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N° 2148

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 décembre 2009

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE

sur le projet de l’avis de la commission des Affaires européennes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (COM [2009] 154 final),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Sébastien HUYGHE,

Député

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INTRODUCTION 5

I. LE CONTRÔLE DU RESPECT DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ 9

A. UN PROBLÈME NÉCESSITANT UNE INTERVENTION EUROPÉENNE 9

B. UNE INTERVENTION EUROPÉENNE PRÉVUE PAR LES TRAITÉS 10

C. UN CHAMP D’INTERVENTION CONFORME AU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ 10

II. LE CONTRÔLE DU RESPECT DU PRINCIPE DE PROPORTIONNALITÉ 13

A. L’ABANDON PROPOSÉ DU RÉGIME « SCISSIONNISTE » SEMBLE NÉCESSAIRE POUR SIMPLIFIER LE RÈGLEMENT DES SUCCESSIONS 13

1. L’unité successorale est inconnue du droit français 13

2. Le rattachement à la loi de la dernière résidence habituelle semble cohérent 14

B. L’INTRODUCTION D’UN CHOIX ALTERNATIF LIMITÉ À LA SEULE LOI DE LA NATIONALITÉ APPARAÎT JUSTIFIÉE 14

C. UNE PROTECTION DES MÉCANISMES DE RÉSERVE HÉRÉDITAIRE QUI DEMEURE INSUFFISANTE 15

1. La proposition de règlement mettrait en échec deux dispositions du droit français 15

2. La Commission européenne doit examiner des solutions alternatives 16

a) Les difficultés posées par l’article 27 16

b) La proposition de règlement pourrait s’inspirer de la Convention de La Haye du 1er août 1989 16

c) La proposition de règlement pourrait permettre aux proches parents de faire appliquer les modalités de réserve héréditaire 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

AVIS ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 21

Annexe : Proposition de rÈglement du Parlement europÉen et du Conseil relatif À la compÉtence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exÉcution des dÉcisions et des actes authentiques en matiÈre de successions et À la crÉation d’un certificat successoral europÉen (COM [2009] 154 final) 23

Mesdames, Messieurs,

Votre Commission examine aujourd’hui une proposition de règlement européen, que la Commission européenne a présentée le 14 octobre dernier, et qui vise à simplifier les successions internationales. Cette proposition de règlement a fait l’objet d’un projet d’avis de la commission des affaires européennes, adopté à la suite d’une communication de notre collègue Guy Geoffroy en date du 17 novembre dernier (1). De même, la commission des Lois du Sénat a entendu le 2 décembre dernier une communication de notre collègue sénateur M. Pierre Fauchon, sur la même proposition de règlement européen (2) et a adopté une proposition de résolution européenne, en application de l’article 73 quinquies de son Règlement (3).

Votre commission des Lois a, elle, choisi à la fois de se prononcer sur l’avis de la commission des affaires européennes et de procéder à la publication d’un rapport d’information sur cette proposition de règlement.

Votre commission se saisit d’un des derniers contrôles de proportionnalité et de subsidiarité entamés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre dernier.

—  La procédure de contrôle anticipée

La procédure qui amène votre commission des Lois à examiner la présente proposition de règlement est une « procédure anticipée » de la procédure qui peut désormais être mise en œuvre pour des avis formulés après le 1er décembre.

Les parlements nationaux, sur l’initiative du président de la Commission européenne, ont décidé d’anticiper ce contrôle à titre informel. Bien que dépourvu d’effet juridique, la procédure présente trois avantages.

Tout d’abord, elle a permis aux parlements d’engager un dialogue direct avec la Commission européenne au stade précoce de l’élaboration de ses propositions. Depuis le 1er septembre 2006, la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale a ainsi examiné sept textes à ce titre, adoptant deux avis des 19 décembre 2006 et 7 janvier 2009 contestant les propositions de directive postale et de directive relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.

Ensuite, la procédure anticipée a permis aux députés français de nouer une collaboration étroite avec leurs partenaires étrangers, conditions essentielles du succès de cette nouvelle mission. Les tests coordonnés de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des parlements de l’union européenne (COSAC) permettant d’identifier les enjeux d’intérêt commun se sont à cet égard révélés particulièrement précieux.

