Accueil > Documents parlementaires > Les rapports d'information
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la mission.

 Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur général de la santé (Procès-verbal de la séance du 15 octobre 2008 ) 10

 Audition de M. Alain GRIMFELD, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) (Procès-verbal de la séance du 4 novembre 2008) 21

 Audition de M. Axel KAHN, président de l'université Paris V - René Descartes, directeur de recherche à l'INSERM (Procès-verbal de la séance du 5 novembre 2008) 37

 Audition de M. Pierre LE COZ, vice-président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (Procès-verbal de la séance du 18 novembre 2008) 49

 Audition de M. Henri ATLAN, directeur d’études à l’École des Hautes études en sciences sociales, ancien membre du Comité consultatif national d’éthique (Procès-verbal de la séance du 25 novembre 2008) 57

 Audition des représentants de la Grande Loge de France, de la Grande Loge Nationale Française, de la Grande Loge Féminine de France et du Grand Orient de France (Procès-verbal de la séance du 9 décembre 2008) 71

 Audition de M. Emmanuel PICAVET, maître de conférences en philosophie politique à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008) 89

 Audition de M. Philippe POULETTY, Président de France Biotech, association française des entreprises de biotechnologies (Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008) 97

 Audition de Mme Carine CAMBY, conseiller maître à la Cour des comptes, ancienne directrice générale de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008) 111

 Audition de M. Pierre-Louis FAGNIEZ, conseiller auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (Procès-verbal de la séance du 17 décembre 2008) 119

 Audition de Mme Nicole QUESTIAUX, membre du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (Procès-verbal de la séance du 17 décembre 2008) 125

 Audition de M. André SYROTA, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de M. Jean Claude AMEISEN, président du comité d’éthique de l’INSERM, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 13 janvier 2009) 133

 Audition de M. Christian SAOUT, président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) (Procès-verbal de la séance du 13 janvier 2009) 145

 Audition de M. Marc PESCHANSKI, directeur de recherche à l’INSERM (Procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009) 151

 Audition de M. Carlos de SOLA, chef du département de bioéthique du Conseil de l’Europe (Procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009) 161

 Audition de M. Claude HURIET, sénateur honoraire, membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO et du Conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 20 janvier 2009) 173

 Audition de Mme Corine PELLUCHON, docteur en philosophie (Procès-verbal de la séance du 20 janvier 2009) 185

 Table ronde avec M. Olivier ABEL, professeur de philosophie éthique à la faculté de théologie protestante de Paris, membre du CCNE, M. Didier SICARD, professeur de médecine, ancien président du CCNE, M. Haïm KORSIA, Grand rabbin, aumônier général israélite des armées et M. Xavier LACROIX, philosophe, théologien, professeur d’éthique à l’université catholique de Lyon, membres du CCNE (Procès-verbal de la séance du 21 janvier 2009) 199

 Audition de M. Jean-François MATTEI, président de la Croix-Rouge française, responsable de l’Espace éthique méditerranéen (Procès-verbal de la séance du 27 janvier 2009) 221

 Audition de M. Géraud LASFARGUES, président de l’Académie nationale de médecine et de M. Jacques-Louis BINET, secrétaire perpétuel (Procès-verbal de la séance du 27 janvier 2009) 233

 Audition de Mme Simone VEIL, présidente du Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution (Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009) 247

 Audition de M. Claude SUREAU, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009) 253

 Audition de Mme Emmanuelle PRADA-BORDENAVE, directrice générale et de M. SADEK BELOUCIF, président du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009) 269

 Audition de M. René FRYDMAN, professeur de médecine, chef du service de gynécologie-obstétrique à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart (Procès-verbal de la séance du 3 février 2009) 283

 Audition de Mme Hélène LETUR-KONIRSCH, gynécologue, médecin responsable de l’activité de don d’ovocytes à l’Institut Montsouris, présidente du Groupe d’étude des dons d’ovocytes (GEDO) et du Professeur Patrick FENICHEL, coprésident du GEDO (Procès-verbal de la séance du 4 février 2009) 295

 Audition de Mme Geneviève DELAISI de PARSEVAL, psychanalyste (Procès-verbal de la séance du 4 février 2009) 307

 Audition de Mme Jacqueline MANDELBAUM, chef du service d’histologie et de biologie de la reproduction et responsable du CECOS de l’hôpital Tenon, membre du CCNE (Procès-verbal de la séance du 11 février 2009) 317

 Audition de Mme Hélène GAUMONT-PRAT, professeur de droit des biotechnologies à l’Université Paris-VIII, directrice du laboratoire de droit médical et droit de la santé, ancien membre du Comité consultatif national d’éthique (Procès-verbal de la séance du 11 février 2009) 327

 Audition de M. Jean-Luc BRESSON, président de la Fédération française des centres d'études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), chef du service de biologie du développement et de la reproduction au CHU de Besançon, de M. Jean-Marie KUNSTMANN, vice-président de la fédération des CECOS, praticien hospitalier en médecine de la reproduction à l’hôpital Cochin et de Mme Dominique REGNAULT, présidente de la commission des psychologues de la fédération des CECOS (Procès-verbal de la séance du 18 février 2009) 335

 Audition de M. Christian FLAVIGNY, psychanalyste et pédopsychiatre (Procès-verbal de la séance du 18 février 2009) 345

 Audition de Mme Julie STEFFANN, praticien hospitalier dans le service de génétique médicale de l’hôpital Necker (Procès-verbal de la séance du mercredi 4 mars 2009) 351

 Audition de M. Jean HAUSER, professeur de droit privé et directeur de l’institut européen de droit civil et pénal à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV (Procès-verbal de la séance du 4 mars 2009) 361

 Audition de M. François OLIVENNES, gynécologue-obstétricien au centre d’assistance médicale à la procréation Eylau-La Muette (Procès-verbal de la séance du mercredi 4 mars 2009) 377

 Audition de Mme Monique CANTO-SPERBER, philosophe, directrice de l’École normale supérieure, ancienne vice-présidente du CCNE (Procès-verbal de la séance du 4 mars 2009) 389

 Table ronde avec Mme Pauline TIBERGHIEN, présidente, et M. Arthur KERMALVEZEN, porte-parole de l’association Procréation médicalement anonyme (PMA), Mmes Laure CAMBORIEUX, présidente, et Sandra SAINT-LAURENT, membre de l’association Maia, Mmes Marie-Pierre MICOUD, coprésidente, et Marie-Claude PICARDAT, porte-parole de l’association des parents gays et lesbiens (APGL), et Mmes Dominique LENFANT, présidente, et Hortense de BEAUCHAINE, membre de l’association Pauline et Adrien (Procès-verbal de la séance du mardi 10 mars 2009) 397

 Audition de Mme Françoise HÉRITIER, professeur honoraire au Collège de France (Procès-verbal de la séance du 10 mars 2009) 421

 Audition de M. Pierre LÉVY-SOUSSAN, pédopsychiatre (Procès-verbal de la séance du 11 mars 2009) 435

 Audition de M. Stéphane VIVILLE, chef du laboratoire de biologie de la reproduction au centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg (Procès-verbal de la séance du mercredi 11 mars 2009) 443

 Audition de M. François FONDARD, président, et de Mmes Chantal LEBATARD et Christiane BASSET, administratrices de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) (Procès-verbal de la séance du mercredi 11 mars 2009) 454

 Audition de Mme Dominique MEHL, sociologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (Procès-verbal de la séance du 11 mars 2009) 467

 Audition de M. Jacques TESTART, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) (Procès-verbal de la séance du mercredi 18 mars 2009) 477

 Audition de Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, professeur émérite de droit à l’université Lille 2 (Procès-verbal de la séance du 18 mars 2009) 489

 Audition de Mme Nadine MORANO, Secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité (Procès-verbal de la séance du mercredi 18 mars 2009) 501

 Audition de Mme Sylviane AGACINSKI, philosophe, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales (Procès-verbal de la séance du 18 mars 2009) 511

 Audition de Mme Sophie MARINOPOULOS, psychanalyste et psychologue clinicienne (Procès-verbal de la séance du 24 mars 2009) 521

 Audition de M. Pierre JOUANNET, professeur des universités, praticien hospitalier consultant en biologie de la reproduction à l’hôpital Cochin (Procès-verbal de la séance du 24 mars 2009 ) 537

 Audition de M. François STEFANI, vice-président, et de M. Piernick CRESSARD, membre de la section « éthique et déontologie » du Conseil national de l’Ordre des médecins (Procès-verbal de la séance du 25 mars 2009) 547

 Audition de M. Jacques MONTAGUT, médecin biologiste de la reproduction et directeur de l’Institut francophone de recherche et d’études appliquées à la reproduction et à la sexologie (IFREARES) à Toulouse (Procès-verbal de la séance du 25 mars 2009) 557

 Audition de Mme Joëlle BELAISCH-ALLART, chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Sèvres, vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) (Procès-verbal de la séance du mardi 31 mars 2009) 575

 Audition de M. Israël NISAND, gynécologue-obstétricien, chef de service à l’hôpital de Hautepierre, à Strasbourg (Procès-verbal de la séance du 31 mars 2009) 589

 Audition de M. Marc BENBUNAN, chef du service Biothérapies cellulaires et tissulaires à l’hôpital Saint-Louis et du docteur Jérôme LARGHERO (Procès-verbal de la séance du 1er avril 2009) 601

 Audition de M. Bertrand MATHIEU, professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, directeur du Centre de recherches de droit constitutionnel (Procès-verbal de la séance du mercredi 1er avril 2009) 611

 Audition de M. David GOMEZ, senior legal adviser de l'Autorité britannique pour la fécondation et l'embryologie humaines (HFEA) (Procès-verbal de la séance du 1er avril 2009) 621

 Audition de M. Xavier MIRABEL, président de l’Alliance pour les droits de la vie (Procès-verbal de la séance du 7 avril 2009 ) 631

 Audition de Mme Laure COULOMBEL, directrice de recherche à l’INSERM (Procès-verbal de la séance du 7 avril 2009 ) 643

 Audition de Mme Marie-Josée KELLER, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes, de Mme Anne-Marie CURAT, trésorière et de Mme Marianne BENOÎT, conseillère nationale (Procès-verbal de la séance du 8 avril 2009) 653

 Audition de M. Philippe MENASCHÉ, professeur de médecine, chirurgien cardiaque à l’hôpital Georges Pompidou et directeur de recherches à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire (Procès-verbal de la séance du jeudi 9 avril 2009) 667

 Audition de M. Jacques HARDY, président, et de Mme Isabelle DESBOIS, responsable des tissus et cellules de l’Établissement français du sang (Procès-verbal de la séance du 9 avril 2009 ) 675

 Audition de Mme Catherine LABRUSSE-RIOU, professeur émérite à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne (Procès-verbal de la séance du 28 avril 2009) 683

 Audition de M. Alain PRIVAT, directeur de recherches à l’Institut des neurosciences de Montpellier (Procès-verbal de la séance du 28 avril 2009) 693

 Audition de Mme Gisèle HALIMI, présidente de l’association « Choisir la cause des femmes », avocate, et de Mme Barbara VILAIN, membre du bureau de l’association (Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009) 699

 Audition de Mme Éliane GLUCKMAN, professeur d’hématologie, présidente de l’association Eurocord (Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009) 707

 Audition de M. Xavier LABBÉE, professeur de droit à l’université de Lille II, avocat (Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009) 717

 Audition de M. Pierre SAVATIER, directeur de recherche à l’INSERM, responsable d’une équipe de recherche à l’Institut Cellule souche et cerveau de Lyon (Procès-verbal de la séance du 6 mai 2009) 725

 Audition de M. Philippe LAMOUREUX, directeur général des Entreprises du médicament (LEEM), accompagné de Mme Catherine LASSALE, directrice des affaires scientifiques, pharmaceutiques et médicales, Mme Blandine FAURAN, directrice juridique et fiscale, M. Pierre-Yves ARNOUX, chargé de mission recherche et biotechnologies, et Mme Aline BESSIS, directeur en charge des affaires publiques (Procès-verbal de la séance du 6 mai 2009) 735

 Audition de M. Jean MARIMBERT, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) (Procès-verbal de la séance du mercredi 6 mai 2009) 745

 Audition de M. Philippe BAS, conseiller d’État, président du groupe de travail du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique, ancien ministre et de M. Luc DEREPAS, rapporteur général (Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009) 753

 Audition de M. Jean-René BINET, maître de conférences à la faculté de droit de Besançon (Procès-verbal de la séance du mercredi 13 mai 2009) 769

 Audition de M. Jean-François GUÉRIN, chef du service de biologie de la reproduction de l’hôpital de Bron, président du comité d’éthique des Hospices civils de Lyon et membre du conseil d’administration et du groupe d’experts sur la recherche sur l’embryon de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009) 779

 Audition de M. Georges UZAN, directeur de recherches au CNRS, unité de recherche de l’INSERM U 602, hôpital Paul Brousse de Villejuif (Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009) 790

 Audition de M. Jean-Marie Le MÉNÉ, président de la Fondation Jérôme LEJEUNE (Procès-verbal de la séance du 3 juin 2009) 797

 Audition de Mme Michèle ANDRÉ, sénatrice, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat (Procès-verbal de la séance du 3 juin 2009) 809

 Audition de Mme Marie-Claire PAULET, présidente de la Fédération des associations pour le don d’organes et de tissus humains (France ADOT), de M. Régis VOLLE, président de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (FNAIR), de Mme Yvanie CAILLÉ, cofondatrice du groupe de réflexion « Demain, la greffe » et membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, et M. Christian BAUDELOT, cofondateur et professeur émérite de sociologie, de M. Jean ACCIARO, président de la Fédération nationale des déficients et transplantés hépatiques (Transhépate), et de M. Jean-Pierre SCOTTI, président de la fondation Greffe de vie (Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009) 819

 Audition de M. Pierre BOYER, biologiste au service de médecine et de biologie de la reproduction de l’hôpital Saint-Joseph de Marseille (Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009) 831

 Audition de M. Jean-Michel DUBERNARD, professeur au service de chirurgie de la transplantation de l’hôpital Édouard Herriot à Lyon (Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009) 839

 Audition de M. Yves CHAPUIS, membre de l’Académie nationale de médecine (Procès-verbal de la séance du 17 juin 2009) 851

 Audition de Mme Nicole LE DOUARIN, secrétaire perpétuelle honoraire de l’Académie des sciences, professeur honoraire au Collège de France (Procès-verbal de la séance du 17 juin 2009) 857

 Audition de M. Bruno RIOU, chef de service des urgences médicales, chirurgicales et psychiatriques à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, médecin coordonnateur des prélèvements d’organes et de tissus du groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière, vice-président de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI (Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009) 867

 Audition de Mme Frédérique BOZZI, conseiller à la Cour d’appel de Paris, et de M. Pierre LECAT, vice-procureur chargé du service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes (Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009) 879

 Audition de Mme Valérie PÉCRESSE, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009) 894

 Audition de M. Jean-Michel BOLES, chef du service de réanimation médicale du CHU de Brest, co-directeur de l’espace éthique de Bretagne occidentale (Procès-verbal de la séance du mardi 30 juin 2009) 903

 Audition de M. Louis PUYBASSET, praticien au service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, président du comité d’éthique de cet hôpital et président du groupe de réflexion éthique de la Société française d’anesthésie-réanimation, de M. Laurent JACOB, chef de service adjoint, et de Mme France ROUSSIN, coordinatrice de dons d’organes du service d’anesthésie-réanimation chirurgicale de l’hôpital Saint-Louis (Procès-verbal de la séance du 30 juin 2009) 913

 Audition de Mme Ségolène AYMÉ, médecin généticien et épidémiologiste, directrice de recherche à l’INSERM (Procès-verbal de la séance du 7 juillet 2009) 929

 Audition de Mme Anne CAMBON-THOMSEN, médecin, spécialisée en immunogénétique humaine, directrice de recherches au CNRS (Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009) 937

 Audition de M. MENNESSON et Mme MENNESSON, co-présidents fondateurs de l’association Clara (Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009 ) 947

 Audition de Mme Perrine MALZAC, praticien hospitalier dans le département de génétique médicale de l’hôpital de la Timone à Marseille et coordinatrice de l’Espace éthique méditerranéen (Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009) 957

 Audition de Mme Dominique STOPPA-LYONNET, chef du service de génétique oncologique de l’Institut Curie, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009) 963

 Audition de M. Philippe GOSSELIN, député, président du collectif « Don de vie, don de soi » (Procès-verbal de la séance du 21 juillet 2009) 973

 Audition de Mme Françoise ANTONINI, déléguée générale de l’Alliance maladies rares, de Mme Viviane VIOLLET, responsable de la commission éthique de l’Alliance, de Mme Catherine AVANZINI, membre de la commission, et de Mme Marie-Christine OUILLADE, administratrice de l’Association française contre les myopathies (AFM) (Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009) 979

 Audition de Mme Sylvie MANOUVRIER-HANU présidente du collège national des enseignants et praticiens de génétique médicale (Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009) 991

 Audition de M. Bernard LOTY, adjoint à la directrice générale, chargé de la politique médicale et scientifique, de Mme Corinne ANTOINE, médecin, responsable du programme de prélèvements sur donneur à cœur arrêté, de M. François THÉPOT, responsable du pôle stratégie, procréation et génétique, et de M. Jean-Paul VERNANT, président du comité médical et scientifique, de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009) 1003

 Audition de M. Christian BYK, magistrat à la cour d’appel de Paris, secrétaire général de l’Association internationale Droit, éthique et science (Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009 ) 1015

 Audition de M. Josué FEINGOLD, généticien épidémiologiste, pédiatre, consultant à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, directeur de recherche émérite à l’Inserm ; de Mme Nicole PHILIP, médecin coordonnateur au département de génétique médicale de l’hôpital de la Timone-Enfants à Marseille et responsable du master « conseil génétique et médecine prédictive » à la faculté de médecine de Marseille ; et de Mme Marcela GARGIULO, psychologue clinicienne au département de génétique de l’hôpital La Pitié Salpêtrière (Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009) 1023

 Audition de M. Philippe BEAUNE, chef du service de biochimie de l’hôpital européen Georges Pompidou, professeur à la faculté de médecine de Paris-Descartes (Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009) 1031

 Table ronde avec M. Jean-Jacques HAUW, membre de l’Académie nationale de médecine, M. Raymond ARDAILLOU, secrétaire-adjoint de l’Académie nationale de médecine, Mme Emmanuelle RIAL-SEBBAG, juriste, INSERM Unité 558 Toulouse, et Mme Anne-Laure MORIN, avocate, docteur en droit (Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009) 1039

 Audition de Mme Laurence LWOFF, chef de la division bioéthique du Conseil de l’Europe (Procès-verbal de la séance du 15 septembre 2009 ) 1053

 Audition de M. Hervé CHNEIWEISS, directeur de l’unité de plasticité gliale à l’INSERM (Procès-verbal de la séance du 15 septembre 2009 ) 1065

 Audition de M. Jean-Christophe GALLOUX, professeur du droit de la propriété intellectuelle à Paris II (Procès-verbal de la séance du 16 septembre 2009) 1073

 Audition de M. Jean-Michel BESNIER, professeur de philosophie à l’université Paris IV (Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009) 1085

 Audition de M. François BERGER, professeur à l’université Joseph Fourier de Grenoble, responsable de l’équipe « Nanomédecine et cerveau » (Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009) 1091

 Audition de Mme Sarah SAUNERON, chargée de mission au Centre d’analyse stratégique et de M. Olivier OULLIER, conseiller scientifique et maître de conférences en neurosciences, responsables du programme « Neurosciences et politiques publiques » du Centre d’analyse stratégique (Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009) 1101

 Audition de Mmes Cyra NARGOLWALLA, trésorière et Frédérique FAIVRE-PETIT, membre de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et M. Jacques PEUSCET, membre de l’Association des conseils en propriété industrielle (Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009) 1115

 Audition de M. Alain POMPIDOU, professeur de médecine, ancien président de l’Office européen des brevets, président de l’Académie des technologies (Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009 ) 1121

 Audition de Mme Christine VANHEE-BROSSOLLET, responsable de la propriété intellectuelle à l’Institut Curie, M. Frédéric FOUBERT, directeur du service Transfert de technologies de la direction de la politique industrielle au CNRS, Mme Isabelle BENOIST, responsable du pôle Nouvelles technologies et responsabilités de la direction des affaires juridiques du CNRS et M. Bernard BIOULAC, directeur scientifique adjoint de l'Institut des sciences biologiques (Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009) 1125

 Audition de M. Jean-Paul DELEVOYE, Médiateur de la République (Procès-verbal de la séance du 7 octobre 2009) 1133

 Audition M. Jean-Didier VINCENT, professeur à l’université de Paris Sud Orsay, directeur de l’Institut de neurologie Alfred Fessard, membre de l’Académie des sciences (Procès-verbal de la séance du 7 octobre 2009) 1145

 Audition de Mme Michèle ALLIOT-MARIE, Ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (Procès-verbal de la séance du 3 novembre 2009) 1151

 Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN, Ministre de la santé et des sports (Procès-verbal de la séance du 15 décembre 2009) 1159

Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur général de la santé


(Procès-verbal de la séance du 15 octobre 2008 )

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je suis heureux d’accueillir M. le professeur Didier Houssin, directeur général de la santé, qui est la première personnalité que nous avons l’honneur d’auditionner dans le cadre de notre mission d’information sur la révision des lois bioéthiques. Avant de lui laisser la parole, je souhaiterais dire quelques mots sur l’organisation des travaux de la mission.

Tous nos collègues qui ont souhaité en être membres doivent le savoir : notre travail sera long et soutenu car les sujets importants que nous serons amenés à aborder exigent que tout le temps nécessaire soit pris pour les traiter. Il nous incombe en effet de préparer la révision des lois bioéthiques, qui doit intervenir au premier semestre 2010, le dépôt d’un projet de loi étant prévu avant la fin de 2009. L’examen par la représentation nationale de ces questions fondamentales, qui ne concernent pas seulement les experts et au cœur desquelles se situe la protection de la personne et du corps humains, exige un travail approfondi, s’inscrivant dans la durée, mais aussi un débat très large, dépassant les clivages traditionnels et dans la plus grande ouverture d’esprit. Dès lors que le projet de loi aura été déposé, je souhaite par ailleurs qu’une commission spéciale soit chargée de son examen de façon que celui-ci s’inscrive dans la continuité des travaux de notre mission.

Divers travaux nourriront notre réflexion. Tout d’abord, ceux que doivent publier prochainement le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), l’Agence de la biomédecine et le Conseil d’État. Mme Simone Veil préside par ailleurs un groupe de travail sur la révision du Préambule de la Constitution. Enfin, en application de l’article 40 de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, nous présenterons très prochainement, avec mon collègue Jean-Sébastien Vialatte, un rapport sur l’évaluation de l’application de ce texte à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Parallèlement vont être organisés, à la demande du Gouvernement, des États généraux de la bioéthique au cours du premier semestre 2009. Dans l’attente des derniers arbitrages, nous n’en connaissons pas encore les modalités exactes mais nous avons souhaité, avec le rapporteur de la mission d’information, M. Jean Leonetti, rencontrer rapidement la ministre chargée de la santé et que la représentation nationale soit associée au pilotage de ces États généraux.

S’agissant du calendrier prévisionnel des auditions de la mission d’information, il comporte un cycle introductif, que nous ouvrons aujourd’hui et qui se prolongera jusqu’à la fin de l’année : il nous permettra d’aborder les questions transversales et institutionnelles. Nous devrions, à cette occasion, mettre en lumière les difficultés rencontrées dans l’application de la loi du 6 août 2004 ainsi que les nouveaux enjeux, scientifiques, technologiques ou sociaux, apparus depuis son adoption et qui renouvellent, parfois profondément, les termes du débat. Puis, suivront plusieurs cycles d’auditions thématiques concernant l’assistance médicale à la procréation et le diagnostic prénatal ; les droits de la personne et les caractéristiques génétiques ; la protection juridique des inventions biotechnologiques ; le don et l’utilisation des éléments et produits du corps humain, concernant notamment les greffes ; les recherches sur l’embryon et les cellules souches ainsi que la question de la transposition nucléaire ; enfin, des problématiques émergentes comme les neurosciences, qui n’ont jusqu’à présent pas été traitées par les lois bioéthiques. Aucun de ces thèmes ne pouvant être traité indépendamment des autres, notre réflexion devra être globale, de manière à assurer la cohérence des futures lois de bioéthique. Nous recevrons notamment des chercheurs, des médecins, des philosophes, des représentants des différents courants religieux et de pensée. Ces auditions seront aussi souvent que possible publiques et retransmises sur La chaîne parlementaire de l’Assemblée nationale (LCP-AN) car il me semble fondamental d’informer l’opinion publique sur les grands enjeux de cette révision et d’être en phase avec les futurs états généraux. Cela n’empêchera pas que nous puissions, si nous en ressentons le besoin, nous réunir sans que nos travaux soient retransmis, notamment pour faire de temps à autre des points d’étape. Bien entendu, nous restons, avec le rapporteur, à l’écoute de toutes vos suggestions, concernant en particulier les personnes susceptibles d’être entendues par la mission.

Je suis très heureux que le Parlement puisse se saisir de ce magnifique thème de la bioéthique. La représentation nationale a en effet tout son rôle à jouer dans l’élaboration et la révision des lois de bioéthique. Je donne maintenant la parole au professeur Houssin, en rappelant que vous êtes professeur de chirurgie digestive, chef du service de chirurgie à l’hôpital Cochin et que vous avez été le directeur général de l’Établissement français des greffes.

M. Didier Houssin. Je vous remercie de m’avoir convié à cette première audition de votre mission d’information.

Je commencerai par rappeler les principaux acquis de la loi du 6 août 2004. Celle-ci réaffirme les trois principes de consentement, d’anonymat et de gratuité, au fondement de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires concernant la bioéthique dans notre pays alors que, dans des pays voisins et a fortiori dans d’autres plus lointains, ces principes ne vont pas nécessairement de soi. La loi du 6 août 2004 a confirmé l’importance du rôle du CCNE, qui est une autorité indépendante, et prévu la création d’espaces de réflexion éthique au niveau régional. Elle a également créé l’Agence de la biomédecine, qui a repris les missions de l’Établissement français des greffes, que j’ai eu l’honneur de diriger, dans le domaine du prélèvement et de la greffe d’organes, de tissus et de cellules, et en a reçu de nouvelles en matière d’assistance médicale à la procréation, d’embryologie et de génétique, ce qui lui permet de développer une approche originale.

La loi de 2004 a par ailleurs encadré l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales, ce qu’avaient rendu nécessaire les progrès considérables accomplis dans le domaine de la génétique et la place croissante de la médecine préventive et « prédictive ». Elle a profondément réformé les dispositions des lois de 1994 dans le domaine de l’embryologie et de la reproduction, en interdisant le clonage reproductif et en n’autorisant que de manière dérogatoire, par l’adoption d’un « moratoire positif » de cinq ans, les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires. Enfin, le régime du consentement des personnes en matière de don d’organes a été précisé et le cercle des donneurs vivants a été élargi.

Au total, la loi du 6 août 2004 a introduit des nouveautés, sans remettre en question les principes fondateurs de la loi de 1994.

Je ferai maintenant le point sur son application, sans aborder ses conséquences pratiques, sur lesquelles l’Agence de la biomédecine vous donnera toutes informations utiles, concernant par exemple les questions suivantes : le principe du consentement présumé pour le don d’organes a-t-il permis d’accroître le nombre de prélèvements sur donneurs décédés ? De même, quelles ont été les conséquences de l’élargissement du champ potentiel des donneurs vivants ? L’Agence pourra également vous faire le point sur les recherches sur l’embryon qui ont été soumises à son autorisation. Je me limiterai, pour ma part, aux aspects réglementaires.

Sur les 40 articles de la loi, 24 n’exigeaient aucun texte d’application et 25 des 27 décrets prévus ont été publiés : 2 seulement restent donc à prendre. Celui prévu par l’article 7 de la loi sur les modalités de prise en charge des frais de prélèvement est en cours d’examen par le Conseil d’État et devrait donc être prochainement publié. En revanche, celui prévu par l’article 5 relatif à l’information de la parentèle en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave se heurte à de multiples difficultés juridiques et pratiques et sa publication a été pour l’instant suspendue. Je vous rappelle que cet article avait été adopté à la suite d’une affaire dramatique où un déficit d’origine génétique en ornithine transcarbamylase avait conduit à la mort de deux adolescents alors que, si leur mère avait été informée de l’anomalie génétique qu’elle avait pu transmettre à ses enfants, une modification du régime alimentaire aurait pu éviter ces décès. Il s’agit là d’une question importante, qui devra donc être examinée.

Je terminerai par les principaux enjeux de la prochaine révision de la loi de 2004.

Concernant tout d’abord les aspects institutionnels, quel bilan peut-on dresser de l’activité du CCNE et des modifications doivent-elles lui être apportées, compte tenu notamment de la dimension européenne de ces problématiques ? Pour ce qui est de l’Agence de la biomédecine, dont la révision générale des politiques publiques (RGPP) a conduit à réexaminer la situation, comme celle de toutes les agences sanitaires, et à voir quelles améliorations pourraient être apportées, certaines des missions qu’elle exerce en matière de sécurité sanitaire pourraient-elles être reprises par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ? De même, le rôle qu’elle joue comme organisme para-hospitalier de régulation de la circulation des organes entre le moment de leur prélèvement et celui de leur greffe n’est pas très différent de celui de l’Établissement français du sang pour les transfusions. Mais l’Agence de la biomédecine est bien davantage que cela : elle est le point focal de la mise en pratique des réflexions sur les questions bioéthiques. Elle est confrontée à des problèmes très concrets, alors que le CCNE est un organisme plus généraliste. Elle a donc toute sa place et la tient fort bien. Il faudrait donc de très solides arguments pour remettre en cause son existence.

Au niveau international, la convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite Convention d’Oviedo, n’a pas encore été ratifiée. Cette convention ainsi que ses protocoles additionnels, concernant notamment la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine, posent certains principes généraux dans le domaine de la bioéthique. Je ne pense pas qu’il existe d’obstacles à sa ratification et espère donc que celle-ci pourra intervenir très bientôt. Au-delà de cette question, il apparaît nécessaire d’inscrire les réflexions sur les questions de bioéthique dans une perspective internationale, en s’interrogeant notamment sur la portée que peut avoir d’interdiction d’une pratique en France, dans le domaine de la procréation ou des greffes, lorsqu’elle est autorisée dans un pays voisin. Cela ne signifie pas que l’on doive s’aligner systématiquement sur ce qui se fait dans d’autres pays : il faut simplement tenir compte du contexte international pour éviter des situations absurdes.

Les questions relatives à l’embryologie et à la reproduction seront l’un des principaux enjeux de la prochaine révision des lois de bioéthique. C’est assurément sur ce point que les débats seront les plus vifs, notamment autour de la question des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Celles-ci sont aujourd’hui interdites, une dérogation ayant toutefois été accordée pour cinq ans. Cette interdiction n’a pas réellement bloqué les recherches dans notre pays mais elle laisse planer une incertitude pour l’avenir alors que les chercheurs apprécient d’avoir une visibilité à assez long terme. Certains souhaiteront plus de souplesse tandis que d’autres resteront partisans de la plus grande fermeté, n’imaginant pas un cadre autre que dérogatoire. C’est l’Agence de la biomédecine qui encadre ces activités : vous pourrez demander à ses responsables quelles recherches ont été autorisées, à quelles fins, et quelles sont celles qui ne l’ont pas été et pourquoi.

La question du clonage à finalité thérapeutique fera certainement lui aussi l’objet d’un vif débat. Cela étant, la science progresse très vite en ce domaine et il n’est pas exclu qu’assez vite ce clonage ait quelque peu perdu de son intérêt scientifique, vu les progrès accomplis en matière d’induction de cellules souches pluripotentes à visée thérapeutique.

Il faudra bien sûr traiter de l’assistance médicale à la procréation, notamment de son accès aux personnes seules et aux couples homosexuels, du transfert d’embryons post mortem, de la gestation pour autrui, toutes pratiques aujourd’hui interdites en France mais qui, autorisées à l’étranger, soulèvent des problèmes juridiques dans notre pays. Une jurisprudence récente a ainsi reconnu la filiation d’un enfant né d’une mère porteuse aux États-Unis, en dépit de la nullité en droit français de la convention passée avec cette mère porteuse. Un autre sujet, qui mobilise fortement le monde associatif, devra être abordé : la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, afin de permettre aux enfants conçus par insémination artificielle d’accéder à leurs origines.

Se posera de même la question du statut du fœtus in vivo. Certains demandent ainsi de manière récurrente que soit reconnu le fœticide, notamment en cas d’accident sur la voie publique, ce qui aurait des implications dans notre droit civil et pénal.

En matière d’examen des caractéristiques génétiques des personnes, j’ai évoqué les difficultés d’élaboration du décret relatif à la procédure d’information à caractère familial en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave. À quoi tiennent-elles ? Tout d’abord, à l’interprétation de la notion d’ « anomalie génétique grave » pour laquelle « des mesures de prévention ou de soins peuvent être proposées » : il est de fait impossible d’établir la liste des anomalies entrant dans le champ d’application de cette procédure. En deuxième lieu, la procédure actuelle ne tient pas compte du cas où la personne souhaite être tenue dans l’ignorance de son diagnostic : il faut, dans certaines circonstances, savoir respecter ce souhait, même si cela peut avoir des conséquences préjudiciables pour autrui. En outre, cette procédure est longue et complexe. Elle exige l’intervention de plusieurs médecins et des questions demeurent en suspens : quelles informations transmettre à l’Agence de la biomédecine ? Quel médecin doit-elle saisir afin de prendre contact avec les membres de la famille ? Que faire si aucun d’entre eux ne se manifeste ? Par ailleurs, la communication à la parentèle d’une information médicale à caractère familial, loin d’être toujours bénéfique, peut être traumatisante. Elle remet en question le respect du secret médical et suppose la collecte ainsi que le traitement de données à caractère personnel, auxquels toute personne a le droit de s’opposer aux termes de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

En matière de greffes, se reposera inévitablement la question du régime du consentement. Celui du consentement présumé, aujourd’hui en vigueur dans notre pays, est parfois difficile à comprendre pour l’opinion. Pourtant, outre qu’il facilite l’accès à des greffons, il permet également de respecter le droit des personnes à ne pas vouloir penser de façon trop explicite à leur mort et donne toute sa place de témoin à la famille, contactée en cas de décès brutal. De même, ressurgiront nécessairement les questions de la gratuité et de l’anonymat du don. Alors que le principe de la gratuité paraît un pilier intangible de notre dispositif, il n’en va pas de même dans d’autres pays, même si la commercialisation d’organes humains est aujourd’hui très largement condamnée, d’importants progrès ayant été accomplis sur ce point, notamment en Chine, où la question était cruciale. Se pose par exemple la question de la compensation des frais ou de la perte de rémunération supportés lors d’un prélèvement. De même, le principe de l’anonymat n’est pas reconnu comme une valeur fondamentale dans certains pays.

S’agissant des médicaments dérivés du sang, la France a mis en place, pour des raisons éthiques, un dispositif particulier d’autorisation de mise sur le marché (AMM), critiqué au niveau européen par certains laboratoires pharmaceutiques. La Commission européenne elle-même a demandé à la France des informations complémentaires. Or nous n’avons que des arguments éthiques à opposer à cela.

Enfin, il faudra réfléchir à la pertinence d’inclure de nouveaux domaines dans le champ des lois de bioéthique. Je pense par exemple aux neurosciences et à tout ce qui touche le fonctionnement du cerveau humain, à la robotisation des fonctions humaines, domaine dans lequel le Japon est très en avance et qui, un jour, pourrait soulever des questions éthiques, ainsi qu’à certains usages culturels du corps – on se souvient des expositions récentes de cadavres plastinés.

M. le président. Je vous remercie de cet exposé. Notre débat pourrait s’organiser autour de deux thèmes : l’application de la législation actuelle et les éclaircissements qu’elle peut appeler, d’une part, et les problématiques émergentes, d’autre part.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Concernant tout d’abord la situation actuelle, vous avez rappelé les différences existant notamment au niveau européen entre les législations nationales, en soulignant très justement – et c’est là un point important – que ce n’est pas parce qu’une pratique est autorisée dans un autre pays qu’il faudrait nécessairement légiférer pour s’aligner sur ces pratiques mais qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte.

Quelles sont les avancées scientifiques, sociales et technologiques intervenues depuis l’adoption de la loi du 6 août 2004 qui posent aujourd’hui des problèmes éthiques et qui pourraient nécessiter d’adapter notre législation ? Quelles sont, d’autre part, les évolutions législatives intervenues depuis 2004 dans d’autres pays européens ?

Ma troisième question concerne les espaces régionaux de réflexion éthique, qui constituent des lieux de formation, de documentation, de rencontres et d’échanges interdisciplinaires sur les questions d’éthique dans le domaine de la santé. Au-delà des travaux des instances nationales, telles que le CCNE, comment imaginer en effet que les questionnements philosophiques et éthiques ne soient pas une interrogation permanente dans la pratique des médecins, qui sont confrontés à des problèmes de plus en plus complexes du fait des progrès de la science ? Je crois savoir que le CCNE a rendu son avis sur le projet d’arrêté mais que celui-ci n’est toujours pas publié. Pour instiller et faire vivre une culture éthique, il faut avancer sur ce sujet car nous savons tous à quelles dérives les évolutions de la science peuvent conduire.

Comme le président Alain Claeys, je pense que la bioéthique n’est pas et ne doit pas être affaire de purs spécialistes. Je me félicite donc moi aussi que le Parlement soit étroitement associé à la révision des lois de bioéthique. La ministre chargée de la santé nous a assurés que la représentation nationale serait partie prenante à l’organisation des états généraux qui, ouverts au public, ne pourront pas échapper à une certaine médiatisation. Il faudra éviter le double écueil d’une extrême technicité des débats comme d’un caractère trop général qui les ferait s’apparenter à des propos de café du commerce. Comment envisagez-vous l’organisation de ces états généraux, de façon que ce large débat soit à la fois populaire, au sens noble du terme, et à la hauteur des enjeux de culture et de civilisation qui se posent ?

M. le président. Est-il utile à votre avis que figure dans les lois de bioéthique le principe d’une révision tous les cinq ans, procédure qui prend toujours du retard et peut apparaître un peu lourde ? La création de l’Agence de la biomédecine ne conduit-t-elle pas à renouveler les termes de ce débat ? Quelles relations entretenez-vous avec le ministère de la recherche sur ces sujets, sachant que l’agence est placée sous la seule tutelle du ministère de la santé ?

M. Didier Houssin. S’agissant des évolutions techniques intervenues depuis 2004 et ayant des implications éthiques, je pense d’abord au développement des greffes de tissus composites, qui a permis de greffer notamment des membres entiers ou des faces, ce qui soulève des problèmes éthiques tant vis-à-vis du cadavre du donneur que du receveur. Je pense également, dans le domaine de la biologie, à la capacité d’induire l’évolution de certaines cellules souches somatiques en cellules pluripotentes : des spécialistes vous diront quelles perspectives cela ouvre. Je pense enfin, dans le domaine de la génétique, à la capacité d’identifier les causes de certaines maladies et notamment les facteurs de risque prédictifs plurigéniques. L’avis des généticiens vous sera très utile sur ce point.

Pour ce qui est des législations en vigueur dans les autres pays, le mieux serait de vous adresser une cartographie en reprenant les principaux éléments, de façon à bien faire apparaître les différences sur les sujets les plus sensibles.

En ce qui concerne les espaces régionaux de réflexion éthique, l’arrêté et la circulaire, qui relèvent de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS), sont prêts. Ne manque plus que la signature du ministère de la recherche.

S’agissant des états généraux de la bioéthique, toute la difficulté réside en effet dans l’organisation d’un débat public sur des sujets qui, à la fois, concernent chacun d’entre nous dans son intimité – donner la vie, être soigné, mourir – et sont d’une extrême technicité. L’orientation qui semble se dessiner, encore qu’il faille attendre les arbitrages politiques sur ce point, est celle d’un « publiforum », c’est-à-dire d’un débat avec des membres du grand public, volontaires pour y participer, après avoir suivi une courte formation leur permettant de s’approprier ces questions techniques.

Faut-il prévoir dans les lois de bioéthique le principe même de leur révision tous les cinq ans ? La question peut en effet se poser. Aurions-nous pu fixer une fois pour toutes des principes intangibles, comme ceux de consentement, de gratuité et d’anonymat, indépendamment des évolutions techniques ? Sans doute mais l’option plutôt retenue jusqu’à présent dans notre pays a toujours été que la loi suive l’évolution des techniques, lesquelles évoluent très rapidement. Cette approche présente des avantages et des inconvénients.

Enfin, nous entretenons d’étroites relations avec le ministère chargé de la recherche, notamment avec la direction générale de la recherche et de l’innovation. Que l’Agence de la biomédecine soit placée sous la seule tutelle du ministère de la santé ne pose pas de problème et une cotutelle du ministère de la recherche ne se justifie peut-être même pas dans la mesure où, contrairement à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), la recherche ne représente qu’une part restreinte de l’activité de l’Agence de la biomédecine.

M. le président. Il nous serait en effet très utile de disposer d’un tableau comparatif des dispositions législatives en vigueur dans les différents pays européens et aux États-Unis.

M. Jean-Marc Nesme. Il serait aussi utile de recenser les conventions et traités internationaux ainsi que les résolutions, notamment de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), ayant pu être signés par notre pays et touchant à la bioéthique, la dignité et les droits de la personne humaine, afin de faire le point sur le sujet et d’éviter de formuler des propositions qui seraient contraires à des engagements internationaux pris par notre pays.

M. le président. Cela serait en effet complémentaire.

M. Didier Houssin. L’Agence de la biomédecine est certainement en mesure d’établir très rapidement ce tableau comparatif et de procéder au recensement que vous appelez de vos vœux.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les dispositions législatives en vigueur chez nos voisins européens évoluent très vite et sont en permanence adaptées, sans que ces pays aient d’ailleurs eu besoin de prévoir dans leur législation le principe de sa révision périodique. Une révision est actuellement engagée en Grande-Bretagne après l’organisation d’un vaste débat public sur le clonage hybride. Nous pourrions nous inspirer de ce qui a été fait dans ce pays pour les futurs états généraux. Il faut bien voir que, souvent, ce qui était permis dans d’autres pays ne l’était en fait que grâce à un vide juridique, en l’absence d’une interdiction ou d’un encadrement légal : ainsi en allait-il des tests génétiques qu’il était permis de pratiquer librement en Espagne, simplement parce que la loi espagnole était muette sur ce point, et qui y sont maintenant strictement encadrés. L’État de Californie vient de même de légiférer pour encadrer cette pratique. Il faut donc faire preuve de prudence dans la comparaison des législations.

M. Didier Houssin. Vous avez parfaitement raison. Ainsi avions-nous constaté que c’était l’absence de législation sur le sujet qui permettait le commerce d’organes dans l’Union indienne. La transposition de la loi fédérale dans chacun des États indiens a pris un certain temps. En effet, dès lors qu’une technique est accessible, si rien ne l’interdit expressément, elle est à coup sûr mise en œuvre. En outre, grâce à des professionnels formés à l’étranger, un certain nombre de pays maîtrisent des techniques médicales avant que ne s’y soient développés une réflexion éthique ainsi qu’un cadre juridique adaptés.

M. Patrick Bloche. Je remercie le professeur Houssin de son exposé, qui ouvre sur de multiples sujets. Je le remercie aussi d’avoir insisté sur la dimension européenne, sinon internationale, du problème. Comment ne pas penser à ces enfants, dits « bébés Thalys », nés d’une part, de femmes françaises ayant bénéficié en Belgique d’une assistance médicale à la procréation qui leur a été refusée en France, d’autre part de femmes belges qui viennent accoucher sous X dans notre pays, alors que cette pratique est interdite dans leur pays ?

Je suis particulièrement heureux de participer à cette mission d’information car celle que j’ai eu l’honneur de présider sur la famille et les droits des enfants et dont notre ancienne collègue, devenue depuis ministre, Valérie Pécresse était la rapporteure, m’a laissé un goût d’inachevé. Je n’en ai pas voté le rapport final car en ressortait l’idée d’une exception française, dont je n’ai toujours pas compris les fondements. Nous nous étions rendus dans plusieurs pays européens, ainsi qu’au Canada et au Québec, à l’occasion de cette mission. Il faudra, pour celle-ci, veiller à la même ouverture européenne et internationale, afin de sortir de l’hypocrisie qui conduit certains de nos concitoyens à trouver à l’étranger des réponses à leurs problèmes.

M. Michel Vaxès. Tous les intervenants précédents ont souligné la difficulté d’organiser des états généraux de la bioéthique. L’un des écueils est que, par insuffisante appropriation des problématiques d’éthique, l’émotion l’emporte parfois sur la raison, au risque que soient prises trop rapidement des décisions inadaptées. Il faudra donc veiller à une appropriation de cette culture éthique par un public le plus large possible afin d’aborder les problèmes sereinement et, partant, de manière plus pertinente.

M. Didier Houssin. Je partage tout à fait ce point de vue. Ne faudrait-il pas, par exemple, diffuser plus largement les rapports du CCNE et les traduire dans un langage plus accessible ? Un important travail de communication est sans doute nécessaire.

M. le président. Avez-vous constaté au fil du temps des évolutions dans les avis et les travaux du CCNE ? Le fait que l’Agence de la biomédecine dispose de sa propre instance d’éthique conduit-il à envisager différemment la place et le rôle du CCNE ?

M. Didier Houssin. Les premiers travaux du CCNE étaient plutôt centrés sur la recherche, puis le champ de ses avis s’est peu à peu élargi à des problématiques sociales ou de santé publique. Pour ma part, je n’ai jamais eu le sentiment d’un conflit entre les réflexions éthiques du CCNE et celles de l’Agence de la biomédecine, qui portent sur des questions très précises, en lien avec l’activité de l’agence. La question majeure n’est donc pas tant celle des compétences respectives des deux instances, mais plutôt celle de la portée à donner aux travaux du CCNE, notamment auprès du public.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Quel est votre sentiment sur l’inscription dans le Préambule de la Constitution de nouveaux principes fondamentaux dans le domaine de la bioéthique ? Selon vous, quelles implications cela pourrait-il avoir ? En particulier, faire figurer dans ce Préambule le principe de dignité du corps humain n’entraverait-il pas les recherches sur l’embryon ?

M. Didier Houssin. J’avoue ne pas avoir les compétences juridiques nécessaires pour vous répondre sur ce point.

M. le rapporteur. Notre réflexion sur la bioéthique ne pourra s’affranchir ni d’une expertise approfondie, ni d’un vaste débat public. À cet égard, la retransmission de nos auditions sur LCP-AN est une excellente chose. Je rappelle d’ailleurs que celle des auditions de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a été suivie par plus de deux millions de personnes. Concernant l’organisation des états généraux de la bioéthique, les propositions que vous avez formulées mériteraient d’être reprises. Il faudrait en effet constituer un panel de citoyens, tirés au sort et volontaires pour se former à ces sujets techniques et débattre ensuite avec des experts et des parlementaires. Ces confrontations seraient retransmises à la télévision ou diffusées sur Internet pour trouver l’écho le plus large possible. Cela me paraît un bon moyen de parvenir à cette appropriation minimale du sujet, en effet indispensable, comme l’a souligné notre collègue Michel Vaxès. Avoir un enfant, se faire soigner, donner un organe, approcher de la mort, voilà des questions qui touchent chacun d’entre nous au plus profond de lui-même ; voilà en quoi la bioéthique nous concerne tous ; voilà pourquoi ce débat ne doit pas être confisqué par des experts : il est aussi l’affaire de nos concitoyens. Nous devrions faire des propositions en ce sens.

M. Didier Houssin. Si la loi pouvait prévoir la nécessité d’un tel débat et en préciser les modalités, ce serait une bonne chose. Bien qu’assez lourde et coûteuse puisqu’il faut indemniser les participants obligés de s’absenter de leur travail, La méthode du « publiforum », mise au point au Danemark et déjà utilisée en Suisse pour le problème des greffes, permet de fructueux échanges entre experts et public. Celui-ci devient ensuite lui-même acteur du débat, les participants pouvant en effet animer des rencontres ou des tables rondes. Il existe sans doute d’autres méthodes, mais celle-là présente beaucoup d’avantages.

M. le président. Je suis tout à fait favorable à l’idée d’un « publiforum ». La Cité des sciences et de l’industrie organise d’ores et déjà ce type de débat. En Grande-Bretagne, l’organisme dont les compétences sont proches de celle de l’Agence de la biomédecine fait de même. Dès lors, l’agence pourrait également être chargée d’organiser de tels débats publics mais, dans le cadre des états généraux de la bioéthique, organiser quelques débats en région ne suffira pas.

M. le rapporteur. Ce serait une première étape.

M. le président. Oui, mais il faudra impérativement confronter un panel de citoyens à des scientifiques. Tout le problème sera de composer ce panel et d’assurer à ses membres une formation minimale. Il faudra voir aussi comment associer la représentation nationale à ce « publiforum ». La balle est maintenant dans le camp du ministère de la santé, concernant l’organisation de ces États généraux, dont les travaux, loin d’être en concurrence avec ceux de notre mission d’information, leur seront complémentaires. Je préfère, pour ma part, que l’on mette quelques mois de plus mais qu’on garantisse la qualité, et donc l’utilité, de ces travaux.

M. Michel Vaxès. Il ne faudra jamais perdre de vue que les problématiques de bioéthique se situent au confluent de deux champs de connaissances, de deux dimensions de l’individu, l’une biologique, l’autre socio-historique. Il faudra, parmi les experts, retrouver ces deux dimensions et que soient représentés aussi bien des médecins, des biologistes, des généticiens que des philosophes, des sociologues et des historiens.

M. Didier Houssin. Les questions bioéthiques, qui se situent en effet aux confins de la philosophie, de l’anthropologie, de la sociologie, de l’histoire, ne sauraient être l’affaire exclusive des scientifiques : c’est précisément un lieu où peuvent se rencontrer toutes ces disciplines.

M. Paul Jeanneteau. Si l’on souhaite organiser un véritable débat populaire au sens le plus noble du terme, il faut laisser à nos concitoyens le temps nécessaire pour s’en approprier les thématiques. Un semestre me paraît donc un minimum pour conduire un débat de qualité et faire prendre conscience de toutes les dimensions de ces problèmes. Ne nous fixons pas par avance de limites trop rigides !

M. le rapporteur. Il faudra veiller à ce que coïncident bien dans le temps les travaux de notre mission d’information, ceux du CCNE et ce débat public. Il vous appartiendra, monsieur le président, de veiller à cette harmonisation des calendriers, et je ne doute pas que vous y parviendrez.

M. le président. D’ici à la fin de l’année, nous devrions disposer des rapports du CCNE, de l’Agence de la biomédecine, du Conseil d’État, de celui que Jean-Sébastien Vialatte et moi-même devons présenter à l’OPECST, ainsi que des conclusions du groupe de travail conduit par Mme Simone Veil. Tous ces travaux seront de la plus grande utilité pour ceux de notre mission d’information ainsi que pour le débat public que nous appelons de nos vœux. Il nous faudra bien entendu coordonner le rythme de nos travaux avec ce débat ainsi, bien entendu, qu’avec le dépôt du projet de loi. Je ne doute pas que le Gouvernement y ait réfléchi.

M. le rapporteur. D’autant que la réforme constitutionnelle de l’été dernier invite à la « co-production » des textes entre l’exécutif et le législatif !

M. Xavier Breton. Il avait été initialement demandé au CCNE et à l’Agence de la biomédecine de rendre leurs rapports en septembre. D’autres retards ne sont-ils pas à craindre ? Il me semble que se pose d’ores et déjà la question du calendrier de l’examen de la révision de la loi de bioéthique si l’on veut être assuré de la qualité des travaux préparatoires à celle-ci.

M. le président. L’Agence de la biomédecine rendra en principe son rapport fin octobre. Reste à connaître le calendrier retenu pour l’organisation des états généraux de la bioéthique et le dépôt du projet de loi. Avant de clore cette première audition, je tiens à remercier une nouvelle fois le professeur Didier Houssin.

Audition de M. Alain GRIMFELD,
président du Comité consultatif national d'éthique
pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE)



(Procès-verbal de la séance du
4 novembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui le professeur Alain Grimfeld, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), auquel nous souhaitons la bienvenue. Praticien hospitalier, professeur des universités, chef de service de pédiatrie à l’hôpital Armand Trousseau, spécialiste de l’asthme et des questions sanitaires relatives à l’environnement, vous présidez également le Comité de la prévention et de la précaution au ministère chargé de l’écologie ainsi que le conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).

Membre du CCNE depuis 2005, vous en avez été nommé président par décret du Président de la République en date du 18 février 2008. Je rappelle que le CCNE a été créé en 1983 par un simple texte réglementaire, la France faisant alors œuvre de pionnière, en étant le premier pays à créer un comité de bioéthique. Ce comité a reçu mission, aux termes de la loi d’août 2004, de « donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. »

Nous vous avions entendu, avec M. Jean-Sébastien Vialatte, dans le cadre des travaux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le 15 avril 2008, et vous nous aviez déclaré qu’il convient de construire une éthique de la responsabilité et que le débat éthique doit être contradictoire et prendre en compte les évolutions sociétales. Il serait sans doute intéressant qu’au cours de nos débats, vous puissiez expliciter cette notion d’éthique de la responsabilité.

Depuis 1983, le CCNE a évolué, tandis que d’autres structures ont été créées dans le domaine de la bioéthique – je pense notamment à l’Agence de la biomédecine et aux espaces de réflexion éthique au niveau régional ou interrégional. Une articulation est nécessaire entre les travaux du CCNE, du conseil d’orientation de l’agence et des espaces de réflexion éthique. Comment se situe aujourd’hui le CCNE dans cet ensemble ?

Des interrogations se sont fait jour concernant le CCNE, à l’occasion notamment du dernier changement de présidence. Quel est votre sentiment, tant sur sa composition que sur la nature de ses avis ? L’exécutif doit bientôt nous faire connaître les modalités d’organisation des futurs États généraux de la bioéthique. Comment le CCNE entend-il s’y impliquer ?

M. Alain Grimfeld. Je vous remercie de cette invitation, qui honore le CCNE tout entier. En effet, la présidence de cette institution ne repose pas uniquement sur moi mais sur plusieurs personnes. Je suis donc fier que vous m’ayez choisi pour en être le messager.

J’avais préparé un exposé concernant plus particulièrement l’avis n° 105, relatif aux « Questionnements pour les États généraux de la bioéthique », qui a été rendu récemment par le CCNE. Suite à la saisine du Premier ministre, il s’agissait « d’identifier, à l’occasion de ce rendez-vous, les problèmes philosophiques et les interrogations éthiques soulevés par les derniers progrès de la science, d’indiquer les questions qui [nous paraissaient] plus particulièrement mériter débat et de rendre compte de leur complexité ». Nous avons proposé une « boîte à outils » permettant de cerner les enjeux de ces États généraux et de préparer leur organisation. Mais je vais m’écarter de l’exposé que j’avais prévu pour répondre aux questions que vous m’avez posées.

Y a-t-il une « nouvelle politique » du CCNE ? Permettez-moi d’abord de rappeler ici comment ma nomination à sa présidence a été commentée dans certaine presse. Un entrefilet du quotidien Libération indiquait ainsi, plus ou moins en ces termes : « l’ancien président du CCNE, Didier Sicard, plutôt de gauche, s’en va, remplacé par le professeur Alain Grimfeld, plutôt de droite ». Je tairai le nom du journaliste auteur de ces lignes, que je n’ai d’ailleurs jamais pu rencontrer alors qu’il m’avait à deux reprises fixé un rendez-vous. Je le redis après l’avoir fait clairement savoir à ce moment-là : je ne suis pas le bras armé du Président de la République. Au demeurant, il me paraît imbécile de croire que tel aurait pu être le cas – pardonnez-moi, mais je ne connais pas la langue de bois. Pour moi qui suis d’origine très modeste, parvenir à la présidence du CCNE ne constitue pas le couronnement d’une carrière mais l’aboutissement de toute une vie. Il ne saurait donc être question pour moi de faire allégeance à qui que ce soit. Sans que cela ne fasse nullement de moi un héros, je revendique d’être un homme libre. Voilà les premiers propos que j’ai tenus lorsque j’ai pris mes fonctions et que j’ai demandé à la presse de bien vouloir relayer.

Cela étant, il fut un temps où le CCNE était, du moins le lui reprochait-on, « le dernier salon où l’on cause », très éloigné de la « vraie vie ». J’estime, pour ma part, qu’il convient toujours de tenir compte des critiques, même lorsqu’elles peuvent paraître désobligeantes, et ces critiques-là ont paru telles à certains membres du comité. N’étant nullement un héros, je n’ai pas vocation non plus au martyre. À mon arrivée à la présidence, j’ai exprimé la ferme intention que le CCNE ne soit ni « le dernier salon où l’on cause », ni le lieu de réflexions ésotériques pour le public, sans lien avec le siècle et ses réalités.

En effet, je souhaite que le comité réfléchisse aux problèmes actuels de notre société, parfois extrêmement douloureux sur le plan éthique, notamment pour les populations les plus vulnérables. Pédiatre spécialisé dans les pathologies respiratoires de l’enfant, j’y ai été confronté quotidiennement dans ma pratique, au contact des enfants et de leurs familles. Sans doute parce que mon expérience professionnelle m’y a sensibilisé, j’ai souhaité que le travail du CCNE colle au plus près aux réalités de la vie et se confronte aux problèmes parfois très douloureux de notre société, s’agissant en particulier des personnes les plus vulnérables. J’avais d’ailleurs conscience de cette impérieuse nécessité bien avant d’être nommé à sa présidence. Je n’ai certes pas écrit de nombreux ouvrages sur l’éthique mais en exerçant, depuis fort longtemps, le métier de pédiatre, j’ai été de fait confronté à ces problèmes ainsi qu’à la nécessité de mener une réflexion éthique compte tenu des attentes des patients et de leur famille.

J’en viens à l’organisation du CCNE. La présidence repose sur quatre personnes : outre moi-même, il y a le vice-président, M. Pierre Le Coz, qui est agrégé de philosophie et docteur en sciences de la vie et de la santé, la présidente de la section technique, Mme Annick Alperovitch, directeur de recherches émérite à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et épidémiologiste de renom, ainsi que Mme Marie-Hélène Mouneyrat, secrétaire générale depuis 1988. J’ai immédiatement formulé le souhait, avec ces trois personnes, que le CCNE collabore avec d’autres organismes, ce qui n’était pas le cas auparavant. Sans porter aucune attaque ad hominem, force est de constater qu’il avait tendance à s’enfermer dans une sorte de tour d’ivoire. C’est sans doute pourquoi il avait été qualifié de « dernier salon où l’on cause », tenu pour une assemblée de sages menant entre eux des réflexions de haut niveau auxquelles peu de gens pouvaient accéder. C’est à peine si je force le trait. J’ai voulu débarrasser le comité de cette fâcheuse image et l’ouvrir sur l’extérieur.

La première des collaborations que nous avons mise en place, et qui est désormais acquise, est avec l’Agence de la biomédecine. Il ne saurait y avoir pour moi d’un côté, le Comité consultatif national d’éthique qui réfléchirait, avec une hauteur de vue à laquelle il pourrait seul prétendre, et d’un autre, l’Agence de la biomédecine qui ne serait que l’exécutante de ses recommandations. Nous avons donc immédiatement rencontré la nouvelle directrice générale de l’agence et posé le principe d’une collaboration ouverte, en temps réel, des deux instances, chacune demeurant dans son rôle.

M. le président. Quels rapports entretient le CCNE avec le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine ?

M. Alain Grimfeld. Le CCNE est une autorité administrative indépendante, qui est dotée d’un budget suffisant pour fonctionner mais il est clair que ce n’est pas une agence. Il a impérativement besoin de retours d’expériences – j’y suis extrêmement attaché. Je me suis donc inspiré du modèle dit du retour d’expérience et de l’apprentissage organisationnel (REXAO), mis au point par le pôle cyndiniques de l’École des mines de Paris. En effet, dans la société actuelle, il n’est pas possible de prétendre que certains savent nécessairement ce qui est bon pour les autres et que des modèles soient toujours imposés d’en haut pour être exécutés en bas, quitte, en cas d’échec, à en proposer d’autres sans jamais remettre en question le fait qu’ils proviennent d’en haut. Il faut aussi des mouvements du bas vers le haut ; je le dis sans démagogie aucune. Surtout dans le domaine de la réflexion éthique, le retour d’expérience est une absolue nécessité.

Le CCNE doit coller au plus près de la « vraie vie » et mener les réflexions éthiques rendues nécessaires par l’évolution de la société. Peut-être ne l’avait-il pas assez fait auparavant. Je n’en suis toutefois pas sûr car il a, je crois, toujours bien suivi les préoccupations de nos concitoyens.

Au temps de la réflexion, doit succéder celui des actes, et il importe pour le CCNE de faire œuvre utile. De ce point de vue, je vois mal comment il pourrait utilement formuler des recommandations sans un opérateur pour les mettre en œuvre, comme l’Agence de la biomédecine. Les deux institutions, chacune restant dans son rôle, doivent donc coopérer, et ce dès l’amont. Un fonctionnement en autarcie serait absurde et inopérant en matière de bioéthique.

En outre, le CCNE, qui a été appelé à donner son avis sur le projet d’arrêté relatif aux modalités de fonctionnement des espaces régionaux ou interrégionaux d’éthique, a engagé une collaboration avec certains d’entre eux, notamment l’espace éthique méditerranéen de Marseille qui a été mis en place par notre vice-président, Pierre Le Coz, avec Jean-François Mattei. Nous avons aussi commencé à collaborer avec celui de Brest animé par le professeur Jean-Marie Boles. Je dois prochainement travailler avec le professeur Marie-Josée Thiel, qui a la responsabilité de l’espace éthique de Strasbourg, et inaugurer bientôt celui de Lyon. Je souhaite ardemment une intense coopération avec tous les espaces éthiques régionaux : il ne saurait être question, là non plus, que chacun mène la réflexion dans son coin. L’exercice d’une morale active, puisque telle est ma définition opérationnelle de l’éthique, passe par la confrontation constructive de différents points de vue, émanant de différents courants de pensée, pour aboutir lorsque cela est possible – ce qui n’est pas toujours le cas – à un consensus, et ce au bénéfice de toute la population.

Pour ce qui est des futurs États généraux de la bioéthique, tout en me réservant la possibilité de vous indiquer les thèmes que le CCNE suggère de retenir en priorité, je m’attacherai plutôt à parler du climat dans lequel nous souhaiterions qu’ils se déroulent. En premier lieu, comment concevoir des États généraux, sauf à vider d’emblée le concept de son sens, sans interroger la population et donc organiser un débat citoyen ? D’aucuns ne voient dans le débat citoyen qu’une « tarte à la crème », en se demandant comment il pourra être conduit et quels outils pourront bien être utilisés pour que le retour d’expérience soit vraiment utile. Nous souhaitons, pour notre part, nous appuyer sur les espaces régionaux et interrégionaux de réflexion éthique qui ont le mérite d’exister, d’être pluralistes et bien structurés, à la différence d’autres instances locales, et dont certains sont très dynamiques. Pour habiter une petite commune de 1 840 habitants en Seine-et-Marne, dont le maire s’intéresse particulièrement à l’écologie, notamment au traitement des déchets, et qui est un adepte de l’organisation de débats citoyens, je sais que ce type de débat est possible et combien il est utile.

Si l’on ne sait pas bien comment procéder, il est possible de se référer aux méthodes présentées par exemple dans le document Santé Canada, puisqu’en effet le ministère fédéral canadien de la santé organise de nombreuses consultations auprès du public et la culture de ce pays de l’espace francophone n’est pas si éloignée de la nôtre. Cela étant, je pense que notre pays sait faire s’il s’en donne les moyens et il ne s’agit pas là de moyens financiers, mais d’abord d’engager des collaborations avec des organismes existants. On peut donc à mon avis lancer sans retard le débat citoyen en s’appuyant sur les espaces de réflexion éthique. Nous avons – je le dis sans prétention – souhaité donner en cela une âme à ces États généraux.

Que peut faire le législateur dans le domaine de la bioéthique ? Et tout d’abord, qu’entend-on par bioéthique ? Dans les lois de 1994 et 2004, l’acception du terme apparaît très restrictive, ces textes traitant presque exclusivement de la reproduction dans l’espèce humaine. Or, lorsqu’on parle de bioéthique, il me semble qu’il faut impérativement y introduire la notion d’écologie, au sens premier d’étude du vivant dans son milieu. On ne peut plus abstraire l’espèce humaine de son environnement physique et psychologique, matériel et vivant. La bioéthique doit traiter de l’espèce humaine au sein de la biodiversité.

L’une des premières questions qui se pose est de savoir s’il convient ou non de légiférer en matière de bioéthique. Le principe de lois en ce domaine semble aujourd’hui acquis. Il est en effet très commode de disposer de lois encadrant des pratiques comme la loi du 17 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la loi dite « Huriet-Sérusclat » relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, les lois de bioéthique de 1994, révisées en 2004, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Avec cette panoplie législative, déjà bien fournie, certains se demandent s’il est nécessaire de légiférer encore. D’autres estiment que, vu la complexité des problèmes, un cadrage s’impose – je n’ai pas dit une loi-cadre.

Compte tenu de l’accélération des progrès de la science, ne faut-il pas revoir la manière de légiférer dans le domaine médical et des sciences du vivant ? Si on tient à une loi, ce qui semble faire largement consensus, toute la difficulté est que la réflexion éthique puisse suivre les progrès exponentiels de la connaissance du vivant et de la médecine. Et là se pose la question même de l’évolution de l’espèce humaine. D’aucuns considèrent que certaines techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) comme la gestation pour autrui ou le diagnostic préimplantatoire (DPI), qu’il convient de distinguer du diagnostic prénatal, nous font entrer dans l’ère du « trans-humanisme », tandis que d’autres pensent qu’elles s’inscrivent toujours dans l’évolution de l’espèce humaine depuis Lucy. Ce sont les hommes qui ont mis au point des technologies qui permettent aujourd’hui de fabriquer un être trans-humain, en rupture avec la filiation ontologique de l’espèce. Ce n’est pas là de la science-fiction, puisqu’on est maintenant parvenu à créer des bactéries, c’est-à-dire du vivant, à partir de matière non vivante.

Sur quoi fonder une réflexion éthique concernant le trans-humain ? Pas sur des ouvrages, fussent-ils aussi universels que la Torah, la Bible ou le Coran, puisque tous privilégient la dimension ontologique de l’humain. On ne peut pourtant attendre car, en ce domaine, demain est déjà là. Ainsi, en matière de nanotechnologies appliquées aux sciences du vivant, nous n’avons pas le droit de remettre la réflexion à plus tard, et risquer de commettre la même erreur que pour l’amiante et les organismes génétiquement modifiés (OGM) ou plus exactement les plantes génétiquement modifiées, au sujet desquels chacun a compris qu’une réflexion aurait été nécessaire en amont. Les nanotechnologies appliquées aux sciences du vivant sont à notre porte : une fois la crise financière passée, des budgets colossaux vont y être consacrés. Il n’est pas question, au nom du principe de précaution, d’interrompre les recherches en ce domaine, en imposant par exemple un moratoire, car nous serons de toute façon dépassés par la réalité économique. Collons donc à cette réalité et menons une réflexion éthique sur le sujet. Mais sur quels écrits s’appuyer et à quelles valeurs se référer ?

Les questions de bioéthique ne relèvent pas seulement du domaine scientifique et technique. La question est de savoir si et comment la science peut influer sur les valeurs de notre société pluraliste et laïque. Pour nous, les États généraux doivent être l’occasion de livrer à la population une information adaptée et critique sur les questions scientifiques au cœur de la révision des lois de bioéthique. Vu la vitesse des progrès dans le domaine des sciences du vivant, il n’est plus possible d’annoncer les dernières découvertes à la population et de décider unilatéralement ce que l’on va faire pour elle. Il n’appartient pas au CCNE de convaincre la population que ce qu’on lui propose est « bon pour elle » ; cela serait inacceptable sur le plan éthique.

Je prends l’exemple des nanoparticules. L’un des problèmes majeurs que soulève leur utilisation en médecine est que, contrairement à toutes les molécules utilisées jusqu’à présent, elles traversent la barrière hémato-méningée. Comment garantir à la population que cela ne présente aucun danger ? Il faut lui dispenser une information honnête – au sens de l’expression « honnête homme » du siècle des Lumières, de façon qu’elle soit pleinement éclairée. Quant à l’argument selon lequel cette information serait trop technique pour être comprise de tous, il est parfaitement fallacieux. Quel malade, sinon un déficient mental, ne pourrait comprendre que la substance qu’on lui administre peut passer de son sang à son cerveau ? Sur ces sujets, le législateur devra définir juridiquement la nature de l’information à délivrer à la population. En tout état de cause, cette information ne pourra rester dans les mains d’instances telles que l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (INPES). C’est une démarche politique qui est nécessaire. Dès 1995, le CCNE avait d’ailleurs souligné, dans son avis n° 45, que la fiabilité et la loyauté de ces informations scientifiques devenaient de véritables enjeux sociaux.

La loi permet de mettre en place des garde-fous afin de garantir le respect de la dignité des personnes et la recherche permanente du bien commun. La loi, issue du débat démocratique, permet de dégager des valeurs communes et garantit l’expression pluraliste des opinons. Pour engager la réflexion dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, notamment avec la population lors des États généraux, nous estimons qu’il conviendrait d’abord de s’accorder sur certains principes fondamentaux comme l’indisponibilité et la non-patrimonialité du corps humain, de façon à définir ce qui est majoritairement considéré comme inacceptable, avant de rechercher un consensus sur ce qui est acceptable.

Comment par exemple accepter d’un côté le principe d’indisponibilité du corps humain et d’un autre, la gestation pour autrui ? De même, comment s’accorder sur le principe de non-patrimonialité du corps humain, c’est-à-dire que celui-ci, ni aucun de ses éléments ou produits, ne peut être vendu et ensuite accepter que des dons d’éléments du corps humain puissent être rémunérés ? Et pourtant, pour concevoir par exemple des embryons pour des couples infertiles, il faut prélever des ovocytes, opération beaucoup plus difficile et douloureuse que l’obtention de spermatozoïdes à partir d’un éjaculat. Comment, à terme, ne pas indemniser, sinon rémunérer, les donneuses d’ovocytes, ne serait-ce que pour le pretium doloris ?

Par ailleurs, la légalité d’une pratique ne garantit pas sa conformité à la morale. Je n’insiste pas sur ce point.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est dommage.

M. Alain Grimfeld. Faut-il que les lois de bioéthique soient révisables ? En ce domaine, tirons les leçons de l’expérience : c’est ce que nous avons essayé de faire avant de proposer notre « boîte à outils ». Le réexamen des lois est souhaitable à condition qu’il favorise une réflexion globale et ne porte pas seulement sur des points de détail. Quelle doit être la périodicité de cette révision ? Le délai de cinq ans peut paraître trop court, d’autant qu’il faut attendre le retour d’expérience. La loi de 1994 n’a été révisée qu’en 2004, soit avec cinq ans de retard. Le retour d’expérience aurait pu être exploité avant, si tous les décrets d’application avaient été promulgués, ce qui n’était pas le cas, tant s’en faut.

M. le président. Il y a eu un progrès en 2004.

M. Alain Grimfeld. En effet. Cela étant, selon le point de vue où on se place, un délai de cinq ans peut être trop long ou trop court. Et dans quel état d’esprit le législateur vote-t-il une loi comportant d’une certaine manière une « date de péremption » ? Est-il même pertinent d’adopter une loi dès lors que la rapidité des progrès de la science peut rendre caduques du jour au lendemain tout ou partie de ses dispositions ? Comment légiférer pour suivre au plus près les progrès de la connaissance dans le domaine des sciences du vivant ? On ne peut pas non plus mener une réflexion éthique sans tenir compte des aspects juridiques et sociétaux. En un mot, l’éthique ne peut être déconnectée de la réalité et de la dynamique de progrès et d’acquisition de nouvelles connaissances.

Chacun s’accordant à la fois sur la nécessité d’une loi et sur le fait qu’on ne peut plus légiférer comme avant, quel type de loi envisager pour la bioéthique ? Les lois actuelles reposent sur des principes fondamentaux : le respect de la dignité de la personne humaine, la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, à côté du « droit à l’enfant », la non-commercialisation du corps humain avec son corollaire, la gratuité du don d’organes, de produits et de sous-produits du corps humain et l’anonymat de ce don mais comment préserver ce principe dans le cas de la gestation pour autrui ou de la greffe de tissus composites comme celle d’un visage ? À ces principes, les lois ont également prévu des exceptions qu’elles encadrent. On s’est ainsi inspiré de la loi de 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, laquelle pose des principes, assortis de dérogations ou d’exceptions suffisamment encadrées pour ne pas vider les principes de leur substance. À chaque révision du cadre législatif, la tendance est d’assouplir le champ des dérogations, si bien que certains s’interrogent sur la nécessité même d’une loi. Certains donneraient la préférence à une loi-cadre, d’autres suggèrent que les principes de bioéthique, à l’instar du principe de précaution, figurent dans le Préambule de la Constitution ; une mission conduite par Mme Simone Veil a été diligentée pour faire part de ses réflexions sur ce sujet.

M. le président. Êtes-vous favorable ou non à ce que figurent dans le Préambule de la Constitution des dispositions concernant ce que nous tiendrions pour inacceptable ?

M. Alain Grimfeld. Lors de mon audition par le groupe de travail présidé par Mme Simone Veil, j’ai dit que l’important ne me paraissait pas de décliner dans le Préambule de la Constitution tous les principes de bioéthique des lois de 1994 et 2004, mais d’y introduire la problématique de l’évolution de l’espèce humaine au sein de la biodiversité, compte tenu des progrès des sciences du vivant et de la médecine. En un mot, que va faire l’homme de l’espèce humaine ? Nous sommes en effet la seule espèce à pouvoir ainsi décider de son avenir.

Depuis la dernière révision législative, certains principes fondateurs ont parfois été mis à mal comme la dignité de la personne humaine, l’anonymat du don d’organes et de gamètes, l’interdiction de la gestation pour autrui… Se pose également la question de la conciliation de ces principes avec d’autres exigences éthiques, comme la prise en compte de la situation spécifique des malades ou des personnes vulnérables, mais aussi les contraintes budgétaires en matière de santé, sur lesquelles le CCNE a rendu un avis – on ne peut en effet ignorer les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire, notamment pour la dépense hospitalière. De même, quid de la confrontation du besoin croissant d’autonomie et des principes de responsabilité et de solidarité face au développement des tests génétiques à des fins médicales ou à la mise à disposition de cellules de sang de cordon ombilical ? Comment pourra-t-on, dans le respect de l’éthique, proposer à certains parents qui en auront les moyens financiers de conserver des cellules de cordon ombilical de leur enfant susceptibles de servir par la suite en cas d’infarctus, de myopathie ou autre maladie dégénérative… quand on ne pourra le proposer à tous, pour des raisons de coût ? De même, quid du « consentement libre et éclairé » ? Certains préféreraient qu’on parle selon les circonstances de choix libre et de consentement présumé. Le respect de ce principe suppose que les individus soient suffisamment informés et depuis assez longtemps, de façon que s’ils se trouvent sollicités pour entrer dans un protocole thérapeutique ou de recherche, donner un organe de leur vivant ou celui d’un proche décédé, ils ne se sentent pas acculés à accepter. Par ailleurs, qu’est-ce que le « consentement présumé » d’une personne décédée ? C’est pourquoi il faut mettre en place un cadre juridique pour l’information des personnes.

Je ne reviens pas sur les conséquences éthiques de l’intégration du vivant dans son environnement. L’article 2, paragraphe h, de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, adoptée par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en octobre 2005, souligne « l’importance de la biodiversité et de sa préservation en tant que préoccupation commune à l’humanité. » Il est clair pour tous que l’humain doit rester la référence cardinale et le point de convergence du système juridique. On ne saurait prendre prétexte de la prise en compte de l’espèce humaine dans l’ensemble de la biodiversité pour prétendre que telle espèce animale est aussi importante que l’homme, ce qui avait d’ailleurs conduit les nazis dans les camps de concentration à donner à leurs chiens des noms d’hommes, tandis qu’ils désignaient les hommes pas même par un nom de chien, mais par un numéro.

J’en viens aux questions qui mériteraient d’être débattues, concernant tout d’abord le champ même d’application de la loi et notamment la séparation ou non des lois de bioéthique des autres lois portant sur le corps humain et l’extension de la bioéthique au vivant non humain. En deuxième lieu, quelle technique législative utiliser : loi détaillée ou loi-cadre, loi ayant vocation à la permanence ou à une révision périodique ?

En troisième lieu, quels doivent être la portée, la hiérarchie des principes actuels et les exceptions qui peuvent y être tolérées au regard de l’évolution des idées en France, en Europe et dans le reste du monde ? Sur le plan national, il est certes important de légiférer en matière de bioéthique, mais quelle en sera la portée si ce qui est interdit chez nous est autorisé ailleurs ? Chacun sait que des femmes françaises font aujourd’hui porter leur enfant par des mères porteuses aux États-Unis, moyennant une rémunération de 10 000 à 15 000 dollars.

Ensuite, il convient de s’interroger sur l’adéquation entre les fins et les moyens, les principes et leurs conséquences pratiques, notamment pour ce qui concerne l’équilibre entre d’une part, les besoins de la science et de la société ou, en son sein, d’une certaine catégorie de citoyens, d’autre part la préservation de principes et de biens fondamentaux. Que faire par exemple des embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental ? Certains chercheurs font valoir que si on continue d’encadrer par trop les recherches en France, la science y progressera moins vite qu’ailleurs. Or, le développement de la science va de pair avec le dépôt de brevets avec des emplois à la clé.

Enfin, s’agissant de l’élaboration de normes en bioéthique, il existe une force de lobbying considérable concernant des recherches scientifiques plus ou moins sophistiquées, en particulier sur l’embryon. Je ne me prononce ni pour ni contre ces recherches, j’ouvre simplement le débat sur cette problématique. Il faut trouver le moyen de concilier la future législation et la liberté de la science. Si les chercheurs ne doivent pas pouvoir faire n’importe quoi, il convient de suivre au plus près les progrès des sciences, notamment appliquées, au profit non seulement du diagnostic et du traitement des maladies, mais aussi du bien-être et de l’épanouissement de l’individu, ce qui correspond à la définition que donne de la santé l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

M. le président. Je vous remercie de cet exposé. Je laisse maintenant la parole au rapporteur de notre mission.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il y a tant de questionnements dans votre intervention que l’on brûle d’envie de vous pousser dans vos retranchements et de vous faire aller du général au particulier.

Faut-il légiférer, avez-vous demandé ? Les grands principes à vocation universelle, qui sont reconnus par notre droit constitutionnel, ne sont-ils pas suffisants pour répondre au cas par cas aux situations particulières ? Nous le savons, nous sommes en France très enclins à légiférer alors que les pays anglo-saxons font davantage confiance à la jurisprudence. Quel serait, à votre avis, l’avantage d’une loi-cadre – nous n’avons jamais pris en France  – sur une loi détaillée faisant référence à des notions qui, n’ayant jamais été définies de manière commune, permettent concrètement de s’adapter aux réalités ?

J’en suis d’accord avec vous, toute morale ne s’incarnant pas dans le réel n’a pas d’intérêt. Pour autant, les avancées de la science doivent-elles faire que le législateur adapte périodiquement la morale aux situations particulières ? Au motif qu’une pratique existe ou, pis, parce qu’elle existe dans un pays voisin, le législateur doit-il, par simple pragmatisme, l’encadrer, fût-elle en contradiction avec ses convictions éthiques, au motif que la recherche risque sinon de progresser plus vite dans les pays voisins et nos concitoyens de se rendre à l’étranger pour obtenir ce qu’ils souhaitent. Faut-il légiférer dans le détail de manière périodique ou une fois pour toutes sur les grands principes fondamentaux ? Quelle a été l’orientation des travaux du septième sommet international des comités d’éthique qui s’est tenu récemment ? Dans quelle optique va travailler la Conférence européenne des comités d’éthique qui doit avoir lieu prochainement ? S’en dégagera-t-il la vision globale d’une civilisation qui essaie de privilégier l’homme et de le protéger face à la technique, à la fois dans son devenir individuel et dans celui de l’espèce humaine ?

