditions d’utilisation des produits de santé, ce sont des décisions de justice qui ont permis d’élaborer des équilibres.

Aujourd’hui, il faut reconnaître que nos propositions et la formation que nous dispensons aux médecins se situent en amont de ce que la Haute Autorité de santé a pu faire, tout simplement parce que ces missions n’entraient pas, jusqu’à présent, dans ses compétences. Lorsque la HAS aura rendu ses conclusions sur la hiérarchisation des IEC et des sartans, ce que l’Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen - IQWIG – en Allemagne, le National Institute for clinical excellence – NICE – en Grande-Bretagne, ou encore les instances de Nouvelle-Zélande ou des vétérans américains, ont déjà fait, nous ne manquerons pas de porter son message. Ce sera au demeurant un atout important pour que nous nous fassions entendre des professionnels de santé. De plus, il n’est nullement indiqué dans la loi du 13 août 2004 que l’assurance maladie définit seule les règles du jeu. Reste que la HAS, avec laquelle nous discutons en profondeur, ne fait que commencer à exercer ses compétences dans ce domaine et nous ne voulons pas que cela se traduise par une baisse de la pression sur le monde médical. Ce monde est complexe, les experts y sont rares, et il n’existe pas encore en France les mêmes obligations de publication que dans les autres pays. Je reste donc prudent, étant conscient que certains éléments de réflexion ne vont pas dans le sens d’une augmentation de la pression que nous exerçons.

Nous avons par ailleurs anticipé la question de la certification. Celle-ci est en cours pour le réseau des DAM. Certaines caisses expérimentent maintenant la certification de la visite. Mais nous ne sommes pas naïfs et savons fort bien que les laboratoires pharmaceutiques demandent que les contraintes imposées à leurs visiteurs médicaux aient leur équivalent pour nos délégués.

La dynamique des coûts liée au nombre des personnes soignées pour une ALD est de l’ordre du 4 %. Nous avons démontré que les cartes d’ALD recoupent celles des risques de santé publique lorsque les critères sont précis. La diminution des seuils a nettement contribué à l’augmentation des populations prises en charge.

Le coût des traitements représente à peu près l’autre moitié de la dynamique. Le médicament y a sa part, mais aussi l’hôpital. L’évolution des coûts des soins délivrés dans les établissements de santé est donc un élément majeur pour l’équilibre d’ensemble.

M. Pierre Morange, coprésident : J’aimerais toutefois que vous nous indiquiez l’agenda de moyen terme selon lequel vous envisagez la rationalisation de l’offre de soins en matière de pathologies chroniques.

M. Frédéric Van Roekeghem : L’assurance maladie participe au plan de prévention des pathologies chroniques. Nous engageons ainsi une expérimentation sur 100 000 patients diabétiques entre 2008 et 2010, avec une éventuelle généralisation ultérieure si les pouvoirs publics et le Parlement le souhaitent.

Pour ce qui est du médicament et de l’optimisation du recours au système de soins, notre agenda est de court terme puisque la HAS doit établir dès 2008 les premiers éléments de hiérarchisation médico-économique des traitements. Sur la base de ces décisions, nous pourrons accélérer nos actions lors du deuxième semestre de 2008 et en 2009.

La question de la productivité dans l’offre de soin renvoie au pilotage de la tarification à l’activité (T2A), si bien que l’agenda nous échappe quelque peu : ce n’est pas l’assurance maladie qui fixe la T2A. De plus, le Gouvernement a engagé une réflexion au plus haut niveau sur le pilotage du système hospitalier. L’accroissement de l’efficience des producteurs de soins est sans doute la manière la plus efficace de réduire la dépense de santé.

M. Yves Humez : Mes propos viendront en complément de ceux de M. Frédéric Van Roekeghem. Les pratiques de la MSA sont bien entendu coordonnées avec la CNAMTS et complémentaires de celle-ci sur le terrain. Nous gérons deux régimes, celui des exploitants et celui des salariés. La moyenne d’âge du régime des exploitants, soixante ans, est élevée, et 31 % des personnes couvertes sont en ALD – contre 15 % pour le régime des salariés, soit un taux comparable aux autres régimes. Cette situation particulière, qui préfigure en quelque sorte le vieillissement de la population générale, nous a amenés à nous intéresser de près au dispositif et à tenter quelques expériences.

Nous nous sommes ainsi lancés dans l’éducation thérapeutique et commençons à constater les effets de cette opération de prévention. Nous avons également testé les retours d’information des médecins-conseils vers les prescripteurs, qui n’ont pas toujours une vision synthétique des soins dispensés à des patients souffrant de la même pathologie. Enfin, nous menons un travail en profondeur sur les maladies cardiaques.

Les actions de prévention doivent se mesurer sur le long terme. En outre, il semble nécessaire de définir un « panier de soins » pour endiguer la dépense tout en maintenant l’efficacité de l’offre de soins. Nous avons donc besoin des préconisations de la HAS pour préciser les référentiels opposables.

M. Vincent Van Bockstael, médecin conseiller technique de la Mutualité sociale agricole : Nous nous employons à renforcer l’accompagnement des patients en ALD suivant deux axes.

Dans le domaine des maladies cardio-vasculaires et du diabète, nous menons des actions d’éducation thérapeutique à proximité du domicile des patients et en liaison avec les médecins traitants. Le financement se fait sur notre fonds propre de prévention. On sait, grâce aux référentiels de la HAS, l’importance de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge des pathologies chroniques. À l’avenir, c’est tout le problème de la valorisation de cette éducation qui va se poser.

Second axe : nous diffusons les référentiels – généralement des brochures de trente à cinquante pages – mais les professionnels de santé se les approprient-ils réellement ? En collaboration avec la HAS, nous avons imaginé une autre forme de mise à disposition : le professionnel de santé peut confronter aux référentiels sa propre pratique vis-à-vis de ses patients diabétiques. Cette démarche, dont nous évaluons les effets avec la HAS, pourrait être étendue à d’autres affections. Il est à noter que la HAS évalue également la diffusion de brochures simples.

M. Dominique Liger : Le Régime social des indépendants compte 416 000 bénéficiaires au titre des ALD pour 3,3 millions d’assurés. Il est donc un peu plus jeune que la MSA et un peu plus vieux que le régime général.

Nous disposons sans doute de marges de manœuvres plus importantes pour faire des propositions : l’escorteur est généralement plus à même de changer de cap que le navire amiral. En matière d’hypertension, par exemple, nous proposons de sortir du dispositif des ALD les patients qui ne présentent pas d’autre pathologie. Comme il s’agit d’une question de sélection à l’entrée pour réguler le nombre de bénéficiaires, le test nous semble possible. Pour « vendre » la mesure aux praticiens et aux associations de malades, il faut l’accompagner de dispositifs de prise en charge adaptés et astucieux.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel serait l’agenda ?

M. Dominique Liger : Nous pourrions commencer immédiatement.

M. Frédéric Van Roekeghem : La modification des périmètres des ALD est un débat sensible. Que d’autres régimes bénéficient d’un peu plus de liberté à ce sujet montre que la diversité des régimes a aussi des aspects positifs !

La liste des ALD est ancienne et l’on peut aujourd’hui s’interroger sur sa rationalité médicale, puisqu’elle mélange des pathologies avérées, avec des atteintes d’organes, et des facteurs de risque qui, certes, doivent être traités mais ne sont pas nécessairement des pathologies avérées. La loi du 13 août 2004 confie à la HAS une responsabilité particulière en matière de recommandations mais précise que la décision, en matière d’ALD, relève du décret. Il apparaît en effet nécessaire de veiller à ce que les décisions dans ce domaine soient les plus équitables possibles.

Pour en revenir à l’hypertension artérielle, il est évident que celle-ci se définit comme un facteur de risque. On peut dès lors poser la question de la cohérence de la définition des affections cardio-vasculaires.

M. Hubert Allemand : L’exemple de l’hypertension artérielle est caricatural. Dix millions de Français font l’objet d’un traitement par hypotenseurs. Pour ce qui concerne le régime général, 750 000 hypertendus simples sont en ALD. Il est difficile de fixer la frontière. Un praticien-conseil ne peut vérifier si un patient est réellement hypertendu ou ne souffre que d’une hypertension légère, puisque la personne a été mise sous traitement. C’est peut-être grossir le trait…

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je ne le crois pas. La stabilisation est-elle un critère de maintien en ALD ? Peut-elle justifier au contraire une sortie ?

M. Hubert Allemand : Permettez-moi de faire état de quelques chiffres : huit millions de patients en ALD représentent 60 % de la dépense d’assurance maladie, mais 50 % de ces patients représentent seulement 7,6 % de la dépense au titre des ALD, soit 4,5 % du total. Ce sont, par exemple, les hypertendus simples, les diabétiques traités par hypoglycémiants oraux, mais aussi des personnes en partie guéries mais toujours en ALD. La sortie est un sujet difficile : si des personnes traitées pour un cancer souhaitent sortir de l’ALD, d’autres ne le souhaitent pas.

Alors que la moitié des patients en ALD entraîne relativement peu de dépenses, le système administratif et réglementaire qui les accompagne est très lourd. Il serait plus simple, pour les assureurs obligatoires, de garantir un suivi de qualité pour trois ou quatre millions de personnes plutôt que pour huit millions. Vu sa complexité, le système de l’ALD ne sera pas soutenable si le nombre de patients qui en sont bénéficiaires continue à croître. Le périmètre des ALD constitue donc une question de fond.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : En somme, il existe des affections de longue durée coûteuses et d’autres peu coûteuses. Ne conviendrait-il pas de faire la différence ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Pourquoi pas ? Cependant, l’analyse de M. Allemand me semble très intéressante. Des années durant, les patients ne devaient déclarer qu’une seule ALD. Or, une personne entrée dans ce régime à cause de son hypertension peut présenter ensuite un diabète ou des maladies coronariennes. En soi, le facteur de risque n’est pas un déclencheur, certes, mais il faudrait réexaminer alors chaque dossier puisque la CNAMTS ne demande la polydéclaration des ALD que depuis 2005. La révision des dossiers suppose que l’on convoque les personnes, que l’on contacte leur médecin, etc. : ce n’est pas une opération simple.

En outre, comme l’a indiqué M. Allemand, une partie non négligeable des patients en ALD bénéficie d’une prise charge à 100 % pour des dépenses qui ne sont pas très élevées. La dépense de santé en France progressant, dans le meilleur des cas, de 3 % par an et les ALD représentant 2 % dans cette progression, on peut estimer à 3 milliards d’euros la part d’augmentation imputable aux ALD. Or, même en recentrant la prise en charge de l’hypertension artérielle, on touchera essentiellement des personnes dont les dépenses de soins ne sont pas très élevées. Nous nous trouvons donc renvoyés aux moteurs de la croissance des dépenses d’ALD : le cancer, pour un quart, les affections cardiovasculaires lourdes, y compris les accidents vasculaires cérébraux, et la maladie d’Alzheimer.

Nous avons analysé cette croissance pour 2007 par type de pathologie et par nature de dépense. Il en ressort que l’ALD est une méthode de réassurance efficace pour les personnes qui ont à faire face à des dépenses de soins lourdes. Si l’on établit un « bouclier » qui sera fonction du revenu, comment se nouera le débat annuel sur le barème de ce bouclier ? Quelles en seront les conséquences sur les classes moyennes et sur les régimes complémentaires ? En tout état de cause, l’assurance maladie ne saurait mettre rapidement en œuvre un tel dispositif, puisqu’elle ne dispose pas des données sur les revenus des assurés.

M. Hubert Allemand : La réflexion ne devrait-elle pas plutôt porter sur le périmètre de la prise en charge à 100 % ? Pour un diabète non compliqué, le remboursement à 100 % des hypoglycémiants oraux et de l’hémoglobine glyquée règle le problème.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Qu’en est-il des prestations ?

M. Hubert Allemand : On peut imaginer qu’un diabétique bénéficie du remboursement à 100 % d’une consultation ophtalmologique par an. Aujourd’hui, la prise en charge à 100 % tient souvent à ce que l’ALD le permet.

M. Frédéric Van Roekeghem : En d’autres termes, la prise en charge au titre d’une ALD n’est pas sélective en fonction des segments de patients. La HAS a effectué une première segmentation en fonction du niveau de complication, mais la démarche répond à un souci d’exhaustivité et inclut des médicaments hors AMM.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Vous souhaitez donc que la HAS vous guide dans la prise en charge de médicaments ou de prestations…

M. Frédéric Van Roekeghem : Nous ne sommes pas en désaccord avec elle. Nous partageons une vision commune. Simplement, ne pas confier dès 2004 à la HAS cette mission médico-économique a été une erreur collective.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La perspective était sans doute trop scientifique.

M. Pierre Morange, coprésident : En outre, on était encore dans une période où l’on considérait la rationalisation de l’utilisation des fonds publics dans le domaine sanitaire et social comme une hérésie, voire une obscénité.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Dans son troisième scénario, la HAS évoque la dissociation entre la prise en charge médicale et la prise en charge financière des ALD.

M. Frédéric Van Roekeghem : C’est l’hypothèse du bouclier.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quelle est la position des caisses d’assurance maladie sur le sujet ? Sont-elles associées aux réflexions ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Les caisses sont bien entendu consultées. Les simulations du rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard reposent en grande partie sur nos données. Pour autant, le conseil de la CNAMTS n’a pas pris position sur le bouclier. Nous continuons à travailler, conformément à la demande du Gouvernement, aux conditions techniques de sa mise en œuvre.

Si l’on souhaite instaurer un bouclier, c’est que l’on considère que la répartition entre la couverture et le reste à charge est parfois inéquitable. Or ce cas de figure se présente essentiellement dans les affections non couvertes par le 100 % et dans les épisodes cliniques répétés en l’absence d’acte exonérant, notamment en psychiatrie. Si le bouclier a été mis en place en Belgique, c’est que les assurances complémentaires n’y sont pas développées et qu’il n’y existe pas de prise en charge à 100 %, d’où des restes à charge très importants pour les personnes âgées. On attend du bouclier une répartition plus équitable du reste à charge, qui serait aligné sur les revenus. C’est affaire de choix politique mais il faut porter attention à la dynamique. Avec le bouclier, le risque devient visible – il équivaut à un certain pourcentage du revenu –, si bien que les acteurs peuvent être amenés à se repositionner fortement par rapport à leur couverture complémentaire. De plus, le bouclier modifie le principe de l’assurance maladie et de la sécurité sociale : cotiser en fonction de ses moyens, être soigné en fonction de ses besoins. Se conformer à ce principe est difficile, certes, mais si le déficit s’élève à 4,6 milliards d’euros en 2007, c’est que l’on a dégradé la situation du régime général de 9 milliards entre 2001 et 2003. Si l’on en était resté à une progression de 4 % par an entre 1998 et 2003, il n’y aurait pas eu de déficit en 2004. Parfois le système est bien géré, parfois il l’est moins bien : c’est une des raisons pour lesquelles il est difficile de l’équilibrer.

Comme dans tous les pays comparables, l’évolution de nos dépenses de santé est plus rapide que celle du PIB. Une gestion rigoureuse n’en est que plus nécessaire. La Cour des comptes a fourni un travail très précis sur le taux de prise en charge des ALD. Il n’en reste pas moins que les pathologies chroniques ou aggravées sont le moteur des dépenses de santé, d’où l’importance de nos décisions en matière de prise en charge et en matière de réorganisation des établissements de santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

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AUDITIONS DU 29 MAI 2008

Audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative et M. Jean-Philippe Vinquant, sous-directeur en charge du financement du système de soins.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative ainsi que l’un de ses collaborateurs, M. Jean-Philippe Vinquant.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La Haute Autorité de santé (HAS) ainsi que le haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) ayant déjà engagé un certain nombre de réflexions sur les affections de longue durée (ALD), il nous importe aujourd’hui de connaître celles de la direction de la sécurité sociale (DSS) en la matière. Faut-il, par exemple, réviser la liste des ALD ainsi que les critères d’admission au sein de ce dispositif et de sortie de celui-ci ?

M. Dominique Libault : La DSS réfléchit depuis longtemps à ce système d’exonération de la participation financière des assurés sur critère médical. Je rappelle que le haut comité médical de la sécurité sociale, avant la réforme de 2004, avait déjà pour mission de délimiter le périmètre des ALD. Les problèmes liés à la charge financière que représentent ces affections pour le régime général - 9 millions de personnes sont concernées – font que ce dernier pourrait être exclusivement consacré, à terme, à la seule prévoyance des risques de maladies lourdes. Dans ce cas, les assurés devraient cotiser sans obtenir de retours significatifs sur les soins courants pendant de nombreuses années, les ALD étant statistiquement plus fréquentes au fur et à mesure que l’on avance en âge. Or, je considère, à titre personnel, que cette situation serait très délicate.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous une connaissance exhaustive du « reste à charge » pour l’ensemble de la population ?

M. Dominique Libault : Des études ont été publiées, notamment un rapport du HCAAM en 2007, montrant que le « reste à charge » lié aux ALD n’est pas absolument équitable pour l’ensemble des cotisants. Nous ne disposons pas pour autant d’études exhaustives qui tiendraient compte par exemple des dépassements d’honoraires.

Par ailleurs, le critère de coût pour bénéficier du système ALD – dont je rappelle qu’il implique en effet de subir une maladie « longue et coûteuse » – n’est pas toujours respecté.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce rapport de 2007 cite en effet un certain nombre de cas témoignant de ce que le « reste à charge » n’est pas toujours équitablement réparti.

M. Dominique Libault : Ce rapport est le plus complet sur cette question. Mais le « reste à charge » est également lié à l’affiliation – ou non – à une assurance complémentaire, dont bénéficient 92 à 93 % des Français. Un vrai problème se pose pour les 7 à 8 % restant, d’où la volonté de développer encore plus l’assurance maladie complémentaire (AMC).

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Combien de personnes en ALD ne disposent-elles plus de l’AMC, nombre d’entre elles ayant tendance à se « démutualiser » ?

M. Dominique Libault : Environ 89 % des personnes en ALD disposent d’une AMC. Le rapport sur le bouclier sanitaire, présenté par MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard, montre en outre que plus la population vieillit, moins elle en dispose.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Faudrait-il responsabiliser ces patients en leur signalant qu’il serait souhaitable qu’ils conservent leur AMC ?

M. Dominique Libault : On ne peut en effet faire l’économie de l’AMC et surtout pas lorsque le patient bénéficie du régime ALD où le remboursement à 100 % ne vaut que pour la pathologie principale. Nous disposerions, en outre, de marges de manœuvre plus importantes si la quasi-totalité de la population était couverte en AMO (assurance maladie obligatoire) et en AMC. Quoi qu’il en soit, nous devons rester très vigilants sur le « reste à charge ».

La réforme des ALD, prévue par la loi du 13 août 2004, revêtait trois aspects : une meilleure gestion des entrées et des sorties – d’où la création de la commission ALD auprès de la HAS qui a permis notamment d’élaborer des critères plus efficaces en matière d’ALD psychiatriques –, la « protocolisation » – laquelle concerne la qualité de la prise en charge et la responsabilisation des rapports entre patients et médecins – enfin, le renforcement de l’ordonnance bizone. Le bilan global est assez mitigé mais il est vrai qu’il faut laisser du temps au temps. Sur le premier point, la HAS a fait des propositions très intéressantes, notamment en matière de critères d’admission. Il n’en est pas de même s’agissant des sorties car une personne ayant eu une seule affection coronarienne peut aujourd’hui rester en ALD toute sa vie.

Sans doute gagnerait-on, enfin, à réfléchir au critère du coût.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les critères d’entrée n’ont pas été modifiés depuis de nombreuses années.

M. Dominique Libault : À l’exception des ALD psychiatriques.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les pathologies et les moyens de traitement ayant eux évolué, ne serait-il pas possible d’établir un calendrier de révision des 30 ALD répertoriées ?

M. Dominique Libault : C’est précisément ce qu’a fait la commission ALD de la HAS pour 18 d’entre elles en proposant par exemple que l’hypertension artérielle soit exclue de cette nomenclature. Maintenant, la balle est dans le camp du Gouvernement. Par ailleurs, je le répète, des résultats positifs ont été obtenus en psychiatrie, ce qui est très encourageant. Même si l’on peut envisager favorablement un changement de paradigme en mettant fin par exemple à l’exonération sur critère médical, je pense que des progrès sensibles peuvent encore être apportés à la gestion des entrées et des sorties en ALD. Lorsque des critères encore plus précis auront été définis, il faudra bien entendu améliorer les contrôles en fonction des différentes situations des territoires.

Enfin, les médecins considèrent que, sur le plan administratif, la mise sous ALD alourdit considérablement leur travail.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : C’est tout à fait vrai.

M. Dominique Libault : Ne pourrait-on pas déléguer celle-ci aux médecins traitants dans le cadre de contrats individuels, quitte à ce que ces praticiens soient évalués annuellement sur leur pratique en la matière ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les dispositions prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 devraient le permettre.

M. Dominique Libault : Certes, mais encore faut-il les appliquer. Nous y travaillons quant à nous d’arrache-pied, tout comme aux expérimentations de nouveaux modes de rémunération.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Dans combien de temps cela sera-t-il effectif ?

M. Jean-Philippe Vinquant : L’article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 concernant le contrat individuel doit faire l’objet d’un décret simple fixant le délai de non-opposition des ministres au contrat proposé par le directeur de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). Actuellement au contreseing ministériel, il sera publié prochainement au Journal officiel. Ce contrat contiendra des éléments relatifs à la qualité des pratiques médicales, notamment à la prévention avec un ciblage des pathologies identifiées dans la loi du 9 août 2004 relative à la santé publique, ainsi que des objectifs d’efficience de la prescription. L’article 44 concerne, quant à lui, l’expérimentation de rémunérations autres qu’à l’acte notamment dans le cadre d’activités menées par des groupes de professionnels en maisons de santé libérales ou en centres de santé. Un décret en indiquant les modalités ainsi que les projets retenus par les missions régionales de santé devrait également être pris mais nous avons quant à nous choisi de prendre le temps de la concertation en créant un comité de pilotage comprenant, outre la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), six représentants de l’Union nationale des professionnels de santé. Enfin, afin d’éviter toute déconvenue financière pour les médecins, nous avons demandé à un consultant d’élaborer le modèle économique résultant de ces nouvelles rémunérations – paiement à la performance ou part de capitation par exemple.

M. Pierre Morange, coprésident : Qu’en est-il des délais ?

M. Jean-Philippe Vinquant : C’est une telle révolution qu’il semble préférable de prendre le temps nécessaire à une bonne préparation.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quel est votre pronostic sur ce point ?

M. Dominique Libault : Comme vous, je souhaiterais que tout ceci soit mis en place le plus tôt possible. En l’occurrence, je milite pour que ces expérimentations commencent d’ici la fin de l’année, même s’il est vrai que le temps de la concertation est nécessaire.

M. Pierre Morange, coprésident : On peut en tout cas espérer que le délai ne sera pas aussi long que celui qui paraît nécessaire pour élaborer le décret sur le numéro identifiant unique et le partage des données sociales et fiscales, si vous voyez ce que je veux dire, Monsieur le directeur…

M. Dominique Libault : Je vois très bien…

M. Pierre Morange, coprésident : Les moyens affectés à l’assurance maladie afin d’évaluer ce dispositif seront-ils suffisants ?

M. Dominique Libault : Nous partons de très loin et nous ne disposons pas encore des moyens adéquats. Outre qu’un travail important de reconversion des organismes et des personnels est nécessaire, il est difficile de trouver des collaborateurs correctement formés. Il importe également de faire évoluer les missions des médecins conseils au sein de l’assurance maladie afin qu’ils puissent faire de l’évaluation. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre.

M. Pierre Morange, coprésident : Sur les 1 200 médecins conseils, certains sont affectés à la gestion des ressources humaines alors qu’ils seraient mieux employés à faire ce pour quoi ils ont été formés.

M. Dominique Libault : Assurément.

Mme Catherine Lemorton : On aurait tort de prendre au pied de la lettre le chiffre de 92 % de personnes disposant d’une AMC, compte tenu de la complexité des « restes à charge » et des différents types de contrats proposés : les disparités sont grandes, en effet, en fonction des contrats conclus et des moyens des personnes. Il en va de même s’agissant des 11 % de personnes en ALD ne disposant par d’AMC : au-delà du réflexe « prise en charge à 100 % », ne convient-il pas de se poser la question de la baisse du pouvoir d’achat et du niveau de vie ? Des patients, en effet, se font prescrire des soins qui n’ont rien à voir avec leur ALD faute d’avoir les moyens de disposer d’une mutuelle.

M. Dominique Libault : Vous avez d’autant plus raison sur le premier point que nous connaissons tous non seulement la diversité mais aussi, parfois, l’opacité des contrats d’AMC. Je ne crois pas, par ailleurs, que nous devions inciter les mutuelles à prendre en charge les dépassements d’honoraires, ce qui reviendrait à encourager ces derniers. En ce qui me concerne, j’ai proposé aux organismes complémentaires un « contrat repère » destiné à clarifier ce maquis.

Sur le second point, je crois qu’il faut surtout tenir compte de la participation des entreprises aux cotisations d’assurance maladie complémentaire et du fait que, au moment de leur départ en retraite, nombre de salariés renoncent à financer seuls leur AMC. La loi du 31 décembre 1989, dite « loi Evin », avait essayé de prendre en compte ce problème mais elle semble difficile à appliquer.

Enfin, compte tenu de leurs revenus, des retraités pourraient bénéficier de l’aide à la complémentaire santé. Nous essayons de mieux les informer de leurs droits grâce notamment à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS).

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Il est en effet essentiel d’informer les assurés, y compris ceux qui sont en ALD, sur le risque qu’il y a à abandonner l’AMC.

Que pensez-vous par ailleurs de l’éventualité d’un « bouclier sanitaire » ? Comment le mettre en place ? Comment envisager au mieux le passage d’un système à l’autre ?

M. Dominique Libault : C’est un concept séduisant, rationnel, intéressant et stimulant. Néanmoins, je répète que le système ALD n’est absolument pas irréformable, même si ses limites sont patentes en raison du vieillissement de la population, donc, d’un accroissement du nombre des patients qui en bénéficieront mais aussi parce que l’équité n’est pas parfaite en matière de « reste à charge ». Pour être viable, le bouclier devra être élaboré certes en fonction du « reste à charge » mais aussi des revenus. Un changement aussi radical de paradigme requiert de nombreuses simulations et une longue maturation de manière à ce que l’ensemble des acteurs y soit associé. En outre, il faut prendre garde à ses incidences financières, sauf à garantir que les personnes en ALD ne paieront pas plus et que les autres seront encore mieux protégées. Un travail d’expertise s’impose donc. Enfin, l’impact de ce système sur les AMC sera très fort.

M. Jean Mallot, coprésident : Disposez-vous de tous les éléments nécessaires à la réalisation de ces simulations ?

M. Dominique Libault : Non, notamment pas de ceux liés aux dépassements d’honoraires. Néanmoins, je le répète, faut-il les prendre en compte ? Cela n’entraînerait-il pas leur généralisation ?

La phase de transition sera de surcroît très complexe et des questions se poseront également quant aux délais de réalisation, cette opération étant particulièrement lourde pour les systèmes d’information.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Le rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard évoque la date de 2010.

M. Dominique Libault : En effet, mais il aurait fallu pour cela que la décision de mise en œuvre du bouclier ait été déjà prise et encore M. Briet a-t-il indiqué ne pas avoir disposé de l’ensemble des éléments du dossier. En outre, la prise en compte des revenus peut encore ralentir le processus. Je me demande, enfin, s’il ne faudrait pas rationaliser l’organisation de la gestion administrative de l’assurance maladie afin de mieux répondre aux exigences de ce nouveau système.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La MECSS a déjà fait un rapport à ce sujet.

M. Pierre Morange, coprésident : Il a d’ailleurs été suivi en partie en assurant le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ainsi que la fusion de certaines caisses.

M. Pierre Morange, coprésident : Exactement, même si c’est après une analyse à géométrie variable.

M. Dominique Libault : J’ai encore signé cette semaine des arrêtés de fusion, notamment dans la branche « recouvrement », qui est la plus avancée dans ce domaine.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quelles suggestions pouvez-vous faire pour améliorer le système actuel ? Faut-il de nouveaux critères d’admission et un meilleur suivi par les caisses et les médecins traitants ? Est-il possible d’entrer, de sortir et de rentrer à nouveau dans le système ALD plutôt que d’y rester pendant des années ?

M. Dominique Libault : Une meilleure gestion des entrées sur critères médicaux rénovés est en effet souhaitable de même que la vérification de l’homogénéité de leur application sur l’ensemble du territoire. S’agissant des sorties, je crois qu’il faut faire intervenir le critère du coût, lequel peut donc baisser après la phase aiguë de la maladie. Les patients doivent par ailleurs comprendre que la sortie du système ALD n’implique en rien une déficience du suivi – d’où les questions des contrats individuels avec les médecins ainsi que des rémunérations. En outre, les patients peuvent avoir intérêt à sortir du système ALD pour bénéficier de contrats d’assurance qui leur sont parfois refusés. Enfin, un meilleur suivi des patients en ALD devrait permettre de réviser plus régulièrement leur situation en fonction des soins dont ils bénéficient de manière à examiner la raison d’être de leur maintien.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Cela implique-t-il de fixer un seuil financier ?

M. Dominique Libault : Sur une « maladie longue et coûteuse » il faut bien en effet disposer d’une appréciation financière.

M. Gérard Bapt : Par rapport à quoi ?

M. Dominique Libault : On peut en tout cas réfléchir à l’idée de savoir s’il faut ou non donner plus d’importance à ce critère car il ne faut pas imposer un « reste à charge » trop élevé. La délégation de la mise en ALD au médecin traitant dans le cadre d’un contrat me semble également intéressante afin de mieux gérer les entrées et les sorties.

M. Pierre Morange, coprésident : Qu’en est-il de la montée en charge du plan 2007-2011 sur l’amélioration de la qualité de vie des patients atteints de maladie chronique ? Quid de l’éducation thérapeutique des patients ?

M. Dominique Libault : Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, a installé le 29 novembre dernier le comité de suivi de ce plan, que préside Mme Marie-Thérèse Boisseau. Quatre groupes de travail ont été créés : programme d’accompagnement des patients à l’éducation thérapeutique, rôle des aidants, accompagnement social des patients, proximité avec le terrain. Des actions ont par ailleurs été menées afin d’intégrer l’éducation thérapeutique dans la formation médicale.

M. Pierre Morange, coprésident : Mais, plus précisément, qu’en est-il sur le terrain ? Existe-t-il un calendrier de la montée en puissance de ce plan en particulier en faveur de l’éducation thérapeutique des patients, que ce soit à l’hôpital ou en ville ?

M. Dominique Libault : La CNAMTS intervient dans le cadre du programme Sophia qui propose une expérimentation dans dix départements autour des problèmes liés au diabète. C’est une évolution très novatrice de l’assurance maladie. Par ailleurs, afin d’éviter les conséquences des lésions des pieds chez les patients diabétiques, il vient d’être décidé le remboursement des séances de soins et de prévention effectuées par les pédicures-podologues en faveur des patients présentant un risque élevé.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce qui permet de réduire considérablement le nombre d’amputations.

M. Dominique Libault : Nous travaillons aussi auprès des maisons pluridisciplinaires de santé afin de faire émerger de nouvelles formes de prises en charge et d’accompagnements. C’est ainsi que, hors du système hospitalier, elles pourront prendre en charge l’éducation thérapeutique.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous sommes encore dans une phase d’expérimentation.

M. Dominique Libault : Enfin, nous travaillons sur les tarifications et le contrat individuel.

M. Pierre Morange, coprésident : Disposez-vous d’un calendrier programmatique de généralisation du dispositif ?

M. Dominique Libault : La réalisation globale du plan ne dépendant pas de la direction de la sécurité sociale, je ne puis vous répondre.

J’insiste sur le caractère fondamental de la prévention. Il faut agir sur le plan de l’éducation, bien entendu, mais nous travaillons aussi, dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion de la branche famille, sur l’action sociale de la branche dans le domaine de la nutrition en particulier. Nous souhaitons aussi que les autres branches participent à cet effort. Enfin, nous réfléchissons à des fiscalités comportementales telles que la taxe nutritionnelle.

M. Jean Mallot, coprésident : Comment améliorer le système actuel à moyen terme, si l’on exclut par exemple le bouclier sanitaire ?

M. Dominique Libault : Il est possible de travailler sur la définition des critères médicaux d’entrée et de sortie ou sur la responsabilisation du médecin. Par ailleurs, l’ordonnance bizone a permis de réaliser 80 millions d’euros d’économie par an. Enfin, nous travaillons sur la liquidation médicalisée. Il est donc bel et bien possible de modérer la croissance des dépenses de santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelles économies pourraient-elles être réalisées à travers la liquidation médicalisée ? Quel est le calendrier prévu ?

M. Dominique Libault : Il faut tenir compte de la nécessaire concertation autour des différents critères, de même que des délais liés à la mise en place des systèmes d’information. À mon sens, ce sont des dizaines voire des centaines de millions qui sont en jeu chaque année.

M. Gérard Bapt : Environ 85 % de l’augmentation des dépenses de santé provient des ALD, or, sur la base d’une étude concernant la non prise en charge en ALD des diabètes équilibrés et non compliqués, le directeur de la CNAMTS a indiqué ne guère croire à la réforme du système d’entrée dans les ALD compte tenu du caractère infinitésimal des économies réalisées. Ne conviendrait-il donc pas plutôt de mettre en place un parcours de soin individualisé prenant en charge les maladies chroniques ?

M. Jean-Luc Préel : Si le toilettage du système des ALD est utile, il me semble que le principal objectif doit être de réaliser des économies. Or, quelles économies escomptez-vous en révisant les critères d’entrée et de sortie, sachant par exemple que le traitement d’un diabète équilibré ne coûte pas grand-chose, de même que celui d’un cancéreux guéri ? De surcroît, la tentation est forte de reporter un certain nombre de coûts sur les AMC mais outre que les contrats sont en effet très divers, souscrire un contrat individuel à partir d’un certain âge coûte très cher – les mutuelles, au final, « mutualisant » fort peu. Enfin, puisque les problèmes liés au pouvoir d’achat sont souvent évoqués, quelle est, sur ce plan, la différence entre une augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) et de l’assurance complémentaire ?

M. Dominique Libault : Dans le cadre du régime de base, la tarification est proportionnelle au revenu mais les assurances complémentaires, elles, élaborent leurs tarifs en fonction du risque et de l’âge.

M. Jean-Luc Préel : Ce qui n’est guère solidaire.

M. Dominique Libault : Les tarifications sont à peu près comparables malgré la concurrence puisque aucune mutuelle ne tient à perdre une clientèle jeune, en bonne santé et solvable. Les limites d’un report de l’AMO vers l’AMC sont donc patentes. Le système ALD, toutes choses égales par ailleurs, implique une plus grande prise en charge des coûts par l’AMO que par l’AMC. L’essentiel n’est donc pas tant un report des coûts que leur stabilisation.

Il faut prendre en compte deux faits : le vieillissement de la population et le progrès médical. Il est donc assez logique que le poids des pathologies lourdes ne cesse de croître. Le problème essentiel est de parvenir à sauver notre système grâce à une meilleure maîtrise des dépenses et, en la matière, il n’y a pas de petites économies.