Enfin, et surtout, ce contrôle informel est plus large que celui défini par le traité de Lisbonne. Il ne se contente en effet pas d’examiner le respect du principe de subsidiarité, mais étend son emprise au principe de proportionnalité, qui veut que l’action européenne soit strictement limitée à la réalisation des objectifs poursuivis.

—  La procédure de contrôle prévue par le traité de Lisbonne

Le protocole n°2 annexé au traité de Lisbonne confie aux parlements nationaux la mission de veiller à ce l’Union n’agisse que si elle apporte une réelle valeur ajoutée par rapport à l’intervention des États-membres et dans les limites qu’impose la réalisation efficace des objectifs poursuivis.

A cette fin, les parlements nationaux peuvent, depuis le 1er décembre, émettre des avis contestant la conformité de tout projet législatif européen au principe de subsidiarité. Si le tiers des parlements dénoncent un même texte, la Commission devra le réexaminer et justifier, le cas échéant, le maintien de sa proposition en l’état. Si l’opposition rassemble la moitié des parlements nationaux, le Conseil et le Parlement européen pourront, à la majorité simple, rejeter le projet sans autre préalable.

L’intervention parlementaire devra cependant se situer en amont du processus décisionnel européen. Les avis devront être adoptés dans les huit semaines qui suivent la publication de la proposition de la Commission.

A cette fin, le nouvel article 151-9 du Règlement de l’Assemblée nationale donne à chaque député qui estime qu’un texte enfreint le principe de subsidiarité la faculté de déposer une proposition de résolution. Cette proposition sera examinée au préalable par la commission des Affaires européennes, dans les 15 jours si un Président de groupe, de commission ou le Gouvernement le demande. Si la commission des Affaires européennes l’approuve, la proposition sera ensuite soumise à la commission permanente concernée au fond. Celle-ci disposera de 15 jours pour l’examiner ou, si elle n’agit pas, pour l’approuver tacitement. Ensuite, la proposition adoptée deviendra l’avis de l’Assemblée, adressé aux présidents des institutions européennes et au Gouvernement.

—  La proposition de règlement européen

L’importance des successions transfrontalières au sein de l’Union européenne a été mise en lumière dans un rapport d’étude d’impact (4) réalisé par l’Institut notarial allemand (Deutsches Notarinstitut), à la demande de la direction générale de la Justice et des Affaires intérieures de la Commission européenne.

Cette proposition de règlement s’inscrit dans la démarche initiée par la Commission européenne le 1er mars 2005, dans un Livre vert « Successions et Testaments ». Elle a ainsi ouvert une vaste consultation sur les questions soulevées par les successions internationales.

La proposition de règlement est une réforme ambitieuse, qui se fonde sur le constat que la diversité tant des règles de droit matériel, que des règles de compétence internationale ou de loi applicable, la multiplicité des autorités pouvant être saisies d’une succession internationale ainsi que le morcellement des successions qui peut résulter de ces règles divergentes, entravent la libre circulation des personnes dans l’Union européenne. Les personnes concernées sont donc aujourd’hui confrontées à des difficultés importantes pour faire valoir leurs droits dans le cadre d’une succession internationale. La présente proposition vise à permettre aux personnes résidant dans l’Union européenne d’organiser à l’avance leur succession et de garantir d’une manière efficace les droits des héritiers ou légataires, et des autres personnes liées au défunt ainsi que des créanciers de la succession.

Selon les données de la Commission européenne, chaque année environ 450 000 successions à l’échelle de l’Union européenne auraient un caractère international.

Le règlement proposé comprend trois mesures majeures :

—  La juridiction compétente et la loi applicable aux successions dans toute l’Union seraient, par défaut, celle de l’Etat de la résidence habituelle du défunt (article 4 de la proposition de règlement). L’ensemble des aspects de la succession relèverait d’une seule et unique loi.