Dans les espaces régionaux et interrégionaux d’éthique, qui sont d’abord des espaces de réflexion où s’exprime une diversité de points de vue, on a parfois l’impression que l’éthique demeure un domaine réservé et que c’est de toute façon au comité d’éthique qu’on ira chercher la réponse à un problème particulier. Pour vous, le CCNE doit-il être un comité opérationnel résolvant des problèmes pratiques ou plutôt un espace de réflexion où chacun nourrit ses questionnements et qui, de là, fait progresser globalement la réflexion ?

S’agissant des futurs États généraux, débattre d’un sujet sans le connaître, à supposer que cela soit possible, n’aurait bien entendu pas de sens. Si les États généraux se réduisent à des discussions de « café du commerce », ils risquent de conduire rapidement à un résultat contraire à leurs objectifs. Si en revanche, s’ils ne sont qu’un débat très technique entre spécialistes, ils ne correspondront pas au débat public que nous appelons de nos voeux. Notre collègue Noël Mamère a évoqué la possibilité de constituer un panel de citoyens et de leur donner les informations techniques et scientifiques minimales, qui n’est pas si difficile que cela à acquérir. N’est-ce pas ainsi qu’il faudrait procéder, en se fondant sur les espaces régionaux et inter-régionaux, de façon que le débat soit à la fois populaire au sens le plus noble du terme et à la hauteur des enjeux ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Je suis, pour ma part, spontanément plutôt favorable à une loi-cadre, vu la rapidité des progrès de la science. Mais comment, à partir de cette loi-cadre, gère-t-on la chaîne de décision en matière de bioéthique ? Le Parlement vote cette loi-cadre, le CCNE recueille les aspirations de la population, formule des recommandations éthiques et demande à l’Agence de la biomédecine de mettre en œuvre ces propositions. Est-ce bien ainsi, Monsieur le Président, que vous voyez les choses ?

Ma deuxième question a trait à l’objet même de la loi, s’il faut en prendre une, et sur ce point, j’ai quelques divergences avec vous. Je considère, pour ma part, que la loi doit encadrer la science et la recherche. Reste à en trouver les modalités : c’est d’ailleurs ce qui a motivé la création du CCNE en 1983, conformément au souhait qui avait été exprimé par le Président de la République, M. François Mitterrand. La loi doit dire ce qui peut et doit être fait en termes de santé publique et de service médical. J’ai été sensible à l’exigence de solidarité que vous avez réaffirmée. C’est un débat que nous avons de manière récurrente lors de l’examen des lois de financement de la sécurité sociale, alors que nous ne l’avons jamais abordé, ou presque, lors de l’examen des lois de bioéthique. Il est en revanche largement ouvert aux États-Unis. Pour moi, l’un des objets des lois de bioéthique devrait être de définir clairement les pratiques autorisées et celles qui sont interdites. Partagez-vous ces points de vue ?

J’ai senti dans votre présentation quelques présupposés qui me paraissent pouvoir être discutés. Ainsi, n’étant pas plus darwinien que cela, le concept d’évolution continue de l’espèce humaine me gêne quelque peu. Je ne vois pas ce qui, biologiquement, peut assurer de la continuation de l’évolution de l’espèce, en tout cas d’après les travaux des biologistes les plus éminents, je pense notamment à Jacques Ruffié qui a beaucoup travaillé sur le sujet, et même à Darwin et ses continuateurs. Si tel était le cas, la première question serait alors de savoir s’il convient par des moyens technologiques de poursuivre une évolution biologique achevée.

Vous avez évoqué les ponctions d’ovocytes qui sont extrêmement douloureuses et rares. Mais, en premier lieu, pourquoi faudrait-il à tout prix ponctionner des ovocytes, au prix d’inégalités et d’une entorse au principe de non-patrimonialité du corps, si le prélèvement devait être rémunéré ?

Vous avez dit qu’il n’était plus possible de se fonder sur des ouvrages universels, citant les Livres des trois grandes religions monothéistes. C’est sans doute vrai sur le plan de leur portée sociologique et de leur impact dans la population, du moins en Europe. Je n’en suis pas sûr en revanche pour ce qui est de leur contenu. D’autres ouvrages peuvent aussi éclairer la réflexion. Le président Alain Claeys vous interpellait tout à l’heure sur l’éthique de responsabilité. Il y a un présupposé dans les travaux de Hans Jonas, à savoir que la vie humaine a une valeur telle qu’il faut nécessairement qu’elle perdure, ce qui, après tout, ne va pas de soi. Il y a là des enseignements à tirer sur la spécificité de la valeur de l’être humain, sur les raisons pour lesquelles elle diffère de celle des autres espèces et, en conséquence, sur la manière dont elle doit être traitée dans la sphère globale du vivant et sur ce plan, je partage votre idée de prendre en compte l’espèce humaine dans l’ensemble de la biodiversité. Je comprends la volonté de trouver des principes consensuels, c’est même indispensable pour avancer sur le plan pratique, mais il convient d’en tirer toutes les conséquences, ce qui n’a pas été fait, du moins pas toujours. Si on arrive à fixer un cadre et des règles dans la future loi, je plaide pour une application stricte des principes.

M. le président. Chacun doit avoir ici conscience que nous ne réglerons pas tous les problèmes au sein de cette mission d’information !

M. Noël Mamère. Je me retrouve assez bien dans les questions que vous a posées Jean Leonetti et partage certaines des réflexions de Jean-Frédéric Poisson.

Je partirai, pour ma part, de ce que vous aviez déclaré le 15 avril dernier s’agissant de l’éthique de responsabilité, en faisant notamment référence à Jürgen Habermas. Vous avez souligné que les lois actuelles de bioéthique se limitent quasiment à la biomédecine et souhaité qu’on y introduise la question de l’écologie au sens large du terme, dans l’acception que lui ont donnée par exemple Jacques Ellul ou Bruno Latour, ce avec quoi je suis totalement d’accord.

Il me semble indispensable qu’une nouvelle loi soit prise. Mais doit-il s’agir d’une loi-cadre, auquel cas on peut d’ailleurs réfléchir à l’opportunité d’inscrire ces principes dans le Préambule de la Constitution, ou une loi répondant au cas par cas aux problèmes soulevés par les progrès scientifiques, lesquels vont plus vite que l’évolution du droit ?

Doit-on, lors de cette révision, introduire dans la loi la notion d’environnement de l’espèce humaine ? Et je ne vise pas là seulement l’environnement et son impact sur la santé des populations mais aussi l’environnement scientifique, car derrière la science, il y a toujours une religion du progrès. De ce point de vue, j’ai été particulièrement intéressé par vos propos sur les nanotechnologies. Vous avez employé le terme de « post-humain ». L’argumentation de Jean-Frédéric Poisson sur le sujet est battue en brèche par les progrès techniques qui, quelque jugement que l’on porte sur eux, ont eu lieu et vont permettre d’améliorer l’espèce humaine. S’est d’ailleurs développé aux États-Unis un courant de pensée proprement effrayant, le « trans-humanisme », qu’il faut combattre. On nous explique aujourd’hui en France que les nanotechnologies sont porteuses d’avenir, que rien ne peut les surpasser et qu’elles ne sont pas dangereuses, certaines nanoparticules étant d’ores et déjà employées dans des cosmétiques, notamment des crèmes solaires. Faisant cela, on demande surtout à nos concitoyens de ne pas s’occuper… de ce qui les concerne pourtant au premier chef ! Aux États-Unis au contraire, le professeur Jean-Pierre Dupuy, spécialiste de la question des nanotechnologies dans la Silicon Valley, nous l’apprend dans son remarquable ouvrage Pour un catastrophisme éclairé, il existe déjà des groupes de réflexion, des associations de citoyens, y compris de scientifiques, qui se préoccupent de l’incidence des nanotechnologies sur la santé, l’environnement et s’interrogent sur leurs implications philosophiques dans la manière d’envisager l’espèce humaine.

Je suis très flatté que Jean Leonetti ait repris une idée à laquelle vous avez vous-même, fait référence en citant le document Santé Canada. D’une manière générale, je me méfie des États généraux – dont, si je vous ai bien compris, vous-même n’êtes pas totalement convaincu de la validité –, comme je me méfie des espaces éthiques régionaux. D’autres outils sont à notre disposition qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres pays européens, je pense notamment aux conférences des citoyens, expérimentées dès 1989 au Danemark. Nous serions bien inspirés de nous réapproprier ces questions car il appartient au législateur de poser les questions philosophiques qui vont nourrir le droit qu’il édicte.

Il y aura sans doute une concurrence entre les États généraux et nos travaux. La tenue d’une conférence des citoyens, à l’initiative du Parlement, pourrait être un moyen de surmonter la difficulté. Le plus important est que nous ne nous limitions pas à réfléchir à la biomédecine et aux questions de reproduction de l’espèce humaine, mais que nous étendions la réflexion à l’ensemble des questions qui se posent aujourd’hui à l’espèce humaine dans son environnement, notamment scientifique.

M. le président. Il n’y a pas et il ne doit pas y avoir de concurrence entre le travail parlementaire et les États généraux. Les deux doivent être complémentaires.

M. Jean-Marc Nesme. Je savais que notre mission était complexe, mais après vous avoir entendu, je sais qu’elle le sera encore davantage que nous ne le pensions…

Légiférer en matière de bioéthique, soit, mais pouvons-nous le faire seuls, sans prendre en considération ce que font, ce que s’apprêtent ou non à faire, les autres pays en Europe et de par le monde ? Quel pourra bien être l’impact de décisions franco-françaises sur l’évolution de l’espèce humaine ? Les travaux des tenants du « trans-humanisme », courant de pensée apparu aux États-Unis dans les années 1990, sont financés notamment par une agence fédérale, dont les crédits sont donc votés par le Congrès. Or l’objectif des trans-humanistes n’est autre que de repousser les limites biologiques de l’espèce humaine pour parvenir, à terme, à une autre espèce. Il y a là de quoi effrayer. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas nous exonérer de réfléchir à ce qui se passe dans le reste du monde. La communauté internationale ne devrait-elle pas fixer un cadre afin d’éviter de telles dérives ? Quelle institution en serait, selon vous, la mieux à même ?

M. Serge Blisko. Loi-cadre ou loi détaillée ? L’important est qu’elle soit lisible par tous, par les scientifiques comme par nos concitoyens. Je suis donc partagé, d’autant que la loi ne peut jamais tout prévoir. On dit aujourd’hui que la loi d’avril 2005 sur la fin de vie, dite loi Leonetti, se suffit à elle-même. Il faut assurément un cadre, tout en sachant que les progrès de la science et de la médecine ont eu lieu le plus souvent en rupture avec les cadres existants. Il faut être attentif à ce point.

Je ne vais pas engager avec Jean-Frédéric Poisson un débat sur le darwinisme. Nous allons simplement demander un entretien au Père Arnould, dernier darwinien français et père dominicain… (Sourires).

Une conférence des citoyens me paraît un bon compromis entre des États généraux et un débat de « café du commerce ». Il faudrait sans doute y ajouter un débat entre scientifiques eux-mêmes. S’ils sont nombreux à s’exprimer volontiers à titre individuel, les scientifiques le font trop peu dans les structures ad hoc. Pourquoi ce débat ne commencerait-il pas dans les universités et les grands instituts de recherche ?

Pour ce qui est du trans-humanisme, on peut bien entendu le présenter de manière très négative pour le dénoncer mais depuis l’homme de Néanderthal, l’espèce humaine a beaucoup évolué et considérablement amélioré ses performances, pas seulement physiques. Même si ces mouvements extrémistes peuvent légitimement effrayer, nous devons nous demander si l’espèce humaine est à jamais au centre de tout et si le stade qu’elle a aujourd’hui atteint est indépassable ou bien si, comme les autres, elle est encore en évolution.

M. le président. Avant de laisser la parole au Professeur Grimfeld, j’indique que s’agissant des États généraux, la balle est dans le camp du gouvernement. La ministre chargée de la santé, que nous avons par deux fois, Jean Leonetti et moi-même demandé à rencontrer, doit nous faire connaître sans tarder les règles du jeu. Tout d’abord, pour que le travail parlementaire n’empiète pas sur ces États généraux mais leur soit complémentaire. Ensuite, parce qu’il faut rapidement articuler au mieux les travaux du CCNE, auquel le gouvernement a demandé un avis, du Conseil d’État et de l’Agence de la biomédecine qui vont prochainement rendre également un rapport.

M. Alain Grimfeld. Loi-cadre ou loi plus détaillée, je n’ai pas fait de choix sur ce point. Ce n’est d’ailleurs pas à moi de le faire bien que, comme tout un chacun, je puisse avoir ma propre idée. Vu la vitesse des progrès scientifiques, on pourrait pencher plutôt pour une loi-cadre mais celle-ci devrait reposer, et ce n’est là qu’une proposition, sur le respect de certains principes : indisponibilité ou disponibilité du corps humain, patrimonialité ou non-patrimonialité du corps humain, respect de la dignité humaine, à la fois celle, intrinsèque, de l’être humain en tant qu’ensemble de processus biologiques et celle, extrinsèque, de la personne humaine, concernant l’être humain au sein de sa société.

Pourquoi ne pas introduire ces principes dans le Préambule de la Constitution ? La question est ouverte puisque tel est le sujet du groupe de travail animé par Mme Simone Veil. Cela ferait vraiment sens.

À la clôture du sommet mondial des comités d’éthique nationaux, nous nous sommes dit qu’à l’instar de ce qui est fait pour la démarche qualité avec les normes ISO, il faudrait s’accorder unanimement sur des référentiels, sachant que la procédure suivie pour leur mise en œuvre pourra varier en fonction des lieux, des populations, des croyances, des cultures… Ce n’est par exemple que si l’on s’est préalablement accordé sur le principe de disponibilité du corps humain que l’on peut débattre de la gestation pour le compte d’autrui. Sinon, la discussion n’a pas lieu d’être. Si l’on s’accorde sur le principe d’indisponibilité du corps humain, il n’y a plus lieu de débattre de la gestation pour autrui. Il faudra aussi être attentif à la sémantique, par exemple l’interruption volontaire de grossesse, a fortiori l’interruption médicale de grossesse, n’a pas du tout la même connotation que l’avortement. Comme le monde, la bioéthique est très complexe mais cela n’empêche pas de s’accorder sur de grands principes.

M. le président. Quelle différence voyez-vous entre une loi-cadre et l’inscription de nouveaux principes dans le Préambule de la Constitution ?

M. Alain Grimfeld. Je ne saurais vous répondre sur ce point. Lors du sommet mondial, nous nous sommes accordés, je l’ai dit, sur la nécessité d’élaborer, non pas des procédures nouvelles, mais des référentiels communs. Nous avons également décidé de publier un ouvrage à l’issue du sommet, dont nous demanderons aux 35 pays participants s’il est possible de le diffuser chez eux, ce qui n’est pas évident quand on sait les difficultés rencontrées par certains d’entre eux pour créer un comité national d’éthique.

S’agissant des espaces régionaux et interrégionaux d’éthique, ils doivent fonctionner en réseau. Pour avoir mis en place des réseaux de prévention des maladies respiratoires chez l’enfant, je pense qu’un réseau doit être une sphère, pas une structure plane. Il est sinon voué à l’échec. Si l’un de ces espaces mène une réflexion particulièrement pertinente et intéressante, le CCNE en prendra acte et lui en laissera la paternité. Je souhaite que ces espaces soient partie prenante à la réflexion à égalité avec le CCNE, celui-ci jouant le rôle d’animateur et de modérateur.

S’agissant des États généraux, je suis d’accord avec la proposition de Noël Mamère d’une conférence des citoyens. Pour autant, je m’interroge sur le biais que peut induire une présélection, pourtant indispensable car on ne peut débattre efficacement de sujets techniques avec une population qui n’a pas été préalablement informée, sauf à se satisfaire de discussions stériles. Comment opérer cette présélection ? C’est pourquoi je proposais qu’on s’appuie sur les espaces régionaux et interrégionaux et suggérais aussi que l’on puisse faire appel aux 36 000 communes de notre pays pour que des personnes dont on n’aurait peut-être pas soupçonné qu’elles s’intéressent à la bioéthique soient conviées à un débat citoyen, sans qu’il y ait eu de présélection.

M. le président. Il y a déjà eu des débats citoyens sur les OGM qui ont parfaitement fonctionné.

M. Noël Mamère. La méthodologie des conférences de citoyens a maintenant fait ses preuves. On constitue un panel de citoyens que l’on ne se contente pas d’informer mais que l’on forme véritablement à l’expertise, ce qui permet un échange fructueux avec les « experts ». Ce panel rend ensuite son avis. C’est l’excellente méthode qu’a utilisée l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur les OGM… même si les conclusions de la conférence des citoyens ont été très différentes de celles de l’Office.

M. Alain Grimfeld. Je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit Jean-Frédéric Poisson sur la chaîne de décision en matière de bioéthique et ses différents acteurs. Nous attendons, comme vous, que se mette en place le comité de pilotage des États généraux et que s’articulent, de manière constructive, les travaux des différents organismes consultés. Je ne vois pas comment le Parlement pourrait ne pas être associé, mais d’une façon dont je vous laisse seuls juges car c’est vous qui connaissez la mécanique parlementaire.

Vos propos, M. Poisson, sur la nécessité « d’encadrer la science » feraient bondir les scientifiques, hostiles à tout encadrement – je ne dis pas qu’ils ont raison. On n’a pas le droit de les priver de leur liberté de recherche en les empêchant de réfléchir et de mener certaines expériences, si celles-ci ne sont dommageables ni à la société, ni à l’espèce humaine en général. En revanche, on peut leur interdire certaines pratiques, comme, dans notre pays, le clonage reproductif. Si la recherche doit être libre, c’est une autre question que celle de l’utilisation de ses résultats.

M. Jean-Frédéric Poisson. Encadrer la réflexion est bien sûr impossible, ce n’est d’ailleurs pas souhaitable, et tel n’était pas mon propos. Mais le propre de la science appliquée au vivant, en particulier à l’humain, est que des limites à l’expérience doivent lui être posées, bien au-delà de celles qui figurent dans le code de Nüremberg, louables mais dépassées. Il faut en ce domaine dire clairement ce qui est autorisé et ce qui ne saurait l’être. Ainsi si le clonage reproductif est interdit en France, il se pratique dans d’autres pays…

M. le président. Cela reste à prouver.

M. Alain Grimfeld. Il faudrait d’abord, je l’ai dit, s’accorder sur ce qui est interdit puis sur ce qui est permis. S’il ne saurait être question d’encadrer la pensée scientifique, il faut le faire concernant ses applications. On peut ainsi décider de financer plutôt telle ou telle recherche, à travers l’Agence nationale de la recherche. Certains scientifiques sont aussi choqués par l’idée qu’on limite ce qui est permis que par celle qu’on encadre leur pensée.

Les scientifiques doivent avoir une démarche éthique. Il faut leur donner la possibilité de se demander s’il est légitime de mener telles ou telles recherches et de solliciter des subventions à cette fin. Il serait contraire à l’éthique elle-même de développer aujourd’hui une démarche éthique dans le domaine de la santé en faisant par exemple fi des aspects économiques et des contraintes budgétaires.

M. le président. Cela mérite en tout cas un débat.

M. Alain Grimfeld. Sans faire nécessairement appel au darwinisme, le problème aujourd’hui est bien celui de la continuation de l’espèce humaine sous sa forme actuelle. Tant qu’on reste dans la perspective d’une évolution ontologique de l’espèce, on demeure sur une même branche de l’évolution depuis les premiers hommes, même si l’on utilise des technologies pouvant influer sur cette évolution. On ne modifie pas le génome, seulement l’épigénétique puisqu’aussi bien le génome n’est pas une frontière étanche et qu’il faut tenir compte de tout ce qui se passe autour. On reste dans l’harmonie, concept auquel font aujourd’hui très souvent référence les Japonais. Un auteur pour lequel j’ai beaucoup de respect se demandait il y a peu pourquoi on décriait autant le maïs transgénique, faisant valoir que depuis longtemps les peuples sélectionnent les semences et que Mendel ne faisait pas autre chose avec ses petits pois. Mais à cette époque on ne touchait pas au génome, alors qu’on peut aujourd’hui le modifier en intervenant au niveau du noyau des cellules de manière soudaine, interrompant ainsi l’évolution harmonieuse de l’espèce.

Pour ma part, je considère que lorsque nous pensons de manière indépendante et libre, nous faisons tout autant progresser la science que lorsque nous suivons les courants de pensée à la mode. Affirmer que nous ne pensons pas comme les Américains par exemple sur tel ou tel problème ne signifie pas que nous arrêtons le progrès, seulement que nous proposons une autre voie de progrès. À ce propos, moi qui suis un farouche défenseur du principe de précaution, j’insiste sur le fait que celui-ci n’est pas un principe d’inhibition, contrairement à ce que prétendent ceux qui le remettent en question à ce motif, mais au contraire un principe d’action destiné à orienter la recherche, sans pour autant en entraver le développement. On ne peut pas, dans le domaine de la bioéthique, s’aligner systématiquement sur la pensée des autres et les suivre dans leur action, surtout quand les normes ont été établies sous le poids des lobbies que l’on sait, notamment auprès de la Commission européenne. Nous avons en France des scientifiques de très grande valeur qui peuvent utiliser leur intelligence d’une autre façon. Nous avons le droit de penser par nous-mêmes et différemment, non pour satisfaire à quelque mode de la singularité, mais si nous jugeons qu’il est légitime de penser ainsi. Il ne s’agit pas d’instituer un moratoire sur toutes les recherches mais bien d’ouvrir des voies nouvelles de progrès. Notre pays en est parfaitement capable, j’en suis intimement persuadé.

Les « trans-humanistes » considèrent que la vie humaine dans sa forme actuelle tend vers sa fin et que si on a les moyens technologiques de créer une autre espèce, c’est le moment de le faire. Pour eux, l’espèce humaine a vécu et doit céder place au trans-humain, en rupture totale avec l’ontogenèse. On est là au cœur de questions bioéthiques. Il ne faut pas, à ce point, confondre trans-humanisme et post-humanisme, ce dernier terme s’entendant comme la recherche des moyens d’assurer la santé à chaque individu, au sens global où l’entend l’OMS, et d’ « améliorer » l’espèce humaine pour qu’elle perdure, dans le respect de son évolution propre.

S’agissant de la prise en compte de l’environnement, y compris scientifique, de l’espèce humaine, M. Mamère, vous prêchez un convaincu. Informer la population sur la reproduction dans l’espèce humaine ou sur la bioéthique au sens large, ce n’est pas la même chose. J’ai, pour ma part, une conception extensive de la bioéthique. Je ne reviens pas sur ce point que j’ai déjà développé.

M. Nesme, j’ai déjà répondu sur la question d’une législation franco-française. Nous avons abordé concrètement la question lors du dernier sommet mondial. À cet égard, pour les 35 pays participants, la France constitue d’une certaine manière un phare en matière de bioéthique pour avoir la première créé un Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, ce qui est par ailleurs à son honneur. Si nous continuons de réfléchir à notre façon, comme nous savons le faire, sans inhiber la recherche, nous continuerons d’être écoutés. Nous ne cherchons pas au CCNE à convaincre les autres, mais à conduire une réflexion les amenant à se dire que nous n’avons peut-être pas tort. Certes, nous ne sommes pas naïfs, nous ne sous-estimons pas le poids des lobbies et n’ignorons pas que le nerf de la guerre sera l’argent. Mais nous ne devons pas nous empêcher de penser au prétexte que de toute façon, les lobbies seront plus puissants et qu’il ne sert à rien d’encadrer certaines pratiques puisqu’elles ne le seront pas dans d’autres pays. Ainsi s’agissant des nanotechnologies, nous avons l’impérieux devoir de mener une réflexion éthique approfondie à leur sujet.

M. Blisko, je pense que les espaces régionaux et interrégionaux d’éthique doivent collaborer avec les universités et les instituts de recherche et mutualiser leurs compétences. C’est précisément pourquoi nous n’étions pas favorables à une dispersion des moyens et que nous souhaitions que ces espaces aient bien pour mission aussi d’associer les universitaires.

M. le président. Je vous remercie, M. le président. Nous aurons certainement l’occasion de nous revoir.

M. Alain Grimfeld. Je reste à votre disposition, non pas intuitu personae, mais en tant que porteur du message du CCNE.

Audition de M. Axel KAHN,
président de l'université Paris V - René Descartes, directeur de recherche à l'INSERM



(Procès-verbal de la séance du 5 novembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Le moment me semble venu que notre mission d’information soit éclairée sur ce que va décider l’exécutif pour la révision des lois de bioéthique. Quand et comment seront organisés les états généraux de la bioéthique ? Une éventuelle modification du Préambule de la Constitution à laquelle travaille le comité présidé par Simone Veil, est-elle toujours d’actualité ? La révision des lois de bioéthique se limitera-t-elle à « revisiter » les lois actuelles ou choisira-t-on d’élaborer une loi de nature différente, par exemple une loi-cadre fixant les grands principes ? Il faudrait que nous obtenions sans tarder des réponses à ces questions, de façon à ne pas travailler à contretemps. À plusieurs reprises, nous avons, avec le rapporteur Jean Leonetti, demandé à être reçus par la ministre de la santé. Son directeur de cabinet m’a assuré ce matin que nous devrions obtenir prochainement ce rendez-vous. Quant aux arbitrages concernant le comité de pilotage, le déroulement et la date des états généraux, ils devraient être rendus dans les prochains jours. Nous souhaitons, pour notre part, que ces états généraux associent nos concitoyens. L’organisation d’une conférence des citoyens, déjà expérimentée dans d’autres domaines, pourrait être une bonne solution. Comme nous l’a suggéré le président du Comité consultatif national d’éthique, que nous avons auditionné hier, il serait possible de faire appel à des panels de citoyens auxquels aurait été dispensée une formation minimale et s’appuyer sur les espaces éthiques régionaux.

Nous accueillons aujourd’hui le professeur Axel Kahn, président de l’université Paris V – René Descartes, directeur de recherches à l’INSERM, membre correspondant de l’Académie des sciences, auquel nous souhaitons la bienvenue.

Le Parlement vous a, à plusieurs reprises, monsieur le professeur, entendu sur le thème de la bioéthique, encore récemment à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont vous êtes membre du conseil scientifique. Nous vous remercions de votre très grande disponibilité.

Notre mission d’information, qui a vocation à se transformer en commission spéciale d’examen du projet de loi de révision dès que celui-ci aura été déposé sur le bureau de notre assemblée, souhaiterait aujourd’hui que vous l’éclairiez sur trois points principaux.

Quelles sont pour vous les nouvelles questions éthiques qui se posent aujourd’hui et dont n’aurait pas traité la loi de 2004 ?

S’agissant de la nature même de la loi à prendre, vous avez vous-même, à plusieurs reprises, plaidé en faveur d’une loi-cadre. Comment l’envisagez-vous, notamment après la création de l’Agence de la biomédecine ?

Mes dernières questions concernent le Comité consultatif national d’éthique, que vous connaissez bien pour y avoir siégé. Comment doit évoluer ce Comité ? Quelles relations doit-il entretenir avec l’Agence de la biomédecine ? Dans ce nouveau paysage institutionnel, est-il appelé à jouer un rôle nouveau ? Si oui, lequel ?

M. le Professeur Axel Kahn. Je ne vais pas vous révéler le contenu des propositions du comité présidé par Mme Simone Veil, dont je fais partie. Mais je puis vous assurer qu’il n’y a aucun risque d’interférence majeure avec vos propres travaux. Ce comité travaille en effet sur le socle le plus haut de notre droit, le Préambule même de notre Constitution, et ne pourra que traiter des principes fondamentaux, sans entrer dans le détail des problèmes de bioéthique.

N’ayant eu connaissance des questions que vous projetiez de me poser qu’il y a une heure, j’y répondrai de manière tout à fait spontanée, en espérant que cette spontanéité ne nuira pas à la cohérence des mes réponses.

Quelles sont les évolutions nouvelles à prendre en compte lors de l’élaboration de la future loi ? Je passe rapidement sur le sujet des cellules souches, qui a fait l’objet d’innombrables auditions, colloques et publications, et dont je me suis moi-même souvent entretenu avec vous. Ce qui s’impose aujourd’hui est ce que j’avais, dès la première fois où vous m’aviez ici même auditionné sur le sujet, dit qui s’imposerait, à savoir une loi positive (et non plus un moratoire sur une interdiction comme dans le texte de 2004) autorisant les recherches encadrées sur l’embryon tout en maintenant le principe selon lequel il n’est pas pensable de créer un embryon sans projet parental, à de seules fins expérimentales. Le principe était apparu par beaucoup trop   contraignant pour le clonage dit thérapeutique, qui visait à créer un embryon cloné d’une personne afin de disposer de cellules souches ayant les mêmes caractéristiques génétiques que cette personne et donc parfaitement compatibles sur le plan immunologique. Une telle méthode, qui est loin d’être au point, transgresserait en effet le principe de ne pas créer d’embryon hors d’un projet parental. Les choses ont depuis évolué. Le transfert de noyau nucléaire est certes intéressant sur un plan scientifique mais cette méthode n’est toutefois pas la mieux à même de créer des cellules souches à usage médical. Le clonage thérapeutique, tel que défini plus haut, n’a plus grand sens – si jamais il en a eu un. Depuis quelques années, on est en effet parvenu, grâce au transfert de trois ou quatre gènes, à transformer des cellules de peau d’un malade, même âgé, en cellules ayant beaucoup des propriétés des cellules souches embryonnaires et, sans doute, un potentiel thérapeutique voisin de celui jadis allégué pour le clonage thérapeutique. Or, cette méthode dite des « cellules souches induites » (induced stem cells) ne requiert aucun prélèvement d’ovules de femmes et n’entraîne aucune destruction d’embryons. Les deux problèmes afférents se trouvent donc résolus. Ne subsistent que des interrogations scientifiques : ces cellules souches auront-elles les vertus thérapeutiques qu’on en espère ? La technique mise au point pour les fabriquer, tout à fait révolutionnaire, évoluera-t-elle de façon à limiter le plus possible tout risque cancérigène ?

Pour autant, cela rend-il inutiles les recherches sur l’embryon dans les conditions prévues dans le moratoire de cinq ans, lequel s’achève en 2009 ? Je ne le pense pas car la connaissance du développement d’une authentique cellule souche embryonnaire est indispensable pour comprendre les mécanismes du développement et partant, des maladies le concernant, sources d’infécondité ou de malformations. Ces recherches en biologie fondamentale peuvent de surcroît avoir des applications plus larges, pour comprendre, par exemple, les mécanismes de la prolifération cancéreuse. Les arguments, notamment religieux, tendant à interdire les recherches sur l’embryon dans le cadre strict défini par la loi
– recherches possibles uniquement dans un but médical, sur les seuls embryons surnuméraires sans projet parental, avec consentement des géniteurs et dans le cadre de protocoles dûment autorisés par l’Agence de la biomédecine – me paraissent peu recevables. En effet, la fécondité humaine est telle que, quel que soit le mode de fécondation, naturel ou artificiel, une minorité seulement des œufs fécondés deviennent un jour des bébés. Le problème se posera donc de faire évoluer le moratoire actuel en loi positive et de fixer des critères d’autorisation bien définis.

La terminologie utilisée dans la loi est très hypocrite. Or, celle-ci ne gagne rien au faux-semblant, fût-ce pour apaiser des inquiétudes religieuses ou philosophiques. La loi dispose en effet que le moratoire peut être levé si la recherche envisagée sur des cellules souches embryonnaires a « une finalité thérapeutique » et qu’il n’existe pas « d’alternative d’efficacité comparable ». Or, des cellules de peau adultes ne peuvent en aucun cas remplacer des cellules embryonnaires en tant que modèles d’études du développement de l’embryon humain. Une certaine hypocrisie tient également au fait que tout progrès thérapeutique est toujours précédé d’un progrès des connaissances, si bien qu’on peut aisément faire valoir que n’importe quel progrès de la connaissance est potentiellement porteur d’espoir sur le plan thérapeutique. Il me semble en revanche naturel que, comme la loi le prévoit, chaque protocole de recherche continue à faire l’objet d’une saisine de l’Agence de la biomédecine, qui apprécie au cas par cas la qualité scientifique du projet et son caractère conforme aux critères éthiques établis par la Nation. On peut penser que l’Agence traitera de manière différente une recherche visant à comprendre des malformations précoces de l’embryon et une autre portant sur les propriétés cosmétiques des cellules embryonnaires.

Pour ma part, je ne suis pas favorable à la création d’embryons hors d’un projet parental, à de seules fins expérimentales, fussent-elles les plus nobles. Si on reconnaît une spécificité irréductible et une singularité indicible à l’embryon, il me semble raisonnable d’en interdire la création à d’autres fins que procréatives et de se contenter des embryons surnuméraires, déjà fort nombreux. Je n’ignore toutefois pas que pour effectuer des recherches sur l’infécondité, notamment sur les moyens d’améliorer le pouvoir fécondant d’un spermatozoïde ou la fécondabilité d’un ovule, la seule manière de tester l’efficacité des techniques est de pratiquer des fécondations in vitro, en fabriquant donc des embryons n’étant pas destinés à être implantés. C’est là accepter de créer des embryons hors d’un projet parental. Le législateur devra, dans son infinie sagesse, envisager cette exception à la règle et l’Agence de la biomédecine et la jurisprudence permettre que s’applique l’esprit, et non la lettre, de la loi.

Il est une autre évolution sur laquelle l’intervention du législateur me paraît très difficile mais sur laquelle une absence de réflexion serait coupable. Fier du métier de généticien que j’ai exercé jusqu’à il y a peu, je suis effrayé du réductionnisme génétique qui se répand, d’une part, nourri du terreau de l’idéologie vieille de plus d’un siècle que l’on sait et, d’autre part, pour des raisons mercantiles. Si la loi ne peut, hélas, empêcher les préjugés idéologiques, elle se doit de limiter les conséquences des excès du mercantilisme. Je m’attacherai plus particulièrement à ce second aspect, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques devant élaborer un rapport sur le premier.

Il suffit de naviguer sur Internet pour mesurer d’ores et déjà les conséquences de la brevetabilité des gènes. Le caractère pour ainsi dire magique de la génétique, conjugué au développement de cette idéologie réductionniste, convainc aisément une grande partie de la population que les gènes portent bien le secret de l’avenir et permettent notamment de prédire les maladies. De plus en plus de firmes qui possèdent des brevets sur certaines techniques de génie génétique ou sur des segments de gènes, proposent à des tarifs qui décroissent rapidement – sans être jamais bon marché, ils n’en deviennent pas moins de plus en plus accessibles – des études de génome permettant, affirment-elles, de « prendre son destin génétique en mains », de mener une vie plus saine et d’éviter quantité de maladies. Au-delà des fausses promesses thérapeutiques et de cette médecine prédictive hasardeuse, on en arrive à la promotion de ce qui me paraît le comble génétique du narcissisme, en proposant à deux personnes envisageant de former un couple d’étudier la compatibilité de leurs génomes.

Sont aussi commercialisés en ligne toutes sortes de tests génétiques. L’un d’entre eux permettrait, prétend son promoteur, de savoir si l’on possède un certain gène de prédisposition au cancer du sein, mais la firme à l’origine de cette offre ne disposant pas du brevet sur les deux seuls gènes mutants de prédisposition avérée à ce cancer, BRCA1 et BRCA2, ce test n’a aucun intérêt pour l’individu mais peut avoir de graves conséquences sur le plan social, par exemple dans le domaine de l’assurance, voire, dans certains pays, entraîner des précautions particulières des employeurs ou des organismes de prêt.

Devant ce type de pratiques, il faut réagir. Cela étant, ces informations et publicités circulant sur Internet, on mesure la limite d’une loi nationale ! Il ne faut pourtant pas se résigner. Il serait intéressant à cet égard que les pouvoirs publics créent un site de référence, un réseau de ressources et d’information, largement popularisé, permettant à chacun de s’informer de manière fiable et précise sans être livré à lui-même, comme c’est aujourd’hui le cas. Le phénomène a pris une telle ampleur et devient si inquiétant qu’il me paraît du devoir des pouvoirs publics de donner aux citoyens ces moyens complémentaires d’assumer leur citoyenneté. L’exercice éclairé du libre arbitre suppose une information préalable de qualité et irréprochable.

Un autre problème tient à l’assujettissement et à l’asservissement possibles des comportements. Chacun sait que notre pensée, nos raisonnements, nos choix, nos émotions ont pour substrat anatomique, cellulaire et moléculaire, notre système nerveux central, en particulier notre cerveau. Or, il est aujourd’hui possible d’établir par imagerie médicale des corrélats neurobiologiques et structuraux de la pensée, de la décision, de l’action, de l’émotion, de l’humeur… qui permettent de connaître les circuits afférents et d’y exercer une influence. On sait ainsi qu’il suffit d’appliquer une électrode à tel ou tel endroit du cerveau pour déclencher une crise aiguë de larmes, de désespoir ou au contraire une euphorie. Seront sans doute mises au point des techniques non invasives permettant d’influer sur l’esprit et le comportement des individus. Si l’interdiction de la lobotomie ne fait pas débat, il n’en va pas de même d’exérèses chirurgicales extrêmement ciblées ou de stimulations électriques intermittentes en vue par exemple de libérer un patient de troubles psychiatriques sévères comme les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Il serait intéressant qu’un article de loi précise le cadre de ce que la République considère comme légitime ou non au regard de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». En effet, quid de la liberté dès lors qu’un asservissement du cerveau est possible par un biais chirurgical, électrique, électronique ou chimique ? Vu les progrès extraordinaires des neurosciences, il faudra préciser ce qu’il convient de protéger d’essentiel en l’homme et qui fait sa spécificité, à savoir son esprit et sa pensée.

J’en viens à la nature de la future loi. Comment faire pour qu’elle soit efficace face aux dangers les plus redoutables comme ceux que j’ai évoqués plus haut ? La science progresse si vite qu’elle sera toujours en avance sur le droit et que la loi ne pourra jamais prévoir tous les dangers ni prévenir toutes les dérives possibles. Le plus prudent et le plus efficace serait, de loin, qu’elle précise ce que la République désire protéger en l’homme sur le plan individuel et sur le plan social : autonomie, liberté, optimisation des capacités d’épanouissement de l’individu. Bref, il faut clairement « mettre les points sur les i », tout en gardant à l’esprit que ces principes risquent d’être menacés par l’évolution des sciences et des techniques, laquelle peut conduire par ailleurs à des progrès considérables – c’est bien là toute la difficulté. Il s’agit par conséquent d’améliorer tous les dispositifs permettant de traiter les situations individuelles à l’aune des principes retenus par la République. Je milite au total pour l’adoption d’une loi cadre précisant les modalités d’application de ses principes à la diversité des situations et des innovations. C’est, selon moi, la seule possibilité de suivre en temps réel les évolutions, vu la fertilité de l’imagination des scientifiques, ce qui n’interdit pas de statuer sur un certain nombre de situations fréquentes et bien connues. Mais jamais on ne pourra tout définir par avance, ce n’est pas même la peine d’essayer.

M. le Président. Ce qui règle définitivement la question de la révision des lois !

M. le professeur Axel Kahn. Pour ma part, je n’ai jamais été très satisfait du principe d’une révision obligatoire tous les cinq ans. En effet, cela signifie, d’une part, que la loi doit statuer sur toutes les techniques, ce que je ne pense pas, et, d’autre part, que les principes moraux sont partiellement solubles dans l’évolution de la science et des techniques, ce que je ne pense pas non plus. Je ne dirai pas que tous les principes moraux sont intangibles, mais certains d’entre eux le sont assurément, comme le respect de la valeur de l’autre et la réciprocité – « mes droits doivent être aussi ses droits ». Je suis donc beaucoup plus favorable à une loi-cadre explicite, énonçant ce qu’il convient de protéger d’essentiel en l’homme pour garantir le respect des valeurs fondamentales de la République, mais laissant la possibilité d’enrichir la loi en temps réel. Il faudrait ainsi que l’Agence de la biomédecine ou d’autres instances puissent saisir le Parlement si l’évolution des techniques le rend nécessaire. C’est, en tout cas, la manière de procéder qui me paraîtrait la moins artificielle.

Enfin, s’agissant de l’évolution du Comité consultatif national d’éthique, ma réponse sera vraisemblablement en deçà de vos attentes et de celles de certains membres du Gouvernement, qui ont une vision du CCNE que je ne partage pas tout à fait. Certains ont voulu que le CCNE soit uniquement un comité opérationnel, ce qu’il est d’ailleurs car la pensée éthique est une pensée casuiste ne pouvant se nourrir que de cas concrets, si bien qu’il y aura un chevauchement permanent de ses compétences avec celles de l’Agence de la biomédecine. Cependant, il faut rappeler que la mission la plus spécifique du Comité, sans doute sa fonction principale, est de s’interroger, afin d’éclairer le législateur, sur ce qui mérite d’être protégé en l’homme et que pourrait menacer l’évolution de la science et des techniques. Aucune autre instance que lui ne peut remplir cette mission-là, et certainement pas l’Agence de la biomédecine qui se prononce, elle, sur des protocoles. 

M. le Président. Je vous remercie de cet exposé et laisse maintenant la parole au rapporteur de notre mission.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Une question est pour nous essentielle : faut-il réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans, en « adaptant » la morale à l’évolution des techniques, sachant que dans l’histoire de l’humanité une technique, une fois maîtrisée, a toujours été appliquée et que jamais la morale n’a empêché sa mise en œuvre ? Imaginons qu’une découverte capitale ait lieu juste après l’adoption de la loi, qui dissipe les craintes que nous aurions pu avoir dans tel ou tel domaine, et qu’il faille attendre quatre années avant de pouvoir apporter les corrections nécessaires ! C’est pourquoi je suis, comme vous, favorable à une loi-cadre définissant ce qui est essentiel en l’homme et fixant les grands principes sur des sujets comme la brevetabilité du vivant, l’information des citoyens, ou encore le risque des dérives génétiques.

Si la science ne peut être bridée, ses applications doivent être contrôlées. Or, l’éventualité d’une modification du Préambule de la Constitution retient aujourd’hui la main du législateur. La Constitution doit réaffirmer les principes républicains fondamentaux et la loi-cadre les décliner en matière de bioéthique. Je suis défavorable au principe d’une révision tous les cinq ans, parce que je suis contre l’idée qu’il faille s’adapter en permanence aux évolutions scientifiques et techniques, mais favorable à une loi-cadre qui dirait clairement, non pas de façon définitive mais stable, ce qui est interdit et autorisé.

M. le Président. L’Agence de la biomédecine nous imposera de faire évoluer la loi.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je suis tout à fait favorable à une loi-cadre, d’autant que le législateur s’est exonéré de l’obligation de révision périodique tous les cinq ans. La loi de 1994 n’a été révisée qu’en 2004 ! Et la loi de 2004 ne le sera pas non plus dans le délai prescrit ! Cette révision périodique affaiblit les principes énoncés dans la loi.

Vous avez dit, monsieur le professeur, être hostile à la transposition nucléaire à visée thérapeutique. Quelle est votre opinion sur ce que vient d’autoriser le Parlement britannique après un long débat public, dont l’exécutif pourrait s’inspirer pour l’organisation des futurs états généraux dans notre pays, concernant les chimères, à savoir la transposition nucléaire inter-espèces, pour économiser les ovules de femmes ?

M. Serge Blisko. La révision périodique des lois de bioéthique n’est pas satisfaisante, d’autant que les décrets d’application sont toujours publiés avec retard, si bien qu’ils le sont alors que la prochaine révision est déjà entamée. Je suis d’accord sur le principe d’une loi-cadre, à condition de s’entendre sur le contenu de ce cadre.

Je soumettrai ici quelques éléments de réflexion retirés de mon expérience de président du conseil d’administration de l’hôpital Sainte-Anne, qui possède un important laboratoire de neurosciences. Vous avez parlé, monsieur le professeur, des embryons sans projet parental. Mais qu’est-ce qu’un projet parental ? Tous les psychiatres, psychologues et psychanalystes savent depuis longtemps que le concept n’est pas aussi clair qu’il peut y paraître. On ne fait pas toujours un enfant pour avoir un enfant. Ainsi peut-on souhaiter remplacer un enfant disparu, perpétuer une lignée, un nom ou faire un enfant simplement parce que l’on a rencontré une autre personne que l’on aime. On ne peut donc pas se fonder aussi simplement que cela sur l’existence ou non d’un projet parental. La réalité est plus complexe, et il n’appartient pas au législateur d’entrer dans ces considérations.

Vu les progrès dans le domaine des neurosciences, il convient de protéger l’homme en ce qu’il a d’unique, notamment sa pensée. Il existe d’ores et déjà de multiples techniques ne touchant pas au génome, encore expérimentales ou déjà expérimentées, de modification du comportement, depuis l’électro-convulsivo-thérapie, aujourd’hui utilisée pour traiter certaines dépressions sévères, jusqu’à certaines techniques chirurgicales, qui pourraient être demain utilisées dans un but non plus curatif mais préventif. Lors de la préparation de la loi sur la rétention de sûreté, on a sollicité l’avis de psychiatres sur les comportements déviants des prédateurs sexuels. Si tous ont exclu que l’on puisse pratiquer des lobotomies, la question s’est posée de savoir pourquoi ne pas détruire par certains isotopes les centres régissant les comportements déviants ou bien encore utiliser des molécules chimiques bloquant le désir – il existe d’ores et déjà l’Androcur. Par ailleurs, des médicaments d’usage plus courant comme les neuroleptiques, les anti-hallucinatoires en particulier, modifient eux aussi les comportements.

S’agissant des chimères, dont nos voisins britanniques viennent d’autoriser la création, notre compatriote Nicole Le Douarin en fabriquait depuis vingt ans ! Sans doute avons-nous été trop prudents en France et avons-nous raté de belles aventures scientifiques et thérapeutiques.

Mme Martine Aurillac. Vous avez évoqué, monsieur le professeur, avec la hauteur de vues qui est la vôtre, à la fois les menaces que peut faire peser l’évolution des sciences et des techniques sur l’humanité et les valeurs qui, à votre avis, doivent impérativement être préservées.

Je souhaiterais vous interroger sur un problème beaucoup plus concret. Lors de la précédente révision des lois de bioéthique, j’avais défendu avec acharnement la possibilité du transfert d’un embryon post mortem s’il existe un projet parental, soutenue sur ce point par notre collègue Alain Claeys. J’aimerais connaître votre position sur le sujet.

M. le Professeur Axel Kahn. Monsieur le rapporteur Jean Leonetti, vous avez posé la question du lien entre la Constitution, notamment son Préambule, et une loi-cadre de bioéthique, à laquelle chacun semble ici donner la préférence. La Constitution dispose qu’il faut protéger l’autonomie, la liberté et l’égalité des droits de l’homme, mais elle n’a pas à entrer dans le détail de tout ce qui peut la menacer. L’objet d’une loi-cadre pourrait précisément être de le décliner.

Monsieur Blisko, il n’y a pas de contradiction entre vos propos et les miens. J’ai parlé d’asservissement et d’assujettissement, pas de modification des conduites et des comportements. En effet, la psychiatrie et la psychanalyse visent à modifier le comportement des patients, mais dans le but de leur rétablir leur liberté, de restaurer leur autonomie et de favoriser leur épanouissement. Il n’y a rien de commun entre l’administration d’un traitement par Androcur ou l’utilisation d’autres techniques afin de libérer un pervers sexuel de son désir irrépressible de passage à l’acte – l’objectif de toutes ces techniques, loin d’asservir, est de libérer les individus – et l’assujettissement que j’évoquais plus haut. Le principe d’autonomie qui pourrait être réaffirmé dans le Préambule de la Constitution n’entravera pas les progrès thérapeutiques permis par les neurosciences.

Monsieur Vialatte, j’ai bien perçu la réticence symbolique à accepter le transfert nucléaire inter-espèces. Pour ma part, je ne suis pas opposé à cette technique. Je suis en effet assez agnostique, et pour moi rien n’est sacré. L’embryon a une singularité qui mérite d’être respectée, mais sa sacralité n’est pas telle qu’il ne puisse faire l’objet de recherches. Les recherches sur les modalités de la reprogrammation des gènes d’une cellule somatique quelconque placée dans un environnement ovocytaire sont extrêmement importantes. Je ne suis pas choqué que l’on puisse, à cette fin, transférer une cellule humaine de peau ou de sang dans un ovocyte de vache ou de lapine. En effet, de ce protocole expérimental, ne naîtra pas un minotaure ! Ces embryons dégénèrent rapidement. À l’inverse d’un embryon cloné, ces artefacts n’ont aucune chance de donner un bébé. Pour moi, c’est un matériau expérimental, de première importance, et rien ne me semble pouvoir justifier d’interdire ces recherches.

Les chimères de la cytologiste Nicole Le Douarin, notamment celles de caille et de poulet qui avaient pour objet d’étudier les migrations cellulaires, sont d’une tout autre nature. On aurait raison d’interdire des chimères de ce type avec des embryons humains. Une greffe d’encéphale embryonnaire animal sur de l’encéphale embryonnaire humain, au stade de trois mois, serait tout à fait contestable sur le plan éthique, en fait serait même abominable.

Oui, monsieur Blisko, la notion de « projet parental » peut recouvrir des situations fort différentes : on peut faire un bébé pour remplacer un enfant disparu, assurer la continuité d’une lignée, éviter une séparation, avoir un descendant auquel léguer sa fortune, et même faire un bébé-médicament, mais dans tous ces cas, le but est quand même bien de faire un bébé.

S’agissant du transfert d’embryon post mortem, je suis d’accord avec vous, madame Aurillac et monsieur Claeys. Le Comité consultatif d’éthique a d’ailleurs statué sur le sujet. Lorsqu’un homme et une femme ont demandé à créer des embryons in vitro, que ceux-ci ont été congelés, qu’une première tentative de fécondation a échoué, et que l’homme vient à décéder avant qu’une autre ait pu être effectuée, il ne faut pas se précipiter. Vu de l’extérieur, le mieux serait sans doute que la femme fasse le deuil du disparu et puisse aimer un autre homme avec lequel elle ait envie d’avoir un enfant. Mais si après qu’on lui aura laissé le temps nécessaire, elle veut toujours un enfant de l’homme qu’elle a aimé – ce qui ne signifie pas qu’elle n’en aimera pas un autre – et qu’elle souhaite achever la mission qu’ils s’étaient tous deux assignée, en dépit des épreuves que représente la fécondation in vitro, je ne vois pas qui mieux qu’elle aurait légitimité pour dire ce qu’il convient de faire de ces embryons congelés, en tout cas pas la République !

M. Jean-Frédéric Poisson. Un consensus semble se dessiner sur le principe d’une loi-cadre. Qu’envisagez-vous, monsieur le professeur, pour son contenu concret ? Faudrait-il par exemple prévoir un chapitre pour chacune des grandes techniques ou, plutôt, pour chaque âge de la vie ? Comment être assez concret, pour que cette loi soit réellement opérationnelle, sans pour autant se condamner à toujours courir derrière la science ?

S’agissant des cellules souches et des recherches sur l’embryon, si je vous ai bien compris, vous êtes d’accord avec le récent rapport de l’INSERM qui reconnaît la légitimité du clonage scientifique, après qu’a été interdit le clonage reproductif et accepté, sous certaines conditions, le clonage thérapeutique. Le clonage thérapeutique ne présente plus guère d’utilité, avez-vous dit, mais le clonage scientifique, indispensable à certaines recherches, doit continuer d’être autorisé. Vous avez déclaré être agnostique et n’être donc pas très sensible à ce plan symbolique-là – position éminemment respectable. Mais ce n’est pas sur ce symbole-là que je voudrais vous interroger, mais sur la part symbolique de la loi dans le cas précis du clonage scientifique. En effet, toute loi a une part symbolique, dans la mesure où elle s’applique à toute personne, dont elle ne traite néanmoins pas la situation particulière. Sans vouloir ranimer le débat sur le statut de l’embryon, je m’interroge sur les raisons pour lesquelles il faudrait solliciter un contrôle de « moralité » sur les expériences de clonage scientifique. Je ne vois pas comment on peut soutenir, d’un côté, que celui-ci doit être autorisé et, d’un autre, qu’il faut en vérifier le caractère conforme à l’éthique. À défaut de voir ce qui motive cette position, je me demande pourquoi on ne la pousse pas jusqu’à son terme.

Pour ce qui est du réseau de ressources à l’intention des citoyens que vous appelez de vos vœux, avez-vous envisagé les modalités pratiques de sa constitution et de son fonctionnement ? L’un des principaux problèmes que rencontre aujourd’hui le corps médical, et en premier lieu médecins généralistes, c’est la concurrence d’Internet.

Mme Catherine Génisson. S’il se dégage de votre exposé, monsieur le professeur, et des interventions de nos collègues qui l’ont suivie, un certain consensus sur la pertinence d’une loi-cadre, je partage les interrogations de Jean-Frédéric Poisson sur le contenu concret de cette loi et sa durée de validité, vu la rapidité des progrès de la science. Si cette loi-cadre suffisait, complétée de consultations régulières du CCNE et de l’Agence de la biomédecine, à quoi servirait le législateur ? Celui-ci n’est-il pas mieux à même de réécrire la loi si besoin qu’une Agence, quelle que soit la qualité de ses membres et aussi indépendante soit-elle ? N’a-t-il pas davantage de légitimité pour ce faire ?

M. Paul Jeanneteau . Vous avez dit, monsieur le professeur, que si les lois de bioéthique ont besoin être révisées tous les cinq ans, cela revient à admettre que nos principes moraux sont « solubles » dans la science et les techniques et qu’on accepte de se livrer à une course effrénée pour adapter la loi à leur évolution. Pourriez-vous préciser votre pensée sur ce point ? Il me semble personnellement que prévoir une clause de révision, sans en fixer de manière rigide la périodicité, nous donnerait la possibilité d’intervenir en cas de survenance d’un problème qui n’aurait pu être imaginé lors du vote de la loi.

M. Michel Vaxès. Même si des interrogations demeurent, je suis moi aussi favorable à une loi-cadre ayant pour objet de définir ce qui est essentiel en l’homme et doit, à ce titre, être préservé. Cela suppose préalablement de s’entendre sur ces principes essentiels
– on devrait y parvenir – mais aussi sur ce qu’est l’homme. Lors de son audition hier, le professeur Grimfeld, président du CCNE, a distingué l’être humain de la personne humaine. Le temps imparti ne nous a, hélas, pas permis d’approfondir la question. Si l’on ne clarifie pas préalablement ces concepts, qui relèvent d’une essence différente, et que l’on ne tire pas toutes les conséquences de cette distinction, certaines questions éthiques demeureront sans réponse.

M. le Professeur Axel Kahn. M. Poisson m’a interrogé sur la valeur symbolique de la loi s’agissant du clonage scientifique. Mon sentiment est que ce qui fait la singularité incontestable de l’embryon humain, indépendamment de toutes convictions religieuses ou philosophiques, est qu’il constitue le début éventuel d’une vie humaine. En effet, si on le laisse de développer, il deviendra un être humain qui, au contact de la société, si on lui permet de s’épanouir, deviendra un « être-au-monde », une personne humaine – processus admirable qu’il convient de protéger. La loi doit, selon moi, affirmer que, pour cette raison-là, l’embryon n’est pas banal et que l’on ne peut pas en user en toute liberté en arguant de l’utilité des manipulations qu’on lui fait subir, sans tenir compte de cette singularité. Cela ne me conduit pas à m’opposer systématiquement aux recherches sur l’embryon. Sans vouloir nourrir de polémique, je souligne que son humanité n’a jamais disqualifié les recherches opérées sur l’homme, faute de quoi il n’y aurait jamais eu de médecine : celle-ci a toujours progressé par le biais de recherches effectuées sur des individus de tous âges. Il m’a donc toujours semblé étrange qu’on polémique sur la possibilité d’effectuer des recherches sur l’embryon humain, même si on le considère comme une personne, ce qui n’est pas ma position, non plus d’ailleurs que celle de l’Église qui dit seulement que le doute sur son statut doit profiter à l’embryon – j’ai longuement débattu de ce sujet au comité d’éthique du Vatican.

En revanche, en ce qu’il peut devenir une personne, un embryon ne peut pas être créé comme du matériel. D’où ma très forte réticence à la création d’embryons à des fins scientifiques, aussi légitimes puissent-elles paraître. Ces recherches ne me semblent pas présenter un intérêt tel qu’il surpasse la prévention légitime, éthique contre leur autorisation. J’ai été choqué par le lobbying exercé par de nombreux scientifiques qui demandaient qu’on autorise le clonage scientifique au motif des progrès thérapeutiques à en attendre, tentant de faire croire au public, alors qu’eux-mêmes ne pouvaient en croire un mot, que cela permettrait de guérir d’innombrables maladies. N’ayant pas l’habitude de me taire, j’ai alors dit ce que je pensais, ce dont mes collègues m’ont beaucoup voulu.

M. le Président. Le terme « thérapeutique » a en effet été utilisé à tort et à travers, y compris pour défendre des thèses contradictoires.

M. le Professeur Axel Kahn. S’agissant du réseau de ressources, je n’ai pas réfléchi de manière très détaillée à son architecture. Mais j’envisagerais, d’un côté, une cellule de veille qui, sur Internet, appellerait l’attention sur le caractère extrêmement sensible de certaines propositions en matière de santé, et, d’un autre côté, un réseau de scientifiques travaillant en commun et pouvant répondre à une saisine de la cellule de veille et orienter le public vers le centre de ressources. Celui-ci devrait faire l’objet de toute la publicité nécessaire et être facilement accessible. Un tel ensemble ne paraît pas trop difficile à créer.

La validité de la loi, fût-elle une loi-cadre, ne peut être éternelle. La loi doit pouvoir être enrichie en continu, en temps réel précisément, et le législateur n’est absolument pas mis à l’écart, madame Génisson, mais les modifications apportées ne doivent l’être que sur des points importants. Ce qui me paraît contestable dans le principe d’une révision périodique est qu’il laisse accroire que certains principes fondateurs de la loi sont, au bout d’un certain temps, devenus à ce point caducs qu’il faut réviser l’ensemble du texte.

Prenons l’exemple, ô combien délicat, de la loi de 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse qui a dépénalisé l’avortement, ce qui constituait une révolution. Pour autant, cette loi a-t-elle totalement bouleversé les valeurs morales qui faisaient consensus ? La question qui s’est alors posée au législateur n’a pas été celle de la « chosification » de l’embryon mais de la préservation du principe moral de protection des personnes. La question était de savoir si une femme qui, de toute façon, désirait avorter pourrait le faire sans mettre sa vie en danger, alors que ce n’était pas le cas avant le vote de la loi. C’est sous cet angle que l’on a été amené à considérer qu’il fallait préserver la vie de la mère. Toute évolution des pratiques ne suppose pas systématiquement un bouleversement des valeurs morales sur lesquelles elles se fondent. Les principes moraux doivent être relativement stables par rapport à l’évolution des sciences et des techniques. Mais lorsqu’une révision de la loi sera nécessaire, le CCNE, l’Agence de la biomédecine ou d’autres instances scientifiques doivent pouvoir saisir le législateur.

Monsieur Vaxès, la bioéthique, c’est une réflexion sur les droits de l’homme lorsque celui-ci peut être l’objet – ou le sujet – d’interventions techniques nouvelles permises par les progrès de la science. Comment déterminer ce qui est licite et illicite si on n’a pas préalablement réfléchi aux raisons pour lesquelles il en est ainsi ? Il faut en effet d’abord réfléchir aux valeurs humaines que pourraient menacer certaines techniques. Ce qu’il convient de protéger en l’homme est supposé constant pour tout travail de législation en matière de bioéthique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je tiens à préciser que je ne me suis pas exprimé tout à l’heure en tant que chrétien.

Vous avez, monsieur le professeur, rappelé que l’Église, du moins celle de Rome, ne considère pas que l’embryon est une personne, mais dit qu’il convient de le protéger « comme une personne ». Mon point de vue n’était pas celui-là. Il était seulement philosophique et avait trait au continuum entre l’embryon et la personne. Quand se termine le stade embryonnaire et quand commence la personne humaine ? Toutes les écoles philosophiques se sont interrogées sur ce commencement de la personne. Si on fonde la loi sur le concept de personne alors même que l’on ne sait pas en fixer le commencement, cela pose tout de même un problème.

D’une manière générale, dans cette mission d’information, lorsque je choisirai de m’exprimer en tant que chrétien, je le préciserai. Sinon, je prie mes collègues de considérer que mon propos est d’ordre philosophique.

M. le Président. Il suffit de s’exprimer en parlementaire.

M. Michel Vaxès. Y a-t-il ou non continuum entre l’embryon et la personne humaine ? Y a-t-il à un moment changement d’état, et si oui quand ? C’est une question philosophique.

M. le Professeur Axel Kahn. Je suis en désaccord avec vous, monsieur Poisson, sur un seul point – comment être en désaccord avec des convictions religieuses ou philosophiques profondes ? – et j’espère que vous accepterez de considérer que j’ai raison : il n’existe pas de définition scientifique de la personne.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je n’ai pas dit le contraire et, sur ce point, je suis d’accord avec vous.

M. le Professeur Axel Kahn. Quand, au cours de son développement continu, l’embryon atteint-il un stade qui lui vaut le respect dû à une personne ? Les chrétiens estimaient que la personne naissait à « l’animation » de l’embryon, ce qui donnait lieu à d’innombrables débats. Certains Pères de l’Église considéraient que celle-ci était immédiate et estimaient que la meilleure preuve en était l’orgasme masculin, qui était de nature divine et que l’éjaculation manifestait l’insufflation de l’âme dès l’origine, argument auquel Saint-Augustin, qui plaçait l’animation à la première respiration, opposait qu’il y avait tant de jouissances sans procréation qu’il n’était pas possible d’imaginer que tant d’âmes se perdent…

Biologiquement, il y a bien sûr un continuum entre l’embryon et la personne humaine. La personne humaine, c’est tout d’abord un être humain au sein de la société, puis la personne qu’il devient au contact de cette société. Il y a consensus sur l’idée de protéger tous les états de développement de l’être humain apte à acquérir la plénitude des possibilités et des droits de la personne, avec le respect qui lui est dû.

La continuité d’un processus ne signifie pas identité des stades par lesquels il passe : Imaginons qu’à la fin de cette réunion, je demande à mon chauffeur de me conduire à Lyon. Mon cheminement sera continu, il n’empêche que tant que je ne serai pas à Lyon, je n’y serai pas. Les débuts d’un phénomène évolutif continu restent différents de son achèvement.

M. le Président.
Monsieur le professeur, il me reste, sur ces considérations philosophiques, à vous remercier d’avoir répondu à notre invitation. Vos réflexions nous auront, comme toujours, été de la plus haute utilité, et nous serons sans doute amenés à vous solliciter de nouveau.

Audition de M. Pierre LE COZ,
vice-président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)



(Procès-verbal de la séance du 18 novembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Maître de conférences à la faculté de médecine de Marseille, président du Centre d’études et de recherches en éthique médicale de l’Espace éthique méditerranéen de Marseille, vous êtes, depuis le mois de juin 2005, membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine où vous avez d’ailleurs suspendu vos activités depuis que vous êtes devenu vice-président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Vos travaux portent notamment sur les questions de bioéthique et d’éthique médicale, telles que les relations entre patients et professionnels de santé.

Je rappelle par ailleurs qu’en préparation de la révision des lois de bioéthique, l’Agence de la biomédecine a récemment rendu son rapport et le CCNE s’apprête à faire de même. Pour ouvrir le débat, je souhaiterais vous poser plusieurs questions.

– En premier lieu, quelle doit être la finalité de la loi de bioéthique et doit-elle être révisée tous les cinq ans ? Une loi-cadre est-elle nécessaire ?

– Comment doivent s’articuler les relations entre le CCNE et le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine ?

– Les missions du CCNE doivent-elles évoluer ? Comment garantir l’indépendance de cette institution ?

– Enfin, quels doivent être, selon vous, les objectifs et les modalités d’organisation des états généraux de la bioéthique, qui doivent avoir lieu en 2009 ?

M. Pierre Le Coz. Je vous remercie de votre invitation. Comme le professeur Alain Grimfeld, qui préside le CCNE, je considère que la loi doit déterminer quelques grands principes sans se focaliser sur des détails. Sans doute convient-il par ailleurs d’accorder une importance particulière aux questions relatives aux neurosciences et aux nanotechnologies.

J’ajoute que, sur le plan institutionnel, le président Grimfeld a impulsé une dynamique nouvelle en ouvrant le questionnement du CCNE à notre environnement, certes social et culturel mais également naturel. Si le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine s’interroge, par exemple, sur la possible levée de l’anonymat des donneurs de gamètes ou la limite d’âge à partir de laquelle un couple stérile peut accéder aux techniques d’assistance à la procréation, le CCNE, lui, se préoccupe de l’éventuelle relation entre le mode de vie moderne et le développement de la stérilité ou bien réaffirme, quelles que soient les préventions, la pérennité de certaines « lois naturelles » malgré les évolutions sociales : une femme âgée de 38 ou de 40 ans, ainsi, est moins féconde qu’une femme plus jeune. Loin de vouloir remettre en cause, de la sorte, le travail des femmes, nous voulons les aider à prendre leurs décisions en toute connaissance de cause et œuvrer afin que les pouvoirs publics favorisent une meilleure conciliation entre éducation des enfants et vie professionnelle.

Le coup d’envoi de notre philosophie du vivant humain date de 1975 et de la loi Veil : toute vie humaine doit être protégée dès son commencement, mais ce principe n’a pas une portée universelle et ne vaut que pour la plupart des cas – il est donc permis d’y déroger dans certaines circonstances, un embryon humain pouvant être détruit.

Les décennies suivantes ont été, quant à elles, marquées par les techniques d’assistance à la procréation.

Enfin, la loi du 6 août 2004 dispose que lorsqu’un couple est engagé dans une démarche de fécondation in vitro, qu’il a réalisé son projet parental et qu’il reste des embryons surnuméraires « au congélateur », ces derniers peuvent être confiés à des chercheurs dans un objectif thérapeutique. Une analogie peut être faite avec le don d’organe puisque l’on présume, en l’occurrence, le consentement de l’embryon à s’inscrire dans la grande chaîne de la solidarité avec l’espèce humaine : « plutôt que d’être détruites, autant que mes cellules soient utiles ». Je précise, à ce propos, que les couples peuvent également demander à ce que leurs embryons soient détruits. Ce dispositif me semble cohérent en ce qu’il renvoie dos à dos deux attitudes extrêmes : d’une part, le matérialisme, selon lequel l’embryon humain n’est qu’un amas cellulaire et, d’autre part, une forme de spiritualisme pour qui l’embryon est une personne humaine sacrée.

Si le législateur a jusqu’ici cherché une voie médiane – plutôt le compromis que le parti pris –, je ne suis pas néanmoins certain qu’il soit toujours resté fidèle à cette heureuse ligne de conduite car un couple peut donner un ou des embryons surnuméraires à un autre couple doublement stérile ou risquant de transmettre à un enfant une maladie d’une particulière gravité, ce qui, à vouloir coûte que coûte « sauver la peau » de cet embryon, peut amener à concevoir des enfants génétiquement orphelins qui apprendront peut-être un jour qu’ils sont restés un certain temps au fond d’un congélateur ou qu’ils ont été transférés dans le ventre de leur « mère porteuse ». À cela s’ajoute qu’ils ont des frères et des sœurs biologiques « dans la nature » et que, même si le risque d’inceste est statistiquement faible, nous savons fort bien que les hommes ne raisonnent pas uniquement à l’aide de statistiques. Sachant, enfin, que les enfants conçus avec les gamètes d’un donneur anonyme peuvent être tourmentés par la quête de leurs origines et connaissent parfois des problèmes identitaires, qu’en sera-t-il de ceux qui ignoreront tout de leurs deux parents biologiques ? Le « don d’embryon » ne manquera pas de décupler ces difficultés.

Pour conclure ce point-ci, je vous soumets un cas de figure particulier : une femme devient veuve et des embryons sont disponibles dans le congélateur. En l’occurrence, le législateur rechigne à autoriser une implantation dans l’utérus de cette femme – l’enfant qui naîtra étant orphelin de père –, mais il permet qu’il soit implanté dans l’utérus d’une autre femme, dans un autre couple ! Telle est la loi, dont on peut sans doute se féliciter que tout le monde est censé l’ignorer (Sourires) ! Outre qu’il conviendrait de se pencher à nouveau sur cette question si l’on ne veut pas multiplier les consultations chez les pédopsychiatres et les psychanalystes, nous devons nous efforcer de promouvoir une vision positive de l’humanité de manière à ce que les enfants à naître aient une vie aussi intéressante que possible.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci d’avoir souligné certaines incohérences de notre législation en la matière. Vous avez notamment insisté sur la recherche du compromis et l’intérêt de la voie médiane, qui semble s’inscrire dans la continuité de la conception aristotélicienne du juste milieu. Comment envisagez-vous la loi de bioéthique à venir ? Le législateur doit-il s’efforcer de poser des principes intangibles concernant l’être humain, tels que l’interdiction de la marchandisation du vivant ou le respect de la dignité de la personne, plutôt que de se préoccuper d’un certain nombre de détails, sachant d’ailleurs que les technologies évoluent sans cesse ?

En outre, de quelle façon conviendrait-il d’organiser les états généraux de la bioéthique de manière à ce qu’ils permettent un débat approfondi et populaire ?

Enfin, dans le domaine de la génétique, comment maîtriser la « prédictivité » de la vie dès lors que nos caractéristiques génétiques sont de mieux en mieux connues ? Ne va-t-on pas au devant de bouleversements sociaux et éthiques ? Ne risque-t-on pas de voir s’instaurer un « pan-déterminisme » négateur de la liberté et de la volonté humaines ?

M. Bernard Debré. Je suis très attaché à l’indépendance du CCNE. Par ailleurs, nous avons nos propres valeurs : si un pays décide, par exemple, de libéraliser à outrance l’accès à la procréation médicalement assistée, nous ne sommes en rien obligés de le suivre.

Si nous sommes confrontés à la pression de l’opinion publique, le désir, par exemple d’un enfant, doit-il pour autant impérativement être transcrit dans la loi ? Je n’en suis pas sûr. Si, par ailleurs, il est certes opportun de chercher une voie médiane, comment être certain d’avoir trouvé la plus juste ?

S’agissant des embryons, la religion chrétienne elle-même a formulé des avis fort différents : selon saint Basile, l’âme est présente dès la conception de l’enfant alors que, pour saint Augustin, elle ne l’est qu’au moment de sa naissance et, pour saint Thomas, au quatrième mois. Que peut dire, à ce sujet, la loi positive ?

Concernant la « prédictivité » de la vie, les problèmes sont aujourd’hui démultipliés par le fait qu’à moins de six semaines de grossesse, le sang de l’embryon circulant dans celui de la mère, celle-ci pourrait connaître une partie du génome de son enfant. Comment envisager une loi qui interdirait tout examen ? Une femme qui sait ne pourrait donc avorter quand celle qui ne saurait pas le pourrait ? Et en premier lieu, pourquoi vouloir apporter une réponse de nature juridique à ces problèmes ? Il y a en effet des risques de dérives mais l’eugénisme est aujourd’hui pratiqué tous les jours. Par exemple lorsqu’une même famille a perdu plusieurs enfants en raison d’une leucodystrophie, nous faisons déjà en sorte que cela n’arrive plus.

Si la loi peut garantir le respect absolu, pour un couple, de garder ou non son enfant, elle ne doit pas aller au-delà sans quoi, un jour, des économistes considèreront qu’il n’est pas opportun de garder un enfant gravement malade dont les soins coûteront énormément à la société et là, ce sera le totalitarisme.

Enfin, les états généraux de la bioéthique ne doivent pas être l’occasion d’un déferlement de démagogie, par exemple en matière d’achats d’ovules. Prenons donc garde aux diktats de l’opinion et veillons à préserver une certaine modération !

Mme Dominique Orliac. Je suis d’accord avec vous, M. Le Coz, pour dire que les femmes ne sont pas suffisamment informées sur les âges de la fécondité et que c’est une notion qu’il conviendrait de développer. En revanche, je ne comprends pas la différence que vous faites entre un enfant issu d’un double don de gamètes et un enfant né d’un don de spermatozoïdes. Pensez-vous que le premier sera plus fragile psychologiquement ?

M. Henri Emmanuelli. Vous semblez hostile, M. Le Coz, à ce qu’un enfant puisse avoir une hérédité génétique inconnue. Qu’en est-il d’un enfant adopté, dont on ignore les origines ? Et ceux-là seront-ils davantage amenés à s’allonger sur le divan que les personnes dont les parents étaient épouvantables ? Il serait bien difficile de produire des statistiques dans ce sens.

Dans quelle mesure l’évolution des connaissances en médecine prédictive risque-t-elle de conduire à l’eugénisme ? Une majorité de jeunes parents à qui je demandais s’ils auraient choisi la couleur des yeux ou la taille future de leur enfant s’ils en avaient eu la possibilité m’ont répondu par l’affirmative. Il semble y avoir quelque chose d’irréversible dans ce mouvement. Faut-il pour autant s’en inquiéter ? Ces pratiques heurtent des croyances dont on dit qu’elles sont pérennes mais elles ne datent que de quelques milliers d’années, ce qui est peu à l’échelle de l’évolution biologique.

Prenons garde à ne pas sacraliser les principes actuels concernant l’être humain. Lors de l’examen par le Parlement de la loi relative à la bioéthique, j’ai été frappé par le front commun que francs-maçons et chrétiens traditionalistes avaient constitué sur la question du clonage thérapeutique. Je me suis d’ailleurs plu à scandaliser certains de mes collègues en affirmant que j’attendais avec impatience de me voir greffer une seconde paire de bras afin de pouvoir manger tout en lisant mon journal !

Le déterminisme scientifique va-t-il l’emporter ? Faudra-t-il ménager la place du hasard et de la nécessité ? J’entends votre plaidoyer en faveur du juste milieu mais je pense que nous ne devons pas nous laisser atterrer par cet inconnu monumental.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous avez souligné, M. Le Coz, l’une des incohérences de la loi concernant l’assistance médicale à la procréation (AMP). J’en vois une autre : la loi interdit le double don de gamètes mais elle autorise le transfert d’embryons.

S’il est vrai que l’intérêt supérieur de l’enfant doit nous guider, les techniques de l’AMP doivent-elles être réservées aux stérilités d’origine biologique ou concerner également les stérilités d’origine sociologique ? En d’autres termes, les couples homosexuels doivent-ils pouvoir en bénéficier ?

S’agissant des tests génétiques, je redoute la dictature de l’ADN. Pourtant, tout n’est pas écrit à la naissance.

Enfin, pensez-vous qu’il faille mener une réflexion approfondie et légiférer sur les neurosciences ? Une équipe de Necker vient par exemple de poser des implants intracérébraux sur des patients souffrant de trouble obsessionnel compulsif. Mozart, dont tout porte à croire qu’il était atteint du syndrome de la Tourette, aurait-il composé de la même manière s’il avait subi une telle opération ?

M. le président Alain Claeys. Plusieurs questions portent sur la procréation médicalement assistée et le diagnostic préimplantatoire (DPI). L’encadrement législatif des tests génétiques et de la médecine prédictive est-il suffisant ? Comment organiser et animer les états généraux afin notamment qu’ils ne laissent place au diktat de l’opinion ? Les précédentes lois de bioéthique ne traitaient pas des neurosciences : faut-il légiférer dans ce domaine ?

M. Pierre Le Coz. Un enfant de couple lesbien, issu d’un don de gamètes anonyme, sera exposé aux mêmes difficultés de l’existence qu’un autre, mais il devra composer avec une contrainte psychique supplémentaire, dont il faut se demander si elle peut faire sens dans le développement de sa personnalité. Je vous l’accorde, il existe bien un primat du sociologique sur le génétique, mais il est impossible de faire fi du besoin de connaissance des origines exprimé par les enfants nés d’un don de gamètes anonyme.

Comme l’a affirmé M. Debré, notre société est eugéniste. Mais il s’agit d’un eugénisme négatif, qui permet d’éviter le drame que constitue pour une famille la naissance d’un enfant sévèrement handicapé. L’argument consistant à dire que des génies comme Mozart ou Pascal n’auraient pas vu le jour si les techniques de dépistage avaient existé pèche par sa faiblesse : quelles sont les chances qu’un enfant atteint d’un handicap lourd a de développer de telles capacités ? Je suis favorable à un eugénisme négatif, de conseil, qui ne soit imposé ni par la sécurité sociale, ni par la pression de l’opinion publique.

Les états généraux consisteraient, dans les villes moyennes, à rassembler les citoyens autour de professionnels – médecins, juristes, philosophes. Ces derniers, en faisant valoir leur expérience, permettraient aux opinions de se stabiliser, tant il est vrai qu’un sujet comme celui des mères porteuses ou des enfants trisomiques est porteur d’émotions. Il n’y a pas d’éthique sans émotion, mais il importe de passer l’impression immédiate au crible d’autres émotions, plurielles, afin de la réviser.

L’enfant issu d’une insémination avec donneur anonyme doit-il connaître la vérité sur son origine ? Il appartient aux parents affectifs – effectifs – de le lui taire ou de lui dire. Si tel est le cas, une solution de compromis, sur le modèle anglais ou suisse, consisterait à permettre au jeune adulte de 18 ans d’avoir accès à des données non identifiantes sur le donneur, avec l’accord de celui-ci, pour que l’enfant ne soit pas enfermé dans un mur du silence.

À la différence du thème des mères porteuses, les neurosciences font peu débat, bien qu’elles emportent des conséquences beaucoup plus graves. Ce serait là tout l’intérêt des états généraux que de permettre à des spécialistes du cerveau d’expliquer les applications existantes et à venir de la neurochirurgie. Celle-ci permet certes de réduire les tremblements ou les effets d’un trouble obsessionnel compulsif. Mais qu’en est-il des dépressions sévères qui peuvent s’ensuivre ? Trouvera-t-on le moyen, par une simple manipulation, de supprimer une addiction au tabac, par exemple ? Il faut se réjouir que, après le vote des lois de bioéthique, le principe de précaution ait été inscrit dans la Constitution.

M. Paul Jeanneteau. Pourriez-vous, M. Le Coz, préciser votre réponse à la question de M. Emmanuelli sur les difficultés psychologiques, selon vous différentes, qu’éprouverait un enfant né d’un double don de gamètes et un enfant adopté ?

Vous vous dites favorable à un eugénisme négatif, de conseil, laissant in fine la décision au couple, en prenant notamment l’exemple de la trisomie 21, dont on sait que des personnes peuvent être plus ou moins lourdement atteintes, certaines d’entre elles pouvant mener une vie relativement normale, si tant est que l’on puisse définir la normalité d’une vie. Dès lors, où placez-vous le curseur ?

M. Pierre Le Coz. L’enfant adopté existait préalablement à son accueil. C’est une tout autre chose que de créer de toute pièce un enfant « adoptif ».

L’eugénisme de conseil donne lieu à un colloque singulier entre le couple et le médecin, ce dernier devant faire preuve de franchise. Je ne souhaite pas un retour à des comportements religieux, traditionalistes, qui sacralisent l’embryon.

M. Olivier Jardé. Quelles que soient les origines de l’enfant, l’important est l’amour que lui porte ses parents. Les statistiques montrent que si un enfant meurt tous les deux jours des sévices infligés par ses parents biologiques, la maltraitance est beaucoup moins le fait des couples homoparentaux.

M. Pierre Le Coz. Un couple lesbien peut donner davantage d’amour à son enfant issu d’un don de gamètes mais il n’est pas exclu qu’il se sépare. Je n’attends pas de la médecine de la reproduction qu’elle donne des conditions optimales d’épanouissement, mais qu’elle fasse naître des enfants « ordinaires ». C’est la raison pour laquelle je suis favorable à ce que l’on privilégie les stérilités d’origine biologique plutôt que les stérilités accidentelles, dues à un choix de vie.