M. Pierre Morange, coprésident : Merci pour votre intervention et pour cette conclusion qui nous invite à la modestie mais aussi à la ténacité.

*

Audition de M. Robert Nicodème, membre du Conseil national de l’Ordre des médecins.

M. Pierre Morange, coprésident : Je souhaite la bienvenue à M. Robert Nicodème, membre du Conseil national de l’Ordre des médecins.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : L’Ordre des médecins a engagé une réflexion sur la prise en charge des affections de longue durée (ALD). Quelles sont les principales pistes suivies en la matière ? Qu’envisage-t-il en particulier pour mieux maîtriser l’évolution des dépenses de santé liées aux ALD ? Faut-il reconsidérer la liste de ces dernières de même que les critères d’admission, de suivi et de maintien en ALD ainsi que ceux de sortie ?

Quant au système existant, convient-il de l’améliorer ou, comme le préconise la Haute Autorité de santé (HAS), de mettre en place un mécanisme de plafonnement du reste à charge en fonction des revenus, de type bouclier sanitaire ?

M. Robert Nicodème : J’aborderai la question des affections de longue durée en faisant part d’un exemple tiré de ma pratique médicale. Parmi les trois patients en ALD souffrant de néoplasie que je recevais hier dans mon cabinet, le premier venait pour apprendre qu’il était affecté d’une affection de longue durée, et les deux autres pour suivre un traitement préventif, l’un souffrant d’un risque cardiovasculaire après un cancer de la prostate, l’autre d’une maladie métabolique après un cancer du sein.

Alors que la prise en charge à 100 % en ALD du premier patient m’a permis d’éviter une difficile discussion financière qui serait venue s’ajouter à la souffrance physique et morale du malade, j’ai considéré, s’agissant des traitements préventifs des deux autres, qu’ils devaient également relever d’une prise en charge en ALD. Il m’a semblé en effet impossible de distinguer dans ma consultation, même si elle était, dans les deux derniers cas, consacrée en majorité à autre chose qu’à l’ALD elle-même, entre ce qui relève de l’ALD et ce qui a trait à la surveillance cancérologique.

Dans ces conditions, on peut préférer soit optimiser le système actuel de prise en charge, sachant qu’il faudra alors faire des choix car la santé, comme le pétrole, coûte de plus en plus cher, soit réfléchir à un autre système. Dans tous les cas, les solutions seront différentes selon que l’objectif visé est financier, médical ou social.

Encore faut-il, pour faire des choix, disposer d’études fiables, scientifiquement validées. Or tel n’est pas le cas, alors que toutes les ALD ne se ressemblent pas. Pourtant, on dispose en France non pas de douze ou de quinze systèmes d’assurance maladie sans cohérence entre eux, comme en Hollande, mais d’un seul, l’assurance maladie – laquelle devra d’ailleurs réaliser des progrès dans ses relations avec le monde médical : les jeunes médecins ne veulent plus s’installer en médecine générale car ils ne veulent pas de paperasserie.

Les études pourraient distinguer selon les grands types de pathologies.

Premièrement, les maladies cardiovasculaires et métaboliques, qui sont dues notamment au cholestérol ou au diabète. À cet égard, si les six ou sept médicaments inhibiteurs de la pompe à protons – IPP – traitant les ulcères ou les gastrites ont la même efficacité, c’est le plus cher qui est le plus vendu. Il conviendrait donc, comme dans les hôpitaux, d’en choisir un. Le patient, en acceptant d’être pris en charge par la société, doit en effet consentir à prendre le médicament que celle-ci lui propose. Il s’agit de maladies dans lesquelles la charge émotionnelle n’est pas très importante : elles sont acceptées, car les patients ne se sentent pas pour autant diminués sur le plan social.

Deuxièmement, les maladies cancéreuses. Si le retentissement psychosocial est plus grand que pour les précédentes, les critères d’entrée et de sortie sont, en revanche, faciles à définir.

Troisièmement, les maladies psychiatriques, pour lesquelles le comportement du patient ne peut être mis en cause : le fait de ne pas se soigner fait partie de la maladie.

Quatrièmement, les maladies dégénératives, qui provoquent un vieillissement prématuré de l’organisme – Parkinson, sclérose en plaques, Alzheimer, etc. Elles ont un grand retentissement dans la population et l’image de l’organisation des soins est donc majeure.

Cinquièmement, les maladies infectieuses chroniques – VIH, hépatites, etc.

Sachant que la réalité est complexe – un patient peut souffrir à la fois d’une ALD et d’une autre affection –, l’Ordre propose, pour la prise en charge des ALD, d’une part, un accès aux soins dans les mêmes conditions pour tous et dans le respect de procédures clairement identifiées, d’autre part, une liberté de choix, enfin, un respect de la volonté des patients – ce qui pose d’ailleurs la question de l’éducation thérapeutique et de la responsabilité de ces derniers.

À cet égard, un patient diabétique qui ne suit pas son régime alimentaire doit-il être sorti du dispositif ALD ? Humainement, c’est impossible, même s’il arrive que des malades ne demandent pas leur prise en charge en ALD, préférant vivre comme ils le désirent.

En Grande-Bretagne, lorsqu’un patient atteint d’une maladie cardiovasculaire continue à fumer, un comité se réunit pour décider, dans le cas où le malade s’obstinerait, si on doit ou non l’opérer du cœur. Peut-on en France, sur le plan éthique, tenir le même raisonnement ? En d’autres termes, ne doit-on pas donner toutes ses chances à celui qui accepte la procédure, et essayer par ailleurs de convaincre l’autre ?

M. Jean-Luc Préel : Faut-il comprendre que le fumeur atteint d’un cancer du poumon devra payer pour son traitement et que la femme atteinte d’un cancer du sein qui aura refusé de se plier au dépistage ne sera pas soignée ?

M. Robert Nicodème : Tout le monde, bien entendu, doit être soigné. Je ne fais que poser des questions, afin de montrer combien la responsabilisation des patients est difficile, voire impossible, comme me l’ont démontré mes trente-cinq ans de pratique.

Chacun le sait, peser dix kilos de plus que son poids normal, c’est se donner dix ans de moins de vie normale. Pourtant, les personnes trop grosses continuent souvent à trop manger.

M. Pierre Morange, coprésident : Le droit des malades est un vrai débat de société sur lequel nous reviendrons sans nul doute avec M. Christian Saout, président du bureau du Collectif interassociatif sur la santé, qui sera auditionné à votre suite.

M. Robert Nicodème : J’en viens au rôle du médecin traitant selon les grands types de pathologies. Autant son rôle pluridisciplinaire sera simple s’agissant des maladies cardiovasculaires ou cancéreuses, autant il ne serait pas éthique de lui faire jouer un rôle de sanction ou de normalisation de sa clientèle - sous forme de primes ou autres – dans le cas où une éducation thérapeutique serait proposée aux patients souffrant de maladies métaboliques.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : L’Ordre des médecins dispose-t-il d’informations concernant les pratiques professionnelles des médecins en matière d’ALD ?

M. Robert Nicodème : Ce sont justement de telles études qui manquent. Prenez l’exemple de cet étudiant qui, devant un problème digestif d’un malade, proposait de faire une échographie avant même de palper le ventre : aucune étude ne permet de connaître la valeur de la palpation abdominale dans une situation de douleur abdominale chronique.

M. Jean-Luc Préel : D’autant que, dans cet exemple, l’interrogatoire du malade aurait peut-être suffi à lui-même en montrant que les douleurs abdominales sont dues à des problèmes familiaux ou professionnels. C’est là tout le problème de sélectionner des étudiants sur des critères scientifiques et non sur des capacités d’analyse, de synthèse et d’écoute.

M. Robert Nicodème : Les médecins sont à mon avis bien formés, même si le système peut toujours être amélioré – c’est d’ailleurs ce à quoi je me consacre depuis de nombreuses années. Ce sont des médecins formés à la technologie moderne mais qui, pour autant, procèdent à des examens normaux.

M. Jean-Luc Préel : Proposer une IRM d’emblée, c’est un examen normal ?

M. Robert Nicodème : Je ne faisais que citer l’exemple d’un étudiant.

M. Pierre Morange, coprésident : Un partage de la pédagogie a-t-il été envisagé entre les deux grands acteurs que sont les associations de patients et les praticiens ?

M. Robert Nicodème : Il convient de distinguer dans une consultation la partie purement médicale, qui appartient au médecin, de la partie organisation des soins qui doit être envisagée avec les associations de patients. À cet égard, il faut, pour que l’éducation thérapeutique soit réussie, que le patient connaisse sa maladie en parlant de celle-ci avec son médecin, puis qu’il se l’approprie, c’est-à-dire qu’il devienne un acteur du soin de sa maladie. Malheureusement, les associations de patients très actives en matière d’éducation thérapeutique ne touchent qu’une petite partie des patients atteints de maladies chroniques - diabète, hypertension, affections dégénératives, etc.

L’éducation thérapeutique a également un rôle à jouer en matière de prévention. En effet, si l’on est diabétique lorsque la glycémie à jeun est supérieure à 1,24 gramme par litre deux fois dans le mois et que le taux d’hémoglobine est supérieur à 6 %, certains diabétiques, qui se sentent très bien, vivent sans comprendre qu’ils sont malades : la santé, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé – OMS –, n’est-elle pas en effet « un état de complet bien-être physique, mental et social » ? Pour ces personnes, qu’il faudrait médicaliser, le rôle préventif de l’éducation thérapeutique serait bien utile.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Selon leur définition, les ALD sont des maladies longues et coûteuses. Or, du fait des traitements nouveaux, certaines affections peuvent être guéries tandis que d’autres restent longues, mais sans être coûteuses. La réflexion sur une nouvelle définition des ALD, doit-elle chercher à concilier le critère médical et le critère économique ou à les prendre en compte séparément ?

M. Robert Nicodème : Pour les patients et les médecins, le dispositif ALD a prouvé toute sa valeur. Aujourd’hui, dès qu’un traitement débute, le diabétique, par exemple, entre dans le dispositif.

Il est vrai que l’on pourrait parfois s’interroger sur l’intérêt de prescrire, dans certains cas de diabète, un comprimé glucophage plutôt que de simples mesures hygiéno-diététiques. En tout cas, si l’on doit ouvrir moins grand la porte d’entrée du dispositif, des études sérieuses, portant au moins sur cinq ans, doivent auparavant prouver que le nombre d’accidents vasculaires cérébraux ou d’infarctus n’augmenterait pas.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La définition des ALD en tant que maladies longues et coûteuses doit-elle être reconsidérée ?

M. Robert Nicodème : L’objectif de la prise en charge, c’est d’abord d’éliminer les événements indésirables, par exemple l’infarctus pour le diabétique. Or certains patients prennent conscience de leur maladie par l’intermédiaire de l’événement indésirable. L’aspect prévention du dispositif est donc essentiel.

Quant à la définition elle-même des ALD, il faut savoir que nos définitions des maladies métaboliques ne correspondent pas toujours à celles de l’OMS, comme dans le cas du diabète.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : L’Ordre a-t-il évoqué l’éventualité d’un bouclier sanitaire, c’est-à-dire d’un mécanisme de plafonnement du reste à charge en fonction des revenus ?

M. Robert Nicodème : Il y a eu débat sur ce point, mais aucune décision n’a été prise en la matière.

Le problème tient à l’égalité devant la maladie. Or qu’il s’agisse de celui qui peut payer les soins ou de celui que la société doit aider, tous les deux, in fine, seront bien soignés. Cependant, il s’agit là d’une discussion sociétale et non pas médicale.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur le professeur, je vous remercie, au nom de la MECSS, pour ces réflexions tirées d’une grande expérience.

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Audition de M. Christian Saout, président du bureau du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), M. Gérard Raymond, président de l’Association française des diabétiques (AFD), M. Christophe Duguet, chargé de mission à l’Association française contre les myopathies (AFM), Mme Nathalie Tellier, chargée de mission à l’Union nationale des associations familiales (UNAF), et M. Thierry Saniez, délégué général de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV).

M. Pierre Morange, coprésident : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Mesdames, messieurs, les associations que vous représentez sont-elles impliquées dans la réflexion engagée sur la prise en charge des affections de longue durée (ALD) ? Faut-il à cet égard reconsidérer la définition de ces dernières donc réviser leur liste ainsi que les critères d’admission et de maintien en ALD et ceux de sortie ?

S’agissant de la prise en charge financière des ALD, convient-il de garder le système actuel en l’améliorant ou faut-il un mécanisme de plafonnement du reste à charge, en fonction des revenus ?

M. Christian Saout : Le Collectif est intervenu sur la question de la prise en charge des affections de longue durée, soit parce qu’il était directement consulté – ce qui fut le cas avec la Haute Autorité de santé (HAS) –, soit parce que ses représentants sont également membres d’institutions qui se sont prononcées sur les ALD, tel le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Pour sa part, le CISS ne mène pas de discussion directement avec les pouvoirs publics sur le sujet, même si celui-ci peut être évoqué à l’occasion de différentes réunions.

Par ailleurs, si le Collectif a organisé des discussions en interne sur le bouclier sanitaire, les analyses des différentes associations ont été par trop divergentes pour qu’il puisse présenter une position commune sur ce point. Après la première étape, d’ordre conceptuel, et la deuxième, la mission confiée à MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard sur la faisabilité du bouclier sanitaire, il en manque une troisième, celle de l’acceptabilité sociale de ce dernier, à laquelle la MECSS peut concourir.

Selon MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard, le bouclier peut être mis en œuvre dans un délai de deux ans après que son lancement aura été décidé. Pour autant, plusieurs paramètres ne le rendent pas aujourd’hui acceptable.

D’une part, la suspicion est forte, surtout après l’institution des franchises et l’annonce de transferts de charge importants à l’occasion de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’autant que si les franchises ont touché un nombre élevé de personnes, le bouclier sanitaire concerne, lui, huit millions de personnes mais 60 % des remboursements de la sécurité sociale.

D’autre part, le sujet n’est pas de savoir comment en finir avec les ALD, mais comment améliorer la prise en charge des Français en situation de maladie de longue durée. Aujourd’hui, le dispositif ALD est un mécanisme économique. Le protocole de soins et l’ordonnance bizone sont en effet conceptuellement très pauvres quant aux notions de qualité et de pédagogie de la prise en charge et d’accompagnement de la personne. Dans la pratique ce sont ainsi les patients qui coordonnent les médecins et non les médecins qui coordonnent les soins.

La réponse au problème posé par les maladies chroniques passe donc par une approche globale avec la mise en place de plans de soins coordonnés. Or, le bouclier sanitaire semble avoir plus été conçu pour résoudre l’équation économique des ALD que pour améliorer la qualité de la prise en charge.

Enfin, l’étude de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard, en ne traitant pas des dépassements d’honoraires, laisse penser que le bouclier est d’emblée « percé », faute d’encadrement. Le CISS rendra d’ailleurs publique, le 4 juin prochain, une enquête sur les dépassements, menée dans les 80 caisses primaires d’assurance maladie – sur 109 – dans lesquelles il est présent. Le fait que la quinzaine de réponses obtenues porte sur le secteur 1, là où le dépassement n’est pas autorisé, montre que la complicité entre l’assurance maladie et les médecins en matière de dépassements a quelque réalité.

Il n’est donc pas question de prendre position tant que l’on ne saura pas de quel bouclier sanitaire il s’agit et les conditions dans lesquelles il sera mis en œuvre.

L’approche qualitative des ALD devrait d’ailleurs être envisagée de manière « contractuelle », car l’on ne peut responsabiliser les patients qu’à trois conditions :

– L’information du malade  il n’existe pas en effet dans notre pays, en dépit de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, dite « loi Kouchner », d’information digne de ce nom, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis ;

– La motivation et la mobilisation du patient pour se traiter, sachant qu’un tel objectif ne peut être atteint par la mise en place de plates-formes téléphoniques, mais par le contact, ce que l’on appelle le temps médical  à cet égard, s’il est difficile en France de pratiquer des soins sans médecin, le temps non médical pourrait être facilité avec la création de nouvelles professions favorisant la relation de soins ;

– Enfin, la résolution des obstacles socio-environnementaux, afin que le malade puisse suivre son protocole de prise en charge. Il n’est pas facile en effet, lorsque l’on est à la rue, de prendre un médicament rétroviral qui doit être conservé au frais.

M. Gérard Raymond : Le système de santé ne pourra être transformé au moyen d’une simple approche économique, comme le propose la HAS avec le bouclier sanitaire. Un plan de prise en charge globale médico-sociale est préférable, car les malades atteints de maladies chroniques en souffriront toute leur vie.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Pas obligatoirement.

M. Gérard Raymond : Ou tout au moins une grande partie de leur vie. Mon attention est, il est vrai, par trop focalisée sur le diabète.

Ce qui importe, c’est de définir à la fois la maladie chronique, le moment où se déclenche alors la solidarité nationale et le contenu de la prise en charge médico-sociale, en différenciant ce qui relève du soin de ce qui se rapporte à la qualité de vie. On ne pourra en effet rendre les patients responsables, ou plutôt acteurs, de leur propre santé que si l’on construit avec eux un projet de vie. C’est à cette condition que peut être mis en place un projet thérapeutique, dont le soin ne représente qu’une partie.

Une vision globale de tous les acteurs est donc nécessaire, qu’il s’agisse des patients, des médecins, qu’il convient également de responsabiliser et non pas seulement d’inciter, ou encore de l’assurance maladie. En effet, la loi du 13 août 2004 a fait de cette dernière un véritable acteur de santé, en permettant également aux associations de patients de devenir des acteurs de santé de proximité sur le plan de l’entraide, de la solidarité et de l’accompagnement.

Une telle vision globale nécessite, d’une part, de ne plus se focaliser sur le volet économique – car on aura beau faire sortir des personnes du dispositif ALD, elles resteront malades avec même un risque de complications, ce qui n’entraînera donc pas d’économie –, d’autre part, de promouvoir une politique de prévention, d’accompagnement et d’éducation du patient, ce que le terme « éducation thérapeutique » peut recouvrir. Or les associations de patients ont l’impression que l’heure est plus à la culpabilisation des malades, notamment avec la participation forfaitaire d’un euro, qu’à leur motivation.

Vouloir faire des économies de cette manière est une erreur. Ce qu’il faut, c’est une prise en charge globale des maladies chroniques en faisant en sorte que les patients deviennent non pas responsables, mais acteurs de leur santé, car la responsabilisation viendra ensuite. Simplement, il faut, pour y parvenir, une véritable volonté politique.

M. Christophe Duguet : Le système ALD n’est pas mauvais en soi puisque voilà des années qu’il permet de prendre en charge des besoins essentiels de façon globalement satisfaisante, mais son réexamen s’impose, car il n’a été amélioré au fil du temps que par petites touches, sans cohérence d’ensemble.

Il lui est notamment reproché de ne pas être équitable, car il laisserait à certains patients d’importants restes à charge. Or c’est un problème dû non pas au système mais à son usage. Des dispositions existent en effet qui permettent d’admettre au titre des ALD 32, c’est-à-dire des pathologies invalidantes nécessitant des soins de plus de six mois, les personnes dont les restes à charge sont élevés.

De même, il n’y a pas à s’émouvoir du fait que les dépenses de santé sont concentrées dans le champ des ALD. Il est en effet logique que les personnes les plus malades soient celles qui coûtent cher. À cet égard, la problématique de l’évolution de la dépense ne doit pas simplement traiter du champ des ALD, mais également de celui des maladies lourdes ou chroniques.

Finalement, on se focalise sur le dispositif ALD alors qu’il existe plusieurs dizaines d’autres dispositifs d’exonération du ticket modérateur, qui d’ailleurs se croisent sans cohérence avec le premier.

Comme la question de la prise en charge des ALD est complexe, voilà que l’on propose la solution du bouclier sanitaire au prétexte qu’un même système ne doit pas poursuivre plusieurs objectifs, celui de la prise en charge des restes à charge importants et celui de la qualité des soins. Or pourquoi les deux champs devraient-ils être obligatoirement déconnectés ?

Au niveau individuel, déconnecter la qualité de la prise en charge et la nature du remboursement est probablement une mauvaise chose. Dans le dispositif ALD, certaines incitations financières sont liées à des actes particuliers - dépistage du cancer, examen bucco-dentaire, etc. Si les modalités financières changent, elles peuvent donc avoir un impact sur les soins. Aussi faut-il lier les deux notions, à savoir la prise en charge et la qualité des soins, voire la qualité des pratiques des professionnels afin de ne pas tout focaliser sur le patient.

Au niveau des politiques, une telle connexion doit tout autant être prise en compte. Sinon l’inquiétude serait grande – le passé l’a montré – de ne voir engagée que la partie financière du bouclier sanitaire sans que sa partie qualité des soins ne soit jamais envisagée. Or c’est elle qui est prioritaire.

La maladie chronique étant par ailleurs une maladie au long cours, elle ne peut être uniquement analysée selon une perspective annuelle. Il ne serait pas cohérent en effet, s’agissant de reste à charge, de comparer une personne qui a un problème de santé une année et un patient « abonné » à des soins lourds. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nos voisins allemands ont introduit, en plus du dispositif général de bouclier sanitaire, des modalités particulières pour les maladies chroniques les plus lourdes en raison de leurs conséquences financières pour le malade. La logique du bouclier sanitaire ne peut en effet se réduire aux dépenses d’assurance maladie obligatoires remboursables : aux dépassements d’honoraires peuvent s’ajouter l’achat de produits de santé non remboursés mais pourtant nécessaires au traitement de la maladie chronique.

La notion de plafonnement du reste à charge ne peut donc se comprendre que si toutes les conséquences financières de la maladie sont prises en compte. N’en retenir que certaines, pour des raisons administratives, serait d’ailleurs incompréhensible pour les malades.

Concernant, enfin, le concept de compensation des incapacités, par exemple l’acquisition de fauteuils roulants électriques qui sont très coûteux, la loi du 11 février 2005 sur le handicap avait déjà prévu une sorte de bouclier avant l’heure, en ce sens que les fonds départementaux de compensation devaient intervenir afin que le reste à charge représente moins de 10 % du revenu des personnes. Malheureusement, ce plafonnement ne s’applique pas, ce qui explique d’ailleurs que le milieu associatif soit échaudé. Une petite phrase a en effet été subrepticement ajoutée selon laquelle le reste à charge doit être compris dans la limite des tarifs. Or comme les tarifs sont fixés très bas et, pour certains produits, sans rapport avec le prix réel du marché, la disposition législative ne sert à rien.

Voilà pourquoi, du fait d’un plafonnement excluant de nombreuses dépenses ou s’appuyant sur des tarifs qui ne correspondent pas à la réalité, l’inquiétude est grande d’avoir un bouclier qui serait non pas simplement percé mais une véritable passoire.

M. Pierre Morange, coprésident : Il doit être bien clair dans l’esprit de chacun que le propos de la MECSS n’est pas de jeter l’opprobre sur une partie de la population, en l’occurrence les huit millions de personnes qui sont prises en charge au titre des affections de longue durée. Son objectif est tout simplement de rationaliser leur prise en charge afin que les principes d’universalité et d’équité soient respectés.

M. Thierry Saniez : Lorsqu’on lit certaines analyses économiques et les conclusions qui en découlent, on a la chair de poule. Il est bon en effet de rappeler avec force certains principes communs.

M. Pierre Morange coprésident : La logique de la MECSS, enracinée dans les fondamentaux de la République, est très simple : faire en sorte que chaque euro public soit utilisé au mieux. Nous assumons cette logique de la rationalisation au-delà de nos sensibilités politiques et nous ne croyons guère aux solutions miraculeuses.

M. Thierry Saniez : Notre approche sera sans doute un peu différente de celle des précédents intervenants : association généraliste, nous ne nous focalisons pas sur telle ou telle pathologie, nous réaffirmons la volonté de principe de consolider le système de soins public et solidaire, nous craignons l’émergence d’un système assurantiel, avec une marchandisation de la médecine et du soin. Or, notre système de soins actuel ne fonctionne pas si mal que cela et nombre de pays nous l’envient.

S’agissant des vagues actuelles de déremboursements et de franchises, je confirme ce qui a été dit. Les gens sont déjà confrontés à des problèmes de pouvoir d’achat et les sujets de mécontentement ne manquent pas. Mais ils sont touchés de manière encore plus aiguë par ce phénomène. Nous le constatons dans nos permanences.

Notre association s’est toujours battue pour la prévention, qui évite beaucoup de dépenses dans un deuxième temps. Si on avait agi il y a quarante ans, on en tirerait déjà les bénéfices.

Aujourd’hui, la prise de conscience est générale. Depuis quelques années, on assiste à l’externalisation de nombreux coûts sociaux publics. Cela pose la question du financement général du système de soins. Il faut peut-être élargir certaines bases, rechercher les causes réelles de certaines pathologies. Une réflexion est nécessaire. Ce n’est pas forcément à l’usager des soins, au consommateur, au citoyen touché par la pathologie d’en supporter demain le coût. Cette pathologie peut être liée à un environnement professionnel ou de vie dont d’autres sont responsables.

Le vrai problème du bouclier sanitaire tient à son acceptabilité sociale. On sent qu’il répond surtout à une urgence financière, mais nous ne pouvons aller plus loin dans l’analyse : on ne peut se prononcer sur un concept, il faut des simulations, notamment financières. Surtout, l’acceptabilité sociale, donc l’information, la communication, le débat, sont essentiels : en matière de santé, rien ne peut se faire sans adhésion.

Je ne vois pas comment on pourrait revenir sur le système des ALD, qui concerne des personnes malades et qui risquent de l’être longtemps. On est là au cœur de la solidarité. Y renoncer serait socialement inacceptable mais aussi économiquement contreproductif.

Enfin, il conviendrait de réfléchir à l’ensemble du système français de financement des soins : s’il est peut-être nécessaire d’économiser et de rationaliser, dès lors qu’il s’agit de vies humaines, on ne peut se contenter de faire des économies.

Mme Nathalie Tellier : Une association comme la nôtre, plus généraliste et qui représente les familles, doit insister sur la prévention et, au-delà, sur une véritable éducation à la santé dès le plus jeune âge, notamment dans les écoles. C’est ainsi que l’on gagnera en efficience et en équité.

Une enquête que nous avons menée récemment auprès de parents d’enfants atteints d’une maladie chronique montre que le manque d’information et de formation dès l’annonce de la maladie laisse les parents désemparés. On note aussi que les médecins, la ville, l’hôpital, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les réseaux de soins ne se parlent pas. Or la prise en charge d’une maladie passe par une vraie coordination et par une communication entre tous les acteurs.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : J’aimerais que nous en revenions aux ALD. Aujourd’hui, plus de huit millions de personnes bénéficient de ce régime d’exonération et on en annonce 15 à 18 millions dans les années à venir. La MECSS, où toutes les opinions politiques sont représentées, a pour rôle de réfléchir à cette évolution.

Le système des ALD est formidable, mais il faut probablement le revoir, qu’il s’agisse de la prévention, des rapports avec les médecins, du suivi, etc. Une loi a été votée l’an dernier pour coordonner les soins et expérimenter de nouveaux modes de rémunération. Comment améliorer le système ? Comment en faire sortir, sur la base de critères médicaux, des patients qui ne relèvent plus des ALD ?

M. Christophe Duguet : On parle d’un grand nombre de personnes en ALD. Mais la dépense est très dispersée : certains patients ne coûtent rien, d’autres coûtent cher une année mais pas la suivante.

Plusieurs de vos questions portaient sur les systèmes d’information et d’analyse, domaine dans lequel on en est encore au Moyen Âge. Il faut dire qu’aucun organisme n’est chargé d’analyser la dynamique des dépenses de soins dans la durée, les restes à charge ou les multi ALD. Il est essentiel de disposer d’éléments le permettant.

Évoquer la responsabilisation des patients en ALD, signifie en fait que l’on pense qu’ils consommeraient moins de soins si on les pénalisait. Mais aucune étude sérieuse de ce public ALD ne confirme cette idée absurde. Pourquoi ces patients seraient-ils des consommateurs compulsifs de soins ? Ce qui est en cause, c’est la prescription des professionnels. Une des avancées de la loi du 13 août 2004 a été de « protocoliser » ces soins. Cette mission a été confiée à la HAS et nous y avons participé.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous ne fantasmons pas sur des patients en ALD consommant de façon hystérique des protocoles thérapeutiques !

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a donné à la HAS une compétence médico-économique. Peut-on imaginer une coresponsabilité du praticien, qui devrait obligatoirement prendre en compte cette dimension, notamment dans ses prescriptions, et du patient ?

M. Christophe Duguet : C’était un des éléments de la mission de la HAS, avec les guides médecins et les listes de prestations. Il convient aujourd’hui d’en faire le bilan. Le travail produit, avec les patients, par la Haute Autorité est de très grande qualité. Mais aucun médecin ne lit ces documents.

M. Pierre Morange, coprésident : La généralisation des logiciels d’aide à la prescription mettant en œuvre des protocoles thérapeutiques et intégrant la dimension médico-économique donnerait une cohérence à l’ensemble du dispositif. Dans son récent rapport concernant la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments, la MECSS préconise que ces dispositifs soient opérationnels au plus tard dans un an.

M. Gérard Raymond : Depuis 1945, la société a évolué, les thérapies aussi. Comment faire en sorte que le patient devienne acteur de santé ? Il faut un contrat entre l’assureur, le professionnel de santé et le patient, pour établir une prise en charge globale qui ne se limite pas aux soins mais aboutisse à un projet de vie. Les responsabilités doivent être partagées.

On a voulu faire des protocoles de soins. Je ne suis même pas sûr que les patients les signent encore. C’était une démarche superficielle, qui n’a rien apporté à la qualité de vie et qui n’a guère que rapporté aux médecins le forfait annuel spécifique de 40 euros par patient en ALD. Mais, ensuite, il n’y a eu aucune information, aucun dialogue avec le patient sur la prise en charge de sa maladie.

Dans le même ordre d’idées, il faudrait réfléchir à un autre mode de rémunération du médecin, non plus à l’acte, mais au forfait, sur la base d’un engagement.

Les pathologies ont certes des points communs mais aussi des spécificités. Pour des pathologies à évolution très lente, il faut des protocoles évolutifs, personnalisés en fonction de la réactivité et de la coopération du patient. Cela exige de nouveaux métiers, une refonte totale de l’acte médical, du rôle du médecin qui intervient en premier recours, de l’équipe pluridisciplinaire, une liaison entre l’ambulatoire et l’hôpital, etc.

Il faut réfléchir à tous ces sujets. C’est là que nous pouvons apporter notre connaissance du terrain et de la maladie, en tant qu’acteurs de santé et force de proposition. Il ne s’agit pas de s’opposer à toute réforme, de dire que les ALD sont sacrées : peut-être pourra-t-on y toucher quand on aura amélioré la prise en charge.

M. Christian Saout : Quand bien même les documents de la HAS seraient parfaits, la loi dispose que les protocoles de soins sont rédigés en référence aux recommandations de la HAS. Ces dernières n’ont aucun caractère contraignant, elles ne sont pas opposables. Par ailleurs, la médecine française ne supporte pas les algorithmes de traitement, considère que la médecine est un art qui se rapproche plus de la tapisserie que de la science, et continue à vendre cet art au prix de chez Christie’s !

M. Pierre Morange, coprésident : De l’art à la science, il n’y a qu’un pas…

M. Christian Saout : Les protocoles de soins partaient d’une bonne intention. La loi du 13 août 2004 avait même prévu la signature du patient. Le protocole était équilibré entre le médecin traitant, le patient et de médecin conseil de l’assurance maladie. Mais il n’y avait rien là de contractuel et pas d’engagement véritable. C’est pourtant pour cela qu’il a été décidé de donner le forfait de 40 euros au médecin.

Il faut sortir de la logique de l’acte, aller vers des rémunérations au forfait. Pour les patients atteints d’ALD, on conserverait le paiement à l’acte pour certains problèmes de santé, mais on irait vers la rémunération au forfait pour ceux qui nécessitent un accompagnement dans le temps. Nous ne serions d’ailleurs pas hostiles à ce que ce forfait atteigne 50, 60 ou 70 euros. Il ne s’agit pas d’étrangler les médecins.

La situation est difficile au quotidien pour tout le monde, décideurs publics compris. Il faut absolument que vous interveniez pour que ces difficultés structurelles soient levées.

M. Jean Mallot, coprésident : Le sujet est complexe, la machinerie est lourde. On ne peut diaboliser ni le patient ni le professionnel de santé.

Je vous remercie tous d’avoir participé à cette audition.

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AUDITIONS DU 12 JUIN 2008

Audition de Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, et Mme Anne-Carole Bensadon, conseillère technique.

M. Jean Mallot, coprésident : Nous sommes heureux d’accueillir Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins.

Nous allons vous laisser le temps de vous exprimer, Madame, sur le sujet des affections de longue durée – ALD –, avant de vous poser quelques questions.

Mme Annie Podeur : Je vous remercie. Vous avez déjà auditionné le directeur général de la santé et le directeur de la sécurité sociale ainsi que les représentants de l’assurance maladie et du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie – HCAAM –. Les enjeux médicaux et financiers sont majeurs, compte tenu du poids que représente la prise en charge hospitalière et ambulatoire des ALD ainsi que de la très forte progression de la part des ALD dans les dépenses d’assurance maladie. Cette part est passée, en quelques décennies seulement, de 50 à 60 %. Du fait du vieillissement de la population et de la chronicité de plus en plus de maladies, 12 millions de personnes pourraient relever du régime ALD en 2015 contre 8 millions aujourd’hui. Les ALD représenteraient alors 70 % de l’ensemble des dépenses d’assurance maladie.

La prise en charge des malades en ALD, lesquels représentent un peu plus de la moitié des patients atteints de maladie chronique, conduit à s’interroger sur leur accompagnement et la manière d’en faire des acteurs de la maladie avec laquelle ils vivent en sachant que la guérison n’est pas souvent au rendez-vous.

Cette problématique, étroitement liée à la prise en charge de la qualité de vie des malades chroniques, renvoie au plan conçu conjointement par la direction générale de la santé – DGS – et la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins – DHOS – et porté par notre ministre.

La DHOS est attentive aux réflexions en cours sur l’évolution du système des ALD, qu’il s’agisse du rapport du HCAAM sur les ALD, de l’avis rendu récemment par la Haute Autorité de santé (HAS) sur la liste et les critères d’admission des ALD ou du rapport de MM Raoul Briet et Bertrand Fragonard sur le bouclier sanitaire.

Elle doit réfléchir en priorité aux modalités de prise en charge des patients en ALD, et plus généralement des malades atteints de maladie chronique. Les états généraux de la santé (EGOS) ont par ailleurs mis en évidence la nécessité de mieux articuler les interventions de tous les acteurs de santé, en ville comme à l’hôpital.

Les modalités proposées aux malades atteints de pathologie chronique et aux patients en ALD doivent être plus lisibles, ce qui pose la question de la coopération entre les professionnels et de l’articulation entre l’ambulatoire et l’hospitalier. Certaines hospitalisations pourraient être évitées. Faute d’avoir suffisamment identifié les modalités de prise en charge en ville et organisé une véritable éducation thérapeutique, les épisodes de crise et les hospitalisations sont plus fréquents.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Le dispositif n’est-il « pas » ou « plus » lisible ? Ce système, qui est en vigueur depuis des années, a bien dû être lisible à une époque.