—  Cependant, le testateur pourrait lui préférer expressément sa loi nationale pour organiser sa future succession (article 17 de la proposition de règlement).

—  Les décisions rendues par les juridictions compétentes seraient reconnues dans toute l’Union (article 29 de la proposition de règlement), un certificat successoral européen commun permettant d’alléguer de la qualité d’héritier dans l’ensemble du territoire européen (article 36 de la proposition de règlement) serait créé.

L’appréciation que la commission des Lois doit porter à ce texte se limite à en apprécier le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité.

Comme le rapporteur de la commission des Affaires européennes l’a indiqué le 17 novembre dernier, il convient de se concentrer sur ce seul contrôle, en réservant notre position sur le fond du texte à un moment plus favorable, lorsque les premières négociations auront permis d’apprécier les possibilités de compromis susceptibles de dégager une majorité commune.

I. LE CONTRÔLE DU RESPECT DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

Le contrôle du respect du principe de subsidiarité consiste à se demander si les objectifs poursuivis ne peuvent être atteints de manière suffisante par les États-membres.

Votre rapporteur estime que le respect du principe de subsidiarité suppose la satisfaction de trois conditions cumulatives :

—  Les objectifs poursuivis doivent être légitimes et répondre à un réel besoin qui ne peut être satisfait par l’intervention des seuls États-membres ;

—  L’action européenne doit être autorisée et prévue par les traités ;

—  Le champ global des actions projetées – et non leur détail, qui relève du principe de proportionnalité – ne doit pas conduire à traiter au niveau européen des problèmes qui pourraient être plus efficacement résolus au niveau national.

Si ces conditions sont réunies, non seulement l’action européenne est conforme au principe de subsidiarité, mais elle doit aussi mobiliser tous les instruments propres à encourager une action efficace.

A. UN PROBLÈME NÉCESSITANT UNE INTERVENTION EUROPÉENNE

Dans le domaine des successions transfrontalières, la légitimité d’une intervention de l’Union européenne ne semble pas contestable.

Par nature, le règlement des successions transfrontalières fait intervenir plusieurs États, soit en raison de la nationalité, soit du domicile ou encore de la situation des biens du défunt. Il se heurte aujourd’hui à de très lourds obstacles. Ils s’expliquent non seulement par la grande diversité des dispositions nationales mais aussi par l’absence d’instrument international sur les conflits de juridiction et de loi dont la résolution est ainsi suspendue aux traditions de chacun des États-membres (5).

Si la majorité des États retiennent ainsi la compétence du tribunal et l’application de la loi de résidence du défunt (notamment le Danemark ou les Pays-Bas), d’autres lui préfèrent la loi de sa nationalité (c’est le cas de l’Allemagne, de l’Italie, de la Grèce ou de la Suède). Par ailleurs, les États disposant du code civil dit « Napoléon » (France, Belgique et Luxembourg) soumettent tous les immeubles situés sur leur territoire, quels que soient la nationalité et le domicile de leur propriétaire, à leur loi successorale nationale, que les tribunaux de common law peuvent étendre à l’ensemble de la succession dès lors qu’un seul bien est situé sur le territoire du pays concerné.

Il ne fait donc pas de doute qu’une intervention de l’Union européenne semble nécessaire pour dégager des critères uniformes et stables permettant aux citoyens d’identifier clairement la loi applicable à leur succession.

B. UNE INTERVENTION EUROPÉENNE PRÉVUE PAR LES TRAITÉS

L’article 65 du traité instituant les Communautés européennes prévoit explicitement que l’Union peut adopter des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles afin, d’une part, « d’améliorer et de simplifier la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires et extrajudiciaires » et, d’autre part, de « favoriser la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflits de lois et de compétence ».

L’intervention européenne est soumise à deux conditions, satisfaites dans la proposition qui nous est soumise : les matières traitées doivent avoir « une incidence transfrontière » et les mesures doivent être prises « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ».

Le 5 de l’article 67 prévoit que les mesures prévues à l’article 65 relèvent de la codécision – c’est-à-dire d’un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil – « à l’exclusion des aspects touchant le droit de la famille » qui demeurent soumis à l’unanimité.