M. Bernard Debré. Dix-huit ans n’est pas l’âge le plus adéquat pour accéder aux données non identifiantes sur le donneur de gamètes car c’est un âge difficile, déstabilisant pour le jeune adulte, qui fait notamment l’expérience des premiers déboires amoureux. Par ailleurs, ce débat ne manquera pas de relancer la question de la connaissance des origines des enfants nés sous X.

S’agissant des stimulations cérébrales, le traitement de la maladie de Parkinson ne pose pas problème. Si l’on évite de trop légiférer, les choses s’imposeront d’elles-mêmes, comme ce fut le cas des greffes du cœur. Ce qui ne laisse pas d’inquiéter aujourd’hui, ce sont les greffes de neurones issus de cellules souches, pour traiter non plus des maladies dégénératives mais des pathologies héréditaires, comme cela semble être le cas pour certaines formes d’autisme. Doit-on aller jusqu’à changer l’Homme ?

M. Jean-Marc Nesme. Je rappelle tout de même que, dans l’expression « eugénisme négatif », il y a « eugénisme ». En outre, qu’entendez-vous par « compromis » ? De proche en proche, ne risque-t-on pas de promouvoir ce que l’on appelle déjà aux États-Unis le transhumanisme, selon lequel l’espèce humaine actuelle étant vouée à disparaître, il convient de travailler dès maintenant à son remplacement ?

M. Paul Jeanneteau. Si la loi n’a peut-être pas à dire précisément ce qu’il est licite de faire, elle peut en revanche exprimer très clairement ce qui est proscrit – cela pourrait être d’ailleurs le sens d’une loi-cadre.

En outre, s’il n’est nullement question d’empêcher les chercheurs de travailler dans le domaine des neurosciences, nous pouvons néanmoins nous interroger sur ce qu’Axel Khan appelle l’« asservissement des comportements ».

M. Pierre Le Coz. Certains observateurs avaient prédit une dérive eugénique à la suite de l’autorisation, en 1994, du diagnostic préimplantatoire (DPI) mais, outre que les professionnels sont restés, me semble-t-il, assez raisonnables, le législateur a fort bien fait d’évoquer une « affection d’une particulière gravité incurable au moment du diagnostic » sans élaborer pour autant je ne sais quelle liste. À cela s’ajoute le fait que si le risque de développer un cancer du sein peut certes être évalué, les niveaux de gravité ne sont pas les mêmes entre ses différentes formes.

Enfin, le législateur se doit de rester raisonnable en évitant d’anticiper des maux qui n’existent pas.

M. le rapporteur. Nous le constatons, c’est au nom des valeurs que nous cherchons et trouvons le compromis. L’éthique n’est rien d’autre qu’un questionnement sur ces dernières lorsqu’elles sont confrontées à des techniques nouvelles. Il ne s’agit pas, bien entendu, de refonder la cité sur un substrat religieux mais de dégager un consensus, fût-il provisoire et précaire, sur ce qu’il n’est pas possible de faire et de définir un socle de valeurs communes. La loi doit incarner cette forme particulière de transcendance.

M. Henri Emmanuelli. Je suis assez d’accord avec ce point de vue mais à condition de spécifier qu’en aucun cas la recherche ne doit être entravée.

M. Bernard Debré. Il est certes intéressant de se situer sur le plan des principes mais voulons-nous ou non créer des embryons à des fins de recherche, comme le font les Anglais ? Voulons-nous ou non créer des chimères homme-animal ?

M. le président. Outre qu’au fil des auditions la notion de loi-cadre semble de plus en plus s’imposer, je note tout de même que la loi aujourd’hui, même si elle entre dans les détails, se situe déjà un peu dans cette perspective. Je vous remercie, M. Le Coz, pour votre intervention.

Audition de M. Henri ATLAN,
directeur d’études à l’École des Hautes études en sciences sociales,
ancien membre du Comité consultatif national d’éthique



(Procès-verbal de la séance du 25 novembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Henri Atlan, philosophe et biologiste de grande renommée, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique de 1983 à 2000. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les questions de bioéthique, parmi lesquels L’utérus artificiel, en 2005, ou bien encore Des embryons et des hommes, en 2007.

Notre mission d’information souhaiterait vous interroger sur plusieurs points. Selon vous, la loi de bioéthique d’août 2004 -tel est son nom, même si je sais que vous contestez le terme de bioéthique- doit-elle évoluer vers une loi-cadre, sachant qu’il existe aujourd’hui un opérateur institutionnel en matière de bioéthique, l’Agence de la biomédecine ? Dans ce nouveau contexte, le législateur ne devrait-il pas plutôt se concentrer sur les grands principes de bioéthique ?

Quelles modifications seraient, selon vous, nécessaires en matière d’assistance médicale à la procréation ? Faut-il autoriser l’accès à ces techniques aux femmes célibataires et aux couples homosexuels ? Que faut-il entendre par « couple stable », la loi actuelle réservant l’AMP aux « couples hétérosexuels stables » ? Quel est votre avis sur le transfert d’embryon post mortem ?

Faut-il, selon vous, lever l’interdiction des recherches sur l’embryon posée par la loi de 2004, un moratoire de cinq ans ayant toutefois été décidé ?

Enfin, que pensez-vous de la transposition nucléaire inter-espèces ? J’utilise à dessein cette expression-là, car la terminologie revêt ici une extrême importance. Sur ce point, votre éclairage nous paraîtrait particulièrement intéressant.

Avant de vous laisser la parole, j’informe les membres de la mission que Jean-Sébastien Vialatte et moi-même avons remis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le rapport d’évaluation de la loi d’août 2004 prévu par cette loi elle-même. Ce rapport comporte des recommandations, mais il fait aussi état d’interrogations. Il est destiné à alimenter les réflexions de l’Assemblée, mais ne constitue pas une proposition de réforme de la loi de 2004. Un autre rapport de l’Office devrait suivre, spécifiquement consacré aux cellules souches. Le Comité consultatif national d’éthique va rendre prochainement son rapport et le Conseil d’État fera de même. L’Agence de la biomédecine a, quant à elle, publié le sien il y a quelques semaines.

Je vous laisse maintenant la parole.

M. Henri Atlan. N’étant pas juriste, il me sera difficile de répondre directement à vos questions sur ce qu’il faut faire. Je ne puis qu’essayer de clarifier autant que possible la terminologie. Le vocabulaire utilisé pour toutes ces questions est en effet souvent impropre, à commencer par le terme même de bioéthique. Cela conduit à d’interminables débats sémantiques quand il conviendrait de débattre de techniques, de procédures et d’actes, et de leurs conséquences éventuelles.

Faut-il une loi-cadre ou une loi du type de celle actuellement en vigueur ? Je suis bien embarrassé pour répondre. Il est désormais évident que les grands principes dans ce domaine sont inopérants et, de manière irréversible semble-t-il, une approche casuistique s’impose, chaque technique et chaque situation devant être examinées au cas par cas. Il arrive ainsi que des techniques très proches soient l’une admise, l’autre non. Ainsi en est-il des thérapies géniques humaines, lesquelles sont traitées différemment selon qu’il s’agit de thérapies touchant aux cellules somatiques ou aux cellules germinales. De même, a-t-on distingué entre le clonage thérapeutique et le clonage reproductif, alors que la première étape de technique est la même. Les lois de 2004 et 1994, ayant été prises avec une conscience aiguë qu’il était très difficile de traiter ces questions à partir de grands principes sur lesquels chacun pourrait s’accorder, il a été décidé qu’elles seraient révisées au bout de cinq ans -délai qui n’a pas été respecté pour la loi de 1994 et ne le sera sans doute pas non plus pour celle de 2004.

Si les techniques d’assistance médicale à la procréation ont permis d’apporter une solution à bien des couples infertiles, leur pratique a soulevé de nouveaux problèmes. Ces techniques elles-mêmes constituent une nouveauté radicale puisque, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la procréation peut être dissociée de la sexualité -macroscopique s’entend, car bien entendu au niveau microscopique, l’alliance de deux gamètes mâle et femelle demeure nécessaire. Si la sexualité sans procréation constitue un trait distinctif de l’espèce humaine, la procréation sans sexualité n’avait jamais été possible auparavant.

La question de qui décide de faire des enfants se pose également de manière nouvelle. Autrefois, les enfants naissaient sans être programmés, dès qu’un couple se formait, et si l’on ne voulait pas d’enfants, mieux valait ne pas constituer un véritable couple. La contraception a permis le contrôle des naissances et la planification familiale, la décision d’avoir ou non un enfant appartenant toujours à la femme en dernier ressort -souvenons-nous du slogan féministe « Un enfant si je veux quand je veux. » – et étant en tout état de cause prise dans l’intimité du couple.

L’assistance médicale à la procréation a bouleversé la donne. En effet, la décision implique désormais l’intervention d’un tiers, à savoir la société par le biais de l’équipe médicale qui met en œuvre les techniques appropriées. Celles-ci étant très coûteuses, la question se pose de savoir qui peut, de fait et de droit, y avoir accès. Les législations diffèrent fortement selon les pays : l’éventail des solutions est très vaste. À un extrême, se situent les États-Unis et le Canada, où la valeur suprême réside dans la liberté de l’individu, auquel revient toujours la décision finale -qu’il soit homme, femme, qu’il vive seul ou en couple, homosexuel ou hétérosexuel. À l’autre extrême, se situe la France où c’est la société qui décide qui a droit aux techniques d’AMP, en l’espèce seuls les couples hétérosexuels stables. Ces deux positions extrêmes présentent chacune des avantages et des inconvénients. La position individualiste nord-américaine respecte le désir de chacun en toute circonstance mais crée une inégalité économique, une sélection par l’argent, puisque chaque bénéficiaire doit supporter le coût financier de l’opération. La position française a le mérite de préserver l’égalité, du moins en théorie, puisque les frais sont pris en charge par la société mais implique ce que certains considèrent comme une intrusion insupportable dans la vie privée des individus.

La question du désir d’enfant se pose elle aussi de façon nouvelle. Comme tout désir, le désir d’enfant peut être aliéné et ainsi que l’a souligné Claire Brisset, ancienne Défenseure des enfants, il peut n’être qu’éphémère. L’assistance médicale à la procréation a changé la nature même de ce désir. Dans la procréation non médicalement assistée, le désir d’enfant est passif : il s’agit de laisser faire la nature en ne s’opposant ni à la conception par une méthode de contraception ni à la grossesse par une IVG. Dans la procréation médicalement assistée, le désir est au contraire actif puisqu’il faut, avec l’intervention de tiers, mettre en œuvre une technique, parfois très sophistiquée. Ce désir parfois se décourage mais peut aussi se renforcer devant les obstacles, surtout posés par la loi, comme l’interdiction faite à telle ou telle catégorie de personnes de recourir à l’AMP. Dans ce contexte, la satisfaction de ce désir est revendiquée comme un droit à l’enfant. Mais quelle est la nature véritable de ce droit à l’enfant ? Il existe des droits n’impliquant aucun devoir en retour de la société, comme celui pour un individu d’aller passer des vacances où bon lui semble pour le prix qu’il veut, et d’autres, comme le droit à l’éducation ou à la santé, dont l’exercice effectif exige une intervention de la société. Ce « droit à l’enfant » me paraît personnellement difficile à défendre.

Grâce aux techniques d’AMP qui multiplient les options possibles de filiation, ce désir d’enfant biologique aboutit paradoxalement à renforcer le rôle de la construction sociale dans l’établissement de la filiation, sur le modèle de l’adoption. Il existe une ambiguïté sémantique dans le terme même de « biologique ». En effet, un « enfant biologique » peut s’entendre comme un enfant naturel, issu du corps, ou au contraire comme un enfant artificiel, conçu grâce à des techniques biologiques. L’enfant biologique est souvent opposé à l’enfant adopté, mais pour satisfaire ce désir d’enfant naturel, il faut recourir à des techniques artificielles. On parlait d’ailleurs autrefois de « procréation artificielle », expression peu à peu remplacée par celle, sans doute moins choquante, « d’assistance médicale à la procréation ». La seule distinction qui existait par le passé était juridique entre enfant légitime, né dans le cadre du mariage, et enfant naturel, né hors du mariage. L’enfant légitime n’en était pas moins naturel mais son statut, attaché au mariage de ses parents, différait de celui de l’enfant dit naturel. Cette distinction a quasiment disparu, remplacée par celle entre enfant biologique et enfant non biologique, au sens d’enfant social sur le modèle de l’enfant adopté. Il est intéressant de noter que la même ambiguïté se retrouve pour l’agriculture dite biologique qui, se voulant naturelle, refuse des techniques biologiques comme celle des organismes génétiquement modifiés.

Tout cela témoigne des incohérences d’une morale naturaliste qui prétend ériger en principe le respect de la nature – de quelle nature parle-t-on d’ailleurs ? – en oubliant toutes les techniques et tous les objets artificiels qui constituent notre environnement depuis si longtemps que nous nous y sommes habitués et qu’ils nous sont devenus « naturels ». On a ainsi oublié qu’il était naturel pour l’espèce humaine de transformer la nature, y compris la sienne propre.

La satisfaction du désir d’enfant biologique à tout prix, conjuguée à l’affaiblissement des structures familiales traditionnelles, multiplie les possibilités de choix de filiation, qui peuvent être éclatés entre de multiples parents -trois, quatre, voire davantage- dont chacun est partiellement parent biologique, partiellement parent social. C’est à ce point qu’intervient la législation, car il appartient à la loi de définir les droits de la famille et les structures familiales auxquelles ils s’appliquent. La législation diffère d’un pays à l’autre -on peut le déplorer dans un monde où la circulation des biens et des personnes s’intensifie -, mais ces différences présentent un avantage. En effet, les nouvelles structures familiales qui se mettent en place constituent autant d’expérimentations sociales en temps réel. Autant on prête attention aux expérimentations biologiques sur l’homme et on s’efforce de les encadrer, autant on néglige les expérimentations sociales, lesquelles ne sont pourtant pas dénuées de danger. Que des sociétés différentes expérimentent des structures familiales différentes peut permettre d’utiles comparaisons. Prenons l’exemple de la gestation pour autrui -pour laquelle, soit dit au passage, se pose aussi un problème de terminologie. On parlait autrefois de mère porteuse ou de mère de substitution, termes à connotation assez péjorative alors que gestation pour autrui renvoie à l’expression d’une solidarité. Là encore, au-delà des mots, il faut analyser les pratiques. Si la gestation pour autrui peut en effet marquer une authentique solidarité, comme dans le cas où une femme porte un enfant pour une sœur qui ne peut en avoir, elle peut aussi conduire à un trafic de location d’utérus ou à des ventes d’enfants. Si l’on souhaite légiférer en ce domaine, ce qui sera probablement nécessaire, il faudra éviter les pièges de la sémantique, se libérer du poids du vocabulaire et ne pas tenter des généralisations hasardeuses.

J’en viens à la question des cellules souches embryonnaires cultivées en laboratoire dans un but de recherche purement scientifique ou thérapeutique, en dehors de tout projet de procréation. Cette question, qui n’est qu’indirectement liée à celle de procréation médicalement assistée, lui est malheureusement trop souvent associée. La confusion est venue de ce que les premières lignées de cellules souches embryonnaires, notamment chez l’animal, ont été obtenues à partir d’embryons avortés ou fabriqués par fécondation in vitro. Transposée à l’espèce humaine, cette technique est apparue comme une instrumentalisation de l’embryon qu’une partie de l’opinion et certains courants religieux considèrent comme une offense à la dignité humaine. La confusion est encore plus profonde : elle tient là aussi à une terminologie ancienne impropre concernant les découvertes actuelles de la biologie, notamment la biologie moléculaire, dite post-génomique ou biologie des systèmes. Mais ce n’est pas là affaire seulement de vocabulaire car les mots véhiculent des représentations. Les progrès de la biologie ont creusé un fossé grandissant entre les représentations traditionnelles de la vie et de la mort et les représentations nouvelles nées des dernières découvertes de laboratoire.

Permettez-moi à cet instant une digression. Une confusion a été entretenue, qui a des conséquences pratiques, par un va-et-vient incessant entre des concepts assez récents de la biologie comme ceux de gène, de cellule ou d’évolution génératrice des espèces animales, y compris de l’espèce humaine, et des notions plus anciennes, traditionnelles, qui ne recouvrent pas toujours les nouvelles, comme celles d’embryon, de conscience, d’humanité, de vie elle-même. Les définitions anciennes ne sont plus pertinentes et les nouvelles sont évolutives. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on peut aujourd’hui créer des artefacts biologiques. Autrefois, seules la physique et la chimie permettaient de fabriquer des objets artificiels, la physique des machines, la chimie des substances synthétiques, alors que la biologie était surtout une science d’observation. Or, aujourd’hui, les biotechnologies permettent de fabriquer des objets artificiels vivants. C’est l’objet même de ce qu’on appelle la biologie de synthèse. Il existe déjà des animaux transgéniques qui ont été créés à partir du transfert d’un gène d’une espèce dans le génome d’une autre espèce : là encore, la terminologie peut être trompeuse. Certains biologistes, sans doute emportés par l’enthousiasme devant des souris transgéniques synthétisant des protéines humaines parce que leur a été transféré un gène humain, ont à tort parlé de « souris humanisées » comme si le gène transféré portait avec lui je ne sais quelle part d’essence de l’homme alors qu’il n’est qu’un fragment d’ADN, c’est-à-dire un ensemble de molécules. Cela a nourri toutes sortes de fantasmes sur la transgression de la barrière entre espèces, laquelle n’est bien évidemment pas parfaitement étanche, et cela depuis fort longtemps.

Les découvertes les plus récentes de la biologie ont balayé les définitions traditionnelles de l’embryon. Je ne traiterai pas ici de la question, fort ancienne, de savoir à partir de quand un embryon est une personne humaine mais d’une question radicalement nouvelle, qui se pose en amont, et qui est de savoir à partir de quand une cellule ou un groupe de cellules doit être considéré comme un embryon. La réponse était autrefois évidente : il y avait un embryon dès la fécondation, c’est-à-dire dès la fusion d’un ovule et d’un spermatozoïde. Mais aujourd’hui qu’en est-il d’un ovule transformé, sans fécondation, après transfert d’un noyau de cellule adulte ? Il n’y a aucune raison a priori de considérer cet artefact de laboratoire comme un embryon. La naissance de la brebis clonée Dolly ayant apporté la preuve qu’il était possible de faire naître un animal après transformation d’un ovule, sans fécondation, on a appelé embryon l’ovule ainsi transformé. On voyait notamment l’organisme futur contenu tout entier en puissance dans le génome. Or, cette conception se révèle erronée. Il est en effet apparu que tout n’était pas inscrit dans les gènes, contrairement à ce qui nous a si longtemps été dit. Les retombées théoriques du clonage de mammifères, longtemps tenu pour impossible, ne sont pas pour rien dans cette révolution de la biologie qu’on appelle biologie post-génomique ou biologie des systèmes.

Schématiquement, aux XVIIIe et XIXe siècles, deux conceptions des mécanismes du développement embryonnaire s’opposaient : d’une part, le pré-formationnisme, dont les tenants considéraient que l’œuf contenait un organisme adulte en miniature – dans le cas de l’homme, un homunculus – et que son développement se limitait à un accroissement de taille ; d’autre part, l’épigenèse, dont les tenants pensaient que les structures de l’organisme apparaissaient au fil du développement. Personne ne croyait plus depuis déjà longtemps à la théorie de l’« homunculus » quand la biologie moléculaire des années soixante a, durant quelques décennies, suscité un néo-pré-formationnisme. On a en effet alors pensé que le génome était un programme de développement n’ayant qu’à être exécuté, et la notion d’épigenèse a totalement disparu des manuels de biologie -toute une génération d’étudiants n’en a jamais entendu parler ! Or, aujourd’hui, on reconnaît que le programme génétique -à bien distinguer du code génétique qui est, lui, une réalité incontestable- n’existe pas, qu’il ne s’agissait que d’une métaphore, d’intéressante devenue contre-productive. La découverte d’une plasticité cellulaire insoupçonnée dans les mécanismes moléculaires de régulation de l’activité des gènes a révolutionné la vision des choses. On s’est ainsi aperçu que l’organisme contrôlait les gènes au moins autant que les gènes ne le contrôlaient. D’où l’importance désormais donnée à l’épigénétique.

Contrairement à ce qui a été trop souvent affirmé, toutes les possibilités de développement ne se trouvent pas d’emblée dans une cellule initiale : ces possibilités s’ajoutent les unes aux autres au fur et à mesure du développement lui-même. Et une implantation réussie dans un utérus est une condition sine qua non pour qu’on puisse parler d’embryon. Dans le cas d’une fécondation in vitro, les Anglo-saxons parlent d’« embryon pré-implantation » et l’on peut légitimement se demander s’il s’agit d’un embryon. Dans le cas d’un transfert nucléaire, il est évident que l’artefact n’est pas encore un embryon. Avec la juriste Mireille Delmas-Marty, nous avons proposé de le dénommer « pseudo-embryon » bien qu’il puisse, sous certaines conditions, d’implantation utérine notamment, devenir un embryon.

Le gradualisme observé dans l’évolution comme dans le développement conduit à abandonner les définitions essentialistes au profit de définitions évolutives, plus complexes à appréhender. De même que l’essence de l’arbre n’est pas dans le germe et que celui-ci, qui n’est pas un arbre, peut en devenir un, ce qui n’est pas un embryon peut en devenir un et ce qui n’est pas un être humain peut en devenir un. Dans un avenir proche, ces conceptions deviendront plus évidentes. En effet, des chercheurs américains et japonais ont réussi, en activant certains gènes, à dé-différencier des cellules de peau humaine, c’est-à-dire à les faire revenir à un stade antérieur de leur développement et à les transformer en cellules souches pluripotentes, aux propriétés semblables à celles des cellules souches embryonnaires. Cette découverte a été perçue comme une panacée pour le futur puisqu’elle dispenserait pour obtenir des cellules souches d’utiliser des embryons et même des « pseudo-embryons », de quelque nature que ce soit. Mais la situation risque de se compliquer si on parvient demain à dé-différencier encore davantage ces cellules adultes pour les transformer non plus en cellules pluripotentes mais totipotentes, c’est-à-dire susceptibles de produire des organismes entiers et de se développer effectivement comme si elles étaient des embryons. Ce serait la réalisation chez les mammifères d’un processus qui existe déjà chez les végétaux : le bouturage. Mais dès lors, cela signifiera-t-il que n’importe quelle cellule adulte, de peau par exemple, devra être considérée comme un embryon puisqu’elle pourrait se comporter comme tel ? La même question se poserait dans le futur si les recherches permettaient de faire naître des mammifères par parthénogenèse, c’est-à-dire par stimulation adéquate d’un ovule, sans fécondation ni même transfert nucléaire. Dans ce cas, un ovule non fécondé devrait-il être considéré lui aussi comme un embryon ?

J’en viens au transfert nucléaire inter-espèces, qui a suscité un nouveau débat. Le transfert d’un noyau de cellule adulte humaine dans un ovule énucléé de lapine constitue une voie nouvelle pour fabriquer des cellules souches embryonnaires, explorée pour la première fois il y a quelques années par une chercheuse chinoise que j’ai rencontrée à Shanghaï, et récemment autorisée en Grande-Bretagne, malgré l’opposition d’une partie de l’opinion qui dénonce la fabrication de chimères ou d’embryons hybrides, comme on les appelle, hélas, à tort. Cette terminologie malheureuse, dont les biologistes sont en large partie responsables, nourrit un faux débat : il ne s’agit en effet ni d’embryons, car il n’y a aucune chance que des organismes entiers se développent à partir de ces cellules doublement artificielles, ni de chimères, car celles-ci sont des organismes dont toutes les cellules ne possèdent pas les mêmes gènes. Il existe différentes catégories de chimères, naturelles et artificielles. Des chimères spectaculaires ont été fabriquées il y a plus de trente ans en fusionnant des embryons, l’un de mouton, l’autre de chèvre, et en les laissant se développer jusqu’à donner un animal mi-chèvre mi-mouton. Après cette expérience menée à son terme, la possibilité de fabriquer des chimères homme-chimpanzé a été immédiatement envisagée, ce qu’a expressément interdit la loi de 1994. Or, ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit avec les artefacts créés par transfert cellulaire. Les cellules souches ainsi produites possèdent les propriétés génétiques des cellules humaines d’où a été prélevé le noyau avec son génome. Quant à l’ADN des mitochondries du cytoplasme animal, il est probable qu’il sera possible de le faire disparaître et de le remplacer par celui de mitochondries humaines prélevées en même temps que le noyau. Parler de transgression de la barrière inter-espèces est abusif car il n’y en a pas là davantage que lors de l’utilisation d’une prothèse animale.

Je conclurai cet exposé en insistant sur l’importance d’une terminologie adéquate et rigoureuse pour parler de ces réalités nouvelles. Cela relève en premier lieu de la responsabilité des chercheurs eux-mêmes. La chercheuse chinoise qui a, la première, publié sur le sujet ne s’est jamais permis d’appeler ces constructions cellulaires autrement qu’« unités de transfert nucléaire inter-spécifiques ». Les chercheurs anglais ont, hélas, voulu employer une expression plus courte, plus facilement traduisible, et parlé d’« embryons hybrides », ou pis, d’« embryons chimériques mi-animal mi-humain ». Mais la terminologie utilisée relève aussi de la responsabilité des médias qui en reprenant tel ou tel terme, lui donnent de l’écho. De ce seul fait, ils orientent le débat public vers un débat sémantique plutôt que sur le fond. Puisque cette audition est ouverte à la presse, j’en appelle à la rigueur et à la responsabilité des journalistes, vu l’importance de leur rôle critique dans la transmission des informations au public non spécialiste.

M. le président. Je vous remercie de cet exposé et, pour ouvrir le débat, donne la parole à notre rapporteur.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous vous êtes livré, Monsieur Atlan, à un exercice rigoureux de sémantique. Les mots disent en effet davantage qu’il n’y paraît. Ils masquent parfois l’intention réelle de ceux qui les prononcent et peuvent servir à dissimuler une transgression des valeurs fondamentales. Ainsi un sigle comme GPA – gestation pour autrui – peut recouvrir bien de fausses solidarités…

La bien mal nommée « bioéthique » est-elle une réflexion de l’homme sur les techniques qu’il est capable de développer au regard de valeurs universelles et destinée à les contrôler ? Bien que vous ayez, par prudence ou par modestie, souligné que vous n’étiez pas législateur…

M. Henri Atlan. C’est un fait !

M. le rapporteur. ... et dit n’être pas un farouche partisan d’une loi-cadre, vous avez cependant fait référence dans votre propos à certaines valeurs. Vous avez parlé d’instrumentalisation de l’embryon, c’est-à-dire de chosification de la potentialité humaine. Lorsque vous dénoncez le « droit à l’enfant » et l’opposez au désir d’enfant naturel, au-delà de la sémantique, vous dénoncez bien une instrumentalisation de l’enfant, qui de sujet devient objet. Vous nous avez démontré de remarquable manière que le déterminisme total n’existe pas et que tout n’est pas écrit d’avance dans nos gènes non seulement parce que notre environnement peut interagir avec notre génétique, mais aussi parce que l’homme est un être social qui ne vit et ne se construit que par les autres. Dès lors, il faut, au-delà de la potentialité, prendre en compte l’intentionnalité. Si en transférant le noyau d’une cellule adulte humaine dans un ovule animal, on obtient une cellule pluripotente, on ne crée pas pour autant un embryon car d’une part, même une implantation utérine ne conduirait pas au développement d’un organisme viable, d’autre part telle n’est pas l’intention. En revanche, si l’on utilise la même technique pour essayer de cloner un individu à partir de cellules adultes, par quelque moyen que ce soit, l’intention est bien de cloner un homme, technique absolument condamnable car l’être humain y devient pur objet.

Au nom de quoi interdire telle ou telle pratique si on ne définit pas au préalable des valeurs communes ? Pourquoi n’est-il pas illégitime de dé-différencier une cellule adulte pour la rendre pluripotente alors que transférer un noyau de cellule adulte dans un ovule avec la même intention transgresserait les valeurs éthiques que nous défendons ? Dans ce non-dit, où s’entremêlent nos valeurs, qu’elles se fondent sur des convictions religieuses ou sur un humanisme laïc, et qui sont en tout cas le produit de notre société, de notre histoire et de notre culture, au nom de quoi telle technique nous paraît dans certains cas légitime parce qu’elle fait progresser la science et qu’elle n’est pas mise en œuvre dans l’intention d’instrumentaliser l’individu ni de réifier l’humain et dans d’autres, condamnable car elle transgresse des valeurs fondamentales ? Même si cette réflexion globale est assurément plus difficile que de décider au cas par cas ce qui est permis et interdit, ce qui doit être encadré et ce qui peut ne pas l’être, il faut bien à un moment dire au nom de quelles valeurs, au-delà de nos convictions politiques, au-delà de notre foi ou de notre agnosticisme, on interdit, on autorise, on encadre. Quels que soient les termes utilisés pour désigner les expérimentations, il faut bien expliciter sur quoi se fondent nos choix.

Opposant l’individualisme nord-américain à l’esprit collectif qui imprègne encore la législation française, vous avez dû distinguer le droit-liberté – j’ai le droit de satisfaire comme je l’entends mon désir individuel – du droit-créance – je demande à la société qu’elle me permette de le satisfaire. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait, plutôt que de répondre au cas par cas aux situations qui se présenteront, lesquelles iront se multipliant dans une complexité croissante du fait de l’évolution des techniques, préalablement définir un certain nombre de valeurs communes, en un mot dire quelle société nous voulons ?

M. Bernard Debré. Les mots ont d’autant plus de force qu’ils prêtent à contresens. D’où toutes les ambiguïtés relevées. Le désir a-t-il vocation à être traduit dans une loi et d’ailleurs peut-il l’être ? La question vaut pour le désir d’enfant comme pour le désir de mort.

Tout n’est pas inscrit dans le génome, avez-vous dit, Monsieur Atlan. Certes, et si le rôle de l’épigénétique est de mieux en mieux connu, il n’empêche que certaines malformations ou maladies sont inscrites dans les gènes et qu’on sait parfaitement identifier les gènes mutés qui induisent la mucoviscidose, ou les gènes BCRA1 et BCRA2 qui prédisposent très fortement à développer un cancer du sein. Dans ces conditions, la conséquence, inévitable, de l’assistance médicale à la procréation est l’eugénisme, que les équipes médicales pratiquent déjà. Ainsi un couple qui avait eu trois enfants atteints de leucodystrophie a demandé qu’on vérifie dans le génome de l’embryon de son quatrième enfant que ne figurait pas le gène muté donnant cette maladie, et il est en effet techniquement possible de voir si l’enfant à naître sera ou non atteint de leucodystrophie. De même, des couples dans la famille desquels existent plusieurs cas de maladie d’Alzheimer précoce, dont on sait le caractère génétique, ont souhaité être sûrs que l’embryon de leur futur enfant n’était pas porteur du gène muté en question, et on a accédé à leur demande. Si l’expression du génome est fortement modulée par l’épigénétique, il n’en reste pas moins qu’y sont détectables de manière certaine quantité de caractéristiques.

En Argentine, des vaches ont d’ores et déjà reçu un gène humain leur permettant de sécréter dans leur lait un précurseur de l’insuline utilisable pour traiter le diabète chez l’homme. On peut imaginer que d’autres animaux ou d’autres plantes puissent ainsi recevoir des gènes leur permettant de fabriquer des produits ou sous-produits humains, techniques qui ne me choquent d’ailleurs pas outre mesure. Peut-on parler d’« humanisation » des animaux ou plantes concernés ? Non bien sûr, il n’empêche qu’il s’agit de substances normalement produites par l’homme qui le seront désormais par des animaux ou des plantes, et que cela peut poser des problèmes éthiques, notamment si le gène transféré l’est dans les cellules germinales.

M. Jean-Sébastien Vialatte. J’aimerais connaître, Monsieur Atlan, votre sentiment sur la légitimité des Parlements à encadrer les recherches scientifiques. N’est-ce pas porter atteinte à la liberté des chercheurs et les législateurs ne seront-ils pas de toute façon toujours en retard par rapport à la science qui progresse de plus en plus vite ?

Vous avez qualifié de « pré-embryon » l’ensemble de cellules embryonnaires tant qu’il n’est pas implanté et parlé d’« artefacts » dans le cas de transposition nucléaire inter-espèces. Il est d’ores et déjà possible de commencer à faire se développer ces « pré-embryons » et ces « artefacts », et nul doute que la science permettra d’aller de plus en plus loin dans leur développement. À quel stade faudra-t-il s’arrêter pour que cela demeure acceptable sur le plan éthique ?

M. Serge Blisko. Beaucoup de questions ont déjà été posées par MM. Debré et Vialatte, que je partage et sur lesquelles je ne reviens pas. Je m’interroge, pour ma part, sur l’universalité des valeurs dites universelles. Il me semble qu’il existe un fonds commun de valeurs sur lesquelles nous nous fondons pour interdire par exemple l’eugénisme et le meurtre. Pourrait-on en traiter de nouveau, de manière accessible à tous, au moment où les progrès de la biologie nous permettent de franchir certaines frontières ? Peut-on fixer des limites aux progrès scientifiques et médicaux ? Est-il totalement utopique de songer à préserver la pleine liberté des chercheurs et de faire appel à leur sens de la responsabilité ? La même question s’était posée après le lancement de la première bombe atomique.

L’assistance médicale à la procréation représente un formidable progrès pour les familles en « panne d’enfant » mais aussi pour celles où sévissent de très lourdes maladies génétiques, que le diagnostic pré-implantatoire permet d’éviter à leur descendance. Aujourd’hui, sur 800 000 enfants chaque année dans notre pays, quelque 10 000 naissent après AMP. Certes, toutes les techniques n’ont pas le même coût -l’insémination artificielle à partir d’un donneur anonyme de sperme n’est pas coûteuse-, mais dans l’ensemble elles coûtent très cher à la société. On a donc posé des limites pour des motifs prétendument médicaux -ainsi les AMP ne sont-elles plus prises en charge par la Sécurité sociale pour les femmes au-delà de 42 ans, au motif que les chances de succès seraient très faibles-, alors qu’ils ne sont qu’économiques. Cet eugénisme économique me choque quelque peu. Pourrait-on engager dans notre pays un débat, qui n’y est pas toujours bien vu, sur la question de l’« enfant à tout prix », dans toutes les acceptions du terme ?

M. Henri Atlan. Il est des situations où il est indispensable que le législateur intervienne. Mais il n’a ni à encadrer la recherche ni à orienter les programmes en fonction de leurs applications potentielles, celles-ci étant de toute façon quasiment impossibles à prévoir. Autant laisser les chercheurs conduire librement leurs recherches pour ne se pencher qu’ensuite sur leurs retombées, étant entendu qu’il faut les interdire si elles sont nuisibles et les encourager si elles sont bénéfiques. La recherche appliquée doit elle aussi, à mon avis, être libre. Il s’agit simplement d’apprécier l’application de certaines techniques.

M. le président. Pour être concret, interdire les recherches sur les cellules souches embryonnaires et décréter un moratoire ne relève pas pour vous du rôle du législateur ?

M. Henri Atlan. En effet, car une telle décision est trop générale. Et nous en venons là à la question des valeurs universelles. En-dehors de celles énumérées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, j’avoue avoir du mal à dire concrètement ce que l’on pourrait tenir pour des valeurs universelles. Chaque philosophie et chaque religion se fonde sur un corpus de valeurs qu’elle tient pour universelles, dans tous les cas avec d’excellentes raisons. Le problème est que ce corpus varie selon les philosophies et les religions. Autrement dit, il ne s’agit que d’universels singuliers -si je puis me permettre cet oxymore. Les valeurs défendues en l’espèce par chacun ont vocation à l’universalité, mais concrètement, elles ne sont pas universelles. Pour parvenir à une éthique universelle concrète, il faudrait précisément tenir compte de toutes les conceptions du monde à la fois et les faire progresser peu à peu en espérant qu’elles se rapprochent.

Pour avoir été longtemps membre du Comité consultatif national d’éthique, j’ai observé que lorsque nous étions interrogés sur telle ou telle technique, dans la plupart des cas nous tombions très rapidement d’accord sur la nécessité de l’autoriser, de l’interdire ou de l’encadrer, et qu’il était beaucoup plus facile de nous accorder sur une conclusion que sur les raisons qui nous y avaient amenés. Mieux valait ne pas demander pourquoi nous étions tombés d’accord !

M. le rapporteur. Comment pouvez-vous imaginer qu’on arrive à prendre position sur des cas concrets sans se fonder sur des valeurs universelles ?

M. Henri Atlan. Chacun se fonde sur des valeurs différentes, qu’il tient pour universelles. Le nombre de solutions possibles à un problème donné est en général limité -oui, non ou oui sous certaines conditions- alors que le nombre de visions du monde, de conceptions philosophiques et religieuses est beaucoup plus grand. Il n’est donc pas étonnant que des conceptions différentes, voire totalement opposées, aboutissent néanmoins à des conclusions identiques. C’est ce que l’on constate dans les réunions des comités d’éthique. Penser qu’on va préalablement définir des valeurs universelles d’où découleront naturellement les décisions à prendre, c’est aller à coup sûr à l’échec. Il faut au contraire laisser ouvert au maximum le champ des conceptions possibles du monde, ce qui n’empêche en rien de parvenir à un accord. Je ne dis pas qu’il ne faut pas définir de principes, je mets simplement en garde contre le caractère potentiellement contre-productif d’une telle façon de procéder.

M. Michel Vaxès. Contrairement à vous, Monsieur Atlan, je ne pense pas qu’il soit très difficile de définir des valeurs universelles.

M. Henri Atlan. Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je puis facilement définir des valeurs universelles. Je sais simplement qu’elles ne sont pas vraiment universelles dans la mesure où un très grand nombre de personnes ne les partage pas.

M. Michel Vaxès. Pour moi, la dignité de la personne humaine est une valeur universelle. La dignité n’a pas de prix et la personne humaine se distingue de la marchandise précisément en ce qu’elle n’a pas de prix et ne peut s’échanger. Il faut donc prendre en compte le double critère de l’intentionnalité et du respect de la dignité.

M. Bernard Debré. Il est très difficile de définir la dignité. Quelle est celle d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ? Ne dépend-elle pas du regard que nous portons sur elle ?

M. Michel Vaxès. Je parle de la dignité inhérente à la personne humaine et une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, quel que soit son état, est aussi digne que toute autre. Et cette dignité-là me paraît bien une valeur universelle.

M. Henri Atlan. La dignité de la personne humaine apparaît en effet comme la valeur de référence pour toutes les questions d’éthique biomédicale. Le problème est que nul n’est capable de la définir. Pic de la Mirandole déjà écrivait un Discours sur la dignité humaine. L’UNESCO a récemment organisé un colloque sur ce thème -dont les actes ont été publiés dans un numéro spécial de la revue Diogène, introduit par Claude Lévi-Strauss. Il y a été mis en évidence que le concept n’était pas aussi clair qu’il pouvait y paraître. Les mots mêmes de « dignité » et de « personne humaine » sont extrêmement difficiles à traduire dans certaines langues non-occidentales. Cela ne signifie pas que ces notions n’existent pas dans la culture chinoise ou japonaise, mais elles n’y recouvrent pas exactement la même chose que chez nous. La personne humaine est au départ une notion juridique romaine qui a permis de distinguer entre les citoyens, les esclaves qui avaient un statut intermédiaire, les animaux et les choses. Cette notion, qui a elle-même évolué, est loin d’être universelle, comme en atteste la difficulté de traduire le mot en chinois ou en japonais. J’ai souvenir de débats que nous avons eus, Mireille Delmas-Marty et moi, avec des chercheurs et des philosophes chinois sur les questions éthiques soulevées par le clonage reproductif humain. Nous nous y sommes d’emblée heurtés à cette question de la personne. Il nous était très difficile de comprendre ce que les Chinois entendaient par « personne humaine ». Quant à nos interlocuteurs, ils projetaient sur ce qu’ils croyaient avoir compris de l’anglais « human person » des catégories qu’ils pensaient émaner de religions monothéistes et considéraient, à juste titre, qu’elles ne valaient pas pour eux, qui n’étaient pas monothéistes. Ils furent très surpris d’apprendre que la notion de personne humaine valait dans un cadre beaucoup plus large que celui des religions monothéistes. Il est donc très difficile de prétendre que la notion de dignité de la personne humaine, telle que nous la concevons vous et moi, est universelle. La difficulté est encore plus grande quand il s’agit de la faire s’incarner concrètement.

Un mot sur l’eugénisme évoqué par Bernard Debré. Je crois, pour ma part, à un déterminisme absolu, mais celui-ci n’est pas génétique. Il existe, d’une part, un déterminisme biologique non exclusivement génétique, d’autre part, des déterminismes sociaux et culturels. Et c’est parce que nous ignorons, heureusement sans doute, les causes et mécanismes de ces différents déterminismes que nous pensons agir librement. Il existe bien entendu un certain déterminisme génétique. Mais les maladies génétiques monogéniques, c’est-à-dire dont il est possible d’affirmer en toute certitude qu’elles résultent de la mutation d’un gène donné et que la présence de cette mutation conduit dans tous les cas à la maladie, sont assez rares. On pense bien sûr à la mucoviscidose et à la chorée de Huntington, mais il est rare que cela soit aussi simple. Pour la plupart des pathologies, il ne suffit pas de posséder le gène muté pour développer la maladie et à l’inverse, celle-ci peut apparaître même en l’absence du gène muté. Ainsi la maladie de Creutzfeld-Jacob est-elle une maladie multifactorielle, génétique, infectieuse avec les prions et dégénérative. Je comprends qu’on se pose la question de savoir s’il faut laisser naître des enfants ayant une probabilité très élevée de développer des maladies aussi graves que la mucoviscidose ou la chorée de Huntington mais je considère personnellement qu’il ne s’agit pas là d’eugénisme. L’eugénisme est une politique collective de sélection de populations entières, pas seulement d’individus. Au début du 20ème siècle, tous les généticiens étaient eugénistes, leur objectif étant d’améliorer ce qu’ils appelaient la "race humaine".

M. Bernard Debré. Platon déjà en avait parlé…

M. Henri Atlan. Ces généticiens pensaient disposer du moyen d’améliorer l’espèce humaine, auquel Platon avait en effet songé bien avant eux. Certains, notamment ceux qui se sont mis au service du pouvoir nazi, ont essayé de mettre en pratique cette idéologie mais la génétique sur laquelle ils s’appuyaient était erronée et les techniques qu’ils utilisaient des plus rudimentaires. En revanche, dans le diagnostic pré-implantatoire tel qu’actuellement pratiqué, le recours à la génétique est efficace, mais dans un nombre limité de cas bien précis de maladies monogéniques. Il n’y a aucune raison d’appeler eugénisme cette médecine préventive même si elle a recours à des techniques génétiques.

M. Bernard Debré. Je suis favorable à ces techniques qui relèvent en effet de la prévention. Mais qu’on le veuille ou non, il s’agit bien d’eugénisme individuel. La loi doit expressément disposer qu’elle n’intervient pas en ce cas. Car dire à une mère que l’enfant futur malformé ou gravement malade qu’elle porte sera à sa charge parce qu’elle savait que tel était le cas et qu’elle a décidé en toute connaissance de cause de le garder, ce serait du fascisme. Elle doit décider librement de ce qu’elle fera, étant entendu que la société doit l’aider si elle choisir de garder cet enfant.

M. Henri Atlan. Ce qui me semble source de confusion est d’invoquer le spectre de l’eugénisme pour parvenir à cette conclusion, sur laquelle nous sommes d’accord.

M. Serge Blisko. Le législateur vote le budget de la nation. Sachant que tout ne peut être financé, nous devons en débattre ouvertement, sauf à accepter le principe d’une sélection par l’argent, d’ailleurs hélas déjà à l’œuvre, ceux qui en ont les moyens financiers pouvant accéder à des techniques que d’autres ne peuvent se payer. Aussi désagréable cela soit-il d’aborder ces questions, il ne faut pas les occulter, car toutes ces techniques sont extrêmement coûteuses, et que si nous n’intervenons pas, elles seront de fait réservées aux plus fortunés.

M. Bernard Debré. Il ne faut pas sous-estimer le risque que, si nous interdisons une pratique dans notre pays, ceux qui veulent absolument y avoir recours -et en ont les moyens - aillent à l’étranger.

M. Henri Atlan. Nous n’avons pas repris le terme de « pré-embryon » utilisé par les chercheurs anglo-saxons pour désigner l’embryon avant le quatorzième jour – seuil d’ailleurs discutable. Nous disons, nous, que lorsqu’il s’agit d’artefacts de laboratoire, il n’y a aucune raison de parler d’embryon, et, partant, de redouter une instrumentalisation, puisque tant que cet ensemble de cellules n’est pas implanté dans un utérus, il n’a aucune chance de donner un bébé -à moins que ne soit un jour mis au point un utérus artificiel, ce dont on est loin ! L’idée qui a longtemps prévalu selon laquelle cet ensemble de cellules était une « personne potentielle » ou une « potentialité de personne » – la différence entre les deux était subtile ! – était née de l’illusion du tout-génétique à une époque où on pensait que tout était écrit dans le génome et que le programme génétique n’avait plus qu’à être exécuté. Or, on sait désormais que tel n’est pas le cas. Il n’y a donc aucune raison de donner le nom d’embryon à ces artefacts de laboratoire tant qu’ils ne sont pas implantés dans un utérus.

M. Bernard Debré. Des expérimentations d’implantation de « pré-embryons » dans des utérus animaux ont actuellement lieu.

M. Henri Atlan. Mais cela ne marche pas.

M. Bernard Debré. Ce qui ne marche pas aujourd’hui peut marcher demain !

M. Henri Atlan. En effet. Si on est en passe un jour d’implanter un tel artefact dans un utérus avec une chance avérée qu’il devienne un embryon, alors la question se posera de savoir si cela doit ou non être autorisé. Mais tant qu’on n’en est pas là, elle ne se pose pas. Les Anglais qui ont autorisé le transfert nucléaire inter-spécifique ont exigé la destruction de ces matériaux de recherche avant le quatorzième jour et interdit toute implantation utérine.

M. le rapporteur. S’il n’y a d’embryon qu’à partir du moment où une implantation utérine est réussie, qu’en est-il d’un ovule de femme fécondé par un spermatozoïde d’homme dans les conditions normales d’un rapport sexuel, qui ne s’implante pas dans l’utérus ?

M. Henri Atlan. C’est un embryon avorté.

M. le rapporteur. Vous parlez quand même d’embryon. Ce n’est donc pas l’implantation utérine qui est déterminante dans la caractérisation d’un embryon.

M. Henri Atlan. Vous évoquez le cas d’une fécondation naturelle et vous vous placez dans le cadre ancien de réflexion où la question de la définition même de l’embryon ne se posait pas. Vous faites référence à des notions essentialistes…

M. le rapporteur. Non. Je demande seulement comment s’appelle un ovule fécondé qui ne s’implante pas.

M. Henri Atlan. Un embryon avorté, je l’ai dit. Mais dans le cas d’artefacts de laboratoire, ce n’est pas un embryon. Il faut accepter le principe de définitions évolutives. Quelque chose qui n’est pas un embryon peut, sous certaines conditions, en devenir un, mais tant que ces conditions ne sont pas réunies, il n’en est pas un.

M. le rapporteur. Un artefact de laboratoire ne pouvant selon vous être désigné comme embryon qu’à partir du moment où il serait implanté avec succès dans un utérus, je voulais simplement savoir si un ovule fécondé ne s’implantant pas était ou non un embryon.

M. Henri Atlan. C’est un embryon. Mais sous le même nom, on peut désigner deux choses différentes.

M. le rapporteur. Le produit d’un artefact ne s’appelle un embryon que s’il est implanté dans un utérus alors que le produit d’une fécondation naturelle non implanté s’appelle quand même embryon ?

M. Henri Atlan. Des objets différents peuvent avoir le même devenir.

M. Bernard Debré. Votre définition, Monsieur Atlan, met mal à l’aise face à l’avortement par RU 486 par exemple.

M. Henri Atlan. Je cherche à ce qu’on se défasse des définitions essentialistes. La question de savoir ce qu’est un embryon n’est plus pertinente du fait qu’il est désormais possible de fabriquer sans fécondation des artefacts qui pourraient se développer jusqu’à donner des bébés. Appellera-t-on embryon un ovule le jour, pas si lointain, où la parthénogenèse sera possible ?

M. le rapporteur. Si un ovule peut à lui seul donner à terme un bébé, nécessairement fille d’ailleurs, il me semble qu’avant cette fille, avant cette personne humaine, il y a bien eu à un certain stade un embryon…

M. Henri Atlan. N’importe quel ovule devrait donc être qualifié d’embryon ?

M. Bernard Debré. Non, n’importe quel ovule ayant subi la stimulation, mécanique ou chimique, adéquate pour enclencher un développement cellulaire.

M. le président. Il me reste à remercier Henri Atlan. Nous aurons à coup sûr à revenir sur toutes ces questions, dont nous n’avions pas eu l’occasion de débattre en 2004.

Audition des représentants de la Grande Loge de France, de la Grande Loge Nationale Française, de la Grande Loge Féminine de France et du Grand Orient de France


(Procès-verbal de la séance du 9 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président. Pour cette première table ronde, nous avons le plaisir d’accueillir plusieurs représentants de la franc-maçonnerie : M. Gilbert Schulsinger, Grand Maître honoris causa de la Grande Loge de France ; le docteur Serge Ajzenfisz, président du groupe de réflexion éthique de la Grande Loge de France ; M. Christian Hervé, représentant de la Grande Loge Nationale Française, professeur, directeur du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine Paris V ; Mme Françoise Grux, Grande Maîtresse adjointe, et Mme Marie-Anne Mevel de la Grande Loge féminine de France ; M. Jean-Pierre Foucault, président de la commission de bioéthique et de la santé publique du Grand Orient de France.

La loi de 2004 devrait être révisée en 2010. Plusieurs structures ont rendu leur rapport et fait connaître leur évaluation de cette loi : le Comité national d’éthique ; l’Agence de la biomédecine ; l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. Ce sera bientôt le tour du Conseil d’État.

Lorsque le projet de loi sera déposé à l’Assemblée nationale, cette mission d’information se transformera en commission spéciale. Au premier semestre 2009, auront lieu les États généraux de la bioéthique. Leur comité de pilotage composé de six membres, dont trois parlementaires, s’est réuni hier sous la présidence de M. Jean Leonetti. Nous pourrons vous présenter début janvier le dispositif et vous indiquer comment il s’articulera avec le travail parlementaire.

Je vous propose, mesdames et messieurs, de nous présenter ce qui, selon vos obédiences respectives, mérite d’être changé dans la loi de 2004, et sur quoi le législateur devrait revenir en 2010. Toute contribution écrite de votre part sera la bienvenue, si vous souhaitez compléter votre intervention.

M. Gilbert Schulsinger, Grand Maître honoris causa de la Grande Loge de France. Il y a cinquante-cinq ans que l’on a découvert la structure de l’ADN. Depuis, les progrès scientifiques et techniques ont été considérables. Nous sommes aujourd’hui très loin des débats sur la pilule contraceptive ou l’interruption volontaire de grossesse légalisée par Mme Veil. Les problèmes d’aujourd’hui étaient inimaginables il y a quelques années et les progrès vont plus vite que notre réflexion. C’est pourquoi il est si difficile de légiférer sur la bioéthique ; cela exige, paradoxalement, de faire preuve à la fois d’audace et de prudence, et l’on ne saurait faire de lois parfaites. Peut-être n’avons-nous pas suffisamment anticipé les conséquences de ces progrès scientifiques et devrions-nous déjà nous interroger sur l’avenir proche – je pense notamment à l’ingénierie génétique, aux nanobiotechnologies et aux neurosciences. L’enjeu sera, vraisemblablement, de défendre la liberté de l’individu et peut-être même de prévenir certaines formes d’asservissement. Mesdames et messieurs les députés, vous êtes les premiers concernés par ces règles de la République que vous devez défendre. Nous, les Francs-Maçons de la Grande Loge de France comme des autres obédiences, sommes également épris de la liberté de l’individu et, surtout, soucieux de ne pas accepter l’asservissement subreptice que pourraient permettre les recherches sur les neurosciences – vous savez déjà ce que l’on peut faire avec les puces à ADN.

M. Serge Ajzenfisz, président du groupe de réflexion éthique de la Grande Loge de France. La perspective de la révision de la loi met en lumière deux sortes d’enjeux assez contrastés. D’abord il s’agit d’encadrer le progrès scientifique et technique – par exemple la recherche sur les cellules souches. La recherche fondamentale doit se développer en liberté, sans être morale par nature, et nous ne pouvons pas nous défausser sur les savants de ce qui est devenu notre responsabilité collective de citoyens « éclairés ». Ensuite, c’est de l’équilibre du fonctionnement et de l’évolution de la société dans son ensemble qu’il s’agit. Les sujets concernés sont complexes, difficiles à encadrer, et relèvent de valeurs morales controversées. Enfin et surtout, il s’agit de régler des contradictions : ici la méthode et le dialogue, dont la franc-maçonnerie a une longue expérience, peuvent nous aider. Notre tradition initiatique s’inscrit dans un humanisme tolérant qui a pour but l’amélioration et l’émancipation pacifique de l’humanité. Elle associe l’exercice de la rationalité intellectuelle à la pratique d’une spiritualité ouverte et non dogmatique.

S’agissant de la recherche scientifique et médicale, notre légitimité à intervenir dans le débat nous semble assez grande. La liberté de la recherche est indissociable du principe de responsabilité dont nous nous réclamons. Notre démarche n’étant pas dogmatique, elle se fonde sur l’adoption de principes de discernement, pour évoluer vers une science responsable.

La révision de la loi devrait permettre d’approfondir des questions essentielles, comme la non marchandisation du vivant, le principe de l’inviolabilité du corps humain et le niveau de dissociation entre sexualité et reproduction.

Sans doute faudrait-t-il également que la loi apparaisse moins comme un catalogue d’interdictions a priori, assorti d’éventuelles dérogations. La construction de projets globaux, y compris un dispositif d’encadrement, fondés sur le dialogue entre la communauté scientifique et des représentants de la société civile, constituera, à cet égard, un réel progrès.

Le contexte international doit aussi constituer un sujet de réflexion dans un univers d’enjeux économiques et financiers considérables.

S’agissant des questions à dominante sociétale - comme le « droit à l’enfant », la pluri-parentalité, notamment homosexuelle, la gestation pour autrui, l’utilisation des tests génétiques, les risques d’eugénisme - le sujet est beaucoup plus complexe et appelle à l’évidence une grande prudence.

Dans le cadre de notre groupe de réflexion éthique sur la révision de la loi de 2004, nous nous sommes appuyés sur les résultats d’un questionnaire adressé à nos frères, dont ressort un certain nombre de conclusions.

Sur le don d’organes, la loi de bioéthique traduit des choix essentiels qui, en France, dans un esprit de fraternité ou de solidarité, se concrétisent à ce jour, à travers trois grands principes : le consentement, la gratuité, l’anonymat. Nous sommes pour le maintien de ces trois principes, même si le problème de « l’indemnisation » des dons de gamètes, en particulier des ovocytes, sera certainement à examiner de plus près.

Nous sommes clairement contre l’idée de brevetabilité des éléments du corps humain.

Nous sommes peu favorables à l’assistance médicale à la procréation pour les couples homosexuels. Nous sommes dans l’ensemble très réservés quant à la légalisation des maternités de substitution, car elle poserait inévitablement le problème d’une « indemnisation » de la mère porteuse, voire d’une marchandisation du corps humain. Il faudrait dans ces cas un contrat « éthique » et non marchand. Enfin, l’interdiction du transfert posthume reste un problème non résolu, mais il devrait être possible d’envisager sa levée.

À l’occasion de la loi de 2004, une interdiction formelle avait été prononcée en France s’agissant de la recherche sur l’embryon, en particulier au regard des possibilités de clonage. La question reste en débat et le moratoire va jusqu’en 2011. Nous n’avons pas d’objections de principe concernant la recherche sur l’embryon surnuméraire sans projet parental, avec un encadrement très strict pour éviter les dérives. Reste la question de la création d’embryons pour la recherche. Nous y sommes favorables dans les mêmes conditions. La recherche sur les cellules souches embryonnaires devrait pouvoir se faire, là encore, avec le même cadre. Sur les cellules souches adultes, il n’y a pas de problème ; c’est de la recherche classique.

Le colloque du 2 octobre 2007 organisé par l’Agence de la biomédecine, le Conseil de l’Europe et le ministère de la santé sur les tests génétiques en accès libre a mis en lumière le risque que crée la possibilité de trouver sur Internet, sans aucun contrôle, toutes sortes de tests accessibles, pour un coût variable, sans possibilité de vérifier la façon dont l’information est délivrée et surtout expliquée, voire accompagnée. Il faudrait envisager une législation internationale, mais ce sera difficile à réaliser.

Le sujet des neurosciences, ainsi que celui des nanotechnologies, a déjà été évoqué ; je n’y reviens pas.

En conclusion, le groupe de réflexion éthique de la Grande Loge de France souhaite que la future loi reste révisable régulièrement, sur la base de l’évaluation des avancées scientifiques, et que le débat citoyen soit poursuivi et renforcé. Néanmoins, la révision quinquennale ne nous semble plus obligatoire si une loi-cadre est clairement mise en place. Nous attendons beaucoup des États généraux de la bioéthique, auxquels nous espérons participer. Enfin, il faudra peut-être modifier le rôle du Comité consultatif national d’éthique, pour le rendre plus opérationnel – de même pour l’Agence de la biomédecine.

M. Christian Hervé, représentant de la Grande Loge Nationale Française, directeur du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine Paris V. Je me propose de vous transmettre les réflexions de frères de la GLNF qui ont travaillé sur ce thème, au cours de leurs réunions, qu’elles soient profanes ou initiatiques.

Nous avons d’abord marqué notre insatisfaction envers l’outil législatif. La loi de 1994 qui devait être révisée au bout de cinq ans, soit en 1999, ne l’a été qu’en 2004, et trop peu de décrets avaient été pris : en 2004 le changement devenait urgent – alors même que les pratiques n’avaient pas été évaluées. On ne pouvait pas savoir comment avaient été intégrés les différents concepts législatifs et comment ils avaient pu se traduire dans les pratiques. M. Leonetti sait bien, de même, la difficulté qu’ont eue les professionnels à connaître la loi sur la fin de vie qui porte son nom.

On peut se demander s’il ne serait pas bon – comme vient de le suggérer la Grande Loge, faisant suite aux réflexions de certains juristes dès avant 1994 – d’élaborer une loi-cadre, soulignant certains principes fondamentaux sur lesquels l’accord serait possible dans la représentation nationale et dans la société. Ce consensus permettrait que les professionnels, investis de responsabilités, fassent l’objet d’évaluations, peut-être commanditées par le Parlement. On serait alors à même d’apprécier l’application de certains des concepts de cette loi-cadre.

Cette formule permettrait aussi de simplifier des lois qui, sans être contradictoires, peuvent être sources de difficultés. Est-il possible par exemple de continuer à interdire la culture des cellules souches, tout en autorisant leur importation d’autres pays ? On pourrait voir là une forme d’hypocrisie.

Pouvons-nous nous satisfaire par ailleurs d’une loi de bioéthique, celle de 1994, qui prévoit la non-brevetabilité du génome humain mais admet la commercialisation d’un gène dès lors qu’il est sorti du corps d’une personne et a fait l’objet d’un travail humain ? Ce gène aurait-il changé de nature, comme par magie ? Il s’agit là d’artifices juridiques. Songez à l’affaire du sang contaminé : un liquide biologique donné gratuitement pouvait, parce qu’un progrès avait permis l’élaboration de fractions de sang, ce qui supposait recherche, travail et rémunération, donner lieu à la vente de ses différentes fractions.

De tels éléments peuvent apparaître contradictoires, du moins pour le public, et remettre en cause certains des principes de la loi de 1994 : la non patrimonialité du corps humain et sa non commercialisation.

Nous nous sommes également demandé s’il suffisait qu’une technique existe pour être immédiatement applicable. C’est toute la question entre le faisable et le possible. Ne faut-il pas passer par toute une séquence de recherche et d’évaluation pour confirmer certaines hypothèses et répondre à certaines craintes dans des domaines – comme ceux des nanotechnologies ou des neurosciences – où nous ne disposons pas aujourd’hui d’éléments pour nous faire une idée ? Il est difficile de prévoir les conséquences bénéfiques ou maléfiques d’une nouvelle technologie. Edgar Morin montre bien qu’une bonne intention ne suffit pas à garantir que les conséquences de l’acte seront toutes bonnes. La directive sur les essais cliniques s’est heurtée à cette difficulté de quantifier, pour une véritable recherche, le rapport bénéfices/risques.

En élaborant les lois, députés et sénateurs forgent des concepts juridiques qu’il faut ensuite faire passer dans les pratiques. N’est-il pas important de passer par l’évaluation de ces différents concepts, de sorte que les professionnels puissent se les approprier ? Prenez l’exemple de la personne de confiance : s’il s’agit simplement d’une facilité administrative, elle ne correspond pas à grand-chose ; si au contraire elle s’inscrit dans une démarche médicale à partir du moment où un patient se trouve hospitalisé, elle prend un tout autre sens. Nous prônons une responsabilisation du corps médical et des chercheurs par rapport à une éthique à développer, qui précise les limites s’imposant à ces différents professionnels.

Enfin, nous sommes préoccupés par une éventuelle commercialisation du corps humain. Comme les autres obédiences, nous postulons pour un devenir de l’homme, dans le cadre d’une initiation, qui est une réalisation de soi-même. À l’occasion de cette éventuelle loi-cadre, vous aurez à apprécier les avantages ou les inconvénients qu’apportent les différentes techniques à l’épanouissement de la personne humaine. À cet égard l’idée d’autonomie est cruciale. Nous nous prononçons contre l’asservissement de la personne humaine à l’argent et contre son exclusion de réalisations qui pourraient profiter au développement de son être personnel.

Mme Françoise Grux, Grande Maîtresse adjointe de la Grande Loge Féminine de France. Il est difficile d’apporter des réponses définitives à toutes les questions soulevées par les lois bioéthiques. Un long débat public, des rapports parlementaires, les avis rendus par le Comité consultatif national d’éthique avaient formé le socle sur lequel, jusqu’aujourd’hui, les lois de bioéthique ont permis d’apporter des améliorations et des espoirs dans la vie de nos concitoyens. La multiplicité des sujets abordés, le progrès rapide des connaissances et des techniques requièrent qu’elles soient évaluées pour pouvoir évoluer.

Il nous faut donc poser en préalable les principes qui guident notre action et qui nous permettent de réaliser l’unité dans nos diversités.

La Grande Loge Féminine de France, obédience maçonnique représentative de 12 000 femmes, proclame dans sa déclaration de principes sa fidélité à la Patrie et son indéfectible attachement aux principes de liberté, de tolérance, de laïcité, de respect des autres et de soi-même.

Nous sommes attachées tout d’abord à la liberté absolue de conscience garantie par la laïcité des institutions. Nous le sommes également à la liberté individuelle, garante de l’intégrité du corps humain, donc de sa non marchandisation – et nos réflexions, aujourd’hui, porteront plus particulièrement sur les aspects liés au corps de la femme, concernée au premier chef par de nombreuses techniques médicales, et directement impliquée dans les évènements majeurs qui rythment sa vie : naissance, vie et mort. Nous sommes enfin attachées à la fraternité notamment quand elle s’exprime par le don, évidemment gratuit.

Nos principes sont en accord avec ceux de la loi bioéthique de 1994, qui avait défini des règles d’ordre éthique et juridique applicables aux activités scientifiques et médicales touchant au respect du corps humain, au don et à l’utilisation des éléments et produits de ce corps, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

L’être humain est au centre de notre réflexion. Femmes de progrès, toujours en recherche, les Franc-Maçonnes de la Grande Loge Féminine de France participent à la réflexion sur les enjeux actuels des progrès scientifiques et de leurs applications.

Nous pensons que les avancées techniques et scientifiques, notamment celles qui nous concernent, comme l’assistance médicale à la procréation, les dons d’organes ou d’éléments du vivant, doivent respecter impérativement les principes de base édictés par la loi de 1994 : l’inviolabilité et la non patrimonialité du corps humain ; la reconnaissance de la liberté de la personne par un consentement éclairé ; la protection du patrimoine génétique de l’espèce ; la gratuité et l’anonymat.

Gratuité et anonymat doivent être maintenus dans la plupart des cas concernant les dons d’organes et d’éléments du vivant. Toutefois, la question de l’anonymat se pose actuellement dans les cas qui mettent en cause la filiation. Nous entendons la détresse des enfants qui demandent une information sur leur origine biologique. Nous sommes en accord avec la position prise par le Comité consultatif national d’éthique dans son avis n° 90 recommandant un assouplissement prudent de cet anonymat.

Depuis la révision en 2004 des lois de 1994, de nouvelles découvertes et techniques remettent en cause un ou plusieurs des principes énoncés précédemment et de nouvelles interrogations ont surgi. S’il faut réviser la loi, nous préférons le principe d’une nouvelle loi-cadre, qui éviterait les révisions périodiques et laisserait une plus large part aux bonnes pratiques. Toutefois, la définition de ces bonnes pratiques devra être débattue démocratiquement et leur application devra faire l’objet d’avis du CCNE, afin d’en garantir les orientations éthiques et de préserver les libertés individuelles.

Se pose aussi la question de la révision des conditions d’accès et de recours à l’assistance médicale à la procréation, telles que les détermine la loi de 2004. C’est d’abord le problème de la limite d’âge : au-delà de l’âge habituel de la ménopause, il est dangereux de tenter une implantation, d’autant que les chances de réussite sont minimes. C’est ensuite celui des femmes seules ou des coupes homosexuels féminins : le recours à cette pratique leur est possible dans certains pays étrangers, notamment en Europe. Cette remise en cause mérite un débat social approfondi.

Notons que désormais les femmes doivent assumer l’infertilité masculine, par suite de l’introduction de l’Intra Cytoplasmic Spermatozoïd Injection, ou ICSI, qui s’est imposée sans étude préalable.

L’usage des tests génétiques doit rester à visée médicale. S’agissant des tests pratiqués avant la naissance – diagnostic prénatal ou préimplantatoire – un encadrement législatif très précis est nécessaire pour éviter des indications de plus en plus étendues qui pourraient conduire à des dérives eugéniques. Quant aux tests ADN, on ne peut ignorer la tentation sécuritaire dont ils ont fait l’objet récemment. Chacun a en mémoire les débats sur la loi de 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. En matière de fichier pénal, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) doit en contrôler le strict accès afin d’en protéger les données. L’utilisation et la diffusion de ces tests en libre accès sur Internet posent de graves problèmes de fiabilité et d’exploitation commerciale. Il est indispensable d’instaurer un contrôle européen et international.

Dans sa sagesse, le législateur n’a pas voulus s’engager dans la reconnaissance du fœtus comme être humain. Cela évite la remise en cause de la loi du 17 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse et permet à la recherche embryonnaire de progresser. Nous pensons que ce statu quo doit être maintenu.

La gestation pour autrui est apparue dans le débat. Ici la gratuité est quasi impossible, tout comme l’anonymat. Nous comprenons le désarroi des femmes privées de la possibilité de vivre une maternité. Mais plusieurs facteurs doivent être pris en compte : les difficultés psychologiques qui risquent de survenir chez la mère porteuse, ses propres enfants et l’ensemble de ses proches ; l’obligation pour elle de subir le lourd protocole d’une fécondation in vitro pour satisfaire un désir de filiation biologique par tiers interposé ; la marchandisation obligatoire par le dédommagement de la mère porteuse pour les frais médicaux occasionnés ; les dérives éthiques vers une utilisation du corps humain comme objet de procréation. Il est nécessaire d’approfondir la réflexion sur ce délicat sujet et de prévoir, dans le cas d’une autorisation de cette pratique, un encadrement strict.

La recherche sur les cellules souches embryonnaires est lourdement pénalisée par la loi de 2004 qui interdit la recherche sur embryon, tout en étant assortie d’un moratoire. En France le retard pris par cette recherche est considérable en raison des contraintes administratives liées à son encadrement très restrictif. Il nous apparaît nécessaire d’autoriser une fois pour toutes la recherche sur les cellules souches embryonnaires avec un suivi de l’Agence de la biomédecine, fondé sur la pertinence des recherches entreprises pour le bien-être de tous. Le but est de mettre en œuvre, enfin légalement, un recherche fondamentale au service de l’humanité. Cela éloignerait toute tentation de donner un statut juridique à l’embryon, bloquant par là même toute recherche et remettant en cause le droit à l’IVG. Cela permettrait de mettre au point des thérapies nouvelles pour soigner des maladies encore incurables. Car une recherche qui respecte la vie, c’est une recherche qui sauve des vies, par une démarche scientifique et non dogmatique.

Les Franc-Maçonnes de la Grande Loge Féminine de France souhaitent que soit réaffirmé le rôle prépondérant des avis et recommandations du Comité consultatif national d’éthique, l’Agence de la biomédecine gardant quant à elle un regard éthique sur les applications relevant de son domaine. Les rapports de ces deux institutions sont de très grande qualité, mais nous regrettons qu’ils restent d’un abord difficile et non compréhensible pour beaucoup. Nous demandons une information plus accessible à tous, délivrée lors de rendez-vous citoyens ou à l’occasion des journées de la science et de la recherche.

Dans un contexte grandissant d’individualisme et de privatisation des ressources du vivant qui s’oppose à la solidarité – par exemple, avec la mise en place de banques de sang de cordon à des fins autologues – il est nécessaire de mettre en œuvre des actions d’information et de vulgarisation pour que tous les citoyens se sentent concernés par des pratiques de plus en plus répandues. En outre, dans un monde où l’argent devient « la valeur » suprême, une information large sur la non marchandisation du corps humain et en particulier celui de la femme doit faire partie de l’éducation civique des enfants. Ainsi les campagnes en faveur des greffes et des dons d’organes doivent-elles valoriser la nécessaire solidarité entre tous les êtres humains.

Nous nous interrogeons par ailleurs sur les raisons qui retardent la ratification de la convention d’Oviedo, dont la France avait eu l’initiative. Ne serait-il pas temps de la ratifier sans attendre la prochaine révision des lois de bioéthique ?

La mise en œuvre d’une nouvelle réflexion sur les lois de bioéthique est pour nous porteuse d’espoir. Les progrès scientifiques et technologiques mis au service de l’humanité sont à l’image de notre devise commune : « liberté, égalité, fraternité ».

Mesdames et messieurs les élus de la représentation nationale, chargés de débattre et de légiférer sur ces projets porteurs de progrès et donc de vie, nous mettons en vous toute notre confiance.

Confiance, d’abord, dans votre capacité de respecter le principe de l’article 1er de la Constitution de 1958. Comme le dit Mme Geneviève Koubi, professeur de droit public : « Le droit est laïque, le principe détient une valeur constitutionnelle qui implique que non seulement les processus de fabrication du droit doivent répondre à des préoccupations laïques, mais encore que les circuits de mise en œuvre des règles de droit doivent respecter cette dimension. Donner sens à la laïcité, c’est permettre le développement d’un droit contre l’intolérance dans toutes les sphères privées et publiques, c’est refuser de tolérer l’intolérable dans tous les secteurs, privés et publics. C’est encore et surtout ne privilégier ni ne déconsidérer un courant de pensée politique, philosophique, éthique, religieux. Car la force du principe procède de la nature et de la fonction quasi universelles de la laïcité : la laïcité ne se constitue pas à partir du seul fait religieux. La resserrer autour de ce seul domaine revient à rompre avec la tradition républicaine et, sous les auspices de la mondialisation, à déployer ainsi des éléments annonciateurs d’un bouleversement radical du système juridique français. »

Confiance, ensuite, dans votre volonté humaniste d’œuvrer à la recherche constante d’un équilibre entre les avancées scientifiques et la nécessité de sauvegarder la dignité de la personne humaine.

Confiance, enfin, dans la sagesse dont vous témoignez aujourd’hui en organisant des consultations, avant de proposer et de voter des modifications législatives dans ce domaine si sensible.

Vous êtes, mesdames et messieurs les députés, le rempart et les garants de la vie démocratique de notre pays.

M. Jean-Pierre Foucault, président de la commission de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France. J’interviens au nom du Grand Orient par délégation de notre Grand Maître Pierre Lambicchi. Le Grand Orient de France est une institution philosophique adogmatique forte de 48 000 membres.

Notre commission comporte seize délégués et seize suppléants représentant chacun une des régions maçonniques, présentes sur l’ensemble de la planète. Aucun d’entre nous n’est désigné, nous sommes tous des élus. Nos points de vue sont le fruit de nombreuses séances de travail, depuis des années, et nous faisons souvent appel à des spécialistes extérieurs pour parfaire notre réflexion.

Je vais vous donner notre point de vue sur les cinq points suivants : la recherche sur les cellules souches embryonnaires, l’assistance médicale à la procréation, le recours aux tests génétiques, les enjeux éthiques des neurosciences et ceux des nanotechnologies.

La loi bioéthique de 2004 a interdit la recherche sur l’embryon… tout en la tolérant pendant une période de cinq ans. Cette situation est absurde et doit impérativement être clarifiée par la future loi : soit on autorise la recherche sur l’embryon, soit on l’interdit. La solution idéale serait de l’autoriser dans le but d’accroître les progrès scientifiques et les chances de guérison de certaines pathologies, tout en l’encadrant pour empêcher les dérives.

L’embryon et les cellules souches embryonnaires présentent un intérêt considérable pour la recherche puisqu’ils promettent des progrès quasi certains. Ces cellules sont en effet pluripotentes : elles permettent aux chercheurs de produire une grande diversité de tissus différents et de mieux comprendre le fonctionnement du corps humain afin de développer les moyens de guérison futurs.

Les atouts de ces cellules tiennent également au fait qu’elles sont immortelles. La recherche sur des cellules adultes ou fœtales atteint ses limites. Dans l’intérêt de tous, il est nécessaire de pousser plus loin les progrès scientifiques et de développer la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires. Elle offre des espoirs considérables ; les chercheurs pourront ainsi reproduire des cellules neurales, afin de remplacer, à terme, les cellules mortes du cerveau et enrayer certaines maladies neuro-dégénératives. De telles possibilités ont fait leurs preuves sur les souris, pourquoi pas sur l’homme ? Il nous semble nécessaire d’autoriser cette recherche, en posant éventuellement comme limite que ces recherches ne pourront être menées qu’après résultat probant sur des souris.

Une clarification législative sur les cellules souches est d’autant plus nécessaire qu’au niveau européen la situation est particulièrement confuse. Le septième programme-cadre de recherche adopté par le Parlement européen pour la période 2007-2013 a d’ailleurs ajouté à la confusion, puisqu’il prévoit de financer la recherche sur les cellules souches embryonnaires et adultes humaines, en fonction de la législation des États membres impliqués et dans la mesure où l’embryon humain ne sera pas détruit. C’est-à-dire qu’un financement européen ne pourrait être accordé qu’à des laboratoires travaillant avec des cellules embryonnaires issues du clonage thérapeutique, lequel est interdit dans presque toute l’Europe !

Nous pensons toutefois qu’il ne faut pas laisser le domaine privé s’emparer des banques de cellules souches issues du sang de cordon dans l’hypothèse que, les progrès scientifiques aidant, ces dernières seront nécessaires à la réparation ultérieure de l’individu qui en a été issu.

Enfin nous souhaitons, nous aussi, que la convention d’Oviedo soit ratifiée.

Deuxième point : la future loi devra trancher la question de l’élargissement des conditions d’accès à la procréation assistée. Actuellement, seuls les couples hétérosexuels peuvent bénéficier des techniques de procréation médicalement assistée (FIV, FIVETE). Doit-on alors autoriser une femme célibataire à être inséminée ? Faut-il accroître les moyens offerts aux couples pour avoir un enfant, en autorisant par exemple la gestation pour autrui ?

Cette dernière génère nombre de polémiques, mais attire de plus en plus de couples, car elle est légale de l’autre côté de nos frontières. Le recours aux mères porteuses paraît résoudre aisément les difficultés rencontrées par certains couples. Il entraîne cependant un risque de commercialisation de l’enfant et de marchandisation de la procréation. Il existe en effet un risque que des personnes profitent de la détresse de futurs parents pour leur vendre un enfant et créer ainsi un marché de la procréation. Les mères porteuses demanderont évidemment, comme aux États-Unis notamment, à être rémunérées pour le « travail » accompli. La dérive réside dans le fait que l’enfant risque de devenir un bien de consommation, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de l’indisponibilité du corps humain et du respect de la dignité humaine.

Outre les problèmes économiques, cette pratique va générer un risque de fractionnement de la parenté. Il y a en effet trop d’acteurs qui interviennent dans l’acte de procréer : père biologique, mère biologique, mère porteuse, donneuse d’ovocyte… La mère porteuse pourra revendiquer un lien de filiation avec l’enfant. Qui peut alors prétendre être le père et la mère de l’enfant ? Certains estiment que le lien biologique sert de critère pour établir la parenté. D’autres considèrent que les parents sont les personnes qui élèvent l’enfant, ce que nous appelons en droit civil français la possession d’état.

Considérant les difficultés qui peuvent survenir en cas de légalisation de la gestation pour autrui, il n’est peut-être pas souhaitable que cette pratique soit autorisée par la future loi. En tout état de cause, il nous semble que, dans les cas de figure du recours à la mère porteuse et du don de gamètes, les parents de l’enfant sont ceux qui ont eu la volonté de concevoir cet enfant, ceux qui assument la responsabilité de parents. Mais pour l’enfant, être bercé par une femme in utero, même si elle ne l’élèvera pas, est peut-être mieux que de grandir dans un bocal.

Il s’agit d’adopter un système de parenté cohérent. Il paraît invraisemblable que la mère porteuse, qui met au monde l’enfant conçu par un homme et une femme, puisse avoir un quelconque lien de filiation avec cet enfant, même si la mère est traditionnellement la femme qui accouche.

Le problème ne se pose pas en cas de dons de gamètes, puisque ce don est anonyme et doit le rester. On pourrait certes remettre en cause son anonymat au motif qu’un enfant doit pouvoir connaître ses origines génétiques. Cependant, pour lui permettre de se construire sereinement, il est préférable que l’enfant ne connaisse pas l’identité du donneur. Peut-être pourrait on envisager de ne divulguer que le patrimoine génétique du donneur, ou de pratiquer préalablement au don des tests génétiques afin de réduire le risque de transmission de maladies génétiques – tout en prenant la précaution de ne pas tomber dans le travers condamnable de l’eugénisme. On ne peut autoriser des pratiques dangereuses, qui entraîneront nécessairement des dérives, sous prétexte d’un droit à l’enfant. Ce droit n’existe pas, et ni la science, ni l’État ne peuvent y remédier.

Troisième point : le recours aux tests génétiques. Aujourd’hui, il est encadré par la loi. Ces tests ne sont possibles que pour établir une filiation, sous couvert d’un jugement, ou pour identifier l’auteur d’un crime ou d’un délit.

La question de savoir si – et surtout dans quelle mesure – on peut pratiquer ces tests génétiques pour déceler une maladie génétique ou une prédisposition à telle ou telle maladie se pose aujourd’hui avec la vente libre, sur Internet, de tels tests. Ces tests sont intéressants. Mais dans quels cas y recourir et comment les utiliser par la suite ?

En tout état de cause, ils ne doivent être pratiqués que dans un cadre médical, c’est-à-dire sur prescription médicale et avec un suivi des résultats. Ils ne sauraient être mis à la portée de tous, dans la mesure où ils restent aléatoires, et où seuls des médecins peuvent en comprendre les résultats et les enjeux de ces derniers. L’annonce des résultats de ces tests peut également être un moment douloureux pour les patients, car l’information est difficile à comprendre et surtout à assimiler. Seul un médecin pourra trouver la formulation adéquate pour annoncer la maladie ou la prédisposition, ou pour apprécier avec le patient s’il est nécessaire que ce dernier connaisse les résultats d’un test.