Mme Annie Podeur : Lorsque les ALD ne pesaient pas autant dans les dépenses d’assurance maladie, le système binaire – consultation en ville et hôpital – convenait. Si l’on veut aujourd’hui maîtriser les dépenses de santé et rendre un meilleur service aux malades, nous devons utiliser toutes les modalités qui sont à notre disposition pour mettre en place une graduation lisible des prises en charge en ambulatoire accompagnées d’éducation thérapeutique – c’est l’enjeu des maisons de santé –, des prises en charge à domicile via une véritable hospitalisation à domicile en général plus satisfaisante pour le patient et moins onéreuse pour la collectivité, et en cas de crise ou pour des bilans spécifiques, une prise en charge par des plateaux techniques. Il sera compliqué de rendre le système lisible.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Nous devrons ainsi réfléchir à des modalités nouvelles de prise en charge au sein d’une nouvelle organisation des soins.

Mme Annie Podeur : Oui, c’est le plus important. Nous devons organiser une graduation et la rendre lisible. Un malade atteint d’insuffisance rénale chronique doit savoir quand il peut utiliser l’auto-dialyse, quand il devra relever d’un centre de soins et quelle conduite observer.

M. Jean Mallot, coprésident : Avez-vous une vision concrète de cette articulation ?

Mme Annie Podeur : Toutes les bases sont aujourd’hui posées sauf, peut-être, le premier échelon, à savoir la structuration d’une offre ambulatoire autour d’un exercice regroupé et pluriprofessionnel. Jusqu’à présent, seuls les réseaux de santé permettaient d’articuler la ville et l’hôpital et d’accompagner la prise en charge ambulatoire d’une éducation thérapeutique. Or, les réseaux de santé, trop cloisonnés, progressent difficilement. Beaucoup d’affections de longue durée nécessitent une prise en charge globale. C’est en cancérologie que la structuration est la plus aboutie et la prise en charge très développée. Grâce au plan cancer, les réseaux de cancérologie se sont davantage souciés de la lisibilité du dispositif.

M. Pierre Morange, coprésident : S’agissant de la maîtrise de l’information, dans quel délai une telle coordination pourra-t-elle se mettre en place, compte tenu du dispositif actuel ?

Que pensez-vous par ailleurs des propositions relatives à l’organisation ? Certains sont partisans du maintien d’une dyarchie entre la structure actuelle de l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) et l’assurance maladie, les autres d’une unicité de commandement.

Mme Annie Podeur : Le système d’information est un enjeu majeur pour la réussite des agences régionales de santé – ARS –, notamment le partage total de l’information qui n’est pas encore réalisé. Des supports doivent être disponibles. L’assurance maladie ambitionne d’ailleurs d’accompagner les malades chroniques via un « coaching » téléphonique. Le patient doit pouvoir connaître les dispositifs proches de son domicile auxquels il a accès, dans le domaine paramédical en particulier, l’existence de groupes de parole, etc. Les dispositifs de prise en charge sont aujourd’hui trop éclatés – plan régional de prévention, programme régional de santé, schéma régional d’organisation sanitaire, etc.

Une fois le dispositif rendu lisible, il conviendra de prévoir les mécanismes de contrôle nécessaires pour l’évaluer et le corriger le cas échéant. Cette problématique renvoie au pilotage régional, à la mutualisation totale des systèmes d’information et au bouclage des contrôles. La mutualisation des moyens de l’assurance maladie et de l’État, notamment la compétence du service médical des caisses d’assurance maladie, peut nous permettre de pousser beaucoup plus loin le contrôle de la qualité du service médical rendu et de remplacer l’hospitalisation par l’ambulatoire lorsque c’est nécessaire.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand ce dispositif sera-t-il opérationnel ?

Mme Annie Podeur : Dans plusieurs années. Mieux vaut se fixer un calendrier raisonnable.

M. Pierre Morange, coprésident : Trois, cinq, dix ans ?

Mme Annie Podeur : Pas avant cinq ans, du fait de la complexité des systèmes d’information. Les éditeurs de logiciels et les industries ne sont pas forcément capables de répondre ipso facto aux spécificités de notre système si peu transposable à d’autres systèmes dans le monde. Le coût d’investissement très important fragilise l’offre industrielle.

S’agissant de l’organisation en cours, un certain nombre d’arbitrages ont été rendus. Aujourd’hui, un secrétaire général a été nommé chef de projet du chantier ARS. Si l’on met fin à la dyarchie régionale, il faut être clair sur les outils d’un pilotage régional unifié, en termes d’organisation, de régulation, de système d’information.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce travail est-il mené en interne ou en concertation avec les assureurs ?

Mme Annie Podeur : En concertation avec l’assurance maladie car une bonne organisation à l’échelon régionale ne peut se concevoir sans un pilotage resserré et unifié à l’échelon national.

Il faudra également régler la question du ticket modérateur à l’hôpital, qui devait faire l’objet d’une réforme. Le ticket modérateur est encore assis sur des tarifs journaliers qui ne correspondent plus à la réalité médico-économique de l’établissement, alors que l’hôpital public est passé à des tarifs de groupes homogène de séjour – GHS – au travers de la tarification à l’activité (T2A). Les cliniques calculent déjà le ticket modérateur sur la base des GHS. Comment appliquer ce principe à l’hôpital public ? La question n’est pas simple car le changement pourra entraîner pour les établissements hospitaliers des hausses de recettes ou des baisses. Il faut tout de même persévérer dans cette voie.

Il est par ailleurs impossible de renoncer au tarif journalier de prestation - TJP – en psychiatrie ou pour les soins de suite et de réadaptation, pour lesquels la tarification à l’activité sera appliquée plus tardivement.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Dans les deux secteurs, quel est le poids des malades chroniques et des ALD ?

Mme Annie Podeur : La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés – CNAMTS – ne peut pas nous donner d’information car l’exonération du ticket modérateur s’applique aux ALD mais aussi à des actes de chirurgie dès lors que le « K » dépasse 50. On pourrait à la rigueur essayer d’identifier, au sein des activités de médecine, chirurgie, obstétrique – MCO – ce que représente la prise en charge des malades chroniques. Seule l’assurance maladie pourrait faire la distinction mais elle n’a pas l’information sur la nature de la prise en charge – elle ne peut faire la différence entre une exonération au titre d’un acte chirurgical et une autre au titre d’une ALD.

Je ne peux donc pas vous donner ce chiffre du fait de l’étanchéité de nos systèmes d’information.

M. Pierre Morange, coprésident : S’agissant du forfait hospitalier, le coût supporté par le patient correspond-il à la réalité ?

Mme Annie Podeur : La fixation du ticket modérateur est une décision politique de répartition des charges entre la solidarité nationale, via le régime obligatoire, et un régime complémentaire. Il ne m’appartient pas de juger si ce ticket est fixé ou non à un bon niveau. Nous pouvons faire des simulations mais nous ne pouvons pas prendre de décision.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Que pensez-vous de l’institution d’un schéma régional d’organisation sanitaire – SROS – ambulatoire par le projet de loi « Santé, patients, territoire » en préparation ? Est-ce réalisable ? Dans quel délai ?

Par ailleurs, le dossier médical personnel – DMP –, qui devrait permettre d’améliorer la prise en charge des pathologies, devrait très vite être relancé. Qu’en pensez-vous ?

Mme Annie Podeur : S’agissant des SROS, il faut se méfier de la réutilisation des vocables. Nous travaillons sur ces dossiers et nous ne savons pas encore ce que doit être un outil stratégique d’organisation à l’échelon régional, embrassant l’ambulatoire, l’hospitalier et le médico-social.

La véritable question est celle de l’opposabilité de ces documents d’organisation des soins. Un « schéma stratégique » n’a pas le même sens qu’une « programmation ». Alors qu’une « programmation » suppose de pouvoir visualiser ce qui est souhaitable et de le financer, les schémas régionaux d’organisation des soins, tout en permettant de visualiser les projets, les enferment dans un délai de cinq ans sans aucune certitude quant à leur financement.

En ce qui concerne l’ambulatoire, peut-on aujourd’hui mettre en place un schéma contraignant, même s’il est concerté en amont, avec des structures de prise en charge si possible pluriprofessionnelles mais regroupées dans un bassin de vie au service d’une population ? Je ne suis pas certaine que les esprits soient aujourd’hui prêts à accepter un tel schéma, en raison du principe de la liberté d’installation des professionnels de santé.

Pour ce qui est du DMP, que la ministre devrait relancer prochainement, nous nous orientons plutôt vers un dispositif d’informations partagées à deux facettes : des dossiers partagés pour les professionnels et un dossier médical personnel pour le patient, avec une forte intersection entre ces deux espaces mais pas de recouvrement.

Nous devons nous appuyer sur les dispositifs déjà en vigueur, comme les plateformes régionales de télésanté : ce partage de l’information, via une messagerie sécurisée, entre des professionnels libéraux et des professionnels hospitaliers est déjà une avancée.

Si l’on veut que les ALD bénéficient en premier de ce dispositif, donnons-nous un calendrier raisonnable.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Faut-il modifier les critères d’admission, de suivi, de sortie d’ALD ? Si oui, à quelle échéance ?

Mme Annie Podeur : La Haute Autorité de santé a déjà élaboré trois scénarios en la matière – statu quo, toilettage, ajustements. Rappelons tout de même que le régime des ALD a permis aux personnes atteintes de pathologies lourdes, aux traitements souvent longs et coûteux, d’accéder aux soins.

Peut-être n’est-on pas allé au bout du travail de prévention.

Du fait du vieillissement de la population, du coût de la prise en charge de certaines pathologies aiguës, des dépassements d’honoraires, il a fallu s’interroger sur l’évolution du système.

L’avis de la Haute Autorité de santé date de décembre 2007. La direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins n’est pas compétente pour se prononcer sur la pertinence d’une révision des critères d’admission ou de sortie des ALD.

En vérité, il convient, non seulement d’assurer le contrôle d’application des référentiels de traitement, mais surtout de former les médecins et le personnel paramédical aux enjeux d’une prise en charge fondée sur la préservation du capital santé et l’évaluation des pratiques professionnelles.

Avant de réformer, il faudrait s’interroger sur la manière dont les médecins définissent l’accès à l’ALD. La loi du 13 août 2004 a choisi de confier au médecin traitant la demande d’inscription en ALD alors que le diagnostic de la pathologie est posé à l’hôpital. De surcroît, les schémas d’identification et de prise en charge accusent souvent des retards d’instruction très pénalisants.

Nous devrions mettre l’accent, via l’évaluation des pratiques professionnelles, sur la bonne utilisation des critères d’admission. Toutes les disparités que nous pouvons constater, en fonction du médecin ou du territoire, ne sont pas explicables. Le médecin généraliste peut manquer d’éléments de comparaison. Il peut également éprouver le besoin de parler de sa décision à ses pairs.

Concernant la prise en charge des ALD, en ville comme à l’hôpital, les groupes de pairs ne devraient pas se réduire aux médecins libéraux d’un côté, aux médecins hospitaliers de l’autre, mais réunir, sur un territoire donné, l’ensemble des médecins qui participent à la prise en charge des ALD, en s’interrogeant sur l’indication.

Mme Catherine Lemorton : Permettez-moi tout d’abord de préciser que la liberté d’installation des professionnels de santé concerne les seuls médecins puisque l’installation des pharmaciens est régulée et que les infirmières connaissent aussi, depuis peu, des contraintes analogues.

Qu’entendez-vous par ailleurs par « offre industrielle » ?

Mme Annie Podeur : Seuls les pharmaciens ne sont pas libres de s’installer, car si un protocole d’intention pour les infirmiers libéraux existe, il n’a pas été concrétisé via un dispositif conventionnel. Cela étant, les dispositions contraignantes ne sont pas forcément la bonne solution. Il est préférable de rendre attractives les conditions d’exercice dans les territoires désertés, d’où l’importance des dispositions prises pour reconnaître le rôle du médecin généraliste de premier recours et favoriser l’exercice regroupé ainsi qu’une meilleure coopération entre les professionnels de santé.

Quant à l’offre industrielle, il s’agissait de l’offre des éditeurs de logiciels informatiques.

M. Jean-Luc Préel : Je vous remercie d’avoir insisté sur la nécessité d’améliorer la prise en charge et la qualité de vie des malades. C’est en effet le plus important.

Il devrait par ailleurs revenir à la Haute Autorité de santé de concevoir les référentiels, mais en est-elle capable ? Dans quel délai ?

Pour ce qui est du contrôle de l’application des référentiels, le contrôle médical dépendra-t-il de la CNAMTS ou des ARS ? Sera-t-il possible de veiller à l’application réelle des référentiels ? Quelles seront les sanctions en cas de non-respect ?

Quant au système d’information, j’ai longtemps souhaité la mise en place d’un « INSEE » de la santé. Un Institut des données de santé fut créé à sa place. Cet organisme peut-il délivrer des données fiables ? Peut-on le régionaliser dans le cadre des ARS ?

Mme Annie Podeur : Vos questions me permettent de préciser ma pensée : ce n’est pas parce que la DHOS a avant tout pour mission d’optimiser l’organisation des soins au service du malade qu’elle n’a pas le souci de la viabilité financière du système.

Sur la capacité de la Haute Autorité de santé à concevoir des référentiels dans les délais souhaités, j’ose espérer que vous avez posé la même question au président de la HAS. C’est une mission très ambitieuse qui renvoie au processus d’élaboration des référentiels. La France compte beaucoup de sociétés savantes en mesure d’élaborer des protocoles. La HAS devrait apporter son expertise même s’il lui est difficile de repartir ex nihilo et de concevoir, dans des délais très brefs, un grand nombre de référentiels. Pour autant, ces référentiels sont nécessaires car ils permettent l’évaluation des pratiques des professionnels.

Le deuxième niveau est le contrôle externe. On ne peut dissocier l’élaboration d’un dispositif d’organisation des soins, sa mise en œuvre et la régulation du système. Un pilotage unifié est indispensable.

L’Institut des données de santé se met en place progressivement, avec un objectif de mutualisation. Le problème de la régionalisation me semble déjà réglé. Le reste est simplement une question de redéfinition des périmètres. Il existe dans chaque région un observatoire régional de la santé. Ces observatoires ont souvent travaillé sur les déterminants, sur l’offre, peut-être un peu moins sur les systèmes d’assurance maladie, les données étant plus complexes et moins disponibles.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : À titre personnel, que pensez-vous de l’idée d’instaurer un bouclier sanitaire ?

Mme Annie Podeur : Notre système de santé, très évolué, offre une excellente couverture des besoins comparativement aux autres pays. C’est un système solidaire, quasiment universel, mais les Français doivent être conscients des enjeux et de l’importance d’une bonne utilisation du système de santé. À ce titre, l’information et l’éducation sont essentielles.

S’agissant des ALD, les professionnels doivent mesurer leur responsabilité sur l’indication. Aucun système ne doit culpabiliser en raison d’une prise en charge nécessairement lourde. C’est une question de dignité dans une société démocratique. Il faut en revanche varier les réponses, faire des malades, quand c’est possible, les acteurs de leur propre santé, et définir le niveau de contribution de chacun. La solidarité est-elle égalitaire ou doit-elle correspondre à un niveau de ressources ? L’assurance maladie est aujourd’hui assise sur un système de plafonnement mais tient compte également des revenus perçus puisque l’assiette des contributions a été élargie progressivement. Cette donnée des revenus pourrait également être prise en compte pour la couverture du reste à charge.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions.

*

Audition de M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, M. David Tarac, vice-président de l’Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France, M. Claude Lecheir, vice-président de MG France, et M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France.

M. Jean Mallot, coprésident : Je suis heureux d’accueillir, pour cette nouvelle audition de la MECSS consacrée aux affections de longue durée (ALD), M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, M. David Tarac, vice-président de l’Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France, M. Claude Lecheir, vice-président de MG France, et M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France.

Je vous suggère de nous présenter votre position, votre analyse et vos propositions sur les ALD pour que notre rapporteur Jean-Pierre Door et les membres de la Mission puissent ensuite vous poser des questions.

M. Michel Chassang : Les affections de longue durée s’inscrivent dans le temps. Sur le plan médical, elles exigent une protocolisation, aujourd’hui mal adaptée car elle n’est pas informatisée, elle obéit à un circuit complexe, il n’existe pas de mise à jour en temps réel et l’information circule mal entre les médecins. Sur le plan financier, les patients sont exonérés du ticket modérateur, la CSMF émettant d’ailleurs des doutes quant à son efficacité dans la mesure où il exclut plutôt ceux qui ne disposent pas d’une couverture complémentaire le prenant en charge.

Ce système d’exonération entretient une confusion chez les malades, qui estiment être pris en charge à 100 % pour toutes les maladies, en toutes circonstances et en tous lieux, ce qui provoque des discussions sans fin dans nos cabinets, notamment au moment de remplir les ordonnances bizones. Certains malades ne sont pas suffisamment pauvres pour bénéficier de la couverture maladie universelle (CMU) et pas suffisamment riches pour souscrire une complémentaire. C’est le cas de nombreuses personnes âgées qui, au fil du temps, ont abandonné leur couverture complémentaire ; leur ALD évoluant, elles ont des restes à charge importants. C’est un système inflationniste, dans la mesure où ceux qui en bénéficient ne regardent pas à la dépense. Enfin, il concentre une grande partie des dépenses d’assurance maladie, qui ne fait qu’augmenter.

La CMSF propose de simplifier le dispositif, de l’informatiser, d’aider les médecins à s’informatiser, à utiliser des logiciels médicaux et à communiquer entre eux par ce biais. Elle propose également de déconnecter le remboursement du suivi protocolisé. Une affection chronique justifie un tel suivi, mais pas l’exonération du ticket modérateur qui y est liée. Nous proposons donc de supprimer cette exonération au titre des ALD. Naturellement, il faudrait des mécanismes d’adaptation pour les plus démunis.

Différentes hypothèses ont été émises : établir des contrats responsables avec les assurances complémentaires, pour éviter qu’elles n’abandonnent les patients lorsqu’ils coûtent trop cher ou deviennent trop âgés ; rendre la CMU plus progressive ; instituer le système de bouclier sanitaire préconisé dans le rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard. Qu’un tel système prévoie une prise en charge financière qui tienne compte des revenus n’est pas inintéressant, même si sa mise en place risque d’être compliquée. Il modifierait l’essence même de la sécurité sociale où l’on cotise en fonction de ses revenus et où l’on reçoit en fonction de ses besoins. En l’occurrence, on recevrait aussi en fonction de ses revenus. Mais ce ne serait pas forcément illogique ou inéquitable ; c’est d’ailleurs ce qui se passe dans d’autres domaines, en particulier fiscal.

M. David Tarac : Les ALD pèsent lourd : 8 millions de bénéficiaires ; 5 % de progression annuelle ; 60 % des dépenses prises en charge par l’assurance maladie ; M. Michel Chassang a brossé les grands traits de ce système. J’ajouterai que, par sa complexité, il est devenu illisible pour le médecin comme pour le patient. Une révision s’impose.

Nous ne sommes pas défavorables à une modification des critères d’entrée. Malgré tout, il faut être très prudent, pour ne pas déstabiliser une population qui souffre et doit faire face à des maladies longues et coûteuses.

Il conviendrait d’aider les médecins à utiliser les logiciels métiers (aide au diagnostic, aide à la prise en charge des ALD) qui doivent être mis à jour continuellement. Il conviendrait aussi de responsabiliser les patients dans la prise en charge de leur santé. La plupart des maladies sont définies aujourd’hui par des facteurs de risque. Est-il logique de rembourser à 100 % un malade souffrant d’une pathologie cardiovasculaire alors qu’il continue à fumer 30 cigarettes par jour ?

M. Claude Lecheir. Le système des ALD est aujourd’hui périmé. Il est entravé par le problème du reste à charge des patients et la généralisation des dépassements dans presque tous les domaines de la santé. Même un patient en ALD peut être gêné par des restes à charge importants.

Les médecins généralistes, qui assurent 74 % de la prise en charge des diagnostics en médecine ambulatoire, sont particulièrement mal à l’aise. La gestion de ce qui est pris en charge à 100 % et de ce qui ne l’est pas devient impossible sur le plan médical, d’autant qu’ils reçoivent de plus en plus de patients « poly ALD ».

La concentration de la dépense devient telle que si l’on devait reconsidérer les critères d’éligibilité dans un souci d’efficacité économique, il faudrait parfois exclure 90 % d’une population en ALD. Selon les chiffres fournis par l’assurance maladie, 50 % d’entre eux sont à l’origine de 7,6 % de la dépense ; inversement, 1 % des patients en ALD sont à l’origine de 15,7 % de la dépense.

Pour autant, faut-il abandonner toute idée de maîtrise des dépenses d’assurance maladie ? Le problème ne concerne pas que l’assurance maladie mais l’ensemble de la dépense de santé. Il ne s’agit pas pour nous, simplement, de gérer le curseur entre la dépense de l’assurance maladie du régime obligatoire et le reste à charge pris ou non en charge par une mutuelle, mais de gérer le problème de la dépense de santé du patient qui est en face de nous.

Les médecins généralistes demandent que l’on réforme ce système. La liquidation médicoéconomique, piste avancée pour la gestion des ALD, a été officiellement abandonnée par l’assurance maladie. Selon une lettre réseau très récente, on discute 8 % des lignes de prescription en ALD ou hors ALD, et il est sans doute impossible de descendre en dessous. Même les médecins conseil ne savent pas toujours nous dire, par exemple, si la chute de la personne diabétique est en rapport ou non avec son ALD.

Notre syndicat a fait de nombreuses propositions de réformes, dont certaines sont maintenant en place : médecin référent puis médecin traitant, maisons médicales de garde, maisons de santé publiques professionnelles, dont nous avons discuté hier au Sénat avec Mme Bachelot.

La première réforme consisterait à organiser le système. Il faut pouvoir permettre à un patient diabétique qui rencontre des problèmes de diététique ou de prise en charge de lésions cutanées des pieds, d’accéder à des conseils diététiques ou à des soins de pédicurie et de podologie. La dépense des ALD se fait principalement sur les soins hospitaliers, qui sont coûteux et qui traduisent en général une aggravation de la pathologie. Si l’on veut limiter l’utilisation de moyens lourds pour des patients en ALD, il faut renforcer les soins ambulatoires qui sont en général des soins de prévention et d’éducation sanitaire.

Cela signifie que la Haute Autorité de santé (HAS) doit mettre au point des référentiels de soins primaires, ce qui n’est pas actuellement le cas. Lorsqu’elle établit les référentiels de soins, elle ne consulte d’ailleurs pas les médecins généralistes, qui ne font pas partie des commissions. Nous nous en sommes émus auprès d’elle et elle a proposé de les intégrer pour être plus efficace.

Ces référentiels sont-ils suivis ? Lors de la campagne « antibiotiques », en 2002, nous avons soutenu la communication de l’assurance maladie dans les cabinets de médecine générale et nous avons accompagné sur le terrain les médecins généralistes en diffusant les tests de diagnostic rapide de l’angine. Cela s’est traduit par une baisse significative et profitable, en termes de santé publique, de la consommation des antibiotiques.

Cet accompagnement des professionnels, par exemple sous la forme des groupes de pairs, est très utile si l’on veut que les propositions qui sont faites en matière de référentiels soient effectivement appliquées sur le terrain.

Les médecins de santé primaire ont enfin besoin de travailler avec d’autres professions. Nous proposons donc de regrouper, dans les murs ou hors les murs, mais de façon fonctionnelle, certains professionnels qui travailleraient ensemble autour des patients.

M. Jean-Claude Régi : L’utilisation des ordonnances bizones est exaspérante pour les médecins. On peut parler d’un véritable harcèlement au quotidien ! La proposition, peut-être provocatrice, de la FMF, consiste à les supprimer purement et simplement. Il est tout à fait possible, dans un système moderne, de faire à la source la bascule entre ce qui doit être pris en charge à 100 % par l’assurance maladie et ce qui doit l’être par les mutuelles. Il suffit d’une volonté politique. Une telle situation ne peut plus durer. C’est même un point d’achoppement très fort au moment de la signature des conventions. Essayez de mettre cette proposition à l’étude avec les caisses. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ne devrait pas s’y opposer, dans la mesure où il existe un décret autorisant la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) à utiliser certaines données informatisées.

M. Roger Rua : S’il y a une réforme à faire, c’est bien celle des ALD, dont le système est obsolète. Les raisons en sont d’abord médicales : certaines des pathologies de la liste se guérissent, ou ne nécessitent pas des soins aussi coûteux ni aussi longs qu’auparavant. Il faudrait plutôt raisonner à partir de pathologies aiguës et de pathologies chroniques. Dans les premières, les soins peuvent être très coûteux pour une durée très courte, dans les secondes, les soins sont longs mais moins coûteux. La prise en charge doit être adaptée à cette réalité.

On ne peut pas maintenir la prise en charge à 100 % du protocole ALD. Différentes propositions ont été faites. J’ai lu les comptes rendus des auditions des représentants de la CNAMTS, de la HAS, etc., qui m’ont beaucoup intéressé.

Nos propositions ne sont pas révolutionnaires. Un groupe de travail sur les protocoles ALD, qui a déjà beaucoup réfléchi avec l’UNCAM, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, s’est prononcé pour la production d’un document beaucoup plus simple et qui ne serait pas « harcelant » pour les médecins.

La réforme des ALD doit s’inscrire dans la réforme globale de l’offre de soins, autour du médecin traitant, auquel nous attachons beaucoup d’importance - en sachant que si nous ne voulons plus parler de médecin généraliste et de médecin spécialiste, on peut toujours parler de médecin traitant et de médecin expert consultant. Le malade doit pouvoir s’y retrouver et les soins coûteux doivent pouvoir être pris en charge globalement. Il faut y associer l’assurance maladie, mais aussi les complémentaires qui ont un rôle très important à jouer, surtout dans les phases aiguës des pathologies difficiles et invalidantes.

Il faudra que, dans l’offre de soins, la consultation de prévention joue un très grand rôle. Selon un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), si l’on fait un peu d’activité physique, qu’on ne fume pas et qu’on ne boit pas, on gagne quatorze ans d’espérance de vie et l’incidence du diabète arrive à zéro !

Pour les pathologies longues et plus ou moins coûteuses, nous préconisons une consultation annuelle de coordination, qui serait honorée à une juste valeur : 80 euros ne seraient pas impensables, si l’on veut donner un signal fort au médecin traitant. Une coordination et une protocolisation annuelles permettraient de faire des économies à court et moyen terme.

Il faut se servir des travaux de la HAS. Mais il faut appliquer avec souplesse les référentiels. Le médecin est seul face à son malade et il ne peut pas toujours se réfugier derrière des référentiels écrits. C’est dans cette souplesse et cette coordination que l’on trouvera la diminution des coûts qui permettra de financer les phases aiguës lorsque les malades en ont besoin.

M. Pierre Morange, coprésident : Que pensez-vous des aides à la prescription ? Au vu du parc informatique actuel, comment envisagez-vous de vous inscrire dans le parcours de soins coordonnés ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Faut-il aujourd’hui revoir la liste des trente maladies ? Vous semblez dire qu’il ne faut pas y toucher.

L’abandon de l’ordonnance bizone ne serait-il pas aussi un abandon de la prise de responsabilité du médecin et du patient ?

Un consensus général se dégage, s’agissant de la prévention. Comment la voyez-vous ? Plus y aurait de prévention, moins il y aurait de pathologies. Mais c’est un processus à long terme.

Comment contrôler les référentiels de traitement et leur application ?

Est-ce que les pratiques professionnelles en matière d’ALD sont évaluées ? Si oui, comment améliorer cette évaluation ?

Le système de rémunération utilisé dans le cadre des ALD est-il adapté ? Faut-il le revoir ? Que pensez-vous du protocole inter-régimes d’examen spécial, le protocole PIRES ? Faut-il modifier le mode de rémunération dans le cadre d’une prise en charge de patients qui seraient en longue maladie, pour maladie chronique ou maladie aiguë coûteuse ?

M. Michel Chassang : Notre système est très complexe et personne n’y comprend plus rien, ni les médecins ni les malades. Il y a différentes façons de le réformer, de façon soit homéopathique, soit radicale.

Il faut le faire de façon radicale, en supprimant le lien financier avec les ALD. Il n’y aurait plus d’ordonnance bizone et l’on se concentrerait exclusivement sur la qualité d’exercice et sur les soins prodigués aux patients. La protocolisation deviendrait ainsi le maître mot de la démarche. Cela sous-entend un certain nombre de choses.

Premièrement, le parcours de soins doit prendre tout son sens dans le cadre d’un suivi des pathologies chroniques. Chacun exerce ses missions en fonction de son rôle et de sa place : le médecin traitant et les médecins consultants spécialistes.

Le parcours de soins tel que nous l’avons imaginé à la suite de la loi du 13 août 2004 est certes perfectible, mais il va tout à fait dans ce sens. Il s’agit d’un parcours de soins non administratif, mais médicalisé. En cas de maladie chronique, le médecin traitant assure le suivi et la coordination des soins ; les patients consultent, selon la protocolisation définie, le spécialiste des organes concernés par la pathologie chronique et donc l’affection de longue durée.

Deuxièmement, il faut favoriser la communication entre les acteurs. Cela passe par des outils informatiques et par le développement des logiciels médicaux dans les cabinets, par une communication entre logiciels et donc entre professionnels, par le développement des aides à la prescription et des référentiels élaborés par des instances scientifiques auxquels les médecins de terrain doivent participer. L’évaluation des pratiques professionnelles prendra alors tout son sens. À ce propos, le président de la CSMF que je suis regrette fortement le retard pris en la matière, qu’il s’agisse des dispositions relatives à la formation continue ou à l’évaluation des pratiques professionnelles. Nous les attendons depuis fort longtemps. Il y eut la loi de 1993, les ordonnances de 1995, les lois de 2002, de 2004, nous venons d’apprendre que leur mise en place allait être à nouveau reportée, et l’on nous parle encore d’une nouvelle loi ! Je ne pense pas que la profession ait une quelconque responsabilité dans ces retards. Mais les Français sont très sensibles à ces sujets et il nous est insupportable de subir leurs attaques, par exemple lorsque nous participons à des émissions de radio ou de télévision.

Nous sommes favorables à une politique d’évaluation des pratiques professionnelles exigeante, concentrée sur les maladies les plus graves et les maladies chroniques.

Il faut pérenniser le système de rémunération tel qu’il existe actuellement en maintenant le paiement à l’acte comme rémunération du médecin libéral. Mais le paiement forfaitaire me paraît tout à fait adapté dans certains cas, pour peu qu’il soit complémentaire.

La rémunération actuelle de 40 euros est insuffisante. Il faut donc la faire évoluer.

Pourquoi ne pas réfléchir à des forfaitisations en matière de prise en charge des pathologies chroniques ? Ce ne serait pas simple à mettre en œuvre dans notre système. Nous sommes néanmoins favorables à l’expérimentation de ce type de rémunération.

Nous sommes très attachés à la prévention. Le système de santé est quasi exclusivement orienté vers le curatif, c’est dommage. La prévention pourrait jouer un rôle. Encore faudrait-il s’en donner les moyens.

Dans les pathologies chroniques, il y a deux types de prévention : la prévention primaire, avant que la maladie n’apparaisse, et la prévention secondaire, une fois que la maladie est apparue. On vient de décider de prendre en charge les soins de podologie pour les patients atteints de diabète de types 1 et 2. Des mesures de ce genre sont indispensables.

L’éducation du patient l’est tout autant. La mise en œuvre initiale d’une insulinothérapie pour un diabète de type 1 implique des cours, une formation collective qui, actuellement, ne sont pas rémunérés. Voilà ce qu’il conviendrait de mettre en œuvre.

Il faut donc réorienter le système de santé vers la prévention. Commençons par les pathologies les plus graves et les plus coûteuses.

M. David Tarac : Pour faire évoluer le système, une évaluation des pratiques professionnelles est nécessaire. Nous regrettons amèrement que le processus n’ait pas encore démarré. Mais il nous manque un élément très important : le codage des pathologies, dont disposent la plupart des pays européens. La France a mis en place un codage pour les actes techniques, mais pas pour les pathologies.

Il demandera certes beaucoup de travail parce que l’on ne s’inspirera pas de ce qui existe ailleurs, pour faire « franco-français ». Mais c’est le seul moyen de savoir à quel stade de sa maladie se situe un patient. La situation d’un enfant de huit ans qui déclare un diabète n’est pas la même quatre ou cinq ans après.

Comment la sécurité sociale peut-elle gérer les choses ? Actuellement, nous codons en C ou en CS, selon que nous sommes généralistes ou spécialistes. Mais qu’en est-il de la pathologie elle-même ?

M. Claude Leicher : Mes cheveux se dressent sur ma tête : comment coder les polypathologies ? Je fais pourtant partie de la commission de nomenclature et je connais très bien la classification commune des actes médicaux, ou CCAM, mais il y a 7 500 codes et le médecin généraliste que je suis est incapable de s’y retrouver !

Il est toujours intéressant de rencontrer ceux qui sont à l’origine des lois, pour nous qui sommes chargés de les appliquer sur le terrain. C’est ainsi que le parcours de soins prévu dans la loi du 13 août 2004 a été mis à l’envers par la convention actuelle : il n’est pas décidé par le médecin traitant, mais soit par le médecin spécialiste, soit par le patient ; et nous sommes très heureux de recevoir des lettres de la part de nos correspondants spécialistes auxquels nous n’avons adressé personne ! Aujourd’hui, le directeur de l’assurance maladie affirme que les deux tiers ou les trois quarts des soins entrent dans le parcours de soins, mais dans la pratique, nous ne sommes pas si sûrs qu’il en soit ainsi.

*

Audition de M. Daniel Lenoir, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française, Mme Christine Meyer, directrice des garanties mutualistes et de l’assurance santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur les affections de longue durée – ALD. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je vous demanderai, dans un premier temps, monsieur Lenoir, de présenter la politique de la Mutualité française en matière d’ALD. Comment est-elle impliquée dans la réflexion engagée sur la prise en charge de ces maladies ? Quelles sont ses principales pistes de réflexion ?

M. Daniel Lenoir : Je pourrais répondre par une boutade à votre question liminaire en faisant valoir que la Mutualité française est un peu en dehors du circuit des ALD compte tenu des modes de prise en charge et d’accompagnement des patients, même si un peu plus de deux tiers des bénéficiaires des ALD sont adhérents à des mutuelles.

Le classement en ALD est d’abord un concept administratif qui déclenche une prise en charge à 100 %. Il est le révélateur de l’évolution du système de soins de santé que j’ai l’habitude d’appeler la « révolution épidémiologique », laquelle est liée à deux facteurs principaux : premièrement, la capacité croissante à soigner des maladies, y compris avant qu’elles n’apparaissent – ce qui revient à soigner des facteurs de risque – grâce aux progrès de la médecine, deuxièmement, le vieillissement de la population.

Le dispositif des ALD comprend la prise en charge non seulement d’épisodes de soins lourds et coûteux pour le patient mais surtout du phénomène plus général des maladies chroniques. Les épisodes de soins coûteux se déroulent selon un processus où on distingue un avant, un pendant et un après. Les deux ALD qui ont les incidences les plus importantes sont l’hypertension artérielle et le diabète.