La Commission européenne rappelle, dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement, qu’elle estime que le droit successoral, en raison de ses aspects patrimoniaux prépondérants, est distinct du droit de la famille. Elle souligne que cette interprétation est conforme à la législation de la très vaste majorité des États-membres, à l’exception notable des pays scandinaves. Elle permet d’ouvrir la voie à un accord, le maintien de l’exigence d’unanimité obérant toute perspective d’avancées en la matière.

L’adoption de ce point de vue par la Commission européenne emporte une conséquence majeure pour l’appréciation du texte qui nous est soumis. En effet, pour que la proposition de règlement puisse être considérée comme autonome à l’égard du droit de la famille, elle ne doit pas conduire à altérer la protection des liens familiaux. En droit français, il convient de s’assurer que les mécanismes de réserve héréditaire sont suffisamment protégés.

C. UN CHAMP D’INTERVENTION CONFORME AU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

Le champ d’intervention de la proposition de règlement respecte les limites fixées par le principe de subsidiarité.

—  La proposition de règlement ne propose pas d’harmonisation du droit matériel des successions.

—  Elle ne modifie en rien les règles relatives à la validité des donations, au régime des trusts successoraux (point i de l’article premier de la proposition de règlement), au régime fiscal ou au régime de propriété des successions. L’ensemble de ces règles demeure de la compétence exclusive des États-membres.

Les conditions de respect du principe de subsidiarité semblant réunies, il convient d’examiner si la proposition de règlement met en œuvre les instruments propres à encourager une action efficace de l’Union européenne en la matière.

—  Votre rapporteur observe que la proposition de règlement prévoit que la loi successorale retenue régira l’ensemble des opérations successorales, de son ouverture à sa liquidation – y compris donc les opérations de partage et de prise en compte des libéralités dans le calcul des parts héréditaires – afin d’en simplifier autant que possible le règlement. Elle s’imposera à toutes les « juridictions » des États-membres.

A cette fin, soulignons que la notion de « juridiction » vise à inclure l’ensemble des professions concernées, et notamment les officiers ministériels français que sont les notaires. L’exposé des motifs de la proposition de règlement, très clair sur ce point, précise :

« Le concept de juridiction utilisé dans le présent règlement est pris au sens large et comprend d’autres autorités lorsque celles-ci exercent une fonction relevant de la compétence des juridictions, notamment par voie de délégation, ce qui inclut notamment les notaires et les greffiers. »

—  Dans ses articles 34 et 35 – qui constituent son chapitre V – la proposition de règlement prévoit la reconnaissance mutuelle des actes authentiques qui jouent un rôle décisif dans le règlement des successions. Votre rapporteur souligne que cette reconnaissance des actes authentiques ne concernera que le seul règlement des successions à l’exclusion de toute autre matière.

—  Dans ses articles 36 à 44 – qui constituent son chapitre VI –la proposition de règlement prévoit la création d’un certificat successoral européen unique. Il sera émis par le tribunal ou l’officier ministériel compétant pour régler la succession. Ce certificat constituera, pour son bénéficiaire, la preuve de la qualité d’héritier, de légataire et des pouvoirs des exécuteurs testamentaires ou des tiers administrateurs.

Ce certificat ne sera pas obligatoire et produira ses effets également dans l’État-membre dans lequel il a été établi.

L’original du certificat sera conservé par l’autorité émettrice qui délivrera une ou plusieurs expéditions au demandeur ou à toute personne qui dispose d’un intérêt légitime.

L’article 42 de la proposition de règlement prévoit que ces expéditions ne produisent leurs effets que pendant une période limitée de trois mois. Après ce délai, les titulaires du certificat devront demander une nouvelle expédition du document.

II. LE CONTRÔLE DU RESPECT DU PRINCIPE DE PROPORTIONNALITÉ

Le contrôle du respect du principe de proportionnalité consiste à se demander si l’action européenne excède ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.