Il sera par ailleurs nécessaire de rappeler dans la future loi que les tests génétiques ne peuvent être pratiqués que pour déterminer une filiation, identifier l’auteur d’une infraction ou déceler une maladie, lorsqu’il existe des symptômes ou prédispositions familiales. En aucun cas, ils ne devront être utilisés ou sollicités dans le cadre d’un recrutement ou de la souscription d’une assurance, par exemple. Les résultats de ces tests génétiques ne sauraient être communiqués à un assureur ou à un employeur, car il s’agit de données personnelles confidentielles dont le secret médical impose la confidentialité. De ce point de vue, les recommandations de la CNIL sur les données personnelles à caractère génétique devraient être prises en compte dans la révision de la loi. En un mot, protégeons le secret de notre vie !

Quatrième point : les enjeux éthiques des neurosciences – qu’il s’agisse des instruments d’imagerie qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau, ou des techniques visant à remplacer les cellules déficientes du cerveau.

Le développement des neurosciences est fondamental pour appréhender les spécificités et les rouages du cerveau, encore bien mystérieux. Il permettra de poser des diagnostics plus précis, de déceler des affections du cerveau, et participera à la création d’instruments visant à le stimuler, à pallier les troubles de la pensée ou de la motricité provoqués par les maladies neurologiques.

Cependant, les progrès réalisés en matière de neurosciences doivent avoir pour seul but de restaurer des fonctions perdues, de compenser la perte de cellules mortes, et non d’instrumentaliser le cerveau et, partant, l’homme lui-même. Ainsi, les implants qui seront posés dans le cerveau ne pourront être destinés à manipuler la pensée humaine, ou à rendre l’homme plus performant. Les neurosciences doivent demeurer un outil au service de la santé publique. Il sera donc nécessaire d’encadrer l’évolution de ces sciences et de poser des conditions à l’utilisation des nouveaux procédés qui en découlent.

Cinquième point : les enjeux éthiques des nanotechnologies. Depuis quelques années, le monde scientifique, industriel et militaire s’est lancé dans la recherche et dans la production de nanostructures et de nano-objets. De nombreux programmes de recherche sont en cours en Europe, aux États-Unis et en Asie pour développer des applications qui donneront un avantage technologique certain.

Les applications possibles sont multiples : en électronique, en cosmétique, en céramique, en chimie, etc. Des programmations informatiques nouvelles sont à l’étude pour donner à certains nano-objets des propriétés particulières d’autonomie et de convergence. On met beaucoup d’espoir dans la création d’alliages de nanoparticules et de molécules biologiques pour des applications en médecine, comme la détection de cellules cancéreuses, la diffusion de nano-objets dans le sang ou circulant dans le corps pour atteindre facilement tous les organes. Le but est de diriger les médicaments vers des territoires biologiques pour cibler les organes à traiter.

Toutefois, les évolutions techniques dans ce domaine ont eu lieu, la plupart du temps, sans se préoccuper d’éventuels risques pour la santé résultant d’expositions professionnelles plus ou moins maîtrisées, ni de l’impact de leur dissémination dans la population et dans l’environnement. Paradoxalement, il y a peu de prospective dans ce domaine. Les dangers potentiels des nanotechnologies pour la santé et l’environnement sont en cours d’étude en même temps que la découverte et le développement de nouvelles nanostructures. Cette situation, que désigne la formule « apprendre en faisant », ne laisse pas beaucoup de marges de sécurité ni de grandes possibilités de retour en arrière. Ce phénomène sociétal conduit à s’interroger également sur la nécessité de ces nouvelles technologies pour notre société, ainsi que sur la place du citoyen dans le choix et le contrôle de ces évolutions techniques.

Comment associer le public à des décisions de développement technologique qui auront un impact sur lui ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Jusqu’où peuvent aller les chercheurs sans contrôle ? Il conviendra que la nouvelle loi de bioéthique aborde clairement les problématiques issues du développement des nanotechnologies.

Avant de conclure, nous voudrions vous faire part des craintes que nous avons éprouvées lorsque nous avons trouvé, dans le rapport de l’OPECST, la suggestion de débattre à nouveau des dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, qui concerne les empreintes génétiques.

En définitive, nombre de questions relatives à l’éthique seront soulevées à l’occasion de la révision de la loi de 2004. La future loi devra avoir pour objectif de mettre les progrès de la science au service de l’homme, dans le respect de ses droits fondamentaux, et non de mettre l’homme au service de la science, de l’instrumentaliser et d’en faire ainsi le cobaye de toutes sortes d’expérimentations. Et n’oublions pas que l’on ne peut pas mettre en application et au service de l’homme toutes les avancées scientifiques.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Tout d’abord, je veux rendre hommage à ce courant de pensée, si important dans notre pays, qui a été à l’origine d’une série de lois et a affirmé, par la laïcité, l’originalité de la République française.

Je me contenterai de deux questions.

Premièrement, quel type de loi attendez-vous : une loi-cadre définissant, sous forme de grands principes intangibles, ce qu’il est possible de faire au regard de ce que nous considérons être l’homme, ou une loi de détail, assurant le passage de l’éthique de principe à l’éthique de responsabilité et examinant, sujet par sujet et étape par étape, ce qui peut être autorisé eu égard aux progrès de la science ?

Deuxièmement, dans sa lettre de mission, le Président de la République souhaite que soient organisés des États généraux de la bioéthique « afin de permettre, sur ces questions décisives et sensibles, à tous les points de vue de s’exprimer et aux citoyens d’être associés ». « J’attache, ajoute-t-il, une importance particulière à ce que le débat sur la bioéthique ne soit pas confisqué par les experts ; les Français doivent pouvoir être informés et faire connaître leur avis sur des sujets qui engagent la condition humaine et les valeurs essentielles sur lesquelles est bâtie notre société. » Nous ne pouvons qu’approuver ces propos. Comment concevriez-vous, en pratique, l’organisation d’un tel débat citoyen, qui permettrait aux experts et à la population de dialoguer sereinement sur un socle minimal de connaissances communes ?

M. Olivier Jardé. Mes questions s’adressent plus particulièrement à Mme Grux et à M. Foucault. Vous vous êtes dits favorables, sous certaines conditions, à la recherche sur les embryons humains surnuméraires. La précédente loi l’autorisait, à condition que ses objectifs soient thérapeutiques. Seriez-vous favorables à une recherche à visée scientifique ?

S’agissant des tests génétiques, vous avez évoqué l’établissement de la filiation. Actuellement, le recours à ces tests n’est autorisé que dans le cadre judiciaire. Souhaitez-vous le maintien ou la suppression de cette restriction ?

M. Xavier Breton. Jean Leonetti l’a noté, une loi-cadre aurait l’intérêt d’aboutir à un consensus sur de grands principes. Cependant, ne risquerait-on pas de déléguer leur application à des organes techniques comme le Comité consultatif national d’éthique ou l’Agence de la biomédecine, qui seraient chargés de déterminer les bonnes et les mauvaises pratiques ? Où le politique doit-il se situer ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Tout d’abord, je précise que vous avez mal interprété le rapport de l’OPECST en ce qui concerne le droit d’entrée des étrangers. Si nous avons demandé un nouvel examen de la loi, c’est bien évidemment parce que nous n’étions pas très favorables à l’utilisation des empreintes génétiques dans ce cadre.

Vous avez insisté sur la nécessité de préserver le secret médical, mais peut-être nous trouvons-nous ici au confluent de deux grands principes difficilement conciliables : le secret médical, d’une part, la nécessité de sauvegarder la vie d’autrui, d’autre part. Le sujet est difficile, au point que l’un des seuls décrets d’application de la loi de 2004 qui n’ait pas été pris concerne l’information de la parentèle suite à la découverte d’une anomalie génétique susceptible d’entraîner des troubles graves, mortels ou très invalidants. Quelle est votre position sur ce point, notamment à la lumière de la récente condamnation en justice d’une femme qui avait transmis le VIH à son compagnon ? Demain, la non révélation d’anomalies génétiques pourra-t-elle donner lieu à des procédures pénales ?

M. le rapporteur. Une seule raison suffirait pour se doter de lois bioéthiques : chez certains de nos voisins, on peut vendre sur Internet un enfant au couple le plus offrant... Méfions-nous de la fascination pour la modernité et de l’idée que certains pays sont plus avancés que d’autres ! La France, précisément parce qu’elle conduit une réflexion sur la liberté du travail scientifique dans le respect des valeurs humaines, est probablement l’un des plus organisés dans ce domaine.

M. le président. Je propose de commencer par les questions du rapporteur sur la loi-cadre et les états généraux.

M. Serge Ajzenfisz. Pour ce qui est de la loi, n’étant pas juriste, je ne saurais répondre en une phrase à pareille interrogation. La loi de 1994 prévoyait sa propre révision à échéance de cinq ans ; il en a fallu dix ! La loi de 2004 a apporté un progrès en créant l’Agence de la biomédecine. Toutefois, les rapports ont tendance à se multiplier – avec le CCNE, l’Agence de la biomédecine, le Conseil d’État et l’OPECST –, et peut-être les différents organismes chargés de réfléchir sur ce sujet devraient-ils constituer un réseau plus cohérent. Si l’importance des rapports n’est pas à démontrer, il faudrait pouvoir en tirer le meilleur profit. Pour réviser la loi de 2004, il existe déjà une date butoir : 2011, lorsque les décrets sur les cellules souches arriveront à échéance. Faut-il prévoir, au-delà, une révision à une date qui ne sera peut-être jamais respectée ? Ne faudrait-il pas plutôt adopter une loi dont l’Agence de la biomédecine ou le CCNE pourraient demander la révision à tout moment, dès lors que l’apparition de nouvelles techniques le justifierait ?

En ce qui concerne les états généraux de la bioéthique, on note par rapport à 1994 et même à 2004 une avancée significative dans la prise en compte de la réflexion citoyenne. J’en veux pour preuve par exemple les débats organisés par la MGEN et l’OPECST, auxquels tous les citoyens sont invités – et pas seulement les grandes familles de pensée. Pour constituer notre commission, nous avons retenu une méthode semblable à celle décrite par Jean-Pierre Foucault, avec des délégations régionales en France et outre-mer ; parmi les frères qui travaillent avec nous, on compte peu de médecins et de juristes, mais beaucoup de gens du tout-venant qui, par leurs réflexions de candides, nous apportent beaucoup.

Quant à la réalisation pratique de ces états généraux, je ne donnerai pas de leçons d’organisation à M. Leonetti, mais je pense qu’un maximum de citoyens doit y participer.

M. Gilbert Schulsinger. Il y a quelques jours, M. Leonetti m’a dit avec une surprise un peu attristée que peu de médecins connaissaient la loi sur la fin de vie. Dans ces conditions, comment pourrait-on organiser des états généraux de la bioéthique ?

Quant à la loi, une loi-cadre ne répondrait pas aux problèmes qui nous préoccupent, car elle poserait des interdits ou des limites qui risquent de n’être plus valables dans trois ans. Mieux vaut prévoir une adaptation périodique de la loi en fonction des dernières découvertes, sachant qu’une régulation est nécessaire parce que tout progrès, quel qu’il soit, a un effet boomerang.

M. Jean-Pierre Foucault. Nous avons au Grand Orient une certaine expérience des états généraux, puisque nous organisons régulièrement des « journées citoyennes ». La dernière en date, qui portait sur la biométrie, a attiré un public très nombreux. Dès lors qu’on est clair dans ses propos, il ne faut pas hésiter à parler ouvertement de ces questions, dont le grand public est très curieux. Dans le débat sont intervenus de nombreux experts, des représentants du ministère de l’intérieur, de la CNIL, du CCNE, et même des magistrats. Les gens sont demandeurs de ce genre de manifestations, à condition qu’elles n’aillent pas à vau-l’eau, que l’ordre du jour soit établi avec précision et que les interventions soient bien circonscrites – d’autant qu’en matière de bioéthique, il existe des dangers importants de lobbying de la part des pouvoirs religieux et sectaires : si les choses ne sont pas bien encadrées, on risque des débordements.

S’agissant de la loi-cadre, je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit : il faut que les institutions de tutelle, comme le CCNE, la CNIL et l’Agence de la biomédecine, figurent dans la loi comme les intervenants de référence. Nous ne pouvons nous passer d’elles.

M. Christian Hervé. Grâce à l’impulsion démocratique qu’ils donneraient, des états généraux pourraient nourrir un vrai projet de société sur la vie et le corps des citoyens.

Une loi-cadre doit édicter des normes. Elle est faite pour poser quelques grands principes – comme la loi de 1994 avec la non commercialisation et la non appropriation du corps humain –, afin de permettre aux chercheurs de faire leur travail, sous le contrôle de comités qui soient l’expression démocratique d’une société civile vigilante. Par cette responsabilisation des acteurs, les pratiques devront démontrer le bien-fondé de leurs hypothèses de départ. À partir de ce moment-là seulement, on pourra choisir telle ou telle direction. Nous ne savons rien de l’avenir : à moins de lire dans le marc de café, il est très difficile d’évaluer avec précision le rapport risques/bénéfices ; nous ne faisons qu’utiliser des concepts juridiques qui ne s’intègrent jamais parfaitement à la réalité des pratiques. Il est donc primordial de faire confiance aux chercheurs dès lors qu’ils respectent la vie, le lien intergénérationnel et quelques autres grands principes – ce n’est pas à moi de les définir, mais à vous, le Législateur. Par rapport aux questions qui se posent sur le corps, je vous crois parfaitement capables d’arrêter un cadre qui permettra tant la recherche, donc le progrès, que la responsabilisation des acteurs, comités de régulation et chercheurs ; les hypothèses de travail pourront ainsi être évaluées sans partis pris idéologiques et les recherches correctement contrôlées – y compris par vous. Cela permettra d’éviter que le débat se répète dix ans plus tard, avec les mêmes arguments et les mêmes frayeurs, et l’invocation d’une « précaution » aux contours flous.

M. Serge Ajzenfisz. Monsieur Claeys, monsieur Vialatte, vous étiez présents aux journées du CCNE le 26 novembre au matin. L’après-midi, des élèves de sept lycées de la région parisienne et de province, âgés de 16 à 19 ans, sont venus débattre des grands thèmes qui nous préoccupent aujourd’hui, accomplissant un travail remarquable, avec une grande intelligence. Voilà un bel exemple de débat citoyen, qu’il ne serait pas difficile de suivre !

Mme Françoise Grux. Je l’ai dit, la Grande Loge Féminine de France souhaite qu’on évolue vers une loi-cadre et qu’on s’appuie sur le CCNE et l’Agence de la biomédecine, qui doivent faire preuve d’une grande vigilance. Je suis d’accord avec M. Hervé : cela nous semble plus facile à gérer et permettra une plus grande ouverture aux scientifiques.

S’agissant des états généraux, nous avons exprimé le besoin d’informer plus largement nos concitoyens sur les grands axes relatifs à la bioéthique : en utilisant des mots plus simples, ils pourraient mieux prendre conscience de ce qu’on leur propose.

M. le président. Passons maintenant à la question d’Olivier Jardé. La loi actuelle prévoit l’interdiction des recherches sur l’embryon, avec un moratoire uniquement pour les protocoles de recherche à visée thérapeutique. Seriez-vous favorables au remplacement du mot « thérapeutique » par le mot « scientifique » ?

M. Olivier Jardé. J’avais posé une seconde question, monsieur le président : les tests génétiques de filiation n’étant autorisés que par voie judiciaire, êtes-vous favorable à la suppression ou au maintien de cette limitation ?

M. Jean-Pierre Foucault. « Thérapeutique » ou « scientifique », tout dépend de ce qu’on entend par là !

M. Olivier Jardé. Non : ces termes ont un sens très précis.

M. Jean-Pierre Foucault. Le thérapeutique peut être scientifique, et réciproquement.

M. le président. Excusez-moi d’insister, monsieur Foucault. Il est vrai que l’Agence de la biomédecine a interprété assez largement le terme « thérapeutique ». Cependant, permettez-moi de vous rappeler les termes de la loi : interdiction des recherches sur l’embryon, avec un moratoire pour les protocoles de recherche à visée thérapeutique qui ne peuvent pas utiliser d’autres techniques. Certains estiment que l’utilisation du mot « thérapeutique » est malhonnête, car on ne peut jamais savoir s’il y aura une application thérapeutique ; ils souhaitent donc qu’on autorise la recherche fondamentale, ou « scientifique ».

M. Jean-Pierre Foucault. Dans cette optique, nous sommes bien évidemment favorables aux recherches à visée scientifique, sous réserve de faire très attention aux éventuelles dérives eugénistes de certains traitements. Lors du récent débat sur les banques de sang de cordon, nous avons exprimé le souhait que ces établissements restent dans le domaine public. Des sommes énormes sont en jeu : l’un des opérateurs privés affirme n’en reverser que 20 % à la recherche – mais c’est un autre sujet.

En ce qui concerne les tests génétiques, il faut maintenir des contrôles très précis, afin d’éviter tout dérapage. Dans certains pays ils sont utilisés pour faire le tri entre plusieurs candidats à un même poste : les caractéristiques génétiques de certains individus les empêcheraient d’être de bons conducteurs de train ! C’est ce qui se passe aux États-Unis. Il ne faut pas que le génome d’une personne constitue un handicap pour elle. La compétence doit être évaluée sur des critères professionnels, non génétiques.

Mme Françoise Grux. La Grande Loge Féminine de France souhaite que la recherche fondamentale sur les embryons soit désormais tolérée et encadrée.

M. Christian Hervé. Quant à nous, nous estimons que les tests génétiques doivent demeurer dans le cadre judiciaire.

Par ailleurs, il convient de différencier recherche et application. Si l’on fait une loi-cadre, on peut autoriser des recherches dans un certain domaine et prévoir d’en analyser les résultats. La thérapeutique correspond à un autre stade, qui aboutit à la commercialisation. Cela conduit à poser le problème de la conservation et des biobanques. Tout dépend de la manière dont on définit la personne humaine – et, sur ce sujet, il n’y a pas d’accord au niveau international. Or, sans définition, on est bien obligé de rester au stade de la recherche, sans pouvoir examiner si ses résultats sont ou non transférables dans les cliniques. Peut-être des organismes comme l’Agence de la biomédecine ou le CCNE pourraient intervenir à ce niveau.

M. Serge Ajzenfisz. Comme je l’ai dit, nous sommes favorables à la recherche sur l’embryon. Quant à savoir si la recherche doit être à visée scientifique ou thérapeutique, il me semble qu’on tourne en rond ! Un chercheur cherche pour trouver, mais il n’est jamais assuré de réussir – et encore moins de découvrir une application thérapeutique immédiate. Soit l’on reste dans le régime dérogatoire de 2004, soit l’on autorise la recherche en espérant qu’elle aboutira à des avancées thérapeutiques.

Mme Martine Aurillac. Monsieur Ajzenfisz, confirmez-vous être favorable à la création d’embryons dans le cadre d’une recherche médicale ? Il me semble qu’entre, d’une part les surnuméraires, d’autre part le cordon, il y a déjà matière à beaucoup de recherches. Autoriser la création d’embryons à des fins scientifiques, cela me semble aller très loin.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Nos amis britanniques, après une longue période de consultation populaire, ont accepté de fabriquer des cellules hybrides avec des ovules d’origine animale et un noyau humain – c’est-à-dire de créer un pseudo-embryon, qui n’aurait aucune chance de se développer s’il était réimplanté : c’est un artefact. Pensez-vous que la législation française pourrait aller jusqu’à la création de telles lignées cellulaires ?

M. Serge Ajzenfisz. Voici ce que j’ai dit : « Nous n’avons pas d’objections de principe concernant la recherche sur l’embryon surnuméraire, sans projet parental, avec un encadrement très strict pour éviter les dérives. Reste la question de la création d’embryons pour la recherche. Nous y sommes favorables dans les mêmes conditions » – c’est-à-dire avec un encadrement très strict pour éviter les dérives. Précisons qu’il s’agit de l’opinion de notre commission dans l’hypothèse où la question serait posée : ce n’est pas à nous d’en décider.

M. le président. Martine Aurillac n’a pas l’air totalement convaincue…

Venons-en à la question de Jean-Sébastien Vialatte sur le secret médical.

M. Gilbert Schulsinger. En matière génétique également, je pense que les choses sont trop complexes pour pouvoir légiférer.

Prenons un exemple simple : dans une famille, la grand-mère et la mère ont eu un cancer du sein ; légitimement, on regarde si la petite-fille en a un. Ce n’est qu’une possibilité, non une certitude. Doit-on dire la vérité à cette jeune fille, qui n’aura peut-être jamais de cancer du sein, mais vivra dans une inquiétude dramatique des années durant ? Cela me paraît être une première limite importante au secret médical.

D’autre part, mesdames et messieurs, j’ignore ce que vous retiendrez de cette discussion pour la future loi. Mais, face à tant de complexité, peut-être faudrait-il plutôt examiner les questions une par une, et voir à chaque fois ce qu’il convient de modifier par rapport à la loi de 1994. Parfois, les choses ont beaucoup changé ; dans d’autres cas, au contraire, on demeure dans le même cadre, humain et légal. Si nous discourons sur tout, de la procréation médicalement assistée aux tests génétiques, je crains que nous n’aboutissions à rien, ou si peu, et que cette révision n’ait que peu d’importance.

M. le président. Permettez-moi de vous rassurer : nous sommes bien organisés ! (Rires) Nous vous recevons aujourd’hui en tant que représentants d’un grand courant de pensée : nous n’avons pas à limiter vos interventions à un seul thème. Par la suite, nous traiterons séparément et successivement les questions que vous avez abordées.

M. Christian Hervé. Prenons l’exemple précité sur une transmission du SIDA : même s’il existe une jurisprudence, je ne crois pas que ce soit le rôle du législateur d’intervenir sur des cas si sporadiques. En l’occurrence, le problème découlait d’une absence d’information. Ne faudrait-il pas plutôt insister sur le rôle du médecin, qui doit persuader les intéressés de discuter avec leurs proches et d’aborder les questions douloureuses ? Le secret médical a vocation à protéger le patient ; mais lorsque cela risque de mettre en danger autrui, le médecin, et tous ceux qui sont informés, doivent encourager l’intéressé à parler. Avec le SIDA, on a bien vu que c’était possible, sans pour autant faire une exception au secret médical – à faire trop d’exceptions, il n’en restera rien, et la confiance dans le médecin sera ébranlée. Au cours d’une consultation, c’est de l’homme, de la mort, de la filiation, des générations futures qu’il est question ; il faut que les médecins aient le temps d’en parler ! Ce n’est pas en dix ou quinze minutes qu’on peut faire changer d’avis une personne qui refuse d’avouer à son conjoint des choses qui la remettent complètement en cause, et de courir le risque d’être exclue de sa famille. Il convient donc d’envisager une revalorisation de l’acte médical et de la consultation – ce qui n’est pas la voie choisie actuellement.

Mme Catherine Génisson. Vous avez tous fait référence au CCNE et à l’Agence de la biomédecine. Comment hiérarchisez-vous les relations entre ces deux instances et le législateur ?

M. Jean-Pierre Foucault. Il n’y a pas de hiérarchie : les uns sont le conseil de l’autre. Il faut que ces organismes soient écoutés et entendus, car ils sont proches de la réalité scientifique, voire médicale. Au cours des sept débats publics que nous avons organisés, nous avons été frappés par l’aura considérable dont ils bénéficiaient dans le public. Vous, législateurs, devez les écouter – et vous le faites. Ils sont là pour vous conseiller. Ne leur imposons pas des cadres trop restreints. Certains avis du CCNE ont donné lieu à des débats publics difficiles. Il faut saluer le courage de ces organismes !

M. Christian Hervé. Un très bon article de Dominique Thouvenin, paru il y a cinq ou six ans, montre bien la différence entre les deux niveaux. Le CCNE a une histoire et une composition particulières. Au début, il s’était limité à la recherche, en grande partie parce qu’il coexiste avec le Conseil national de l’Ordre des médecins ; puis, les positions des deux organismes se sont clarifiées et ils ont été amenés à travailler en commun. L’Agence de la biomédecine est beaucoup plus proche des pratiques. On aurait pu craindre que son conseil d’orientation fasse doublon avec le CCNE, mais ils n’ont pas les mêmes objets.

Ces organismes, de même que l’OPECST, seront les moteurs de cette éthique démocratique de la discussion incarnée par les futurs états généraux. Ils apporteront des arguments au débat, et éviteront le risque d’une pensée unique. Que le débat démocratique s’exprime par leur intermédiaire me paraît très important.

Mme Françoise Grux. J’abonde dans le sens de M. Hervé. Le CCNE et l’Agence de la biomédecine représentent la vigilance et permettent de faire avancer la recherche dans les limites de la loi-cadre.

M. le président. Mesdames et messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Emmanuel PICAVET, maître de conférences
en philosophie politique à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne



(Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président. Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le rapporteur Jean Leonetti, qui va nous rejoindre.

Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation, Monsieur Picavet. Vos recherches ont principalement porté sur la théorie politique et l’épistémologie des sciences du politique et du social, ce qui vous a amené à réfléchir sur les principes qui sous-tendent les décisions politiques en matière de bioéthique. Dans un article paru en 2003, vous avez évoqué à ce propos des « craintes légitimes » en raison de la conjonction « des idéologies du consensus amoral, du compromis systématique avec les puissances économiques (…) et de l’accompagnement des techniques. » Pourriez-vous préciser votre point de vue ? Dans un autre article intitulé L’espèce humaine et la menace bioéthique, vous avez estimé par ailleurs que « le passage à une ère où l’altérité peut être réduite à un rapport avec un objet a sans doute été facilité par l’influence de la bioéthique mondialisée et parfois orientée vers la constitution d’un comité d’éthique mondial qui réclame dès à présent la disparition de toute idée de dignité morale de l’être humain en tant que tel. »

Un certain nombre d’institutions, dont l’Agence de la biomédecine, le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil d’État et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ont rendu ou vont rendre leurs avis dans la perspective de la révision des lois bioéthiques, prévue pour 2010. Nous souhaiterions recueillir le vôtre, notamment en ce qui concerne la raison d’être d’une loi bioéthique et les éventuelles menaces pesant sur les principes éthiques.

M. Emmanuel Picavet. Je vous remercie de votre invitation. J’articulerai mon propos en trois temps : je soulignerai d’abord que la situation actuelle a les caractéristiques d’un compromis politique ; puis je mettrai en relief l’importance que présente à mes yeux, dans ce compromis, la référence à des principes, qui doivent demeurer fermes ; enfin, j’évoquerai les principaux dangers auxquels nous nous exposons si les principes sont sacrifiés à certaines prétentions. Je me suis surtout fondé sur deux documents qui me paraissent emblématiques du débat actuel, le récent rapport de l’Agence de la biomédecine et le rapport remis par M. Pierre-Louis Fagniez au Premier ministre en 2006.

La situation actuelle est assez différente de celle qui prévalait lors des débuts de la bioéthique légale en France, notamment en raison du combat idéologique que mènent certaines puissances contre les droits de l’homme, qui est relayé dans le débat éthique par des arguments relativistes. Dans le Journal international de bioéthique, le philosophe japonais Hyakudai Sakamoto a ainsi estimé que les idéologies des droits de l’homme et de la dignité humaine gênent le dialogue entre les cultures et retardent les progrès de la science. À cela s’ajoute une concurrence idéologique autour des valeurs morales ; la caricature des choix éthiques occidentaux constituant aujourd’hui le fonds de commerce des tendances fondamentalistes, la vigilance s’impose quant à l’application des principes humanistes – notamment en France, pays de la laïcité tolérante et de la modération religieuse, susceptible d’être perçu de ce fait comme particulièrement exposée aux dérives morales.

Le compromis français me semble équilibré, d’abord en ce qu’il représente une limitation aux pressions éthiques – on ne peut pas demander tout et n’importe quoi aux membres d’une famille, aux laborantins, aux membres d’une équipe hospitalière ou aux étudiants – et protège donc les personnes. Il constitue aussi une limitation à la discrimination éthique dans les professions de la recherche et de la santé – dont on regretterait qu’elles exigent un profil éthique particulier. Enfin, il limite l’expression des aspirations à l’eugénisme privé. La question centrale qui se pose est donc celle des risques ou des bénéfices, pour la vie commune, d’un éventuel déplacement de ce compromis.

Celui-ci est structuré par des principes, lesquels sont régulièrement attaqués, au motif qu’ils seraient hypocrites. C’est l’argument de ceux qui veulent légaliser ce qui est illégal : ils évoquent par exemple le cas de familles françaises qui ont eu recours à la gestation pour autrui (GPA) à l’étranger ou le fait que des êtres humains au stade embryonnaire sont parfois utilisés comme matériaux de laboratoire. L’Agence de la biomédecine dénonce même « l’absence d’un cadre légal » s’agissant des expériences sur les embryons que pourraient vouloir mener certains professionnels de l’assistance médicale à la procréation (AMP), à savoir « des recherches cliniques sur les gamètes et le développement embryonnaire in vitro et le développement de l’embryon en culture avant son transfert dans l’utérus ». En fait, il n’y a pas de vide juridique, mais une interdiction frappant certains types d’expérimentation. La question est donc : pourquoi ce qui est interdit devrait-il devenir autorisé ? Ceux qui parlent d’hypocrisie ne manifestent-ils pas simplement leur refus des interdits posés par la loi ? Certes, il y a des exceptions aux principes, mais ils ne font que traduire dans un « compromis expressif » la réalité de désaccords : ainsi en va-t-il de la dérogation concernant certains donneurs d’organe vivants, étudiée dans le rapport de l’Agence de la biomédecine, ou encore de l’autorisation à titre dérogatoire, dans des cas bien précis, du diagnostic préimplantatoire.

Même s’il y a des dérogations, les principes conservent un sens pour tous et jouent un rôle éducatif quant à la conception républicaine de la dignité humaine ; leur remise en cause pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Elle décrédibiliserait nos engagements nationaux et marquerait le renoncement à s’engager dans la voie d’une éthique nationale de référence. Elle traduirait un mépris pour ceux qui considèrent que ces principes doivent être réaffirmés, voire reformulés dans le sens d’une plus grande exigence. Enfin, elle affaiblirait considérablement l’engagement à rechercher ensemble des compromis tolérables – étant entendu que l’on peut accepter un compromis tout en le trouvant mauvais ou injuste, à condition que le processus qui y mène soit acceptable. Si les principes se réduisent à des « pétitions de principe », notamment en ce qui concerne la non-instrumentalisation des êtres humains, le processus éthique lui-même sera menacé. Dans le rapport très documenté de Pierre-Louis Fagniez, je note ainsi un écart entre le corps du propos et ses conclusions : par exemple, l’utilisation de tissus issus de cellules souches d’origine embryonnaire est évoquée après de longs développements sur ses risques potentiels ; quant à « l’immense et passionnant défi du clonage thérapeutique », il suscite des avis partagés, et certaines personnes refuseraient d’être soignées à partir de tels procédés.

La vivacité des oppositions éthiques constitue en elle-même une invitation à la prudence. Le questionnement gagne en acuité avec les conclusions, assez enthousiasmantes, des sections du rapport de M. Fagniez consacrées à l’utilisation de cellules souches adultes, notamment en ce qui concerne la conservation du sang placentaire – point sur lequel le rapport de l’Agence de la biomédecine semble quant à lui ne pas remettre en cause le conservatisme français.

Bref, la nécessité d’une libéralisation ne paraît pas évidente. Non seulement il me semble difficile de parler de « progrès » lorsque ce qui le constitue n’est pas acceptable aux yeux de tous, mais il convient aussi de tenir compte d’un affinement prévisible de la sensibilité morale, comme ce fut le cas par exemple à propos de la souffrance animale, ou encore des fœtus : sans doute le choc qu’avait provoqué dans l’opinion, voilà quelques années, la découverte que des fœtus morts avaient été conservés dans un hôpital était-il, pour partie, lié au fait que les parents sont sensibilisés par les images fournies par les échographies. C’est pourquoi une vision « stadiste », selon laquelle la dignité humaine serait liée à l’acquisition de facultés particulières ou à l’accès à l’autonomie, me paraît assez naïve, de même que les conceptions libérales et utilitaristes qui lui sont associées. Le critère le plus pertinent sur lequel fonder la dignité humaine me paraît être, assez simplement, l’inclusion dans l’espèce, indépendamment des considérations juridiques et politiques. La non-instrumentalisation peut être considérée comme le corollaire de cette dignité ; ainsi, s’agissant des embryons, il y a une très grande différence entre accepter la fabrication, à l’occasion d’une fécondation in vitro, d’embryons surnuméraires appelés à la disparition, et accepter leur utilisation comme des objets. De manière peut-être un peu moins nette, des questions comparables peuvent se poser à propos de la légalisation de la gestation pour autrui, la mise à disposition d’un ventre maternel pouvant être considérée comme une forme d’exploitation. De telles évolutions sont dangereuses car elles véhiculent l’idée d’une instrumentalisation, qui peut être perçue comme participant de tendances nihilistes ou anti-humanistes.

Qu’il s’agisse de l’instrumentalisation radicale de l’embryon ou de la gestation pour autrui, ceux qui réclament la rupture savent que ce qu’ils demandent est jugé pleinement immoral par d’autres. Chaque camp peut comprendre les raisons de l’autre, mais on ne peut ignorer la réalité des désaccords : ainsi, au moment où certains demandent que l’on puisse traiter les embryons humains comme des choses, l’Office européen des brevets décide que « les cultures de cellules souches humaines qui ne peuvent être obtenues qu’en détruisant des embryons humains ne sont pas brevetables en vertu du droit européen des brevets ».

Pourquoi vouloir consacrer et protéger ce qui est rejeté par certains citoyens comme moralement inacceptable ? Ce serait une rupture avec l’entreprise même de la bioéthique institutionnelle, laquelle est faite d’efforts pour parvenir, dans le dialogue et le compromis, à des solutions qui, sans être considérées comme justes par tout le monde, sont néanmoins acceptables parce qu’elles tiennent compte des critiques, des doutes et des refus qui ont pu s’exprimer.

M. Michel Vaxès. Il me semble avoir entendu davantage d’interrogations que de réponses, la seule que vous donniez réellement étant un appel à la recherche du consensus. Mais le critère de l’instrumentalisation, par exemple, n’est pas simple : la question de l’utilisation d’une personne au service d’une autre ne se pose pas de la même façon selon qu’il y a ou non consentement ; et que dire de la situation où le pronostic vital du bénéficiaire est en jeu – comme dans ce cas, dont les médias se sont fait l’écho, du don d’un rein entre un frère et une sœur ? En revanche, la liberté humaine n’étant pas illimitée, il me paraît indispensable de définir dans une loi-cadre les principes qui permettraient de répondre aux nombreuses questions qui se posent.

M. Paul Jeanneteau. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par l’idée que la dignité humaine se fonde sur l’« inclusion dans l’espèce » ? Par ailleurs, où situez-vous le seuil « non négociable » de l’interdit ?

M. Xavier Breton. Je considère quant à moi que les questions que vous avez soulevées permettent de prendre un recul salutaire. Quel regard portez-vous sur l’élaboration des lois bioéthiques depuis 1994 ? Faut-il selon vous conserver la formule de la révision périodique, ou préférer l’élaboration d’une loi-cadre qui affirmerait des principes ? Par ailleurs, comment doit à votre avis se faire la répartition des compétences entre le législateur et les organes rassemblant des experts, tels que le Comité national d’éthique et l’Agence de la biomédecine ?

M. Emmanuel Picavet. Je comprends le sentiment de M. Vaxès, dû en partie au fait que je n’ai pas souhaité formuler un avis personnel.

La question de l’instrumentalisation est bien entendu très complexe, mais le don d’organe n’en relève pas au sens strict dès lors que, d’une part, il s’appuie sur le consentement éclairé et que, d’autre part, il ne s’agit pas d’une mise à disposition totale de la personne. Le problème est différent dans le cas, par exemple, de l’exposition de cadavres qui se déroule en ce moment à Marseille, ou dans celui de l’utilisation des embryons – stade de développement par lequel nous sommes tous passés…

M. le Président. Sortons de l’ambiguïté. La loi de 2004 dispose que la recherche sur l’embryon est interdite, mais elle a institué un moratoire de cinq ans l’autorisant sous certaines conditions. De ces deux dispositions, laquelle vous semble choquante ?

M. Emmanuel Picavet. Ce qui frappe d’abord, c’est le caractère contradictoire de leur formulation.

M. le Président. Pour vous, l’interdiction de la recherche sur l’embryon devrait-elle figurer dans une loi-cadre ?

M. Emmanuel Picavet. Mon avis personnel est que oui ; je suis assez admiratif de ce qui a été décidé en Allemagne ou en Hongrie. Mais d’un point de vue collectif, la contradiction dont je faisais état peut relever du compromis : le fait de poser un principe et d’admettre des dérogations ne me paraît pas inacceptable, à la différence de la modification des principes eux-mêmes.

M. Jean-Sébastien Vialatte. L’Allemagne important des cellules souches embryonnaires de pays asiatiques qui ont une conception de l’éthique bien différente de la nôtre, il ne me semble guère possible de la citer en exemple.

Par ailleurs, vous avez considéré que le don d’organe était un cas particulier dans la mesure où il avait un caractère partiel ; mais pourquoi alors ne pas traiter de la même façon la GPA – qui n’est pas davantage un don total ?

M. Emmanuel Picavet. S’agissant du don d’organe, les notions d’autonomie et de consentement éclairé sont à mettre au premier plan. Aux États-Unis, le fait de donner un rein est largement perçu comme une marque d’altruisme. En France, le don est assez étroitement circonscrit à la cellule familiale – ce qui peut d’ailleurs poser divers problèmes.

Le substrat fondateur de la dignité humaine est quant à lui très difficile à déterminer. L’autonomie et la rationalité sont certes des critères possibles mais qu’en est-il, dès lors, de certains malades ou personnes handicapées ? Le critère d’appartenance à l’espèce humaine manque sans doute de lyrisme, mais les autres reposent sur des aptitudes qui ne sont pas partagées par tout le monde et qui sont susceptibles d’évolution pour chaque individu.

Concernant les lois bioéthiques, j’approuve le processus de révision, qui permet de s’adapter aux aspirations de la société, d’entretenir le débat et d’éviter de poser trop d’interdits – mais je ne suis pas pour autant hostile à une loi-cadre qui fixerait certains principes élémentaires. Il me semblerait en revanche dommageable que cette révision soit limitée au seul plan technique : le ton du rapport de l’Agence de la biomédecine, à cet égard, m’a paru assez glaçant car il laisse entendre que d’un point de vue médical, il n’y a pas de raison de s’opposer aux aspirations qui, techniquement, peuvent être satisfaites. Dans un processus de révision aussi lourd d’enjeux, il est nécessaire de ne pas se limiter à cette perspective médicale.

M. Serge Blisko. Eu égard aux objectifs de notre mission, je ne vois pas pourquoi le point de vue médical ne serait pas prééminent. Si l’on suivait votre raisonnement à l’envers, on pourrait se demander, par exemple, quelles sont les raisons non médicales qui empêcheraient de vacciner. Ainsi, jusqu’en 1959, dans certaines régions du Canada, la vaccination était interdite, au motif qu’il était contraire au dessein divin d’intervenir sur le cours des maladies. La vaccination contre la poliomyélite reste interdite dans certaines communautés protestantes néerlandaises. Prenons garde de ne pas retomber dans ce genre de querelles.

Méfions-nous aussi des conséquences que peut avoir la mise en avant d’une morale altruiste. En France, beaucoup de contaminations par le VIH ont résulté d’un délire altruiste : la collecte de sang a largement été opérée dans des milieux à risque, en prison ou dans la rue, en arguant du fait que le bénévolat était une forme de rédemption. Les contaminations ont été beaucoup moins nombreuses dans des pays où le don du sang est rétribué, ainsi que dans les départements français où les centres de transfusion sanguine n’ont pas fait de collecte dans les établissements pénitentiaires.

M. Henri Emmanuelli. Vous avez parlé de ton « glaçant » à propos de la mise en avant de finalités médicales. Je ne crois pas que cet adjectif soit adapté à des considérations à visée thérapeutique.

Par ailleurs, il m’a semblé que vous pratiquiez une forme de laïcisation du sacré et que vous opposiez la morale et la relativité : vous paraissez considérer que tout relativisme en matière morale est interdit, un principe ne devant pas souffrir de dérogations. Ai-je bien compris votre propos ?

M. Michel Vaxès. Il n’y a pas toujours lieu d’accéder aux aspirations nouvelles, d’abord parce que celles-ci ne sont pas forcément acceptables. C’est la première limite qui s’impose au législateur. La deuxième, c’est le refus de la marchandisation, qui renvoie à la dignité humaine – laquelle n’est pas inscrite dans l’espèce, parce qu’elle n’a rien de biologique, mais est attachée à la personne, socialement et historiquement définie.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il me paraît difficile de dire que la vente du sang apporte plus de sécurité que le don du sang. Dans les pays d’Amérique du Sud, où les gens pauvres vendent leur sang, la contamination par le sida a été très forte. Méfions-nous, d’une manière générale, de la marchandisation, ainsi que du vide juridique et du laisser-faire : on vient de voir qu’un enfant belge pouvait être vendu aux enchères à un couple néerlandais sans que la Belgique ne trouve d’infraction à la loi.

Méfions-nous aussi du don altruiste. Jusqu’à présent, le don d’organe a été limité au cercle familial ; l’idée de l’étendre me paraît poser problème. Si quelqu’un propose de donner son rein à une personne qu’il ne connaît pas, sa générosité n’est-elle pas suspecte ? Ne serait-il pas suspect que, de la même manière, une femme prête son utérus ? Lors du débat sur la précédente loi, nous avions évoqué l’histoire de ce garçon qui avait donné un rein à son frère et qui, quelques années plus tard, ayant une vie difficile, avait fait appel à la justice pour réclamer au receveur un « retour » financier : c’était une demande de marchandisation a posteriori.

Un cadre strict est donc nécessaire et c’est la raison d’être des lois bioéthiques. Il faut à la fois rejeter la marchandisation du corps, qui aboutit à des dérives, et encadrer le don, derrière lequel il peut y avoir la recherche d’un bénéfice, qui peut ne pas se limiter au plan moral et se traduire par la réclamation a posteriori d’un « dû ».

S’agissant de la transgression des interdits, si transgression il y a concernant les embryons, ne se trouve-t-elle pas dans le fait de détruire des embryons congelés, plutôt que dans celui – plus « anecdotique » – de prélever une cellule avant cette destruction ?

M. Emmanuel Picavet. En ce qui concerne la prééminence d’un point de vue médical, j’ai voulu dire simplement que la révision des lois bioéthiques ne peut être réduite à une adaptation à l’évolution des possibilités techniques. D’autres enjeux existent, qu’il s’agisse des choix entre les pistes de recherche possibles, du dialogue des cultures quant à la conception de la dignité humaine, de l’éducation des enfants, ou encore de la détermination des priorités techniques. Ainsi, il peut y avoir des perspectives de progrès dans le traitement technique de l’infertilité, mais aussi dans le traitement de ses causes, et il faut déterminer une pondération entre ces deux voies, ce qui implique un choix de valeurs. Dans cette démarche, il me paraît sensé de chercher à ne pas heurter de front les convictions d’une partie de la population.

« Laïcisation du sacré », disait M. Emmanuelli : je ne conteste pas l’expression, considérant que les droits de l’homme, par exemple, relèvent bien d’une forme de sacré dans l’ordre républicain et démocratique. Certes il ne faut pas tout sacraliser car plus on sacralise, plus on décourage les remises en cause, lesquelles peuvent être fondées. Cela pose en effet la question du relativisme, mais je distingue le relativisme substantiel et le relativisme de méthode. Dans le sujet qui nous occupe, on est obligé d’être un peu relativiste sur le plan de la méthode car on raisonne dans un cadre pluraliste, où s’expriment des convictions divergentes, ce qui doit conduire à la recherche de compromis. Si le compromis est défendable d’un point de vue éthique, on n’est pas dans le relativisme : il y a bien un choix collectif pour consacrer certaines options plutôt que d’autres.

M. Henri Emmanuelli. Êtes-vous absolutiste en matière de principes ?

M. Emmanuel Picavet. Non, les principes ne sont pas forcément absolus et à l’écart de tout compromis. L’exigence éthique doit se porter sur la construction des compromis, mais il faut construire de bons compromis, des compromis défendables – même si certaines personnes, fatalement, continuent à les trouver injustes –, et on sort alors du relativisme. Dans le champ de la bioéthique, certains, tel Hyakudai Sakamoto, sont explicitement relativistes et demandent aux États d’être relativistes, en considérant que dès lors qu’on fait référence à des principes, même si c’est dans le cadre d’un compromis, on érige des barrières entre les peuples – puisque tous ne font pas référence aux mêmes. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : ce courant est piloté par l’hostilité aux droits de l’homme et aux puissances qui en prônent la défense ; il se fonde sur des considérations qui relèvent davantage de la géopolitique que de l’éthique.

Par ailleurs, les oppositions de valeurs ne sont pas toutes du même ordre. Sur les plus belles questions que pose la révision des lois de bioéthique, il y a compréhension mutuelle des arguments. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’opposition aux vaccins, dont parlait M. Blisko ; de même, dans le débat sur la peine de mort, l’un des camps s’est trouvé à court d’arguments, faute de pouvoir prouver l’effet dissuasif de la peine. Les questions de bioéthique les plus fondamentales ne sont pas de ce type.

Quant au bénévolat et à la gratuité, je ne crois pas qu’il faille leur préférer la professionnalisation et les transactions monétaires. Un encadrement administratif peut suffire à assurer le sérieux des opérations.

En ce qui concerne les rapports entre donneur et receveur, certes développer la marchandisation, c’est augmenter la palette du choix, mais en revanche, cela peut altérer la qualité des options : je pense par exemple à une famille pauvre dont le chef subirait des pressions des autres membres pour vendre son sang, et qui refuserait de le faire. Il est important de veiller à ce que les choix restent libres et de bonne qualité ; c’est à ce niveau que se situent les enjeux principaux du respect de la dignité. Il faut mettre en balance ce que peut dicter le désir de l’individu, dans une perspective de consentement éclairé, et d’autres considérations telles que les risques objectifs ou les pressions sociales, qui concernent la nature même des options entre lesquelles les individus peuvent choisir. Dans le cas de l’élargissement des possibilités de don, on peut aller assez loin en s’appuyant sur des normes de consentement éclairé – si les gens veulent être altruistes, pourquoi ne pas permettre à cet altruisme de s’exprimer –, mais dans un cas comme celui de la gestation pour autrui, il existe des risques objectifs, tels que les traumatismes psychologiques, qui donnent un peu moins de poids à l’argument du consentement éclairé, et qui personnellement me conduisent à être plus réservé sur l’opportunité d’une légalisation.

M. le Président. Merci beaucoup.

Audition de M. Philippe POULETTY,
Président de France Biotech,
association française des entreprises de biotechnologies



(Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Philippe Pouletty, docteur en médecine, diplômé de l'Institut Pasteur en immunologie, ancien chercheur à l'université de Stanford, à l'origine de plusieurs brevets dans le domaine de la santé et des biotechnologies.

Président de 2001 à avril 2006 et depuis juin 2007 de l'Association française des entreprises de biotechnologies, France Biotech, qui compte près de 150 adhérents, vous êtes également directeur général d'une entreprise de biotechnologie que vous avez co fondée. Vous présidez aussi le Conseil stratégique de l'innovation.

Au nombre des thèmes sur lesquels nous aimerions vous entendre figurent bien sûr celui de l'innovation, des brevets, notamment de la brevetabilité du vivant, de l'attractivité de notre pays pour les chercheurs et les entreprises de biotechnologies mais aussi celui des recherches en sciences de la vie, avec les craintes qui peuvent se faire jour de la marchandisation du corps humain et les problèmes soulevés par certaines nouvelles techniques. Quatre ans après l'adoption de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique et au vu de ses applications, est-il nécessaire, selon vous, de la modifier et, si oui, sur quels points ?

M. Philippe Pouletty. Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à participer à vos travaux. Il convient, me semble-t-il, de replacer les recherches actuelles sur les cellules souches, et d'une manière générale sur les thérapies cellulaires, dans le cadre des progrès thérapeutiques à attendre à l'horizon de quelques décennies. Ces recherches seront déterminantes. En effet, malgré la multiplication par dix, voire par vingt, des budgets de recherche et développement de l'industrie pharmaceutique depuis une dizaine d'années, pas plus de 15 à 25 nouveaux médicaments sont agréés chaque année par la FDA (Food and drug administration) ou l'Agence européenne des médicaments – European medical evaluation agency (EMEA) – si l'on exclut les dérivés, les génériques et les présentations sous des formes ou des dosages différents.

Pourquoi si peu de médicaments réellement nouveaux ? Tout simplement, parce que le paradigme de la recherche d'une molécule chimique agissant sur un récepteur précis de l'organisme pour traiter une maladie, un temps renforcé par le rêve qu'a pu faire naître le séquençage du génome humain, est erroné : son efficacité relève de l'exception. La plupart des maladies ne résultent pas en effet de la mutation d'un gène ayant entraîné la modification d'un seul récepteur mais, au contraire, de dérèglements complexes impliquant, à des niveaux divers, des dizaines, voire des centaines de milliers de protéines. La recherche d'une molécule agissant sur un récepteur donné est donc quasiment vouée à l'échec, d'autant que les médicaments sont déjà nombreux sur le marché.

La prochaine vague probable d'innovation consistera en des thérapeutiques complexes auxquelles l'industrie pharmaceutique traditionnelle est très mal préparée, contrairement à des petites et moyennes entreprises innovantes de haute technologie, issues du monde académique. Prenons l'exemple de l'insuffisance cardiaque terminale. Lorsque les substances inotropes qui améliorent la contractilité du muscle cardiaque ne sont plus d'aucun secours, la seule solution pour les malades réside aujourd'hui dans la transplantation mais les progrès en matière de sécurité routière ont considérablement réduit le nombre potentiel de donneurs… À l'horizon d'une vingtaine d'années, il devrait être possible de réparer le muscle cardiaque soit par le biais d'une thérapie cellulaire injectable, soit, plus probablement, par la mise en place de moules (scaffolds) autour du cœur auxquels adhéreraient les cellules du muscle, technique de bio-ingénierie ayant de réelles chances de succès. Une autre possibilité consiste à implanter un cœur artificiel, composé d'éléments à la fois biologiques et électroniques. La société Carmat, société (« spin-off ») créée et financée par EADS, travaille, en collaboration avec les équipes du professeur Carpentier, à la mise au point d'un prototype de cœur artificiel qui devrait pouvoir être testé chez l'homme d'ici à deux ans.

Les pathologies multifactorielles comme l'insuffisance ou le dysfonctionnement cardiaque, hépatique ou pancréatique exigeront des approches thérapeutiques de plus en plus complexes recourant à des bio-prothèses associant vivant et électronique, ou à des cellules fabriquées in vitro à partir de cellules souches. Dans les vingt ans à venir, on sera capable de fabriquer des cellules hépatiques parfaitement histo-compatibles pour le receveur, puisqu'issues de ses propres cellules. Le processus de fabrication pourra être assez rapide dès lors que l'on aura parfaitement compris les mécanismes de la différenciation cellulaire et histologique chez les mammifères. Freiner l'innovation dans les thérapies cellulaires retarderait donc les progrès thérapeutiques. Or, la France n'est pas perçue comme le pays idoine pour conduire des recherches dans le domaine des biotechnologies. Elle ne se classe que troisième en Europe, assez loin derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne. Est en cause la qualité de notre recherche académique, en particulier en sciences de la vie, qui a fortement décliné depuis trente ans comme en attestent la diminution du nombre de citations de nos chercheurs, de publications, de prix Nobel, le trop faible essaimage des résultats de la recherche et le manque d'attractivité de notre pays auprès des doctorants.

Une profonde réforme de notre recherche est donc indispensable. À cet égard, la récente loi relative à l'autonomie des universités ne constitue qu'un timide pas en avant : il aurait fallu rendre les universités totalement autonomes et les faire diriger par des conseils d'administration indépendants, comprenant des membres étrangers et choisissant leur président en fonction de ses seules qualités et non pour des raisons de politique interne à l'établissement – un conseil d'administration n'est pas un comité d'entreprise !

Le budget de l'Agence nationale de la recherche n'est pas non plus suffisant pour que celle-ci soit l'outil privilégié de redynamisation de la recherche française qu'elle aurait dû être en séparant les employeurs des chercheurs que sont les universités ou les organismes de recherche et les bailleurs de fonds. Attribuer les crédits après mise en compétition des projets de recherche aurait été la meilleure façon de provoquer la réforme de nos organismes de recherche et de nos universités.

Enfin, s'agissant du délicat sujet de la sélection, un énième recul a encore eu lieu. Si l'on veut que notre recherche soit à l'origine de grandes innovations, lesquelles en matière de biotechnologie thérapeutique proviennent à 80 % de la recherche académique, il faudra aller beaucoup plus loin dans la réforme.

Que le financement de l'innovation soit en France un parent pauvre explique aussi le manque d'attractivité de notre pays. Ainsi la loi de finances initiale pour 2009 diminue-t-elle de moitié par rapport à 2008 le budget d'OSEO, organisme qui accorde des subventions ou des avances remboursables aux entreprises innovantes. La réforme des fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) et diverses mesures de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA) ont marqué des progrès pour le capital-risque, mais la grande réforme qui permettra d'orienter une fraction importante des quelque 3 000 milliards d'euros épargnés chaque année dans notre pays vers de jeunes entreprises innovantes reste à mener. Il conviendrait de même de réformer le capitalisme entrepreneurial afin que l'épargne se dirige davantage vers les entreprises créatrices de valeur économique que vers les produits financiers dérivés.

Les jeunes chercheurs et entrepreneurs, français ou étrangers, sont aujourd'hui réticents à travailler en France sur les cellules souches ou les thérapies cellulaires, invoquant le spectre de José Bové – dont l'action directe a entraîné de nombreuses faillites d'entreprises de recherche dans le domaine agricole –, mais aussi les lois de bioéthique. La loi de 2004 n'a en effet autorisé les recherches sur les cellules embryonnaires que de manière dérogatoire pour cinq ans, ce qui a certes été mieux que rien – nous vous en remercions –, car le risque existait d'une interdiction totale. Mais par rapport au Royaume-Uni ou à la Californie – malgré l'opposition du gouvernement fédéral américain –, la France a pris beaucoup de retard. Ce n'est pas un pays où l'on a envie d'entreprendre, d'autant qu'un retour en arrière est toujours possible, les lois de bioéthique étant révisées tous les cinq ans.

M. le président. Comment expliquez-vous que l'Allemagne soit mieux placée que la France alors même que sa législation est plus restrictive ?

M. Philippe Pouletty. Elle n'est pas mieux placée que la France en matière de thérapies cellulaires mais beaucoup mieux placée que notre pays en matière de biotechnologies en général. Les thérapies cellulaires ne représentent que 5 % à 10 % des budgets de recherche et développement en biotechnologies. La « grosse cavalerie » dans les biotechnologies aujourd'hui, ce sont les anticorps monoclonaux, les protéines recombinantes et la diffusion ciblée des substances (drug delivery).

Quel avenir pour les thérapies cellulaires ? Fabriquer à partir d'une cellule indifférenciée n'importe quel tissu ou organe humain est encore un rêve lointain. De nombreuses recherches fondamentales préalables sont nécessaires. Subordonner, comme le fait actuellement la loi française, l'autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires à un bénéfice thérapeutique évident et immédiat à la clé, c'est méconnaître le fait qu'avant de fabriquer un tissu à partir d'une cellule souche, il faut comprendre la nature et le fonctionnement de toutes les cytokines et de tous les facteurs de croissance dans le développement de cette cellule. Il faut donc une beaucoup plus grande liberté de recherche fondamentale.

Nous avons tous pâti, pas seulement en France d'ailleurs, de l'utilisation d'un vocabulaire impropre, le poids des mots étant considérable. Si au lieu de clonage on avait parlé de transfert nucléaire, cela n'aurait pas eu le même impact dans l'opinion – je songe ici aux stock-options que certain ministre souhaitait qu'on appelle bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise, ce qui effrayait moins…

Je comprends que l'on puisse être opposé pour des raisons éthiques à la recherche sur des embryons, mais il ne faut pas oublier que la France a légalisé l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en 1975, autorisant donc la destruction de dizaines de milliers d'embryons, âgés non pas de quelques jours mais aujourd'hui jusqu'à douze semaines de grossesse. Il me semble y avoir là quelque contradiction.

Un ovocyte avant d'être fécondé, un blastocyte, une morula – embryon à huit blastocytes –, ne sont qu'un amas de cellules indifférenciées n'ayant pas atteint un stade de développement permettant de donner un être humain. Plutôt que de s'interroger pour savoir si les recherches doivent être autorisées seulement sur les embryons surnuméraires et non sur des embryons créés in vitro à partir d'ovocytes à seule fin scientifique, il me semblerait plus utile de réfléchir au stade de développement à partir duquel l'embryon peut être tenu pour un être humain en développement et à partir duquel il ne doit donc plus faire l'objet d'expériences. J'aurais tendance à considérer que c'est à partir du moment où est constitué son système nerveux central. Ce changement de point de vue simplifierait beaucoup les lois de bioéthique.

Si on n'assouplit pas très largement les recherches, y compris fondamentales, sur les cellules embryonnaires, en les autorisant sans savoir a priori si des progrès thérapeutiques immédiats pourront en résulter, les progrès seront difficiles. Il est possible qu'on puisse un jour se passer totalement de cellules souches embryonnaires grâce aux cellules somatiques pluripotentes, mais on n'en sait rien. Privilégier d'avance une voie par rapport à l'autre serait par conséquent totalement aléatoire.

Nous vous recommandons donc d'autoriser, sous le contrôle de l'Agence de la biomédecine, des projets de recherche fondamentale, et non pas seulement ciblée, y compris ceux visant à l'assurance qualité et à la reproductibilité des processus industriels de fabrication. Les laboratoires pharmaceutiques, les entreprises de biotechnologies, les investisseurs et les chercheurs doivent être assurés que la loi ne changera pas tous les cinq ans et que leurs recherches ne risquent pas d'être soudain frappées d'interdiction.

Les brevets ne sont que des outils temporaires, mais ils sont indispensables pour oser investir dans des projets novateurs car si l'invention n'est pas protégée, le risque est grand d'avoir, en pionnier, ouvert la voie à une découverte dont d'autres retireront les profits. La rentabilité des investissements à risque ne peut être garantie sans brevets très protecteurs. Pour ma part, je suis favorable à des brevets très larges dès lors qu'il ne s'agit pas de breveter le vivant en soi – une cellule ou un gène –, mais dès lors qu'un chercheur a démontré une propriété ou mis au point une application que nul n'avait imaginées.

Or la France n'est pas particulièrement bien placée pour les brevets dans le domaine des sciences du vivant. Les organismes de recherche français n'ont pas la culture du dépôt rapide de brevets. J'ai, pour ma part, déposé 29 brevets, dont celui qui est aujourd'hui le plus rémunérateur pour l'université de Stanford. Deux jours après que j'ai imaginé dans cette université un procédé d'amplification génique, le responsable des brevets me recevait et le brevet était déposé moins de deux semaines après ma découverte. Cette rapidité est déterminante car dès qu'un chercheur a une idée intéressante, nécessairement un de ses collègues, ailleurs de par le monde, n'est pas loin d'avoir la même. Or, en France, les organismes de recherche ont une politique plutôt restrictive. Dans la mesure où leur budget ne leur permet pas de financer toutes les demandes de brevets, ils diffèrent les dépôts, posant sous de fallacieux prétextes de nouvelles exigences, ce qui, entre-temps, fait que des brevets nous échappent. Cela étant, la propriété intellectuelle ne me paraît pas le facteur le plus limitant dans la recherche française.

M. le président. Je vous remercie de cet exposé et donne maintenant la parole au rapporteur de notre mission d'information.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez souligné, M. Pouletty, la contradiction qui pouvait exister dans un pays qui aurait légalisé l'avortement et interdirait les recherches sur des embryons surnuméraires voués à la destruction dès lors qu’ils ne font plus l’objet d’un projet parental. Prélever des cellules sur ces embryons vous paraît-il une étape supplémentaire dans la transgression ou n'est-ce pour vous qu'accessoire par rapport à la transgression que constitue la destruction elle-même de ces embryons ?

Selon vous, c'est à partir de la constitution du système nerveux central qu'un embryon devrait être considéré comme un être humain en puissance. Mais dès lors qu'existe un continuum dans l'évolution, il est difficile de fixer un seuil. Pourriez-vous préciser ce point ?

Quels dangers voyez-vous, d’autre part, au développement de la médecine prédictive ?

Par ailleurs, avez-vous le sentiment qu'en matière de biotechnologies, tant sur le plan théorique que pratique, les échanges de savoirs soient suffisants au niveau européen pour qu'émerge une idée européenne du sens des progrès, sachant que la thérapie cellulaire est sans doute l'une des voies d'avenir mais qu'il est difficile de prévoir les évolutions possibles à l'horizon de quinze ou vingt ans ?

Enfin, en matière de neurosciences, est-il possible, sur le plan scientifique, de distinguer les thérapies visant à combler par exemple un déficit sensoriel ou à réparer des neurones endommagés de celles ayant pour but de transformer le cerveau et donc de modifier la personnalité d'un individu, ce qui constituerait une barrière éthique ? La frontière pourra-t-elle être nette ?

M. Philippe Pouletty. Je suis heureux que vous ayez évoqué cette question des neurosciences, qui me tient beaucoup à cœur et qui, je le crois, sera beaucoup plus importante que celle des thérapies cellulaires sur le plan de la bioéthique.

Au début des années 2000, pour la première fois, des chercheurs sont parvenus à connecter des neurones d'escargot à une puce électronique. Il est probable qu'on saura, dans les cinquante ans à venir, faire communiquer des neurones ou des réseaux de neurones avec des éléments extérieurs, biologiques ou électroniques, c'est-à-dire créer une symbiose entre l’électronique et le vivant. Des essais cliniques sont d'ores et déjà réalisés pour restaurer la vision de personnes devenues aveugles en implantant des micro-électrodes dans leur rétine, lesquelles transmettent des signaux au cerveau à travers le nerf optique, ce qui permet à ces personnes de retrouver la perception de la lumière et des formes.

Dès lors que ces techniques seront parfaitement au point, se posera la question de savoir si on se contente de combler les déficits sensoriels ou si l'on tente d'améliorer l’homme, par exemple pour donner une vision d'aigle à des personnes qui souhaiteraient être pilote de chasse. De même, pourra-t-on peut-être un jour suppléer une mémoire humaine limitée par une « carte mémoire » électronique. Il faut dès à présent s'interroger sur ces questions, pour lesquelles la recherche précédera sans doute la réflexion, sachant que la normalité est très difficile à définir, hormis la normalité statistique donnée par la courbe de Gauss. La recherche devancera certainement la réflexion et un jour se posera certainement la question d'un véritable sixième sens du fait de ces connexions entre la biologie et l’électronique. Tiendra-t-on ces nouveaux modes de communication entre le cerveau et l'extérieur pour éthiques ou non ? Constitueront-ils ou non une transgression ? Une amélioration de l'être humain est-elle admissible ?

Le stade de développement à partir duquel un embryon doit être considéré comme un être humain en puissance me paraît une question fondamentale. En effet, tout échantillon d'ADN possède tout le potentiel de l'être vivant…

M. le rapporteur. Résoudra-t-on la question en fixant un stade de développement donné ou en se référant à l'intentionnalité du projet ? Aujourd'hui, la loi autorise, de manière dérogatoire, les recherches sur les embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Si l’on se réfère au critère d’intentionnalité, de l'ADN sans projet de clonage n'est que de l'ADN, c'est-à-dire un ensemble de protéines constituant un matériau expérimental. De même, un embryon de quelques cellules sans projet parental n'est qu'un amas cellulaire, comme tous les ovules fécondés qui, pour une raison quelconque, ne s'implantent pas dans l'utérus. Il semble que la distinction aujourd'hui opérée dans la loi se fonde non sur un stade chronologique, mais sur l'intentionnalité et l’existence d’un projet parental.

M. Philippe Pouletty. Permettez-moi une analogie un peu triviale. Imaginons que je souhaite me rendre de Paris à Marseille. Selon que je m'arrête en banlieue sud ou à Avignon, les choses sont différentes, bien que dans les deux cas mon projet soit le même !

M. le rapporteur. Si vous m'informez que vous venez à Marseille, je vous y attends…

M. Philippe Pouletty. Mais à partir de quand considérerez-vous que je suis près de Marseille ? À Lyon ? À Avignon ?

M. le président. Ces questions ont été très longuement débattues en 1994.

M. Philippe Pouletty. Le cerveau est considéré comme ce qui constitue le propre de la personne humaine, la mort étant d'ailleurs définie comme l'arrêt de son fonctionnement. Les organes destinés aux greffes sont ainsi prélevés sur des personnes en état de mort cérébrale. C'est pourquoi je place la barrière à la constitution d'un système nerveux central avancé. Si l'on ne se réfère pas à des stades de développement précis, il sera très difficile d'apprécier l'intentionnalité des projets.

Des laboratoires proposent aujourd'hui un séquençage total de l'ADN humain pour 90 000 dollars, mais dans les quelques années à venir, le prix devrait tomber à 10 000 euros. Dans le même temps, on sait déjà fabriquer de l'ADN très complexe et même des cellules par des procédés biochimiques.

La question qui se pose aujourd'hui pour l'embryon se posera demain pour la fabrication d'un organisme vivant à partir d'un génome entier, soit reconstitué, soit recombiné avec d'autres éléments. On pourra fabriquer des bactéries présentant d'intéressantes propriétés en matière de bio-énergie mais aussi, car les techniques seront les mêmes, quantité d'autres organismes sur lesquels on se voile aujourd'hui la face. Fixer une barrière fondée sur un stade de développement me paraît donc indispensable.

Pour ce qui est de la médecine prédictive, beaucoup confondent l'association d'une mutation génique à un risque accru de développer une maladie avec la possibilité de prédire la survenance de celle-ci. En réalité, il n'y a que très peu de maladies strictement associées et à coup sûr à la mutation d'un seul gène – je pense aux mutations des gènes de la globine, qui peuvent conduire à une thalassémie ou une drépanocytose ou encore à celle qui conduit à la mucoviscidose. Mais pour la plupart des maladies, le risque de survenance, même doublé ou quadruplé par une mutation génique, demeure très faible – que signifie passer d'un sur cent mille à un sur cinquante mille ou un sur vingt-cinq mille ? Les médias, mais aussi certains scientifiques, ont entretenu le mythe de la toute-puissance d'une médecine prédictive, laissant à croire qu'avec le séquençage du génome, on pourrait prédire à coup sûr que tel individu développera telle maladie à tel âge. Cela étant, le séquençage du génome et les tests génétiques, presque devenus un phénomène de mode, s'inscrivent dans la longue lignée des tests biologiques réalisés depuis longtemps et dont la liste ne cesse de s'allonger, de la mesure de la glycémie ou de la cholestérolémie au dosage dans le sang d'hormones ou de protéines. Ce n'est qu'un progrès normal dans le développement des moyens de diagnostic.

Pour ce qui est de l'Europe, le budget européen de la recherche n'est, hélas, pas celui de la politique agricole commune ! Si nos budgets de la recherche permettaient que les laboratoires français puissent concurrencer leurs homologues, britanniques notamment, les progrès pourraient être très rapides.

M. le rapporteur. La politique agricole commune n'organise pas la concurrence entre les différents pays européens. C'est une politique commune conduite dans l'intérêt européen.

M. Philippe Pouletty. Le budget européen de l'agriculture est considérable, celui de la recherche infime, très insuffisant en tout cas pour conduire une politique européenne efficace de recherche. Le budget du septième programme-cadre de recherche et de développement (PCRD), doté de quelques milliards d'euros, et celui de l'European research council permettent d’aiguillonner la recherche mais sont extrêmement faibles. L'essentiel des politiques et des budgets de recherche en Europe demeurent sous le contrôle des États. Nous souhaiterions bien sûr que chacun des pays européens vise à l'excellence mais que l'Europe aussi se dote d'une recherche de très haut niveau, car elle est aujourd'hui à la traîne, alors même que les États-Unis, quoi qu'en disent les Cassandre, vont rebondir très fortement et que les pays émergents comme la Chine ou l'Inde réalisent des progrès très rapides.

Les critères exigés pour le financement des projets dans le cadre du septième PCRD sont beaucoup trop complexes : c'est une aberration que de financer les projets selon la composition des équipes en imposant un certain pourcentage de chercheurs de chaque pays. La recherche ne vise pas à l'aménagement du territoire européen ! Le seul critère de sélection devrait être la qualité des projets d'où qu'ils émanent. Leur qualité devrait être appréciée après évaluation transparente et rigoureuse par des scientifiques de très haut niveau, et ne devraient être financés que les meilleurs – tant pis si la majorité d'entre eux émane d'un seul pays, car s'ils sont de très haut niveau, ce sera tant mieux pour l'Europe. L'European research council, dont le mode de financement de la recherche est le plus pertinent, reproduisant à plus petite échelle celui du National institute of health aux États-Unis, devrait avoir un budget bien plus important

M. Paul Jeanneteau. Vous avez souhaité, M. Pouletty, qu'on autorise largement les projets de recherche fondamentale. Pour autant, la recherche fondamentale ne doit-elle pas avoir de limites ? Si oui, lesquelles ? Et ces limites relèvent-elles de règles déontologiques que les chercheurs pourraient s'imposer eux-mêmes ou doivent-elles être plutôt posées par le législateur ?

Vous pensez que la législation beaucoup plus souple en vigueur Grande-Bretagne et aux États-Unis explique que les chercheurs en sciences du vivant soient plus nombreux à souhaiter travailler dans ces pays-là, qui, à terme, en retireront des bénéfices financiers. Mais la France doit-elle nécessairement s'aligner sur les législations les plus souples ? Ne peut-elle pas, ne doit-elle pas, pour les cellules souches comme pour l'assistance médicale à la procréation, conserver une législation spécifique qui traduit un choix de société, fût-ce au prix de moindres rentrées financières ?

M. le président. Les brevets ont la double fonction de protéger les découvertes et de favoriser l'innovation. Contrairement à vous, M. Pouletty, je suis hostile aux brevets très larges. Que l’innovation liée à une application technique dans le domaine de la génétique fasse l’objet d’un brevet, soit, mais breveter en même temps le gène, d'une part, crée une rente de situation et, d'autre part, entrave l'innovation dans la mesure où si, à partir du même gène, il existe une application différente, le brevet vaudra quand même. Les brevets trop larges sont, à mon avis, contre-productifs.

Lorsque l’on a engagé le décryptage du génome humain, les jeunes pousses (start-up) étaient pléthores dans le domaine et beaucoup d'entreprises étaient prêtes à s'engager financièrement dans des projets. Mais il semble que cette bulle, à l'instar de celle d'Internet, ait éclaté. Il n'existe pas aujourd'hui le même engouement pour la thérapie cellulaire. Faites-vous le même constat ? Si oui, comment l'expliquez-vous ?

L'Agence nationale de la recherche (ANR) est un outil efficace mais pour ce qui est des recherches sur le vivant, lesquelles devraient constituer une priorité de la recherche française, un fléchage des crédits serait sans doute nécessaire.

M. Philippe Pouletty. Faut-il à tout prix maintenir une spécificité française ? L'objectif n'est pas d'attirer des capitaux pour le principe, mais pour réaliser des progrès médicaux, donc des progrès sociaux, eux-mêmes sous-tendus par le progrès économique. Dans un domaine comme celui des recherches sur le vivant, où la France n'est qu'un petit pays – le budget de recherche et de développement de la Chine a dépassé le nôtre depuis plusieurs années –, vouloir absolument préserver une législation spécifique au nom d'un choix de société me paraîtrait contre-productif car nos voisins anglais, allemands ou espagnols sont confrontés aux mêmes choix de société. Bien que depuis toujours fervent gaulliste, je me demande pourquoi la France éternelle devrait systématiquement se singulariser, faire course à part. L'Europe devrait affirmer plus fortement des choix communs.

Il est très difficile de fixer des limites. En effet, le propre de la recherche fondamentale et de l'innovation est que l'on ne sait pas où elles mèneront. Personne avant les travaux de Marie Curie n'aurait pu penser à encadrer l'utilisation des substances radioactives ! D'où d'ailleurs le caractère essentiel de la recherche fondamentale. Les anticorps monoclonaux, notamment les anti-TNF (tumor necrosis factor) qui donnent des résultats spectaculaires dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde ou de certains cancers à des stades métastatiques, sont nés non pas de la recherche d'un traitement pour ces maladies, mais de la conjonction, au début des années 80, de deux découvertes sur des thèmes tout à fait différents de recherche fondamentale. La première concernait la manière dont communiquent les cellules entre elles : c'est ainsi que l'on a découvert le TNF, cytokine qui joue un rôle majeur dans l'inflammation systémique. La seconde avait trait à l'immortalisation des lymphocytes, procédé qui a permis de fabriquer des anticorps à propriétés spécifiques. C'est cette conjonction qui a permis de développer, des années plus tard, un anticorps monoclonal anti-TNF freinant la réaction inflammatoire et permettant un progrès thérapeutique majeur dans le traitement des maladies inflammatoires auto-immunes, que nul n'avait imaginé au départ. Sans soutien, notamment financier, de la recherche fondamentale de très haut niveau, il ne saurait y avoir d'innovations de rupture comme celle qu'a constituée la mise au point des anti-TNF.

Il faut bien sûr encadrer les recherches mais on perçoit les dangers d'une législation très contraignante, quand on ne sait pas où une découverte peut mener des années plus tard. À ce point, permettez-moi une analogie avec la pratique de l'euthanasie. Chacun sait qu'elle est quasi-quotidiennement pratiquée, dans les services d'oncologie notamment, dans une très grande hypocrisie d'ailleurs, ce qui donne lieu de temps à autre à quelques affaires qui ont un important retentissement médiatique. Je ne suis pas certain qu'il faille légiférer en la matière. Les médecins savent parfaitement quelles limites se fixer eux-mêmes.

D'une manière générale, il ne faut pas trop légiférer dans le domaine éthique, dès lors qu'on s'assure que seront prévenus le racisme, la xénophobie, la mise en danger de la vie d'autrui. Il faut faire davantage confiance aux professionnels, en veillant à la pluridisciplinarité des équipes. Sans doute serait-il opportun d'associer des spécialistes de sciences humaines au sein des équipes de recherche sur le vivant.

M. le rapporteur. Que le législateur n'entre pas trop dans le détail dans certains domaines est une excellente chose. La recherche fondamentale est essentielle car les chercheurs ne savent pas ce qu'ils vont trouver. L'exemple que vous avez cité montre que la conjonction fortuite de plusieurs découvertes issues de la recherche fondamentale a pu conduire à une application pratique du plus haut intérêt. Mais la comparaison que vous avez faite avec l'euthanasie me paraît avoir des limites. En effet, ce sont d’abord les comportements humains qu’il convient d’encadrer, et non la recherche. C'est bien au législateur qu'il appartient de poser des interdits et d’encadrer certaines pratiques.

M. le président. La recherche fondamentale est certes essentielle mais, on le sait notamment depuis Nüremberg, la déontologie ne suffit pas, les recherches fondamentales sur le vivant doivent être encadrées.

M. le rapporteur. Pas dans leurs objectifs, puisque les chercheurs ignorent au départ ce qu'ils trouveront.

M. Philippe Pouletty. Une solution ne serait-elle pas la présence systématique de philosophes, de juristes, de spécialistes des sciences humaines dans les commissions d'évaluation des projets scientifiques ?

M. le président. C'est le cas à l'Agence de la biomédecine.

M. Paul Jeanneteau. S'il ne faut pas brider la recherche fondamentale, il faut toujours garder présent à l'esprit que ses applications peuvent poser problème, en particulier lorsqu'il s'agit du vivant et de l'humain.

M. Philippe Pouletty. Il existe déjà un important arsenal réglementaire avec l'EMEA, l'AFSSAPS, l'Agence de la biomédecine ou l'Établissement français du sang. Ainsi, on ne peut pas commercialiser librement un produit ou un sous-produit humain à usage thérapeutique – contrairement d'ailleurs aux compléments alimentaires qui ne sont pas encadrés du tout alors même que leurs allégations thérapeutiques sont souvent fantaisistes. Trop légiférer peut avoir des effets pervers et une législation trop rigide peut être contre-productive.

J'en viens aux brevets. Si pour un gène dont une mutation est associée à une maladie, seule la technique permettant de relier l'anomalie génétique à la maladie fait l'objet d'un brevet, celui-ci est très étroit car il est facile de mettre au point une autre méthode apportant la même réponse. Le jeu n'en vaut alors pas la chandelle, surtout vu le coût des recherches en amont. Accepteriez-vous que le gène associé à une maladie donnée soit brevetable, quelle que soit la méthode utilisée pour établir ce lien – étant entendu que si on découvrait par la suite qu'une autre maladie est associée au même gène, cela ne serait pas couvert par le brevet – ? De plus en plus, les offices de brevets, aux États-Unis comme en Europe, n'autorisent pas de revendication très large si ne figure pas dans le corps du brevet de description précise de l'application.

M. le président. Êtes-vous favorable à la brevetabilité de lignées de cellules souches ?

M. Philippe Pouletty. Oui, pour des lignées très spécifiques, ayant nécessité un travail considérable d'identification et de sélection afin de leur conférer une propriété unique. Ainsi en serait-il d'une lignée de cellules souches permettant de fabriquer par exemple des hépatocytes produisant du facteur VIII de coagulation, si important pour les hémophiles. Une telle lignée devrait être brevetable car sa mise au point aurait exigé un travail technologique considérable et qu'elle bénéficierait à un très grand nombre de malades.

M. le président. C'est un sujet très complexe.

M. le rapporteur. On a affirmé, que le vivant ne pouvait pas faire l'objet de brevet et que seule l'invention, et non la découverte, pouvait être brevetée. L'intrication est en effet importante dans le domaine du vivant. Pour découvrir le lien qui peut exister entre la mutation d'un gène et une maladie, il faut beaucoup de recherches et d'intelligence humaine, ce qui, selon vous, justifierait un brevet. Mais comment encadrer dans la loi cette brevetabilité, non pas du vivant, mais de la découverte d'un lien entre cet élément humain et son application scientifique dans une pathologie définie ?

M. le président. C'est toute l'ambiguïté de la directive européenne de 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, en définitive acceptée par le France mais dont le Président de la République et le Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac et Lionel Jospin, avaient saisi la Commission européenne.

M. Philippe Pouletty. Il faut faire confiance aux offices des brevets pour juger au cas par cas. On ne peut pas édicter de règles générales simples.

M. le président. Si les membres de la mission d'information en sont d'accord, nous pourrions utilement auditionner le président de l'Office européen des brevets.

M. Philippe Pouletty. Pour le reste, je ne suis pas très favorable à des crédits « fléchés », lesquels induisent un pilotage à courte vue de la recherche, notamment par les cabinets ministériels, qui finissent toujours par favoriser le financement du projet de tel ou tel établissement.

M. le président. L'Agence nationale de la recherche (ANR) a précisément été créée pour fixer des priorités de recherche et 30 % de son enveloppe budgétaire sont destinés à des programmes blancs.

M. Philippe Pouletty. Pour ma part, je serais favorable à ce que l'État fixe le pourcentage que l'ANR doit consacrer aux sciences de la vie, sans descendre trop loin dans le détail.

Pour ce qui est des tours de table financiers, il est vrai qu'il y a eu un engouement excessif autour du séquençage du génome humain dans les années 90 en pensant que la mise au point de médicaments révolutionnaires était proche. Cette bulle a éclaté, comme celle de l'Internet. Il n'empêche qu'une association comme Human genome sciences a levé énormément d'argent sur ce rêve, et qu'avec ces crédits, elle a mené à bien d'intéressants projets, rentables à plus court terme. Il est vrai qu'aujourd'hui peu d'investisseurs acceptent de financer des projets de recherche de thérapie cellulaire en deçà du stade des essais cliniques, faute de quoi le retour sur investissement est trop long. D'où l'importance d'un soutien financier suffisant de la recherche académique pour les recherches à horizon beaucoup plus lointain.