Le régime des ALD – qui ne s’appelait alors pas ainsi – a été créé juste après l’ordonnance de 1945 sur la sécurité sociale, à une époque où les complémentaires santé ne couvraient qu’une partie de la population, afin d’éviter un reste à charge trop important pour le patient. Leur première fonction était de fixer un plafond mensuel aux dépenses restant à la charge de l’assuré social. On leur a plus récemment assigné un autre objectif, centré sur une trentaine de pathologies introduites par le plan dit Séguin, qui a conduit à se poser la question de la qualité de la prise en charge.

En matière de politique publique, il n’est jamais très bon qu’un seul instrument couvre deux objectifs. Par ailleurs, indépendamment des problèmes que le dispositif des ALD pose à l’assurance maladie obligatoire en ce qu’il est un moteur de la dépense et conduit à la concentrer de plus en plus sur les pathologies visées, il ne répond plus ni à l’un ni à l’autre des objectifs fixés.

La loi du 13 août 2004 avait prévu la mise en place de plus de 8 millions de protocoles individuels entre le patient, le médecin et le médecin-conseil, ce que j’ai toujours considéré comme une utopie technocratique et que j’ai même qualifié de « gosplan »… Un peu plus de 2 millions de protocoles ont à ce jour été signés, ce qui montre que le dispositif était irréalisable. Il n’a d’ailleurs pas permis d’améliorer la qualité de la prise en charge de ces affections. Et il faudra bien se poser la question de la prise en charge des maladies chroniques en général, ALD ou non.

Contrairement à ce que l’on en dit, le dispositif des ALD n’assure pas la prise en charge à 100 % des pathologies les plus lourdes. Depuis quelques années, le reste à charge des personnes en ALD est devenu supérieur au reste à charge moyen. Si une partie des dépenses ne relève pas de l’ALD proprement dite, d’autres, directement imputables à l’ALD, ne sont pas couvertes à 100 % : forfait journalier, franchises, dépassements d’honoraires.

La réflexion conduite par la Mutualité française ne porte pas spécifiquement sur la question des ALD, qui ne peut être réglée séparément des autres. Le moment où une maladie est prise en compte comme une ALD, qui relève d’une décision administrative – ce qui explique les difficultés des médecins à gérer l’entrée et la sortie du dispositif – s’intègre dans une séquence de soins longue, où il y a un avant, un pendant et un après. La nécessité de prendre en compte la totalité de la séquence a des conséquences sur l’action de la Mutualité française, sur les conditions de suivi par les professionnels de santé et sur l’organisation de la prise en charge dans la durée, c’est-à-dire la coordination entre l’assurance maladie obligatoire et la Mutualité française – question récurrente qui n’a pas été réglée, même si c’était probablement dans l’intention du législateur, par la loi de 2004. Je vais prendre ces trois points un à un.

Bien que la Mutualité ne dispose pas de moyens aussi importants que l’État et l’assurance maladie, elle a eu de tout temps un engagement important, et parfois précurseur, en matière de prévention. Elle y consacre environ 12 millions d’euros, presque exclusivement destinés aux facteurs de risque, donc à ce qui peut générer des ALD : risques cardio-vasculaires, cancers, situations de dépendance et de perte d’autonomie. Plus on agit sur ces facteurs, plus on retarde l’entrée dans des situations lourdes, voire on les élimine. Cette action de prévention a donc un effet bénéfique sur la prise en charge du coût des ALD même si on retarde aussi par la même occasion – et c’est heureux – le moment de la sortie fatale. Elle a contribué à l’allongement de la durée de la vie et a apporté un bien-être supplémentaire. L’espérance de vie sans incapacité augmente plus que l’espérance de vie en général. Le bilan des actions de prévention apparaît donc globalement positif, y compris sur la dépense.

Nous avons également engagé des actions plus systématiques sur chaque partie des séquences de soins : l’avant, le pendant, l’après. Depuis le mois de mai, nous avons lancé dans deux régions le dispositif Priorité santé mutualiste. Cette action auprès de nos adhérents et de l’environnement a pour but de procurer à ceux qui le souhaitent une information, dont la qualité est totalement validée, sur les dispositifs de prévention afin d’aider à la fois l’orientation dans les moments les plus critiques et l’accompagnement une fois ces moments passés. Le concept administratif de l’ALD recouvre des réalités lourdes pour les assurés et les mutualistes. Le dispositif Priorité santé mutualiste n’a pas été pensé uniquement par rapport aux ALD mais par rapport aux sujets les plus lourds pour nos adhérents, même si nous avons choisi de commencer par des thématiques et des pathologies qui sont pour la plupart considérées, du point de vue administratif, comme des ALD : cancers, affections cardio-vasculaires, addictions au sens général, aide à l’autonomie liée au cinquième risque. Nous comptons généraliser ce dispositif l’année prochaine à l’ensemble du territoire et l’étendre à d’autres domaines de pathologies.

La nécessité d’intégrer la réflexion sur les ALD dans la séquence totale des soins dispensés aux patients conduit à prendre en compte l’organisation des soins et le mode de rémunération des professionnels de santé. Pour les pathologies chroniques, l’acte ponctuel n’a pas de sens, notamment pour le médecin traitant. Ce qui compte, c’est le suivi du patient dans la durée. Il arrive que des pathologies chroniques conduisent à une multiplication d’actes inutiles et ne soient pas suivies dans la durée. Cela met en cause des organisations de soins sur lesquelles il serait trop long de revenir. Elles sont connues et j’espère que les travaux conduits dans le cadre de la préparation du projet de loi « Patients, Santé, Territoire » permettront d’y apporter une vraie réponse, notamment pour les soins primaires. Les modes de rémunération actuels des professionnels de santé, notamment du médecin traitant, ne sont pas adaptés à la prise en compte de la continuité des soins. Le paiement à l’acte – auquel le « forfait » de 40 euros prévu par la convention de 2005 apporte une mauvaise réponse – incite à inscrire les patients en ALD mais n’a pas d’effets réels sur leur suivi dans la durée. Il faut rechercher des dispositifs de rémunération des soins dans la durée prenant en compte, dans un cadre ordonné, l’ensemble des intervenants : médecin traitant, médecins adressés et spécialistes. J’espérais que les expérimentations prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour cette année auraient permis de tester ce type de rémunération. En dehors de l’épisode de la prise en charge à 100 % quand la maladie est considérée comme une ALD, cela nécessite – et nous y sommes prêts – une prise en charge conjointe de la rémunération du médecin et de l’ensemble des professionnels de santé qui gravitent autour de la personne soignée.

Le troisième sujet à prendre en compte quand on intègre les ALD dans l’ensemble du processus de soins est l’organisation de la prise en charge dans la durée. Hélas, les dispositifs qui permettraient d’assurer cette prise en charge conjointe n’existent pas ou n’ont pas été mis en œuvre. Les mutuelles ne savent pas quels sont leurs adhérents en ALD et n’ont aucune connaissance de leur situation. Elles n’ont pas accès à l’information. Pour assurer un suivi personnalisé sans risquer une quelconque dérive – comme la sélection des risques – la Mutualité a engagé des expérimentations pour avoir accès de façon anonyme aux données de soins individualisés. La question de l’accès à l’information se posera si nous voulons participer plus efficacement au suivi des patients dans la durée. La Mutualité n’a également que peu d’informations, pour ne pas dire pas du tout, sur l’économie générale du système : son coût, sa prise en charge. Cela tient au fait que les dispositifs de l’IDS - l’Institut des données de santé – se sont mis en place tardivement et ne permettent pas encore à la Mutualité d’accéder à l’EPIBAM – échantillon permanent inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie. La question de l’accès au SNIIRAM – système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie – est potentiellement réglée à ceci près que, à ma connaissance, l’arrêté n’a toujours pas été soumis à la signature.

Si nous voulons aller plus loin dans la prise en charge de ce que j’appelle les maladies chroniques, au-delà de l’épisode ALD qui est un mécanisme purement administratif, il faudra passer à un conventionnement tripartite - prévoyant une rémunération, pour l’essentiel forfaitaire, attachée au suivi dans la durée – avec des engagements individuels de qualité de prise en charge par ceux qui souscriront les contrats. J’espère que l’expérimentation prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 permettra d’ouvrir cette piste.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quand apprenez-vous qu’un assuré est en ALD ?

M. Daniel Lenoir : Nous ne l’apprenons pas. L’assuré n’a aucune raison de nous le signaler.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Vous n’intervenez donc pas dans le remboursement des soins qu’il reçoit ?

M. Daniel Lenoir : Si. Nous intervenons à la fois sur ce qui n’est pas pris en charge dans le cadre de l’ALD et sur ce qui n’est pas remboursable : le forfait journalier, les dépassements d’honoraires.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Beaucoup de personnes en ALD, en particulier âgées, abandonnent leurs contrats complémentaires. Peut-on en évaluer le nombre ?

M. Daniel Lenoir : C’est un phénomène qui existe mais il ne nous est pas possible de l’évaluer.

La Mutualité est aujourd’hui comme un aveugle dans un souterrain. Elle n’a accès à aucune information, qu’elle soit individuelle ou collective, ce qui m’empêche de répondre à votre question. Nous savons que le phénomène dont vous parlez existe. J’ai cependant le sentiment qu’il a plutôt tendance à s’atténuer car le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a signalé, il y a quelques années, que le reste à charge d’une personne en ALD dépasse maintenant, après lui avoir été inférieur, le reste à charge moyen.

Abandonner une complémentaire n’est pas une bonne chose, pour trois raisons. Premièrement, même en ALD, il y a un reste à charge. Deuxièmement, on espère toujours que les patients sortiront d’une situation d’ALD – le plan d’action de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) visait un meilleur respect des critères de sortie – et, dans ce cas, il est important qu’ils restent couverts par leur complémentaire ; troisièmement, le rôle d’une mutuelle ne se limite pas à la couverture des dépenses, elle assure également un accompagnement de ses adhérents au-delà et même indépendamment de la prise en charge des frais.

Mme Christine Meyer : Nous ne disposons que de chiffres bruts. Nous savons, par exemple, que 17 % des personnes en ALD n’ont pas de couverture complémentaire ni de Couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) alors que ce taux est de 14 % dans la population générale.

M. Daniel Lenoir : Le phénomène est limité puisque la différence de taux est de trois points. Nous ne savons pas comment il évolue.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ne faudrait-il pas informer les patients en ALD de la nécessité de garder une complémentaire ?

M. Daniel Lenoir : En effet car l’ALD repose actuellement sur une fiction : à savoir que les frais sont pris en charge à 100 % alors que de plus en plus de dépenses ne le sont pas, ne serait-ce que les dépassements d’honoraires.

Cela ne règle pas la question des complémentaires puisque cela fait deux ans que nous attendons que les négociations sur le secteur optionnel démarrent.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Allez-vous au-devant des assurés pour les mettre en garde contre le risque de se retrouver en difficulté s’ils n’ont pas de complémentaires ?

M. Daniel Lenoir : Les gens adhèrent librement à une mutuelle. Nous luttons contre l’idée reçue selon laquelle les assurés en ALD sont pris en charge à 100 %. La continuité de la couverture complémentaire aura d’autant plus de sens qu’elle pourra être intégrée à la continuité de l’accompagnement des pathologies.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les personnes qui souffrent de maladies chroniques ont l’impression d’être prises en charge pour longtemps, voire définitivement. Il faudrait donc une information conjuguée de l’assurance maladie obligatoire, du corps médical et de la Mutualité. Votre politique d’information me paraît timide.

M. Daniel Lenoir : Les mutuelles n’ont pas pour objectif de faire du chiffre d’affaires. Elles ne veulent pas donner le sentiment de vouloir garder coûte que coûte leurs adhérents pour une question d’argent. C’est la raison pour laquelle nous avons plutôt axé notre action sur le suivi des pathologies en développant des services d’accompagnement, notamment à travers Priorité santé mutualiste – qui bat de fait en brèche l’idée de la prise en charge à 100 %.

Les mutuelles expliquent évidemment à leurs adhérents qu’il est de leur intérêt de rester chez elles. Mais elles ne font pas de grandes campagnes avec le slogan : « Vous êtes classés ALD. Restez dans votre mutuelle ! »

L’information doit être donnée également par l’assurance maladie. Cela étant, je suis persuadé que de plus en plus d’assurés sociaux se rendent compte qu’il vaut mieux garder leur mutuelle parce qu’ils en ont besoin même en ALD et qu’on peut sortir de l’ALD.

M. Jean-Luc Préel : Je suis très heureux de vous entendre, monsieur Lenoir, mais un peu déçu par vos propos car vous êtes un fin connaisseur des problèmes de santé puisque vous avez exercé des fonctions à la Mutualité sociale agricole (MSA) et à l’assurance maladie avant de présider la FNMF.

Il semble être question de pousser le curseur, de revoir la liste des ALD et de modifier l’entrée et la sortie dans le dispositif. La Mutualité est-elle en demande de telles évolutions ou les redoute-t-elle ?

Comme le régime général est basé sur la solidarité et que la Mutualité a de plus en plus un comportement assurantiel, le fait de prendre en charge également les affections chroniques longues et coûteuses changerait-il votre comportement et le montant des cotisations ?

Vous devez quand même avoir des informations de temps en temps.

M. Daniel Lenoir : Par la presse !

M. Jean-Luc Préel : Vous savez quand les malades se font opérer. Vous devez avoir également des informations sur les médicaments. Le président de l’Institut des données de santé est très dynamique. Les choses devraient évoluer.

Troisièmement, pour permettre aux actions de longue durée de fonctionner, il existe aujourd’hui des réseaux de santé pour certaines pathologies. Comment doivent-ils être financés pour mieux fonctionner ?

M. Daniel Lenoir : D’abord, je suis désolé de vous avoir déçu, monsieur le député, mais je ne pense pas avoir esquivé la question. Pour avoir, moi aussi, une certaine pratique de la technocratie, je sais que ce n’est pas en faisant bouger les curseurs qu’on réglera le problème.

Le dispositif des ALD représente 60 % de l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM), soit quelque 90 milliards d’euros. L’ensemble des complémentaires rembourse 21 milliards. On peut imaginer toutes les politiques de transfert possibles, cela ne servira à rien. Nous avions nous-mêmes intégré dans nos prévisions le plan ALD de la CNAMTS qui visait un meilleur respect des critères d’entrée et de sortie. Comme cet objectif n’a été réalisé qu’à 25 % alors que nous l’avions intégré à 100 % dans nos prévisions, nos cotisations ont été pendant deux ans un peu supérieures aux risques. Tout transfert ne peut se solder que par une augmentation des cotisations à due proportion car, contrairement à l’assurance maladie, une mutuelle ne peut pas être en déficit, sous peine de faire faillite.

La seule façon de régler le problème de façon pérenne est, d’abord, d’assurer une vraie continuité des soins qui permette d’en garantir l’efficacité dans la durée et, si possible, de retarder, voire de supprimer, des épisodes de soins lourds, coûteux et douloureux pour les personnes, ensuite, de voir la répartition de la prise en charge entre les uns et les autres. À court terme, il ne peut y avoir que des ajustements. Je ne vois pas d’autre solution que de maintenir un système analogue à celui de la prise en charge des ALD en l’intégrant dans un dispositif plus global de suivi des maladies chroniques.

C’est pourquoi je suis déçu que vous ayez été déçu : cette idée me semblait un peu nouvelle.

Vous parlez de comportement assurantiel pour la Mutualité. Je ne vais pas engager de polémique. Je rappellerai simplement le droit communautaire. Selon le projet Solvabilité 2, la Mutualité et les institutions de prévoyance sont classées comme des activités d’assurance à l’échelle européenne. C’est pourquoi nous sommes tenus de respecter les règles qui s’appliquent à ces dernières, notamment en termes de provisionnement des risques. Nous avons donc été obligés de dégager sur nos propres ressources de quoi alimenter ces marges de solvabilité.

Pour autant, le code de la mutualité comporte un principe de non-discrimination et celui-ci est respecté. Mais il existe un risque, j’en conviens, que les assureurs en général et – pourquoi pas ? – telle ou telle mutuelle – parce qu’elle aurait perdu le sens ou, parce qu’elle y serait poussée par la pression du marché – utilisent les données de santé pour faire de la sélection des risques ou de la tarification au risque.

L’accès aux informations individuelles est un sujet extrêmement sensible. La Mutualité n’a pas même accès à l’information sur les médicaments, simplement à leur taux de remboursement. La seule façon d’obtenir des informations, en évitant le risque que j’ai évoqué, est d’utiliser des dispositifs sécurisés et anonymisés. C’est ce que nous avons développé, à titre expérimental, en application des préconisations du rapport de M. Christian Babusiaux, publié en 2003. Notre système fonctionne. Nous avons obtenu l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) après un audit par la délégation à la sécurité des systèmes d’information de la défense nationale. Nous appliquons la même règle sur notre plateforme de Priorité santé mutualiste : l’adhérent peut y voir sa situation de santé mais la mutuelle n’a pas d’information sur sa pathologie.

Le dynamisme et la volonté du président de l’Institut des données de santé ne sont pas en cause. Le projet n’aurait pas pu aboutir sans lui. Mais force est de constater que les choses prennent du temps. Il n’est pas normal que la Mutualité, les complémentaires et leur fédération n’aient pas accès à l’EPIBAM.

Sur les réseaux de pathologie – réseau pour le diabète, réseau pour le cancer –, je concède que j’ai été trop général. Si l’on peut dire que le système de soins a fait globalement des progrès, certains secteurs en ont fait plus que d’autres. Les écarts se sont creusés. C’est pourquoi dans Priorité santé mutualiste, il y a un bloc Aide à l’orientation, afin de permettre à nos adhérents de s’adresser à la bonne porte, d’avoir un suivi efficace et de qualité et de ne pas avoir de pertes de chance.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Un compte rendu d’audition de la MECSS du Sénat évoque un coût de gestion de la Mutualité de 24 ou 25 %. Quel est le taux exact ?

M. Daniel Lenoir : Je m’étonne que des taux actuellement soumis à procédure contradictoire soient communiqués au législateur. Le rapport de la Cour des comptes a fait apparaître des chiffres qui nous ont surpris, dont certains sont faux.

Les termes « coûts de gestion » sont impropres parce que s’ajoutent aux coûts de gestion réels – qui sont en train d’être vérifiés dans le cadre de la procédure contradictoire – des coûts permettant de couvrir les besoins en marge de solvabilité. Il faut également tenir compte du fait qu’il y a des années où les mutuelles ont des cotisations supérieures à leurs prestations et d’autres où c’est l’inverse, ce qui permet aux comptes de s’équilibrer dans la durée.

Les taux devraient être de l’ordre de 15 à 17 %.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Nous vous remercions.

*

AUDITIONS DU 26 JUIN 2008

Audition de M. Philippe Josse, directeur du budget au ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, et M. François Carayon, directeur adjoint, en charge de la 6e sous-direction.

M. Pierre Morange, coprésident : Messieurs, nous sommes heureux de vous accueillir afin d’approfondir le sujet des affections de longue durée – ALD – dont les conditions de prise en charge ont fait l’actualité ces jours-ci.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Comment la direction du budget est-elle impliquée dans la réflexion engagée sur la prise en charge des affections de longue durée, thème qui est en effet sous les feux de l’actualité ? Quelles sont les principales pistes de réflexion suivies ? Comment maîtriser l’évolution des dépenses liées aux ALD ? Quelle est la répartition des coûts de prise en charge de ces affections entre les secteurs ambulatoire et hospitalier ?

S’agissant par ailleurs de la dissociation, évoquée par la Haute Autorité de santé - HAS – dans son troisième scénario, du volet médical et du volet financier, avec l’éventuelle mise en place d’un bouclier sanitaire, quelle est la position de la direction du budget quant à la mise en œuvre d’un plafonnement du reste à charge en fonction des revenus ?

M. Pierre Morange, coprésident : Il s’agit, bien entendu, de prendre position sur le plan technique et budgétaire, sachant que, pour le reste, la décision relève du politique.

M. Philippe Josse : Quelques rappels me semblent indispensables pour bien poser le débat, surtout dans le contexte d’aujourd’hui.

La dépense de santé – qu’il s’agisse de la consommation de soins et de biens médicaux, de la dépense courante de santé ou de l’ONDAM, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie – croît plus vite que le produit intérieur brut, passant, en une quarantaine d’années, de six à onze points de PIB.

La part socialisée – c’est-à-dire la part prise en charge par la collectivité publique – de cette dépense à l’évolution dynamique est, contrairement à ce que l’on peut entendre, stable voire en légère augmentation : entre l’assurance maladie obligatoire, d’un côté, et la couverture maladie universelle complémentaire - CMUC –, l’État et les collectivités territoriales, de l’autre, elle est passée, en une dizaine d’années, de 78,2 % à 78,4 %. Il n’y a donc pas de désocialisation de la dépense.

Si le système reste en l’état et qu’il poursuit sa dynamique, il n’y aura pas d’autre choix – sachant que les trois quarts de la croissance de la dépense publique de santé sont imputables aux affections de longue durée – que d’opter soit pour des prélèvements supplémentaires ou pour du déficit – lequel n’est rien d’autre que du prélèvement obligatoire reporté sur les générations futures –, soit pour une répartition différente de la dépense publique de santé, au détriment des personnes qui ne sont pas en ALD. Tel est le débat qui doit s’ouvrir entre les personnes affectées par une maladie de longue durée et le reste de la collectivité des assurés, et qui concerne les contribuables d’aujourd’hui et de demain. Selon le principe de Lavoisier, en effet, « rien ne se perd, rien ne se crée », et il faut bien que quelqu’un paye.

Concernant le chiffrage, la direction du budget n’a pas de compétences particulières en matière d’assurance maladie. Les chiffres dont elle dispose sont donc ceux produits par d’autres organismes, notamment par la CNAMTS – Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés.

S’agissant de la répartition des coûts, on évalue à un peu moins de 60 milliards d’euros les dépenses afférentes aux patients en ALD, les deux tiers de cette somme étant liés aux affections de longue durée stricto sensu et un tiers aux maladies intercurrentes. Quant à la répartition entre l’hôpital et la ville, elle fait apparaître une légère prévalence – 60 % – de l’hôpital. De même, s’agissant de la répartition entre la part maladies intercurrentes et la part affections de longue durée stricto sensu, c’est cette dernière qui prévaut à l’hôpital tandis que la répartition est un peu plus équilibrée pour ce qui est des dépenses de ville.

Aujourd’hui, 60 % des remboursements de l’assurance maladie obligatoire sont liés aux personnes qui souffrent d’une ALD, qu’il s’agisse de l’affection elle-même ou des maladies intercurrentes. Ce pourcentage devrait atteindre 70 % à terme.

Les facteurs d’évolution du taux de prévalence des affections de longue durée – qui sont maintenant mieux connus grâce à un système d’information meilleur qu’avant 2005 – tiennent à l’augmentation démographique, au vieillissement de la population, à un meilleur repérage, aux progrès de la médecine, qui permettent aux personnes concernées de vivre plus longtemps, et, facteur un peu moins réjouissant, au développement de maladies dues au mode de vie actuel. Tout cela explique qu’il y ait beaucoup plus d’entrants dans le système des ALD que de sortants, le taux de prévalence étant, d’après les statistiques dont nous disposons, plus dynamique que la dépense moyenne par patient.

Le reste à charge moyen des ménages, qui est légèrement inférieur à 9 %, est plus faible en France que dans les autres pays de l’Union européenne ou de l’OCDE : non seulement le taux de socialisation reste constant, alors que la dépense de santé, très dynamique, est supérieure à la moyenne des pays de l’Union européenne et de l’OCDE, mais il est également beaucoup plus élevé que dans la moyenne de ces pays. De plus, l’intervention des organismes complémentaires, qu’il s’agisse des mutuelles, des assurances ou des institutions de prévoyance, est plus importante qu’ailleurs, puisqu’elle représente environ 13 % de la dépense de consommation de soins et de biens médicaux.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : À combien s’élève le reste à charge dans les pays voisins ?

M. Philippe Josse : Il est, par exemple, de 10 % en Allemagne et de 20 % environ en Italie.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ce qu’il nous faut retenir, c’est donc que la prise en charge en France est, en moyenne, de 91 %.

M. Jean-Luc Préel : C’est oublier les cotisations auprès des organismes complémentaires.

M. Philippe Josse : Il est exact que l’intervention des organismes complémentaires repose sur des cotisations, mais celle de la sécurité sociale également. En outre, un double effort a été effectué : l’instauration de la CMUC pour les personnes ayant les plus bas revenus et, au-delà de son seuil d’application, l’aide à l’acquisition d’une couverture santé complémentaire - ACS - prévue par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Si l’on ajoute à cela les avantages fiscaux décidés au profit des organismes complémentaires eux-mêmes, c’est toute une dynamique d’ensemble qui est favorable aux assurés. De plus, si le système conserve ses tendances profondes, la part des ALD dans la dépense publique de santé augmentera. De façon mécanique donc, le taux de prise en charge publique, à structure constante, s’accroîtra et la part des complémentaires s’allégera.

M. Jean-Luc Préel : Autant l’assurance maladie est fondée sur une vraie solidarité, autant les contrats des organismes complémentaires ne sont pas les mêmes pour tout le monde – ils sont, en particulier, plus onéreux pour les personnes âgées. On ne peut donc les mettre sur le même plan.

M. Philippe Josse : On ne peut en effet confondre organismes complémentaires et assurance obligatoire. Il n’empêche que, dans certaines situations, la substitution des complémentaires à l’assurance maladie ne pose pas de problème d’équité, compte tenu surtout d’une dynamique d’ensemble qui, sur le long terme, allège de manière mécanique la charge des complémentaires.

M. Pierre Morange, coprésident : Un rapport récent de la Cour des comptes a montré que les complémentaires, qui servent pour 22 milliards d’euros de prestations et qui bénéficient d’aides et de transferts publics d’un montant de 7,5 milliards environ, ont des coûts de gestion de 25 % contre moins de 6 % pour l’assurance maladie obligatoire. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

M. Philippe Josse : Faute d’être un spécialiste en la matière, je préfère m’abstenir de répondre.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Si le réexamen de la liste des ALD n’est pas de votre rôle, réfléchissez-vous aux critères d’admission et de maintien en ALD et à ceux de sortie ? De même, que pensez-vous de la dissociation du volet médical et de la prise en charge financière, ce qui pose la question du bouclier sanitaire et de la mise en place d’un mécanisme de plafonnement du reste à charge en fonction des revenus ?

M. Philippe Josse : Le Gouvernement, saisi de tous ces sujets, n’a pas encore pris position. Je me bornerai donc à dresser une typologie des différentes propositions ou réflexions émises par les différentes sources en la matière – Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, Haute Autorité de santé, mission de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard, Cour des comptes, CNAMTS – afin d’éclairer le débat public, dans lequel je n’ai pas à m’immiscer.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Vous n’en avez peut-être pas moins votre idée ?

M. Philippe Josse : Procédons déjà à la typologie. À cet égard, quatre familles de propositions tendent à maîtriser la dépense afférente aux ALD.

La première a trait à la liste elle-même. Les solutions sont, là, de deux ordres : soit la révision des critères, scénario 1 de la Haute Autorité de santé, soit le toilettage de la liste, sachant que certaines maladies sont éradiquées ou quasiment – la bilharziose ou la lèpre présentent, en termes financiers, un enjeu quelque peu anecdotique.

M. Pierre Morange, coprésident : C’est là une remarque que les praticiens ici présents ne peuvent que relativiser, du fait de notre civilisation des transports.

M. Philippe Josse : Le problème se pose au moins, d’après ce que j’ai pu lire, pour l’hypertension artérielle, qui n’est pas une maladie.

La deuxième famille de propositions concerne le contrôle : elles portent à la fois sur la gestion électronique – sujet qui a été évoqué à la suite de la loi du 13 août 2004 –, qui rendrait plus facile que le contrôle manuel le respect des principes fondant l’existence de l’ordonnancier bizone, et sur l’efficience du contrôle, en raison des disparités qui existent entre les régions dans les pratiques d’admission en ALD.

La troisième famille est relative à une meilleure prise en compte de la dimension économique dans les pratiques prescriptives. Le directeur de la CNAMTS cite souvent l’exemple des traitements par IEC ou sartan dans le cadre du traitement de l’hypertension artérielle : alors que l’un coûte plus cher que l’autre, la prescription n’obéit visiblement pas toujours à une optimisation médicale.

Enfin, la dernière famille de propositions comprend tout ce qui a trait à la prévention et aux pratiques de disease management.

À cet ensemble de propositions, qui aménagent le système, mais qui ne le modifient pas dans son essence, s’ajoute la proposition de bouclier sanitaire de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard, solution beaucoup plus radicale. Ces derniers, partant du constat, dans la droite ligne du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie et de la Haute Autorité de santé, que le régime des ALD comprend deux éléments très différents, à savoir le suivi médical, d’une part, et le financement avec prise en charge à 100 %, d’autre part, considèrent qu’à vouloir mêler les deux on aboutit à des situations qui ne sont pas toujours justes et qui peuvent même être coûteuses. C’est ainsi que des restes à charge en ALD peuvent être parfois élevés, parfois très faibles, ce qui signifie que le système ne traite pas correctement les questions à la fois d’équité et de dynamique de la dépense. C’est ce qui explique la proposition de bouclier sanitaire.

Je n’ai pas aujourd’hui, hic et nunc, d’appréciation sur cette question très complexe, qui exige de conduire des simulations et, surtout, qui dépend de la manière dont le dispositif est mis en œuvre, les variantes possibles étant nombreuses.

En résumé, la proposition de bouclier sanitaire tend à conserver un mécanisme de ticket modérateur, mais à plafonner son impact à un certain niveau, lequel peut être lié ou non aux revenus et garantir ou non l’équilibre financier. Selon les paramètres retenus, le bouclier peut donc permettre soit de faire des économies, soit au contraire avoir un coût, étant entendu qu’il opère des transferts non seulement entre patients en ALD et personnes qui n’y sont pas, mais aussi au sein des deux catégories. Ce sont tous ces paramètres qui doivent être simulés pour conduire, éventuellement, à une décision.

Au-delà de ce fonctionnement théorique du système, le bouclier sanitaire est certainement une piste intéressante, mais le choix de retenir une modulation en fonction ou non du revenu, est politique – choix que non seulement il ne m’appartient pas de faire, mais que je n’ai pas même à commenter.

M. Jean Mallot, coprésident : Au-delà de la description des schémas possibles de bouclier sanitaire, vous travaillez certainement, en votre qualité de directeur du budget, sur l’impact du dispositif, car les choix à venir en dépendront ?

M. Pierre Morange, coprésident : Sur le plan strictement technique, quels sont la faisabilité et le délai de mise en œuvre du dispositif le plus fréquemment évoqué, c’est-à-dire celui d’un bouclier sanitaire qui réponde à l’objectif tant de l’équité, en prenant en compte les revenus, que de l’équilibre budgétaire au titre de l’assurance maladie ?

M. Philippe Josse : Le rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard, rendu en septembre 2007, prévoyait, pour la mise en œuvre du nouveau dispositif, un délai de trois ans minimum, soit le 1er janvier 2010. Je ne me hasarderai pas, pour ma part, à faire un pronostic, car l’expérience montre qu’en matière de système d’information, lequel est nécessaire en l’occurrence, beaucoup de choses peuvent arriver. Je le sais d’autant mieux que je m’occupe du futur système Chorus d’information de l’État, lancé après l’échec en 2004 du précédent projet Accord 2. En tout cas, à ce stade, toutes les implications informatiques n’ont pas encore été complètement cernées.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je ne suis pas certain que la mise en œuvre du dispositif serait si longue. En Allemagne, le système mis en place dans le cadre de la généralisation du plafonnement du copaiement en fonction des revenus, intervenue en même temps que la réforme de 2004, fonctionne aujourd’hui très bien. À partir de la feuille d’imposition, il serait facile de savoir dans quelle catégorie de reste à charge chaque ménage se situe.

Le problème des ALD aujourd’hui tient à la complexité du système, du fait des contrôles et d’une multitude d’exonérations du ticket modérateur selon la situation sociale, le type de la maladie, etc. Aussi, la solution consistant à séparer le volet médical du volet financier pourrait simplifier le système avec un bouclier sanitaire qui serait ou non déclenché selon la catégorie de reste à charge dans laquelle on se situe. En Allemagne, le curseur est placé à 2 % du revenu pour toutes les maladies et à 1 % pour les maladies de longue durée.

M. Philippe Josse : Pour ce qui est de la faisabilité, j’ai simplement souligné que le développement d’un système d’information était toujours plus complexe qu’on ne le pensait a priori. Je n’ai pas dit que ce dossier présentait une complexité spécifique par rapport à tout autre dispositif impliquant tous les Français, tel le système de télédéclaration. En revanche, son étude détaillée nécessite des effectifs dédiés importants, ce qui ne peut être mis en place que lorsqu’une orientation de principe est prise.

Il est certain en tout cas que l’un des avantages de la proposition de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard tient à la simplification et à la possibilité d’affecter à d’autres tâches, telles que la maîtrise médicalisée des dépenses, des personnels de l’assurance maladie chargés du contrôle.

M. Jean Mallot, coprésident : Je ne comprendrai jamais pourquoi notre pays préfère lancer ex abrupto de grandes idées, type bouclier sanitaire, qui demandent des années d’études – pendant lesquelles il ne se passe pas grand-chose – avant de conclure à une non-faisabilité, plutôt que d’accumuler les données à chaque étape de la mise en place des différentes réformes, telle celle des agences régionales de santé – ARS. Il me semble en effet qu’il serait plus simple de réfléchir à un système à partir des données existantes.

M. Pierre Morange, coprésident : Il nous sera certainement répondu que tout cela dépend de la volonté politique.

M. Jean Mallot, coprésident : Pour avoir moi-même exercé des fonctions dans l’administration, je pense pouvoir dire qu’il n’est pas interdit aux fonctionnaires de suggérer aux politiques les bonnes décisions à prendre.

M. Philippe Josse : Je ne peux pourtant que répéter qu’il s’agit là d’un sujet qu’il appartient aux pouvoirs publics de trancher.

Pour revenir aux versements nets des ménages, je puis faire état d’une statistique de l’OCDE quelque peu ancienne – mais la situation n’a pu se déformer beaucoup avec le temps. Selon cette étude, le reste à charge des ménages se situerait entre 9 et 10 % en France, à 9 % aux Pays-Bas et à 11 % en Allemagne, avant d’augmenter rapidement pour atteindre, par exemple, 23 % en Italie et 24 % en Espagne. Au Royaume-Uni, le reste à charge est bas, mais le système est radicalement différent, avec des dépenses de santé qui y sont beaucoup plus faibles ce qui présente de nombreux inconvénients pour les malades.

M. Jean-Luc Préel : Si on modifie les frontières des affections de longue durée, une partie des dépenses afférentes aux patients en ALD stricto sensu sera épargnée, mais cette part sera alors reportée sur le tiers restant relatif aux maladies intercurrentes. Il n’y a donc pas d’économie à espérer.

Il faut savoir en outre que les maladies intercurrentes ne sont pas prises en charge à 100 %.

M. Philippe Josse : Elles relèvent en effet du droit commun.

La dépense de santé remboursée par l’assurance maladie aux patients en ALD, soit une soixantaine de milliards d’euros, est liée, pour les deux tiers, aux 32 ALD stricto sensu et, pour un tiers, aux maladies intercurrentes.