A. L’ABANDON PROPOSÉ DU RÉGIME « SCISSIONNISTE » SEMBLE NÉCESSAIRE POUR SIMPLIFIER LE RÈGLEMENT DES SUCCESSIONS

La proposition de règlement tend à soumettre l’ensemble des biens de la succession à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt. De ce fait, elle n’est pas sans conséquence sur notre droit national.

1. L’unité successorale est inconnue du droit français

Notre système, dit « scissionniste », opère une distinction entre les biens meubles, soumis à la loi du domicile au jour de son décès, et les immeubles, soumis à leur loi de situation, conformément à l’article 3 du code civil qui dispose que « les immeubles, mêmes ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française ». Notre droit présente l’intérêt de faire coïncider la loi successorale et la loi réelle du bien. L’efficacité des décisions prises par la juridiction du lieu de situation de l’immeuble, en parfaite corrélation avec les règles de publicité foncière, est ainsi garantie. De même, cette solution respecte pleinement le régime de propriété de l’État dans lequel l’immeuble est situé.

Même si la logique de notre système de droit n’est pas contestable, il peut apparaître comme particulièrement complexe.

En effet, il implique que, s’agissant de successions transfrontalières, plusieurs masses successorales soient soumises à des règles et des juridictions différentes.

Les avantages induits par l’application d’une seule et même loi à l’ensemble de la succession semblent dans ce contexte dépasser les inconvénients que nous impose le renoncement au régime « scissionniste », dès lors que deux conditions sont réunies : que le régime réel des biens relève exclusivement de leur loi de situation et que l’unité successorale ne conduise pas à priver d’effets les dispositifs de réserve héréditaire que notre régime « scissionniste » avait notamment pour effet de protéger.

—  La première condition est satisfaite par la proposition de règlement. Votre rapporteur relève que l’article 9 de la proposition de règlement précise notamment que les juridictions de l’État-membre de situation des biens demeurent compétentes pour prendre toutes mesures relevant du droit réel relatives à la transmission du bien, son enregistrement ou son transfert dans le registre de publicité.

De même l’article 22 préserve l’application des régimes successoraux particuliers auxquels certains immeubles, entreprises ou autres catégories spéciales de biens, en particulier les exploitations rurales familiales, sont soumis par la loi de l’État de leur situation en raison de leur destination économique, familiale ou sociale.

—  La seconde condition n’est pas pleinement remplie par la proposition de règlement. Votre rapporteur examinera spécifiquement cette question.

2. Le rattachement à la loi de la dernière résidence habituelle semble cohérent

La principale plus-value de la proposition de règlement consiste à définir un critère simple et objectif pour rattacher l’ensemble de la succession à une loi prévisible, celle de la résidence habituelle. C’est d’ailleurs cette même loi qui est aujourd’hui appliquée en France pour l’ensemble des biens meubles d’une succession transfrontalière.

La Commission européenne observe que ce choix coïncide généralement avec le centre d’activité et d’intérêt des citoyens et avec le lieu de situation de la très vaste majorité de son patrimoine. Ce choix, en permettant de consolider l’intégration des Européens dans l’État dans lequel ils vivent, est donc bien conforme à l’ambition européenne de créer un espace de vie commun et de doter la liberté de circulation de garanties concrètes.

B. L’INTRODUCTION D’UN CHOIX ALTERNATIF LIMITÉ À LA SEULE LOI DE LA NATIONALITÉ APPARAÎT JUSTIFIÉE

La proposition de règlement permet au testateur de choisir une autre loi applicable à sa succession afin :

—  de planifier plus aisément sa succession ;

—  de préserver les liens particuliers qui l’attachent à un autre État que celui dans lequel il réside.

Pour autant, il convient de se prémunir contre la tentation de certains testateurs d’optimiser l’utilisation des différents systèmes juridiques européens ; la proposition de règlement limite donc le choix du testateur à la seule loi de sa nationalité.

Dans cette situation, l’article 5 de la proposition de règlement prévoit que la juridiction compétente demeurera celle de la résidence habituelle du défunt. Cependant, elle pourra à titre exceptionnel et à la demande des parties renvoyer l’affaire à la juridiction de la nationalité du défunt si celle-ci apparaît mieux placée pour en connaître. Cette faculté de professio juris constitue un réel progrès pour les citoyens, qui pourraient ainsi conserver le bénéfice d’une loi nationale qu’ils connaissent souvent mieux que la loi de l’État dans lequel ils résident.