M. le président. France Biotech a milité en 2004 pour que la loi autorise la transposition nucléaire. Dans votre combat à cette fin, vous avez, me semble-t-il, par trop utilisé le terme « thérapeutique », lequel a été repris, à tort et à travers je le concède, par des parlementaires de gauche comme de droite, pour défendre parfois des thèses opposées. L'exemple alors toujours cité était celui du traitement des maladies dégénératives. Le terme a été galvaudé. Mettons-nous un instant à la place des malades, entendant parler dans tous les médias de "thérapeutique" ! Combien de faux espoirs cela n'a-t-il pas suscités ?

M. Philippe Pouletty. Vous avez raison mais c'était l'époque de la déferlante médiatique sur le clonage reproductif. Tant de bêtises ont alors été proférées qu'il nous a bien fallu réagir, au risque, je le concède, d'une simplification excessive. Comme pour les organismes génétiquement modifiés (OGM), devant la démagogie et la désinformation, il fallait bien expliquer et essayer de faire comprendre. Pour ma part, je ne crois jamais avoir prétendu qu'une thérapeutique était envisageable à brève échéance, mais il fallait bien expliquer que tel était l'enjeu à l'horizon de quinze ou vingt ans.

M. Jean-Marc Nesme. Je comprends que les laboratoires pharmaceutiques et les entreprises de biotechnologies se préoccupent au plus haut point de leur chiffre d'affaires et de leur marge dans un contexte de forte concurrence internationale et qu'il ne faille pas brider les recherches. Mais quelles seraient, pour vous, aujourd'hui, les limites éthiques à ne pas franchir en tout état de cause ?

M. Philippe Pouletty. La première serait de ne pas viser à améliorer le fonctionnement du cerveau humain au-delà de ce qui est normalement attendu de cet organe. Une autre serait de ne pas poursuivre de recherches, de quelque nature que ce soit, sur un embryon au-delà du stade du développement du système nerveux central. Une autre encore serait de ne pas commercialiser des organes humains. Pour le reste, vous l'avez compris, je ne suis pas favorable à des dispositions législatives trop rigides ou restrictives. Pour juger de ce qui est ou non contraire à l’éthique, je ferais plutôt confiance aux agences – EMEA, AFSSAPS, Agence de la biomédecine… –, leurs membres devant, bien entendu, être choisis pour leurs compétences et la diversité des éclairages qu'ils peuvent apporter.

M. Jean-Marc Nesme. Il faut bien que la loi fixe des principes.

M. Philippe Pouletty. Confier ces missions à des agences spécialisées dont le jugement tienne compte aussi des évolutions scientifiques et technologiques me paraît la bonne solution. Ainsi la loi n'a-t-elle pas, dans le détail, fixé le degré de purification d'un médicament ou la part d'endotoxines qu'il peut contenir ; elle a seulement chargé l'AFSSAPS de veiller à la qualité sanitaire et à ce qui a trait à la reproductibilité des médicaments.

M. Michel Vaxès. Vous fixez l'acceptable dans la recherche à ce qui sert le progrès médical, au bénéfice du progrès social, lequel exige un certain développement économique. Encore faut-il que le progrès économique serve le progrès médical, ce qui n'est pas toujours évident.

Certaines applications scientifiques doivent être encadrées afin d'éviter des dérives dont nous ne voulons pas, comme celle qui consisterait à sélectionner les embryons en fonction de leur sexe, de leur taille, de la couleur de leurs cheveux ou de leurs yeux. S'il ne faut pas brider la recherche fondamentale, il faut quand même encadrer la recherche appliquée.

M. Philippe Pouletty. Le législateur a, me semble-t-il, renoncé à cette protection en 1975 dès lors qu'il légalisait l’interruption volontaire de grossesse (IVG) pour convenances personnelles.

M. Jean-Marc Nesme. Ce n'était pas l'esprit de la loi de 1975.

M. Philippe Pouletty. La technologie permet de connaître les caractéristiques d'un fœtus. Je ne suis bien sûr pas favorable à la sélection, mais force est de reconnaître que c'est plus tôt qu'il fallait réagir. S'il y a aujourd'hui moins de personnes atteintes de la trisomie 21 en France, c'est bien qu'on procède à l'élimination des fœtus porteurs de la mutation génétique, dépistés par diagnostic prénatal. Ce qui est peut-être très dommage car il est des sociétés, notamment aux États-Unis, où ces personnes sont mieux acceptées et mieux intégrées.

M. Michel Vaxès. La comparaison avec l'IVG ne me paraît pas pertinente. En effet, l'IVG aboutit à l'interruption de la grossesse, c'est-à-dire à la mort de l'embryon. Le projet de modifier l'enfant à naître est tout autre.

M. le rapporteur. La technique est la même pour dépister l'anomalie chromosomique de la trisomie 21 que pour déterminer le sexe ou la couleur des yeux.

M. Jean-Marc Nesme. Craignez-vous, M. Pouletty, des dérives ? Si oui, lesquelles ?

M. Philippe Pouletty. Dès lors qu'on peut modifier le vivant, on peut créer des organismes nouveaux redoutables comme des virus qui auraient la létalité du virus Ebola et présenteraient la caractéristique d'une incubation retardée comme celui de la grippe. Vouloir améliorer une personne humaine par rapport à la normale serait une autre dérive dangereuse.

M. Paul Jeanneteau. Il faudrait d'abord définir la normalité pour définir l'amélioration.

M. Philippe Pouletty. On ne peut pas imaginer par avance tous les dangers possibles. Là encore, il faut faire confiance aux agences qui financent la recherche, qui autorisent les protocoles de recherche et les thérapeutiques.

M. le président.  Il me reste à vous remercier pour l'éclairage que vous avez apporté à nos travaux.

Audition de Mme Carine CAMBY, conseiller maître à la Cour des comptes, ancienne directrice générale de l’Agence de la biomédecine


(Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons Mme Carine Camby, conseiller maître à la Cour des comptes, directrice générale de l’Établissement français des greffes de juillet 2003 à mai 2005, puis de l’Agence de la biomédecine, jusqu’en mai 2008.

Madame Camby, vous étiez chargée dans votre dernière fonction d’appliquer la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, qui a institué l’Agence de la biomédecine. À ce titre, pouvez-vous nous indiquer les sujets sur lesquels il vous semble utile que le législateur se penche de nouveau ? Quel bilan dresser de l’application de la loi de bioéthique ? Une loi-cadre ne suffirait-elle pas, compte tenu des missions dont est investie l’Agence de la biomédecine ?

Enfin, nous souhaiterions vous entendre sur la complémentarité du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine et du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).

Mme Carine Camby. En premier lieu, l’Agence de la biomédecine, qui a été créée par la loi de 2004 est encore jeune et n’a pas encore investi en profondeur l’ensemble des champs de la loi de bioéthique, certains décrets d’application restant à paraître. Cependant, il est possible de dresser un bilan de son action après trois années d’existence.

L’Agence a démontré qu’il était possible d’encadrer les domaines couverts par la loi de bioéthique : elle a convaincu l’ensemble des professionnels de sa maîtrise des sujets, de son aptitude à susciter le débat, de la transparence de son approche. Sur les pratiques sensibles, parfois transgressives, elle a exercé son autorité et le rôle de régulateur que lui avait confié le Parlement, en impliquant notamment les professionnels de santé et les associations de patients.

Au terme de longs débats au Parlement sur la question sensible de la recherche sur l’embryon, le législateur a trouvé un certain équilibre, en posant le principe général d’une interdiction, assortie de dérogations pendant une période limitée. En application de ces dispositions, l’Agence a délivré des autorisations aux équipes de recherche, après avoir examiné les dimensions scientifiques et éthiques de chaque projet. Le conseil d’orientation de l’Agence a joué un rôle fondamental dans ce domaine. Cette démarche régulatrice a fait ses preuves et une approche différente est désormais possible.

L’Agence s’est par ailleurs heurtée à une difficulté tenant au fait que la loi de 2004 atteint un haut degré de détails, avec des dispositions parfois impossibles à mettre en oeuvre. Je pense notamment aux dispositions concernant l’information de la parentèle en cas de maladie génétique transmissible dans la famille, dont ni le ministère de la santé, ni l’Agence n’ont réussi à trouver les voies d’application pratiques. La loi prévoyait également que l’Agence dresserait une liste des nouvelles techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP), suite aux débats sur l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), technique mise en oeuvre sans validation préalable dans le cadre d’une recherche biomédicale. Là encore, l’Agence s’est heurtée à de réelles difficultés et n’a pas pu mettre en œuvre cette disposition.

À ce sujet, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a évoqué récemment la possibilité de dresser une liste des indications du diagnostic préimplantatoire (DPI). Je rappelle que l’Agence de la biomédecine, après avoir mené une large concertation et une réflexion approfondie sur ce sujet, a conclu qu’à ce stade, il était plus opportun de laisser aux professionnels, encadrés par l’Agence, une certaine souplesse d’appréciation au cas par cas dans la mise en œuvre de la loi, plutôt que de dresser la liste de ces indications par décret.

De manière générale, peut-être faudrait-il donner à l’Agence une marge de manœuvre plus importante, sous le contrôle du Parlement et du gouvernement ; cela permettrait au législateur de ne pas trop entrer dans les détails dans un domaine caractérisé par l’évolution rapide des techniques et de mieux résister à certaines pressions. Il conviendrait ainsi de renforcer le pouvoir normatif de l’Agence, qui, contrairement à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), ne peut édicter elle-même des règles de bonnes pratiques et les rendre opposables, la loi prévoyant un arrêté du ministère de la santé. Ainsi, après le dépôt par l’Agence du projet concernant les règles de bonnes pratiques en matière d’assistance médicale à la procréation (AMP), il a fallu pas moins de dix-huit mois pour que l’arrêté soit publié, avec une tendance de l’administration à refaire le travail déjà effectué par l’Agence. De la même manière, et comme les autres agences de sécurité sanitaire, l’Agence devrait pouvoir édicter la liste des documents à fournir pour le dépôt d’une demande d’autorisation, sans devoir passer par un arrêté du ministre.

Le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine a joué un rôle extrêmement important et a rendu des avis fort intéressants. La question de la concurrence avec le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ne se pose pas. S’appuyant sur un réseau de professionnels, le conseil d’orientation travaille sur des questions concrètes, posées par la pratique de l’Agence, concernant par exemple l’opportunité de fixer un âge limite pour le recours à l’AMP, le conseil d’orientation ayant conclu sur ce point qu’il était préférable de laisser les professionnels apprécier si les femmes concernées sont en âge de procréer et peuvent avoir recours à l’AMP. S’il existe des échanges entre les deux organismes – un membre du CCNE siège ainsi au conseil d’orientation de l’Agence – il n’y a pas forcément de recoupements.

Concernant en second lieu les débats actuels dans le domaine de la bioéthique, qui sont soit inspirés des pratiques existant à l’étranger, par exemple la gestation pour autrui (GPA) ou l’indemnisation des donneuses d’ovocytes, soit suscités par des groupes de pression, comme c’est le cas pour la levée de l’anonymat du don de gamètes, il me semble important de conserver le socle sur lequel a été construite notre législation relative à l’utilisation des éléments du corps humain dans le domaine scientifique ou thérapeutique et qui est fondé sur les trois principes suivants : le consentement, la gratuité et l’anonymat du don.

La France a toujours refusé d’entrer dans un système de commercialisation des éléments du corps humain : il existe un consensus parmi les professionnels et les associations présentes au conseil d’orientation de l’Agence pour ne pas remettre en cause le principe de gratuité. À cet égard, la perspective de l’indemnisation de certains donneurs ne laisse pas d’inquiéter car la limite qui la sépare de la rémunération est très tenue. L’indemnisation des donneuses d’ovocytes en Espagne, même si elle n’est que de quelques centaines d’euros, incite ainsi nombre de jeunes femmes à financer leurs études en se prêtant à des stimulations ovariennes.

De plus, la pénurie des dons d’ovocytes en France ne tient pas d’abord à l’absence d’indemnisation : elle est plutôt due aux conditions d’accueil insatisfaisantes des donneuses dans les centres hospitaliers et au fait qu’aucune campagne d’information n’a été menée sur cette question – ce à quoi l’Agence a remédié récemment. Le don doit rester un geste altruiste et citoyen.

Par ailleurs, le groupe de travail sénatorial sur la maternité pour autrui m’a demandé si l’Agence serait en mesure d’encadrer cette pratique si elle était autorisée. Certes, l’Agence a fait la preuve de sa capacité à encadrer des pratiques transgressives, mais je reste opposée à la gestation pour autrui car elle ne peut que contrevenir aux deux principes fondamentaux que sont la gratuité et l’anonymat. Qu’elle soit pratiquée ailleurs ne peut servir d’argument : la France doit assumer les interdictions qu’elle a posées. En revanche, en tant que citoyenne, je trouve injuste que les enfants concernés ne soient pas inscrits à l’état civil : c’est leur faire supporter le poids du choix de leurs parents.

Par ailleurs, même si une association milite pour la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, il me semble qu’il serait dangereux d’attenter à ce principe essentiel qu’est l’anonymat. L’une des solutions évoquées – le double guichet – n’est certainement pas satisfaisante et, en tout état de cause, la levée de l’anonymat ne suffirait pas à résoudre les problèmes psychologiques que peuvent rencontrer les personnes issues d’une procréation médicalement assistée avec tiers donneur.

Le principe du consentement ne fait pas débat, sauf dans le cas du maintien du consentement présumé en matière de don d’organes. Régulièrement, des associations se prononcent pour l’inscription du consentement sur la carte Vitale ou sur le permis de conduire. Il faut pourtant savoir que les dons d’organes sont moins importants dans les pays où existe une condition de consentement exprès. Concernant les greffes d’organes, la situation actuelle me semble globalement satisfaisante – du moins, je ne vois pas de quelle façon la loi pourrait l’améliorer. Certes, la France continue de connaître une situation de pénurie, due à la forte augmentation de la demande. Cependant, les dons sont eux aussi en hausse ces dernières années. Ainsi, le taux de décès des personnes en attente de greffe diminue et les délais d’attente sont souvent relativement courts. Le développement du don d’organes dépend bien plus de la mobilisation des centres hospitaliers, notamment des services de réanimation, que de nouvelles dispositions législatives.

L’Agence est régulièrement interpellée sur la question des banques de sang de cordon ombilical en vue d’un usage autologue. L’autorisation de telles banques serait une atteinte au principe de non-commercialisation des éléments du corps humain. À cet égard, il faut souligner qu’actuellement, rien ne les interdit expressément. Ainsi, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a jusqu’à présent fondé son refus d’autorisation de banques commerciales sur le fait que la validité thérapeutique des cellules conservées n’est pas avérée. Si le principe de leur interdiction devait être maintenu, il conviendrait dès lors qu’elle repose sur des fondements juridiques moins fragiles.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Quelles sont les relations qu’entretient l’Agence de la biomédecine avec l’Établissement français du sang, la Haute autorité de santé ou l’AFSSAPS ? Observe-t-on des chevauchements de compétences ? La situation actuelle vous semble-t-elle satisfaisante ou estimez-vous nécessaires certains rapprochements ?

Vous avez par ailleurs rappelé le socle sur lequel nous devons réfléchir avec beaucoup de prudence : gratuité, anonymat, consentement. Du fait notamment de la création de l’Agence de la biomédecine, une nouvelle loi de bioéthique devrait, selon vous, poser les grands principes, sans entrer dans les détails. Qu’attendez-vous de cette nouvelle loi ? Dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation (AMP), l’Agence dispose-t-elle des moyens nécessaires à l’exercice de ses missions ? De quelle façon procède-t-elle au suivi des enfants issus d’une procréation médicalement assistée et de leurs parents, dont elle a été chargée ? Quels éléments pouvez-vous nous apporter sur l’AMP, alors que d’autres voies s’ouvrent dans des pays voisins et que l’élargissement des conditions d’accès à cette pratique fait débat en France ?

Mme Carine Camby. Il n’y a pas de chevauchement des compétences entre les différents organismes, ou alors, à la marge. L’AFSSAPS est le gardien de la sécurité sanitaire et il est important qu’elle exerce ce rôle vis-à-vis de l’Agence de la biomédecine. En effet, cette dernière travaille en relation étroite avec les professionnels pour établir les règles de bonnes pratiques et pour évaluer leur activité, et elle répond à leurs nombreux questionnements. Si l’Agence de la biomédecine et l’AFSSAPS devaient fusionner, des conflits d’intérêts en interne ne manqueraient pas de se produire. L’Agence a, par exemple, un rôle opérationnel dans le domaine de la greffe – elle attribue aux établissements de greffe les organes prélevés – et, à ce titre, a des comptes à rendre à l’AFSSAPS.

L’Agence de la biomédecine et l’Établissement français du sang (EFS), qui collecte chaque jour des milliers de poches de sang et est confronté à des problématiques bien différentes, ont peu de points communs. Sur le seul champ de recoupement – la greffe de cellules souches hématopoïétiques –, l’Agence et l’EFS travaillent en parfaite collaboration. Il appartient à l’Agence d’établir les règles générales d’organisation et de financer en partie l’activité de prélèvement, tandis que l’EFS est un opérateur.

Concernant la Haute autorité de santé (HAS), qui a été créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie et qui est très jalouse de son indépendance, des chevauchements de compétence existent avec l’ensemble des agences sanitaires, en particulier sur l’édiction des règles de bonnes pratiques, mais des solutions pratiques ont pu être trouvées. Ainsi, le président de la HAS a proposé à l’Agence de la biomédecine d’assurer l’interface avec les professionnels pour la rédaction des règles de bonnes pratiques en AMP, sous réserve d’adopter la méthodologie de la HAS.

Je ne suis pas favorable à une loi-cadre sur des sujets aussi sensibles que la bioéthique mais la loi actuelle est trop détaillée. Il suffirait, dans de nombreux domaines, de déplacer un peu le curseur pour trouver le bon équilibre. Cela dit, l’existence d’une loi suffisamment précise a permis de consolider l’action de l’Agence.

Quant à la révision de la loi tous les cinq ans, je ne pense pas qu’il faille en faire un dogme. Le législateur se trouve ainsi contraint de réviser la loi de 2004 alors que sa mise en œuvre est récente – certains décrets d’application n’ont pas encore été publiés – et que très peu de points méritent de mon point de vue d’être modifiés.

M. le rapporteur. Lesquels ?

Mme Carine Camby. Je pense notamment à la question du donneur vivant : la loi est allée un peu trop loin dans la volonté d’encadrer la pratique et le dispositif mis en place est trop compliqué.

Par ailleurs, l’agrément individuel des praticiens dans le domaine de l’AMP, cause d’une grande complexité administrative, est devenu inutile. Les procédures de qualité, l’édiction de règles de bonnes pratiques, l’évaluation par l’Agence de la biomédecine de chaque centre d’AMP et la publication de leurs résultats sont beaucoup plus efficaces et protecteurs des patients. Il n’en va pas de même pour l’agrément des personnes pratiquant le diagnostic préimplantatoire (DPI), en nombre beaucoup moins important. Il pourrait par ailleurs être envisagé de simplifier le dispositif actuel, dans la mesure où l’autorisation des centres d’AMP relève de l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH), tandis que celle des praticiens qui y exercent incombe à l’Agence de la biomédecine.

S’agissant des recherches sur l’embryon, il me semble raisonnable de passer à un dispositif d’autorisation et de lever le délai de cinq ans suivant la publication du décret d’application prévu par la loi de 2004, qui contraint le législateur à intervenir avant le 6 février 2011. Les dispositions de la loi relatives à l’information de la parentèle en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave pourraient également être modifiées.

S’agissant du diagnostic prénatal et du DPI, le dispositif fonctionne bien et je n’ai pas eu connaissance de dérapages dans ce domaine. Il conviendrait seulement d’éviter de dresser une liste d’indications du DPI.

L’Agence n’est pas parvenue à mettre en place une méthode simple de suivi des enfants issus d’une AMP et des femmes ayant subi des simulations ovariennes car cela obligeait à revenir vers les familles et à révéler, le cas échéant, la vérité sur la conception de l’enfant et l’existence d’un don de gamètes. Le dispositif était par essence intrusif et risquait de stigmatiser ces enfants. La seule solution consiste à croiser des registres existants, comme ceux des handicaps à la naissance, mais elle demande du temps et ne répond pas entièrement aux questions posées.

Mme Martine Aurillac. Quelles limites éthiques poseriez-vous à la recherche fondamentale sur l’embryon ? Par ailleurs, que pensez-vous du transfert post mortem de l’embryon, sujet sur lequel le président Alain Claeys et moi-même nous sommes battus en 2004, sans succès ?

M. Paul Jeanneteau. Pouvez-vous préciser sur quels points vous fonderiez la révision de la loi de 2004 ? Enfin, comment envisagez-vous l’écriture de la loi de 2010 ?

Mme Carine Camby. L’expression « recherche sur l’embryon » fait peur et masque le fond du problème : en effet, il ne s’agit pas d’une recherche suivie d’un transfert in utero, mais d’étudier les cellules souches embryonnaires d’embryons congelés et promis à la destruction.

Les conditions dans lesquelles les couples donnent ou non leur consentement à la recherche semblent satisfaisantes et exemptes de dérives. Les médecins sont très respectueux de la loi et cherchent à obtenir un consentement éclairé et explicite des couples, réitéré au bout de trois mois. C’est ainsi que 3 ou 4 % des embryons seulement sont donnés à la recherche, nombre de couples refusant de se déterminer. La disposition de la loi de 2004 permettant la destruction des embryons cinq ans après la disparition du projet parental n’est que très peu mise en œuvre par les centres hospitaliers, tant les médecins ont besoin d’être confortés dans ce geste définitif.

La rédaction de la loi, qui précise que l’équipe doit apporter la preuve d’un intérêt thérapeutique majeur pour obtenir une autorisation de recherche sur les cellules embryonnaires, laisse entendre que les recherches débouchent forcément sur une thérapeutique. Les chercheurs ne sont pas étrangers à cette rédaction qui tendait à faire accepter à l’opinion ces recherches, mais il est paradoxal que le législateur, en cherchant à freiner ce mouvement, l’ait ainsi consolidé !

Les conditions posées par la loi sont difficiles à mettre en œuvre. Elles ont dû être interprétées de façon assez large par le comité ad hoc sur les cellules souches, puis par l’Agence de la biomédecine, après avis de son conseil d’orientation. Nous avons ainsi été amenés à demander des dossiers de plus en plus complets. Le critère déterminant demeure la pertinence scientifique du projet et le respect des conditions éthiques de consentement.

Le fait qu’il s’agisse d’un régime d’interdiction assorti de dérogations a vite posé problème. Les équipes étaient demandeuses de règles concernant notamment la structuration de leurs recherches mais il a été difficile pour l’Agence d’offrir un encadrement plus poussé des pratiques – notamment la circulation des lignées des cellules souches entre les équipes –, par principe interdites.

De la même manière, ce régime a empêché l’Agence de promouvoir la création de banques de lignées, qui auraient permis d’utiliser les lignées déjà créées sans en créer de supplémentaires, de connaître leur localisation, leurs spécificités, la façon dont elles sont utilisées. La France s’est ainsi privée d’un outil structurant, qui existe dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne.

Dans le bilan qu’elle a rendu public récemment, l’Agence a montré qu’il convenait de lever certaines imprécisions sémantiques : l’autorisation de recherche doit-elle porter uniquement sur les cellules souches embryonnaires pluripotentes ou également sur les cellules souches différenciées ? L’Agence a opté pour une solution consistant à placer les équipes hors du régime d’autorisation si elles apportaient la preuve que les cellules étaient totalement différenciées et qu’il n’y avait plus de cellules souches embryonnaires dans les milieux de culture. Cette solution en emporte une autre, non sécurisée sur le plan juridique, qui consiste à considérer que l’AFSSAPS est autorisée à délivrer des autorisations de recherche biomédicale sur ces cellules.

Je n’ai pas d’opinion personnelle sur le transfert post mortem d’embryons. Je relève simplement que ce débat, comme celui sur la gestation pour autrui, est né de cas particuliers douloureux, peu nombreux mais très emblématiques, posant des problèmes de principe. On pourrait imaginer d’ouvrir cette possibilité à certaines personnes, dans un cadre très strict. Dans ce cas, une instance de régulation devrait apprécier les situations et tenter, en équité, d’y apporter une réponse, comme c’est le cas pour les donneurs vivants d’organes. Comment la loi peut-elle cependant encadrer des cas particuliers, dans le but de résoudre des situations de détresse individuelle, sans autoriser de dérives ? C’est la question qui se pose aussi sur la fin de vie.

M. le rapporteur. Effectivement, il est difficile de légiférer sur l’exception !

Mme Carine Camby. Enfin, pour répondre à M. Jeanneteau, il me semble que depuis la loi de 2004, l’Agence a fait ses preuves et prouvé qu’elle pouvait dégager, grâce à l’appui des professionnels et à son conseil d’orientation, des solutions pondérées et raisonnables. Dans un cadre réglementaire très riche, il est possible de trouver des marges de manœuvre pour trancher des cas particuliers ou pour prendre des dispositions d’organisation. Il me semblerait donc contre-productif que la loi entre trop dans les détails.

M. Paul Jeanneteau. Pourriez-vous nous indiquer le nombre de personnes concernées par un transfert d’embryon post mortem ?

Mme Carine Camby. Très peu. Il s’agit d’un problème de principe : l’AMP est considéré aujourd’hui comme un traitement palliatif de l’infertilité, ce qui a permis à l’Agence de répondre, par exemple, à la question de l’âge limite des femmes concernées, en demandant aux professionnels d’apprécier l’état hormonal de leurs patientes. Dans ce cadre, le transfert post mortem serait une exception à ce principe. Toutefois dans la mesure où les lois de bioéthique comportent de nombreuses dispositions visant précisément à encadrer des régimes d’exception, cela ne serait sans doute pas choquant.

M. le président. Je vous remercie pour cette contribution importante à notre travail.

Audition de M. Pierre-Louis FAGNIEZ, conseiller auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche


(Procès-verbal de la séance du 17 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

Le président Alain Claeys. Je suis heureux d’accueillir M. Pierre-Louis Fagniez. Nul besoin de présenter le rapporteur de la loi de bioéthique de 2004, chargé par le Premier ministre d’une mission relative à la recherche sur les cellules souches, aujourd’hui conseiller auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Fagniez, pourriez-vous dresser un bilan de la loi du 6 août 2004 – notamment du fonctionnement de l’Agence de la biomédecine – et, puisqu’il s’agit là de votre compétence actuelle, nous dire quels sont les problèmes éthiques qui se posent dans le domaine de la recherche ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Je me réjouis de revenir en ces lieux, où nous avons si ardemment travaillé et débattu de ces sujets.

La loi de 2004 a repris les grands thèmes abordés par les lois de 1994 : le don d’organes (qui ne semble plus guère être un problème), la brevetabilité du vivant et les tests génétiques, et les deux points les plus sensibles, l’assistance médicale à la procréation et la recherche sur les cellules souches embryonnaires et le clonage thérapeutique. Le premier titre de cette loi était d’ordre administratif et d’aucuns, à l’époque, n’en voyaient pas l’intérêt : il prévoyait la création de l’Agence de la biomédecine, qui m’apparaît pourtant aujourd’hui comme l’apport majeur de ce texte, car rien n’aurait pu être fait sans cet organisme. Ce succès est dû en partie au travail des parlementaires et je ne regrette pas d’avoir beaucoup réfléchi, avec M. Claeys et M. Leonetti, à son fonctionnement et à ses missions. Il est dû surtout à l’engagement d’une femme, énarque, conseillère à la Cour des comptes, qui a été nommée directrice générale par le ministre de la santé et qui a si bien embrassé sa mission et donné un tel allant à l’Agence qu’il semble désormais impossible de revenir en arrière. Carine Camby a su, grâce à son écoute et à sa compréhension des sujets, faire du conseil d’orientation de l’Agence – au sein duquel j’ai siégé – un lieu de débats apaisés et développer la réflexion sur un certain nombre de perspectives qui avaient d’abord paru peu fécondes.

Outre les greffes, sujet peu conflictuel, l’Agence s’est beaucoup investie dans les domaines de l’assistance médicale à la procréation et de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Elle a rempli sa mission, qui n’est pas de recherche mais de promotion et d’aide aux projets de recherche, ainsi que de vérification de leur conformité aux exigences de la loi de bioéthique sur des sujets aussi sensibles que les recherches sur les cellules embryonnaires. Ses avis motivés sont transmis au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et aucun n’a fait l’objet de contestation. C’est pourquoi, si la question peut se poser, le fait que l’Agence ne soit pas placée sous la tutelle du ministère chargé de la recherche n’apparaît pas aujourd’hui comme un vrai problème.

Sur les sujets qui éveillaient les craintes les plus vives, là où certains redoutaient d’ouvrir une boîte de Pandore, l’Agence a montré qu’il était possible d’encadrer les débats et d’organiser une approche plus sereine. Débats, divergences, émotion n’ont pas disparu mais, depuis 2004, le débat s’est apaisé et certains d’entre nous ont parfois pu réviser leurs opinions : je pense notamment à la question du « bébé du double espoir », soit l’extension encadrée des indications du diagnostic préimplantatoire (DPI), ou du transfert post mortem d’embryon.

Comment légiférer sur les cellules souches ? Mon rapport sur cette question m’a permis de continuer à l’approfondir et d’en mesurer la complexité, et la difficulté de trancher par oui ou par non : cette logique binaire s’applique mal au droit de la bioéthique. Mme Delmas-Marty nous invitait ainsi à faire preuve « d’invention juridique ». La logique oui/non conduit à interdire la recherche sur les cellules souches… tout en l’autorisant sous certaines conditions dérogatoires. Ce n’est pas une solution : nous devons être plus clairs. Profitons de la révision de la loi pour mieux définir les concepts, choisir des mots qui permettent d’affronter les problèmes plutôt que d’y échapper, rendre la loi intelligible et communicable. Nous sommes aujourd’hui parvenus, grâce au travail de l’Agence de la biomédecine, à un stade de maturité qui nous permet désormais d’imaginer un autre type de loi. Il s’agirait non pas seulement d’une loi-cadre qui s’en tiendrait aux grands principes (à ce niveau, on pourrait en rester à la logique binaire), mais une loi qui, partant des principes, entrerait dans certains détails, sans pour autant être bavarde, comme l’était parfois la loi de 2004. Ainsi, il n’est pas impossible qu’à terme, cette grande loi de bioéthique puisse couvrir, dans un ensemble cohérent et apaisé, des champs tels que la fin de vie ou la recherche médicale, objets respectifs de la loi Leonetti et de la loi Huriet – je les nomme, mais sans oublier que ce sont des lois de la République, et en sachant que le « discours aux asticots », ce n’est pas le genre de Jean Leonetti !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience, acquise dans les différentes fonctions que vous avez occupées. Il est intéressant de noter combien les opinions qui s’affrontaient hier dans un contexte tendu, ont pu converger grâce à l’écoute mutuelle. Quant aux lois nominales que vous venez de citer, je pense en effet que ce sont avant tout des lois de la République ; à ce titre, j’aimerais, ne serait-ce que pour éviter les attaques ad hominem, qu’il soit plus souvent rappelé que la loi sur la fin de vie a été cosignée par trente députés et adoptée à l’unanimité !

Comment légiférer sur les questions de la bioéthique ? Je vous rejoins sur l’idée d’une loi-cadre qui refonderait les grands principes, sans s’interdire pour autant d’entrer dans certains détails. Si une telle loi devait être adoptée, compte tenu du rôle que joue aujourd’hui l’Agence de la biomédecine et étant entendu qu’en cas de révolution scientifique ou médicale, le Parlement serait à même de s’en saisir, vous semble-t-il nécessaire de continuer de prévoir une révision de la loi tous les cinq ans ? Faudrait-il plutôt toiletter la loi, au lieu de réviser périodiquement tout un ensemble de règles dont les principes et beaucoup de détails n’auraient pas considérablement évolué ?

Et précisément, quels sont les sujets qui, selon vous, doivent être abordés de manière plus approfondie ? Pour les greffes d’organes, il n’y a sans doute pas lieu de prévoir de bouleversement de la réglementation actuelle. En revanche, il semble que certains débats se soient apaisés, concernant par exemple les cellules souches, cependant que d’autres demeurent tendus, tels que ceux concernant l’assistance médicale à la procréation, la gestation pour autrui ou la crainte d’une dérive eugéniste liée au développement du diagnostic préimplantatoire (DPI).

M. Bernard Debré. Pour une organisation optimale, il me paraîtrait intéressant que le CCNE, dont je suis membre, travaille en amont, que le Parlement légifère et que l’Agence de la biomédecine régule ensuite. Cela éviterait un mélange des genres, d’autant qu’il existe par ailleurs de nombreux comités d’éthique locaux dont les jurisprudences peuvent être différentes. Ne serait-il pas utile de clarifier cette articulation ?

Nous allons être confrontés à des questions de société très importantes. Ainsi la découverte, il y a deux ans, de la présence de cellules de l’embryon dans le sang de la mère au bout de trois ou quatre semaines d’aménorrhée pose un problème fondamental puisqu’elle rend possible la détection d’anomalies avant le terme du délai légal pour l’interruption volontaire de grossesse. Cela pourrait permettre une forme d’eugénisme. Qui en décidera ? Une immense réflexion nous attend.

Autre bouleversement majeur, la conservation des cellules souches issues du cordon d’un nouveau-né, qui est systématique dans certains pays voisins, ce qui contrevient à l’un de nos principes fondamentaux encadrant les greffes et les transfusions, l’altruisme. Ces cellules souches doivent-elles être considérées comme appartenant à l’enfant et à lui seul ou doivent-elles être déposées dans une banque commune ?

S’agissant de la gestation pour autrui, non seulement le Sénat a brouillé la discussion en prenant l’initiative d’une réflexion à ce sujet, mais son groupe de travail a aussi conclu à une autorisation de cette pratique, doublée d’un « droit au remords » ressemblant quelque peu au délai de rétractation dans le cadre commercial… Comment concevoir l’articulation de telles initiatives parlementaires avec le travail du CCNE et celui de l’Agence ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Faut-il persévérer dans la voie d’une révision systématique de la loi ? Une telle révision n’empêchera pas les problèmes d’émerger et son absence n’ôterait pas au Parlement son droit et son devoir de légiférer. Il convient selon moi de faire une loi la plus large possible, une sorte de mixte entre loi cadre et loi ordinaire, mais précise sans être bavarde, tout en sachant qu’elle sera appelée à être modifiée. De plus, alors que le Parlement s’était engagé à réviser en 1999 la loi de 1994, c’est seulement en 2004 que la nouvelle loi a été adoptée. Forts de cette expérience, nous avons organisé un colloque parlementaire dès février 2007, lors duquel Xavier Bertrand, alors ministre de la santé, s’est prononcé en faveur de la tenue d’États généraux en 2008. Nous savons ce qu’il est advenu de cette promesse, et nous savons d’ores et déjà qu’il sera impossible de réviser la loi en 2009 comme nous l’avions promis. Ayons le courage de le dire, même si le retard ne vient pas du Parlement.

Dans la loi de 2004, il a été décidé à l’unanimité de rattacher budgétairement aux services du Premier ministre le CCNE – dont le président est désormais rémunéré – afin de renforcer le rôle de cet organisme. Quel est exactement, demande Bernard Debré, son créneau d’intervention ? C’est son pouvoir d’autosaisine qui fait son âme et l’essentiel de son utilité depuis 1983 : il lui laisse la liberté de se mouvoir à l’intérieur de l’espace qui lui est dédié – tout en répondant aux saisines du gouvernement ou du Parlement. Le Comité doit rester en amont des décisions, ou tout au moins des décisions de débattre. Il convient que le Parlement soit toujours informé de ce que fait le CCNE, pour savoir s’il doit prendre des mesures de toilettage législatif. En aval, l’Agence de la biomédecine est un outil à la disposition de l’État, doté de moyens suffisants pour faire respecter la réglementation applicable en matière de bioéthique. Son conseil d’orientation pourrait suppléer la réflexion du CCNE si celui-ci ne s’était pas autosaisi d’un sujet ou avait tardé à le faire. Mais cette possibilité ne doit en aucun cas introduire une quelconque rivalité entre ces deux instances, qui, pour avoir la même finalité, assument des missions très différentes.

M. Michel Vaxès. Pourriez-vous mieux définir l’articulation qui existerait entre une loi-cadre et l’énoncé de grands principes ? Est-il possible de définir une grille de lecture des avancées de la recherche qui permettrait au CCNE ou à l’Agence de la biomédecine de remettre chaque fois que nécessaire l’ouvrage sur le métier et au Parlement de faire évoluer la loi ?

M. Xavier Breton. L’Agence de la biomédecine a-t-elle rempli exactement les missions que lui avait confiées le Parlement en 2004 ? Est-elle allée au-delà et comment peut-on le savoir ? Le politique peut-il continuer à contrôler l’investissement des champs de la bioéthique par l’Agence ? N’y a-t-il pas un risque de dessaisissement de ce pouvoir au profit d’une agence technique ?

Mme Pascale Crozon. C’est seulement en recevant le rapport du groupe de travail du Sénat que nous avons découvert qu’une réflexion sur la gestation pour autrui était menée au Palais du Luxembourg. Un tel fonctionnement est regrettable, d’autant qu’il s’agit d’un problème de société fondamental.

M. Pierre-Louis Fagniez. Michel Vaxès parle d’une grille de lecture pour l’interprétation législative des avancées scientifiques. Cela ne retire rien à ce que je propose avec Jean Leonetti, à savoir que la loi comporte à la fois un aspect de loi-cadre, posant les grands principes – qu’il n’est pas inutile de rappeler, ne serait-ce que pour ceux qui découvrent la loi – et qu’elle aborde ensuite des sujets spécifiques, comme la gestation pour autrui. Ce que cette loi doit énoncer clairement, c’est que les principes ne peuvent pas toujours être totalement suivis.

S’agissant de la complémentarité des organismes, l’Agence de la biomédecine a pour mission de mettre en œuvre la volonté du peuple, que vous représentez. Le Parlement, pour sa part, dispose d’un organe composé de manière paritaire entre l’Assemblée nationale et le Sénat, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), qui suit l’activité de l’Agence et mène une réflexion de qualité – le rapport de MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte est pour nous tous un ouvrage de chevet – en vue d’une lecture législative des avancées scientifiques. L’existence de cet Office devrait permettre de répondre à la fois à la question de Mme Crozon sur l’articulation entre les deux chambres et à celle de M. Breton sur le besoin de suivre l’activité de l’Agence.

Mme Martine Aurillac. Y a-t-il une légère inflexion ou une évolution possible dans l’approche des grands principes de bioéthique – l’inviolabilité, la non-brevetabilité, l’anonymat et la gratuité ? Quelle est votre position sur le « clonage thérapeutique » – expression que j’estime très malheureuse ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Nous devons être disposés à dire que le principe s’applique de manière générale mais que son respect ne doit pas être « tatillon », de façon à ne pas empêcher des avancées de se produire, qui puissent satisfaire d’autres principes. Nous devons être très clairs sur les principes, pour pouvoir l’être aussi sur les raisons que nous avons d’y déroger dans certains cas. La gratuité, la solidarité ou l’anonymat sont des principes constitutifs de la société française, que le Parlement se doit d’énoncer, quitte à prévoir des dérogations. Mme Delmas-Marty a beaucoup travaillé sur cette notion d’un droit différent, novateur, qui puisse s’adapter à cette substance particulière, nourrie de contradictions.

Le rapporteur. À mes yeux ce problème n’est pas celui d’un compromis entre le pragmatisme et les principes, mais d’un conflit de valeurs au sein même des principes. Il y a des conflits de valeurs, selon que l’on se place au niveau de la société, de l’individu ou de l’espèce humaine, qui ont trois horizons temporels différents. Par exemple, le principe d’autonomie de la personne et celui de respect de la vie entrent en conflit – assumé – lorsque se pose le problème de la fin de vie. S’agissant du sang de cordon, il est difficile de concilier la position de la société, pour laquelle prime le principe de partage, et celle de l’individu, qui doit disposer du droit de se soigner à partir d’éléments de son propre corps. Il s’agit donc moins d’adopter une attitude pragmatique face au respect de certaines valeurs que de résoudre le conflit entre les différentes valeurs.

M. Pierre-Louis Fagniez. L’expression « clonage thérapeutique » est un contresens que nous avons pourtant assumé, à une époque où les progrès devaient avoir une finalité thérapeutique pour être acceptés de l’opinion publique. En effet, il est impossible de dire d’avance si une recherche est ou non à même de déboucher sur un progrès thérapeutique majeur. Ce que nous voulions éviter, c’était que des embryons soient produits pour la recherche. Parallèlement, nous ne pouvions pas empêcher les scientifiques d’étudier ces cellules souches embryonnaires, sachant qu’aucun d’eux n’avait d’autre idée que de faire progresser la connaissance. Un certain accord de la population a été obtenu depuis, notamment grâce à l’encadrement prévu par le décret de 2006.

Qu’est-ce que le clonage thérapeutique ? Il s’agit d’un ovule, dont on a retiré le noyau pour y placer celui d’une cellule somatique, à deux fois vingt-trois chromosomes, et qui, développé en laboratoire, donne des cellules souches embryonnaires. Il est imaginable que cet objet puisse être implanté dans un utérus pour devenir un être humain, de la même manière que l’on peut utiliser un couteau pour tuer quelqu’un, couteau dont la fabrication est pourtant autorisée. Il ne faut pas confondre la finalité de la recherche sur des cellules avec de possibles dérives criminelles.

À l’époque, je proposais de parler de clonage non reproductif, afin de nous mettre en conformité avec la convention d’Oviedo – il faudra d’ailleurs reposer la question de sa ratification. Aujourd’hui, nous pouvons nous autoriser une approche tout à fait décomplexée, d’autant que l’Agence de la biomédecine a apporté la preuve qu’il était possible de réguler les recherches. Passons donc à un régime d’autorisation pour les études sur les cellules souches embryonnaires, quelle qu’en soit la source – et donc sans qu’il soit besoin d’évoquer spécifiquement le clonage dit thérapeutique –, qu’il s’agisse d’un embryon procédant de deux gamètes abandonné, le projet parental ayant pris fin ou d’un embryon « cloné », qui n’a aucune vocation à garder son nom d’embryon. Cette approche me semble compatible avec la notion d’être humain en devenir, au sens où l’entend l’Église catholique.

M. Bernard Debré. Faire de la sémantique, c’est bien, mais les mots ont d’autant plus de force qu’ils prêtent à contresens. La technique utilisée pour Dolly peut l’être pour un homme. Il est important d’insister sur les termes « quelle que soit leur provenance ».

Le président. Je ne doute pas que cette proposition concrète de Pierre-Louis Fagniez fera l’objet de débats ultérieurs dans le cadre de cette mission.

M. Bernard Debré. Peut-on imaginer de conserver les cellules souches du sang de cordon dans l’intérêt de l’individu dont elles proviennent ? Il me semble qu’on ne pourra pas l’interdire. Faut-il au contraire que ces cellules soient partagées ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Si l’on compare ces cellules souches à des hématies, il faut rappeler que l’autotransfusion est autorisée, bien que le don du sang soit dominé par le principe de solidarité. Par analogie avec les globules rouges, cela ne me gênerait pas que, sans déroger à ce principe de solidarité, l’on puisse réserver l’usage de cellules souches à l’individu dont elles proviennent, mais de manière très encadrée – comme l’est d’ailleurs l’autotransfusion.

M. Bernard Debré. Certains pays en sont venus à rendre quasiment obligatoire la conservation de ces cellules souches, de peur d’être confrontés dans une vingtaine d’années à des procès. Il y a là un véritable problème juridique.

Mme Martine Aurillac. Pouvez-vous préciser votre position concernant les mères porteuses ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Je ne veux pas revenir en détail sur les raisons pour lesquelles en 2004 nous avions maintenu l’interdiction de la gestation pour autrui, raisons développées notamment par Caroline Eliacheff ou René Frydman et qui reposaient sur l’intérêt de la mère, de l’enfant et de la cellule familiale. D’autres positions ont été exprimées, notamment par Geneviève Delaisi de Parseval ou par Israël Nisand, dont l’approche est plus centrée sur l’aide médicale à la procréation.

J’ai été sensibilisé à cette question par les époux Mennesson, des personnes calmes mais résolues. Si leurs arguments n’ont pas réussi à me convaincre de la nécessité d’autoriser la gestation pour autrui, je trouve inacceptable que leurs jumelles, qui n’y sont pour rien, ne puissent être inscrites à l’état civil comme tout autre enfant français. Je rappelle que la Cour de cassation doit aujourd’hui juger du bien fondé du « trouble à l’ordre public » : cette jurisprudence, soit dit en passant, viendra combler le vide laissé par le législateur. J’estime que ce n’est pas parce qu’elle est interdite qu’il ne faut pas accompagner cette pratique.

M. Bernard Debré. C’est bien ce qui oppose « fabrication » et « résultat ». Autant le processus de fabrication est condamnable – achat d’ovocyte et rémunération d’une mère porteuse américaine – autant le résultat – deux enfants – doit être respecté. De la même manière, si un clone reproductif venait à naître, c’est bien la méthode qui serait condamnable, et non l’enfant.

M. Pierre-Louis Fagniez. Il y aura toujours des pratiques autorisées à l’étranger et condamnées en France. Mais je ne vois pas en quoi les enfants qu’elles permettent de concevoir ne pourraient pas être reconnus comme Français. Le droit de l’enfant doit prévaloir.

Le président. Je vous remercie.

Audition de Mme Nicole QUESTIAUX, membre du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme


(Procès-verbal de la séance du 17 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. C’est avec grand plaisir que nous accueillons aujourd’hui Mme Nicole Questiaux.

Les questions de bioéthique vous sont familières, madame, puisque vous êtes membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et, au titre de celle-ci, du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, et que vous avez été, par le passé, vice-présidente du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), et membre titulaire, en 2004 et 2005, du comité ad hoc pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Avec Jean-Sébastien Vialatte ici présent, j’ai déjà eu l’occasion de vous écouter, en novembre 2007, lors d’une audition devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Nous allons vous entendre aujourd’hui dans le cadre d’une mission d’information dont les travaux serviront de préambule à la révision des lois de bioéthique, laquelle devrait intervenir en 2010 après la tenue, au cours du premier semestre de l’année prochaine, d’états généraux et de débats citoyens.

Vous aviez notamment indiqué, lors de notre précédente rencontre en 2007, que les lois de bioéthique, qui ne se fondent sur des principes figurant dans le code civil, n’ont pas vocation à être révisées périodiquement. Mais les évolutions techniques et l’application pratique des principes les rendent vulnérables. À cet égard, nous nous interrogeons sur les formes que doit prendre la loi. Que pensez-vous d’une éventuelle loi-cadre ?

Vous aviez également évoqué les tensions de plus en plus fortes qui existent entre, d’une part, les grands principes portant sur le corps humain, à savoir son indisponibilité et son placement hors du champ du commerce et, d’autre part, les aspirations individualistes de nos concitoyens, de plus en plus favorables à la levée d’interdits. Dénouer ces tensions est l’un des enjeux de la révision des lois bioéthiques.

D’une façon plus générale, comment appréhendez-vous la révision des lois bioéthiques ? Qu’est-ce qui va changer avec la mise en place de l’Agence de la biomédecine, qui n’existait pas avant la loi de 2004 ? Quels sont, enfin, les sujets susceptibles de provoquer les tensions que je viens d’évoquer ?

Mme Nicole Questiaux. Vous me faites beaucoup d’honneur en m’auditionnant, puisqu’au moment où je vous parle, je suis une simple citoyenne : je ne suis plus membre ni du CCNE, où j’ai siégé vingt ans, ni de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) – ce qui implique que je ne siège plus au conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, y ayant été désignée en tant que membre de la CNCDH – ni, enfin, du Comité international de bioéthique de l’UNESCO.

Toutefois, je suis une citoyenne qui, de formation juridique, se passionne pour ces questions, qui a confiance dans les progrès scientifiques et qui ne se réfère à aucune religion. Vous comprendrez mieux mon propos à la lumière de ces présupposés.

S’agissant de la révision des lois de bioéthique, ma position est assez conservatrice. Pour avoir suivi le processus original qui a abouti dans notre pays à la loi actuelle et au principe de sa révision, je pense que ce qui nous est proposé, après trois ans d’existence de l’Agence de la biomédecine, est une consolidation et non un aggiornamento, tant sur le plan des principes que sur le plan juridique.

Tout a commencé avec les travaux du CCNE, qui a engagé un débat pluridisciplinaire entre d’éminents scientifiques, des médecins et les représentants de différentes familles spirituelles, politiques et juridiques, ce qui a déjà permis de dégager certaines difficultés, qui ont été classées sous le vocable de « bioéthiques ». Le CCNE a très vite découvert qu’il ne pouvait avancer qu’avec la confiance du milieu scientifique – qu’il ne fallait donc pas forcer – et que les garanties et les contrepoids proposés devaient être acceptés et scientifiquement irréfutables. C’est pourquoi Jean Bernard, qui en était le premier président, a refusé de définir les notions d’éthique et de bioéthique, persuadé qu’il était – ce qui nous a beaucoup influencé – que toute avancée ne pouvait être réalisée, compte tenu des progrès de la science, qu’en menant une réflexion au coup par coup.

Je reste persuadée, après m’être investie vingt ans sur les questions de bioéthique, que l’on ne peut éviter cette démarche progressive en raison des différentes tensions que l’on rencontre dans ce domaine. Mais il est difficile de le faire comprendre au public : tout le monde se passionne pour la bioéthique, veut apporter son grain de sel et tout redécouvrir mais personne n’accepte le compromis qui a été obtenu par d’autres. De ce fait, la réflexion sur la bioéthique souffre d’un foisonnement qui, à mon avis, commence à devenir dangereux.

Je vous en livre deux exemples : il se trouve que lors de la précédente révision des lois de bioéthique de 1994, j’étais en même temps rapporteure au CCNE et à la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Devant des questions difficiles comme celle des cellules souches, j’ai soutenu la même conviction devant les deux instances. Or, elles ont rendu des avis contradictoires – leurs deux présidents étant à chaque fois battus, alors qu’ils s’étaient beaucoup engagés pour défendre la solution qu’ils préconisaient !

L’année dernière, par ailleurs, bien avant la révision des lois de bioéthique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a souhaité engager un certain nombre de réflexions. À cette occasion, nous avons tenté de recenser les débats internationaux sur la question – ni la société, ni le Parlement ne sont conscients des difficultés que nous rencontrons, sur le plan international, lorsqu’il s’agit de prendre des engagements bioéthiques. Il faut savoir en effet que la déclaration universelle de l’UNESCO sur la bioéthique et les droits de l'homme n’est encore qu’une déclaration et qu’elle évoluera forcément vers un texte conventionnel. Quant à la convention d’Oviedo, elle fait chaque jour l’objet d’un nouveau protocole. Un jour, tous ces textes auront une valeur supérieure à la loi nationale et pourtant nous nous engageons dans ce débat sans y prêter la moindre attention.

Un tel foisonnement, je le répète, me paraît dangereux, d’autant qu’il porte sur un domaine très sensible.

Mon expérience m’a également fait comprendre l’extraordinaire sensibilité en la matière, toute intervention étant susceptible de porter atteinte à la liberté de conscience et de pensée mais également à la liberté économique, car il s’agit bien de limiter la recherche en fonction des problèmes qu’elle pose. Il n’est pas anodin en effet de fixer des limites à la recherche, à la médecine et à la biologie, d’autant que ces activités sont exercées dans un monde globalisé et que les pairs de nos chercheurs sont américains, hindous ou japonais. La liberté de la recherche est une question ultrasensible, du fait de l’importance des enjeux financiers qu’elle recouvre, et un simple mot peut avoir des répercussions financières considérables.

De même, mon expérience me conduit à penser que certains ne céderont pas s’agissant de certaines questions bioéthiques. Autrement dit, vous devrez trouver des solutions procédurales, faute de quoi vous ne réglerez pas le différent profond qui oppose les uns et les autres sur le début de la vie et les questions qu’il soulève.

Monsieur le président, en passant de l’éthique au droit, en posant quelques principes simples – indisponibilité du corps humain, interdiction de le commercialiser, statut du corps, respect de l’enfant en matière d’assistance à la procréation – et en instaurant un régime d’autorisation contraignant, nous avons pris une décision très importante, tant dans ses principes que dans son mécanisme, et nous en avons confié la surveillance à un organisme habilité à faire du « coup par coup ». Cette procédure est satisfaisante et je pense qu’il ne faut surtout pas la modifier.

Je suis quelque peu irritée lorsque le CCNE nous demande de nous positionner par rapport à une loi-cadre ou à un système de dérogations. Pour instaurer un pouvoir d’autorisation en matière d’activités privées, le législateur est obligé d’intervenir car cela ne saurait dépendre d’une loi-cadre : il doit donner des pouvoirs à quelqu’un et, pour cela, définir des critères de façon prudente – il lui suffit d’observer l’application des lois depuis une dizaine d’années pour le comprendre. Définir à l’avance des critères susceptibles de résister à de futures avancées scientifiques est en effet un exercice délicat – ce n’est pas aux législateurs avertis que vous êtes que je l’apprendrai. Nous avons parfois fait fausse route en voulant éviter des erreurs que la science pourrait commettre. Or, il peut arriver que nous définissions un acte comme une erreur simplement parce que nous ne le comprenons pas.

En bref, si une loi relative à la bioéthique est une loi comme une autre, elle doit être bien rédigée. Les autorisations qu’elle permet doivent être clairement définies et si elle confie à une agence le soin de répondre à des questions difficiles, elle doit lui donner les moyens de s’adapter aux évolutions scientifiques. Souvenez-vous des hésitations que nous avons manifestées pour accorder des autorisations en matière de recherche sur les cellules embryonnaires : de fait, il ne s’agissait que de recherche fondamentale, même si les scientifiques prétendaient le contraire. Il est donc logique que nous ayons interprété les règles de finalité thérapeutique de façon suffisamment large pour y inclure la recherche fondamentale. Cela nous a servi de leçon et nous invite, dans le prochain texte, à être plus prudents.

La loi qui se prépare n’est donc ni plus difficile, ni plus extraordinaire que la plupart de celles que vote le Parlement. Quant à la fameuse révision périodique de la loi, qui suscite l’intérêt de tous et qui n’a été inventée que pour faire face aux évolutions prétendument très rapides du progrès technique, on constate que, quelques années plus tard, les mécanismes mis en place sont toujours d’actualité. Le Parlement fera ce qu’il veut mais le fait de prévoir la révision de la loi tous les cinq ans a, en tout état de cause, peu d’importance. Les principes que nous avons affirmés, comme les mécanismes que nous avons adoptés, doivent être conservés, même s’ils appellent des ajustements.

J’en viens à mon expérience à l’Agence de la biomédecine. J’ai personnellement soutenu cette instance, convaincue que nous ne pouvions passer du CCNE à la loi sans un organe capable de prendre des décisions au coup par coup, et j’estime que l’Agence a parfaitement mené à bien cette première phase. J’ai observé son fonctionnement et les conditions de délivrance des autorisations m’ont parues honnêtes. Bien que les personnes qui siègent au conseil d’orientation ne soient pas toutes scientifiques – je pense notamment aux représentants d'associations de personnes malades et d'usagers du système de santé – et ne comprennent pas toujours la portée des projets qui sont évoqués, le système fonctionne bien et évite le risque réel d’une prise en main par les professionnels.

Je souhaite donc que le rôle de l’Agence soit conforté. Il sera toujours temps d’évaluer son impact dans l’organisation structurelle de l’État, mais sa fonction n’appelle pas la moindre critique de ma part – j’en veux pour preuve le rapport très clair et très honnête qu’elle vient de publier, qui informe parfaitement le Parlement.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il semblerait tout d’abord que l’idée de faire référence à la bioéthique dans la Constitution n’a pas été retenue dans le rapport du Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution.

Par ailleurs, comme vous l’avez rappelé, de grands principes ont déjà été définis dans ce domaine. En outre, il semblerait que, sur plusieurs points, les débats se soient apaisés. Des interrogations demeurent cependant concernant notamment les recherches sur les cellules souches embryonnaires. En effet, si la loi évoque des recherches à finalité « thérapeutique », c’est bien pour compenser ce qui, s’agissant des cellules souches, est considéré comme une violation de l’interdit. Ce n’est peut-être qu’un problème de sémantique, mais c’est ce qui explique la nécessité d’un toilettage.

Sans recourir à une loi-cadre, pourquoi ne pas mettre en exergue les grands principes constitutionnels ? Cela contribuerait à une meilleure lisibilité de la loi. Les grands principes s’inspirant de réflexions menées sur le plan international, pourquoi ne pas en profiter pour ébaucher un droit universel en ce domaine ? Bref, oui au toilettage, mais non à l’empilage !

M. Xavier Breton. Ma première question porte sur l’articulation entre le CCNE, l’Agence de la biomédecine et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST). Ce matin, Bernard Debré évoquait la possibilité d’une intervention du CCNE, en amont, et du Parlement, suivie, en aval, d’une mise en œuvre de la loi par l’Agence. Cette répartition des rôles vous paraît-elle pertinente ?

Par ailleurs, comment pensez-vous que les états généraux aborderont les questions bioéthiques ?

Mme Nicole Questiaux. S’agissant du préambule de la Constitution, j’ai été soulagée d’apprendre, pour une raison qui dépasse le sujet de la bioéthique, qu’il n’était pas question de le modifier : je considère en effet que le préambule représente un événement historique et qu’il ne convient pas de le modifier. De plus, le Conseil constitutionnel, dont le rôle a été renforcé, est parfaitement à même de donner une consistance suffisante aux différents principes qui s’attachent à la bioéthique, sans qu’il soit besoin de les faire figurer dans le préambule. Ma position sur ce point est très ferme.

Quant à votre souhait de faire ressortir les grands principes, monsieur le rapporteur, j’ai entendu le discours inverse lors des travaux préparatoires aux premières lois de bioéthique de 1994 : le fait de poser de grands principes et, d’une certaine manière, de formuler les termes du débat en un ou deux articles du code civil paraissait alors à certains juristes tout à fait suffisant et représentait pour eux un véritable progrès ! Cette école de pensée a persévéré et depuis, nombreux sont ceux qui pensent qu’il faut laisser à tous ceux qui sont chargés d’interpréter la loi, y compris le juge, le soin de faire évoluer les choses.

Le Parlement, s’il réécrit la loi, pourra-t-il faire mieux et va-t-il réaffirmer tous les principes, notamment celui de la non-commercialisation du corps humain ? Conservera-t-il une rédaction aussi souple que celle qui est appliquée aujourd’hui ? Ce principe, qui figure dans la loi française et que nous retrouvons dans la convention d’Oviedo, est déjà très atténué dans les textes universels, et, quoi qu’on en dise, il est battu en brèche par le régime des brevets. Je crains que demander une remise en ordre à des législateurs n’apporte rien de bon…

S’agissant des états généraux de la bioéthique, je suis heureuse d’apprendre que M. Leonetti présidera le comité de pilotage, car j’ai beaucoup apprécié la manière dont il a conduit les débats sur l’euthanasie. La technique consistant à aborder les problèmes sans pour autant les jeter en pâture à l’opinion publique me paraît encore plus appropriée aux états généraux de la bioéthique.

J’en conviens, monsieur Breton, la tenue des états généraux est très délicate car la France a choisi un régime qui ne correspond pas réellement aux aspirations de la population, laquelle prône l’autonomie et l’imagination et veut acheter des tests génétiques sur Internet. Le régime français n’est pas dans l’air du temps ! Je pense, pour ma part, qu’à terme, la France sera satisfaite d’avoir abordé les problèmes de cette façon-là. Mais lors des états généraux, face à la population, il nous faudra défendre les principes qui nous tiennent à cœur.

Prenons l’exemple très délicat de l’anonymat et de la notion de projet parental concernant l’assistance médicale à la procréation. On pourrait discuter indéfiniment du libre choix des personnes ou encore du droit à l’enfant – notion que, en tant que représentante de la société, je n’approuve d’ailleurs pas. Pour autant, il s’agit là d’un débat démocratique, mais je sais par expérience qu’il ne pourra jamais satisfaire tout le monde. Et je ne parle pas de la gestation pour autrui, qui intéresse particulièrement les médias.

La mise en place des jurys citoyens exige une organisation extrêmement rigoureuse, à l’image de la première conférence de citoyens européens sur les enjeux du développement des neurosciences, qui s’est tenue à Bruxelles. Les intéressés doivent comprendre que les éléments qui leur sont présentés ne font pas l’objet d’un débat, mais qu’ils doivent se contenter de répondre aux questions concrètes qui leur sont posées.

Quelles sont ces questions ? Je pense qu’il faudra rediscuter de la notion de projet parental et du principe de l’anonymat dans le domaine de la procréation assistée, mais en donnant la possibilité à ceux qui n’en veulent pas d’exposer leur point de vue, Quant à la question des cellules embryonnaires, il pourra également en être rediscuté, mais après avoir pris connaissance de l’état des recherches – qui, nous le verrons, ne sont pas si avancées que cela.

S’agissant de l’articulation entre le CCNE et l’Agence, je souhaite, pour ma part, qu’on laisse le bon sens dont ils savent faire preuve l’un et l’autre régler les problèmes. Selon sa composition, le CCNE ne s’est pas toujours intéressé aux mêmes questions. Les points phares de la présidence actuelle ne seront certainement pas les mêmes que sous celle du professeur Sicard, encore moins de celle de Jean-Pierre Changeux. Il est possible que ses membres actuels soient moins intéressés par les principaux sujets de réflexion de l’Agence de la biomédecine que ne l’ont été leurs prédécesseurs. Quoi qu’il en soit, il faut faire en sorte qu’ils se sentent libres et surtout ne rien leur imposer. Quelqu’un qui saisit le CCNE doit obtenir une réponse, même si ce dernier le renvoie devant l’Agence de la biomédecine.

Je dois avouer qu’au début, la directrice de l’Agence de la biomédecine s’est interrogée sur la place du conseil d’orientation. Du fait de sa composition, issue de la société civile, et de la personnalité du président Alain Cordier, très intéressé par ces questions, le conseil a finalement commencé à se comporter comme un comité d’éthique et à donner de l’importance aux questions de principes, sans que l’Agence, d’ailleurs, en soit affectée. Je me souviens de l’épisode pénible d’une personne qui, à la suite d’un accident cardiaque, s’était retrouvée dans un service de prélèvements d’organes, ce qui avait donné lieu à un communiqué extrêmement maladroit de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le conseil d’orientation s’est immédiatement saisi de cette affaire embarrassante, mais la directrice de l’Agence a trouvé très utile de saisir l’occasion pour réfléchir et pour aborder différemment la question du prélèvement d’organe sur donneur à cœur arrêté. Sous la présidence du professeur Beloucif, qui connaît bien le CCNE, dont il a été un pilier, le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine devrait continuer à bien fonctionner.

M. le président. Pourquoi, selon vous, la France a-t-elle pris du retard pour ratifier les conventions internationales ?

Mme Nicole Questiaux. Il est curieux de constater que les experts français sont toujours extrêmement actifs lors de la discussion qui précède la signature. En ce qui me concerne, je suis l’un des principaux auteurs d’une déclaration universelle sur les données génétiques. Cependant, mon pays, qui ne dispose pourtant pas de statut pour les banques de données, s’en moque totalement ! Un certain désordre existe dans la manière dont des sujets, parfois très marginaux, sont traités dans les négociations : cela ne semble parfois pas relever de la diplomatie, mais du simple hasard.

Quant à la convention d’Oviedo, si elle ne fut pas ratifiée, c’est que l’un de ses articles a été jugé par le Conseil d’État trop tolérant en matière d’euthanasie. Après un débat obscur, la question a été remisée… Par ailleurs, les révisions législatives sont toujours pénibles pour les services de l’État qui souffrent d’un manque de personnel – c’est le cas du ministère de la santé, qui dispose de peu d’administrateurs. Aussi ces services ne sont-ils pas ravis de voir arriver un texte international qui modifie ce qui vient d’être adopté. C’est, selon moi, la raison pour laquelle personne ne pousse à la ratification. Et dans la mesure où nous avons l’impression d’appliquer l’essentiel de la convention d’Oviedo, nous n’avons même pas mauvaise conscience…

M. le président. Nous vous remercions, madame, d’avoir accepté notre invitation.

Audition de M. André SYROTA, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de
M. Jean Claude AMEISEN, président du comité d’éthique de l’INSERM, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine



(Procès-verbal de la séance du 13 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Avant d’accueillir nos invités, je rappelle que le Président de la République a souhaité que, parallèlement aux travaux de cette mission d’information, des États généraux de la bioéthique se tiennent au premier semestre 2009. Un comité de pilotage de six membres a été mis en place, présidé par notre collègue Jean Leonetti, rapporteur de cette mission d’information, composé de trois parlementaires, dont moi-même, et de personnalités qualifiées. Sans empiéter en rien sur le travail du comité de pilotage, nous avons décidé, Jean Leonetti et moi, d’inviter dorénavant ses membres aux auditions de notre mission d’information, notamment pour éviter des doublons.

Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. André Syrota, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui fut auparavant directeur des sciences du vivant au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), et M. Jean Claude Ameisen, professeur d’immunologie à l’université Paris VII, responsable de l’équipe de recherche de l’INSERM sur les modèles expérimentaux de la maladie du greffon contre l’hôte et de la réaction greffon contre tumeur, membre du Comité consultatif national d’éthique et président du comité d’éthique de l’INSERM depuis 2005 – il pourra nous dire si ces deux fonctions font ou non doublon…

L’INSERM est en France le pilote de la recherche en matière de sciences de la vie et de la santé. Dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, il est important que nous sachions comment s’organisent aujourd’hui ces disciplines dans notre pays. Nous souhaiterions aussi savoir comment les chercheurs voient cette future révision. Quels sont selon vous, Messieurs, les sujets scientifiques qui exigeraient que la loi évolue ? La future loi doit-elle entrer dans le détail ou faut-il plutôt s’orienter vers une loi-cadre fixant de grands principes, l’Agence de la biomédecine demeurant l’opérateur qui délivre les autorisations ? Comment, vous, chercheurs, avez-vous vécu la création de l’Agence de la biomédecine et quel bilan dressez-vous de son action ? Les appréciations de vos équipes concordent-elles avec celles de l’Agence nationale de la recherche sur le financement des projets ? Y a-t-il cohérence entre les différents organismes à la fois pour piloter et évaluer les recherches sur le vivant ?

M. André Syrota. Le projet de réforme de la recherche en matière des sciences de la vie et de la santé, voulu par le Président de la République, commence d’être mis en œuvre. Jusqu’à présent, une multitude d’organismes intervenaient en ce domaine – INSERM, CNRS, CEA, INRA, IRD…–, auxquels se sont ajoutées au fil des ans, diverses agences thématiques comme l’Institut du cancer ou l’ANRS pour le sida et aujourd’hui, les hépatites. Au niveau local, ont également été mis en place des génopoles, des cancéropoles, des neuropoles, des infectiopoles, des gérontopoles… Les réseaux thématiques de recherche avancée, les centres de recherche thématique en santé, et bien sûr l’Agence nationale de la recherche (ANR) et les pôles de compétitivité complètent la palette, sans compter les agences sanitaires – dont le rôle est différent. Cette multiplication des acteurs fait que nos concitoyens et nos parlementaires ne savent plus qui fait quoi ni comment sont utilisés les crédits. L’empilement est tel qu’on ne sait plus par exemple qui traite de la maladie d’Alzheimer ou du cancer, ou bien encore des problèmes éthiques liés à ces domaines.

La ministre de la santé et la ministre de la recherche ayant demandé que l’INSERM coordonne sur le plan national l’ensemble de la recherche dans le domaine biomédical, j’ai proposé, afin de rendre le dispositif plus lisible, qu’on crée plusieurs instituts thématiques recouvrant l’ensemble des aspects des sciences de la vie et de la santé, y compris éthiques. Ces instituts regroupent des chercheurs qui appartiennent à différents organismes – CNRS, INSERM, INRA, IRD, Institut Pasteur…– et travaillent en collaboration avec les universités, lesquelles se trouvent au centre de notre dispositif de recherche et hébergent les laboratoires. A ainsi été créé un Institut d’hématologie s’occupant de thérapie génique et cellulaire, partenaire principal de l’Agence de la biomédecine en matière de recherche sur les maladies neuromusculaires. Cette nouvelle organisation doit permettre de savoir pour chaque grand domaine de recherche quels moyens y sont affectés, combien de chercheurs s’y consacrent, quels sont les résultats obtenus…

Le Gouvernement a par ailleurs souhaité que les organismes de recherche soient évalués. L’INSERM a été le premier à l’être. Le rapport d’évaluation, élaboré sous la direction d’Elias Zehrouni, ancien directeur des National Institutes of Health américains, a été remis à l’AERES courant novembre. Un comité de suivi va être mis en place pour voir comment évoluer vers un institut unique des sciences de la vie et de la santé qui jouerait le rôle d’agence centrale de financement et dont les laboratoires universitaires seraient les opérateurs. Ce profond changement d’organisation rendrait notre pays encore plus performant qu’il ne l’est déjà dans le domaine des sciences du vivant, simplifierait le travail des chercheurs et rendrait plus lisible la recherche, pour le Parlement comme pour nos concitoyens.

M. le président. Cet institut reprendrait donc à son compte tout ce qui se fait actuellement à l’ANR en matière de sciences du vivant ?

M. André Syrota. Tout à fait, mais les laboratoires seraient gérés par des entités de proximité, c’est-à-dire les universités, selon le modèle mondialement reconnu.

Parmi tous les problèmes soulevés par la révision des lois de bioéthique, je ne traiterai ici que ceux relevant de la recherche. En sus des relations avec l’Agence de la biomédecine, les trois problèmes principaux, sur lesquels nous avons consulté les chercheurs pour connaître leur avis et leurs demandes, concernent la procréation médicalement assistée, qui est d’abord un problème médical mais en soulève tout de même quelques-uns de nature purement scientifique, les tests génétiques menés à des fins scientifiques, et les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines, domaine dans lequel les attentes sont particulièrement fortes.

S’agissant de la PMA, il faut trouver les moyens d’améliorer les taux de succès, qui ne dépassent pas aujourd’hui 50 %. Cette relative inefficacité tient à un manque de connaissances biologiques sur les mécanismes et les multiples origines des infertilités – génétiques, environnementales, psychologiques… On se contente aujourd’hui d’un classement assez sommaire, distinguant seulement entre les infertilités d’origine dite maternelle, paternelle, mixte ou inconnue. Cela exige d’effectuer des recherches sur les gamètes, lesquelles peuvent amener à la création d’embryons à seule fin scientifique, ce qui est aujourd’hui interdit. Il est paradoxal d’autoriser une technique comme l’ICSI (Intra cytoplasmic sperm injection), qui consiste en une fécondation par des gamètes sur lesquels ont été opérées des manipulations, en attendant la naissance pour voir si l’enfant ne présente pas de troubles, et d’interdire la création d’embryons à des fins de recherche. On préfère en quelque sorte réaliser l’expérimentation directement sur les enfants à naître…

S’agissant des tests génétiques, leur libre accès sur Internet pose problème. La constitution de populations témoins possédant une mutation génétique soulève également une difficulté. On utilise en effet de l’ADN de cellules provenant de prélèvements antérieurs anonymes, ce qui n’est pas légal puisque les personnes sur lesquelles ceux-ci ont été opérés n’ont pas expressément donné leur consentement à ces recherches. Une solution pourrait être de recueillir le consentement pour d’éventuelles études ultérieures en même temps que celui requis pour la réalisation du test lui-même.

Pour ce qui est des recherches sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires humaines, l’interdiction posée par la loi de 2004, assortie d’une dérogation pour cinq ans, freine les travaux menés en France. Elle entrave notamment le retour de nos chercheurs partis travailler sur ces questions en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, réticents à revenir dans notre pays, craignant que leurs projets n’y soient que « tolérés » et qu’il puisse y être arbitrairement et soudainement mis un terme. Si le transfert d’un embryon obtenu par clonage scientifique dans un utérus de femme est à juste titre prohibé, le transfert d’un noyau dans un ovocyte énucléé, ce qu’on appelle la reprogrammation nucléaire, est extrêmement utile pour comprendre les mécanismes de l’activation ovulaire et peut permettre des avancées thérapeutiques. La levée du moratoire constitue donc pour tous les chercheurs l’enjeu majeur de la révision de la loi. Il convient d’aborder le sujet sur un plan strictement scientifique, à la lumière bien sûr des découvertes récentes sur les potentialités des cellules souches induites ou iPS, issues de la reprogrammation de cellules somatiques adultes. Mais, tous les plus grands spécialistes du domaine nous l’ont confirmé, nul ne peut assurer que ces cellules souches adultes, du moins aujourd’hui, pourront remplacer les cellules souches embryonnaires. Elles ont d’ailleurs déjà montré certaines limites. Il est donc nécessaire de poursuivre les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Autre problème : subordonner l’autorisation d’une recherche au fait que l’on peut en attendre « un progrès thérapeutique majeur » est inopérant car cette condition n’a pas de sens. Le principe dérogatoire retenu par la France rend illisible la position de notre pays sur le plan international, détourne les investisseurs étrangers qui estiment manquer de visibilité – nos voisins européens, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ont pris, eux, des positions claires, aisément compréhensibles. L’attitude de la France nuit à ses capacités d’innovation et obère sa compétitivité. Or, des développements majeurs ont eu lieu avec notamment l’obtention de lignées de cellules souches permettant des études toxicologiques prédictives, ce qui évite d’avoir à effectuer des essais sur des animaux, voire sur l’homme. Si, à cause de notre législation, toutes ces recherches ne peuvent être menées en France, notre industrie pharmaceutique en pâtira lourdement. L’exploitation des cellules souches au niveau industriel passe par le développement de technologies appropriées, encore au stade de prototypes. Il faut établir des standards de qualité pour l’obtention de nouvelles lignées, pour les protocoles d’amplification et de différenciation, ainsi que pour une production et une utilisation standardisée à grande échelle. Des chercheurs s’y essaient dans notre pays. Encore faut-il qu’ils puissent le faire.

D’autre part les chercheurs souhaitent ardemment la constitution d’une banque française de cellules souches embryonnaires humaines, qui répondrait à un besoin évident et s’inscrirait dans le cadre d’une réflexion européenne, voire internationale, sur ce type de banques. Une banque centralisant et distribuant les cellules souches, accessible aux chercheurs et qui serait un interlocuteur pour les instances nationales et internationales, simplifierait les démarches administratives et offrirait d’intéressantes possibilités de prospective. En ce domaine, le potentiel de la France est, hélas, aujourd’hui sous-valorisé.

Enfin, s’agissant de nos relations avec l’Agence de la biomédecine, l’excellent travail de l’Agence est complémentaire du nôtre. Les chercheurs, qui apprécient de n’avoir à s’adresser qu’à un seul interlocuteur, souhaitent qu’elle puisse répondre à leurs questions dans des délais brefs et de la façon la plus simple possible.

M. Jean Claude Ameisen. Je m’interroge toujours sur l’utilisation du terme de bioéthique, qui signifie éthique du vivant, alors que dans notre pays, les lois de bioéthique traitent non pas de l’éthique du vivant mais s’attachent à déterminer en quoi les progrès des sciences de la vie et de la santé posent de manière nouvelle certaines questions relatives au respect de la personne humaine.

Il me semble donc important, lorsque ces lois sont réexaminées, de réfléchir à nouveau sur des principes très généraux comme ceux de don, d’anonymat, de non-commercialisation des éléments du corps humain, de consentement libre et éclairé des personnes se prêtant à des recherches, de protection des personnes les plus vulnérables… Beaucoup de ces principes sont en jeu aussi dans d’autres lois que les lois de bioéthique, comme la loi Huriet-Sérusclat, la loi sur le handicap, la loi sur les droits des malades, les lois sur la filiation… Il faut clarifier l’articulation de tous ces textes avec les lois de bioéthique. Pour les chercheurs, qui s’interrogent en amont sur le sens et les conséquences possibles de leurs recherches, il est important de réfléchir à l’articulation entre le domaine médical et le domaine non-médical, dans la mesure où une réflexion sur des applications dans le domaine médical peut se trouver en porte-à-faux quand une même approche est adoptée dans le domaine non médical, avec un contexte de réflexion et des enjeux de protection de la personne qui peuvent être assez différents.

Que la loi repose sur un corpus de principes généraux clairs, qu’une agence comme celle de la biomédecine les mette en pratique au mieux ensuite au cas par cas, et que le législateur vérifie ensuite si cette application correspond bien à ce qu’il attend, me paraît préférable à ce que le législateur règle dans le détail tous les aspects d’un champ de connaissances aussi mouvant, au risque d’impasses ou de contradictions. La manière dont l’Agence a travaillé jusqu’à présent devrait permettre un enrichissant retour d’expérience, l’application au cas par cas de ces principes ayant fait surgir des questionnements, parfois inattendus, dont le législateur a pu ainsi être informé.

Il serait important de tenir compte du contexte européen lors de la révision de la loi de bioéthique. Souvent des basculements s’opèrent dans l’opinion du simple fait qu’une pratique, interdite chez nous, est autorisée dans un pays voisin : nos concitoyens ne comprennent plus alors la raison de son interdiction en France ou au contraire en tirent prétexte pour cristalliser leur opposition au nom d’une singularité française. La confrontation des approches des différents comités d’éthique européens se révèle extrêmement utile, y compris pour confirmer le bien-fondé de notre propre approche, qui peut-être différente de celles de nos voisins en raison d’un contexte historique et culturel différent. Cette confrontation nous permet, je crois, de nous « réapproprier » nos différences, et de mieux comprendre les faits suivants, que la société ne perçoit encore que confusément : d’une part, l’accord des Européens sur des principes communs, d’autre part la subsidiarité qui prévaut quant à leur mise en œuvre, et enfin la libre circulation des personnes, font qu’on est nécessairement confronté à des situations qui peuvent paraître étranges, voire scandaleuses, mais cette diversité est constitutive de l’Europe : le fait que des pratiques que nous jugeons non souhaitables, et qui sont interdites chez nous, soient autorisées dans d’autres pays européens, est d’une certaine manière une situation normale dans le contexte européen, même s’il est légitime de souhaiter à long terme une harmonisation des approches. La notion d’exception, ou le principe d’interdiction, assorti de la possibilité de dérogation, ont l’intérêt de mettre en lumière certaines limites mais elles doivent demeurer faciles à comprendre et ne pas donner l’impression que la loi dit une chose et son contraire. La notion d’exception devrait être justifiée par la démonstration qu’un cas particulier ne relève pas des formes habituelles d’application du principe.

J’en viens aux recherches sur l’embryon. La loi actuelle me semble comporter une ambiguïté majeure, liée au fait qu’elle ne fait pas de distinction entre les recherches sur l’embryon vivant et celles sur des cellules provenant d’un embryon détruit. Or, les deux ne sont pas de même nature, tout comme une recherche sur des lignées cellulaires d’origine cérébrale diffère d’une recherche sur le cerveau. Il y a des circonstances particulières dans lesquelles le législateur autorise la destruction d’un embryon, comme après un diagnostic préimplantatoire (DPI) ayant abouti à la détection d’une très grave maladie incurable d’origine génétique, ou après abandon de tout projet parental. Je pense que les recherches sur des cellules issues d’embryons détruits, sans que leur destruction ait été motivée par ces recherches, pourraient relever du régime général des autorisations de recherches sur des cellules prélevées sur une personne après sa mort, ou sur des cellules prélevées sur un fœtus mort après interruption médicale ou volontaire de grossesse.