M. Pierre Morange, coprésident : Peut-on s’attendre comme certains le prédisent, à un accroissement du déficit de 6 milliards pour l’année 2009, sachant que le produit intérieur brut a fléchi début 2008, ce qui implique à terme un tassement voire un fléchissement de la masse salariale, qui sert d’assiette pour le calcul des cotisations sociales ?

M. Philippe Josse : Fort heureusement, le chômage baisse assez fortement, ce qui entraîne une décorrélation entre l’évolution du PIB et la masse salariale.

M. Pierre Morange, coprésident : Le problème est que l’on peut observer un croisement des deux courbes, celle de la masse salariale et celle de la richesse nationale, au premier trimestre 2008.

M. Philippe Josse : L’assurance maladie, et la sécurité sociale de manière générale, ne sont pas financées que par des cotisations assises sur les salaires. En tout cas, dans l’immédiat cette assise est profitable au système puisque le financement fondé sur la masse salariale est prépondérant par rapport aux autres sources de financement. Quant à la tendance à moyen et long terme, on peut plutôt imaginer une corrélation entre les deux courbes.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : S’agissant des recettes, le ratio entre les cotisations salariales et la fiscalité est bien de 60/40 ?

M. François Carayon. Un peu plus même s’agissant des premières : la CSG intègre une composante « revenus ».

M. Jean-Luc Préel : Les ALD obéissent à deux principes : mieux soigner les malades et financer la totalité des soins. Ce n’est donc pas parce que l’on sortira de la liste des ALD les diabètes peu graves, que l’on fera vraiment une économie : en effet, si l’on cherche à mieux soigner – les diabétiques, par exemple, ne suivent pas toujours les conseils de prévention correctement –, les dépenses ne peuvent qu’augmenter. Le toilettage de la liste peut donc paraître intéressant, mais si l’on va vers un meilleur soin, on ne peut, comme le propose le rapporteur, séparer le volet médical du volet financier.

Concernant d’ailleurs le financement, l’État ne finance pas intégralement, ainsi que la Cour des comptes l’a souligné, les exonérations de cotisations qu’il décide. Les 2,5 milliards d’euros qui manquaient à cet égard au début de l’année, seront-ils compensés d’ici la fin décembre ?

M. Philippe Josse : Faute d’être médecin, je me contenterai de répondre à la seconde remarque.

Il faut avoir présent à l’esprit que les restes à payer de l’État à l’endroit de la sécurité sociale ne jouent pas sur le déficit. Que l’État paye ou non la sécurité sociale, celle-ci inscrit un produit dans ses comptes. Il s’agit d’un pur problème de trésorerie.

M. Jean-Luc Préel : Qui l’oblige tout de même à emprunter.

M. Philippe Josse : Le décalage de trésorerie entraîne effectivement, mais ce n’est qu’un problème de second ordre, un endettement de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale – ACOSS – auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Cependant, l’évolution récente tend à une résorption considérable du stock de reste à payer et à des pratiques de budgétisation beaucoup plus sincères – le ministre des comptes publics y insiste beaucoup. Personne ne peut dire si le phénomène disparaîtra complètement, mais la volonté est en tout cas de le réduire constamment.

M. Pierre Morange, coprésident : Pour revenir aux 2,5 milliards évoqués par M. Jean-Luc Préel, quel est l’échéancier de la liquidation de cette somme ?

M. Philippe Josse : Le problème est déjà de ne pas l’accroître. En tout cas, elle peut être résorbée – sachant tout de même que ce montant est extraordinairement faible par rapport aux enjeux en la matière – soit au fil du temps, en payant au final un peu plus que ce qui est dû, soit par une opération de grande ampleur, comme cela s’est fait à hauteur de 5,5 milliards d’euros voilà moins de huit mois.

M. Gérard Bapt : Le premier président de la Cour des comptes, lors de son audition hier devant la commission des finances, a reproché à votre direction de ne pas avoir fait apparaître dans le budget la reprise de dette de 5,5 milliards. Les 2,5 milliards d’aujourd’hui apparaîtront-ils cette fois dans le budget où ferez-vous à nouveau en sorte qu’ils n’aggravent pas le déficit annuel ?

M. Philippe Josse : Il est un peu paradoxal de se faire reprocher, d’un côté, d’avoir remboursé la dette et, de l’autre, de la maintenir, que cela apparaisse ou non dans le budget.

M. Pierre Morange, coprésident : Au moins peut-on constater l’apurement d’une bonne partie d’une dette qui avait été stockée depuis un certain nombre d’années.

Il me reste, messieurs, à vous remercier.

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Audition de Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques au ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, et Mme Lucille Olier, sous-directrice en charge de l’observation de la santé et de l’assurance maladie.

M. Jean Mallot, coprésident : Je remercie pour leur présence Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques au ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité ainsi que Mme Lucille Olier, sous-directrice en charge de la santé et de l’assurance maladie. Nous avons d’autant plus de questions à vous poser sur cette importante question des affections de longue durée (ALD) que l’on évoque de plus en plus souvent un certain nombre de réformes, dont la mise en place d’un bouclier sanitaire ou la révision de la liste de ces pathologies.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quelles sont les informations dont dispose la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) sur les ALD et les maladies chroniques ? Comment, en outre, la DREES est-elle organisée afin d’assurer le suivi des ALD – lesquelles, par ailleurs, représentent 60 % des dépenses de santé ? Enfin, quelles pistes de réflexions pouvez-vous proposer afin de toiletter le dispositif des ALD, voire, comme le préconise le rapport MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard, de le transformer en dissociant le volet médical du volet financier dans le cadre du bouclier sanitaire ?

Mme Anne-Marie Brocas : La DREES s’est récemment intéressée à l’évaluation des maladies chroniques, en particulier à l’amélioration de la connaissance des conditions de prises en charge médicales et sociales des personnes qui en sont atteintes mais également à la qualité de vie des malades atteints de cancer deux ans après que le diagnostic a été posé. En tant que tel, le dispositif ALD n’a donc pas fait l’objet de travaux spécifiques même si les études de prospective sur l’évolution des dépenses ainsi que sur l’équité de la prise en charge par l’assurance maladie des différentes catégories d’assurés peuvent certes contribuer utilement à votre réflexion.

M. le rapporteur l’a rappelé : les ALD représentent 60 % des dépenses de l’assurance maladie. Leur croissance correspond à une tendance de fond de l’évolution des dépenses de santé, notamment, de celles des maladies chroniques. En l’occurrence, elle en est autant la cause que le révélateur. La structure moyenne des dépenses d’assurance maladie relatives aux ALD se décompose ainsi : 60 % de dépenses hospitalières, 20 % de dépenses de médicaments, 20 % de dépenses autres – transports sanitaires, honoraires etc. La croissance de 6 % du volume des dépenses ALD se décompose quant à elle en 4 % de croissance du nombre d’assurés en ALD et 2 % en intensification des soins. La projection de cette croissance d’ici une dizaine d’années montre que la part des ALD dans les dépenses de santé s’élèverait à 70 %. Cet accroissement est-il inéluctable ? Existe-t-il des marges de manœuvre ? Les réponses susceptibles d’être apportées dépendent de notre capacité à réguler et à adapter le système de soins.

S’agissant du poste « hôpital », la DREES a mené une étude visant à mesurer les effets du vieillissement sur l’évolution des besoins en lits et places en court séjour à l’horizon 2030. Nous en avons par ailleurs extrait les résultats relatifs à deux ALD : le diabète et les tumeurs. Selon le premier scénario, de type « mécaniste », le nombre d’équivalents journée réalisé en court séjour devrait passer, s’agissant du diabète, de 900 000 à 1,2 million, soit une augmentation de 30 % ; de 6,9 millions à 9,2 millions pour les tumeurs, soit une augmentation identique. Selon le second scénario élaboré par des experts et incluant l’évolution des pathologies, le dépistage plus précoce de certaines tumeurs, les progrès techniques attendus ainsi que l’optimisation de la prise en charge des malades, la progression du nombre d’équivalents journée ne serait que de 10 % pour les tumeurs et ce nombre serait divisé par plus de deux pour le diabète. Pour les tumeurs, les différences entre les deux scénarios s’expliquent par le fait que, en oncologie – compte tenu du dépistage et du traitement systématiques quel que soit l’âge – les prises en charge chirurgicale seraient plus brèves et suivies par des soins de suite et de réadaptation ; elles s’expliquent également par un raccourcissement de la durée des traitements en radiothérapie et en chimiothérapie dans le cadre de la médecine ambulatoire. En revanche, les besoins en soins palliatifs augmenteraient. Pour le diabète, les différences entre les deux scénarios tiennent essentiellement à une politique de prévention très volontariste et à une prise en charge beaucoup plus précoce des patients.

La croissance des dépenses pour les maladies chroniques relevant des ALD n’est donc pas inéluctable.

S’agissant du poste « médicament », l’étude de la DREES montre que les 20 % de dépenses dus aux ALD concernent essentiellement les médicaments coûteux. Par exemple, la croissance des dépenses de la classe de médicaments « autres antinéoplasiques » s’explique par l’arrivée de quatre nouveaux produits en 2006 et 2007. Sans doute conviendra-t-il de s’interroger sur la singularité française quant aux conditions de prises en charge et à la diffusion des molécules innovantes. La DREES poursuivra en particulier ses travaux concernant les « molécules onéreuses ».

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Disposez-vous d’informations sur la répartition régionale des ALD ?

Mme Lucille Olier : Nous vous ferons parvenir le document qui a été élaboré à l’occasion des états généraux de la prévention, qui montre que les contrastes régionaux sont assez importants.

Mme Anne-Marie Brocas : De tels contrastes soulèvent d’ailleurs des questions différentes selon les pathologies : la superposition est parfois évidente entre ALD et prévalence de telle ou telle maladie chronique et de tel ou tel facteur de risques, par exemple dans le nord-est, mais il faut cependant se garder de toute généralisation.

La DREES a mené en 2005 un certain nombre d’études sur l’équité du dispositif et, plus particulièrement, la portée de la redistribution opérée par l’assurance maladie. En l’occurrence, cette mission est correctement accomplie, des bien-portants vers les malades et des riches vers les pauvres. Selon l’INSEE, l’assurance maladie contribue pour un tiers à la réduction des inégalités de niveau de vie. Par ailleurs, l’écart est faible entre le reste à charge des patients en ALD et les autres – 190 euros par an pour les premiers contre 250 euros pour les seconds. Des progrès doivent être néanmoins réalisés en ce qui concerne l’assurance maladie complémentaire (AMC) des patients en ALD puisque 10 % d’entre eux n’en ont pas contre 7 % des autres assurés sociaux. La dispersion des restes à charge pour les patients non ALD entre le premier et le dernier centile s’étend de 0 à 1 460 euros ; pour les patients en ALD, de 0 à 2 737 euros. Cela s’explique par le coût de soins hors ALD – ainsi serait-il sans doute opportun de corriger des situations où des hospitalisations inférieures à trente jours sans qu’aucun acte côté au-delà de K 50 n’ait été accompli, impliquent un ticket modérateur très élevé pour le patient.

M. Gérard Bapt : Ce type de situation est-il fréquent ?

Mme Anne-Marie Brocas : Selon le rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard, ces cas sont assez limités.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Qu’un patient puisse être hospitalisé moins de trente jours sans qu’aucun acte supérieur à K 50 ne soit accompli soulève un certain nombre de questions.

M. Gérard Bapt : Ce peut être le cas d’un patient diabétique hospitalisé en psychiatrie.

M. Jean-Luc Préel : Il faudrait alors inclure les soins psychiatriques en ALD.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : C’est en effet un problème de bonne conduite médicale et administrative.

Mme Anne-Marie Brocas : Des patients peuvent fort bien subir des examens sans bénéficier d’un acte côté plus de K 50.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela implique à la fois une réponse sociale et une meilleure articulation entre la médecine de ville et l’hôpital. Il ne sert à rien de prolonger un système dont l’efficience pose problème.

Mme Anne-Marie Brocas : L’enquête sur la qualité de vie des patients atteints de cancer – donc entrés en ALD – deux ans après que le diagnostic a été posé montre, d’une part, que les malades les plus modestes sont les moins satisfaits de leur qualité de vie et de leur prise en charge, d’autre part, que les difficultés financières rencontrées sont liées à des discriminations dans l’emploi ou l’octroi d’un crédit bancaire. Sans doute conviendrait-il donc de s’interroger sur les sorties d’ALD même si tous les patients ne souhaitent pas abandonner trop tôt de ce dispositif.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Que pensez-vous de la mise en place d’un bouclier sanitaire impliquant donc le plafonnement des restes à charge ?

Mme Anne-Marie Brocas : La DREES a en effet été associée à cette réflexion en amont du rapport de MM Raoul Briet et Bertrand Fragonard. Si un système global est envisageable, il est également possible de mettre en place des réponses ciblées. Outre que la suppression de la prise en charge des ALD à 100 % et la mise en place du bouclier sanitaire impliqueraient le plafonnement des restes à charge les plus importants, elles entraîneraient également leur augmentation pour un certain nombre d’assurés. Dans ce cas, l’écart augmentera entre les restes à charge moyens des patients non ALD et ALD. Un choix politique doit donc être opéré. Cette réallocation de la prise en charge aurait, de plus, un impact important auprès des AMC. Quoi qu’il en soit, un tel chantier – s’il commençait immédiatement – ne pourrait aboutir avant 2010. L’Allemagne et la Belgique, qui ont un système de plafonnement des restes à charge, bénéficient par ailleurs d’un dispositif particulier pour les maladies chroniques.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Le bouclier sanitaire ne vise pas à supprimer le remboursement du ticket modérateur pour les ALD mais à simplifier l’ensemble des exonérations du ticket modérateur, que ce soit au titre de l’ALD, de la couverture maladie universelle (CMU) ou de tout autre dispositif. Par ailleurs, la part de l’AMC est plus faible en Allemagne (8 %) et en Belgique qu’en France (12 %). Le bouclier sanitaire permettait de simplifier les relations entre assurance maladie obligatoire (AMO) et AMC, la couverture du reste à charge relevant de l’AMC.

Mme Anne-Marie Brocas : J’attire votre attention sur le fait que, si le système préconisé par le rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard est en effet beaucoup plus simple que le dispositif actuel, il vise également à limiter les restes à charge excessifs. Notre système, certes, est quant à lui complexe, mais la redistribution fonctionne alors qu’elle serait très sensiblement modifiée dans le cadre d’un nouveau schéma. Une réforme d’une aussi grande ampleur nécessite de prendre en compte trois considérations : la simplicité, en effet, l’équité et, enfin, les conséquences éventuelles d’un tel réagencement sur l’articulation entre AMO et AMC.

M. Jean-Luc Préel : À cela s’ajoute qu’aller au bout de la logique de la simplification implique d’inclure dans la réforme la question des dépassements d’honoraires et la prise en compte des soins dentaires et ophtalmologiques.

Mme Anne-Marie Brocas : Absolument.

M. Pierre Morange, coprésident : Mesdames, je vous remercie.

*

Audition de M. Alain Rouché, directeur santé de la Fédération française des sociétés d’assurances, M. Stéphane Lecocq, directeur technique santé et assurances collectives d’AXA France, et M. Jean-François Pluchet, directeur à la direction santé de MMA.

M. Jean Mallot, coprésident : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les affections de longue durée (ALD) étant sous les feux de l’actualité, nous serions intéressés d’entendre vos remarques sur le projet de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) visant à remettre dans le droit commun – c’est-à-dire à rembourser à 35 % – les médicaments à service médical faible ou modéré consommés par les patients en ALD.

Comment la FFSA et les assurances santé sont-elles impliquées dans la réflexion engagée sur la prise en charge des maladies de longue durée et des maladies chroniques ? Quelles sont vos principales pistes de réflexion ? Comment faire pour maîtriser l’évolution de ces dépenses ? La liste des ALD est-elle toujours d’actualité ou faut-il la revoir ?

Nous évoquerons également le problème du bouclier sanitaire, qui a fait l’objet de plusieurs rapports de la Haute Autorité de santé (HAS), du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) et de la mission de MM Raoul Briet et Bertrand Fragonard, tendant à plafonner les dépenses à charge des assurés en fonction de leurs revenus. Quelle serait la participation de l’assurance maladie complémentaire dans ce cadre ?

M. Alain Rouché : D’abord, il faut bien voir que les personnes en ALD ne sont pas le principal pôle de dépenses des assureurs complémentaires. Elles sont prises en charge par l’assurance maladie, dont elles représentent 60 % des dépenses, taux qui ne fera qu’augmenter.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous préciser dans quels domaines vous intervenez ?

M. Alain Rouché : Les trois domaines dans lesquels les assureurs complémentaires interviennent le plus significativement sont le médicament, le dentaire et l’optique, avec des classements différents selon qu’il s’agit de contrats collectifs obligatoires ou de contrats individuels.

Nous constatons quand même depuis quelque temps une augmentation du poids de la dépense hospitalière due, pour partie, au forfait de 18 euros et, pour partie, à la tarification à l’activité qui conduit les hôpitaux à facturer un peu plus les assureurs complémentaires.

Je signale que l’idée communément admise que les personnes en ALD sont prises en charge à 100 % – et n’ont donc pas besoin d’avoir une assurance complémentaire – est fausse. Quelques sociétés d’assurance ont analysé les dépenses générées par les personnes en ALD. En raisonnant en prime pure, c’est-à-dire en considérant la prime de risque hors chargements, une société a constaté que les personnes en ALD coûtaient en moyenne 60 % de plus que les autres. Ce pourcentage a ensuite été corrigé pour tenir compte du fait que les personnes en ALD sont en moyenne plus âgées que celles du portefeuille. Néanmoins, à structure identique, les dépenses des personnes en ALD sont encore supérieures de 38 % à celles des assurés non ALD.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Nous avons l’impression que les personnes en ALD abandonnent leur contrat d’assurance complémentaire. Avez-vous remarqué ce phénomène ?

M. Alain Rouché : Il y a certainement des personnes en ALD qui ne souscrivent pas une couverture complémentaire ou qui l’abandonnent. Elles ont tort puisque nous constatons, quand nous les couvrons, qu’elles ont des dépenses complémentaires supérieures à celles des personnes ne souffrant pas d’affections de longue durée. Elles sont probablement moins couvertes par une complémentaire que ne l’est la population générale.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Menez-vous une campagne d’information auprès de vos assurés à ce sujet ?

M. Alain Rouché : Je laisserai mes collègues assureurs répondre à cette question car je ne suis pas sur le terrain. Sur un plan général, quand des assurés résilient leur contrat, il est bien rare que l’intermédiaire d’assurance ne leur en demande pas les raisons et n’essaie de les convaincre qu’ils ont tort.

M. Jean-François Pluchet : Je confirme que c’est bien ainsi que cela se passe. On ne peut pas dire qu’il y ait des campagnes d’information en tant que telles mais un conseil est toujours donné aux assurés qui passent en ALD et qui voudraient résilier leur contrat, pour les prévenir qu’ils ne sont pas couverts pour la totalité des frais de soins. La raison pour laquelle un assuré en ALD coûte un peu plus cher que la moyenne des assurés tient au fait, d’une part, que la couverture par l’assurance maladie obligatoire ne s’applique pas à la totalité des frais de soins, d’autre part, que la prise en charge à 100 % est calculée sur la base des remboursements du régime obligatoire de la sécurité sociale qui ne couvre pas les dépassements et les autres frais. Persuadées qu’elles sont désormais prises en charge à 100 %, les personnes en ALD pensent ne plus avoir besoin de complémentaire ou considèrent que la complémentaire devrait leur proposer des tarifs moins chers. Chaque fois que nous le pouvons, nous essayons de leur expliquer que cela est faux. Mais l’idée du 100 % reste encore bien ancrée.

M. Jean Mallot, coprésident : Pouvez-vous mesurer le nombre de personnes qui ne prennent plus d’assurance complémentaire ?

M. Jean-François Pluchet : C’est très difficile. Nous ne gérons pas la notion ALD. Parfois, l’assuré nous informe qu’il est passé en affection de longue durée. Parfois, nous arrivons à le déduire. L’assureur complémentaire est un payeur aveugle.

Nous connaissons le taux de remboursement du régime obligatoire. Nous savons donc quand quelqu’un est remboursé à 100 %. Mais la maternité est également remboursée à 100 %. La notion ALD n’est pas gérée du tout dans les fichiers des assureurs. Nos études ne sont que des évaluations.

Nous ne pouvons pas avoir de chiffres précis dans la mesure où l’assurance repose globalement sur la mutualisation. Ce que l’on sait, c’est que, à caractéristiques d’âge et de sexe équivalentes, un assuré en ALD consomme plus – et donc a une « marge bénéficiaire » plus réduite – qu’un assuré non en ALD. Même si la prise en charge du régime obligatoire est plus importante, comme la fréquence des soins est plus importante, le coût pour la complémentaire est globalement supérieur à la moyenne des assurés. Donc, hormis les phénomènes de mutualisation, la marge est moins importante.

M. Alain Rouché : La mutualisation profite à la personne qui est en ALD.

Au moment de la réforme de 2004, il avait été prévu, grâce à un meilleur respect de l’ordonnancier bizone, de transférer vers les assurances complémentaires entre 460 et 470 millions d’euros. Ces dernières n’en ont vu que la moitié. Des progrès sont à obtenir de la part des médecins. Si le transfert s’effectue mieux, les assurances complémentaires sont prêtes à prendre en charge le complément du transfert.

M. Jean-Luc Préel : C’est chez le pharmacien, par le biais de la carte Vitale, que se fait la répartition entre assurance de base et complémentaire ?

M. Stéphane Lecocq : La répartition entre l’assurance de base et l’assurance complémentaire est déterminée dans le système d’information de la sécurité sociale : l’information brute est traitée dans ce système, qui envoie ensuite un flux à la complémentaire, après déduction de la part de la sécurité sociale.

M. Jean-Luc Préel : Avez-vous un moyen de savoir si l’ordonnancier bizone est respecté ou non ?

M. Stéphane Lecocq : Nous en sommes incapables.

M. Alain Rouché : Nous avons un problème d’accès à certaines données de soins. Nous n’avons pas besoin d’avoir accès à toutes, mais certaines nous seraient utiles pour fixer nos contrats d’assurance et nos garanties, pour pouvoir payer en connaissance de cause et pour pratiquer une certaine gestion du risque.

La mise en place de l’Institut des données de santé nous permettra de dresser des statistiques sur des bases anonymes et de disposer d’informations statistiques générales. Mais, ce qui nous intéresse le plus, ce sont les expérimentations dites Babusiaux. Nous pourrons aussi faire des statistiques, mais par rapport à nos propres remboursements. Si nous avions l’information, nous pourrions aussi liquider des prestations à des assurés dans certains domaines.

Je prends deux exemples. Dans le domaine des garanties optiques, les prestations sont déjà fonction du défaut de vision. Au lieu d’avoir un remboursement forfaitaire identique pour tous les assurés, qui indemnise bien ceux qui ont un petit problème de vision mais qui est insuffisant pour ceux qui présentent un défaut de vision important, on module la garantie en fonction du défaut de vision. Encore faut-il avoir l’information sur le défaut de vision.

Second exemple : aujourd’hui, les assurances complémentaires ne connaissent pas les médicaments qu’elles remboursent. Elles savent simplement qu’ils sont remboursés à 35 % ou 65 % par l’assurance maladie obligatoire. Quand le taux de remboursement d’un médicament passe de 65 à 35 %, nous sommes obligés, par un effet mécanique par rapport à nos garanties contractuelles, d’augmenter les cotisations, ce qui pose des problèmes vis-à-vis de nos assurés qui nous reprochent de n’avoir rien d’autre à proposer que des hausses de cotisation. Nous aimerions bien, demain, pouvoir leur proposer une alternative, à savoir de garder un reste à charge de 30 % uniquement sur les médicaments moins remboursés.

Ce qui nous intéresse dans les expérimentations Babusiaux, c’est de pouvoir, sur des bases sécurisées, bâtir, à partir de données de soins un peu plus détaillées, de nouveaux contrats et de nouvelles garanties qui répondent mieux aux besoins de nos clients, et donc de pouvoir liquider les prestations à partir de ces informations.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel est votre avis sur le bouclier sanitaire ?

M. Alain Rouché : Nous en avons discuté à plusieurs reprises au sein de la fédération avec les assureurs. C’est une approche tout à fait intéressante, qui mérite d’être creusée. Nous nous posons trois questions à son sujet. Premièrement, la mise en place du bouclier sanitaire ira-t-elle de pair avec une réflexion, évoquée par le Président de la République, sur les domaines qui relèvent plus de la responsabilité individuelle que de la solidarité nationale ? Deuxièmement, cela aurait-il du sens de raisonner sur un bouclier sanitaire global, c’est-à-dire s’appliquant à l’assurance maladie obligatoire et à l’assurance complémentaire ? Aujourd’hui, le bouclier est « percé » puisqu’il ne concerne que la dépense remboursable par l’assurance maladie obligatoire. Troisièmement, veut-on aller vers un véritable partenariat entre assurance maladie obligatoire et assurance complémentaire ou souhaite-t-on laisser les complémentaires comme des supplétifs de l’assurance maladie obligatoire ?

M. Pierre Morange, coprésident : Sur chacune de ces questions, avez-vous des propositions à faire ?

M. Alain Rouché : Sur la première question, nous avons des propositions, que nous avons formulées et adressées à un certain nombre de personnes.

L’idée d’un bouclier global devrait faire l’objet d’un travail conjoint avec l’assurance maladie obligatoire afin d’en examiner les conséquences. Le sujet est un peu compliqué.

Quant à la troisième question, elle est de l’ordre du vœu. Nous souhaitons bâtir un véritable partenariat. Nous devrions avoir une approche qui tende davantage à l’efficience du système de santé. Les assurances complémentaires peuvent y contribuer. Les cantonner dans un rôle de supplétifs de l’AMO - l’assurance maladie obligatoire – et ne pas leur donner accès à une certaine gestion du risque qui leur soit spécifique, pose problème. Les Français vont devoir dépenser plus pour leur santé. La question est de savoir s’il faut qu’ils payent plus pour l’assurance maladie obligatoire ou pour l’assurance complémentaire. Dans certains domaines, nous pensons pouvoir avoir une gestion du risque plus efficace et apporter de la valeur ajoutée au système.

M. Pierre Morange, coprésident : Un rapport de la Cour des comptes évoque des coûts de gestion de l’ordre de 25 % pour les mutuelles complémentaires et même supérieurs pour les assurances spécifiques. Quel est votre avis sur ces chiffres ?

M. Alain Rouché : C’est un sujet qui nous préoccupe beaucoup en ce moment.

Première observation : ce rapport a été établi à la demande du Sénat. La Cour des comptes a décidé ensuite d’en faire un chapitre de son rapport général sur la sécurité sociale, ce qui offre la possibilité de faire des observations et de demander qu’elles soient annexées au rapport. On constate que ces éléments ont été rendus publics sans que nous puissions formuler ces observations. Nous sommes choqués par le procédé.

Sur le fond, il faut s’interroger quant au ratio utilisé pour faire des comparaisons entre les coûts de l’assurance maladie obligatoire et ceux des complémentaires. Le ratio choisi est « coût par rapport aux prestations ».

Premier élément de réflexion : si l’on peut avoir, puisqu’on fait à peu près le même métier, des coûts à peu près comparables, on n’a pas le même dénominateur. Les prestations versées par l’assurance maladie obligatoire sont plus importantes que celles de l’assurance complémentaire. Il y a un écart de l’ordre de un à six. Plus le dénominateur d’un ratio est important et plus le ratio est faible.

Deuxième observation : l’assurance maladie n’a pas mis à son numérateur, puisqu’elle raisonne en budget global, la charge des prestations hospitalières alors qu’elles apparaissent pour nous puisque nous versons des prestations à des individus et non globalement. Quand on connaît le poids des prestations hospitalières par rapport au total – de l’ordre de 40 ou 50 % – il faudrait majorer leur numérateur d’autant.

Troisièmement, son déficit est porté au dénominateur pour l’assurance maladie obligatoire. Pour leur part, les assurances complémentaires ne sont pas déficitaires.

Quatrième élément : ce qui nous gêne le plus, c’est la logique du ratio retenu car moins je ferai d’effort pour limiter la dépense et meilleur il sera. Plus j’investirai pour faire de la gestion du risque, plus je dépenserai en frais de gestion et moins j’aurai de charges au dénominateur. Le ratio lui-même est contestable car c’est une prime à l’inefficacité.

Cinquième observation : il y a des erreurs de calcul, ce qui est surprenant de la part de la Cour des comptes. Dans le tableau figurant à la page 23 du rapport, les coûts indiqués pour les institutions de prévoyance – IP – et les entreprises d’assurance – figurant au numérateur du ratio – sont de l’ordre de 800 millions d’euros, un peu moins pour les IP, un peu plus pour les entreprises d’assurance, et les prestations – figurant au dénominateur – atteignent entre 3 et 4 milliards d’euros pour les IP et à un peu plus de 5 milliards d’euros pour les entreprises d’assurance. Or le ratio calculé est plus mauvais pour les entreprises d’assurance que pour les institutions de prévoyance. Nous avons refait les calculs avec les chiffres communiqués par la Cour. En fait les deux ratios sont faux.

M. Pierre Morange, coprésident : Quels sont les coûts de gestion des assurances et des mutuelles ?

M. Alain Rouché : Je ne peux pas répondre pour les mutuelles. Pour les entreprises d’assurance, il n’existe pas de statistiques. La FFSA n’a pas de données sur les coûts de gestion des entreprises d’assurance, ce qui est compréhensible du fait de la nature concurrentielle des relations dans ce domaine. Connaître le montrant des charges de son concurrent n’est pas neutre.

Je ne peux raisonner que sur les éléments du coût.

Il est composé d’abord des frais de gestion administrative, c’est-à-dire des frais de gestion du coût des prestations et des frais de gestion des fichiers d’assurés et des cotisations, qui doivent être de l’ordre de 2 %. Viennent ensuite les frais de soins, dont les coûts sont variables selon les entreprises d’assurance. Un indicateur donne une idée de ces coûts : les indemnités de gestion versées aux courtiers délégataires de gestion. Quand un assureur confie la gestion des prestations frais de soins à un courtier, il verse pour cette gestion une indemnité de l’ordre de 7 %, certains délégataires pouvant gérer en dessous, jusqu’à moins de 5 %.

À cela s’ajoutent les frais de distribution. Une partie est relativement faible, de l’ordre de 1 %, à savoir les frais commerciaux de l’assureur : marketing, emploi d’inspecteurs pour animer les réseaux de distribution. Pour les frais liés aux réseaux, qui se présentent en général sous la forme de commissions versées aux intermédiaires d’assurance – agents généraux ou courtiers –, il peut y avoir des variations importantes selon l’organisation des entreprises d’assurance et surtout selon la difficulté d’acquérir de nouveaux clients. Dans le cas de l’assurance maladie obligatoire et de certaines institutions de prévoyance désignées, par signature d’un arrêté d’extension, au niveau d’une branche professionnelle, les gens étant obligés de s’assurer, il n’y a pas besoin de rémunérer des intermédiaires pour faire des affaires. Il n’y a pas de frais de distribution. À l’autre bout, pour faire signer des contrats par des artisans et des commerçants, il faut aller les démarcher. Un agent général d’assurance sera obligé de faire plusieurs fois des dizaines de kilomètres en voiture pour présenter et expliquer le produit, ce qui génère des frais plus ou moins élevés selon le mode de distribution.

M. Pierre Morange, coprésident : En tout, cela se situe dans quelle fourchette ?

M. Alain Rouché : La moyenne globale qui apparaît dans le rapport de la Cour des comptes, avec des chiffres et des calculs qui sont faux, est, pour l’ensemble des organismes complémentaires, de 24,4 %, tous les frais que je viens d’évoquer compris. Ce n’est pas un pourcentage qui me choque pour les entreprises d’assurance. Sans savoir s’il est exact puisque je n’ai pas de données, il n’est peut-être pas loin de la vérité, étant entendu qu’il y a aussi des différences selon qu’il s’agit de contrats individuels ou de contrats collectifs d’entreprise, le taux pouvant être plus faible dans ce dernier cas.

Mon analyse était générale. Je vais laisser à mes collègues assureurs le soin de préciser ce qu’il en est sur le terrain.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur Lecocq, vous confirmez le chiffre de 24 ou 25 % de frais de gestion ?

M. Stéphane Lecocq : L’entreprise qui m’emploie a la chance de ne pas avoir ces taux. La filiale délégataire de gestion d’AXA facture à 6 % pour un « mix » d’assurances individuelles – 40 % – et collectives – 60 % –, l’assurance collective coûtant assez nettement moins cher. Pour ce taux, vous avez une gestion administrative complète des contrats d’assurance : émission de la police, vie du contrat, affiliation de nouveaux assurés, rattachement des enfants qui naissent, passage à la retraite, ainsi que toute la partie liquidation des prestations.

Si cette filiale travaille à 6 %, c’est parce qu’elle a des volumes suffisamment importants pour amortir ses coûts fixes. Je pense que c’est un très bon taux. On trouvera difficilement moins cher pour gérer administrativement des contrats d’assurance.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce taux doit se rapprocher de celui de l’assurance maladie obligatoire.

M. Alain Rouché : Si l’on raisonne sur la partie gestion, je pense que ce taux est inférieur à celui de l’assurance maladie obligatoire.

M. Stéphane Lecocq : La comparaison est quand même très hasardeuse, car elle s’effectue entre un assureur obligatoire et un assureur complémentaire parmi mille autres. L’assurance obligatoire paie globalement six fois plus que tous les assureurs complémentaires réunis et, face à elle, il y a mille porteurs de risque en complémentaires. Les coûts fixes sont disséminés, ce qui aggrave forcément les ratios. La Cour des comptes le reconnaît puisqu’elle indique que, logiquement, plus l’opérateur est important, moins ses coûts en ratio sont élevés.

M. Alain Rouché : Une véritable comparaison – et il serait intéressant de la faire – serait entre les coûts de gestion des caisses d’assurance maladie et ceux d’APRIA RSA qui est un organisme conventionné assureur dans le cadre du RSI - le régime social des indépendants.

M. Jean-François Pluchet : En tant que représentant de la MMA, je confirme les ordres de grandeur donnés par M. Alain Rouché. J’insiste sur le fait que l’on ne peut comparer le ratio « frais de gestion sur masse des prestations » de l’assurance maladie obligatoire et de l’assurance maladie complémentaire. La première gère essentiellement des frais hospitaliers alors que le premier poste en frais de soins individuels de l’assurance complémentaire est le médicament et la consultation, c’est-à-dire les soins de ville. Ce que l’assurance individuelle complémentaire rembourse essentiellement, ce sont un ticket modérateur sur la consultation, les dépassements et les médicaments.

M. Pierre Morange, coprésident : La dématérialisation des données, l’amélioration des interconnections et un meilleur partenariat entre assurance obligatoire et assurance complémentaire permettraient-ils de minorer les coûts de gestion ?

M. Jean-François Pluchet : Ce qui sera déterminant dans ce domaine, c’est la capacité à gérer un certain nombre de données de manière automatique sur la base de flux dématérialisés. Chaque fois qu’on a pu automatiser des échanges, on a diminué de façon drastique les coûts de gestion. Cela nous renvoie à la question de l’accès aux données.