Cependant, la solution retenue par la proposition de règlement fera naître de sérieuses difficultés d’application puisqu’il faudra prévoir l’application de certains mécanismes successoraux dans des États qui ne les connaissent pas. Il en est ainsi de l’usufruit ou des trusts successoraux.

C. UNE PROTECTION DES MÉCANISMES DE RÉSERVE HÉRÉDITAIRE QUI DEMEURE INSUFFISANTE

Si la Commission européenne retient la possibilité pour le testateur de choisir que la loi de sa nationalité sera applicable à sa succession, il convient cependant que la proposition de règlement européen ne conduise pas la France – et l’essentiel des États-membres continentaux – à renoncer à l’application des mécanismes de réserve héréditaire qui constituent un élément fondamental de notre droit civil.

1. La proposition de règlement mettrait en échec deux dispositions du droit français

En France, le mécanisme de la réserve héréditaire est garanti par deux dispositifs législatifs qui semblent incompatibles avec la proposition de règlement européen.

En premier lieu, le deuxième alinéa de l’article 3 du code civil dispose que « [l]es immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française ».

En second lieu, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction permet, en cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, que « ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales ».

Ce droit de prélèvement ne semble, de toute évidence, pas compatible avec le régime proposé par la Commission européenne.

Si elle devait entrer en vigueur dans sa rédaction actuelle, la proposition de règlement aurait des conséquences difficilement acceptables.

On pourrait en effet imaginer qu’un tribunal français soit contraint d’appliquer des mécanismes de réserve héréditaire moins favorables ou de ne pas appliquer du tout de tels mécanismes, pour régler la succession de défunts résidant dans un autre État mais dont la majorité du patrimoine, ainsi que la résidence ou la nationalité des héritiers seraient françaises.

De même, ce texte permettrait à des Français de contourner les obligations de la réserve héréditaire en fixant par exemple leur résidence habituelle en fin de vie dans un pays qui ne connaît pas de mécanisme protecteur équivalent.

2. La Commission européenne doit examiner des solutions alternatives

Votre rapporteur, comme d’ailleurs la commission des Affaires européennes de notre assemblée, juge nécessaire que la Commission européenne examine des solutions alternatives.

a) Les difficultés posées par l’article 27

Votre rapporteur estime essentiel que les modalités de la réserve héréditaire en vigueur dans le pays de résidence du défunt soient intégrées, lorsqu’elles sont plus favorables aux conjoints et aux enfants, à l’ordre public du for afin d’écarter l’application des dispositions moins favorables de la loi désignée par le testateur.

Une telle solution est écartée par l’article 27 de la proposition de règlement qui précise que « l’application d’une disposition de la loi désignée par le présent règlement ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public du for au seul motif que ses modalités concernant la réserve héréditaire sont différentes de celles en vigueur dans le for ».

Certes, cette rédaction suggère, a contrario, que l’ordre public est opposable aux lois ne prévoyant aucune modalité de protection de la réserve héréditaire, mais elle n’en reste pas moins très largement insuffisante.

b) La proposition de règlement pourrait s’inspirer de la Convention de La Haye du 1er août 1989

Votre rapporteur observe également que la proposition de règlement pourrait utilement s’inspirer de l’article 23 de la Convention de La Haye du 1er août 1989 (6)qui permet aux États de préciser qu’ils ne reconnaîtront pas une désignation de professio juris lorsque la loi désignée prive « totalement ou dans une proportion très importante le conjoint ou l’enfant du défunt d’attributions de nature successorale ou familiale auxquelles ils auraient eu droit selon les règles de la loi de la résidence habituelle du défunt » et que ce conjoint ou cet enfant possède la nationalité ou réside habituellement dans l’État émettant cette réserve.

c) La proposition de règlement pourrait permettre aux proches parents de faire appliquer les modalités de réserve héréditaire

Afin d’empêcher les ressortissants d’un État-membre d’établir en fin de vie, dans le but de contourner les dispositions relatives à la réserve héréditaire, leur résidence habituelle dans un autre État-membre, il pourrait être également envisageable de permettre aux proches parents de saisir le tribunal de l’État de nationalité aux fins d’appliquer les modalités de réserve plus favorables de la loi de nationalité.