La recherche sur l’embryon, avant sa destruction, est autre chose, de même que la création d’un embryon à visée de recherche. Il est des situations d’assistance médicale à la procréation (qu’André Syrota a évoquées), en particulier lorsque de nouvelles techniques sont développées, où interdire la recherche sur l’embryon, ou la création d’un embryon à visée de recherche, c’est exposer l’enfant à naître à des risques importants. Du point de vue de l’éthique médicale – le souci de l’enfant à naître – on pourrait proposer là un principe d’interdiction avec dérogation. Ma proposition serait une autorisation dans le premier cas (la recherche sur des cellules issues d’un embryon détruit), et une interdiction assortie de dérogations dans les deux autres. En ce qui concerne la création d’un embryon à des fins de recherche, sans que celle-ci ait pour objet premier la protection d’un enfant à naître, il s’agit d’une question différente.

Subordonner l’autorisation d’une recherche à ce que des « progrès thérapeutiques majeurs » puissent en résulter pose un problème très général qui dépasse le cadre de la recherche sur les cellules embryonnaires, à savoir celui de la définition d’une recherche prioritaire. Selon les critères internationaux, une recherche prioritaire est une recherche de qualité, originale, soulevant des questions importantes. La question des progrès thérapeutiques à en attendre ne se pose que pour des recherches très appliquées. François Jacob ne disait-il pas qu’on mesure l’importance d’une découverte au degré de surprise qu’elle provoque ? Imposer cette condition d’une attente de « progrès thérapeutiques majeurs » restreindrait considérablement la recherche, la réduisant quasiment à du développement. La plupart des découvertes distinguées par un Prix Nobel depuis vingt ans, et qui ont ultérieurement donné lieu à des applications thérapeutiques importantes, ont été le fruit de telles recherches originales, répondant aux critères que j’ai mentionnés, et non, à de rares exceptions près, de recherches dont on pouvait escompter (à court terme) des avancées médicales particulières, notamment d’ordre thérapeutique.

J’en viens à la question de la filiation et de la gestation pour autrui. Que les avancées de la biologie et de la médecine rendent possibles certaines pratiques n’amène-t-il pas certains à les considérer de ce simple fait comme légitimes alors qu’a priori, ils ne les accepteraient pas si elles n’étaient pas le fruit de ces innovations ? À ma connaissance, aucun pays ne reconnaît un contrat d’adoption sur un enfant à naître comme une forme normale de filiation. Faut-il accepter, à partir d’un certain niveau de sophistication des techniques médicales, des formes de filiation qu’on aurait sans cela jugées non souhaitables ? Les avancées de la science ne doivent pas constituer un alibi permettant à lui seul de justifier des pratiques qui sinon seraient condamnées. Là encore, on pourrait peut-être s’interroger sur la possibilité de poser un principe de l’interdiction avec dérogation, comme pour le don d’organes entre proches. Il peut être bon de rapprocher le problème de la gestation pour autrui d’autres domaines où se posent des questions voisines, tout en distinguant bien les domaines où la vie d’une personne est en jeu (le don d’organe) de ceux où la vie d’une personne n’est pas menacée (la stérilité).

Pour ce qui est des tests génétiques, le statut donné à l’information génétique par rapport à toutes les autres me paraît disproportionné. La démarche d’information, de dialogue et de réflexion qui permet le processus de consentement libre et éclairé – qu’on devrait plutôt appeler processus de choix libre et informé – devrait être fonction de la gravité du résultat qui va être communiqué, plutôt qu’à la nature de la technique qui permettra de l’obtenir. Pourtant le diagnostic d’une maladie grave, selon qu’il est effectué par imagerie médicale, par test biologique ou génétique, ne donne pas lieu aux mêmes précautions. Ainsi un diagnostic d’hémophilie porté après un test génétique va s’accompagner d’un important processus de réflexion et d’information, alors qu’il n’en sera pas de même s’il est porté par dosage sanguin des facteurs de coagulation. Pourtant l’importance de l’annonce d’un résultat positif est la même pour la personne dans les deux cas. Il faudrait considérer les tests génétiques comme l’un des éléments de la palette des moyens dont nous disposons pour obtenir des informations importantes, sans leur donner a priori une place à part qui les distinguerait de tous les autres tests en raison de l’importance qu’on leur attribuerait. Par ailleurs, la mise à disposition de plus en plus large de tests génétiques sur Internet pose problème car les diagnostics auxquels ils peuvent aboutir sont donnés de manière très différente selon qu’ils le sont dans le cadre d’un accompagnement médical ou sur un site commercial en ligne. Étant donné que les tests génétiques peuvent maintenant être effectués à partir non plus seulement de prélèvements sanguins, mais aussi de salive ou de cheveux, un test de paternité peut être pratiqué par le biais d’Internet à l’insu de la mère et de l’enfant (c’est même un des « avantages » majeurs explicitement proposés comme tel par les promoteurs de ces tests sur Internet). Si n’importe quel test peut être effectué sans prescription, n’importe qui peut faire pratiquer un test sur n’importe qui, ce qui pose des problèmes graves concernant le respect de la confidentialité. Il y a un autre problème important : à partir de l’envoi d’une goutte de sang par une femme enceinte, des laboratoires proposent sur internet de déterminer le sexe du fœtus, à partir de test génétiques réalisés, à 6 à 8 semaines de grossesse, sur les cellules fœtales circulant dans le sang de la mère. Ces laboratoires pourraient proposer dans un avenir proche n’importe quels profils de « susceptibilité » génétique de l’enfant à venir. Il vaudrait mieux débattre de ces questions à l’avance, plutôt que d’être confronté aux situations de détresse que pourrait provoquer une utilisation de tels tests en dehors de tout accompagnement médical et de toute régulation. Une régulation de ces pratiques est hautement souhaitable, mais devrait, je pense, être envisagée non seulement dans notre pays, mais au niveau européen.

Il arrive que dans un souci louable de précision, le législateur prenne des dispositions qui posent ultérieurement problème. Souhaitant ainsi que les empreintes génétiques se limitent à identifier une personne, sans donner de renseignement complémentaire la concernant, il a demandé que ne soient utilisées à cette fin que des régions non codantes de l’ADN. Or, depuis quelques années, la recherche a montré que des régions non codantes contiennent des informations sur de nombreuses caractéristiques d’une personne. Si le législateur s’était contenté de dire que les empreintes génétiques devaient servir exclusivement à l’identification des personnes, la lettre de la loi ne se trouverait pas aujourd’hui en contradiction, en raison des avancées de la science, avec l’esprit de la loi. Paradoxalement, une trop grande précision peut faire naître un conflit entre l’esprit et la lettre de la loi.

Un mot sur la frontière entre ce qui est médical et ce qui ne l’est pas. L’importance accordée aux tests ADN pour le regroupement familial de personnes étrangères pose le problème de la place des tests génétiques dans la détermination de la filiation. Il est difficile pour la société de considérer, d’une part, que la filiation se définit essentiellement de manière sociale, affective, culturelle et, d’autre part, dans certains cas, qu’elle se définit de manière biologique.

S’agissant des relations entre le Comité consultatif national d’éthique et le comité d’éthique de l’INSERM, il faut savoir que le premier est né en 1983 de la transformation du second qui a disparu à son profit. Un directeur de l’INSERM a ensuite considéré que la création du CCNE n’empêchait pas qu’une réflexion éthique autonome soit justifiée au sein de l’INSERM, où a été recréé un comité d’éthique ; ce qui converge avec la volonté du législateur d’instaurer, dans un autre domaine, des espaces éthiques régionaux. Dans deux cas, dont l’un concernait l’autisme et l’autre un test diagnostique de cancer, les deux instances ont été saisies de questions sur le même sujet, mais posées différemment et dans un esprit différent. Elles ont formulé des avis et des recommandations qui se rejoignent sur le fond mais dont les développements sont différents et complémentaires, ce qui est logique dans la mesure où le CCNE s’adresse à la société dans son ensemble et le comité d’éthique de l’INSERM plus particulièrement aux chercheurs, aux organismes de recherche, aux médecins et aux associations de patients. La multiplication des instances de réflexion et de dialogue, notamment entre les chercheurs et la société, impose certes une concertation, mais présente beaucoup d’intérêt à condition que les démarches soient complémentaires, et non redondantes.

Cinq ans après l’adoption de la loi Huriet-Sérusclat, le CCNE avait souligné dans son avis n° 41 qu’il lui semblait essentiel que, lorsque des projets de recherche impliquant des équipes françaises se déroulaient dans des pays du Sud, une instance éthique puisse en juger, dans les mêmes conditions que lorsque les projets étaient conduits en France ou en Europe. Le Comité avait proposé la création d’une telle instance, mais force est de constater que depuis quinze ans, rien n’a été fait. Il conviendrait de prendre en compte cette dimension internationale dans la réflexion sur la révision des lois de bioéthique car il importe de protéger les personnes partout dans le monde, notamment dans des pays où elles sont particulièrement vulnérables. L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’INSERM, la Commission européenne et le Conseil de l’Europe, soutiennent depuis quelques années la création de comités d’éthique et de protection de la personne dans les pays du Sud. La présence d’une instance française est propre à faciliter la mise en place de telles structures dans les pays qui en manquent, et à établir un dialogue enrichissant pour tous. Nous sommes très attachés à ce projet.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci tout d’abord pour l’extrême richesse des questions soulevées – presque trop riches, oserais-je dire, mais tel est notre lot en matière d’éthique, où les questions sont toujours plus nombreuses que les réponses…

Le chercheur doit-il exercer sa vigilance éthique en amont de sa recherche ou être totalement libre, sachant que c’est l’application de ses recherches plus que ces dernières en elles-mêmes qui peut poser un problème éthique ? Comme un chercheur, par définition, ne sait jamais ce qu’il va trouver, il semble assez illusoire de décréter que sa recherche ne sera autorisée que si elle est susceptible d’entraîner « des progrès thérapeutiques majeurs ». Poser cette condition, c’est tuer la recherche fondamentale, et la recherche en général.

Vous avez évoqué, Monsieur Syrota, trois questions importantes qui, toutes, soulèvent la question de la prédictivité des tests. Seuls les embryons « parfaits » doivent-ils être implantés ou bien seuls ceux porteurs d’une mutation génétique associée de manière quasi inéluctable à une très grave maladie ne doivent-ils pas l’être ? Où place-t-on le curseur ? Faut-il écarter uniquement les embryons porteurs d’un gène conduisant à une maladie à forte prévalence et aux conséquences gravissimes, ou aussi ceux porteurs d’un gène de vulnérabilité qui ne fait qu’accroître le risque de développer une maladie multifactorielle comme le cancer du sein et dont la probabilité de développement est somme toute faible ? Cette prédictivité pose de toute façon des problèmes plus généraux : à quoi servirait de faire des tests permettant de prédire une maladie future si l’on n’est pas capable de la prévenir ou d’en atténuer les effets ?

Si je vous ai bien compris, les lois de bioéthique ne doivent pas être tatillonnes, une trop grande précision allant à l’encontre de l’objectif recherché. Il ne servirait à rien d’essayer de résoudre dans la loi tous les cas particuliers pouvant se poser, d’autant que l’Agence de la biomédecine est l’opérateur ad hoc en ce domaine et que l’on ignore si une découverte ne va pas à un moment quelconque totalement bouleverser la donne. Est-il donc pertinent de prévoir une révision obligatoire des lois de bioéthique tous les cinq ans ? Ne vaudrait-il pas mieux prévoir qu’elles le soient seulement si une découverte ou une situation particulière remettent en cause leurs fondamentaux ?

Ma dernière question a trait aux recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. À un moment donné, ces recherches ont paru indispensables. Puis, dès lors qu’on a pu induire des cellules souches pluripotentes à partir de cellules adultes différenciées, certains ont pensé – espoir ou fantasme ? – qu’il serait possible de s’en passer. En dépit des perspectives ouvertes par le transfert nucléaire et la dédifférenciation cellulaire, les chercheurs sont nombreux à soutenir qu’il n’est pas possible d’abandonner les recherches sur l’embryon, car les deux voies sont différentes et on ne sait encore à quoi elles aboutiront. Est-ce votre opinion ? Le chercheur ne doit-il pas rester libre, sachant que c’est à la société de poser les interdits et de prévoir les dérogations éventuelles ?

M. Paul Jeanneteau. Monsieur Syrota, vous avez souhaité que soit levé le moratoire sur la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires. Monsieur Ameisen, vous avez distingué les recherches sur les cellules issues d’embryons détruits des recherches sur l’embryon lui-même. Pourriez-vous préciser vos propos ? Comment la loi pourrait-elle mieux éclairer ce point ?

M. André Syrota. Sur le fait de n’autoriser les recherches que si « des progrès thérapeutiques majeurs » peuvent en être attendus, nous avons déjà répondu. De toutes les découvertes récompensées par un Prix Nobel, même si certaines ont eu par la suite des applications thérapeutiques majeures, aucune n’a jamais été faite initialement dans ce but. Si l’on recherche d’emblée une application thérapeutique, bien souvent on ne la trouve pas. C’est la plupart du temps une recherche fondamentale totalement différente qui y conduit.

La question de la prédictivité des tests est une question majeure qui dépasse celle des cellules souches. Aujourd’hui, on recherche chez les adultes des biomarqueurs prédictifs de maladies, l’idée étant de les détecter le plus tôt possible, chez l’adolescent, l’enfant, le nouveau-né, voire avant la naissance. Il ne s’agit pas seulement de marqueurs biologiques mais aussi de marqueurs pouvant être obtenus par imagerie cérébrale, par exemple pour détecter précocement le risque de développer une chorée de Huntington – laquelle peut ne se déclencher que des décennies plus tard ou peut-être jamais. Il en va de même pour l’épilepsie, la schizophrénie, l’autisme pour lequel on a pu mettre en évidence des anomalies de la migration neuronale… Les industriels ont parfaitement compris qu’il s’agissait là d’un très vaste marché potentiel, et les trois leaders mondiaux de l’imagerie médicale rachètent depuis quelques années des sociétés de biotechnologies et des sociétés qui fabriquent des tests, voire des puces ADN, pour élargir leurs marchés à toutes les pathologies, espérant que l’on pourra prochainement détecter précocement par ce biais toutes sortes de maladies comme on le fait aujourd’hui d’un cancer du sein par une mammographie.

M. Jean Claude Ameisen. Les chercheurs doivent-il être totalement libres ? Oui, en tout cas le plus possible, ce qui ne leur interdit pas de faire preuve de maturité dans leur approche. Ils doivent se sentir concernés, le plus en amont possible, par les applications possibles de leurs recherches – ce qui d’ailleurs fera d’eux des partenaires privilégiés de la société et du législateur, alors que, s’ils ne considèrent pas que cette réflexion sur les applications est de leur ressort, elle aura lieu en dehors de la recherche. Nous nous efforçons à l’INSERM de favoriser la liberté de la recherche en même temps que la réflexion éthique en amont – là où elle est plus sereine, moins tendue par le sentiment d’urgence lié à l’imminence des applications. En amont, à un certain niveau, la réflexion éthique a une dimension épistémologique. Si un chercheur se demande ce que peut changer, y compris dans des comportements humains, un progrès de la connaissance, il s’interroge d’une autre façon sur la signification même de sa recherche. Le chercheur est un citoyen qui doit à la fois être libre dans sa recherche et responsable dans sa participation à la réflexion collective.

S’agissant de la prédictivité des tests génétiques, il règne actuellement une très grande confusion, et le législateur pourra peut-être contribuer à la lever. Du fait qu’il existe de nombreuses maladies, atteignant chacune un nombre restreint de personnes, qui sont des maladies monogéniques, à transmission mendélienne et à pénétrance forte, c’est à dire à très forte probabilité de développement, comme la mucoviscidose ou la maladie de Huntington, beaucoup ont cru que l’analyse du génome permettrait de prédire la santé future de chacun. De là se sont développés des tests indiquant qu’une personne, parce qu’elle présente telle mutation génétique, a 10 %, voire 5%, de risques de plus que la population générale de développer par exemple un diabète ; mais il faut bien voir qu’a contrario, même positif, ce test signifie que l’individu a 90 %, voire 95% de chances de ne pas développer cette maladie que le reste de la population. Or, les résultats ne sont jamais présentés ainsi. On survalorise la prédictivité des tests génétiques par rapport à toute autre information. Comme les gènes ne changent pas au cours de la vie, on a l’impression qu’ils déterminent à eux seuls et une fois pour toutes le destin médical d’une personne ; une certaine cécité en résulte envers l’environnement et le mode de vie. Une mesure de la cholestérolémie n’est pas présentée comme un « test de prédisposition à l’infarctus du myocarde », non plus qu’une mesure de la pression artérielle comme un test de prédisposition à une hémorragie cérébrale, alors que la détection d’un gène de vulnérabilité à une maladie est quasiment tenue pour une détection de cette maladie même et en porte le nom. Ce « court-circuit » induit beaucoup d’erreurs. Plusieurs études ont montré que, pour toute une série d’espèces animales, modifier un gène ou bien le mode de vie et l’environnement des individus aboutissait exactement au même résultat en matière d’allongement de la durée de vie, mais que pratiquer les deux en même temps ne procurait aucun gain additionnel. Autrement dit, dans ce cas, influer de l’extérieur ou de l’intérieur a les mêmes conséquences.

M. le rapporteur. C’est multifactoriel mais non cumulatif.

M. Jean Claude Ameisen. Exactement. Ce domaine de recherche en pleine expansion, qu’on appelle l’épigénétique, est aussi important que le génome lui-même. Des études portant sur des jumeaux homozygotes ont montré que, dans 75 % des cas, leur santé et leur longévité dépendaient de leur environnement et de leur mode de vie plus que de leurs gènes, et que leurs cellules et leurs corps n’utilisaient pas de la même façon leurs gènes. Autrement dit, si nul ne peut nier l’importance des gènes, il convient de ne pas la survaloriser.

M. André Syrota. Nous allons lancer une grande étude multiparamétrique sur des cohortes de sujets qui seront étudiés sur le plan génétique au Centre national de génotypage, et qui s’accompagnera d’une étude sur leur mode de vie, leur lieu de résidence… Le spectre du réductionnisme génétique s’éloigne de plus en plus.

M. le rapporteur. C’est rassurant.

M. Jean Claude Ameisen. En ce qui concerne votre question sur la révision de la loi, prévoir une révision des lois de bioéthique tous les cinq ans avait au départ valeur pédagogique. C’était garantir que le sujet ne serait pas laissé de côté. Mais aujourd’hui, cette obligation de réexamen donne l’impression que la loi n’est pas bonne et que si on ne la revoit pas tous les cinq ans, elle risque de conduire à des erreurs. Peut-être faudrait-il s’en tenir au régime commun, toute loi étant toujours révisable si le besoin s’en fait sentir.

M. le président. Il serait important de bien préciser la distinction entre recherche sur l’embryon et recherche sur les cellules issues de l’embryon.

M. Jean Claude Ameisen. La loi et la réflexion éthique distinguent depuis longtemps dans notre pays les recherches sur des éléments du corps humain, comme les cellules, et les recherches sur la personne humaine elle-même, vivante ou morte, dont ces cellules sont issues. Cette distinction, qui existe à tous les autres stades de la vie, n’a pas été faite pour l’embryon. Or, le problème éthique est de savoir s’il y a des circonstances dans lesquelles la destruction de l’embryon est considérée comme licite. Si oui, prélever des cellules sur cet embryon détruit pour effectuer des recherches sur elles relève du régime général de la recherche sur des éléments du corps humain, et non de la problématique des recherches sur l’embryon lui-même. Les chercheurs attendent une clarification de ce point ; il est étonnant qu’on ne soit pas dans le même cadre légal selon qu’on étudie des cellules issues de fœtus morts ou de cellules provenant d’embryons détruits.

M. le rapporteur. Si transgression il y a, c’est lors de la destruction de l’embryon, non du prélèvement de cellules.

M. Jean Claude Ameisen. Si un test est fait dans le but de n’implanter que des embryons indemnes de telle maladie génétique, par définition, tout embryon porteur de l’anomalie génétique sera détruit. On peut alors poser la question de savoir pourquoi il faudrait un régime dérogatoire pour, dans ces cas-là, isoler après destruction de l’embryon les cellules et travailler sur elles. Il importe aussi de déterminer dans quelles situations le législateur peut considérer que la destruction de l’embryon est autorisée.

M. Paul Jeanneteau. Jusqu’où une anomalie génétique susceptible de se matérialiser avec une certaine probabilité doit-elle conduire à décider d’une non-implantation ? Où placeriez-vous le curseur ?

M. Jean Claude Ameisen. Cette question ne relève pas de la science. Les chercheurs ne peuvent que souligner, comme je l’ai fait tout à l’heure, qu’il ne faut pas survaloriser certains facteurs prédictifs, en l’occurrence l’information génétique par rapport aux facteurs exogènes comme l’environnement ou le mode de vie. Chacun sait que selon leur lieu et leur mode de vie, la santé et la longévité de nos concitoyens diffèrent fortement dans notre pays. Pourquoi accorder beaucoup plus d’importance à une information génétique aboutissant à des probabilités de même ordre de grandeur ? Ce qu’il faudrait, c’est fixer un principe tenant compte de la probabilité de survenue d’une maladie, de sa gravité mais aussi du terme auquel elle risque de survenir. Qu’une maladie grave ait 90 % de risques de se déclarer au bout de quelques années chez un individu est très différent du fait qu’une autre ait 20 % de risques de se déclencher dans cinquante ans ! Je pense que le législateur devrait fixer des principes clairs mais généraux, et confier à l’Agence de la biomédecine la mission de le mettre en pratique au mieux, puis vérifier rétrospectivement si l’application qui en a été faite a respecté l’esprit de la loi.

M. le président. Je remercie MM. Syrota et Ameisen pour leur contribution aux travaux de notre mission.

Audition de M. Christian SAOUT, président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS)


(Procès-verbal de la séance du 13 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Christian Saout, administrateur et président d’honneur de l’association AIDES, qu’il a présidée entre 1998 et 2007, et président depuis 2006 de la Conférence nationale de la santé, organisme de concertation placé auprès de la ministre de la santé.

Vous présidez depuis 2007 le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), créé en 1996 et qui fédère 32 associations représentant des malades et des usagers du système de santé, des personnes handicapées, des familles et des consommateurs. Vous êtes également membre depuis 2004 du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie et du conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Avec les professeurs Charbonnel et Bertrand, vous avez remis en septembre dernier à la ministre de la santé un rapport en faveur de l’éducation thérapeutique du patient.

Président du CISS, vous êtes en contact avec les associations de malades, qui attendent beaucoup du législateur. Elles ne comprennent pas toujours l’encadrement qui est fait de la recherche et s’interrogent sur la lenteur de certaines procédures. Nous souhaiterions donc savoir quelles évolutions législatives vous jugez utiles.

Par ailleurs, l’Agence de la biomédecine, dans son rôle de régulateur, est-elle en contact avec les associations de malades ? Votre collectif a-t-il organisé des débats sur les lois de bioéthique ? Comment comptez-vous aborder ces sujets dans le cadre des états généraux ?

M. Christian Saout. Les associations du Collectif, qu’il s’agisse des associations familiales, des associations de patients et, dans une moindre mesure, des associations de consommateurs, sont nombreuses à se pencher sur les sujets de bioéthique.

Cependant, aucune position collective n’a encore été déterminée et la bioéthique n’est pas un sujet d’excellence pour le CISS. Celui-ci a davantage eu à traiter des questions relatives à l’économie de la santé, à l’accès au système de santé ou aux droits des personnes, notamment au regard de l’informatisation des données de santé.

Cela dit, les associations, qui connaissent bien la partie de la loi de 2004 relative aux droits des personnes participant à la recherche, considèrent qu’un réexamen régulier de la loi de bioéthique est nécessaire. Les innovations incessantes (je pense notamment à celles qui s’annoncent dans le domaine des nanotechnologies ou au problème du bracelet GPS pour les personnes âgées atteintes par la maladie d’Alzheimer ou les enfants en très bas âge, etc.) soulèvent en effet des questions éthiques, qui nécessitent que l’on remette chaque fois l’ouvrage sur le métier, sans pour autant procéder à une refonte complète du système législatif.

Nos associations sont attachées au débat public, et pas seulement avec elles, mais avec l’ensemble de la société, car beaucoup des questions dont traite votre mission sont des questions de société, qui ne concernent pas les seuls patients. De ce point de vue, les États généraux sur la bioéthique suscitent un certain scepticisme. C’est qu’on a connu par le passé nombre d’états généraux conçus « par le haut », qui n’étaient que des réunions d’experts, laissant de côté le corps vivant de la société… Alors qu’ils ont été annoncés en juin de l’année dernière, le CISS n’a été ni consulté, ni invité à débattre. Faut-il y voir un refus de susciter un débat d’envergure nationale sur les questions éthiques dans le domaine de la santé ? Ces États généraux nous semblent loin de nous.

Quant à nos relations avec l’Agence de la biomédecine, elles sont de l’ordre de la sympathie et du respect mutuels, mais non du débat. Là encore, nous ne sommes pas consultés – mais y a-t-il matière à le faire ?

Je m’en tiendrai là, car, sur des sujets thématiques, comme l’assistance médicale à la procréation, le don d’organes,  le diagnostic préimplantatoire ou les tests génétiques, le CISS n’a pas de position préétablie ; je pourrai tout au plus donner des indications sur le sens de ce que pensent les associations membres du Collectif.

M. le président. Avant de donner la parole au rapporteur, je tiens à informer les membres de la mission d’information que les membres du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique seront désormais invités à participer à nos auditions, si vous en êtes d’accord.

M. Jean Leonetti, rapporteur. La lettre de mission du Président de la République témoigne du même souci, bien légitime, qui est le vôtre, Monsieur Saout : le débat sur la bioéthique doit être un débat populaire, non un débat d’experts. Le comité de pilotage – dont M. Claeys et moi-même faisons partie – n’est pas chargé de conduire lui-même une réflexion sur la bioéthique, mais d’organiser les États généraux. J’espère que nous saurons vous convaincre que nous ne sommes pas éloignés des situations de terrain, d’autant que les Français débattent déjà avec passion de sujets comme la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui, l’autonomie de la personne ou l’anonymat des dons. Ces débats ne sauraient donc être réservés à une élite. Pour autant, ils ne doivent pas être réduits à des discussions de café du commerce, ni à des questions simples que pourrait trancher un référendum. En simplifier les tenants et les aboutissants reviendrait à nier leur complexité et à détruire la profondeur du vrai débat démocratique.

Le comité de pilotage s’emploie donc à faire que tout le monde puisse participer au débat, sans pour autant faire de ces états généraux une auberge espagnole. Nous pourrions donc recourir à des panels de population, assurant une bonne représentation de la diversité de la société française. Parallèlement à nos travaux de parlementaires, se développera un large débat populaire. Il dépassera la seule dimension des associations – si nombreuses, si bien regroupées et si bien représentées soient-elles. En s’inspirant de la proposition de M. Noël Mamère, nous essaierons ainsi d’organiser un débat approfondi, pertinent et en même temps, populaire et ouvert.

Aux auditions menées par notre mission et aux rapports de différentes instances viendront s’ajouter les conclusions de ces états généraux. Cet ensemble permettra au législateur d’adapter et de toiletter – plutôt que de refondre, comme vous l’avez dit avec raison – la loi de bioéthique, dont le socle fondamental n’appelle pas un bouleversement.

Enfin, je vous pose à mon tour la question : à quels changements législatifs pensez-vous qu’il soit utile de procéder ?

M. Jean-Luc Préel. Nous ne sommes pas habitués à une telle retenue de votre part. Je comprends la difficulté de faire la synthèse des positions des diverses associations que vous représentez. Mais peut-être pouvez-vous nous donner votre avis sur la question du don d’organe, le maintien ou non de l’anonymat des donneurs de gamètes, sur les tests génétiques et la médecine prédictive ?

M. Christian Saout. J’ai appris, c’est vrai, à m’exprimer avec moins de vivacité. Je sais pourtant que je ne serai pas inquiété en raison des propos que j’aurai tenus dans cette enceinte…

Les associations du CISS déplorent la pénurie d’organes, notamment pour les pathologies rénales. Les délais d’attente sont longs, parfois au point de mettre en péril la vie des personnes. Le système de consentement présumé ne semble pas en cause, puisque d’autres pays qui l’utilisent aussi n’observent pas une telle pénurie. Ce ne sont donc pas forcément les dispositions législatives qu’il faut modifier, mais peut-être plutôt les pratiques de recueil du consentement : même lorsque la personne est présumée avoir consenti au don, l’avis de la famille est sollicité, et c’est alors que sont émises des réserves. D’autres paramètres, comme la baisse importante du nombre d’accidents sur la voie publique, entrent aussi en ligne de compte.

Nos préoccupations sont fortes s’agissant des tests génétiques, dans la mesure où cette question est liée à celle de l’accès aux données de santé informatisées, avec les risques que cela comporte en matière d’insertion dans l’emploi ou de relations avec les assureurs. Un certain nombre de rapports demandent à ce qu’il soit interdit de se prévaloir des résultats de ces tests pour obtenir un avantage. De la même manière, nous pensons qu’il faut pénaliser l’utilisation défavorable de ces tests. Par ailleurs, dans la mesure où certains traitements d’avenir sont liés à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne, la modification des fichiers informatiques qui contiennent ces données pose des questions redoutables. Enfin, plus généralement, le recueil des données informatisées de santé ne fait pas l’objet d’un consentement explicite dans notre pays.

Les représentants des usagers sont invités à participer aux comités de protection des personnes participant à la recherche. Lorsqu’il s’agit par exemple de valider les documents relatifs au recueil du consentement, cette présence est justifiée mais est-ce vraiment utile de faire siéger les représentants des usagers lorsque les recherches en question ne mettent en jeu ni la sécurité, ni les droits des individus ? Or, c’est le cas le plus fréquent, sauf peut-être dans les grandes métropoles où se poursuit une importante recherche biomédicale. Ne conviendrait-il pas de faire évoluer ce modèle et de prévoir la saisie, en cas de difficulté, d’un conseil national des droits des personnes dans la recherche médicale ?

S’agissant de la législation relative à l’assistance médicale à la procréation ou aux tests prédictifs, nos concitoyens « s’en arrangent » au point de traverser les frontières. Il serait sans doute plus utile de les informer – sur le bon usage de tests génétiques, qui sont de toute façon accessibles sur Internet, ou sur les pratiques des différents instituts chargés de la procréation assistée – que de réviser les règles de droit. Là encore, les pratiques et les comportements sont en cause plus que les normes légales.

M. Paul Jeanneteau. Est-il nécessaire à vos yeux d’harmoniser les législations européennes ou chaque pays doit-il au contraire conserver sa spécificité ?

M. Christian Saout. L’harmonisation européenne pourrait paraître souhaitable sur certains points mais elle heurterait nos convictions sur d’autres, dans la mesure où les espaces nationaux recouvrent des façons différentes de vivre et de penser. Ainsi, l’approche utilitariste de l’accès aux médicaments en Angleterre s’oppose à l’humanisme français qui fait que la collectivité prend en charge des traitements très onéreux.

Pour autant, notre législation ne doit pas être contraire aux engagements internationaux de la France, notamment à la Convention européenne des droits de l’homme. Il me semble paradoxal que l’on puisse pratiquer une certaine forme de procréation assistée en Belgique et pas en France, ou que l’on interdise ici les avortements tardifs alors qu’ils sont pratiqués à Barcelone, dans des conditions de sécurité qui sont loin d’être optimales. Ces différences posent aussi le problème de l’égalité, les traitements à l’étranger étant réservés aux personnes ayant des revenus suffisants.

M. le président. De par la loi, la procréation assistée est considérée comme une pratique devant être réservée au traitement de la stérilité. Etes-vous favorable à son extension aux couples homosexuels ?

M. Christian Saout. Le fait que l’assistance médicale à la procréation est aujourd’hui réservée aux cas de stérilité avérée des couples hétérosexuels tient notamment à ce qu’elle est prise en charge par la sécurité sociale. Mais de quoi parle-t-on ? De l’assurance maladie ou d’un droit ? Pour avoir souvent pu mesurer, à AIDES, la blessure que peut constituer la privation d’un destin transgénérationnel, je considère que la procréation assistée devrait être ouverte aux couples homosexuels – il faudrait bien sûr réfléchir aux conditions de cette ouverture. Je ne pense pas trahir en cela la position des associations du CISS.

M. le président. J’avais auditionné, lors de la précédente révision des lois de bioéthique, des associations de malades, mais il n’y a pas de dialogue régulier avec ces associations. Y a-t-il des pays où le débat est plus développé et plus abouti ?

M. Christian Saout. Oui, le débat contradictoire en matière de santé est une tradition anglo-saxonne. Malgré la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, nous n’avons pas réussi à installer de tels rapports. Il est très peu débattu du système de santé en France et nous faisons plus de cas de l’installation d’une porcherie de 400 gorets que d’un équipement de santé. Nous ne débattons ni de l’intérêt de disposer d’un scanner dans un espace territorial donné, ni des risques de santé majeurs que présentent les nanotechnologies. D’autres pays, comme le Danemark, ont organisé ce type de confrontations. Des progrès restent donc à faire en termes de démocratie sanitaire.

En décembre 2008, une association européenne a procédé au classement des différents systèmes de santé. La France occupe une position médiocre, en raison non pas des indicateurs « durs » tels que la sécurité des soins, mais de la mauvaise performance d’indicateurs « mous » tels que l’existence de débats ou l’organisation de l’information en matière de santé. C’est sans doute cela qu’il faut corriger mais ce n’est pas facile ; ainsi a-t-on écarté dans la loi sur l’environnement la création d’une haute instance d’expertise en santé environnementale. En France, l’expertise en santé n’est jamais contradictoire et les avis minoritaires ne sont pas mentionnés.

La loi sur le Grenelle de l’environnement prévoit une commission nationale du débat public en matière d’environnement ; peut-être l’organisation des États généraux permettra-t-elle d’imaginer une forme institutionnelle similaire, qui permette d’évaluer, dans un vrai débat public – et non dans des forums discrets comme celui qui s’est tenu au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) sur les nanotechnologies – les orientations en matière de santé et d’adapter notre appareil législatif en fonction des innovations.

En France, nous n’avons pas favorisé les relations transversales entre les associations de patients. Quand ils existent, les collectifs peinent à trouver une position commune, comme cela a été récemment le cas pour le CISS sur le bouclier sanitaire ou sur les questions de bioéthique. Par ailleurs, les moyens qui leur sont alloués ne leur permettent pas toujours d’organiser le débat et de venir devant vous avec une position validée.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de M. Marc PESCHANSKI, directeur de recherche à l’INSERM


(Procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys

M. le président Alain Claeys. Je suis heureux d’accueillir en votre nom M. Marc Peschanski, que connaissent tous ceux qui s’intéressent à la bioéthique et à la recherche. Directeur de recherche à l’INSERM, il est actuellement directeur de l’I-Stem, l’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques, à Évry. Lors des dernières révisions des lois de bioéthique, M. Peschanski a été un acteur important du débat, et a beaucoup insisté pour que la législation française évolue, singulièrement pour permettre la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Je demanderai pour commencer à M. Peschanski s’il pense que la loi doit évoluer et, si c’est le cas, dans quel sens. Je lui demanderai ensuite si le moratoire institué par la loi de 2004 a suscité des difficultés dans le recrutement de jeunes chercheurs venant d’ailleurs, notamment des États-Unis. Je lui demanderai encore si certaines découvertes récentes, américaines et japonaises en particulier, peuvent faire penser que les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne sont plus forcément justifiées, d’autres pistes pouvant être explorées. Je lui demanderai enfin son opinion sur l’Agence de la biomédecine, créée par la loi de 2004.

Comme je l’ai indiqué hier aux membres de la mission d’information, les membres du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique sont invités à assister à nos auditions pour éviter des doublons. Dans ce cadre, je souhaite la bienvenue à Mme Marie-Thérèse Hermange et à Mme Suzanne Rameix, membres du comité, qui pourront interroger M. Peschanski si elles le souhaitent.

M. Marc Peschanski. L’un des plus grands mérites de la loi de 2004 a été, selon moi, de créer l’Agence de la biomédecine. C’était une proposition originale, qui correspondait à la structuration de la recherche en France. L’encadrement de nos travaux par une agence indépendante était pour nous un atout et l’Agence de la biomédecine, sous la direction éclairée de Mme Camby et maintenant de Mme Prada-Bordenave, a pleinement rempli son rôle. Les relations entre notre laboratoire et l’Agence sont intéressantes, non seulement parce qu’elle délivre les autorisations mais aussi parce qu’elle a construit progressivement le domaine même qu’elle devait réguler – et, selon moi, c’est un sans-faute – en établissant des interactions permanentes entre la société et les scientifiques. Le mécanisme ainsi créé fonctionne très bien. Vous l’aurez compris, l’Agence de la biomédecine suscite mon enthousiasme et si quelque chose doit être maintenu dans la future loi, c’est bien cette Agence, interface entre le monde scientifique et la société française, qui s’acquitte comme elle le doit de ses missions d’autorisation et de contrôle des programmes scientifiques qui lui sont soumis. L’Agence permet en outre la publicité des autorisations délivrées. En cette matière, la transparence est fondamentale, mais le fait que ce soit l’Agence et non les laboratoires de recherches qui ait la responsabilité de cette publicité nous protège contre ceux qui pourraient s’opposer à l’ouverture de certains domaines de recherche et à la délivrance de certaines autorisations. Ce volet de l’activité de l’Agence est également très positif.

Il faut dire que nous travaillons dans un cadre particulier : celui d’une loi qui interdit la recherche dans les domaines qui nous intéressent mais qui nous autorise à demander des dérogations à cette interdiction. Les critères permettant d’accorder ces dérogations ont été définis en 2004, contre l’avis de certains scientifiques dont j’étais, car la réflexion a porté sur l’utilité des cellules souches embryonnaires, ou cellules ES, en tant qu’agent thérapeutique plus que sur la possibilité d’ouvrir la recherche au sens large. Je me ferai donc l’avocat d’un changement sur ce point, changement du reste demandé dans leurs rapports tant par M. Alain Claeys que par M. Pierre-Louis Fagniez, et qui fait l’objet d’un consensus dans le monde scientifique.

Au-delà des objectifs thérapeutiques, des comparaisons doivent pouvoir être faites sur les techniques disponibles. Vous m’avez demandé si les dispositions de la loi de 2004 nous avaient gênés. Peut-être vous surprendrai-je en vous disant que non. Nous avons pu travailler dans le cadre de ce texte, grâce à la bonne volonté manifestée par l’Agence de la biomédecine, mais aussi parce que la période considérée était une sorte d’entrée en matière pendant laquelle nous avons développé les équipes, les moyens de recherche et les laboratoires. En ce sens, le fait de travailler pendant ces quatre années dans un cadre dérogatoire n’a pas gêné des équipes qui, toutes, en étaient à des programmes de recherche fondamentale, in vitro ou, dans quelques cas, sur l’animal, et qui n’envisageaient, à ce stade, ni le passage à la clinique humaine, ni des applications industrielles de leurs travaux.

Cela dit, nous commençons maintenant à ressentir cette gêne, surtout dans la perspective des applications industrielles. Pour les applications cliniques en thérapie cellulaire, nos perspectives sont désormais de court ou de moyen terme, à trois ou quatre ans. Les travaux de Novocell, en Californie, qui travaille sur le traitement du diabète, aboutiront probablement d’ici deux ans aux premiers essais cliniques. Reprenant un principe que nous avions appliqué à des cellules d’origine animale en vue de soigner la chorée de Huntington, ce laboratoire a en effet élégamment résolu les deux difficultés en suspens – la possibilité d’introduire des cellules prolifératives pouvant produire des tumeurs, et le risque d’intolérance par l’organisme receveur – en emprisonnant les cellules dans des polymères poreux, qui permettent les échanges entre l’organisme et les cellules introduites, tout en interdisant à celles-ci de sortir et aux anticorps d’entrer. Ce faisant, Novocell a obtenu de la FDA l’autorisation de se livrer aux travaux préparatoires à un essai clinique, auquel elle sera vraisemblablement prête d’ici deux ans. D’autres équipes travaillant à des objectifs thérapeutiques très divers, de par le monde, en sont au même stade de préparation. Pour ce qui concerne notre laboratoire, nos travaux in vitro nous ont permis de tester des cellules prélevées chez les rats et nous en sommes à démontrer l’efficacité de notre démarche sur le singe. Nous pourrons ensuite préparer une proposition d’essai clinique qui nous permettra, nous l’espérons, d’aboutir d’ici quatre ans pour la chorée de Huntington. Je ne peux affirmer que si la loi n’était pas modifiée nos travaux à ce sujet s’en trouveraient bloqués.

Il est certain en revanche qu’un blocage se produirait pour ce qui concerne les applications industrielles, dont le champ est considérablement plus large que celui de la thérapie cellulaire. Chacun le sait, l’industrie pharmaceutique doit tester les médicaments avant de demander leur autorisation de mise sur le marché. La recherche pharmacologique s’y emploie en utilisant des cellules pour les études toxicologiques – qui concernent tant les médicaments que les produits cosmétiques – et pour les études d’efficacité. Or tous les scientifiques s’accordent pour dire qu’aucune cellule actuellement disponible n’est bonne pour procéder à ces études, car toutes sont inadaptées aux travaux que l’on réalise sur elles. De fait, les cellules issues d’animaux diffèrent des cellules humaines, ce qui n’est pas sans effet sur les résultats obtenus : ainsi, ni la thalidomide ni le distilbène n’étaient apparus toxiques lors de l’expérimentation animale. Les cellules tumorales représentent certains paramètres d’un organe donné mais assurément pas la physiologie normale d’un être humain. Quant aux cellules issues de donneurs, elles ont l’inconvénient d’être différentes à chaque fois, ce qui ne satisfait pas les industriels du médicament, qui doivent veiller à ce que les molécules nouvelles n’aient pas d’effets bénéfiques pour une fraction de la population et délétères pour une autre.

Les applications industrielles de l’utilisation des cellules souches embryonnaires sont porteuses d’un grand espoir parce que ces cellules apparaissent comme une sorte de Saint Graal. Immortelles, elles se renouvellent de manière illimitée, et peuvent ainsi fournir à partir d’un même prélèvement toute la biomasse indispensable aux études scientifiques ; et elles sont pluripotentes, susceptibles de se différencier dans n’importe quel phénotype cellulaire. La maîtrise de cette production de biomasse et celle de la pluripotence sont devenues des enjeux industriels. Au point que l’activité de notre laboratoire, I-Stem, qui est consacrée pour deux tiers à la recherche classique relative aux cellules souches embryonnaires, l’est déjà pour un tiers à la recherche technologique, pour laquelle nous utilisons des robots qui nous permettent de travailler sur des milliards de cellules en même temps. Nous pouvons ainsi tester en parallèle, dans tout essai de criblage, jusqu’à 70 000 molécules potentiellement thérapeutiques. C’est dire que nous entrons sur le terrain industriel des tests de médicaments, qu’il s’agisse de toxicologie, où nous avons déjà obtenu des résultats intéressants, ou de tests de criblage sur des cellules porteuses de maladies génétiques. Il s’agit encore de preuve de concept, mais elle intéresse déjà les industriels, comme nous l’ont fait savoir les représentants des directions des laboratoires Servier, Sanofi, GSK et Roche, que j’ai récemment reçus à leur demande.

C’est là que le bât blesse : en l’état, notre législation ne permet pas à ces industriels d’investir alors qu’ils le souhaiteraient. Tous me l’ont dit : ils n’investiront pas en France avec, suspendue au-dessus de leur tête, l’épée de Damoclès qu’est pour eux une disposition législative dérogatoire, avec une visibilité limitée à cinq ans. Si l’on en reste là, ils préfèreront investir en Belgique ou au Royaume-Uni, où ils se soumettront sans broncher à un système d’autorisation et de contrôle mais où ils ne seront pas soumis à l’incertitude légale qu’ils subiraient en France. Là est le blocage réel : pour moi, travailler avec le laboratoire Servier, qui est à Croissy, plutôt qu’avec Roche, qui est à Bâle, exigerait… que Servier ouvre un laboratoire à Bâle, ce qu’ils ne feront pas. Que la loi de 2004 reste inchangée risque véritablement de nous bloquer et, à terme, de nous conduire à travailler pour Roche ou Novartis plutôt que pour Servier ou Sanofi, ce qui serait dommage, car la recherche scientifique participe du patrimoine national et nous avons tout intérêt à ce que la France bénéficie des retombées économiques d’un domaine de recherche en très forte expansion.

Peut-on parvenir au résultat que nous recherchons en utilisant d’autres voies ? Nous sommes toujours ouverts à la réflexion, et j’ai d’ailleurs commencé mes recherches en matière de thérapie cellulaire en employant d’autres méthodes, sans dévier de mon unique objectif : soigner. Nous, « thérapeutes expérimentaux », à mi-chemin de la recherche fondamentale et de la recherche clinique, nous recherchons des retombées sociales à la recherche, ce qui nous rend très pragmatiques. Il ne s’agit pas de défendre une philosophie ou une chapelle mais de considérer l’ensemble des moyens mis à la disposition de la communauté scientifique pour améliorer notre connaissance. Dans ce cadre, l’intérêt suscité par les cellules souches pluripotentes induites – « induced pluripotent stem cells », ou iPS -, une technique mise au point par Shinya Yamanaka, a provoqué en un an la création de nouvelles équipes et de nouveaux programmes et une floraison d’idées. C’est que les iPS offrent les mêmes possibilités que les cellules ES et, en théorie, des possibilités supplémentaires. Si je précise « en théorie », c’est qu’au cours des deux dernières années, nos recherches ont tendu à vérifier que la reprogrammation qui aboutit à la création de cellules proliférantes, dotées – au moins dans nos boîtes de Petri – de capacités de différenciation, reproduisait effectivement ce qui se passe lors des premières étapes de développement de l’être humain. Les iPS, étant un artefact, ne seront de toute façon pas identiques aux cellules ES, mais la question est de savoir si elles peuvent les remplacer pour ce que nous voulons faire. Or, aujourd’hui, cette interrogation demeure sans réponse.

Aussi cherchons-nous maintenant à déterminer si l’absence de réponse à cette question fondamentale tient à nos méthodes de recherche ou si la voie poursuivie n’est pas la bonne. On obtient des iPS humaines très facilement ; dans notre laboratoire, toutes les équipes ont aujourd’hui accès à une quinzaine de lignées ; nous nous efforçons de déterminer si ces cellules sont ou non différenciables, et donc si tous les protocoles qui devraient être applicables en théorie – et qui réussissent avec les cellules souches embryonnaires – le sont réellement. À ce jour ils ne le sont pas. Et ce problème ne nous est pas propre : la littérature internationale relative à cette question montre que toutes les équipes qui se consacrent à ces recherches se heurtent à la même difficulté – personne, à ce jour, ne parvient à obtenir 100 % de précurseurs avec les iPS. Tel est l’état de l’art sur ce point, mais nous ne nous y consacrons que depuis six mois et le consensus s’est fait, à l’échelle internationale, sur la nécessité de continuer à creuser la question.

Cette situation ne permet évidemment pas d’arrêter toute recherche utilisant des cellules souches embryonnaires pour se concentrer sur les seules iPS. Non seulement toutes les voies de recherche doivent être poursuivies, mais le potentiel théorique des iPS reste à concrétiser. Mieux vaut démontrer son effectivité puis définir, pour chaque nouvelle application, quel type de cellule est préférable pour quel objectif thérapeutique. En général, on poursuit plusieurs expérimentations en même temps et on choisit la meilleure méthode. Ainsi, Philippe Menasché, après avoir exploré toutes les possibilités de thérapie cellulaire de l’insuffisance cardiaque, s’est spécialisé dans une application utilisant des cellules souches embryonnaires – ce qui ne signifie pas qu’il s’en tiendra là.

Les chercheurs doivent pouvoir continuer de disposer d’une sorte de catalogue dans lequel ils peuvent piocher en tant que de besoin. À ce jour, les iPS posent un problème qui sera peut-être résolu ; je l’espère, car je compte beaucoup sur ces cellules pour mener à bien un projet qui me tient à cœur depuis longtemps, la constitution d’une gigantesque banque de données cellulaires recensant le patrimoine génétique de milliers de maladies que l’on ne peut à ce jour étudier faute de cellules en nombre suffisant. Les iPS nous apporteraient la solution qui nous manque, et j’aimerais beaucoup pouvoir constituer cette banque d’iPS avant de prendre ma retraite.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez ouvert de nombreuses perspectives et suscité plusieurs interrogations. Si je vous ai bien compris, la loi ne vous gêne pas encore mais risque de vous gêner ; par ailleurs, la recherche est, à ce jour, incapable de dire si la production de cellules souches embryonnaires pourra être abandonnée au bénéfice d’autres méthodes dont celle de la reprogrammation nucléaire.

Dès lors deux questions se posent. Tout d’abord, celle de savoir si la recherche doit toujours avoir une finalité thérapeutique majeure certaine pour être engagée ; n’y a-t-il pas un risque à imposer une telle contrainte légale alors que la recherche, à son stade initial, ne peut dire s’il y aura ou non un effet thérapeutique ?

Par ailleurs, reconduire pour cinq ans le mécanisme dérogatoire institué par la loi de 2004 permettrait d’avoir les idées plus claires, mais ne serait-ce pas céder à la tentation de la simplicité ? L’inconvénient de dire : « puisque les choses fonctionnent correctement en l’état, continuons  », c’est que procéder de la sorte ne donne aucune certitude à long terme, ce qui empêche chercheurs et industriels de s’investir.

Enfin vous avez loué le fonctionnement de l’Agence de la biomédecine, qui est le bras armé du législateur. Cela étant, la loi ne devrait-elle pas être de portée plus générale, et l’Agence chargée de résoudre les problèmes au cas par cas, à mesure qu’ils se posent, au lieu qu’à chaque fois il faille rouvrir un débat qui serait tranché si la loi de 2004 était toilettée comme vous le souhaitez ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique.  La directive sur le médicament, que nous avons transposée, donne une nouvelle définition du médicament qui inclut la thérapie cellulaire ; cela ne règle-t-il pas les problèmes législatifs en suspens ? À l’inverse, ne peut-on craindre que, demain, des directives nouvelles ne nous ligotent ?

S’agissant des iPS, j’ai été impressionnée de constater que les premières publications les concernant datent de fin novembre 2007 et que, dès la fin janvier 2008, Japonais et Américains créaient des instituts de recherche à ce sujet, les dotant de 65 millions de dollars. Cette réactivité et cette mobilisation extraordinairement rapide doivent faire réfléchir. La France n’aurait-elle pas intérêt, elle aussi, à mobiliser les fonds nécessaires au financement de la recherche sur les iPS et de la banque de données que vous appelez de vos vœux ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les Britanniques viennent d’autoriser la production de cellules souches embryonnaires hybrides. Cette démarche a-t-elle un intérêt scientifique ? Est-elle justifiée par la pénurie de cellules souches embryonnaires ? Que pensez-vous de ces techniques ?

M. Marc Peschanski. Lorsque nous nous étions rencontrés, vers l’an 2000, pour évoquer la révision de la loi de bioéthique, j’étais un fervent défenseur du clonage thérapeutique, et j’avais perdu. Si je ne vous ai pas parlé du clonage thérapeutique aujourd’hui, c’est par pragmatisme. Comme je vous l’ai dit, il ne s’agit pas pour moi d’un problème philosophique mais d’une manière d’obtenir des cellules souches embryonnaires avec un patrimoine génétique choisi. C’est ce que les iPS peuvent nous apporter, et si nous parvenons à le faire, nous aurons à notre disposition un outil bien plus facile à utiliser que le clonage – que personne n’a réussi – et moins acrobatique que les cybrides que quelques groupes anglais ont voulu développer. Nous poursuivons donc dans cette voie afin de démontrer, ou d’infirmer, que cette possibilité existe. L’important, j’y insiste, c’est que le catalogue des méthodes possibles reste ouvert, et c’est en ce sens que la loi ne devrait plus interdire le clonage thérapeutique. Alors, si l’on constate que les recherches sur les iPS n’aboutissent pas, par exemple parce que les résultats obtenus chez la souris montrent que ces cellules sont dangereuses après reconstruction blastocytaire, on essayera d’autres pistes. Permettez-moi une comparaison triviale : lorsque le prix du pétrole atteint 200 dollars le baril, on pense à nouveau à utiliser le charbon… Il en va de même pour le sujet qui nous intéresse : il y a des moments où la question de la « rentabilité scientifique » peut se poser de manière différente. Pour autant, si la loi continue d’interdire le clonage thérapeutique, je ne hurlerai pas de rage ; je me limiterai à penser que c’est dommage.

La question des directives ne se pose pas car nous sommes dans le domaine éthique, qui est régi par le principe de subsidiarité. L’Union européenne ne peut ni nous imposer de travailler sur les cellules souches embryonnaires ni nous l’interdire – elle ne l’a d’ailleurs pas interdit au Royaume-Uni.

Mme Marie-Thérèse Hermange. C’est qu’à l’époque la directive sur le médicament n’avait pas été adoptée.

M. Marc Peschanski. Qu’elle l’ait été ne change rien. Les industriels qui souhaitent investir dans la thérapie cellulaire continueront d’installer leur laboratoire en Belgique si la législation française leur pose problème – pour l’I-Stem lui-même une installation en Angleterre avait été envisagée. Et je ne crois pas que la subsidiarité des questions éthiques sera remise en cause. On ne peut pas davantage contraindre les Autrichiens à faire des recherches sur les cellules souches embryonnaires qu’on ne peut l’interdire aux Britanniques. L’Union s’y essaierait-elle qu’elle provoquerait sa propre explosion.

M. le président. La seule question qui se pose en cette matière est celle des financements européens.

M. Marc Peschanski. Le problème a été élégamment contourné par M. Philippe Busquin. La difficulté principale tient à ce que l’on ne peut déposer à l’Office européen des brevets aucun brevet portant, de quelque manière, sur les cellules souches embryonnaires, leur utilisation, leur développement ou leur production. Ainsi, nous avons été « retoqués » lorsque nous avons déposé un brevet portant sur un bioréacteur permettant de produire ces cellules de manière industrielle – mais le même brevet a été validé aux États-Unis… Cette question est très grave. Au cours des dix-huit derniers mois, nous avons déposé auprès de l’Office européen sept brevets, qui portent sur des applications technologiques, des protocoles de différenciation et l’utilité fonctionnelle des cellules souches embryonnaires ; nous savions qu’ils ne seraient pas validés, mais nous l’avons fait pour garantir notre antériorité… et, dans le même temps, nous déposons les mêmes brevets aux États-Unis.

M. le président. Je crois savoir que, même aux États-Unis, le champ de dépôt des brevets en cette matière s’est rétréci.

M. Marc Peschanski. C’est vrai sur les lignées de cellules ES, mais non sur leur utilisation.

J’en viens à la question du financement de la recherche en France. Parce qu’il est globalement insuffisant et que nous sommes incapables de mobiliser des ressources nouvelles, nous sommes dans une situation de blocage et nous ne pouvons développer de nouveaux champs de recherche. Au Japon, la décision à laquelle Mme Hermange a fait allusion a été prise par le Gouvernement ; aux États-Unis, c’est une université qui a décidé d’investir dans ce domaine de recherche, aidée par l’État de Californie, qui dispose de ressources très importantes. Dans les deux cas, la mobilisation des financements a été considérable. En France, on ne peut même plus parler de fuite des cerveaux ; la situation est telle que l’on a énormément de mal à faire revenir des États-Unis les jeunes chercheurs français. J’y suis parvenu pour quelques-uns d’entre eux mais l’attraction de la Californie est si grande que d’autres États américains se sont sentis contraints de débloquer des fonds importants simplement pour maintenir chez eux leurs propres chercheurs. Outre cela, les États-Unis ne sont pas le seul pôle d’attraction des chercheurs français : n’avons-nous pas perdu Philippe Kourilsky qui, avec d’autres leaders de la communauté scientifique française, travaille désormais à Singapour ? La question se pose vraiment des moyens à donner à la recherche, ce qui implique aussi de prendre le risque d’investir dans des voies nouvelles. Pour ce qui nous concerne, nous avons eu la chance que l’Association française contre les myopathies décide de prendre des risques de cette nature et finance cette recherche ; malheureusement, elle se substitue ainsi à l’État, ce qui est injuste.

S’agissant de la loi proprement dite, nos demandes d’autorisation portent déjà sur des programmes que nous présentons comme ayant une finalité thérapeutique ; mais puis-je faire observer que c’est notre seul moyen d’obtenir des fonds ? Dans une large mesure, cette notion de finalité thérapeutique fait partie des « discours dominicaux », et les liens entre nos recherches et les applications thérapeutiques potentielles sont par nature difficiles à établir avec certitude. Tout dépend de la bonne volonté de l’Agence de la biomédecine.

M. le président. Tous les intervenants entendus par notre mission se sont insurgés contre l’emploi du qualificatif « thérapeutique » dans la loi.

M. le rapporteur. Mais la législation vous gêne-t-elle ou ne vous gêne-t-elle pas ? Vous nous avez dit que vous pouviez travailler dans le cadre légal fixé en 2004, mais seulement parce que l’hypocrisie prévaut, et qu’il vous faut prétendre que les protocoles pour lesquels vous demandez des autorisations à l’Agence de la biomédecine permettront de soigner la chorée de Huntington ou la maladie d’Alzheimer – sans dire à quelle échéance ni même si c’est la finalité réelle. Il est paradoxalement rassurant de voir qu’une forme de l’« esprit français » permet au système de fonctionner.

M. Marc Peschanski. L’Agence de la biomédecine fait respecter la loi ; elle ne la contourne pas, mais elle sait écouter quand on lui explique que, par la recherche fondamentale, on tente de guérir une pathologie. Pour ce qui me concerne, je serais entièrement favorable à ce qu’on laisse l’Agence décider au cas par cas, comme la suggestion en a été faite. Comme ce fut le cas pour la radioactivité et l’expérimentation animale, il est bon que les chercheurs trouvent face à eux une administration sensible à leurs problèmes. L’Agence de la biomédecine est un organisme qui fonctionne bien et dont nous nous efforçons d’exporter le modèle vers les pays qui ne disposent pas d’une telle instance. Je l’ai d’ailleurs citée en exemple devant les parlementaires européens.

Je reviens sur la dérogation de cinq ans fixée dans la loi de 2004 pour rappeler sa genèse : l’hypothèse qui a prévalu était qu’en cinq ans on ne parviendrait peut-être pas à démontrer l’utilité des cellules souches embryonnaires… Aujourd’hui, personne n’envisage plus que ces expériences ne soient pas poursuivies. L’idée que la période de cinq ans était une période de test est dépassée ; elle l’était déjà il y a quelque deux ans lorsque les rapports de M. Claeys et de M. Fagniez sont parus.

M. le président. Il me paraît intéressant de communiquer le bilan de l’Agence de la biomédecine : sur les 106 autorisations qui lui ont été demandées, huit seulement ont fait l’objet d’un refus.

M. Henri Emmanuelli. Il est regrettable que les rigidités de la loi doivent être surmontées grâce à la compréhension des fonctionnaires chargés de son application.

M. le rapporteur. C’est caricatural !

M. Henri Emmanuelli. Nullement, et il est humiliant pour les législateurs de devoir compter sur des gens plus intelligents qu’eux. Je suis heureux d’entendre que le clonage thérapeutique n’est plus forcément nécessaire. « J’ai perdu », avez-vous dit, Monsieur Peschanski, à ce sujet. En réalité, c’est moi qui avais perdu, car c’est moi qui avais défendu nuitamment un amendement autorisant le clonage thérapeutique – et quelles énormités ai-je entendues à l’époque !

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Cette audition se déroule dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, au moment où il nous faut donc définir ce qui est mal et ce qui est bien, ce qui est permis et ce qui est interdit pour que notre société vive harmonieusement. Vous nous avez exposé, de manière très factuelle, ce que fait la recherche et ce qu’elle peut permettre de faire. À titre personnel, quels principes éthiques vous guident ? Est-il des choses que vous vous interdiriez de faire en toutes circonstances, quel qu’en soit le bénéfice possible, parce que vous y verriez une atteinte à l’éthique ?

M. Marc Peschanski. Pour moi, un principe éthique prévaut sur tous les autres : respecter l’être humain vivant ou destiné à l’être. Ensuite, on entre dans le débat, l’éthique étant par nature un débat, car, y eût-il accord sur les règles, nous ne mettons pas tous l’accent sur elles de la même façon. Je considère aussi que la recherche scientifique est, en tant que telle, une règle éthique puisqu’elle traduit un principe adopté par notre société depuis une bonne centaine d’années, celui de la solidarité avec les générations futures. Pour elles, nous investissons dans la connaissance et dans l’évolution des pratiques qui permettront aux hommes de vivre en harmonie entre eux d’une part, avec les autres espèces d’autre part. Le reste relève du débat éthique, et j’y suis prêt, mais il s’agit alors de discuter de points de vue philosophiques, religieux ou d’organisation sociale, qui peuvent différer.

Mme Suzanne Rameix. On a parlé de finalité thérapeutique. Accepteriez-vous, par exemple, le type de recherche dont nous parlons avec une finalité cosmétique ou amélioratrice ?

M. Marc Peschanski. Vous n’êtes plus dans le cadre des principes, vous entrez dans le débat, et nous pouvons avoir des idées différentes, ce qui est très bien. À la question que vous posez, je ne peux répondre comme chercheur, car les chercheurs ont des points de vue différents, ni comme médecin ; je ne pourrais faire que la réponse personnelle d’un chercheur, d’un médecin, d’un homme qui a une certaine histoire et certaines idées philosophiques et politiques. Nous pouvons discuter, et nous trouverons peut-être des points de croisement entre nos positions respectives.

Mme Suzanne Rameix. Mais qu’en est-il par exemple de la solidarité avec les générations futures à laquelle vous avez fait allusion ? Si vous réalisez la banque de données biologiques que vous appelez de vos vœux, comment sera respecté le droit à l’information des patients donneurs ? L’utilisation qui sera faite des cellules ne risque-t-elle pas d’aller au-delà des raisons qui ont motivé leur consentement ? À titre personnel, quelles sont vos orientations ?

M. Marc Peschanski. Permettez-moi de prendre un exemple. Lorsque, en 1991, il a été question de se lancer dans des greffes de neurones fœtaux, neurones obtenus à partir d’IVG, nous étions vingt-cinq autour d’une table qui nous sommes posé des questions éthiques. Parmi nous, Jean-Denis Degos, catholique convaincu et opposé à l’avortement, débattait de l’utilisation de cellules provenant d’IVG et destinées à soigner ses malades… Ce fut un grand moment de discussion éthique, mais le fait qu’il y ait eu pratiquement plus d’avis que de participants nous a conduits à renvoyer la balle au Comité consultatif national d’éthique, car nous étions incapables de parvenir à un consensus.

M. Paul Jeanneteau. Comment obtenez-vous les cellules pluripotentes induites ?

M. Marc Peschanski. La technique est fondée sur l’identification, dans les cellules souches embryonnaires, des gènes responsables du maintien de ces cellules dans un état qui leur permet d’être immortelles et de proliférer en permanence, puis de quitter cette immortalité pour devenir pluripotentes. Shinya Yamanaka a d’abord identifié entre 25 et 30 gènes possibles puis, au terme d’une étude exhaustive, quatre gènes-maîtres qui permettent à une cellule adulte de retrouver les capacités de prolifération d’une cellule ES ; en novembre 2007, il a réussi à reprogrammer des cellules adultes en cellules souches pluripotentes, en y introduisant ces quatre gènes – des oncogènes. La faculté de reprogrammation a été étudiée ensuite dans l’idée de remplacer ces quatre gènes par d’autres agents, des protéines par exemple, dotés des mêmes capacités ; ainsi du gène KLF4 remplacé par l’acide valproïque, un anti-épileptique. On cherche ainsi à définir s’il est besoin de modifier le génome ou si l’on ne pourrait agir en épigénétique, avec l’avantage qu’il y aurait moins d’artefacts.

M. le président. Lorsque l’Agence de la biomédecine a été créée, s’est posée la question du délai d’instruction des dossiers. En pratique, ce délai est-il acceptable, notamment en regard de ce qui est pratiqué dans d’autres pays ? D’autre part, comment s’exerce le contrôle par l’Agence des programmes de recherche qu’elle a autorisés ?

M. Marc Peschanski. Le délai d’instruction est de quatre mois. Au début, c’était pour nous un inconvénient considérable : nous restions l’arme au pied, sans pouvoir ni importer des lignées de cellules souches ni monter des équipes. À présent, nous jugeons ce délai un peu long mais nos équipes sont déjà constituées et, en attendant le résultat de l’instruction du dossier, elles font d’autres recherches. Le délai est donc tolérable.

M. le président. Il est, nous a-t-on dit, identique au Royaume-Uni.

M. Marc Peschanski. Oui. De plus, en France, ce délai est strict ; on sait donc à quoi s’attendre. La difficulté principale n’est pas là ; elle tient au fait que nous ne pouvons déposer de dossiers que trois fois par an, pendant un mois. Mieux vaut donc ne pas avoir une idée nouvelle quand la période de dépôt des dossiers vient de se clore ! Ce manque de réactivité est ennuyeux mais tout dépend de la taille des équipes. L’inconvénient est moindre pour un laboratoire comme le nôtre, où 80 personnes travaillent dans différents domaines, que pour une équipe plus restreinte dont l’activité risque de se trouver bloquée et qui doit donc la réorienter dans un autre domaine de recherche, au risque que les chercheurs directement concernés changent de laboratoire. Il y a une justification à cette manière de faire : il faut mobiliser des experts et le conseil d’orientation, le processus est lourd pour l’Agence de la biomédecine et je comprends les raisons qui la poussent à procéder de la sorte, mais cela fut parfois gênant. Ce l’est moins aujourd’hui, car nous disposons de quelque 25 lignées de cellules souches importées pour une banque de lignées que nous constituons avec Stéphane Viville, du service de biologie de la reproduction au CHU de Strasbourg. Nous n’avons certes pas le droit de les utiliser pour un nouveau protocole avant que l’autorisation nous en ait été donnée, mais nous pouvons, en attendant, les faire proliférer pour obtenir une biomasse. C’est ce que nous faisons.

M. le président. L’Agence de la biomédecine a-t-elle vraiment les moyens de procéder aux contrôles qui s’imposent ?

M. Marc Peschanski. Nous avons eu des inspections sur site qui se sont traduites par des contrôles administratifs, des contrôles de notre banque de données, de notre activité, du cahier de manipulations, du registre des personnes employées et de la formation. Par ailleurs, nous avons anticipé ces contrôles en chargeant un de nos ingénieurs des relations avec l’Agence, à laquelle nous envoyons régulièrement des informations. Mais l’on conçoit qu’il est beaucoup plus difficile à une équipe de quatre ou cinq personnes de charger un ingénieur de s’occuper de ces questions deux heures par jour.

Pour ce qui est des importations de lignées de cellules souches, nous n’avons plus aucun problème, car les équipes qui devaient travailler sur les cellules souches embryonnaires sont désormais pourvues et peu d’équipes nouvelles se créent. Les sources des lignées sont peu nombreuses ; elles proviennent pour moitié de Belgique et nous n’avons pas besoin de nous justifier auprès de l’Agence chaque fois que nous obtenons une nouvelle lignée de l’AZ-VUB. Enfin, nous bénéficions maintenant d’une production française avec des sites comme Strasbourg, Villejuif et Montpellier, qui ont commencé à produire des lignées choisies : ce sont des cellules souches embryonnaires porteuses de pathologies qui font l’objet de recherches pour lesquelles très souvent l’autorisation a déjà été obtenue ; il s’agit alors simplement d’ajouter de nouvelles lignées.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Dans sa lettre de mission à M. Leonetti, le Président de la République a invité le comité de pilotage à la transparence. À cet égard, disposez-vous d’un bilan comparatif des applications thérapeutiques possibles selon les différents types de cellules souches ?

M. le président. Le Président de la République s’adressait à M. Leonetti en sa qualité de président du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Nous sommes ici dans un cadre différent, celui d’une mission d’information parlementaire.

M. Marc Peschanski. Je n’ai aucun document de ce type. Lorsque, en l’an 2000, nous avons été mobilisés pour dresser le bilan de l’utilisation des cellules souches adultes ou embryonnaires, nous étions quinze pour réaliser ce travail, et il nous a fallu des mois pour le mener à terme. Nous pourrions dresser un bilan ponctuel par pathologie, mais nous serions incapables de dresser un bilan global.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de M. Carlos de SOLA,
chef du département de bioéthique du Conseil de l’Europe



(Procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Carlos de Sola, chef du service de la santé et de la bioéthique au Conseil de l’Europe. M. de Sola a déjà été entendu à plusieurs reprises par les parlementaires. Il a notamment participé en 2007 à une table ronde de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur les contributions des organisations internationales à la réflexion sur la bioéthique. Il a également été consulté en 2004 par la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie, présidée par M. Jean Leonetti.

Il nous sera très utile de connaître votre point de vue sur les travaux en cours au Conseil de l’Europe. Vous avez en effet participé à l’élaboration de la convention d’Oviedo, que la France n’a malheureusement pas encore ratifiée, et de ses quatre protocoles additionnels consacrés respectivement au clonage humain, à la transplantation d’organes et de tissus, à la recherche biomédicale et aux tests génétiques. En outre, notre mission d’information s’intéresse à l’expérience de votre pays, l’Espagne, en matière notamment de prélèvement d’organes et de dons d’ovocytes.

M. Carlos de Sola. Je remercie la mission d’information d’avoir invité le Conseil de l’Europe à s’exprimer. J’éprouve une grande admiration pour le sérieux, la compétence et le soin dont vous faites preuve dans votre travail de réexamen des lois de bioéthique. Comme ce fut déjà le cas par le passé, votre démarche constitue une référence pour un grand nombre de pays en Europe.

Je commencerai par exposer certains éléments au sujet des principaux textes élaborés au sein du Conseil de l’Europe, avant de vous soumettre quelques réflexions sur les types de problèmes que l’on doit affronter lorsqu’on traite de ces questions au niveau international et sur la façon dont on essaye d’y apporter des solutions.

Pourquoi un texte juridiquement contraignant au niveau européen sur ces questions ? Et quel est le contenu du texte principal, la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine ?

Jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la plupart des traités internationaux portaient sur des questions qui ne concernaient que les États en tant que tels : problèmes de frontières, de transit de marchandises, etc. Depuis, toute une série de nouveaux textes a été adoptée, le premier étant la Déclaration universelle des droits de l’homme dont nous avons célébré les soixante ans en décembre dernier. Ces traités n’ont plus trait aux relations entre les États, mais aux relations entre les États et les personnes. C’est une nouveauté mais initialement la finalité était la même : on est parti de l’idée qu’un pays qui respecte les droits de l’homme et qui est contrôlé démocratiquement par ses citoyens constitue un moindre danger pour ses voisins qu’un pays autoritaire ou dictatorial car, en principe, les peuples ne veulent pas la guerre. Cette idée rejoint d’ailleurs le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Il s’agissait de lier les États par des liens « doux » : non pas de museler les nations, mais de rendre les individus et la société plus libres.

À cela s’est ajoutée ensuite une seconde dimension lorsque l’on a constaté, au niveau de l’Europe, que nous partagions une série de valeurs que nous pouvions formuler sous forme de principes, voire de règles communes plus ou moins générales ou précises. La convention européenne des droits de l’homme a donné une effectivité à ces droits en instituant la cour européenne de Strasbourg. D’autres traités et conventions portent sur des domaines plus spécifiques, mais leur philosophie reste la protection des droits fondamentaux.

C’est dans cette ligne que s’inscrit la convention d’Oviedo. Les travaux de réflexion avaient commencé dans les années 1980 et l’élaboration même du texte fut faite à partir de 1992. Il s’agissait de protéger la personne – ou peut-être faudrait-il dire l’être humain – non seulement vis-à-vis des pouvoirs publics, considérés traditionnellement comme susceptibles de menacer les droits de l’homme et les libertés publiques, mais vis-à-vis d’autres forces, notamment celle de la science et des techniques qui possèdent un immense pouvoir sur le long terme.

Ce texte répond à deux objectifs : d’abord codifier des principes déjà relativement bien connus et applicables à l’ensemble de la médecine, à savoir les principes fondamentaux du droit médical comme le consentement du patient, la protection de sa vie privée, etc. ; ensuite, de façon plus exploratoire, identifier certains des problèmes posés par les nouvelles technologies et formuler les principes qui pourraient s’y appliquer.

Dans son premier volet, la convention énonce des principes – et parfois même des règles – relatifs aux droits individuels. Une fois le texte ratifié, le juge peut directement les appliquer et le citoyen a la possibilité de les invoquer. En revanche, d’autres dispositions ne sont pas directement applicables. Elles impliquent plutôt une sorte d’« obligation de faire » pour les États. En bref, le premier volet de la convention est une forme de charte des droits du patient, tandis que le second vise à élaborer des principes applicables aux nouvelles techniques biomédicales.

L’intention première du Conseil de l’Europe était de rédiger un texte court et sobre que nous avions dès l’origine intitulé « convention-cadre », s’en tenant à des principes généraux, et auquel devaient faire suite des protocoles thématiques édictant des règles plus précises. Mais, à la demande de l’assemblée parlementaire du Conseil, certains chapitres ont connu un développement plus important qu’il n’était prévu initialement. Ce fut notamment le cas de la recherche biomédicale : les parlementaires allemands, pour des raisons historiques bien connues – les recherches menées sous le régime nazi –, souhaitaient que le texte apporte plus de protections.

La structure a néanmoins été conservée. La convention d’Oviedo est courte. Les principes qu’elle énonce sont pour la plupart assez généraux mais ils sont développés dans des protocoles additionnels. Le premier de ces protocoles, qui n’était pas prévu au départ, est consacré au clonage des êtres humains. Le deuxième concerne la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine : dans ce domaine, les règles étaient relativement bien connues et partagées par l’ensemble des pays européens et il s’agissait surtout de les rassembler en un seul texte. Le troisième protocole est consacré à la recherche médicale : ses règles, dont certaines remontent au code de Nuremberg et à la déclaration d’Helsinki, se trouvent précisées et étendues à des domaines qui, parfois, ne figurent pas dans les législations nationales : il en est ainsi de l’article 29, qui aborde le sujet des recherches effectuées en dehors du territoire européen mais sous le contrôle de capitaux ou de chercheurs européens. Le quatrième protocole enfin, adopté à la fin de 2008, est relatif aux tests génétiques à finalité médicale.

Les tests portant sur l’embryon et le fœtus ont été exclus du champ d’application de ce dernier protocole. Il a été considéré que le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire posaient des problèmes spécifiques et que les désaccords à ce sujet risquaient de ralentir l’adoption d’autres dispositions portant sur des questions qui devaient être réglées le plus tôt possible. Nous avions au demeurant abandonné un protocole sur la protection de l’embryon et du fœtus humains, sur lequel nous n’étions pas parvenus à un accord. Il faut relever que, entre le début des années 1990 et aujourd'hui, le Conseil de l’Europe est passé d’un peu plus de vingt États à plus du double. La disparité des points de vue s’est donc accrue mais elle tient aussi à la capacité ou non des pays à mener des recherches.

J’en viens à des réflexions plus personnelles sur les types de problèmes que nous devons affronter.

D’une certaine manière, ces problèmes sont similaires à ceux que rencontre le législateur au niveau national mais lorsqu’on se place au niveau européen, le nombre des opinions différentes sur certains problèmes de fond peut être multiplié par un facteur 1,5 et par 2 ou 3 au niveau mondial.

Il y a aussi ce que j’appelle les facteurs culturels. Certains principes sont, en tant que principes, unanimement partagés par les États : c’est le cas, par exemple, du consentement ou, en matière de bioéthique, du principe d’autonomie. L’article 5 de la convention définit le consentement de manière négative : « Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé» En d’autres termes, elle ne peut réclamer tout mais elle peut s’opposer efficacement à une intervention qu’elle ne souhaite pas. Les personnes atteintes de troubles mentaux et les incapables font l’objet de dispositions particulières. Tous les États sont d’accord sur le principe mais tous ne l’appliquent pas de la même manière, que ce soit sur le plan législatif ou dans la pratique médicale. Le principe de l’autonomie et celui de la protection du patient – appelé par les éthiciens principe de bienfaisance et de non-malfaisance – peuvent entrer en opposition : une personne peut ne pas souhaiter une intervention alors que l’on considère qu’elle est indispensable pour sa santé.

Prenons l’exemple de la procréation médicalement assistée. En France, une règle en place depuis longtemps dispose que seuls les couples, plus précisément les couples hétérosexuels, y ont accès. La raison invoquée, parfaitement légitime, est la protection de l’enfant à naître : on ne veut pas que soient mis au monde des enfants qui n’auront pas de père, par exemple. Au Royaume-Uni, la discussion de la loi sur la procréation assistée a été précédée d’un rapport rédigé par Lady Warnock qui posait précisément la question et concluait que ce qui est bien pour l’enfant, c’est d’avoir un père et une mère. Cela dit, est-ce la société et, en son nom, le législateur, qui sont les mieux placés pour en décider à la place des personnes concernées ? Nous retrouvons là une tradition qui se manifeste dans bien d’autres domaines, une tradition libérale, au sens classique de John Stuart Mill. Selon cette approche, il est préférable pour la société que chaque individu prenne les décisions le concernant en matière de santé. Cette conception typique du libéralisme est appliquée de façon plus constante par le législateur britannique que dans d’autres pays. En France, par exemple, on prend position sur ce qui est bien et ce qui est mal ; on identifie tout pareillement le conflit entre les deux principes, mais on tranche différemment.

Faut-il trancher au niveau européen ? Une solution est-elle meilleure que l’autre ? Nous n’avons aucun moyen de le démontrer mathématiquement. Nous disposons de principes mais il faut aussi établir des limites et le choix en revient entièrement aux États. C’est ce que, dans de nombreux domaines, la Cour européenne des droits de l’homme appelle la « marge d’appréciation » dont dispose chaque pays pour adopter ses propres dispositions, en fonction notamment de sa culture. C’est ainsi que le Royaume-Uni, en dépit des conclusions de Lady Warnock, a mis en place un dispositif différent du dispositif français.

Je conclurai mon propos par un dernier exemple britannique. Une personne internée dans un hôpital psychiatrique pour une psychose lourde est gravement blessée à la jambe. Il existe un risque de gangrène pouvant entraîner la mort. La personne refuse l’amputation. Un second avis médical confirme le premier. Or, le guardian, au Royaume-Uni, n’a compétence que pour les aspects financiers, pas pour les aspects personnels. Il n’y a pas de représentant légal sur le modèle du code Napoléon. Il est du devoir du médecin, s’il estime que son patient s’expose à un risque grave, de s’adresser à un juge. Dans le cas qui nous occupe, le juge entend la personne et conclut que celle-ci, malgré sa maladie psychique, a compris les enjeux et les risques et qu’elle est capable de se forger un avis et d’exprimer sa volonté. Il affirme donc qu’il ne se sent pas autorisé à passer outre cette volonté. Dans les pays soumis au régime du représentant légal, les choses se seraient passées tout autrement : le médecin se serait adressé au représentant légal qui aurait selon toute probabilité suivi son avis, en raison du risque mortel, et la personne aurait été amputée.

Les principes sont les mêmes mais on les applique en donnant plus d’importance à l’un ou à l’autre selon le pays, si bien que les solutions pratiques sont différentes. Dans le cas d’espèce, le patient n’a pas été amputé mais il n’est pas mort non plus, ce qui devrait inciter non pas tant les juges que les médecins à une certaine modestie ! (Sourires.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je veux tout d’abord dire à M. Carlos de Sola combien nous sommes heureux de l’accueillir de nouveau à l’Assemblée et combien son intervention nous donne une raison supplémentaire d’être fiers d’être européens.

Le vrai problème, comme il l’a bien montré, c’est l’hétérogénéité de la législation européenne alors même qu’elle repose sur des principes communs. Il n’y a pas de vérité en deçà des Pyrénées et d’erreur au-delà (Sourires) mais, souvent, ce qui est pratiqué dans un pays est interdit dans l’autre. Or, les Européens sont accoutumés à se déplacer comme des Européens ! L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Norvège, la Suède interdisent la gestation pour autrui alors que d’autres pays, comme la Belgique, l’autorisent. Cette disparité tient à des différences d’appréciation de l’équilibre des valeurs. Peut-on espérer à l’avenir une législation qui permette d’éviter le nomadisme médical ?