Certaines garanties vont au-delà des bases de remboursement de la sécurité sociale et de ce qui est pris en charge par le régime obligatoire. Elles sont gérées manuellement. Quand vous voulez rembourser des médicaments non remboursés par le régime obligatoire, cela se passe sur la base de factures papier qui coûtent très cher aux professionnels de santé comme aux régimes complémentaires. La voie de progression est la dématérialisation et l’automatisation.

M. Alain Fouré : J’ajouterai deux remarques.

Premièrement, les assureurs recherchent tous les gains de productivité possibles, notamment sur les frais de gestion et cherchent depuis longtemps à automatiser. Depuis une quinzaine d’années, il existe des liaisons avec les caisses et, aujourd’hui, un dispositif professionnel qui concentre les flux d’informations provenant de celles-ci traite plus de 110 millions de décomptes par an pour la sécurité sociale. Derrière, les systèmes d’information liquident automatiquement les prestations.

Dans le domaine du tiers payant – un certain nombre de prestations sont réglées aux professionnels de santé et donc ne transitent pas par les caisses d’assurance maladie –, nous avons un dispositif professionnel qui traite dans l’année plus de 80 millions de factures. Le taux d’automatisation, c’est-à-dire de liquidation sur des bases électroniques, est supérieur à 95 %. L’information venant des caisses est automatisée à 100 %. Il y a quelques années, on a supprimé les effectifs de gestionnaires qui saisissaient les décomptes de la sécurité sociale pour générer le remboursement complémentaire. Les assureurs ont réalisé, année après années, des gains de productivité en développant des automatisations.

Deuxièmement, l’enjeu porte non seulement sur les frais généraux, mais aussi et surtout sur la charge des prestations. Il ne faut pas se tromper de combat. Il est plus facile de gagner un point sur la charge des prestations que sur les frais généraux. Il vaut mieux dépenser 1 en frais si on gagne 10 en économie sur les prestations. Heureusement, les frais sont hors de proportion avec les montants des prestations que l’on est amené à verser. Mais l’un n’exclut pas l’autre.

M. Jean-Luc Préel : Sur le bouclier sanitaire, ma religion n’est pas faite. Pour qu’il fonctionne bien, l’idéal serait d’y inclure les dépassements d’honoraires, le dentaire et l’optique pour avoir un reste à charge global. Quel rôle joueraient alors les complémentaires ?

M. Alain Rouché : Pour que le bouclier sanitaire soit global, il faudrait des ressources sensiblement supérieures à celles qui sont disponibles aujourd’hui. S’il est fixé à un niveau très élevé, il peut y avoir encore un intérêt à souscrire une assurance complémentaire. S’il est fixé à un niveau très bas, il coûterait plus cher et de nombreux Français pourraient renoncer à souscrire un contrat complémentaire. Tout dépend également de la façon dont seront fixés les paramètres. Encore une fois, compte tenu des ressources de l’assurance maladie, il faudrait pouvoir mobiliser des sommes beaucoup plus importantes pour que le bouclier sanitaire soit global.

M. Jean-Luc Préel : Si le bouclier sanitaire n’est pas global, il restera un reste à charge très important. Quelle serait alors la signification du bouclier sanitaire ?

M. Alain Rouché : C’est toute la question. Pour l’instant, le bouclier sanitaire porte sur la dépense remboursable par l’AMO. Il faudrait voir si on peut le rendre global, car, actuellement, il ne prend pas en compte les dépassements d’honoraires.

Un mot, pour terminer, sur l’annonce faite par le directeur général de l’UNCAM - Union nationale des caisses d’assurance maladie. Nous avons été choqués que l’UNOCAM – Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire – n’ait pas été consultée. Nous sommes dans une logique de transfert mécanique de charge vers les assureurs complémentaires. Nous souhaiterions que ces derniers soient utilisés pour la valeur ajoutée qu’ils sont capables d’apporter et non comme de simples supplétifs de l’assurance maladie.

M. Jean-Luc Préel : Êtes-vous satisfait du fonctionnement de l’UNOCAM ? Quand nous avons voté la loi du 13 août 2004, il y avait trois piliers : l’Union des professionnels de santé, l’UNOCAM et l’UNCAM. Les trois vont-elles fonctionner un jour ensemble ?

M. Alain Rouché : En tout cas, nous, nous sommes prêts. Je pense que cela fonctionne bien au sein de la famille des complémentaires. Cela fonctionne visiblement moins bien avec l’assurance maladie obligatoire. Hier, l’UNOCAM a été amenée à émettre des avis sur des sujets mineurs alors qu’elle n’est pas consultée sur les questions fondamentales. Il y a là un problème. Une meilleure coopération entre l’AMO et l’AMC (l’assurance maladie complémentaire) serait de l’intérêt de tout le monde.

M. Pierre Morange, coprésident : Messieurs, nous vous remercions.

*

AUDITIONS DU 10 JUILLET 2008

Audition de M. Pierre-Louis Bras et M. Gilles Duhamel, inspecteurs généraux à l’Inspection générale des affaires sociales du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.

M. Jean Mallot, coprésident : Nous sommes heureux d’accueillir M. Pierre-Louis Bras et M. Gilles Duhamel, inspecteurs généraux à l’Inspection générale des affaires sociales du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, afin d’approfondir le sujet des affections de longue durée – ALD.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Cette audition a plus particulièrement pour objet d’approfondir les préconisations de votre rapport de septembre 2006 relatif au desease management, c’est-à-dire le soutien à la prise en charge thérapeutique des patients atteints de maladies chroniques, qui peut notamment justifier de faire appel à des opérateurs extérieurs à l’assurance maladie.

Pouvez-vous présenter les principales expériences étrangères de desease management et nous faire part de votre réflexion concernant les ALD et leur prise en charge ?

M. Pierre-Louis Bras : Les Américains ont un regard très critique sur leur pratique médicale et sur leur système de santé en général qu’ils considèrent comme très mauvais. Dans un rapport de 2001, qui a marqué les esprits, ils ont ainsi reconnu que leur système n’était pas adapté à la prise en charge des maladies chroniques, étant fondé, un peu comme le système français, sur le contact opportuniste entre le patient et le médecin – le premier venant demander un soin au second – et sur le paiement à l’acte – le médecin devant prendre une décision sanitaire dans un temps court. Le praticien n’a pas en effet le temps de faire ce qu’exige normalement la prise en charge de patients en ALD, c’est-à-dire un accompagnement et une éducation thérapeutique. C’est ainsi que des études ont montré que 50 % des patients américains ne comprennent pas ce que leur disent les médecins et que si ces derniers devaient se conformer aux standards en matière d’éducation thérapeutique de leur clientèle, ils n’auraient plus le temps de dormir.

Parallèlement à ce versant critique de la réflexion menée dans les pays anglo-saxons en général, s’est cependant dégagé un versant constructif avec la définition d’un chronic care model – modèle de prise en charge des maladies chroniques. Pour bien prendre en charge les ALD, un modèle de santé idéal devrait ainsi reposer sur six piliers :

– possibilité donnée aux producteurs de soins de mobiliser des ressources communautaires, c’est-à-dire de s’appuyer sur des structures d’éducation thérapeutique, des associations de patients, etc., extérieures au système de soins ;

– valorisation et rémunération de la prise en charge, afin d’inciter à la qualité ;

– mise en place d’une organisation en équipe, car l’accompagnement du patient et son éducation thérapeutique ne peuvent relever du seul médecin ;

– soutien et accompagnement du patient, afin qu’il adapte son comportement à la nouvelle manière de prise en charge de la maladie ;

– validation des protocoles scientifiques qui fondent tout travail d’équipe ;

– utilisation, enfin, des nouvelles technologies d’information dans un but proactif et non pas simplement pour élaborer des dossiers informatisés individuels.

Mettre en place un chronic care model suppose donc un bouleversement du système fondé sur des médecins isolés, payés à l’acte, qui ne travaillent pas en équipe et qui ne peuvent mobiliser des systèmes informatiques performants. C’est ainsi que des prestataires de services interviendront pour aider le médecin, grâce essentiellement à des plates-formes téléphoniques permettant à des infirmières de faire de l’éducation thérapeutique, non pas seulement au sens didactique - apporter des informations –, mais également au sens coaching, en aidant les patients à lever leurs barrières psychosociologiques par rapport à des soins qu’ils peuvent mal connaître.

Cette démarche pragmatique est financée par les assureurs sur la base d’un modèle économique selon lequel toute dépense en plus tant en médecine de ville qu’en structures d’accompagnement en faveur des patients permettra d’éviter des complications et donc de faire des économies sur les hospitalisations. Aux États-Unis, ce modèle économique est très controversé car autant l’amélioration de la prise en charge des maladies grâce aux pratiques de desease management fait l’objet d’un assez large consensus, autant la rentabilité à court terme pose problème pour les assureurs.

Dans les systèmes plus intégrés, tel que cela existe aux États-Unis – dans certaines Health maintenance organisations, ou HMO, dont Kayser Permanente ou Veterans Health Care – ou encore au Royaume-Uni, les médecins travaillent en équipe, c’est-à-dire qu’ils sont assistés par des infirmières et par des assistants. Ce n’est donc pas un prestataire de services extérieur, rémunéré par l’assureur, qui fait le travail d’accompagnement puisque celui-ci fait partie du travail d’équipe organisé sous l’autorité du médecin.

Un système de paiement à la performance – le Quality and outcomes framework, ou QOF –, se développe ainsi au Royaume-Uni afin d’inciter les cabinets médicaux britanniques organisés en équipe – soit quatre à cinq médecins, autant d’infirmières et une dizaine d’assistants – à engager le desease management, c’est-à-dire une médecine proactive tournée vers le patient et pas simplement une médecine opportuniste qui attend que le patient vienne consulter.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La France vous semble-t-elle aller d’elle-même vers la prise en compte de ces six piliers – l’organisation en équipe, par exemple, revient un peu à ce qui est proposé dans les maisons de santé pluridisciplinaires –, ou faut-il être plus incitatif ?

M. Gilles Duhamel : Il convient d’être plus incisif.

Certains éléments sont d’ores et déjà positifs, qu’il s’agisse de la demande faite par les patients d’une meilleure organisation du système ou de celle du personnel politique tendant à une plus grande prise en compte des maladies chroniques. De même, les recommandations de la Haute autorité de santé – HAS – sont de plus en plus reconnues par les professionnels et dans le cadre des protocoles de soins. À côté de cette émergence d’une médecine fondée sur des preuves, on peut également considérer comme positive la prise en compte de l’éducation thérapeutique, par exemple dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Toutefois, cette volonté affichée d’une plus grande qualité de la pratique des professionnels et des prestations du système de santé, n’est pas mesurée, ce qui empêche de pouvoir la prendre en compte. Les protocoles ALD sont en effet avant tout vécus comme des contraintes administratives par les professionnels de santé et ne permettent en rien une évaluation de la qualité des prestations. Quant aux rares bilans, datant d’ailleurs de 2004-2005, de l’éducation thérapeutique, ils montrent une très grande disparité en la matière, qu’il s’agisse de la doctrine, des compétences des prestataires, du nombre de malades bénéficiant de l’éducation thérapeutique ou de l’implication des médecins traitants – que l’institution, c’est-à-dire le ministère de la santé, ne pousse d’ailleurs pas à intervenir.

S’agissant de l’objectif de meilleure coordination de la prise en charge, le bilan dressé voilà trois ans par l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – concernant les réseaux de santé a fait apparaître de mauvais résultats. Quant aux perspectives offertes par les maisons médicales, elles restent frileuses, notamment parce qu’elles ne concernent que peu de patients dans la mesure où un nombre très limité de professionnels souhaite participer à une expérience collective.

Enfin, un élément extrêmement négatif porte, d’une part, sur le retard pris par les professionnels de santé en matière de nouvelles technologies de l’information dans l’exercice quotidien de leur art, et d’autre part, sur l’absence de volonté de l’institution de construire un système qui permette un soutien à la décision pour les professionnels, une aide à l’observance pour les malades et une évaluation des pratiques par le biais du dossier médical personnel - DMP.

M. Pierre-Louis Bras : Le choix du DMP est celui d’un dossier individuel comprenant toutes les informations, mais qui appartient au patient et qu’il est difficile de traiter de façon transversale. Dans un cabinet britannique, au contraire, la base du travail proactif consiste à sortir, par exemple, la liste informatique de tous les patients diabétiques qui n’ont pas eu un dosage d’hémoglobine glyquée dans les six derniers mois et de les prévenir. La vision française actuelle du système d’information médicale est une vision verticale et non pas horizontale d’aide à la gestion.

Il en va de même de la coopération entre les professionnels. Le fait de permettre aux infirmières d’effectuer certaines tâches accomplies précédemment par les médecins est une démarche positive. Pour autant, cela ne suffit pas pour constituer une équipe. Il faut à cet effet que les infirmières soient salariées dans un cabinet dirigé par le médecin, seul moyen d’accompagner les patients de façon pluridisciplinaire. Or non seulement une telle possibilité est très loin d’être envisagée en France, mais les infirmières elles-mêmes n’imaginent leur avenir professionnel qu’à côté du médecin, après éventuellement une modification des frontières d’intervention, et non au sein d’une équipe – on retrouve là le résultat de la prégnance du paiement à l’acte.

Finalement, ce qui est le plus transposable en France, c’est le desease management, ainsi que l’expérimente la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) avec le programme Sophia d’accompagnement des diabétiques. Toutefois, des contraintes existent dans notre pays par rapport à ce qui se fait aux États-Unis. C’est ainsi que le consentement explicite du patient américain n’est pas demandé pour son intégration dans un programme – c’est la procédure dite de l’opt out. En définitive n’adhèrent, avec le consentement explicite, que ceux qui sont déjà préoccupés par la maladie, c’est-à-dire ceux qui, à la limite ont le moins besoin d’un accompagnement. Le résultat est que si l’on touche 30 % des patients avec le consentement explicite, l’opting out permet d’en atteindre 95 %.

Il en va de même en matière d’information. Dans les organismes de desease management, lorsque les résultats d’une analyse biologique font apparaître chez un patient un niveau de dosage d’hémoglobine glyquée passant de 7 à 9, l’infirmière, qui détecte ainsi un patient à risque, appelle aussitôt ce dernier. En France, de tels résultats d’analyse sont la propriété du laboratoire d’analyses, du patient et du médecin. Il faudrait donc payer ce dernier pour qu’il accepte de transmettre les résultats au programme Sophia, ce qui non seulement coûterait cher, mais n’aurait pas la même souplesse.

Sans même parler de grande réforme, mais simplement de ce qui est transposable, c’est-à-dire le desease management, un long chemin reste à parcourir.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Dans ces conditions faut-il inciter ou obliger les professionnels de santé et les patients à entrer dans le système du desease management ?

M. Pierre-Louis Bras : La première étape serait, en France, de lever la contrainte qui pèse en matière de consentement explicite.

Deux solutions existaient pour mettre en place le desease management. La première était celle que nous préconisions dans le rapport, à savoir engager un débat au niveau du Parlement afin de faire évoluer la législation qui bloque une telle mise en place. La seconde, plus pragmatique et plus rapide, était d’insérer un article dans la loi de financement de la sécurité sociale permettant à la CNAMTS de procéder à un accompagnement. C’est ce qui a été fait en 2007 pour aboutir au programme Sophia. Reste le problème du consentement explicite ou implicite des patients.

M. Jean-Luc Préel : Nous avons voulu que le patient devienne acteur du système de santé. Pensez-vous que l’on puisse revenir en arrière ?

M. Pierre-Louis Bras : C’est un problème d’ordre éthique. Le desease management a pour objet d’appeler l’attention de malades qui sont en déni de leur maladie, et un appel téléphonique n’a jamais été un acte médical. En revanche, rendre obligatoire le système reviendrait à dénaturer une démarche fondée sur l’empathie, le soutien et l’accompagnement.

Le problème tient plutôt à la levée de la contrainte du consentement explicite.

M. Pierre Morange, coprésident : La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) l’accepterait-elle ?

M. Pierre-Louis Bras : La CNAMTS n’avait bien sûr pas à envoyer à tous ses assurés une demande de participation au programme Sophia d’accompagnement des diabétiques. Elle a donc bien dû effectuer une extraction informatique des patients diabétiques fondée notamment sur les prescriptions médicales, afin de sélectionner les personnes auxquelles elle allait demander un consentement implicite.

M. Pierre Morange, coprésident : Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 j’avais déposé, à propos de l’instauration du dossier médical personnel, un amendement tendant à identifier le dossier de chaque assuré au moyen d’un numéro dérivé du numéro d’inscription au répertoire – NIR –, plus connu sous la dénomination de numéro de sécurité sociale et à prévoir la possibilité de croiser les informations avec celles du fisc, cela à la suite d’une recommandation de la MECSS.

Alors que la CNIL avait auparavant validé un croisement des fichiers URSAFF et de ceux de certaines caisses d’allocations familiales, elle avait alors demandé que toute généralisation du dispositif relève d’un avis opposable de sa part. J’ai heureusement pu l’éviter en obtenant du Conseil constitutionnel que cet avis ne soit que consultatif.

Cet exemple donne une idée de la difficulté à mettre en place le desease management.

M. Pierre-Louis Bras : Les infirmières appelées à intervenir dans le cadre du programme Sophia doivent avoir accès à des informations médicales. Or la législation le leur interdit si elles ne sont pas formellement placées sous l’autorité des médecins conseils. Il faudrait donc que le législateur en décide autrement.

La CNAMTS a eu raison d’entamer sans attendre une démarche pragmatique, mais aujourd’hui une réflexion approfondie pourrait être engagée afin de savoir si l’on ne pourrait pas aller au-delà, qu’il s’agisse de la récupération automatique de résultats biologiques par les caisses, du consentement implicite ou encore du suivi d’objectifs par un tiers, possibilité toujours préférable à une démarche intégrée dans une organisation bureaucratique aussi dynamique soit-elle, comme la CNAMTS.

M. Jean-Luc Préel : Que penser de la volonté de l’industrie pharmaceutique de s’intéresser à l’observance ?

M. Gilles Duhamel : L’accompagnement à l’observance thérapeutique - sujet sur lequel j’ai publié l’année dernière un rapport au nom de l’IGAS et sur lequel également M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales du Sénat travaille à l’élaboration d’une proposition de loi – compte aujourd’hui deux nouveaux opérateurs, l’assurance maladie et les industriels de la pharmacie.

Le rapport a conclu à la difficulté de légitimer l’intervention de l’industrie pharmaceutique en la matière autrement que par l’intérêt commercial – lequel n’est d’ailleurs pas choquant en soi –, et que si l’interpénétration de l’industrie pharmaceutique avec le système de santé pouvait avoir une justification du point de vue de l’industriel, elle ne saurait en avoir une du point de vue du système de santé. Sauf exception, il n’y avait donc pas lieu à permettre un contact direct entre producteurs et malades.

S’agissant de l’approche publicitaire, c’est-à-dire une modalité de contact quasi direct entre industriels et malades, les expériences de publicité directe menées notamment aux États-Unis ont fini par conduire à une réflexion pour savoir s’il ne fallait pas freiner, voire interdire le contact direct. Pour notre part, nous avons posé le principe d’une interdiction en la matière, des dérogations ne pouvant intervenir que dans des situations extrêmement précises – lorsqu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique à un produit et lorsque la complexité de sa mise en œuvre nécessite un apprentissage.

M. Pierre Morange, coprésident : Telle était également la conclusion du rapport sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments, présenté par Mme Catherine Lemorton et publié l’année dernière au nom de la MECSS.

M. Gilles Duhamel : Pour revenir, à l’arrivée de nouveaux opérateurs dans le domaine de la santé, la liste n’est certainement pas close. Aussi conviendrait-il de réfléchir à des principes généraux d’encadrement des modalités d’intervention des nouveaux opérateurs, qui pourraient également être des associations représentant des usagers, des industriels de l’agroalimentaire ou de la grande distribution, voire des opérateurs étrangers qui, en dépit d’une mauvaise maîtrise de la langue, ont également un contact direct avec des malades. C’est ainsi que pourraient être prises en compte les notions de compétence, d’indépendance, de responsabilité médicale.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : L’IGAS est-elle associée à la réflexion sur la mise en place d’un bouclier sanitaire ?

M. Pierre-Louis Bras : A titre personnel, j’estime, pour avoir écrit un article à ce sujet dans la revue Droit social en 2007, que le système des ALD est inéquitable s’agissant du reste à charge et qu’il constitue un gâchis de temps médical énorme – je veux parler de la constitution des dossiers ALD par les médecins de terrain, du traitement des demandes au sein des services de médecine-conseil des caisses ou encore de la gestion de la procédure administrative bureaucratique qu’est l’ordonnancier bizone.

Une personne ou une famille devrait passer à 100 % non pour des raisons médicales, mais dès qu’elle dépasse un certain montant de reste à charge – ce qui revient à supprimer le système ALD. Tout le débat qui est né, par exemple, sur le retrait ou non de la liste des ALD des diabétiques non sévères, n’aurait ainsi plus lieu d’être. Un débat clair et public pourrait alors avoir lieu concernant les risques importants ou le ticket modérateur.

Aujourd’hui, il suffit que le patron du CAC 40 soit diabétique pour qu’il entre, comme le smicard, dans le système des ALD, sans prise en compte des revenus. Pour autant, on ne peut parler de bouclier sanitaire que sous l’angle de la prise en compte des revenus, d’autant que l’on toucherait là à l’un des principes fondamentaux de la sécurité sociale, selon lequel les prestations sont versées sans considération des revenus.

De la même façon que pour les ALD, on peut donc mettre en place un bouclier sanitaire sans prendre en compte les revenus, avec tous les avantages que cela implique en termes d’équité, de simplicité, de transparence et, surtout, de gain de temps médical pour les médecins conseil et les médecins de terrain. Aujourd’hui d’ailleurs, plus personne ne défend les protocoles ALD établis entre les médecins traitants, les spécialistes concernés, le médecin-conseil et le patient, car il ne s’agit là que de bureaucratie qui ne contribue en rien à la bonne qualité de la prise en charge.

M. Jean-Luc Préel : Avec le bouclier sanitaire, après paiement d’un forfait de 200 ou de 300 euros, la prise en charge serait à 100 %. Mais si elles ne prenaient pas en charge ce forfait, à quoi serviraient les assurances complémentaires ?

M. Pierre-Louis Bras : Comme pour les ALD aujourd’hui, le bouclier sanitaire comprendra toujours un système de ticket modérateur avant le passage à une prise en charge à 100 %.

Aujourd’hui, personne n’est sûr – outre que le système des ALD est incompréhensible pour le commun des mortels – que s’il a une maladie celle-ci fera partie des trente pathologies recensées comme ALD, d’autant que vingt jours de médecine sans acte coûteux restent pleinement à la charge du patient alors qu’un seul acte coûteux de 91 euros permet une prise en charge. Il serait donc préférable que chacun, sur la base d’informations claires, prenne la décision soit d’adhérer à une assurance complémentaire pour couvrir le risque du ticket modérateur, soit de s’auto-assurer. Or, à l’heure actuelle, chacun a peur de la catastrophe et s’assure alors que si, justement, une catastrophe survient la prise en charge interviendra. C’est ce qui explique d’ailleurs certaines inquiétudes des assurances complémentaires. Cependant, avec le bouclier sanitaire, le problème des dépassements restera. En effet, si ces derniers étaient pris en compte, les professionnels n’auraient plus de limite.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelles réflexions vous inspire le rapport de la Cour des comptes concernant les coûts de gestion des complémentaires et autres assureurs ? En additionnant l’ensemble des aides accordées aux assurances complémentaires santé, la Cour arrive en effet à un total de 7,6 milliards d’euros.

M. Pierre-Louis Bras : Rembourser à 5 % ou à 100 % ne change rien en termes de coût de gestion. Le débat sur le coût de gestion rapporté aux prestations ne me paraît donc pas pertinent. En revanche, on peut s’interroger sur le montant de 5 milliards du coût de gestion.

Je n’ai pas de jugement à porter sur la productivité des assurances complémentaires, qui est certainement optimisée, mais si demain les remboursements de l’assurance maladie couvraient ceux des complémentaires, si les 8 % d’assurés qui ne sont pas couverts étaient pris en charge, et si des tickets modérateurs d’ordre public de 5 % étaient mis en place, on économiserait 5 milliards de frais parasitaires, puisque les gens ne se réassureraient plus.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce qui correspond au déficit de l’assurance maladie.

M. Pierre-Louis Bras : J’ai bien conscience qu’il s’agit là d’un scénario de science-fiction, car barrer d’un trait de plume 5 milliards de frais de gestion, c’est détruire des milliers d’emplois chez AXA, AGF et dans les mutuelles. Mais il faut bien savoir que, dans ce pays, on paye deux fois pour à peu près la même gestion.

M. Pierre Morange, coprésident : Je suis bien d’accord.

M. Pierre-Louis Bras : Est-il également légitime d’avoir dans ce pays trois régimes qui, chacun, a son propre système informatique et ses équipes de gestion, cela pour un même travail ? Si les régimes peuvent subsister pour des raisons de représentation et de démocratie, les tâches de gestion pourraient être regroupées.

M. Pierre Morange, coprésident : Ne remuez pas trop le couteau dans la plaie ! Dès 2004, l’une des préconisations de la MECSS a porté en effet sur le guichet unique, moyen tout à la fois de respecter les identités assurantielles tout en rationalisant justement les coûts de gestion.

M. Jean-Luc Préel : Le travail en équipe ne me semble pas devoir être l’objet des maisons de santé pluridisciplinaires évoquées par le rapporteur. En revanche, des réseaux de santé par pathologie ne permettraient-ils pas un tel travail ?

Par ailleurs, s’agissant de la rémunération à la performance, comment, par exemple, prendre en compte la compétence et évaluer les pratiques ?

M. Gilles Duhamel : La question des maisons médicales ou des réseaux renvoie à celle des soins primaires. À cet égard, l’évolution qui s’est dessinée dans d’autres systèmes de santé que le nôtre a conduit à un renforcement de l’organisation des soins primaires et des missions conférées au médecin traitant. Or c’est une réflexion qui n’a pas lieu dans notre pays, car l’on ne souhaite pas alimenter la confrontation entre médecin généraliste et spécialiste de ville.

Quant au paiement à la performance, il s’agit d’une évolution intéressante, mais qu’il faut traiter comme telle, en raison de la difficulté à mesurer suffisamment bien la performance. Il conviendra en tout cas de mesurer la qualité avant de se pencher sur la compétence, et d’accompagner cette démarche par la mise en place d’un système d’information.

M. Pierre-Louis Bras : Pour mesurer la performance, le Royaume-Uni a mis en place 166 indicateurs, la majorité étant des indicateurs cliniques, d’autres de résultat.

Si l’on poursuit dans cette voie, ce ne sera pas pour payer des médecins parce qu’ils auront suivi telle ou telle formation. Il faudra, au contraire, aller le plus possible vers le paiement au résultat.

M. Pierre Morange, coprésident : Autant le paiement à la performance est adapté au système de type National Health Service – NHS – puisqu’une population est rattachée à un médecin sans prise en compte de la lourdeur de la pathologie, autant il serait difficile à appliquer dans le système français, où prime la liberté d’installation et de choix du praticien.

M. Pierre-Louis Bras : Pour le paiement à la performance, le NHS tient cependant compte du pourcentage, par exemple, de diabétiques dans la patientèle. Des éléments de pondération existent en effet afin que l’effort demandé à un médecin qui compte 10 % de diabétiques dans sa patientèle ne soit pas le même que pour un praticien qui en compte 3 %. En outre, le rattachement des patients au médecin existe en France depuis la mise en place du médecin traitant.

Pour autant, le système français n’est pas adapté, ne serait-ce que par rapport aux six piliers précédemment évoqués : travail en équipe, technologies nouvelles d’information, système de rémunération différent, etc.

M. Gilles Duhamel : Ce qui est pris en compte par la médecine de soins primaires au Royaume-Uni correspond à moins de 15 % de la charge de travail d’un médecin généraliste français. Il faut donc se demander ce que l’on attend d’un médecin généraliste aujourd’hui : doit-il faire du social ou de la médecine ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je retiens avant tout de votre audition que les six piliers mentionnés dans votre rapport publié voilà deux ans sont toujours d’actualité et qu’il convient de persévérer dans cette voie. Pour autant, faut-il, avec l’aide des nouvelles technologies d’information et de communication – NTIC –, rendre le DMP facultatif ou obligatoire – sachant qu’à mon avis, il faut aller vers la mise en place de données de santé informatisées ?

M. Pierre-Louis Bras : La question pour moi n’est pas de savoir si le DMP doit être facultatif ou obligatoire, mais s’il faut ou non donner la possibilité au médecin de gérer de manière transversale et proactive sa clientèle. On ne peut demander au médecin de faire les deux à la fois, mais si j’avais un choix à faire, ce ne serait pas de constituer un DMP, qui est un entrepôt de données personnelles. Or, implicitement, un tel choix, qui selon moi n’est pas le bon, a été fait en France.

M. Pierre Morange, coprésident : Les deux actions ne sont pas forcément contradictoires. Si l’approche collective du traitement des données n’a pas été retenue, en dépit de la tentative faite avec le programme Sophia, je suis partisan, en attendant la mise en œuvre du DMP d’ici cinq à sept ans dans le meilleur des cas, de confier à chaque patient en ALD une clé USB avec reconnaissance biométrique, d’un coût unitaire de 10 euros. Ainsi, pour une petite centaine de millions d’euros aurait-on la possibilité de procéder à des échanges de données par l’intermédiaire d’un réseau dont la mise en œuvre opérationnelle pourrait se faire en l’espace d’une douzaine de mois, en liaison avec l’équipement informatique des pharmaciens qui assureront en aval la diffusion de cet outil.

Une telle mesure, qui permettrait au moins d’éviter la redondance en termes d’examen ou, tout simplement, des pathologies iatrogéniques, serait déjà une mesure concrète de rationalisation des dépenses de l’assurance maladie.

M. Jean Mallot, coprésident : Nous vous remercions, messieurs, pour votre très intéressant témoignage.

*

Audition de M. Claude Le Pen, professeur à l’Université Paris IX – Dauphine.

M. Jean Mallot, coprésident : Nous sommes heureux d’accueillir M. Claude Le Pen, professeur à l’Université Paris IX-Dauphine. Je passe sans plus tarder la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je remercie M. Le Pen d’avoir répondu à l’invitation de la Mission. Nous avons, en effet, souhaité entendre des économistes de la santé pour terminer nos auditions sur le sujet des affections de longue durée (ALD).

Faut-il revoir la liste des ALD ? Doit-on imaginer d’autres critères d’admission et de maintien en ALD et de sortie des ALD ? Faut-il modifier les conditions d’application et de contrôle des référentiels de traitement ?

Que pensez-vous du plafonnement du reste à charge, c’est-à-dire du bouclier sanitaire ?

M. Claude Le Pen : Je remercie la Mission de m’avoir invité. Je considère que c’est à la fois un devoir et un honneur d’être auditionné par elle.

Les ALD sont un des problèmes les plus importants de notre système de santé, du fait de leur explosion quantitative. Elles concernent aujourd’hui 8 millions de personnes et représentent 60 % des dépenses de santé. Les projections de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) à l’horizon 2015 sont un doublement de la population souffrant d’affections de longue durée – soit environ 15 millions de personnes – et un pourcentage des dépenses de plus de 70 %, ce qui ferait de l’assurance maladie l’assureur monopoliste du gros risque. Cela remet en cause la configuration du système. L’assurance publique est-elle faite pour gérer majoritairement une minorité de gens malades ou pauvres, au risque de devoir se désengager vis-à-vis du reste de la population ? L’augmentation de 400 000 ou 450 000 personnes en ALD par an pose le problème de la mission et de la philosophie de l’assurance maladie.

La population ALD étant à peu près assurée d’être prise en charge à 100 % par l’assurance maladie, les complémentaires se retrouvent spécialisées dans le petit risque, avec les risques de « démutualisation » que cela comporte. C’est pourquoi l’idée de les faire participer au risque lourd à 100 % n’est pas nécessairement déplacée.

Le problème de base étant posé, deux pistes peuvent être suivies.

La première consisterait en des réformes « cosmétiques » du système en revoyant les critères d’entrée, de sortie et d’éligibilité ainsi que les modes de gestion. Les bornes mises à la prise en charge des patients en ALD fonctionnent mal, qu’il s’agisse de l’ordonnancier bizone ou du protocole de soins.

La seconde piste, plus radicale, tendrait à remplacer le dispositif des ALD par un autre système, notamment par le bouclier sanitaire dont MM. Pierre-Louis Bras et Gilles Duhamel, que vous avez entendus juste avant moi, sont les avocats et les défenseurs. Je suis également plutôt favorable à ce système car il a, pour les économistes, le mérite de séparer le risque économique du risque médical. Il y a une dissociation entre le dispositif de prise en charge des maladies chroniques au long cours axé sur des protocoles et des suivis, et le traitement des patients qui ont du mal à avoir accès aux soins pour des raisons financières, quelle que soit leur pathologie.

Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a fait un examen du dispositif des ALD d’où il ressort qu’il demeure un reste à charge très lourd pour les patients en ALD et que les critères d’admission varient d’un département et d’une région à l’autre. Il y a une forte hétérogénéité de la population. Les critères de sortie ne sont pas fixes. Il est, d’ailleurs, assez déplaisant d’annoncer à un patient qu’il n’est plus pris en charge à 100 %. Les critères d’entrée ne sont pas plus définis. Il règne une confusion : le dispositif est-il destiné à favoriser la prise en charge des maladies lourdes ou à aider les personnes les plus défavorisées de la société ? En fait, il fait les deux à la fois. Or, comme il arrive souvent, quand un instrument fait deux choses à la fois, il les fait mal.

Les réponses aux questions que vous avez posées, monsieur le rapporteur, sont positives.

La liste des ALD doit être revue, et doit l’être en permanence. Elle l’a déjà été dans le cadre du plan Séguin en 1985-1986 : on avait alors supprimé la trente et unième pathologie – elle a été réintroduite ensuite – et instauré l’ordonnancier bizone.

Le problème est que le critère des pathologies retenues repose sur la notion de « sévérité ». Que signifie une hypertension sévère ? Soit on donne des normes quasiment de protocole d’essai clinique, un cas étant déclaré éligible si toutes les cases du protocole sont cochées, soit on laisse aux praticiens une marge d’appréciation en fonction de l’état clinique du patient. J’imagine que les médecins souhaitent avoir une certaine latitude pour prendre en compte l’ensemble de la situation du patient.

Cela étant, en dehors du fait que cela ne fera pas plaisir aux patients qu’on supprime leur prise en charge à 100 %, il n’y a aucun problème technique à revoir la liste. Et, sans doute, faut-il le faire.

La grande question est de savoir si l’on conserve ou non les ALD. En toutes hypothèses, on ne peut pas ne pas revoir le dispositif et ce sera fait, d’une manière ou d’une autre, dans le cadre de la gestion du risque de l’assurance maladie.

Je trouve personnellement l’idée du bouclier sanitaire intéressante. Elle a le mérite de s’intéresser, non pas à ce que l’on rembourse mais, au contraire, à ce que l’on ne rembourse pas, c’est-à-dire à ce qui reste. Cela inverse complètement le regard. Au lieu de veiller à bien rembourser, on veille à ce que ce qu’on ne rembourse pas ne soit pas trop élevé.

Le bouclier sanitaire pose toutefois, selon moi, deux problèmes.