Afin de demeurer compatible avec l’objectif de prévisibilité des successions, cette solution audacieuse devrait cependant être étroitement encadrée. Le recours pourrait ainsi :

—  être réservé aux seuls héritiers jouissant de la nationalité du tribunal saisi et y résidant habituellement ;

—  ne porter que sur la succession d’un défunt ayant établi sa résidence habituelle dans un autre État depuis moins de cinq ans ;

—  n’être recevable que lorsque la loi successorale appliquée prive totalement ou dans une proportion très importante les héritiers de leur droit réservataire.

En tout état de cause, votre rapporteur estime nécessaire que cette préoccupation soit intégrée à la proposition de règlement qui nous est soumise.

C’est pourquoi votre rapporteur propose d’adopter le projet d’avis de la commission des Affaires européennes contestant la conformité de la proposition de règlement au principe de proportionnalité. Cet avis invite la Commission européenne à définir un mécanisme efficace de préservation des mécanismes de réserves successorales les plus favorables aux héritiers proches.

*

* *

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 9 décembre 2009, la Commission examine le projet d’avis de la commission des affaires européennes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (COM [2009] 154 final). Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Jérôme Lambert. Je me félicite que nous soyons réunis ce matin pour examiner ce projet de règlement, tant sur le fond que, peut-être davantage encore, sur le principe.

Nous suivons en effet une procédure encore peu usitée, mais qui est appelée à prendre sa pleine mesure avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les parlements nationaux vont en effet intervenir désormais en amont de l’élaboration des textes européens, là où jusqu’ici leur rôle se bornait trop souvent à la transposition de directives qu’ils découvraient au moment du vote. Au sein de notre Assemblée, la Commission des Affaires européennes et les commissions permanentes seront désormais appelées à émettre un avis sur les textes européens plus en amont, étudiant le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Je me félicite de la mise en ouvre de cette nouvelle procédure, qui va faire des parlementaires nationaux de réels bâtisseurs de la législation européenne, là où jusqu’ici nous la subissions bien davantage.

S’agissant du présent projet de règlement, le rapporteur a raison de nous mettre en garde contre quelques-unes de ses dispositions. Je partage son avis et ses critiques. Les sujets évoqués peuvent paraître de prime abord complexes ; en matière de successions pourtant, tout le monde est concerné un jour ou l’autre…

Notre droit civil établit le principe, auquel il ne peut être dérogé, de « part réservataire » sur les successions ; or l’adoption du règlement qui nous est présenté pourrait favoriser la disparition de cette part réservataire s’agissant de nos compatriotes établis à l’étranger. Il y a, avec ce texte, un risque évident de dérapage, ce qui nous conduit à contester les dispositions en cause pour non-respect du principe de proportionnalité.

M. Étienne Blanc. Je voudrais faire trois observations.

Tout d’abord, je me réjouis moi aussi de l’application de cette nouvelle procédure qui, grâce au traité de Lisbonne, va permettre au travail parlementaire de s’exercer plus en amont de l’élaboration des textes européens.

En second lieu, s’agissant du fond, je note que la question de la réserve héréditaire est souvent à l’origine de conflits exacerbés dans les familles. Nous ne pouvons pas accepter qu’un texte européen permette de soustraire un héritier du bénéfice de la réserve héréditaire. Je souhaiterais que notre rapporteur nous indique, s’il dispose de cette information, le nombre d’États européens qui ne connaissent pas le même principe que nous. Cela nous permettrait d’évaluer l’importance du risque que nous prendrions si le règlement était adopté en l’état. Nous savons que les pays de common law, Royaume-Uni en tête, ne connaissent pas ce principe, même s’il existe dans ces pays d’autres voies de recours possibles pour les héritiers spoliés.