Autre exemple : l’Allemagne et la Hongrie s’interdisent la recherche sur les cellules souches mais ne s’interdisent pas la possibilité de les importer. N’y a-t-il pas une certaine hypocrisie dans ces législations ?

Au-delà de la convention d’Oviedo, dont nous espérons la ratification par la France, jugez-vous imaginable, ou illusoire, de mettre en place une organisation destinée à harmoniser les législations, ne serait-ce que pour éviter que les Européens « fassent leur marché » dans les différents pays ?

Enfin, le dispositif des greffes d’organes en Espagne suscite l’admiration. Dans ce domaine aussi, pourtant, les pays européens appliquent les mêmes principes. Comment expliquez-vous cette efficacité au-delà des Pyrénées et les difficultés que nous rencontrons toujours en deçà ?

M. le président. Pourquoi le pourcentage de donneurs vivants est-il très faible en Espagne alors qu’il est élevé en Suède, par exemple ?

M. Carlos de Sola. La transplantation a été favorisée en Espagne par certains facteurs. Tout d’abord, comme elle était très en retard par rapport à ce qui se pratiquait en France, par exemple, on en a fait une priorité nationale, y compris sur le plan politique. On y a affecté des moyens et on a adopté des mesures qui se sont révélées bien adaptées. Ainsi, alors que la coordination en matière de transplantations était en général confiée à une infirmière dans les hôpitaux français, on a attribué cette responsabilité à un médecin, parfois de rang élevé, dans les hôpitaux espagnols. Le caractère décentralisé de l’organisation a également permis une grande visibilité locale. On a ainsi créé un climat de confiance dans l’opinion publique. Les gens peuvent appeler de jour comme de nuit l’organisme national des transplantations. Lorsque certains cas sont médiatisés, la presse peut aussi, par ce moyen, obtenir des informations à tout moment.

La moyenne des pays de l’Union européenne est de 17 donneurs décédés par million d’habitants ; en Espagne, elle s’élève à un peu plus du double ; en France, elle est de 25 et les progrès constatés ces dernières années coïncident avec un certain rétablissement de la confiance dans le système des dons. Il est en effet crucial que la confiance soit absolue : le patient doit être certain que jamais on ne le prélèvera s’il y a la moindre chance de le sauver.

Le protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine donne des règles communes mais l’instauration du climat de confiance se fait par divers moyens au niveau des États. Le système de consentement n’est pas régulé dans le protocole car nous avons considéré que cela relevait, hélas, de la culture de chaque pays. De toute façon, la plupart des gens ne veulent pas songer à l’éventualité d’un prélèvement car cela implique que l’on s’imagine soi-même mort. Les sondages montrent pourtant qu’ils n’y sont pas non plus opposés, bien au contraire, mais nous nous heurtons à une donnée anthropologique fondamentale, sans doute innée : le fait d’enterrer les morts est un des premiers actes de l’humanité. La famille et les proches ont donc un rôle très important. Théoriquement, ils ne font que témoigner de la volonté du défunt mais, s’ils manifestent une opposition, il est très difficile de passer outre. Même si cela est possible dans le système espagnol, en pratique, on ne le fait jamais de peur d’entamer la confiance du public.

Dans les dernières années, bien que les accidents de la route, principale source des dons d’origine cadavérique, aient été divisés par deux, le nombre de prélèvements s’est maintenu au même niveau. On prélève maintenant sur des personnes plus âgées qu’auparavant. En outre, les dons étaient moins nombreux chez les personnes d’origine étrangère, qui représentent environ 10 % de la population espagnole. Un effort a donc été fait dans cette direction – fascicules en langues étrangères, interprètes mis à disposition pour permettre le dialogue avec la famille, etc. –, et l’on est passé d’une proportion de 7 % du nombre total de donneurs à une proportion de 9 %.

Le nombre de prélèvements sur des donneurs vivants est également en légère augmentation. L’Espagne compte mettre en œuvre cette année la technique des « donneurs croisés ».

Enfin, même si la loi espagnole n’interdit pas les prélèvements à cœur arrêté sur les donneurs relevant de la catégorie III de la classification de Maastricht – c'est-à-dire lorsque c’est l’arrêt des soins qui provoque l’arrêt cardiaque – les coordinateurs se sont mis d’accord au niveau national pour ne pas les pratiquer, de crainte, une fois encore, d’entamer la confiance de la population. Sans doute la pression est-elle plus importante dans les pays où la proportion de dons d’origine cadavérique est inférieure mais, en Espagne, les prélèvements sur donneurs vivants ne représentent que 7 % du total.

M. le président. Quels sont les pays européens qui autorisent les prélèvements sur des donneurs de catégorie III ?

M. Carlos de Sola. En Espagne, il arrive que l’on pratique des prélèvements sur des patients à cœur arrêté, mais pas sur ceux de catégorie III : il s’agit de personnes dont on n’a pas réussi à réactiver le cœur. C’est au Royaume-Uni que les prélèvements sur patients de catégorie III sont les plus nombreux (environ 800 en 2007). Les Pays-Bas présentent le pourcentage le plus élevé, suivis par la Belgique. Je ferai parvenir les chiffres à votre mission d’information.

M. le rapporteur. La Belgique, la Suisse et les Pays-Bas, qui ont dépénalisé l’euthanasie, permettent le prélèvement d’organes sur les patients euthanasiés. La technique est parfois très particulière puisque le prélèvement de certains organes – les reins, par exemple – suppose que le cœur fonctionne. On doit donc, après qu’est intervenue la mort donnée, faire repartir le cœur en excluant le cerveau du circuit.

M. Carlos de Sola. C’est un sujet que vous connaissez mieux que moi.

M. le rapporteur. Je voulais seulement souligner que l’on va bien au-delà de l’arrêt cardiaque résultant de l’arrêt du traitement.

M. Carlos de Sola. Je suis persuadé que les choses se font sérieusement. Mutatis mutandis, la question est comparable à celle de l’utilisation de matériel biologique obtenu à partir de fœtus avortés. Et il s’agit toujours de savoir dans quelle mesure l’opinion publique a confiance dans le système. Voyez la position de l’église catholique espagnole : on m’a rapporté des prêches encourageant au don d’organes en soulignant que c’est la dernière occasion de faire la charité. Dans d’autres pays, les églises se sont au contraire montrées très réticentes et cela a sûrement eu une influence.

M. le rapporteur. La question de l’absence d’harmonisation se pose aussi dans le domaine de la recherche, notamment sur les cellules souches embryonnaires. Peut-on se faire une idée de la performance des pays où la législation est permissive par rapport à ceux dont la législation est restrictive ?

M. Carlos de Sola. Lors de l’élaboration de la convention d’Oviedo, nous nous étions demandé s’il fallait autoriser la recherche sur les embryons, l’interdire, ou encore autoriser sous certaines conditions la recherche sur les embryons surnuméraires. L’option de l’interdiction n’a pas réuni la majorité requise, qui était en l’espèce des deux tiers. Mais cette majorité n’a pas non plus été atteinte pour établir une réglementation autorisant ce type de recherche et spécifiant les conditions d’une telle autorisation. Il appartient donc à chaque pays de se déterminer.

Sur cette question, les positions sont diverses et certaines sont extrêmes. Je ne pensais pas que l’on pouvait encore qualifier l’embryon d’« amas de cellules ». Je trouve l’expression pour le moins peu scientifique. Une pyramide n’est pas un « amas de pierres » ! La complexité d’un embryon, la richesse de ses potentialités, interdisent de parler ainsi. Le premier devoir éthique, c’est de s’efforcer de reconnaître honnêtement la réalité scientifique.

La question des embryons surnuméraires se pose néanmoins dans des termes légèrement différents. Le choix ne porte pas ici sur la préservation d’un embryon en vue de lui donner des chances de se développer – car la conservation perpétuelle n’a aucun sens anthropologique : l’intérêt « biologique » de l’embryon, c’est de pouvoir se développer. De ce point de vue, l’expression d’« intérêt à se développer » semble plus précise que celle de « droit à la vie ». Dans la mesure où il n’y a pas de projet parental, existe-t-il un tort supplémentaire fait à l’embryon lorsque l’on choisit un mode de destruction plutôt qu’un autre ? Beaucoup de délégations ont estimé que, même si, en principe, la destruction des embryons surnuméraires n’est pas nécessairement souhaitable, il n’est pas opportun de l’interdire. Après que les cellules souches eurent fait l’objet de publications scientifiques, plusieurs pays ont autorisé la recherche sur les embryons surnuméraires alors qu’ils n’avaient pas de réglementation auparavant ou que leur réglementation l’interdisait.

Je ne sais quel sera dans l’avenir l’intérêt de ces démarches. Pour l’instant, toute une série de recherches semble présenter un intérêt scientifique relativement incontestable – ce qui ne veut pas dire, pour autant, que l’intérêt scientifique permette de tout faire !

Pour ce qui est de l’importation de cellules souches, il faut rappeler que l’Allemagne s’est dotée d’une législation extrêmement restrictive qui interdit même, en principe, de créer des embryons surnuméraires. La question s’est donc posée d’une importation. Le législateur a fait un choix pragmatique, considérant – essentiellement pour des raisons historiques, sans doute – qu’il n’était pas opportun de modifier la loi sur la protection de l’embryon. Personnellement, je préfère un excès de zèle sur ces sujets, mais il faut reconnaître qu’il y a une certaine incohérence à interdire la production sur le territoire et à recourir à des importations. Je crois d’ailleurs que les Allemands en sont bien conscients.

Par ailleurs, même s’il y a des différences de terminologie entre les statistiques de l’Agence de la biomédecine en France et celles de l’Autorité britannique d’embryologie, on dénombrait au Royaume-Uni en 2006 trente-trois projets de recherche en cours, dont quinze en vue d’obtenir des cellules souches, un qui impliquait le transfert nucléaire et deux la parthénogenèse. Ces chiffres sont comparables à ceux de la France. En tout état de cause, il faut se féliciter de la transparence qu’assurent aussi bien l’Agence de la biomédecine que l’Autorité britannique d’embryologie. Je pourrai également vous communiquer le nombre d’embryons surnuméraires utilisés.

M. le président. En France, il est très compliqué d’obtenir ce chiffre.

M. Carlos de Sola. Je crois que c’est compliqué partout.

M. le rapporteur. Pourriez-vous revenir, M. de Sola, sur la question du « nomadisme médical » et de l’harmonisation ?

M. Carlos de Sola. Ici nous sommes confrontés à des souhaits incompatibles. D’un côté, nous voulons que chaque pays dispose d’une certaine liberté pour trouver ses propres solutions : la valeur symbolique de la loi – surtout en France – est très importante…

M. le président. Chaque pays a sa spécificité. Cela étant, comment expliquer cependant que ni la Grande-Bretagne, ni l’Allemagne, ni l’Italie, ni la France n’aient ratifié la convention d’Oviedo ?

M. Carlos de Sola. Pour ce qui est la France, je me permets de vous retourner la question.

En Italie, le parlement a adopté à la quasi-unanimité une loi autorisant la ratification, mais en donnant au gouvernement un délai de quelques mois seulement pour mettre la loi et le règlement en conformité avec la convention.

M. le président. Vous confirmez donc qu’il existait en Italie des dispositions législatives qui ne s’harmonisaient pas avec la convention d’Oviedo.

M. Carlos de Sola. Oui, sur certains points. Parfois, la convention permet d’interdire ce qu’elle-même n’interdit pas. Mais vous savez bien le temps que peuvent mettre les administrations à prendre des décrets.

M. le président. Pour ce qui est des décrets, la France a fait des progrès. Lorsque Claude Huriet et moi-même avons commencé l’évaluation de l’application de la première loi de bioéthique, beaucoup n’étaient pas publiés, en particulier pour ce qui concerne le diagnostic préimplantatoire. Aujourd'hui, la plupart ont été pris.

M. Carlos de Sola. J’en viens maintenant à la non ratification de la convention d’Oviedo par le Royaume-Uni. L’article 18-2 de la convention, comme la loi française, interdit la constitution d’embryons humains aux fins de recherche alors que cette possibilité est ouverte par le droit britannique. Notons toutefois que la convention ne donne, pas plus que la loi française, de définition de l’embryon. On s’est demandé par exemple à quel stade du développement on pouvait parler d’embryon. Actuellement, on se demande aussi si certaines structures biologiques sont des embryons ou non. Néanmoins, la loi britannique sur la procréation assistée a été modifiée à plusieurs reprises sans que le Parlement suive les voix qui demandaient que la législation se conforme à l’article 18-2. Un État peut toujours formuler une réserve sur un article de traité, mais il faut compter avec la tradition britannique et anglo-saxonne : on ne s’engage sur le plan international que lorsque c’est vraiment indispensable.

M. le président. Et pour la France ?

M. Carlos de Sola. Entre 1994 et 2004, la loi française a évolué plutôt dans le sens de la convention. Pour nous, la loi de 2002 sur les droits des patients s’inscrit également dans l’esprit du texte du Conseil de l’Europe. À mon sens, rien n’empêche actuellement la ratification.

M. le président. Il nous faudra insister pour que le Parlement procède enfin à cette ratification au moment de la révision des lois de bioéthique.

M. Carlos de Sola. Beaucoup d’autres pays ne comprennent pas que la France n’ait pas ratifié un texte dans l’élaboration duquel elle a pourtant pris une part majeure. Cela apparaît presque comme un désaveu de paternité !

En Allemagne enfin, le gouvernement se félicite des travaux poursuivis, et en particulier de la convention. En matière de recherche sur les personnes incapables, les représentants allemands ont soulevé des problèmes auxquels on a pu trouver des solutions qui ont emporté l’assentiment de tous. Mais lorsque l’on a demandé au précédent Chancelier de présenter un projet de loi de ratification, il a indiqué que l’on en reparlerait lorsque la France aurait elle-même ratifié le texte.

Cela dit, le nombre de ratifications continue d’augmenter. La Suisse, pays dont une partie de la population est de langue germanique et où la recherche est importante, a ratifié la convention l’année dernière. La Finlande devrait le faire dans les prochains mois.

S’agissant enfin de la question du « tourisme médical », il est évident que nous sommes confrontés à la diversité des dispositifs. Chaque fois que possible, nous devons nous efforcer de trouver des principes communs, voire des règles communes. Il faut néanmoins reconnaître la légitimité de chaque pays à faire des choix légèrement différents de ceux de ses voisins sur certains points, ce qui implique en effet que quelques personnes puissent être amenées à se déplacer. La question ne se limite pas à l’Europe : il est également possible d’aller dans d’autres parties du monde.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Même si l’on adoptait un principe général d’autorisation, par exemple en matière de gestation pour autrui, au niveau européen, chaque pays définirait ensuite le cadre de cette autorisation et l’on en reviendra au même phénomène : le couple qui se verra refuser le recours à cette pratique par la réglementation de son pays ira dans un autre pays.

M. Carlos de Sola. Une des questions soulevées par la gestation par autrui est l’éventuelle rémunération de la mère porteuse. Il faut reconnaître que les Britanniques abordent le sujet avec beaucoup de sérieux et figurent bien souvent parmi les meilleurs élèves de la classe. Ainsi, le don d’ovocytes ne peut être rémunéré plus de 250 livres sterling, ce qui est très peu. Là encore, les pays européens sont d’accord sur le principe de non rémunération, contrairement aux États-Unis, où certains États autorisent la rémunération. Mais la question est celle de la mise en œuvre du principe.

M. le président. Lorsque l’on diagnostique une anomalie génétique chez une personne, le médecin l’en informe et lui explique les risques auxquels son silence pourrait exposer les membres de sa famille. La France prévoyait de prendre un décret pour décrire le mode opératoire de cette information mais les difficultés sont telles que ce texte n’est pas encore sorti. Y a-t-il des pays européens qui ont surmonté ces difficultés ?

M. Carlos de Sola. Le dispositif français introduit une interface entre le patient et le médecin d’un côté, les membres de la famille de l’autre. La question est très complexe et aucune solution n’est pleinement satisfaisante.

Il faut d’abord bien définir qui est responsable d’un éventuel refus : les professionnels de santé ont en effet besoin d’une certaine sécurité juridique. D’un point de vue éthique, la plupart des auteurs et des pays considèrent que cette responsabilité incombe au patient. Le médecin ne pourra pas être poursuivi s’il s’est conformé au refus de ce dernier. Il importe de bien identifier les valeurs que met en jeu un tel refus : ce n’est pas seulement la protection de la vie privée, c’est aussi la question de l’accès aux tests génétiques et plus généralement celle du secret médical. Si les patients devaient craindre que le médecin n’aille raconter quelque chose, même pour de bonnes raisons, certains n’iraient pas le voir. En protégeant la vie privée, on protège aussi le système de soins et la confiance dans la profession médicale.

La communication à des tiers contre le souhait du patient ne peut donc se faire qu’à titre véritablement exceptionnel. Du reste, si le patient ne coopère pas, il est très difficile de retrouver tous les membres de sa famille que les résultats du test peuvent concerner.

Cependant, contrairement au système français, qui ne s’applique pas seulement en cas de refus du patient mais dans tous les cas, la plupart des pays considèrent que cette information peut s’inscrire dans le cadre de la relation entre le patient et le médecin. L’information pouvant être très effrayante, l’intervention d’un professionnel de santé peut se révéler utile. La complexité de la question suppose une approche au cas par cas. Il faut aussi envisager le droit des membres de la famille à ne pas savoir : après tout, peut-être ne veulent-ils pas être informés. De toute façon, le médecin ne peut collecter les informations utiles qu’avec la collaboration du patient.

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Le problème n’est pas tant le refus que le fait que certaines personnes n’informent pas leurs apparentés, et ce pour d’innombrables raisons que nous n’avons pas à juger. Tout d’abord, il est extrêmement difficile d’être le porteur de mauvaises nouvelles lorsque l’on est soi-même ébranlé par les révélations d’un diagnostic génétique grave. Même des personnes très coopératives en consultation génétique pour établir un arbre de parenté et très réceptives aux informations données par le médecin peuvent, factuellement, ne pas informer leurs apparentés. Parfois, ce sont l’urgence de la prévention et la nécessité de l’anticipation qui ne sont pas comprises. Toujours est-il que des personnes porteuses de maladies graves pour lesquelles on dispose de traitements ne sont pas prévenues. C’est ce qui avait motivé l’idée de l’interface.

M. le président. Permettez-moi de revenir sur le don de gamètes. L’Espagne, contrairement à la plupart des pays, prévoit une indemnisation des ponctions ovariennes à hauteur de 900 euros. Comment cette pratique se combine-t-elle avec le principe de l’anonymat, auquel votre pays est attaché, et le principe de non rémunération ?

M. Carlos de Sola. Une loi antérieure comportait une disposition générale de non rémunération. La réforme de 2005 a précisé cette disposition et introduit la possibilité d’indemniser non seulement la perte de revenus, comme en France ou au Royaume-Uni, mais aussi les « gênes » ou les « incommodités ». Contrairement au défraiement, ce dernier concept n’est pas objectif. Comment évalue-t-on la gêne, la molestia ? Où s’achève le défraiement de la gêne et où commence une rémunération dont le montant risque d’évoluer au gré du marché ? On peut se poser la question.

M. le président. Merci beaucoup pour votre contribution. Nous aurons l’occasion de nous revoir pour travailler encore sur ces sujets.

Audition de M. Claude HURIET, sénateur honoraire, membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO et du Conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine


(Procès-verbal de la séance du 20 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons aujourd’hui M. Claude Huriet, président du conseil d’administration de l’Institut Curie, membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO ainsi que du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine. Nous avons eu le plaisir, cher Claude Huriet, de travailler ensemble en 1999, dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT), à l’évaluation de la loi de bioéthique du 29 juillet 1994. Vous êtes aujourd’hui la personne qualifiée pour nous dire ce qu’il faut modifier dans la loi de 2004, si quelque chose doit l’être. Vous siégez également au conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine. Qu’a changé, selon vous, la création de cette Agence ? Peut-elle dispenser le législateur de « revisiter » tous les cinq ans les lois de bioéthique ? Comment doivent évoluer ces lois ? Faut-il aller plutôt vers une loi-cadre ou entrer davantage dans le détail ? Nous aimerions également que vous nous donniez votre sentiment sur le dispositif arrêté par le législateur concernant la recherche sur l’embryon et les cellules souches. Enfin, jugez-vous pertinentes les thématiques aujourd’hui mises en avant dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, comme la gestation pour autrui ou les nouvelles formes de filiation ? Quelles sont vos positions à ce sujet ?

M. Claude Huriet. Je suis particulièrement heureux et honoré que vous m’ayez convié à participer à vos travaux. En effet, lors de la révision de la loi de 1994, intervenue en 2004, je n’étais plus parlementaire et j’ai profondément regretté de ne pouvoir participer à ce débat sur des sujets qui m’avaient si longtemps passionné et qui continuent de le faire. J’ai beaucoup travaillé sur le sujet avec vous, cher Alain Claeys. Je me souviens notamment de la mission d’évaluation de la loi du 29 juillet 1994 que l’OPESCT nous avait confiée à tous deux. Vous vous étiez alors félicité de faire équipe avec moi, m’avouant « ne rien connaître à la bioéthique », à quoi j’avais répondu que cela m’arrangeait car rien n’est pire pour la réflexion bioéthique que d’avoir des opinions préalablement arrêtées. Pour avoir eu en 2004, lors de la révision de la loi de 1994, des contacts amicaux avec quelques députés et sénateurs, j’ai alors eu le sentiment, sinon d’être un « gêneur », du moins de compliquer plutôt l’appréhension de questions que l’on a tendance à simplifier quand on n’y connaît pas grand-chose. Aujourd’hui, je vais peut-être de nouveau compliquer le débat, mais après tout, n’est-ce pas pour cela que vous m’avez invité ? (Sourires)

Tout d’abord, quelques réflexions sur l’éthique et la démarche bioéthique. En effet, certaines confusions doivent être levées. L’éthique et la bioéthique sont souvent, à tort, assimilées à la morale – d’ailleurs, si elles pouvaient l’être, pourquoi ne parlerait-on pas tout simplement de morale ? L’éthique s’appuie sur des principes universels, repris dans la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, approuvée à l’unanimité par la conférence générale de l’UNESCO le 19 octobre 2005 et à l’élaboration de laquelle j’ai contribué en tant que membre du Comité international de bioéthique : l’autonomie et la responsabilité tout d’abord – qui s’expriment à travers l’obligation de consentement des personnes – ensuite la bienfaisance ou en tout cas la non-malfaisance – principes kantiens –, enfin l’égalité, la justice et l’équité. Ce sont là les seuls principes qui puissent servir de références en matière d’éthique. La démarche éthique est, elle, souvent assimilée à l’éthique elle-même, alors qu’elle est un questionnement sur des sujets complexes, sur lesquels nul ne détient seul les bonnes réponses, s’il en est. D’où la nécessité d’un pluralisme dans la démarche bioéthique. Il n’y a pas de questionnement éthique « monocolore ». Je citerai ici Dominique Lecourt, philosophe et président du comité d’éthique de l’Institut pour la recherche et le développement (IRD), pour lequel « les questions éthiques sur lesquelles viennent buter chercheurs et médecins prennent souvent la forme typique de dilemmes, c’est-à-dire la rationalisation de situations qui imposent un choix entre deux ou plusieurs solutions, également insatisfaisantes. Ces dilemmes » conclut-il, « révèlent l’existence de profonds conflits de valeurs ».

Dans l’introduction du rapport que nous avons élaboré en 1999, Alain Claeys et moi, pour le compte de l’OPESCT, nous formulions le souhait de replacer les normes juridiques dans l’évolution des connaissances et des techniques et d’éclairer la réflexion des commissions parlementaires sans préjuger des choix futurs du législateur. Nul ne peut en matière de bioéthique décider à la place du Parlement, pour lequel c’est une très lourde responsabilité.

Je vous propose trois sujets de réflexion. Tout d’abord, sur l’utilité même de la loi : faut-il légiférer ? La réponse n’est pas évidente. Ensuite, sur le contenu de la loi : faut-il réviser ou réécrire la loi de 2004 ? Enfin, sur les conditions d’application de la loi.

Pourquoi légiférer ? Il existe en effet d’évidentes complémentarités avec la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. Les dispositions du code civil relatives au corps humain sont issues de cette loi, qui est l’une des trois lois de bioéthique de 1994. On parle de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, oubliant la précédente ainsi que celle du 1er juillet 1994 relative au traitement des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé – c’est à elles trois qu’elles constituent le triptyque des lois de bioéthique de 1994. La loi n° 94-653 relative au respect du corps humain peut servir de référence, sinon de modèle, pour ceux qui souhaitent plutôt une loi-cadre fixant de grands principes.

L’article 16 du chapitre II, intitulé « Du respect du corps humain », du titre premier du livre premier du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » Nous avons longuement débattu à l’époque pour savoir s’il fallait écrire « de sa vie » ou « de la vie » pour les raisons qu’on imagine et avons retenu la formulation « dès le commencement de sa vie » qui présentait l’avantage de ne pas poser, au moins temporairement, la question du statut de l’embryon. L’article 16-1 pose les principes d’inviolabilité et de non-patrimonialité du corps humain, sur lesquels se fonde l’interdiction de la commercialisation d’organes ou d’éléments du corps. L’article 16-3 dispose, quant à lui, « qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité physique du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne ». Sur ce point, la loi du 20 décembre 1988 concernant les recherches biomédicales a d’ailleurs dû lever une contradiction : en effet, lorsqu’on réalise des essais cliniques, on porte atteinte à l’intégrité du corps humain, même si ce n’est pas dans un but thérapeutique pour la personne concernée. L’article 16-7 enfin dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. »

Ces grands principes peuvent-ils constituer la loi-cadre que d’aucuns appellent de leurs vœux, souhaitant qu’elle se garde à la fois d’une trop grande technicité – l’OPESCT a souligné cet écueil – et du « bavardage », dénoncé notamment par le rapporteur de la loi de 2004, Pierre-Louis Fagniez ?

Je pense que ce serait insuffisant ; ce serait faire l’impasse sur des questions essentielles, sur lesquelles le législateur apparaîtrait désireux de ne pas s’appesantir. Il faut une loi de bioéthique. Je dis bien une « loi de bioéthique » et non une « loi bioéthique ». À cet égard, le nom même de votre mission d’information prête le flanc à critique. En effet, une démarche bioéthique consiste en une interrogation, alors qu’une loi est normative. Les deux termes de « loi » et de « bioéthique » ne peuvent être accolés, relevant de registres différents. Je souhaiterais – formulant ce souhait, je suis conscient d’outrepasser mes prérogatives… – que l’on parle plutôt de « loi relative à la bioéthique et aux droits de l’homme ». Alors que vont être organisés des États généraux de la bioéthique, le risque existe que l’opinion, sauf celle qu’on y aura préparée – au risque de la conditionner, voire de l’instrumentaliser –, ne se désintéresse de la future loi.

M. le président. J’espère que l’opinion ne sera pas instrumentalisée. C’est même tout le but des États généraux.

M. Claude Huriet. Vu l’état d’impréparation de l’opinion, ne pas instrumentaliser ces États généraux est une gageure !

M. le président. C’est un problème auquel il faudra veiller.

M. Claude Huriet. Ce rapprochement entre bioéthique et droits de l’homme me paraît important, notamment pour ce qui peut être perçu au niveau international. Notre vision de la bioéthique est celle d’un pays développé, mais il faut songer à tous les pays du monde où la bioéthique n’a de sens que corrélée aux droits de l’homme.

Pourquoi passer de l’éthique au droit ? Tout simplement, parce que l’éthique ne suffit pas : nous le savons depuis la déclaration de Nuremberg et celles qui ont suivi, lesquelles n’avaient pas force de loi. La première loi où fut inscrit un principe de bioéthique est la loi de 1988 – dite Huriet-Sérusclat – relative à la protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale, prise conformément à une recommandation du Conseil d’État sur rapport de M. Braibant. Seule une loi peut en effet définir ce qui est permis et ce qui est interdit, prévoir les sanctions en cas de transgression, préciser et limiter les possibilités d’exception ou de dérogation.

Si l’on considère qu’il faut une loi de bioéthique qui ne se résume pas à modifier les dispositions du code civil susmentionnées relatives au corps humain, la question se pose de savoir s’il faut récrire ou seulement réviser la loi de 2004. La réviser signifierait, comme cela a été fait en 2004 pour la loi de 1994, dresser un inventaire des techniques concernant l’assistance médicale à la procréation (AMP), le diagnostic pré-implantatoire (DPI), la gestation pour autrui (GPA), les greffes, les gamètes et les cellules souches, qui ont connu des évolutions depuis 2004, et voir si les réponses apportées alors sont toujours pertinentes. Ce travail, sans être dénué d’intérêt, passerait, je le crois, à côté d’enjeux majeurs. Je pense, et je m’engage fortement disant cela, qu’il faut réécrire la loi en se référant à quelques grandes problématiques – lesquelles, selon le Larousse, se définissent comme « l’ensemble des questions posées par une branche de la connaissance ». Des quatre aspirations profondes de l’homme – se reproduire, connaître et maîtriser son avenir, gagner l’immortalité, parvenir à un surhomme – se dégagent quatre problématiques : bioéthique et médecine procréative, bioéthique et médecine prédictive, bioéthique et médecine régénérative, médecine et nanosciences – question passionnante et menaçante à la fois, avec à l’horizon le méliorisme, la perspective d’un homme « amélioré ».

La première de ces problématiques, bioéthique et médecine procréative, correspond au titre VI de la loi du 6 août 2004 « Procréation et embryologie » – diagnostic prénatal, AMP, insémination artificielle par tiers donneur, gestation pour autrui... Quels me paraissent être les points à débattre sur le sujet ? Tout d’abord, l’enfant a paradoxalement été le grand absent des lois de 1994 et 2004 et des débats sur ces lois. Il y est question du droit à l’enfant, jamais du droit de l’enfant. Or, ce qui importe le plus est-il le couple, capable de s’exprimer, ou l’enfant à naître qui, lui, ne le peut pas ? Toutes les nouvelles méthodes de procréation présentées comme un progrès pour les couples infertiles en sont-elles un pour les enfants à naître ? La loi conférant désormais à tout individu le droit de connaître ses origines, les conditions de conception revêtent une importance particulière. Sur le sujet, je ne puis que vous inviter à auditionner le psycho-pédiatre et analyste Benoît Bayle, auteur d’un remarquable ouvrage intitulé L’embryon sur le divan – Psychopathologie de la conception humaine. J’ai fait sa connaissance alors qu’il m’avait adressé son ouvrage, dont il souhaitait que je rédige la préface. Alors que ce projet de titre me laissait dubitatif, j’ai lu l’ouvrage et, conquis, ai finalement préfacé l’ouvrage. Le Dr Bayle y décrit plusieurs troubles psychiques comme ceux dont souffrent les enfants de remplacement, les jumeaux d’éprouvette, les « survivants conceptionnels » qui peuvent éprouver un sentiment d’hyper-puissance ou au contraire de culpabilité. Permettez-moi à ce point de vous raconter une anecdote. Il y a quelques années, j’ai participé dans un collège de Nancy à une rencontre avec les élèves sur la bioéthique. À cette occasion, une jeune fille a expliqué à ses camarades qu’elle venait d’apprendre qu’elle avait été conçue par insémination artificielle avec tiers donneur et que son père n’était donc pas son père biologique. Cette découverte l’avait totalement déstabilisée, l’amenant à éprouver de la haine pour son père et du mépris pour sa mère. Peut-être s’agit-il d’un cas isolé, mais qu’en savons-nous ? Par ailleurs ce n’est pas parce que de tels cas seraient rares qu’il ne faudrait pas s’en préoccuper. J’ai appris ultérieurement que cette jeune fille souffrait d’un profond déséquilibre psychique, alternant épisodes d’anorexie et de boulimie. En tout cas, maintenant que je vous ai exposé un tel cas – et ne pensez pas que j’ai voulu dramatiser –, vous n’aurez pas le droit de négliger dans votre réflexion le droit de l’enfant au profit du droit, réducteur, à l’enfant. Le problème ira grandissant avec le commerce des ovocytes et l’accroissement de l’offre, notamment aux États-Unis où le développement d’un véritable marché fait que l’on peut désormais choisir son ovocyte, à condition de pouvoir y mettre le prix. Plus on paie cher, plus on a de chances d’espérer obtenir « un bon produit »…

J’en viens à la bioéthique et la médecine prédictive, ce qui correspond au titre II de la loi de 2004 « Droits de la personne et caractéristiques génétiques ». L’article 16-10 du code civil dispose que « l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherches scientifiques. » Je vous invite à ce sujet à aller visiter la passionnante exposition actuellement organisée à la Cité des Sciences de La Villette sur « l’explosion de la médecine prédictive. » Parmi les points à débattre sur cette question, tout d’abord le diagnostic pré-implantatoire (DPI). Alors que le Sénat, sur le rapport de Jean Chérioux, avait initialement envisagé d’interdire le DPI, il avait dû faire face aux réactions de familles atteintes de maladies génétiques graves comme la mucoviscidose, et d’obstétriciens et généticiens, pour qui ce projet d’interdiction constituait un scandale, au vu du drame vécu par les familles touchées. Ils soulignaient de surcroît combien cela aurait été incohérent avec l’autorisation de l’interruption médicale de grossesse. Le Sénat était et demeure préoccupé par de potentielles dérives eugénistes, car la découverte de gènes de prédisposition à certaines maladies risque d’étendre le champ des demandes de DPI. Or, une prédisposition à une maladie est différente de la certitude absolue de développer une maladie mortelle, comme c’était en 1994 le cas des enfants porteurs du gène de la mucoviscidose dont l’espérance de vie ne dépassait pas une vingtaine d’années. Plus on aura identifié de gènes de prédisposition, comme on sait qu’il en existe aujourd’hui pour le cancer du sein et qu’on a commencé d’en découvrir par exemple pour les très invalidants troubles obsessionnels compulsifs, plus les familles seront tentées de solliciter un DPI. Je ne prétends pas apporter de réponse sur le sujet. Je souligne que, lorsqu’on encadre une pratique, on n’est jamais sûr que le cadre restera fixe et lorsqu’on le modifie, c’est toujours dans le sens d’une extension, jamais d’une restriction.

Je ne m’étends pas sur la communication à des tiers du résultat d’un test génétique. Le débat, extrêmement difficile, a déjà eu lieu, notamment sur le fait de savoir s’il faut la rendre obligatoire à la parentèle. Il n’y a pas de solutions parfaites et nous sommes précisément dans la situation décrite par Dominique Lecourt où le dilemme réside entre « deux solutions également insatisfaisantes »

Avec le libre accès des tests génétiques au grand public sur Internet – un véritable marché est né, qui représente déjà 730 millions de dollars par an aux États-Unis et s’accroît chaque année de 20 % –, les dispositions de notre code civil se trouvent peu à peu vidées de leur sens. Toute personne peut désormais prélever sur une autre un cheveu, une goutte de salive… qu’elle adressera à un site Internet – tous n’étant pas fiables, loin de là ! –, afin d’obtenir les empreintes génétiques afférentes. Cela pourra notamment servir à effectuer un test de paternité. On le voit, notre panoplie législative est débordée par des techniques qui présentent beaucoup de risques, face auxquels nous sommes désarmés.

J’en viens à la bioéthique et la médecine régénérative, définie comme la reconstitution d’un organe, d’un membre ou d’un tissu dont une partie importante a été éliminée par chirurgie, traumatisme ou atteinte pathologique. Cette médecine n’existait pas lors de l’adoption des lois antérieures, elle était en tout cas beaucoup moins connue et n’était pas perçue de la même façon qu’aujourd’hui. Elle introduit un débat passionnant sur les cellules souches, lesquelles sont le fondement des phénomènes de régénération, fréquents dans le monde végétal mais aussi animal. En 1999, le professeur Marc Peschanski m’avait violemment attaqué, me reprochant de faire semblant de croire au potentiel des cellules souches adultes pour n’avoir pas à prendre position sur les cellules souches embryonnaires. À l’époque, le débat idéologique faisait rage sur le sujet, certains allant jusqu’à nier l’existence des cellules souches adultes. Le professeur Claude Sureau faisait valoir combien le législateur était « tout-puissant » par rapport à l’embryon, dont il avait « la maîtrise du destin ». Je pense pour ma part, à l’instar d’Axel Kahn, que l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, issu du titre V de la loi de 2004, ne fait que traduire les contorsions du législateur puisqu’il interdit les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, en même temps qu’il institue un moratoire de cinq ans pour ces recherches « lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable ». Le débat a changé depuis 2004. S’agissant des « progrès thérapeutiques majeurs » alors escomptés, les premières désillusions commencent d’apparaître, comme l’indique d’ailleurs en titre un article récent de Nature Medicine. Pour le reste, on le sait aujourd’hui, les recherches peuvent être poursuivies « par des méthodes alternatives d’efficacité comparable ». Les espoirs thérapeutiques mis en avant pour justifier auprès de l’opinion les recherches sur les cellules souches embryonnaires n’ont pas été confirmés, tandis qu’on trouve de plus en plus d’intérêt thérapeutique aux cellules souches adultes. Je vous invite à lire l’ouvrage d’Axel Kahn et Fabrice Papillon Le secret de la salamandre –  la médecine en quête d’immortalité. Enfin, je vous signale que l’Institut de médecine régénérative de Californie prévoit d’investir dans ce domaine trois milliards de dollars en dix ans. Une question essentielle devra enfin être traitée sur le sujet : pour qui développe-t-on cette médecine ? Il est évident qu’elle ne s’adressera pas à tous, remettant en cause l’un des principes universels de l’éthique, l’équité.

J’en viens aux nanosciences et au transhumanisme, devenus une véritable « déferlante », comme le titre l’un des derniers numéros de la revue du CNRS. De 2004 à 2006, on a dénombré 365 000 références sur le sujet sur Internet. Dès 2004, l’OPESCT élaborait un rapport sur les nanosciences et le progrès médical. En 2007, c’est le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui rendait un avis sur les nanosciences, les nanotechnologies et la santé et en 2008, de nouveau, l’OPESCT a réalisé un audit sur les neurosciences. Apparaissent en effet aujourd’hui quantité d’applications diagnostiques et thérapeutiques : capteurs implantables, organes artificiels, micro-laboratoires sur puces – les fameux labs on chip, dont le marché le plus porteur est celui de la puce à ADN, permettant d’effectuer des analyses d’ADN, ce qui ouvre sur des applications contraires au respect de la liberté et de l’intimité des personnes. Il faudra aussi débattre de l’amélioration potentielle des propriétés sensorielles et motrices de l’être humain par le biais de nanotechnologies, avec pour horizon un « être humain amélioré » ou « augmenté ». Toutes ces évolutions conduisent à désanctuariser l’identité génétique. Un marché de mille milliards de dollars se profile à l’horizon 2020. La création d’un réseau européen d’éthique des nanotechnologies a été demandée par le groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) début 2007. Cette demande pourrait être utilement relayée par votre mission d’information, si vous la jugez opportune.

J’en arrive aux conditions d’application de la loi. J’aurais beaucoup aimé pouvoir vous dire que les choses s’étaient simplifiées depuis 2004 mais, d’une part, vous ne m’auriez pas cru, d’autre part, cela aurait rendu votre travail beaucoup moins passionnant (Sourires). Au contraire, tout se complique avec l’accélération de l’innovation. Comme l’a souligné le professeur Grimfeld lui-même, président du CCNE, « la science avance plus vite que notre réflexion », ce qui pose le problème du sens même des travaux des comités d’éthique qui s’aperçoivent qu’ils ne servent peut-être plus à rien, du moins sur l’instant. Il faudra aussi réfléchir à la globalisation, au « tourisme procréatif » et au trafic d’organes – des trafics de reins ont notamment été mis au jour avec la Chine, la Bulgarie et d’autres pays d’Europe centrale. Il existe désormais aux États-Unis, pour les organes comme pour les ovocytes, un véritable marché régi par la loi de l’offre et de la demande, d’où le souhait exprimé par certains qu’il soit régulé en toute transparence. Comment éluder la question de savoir qui paie, qui donne et qui reçoit ces organes ? Il faudra aussi réfléchir aux enjeux économiques, considérables, de ce commerce d’organes et de produits du corps humain, aux forces du marché, de plus en plus vives, qui s’y exercent, ainsi qu’au fait que les valeurs sont de moins en moins partagées. En effet, définir des principes et édicter des règles techniques sur le fondement de valeurs chancelantes relève de la quadrature du cercle…

En conclusion, je dirais qu’il faut se méfier des fausses bonnes idées, au rang desquelles figurent les États généraux de la bioéthique, dont l’idée a été lancée trop vite et dont on n’a pas mesuré les risques. Même si on organise des conférences citoyennes, pensez-vous vraiment que l’information des panels de citoyens ainsi constitués sera suffisante ? En outre, quid du rôle du Parlement ? Il aura beaucoup de mal à ne pas faire siennes les conclusions des États généraux, expression d’une démocratie participative.

Il faut également se méfier des fausses bonnes solutions, comme le principe d’interdiction assorti de dérogations. Dès l’origine, le rapporteur de la loi de 2004 à l'Assemblée nationale, Pierre-Louis Fagniez, m’avait demandé comment, à mon avis, on pourrait sortir du moratoire. Je me souviens lui avoir répondu qu’il n’aurait pas fallu l’instituer… Mieux vaut interdire totalement une pratique que de l’interdire tout en autorisant des dérogations, de surcroît limitées dans le temps !

Il faut enfin se méfier des fausses bonnes raisons. Mettre en avant le bien-être de l’humanité pour justifier les recherches sur les cellules souches embryonnaires par exemple, c’est se moquer du monde, car c’est un leurre. Les progrès de la médecine et de la santé ne sont pas liés seulement aux innovations. Dans la plupart des pays, qui sont loin d’avoir accès aux développements de la médecine procréative et de la médecine régénérative, l’élévation du bien-être et du niveau de santé dépend de tous autres facteurs et les écarts en la matière se creusent entre pays.

En conclusion, une loi-cadre donnant de larges attributions à l’Agence de la biomédecine me paraît la seule solution acceptable. Lors de la création de l’Agence, avec Jacques Montagut, nous avions pointé le risque de dépossession du Parlement, tout en expliquant qu’il n’était sans doute pas possible de faire autrement. Si l’Agence de la biomédecine constituait une commodité pour un législateur embarrassé par la démarche bioéthique, cela poserait assurément un problème par rapport à la démocratie représentative, mais y a-t-il une autre solution ? Le conseil d’orientation de l’Agence, sous deux présidences successives, a réalisé un travail remarquable, dans le respect du pluralisme. Que vous reteniez ou non mes propositions de problématiques, je ne crois pas qu’il y ait d’autre solution pragmatique qu’une loi-cadre, sauf à entrer dans des révisions successives sans fin, où le Parlement courra en vain derrière les avancées de la science.

Il faudrait enfin réaffirmer le lien entre la bioéthique et les droits de l’homme. Dans la société mondialisée dans laquelle nous vivons, une question essentielle est de savoir si le laisser-faire du libéralisme peut constituer la règle exclusive ou si l’humanisme a encore sa place. Ce débat sur les lois de bioéthique est aussi l’occasion d’éclairer le débat sur l’équilibre du monde.

Au terme de cet exposé, j’espère ne pas vous avoir choqués. Pour autant, si d’aventure tel avait été le cas, cela vous faciliterait peut-être l’élaboration de la loi future…

M. le président. Je vous remercie et donne immédiatement la parole au rapporteur de notre mission d’information.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci de cette leçon dispensée sous forme d’interrogations, qui correspond bien à la démarche bioéthique telle que nous la concevons. Organiser des États généraux de la bioéthique est-il une fausse bonne idée ? C’est en tout cas une idée, que nous allons essayer de mettre en pratique le moins mal possible. Nous nous efforcerons de faire émerger des problématiques, et non d’apporter des solutions. Il ne s’agit pas de réaliser des sondages d’opinion sur telle ou telle pratique mais d’informer l’ensemble de la population, de lui faire comprendre les enjeux et les conflits de valeurs sous-jacents. Il existe certes un risque mais au fond, le risque n’est-il pas inhérent à la démocratie elle-même et à tout débat public, dès lors qu’on en dépossède les experts au profit du peuple ? Vulgariser ce débat n’est-il pas au contraire lui donner toutes ses lettres de noblesse, dans la mesure où il débouche sur la question des droits de l’homme, à laquelle nos concitoyens ne peuvent pas être indifférents ? Quelle serait selon vous, la « recette » pour travailler « le moins mal possible » ?

Ma deuxième question porte sur la perspective d’une loi-cadre, qui laisserait à l’Agence de la biomédecine le soin de trancher sur des sujets où l’on ne sait pas très bien où placer le curseur, comme dans le cas du DPI. Ce diagnostic est aujourd’hui autorisé pour éliminer les embryons porteurs d’une séquence génétique associée de manière absolument certaine à une maladie gravissime et pour l’instant incurable. Mais lorsqu’il ne s’agit plus que de gènes de prédisposition à une maladie, appartient-il au législateur de décider à partir de quelle prévalence du risque il convient d’interdire le DPI, afin de se garder d’un eugénisme qui ne consisterait plus à éviter des pathologies lourdes mais à rechercher un être parfait ? N’est-ce pas plutôt à l’Agence de la biomédecine de se prononcer sur le sujet, la rédaction de la loi lui laissant un espace de liberté et de responsabilité pour ce faire ?

Pour ce qui est enfin du moratoire, je dirais, faisant appel au vocabulaire du rugby, qu’il a permis de « botter en touche ». Derrière cette dérogation, il y avait peut-être l’espoir que la voie des cellules souches embryonnaires se révélerait sans issue et que l’on parviendrait à développer une recherche équivalente, voire plus performante, à partir des cellules souches adultes. Or, les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont fait savoir qu’ils souhaitaient poursuivre les recherches sur les cellules souches embryonnaires. En réalité, qu’est-ce qui constitue la transgression : prélever des cellules sur un embryon ne faisant plus l’objet d’un projet parental ou détruire cet embryon ? Il faudra faire un choix, mais on ne pourra sans doute pas décider d’une nouvelle dérogation, dans l’attente que la science nous apporte des solutions… qu’elle ne nous apportera jamais, car le propre de la science est d’ouvrir des voies, rarement d’en fermer. Quelles préconisations formuleriez-vous quant à cette dérogation, dont j’ai compris qu’elle ne suscitait pas votre enthousiasme ?

M. Paul Jeanneteau. Y a-t-il pour vous, professeur, des cas où la destruction d’un embryon peut être considérée comme licite ?

M. Xavier Breton. J’ai écouté avec grand intérêt les problématiques que vous avez dégagées, qui permettent de structurer la réflexion. Pour moi, elles s’adressaient au législateur. Or, à la fin de votre intervention, vous avez conclu à la nécessité d’une loi-cadre donnant de larges attributions à l’Agence de la biomédecine. Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion, notamment au vu de votre expérience personnelle de membre du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine ? Jusqu’à quel niveau de détail peut descendre une loi-cadre ? Dans les débats de l’Agence de la biomédecine, quelle est la part de ce qui relève d’aspects politiques, et non pas seulement scientifiques ?

M. Michel Vaxès. Vous avez opposé droit à l’enfant et droit de l’enfant. Ne conviendrait-il pas de dépasser cette apparente contradiction en considérant que les deux peuvent se rejoindre de manière positive ? Vous avez évoqué les troubles psychiques potentiels chez des enfants apprenant qu’ils ont été conçus par IAD mais ces troubles ne peuvent-ils plutôt résulter, par exemple, d’une déficience dans l’éducation de ces enfants ?

S’agissant des États généraux de la bioéthique, il n’est pas question qu’ils se substituent au législateur – encore que la question pourrait se discuter dans la perspective d’une démocratie participative. Pour l’heure, ils sont nécessaires à une appropriation sociale des savoirs, laquelle constitue bien une des dimensions des droits de l’homme mais peut-être cette appropriation des savoirs inquiète-t-elle si on craint qu’elle ne dérive vers celle des pouvoirs et des avoirs…

Pour ce qui est des recherches sur les cellules souches embryonnaires, je ne vois pas, pour ma part, de différence de destin entre des embryons surnuméraires, de toute façon destinés à être détruits, fussent-ils demeurés entiers, et des embryons surnuméraires sur lesquels auraient été prélevées des cellules afin de mener des recherches pouvant conduire à des progrès thérapeutiques majeurs. Le chemin sera long mais il est prometteur, et le risque vaut d’explorer cette voie.

M. le président. Comme je l’ai déjà indiqué lors des auditions de la semaine dernière, nous avons décidé, avec Jean Leonetti, de convier désormais à nos travaux les membres du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. C’est dans ce cadre qu’assiste aujourd’hui à cette audition la sénatrice Marie-Thérèse Hermange à qui je donne la parole.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Vous avez préconisé une loi-cadre donnant de larges attributions à l’Agence de la biomédecine. Ma crainte est que cette loi-cadre ne soit rapidement dépassée par des directives européennes, notamment en matière de produits de santé, que nous serions obligés d’appliquer sur le territoire national.

M. Claude Huriet. Jean Leonetti, les États généraux de la bioéthique s’efforceront de « travailler le moins mal possible », avez-vous dit. Tout ce qui peut nourrir un questionnement éthique et susciter le débat sur ces questions est intéressant, simplement ce débat demande du temps. Or, le calendrier fixé est pressant, le moratoire institué en 2004 expirant en août 2009 ; il a fort heureusement été spécifié, par l’une de ces acrobaties dont le législateur a le secret, que les recherches en cours sur les cellules souches embryonnaires pourraient se poursuivre après cette échéance. Je ne sous-estime nullement les capacités de compréhension du Français moyen et je déplore au contraire qu’on le tienne trop pour quelqu’un que l’on peut conditionner, mais il faut tenir compte du rôle joué par les médias. Comment dans ce contexte former de manière satisfaisante, en si peu de temps, des panels de citoyens ? Je songe à cet instant aux premières conférences citoyennes organisées par Jean-Yves Le Déaut sur les OGM, sujet qui, s’il donne lieu à controverse, est beaucoup moins complexe que la bioéthique. Si l’on organise des États généraux de la bioéthique, c’est bien pour recueillir l’opinion des Français. Comme pour le Grenelle de l’environnement, le Parlement ne sera pas totalement libre dans son travail.

M. le rapporteur. Nous ne pourrons pas ne pas tenir compte des conclusions des États généraux.

M. le président. Il y a là en tout cas un problème.

M. Claude Huriet. L’important, c’est de susciter le débat, d’amener, par la pédagogie, nos concitoyens à réfléchir par eux-mêmes. Qualifier ces États généraux de « fausse bonne idée » était excessif, mais la manière dont l’initiative a été présentée et la précipitation dans laquelle elle a été organisée invitent tout de même à la précaution. Pour autant, en tant que citoyen, je m’efforcerai d’y aider, afin de faire non pas « le moins mal possible », mais le mieux possible.

S’agissant du DPI, comment évaluer précisément une prédisposition à une maladie ? Cela est impossible : il n’y a pas de bonne réponse. Il faut faire confiance au CCNE dont la fonction est très différente de celle du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine – je distingue trois niveaux de réflexion éthique, l’éthique casuistique, l’éthique thématique et l’éthique fondamentale. Le CCNE est un lieu d’échanges entre représentants de disciplines très diverses – philosophie, sociologie, médecine…–, mais ce type de réflexion transversale exigeant beaucoup de temps, le Comité est toujours en retard sur les avancées de la science. Alors que le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, de par sa composition, ses missions et les questions dont il est saisi, n’a certes pas la même approche mais est plus en prise avec la réalité et les évolutions, que de toute façon le législateur ne peut pas suivre.

J’en viens au sort à réserver au moratoire.

M. le président. Êtes-vous toujours favorable à la formulation des dispositions relatives aux recherches « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs à condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable » ?

M. Claude Huriet. Oui, mais en précisant que cette formulation n’a plus du tout le même poids qu’en 2004. En effet, les espoirs en matière thérapeutique résident aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, dans les cellules souches adultes.

M. le rapporteur. Faut-il subordonner l’autorisation d’une recherche au fait qu’elle aboutira à un « progrès thérapeutique majeur » ? N’est-ce pas tuer la recherche que d’imposer cette condition ?

M. le président. Acceptez-vous, Monsieur Huriet, que l’on précise que cela vaut pour « recherche fondamentale » ?

M. Claude Huriet. Oui. Cela aurait au moins le mérite de la transparence. Si la décision retenue en 2004 n’a au final satisfait personne, c’est qu’il y avait eu une manipulation mettant en avant les espoirs thérapeutiques pour quantité de maladies, notamment neuro-dégénératives, et des maladies connues de l’opinion. Or un article d’octobre 2006 dans Nature Medicine au sujet du traitement par des cellules souches embryonnaires de rats atteints de la maladie de Parkinson a apporté la preuve du caractère potentiellement cancérigène de ces cellules, sans que l’on soit de surcroît assuré que la sécrétion de dopamine obtenue serait durable. Les applications thérapeutiques mises en avant pour justifier ces recherches sont de moins en moins évidentes. On peut soutenir que la recherche sur les cellules souches embryonnaires est du plus haut intérêt pour la recherche fondamentale. Encore faudrait-il l’assumer et le dire clairement, sans laisser accroire à la population que cette recherche est indispensable aux progrès thérapeutiques, car les recherches sur les cellules souches adultes sont aujourd’hui plus prometteuses.

M. le président. Le professeur Marc Peschanski, que nous auditionnions la semaine dernière, nous a dit que des pré-essais cliniques étaient envisageables dans deux ou trois ans avec des cellules souches embryonnaires.

M. Claude Huriet. Que n’en a-t-il parlé plus tôt !

M. le rapporteur. Une solution serait de conserver la condition de conduire à des « résultats thérapeutiques majeurs » et d’interdire toutes les recherches sur les cellules souches embryonnaires n’ayant pas de finalité thérapeutique à brève échéance. Une autre serait de considérer que toute recherche fondamentale peut déboucher sur des applications cliniques, ne concernant pas nécessairement des maladies très connues des médias et de l’opinion, ou en tout cas permettre de comprendre des mécanismes complexes comme ceux de la genèse du cancer, de ne plus évoquer l’objectif thérapeutique et de laisser toute liberté aux chercheurs, sans savoir d’avance si leurs recherches aboutiront ou non à des résultats thérapeutiques – majeurs ou mineurs, de manière certaine ou non.

M. Claude Huriet. Ce n’est en effet pas sur le même plan, et il ne faut pas laisser croire qu’il en est ainsi. On connaît le risque cancérigène des cellules souches embryonnaires depuis le début. Sur le sujet, je souhaiterais un débat à la fois moins passionné et plus transparent.

Monsieur Jeanneteau, la destruction d’un embryon peut-elle être dans certains cas licite ? Qu’entend-on par « licite » ? C’est l’exemple même d’un questionnement éthique. Ou bien on pense que la vie prend naissance dès la rencontre de deux gamètes, ou bien que la personnification de l’embryon est différée. Pour moi, il y a un continuum et il est impossible de fixer le seuil à partir duquel un embryon humain devient humain. Certains considèrent qu’il l’est à l’apparition de la crête neurale. On peut disserter sans fin sur le sujet sans jamais tomber d’accord. Il y a deux positions, toutes deux éminemment respectables, mais je me garderai de trancher. S’agissant de la licéité, je ne sais pas répondre ! La loi prescrit des normes, pas l’éthique qui ne formule que des avis, des recommandations.

Monsieur Breton, je n’ai proposé qu’un cadre de débat. Tous les points à débattre que j’ai évoqués – lesquels ne sont pas exhaustifs – ne sont pas destinés à être renvoyés à l’Agence de la biomédecine à partir d’une loi-cadre mais doivent faire l’objet d’un débat au Parlement, tout particulièrement le sujet des nanosciences, où les progrès sont extrêmement rapides : un millier de personnes se seraient déjà vu implanter des nanopuces et des micro-laboratoires aux États-Unis. Mais tous les points que j’ai soulevés n’aboutiront pas à des dispositions législatives. Soyez en tout cas assuré que je ne milite pas pour une loi-cadre, plus ou moins inspirée du code civil, dont le contenu concret serait renvoyé à l’Agence de la biomédecine.

Monsieur Vaxès, le droit à l’enfant et le droit de l’enfant peuvent sans doute se rejoindre, mais ils peuvent aussi s’opposer. Or, jamais il n’a été question dans les débats parlementaires précédents du devenir des enfants conçus par AMP. Il n’est pas acceptable sur le plan humain de ne traiter dans la loi que du droit à l’enfant. Les origines de chacun, surtout maintenant que la loi donne à chacun le droit d’en avoir connaissance, ne sont pas neutres.

Madame Hermange, la législation européenne pose en effet un problème. Les déclarations et traités internationaux, comme celle de l’UNESCO que j’ai citée au début de mon intervention, font très souvent référence au droit national. Les disparités législatives qui existent aujourd’hui entre la France, la Belgique, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne ne sont pas près de disparaître. Elles favorisent notamment un « tourisme procréatif », qui tend à privilégier les pays les moins-disants sur le plan de la bioéthique.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de Mme Corine PELLUCHON, docteur en philosophie


(Procès-verbal de la séance du 20 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Corine Pelluchon, agrégée et docteur en philosophie, maître de conférences à l’université de Poitiers. Vous avez enseigné l’éthique médicale à l’Université de Boston et vous donnez des cours sur ce même thème au sein de l’espace éthique des hôpitaux de Paris. Vous venez de publier L'autonomie brisée. Bioéthique et philosophie.

Notre mission d’information a pour tâche de revisiter la loi de 2004 et d’analyser les points sur lesquels elle devrait évoluer. Pourriez-vous définir ce que sont l’éthique de l’autonomie et l’éthique de la vulnérabilité ? Dans votre ouvrage, vous dites avoir tenté d’articuler les questions dites de bioéthique aux valeurs d’une communauté politique. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Enfin, dans le cadre de la préparation des États généraux, nous serions heureux de recueillir votre avis, puisque vos travaux portent aussi sur les espaces éthiques régionaux.

Mme Corine Pelluchon. S’agissant des questions dites de bioéthique, on peut imaginer un partage des tâches entre la loi-cadre qui fixerait les grands principes et des agences indépendantes qui délivreraient les autorisations. Mais dire cela ne suffit pas.

Il faut s’interroger sur la manière dont les agences indépendantes peuvent fonctionner au mieux, réfléchir au mode de désignation de leurs membres, au rôle respectif de l’Agence de la biomédecine (ABM) et du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et surtout à la participation du peuple, c'est-à-dire à l’information et à la formation des citoyens, à l’école et dans les universités – l’éducation étant au cœur de ces questions et de leur traitement démocratique.

De plus, les principes énoncés dans les différents rapports (notamment celui de l’OPECST) doivent être complétés par une approche qui précise la manière dont ils peuvent être articulés entre eux et à d’autres valeurs, en particulier la justice.

Cette notion de justice introduit le problème de l’égalité – non-discrimination envers un groupe –, de l’équité – quand l’égalité numérique ne permet pas d'être juste ou que la loi, générale, doit être appliquée à une situation particulière –, et de la solidarité, qui est au cœur du don – de son sang, de ses organes, de ses gamètes, voire de son utérus. La justice distributive impose aussi une réflexion sur nos priorités : comment distribuer des ressources limitées ? Qu'est-ce qui doit être remboursé et pourquoi ? Qu'est-ce qui guide nos politiques publiques de recherche ?

Cette manière d’articuler les principes de non-disponibilité et de non-patrimonialité du corps humain, de gratuité des dons de gamètes et d’anonymat, à la justice et à une réflexion philosophique sur le rapport liberté/responsabilité (qui me semble être au cœur du droit) modifiera bien des réponses que l’on serait amené à donner si l’on s’en tenait à une approche déontologique de la morale, c’est-à-dire à une application formelle de ces principes.

Mon interrogation n'est pas tant de faire ressortir les limites de certains principes
– en particulier celui de non-disponibilité du corps humain – que de mettre en perspective les questions dites de bioéthique et les choix de société propres à notre communauté politique.

Le terme de « communauté » fait référence à une identité collective, censée se reconnaître dans un ensemble de valeurs qui ne sont ni complètement universelles ni complètement relatives. Un rappel aux sources de la moralité et du politique, aux traditions qui ont construit, au fil de notre histoire, notre représentation de la justice et de la solidarité, est nécessaire pour déterminer le contenu de ces valeurs communes. Si ce travail ne peut être fait ici, il importe de dire que nos principes éthiques et nos droits doivent être replacés dans ce contexte et que nous avons, en France, une manière de nous approprier des guides ou des recommandations qui peuvent faire par ailleurs l’objet de normes internationales.

Plutôt que d’exposer la méthode de philosophie politique qui permet de redécrire ces valeurs communes qui irriguent les principes, je prendrai une à une les questions de bioéthique en débat pour proposer quelques pistes de réflexion, en invitant à certains déplacements d’accents.

Interrogeons tout d’abord les procréations médicalement assistées au regard du sens de la parentalité. S’agissant de la gestation pour autrui (GPA), l’idée d'un contrat assorti d’une rémunération est problématique, parce que c’est alors la misère – et non le don – qui pourrait pousser des femmes à devenir des mères porteuses. Il y a là un double risque qui renvoie à l’exploitation des femmes, mais qui pèse aussi sur la santé du futur enfant.

D’autres s'interrogent sur le fait de payer pour avoir un enfant à soi. Mais cette immixtion de valeurs commerciales dans le domaine familial est moins problématique dans ce cas que lorsque des parents, comme cela arrive aux États-Unis, choisissent les gamètes en fonction des qualités physiques et intellectuelles des donneurs. Ces critères de compétitivité s'opposent au sens de la parentalité, qui, comme l’a écrit William May, est l’accueil de ce que l’on attendait pas, le fait de recevoir et d’aimer un enfant pour ce qu’il est, et non pour sa correspondance à nos attentes. La GPA est donc moins problématique dans son impact sur le sens de la parentalité que toute technique renforçant l’hyperparentalisation et la volonté de maîtrise.

Mais que penser de ceux qui souhaitent interdire la GPA en évoquant l’argument de l’indisponibilité du corps de la femme ? Le fait de vendre son corps et son utérus pour de l’argent est-il moralement condamnable et doit-il être interdit par la loi ? Il existe bien des femmes qui vendent leur corps et qui, loin d’être inquiétées par les pouvoirs publics, sont valorisées dans notre société. Je pense pourtant aussi que vendre son utérus, ce n’est pas bien, et que ce n’est pas la même chose que vendre son image. Mais ce jugement ne découle pas du principe d’indisponibilité du corps humain : il est lié au fait qu’il faut préserver le sens de l’enfantement, du don de la vie qui est aussi un don de soi et qui n’est pas lié à l’argent.

Le principe de non-disponibilité du corps humain, utilisé aussi dans le don gratuit des parties du corps, va de pair avec une conception du corps comme temple de Dieu ou comme substrat de la personne. La conception antagoniste, d’origine lockéenne et surtout libertarienne (cf. Robert Nozick), est que notre corps nous appartient et que nous pouvons tirer bénéfice de son usage. Si l’on s’en tient à ces principes, il est impossible de dépasser l’antagonisme entre les deux positions et de trancher rationnellement.

C'est pourquoi je propose de déplacer l’accent des principes vers l’intentionnalité : ce n’est pas parce que l’on viole un principe qu’une pratique est illégitime, mais une pratique est illégitime lorsque l’on voit, en observant son impact sur une institution (ici la famille), qu’elle s’oppose aux dispositions qui soutiennent cette dernière et qu’elle s’oppose, par exemple, au sens de la parentalité – le sens renvoyant ici à l’intentionnalité telle que peut la dégager une description phénoménologique, et non à une conception fixiste de la nature humaine.

On peut alors se demander s’il est moralement acceptable qu’une femme donne son utérus pour qu’une autre ait un enfant. Ceux qui disent que la maternité est liée au fait d’accoucher ont-ils un argument valable pour interdire la GPA ? Certes, il existe un lien entre la mère et le fœtus, mais n’existe-t-il pas, dans notre société, une sacralisation du corps – de certaines parties du corps parfois – en même temps qu’une réification ? Or, la référence au principe de non-disponibilité ne permet pas de dépasser cette ambiguïté.

En outre, le droit n’a pas pour but d'imposer la sainteté : les lois ne nous demandent pas d’être de bons Samaritains, mais elles ne doivent pas empêcher que, dans des circonstances exceptionnelles, liées à un don de soi qui n’a rien à voir avec la logique du contrat, une personne agisse pour une autre.

Cette argumentation conduit à la réponse suivante, une fois exclue la perspective du contrat et de la rémunération : si une femme veut porter l’enfant qu’une autre femme et son mari désirent, alors la loi ne doit pas l’interdire. Dans ce cas, il faut être sûr qu’il s’agit bien d’un don, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de rémunération ou de contrepartie – un emploi, un service –, mais seulement une aide couvrant les frais médicaux liés à la grossesse. Un don n’est pas un échange, il est gratuit et n’exige pas la réciprocité. Il s’agit ici d’une substitution : je donne à une autre la possibilité d’avoir son enfant.

De même, il n’y aura pas de discussion sur la filiation : les parents seront ceux à qui « la mère porteuse » aura d’emblée donné la possibilité d’avoir cet enfant en le portant pour eux. Les restrictions sont que le couple ne puisse pas avoir d’enfant, par exemple que la femme n’ait pas d’utérus, mais qu’elle soit en âge de procréer, que les gamètes soient ceux du couple intentionnel, ou au moins de l’un des deux, et que celle qui accouchera soit proche d’eux – sœur, cousine, mère. Le don, comme la substitution, n’est pas anonyme : il est la réponse unique d’une personne à une autre. Cette situation exceptionnelle pourrait être évaluée, ainsi que le recommande M. Israël Nisand, par une commission régionale, la décision finale étant prise par une agence comme l’ABM.

L’interdiction pure et simple de la GPA n’est une solution ni satisfaisante ni réaliste. M. Israël Nisand a raison de dire qu’un jour viendra où les promesses électorales conduiront à tout autoriser, après avoir tout interdit. L’autorisation de la GPA pour les raisons exceptionnelles que j’indique aurait le mérite de redonner au don et au sens de la parentalité leur valeur propre. Cela permettrait de répondre à certains cas, de ne plus laisser des enfants qui sont nés grâce à une « mère porteuse » dans un autre pays sans état civil et de ne plus fermer les yeux sur le tourisme procréatif.

Qui doit avoir accès à la procréation médicalement assistée (PMA) ? Certains jugent incohérente une législation qui permet aux femmes célibataires d’adopter, mais non de recourir aux PMA ; il faudrait selon eux étendre ces dernières aux célibataires et aux homosexuels. Mais c’est faire une confusion majeure que de mettre sur un même plan adoption et PMA.

L’adoption, c’est le fait de donner des parents à un enfant qui est déjà là et qui a été abandonné. Il est de notre responsabilité d’aider cet enfant qui a besoin d’un autre et de l’aide de la société. Avec les PMA, il s’agit d’aider un couple infertile à avoir un enfant. Dans l’adoption, c’est l’enfant qui prime et notre responsabilité envers lui est première par rapport au désir des adultes. C’est pourquoi, comme l’a montré le rapport de M. Jean-Marie Colombani, nous devons faire de l’amélioration de l’adoption nationale et internationale une priorité.

Au contraire, il n’est pas du devoir des médecins et de la société de répondre au désir d’un couple d’avoir un enfant, même si nous pouvons aider un couple à satisfaire ce qui n’est pas un désir banal. Il y a une dissymétrie totale entre ces deux cas de figure et l’ouverture de l’adoption aux femmes célibataires n’implique pas l’accès des PMA aux célibataires et aux couples homosexuels. Si l’on est pour cette ouverture des PMA, il faut trouver un autre argument que celui-ci.

Cette dissymétrie pose même la question de savoir si la société doit toujours s’impliquer financièrement pour les PMA. Si la stérilité est une maladie, alors elle reçoit une réponse médicale et elle est remboursée. Cependant, lorsque l’on est « stérile » parce que l’on a 45 ans ou que l’on n'a pas d'enfant parce que son couple est formé de deux femmes ou de deux hommes, il ne s’agit pas d'une maladie : dès lors le remboursement ne va plus de soi. Laisser un homme sans nourriture, disait Levinas, est un crime qu’aucune circonstance n’atténue. Laisser un couple (homosexuel ou non) sans enfant n’est pas un pareil crime.

Est-ce faire preuve de discrimination envers les couples homosexuels que de leur refuser l'accès aux PMA ? De fait, je ne pense pas que les couples homosexuels soient moins capables que les hétérosexuels de s’occuper d'un enfant. Je n’ai pas de réponse définitive à cette question, mais je m’interroge sur ce que l’on entend par paternité et maternité. Le besoin qu’ont les individus de faire un enfant qui soit d’eux ne reflète-t-il pas une propension à penser l’individualité en termes biologiques ? L’adoption souligne le sens de la parentalité au-delà de l’hérédité biologique, la parentalité étant liée à la disponibilité et à tout ce que l’on peut donner et transmettre pour éduquer un enfant, c’est-à-dire l’aider à grandir, à sortir de son milieu, à aller vers l’autre.

Loin de moi l’idée de blâmer les couples qui ont envie d’un enfant issu des gamètes de l’un d’entre eux ou de nier que la grossesse soit une expérience irremplaçable. Mais je regrette qu’il n’y ait pas dans notre société un courant « existentialiste » qui vienne compenser ce que les désirs individuels ont d’aliéné. Nous sommes fortement déterminés par une vision normalisatrice de la vie humaine, qui, en outre, fait la part belle au « tout biologique ». Les homosexuels revendiquent la normalité, le fait d’avoir des enfants, d’être comme tout le monde : le désir d’enfant doit aussi être examiné en lien avec ce désir de normalité, qui peut-être le modifie. Quant à l’égalité, si elle fait partie de la justice, elle est aussi, dans la dynamique de notre société, une attente, voire une passion, qui nourrit la comparaison, la division et parfois l’envie ; parfois, comme disait Tocqueville, les inégalités imaginaires deviennent plus importantes que les inégalités réelles, et il y a une sorte de compétition pour être le plus égal. Or, la justice est une égalité complexe et souvent proportionnelle – pas forcément numérique, disait Aristote. La liberté et l’égalité sont essentielles, mais il y a un primat de la responsabilité sur la liberté : mon devoir envers l’autre, disait Levinas, est l’investiture de ma liberté. Par suite le couple responsabilité-solidarité doit irriguer la liberté et l’égalité, et peut-être ainsi, préserver leur sens.

Je suis opposée à la levée de l’anonymat des accouchements sous X et des dons de gamètes et je vais expliquer pourquoi. Une femme qui sait qu’elle ne pourra pas élever son enfant mais prend la peine de le porter pendant neuf mois et d’accoucher au lieu d’avorter doit être protégée. Il faut respecter le don de la vie et le sacrifice qu’elle a fait. Ou alors c'est que l’on préfère que les femmes placées dans une situation difficile n’aient pas d’autre choix que d’avorter.

De plus, aucun rapport sérieux n’a pu prouver que les personnes issues de PMA avec don de gamètes anonyme souffraient parce qu’elles ne connaissaient pas leur origine biologique. Le problème, avec ce malaise, c’est peut-être qu’on ne sait pas comment y répondre. Bien plus, on peut se demander comment ces personnes pourraient ne pas avoir de problèmes d’identité quand l’idéologie dominante ramène l’individu à ses origines
– notamment à ses origines biologiques –, exige que l’individu soit normal – supernormal –, et le pousse à vouloir tout connaître de ses parents, voire à penser que tous ses problèmes viennent de ses parents ou de ses origines. Une telle obsession biologique et même généalogique, une telle réduction de l’individu à son passé et au passé de ses parents, n’invite pas un être à la liberté, à la créativité, au bonheur : ceux-ci supposent en effet qu’on s’autorise une marge de man
œuvre et qu’on pense l’homme comme liberté, comme transcendance, comme capacité à sortir des déterminismes. Lévinas soulignait en 1934, dans Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme, que cet idéal de liberté était au fondement de la civilisation occidentale, et partagée par ses différentes racines. Au contraire, l’idée qui sous-tend l’hitlérisme est la conception d'un homme « rivé à son corps », et même à son hérédité. Cette conception n’est une promesse ni de bonheur individuel ni de paix collective.

Enfin, les valeurs d'encouragement, voire de résilience, qui sont au cœur du projet éducatif et nourrissent l’idéal de l’ascenseur social sont-elles préservées ou menacées par le discours dominant ? On ne cesse de dire aux gens qu’ils sont déterminés. Mais qu’on leur dise qu’ils sont ce qu’ils font des déterminations qui pèsent sur eux, et ils deviendront plus audacieux, plus responsables, plus fiers. Qu’on leur dise de bâtir sur la faille, sur la blessure que constitue le secret de leurs origines biologiques, et ils seront plus libres ! Mais rien n'est fait pour que les êtres exploitent la positivité de leur différence, voire de leur handicap. On leur enjoint d’être eux-mêmes, d’être autonomes – mais pour être soi il faudrait tout savoir de son passé, ce qui entrave le fait d’oser être.

tout d’abord estimé qu’« aucun rapport sérieux n’a pu prouver que les personnes issues de PMA avec don de gamètes anonyme souffraient parce qu’elles ne connaissaient pas leur origine biologique », en notant cependant

La levée de l’anonymat obéit à un idéal de transparence problématique. Outre le fait qu’elle ne protège pas ceux qui donnent, elle cautionne une idée de l’identité qui devient contre-productive lorsqu’elle est érigée en credo et qui a quelque chose de délétère. Cependant, ce ne sont pas les biotechnologies qui sont responsables du malaise des individus ou de l’individualisme dans notre société. Ce sont des représentations étroites et fausses de la vie humaine, des pressions liées à une vision normalisatrice de la vie qui sont responsables de certaines demandes des individus à l’égard de la société et des biotechnologies. Les décisions collectives doivent être articulées aux valeurs qui sous-tendent nos institutions ; et le législateur doit rapporter certaines revendications et certains affects aux représentations qui révèlent un certain état de la société, état que l’on est en droit de saluer, quand il renvoie à un réel progrès, ou au contraire d’accueillir avec circonspection, lorsqu’il exprime une régression.

Avec les tests prédictifs, avons-nous affaire à un eugénisme ? Le diagnostic préimplantatoire (DPI) et le diagnostic prénatal (DPN) posent des problèmes différents, le DPN pouvant être suivi d’un avortement, souvent tardif, alors que le DPI concerne la décision de n’implanter que des embryons sains. Quoi qu’il en soit, le terme d’eugénisme n’est approprié dans aucun des deux cas : il devrait être réservé à l’eugénisme étatique, lequel désigne la volonté de purifier la race humaine et renvoie à des mesures violentes. Parler d’eugénisme libéral, comme l’ont fait Jürgen Habermas ou Jacques Testard, ne m’apparaît pas tout à fait juste, car les individus n’ont pas pour volonté d’améliorer l’espèce humaine. Ils redoutent simplement que leur enfant handicapé soit malheureux et craignent d’être incapables de l’élever. Ils ne sont donc pas eugénistes, mais ils adhèrent parfois à une vision normalisatrice de la vie humaine et en ont peut-être des représentations aliénées, déterminées par des valeurs de compétitivité et de performance. C’est précisément pour ne pas renforcer ces valeurs délétères qu’il ne faut pas étendre le DPI et pratiquer des tests sur la prédisposition aux cancers, par exemple, ni sur des maladies qui ne seraient pas particulièrement graves. Enfin, l’expression d’eugénisme négatif ne me semble pas bonne pour les raisons précédemment évoquées.

Je pense que l’intérêt du questionnement sur les tests prédictifs est ailleurs. Il souligne tout d’abord les efforts que nous devons faire pour améliorer l’accueil des personnes handicapées au nom de la solidarité envers les plus vulnérables et au nom d'une conception de l’humanité qui ne subordonne pas la dignité à la possession de facultés cognitives ou à la compétitivité. Le deuxième enjeu de cette réflexion sur les tests est lié à la difficulté que les individus ont à accepter l’incertitude. Cela renvoie à l’alliance entre l’exaltation de la liberté individuelle – où les désirs sont la loi – et un besoin de sécurité à tout prix. Cette demande d’une liberté contrôlée trouve dans les biotechnologies une alliée et pèse sur le législateur.

Enfin, parmi les enjeux de la réflexion liée aux tests prédictifs figure le critère qui nous permet de distinguer entre un usage légitime et un usage illégitime de l’intervention de l’homme sur la nature. Comme je l’ai montré dans la 1ère partie, chapitre V, de L'autonomie brisée, la différence entre ce qui relève de la thérapie et ce qui relève de l’amélioration n'est pas un bon critère : certains tests prédictifs ne relèvent pas de la thérapie, mais ils sont tout à fait pertinents. Inversement, il y a des traitements qui, sans être illégitimes, posent problème. Bien plus, cette distinction entre thérapie et amélioration suppose une définition figée de ce qui est normal, considéré comme une moyenne à atteindre. Le critère que je propose est de tenir pour indigne (et ici la dignité devient un adjectif) une pratique qui dégrade le sens d’une activité – ce sens étant l’objet d’une élucidation phénoménologique ; j’y reviendrai au cours de la discussion.

S’agissant de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et le transfert de noyau somatique, je me range à l’avis d'Axel Kahn, qui considère que la loi de 2004, avec un moratoire lié à une interdiction, crée une situation juridique étrange. De même, je suis Henri Atlan lorsqu’il souligne l’importance du vocabulaire employé : les cellules souches embryonnaires ne sont pas tout à fait des embryons, puisqu’elles ne sont pas destinées à être implantées dans un utérus. En ce sens, je suis plutôt d’accord avec le fait que l’on autorise les recherches sur les cellules souches embryonnaires sans les subordonner à un objectif thérapeutique, ce qui bloque la recherche fondamentale et peut alimenter de faux espoirs. Mais cela ne signifie pas que la question du statut ontologique de l’embryon soit enterrée ni que la valeur de l’embryon dépende toute entière des parents. Cependant, les embryons issus des PMA sont là et certains ne seront pas implantés.

De plus, je pense que les craintes d’une partie de la population qui s’oppose à la recherche sur les cellules souches embryonnaires doivent être prises en compte. Peut-être se trompe-t-elle de cible, mais ce qui sous-tend ces craintes est digne de respect : on peut avoir peur que les hommes aillent trop loin, qu’ils soient prêts à tout pour se conserver, ou craindre, comme Habermas dans L’avenir de la nature humaine, que le fait de banaliser la manipulation du début de la vie humaine n’entraîne une abrasion de la sensibilité morale, le profit devenant la seule valeur.

À ces craintes correspondent deux questions. Tout d’abord, faut-il mettre une limite aux moyens que l’on mobilise pour parvenir à guérir des maladies atroces et allonger la durée de la vie ? On peut accepter l’utilisation des « embryons » surnuméraires, issus d’une PMA et ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Mais a-t-on le droit de créer du matériau humain dans le but exprès de détruire les cellules et de les utiliser pour la recherche, afin que d’autres en bénéficient ? Je ne le crois pas. Je pense qu’il ne faut pas autoriser le transfert de noyau somatique, dit « clonage thérapeutique ». Cette autorisation n’éviterait pas que certains aillent jusqu’au bout du procédé et passent clandestinement au clonage reproductif. De plus, l’aspect symbolique de cette pratique pose problème : peut-on accepter que l’on crée de la vie ou du matériau humain dans le but de le détruire ?

Seconde question : la recherche sur les cellules souches embryonnaires peut aider à mieux comprendre les maladies des premiers âges de la vie, mais elle nourrit aussi quelques espoirs quant au processus du vieillissement. Quels sont nos objectifs dans la recherche et dans les politiques de recherche ? Où doivent aller les priorités ? Dans la recherche pour allonger la durée de la vie ou dans la recherche, moins gourmande peut-être en cellules souches embryonnaires, sur des vaccins permettant de lutter contre des maladies qui déciment des continents ? Nous devrions poser la question des priorités, de l’équité entre les générations, de nos devoirs envers les pays du Sud. Mais ces questions n’ont guère de poids lorsque se décide une politique de recherche. En outre, on évoque le retard de la France en matière de recherche. Cela signifie que la recherche est liée à la compétition. Mais comment pense-t-on la compétition ? Faut-il faire ce que font les autres ou, au contraire, partager les tâches afin d’avancer collectivement ? Une politique de la recherche serait peut-être à mener au niveau européen, fondée sur la définition de nos priorités et sur ce que nous considérons comme des enjeux humanitaires.