Le premier est un problème de définition du champ : qu’appelle-t-on dépenses de santé ? Par rapport à quoi dit-on qu’on est bien ou mal remboursé ? Dans les deux agrégats - la consommation médicale totale et la dépense courante de santé – privilégiés par les comptes de la santé au sein de la Comptabilité nationale – comptes à distinguer de ceux de la sécurité sociale – qui s’élèvent à 100 milliards d’euros, les biens de services médicaux sont considérés comme des biens de service produits par les professionnels : hôpital, médecin libéral, infirmière libérale, sage-femme libérale, transporteur sanitaire, fabricant industriel de médicaments et de matériel médical. Ce champ est à peu près le même que celui reconnu par les organismes internationaux, notamment par l’OCDE - Organisation de coopération et de développement économique – quand il fait des comparaisons entre les dépenses de santé. C’est par rapport à ce champ qu’on dit que la santé en France est socialisée à 77 % par l’assurance maladie, à 90 % si l’on ajoute les 13 % des mutuelles et que le reste à charge des Français est d’environ de 10 %. Il faut inclure, dans le reste à charge, les dépassements d’honoraires et tout ce qui relève du périmètre de la Comptabilité nationale dépensée pour la santé des Français.

Le second problème est celui de la « désincitation » à la mutualisation. La logique du reste à charge repose sur son auto-assurance. Si on annonce aux assurés sociaux qu’ils ont un risque certain, connu d’avance, de 200 ou 300 euros maximum, la logique veut qu’ils s’auto-assurent, c’est-à-dire qu’ils prennent en charge ce montant. On ne s’assure pas sur un risque certain, contractuel et d’un montant limité, d’où un effet létal vis-à-vis de la souscription d’une assurance complémentaire.

Un autre point, dans lequel je vois plus un avantage qu’un inconvénient bien que, pour beaucoup de personnes, ce soit attentatoire au principe de la sécurité sociale, est la possibilité d’indexer le seuil garanti sur les revenus. Cela me semble assez logique mais c’est contradictoire avec la formule : « chacun contribue selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins ». Il faudrait la transformer en : « chacun contribue selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins et ses moyens ». J’ai mesuré, notamment dans les débats sur la franchise, à quel point, pour un certain nombre d’acteurs « historiques » du système, nostalgiques de la « sécu » traditionnelle et « paritariste », l’idée qu’un cancéreux riche puisse être moins bien remboursé qu’un cancéreux pauvre pouvait être « heurtante ». Pour eux, il n’y a pas de cancéreux riches ou de cancéreux pauvres, il n’y a que des cancéreux. Le même raisonnement est appliqué au sujet des allocations familiales : il n’y a pas de familles riches ou de familles pauvres, il n’y a que des familles. Si j’étais malade, je dois avouer que je préférerais être riche que pauvre.

M. Jean Mallot, coprésident : Cela vaut aussi quand on est bien portant !

M. Claude Le Pen : C’est exact.

Si on fait payer les Français pour leur santé – ce qui est normal et légitime ; il n’existe aucun pays où les dépenses soient socialisées à 100 % –, il faut leur demander de payer pour leur santé à eux, et non pour celle des autres. L’erreur qui a été faite concernant la franchise n’a pas été de demander aux Français de payer une partie de leurs soins. Après tout, ils le font depuis 1945 avec le système du ticket modérateur. Les taux de remboursement de l’assurance maladie sont passés de 70 % à 65 % et de 40 % à 35 % sans que les gens descendent dans la rue. Le cofinancement des soins entre la sécurité et le patient qui bénéficie de ces soins n’est pas attentatoire au principe de la « sécu ». Ce qui l’est, c’est de dire que la somme qu’une personne a payée va servir à payer la maladie des autres. L’erreur qui a été faite au sujet de la franchise a été de dire qu’elle servirait à payer la maladie d’Alzheimer. C’était une astuce pour faire comprendre que l’argent n’allait pas être mis de côté mais servir à des malades. Mais, ce n’est pas aux malades de payer pour les malades. Autant la maladie d’Alzheimer doit être prise en charge par une cotisation sociale à la charge de la collectivité, autant il est malvenu de demander une contribution aux malades à cet effet. Les gens sont prêts à payer leurs propres soins de leur poche, mais pas ceux des autres.

De même, transférer des dépenses de l’assurance maladie sur les mutuelles est une profonde erreur. Les gens ne considèrent pas la mutuelle comme faisant partie de la protection sociale. Les mutuelles sont toutes différentes, varient suivant les entreprises où l’on travaille et sont une affaire privée. Elles ressortissent d’une solidarité limitée aux gens affiliés à la mutuelle et non de la solidarité nationale. D’un point de vue comptable, le transfert de sommes de la sécurité sociale à la mutuelle ne change rien pour les assurés. Mais, d’un point de vue politique et idéologique – et Dieu sait si l’idéologie est importante dans ce domaine –, cela change tout.

C’est pourquoi le Gouvernement a dû faire rapidement marche arrière sur les lunettes et les 35 %. Raisonnant sur le plan uniquement comptable, les communicants n’avaient pas mesuré l’impact de ces dispositions sur la signification profonde des rapports entre complémentaires et régime de base.

Pour légitimer le transfert de dépenses aux complémentaires, il faudrait deux conditions.

Premièrement, il faudrait rendre la complémentaire quasiment universelle, c’est-à-dire s’acheminer, bien qu’il soit très compliqué, vers un système du type AGIRC-ARRCO, qui deviendrait une sorte de socle bis.

Deuxièmement, il faudrait rendre plus homogènes, en prévoyant un cahier des charges, les critères à la fois de panier de soins mutualistes et d’admission en ALD. On a commencé à le faire avec les contrats responsables.

À partir du moment où les mutuelles seraient intégrées à la protection sociale et reconnues comme agents légitimes de celle-ci, il serait plus facile de transférer des sommes. Il y aurait une adéquation entre la logique comptable et la logique de la représentation du système de protection sociale dans la tête des assurés.

Si je puis me hasarder à lancer cette petite pique, il faudrait que les politiques réfléchissent davantage et soient moins hâtifs dans leurs décisions. Si, sur un sujet aussi sensible que celui de la santé, on ne tient pas dans la même main les aspects techniques et les aspects émotionnels et idéologiques, on échoue. Preuve en a été donnée récemment.

M. Jean-Luc Préel : Dans le bouclier sanitaire, il faut considérer le reste à charge global, incluant les dépassements d’honoraires, la dentisterie et les lunettes. Il faut donc que le seuil soit fixé à un niveau très haut pour pouvoir faire des économies à l’assurance maladie.

Par ailleurs, si les dépassements d’honoraires sont pris en charge, comment pourra-t-on les limiter ?

M. Claude Le Pen : Un dispositif ne résout pas tout. Le dépassement d’honoraires est un problème à régler en soi. Il y a 10 000 manières de le faire : ARS – agences régionales de santé –, dossier médical personnel. De toute façon, les dépassements d’honoraires sont moribonds. Ils ne vont pas survivre longtemps. D’une part, ils suscitent une grosse animosité, d’autre part, ils ont explosé, à la fois quantitativement et en pourcentage. Les professionnels de santé, eux-mêmes, cherchent une solution. Des pistes sont avancées, dont le fameux secteur optionnel ou l’idée d’un contingentement de l’activité : on travaillerait en secteur 2 de 9 heures à 17 heures et en secteur 1 à partir de 17 heures. Nous avons étudié le problème de manière assez complète avec le syndicat des cardiologues. On peut trouver des solutions en dehors du bouclier sanitaire. Celui-ci doit s’appliquer à des dispositifs réglés par des mesures appropriées.

Concernant les soins dentaires, on pourrait sortir du dispositif, par exemple, les soins d’implants dentaires, le bouclier sanitaire s’appliquant à des champs plus restreints. Ce ne serait pas très gênant. Ce qui le serait plus, ce serait que, sur le champ auquel il s’applique, il y ait différents niveaux, à savoir le remboursement garanti, le remboursement selon les revenus, le dépassement garanti et le dépassement non garanti. Cela deviendrait complètement illisible et on créerait une usine à gaz. La France sait faire mais ce n’est pas l’idéal.

On peut très bien préciser que l’optique n’est pas comprise dans la logique du bouclier sanitaire. Mais, il faut que les autres secteurs – la médecine, la chirurgie, l’hospitalisation, la consommation pharmaceutique –, c’est-à-dire le gros du périmètre traditionnel – le soit.

M. Jean-Luc Préel : Les personnes qui ont une agénésie dentaire doivent avoir des implants dentaires. Comment cela sera-t-il pris en charge dans le cadre du bouclier sanitaire ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Si c’est considéré comme un acte médical, cela rentre dans le cadre de l’assurance.

M. Claude Le Pen : Je ferai la même remarque que pour les dépassements d’honoraires. Ce n’est pas le rôle du bouclier sanitaire de régler ce problème de nomenclature. Il doit être résolu en dehors.

Le bouclier sanitaire a pour objectif premier de régler le problème des ALD et de faire en sorte qu’on distingue les aspects sociaux des aspects médicaux.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Nous disposons de quelques exemples étrangers de bouclier sanitaire. Le modèle belge est modulé en fonction d’un minimum et d’un maximum : 400 et 1 500 euros. Le modèle allemand institue un pourcentage en fonction des revenus. Lequel a votre préférence ?

M. Claude Le Pen : Ma préférence est toujours allée vers un système tenant compte des revenus dans les prestations. Je ne pense pas qu’une famille riche et une famille pauvre soient pareilles. La maladie ne change rien à cela.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Pour résumer votre position, vous êtes favorable à la révision l’ensemble des ALD et à une transformation complète des remboursements, c’est-à-dire le bouclier sanitaire, correspondant à l’alliance des scénarios 2 et 3.

M. Claude Le Pen : Oui, en « phasant » les deux.

Le scénario du « fil de l’eau » n’est pas possible. Il conduirait à une sécurité sociale focalisée sur une minorité de la population.

Cela étant, il ne faut pas faire du bouclier sanitaire un procédé technique ou technocratique. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y aura un retour de balancier sévère comme pour les complémentaires et la franchise. Il ne faut pas le faire passer aux yeux des Français comme une invention de l’IGAS - Inspection générale des affaires sociales – ou de l’Inspection générale des finances car il va poser des problèmes de fond, de conception de la sécurité sociale. Il va falloir assumer une explication politique lourde. Le bouclier sanitaire modifie la nature du compromis social autour de la « sécu » et change les fondamentaux, qui n’existent plus que dans la tête des assurés, du système mutualisé de 1945.

M. Jean Mallot, coprésident : Nous vous remercions, monsieur Le Pen.

*

Audition de M. Christian Lajoux, président du LEEM – Les entreprises du médicament, et M. Claude Bougé, directeur général adjoint, M. Dominique Amory, président de LIR – Laboratoires internationaux de recherche – et président de Lilly France.

M. Jean Mallot, coprésident : Je suis heureux d’accueillir M. Christian Lajoux, M. Claude Bougé et M. Dominique Amory pour cette troisième audition sur le thème des affections de longue durée ALD.

Vous connaissez la problématique des ALD : faut-il en revoir la liste et les critères d’admission ? Faut-il modifier le système ? Faut-il instituer un bouclier sanitaire ? Tout le monde a son idée sur la question. Le poste du médicament est un poste important ; nous avons eu l’occasion dans un précédent rapport de travailler sur ce dossier. Nous allons l’aborder ce matin sous un autre angle.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Il était intéressant pour nous de recevoir à la fois les représentants du LEEM et du LIR. Nous arrivons à la fin de nos auditions et nous voulions avoir votre avis.

Quelles sont vos pistes de réflexion dans le domaine de la prise en charge des ALD ? Disposez-vous d’éléments de comparaison au niveau international ou européen s’agissant de la prise en charge des maladies chroniques ? Comment la France se positionne-t-elle par rapport à ses voisins ? Que pensez-vous du système actuel des ALD : la liste, les critères d’admission, le suivi, les possibilités de sortie ? Quelles propositions pourriez-vous nous faire pour résoudre les problèmes qui se posent en ce domaine et qui ne font que s’aggraver ?

M. Christian Lajoux : Merci de nous avoir invités à participer à ces réflexions. Je vous prie d’abord de bien vouloir excuser M. Bernard Lemoine, qui participe à une autre réunion.

Notre mission, en tant qu’industriels du médicament, est de chercher des médicaments, de les mettre au point, de les fabriquer et de les commercialiser. Mais il est évident que la façon dont sont gérées les ALD est un sujet qui nous intéresse très directement.

La gestion actuelle des ALD nous conduit à être vigilants sur la moyenne de consommation des médicaments des patients concernés et sur la croissance de cette consommation, qui ne rend pas précisément compte de la situation française : les patients en ALD représentent aujourd’hui près de 14 % des assurés et 64 % des remboursements. Au sein même des ALD, la dépense est très concentrée : dans ses propositions sur les charges et produits pour l’assurance maladie pour 2009, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés – la CNAMTS – mentionne que 5 % des patients en ALD, soit 385 000 personnes, concentrent 41 % des remboursements. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, dont les chiffres sont un peu différents, dans son rapport d’activité en 2007, indique que 10 % des patients en ALD, soit 700 000 personnes, représentent 42,7 % des remboursements. Ces mêmes patients consomment en moyenne 322 boîtes de médicaments par an.

La population en ALD augmente chaque année de 3,9 % et l’on peut considérer que 1,6 % de cette augmentation est dû à l’effet démographique, c’est-à-dire au vieillissement de la population, et 2,3 % à l’augmentation du taux de prévalence des pathologies.

L’ampleur des ALD affecte de façon massive les indicateurs de santé et de sécurité sociale en France. Les entreprises du médicament ont souvent eu l’occasion de dire que 50 millions de Français ont un niveau de consommation du médicament qui est stable, voire en recul, alors qu’une autre partie de la population a un fort niveau de consommation. Bien sûr, il s’agit de pathologies sévères. Nous n’en contestons pas la réalité, non plus que la nécessité de prendre en charge les patients concernés dans les meilleures conditions.

Avant de vous proposer des éléments de réflexion, je souhaite que M. Bougé vous expose ce que nous savons de la situation internationale et les comparaisons que nous avons pu faire entre la situation française et celle des autres pays.

M. Claude Bougé : Les pays voisins ne connaissent pas cette situation, qui est une originalité française, d’une concentration de soins et de dépenses collectives sur un aussi petit nombre de patients. Leurs mécanismes ne sont pas tout à fait les mêmes.

Le Royaume-Uni connaît un système quasi analogue avec des listes de pathologies exonérantes, mais le contrôle de la prescription du médecin traitant par les caisses locales ne permet aucune espèce de dérive.

En Italie, il existe une liste officielle de maladies chroniques qui permet le remboursement des médicaments, y compris – et c’est une originalité en Europe – des médicaments non remboursables. Pour les autres postes de dépenses, l’assurance maladie est régionalisée.

En Espagne ou en Allemagne, il n’y a pas de liste officielle de pathologies exonérantes. Les patients qui sont atteints de maladies chroniques ne sont pas exonérés de copaiement, même s’il existe des systèmes de prise en charge particuliers, plus importants que le système de base.

Dans la plupart de ces pays, les médecins sont fortement incités à respecter la réglementation. Un contrôle strict ou un système de rémunération y conduit, et les médecins ne peuvent pas subir de pressions de la part du patient.

Voilà, de façon synthétique, ce qui se passe dans les pays voisins. Nous pourrons vous donner des contributions écrites plus détaillées sur ces points.

M. Christian Lajoux : 96 % des demandes d’admission en ALD sont acceptées de même que 98 % des demandes de renouvellement en ALD. Il faut garder à l’esprit qu’il y a une rémunération spécifique de 40 euros par an pour le médecin d’un patient pris en charge dans le cadre des ALD.

Sur quels leviers faut-il agir ? D’abord, sur l’entrée et sur la sortie des ALD. L’approche actuelle est-elle la plus efficiente ? Ensuite, sur le respect par le médecin de l’ordonnance bizone. Enfin, et cela nous semble essentiel, sur le bon usage, ou plutôt le juste usage, du médicament.

Les industriels sont très attachés à cette notion de « juste usage » : le bon médicament à la bonne personne dans les bonnes conditions d’utilisation et de prise en charge. Voilà pourquoi nous insistons sur la nécessité de respecter les éléments de l’ordonnance bizone.

Nous réclamons depuis des mois, voire des années, la rationalisation du système des ALD. Nous constatons que la Haute Autorité de santé – la HAS – n’a pas apporté de solution, malgré une longue réflexion. Elle propose bien aujourd’hui trois hypothèses de travail, mais celles-ci ne modifient pas la situation des ALD. Nous constatons également que le Gouvernement vient d’accorder - pour la troisième fois – le report de la révision des protocoles du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2009.

Je veux rester dans le cadre d’une réflexion prospective et stratégique. Néanmoins, tout récemment, on a vu que les questions de la prise en charge en ALD avaient fait l’objet d’un large débat. Cela nous préoccupe, en raison de la nécessité qu’il y a à agir dans ce domaine. Mais il ne faut pas se méprendre : nous avons une légitimité d’industriels et pas une légitimité de politiques ni d’acteurs décisionnaires dans un tel cadre.

M. Dominique Amory : Merci d’avoir invité le LIR à participer à cette table ronde. Notre mission est claire : c’est le progrès thérapeutique. Nous sommes conscients que pour le financer il faut un système soutenable dans le long terme. D’où la question : comment le système d’assurance maladie va-t-il pouvoir continuer à vivre ou à survivre ? La problématique des ALD devient alors fondamentale, dans la mesure où l’on sait que celles-ci absorbent 90 % de la croissance des dépenses de l’assurance maladie.

Nous avons une optique d’efficience. Dans cette optique, la prévention et l’éducation thérapeutique sont essentielles. Il faut développer des initiatives comme celle qui a été prise récemment dans le domaine du diabète. Cela dit, on n’arrive déjà pas à financer les soins, je ne sais pas comment on financera la prévention.

Autre élément de l’efficience : le bon usage. Le LIR en a eu des approches depuis très longtemps, avec la HAS. La HAS et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé – l’AFSSAPS – ont fait des recommandations auprès des médecins sur deux pathologies : la migraine et l’asthme.

Troisième élément : le développement d’une gestion transversale des soins. Nous voulons développer une vision plus holistique qui nous permettrait de faire des économies.

On pourrait inciter les agents économiques à être plus efficients : au niveau de l’hôpital, avec des incitateurs qui valoriseraient tel ou tel hôpital ; au niveau des utilisateurs de soins, en distinguant ceux qui font de la prévention de ceux qui n’en font pas. Cela se trouve dans notre plate-forme.

Nous nous sommes prononcés très clairement sur le « 35 à 35 » pour essayer de faire des économies là où c’est possible.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Vous voulez dire que les médicaments remboursables à 35 % seraient remboursés à 35 % aux patients qui sont en ALD ?

M. Dominique Amory : Exactement, avec une prise en charge des complémentaires. Seulement, quand on dit cela, on se place dans le système actuel. Or ce système, qui souffre d’un déficit structurel, ne permet que de résoudre par pièces un puzzle qui devient de plus en plus compliqué. Il faut réfléchir à d’autres propositions mettant en jeu la question du bouclier sanitaire. Poser cette question au niveau politique est peut-être une réponse au « 35 à 35 » qui est devenu un sujet presque tabou, qui a suscité la virulence des débatteurs de la santé et qui pourtant, paraîtrait assez logique.

On peut se placer dans un système plus large qui permettrait de régler les problèmes structurels. On prévoit que la croissance des dépenses de santé dépassera le PIB. Vous avez trois partenaires : l’assurance maladie, les complémentaires et les ménages. Si on veut éviter un déficit de l’assurance maladie, il faut imaginer un transfert au niveau des ménages ou des complémentaires.

Pour autant, ce n’est pas à nous, en tant que laboratoires de recherche, d’apporter des réponses. Il nous appartient toutefois de nous comporter en acteurs responsables. Je précise que lorsque nous faisons des propositions de ce genre, ce n’est pas pour aboutir à une augmentation du nombre des prescriptions. Cela prouve que l’on peut prendre en compte à la fois les nécessités de productivité et de ventes de médicaments, et l’équilibre des comptes sociaux.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Monsieur Lajoux, la question de l’observance était à l’ordre du jour l’an dernier au sein de l’industrie pharmaceutique. Où en êtes-vous ?

M. Christian Lajoux : L’observance rejoint le débat du bon usage et du juste usage du médicament. Un certain nombre de programmes d’observance, qui avaient été demandés par les autorités, le Comité économique des produits de santé – le CEPS – ou l’AFSSAPS, avaient précisément pour but d’utiliser au mieux les deniers de la collectivité dans l’usage de certains traitements. Ensuite, s’est développé un débat qui avait un côté caricatural, où certains laissaient entendre que les industriels du médicament enverraient leurs visiteurs médicaux au chevet des patients qui se battaient contre la maladie pour essayer de faire valoir les intérêts de ces entreprises ! Il ne s’agit évidemment pas de cela.

Les industriels du médicament ont travaillé avec l’ensemble des partenaires soignants : les médecins, les syndicats de médecins, les pharmaciens, les syndicats de pharmaciens, les collectifs de représentants des patients. Le but était de définir ensemble un cadre qui permette de faire en sorte que les médicaments, notamment dans leur phase d’appropriation par les patients, soient utilisés au mieux, l’entreprise apportant de son côté, dans un cadre réglementé, sa capacité d’expertise. De nombreux débats ont eu lieu sur ce sujet et ils ont abouti à une plate-forme commune de propositions. Aujourd’hui, il appartient au législateur de savoir ce qu’il va faire de propositions qui ont fait l’objet d’un large consensus entre les industriels du médicament, les patients et les soignants.

Par rapport au bon usage du médicament et au-delà du sujet de l’observance, je voudrais préciser la position des industriels.

Nous avons fait, avec d’autres, le constat que notre système, dans lequel la participation du patient n’est pas très élevée, a peut-être déresponsabilisé l’ensemble des acteurs du système de santé, non pas par rapport à la qualité du diagnostic et du soin, mais par rapport à l’appréciation de ce que représentait, en termes de coûts, le système de santé lui-même. Pour autant, il n’est pas question de jouer sur le ticket modérateur, mais de favoriser la connaissance par les médecins de l’historique des remboursements, donc des effets iatrogènes potentiels des bénéficiaires des ALD.

Sur 24 milliards d’euros de dépenses sans ticket modérateur, 10 milliards d’euros sont consacrés aux médicaments. Des études faites notamment par l’Union régionale des caisses d’assurance maladie – URCAM – d’Alsace, en juillet 2000, montrent que l’élimination de 5 % des redondances et des contre-indications, générerait un gain de 1,2 milliard d’euros. Comment éviter ces redondances et ces contre-indications ? J’ai la plus grande confiance dans la qualité de la prise en charge des patients par le corps médical et par les soignants de notre pays. Il faut accélérer les démarches de type WebMédecin, mises en place récemment, qui sont extrêmement faciles et simples à mettre en place. Elles permettent de mieux suivre l’historique du patient sur les derniers mois ou sur les dernières années et au médecin de vérifier s’il y a redondance d’examens, de consultations ou télescopage de prescriptions. Un des bénéfices du WebMédecin est de mieux savoir où sont investies les ressources en termes de remboursement, mais aussi d’éviter les effets iatrogènes de l’attitude de certains patients face à leur maladie et à leur système de soins. D’autres éléments doivent également être encouragés : les LAP ou logiciels d’aide à la prescription, qui sont aujourd’hui un des éléments de la modernisation de la prise en charge du patient.

M. Pierre Morange, coprésident : Les pharmaciens d’officine ont mis en place le dossier pharmaceutique qui doit être généralisé pour 2009. La méconnaissance des prescriptions et le recours à l’automédication sont des éléments qui viennent complexifier le dispositif et alimenter la iatrogénie. Au-delà de ces rappels, avez-vous mené des réflexions sur les systèmes d’information, leur maîtrise et leur efficience ?

M. Christian Lajoux : Le WebMédecin a un intérêt tant économique que de santé publique. Il illustre bien les progrès à réaliser dans le domaine des nouvelles technologies. Les expérimentations ont été difficiles à mettre en place. Dans le même ordre d’idées, chacun d’entre nous se souvient du débat sur le dossier médical personnalisé. Il faudrait également s’interroger sur la capacité de connexion des LAP avec le WebMédecin.

Notre pays n’a pas encore franchi le pas avec suffisamment de volontarisme en direction de ces nouvelles technologies. Cela est dû à des freins culturels. Le rôle joué par la Commission nationale de l’informatique et des libertés la CNIL, si respectable soit-elle, doit être pris en considération. On peut enfin s’interroger sur l’appétence des soignants eux-mêmes pour les nouvelles technologies. Mais les citoyens, parce qu’ils sont de plus en plus familiers de ces nouvelles technologies, contribueront vraisemblablement à les faire bouger.

Certes, monsieur le président, je ne réponds pas précisément à votre question …

M. Pierre Morange, coprésident : J’allais vous le dire, mais je comprends que ce ne soit pas facile.

M. Christian Lajoux : Je suis comme vous un observateur de ce qui se met en place. Nos entreprises ont aujourd’hui une solide expérience de ces nouvelles technologies. Nous comprenons les hésitations de certains, mais nous avons le sentiment que cela ne va pas très vite.

M. Dominique Amory : La bonne observance est une situation gagnante pour tout le monde : si un patient observe mieux son traitement, il en tirera un meilleur bénéfice thérapeutique ; la sécurité sociale en bénéficiera aussi puisque son argent ne sera pas gaspillé ; que le patient prenne bien son traitement est pour l’industriel une manière de rentabilité financière.

Il faut sortir du dogmatisme. L’industrie pharmaceutique n’est pas là seulement pour vendre plus, mais aussi pour apporter davantage de santé publique. Comme l’a précisé M. Christian Lajoux, les autorités nous y incitent parfois, et cela peut se faire par l’intermédiaire de l’AFSSAPS. C’est un enjeu de santé publique assez simple. Dédramatisons donc ce débat qui n’est, somme toute, pas plus tendu que dans d’autres pays.

Le LIR, en participant à des think tank, s’essaie à la prospective. Il soutient toutes les propositions qui sont faites, qu’elles soient liées au WebMédecin, ou à la nécessité d’une gestion efficiente des ALD.

On peut néanmoins se demander si ces mesures seront suffisantes pour résoudre les déficits structurels de l’assurance maladie et des dépenses de santé. Ma réponse est « non » : les dépenses de santé ont naturellement tendance à croître de 7 à 8 % ; les recettes ne suivront pas dans la mesure où la croissance économique est ralentie ; le déficit est d’ordre structurel.

Il faut changer de logique si l’on veut éviter de devoir rediscuter chaque année de nouvelles mesures et de la façon dont on peut taxer davantage l’industriel. La réflexion doit être globale.

Notre rôle n’est pas d’apporter des solutions mais de réfléchir à plus à long terme sur la manière de résoudre le problème structurel des ALD, de l’assurance maladie et des dépenses de santé. Il y aura sans doute des choix politiques à faire. Ils devront être faits de manière transparente pour que le citoyen s’y retrouve.

M. Christian Lajoux : Je suis tout à fait d’accord avec M. Dominique Amory. Le LEEM représente l’ensemble des 300 entreprises du médicament, dont le LIR, les laboratoires pharmaceutiques de recherche, y compris dans le domaine des génériques. L’ensemble des laboratoires pharmaceutiques sont regroupés au sein de cette même organisation professionnelle, avec des think tank qui ont la capacité d’ouvrir des débats d’idées, parfois très avancées, sur des pistes à explorer.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quelles sont vos réflexions sur le bouclier sanitaire ?

M. Christian Lajoux : Nous considérons que les entreprises du médicament, au sein du LEEM, n’ont pas une vraie légitimité à faire des propositions sur ce sujet. Nous en avons beaucoup plus sur des sujets ponctuels comme celui des ALD. Une rationalisation des ALD coûterait vraisemblablement à l’industrie du médicament entre 400 et 600 millions d’euros. Pour autant, nous sommes prêts à accompagner les démarches de rationalisation qui ont pour finalité le bon usage.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Vous pouvez donner votre avis sur le bouclier sanitaire en tant que citoyen.

M. Christian Lajoux : Oui, mais le citoyen Lajoux n’est pas entendu par la MECSS.

M. Jean Mallot, coprésident : Admettons néanmoins qu’un système de bouclier sanitaire puisse être évoqué, conçu et mis en place. J’imagine que vous avez des idées sur les conséquences qu’il aurait sur votre secteur d’activité.

M. Christian Lajoux : Commençons par identifier les éléments qui nous permettront d’économiser de la ressource collective pour l’affecter au juste usage et demandons-nous si le bouclier sanitaire favorisera ou pas ce bon usage.

En tant qu’industriels, nous constatons depuis trois ans des dérives potentielles dans les usages des biens et services de santé. La généralisation de la dispense d’avance de frais, qui contribue vraisemblablement à une dérive des coûts de santé, et la non-révision des protocoles pour une population représentant un Français sur cinq sont des éléments qui méritent d’être considérés.

M. Pierre Morange, coprésident : Je ne vais pas vous demander votre avis sur le bouclier sanitaire. Je vais interroger le président du LEEM, société pharmaceutique à vocation internationale, qui a été confrontée à la mise en place du bouclier sanitaire en Belgique ou en Allemagne. Quelles en sont les conséquences sur l’activité industrielle, que ce soit sur le tissu industriel, sur le bassin d’emplois, sur les chiffres d’affaires, sur le poste de consommation pharmaceutique ?

M. Christian Lajoux : Je ne savais pas que vous me poseriez la question en ces termes, et ma réponse n’est pas nécessairement préparée. Je pense que ces conséquences existent. Mais encore une fois, la question qui est posée est celle du juste usage.

Le bouclier sanitaire doit permettre de faire en sorte que chaque Français ait accès aux soins, et ce dans un système égalitaire. Permet-il de mieux gérer les ressources collectives, au service du progrès thérapeutique, au service de l’efficience et de la performance de santé ? J’hésite à répondre. Son incidence sur nos équilibres économiques n’est certainement pas nulle, mais elle n’est pas fondamentale. Je suis bien plus préoccupé par les enjeux auxquels les industriels du médicament sont confrontés aujourd’hui, à savoir : la coopération recherche publique/recherche privée ; le virage que nous devons assurer dans la mutation industrielle, avec l’arrivée des biotechnologies, dans un contexte de crise industrielle qui commande de renforcer l’attractivité et la compétitivité de la France.

M. Pierre Morange, coprésident : Et le marché des génériques.

M. Christian Lajoux : Voilà pourquoi je parlerai plutôt d’un effet « à la marge ». C’est le juste usage du médicament qui, en évitant le gaspillage, pèsera sur nos chiffres d’affaires.

M. Pierre Morange, coprésident : L’un n’exclut pas l’autre.

M. Dominique Amory : Le bouclier sanitaire est un sujet qui m’intéresse, en tant que citoyen et en tant que représentant de l’industrie. Il est en effet une réponse à la solvabilité du système qui permettra de financer demain l’innovation. Sans être la solution idéale, il a le mérite d’apporter de la transparence et d’éviter des débats récurrents sur le moyen de financer, chaque année, les dépenses des ALD. Il permettrait de responsabiliser les utilisateurs de soins, le rôle des complémentaires restant à définir. Dans un tel système, le citoyen aurait son mot à dire par le biais de la définition des plafonds ou des tickets modérateurs.

Ce n’est pas la position du LIR, puisque nous n’en avons pas discuté. Mais nous sommes intéressés, dans la mesure où un débat public sur le sujet se justifierait largement. Je réponds donc davantage en tant que citoyen.

M. Christian Lajoux : Je suis totalement en phase avec ces propos. Mais peut-on aller vers un bouclier sanitaire avant d’avoir révisé les protocoles thérapeutiques et avant d’avoir des référentiels ALD venant de la HAS ?

M. Pierre Morange, coprésident : De toutes façons, le bouclier sanitaire ne pourra pas se mettre en place avant un délai de trois à quatre ans, ne serait-ce que pour maîtriser les systèmes d’information qui ne sont pas interopérables. Autant mettre à profit ce délai pour avancer sur le sujet des protocolisations, du parcours de soins, du WebMédecin, des LAP, des dossiers pharmaceutiques et autres outils.

M. Jean-Luc Préel : Je comprends bien que l’industrie pharmaceutique n’est pas directement concernée par le sujet des ALD. Vous avez insisté très lourdement sur le juste usage du médicament et sur les bonnes pratiques.

Personnellement, je suis plutôt partisan des bonnes pratiques et d’un remboursement à la pathologie, ce qui est difficilement compatible avec le bouclier sanitaire. L’exemple que je prends habituellement est celui de l’anti-ulcéreux prescrit avec un anti-inflammatoire. Pourquoi choisir systématiquement le médicament le plus puissant ? Si l’industrie avait voulu et si la HAS avait mis en place un protocole, c'eût été relativement simple. Où sont les responsabilités, et êtes-vous prêts à progresser ?

M. Christian Lajoux : Nous attendons aujourd’hui des référentiels construits. Mais encore faut-il que les référentiels que nous attendons de la HAS intègrent la notion de Evidence based medicine, ou EBM, c’est-à-dire la médecine fondée sur les preuves et donc sur la rigueur scientifique. Encore faut-il que ces référentiels assurent la protection des Data. Encore faut-il qu’ils assurent le maximum de chances pour chacun des patients concernés.

M. Jean-Luc Préel : Il est donc logique de donner le médicament le plus puissant...

M. Christian Lajoux : Non. Les référentiels procèdent justement à une évaluation et permettent de faire des recommandations.

Le corps médical français est celui qui respecte mieux que dans tout autre pays les protocoles élaborés par les sociétés savantes, par les médecins eux-mêmes et par les experts. C’est une des raisons qui fait que notre pays consomme peut-être un peu plus de médicaments que d’autres, mais c’est aussi une des raisons pour lesquelles il a aujourd’hui un taux sanitaire particulièrement élevé au niveau européen.

M. Jean-Luc Préel : Tout dépend si l’on applique ou non le principe de précaution. J’avais expérimenté dans mon service l’Azantac, qui était prescrit à l’origine en cas de syndrome de Zollinger et Ellison, une tumeur du pancréas. Au bout de quelques années, il est devenu le médicament le plus prescrit en France. Comment est-ce possible ? Parce qu’en prescrivant un tel médicament très puissant, les médecins se disaient qu’on ne risquait pas de leur reprocher d’avoir provoqué une hémorragie digestive. De mon point de vue, un adulte bien portant prenant un anti-inflammatoire au milieu du repas ne court aucun risque ou quasiment ; en cas de douleurs épigastriques, un pansement suffit largement. Quant au patient qui a eu un antécédent d’ulcère, un générique du tagamète suffit. C'est un exemple, parmi d’autres, de la nécessité de hiérarchiser les prescriptions.

M. Christian Lajoux : La position des industriels du médicament est claire : nous attendons de la HAS qu’elle définisse les référentiels, qu’elle le fasse sur des bases rigoureuses scientifiques, en confrontant ces dernières à des données économiques. J’insiste donc sur la rigueur scientifique EBM, sur la protection des Data, et sur la nécessité d’éviter l’apparition d’une médecine à deux vitesses et un rationnement des soins.

M. Pierre Morange, coprésident : Le risque de rationnement dépend essentiellement de la pérennisation et de l’amplification des déficits.