Enfin, ma dernière question concerne l’exequatur : la mécanique nouvelle instaurée par le règlement maintient-elle le recours à une procédure d’exequatur destinée à vérifier le respect des règles par l’autre État ?

M. Émile Blessig. Je m’associe aux observations qui viennent d’être faites. Je souhaiterais par ailleurs savoir comment notre avis s’articulera avec ceux émis par les autres parlements nationaux : on sait qu’avec le traité de Lisbonne, il faut que le tiers des parlements nationaux se soient prononcés contre un texte pour que la commission le réexamine. Le rapporteur a-t-il des éléments d’information sur les possibles réactions de nos collègues européens ? Que se passera-t-il si nous sommes les seuls à contester certains points du règlement ?

M. le rapporteur. Je me félicite que M. Lambert souligne l’intérêt pour notre commission de se saisir des enjeux européens et qu’il partage le point de vue que j’ai exprimé sur cette proposition de règlement.

Globalement, les pays de common law ne connaissent pas le système de la réserve héréditaire tandis que ceux de droit continental en disposent, même si les dispositifs sont très différents selon les pays concernés.

Sur la question de l’exequatur, l’article 29 de la proposition de règlement est très claire puisqu’il précise que les décisions rendues en application du règlement sont reconnues dans les autres États membres, « sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ».

Comme je l’ai indiqué, notre commission examine la proposition de règlement selon une « procédure anticipée » car l’avis a été rendu par la commission des Affaires européennes avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Une éventuelle opposition d’un tiers des parlements nationaux n’aura donc pas pour effet de contraindre la Commission à réexaminer sa proposition. Je note cependant que la commission des Affaires européennes s’est rapprochée de son homologue du Bundestag allemand sur ce sujet.

La Commission adopte le projet d’avis sans modification et autorise le dépôt du rapport d’information, en vue de sa publication.

AVIS ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Vu le projet d’avis de la commission des Affaires européennes, en date du 17 novembre 2009,

– considère que la proposition n’appelle pas d’observation au regard du principe de subsidiarité ;

– demande à la Commission européenne d’apporter des réponses aux réserves qu’elle exprime au regard du principe de proportionnalité, en particulier sur la protection insuffisante des droits du conjoint et des enfants du défunt.

Il lui est ainsi demandé de définir des mécanismes propres à empêcher que l’application des dispositions de loi successorale désignée par la proposition permette de violer les principes fondamentaux d’attribution de la réserve héréditaire aux plus proches parents établis par la loi de la résidence habituelle ou, lorsque le défunt a fixé sa résidence habituelle dans un Etat depuis une courte durée, établis par la loi de sa nationalité.

Annexe :
Proposition de r
Èglement du Parlement europÉen et du Conseil relatif À la compÉtence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exÉcution des dÉcisions et des actes authentiques en matiÈre de successions et À la crÉation d’un certificat successoral europÉen (COM [2009] 154 final)

1 () Commission des affaires européennes, compte rendu n° 126, 17 novembre 2009.

2 () Compte rendu de la commission des Lois du Sénat, première séance du 2 décembre 2009.

3 () Proposition de résolution européenne (n° 126) sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen (E 4863), 2 décembre 2009.

4 () Institut Notarial Allemand, Étude de droit comparé sur les règles de conflits de juridictions et de conflits de lois relatives aux testaments et successions dans les États membres de l’Union européenne, Étude pour la Commission des Communautés européennes direction générale Justice et Affaires intérieures, Rapport Final : Synthèse et Conclusions 18 septembre et 8 novembre 2002. Ce document est consultable à l’adresse :
http://ec.europa.eu/justice_home/news/events/document/rapport_synthese_etude_fr.pdf

5 () La convention de La Haye du 1er août 1989, qui harmonise les règles de conflits de droit entre ses signataires, n’a été ratifiée que par les Pays-Bas

6 () Convention sur la loi applicable aux successions à cause de mort, conclue le 1er août 1989 à La Haye (Pays-Bas).


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