M. Dominique Amory : Votre logique est implacable. Seulement, chaque patient est différent. Parfois, la réalité individuelle est oubliée quand on prend des mesures ou des recommandations générales. Laissons tout de même un peu de place au patient individuel. C’est un peu ce que nous essayons de défendre.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

*

AUDITION DU 24 SEPTEMBRE 2008

Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

M. Jean Mallot, coprésident : Merci, madame la ministre, de participer à cette réunion. La MECSS travaille depuis plusieurs mois sur les affections de longue durée - ALD. Nous avons auditionné à peu près tous les acteurs concernés. Faut-il modifier le système existant ? Plusieurs pistes ont été évoquées, notamment par la Haute Autorité de santé - HAS ; un rapport sur l’éventualité d’un bouclier sanitaire a également été commandé. Il nous a donc semblé utile que vous nous fassiez part de votre analyse et de vos projets avant la rédaction du rapport de M. Jean-Pierre Door.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative : En proposant en juin dernier de faire le « 35 à 35 » pour redresser les comptes de l’assurance maladie, le directeur général de l’UNCAM (Union nationale des caisses d’assurance maladie) a suscité un débat sur l’avenir du régime des ALD, que la MECSS avait d’ailleurs anticipé.

Un émoi légitime a suivi cette proposition, avec laquelle j’ai exprimé mon désaccord en indiquant devant la représentation nationale que les médicaments remboursés à hauteur de 35 % prescrits dans le cadre d’une ALD n’étaient pas des médicaments de confort, mais d’accompagnement. J’ai donc réitéré mon attachement à la prise en charge de ces médicaments à 100 %, que le Gouvernement n’a pas l’intention de remettre en cause.

Ce débat n’aura cependant pas été inutile. La question de la prise en charge des personnes atteintes de pathologies chroniques lourdes et coûteuses est en effet au cœur de notre système de santé et de solidarité et de mes préoccupations.

Les ALD concentrent 64 % des dépenses de santé. Les dépenses de ce régime enregistrent une croissance en volume de 6 % par an et expliquent plus des trois quarts de l’évolution des dépenses sous ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie). D’ici une dizaine d’années, elles devraient représenter 70 % des dépenses de santé, d’où la tentation de revenir sur leur régime de prise en charge. Ne nous trompons cependant pas de combat en réduisant la question à une simple équation financière : le problème ne réside pas dans la croissance du nombre des bénéficiaires du régime, mais dans des prises en charge thérapeutiques inadaptées pour nombre de patients.

Au risque de choquer certains d’entre vous, je ne considère pas l’accroissement du nombre de personnes en ALD comme un drame. Je suis en revanche convaincue que l’augmentation des dépenses de ce régime n’est pas inéluctable.

Le régime des ALD permet aujourd’hui à plus de 9 millions de personnes de bénéficier d’une prise en charge à 100 % pour les dépenses en rapport avec leur maladie exonérante. S’il n’avait pas été instauré en 1945, beaucoup de nos concitoyens atteints de maladies longues et coûteuses ne pourraient accéder à des soins du fait d’un reste à charge trop élevé.

Ce régime représente donc un progrès social et médical considérable, et il convient de le préserver. Si le nombre de diabétiques augmente, il faut les soigner correctement et assumer la dépense.

J’observe d’ailleurs que si les dépenses liées aux ALD progressent, c’est aussi le cas de celles liées aux autres affections, même si leur rythme de croissance est un peu moins rapide. Et si le nombre des patients en ALD augmente, c’est d’abord parce que les maladies sont mieux détectées, à des stades plus précoces, et parce que des traitements plus efficaces permettent de mieux les soigner. Ce progrès médical continu justifie que le système des ALD soit revu périodiquement et que la HAS se prononce régulièrement sur la rénovation de ses critères d’entrée et de sortie, comme elle l’a fait en décembre dernier.

L’admission en ALD garantit en outre au patient de bénéficier d’un suivi plus adapté à sa pathologie, puisque la prise en charge financière se double d’un suivi adapté de la maladie, formalisé par un protocole de soins et un suivi coordonné par le médecin traitant. C’est ainsi que la HAS procède à l’élaboration de listes indicatives des actes et prestations nécessités par chacune des 30 ALD et que nous disposons de guides médecins et de guides patients.

Je refuse donc que l’on pointe du doigt le développement du régime des ALD comme le signe d’un échec de notre système de santé. C’est au contraire un signe de sa réussite !

Si ce système doit faire débat, c’est pour une autre raison : il n’est pas parfait. Depuis plusieurs années, les personnes en ALD sont confrontées à des « restes à charge » moyens plus élevés que celles qui ne sont pas en ALD. Ce régime masque en effet de profondes disparités entre les patients, les restes à charge pouvant aller de 0 à près de 3 000 euros. Certaines personnes en ALD ont des restes à charge très faibles, du moins sur une année, parce que leur maladie s’est stabilisée ou n’a pas encore atteint un stade invalidant, tandis que d’autres sont confrontées à des dépenses importantes pour des soins sans rapport avec leur maladie exonérante ou à des dépassements d’honoraires mal pris en charge par leur complémentaire. Cela n’empêche pas que des patients qui ne sont pas en ALD puissent être confrontés à des restes à charge élevés.

Ce constat appelle deux remarques. Si le reste à charge des patients en ALD est dispersé, son impact dépend surtout de l’affiliation à une assurance complémentaire, dont bénéficient 93 % des Français mais seulement 90 % des patients atteints d’une maladie chronique. Cela pose un vrai problème pour les autres, d’où la nécessité de progresser dans le développement de l’assurance complémentaire.

Par ailleurs, cette inéquité entre les assurés nourrit les propositions visant à ce que la « protection financière » soit détachée de la condition médicale, l’exonération à 100 % dépendant du montant du reste à charge de chacun. C’est le concept du bouclier sanitaire, qui a fait l’objet du rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard. Pour être viable, ce bouclier devrait être élaboré en fonction du reste à charge, mais aussi des revenus, afin d’instaurer plus d’équité entre les assurés. Cela équivaudrait à un changement de paradigme radical pour notre sécurité sociale, dans laquelle chacun paye selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, changement en quelque sorte similaire à la proposition de mettre la CSG (contribution sociale généralisée) dans l’impôt sur le revenu.

Très lourde techniquement, cette solution aurait surtout des effets sur les assurés dépourvus de couverture complémentaire. En outre, le rapport n’a pas analysé la situation à l’hôpital, où les restes à charge sont parfois très élevés. Aussi ai-je demandé des analyses complémentaires à la CNAMTS (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés) pour évaluer la faisabilité de cette solution, qui suppose entre autres que l’on puisse effectuer des croisements de données concernant les dépenses de santé, les restes à charge et les revenus des assurés. Cette analyse est attendue pour la fin de l’année, et vous en aurez connaissance.

Il s’agit donc d’un débat lourd, qui mérite une discussion large et dans la durée.

Je le répète, je ne crois pas que l’augmentation des dépenses liées aux ALD soit inéluctable. Pour maîtriser ces dépenses et préserver ce régime auquel nous sommes tous attachés, il faut penser différemment la prise en charge médicale et aller vers une prise en charge intégrée réunissant tous ceux qui travaillent pour le patient et le patient lui-même.

Je reste convaincue qu’il existe des marges de manœuvre pour mieux soigner en maîtrisant un peu mieux la dépense de santé.

Je tiens à être claire sur un point : le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2009 ne comportera aucune mesure concernant les patients en ALD ou la participation financière des assurés respectueux du parcours de soins.

Ma stratégie vise en premier lieu à poursuivre les efforts entrepris en 2004 pour mettre à jour les ALD. La réforme de 2004 a confié à la HAS le soin de formuler des recommandations sur les critères médicaux d’admission et de sortie des ALD. La seule modification retenue à ce jour a concerné les affections psychiatriques de longue durée. Elle s’est traduite par une évolution beaucoup plus faible des effectifs du fait du resserrement des critères d’entrée.

Dans un avis publié en décembre 2007, la HAS a estimé qu’une mise à jour du régime s’imposait afin d’en recentrer le bénéfice sur les malades qui en ont vraiment besoin. En raison des progrès techniques et de l’amélioration des traitements, les premiers stades de certaines pathologies – par exemple l’hypertension artérielle – restent en effet bénins et relativement peu sévères.

Ces propositions sont intéressantes, mais il reste à ce stade très difficile d’isoler les cas d’hypertension sévère. En outre, la moyenne des dépenses de soins d’un patient hypertendu est sensiblement inférieure à celle des autres assurés de droit commun. Quelles économies pouvons-nous attendre d’une révision des critères d’entrée, sachant que le traitement d’un diabète équilibré ou d’une hypertension ne coûte pas grand-chose ?

En revanche, il n’en va pas de même s’agissant des critères de sortie des ALD. Aujourd’hui, on guérit d’un cancer. Doit-on rester en ALD toute sa vie ? Faut-il faire intervenir le critère du coût, qui peut baisser après la phase aiguë de la maladie ? Ce sera à la HAS de répondre à ces questions. Mais en toute hypothèse, le suivi des patients après la sortie du système devra être assuré.

La réforme de 2004 a instauré la « protocolisation » de l’entrée en ALD, mais cette logique doit être poussée à son terme pour permettre l’optimisation du recours au soin. Le protocole de soins définit, compte tenu des recommandations de la HAS, les actes et prestations nécessités par le traitement de l’ALD. Or, les listes très larges établies par la HAS ne permettent pas de guider les prescriptions des médecins selon une logique d’efficacité thérapeutique mieux adaptée et moins coûteuse pour les patients.

C’est sans doute là qu’existent les marges de manœuvre les plus importantes. Aujourd’hui, nous soignons l’hypertension artérielle sans hiérarchiser les traitements, notamment l’utilisation des inhibiteurs de l’enzyme de conversion et des sartans. Tous les pays qui nous entourent le font et ont émis des recommandations médico-économiques en ce sens. Ce sont vraisemblablement quelques centaines de millions d’euros qui sont ici dépensés de façon « sous-optimale ». Je pourrais aussi évoquer les traitements du diabète ou le recours à de nombreux produits de santé.

Je souhaite donc que les recommandations médico-économiques de la HAS, attendues pour la fin de l’année, permettent de mieux hiérarchiser la liste des actes et prestations en indiquant par exemple systématiquement les traitements à utiliser en première, deuxième ou troisième intention.

Le respect de l’ordonnancier bizone, qui permet d’économiser 80 millions d’euros en moyenne par an, doit également être renforcé. Le bilan de cet ordonnancier est mitigé. La CNAMTS doit donc mettre en place des contrôles plus rigoureux des prescriptions de médicaments : ceux qui sont inscrits dans le haut de l’ordonnancier bizone, et qu’il est justifié de rembourser à 100 %, doivent être en rapport avec la pathologie de longue durée.

Je souhaite aussi que la CNAMTS travaille à la liquidation médicalisée de l’ordonnancier, comme cela se fait déjà dans le régime social des indépendants.

Je crois que nous ne ferons pas d’économies sans progresser dans la prise en charge des patients en ALD. Le problème des ALD est aujourd’hui souvent considéré sous le seul angle financier. Mais, seule l’amélioration de la prise en charge thérapeutique des patients concernés nous permettra de réaliser des économies.

Ma stratégie repose donc sur trois piliers. Il faut d’abord améliorer l’organisation du processus de soins pour les patients en ALD. Les modes de rémunération actuels des professionnels de santé, notamment du médecin traitant, ne sont pas adaptés à la continuité des soins. Le paiement uniquement à l’acte n’a pas de sens s’agissant de malades chroniques : il faut aller vers des rémunérations au forfait. À cet égard, le « forfait » annuel de 40 euros par patient en ALD prévu par la convention médicale de 2005 a apporté une mauvaise réponse à un vrai problème. Il se révèle en outre inflationniste, puisqu’il incite à inscrire les patients en ALD, mais sans réel effet sur leur suivi dans la durée.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a fixé le cadre permettant de mener des expérimentations de rémunération au forfait. Ce type de rémunération pourrait permettre de renforcer le suivi des patients chroniques et de mieux associer les organismes complémentaires. Je poursuis d’ailleurs les discussions avec les principales fédérations d’organismes complémentaires afin de bien encadrer les éventuelles modalités de leur intervention.

Il faut ensuite améliorer l’organisation du système de soins par une meilleure coordination entre les différents intervenants. Les travaux conduits dans le cadre de la préparation du projet de loi d’organisation de la santé dont nous débattrons dans quelques semaines permettront d’y apporter des réponses, notamment en ce qui concerne les soins primaires.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, la prévention doit occuper davantage de place dans notre système de santé. Nous n’avons pas assez investi en ce domaine. Le Président de la République l’a rappelé la semaine dernière à Bletterans, en nous fixant comme objectif de faire passer de 7 à 10 % la part de nos dépenses de prévention – ce qui représente tout de même une augmentation de 50 %.

Les efforts doivent donc être poursuivis, dans la ligne du plan d’amélioration de la qualité de vie des patients atteints de pathologies chroniques.

J’ai confié le 29 novembre dernier à Mme Marie-Thérèse Boisseau la présidence du comité de suivi de ce plan. Le comité a constitué quatre groupes de travail : programme d’accompagnement des patients à l’éducation thérapeutique, rôle des aidants, accompagnement social des patients, proximité avec le terrain. Des propositions ont déjà été faites – par exemple l’intégration de l’éducation thérapeutique dans la formation médicale.

Il faut bien sûr aller plus loin. MM. Saout, Bertrand et Charbonnel viennent de me remettre un rapport sur le développement de l’éducation thérapeutique, qui a nourri mon projet de loi. Celui-ci vous proposera donc une organisation de l’éducation thérapeutique reposant sur plusieurs actions : l’identification des pathologies prioritaires au niveau national par le ministre de la santé ; l’élaboration d’un cahier des charges national ; et l’établissement d’une convention, au niveau régional, entre l’Agence régionale de santé, l’ARS, et les équipes d’éducation thérapeutique, sur la base du cahier des charges national et des besoins régionaux, à charge pour l’ARS de s’assurer du maillage territorial de l’offre en ville et à l’hôpital et de financer les programmes d’éducation thérapeutique.

La mise en place des agences régionales de santé va également permettre, en régionalisant les politiques de prévention, de mieux prendre en compte la répartition géographique des ALD – l’ALD est aussi un marqueur médico-social au niveau régional. Pour les pathologies graves, la géographie des ALD est en effet bien corrélée avec celles de la mortalité et des facteurs de risque. C’est le cas du diabète, du cancer du poumon, de la cirrhose du foie, de la sclérose en plaques, pathologies dont la fréquence est élevée dans la moitié nord du territoire métropolitain.

Nous devons exploiter toutes les nouvelles formes de prise en charge thérapeutique. J’ai récemment pris connaissance d’un document de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) sur « l’impact du vieillissement démographique sur les structures de soins à l’horizon 2010, 2020 et 2030 ». Les analyses montrent que les effets du choc démographique sur notre système de soins peuvent être absorbés, notamment en ce qui concerne les pathologies chroniques comme les tumeurs et le diabète, à une double condition : la première, mieux coordonner le système de soins en développant la prise en charge d’aval – en soins de suite ou en médecine de ville –, ce qui permet de diminuer sensiblement le nombre d’équivalents journées par un raccourcissement de la durée des traitements à l’hôpital et d’améliorer l’offre en soins palliatifs ; la seconde, adopter, pour des pathologies comme le diabète, une politique de prévention très volontariste et une prise en charge plus précoce.

Je partage entièrement les conclusions de cette étude, et suis donc déterminée à poursuivre la modernisation du pilotage de notre système de santé. Le projet de loi « hôpital, patients, santé, territoires » permettra de mettre en place une meilleure organisation de notre système de soins avec la création des ARS.

Comme dans tous les pays qui nous sont comparables, nos dépenses de santé augmentent plus vite que le produit intérieur brut. Une gestion rigoureuse est donc nécessaire.

Il n’en reste pas moins que les pathologies chroniques ou aggravées sont le moteur des dépenses de santé, d’où l’importance des décisions que nous prendrons pour les réorganiser et mieux les prendre en charge.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Merci, Madame la ministre. Je vais pouvoir ranger la liste des questions que j’avais préparées, car vous y avez en grande partie répondu.

Nous arrivons au terme de notre réflexion sur les ALD. Nous étions donc heureux de vous entendre pour conclure nos auditions.

Les ALD ont été un sujet de réflexion pour nous, mais aussi pour la HAS ou le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.

Vous avez dit que la croissance des dépenses relatives aux ALD n’était pas inéluctable. Soit, mais la croissance du nombre de personnes en ALD, elle, est inéluctable. Il faut donc continuer à réfléchir à leur prise en charge dans l’avenir, d’autant que le système est devenu complexe, voire opaque. Vous l’avez rappelé, il faut revenir sur les critères d’admission, le suivi des pathologies et leur évolution. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le rapport de la HAS, qui évoque un toilettage ou une révision de la liste de ces maladies, des conditions d’admission et de sortie… Dans la mesure où l’on peut désormais guérir d’un cancer ou d’un infarctus, doit-on demeurer toute sa vie dans le régime des ALD, comme c’est le cas aujourd’hui ? L’exonération du ticket modérateur pour les ALD est un bon système, mais il est sans doute à bout de souffle.

Des pistes de réflexion ont donc été ouvertes, notamment celle du bouclier sanitaire. Certains aimeraient poursuivre dans cette voie. Bien des pays étrangers s’y sont engagés. Elle est moins complexe qu’on veut bien le dire, y compris en termes d’organisation.

Bref, faut-il laisser perdurer le système actuel ? Vous avez parlé d’évaluation des bonnes pratiques, d’éducation thérapeutique, de prévention. Tout cela permettra d’améliorer le suivi médical. J’observe pour ma part que le système actuel des ALD lie la prise en charge financière et la prise en charge médicale. Or, on pourrait les séparer, c’est-à-dire continuer à soigner les ALD, mais réfléchir à d’autres formes de financement. Il existe des systèmes qui permettent de le faire tout en restant dans le cadre du pacte de 1945.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, Madame la ministre, d’avoir réaffirmé avec force, en traitant des ALD, les principes de solidarité qui fondent notre sécurité sociale et, par extension, le pacte républicain. Je tiens à préciser que pas davantage que vous ne l’avez fait, notre mission n’a imaginé diaboliser ceux qui, dans notre population, sont atteints des pathologies ainsi définies.

Évoquant les défis qui se posent, notamment les contraintes budgétaires, vous avez souligné la complexité technique de l’instauration d’un bouclier sanitaire. Vous avez aussi rappelé que la réflexion sur les ALD s’inscrit dans un projet plus vaste d’optimisation de l’utilisation des deniers publics par la réforme de l’hôpital, de régionalisation du système de soins et de décloisonnement du médical et du social. Vous avez souligné la nécessité de rationaliser le système de soins, une préoccupation qui nous est commune et qui suppose de maîtriser les informations médicales concernant les patients, chacun le sait. Mais ces réformes demandent du temps et, parallèlement, le profond déficit de l’assurance maladie, et la crainte que la crise économique mondiale ne l’aggrave encore en 2009, imposent des réponses à court terme.

La MECSS est favorable à ce que chaque personne qui souffre d’une ALD soit dotée d’un dossier médical spécifique. Même si le débat se poursuit sur le périmètre à donner au régime « ALD », l’accord s’est fait sur le principe. Il serait donc judicieux qu’à chaque malade en ALD soit affectée une clef USB contenant les informations médicales le concernant. Cela préfigurerait le dossier médical personnel dont la gestation se fait dans la souffrance… Sachant qu’une clef USB assortie d’un système de reconnaissance biométrique destinée à garantir la confidentialité de l’accès ne coûte qu’une dizaine d’euros, on ébaucherait ainsi, pour un coût limité, le parcours de soins que vous appelez de vos vœux.

Par ailleurs, la volonté de suivre les recommandations de la HAS relatives à la rationalisation des procédures de soin par la définition d’un protocole de traitement spécifique à chaque affection renvoie aux logiciels d’aide à la prescription. Leur utilisation deviendra-t-elle obligatoire ?

M. Jean-Luc Préel. La tentation est grande pour certains de faire des économies sur les ALD « en les gérant mieux » ; il est donc important de distinguer volet médical et volet financier. La tentation est tout aussi forte de réaliser des économies en jouant sur les critères d’admission et de sortie des ALD ; cette piste ne me semble pas très justifiée. S’agissant des protocoles de soin, il est juste de dire qu’une meilleure prise en charge des patients est nécessaire, car certains sont mal suivis – mais s’ils l’étaient mieux, cela coûterait plus cher. Ainsi en serait-il, par exemple, si tous les diabétiques consultaient un ophtalmologiste ou un néphrologue aussi souvent qu’ils le devraient. C’est pourquoi il faut dissocier la question financière de la qualité des soins. La tentation est grande, encore, d’instituer un bouclier sanitaire. Outre que, comme vous l’avez souligné à juste titre, des problèmes techniques l’empêchent pour l’instant, l’épineuse question du « reste à charge » demeure posée : ce bouclier sanitaire s’appliquerait-il aux seules dépenses remboursables ou à l’ensemble des dépenses de santé ? Enfin, si l’on poussait cette démarche à son terme, quel serait le sort futur des assurances complémentaires en santé ?

Mme Catherine Lemorton : Tout ce que je vous ai entendu dire, Madame la ministre, m’a globalement satisfaite, mais je suis surprise que certains collègues considèrent qu’il faudrait dissocier le médical de l’économique, alors que l’un ne va pas sans l’autre. S’agissant des ALD, le problème n’est pas la sortie du régime mais le fait que, faute de moyens, la prévention et l’écoute font défaut. Comme j’ai eu l’occasion de le relever dans le rapport d’information que j’ai présenté au nom de la MECSS sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments, le corps médical, quand il traite des ALD, a tendance à privilégier les innovations thérapeutiques coûteuses – par exemple, à prescrire des statines de la dernière génération quand des sulfamides feraient aussi bien l’affaire.

S’agissant de l’éducation thérapeutique du patient, qui la gérerait, et d’où proviendraient ses crédits ? Pour ce qui est du bouclier sanitaire, je suis moins enthousiaste que M. Door. Concernant enfin le « reste à charge », je m’interroge, comme M. Préel, sur la définition de son périmètre à un moment où des classes thérapeutiques entières sont déremboursées sans qu’existe d’alternative remboursable.

M. Jacques Domergue : Les ALD étant une source majeure de dépenses, et de dépenses sans cesse croissantes, je m’étonne de vous entendre dire, Madame la ministre, que le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comprendra aucune mesure à ce sujet. Pourquoi cela ? Je veux bien croire que l’augmentation continue des soins prodigués dans le cadre des ALD reflète le mauvais état de santé de la population, mais je ne pense pas qu’il y ait là une fatalité. La thérapeutique évoluant, il faudra redéfinir le périmètre des ALD, car certaines pathologies peuvent désormais être exclues de son champ – je sais que cela ne sera pas facile, mais on peut y parvenir.

Vous avez par ailleurs formulé des considérations très importantes sur le mode de rémunération des soins dispensés dans le cadre des ALD. Le système actuel est, peu ou prou, celui de la compensation puisqu’on paye mal les consultations qui durent longtemps mais que l’on rémunère au même tarif celles qui ne servent qu’à faire renouveler une ordonnance. Il faut mettre un terme à cela ; instituer un système forfaitaire de prise en charge des malades en ALD serait une bonne solution. On constate aussi qu’en cancérologie certaines prescriptions sont faites en dépit du bon sens : alors que la recherche, pourtant essentielle, des marqueurs n’a pas toujours lieu, les malades sont soumis à une batterie d’examens intégralement remboursés qui n’ont aucune utilité ni pour le patient ni pour le suivi de sa maladie. Un sérieux ménage s’impose.

De même, les ordonnances bizones, destinées à distinguer les prescriptions relatives au traitement de l’affection de longue durée de celles qui ne s’y rapportent pas, ne sont pas toujours utilisées à bon escient, tant s’en faut. Pourquoi le pharmacien ne serait-il pas habilité à rectifier les erreurs éventuelles du médecin prescripteur, en réaffectant à leur juste place les prescriptions qui n’ont pas à être entièrement remboursées ?

S’agissant du bouclier sanitaire, c’est faute d’avoir le courage de définir ce qui relève de la sécurité sociale et ce qui relève des assurances complémentaires que l’on en vient à imaginer que, parce que l’on est plus nanti que d’autres, on devrait payer davantage pour se soigner. Selon moi, tous ceux qui ont des accidents de santé doivent être pris en charge de la même manière ; privilégier une autre approche conduirait à de graves dérives. Si la maîtrise médicalisée des dépenses de santé est indispensable, elle ne doit pas conduire à une approche exclusivement comptable.

Je reviens enfin à un sujet que nous avons souvent évoqué : la consultation sans prescription. De nombreuses prescriptions sont faites qui ne le seraient pas si le médecin passait plus de temps avec le patient. Il faut donc valoriser les consultations longues et qui ne donnent pas lieu à prescription. Il est toutefois évident qu’une consultation rémunérée à 22 euros ne permet pas aux praticiens de consacrer beaucoup de temps à chaque malade ; serait-elle augmentée de 50 pour cent si le patient sortait du cabinet médical sans prescription que les praticiens seraient plus incités à écouter et à réfléchir qu’à seulement prescrire.

M. Gérard Bapt : Ne pensez-vous pas, Madame la ministre, que dans le cadre de l’instauration des agences régionales de santé, les pôles « prévention santé » devraient avoir un rôle majeur ?

M. Philippe Boënnec : Alors que les pathologies regroupées dans le système des ALD n’ont pas un cours linéaire, toutes les phases de la maladie sont prises en charge de manière uniforme. Une réflexion devrait avoir lieu à ce sujet. Quant à la rémunération au forfait, comment l’organiser, sachant que le patient est suivi par plusieurs soignants ? Enfin, il faut aussi travailler à l’éducation à la santé du patient lui-même. Ainsi, il est choquant de voir des personnes atteintes d’athérosclérose se limiter à avaler leur gélule quotidienne sans rien changer à leurs habitudes alimentaires. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine.

Mme la ministre : Je reviendrai en premier lieu sur le bouclier sanitaire évoqué par plusieurs d’entre vous. Passer à un tel dispositif signifierait changer entièrement de système de santé. Cela suppose un débat national de très grande ampleur et une telle décision ne saurait être prise de manière subreptice car, à l’évidence, elle reviendrait de facto à abolir le pacte de 1945 et à tuer les organismes complémentaires ou, en tout cas, à les mettre en grande difficulté. Les problèmes techniques ne peuvent être négligés mais, aussi compliqués soient-ils, ils peuvent être résolus ; c’est le débat de principe qui doit fonder la décision.

S’agissant des crédits destinés à l’éducation thérapeutique du patient, il faudra commencer par définir un cahier des charges national des objectifs visés. Ensuite, j’appelle votre attention sur le fait que chaque ARS comportera un comité spécifiquement consacré à la prévention, qui sera chargé de « labelliser » les équipes et de les évaluer. Enfin, des crédits destinés à financer l’éducation thérapeutique existent déjà. Leur montant – 73 millions d’euros – n’est pas négligeable, mais ils sont mal identifiés car émiettés dans plusieurs fonds. L’idée est donc apparue de les mutualiser. À ce sujet, le rapport de MM. Saout, Charbonnel et Bertrand recommande la création d’une fondation nationale permettant de regrouper, pour les mutualiser, l’ensemble des financements, publics ou privés, consacrés au développement de l’éducation thérapeutique du patient. J’étudierai cette proposition, mais j’avoue être très réservée à l’idée de mêler fonds publics et fonds privés à cet effet. J’ai eu l’occasion de le dire lors de plusieurs réunions organisées dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, pendant lesquelles j’ai constaté que beaucoup rêvent de voir l’industrie pharmaceutique intervenir dans l’éducation thérapeutique du patient. J’y suis tout à fait opposée, car je considère que l’étanchéité doit être totale. Mais peut-être des garde-fous sont-ils concevables, et si vous avez des idées à faire valoir à ce sujet, j’en prendrai connaissance avec intérêt.

Je suis convaincue qu’une meilleure prise en charge des malades chroniques est possible et qu’elle permettrait de réduire les coûts. Pour autant, la prudence doit prévaloir. Pourquoi ne pas envisager la sortie du système pour les personnes dont le cancer est guéri, ont suggéré certains d’entre vous ? Certes, on guérit désormais de certaines pathologies graves, mais le suivi du patient demeure indispensable. Comment être sûr qu’il aura lieu une fois sorti du système ALD ?

Vous avez, Monsieur Morange, proposé de doter chaque patient en ALD d’une clé USB recensant les informations médicales les concernant. Mon expérience est que les malades perdent les clefs USB… Quoi qu’il en soit, on pourrait procéder de la sorte, mais cela ne nous dispenserait nullement de devoir réaliser le dossier médical personnel.

M. Pierre Morange, coprésident : Bien entendu. J’envisage cette hypothèse comme une disposition transitoire.

Mme la ministre : Encore faudrait-il qu’elle n’ait pas pour conséquence de nous retarder. Vous avez d’autre part suggéré que les logiciels d’aide à la prescription deviennent obligatoires. Je suis farouchement partisane de la liberté de prescription du médecin. Que les caisses engagent un dialogue avec les praticiens trop gros prescripteurs pour comprendre si une particularité de leur clientèle peut expliquer cette dérive et voir comment y remédier est une chose, mais rendre les référentiels de soin opposables ne serait pas conforme à la déontologie.

De même, je ne peux vous suivre, Monsieur Domergue, quant vous proposez de faire rectifier des ordonnances bizones par les pharmaciens. Au cours de l’évolution d’une pathologie, certains produits peuvent apparaître tout à fait nécessaires – des antiémétiques par exemple, dont je serai bien embarrassée de dire s’il s’agit de médicaments de confort ou s’ils participent pleinement d’un traitement de fond. Je ne vois pas que le pharmacien puisse de son propre chef intervenir pour modifier l’affectation par un médecin d’une molécule sur une ordonnance bizone, et je considère que la liberté de prescription des praticiens doit demeurer entière.

Enfin, toutes les stratégies de prévention sont au cœur de mon action, La lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, et la promotion de l’activité physique – qui aide à réguler le diabète et retarde l’aggravation de la maladie d’Alzheimer – seront mises en œuvre par les ARS. La continuité des soins entre l’hôpital et la médecine de ville, l’amélioration de l’articulation entre le médical et le social sont d’autres moyens d’améliorer la prise en charge des ALD, laquelle ne peut se concevoir que globalement.

Mme Catherine Lemorton : Si l’une des pistes retenues est de sortir certains patients du système des ALD parce qu’ils sont guéris, il importe de mesurer exactement les conséquences d’une telle décision. Sachant que 10 % des malades en ALD n’ont pas d’assurance complémentaire, imaginez la cotisation qui leur sera demandée lorsque, voulant souscrire une assurance, ils auront indiqué dans le questionnaire de la compagnie qu’ils ont eu un cancer, mais qu’ils en ont guéri !

Par ailleurs, c’est précisément parce que certains patients en ALD n’ont pas les moyens de cotiser à une assurance complémentaire qu’ils demandent à leur médecin de porter les médicaments contre le rhume dans la partie haute, « exonérante », de l’ordonnance bizone.

Mme la ministre : Parce que je suis très attachée à la protection du droit des personnes, je considère qu’un meilleur suivi de la gestion du risque ne doit pas conduire à un télescopage avec la protection des données personnelles. Les mutuelles sont, sur ce point, en plein accord avec moi. Il ne peut y avoir de discrimination fondée sur l’état de santé et si de telles pratiques se vérifiaient j’y mettrais bon ordre.

M. Pierre Morange, coprésident : M’étant mal fait comprendre, je tiens à préciser que ma proposition était de rendre l’acquisition des logiciels d’aide à la prescription obligatoire, nullement de rendre obligatoires les prescriptions elles-mêmes.

Mme la ministre : Dans tous les cas, il doit s’agir de logiciels de qualité, labellisés par la HAS.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie, Madame la ministre. Vos réponses précises seront d’une grande utilité à notre rapporteur.

*

ANNEXE 4 : GLOSSAIRE

ACOSS : Agence centrale des organismes de sécurité sociale

ACS : Aide complémentaire santé

AFD : Association française des diabétiques

AFM : Association française contre les myopathies

AFSSAPS : Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé

ALD : Affection de longue durée

AMC : Assurance maladie complémentaire

AMM : Autorisation de mise sur le marché

AMO : Assurance maladie obligatoire

ANAES : Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé mentale

ANDEM : Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale

ARH : Agence régionale de l’hospitalisation

ARS : Agence régionale de santé

AVC : Accident vasculaire cérébral

CCAM : Classification commune des actes médicaux

CEPS Comité économique des produits de santé

Chronic care model : Modèle anglo-saxon de prise en charge des maladies chroniques

CISS : Collectif interassociatif sur la santé

CLCV : Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie

CMU : Couverture médicale universelle

CMUC : Couverture médicale universelle complémentaire

CNAMTS : Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés

CNAVTS : Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés

CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés

CSG : Contribution sociale généralisée

CSMF : Confédération des syndicats médicaux français

DAM : Délégué de l’assurance maladie

Desease management : Soutien à la prise en charge thérapeutique des patients atteints de maladies chroniques

DGS : Direction générale de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative

DHOS : Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative

DMP : Dossier médical personnel

DREES : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques au ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité

DSS : Direction de la sécurité sociale au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative

EGOS : États généraux de l’offre de soins

EPIBAM : Échantillon permanent inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie

Evidence based medicine (EBM) : Médecine fondée sur les preuves et la rigueur scientifique

FFSA : Fédération française des sociétés d’assurances

FMF : Fédération des médecins de France

FNMF : Fédération nationale de la mutualité française

GHS : Groupe homogène de séjours

HAS : Haute Autorité de santé

HCAAM : Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie

HMO : Health maintenance organizations (américaines)

IDS : Institut des données de santé

IEC: Inhibiteurs de l’enzyme de conversion

IGAS : Inspection générale des affaires sociales du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité

INPES : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé

INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale

IP : Institution de prévoyance

IPP : Inhibiteur de la pompe à protons

IQWIG : Institut für qualität und wirtschaftlichkeit im gesundheitswesen (allemand)

LAP Logiciel d’aide à la prescription

LEEM : Les entreprises du médicament

LIR : Laboratoires internationaux de recherche

MCO : Médecine, chirurgie, obstétrique

MDPH : Maison départementale des personnes handicapées

MSA : Mutualité sociale agricole

NHS : National health service (britannique)

NICE : National institute for clinical excellence (britannique)

NIR : Numéro d’inscription au répertoire

NTIC : Nouvelles technologies d’information et de communication

OCDE : Organisation de coopération et de développement économique

OMS : Organisation mondiale de la santé

ONDAM Objectif national de dépenses de l’assurance maladie

PIRES : Protocole inter-régimes d’examen spécial

Quality and outcomes framework (QOF) : Système britannique de paiement à la performance

RAC : Reste à charge

RSI : Régime social des indépendants

SAMU : Service d’aide médicale d’urgence

SML : Syndicat des médecins libéraux

SNIIRAM : Système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie

SROS : Schéma régional d’organisation sanitaire

T2A : Tarification à l’activité

TJP : Tarif journalier de prestation

UNAF : Union nationale des associations familiales

UNCAM : Union nationale des caisses d’assurance maladie

UNOCAM : Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire

URCAM : Union régionale des caisses d’assurance maladie


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