En conclusion, je plaide pour une refonte des principes de l’éthique, qu’il convient de contextualiser, et surtout de mettre en perspective par rapport à deux valeurs fondamentales : la justice et la solidarité. Je fais de la justice la grande sœur des principes : comme l’espérance de Charles Péguy tenant la main à la charité et à la foi, elle infléchit (telle qu’elle est pensée dans notre pays, en lien avec un idéal de solidarité) le sens de la liberté et de l’égalité. Protéger ceux qui donnent, ne pas rendre impossible le don, penser à l’équité entre les générations, aux priorités et à la protection des plus vulnérables, telles sont les valeurs phares qui peuvent guider notre compréhension des principes et nos délibérations.

La deuxième piste que je lance est liée à l’importance de la responsabilité. Si l’on considère que la responsabilité prime sur la liberté, sur l’idée figée de ce qui est bien ou mal, de l’usage décent ou pas de son corps, des tabous qui sont ceux de son groupe, alors les priorités sont claires : l’adoption passe avant les PMA, même si celles-ci ne sont pas remises en question ; et surtout on sera attentif à l’intention des acteurs.

Le problème avec les principes – dans l’approche déontologique de la morale –, c’est qu’ils ne souffrent pas d’exception. Or, il importe de regarder ce qui est en jeu dans la question posée, et qui peut varier selon les cas : on le voit pour l’anonymat. Ce discernement-là relève de l’éthique. La loi ne doit pas s’y substituer, ce qui souligne l’importance de l’évaluation au cas par cas.

Enfin, qui va évaluer ? La composition des agences indépendantes ou du CCNE est une question cruciale, car ce sont les hommes et les femmes qui font les institutions, ce qui renvoie à leur compétence et à leurs traits moraux. Mais il faut surtout faire en sorte que les citoyens s’approprient les questions de bioéthique. Les espaces éthiques pour l’information, mais surtout l’école, le lycée et les universités peuvent être les lieux où se formeront des générations de citoyens qui auront les outils et le sens critique pour participer, être vigilants, garder un œil sur les décideurs. Qu’a-t-on fait de mieux pour la démocratie depuis Condorcet que l’éducation ? Quel contre-pouvoir est plus efficace que le peuple, surtout lorsqu’il est instruit ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous nous avez livré une intervention très riche, sous un angle original. Vous avez évoqué la nécessaire appropriation de ces questionnements par le peuple. Comment envisager les États généraux de la bioéthique ? Le législateur est libre et n’a pas de mandat impératif ; mais, s’il consulte le peuple, ne sera-t-il pas lié par ses réponses ? La perspective que nous avons trouvée est qu’il s’agit, au travers des États généraux, de faire émerger les problématiques et le sens critique afin d’alimenter notre propre réflexion, plutôt que d’aller chercher des réponses dans un débat public envisagé comme un sondage d’opinion. Comment verriez-vous le déroulement de ces États généraux ?

Vous avez rappelé par ailleurs que c’est la relation entre les choses
– l’intentionnalité – qui importe, et non les valeurs figées. Et vous avez envisagé deux attitudes. La première serait une vision individualiste de la vie, qui conduit à tout exiger de la société dès lors que c’est possible ; elle aboutit à une demande d’enfant idéal, à la performance, à la recherche obsessionnelle du zéro défaut ; elle ne s’encombre pas de valeurs, mais opte pour une démarche utilitariste où la fin justifie les moyens. Elle s’oppose à une approche fondée sur la justice – égalité ou équité – et la solidarité, pour laquelle la fin ne justifie pas les moyens et où le projet collectif prime sur la volonté individuelle. La liberté n’est plus alors celle du « je désire » mais s’incarne dans la responsabilité du « nous voulons ».

Distinguer ces deux options constitue-t-il une clé intéressante pour le questionnement éthique ?

Mme Corine Pelluchon. Bien sûr, il n’appartient pas au législateur de recueillir l’opinion au travers de sondages, où souvent les questions contiennent par avance les réponses. Il faut donner aux citoyens les outils qui leur permettent de forger leur propre réflexion. Peut-être faudrait-il d’abord procéder à des mises au point linguistiques, conceptuelles, techniques. Puis, au travers de panels, d’ateliers, faire intervenir des chercheurs, des philosophes, des politiques, des juristes, des médecins… Ceux-ci ayant donné des outils, il pourrait s’ensuivre une discussion avec la salle. Il s’agirait moins de faire parler les « gourous » éthiques que d’informer les personnes, de les éclairer – un peu ce que tente Emmanuel Hirsch. Le problème est le manque de temps.

Cette belle idée d’États généraux doit d’accompagner, à plus long terme, d’une mission d’éducation. Les questions de bioéthique (comme celles d’environnement) intéressent au plus haut point les lycéens et les étudiants, surtout lorsqu’elles sont articulées à d’autres questions de société.

La réflexion que je propose sur l’intentionnalité est phénoménologique. Dans ces matières il est difficile d’être objectif. Au moins faut-il éviter d’habiller de rationalité des prises de position subjectives. La méthode phénoménologique veut revenir à ce qui fait sens pour notre conscience, à ce qui sous-tend nos positions. Cette approche – dont on ne mesure pas assez l’importance pour l’éthique, mais aussi pour le politique – interprète les désirs, les affects, met en lumière leur sens sous-jacent. Elle interroge le sens et non la vérité et évite le dogmatisme comme l’intuitionnisme.

Vous avez distingué l’individualisme d’une approche de responsabilité, primant sur la liberté. Il faut noter d’ailleurs que cet individualisme consiste non seulement à faire primer sa volonté mais aussi à exiger de la société les moyens de la mettre en œuvre, en quoi on est loin du libéralisme classique de Stuart Mill, où l’État n’interdit pas mais n’a pas non plus à m’aider : à l’affirmation d’un libre choix s’ajoute aujourd’hui l’exigence que la société en offre les moyens, ce qui pose problème. Vous avez rencontré le même type de problème à propos de la fin de vie, avec la différence entre le suicide, acte privé, et la demande d’une aide de la part du système de soins, laquelle pouvait entrer en contradiction avec certains aspects des droits de l’homme et avec les valeurs qui sous-tendent nos institutions.

Quoi qu’il en soit, je pense en effet qu’en bioéthique – et peut-être plus généralement en philosophie politique – l’ambition est de dépasser deux impasses. La première consiste, devant des positions irréconciliables, liées au pluralisme des visions substantielles du monde, à s’en tenir à un minimum qui sera le principe de permission. Mais cette éthique « minimale » laisse passer beaucoup de choses ; et elle ne permet pas de répondre aux problèmes qui soulèvent de graves enjeux moraux. Lincoln refusait qu’on laissât chaque État libre de se prononcer pour ou contre l’esclavage : la neutralité axiologique de l’État est impossible sur certaines questions qui engagent profondément les choix de société. La seconde impasse consisterait à faire prévaloir la vision morale propre à tel ou tel groupe. Je propose pour ma part d’utiliser une méthode inspirée du communautarisme américain – qui n’a d’ailleurs rien à voir avec ce qu’on appelle ici « communautarisme » – : c’est une méthode de redescription immanente des valeurs sous-tendant nos institutions. Celles-ci renvoient en effet à des évaluations et à une tradition du libéralisme politique. Cette redescription, cette explicitation des valeurs implicites à nos institutions est de nature à faire émerger nos valeurs communes. Ce sont ces « biens collectifs » qui guideraient une législation sage sur des questions difficiles comme celles de la bioéthique. Il s’agit en somme d’articuler ces questions aux valeurs qui sous-tendent nos institutions et qui définissent l’identité narrative de notre pays, son ipséité – quand bien même il s’approprierait des normes bioéthiques internationales, mais à sa manière : la bioéthique ne peut être mondiale.

S’agissant de l’autonomie, j’ai tenté de faire une étude de tous les déplacements de sens qu’a connus cette notion depuis Kant. Pour lui, c’était obéir à l’universel en moi, mais on s’en fait aujourd’hui une idée assez différente… Notre société colporte des représentations négatives et privatives de la vieillesse et du handicap. Pour y remédier, je propose une éthique de la vulnérabilité inspirée de Lévinas, fondée sur une triple expérience de l’altérité, où la subjectivité est fondée sur la sensibilité. J’évite ainsi de réduire la dignité à la possession de la raison, le « dignitomètre » que refusait M. Leonetti. La vulnérabilité est liée à l’idée que la subjectivité est sensibilité, susceptible de souffrance, vie marquée par le malgré soi, passivité et fragilité essentielles du vivant, révélées dans l’expérience de la maladie. Cela doit être articulé de façon rigoureuse à l’idée de l’ouverture à l’autre, au besoin de l’autre, à la responsabilité pour l’autre. Lévinas, en réponse à Heidegger, signale cette co-originarité entre l’altérité du corps propre (la fragilité), la responsabilité pour l’autre (c’est une altérité en moi, une identité définie par une responsabilité pour l’autre non nécessairement liée à une dette que j’ai contractée) – et un intérêt pour les institutions qui renvoie à une réflexion sur l’espace public, lieu de ma découverte de moi.

Il appartient au philosophe de faire de telles propositions, afin d’enrichir l’anthropologie sous-jacente à la philosophie du sujet, une philosophie à laquelle on doit beaucoup mais qui s’avère insuffisante pour éclairer les problèmes contemporains.

M. Paul Jeanneteau. Vous avez parlé des priorités que la société pouvait se fixer concernant la recherche sur les cellules souches. Mais n’est-ce pas contraire à la notion de recherche fondamentale ? Les plus grandes découvertes n’ont-elles pas été faites par des chercheurs qui travaillaient sur tout autre chose ?

J’ai cru comprendre que vous souhaitiez la fin du DPI, sans être certain que vos propos étaient aussi tranchés. Pourriez-vous les préciser ? Doit-on imaginer un curseur que l’on déplacerait selon la gravité de la pathologie ?

Enfin, vous avez parlé de la dignité. Sur quoi peut-on s’appuyer pour la définir ? En quoi l’homme est-il digne ?

M. Jean-Marc Nesme  Comment situez-vous dans votre réflexion les principes universels admis par la communauté internationale ? Je pense notamment à l’indisponibilité du corps humain, à sa non marchandisation, etc.

Mme Corine Pelluchon  Je ne suis pas du tout opposée au DPI, qui pose d’ailleurs moins de problèmes que le DPN puisque ce dernier peut déboucher sur des avortements tardifs, difficiles pour les parents. Par contre, je m’oppose à l’élargissement des tests à toutes les prédispositions.

Vous avez raison de dire que fixer des priorités à la recherche, c’est l’interdire. Il ne faut pas borner la recherche fondamentale à des applications. Mais mon travail de philosophe est d’être intempestive : or il me semble que dans la manière dont on pense la recherche internationale, il est rare que l’on s’interroge sur ce que l’on fait et pourquoi, d’autant que tout cela représente beaucoup d’argent. Comment organise-t-on la recherche au niveau international ou européen ? En fonction de quels critères ? De la demande de certains groupes ? Je me rappelle que Joël Ménard, malgré son enthousiasme pour le plan Alzheimer dont il avait la charge, n’a pas manqué de poser la question de l’équité entre les générations. S’il est bien de dépenser de l’argent pour les personnes âgées, on ne peut pas non plus oublier les jeunes.

Le président. Souhaitez-vous que l’on soit plus dirigiste sur les thèmes de recherche que la société accepte de financer ?

Mme Corine Pelluchon. Oui et non. Le terme « dirigiste » est un peu fort, mais il faut au moins que l’on s’interroge et que l’on soit plus transparent. La compétition est-elle nécessaire entre les équipes ? Oui, mais comment pense-t-on la compétition ? N’y a-t-il pas moyen de s’organiser et de partager les tâches ?

Qu’est-ce qui définit la dignité de l’homme ? Je pense que la dignité n’est pas fonction de, ou proportionnelle à la possession de la raison, de la mémoire, de l’autonomie, de la capacité à décider par soi-même. Elle est donnée. En m’inspirant de la phénoménologie de la passivité de Lévinas, j’ai tenté de construire une éthique de la vulnérabilité qui aboutit à penser l’humanité de l’humain d’une manière qui dépasse la violence latente de l’humanisme classique.

Dès lors que je définis la subjectivité par la sensibilité, articulée à la responsabilité pour l’autre, j’invite à réfléchir aux traitements que l’on inflige aux autres espèces animales ; mais je ne nie pas pour autant la spécificité de l’homme, qui tient justement à sa responsabilité. La connaissance et la science donnent un privilège qui rehausse cette responsabilité. À cet égard, on n’a pas encore tiré toutes les conséquences philosophiques de la démarche de la complexité dans les sciences du vivant : qu’est-ce qu’un objet scientifique ? Quels sont les outils d’interprétation de la nature ? Rien de cela n’est neutre.

Les principes universels admis par la communauté internationale sont des outils très intéressants : ainsi, le principe de non-patrimonialité du corps a été utilisé pour fonder la non-brevetabilité du vivant. Mais ce qui m’intéresse, c’est de montrer ce qui est problématique ; aussi me semble-t-il utile de rappeler le soubassement théologique de la notion d’indisponibilité du corps. Pour Saint Thomas, quelqu’un qui utilise n’importe comment son corps blesse son âme et blesse Dieu. Ainsi, je ne peux pas utiliser mon corps à ma convenance, il ne m’appartient pas. Pour d’autres, qui invoqueront Locke, mon corps m’appartient ; je peux donc en tirer le bénéfice que je veux à condition que je me conserve (c’est la loi naturelle et Locke s’oppose au suicide). Et de fait notre société, qui invoque le principe d’indisponibilité, n’en a pas moins à cet égard deux poids et deux mesures : que faire de la pornographie, par exemple ? L’indisponibilité reste un beau principe, qui peut être utilisé pour certains problèmes, mais je crois qu’il vaut mieux, pour d’autres questions, déplacer l’accent, par exemple vers une interrogation sur le sens de la parentalité. C’est ce que j’ai tenté.

Ces grands principes ne sont pas toujours suffisants. Considérons par exemple le principe de l’anonymat. S’agissant de la GPA, à laquelle initialement je n’étais guère favorable, le réalisme politique voudrait toutefois que l’on cesse de fermer les yeux sur le tourisme procréatif et sur le sort des enfants privés d’état civil. Je dois dire que sur cette question, Israël Nisand m’a éclairée. Si on interdit tout, disait-il, on risque un jour – au gré de promesses électorales – de tout autoriser. Pourquoi ne pas choisir plutôt de ne pas interdire la GPA dans des cas exceptionnels, quand il s’agit vraiment d’un don – un don de soi, radical, différent du don de gamètes, dont je ne remets nullement en cause le caractère anonyme et gratuit ?

Un pays peut s’approprier à sa manière propre certains principes dégagés par la communauté internationale – et particulièrement la France. Aux États-Unis, c’est différent : vous pouvez faire tout ce que vous voulez, du moment que vous payez. Non pas qu’ils soient obsédés par l’argent : ce dernier lui-même est pensé autrement ; c’est toute une autre conception. Il y a plusieurs idées de la liberté. Chez les Anciens, l’État s’immisçait dans la sphère privée ; la liberté résidait dans la participation à la Cité. Ensuite est venu le schéma libéral, à la John Stuart Mill, pour lequel l’État et la vie privée doivent rester séparés. C’est cette conception qui prévaut aux États-Unis. En France, nous sommes face à un défi : nous avons une histoire, une tradition très forte qui incline l’État à intervenir pour soutenir certaines actions et institutions (la famille, etc). Je pense que l’on pourrait définir des priorités, les assumer et prendre des positions en fonction d’elles. Mais il faudrait prendre le temps nécessaire pour effectuer ce travail de redescription et le soumettre à la délibération publique. Peut-être aussi faudrait-il donner du temps au temps, travailler d’abord sur certains points et en ajourner d’autres.

M. Michel Vaxès. Vous avez expliqué combien il peut être dangereux de penser l’individu en termes biologiques. Ne pensez-vous pas que beaucoup de confusions et de complexités tiennent à l’ambiguïté qui pèse sur la définition même de l’homme : est-il seulement une réalité biologique, est-il une réalité socio-historique ? Cette dialectique me paraît importante pour répondre aux questions auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés.

M. le rapporteur. Ma question est voisine, même si ma philosophie n’est pas marxiste. Vous avez évoqué une certaine obsession biologique, et même généalogique, et cela pose un problème intéressant au regard de la conception politique qui prévaut dans notre pays. Un enfant qui vient sur ce territoire, parce qu’on lui parle français, parce qu’il finit par penser la langue qu’il parle, parce que l’on considère que c’est son éducation qui fait ce qu’il est, est français. Cette conception est au fondement de nos valeurs communes. Comment se fait-il que, aussi confiants dans l’éducation, nous puissions être les esclaves d’une vision génétique, biologique, généalogique de l’individu ? Comment pouvons-nous croire aveuglément dans la prédictivité des tests génétiques et mettre de côté l’environnement, facteur déterminant dans la survenue de la plupart des pathologies ? Comment pouvons-nous à la fois donner des gamètes de façon anonyme – avec l’idée que cela ne conduira pas à la naissance d’individus en tous points semblables à nous – et exiger des enfants qui proviennent exclusivement de nous ? Nous assistons à la fois à une réification et à une sacralisation de notre corps – l’idée que, lorsque nous aurons maîtrisé la génétique, nous maîtriserons notre vie et peut-être même vaincrons la mort ; comment en sommes-nous arrivés à une conception si antinomique ?

M. Paul Jeanneteau. Vous vous êtes prononcée pour l’anonymat du don de gamètes. Doit-on pouvoir connaître ses origines ? Si oui, doit-on avoir accès à la totalité des informations ou à une partie d’entre elles seulement ?

S’agissant de la GPA, vous avez expliqué que les personnes concernées iraient ailleurs si on ne répondait pas à leur demande. C’est vrai, et pourtant cet argument me semble irrecevable puisqu’il pourrait justifier que nous décalquions notre loi sur les législations les plus permissives. Ne pensez-vous pas au contraire qu’un pays, sur un pacte républicain, puisse définir les valeurs qui fondent la vie en communauté ? Selon vous, la loi de bioéthique doit-elle se contenter de fixer un cadre – par exemple une autorisation de principe, avec renvoi des cas singuliers à l’ABM – ou définir plus précisément les cas pour lesquels la GPA est autorisée ?

Mme Corine Pelluchon. Au XXe siècle, des philosophes comme Husserl ont montré que le corps ne pouvait être détaché de l’identité. C’est sur cette idée très juste d’une identité incarnée que s’est greffée une conception déviante de l’être comme identité biologique, liée à l’idée d’une communauté de sang. Lévinas a analysé en 1934 ce mouvement qui a rendu possible l’installation de l’hitlérisme, montrant combien il était dangereux de penser l’homme comme un être « rivé à son corps ». L’idée centrale, aux racines de l’Occident, est celle d’une liberté comme transcendance. Même pour le marxisme, s’il y a un déterminisme social, ce n’est pas la vocation de l’homme que de rester aliéné.

Pour autant, on ne peut pas penser l’être indépendamment du corps, ce que Lévinas appelle l’« adhérence » – même quand je souffre, je ne peux m’ôter de ma peau. J’irai jusqu’à dire que le rapport entre la personne juridique et le moi charnel est encore à inventer et je crois que l’éthique de la vulnérabilité aura (c’est le travail que je fais) des implications sur la reconfiguration de certaines catégories juridiques. Loin d’être atomisé, le moi charnel est « situé », comme disait Sartre, il a une histoire, il se place dans un contexte socio-historique : la société n’est plus un agrégat d’individus. Les « communautariens » américains (si mal nommés), comme Sandel à l’occasion de sa relecture de Rawls, ont souligné cette dimension.

Monsieur Leonetti, il faut en effet se demander comment nous en sommes arrivés à cette conception antinomique, dans un pays qui a pourtant tant misé sur l’éducation. La seule façon de résister à cette idéologie délétère – dont nous ne nous préservons pas assez – est d’insister sur le rôle crucial de l’éducation et de l’école. Les débats sur la loi de bioéthique pourraient être l’occasion d’un travail interministériel dans ce domaine, afin de faire en sorte que plusieurs générations s’approprient ces questions.

Je ne cherche pas tant à répondre à la question « Faut-il ouvrir les PMA aux homosexuels, aux femmes célibataires ? » qu’à essayer de comprendre ce qui sous-tend les désirs des gens. Beaucoup de choses seraient sans doute possibles si nous étions mieux armés sur le plan des valeurs fondatrices de notre société et de l’identité française, qu’il s’agisse de l’éducation, ou de la responsabilité – à cet égard le rapport Colombani sur l’adoption est excellent. Les politiques doivent effectuer des gestes forts. Les philosophes aussi ont du travail : la plaie de l’individualisme et des problèmes de la démocratie a été suffisamment grattée. Il y a eu les grands, comme Léo Strauss et sa critique constructive de la modernité, puis les moins grands, les déclinistes. Désormais, les philosophes peuvent proposer quelque chose de nouveau. Dans les pays anglo-saxons, on trouve depuis trente ans des théories de la justice très intéressantes et nuancées : il faudra les rendre accessibles au public français. Du côté européen, la phénoménologie nous donne des outils majeurs. Tout cela ouvre des pistes pour penser les soins palliatifs ou l’accompagnement de la fin de vie sans prôner l’euthanasie ou se tenir au principe religieux du « tu ne tueras point » – même si une redescription phénoménologique des conceptions et des modes d’être religieux serait un travail philosophique utile. Je fais confiance à la créativité des philosophes ; je ne parle pas des « gourous éthiques », qui habillent de philosophie de simples opinions personnelles. Ce sont des efforts millénaires qui risquent d’être ruinés si nous laissons s’installer ce climat délétère lié à une obsession biologique, je dirai même généalogique, au risque de déplaire aux psychologues.

Qu’en est-il du droit à connaître ses origines ? Il est difficile de vivre, peut-être encore plus lorsque l’on ne connaît pas ses origines biologiques. Sans doute devons-nous aider ces personnes et entendre leur souffrance. Mais j’estime qu’il faut protéger les femmes qui accouchent sous X et les donneurs de gamètes. Et quand je lis que refuser la levée de l’anonymat, c’est priver l’enfant d’une partie non seulement de son histoire, ce qui est vrai, mais aussi – comme je l’ai lu – « de son humanité », je suis choquée : les enfants adoptés n’auraient donc pas d’humanité ? La dignité d’un être serait liée à ce qu’ont fait ses parents, à leur identité ? Cessons de toujours renvoyer les personnes à leur passé, à celui de leurs parents : cela les empêche d’exister – ek-sister, sortir de soi –, d’oser être. Même Freud appelle à la sublimation ! Il règne un climat extrêmement conformiste qui enferme l’individu dans son passé, voire son passé biologique. On entend beaucoup de discours sur le droit des enfants à connaître leurs origines, aucun sur ce qui sous-tend ces demandes.

Monsieur Jeanneteau, ce n’est pas parce que je parle de réalisme politique que j’estime que le droit doit consacrer toutes les pratiques. La seule raison, selon moi, pour laquelle il ne faut pas interdire la GPA, c’est si celle-ci devient une figure radicale du don, voire de la substitution, dans des situations exceptionnelles. Certes, la loi ne nous demande pas d’être de bons Samaritains, mais au nom de quoi interdirait-elle la bonté et le don de soi ? Les cas doivent être évalués dans des commissions régionales par des médecins dont c’est la responsabilité et la compétence. Comme l’écrit Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, la loi n’est pas magique, elle ne peut pas tout régler. D’où le rôle qu’il attribue à la prudence, vertu du bon politique, du bon juge et du bon médecin. La prudence, dit-il, serait le juste milieu, tel qu’il serait déterminé rationnellement par l’homme prudent. Autrement dit, face à une situation d’incertitude, on ne dispose pas de la justice « en soi » comme d’une règle qu’il suffirait d’appliquer : ce n’est pas la justice qui doit être juste, mais l’homme qui la rend. C’est pourquoi il est important que les personnes qui composent les commissions aient les traits moraux et le sens du service requis. Au total, donc, une loi-cadre, mais qui définisse bien les principes et les éclaire par des priorités ; et pour les cas concrets l’exercice de la prudence par les membres des commissions, par des médecins, peut-être par l’Agence de la biomédecine.

Restera enfin à définir les contre-pouvoirs, ce qui passe par l’éducation. Face aux problèmes que les nouvelles techniques ne manqueront pas de nous poser, nous serons obligés de consolider la société, et à défaut de fournir des réponses, d’apporter de nouvelles pistes.

M. le président. Merci pour cette contribution passionnante. Peut-être aurons-nous l’occasion de vous retrouver, dans le cadre de votre travail sur les espaces éthiques régionaux.

Table ronde avec M. Olivier ABEL, professeur de philosophie éthique à la faculté de théologie protestante de Paris, membre du CCNE, M. Didier SICARD, professeur de médecine, ancien président du CCNE, M. Haïm KORSIA, Grand rabbin, aumônier général israélite des armées et M. Xavier LACROIX, philosophe, théologien, professeur d’éthique à l’université catholique de Lyon, membres du CCNE


(Procès-verbal de la séance du 21 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Les travaux de notre mission d’information font suite à un ensemble de rapports émanant du CCNE, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et de l’Agence de la biomédecine, et nous attendons le rapport du Conseil d’État, dont la parution est prévue pour le mois de mars. Nos travaux pourraient par ailleurs se poursuivre dans le cadre d’une commission spéciale, qui serait mise en place lors du dépôt d’un projet de loi sur le Bureau de l’Assemblée nationale.

Jean Leonetti, en qualité de président du comité de pilotage, évoquera certainement les États généraux de la bioéthique, voulus par le Président de la République, qui se tiendront d’ici le mois de juin et dont les conclusions seront un de nos éléments de réflexion pour établir notre rapport. Jean Leonetti et moi-même avons invité les quatre autres membres du comité de pilotage à participer à nos auditions.

Pour nos concitoyens, les lois de bioéthique sont porteuses de nombreux espoirs, mais également de craintes. Comme nous l’avions fait à l’OPECST avec Jean-Sébastien Vialatte, nous avons souhaité que notre mission auditionne les représentants des principaux courants religieux et philosophiques de notre communauté nationale afin d’éclairer les parlementaires que nous sommes.

Nous attendons de vous, messieurs, que vous nous disiez quels sont les points qui méritent d’être clarifiés ou n’ont pas encore été abordés et, surtout, quels sont ceux sur lesquels vous ne transigez pas, qu’il s’agisse de la recherche ou de l’assistance médicale à la procréation (AMP).

Je vais tout d’abord donner la parole à M. Olivier Abel, professeur de philosophie éthique à la Faculté de théologie protestante de Paris, membre du Comité consultatif national d’Éthique (CCNE), chargé d’enseignement à l’École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS), puis à M. Didier Sicard, professeur de médecine et ancien président du CCNE, qui remplacera M. Olivier Abel lorsque celui-ci sera obligé de nous quitter pour participer à une autre réunion.

Je constate que M. Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman, ne nous a pas encore rejoints.

M. Olivier Abel. Étant en effet contraint de vous quitter vers dix-sept heures trente, j’ai demandé à M. Didier Sicard de me remplacer. Bien que je ne connaisse pas ces questions aussi bien que lui, je me propose de vous présenter quelques orientations générales. Quant à lui, il vous précisera sans doute les points sur lesquels nous manifestons plus de fermeté et ceux sur lesquels nous sommes ouverts ou perplexes.

Dans le domaine éthique, le monde protestant n’a pas de magistère, et l’expression protestante a ceci de particulier qu’elle fait appel à la responsabilité de chacun. Nous ne nous cachons pas derrière des principes ou des lois qui auraient valeur absolue et pour tous : nous sommes donc ouverts au débat. Pour les protestants, le dissensus lui-même a une valeur pédagogique. Je suis donc très heureux de la tenue d’États généraux sur ces questions, car je pense que le débat public permettra de dégager les questions essentielles.

Pour avoir été pendant vingt ans président de la commission d’éthique de la Fédération protestante, je mesure à peu près dans quel sens nous allons sur toutes ces questions. Je pense pour ma part que la loi doit avant tout s’occuper de la fragilité, et que notre responsabilité est d’aider les plus fragiles d’entre nous. Je parle de la fragilité des personnes, mais également de celle des institutions, qui ne sont pas toujours aussi solides et aussi puissantes que nous le souhaiterions, sans oublier la fragilité du monde naturel, qu’il faut avoir présente à l’esprit dans les domaines de la recherche.

Dans le domaine éthique, la peur, non pas tant la « peur de » que la « peur pour », pour les fragiles, oriente aujourd’hui nos réflexions – peut-être de façon excessive. Autrefois, l’éthique était tournée vers la recherche d’un bien commun ; aujourd’hui, nous sommes plutôt mus par la crainte du pire.

L’éthique protestante n’aime pas les paniques, les peurs excessives et les superstitions ; elle n’aime pas non plus les convoitises et les idolâtries, l’illusion qu’on va résoudre tous les problèmes. Nous refusons tout optimisme excessif, mais également tout pessimisme excessif. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que tout est perdu et nous rejetons les visions apocalyptiques du monde. Nous savons bien que certaines peurs, tout comme certains espoirs démesurés, au bout d’un certain temps, apparaissent un peu risibles. Les débats sur le clonage nous ont appris une chose : le public peut se passionner pour une question et, quelques années plus tard, la regarder plus sereinement.

Mais ces paniques font émerger des questions sérieuses, par exemple celles qui touchent à l’identité génétique. La référence aux empreintes génétiques fait l’objet d’une emphase excessive – on l’a vu notamment en matière d’immigration –, alors que l’identité d’un individu est essentiellement culturelle, juridique et familiale. Et surtout, elle est portée par une parole. Cet épisode a surtout démontré la fragilité de l’identité dans notre société. Derrière les grands débats sur les questions bioéthiques, on découvre souvent des questions de société : fragilité de nos formes d’identité, mais aussi de nos formes de famille – et je suis pour ma part très attentif à la réduction de la filiation au seul lien de la mère à l’enfant ; les droits accordés aux personnes seules m’inquiètent plus que ceux des couples homosexuels.

Nous pensons qu’il n’y a pas de réponse technique à toutes les questions, mais nous ne croyons pas non plus que la technique ne doive rien changer à une condition naturelle qui serait de nature divine. Le monde naturel n’a rien de divin et il ne faut pas sacraliser le corps. C’est un point important par rapport aux dons d’organes et à la pratique de l’autopsie, par exemple. Notre culture a peut-être trop valorisé le corps. En matière de greffes d’organes, il est clair que les familles, après une mort accidentelle, traversent un moment de trouble et qu’il leur est difficile d’accepter le prélèvement… Si nous voulons encourager le don d’organes, il faut dire à ces familles qu’il ne faut pas sacraliser le corps. Nous avons souvent évoqué cette question au sein de la Fédération protestante de France. Face à des paniques et à des convoitises excessives, il faut faire preuve de sobriété.

Je pense par ailleurs qu’il est important de placer les questions éthiques dans un cadre plus large que celui de la seule morale, car elles sont inséparables des questions culturelles – la même technique, en effet, ne soulève pas les mêmes problèmes dans des mondes dont la culture et les mœurs sont différents – mais également des questions sociales, car les milieux précaires sont souvent les plus touchés. Elles sont également inséparables des questions économiques. En effet, si la santé n’a pas de prix, elle a un coût, dans un monde où les moyens ne sont pas illimités. Nous devons donc définir des priorités, et celles-ci doivent être d’aider les plus faibles et de servir l’intérêt général, plutôt que d’engager des fortunes dans des projets exceptionnels ou de portée très limitée. Elles sont enfin inséparables des questions juridiques.

En bref, tout ne s’achète pas, tout ne s’enseigne pas, tout ne se soigne pas, et tout ne se moralise pas : certaines questions très complexes ne sauraient être réduites à la dimension morale.

Par ailleurs, nous ne pensons pas qu’il existe une solution éthique à tous les problèmes. Quand on parle d’éthique, on pense généralement au choix, au consentement. Sur ce point, je reconnais que la culture protestante a peut-être trop valorisé l’individu – libre, émancipé et consentant. Peut-être sommes-nous allés trop loin dans cette anthropologie du choix, car le sujet ne peut tout choisir et tout décider, pour lui-même comme pour ses proches. L’idéologie du choix a une limite.

Cependant – et ceci est proprement éthique – il faut faire la place à la conversation. Certaines questions ne relèvent ni de la loi, ni du principe intangible qui vient d’en haut, mais bien du dialogue. C’est le cas de bien des questions autour de la naissance, de la mort, des bifurcations de la vie dues à des accidents : dans ces situations, on a besoin d’une parole, et non d’une simple information, fut-elle médicale ou biologique. Cette parole est importante, elle doit circuler, mais avec des limites, comme le secret médical ou les règles de confidentialité. La problématique des mères porteuses l’illustre bien : l’identité de l’enfant est portée par une parole. Il ne faut pas « saucissonner » les problèmes : procréation et gestation ne doivent pas être considérés isolément d’un projet parental – encore que la notion de « projet » me paraisse trop étroite : l’essentiel, c’est la parole dans laquelle l’enfant est accueilli. Selon André Dumas, l’un de mes prédécesseurs au sein du monde protestant, s’il existe « une parole qui raconte avec amour », les parenthèses techniques sont secondaires. La parole a donc une place très importante. J’irai jusqu’à dire que s’il y avait plus de lieux de parole, pour faire face notamment à l’euthanasie et aux soins palliatifs, les solutions techniques seraient mieux acceptées.

Il n’y a pas non plus de solution juridique à tous les problèmes. L’idéal serait d’ailleurs de s’en tenir à un cadre juridique minimal, et je suis très proche de Jean Carbonnier qui préconisait de « légiférer très sobrement ». Cependant, dans la mesure où il existe des personnes fragiles et des patients privés d’autonomie, nous ne pouvons pas tout faire reposer sur la responsabilité individuelle – surtout quand on sait le poids des intérêts économiques et des évolutions sociologiques. La loi a donc une fonction de protection ; elle doit réaffirmer la non-commercialité du corps humain et la non-brevetabilité du génome, dont la Fédération protestante a rappelé à plusieurs reprises le caractère indiscutable. En affirmant que tout ne s’achète pas, nous protégeons l’humanité de ces nouvelles formes d’esclavage qui se développent aujourd’hui dans le monde.

Enfin, il n’y a pas de solution technique ou biomédicale à tous les problèmes. Cessons de croire que les questions trouveront toujours une réponse : apprenons à vivre avec les problèmes de façon durable et sachons accepter des compromis complexes, car ces questions ne sont pas uniquement biologiques, juridiques ou morales.

Pour autant, il faut avoir confiance dans les progrès de la science et faire crédit à la recherche scientifique, car elle peut apporter demain des solutions à des problèmes qui paraissent insolubles aujourd’hui. Gardons-nous de passer d’un excès d’optimisme à un excès de pessimisme.

Nous devons toutefois être attentifs sur un point : la recherche ne doit pas déchirer le voile d’ignorance et les institutions humaines doivent admettre la part d’inconnu qui existe en chacun de nous. Le sujet humain nous étant inconnu, nous ne pouvons pas programmer un eugénisme. Quant à la confidentialité, elle est essentielle pour pouvoir redonner une chance à chacun : c’est le rôle des institutions de santé, mais également celui de l’école, de l’hôpital, de la prison et de toutes les grandes institutions. Il nous est arrivé de croire que nous pouvions connaître parfaitement une personne, notamment sur le plan biologique. Or, c’est totalement faux, et les textes de loi doivent en tenir compte. Nous ignorons encore beaucoup de choses. Et même si ce n’était pas le cas, la loi devrait préserver des voiles d’ignorance pour permettre à chacun de vivre sans savoir totalement qui il est : c’est une exigence politique, juridique et éthique.

Nous vivons un moment difficile, marqué par le décalage entre les pouvoirs des décideurs et des chercheurs, mais aussi des puissances économiques et des créateurs d’images de vie bonne – je pense notamment à la télévision –, et les responsabilités individuelles et institutionnelles qui devraient les accompagner. Paul Ricœur disait : « À pouvoirs accrus, responsabilités accrues ». Nous devons rétablir une responsabilité à la hauteur de ce pouvoir, parce qu’il finit toujours par s’exercer sur les plus faibles.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les grandes orientations que vous venez de nous exposer sont des questionnements plus que des affirmations dogmatiques. Est-ce à dire que, pour la communauté protestante, la loi doit être avare de mots et que les réponses doivent être apportées au cas par cas ? Il s’agit certes d’une religion du Livre qui n’a pas de doctrine établie, qui s’appuie plus sur le Livre lui-même que sur son interprétation. Pour autant, pouvez-vous nous faire part des orientations de votre communauté sur quelques sujets importants ? Ainsi, si j’ai bien compris, vous n’êtes pas opposé aux greffes d’organes. Acceptez-vous que l’on puisse prélever des cellules sur un embryon qui ne fait plus l’objet d’un projet parental et qui pourrait être détruit ? Que pensez-vous de la médecine prédictive, pour les cas qui entrent dans le cadre des lois de bioéthique ? Quels sont les points sur lesquels vous êtes d’accord, ceux sur lesquels vous vous interrogez et enfin ceux que vous voudriez voir modifiés ?

M. Jean-Luc Préel. Je vous ai écouté avec intérêt et je pense avoir compris les grands principes que vous avez énoncés, mais pensez-vous qu’une loi soit nécessaire et, dans l’affirmative, dans quel domaine ? Trois exemples : êtes-vous favorable aux recherches sur l’embryon ? Pensez-vous qu’il faille donner un cadre à l’AMP, concernant notamment l’obligation de vivre en couple ou l’âge des parents ? Que pensez-vous de la possibilité de recourir à une mère porteuse ?

M. Xavier Breton. Vous nous proposez des méthodes de questionnement, mais toutes ces questions ont-elles des réponses, et celles-ci sont-elles individuelles ou collectives ?

Par ailleurs, vous affirmez qu’il n’y a pas de solution juridique à tout, pas plus que de solution technique ou éthique, mais vous nous invitez néanmoins à croire au progrès technique. Pourquoi ne pas faire également confiance aux progrès dans les domaines juridique et éthique ?

M. Michel Vaxès. On peut considérer que la vie commence dès le moment où des cellules se multiplient, et cela vaut tant pour l’espèce humaine que pour les animaux, voire les végétaux ; mais à quel moment situez-vous le début de l’humanité ?

M. Olivier Abel. J’ai bien compris que mes orientations d’ordre général ne vous sont pas très utiles, mais mon propos était simplement de démontrer que certaines questions – et c’est assez tragique – ne trouveront jamais de solution juridique. Cela ne doit pas nous empêcher de garder confiance dans les capacités de chacun, sur le plan éthique et civique, de croire qu’il est possible de proposer de meilleures lois, susceptibles d’introduire un degré supplémentaire d’humanité et d’intelligence, de croire enfin aux progrès modestes des sciences, tout en gardant à l’esprit que celles-ci ne sauraient être une religion.

Monsieur Vaxès, vous m’interrogez sur le début de l’humanité : je ne puis vous répondre au nom de la communauté protestante unanime, car celle-ci est très divisée sur la question du statut de l’embryon. Mais cette perplexité même éclaire notre situation. Je pourrais, pour vous répondre, nier les oppositions qui existent sur cette question au sein de notre communauté, mais ce serait dommage. Car l’opposition entre ceux qui croient que Dieu, avant même la conception de l’homme, avait prévu et voulu l’existence de chacun, et ceux qui nient la continuité de la vie, dévoile une condition tragique, qui est présente peut-être depuis toujours.

Dans son très beau livre La condition fœtale, le sociologue Luc Boltanski écrit que l’embryon sera ce que nous en ferons. Ce qui est tragique, c’est que l’embryon dépend de nous, du traitement que nous en faisons. Nous pouvons le traiter comme un simple matériau de recherche. Cela dit, je peux concevoir la recherche sur les embryons surnuméraires, surtout s’ils ne font plus l’objet d’un projet parental, mais il est en revanche totalement exclu de fabriquer des embryons dans ce but : ce serait d’emblée les instrumentaliser !

Il en va de la recherche sur les embryons comme de l’avortement : le malheur existe, c’est un fait ; nous devons essayer de l’amoindrir. Le statut du fœtus nous renvoie à des situations toujours tragiques. Cessons de prendre ces situations à la légère et de croire qu’on peut y répondre une fois pour toutes, car cela n’est pas possible. Mais le fait d’en débattre est une bonne chose, même s’il accroît la perplexité, car il accroît aussi la prise en compte de la vulnérabilité des êtres humains, notamment la mère et l’enfant.

S’agissant de la procréation médicalement assistée, je suis convaincu qu’elle doit se limiter au cadre du couple et qu’il ne faut pas l’étendre aux personnes seules. D’ailleurs, je ne suis pas favorable à l’adoption par une personne seule et je suis effrayé, en tant que moraliste, de l’effondrement de la conjugalité au profit de la filiation, qui seule semble nous intéresser aujourd’hui.

En bref, je souhaite que toutes ces démarches soient parfaitement cadrées et surtout que la parole y prenne toute sa place.

J’en viens au recours à une mère porteuse. De façon exceptionnelle, dans un cadre qui ne serait pas commercial, pourquoi pas ? L’interdit n’améliorerait pas les choses, et peut-être amènerait les personnes à agir dans l’illégalité. Cela dit, il n’est nullement question d’en faire un mode normal de gestation et de procréation. Au fond, je trouve ces questions risibles, car dans trois siècles, les enfants seront toujours, en général, faits par un couple, composé d’un homme et d’une femme. Tout le reste, je n’y crois guère…

M. Didier Sicard. La finalité de la loi, dans ce domaine, n’est pas tant d’encadrer les progrès de la science que de les mettre au service de ceux qui en ont besoin et des plus vulnérables. Or cette dimension, pour moi essentielle, manque à la loi actuelle. Depuis leur apparition, il y a cinq ou six ans, les neurosciences enregistrent des progrès spectaculaires, mais on voit poindre la tentation de réduire la personne à ce qu’en révèle l’imagerie fonctionnelle. Le risque existe dans le domaine judiciaire et ailleurs ; c’est pourquoi il est nécessaire de prévoir, dans les lois de bioéthique, des protections en mesure d’éviter tout risque de discrimination à partir d’une imagerie. Il ne faut pas avoir peur des neurosciences, mais la loi doit nous protéger de leur usage abusif.

Dans le domaine des greffes, je suis frappé de constater l’écart qui existe entre les notions de non-patrimonialité – comme si celle-ci était depuis toujours inscrite dans le marbre de la loi – et le « don » d’un organe du vivant de la personne. Malheureusement, dans la plupart des pays où l’on pratique les greffes entre vivants, ce sont les plus vulnérables, généralement les femmes, qui donnent leurs organes. L’État doit se donner les moyens de plus intervenir dans la protection de ces donneurs. Je trouve impressionnant, d’autre part, l’écart qui existe entre la loi, qui se réfère à un certain imaginaire du don du corps, et la situation concrète des équipes chirurgicales, qui ne sont pas suffisamment aidées et reconnues dans les actions de prélèvements, au profit des seuls actes de greffes. Il manque une attention au réel.

Enfin, pour les protestants, l’embryon n’est pas sacré : ils ne se posent donc pas la question du moment de l’apparition de l’âme. Ils n’en sont pas moins obsédés par l’idée qu’un enfant, lorsqu’il vient au monde, doit être protégé par la société, plus encore que ses parents. Or, il semble que les lois bioéthiques actuelles tendent de plus en plus à favoriser les moyens de contourner la stérilité, mais guère à réfléchir aux conditions de l’accueil de cet enfant. Il faudrait chercher une manière d’écrire la loi qui prenne en compte cette dimension.

Plus que l’affrontement vain entre le « projet parental » et la vision biologique de l’être à venir, les protestants privilégient la « parole faite chair », c’est-à-dire l’enfant pour lui-même.

Pas plus qu’Olivier Abel, je ne souhaite diaboliser la gestation pour autrui, mais il est évident que, dès que la loi le permettra, ce sont les femmes les plus pauvres qui proposeront leur utérus. A la rigueur, la gestation pour autrui pourrait s’inscrire dans le champ des greffes d’organes. Ainsi la possibilité exceptionnelle offerte à une femme de prêter son utérus à sa propre sœur, sous le contrôle de l’Agence de biomédecine et dans des conditions seulement intrafamiliales, ne me paraît pas à écarter par la loi.

Au fond, le danger d’une loi est d’être trop précise. Les lois bioéthiques françaises
– qui sont uniques au monde – devraient porter un regard sur l’humain, même s’il est difficile de traduire une telle notion dans le droit, et s’interroger sans cesse sur le rapport entre les progrès scientifiques et la vulnérabilité des personnes auxquelles ils s’adressent. Ce serait notre fierté !

M. Jean-Marc Nesme. Si je vous comprends bien, monsieur Sicard, vous n’êtes pas systématiquement opposé à la gestation pour autrui, puisque vous accepteriez qu’une femme porte un enfant pour sa sœur. Cet enfant aurait pour mère sa tante. Je veux bien que l’on essaie de satisfaire tous les désirs des adultes, mais quid de l’enfant ? Comment lui expliquer que sa mère est en même temps sa tante ?

M. Didier Sicard. Il est évident qu’il s’agirait d’un compromis. On peut imaginer que, comme cela se passe dans d’autres sociétés, l’enfant s’adapte parfaitement au fait d’avoir une autre mère que celle qui l’a enfanté, sous réserve naturellement que les deux sœurs s’entendent très bien. À partir du moment où nous avons légiféré sur les greffes d’organes, je ne serais pas choqué que nous le fassions pour la gestation pour autrui. Cela peut paraître contradictoire avec le droit de l’enfant d’être mis au monde par sa vraie mère, mais à partir du moment où la médecine a commencé à complexifier la procréation en laissant apparaître deux, trois, quatre et parfois cinq géniteurs, je ne pense pas que cela aboutirait à des situations dramatiques.

Mme Marie-Thérère Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Si l’on accepte de pratiquer la gestation pour autrui, doit-on conserver dans notre loi fondamentale le principe « Mater semper certa est », et si nous le conservons, pratiquer la GPA ne revient-il pas à légaliser un abandon d’enfant ?

M. Didier Sicard. Tout à fait, mais c’est la même chose que légaliser la possibilité de l’abandon par accouchement sous X  ou le don d’embryon ! Le problème, c’est qu’aucune situation ne sera réglée de façon parfaite par la loi. Ce que je crains, c’est qu’en acceptant une ouverture, nous remettions en cause le principe de la priorité de l’intérêt de l’enfant. Comme tous les êtres humains, je pense que la gestation pour autrui a quelque chose d’effrayant. Mais la médecine, s’agissant de procréation, a permis une telle diversité que cette dernière éventualité – dont, au demeurant, je ne demande pas la légalisation – ne me paraît pas plus choquante que le don d’embryon ou le transfert d’embryon post mortem, situations qui font couler beaucoup d’encre mais ne se produisent qu’une ou deux fois par an. Ce que je crains, c’est que la loi ne s’intéresse qu’à des situations exceptionnelles, au détriment de l’essentiel, à savoir garantir à l’enfant qui va naître un maximum de liberté et le droit d’être respecté. De ce point de vue, on peut considérer que la gestation pour autrui, à laquelle j’ai toujours été très hostile, n’a pas lieu d’être, mais si un courant de société va dans ce sens, en tant que protestant, je ne la diaboliserai pas.

M. Paul Jeanneteau. Vos propos ne vont pas tout à fait dans le sens que je souhaite et j’aimerais que vous précisiez votre pensée. Vous voulez offrir un maximum de liberté à l’enfant. À cet égard, il conviendrait peut-être, selon vous, de renforcer les droits de l’enfant, qui doit être plus protégé par la société. Mais croyez-vous vraiment que la gestation pour autrui entre deux sœurs – on peut aussi imaginer la même pratique entre une mère et sa fille – soit le meilleur moyen de donner plus de droits et de liberté à l’enfant à naître ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. J’ai cru discerner derrière votre propos la notion de coparentalité, à savoir le fait pour un enfant d’avoir plus de deux parents. La gestation pour autrui en est l’exemple type puisqu’elle peut conduire à ce qu’un enfant soit le fruit de trois, quatre, voire cinq intervenants – le donneur d’ovule, le donneur de sperme, la gestatrice... Et comme on sait que les couples ne sont pas stables, on donne maintenant des droits au deuxième conjoint ! Au bout du compte, une ribambelle d’adultes auront des « droits » sur cet enfant. Cela me paraît poser un grave problème, même si, dans le cadre de la mission que nous avons menée avec Alain Claeys, nous avons entendu d’éminents sociologues nous expliquer que cela se passe très bien dans certaines régions d’Afrique, où l’enfant appartient à la tribu. Mais cela ne vous semble-t-il pas contradictoire avec notre culture ?

M. Michel Vaxès. Vous ne diabolisez pas le recours exceptionnel à la gestation pour autrui, mais vous vous dites inquiet du risque de glissement progressif vers une généralisation, au détriment de l’aspect compassionnel et humain de ces cas exceptionnels. Nous allons être amenés à fixer un cadre : de quelle façon devons-nous le fixer, sachant que dans l’incertitude, toutes les portes restent ouvertes ?

M. Olivier Abel. Je pense que M. Sicard n’approuve pas la gestation pour autrui, mais, dans la mesure où, marginalement, cela existe et ne manquera pas d’exister, il propose de l’encadrer de manière très restrictive. La diaboliser serait en effet une manière de nier son existence, alors que – comme pour l’avortement – cette situation ne manquera pas de se présenter. Il faut donc rechercher le moindre mal.

Par rapport à la parentalité, le saucissonnage que j’ai évoqué tout à l’heure est néfaste. Il faut éviter la ribambelle d’adultes dont vous parlez : les parents doivent rester les parents, dans un sens juridique plus encore que génétique. La désarticulation à laquelle on assiste aujourd’hui est désastreuse. Si j’ai beaucoup insisté sur la parole, c’est que – et c’est le plus important – quelqu’un a été nommé pour être le père de l’enfant et quelqu’un a été nommé pour être sa mère. La parentalité est vécue comme elle a été dite, et aucune expertise sociologique ne pourra la redéfinir. Il est bon de rappeler un principe d’ordre généalogique : les parents, ce sont les deux membres du couple parental.

M. Didier Sicard. Le problème réside dans la marchandisation du corps. Il serait très grave que la gestation pour autrui lui ouvre la voie. Il ne faudrait pas que, dans le cadre du débat sur la révision des lois de bioéthique, le législateur consacre trop d’énergie à une question qui me paraît quelque peu dérisoire – sauf si elle lui permet d’engager une réflexion métaphysique sur l’humain. Je sais le danger qu’il y a à faire évoluer les choses en ces domaines et à quel point il est difficile de remonter une pente glissante. Je suis aussi embarrassé que les autres et intellectuellement, je suis plutôt défavorable à la gestation pour autrui, mais si elle est bien encadrée et que nous conservons l’obsession de ne pas faire du corps une marchandise, je suis prêt à l’accepter.

M. le président. Je donne la parole à M. Haïm Korsia, Grand rabbin, aumônier général israélite des armées, membre du CCNE.

M. Haïm Korsia. Je vous remercie de m’avoir convié à cette réunion qui nous permet de dire des choses importantes. Les protestants ont eu l’intelligence de venir à deux (Sourires). Cela fera sans doute plaisir à Mme Hermange, mais je sais que l’un des thèmes abordés dans le cadre de la semaine d’unité des Chrétiens se trouve dans le texte d’Ezéchiel 37, qui évoque deux bâtons qui ne font plus qu’un seul dans la main… C’est pourquoi, sans doute, deux protestants sont parmi nous.

Il ne s’agit pas ici d’opposer nos voix sous prétexte qu’elles sont porteuses de spiritualités différentes. Car nos religions ont des racines communes et elles convergent sur un point : plus qu’un rapport à Dieu, c’est un rapport à l’homme qui fonde notre pensée à tous.

Je suis sensible à ce qui vient d’être dit sur la loi. Il est important, en effet, de définir ce que doit être la vocation de la loi et puisque je me trouve devant vous, je vais vous révéler le grand secret du fonctionnement du judaïsme.

La Bible a été donnée par Dieu à Moïse sur le Mont Sinaï. Mais dès lors que Dieu l’a confiée à Moïse, la loi était par nature périmée. Car tout texte, dès lors qu’il est écrit et donné aux hommes, est périmé – et je ne parle pas uniquement des textes dont les décrets d’application ne paraissent pas avant trois ou quatre ans ! (Sourires) Je parle de tout texte. Mais il est difficile d’accepter que la parole de Dieu puisse être impactée par le temps.

Le secret du judaïsme, c’est d’avoir en permanence associé la loi orale à la loi écrite, lui permettant ainsi d’évoluer. En fait, Dieu définit des principes dans la Bible et les cas pratiques sont traités par un débat permanent.

Je ne suis pas venu pour vous dire qu’il convenait de voter régulièrement de nouvelles lois, mais pour essayer de comprendre avec vous ce qu’est la vocation de la loi. On se rend compte qu’en général, la loi suit la réalité sociale, avec retard. Les gens agissent d’une certaine façon ; d’abord, on leur dit que ce n’est pas bien, mais quand 60 ou 80 % de la population agissent ainsi, on fait une loi qui réintègre toutes ces personnes dans la légalité.

Et pourtant, l’idéal de la loi reste de définir une vocation, un idéal, fût-il ponctuel. Et l’un des préalables pour cela est d’organiser un débat permanent et de le faire partager le plus largement possible. La Bible, dans l’Exode, nous propose un très beau verset pour comprendre cela. Lorsque Moïse entreprend la construction du tabernacle, il s’adresse à Betsalel, et comme celui-ci ne comprend pas très bien, Moïse lui dit : « Vois et tu feras ». Ce qui veut dire : visualise les conséquences de ce que je te demande de faire et tu le feras. Être sage, c’est voir ce qui va advenir des décisions que l’on prend. C’est pourquoi nous devons ouvrir le débat le plus largement possible ; l’information sur les communications scientifiques et les grands débats de société ne doit pas être uniquement rythmée par les grandes affaires médiatiques, ponctuelles et déconnectées des questions quotidiennes de nos concitoyens. C’est aussi pourquoi chaque nouvelle loi ne doit pas être perçue par tel groupe de pression ou tel lobby comme une « avancée », avant la prochaine : « On nous a concédé un peu cette fois, on nous concédera un peu plus demain »... Cela nous oblige à une grande prudence, non pas par rapport à ce que l’on aimerait pouvoir faire, mais à ce que l’on risque de devoir permettre plus tard.

Cela dit, lorsque nous avons fait quelque chose de bien, il faut savoir le reconnaître : c’est le cas de la loi Leonetti sur la fin de vie, qui a été votée à l’unanimité et donne des résultats extraordinaires, puisqu’elle permet de trouver une solution à 99,9 % des cas et laisse une marge d’appréciation pour les 0,1 % restants. Libérons-nous du sentiment qu’à chaque fois que nous faisons évoluer la loi, nous faisons des concessions.

Il nous faut aussi accepter l’idée que l’erreur est humaine. Si une expérimentation apporte plus de questions qu’elle n’en résout, nous devons savoir y renoncer. Or, en France, ce n’est pas dans la nature des choses : on considère qu’il ne convient pas de renoncer à tout ce qui ressemble à un avantage acquis… Dans le domaine de l’humain, nous devons accepter de tâtonner, parce que personne ne peut dire « je sais ». On ne peut dire que « je crois », et cela, dans la langue française, implique la notion de doute. Lorsqu’on dit « je crois qu’il fait beau », c’est qu’il peut pleuvoir, sinon on dit « je sais qu’il fait beau ». Croire, c’est douter. Dans le domaine de l’humain, plus que dans tout autre, il est important de garder cela à l’esprit.

Dans le judaïsme, la première base de réflexion est la centralité de l’homme. S’agissant des questions bioéthiques, l’idée centrale est la dignité humaine, pleine et entière, du début à la fin de la vie. Elle concerne le corps, la vie privée et tout ce qui pourrait faire qu’une personne n’est plus propriétaire d’elle-même.

La seconde, qui peut paraître une évidence et que le professeur Sicard a justement rappelée, est la protection des faibles, quelle que soit la raison de cette faiblesse. Chacun de nous peut être très fort à un moment donné, et très faible à un autre. La protection du faible est un impératif pour la société tout entière.

L’éthique est souvent considérée comme un facteur qui empêche les choses d’avancer : on reproche aux religions et aux comités d’éthique de soulever des problèmes moraux ; ils agacent tout le monde et retardent l’évolution des choses. Je propose une autre lecture, qui pourrait inspirer la loi. Que tous ceux qui croient que soulever des questions éthiques met un frein à l’efficacité se rassurent : l’éthique amène de la confiance, et la confiance amène de l’efficacité. Chacun de nous doit pouvoir s’approprier des règles qui le concernent directement – car, s’il nous arrive à tous de considérer que telle ou telle loi ne nous concerne pas, ce n’est pas le cas des lois de bioéthique, qui touchent chacun de nous par quelque biais.

Il appartient au Parlement, qui est l’expression de la voix de la Nation, de définir ce que doivent être l’espérance, la vocation, les valeurs qui fondent notre société. S’agissant de la fin de vie, par exemple, je vous rappelle ce qui est écrit dans la Bible et qui constitue l’un des fondements de la loi naturelle et l’évidence de toute vie en société : « Tu ne tueras point ». Accepter de tuer, c’est-à-dire d’échouer dans la vocation des hommes – qui est de protéger, de sauver, de donner et de conserver la vie –, c’est ouvrir la voie à la négation de cette société.

J’organise chaque année, dans le cadre des armées, un voyage à Auschwitz, et j’ai proposé à quelques membres du CCNE de m’accompagner parce que je pense que l’éthique moderne s’est fondée sur le refus d’Auschwitz – et, au-delà des conclusions de Nuremberg, sur le refus de l’image de l’humanité qui s’est proposée là, celle de l’eugénisme et de l’uniformité sans unité. La phrase « tu ne tueras point » donne une responsabilité supplémentaire à ceux qui doivent accompagner les familles qui entourent un être en fin de vie. Cela ne doit pas être qu’une belle phrase : il faut mettre en face les moyens d’améliorer les soins palliatifs. Il faut augmenter le nombre des structures où ces familles peuvent prendre la parole pour décharger leur souffrance, et prévoir l’accompagnement nécessaire pour rendre les personnes en fin de vie à leur humanité, à leur finitude. Nous devons avoir la volonté, à partir d’une vocation biblique, humaine et sociétale, d’engager les moyens nécessaires : ce serait l’honneur de l’ensemble de la société. Mais l’élan doit venir du Parlement.

L’un des moyens de parvenir à un consensus – même si je n’aime guère ce mot, qui trop souvent rime avec « mou » (Sourires) – serait d’appliquer le traitement que le judaïsme a apporté à l’un des versets les plus connus de la Bible : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cette phrase ne veut pas dire grand-chose et a fait l’objet d’interprétations diverses, l’une d’entre elle tendant à sous-entendre qu’il faut s’aimer un peu soi-même… Un rabbin, probablement plus futé que les autres, Rabbi Akiba, en a fait la traduction suivante : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». C’est interpréter la règle en lui donnant une formulation négative. De même, dans ce grand débat sur la bioéthique, il faut trouver les limites que tout le monde s’accorde à ne pas vouloir dépasser. Entre ce que l’on accepte et ce que l’on n’accepte pas, il existe une zone intermédiaire, et c’est de celle-ci que nous devons débattre. Il arrive, cela a été rappelé tout à l’heure, qu’une ou deux questions symboliques, mais qui concernent très peu de personnes, occultent l’ensemble du débat. C’est très pénalisant pour ceux qui doivent au quotidien répondre aux demandes. Trouver un accord sur ce qui est inacceptable est une démarche conforme au judaïsme.

Les grandes questions qui se posent à nous aujourd’hui paraissent parfois très banales, mais il faut oser dire que le banal est parfois inacceptable, comme l’a souligné Hannah Arendt. Ainsi le diagnostic préimplantatoire nous paraît naturel, mais s’il n’est pas encadré, il peut constituer une forme rampante d’eugénisme. En Angleterre, on peut d’ores et déjà, par diagnostic anténatal, prévoir l’autisme. Peut-on dire à des parents, même si ce n’est pas certain, que leur enfant risque d’être autiste ? Nous sommes défavorables au fait d’établir un diagnostic préimplantatoire sans prévoir la réaction des parents. Il faut savoir à quoi l’on s’engage et mieux encadrer cette pratique, faute de quoi nous risquons d’entrer dans une autre logique qui nierait les progrès apportés par la science. Est-il nécessaire d’informer les parents et de quelle façon ? Pour répondre à ces questions, il faut réfléchir davantage à un encadrement du diagnostic préimplantatoire.

J’ai été heureux d’entendre M. Sicard évoquer le droit de l’enfant. Le droit à l’enfant ne doit pas supplanter le droit de l’enfant. Celui-ci est devenu un objet : on décide de l’âge auquel on veut l’avoir pour qu’il gêne le moins, en fonction de sa carrière, par exemple. Et l’on parle de projet parental ! C’est terrible ! La Bible, dans les Proverbes, au chapitre 19, dit ceci : « Nombreux sont les projets dans le cœur de l’homme, mais la volonté de Dieu seul s’accomplit ».

À vouloir régler les problèmes des uns et des autres, on risque d’oublier l’essentiel, à savoir le droit de l’enfant en tant que personne. Le recours à une mère porteuse comporte un risque énorme. La société américaine y consent parce que la marchandisation du corps y est admise, et si le professeur Sicard accepte de l’envisager dans un cadre intrafamilial, c’est que les questions de l’anonymat et du don ne s’y posent pas. Mais dans notre pays, la gestation pour autrui pose d’énormes problèmes, et si les petits arrangements sont possibles, je ne pense pas qu’il convienne de l’inscrire dans la loi. La GPA n’est pas un idéal, mais un pis-aller, et la loi n’a pas vocation à proposer de pis-aller.

J’en viens aux tests génétiques. En dépit de leur légitimité, ils contiennent une forme de racisme. Car qu’est-ce que le racisme ? C’est limiter l’identité d’une personne à une seule des multiples facettes qui la composent. Et limiter quelqu’un à ses données génétiques, c’est l’empêcher de se dépasser. Lors des journées nationales du CCNE, nous avons longuement débattu des problèmes posés par les tests génétiques et la médecine prédictive. À cette occasion, j’ai fait connaître aux participants un film extraordinaire, que je vous suggère de projeter en commission et qui s’intitule Bienvenue à Gattaca. Ce film présente un monde dans lequel chaque individu, dès sa naissance, se voit attribuer un métier correspondant à son patrimoine génétique. Le héros est défini comme une sorte d’Untermensch, comme on disait dans un autre monde. Or, son rêve est d’être astronaute. Il se bat pour cela tout au long du film et il finit par réussir. Son identité génétique l’a enfermé dans une réalité qu’il ne reconnaît pas comme sienne et qu’il combat.

Pour moi, être un homme, c’est sortir de son déterminisme. Lorsqu’on me dit qu’Abraham est juif, je réponds qu’il est hébreu. Or, le mot « hébreu » vient de avar, qui signifie « passer de l’autre côté, traverser ». Abraham, en passant de l’autre côté du fleuve, est sorti de son déterminisme.

Chaque homme, qu’il soit ou non enfant d’Abraham, peut sortir de son déterminisme. Graver dans le marbre du génome le déterminisme d’un homme ou d’une femme, c’est insulter sa capacité à se transformer, donc à transformer le monde. Être mis dans une case et ne plus jamais en sortir est la pire chose qui peut arriver à chacun de nous.

Je voudrais conclure sur ce point important qu’est l’éthique de la vulnérabilité. On débat parfois de grandes idées en oubliant la réalité de la vie quotidienne. Je me souviens d’une scène émouvante que j’ai vécue avec les membres du CCNE : une infirmière nous a raconté l’histoire d’un jeune homme atteint du sida. Après une période de traitement à l’hôpital, il a été renvoyé chez lui. Or, chez lui, c’était la rue. Elle nous a dit une chose terrible : en tant que malade, on s’est occupé de lui, mais en tant qu’être humain, on n’a rien fait… Il y a là un aspect tragique de notre société. On peut réfléchir à la bioéthique et à de grandes questions qui traversent à grand bruit la conscience de la Nation, mais on ne devrait pas accepter, parce qu’elle s’accroît à bas bruit, de banaliser la vulnérabilité de certains d’entre nous.

La Bible nous dit, dans le Deutéronome : « Voici : je place devant toi la vie et je place devant toi la mort, et tu choisiras la vie ». Si la Bible en fait mention, c’est que ce n’est pas aussi évident que cela semble. Faire le choix de préserver la pulsion de vie et de lui donner sens en permanence exige une action quotidienne, et presque un débat permanent. C’est la responsabilité des élus de la Nation, des forces spirituelles et morales, mais également de chacun de nous. Personne ne peut dire « Je m’en lave les mains » et en laisser la responsabilité à d’autres. Chacun doit apporter sa contribution et c’est ce que modestement le judaïsme, comme les autres religions, essaie de faire aujourd’hui.

M. le président. Je constate que M. Mohammed Moussaoui ne nous a pas rejoints. Je donne la parole à M. Xavier Lacroix, philosophe, théologien, professeur d’éthique à l’université catholique de Lyon, membre du CCNE.

M. Xavier Lacroix. Pour commencer, je prendrai le contre-pied d’un lieu commun : la position de l’Église catholique sur ces questions ne se résume pas à une série de « non », mais à un « oui » fondamental à la médecine, à la recherche, aux multiples formes de thérapie. En 1983, le pape Jean-Paul II affirmait : « La médecine est une forme éminente, essentielle, du service de l’homme ».

L’Église approuve sans réserve les grands principes mis en œuvre actuellement dans le droit français, comme celui de l’indisponibilité du corps humain, corrélatif de celui de dignité de la personne appelant le consentement éclairé. Elle se réjouit de voir progresser la recherche en maints domaines, tout particulièrement celui des cellules souches non embryonnaires.

L’Église ne se prétend pas porteuse d’un savoir particulier, d’une science supplémentaire. Sa fidélité à l’Écriture et à la tradition est surtout un appel à la vigilance. Cette vigilance consiste à attirer l’attention sur certaines dimensions de la dignité humaine qui peuvent être perçues par l’intelligence, mais que les pressions culturelles et sociétales peuvent conduire à négliger.

Son intuition centrale est celle de l’unité de la personne humaine. Dès son origine, l’Église s’est opposée aux différentes formes de dualisme qui dissocient le corps et l’esprit. Ce dualisme réapparaît de nos jours chaque fois que le corps humain, même en son commencement, est perçu comme un instrument au service de visées techniciennes, fussent-elles médicales. De la reconnaissance de ces deux principes – dignité et unité de la personne humaine – découle l’affirmation du respect qui est dû à la vie humaine à tout stade de son développement, même lorsque l’autonomie de la personne est très faible ou quasi-nulle.

À ces deux principes s’en ajoute un troisième : la cohérence de la filiation. Le fait qu’un enfant naisse de l’union de deux corps ou au moins de deux cellules – l’une masculine, l’autre féminine – est chargé de sens et de valeur. Les trois dimensions – biologique, sociale et affective – de la filiation ne doivent pas être dissociées a priori. Dans une culture et une civilisation où la dimension interpersonnelle des liens familiaux est mise en avant, ce dont nous nous réjouissons, il est de la responsabilité du législateur de soutenir l’institution qui assure la cohérence entre ces liens. Puisque ce sont des liens qui sont en jeu, ils sont nécessairement institués, et l’on ne peut s’en tenir au principe anglo-saxon, de plus en plus prégnant dans notre pays, du « libre choix individuel ». Le lien social passe par la sauvegarde d’un socle anthropologique commun.

S’agissant de l’assistance médicale à la procréation (AMP), je ne reprendrai pas l’ensemble du dossier qui, comme vous le savez, suscite des réserves de principe et de fond de la part du magistère catholique, me limitant à deux point sur lesquels le débat est ouvert.

Tout d’abord, l’accès à l’assistance médicale pour les personnes célibataires. L’exigence de deux ans de vie commune, bien que légère et fragile, avait au moins le mérite de rappeler que l’enfant, né d’une union, a intérêt à être élevé par un couple, en principe le couple parental. À ce titre, je rappelle l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant : « Dans la mesure du possible, l’enfant a le droit de connaître ses origines, ses parents, et d’être élevé par eux ».

Un principe me paraît très important : une chose est de gérer des situations de fait, une autre est d’instituer. Prévoir a priori dans le droit qu’une personne isolée puisse avoir recours à l’AMP reviendrait, j’ose le dire, à établir une discrimination entre les enfants. Ce serait légitimer le fait que des milliers d’enfants pourraient être privés d’un bien élémentaire, celui d’avoir un père et une mère.

L’ouverture de l’AMP aux couples homosexuels poserait le même problème. La problématique partirait des scénarios imaginés par l’affectivité des adultes, et non de l’intérêt de l’enfant. Nous savons très bien, et la littérature psychologique la plus rigoureuse surabonde en ce sens, ce qu’un enfant doit au fait d’être élevé par un homme et une femme, dans un jeu subtil d’identifications à l’un puis à l’autre. L’évocation lointaine et brumeuse d’enquêtes statistiques, généralement américaines – que personne n’a lues mais qui prouveraient que les enfants élevés dans d’autres cadres n’ont pas plus de problèmes psychologiques que les autres, si tant est que cela ait un sens – ne peut remplacer cette connaissance précise. J’ai moi-même publié, et je ne suis pas le seul, des critiques sévères de ces enquêtes dont tous ceux qui les ont étudiées reconnaissent qu’elles ne prouvent strictement rien. En vérité, toute dissociation entre les différentes dimensions de la parenté – biologique, sociale, affective – introduit autant de discontinuités et de ruptures dans la vie de l’enfant.

Le droit doit être garant de la cohérence et de la lisibilité de la filiation, j’insiste sur ce point. Le brouillage de la signification des mots "père" et "mère", qui verraient leur sens se diluer, ne nous paraît pas, à nous catholiques, être une attitude socialement responsable.

En ce qui concerne les mères porteuses ou de substitution, la légalisation de la maternité de substitution, désormais appelée gestation pour autrui – en vue de faire appel aux bons sentiments – poserait problème quant au bien de l’enfant, à celui de la femme, et du point de vue de la règle de droit. Nous refusons d’ériger en principe le fait que, selon les mots d’une ministre, « l’enfant grandisse dans le cœur d’une femme et dans le ventre d’une autre ». Cela reviendrait à dissocier la dimension relationnelle et la dimension charnelle de la maternité. La grossesse est le temps d’une relation extrêmement intime entre la mère et l’enfant, d’une interaction sans nulle autre pareille entre deux organismes. On tremble à l’idée d’une grossesse sans attachement. L’abandon prévu par contrat correspondrait à une rupture dans l’histoire de l’enfant et à une instrumentalisation du corps de la femme. Les principes de gratuité et d’anonymat ne pourraient être respectés. J’ajoute que son encadrement juridique ne supprimerait pas, contrairement à ce que certains croient, les complications, imbroglios, voire calculs cyniques, comme l’ont montré les faits qui se sont déroulés dans un pays voisin, la Belgique.

La gestation pour autrui conduirait à une redéfinition profonde de la maternité, et par là de la famille, lourde de conséquences, et qui ferait de la dissociation un principe.

J’en viens à la question la plus délicate qu’est la recherche sur l’embryon. Sur ce point, l’Église affirme sa conviction, partagée par tous mes interlocuteurs : il faut préserver la dignité de l’embryon. À plusieurs reprises, le CCNE a explicité ce principe, notamment dans son avis n° 8, que je cite : « L’embryon humain, dès la fécondation, appartient à l’ordre de l’être et non de l’avoir, de la personne et non de la chose ou de l’animal. Il devrait éthiquement être considéré comme un sujet en puissance, comme une altérité dont on ne saurait disposer sans limite et dont la dignité assigne des bornes au pouvoir ou à la maîtrise d’autrui ».

En 2001, il affirmait, dans un avis concernant la précédente révision des lois de bioéthique, que « la position de fond défendue par le Comité consiste à reconnaître l’embryon ou le fœtus comme une personne humaine potentielle, dont le respect s’impose à tous ».

L’Église catholique affirme cette limite plus radicalement que la plupart des autres courants de pensée, car elle pense que le corps et la personne sont indissociables – c’est le principe d’unité que j’ai évoqué. Si elle ne s’est jamais prononcée officiellement sur le statut ontologique de l’embryon, elle affirme qu’il est à tout le moins un corps humain commencé, un « corps embryonnaire », selon l’expression de la dernière instruction romaine. À ce corps doit s’appliquer le principe de l’indisponibilité.

Beaucoup mettent en avant la notion de « projet parental ». Ce dernier donnerait à l’embryon un statut humain ou une dignité de sujet, et cela a parfois été dit explicitement… Cette position n’est pas tenable ! Qui pourrait accepter qu’une ou deux personnes décident de l’appartenance ou non d’un être à l’espèce humaine ? C’était, hélas, pratique courante au temps de l’esclavage… En vérité, ainsi que le déclarait Jean-Paul II, « il ne revient pas à l’homme de déterminer le seuil d’une humanité ».

Sur le fond, l’Église est donc opposée à toute instrumentalisation ou « chosification » de l’embryon – ou de cellules susceptibles de donner vie à un nouvel embryon. Elle interroge la conscience citoyenne sur la demande actuelle d’ouvrir la recherche sur les cellules souches embryonnaires à l’industrie pharmaceutique, voire cosmétique.

En amont de cette question, l’Église déplore le fait que la fécondation in vitro, dans notre pays comme dans quelques autres – ce n’est pas le cas en Allemagne – s’accompagne presque toujours de la production d’embryons surnuméraires, qui seront voués à la destruction. Là est le problème le plus grave, qui est à l’origine de la plupart des autres.

En pratique, s’il s’avérait que le maintien des actuelles dérogations était inévitable pour la recherche, nous préférerions un système qui rappelle l’interdit fondamental et présente les exceptions comme une transgression. Il y a en effet une grande différence entre le fait de dire qu’une pratique est légitime, fût-ce dans un cadre très limité, et dire qu’elle est en principe interdite mais autorisée par dérogation. Maintenir l’interdit de principe rappelle l’essentiel, à savoir que l’embryon n’est pas une chose. Le minimum éthique nous semble être de faire en sorte que la transgression apparaisse comme telle.

Cette manière de légiférer serait la seule cohérente avec l’esprit et la lettre de la loi française, qui affirme le principe du respect de la vie humaine dès son commencement. Je rappelle que l’article 16 de notre code civil énonce que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Je suis conscient du risque, parfois dénoncé, d’être fascinés par la vie en ses commencements et en sa fin, au détriment de l’histoire de la personne. Mais ce risque n’est pas automatique, car prêter attention à ces deux formes de fragilité n’est pas exclusif de l’attention à d’autres formes de détresse. Au contraire : dans le regard porté sur la vie en ses commencements et en sa fin, on discerne des options fondamentales, qui trouvent des échos en d’autres domaines. On voit quelles conséquences éthiques aurait le fait de lier la notion de dignité à des performances intellectuelles, relationnelles, bref sociales. Comme le disait le père Olivier de Dinechin, « les critères que vous prenez quant au début de la vie, vous les prenez aussi pour les vies nées ».

Cela implique une ultime exigence de vigilance, qu’on pourrait appeler principe de vulnérabilité – ce terme que nous aurons tous trois employé. C’est à partir des situations de plus grande vulnérabilité que l’inspiration chrétienne interprète l’existence : l’enfant, le vieillard, le malade, la personne handicapée ou dépendante, l’enfant à naître. Le sort fait aux personnes en situation de grande fragilité sera notre critère de jugement éthique prioritaire. Ici comme ailleurs, selon le mot de l’abbé Pierre, l’Église catholique (et au-delà, je pense) est appelée à être « la voix des sans voix ».

M. le rapporteur. Il n’est pas étonnant de trouver des convergences entre les pensées des religions monothéistes – bien que nous n’ayons pu entendre le représentant du culte musulman, et j’espère que nous pourrons y remédier.

L’éthique se trouve souvent à la rencontre de valeurs qui peuvent paraître contradictoires. Si tout le monde s’accorde – même les agnostiques – sur la nécessité de réaffirmer la dignité humaine, sur l’idée que l’embryon n’est pas une chose, et sur le refus de considérer le corps comme une marchandise, en revanche, une question comme celle du diagnostic préimplantatoire reste une source de conflits. Prenons l’exemple d’un couple potentiellement porteur d’une maladie grave et incurable, qui sera presque inéluctablement transmise à sa descendance. La science a-t-elle le droit de manipuler le matériel génétique de cet embryon, né de l’altérité d’un homme et d’une femme et d’un projet parental ? Dans ce cas, la réponse peut sembler presque évidente.

Mais imaginons que la maladie soit grave mais pas incurable, ou que le risque de la développer soit élevé, mais sans certitude, et par conséquent que la mort de cet enfant ne soit pas inéluctable. Où placer le curseur pour répondre à ces personnes qui ne demandent pas un enfant idéal, mais tout simplement un enfant qui vivra ? Où placer le curseur pour éviter que demain, un couple ne vienne demander un garçon plutôt qu’une fille, un enfant intelligent plutôt qu’un idiot, grand plutôt que petit… autrement dit, un enfant rêvé ?

Face à de telles situations, les religions sont porteuses de valeurs, de principes issus de la foi, mais n’y a-t-il pas lieu, dans des situations comme celle que j’ai évoquées, de transgresser, non pas tous les principes, mais chaque fois une valeur au profit d’une autre ? La solution la moins mauvaise n’est-elle pas d’engager un débat contradictoire et de répondre au cas par cas, au lieu de recourir à des certitudes dogmatiques ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. L’interruption volontaire de grossesse constitue une dérogation à l’article 16 du code civil, au motif qu’il existe un intérêt supérieur à la poursuite de la vie commencée. Existe-t-il, pour les dizaines de milliers d’embryons conservés dans les congélateurs, un intérêt supérieur qui conduit à les proposer à la recherche, et qui permettrait de déroger à l’article 16 ?

M. le rapporteur. Je voudrais poser une question volontairement perverse : y a-t-il, à vos yeux, une différence entre la recherche sur une cellule prélevée sur un embryon et la recherche sur l’embryon lui-même ?

M. Haïm Korsia. Je vous remercie de rendre hommage aux religions pour les valeurs qu’elles portent, mais elles aussi savent faire preuve, tout simplement, de bon sens ! (Sourires) Il faut regarder chaque cas avec beaucoup de réalisme car il s’agit toujours d’histoires différentes. Il est évident que si l’on est capable de traiter directement le gène, il faut le faire. Vous avez volontairement cité des cas extrêmes, M. le rapporteur, mais vous savez bien, en tant que médecin, que déjà certaines demandes sont aberrantes ! On m’a parlé d’un couple qui voulait mettre au monde un futur footballeur ! Il en va de même dans le domaine de la fin de vie. Des infirmières m’ont raconté le cas d’une famille qui demandait que le cas du grand-père « soit réglé avant les vacances ». C’est stupéfiant ! Il faut que quelqu’un intervienne et fasse appel non aux valeurs bibliques, mais au simple bon sens des personnes pour qu’elles comprennent ce qui est important dans ce qu’elles vivent.

Je maintiens qu’il y a un risque à donner un outil aux familles sans anticiper les conséquences qu’elles en tireront et il est clair qu’elles ne resteront pas inactives face à une information médicale. Seule la foi ou un amour débordant pour l’enfant à venir les dissuaderait de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

Mon épouse est sage-femme. Un jour, elle a présenté un enfant trisomique à son père. Celui-ci s’est écrié : « Je n’en veux pas ! ». Depuis elle a cessé d’exercer ce métier, ne pouvant plus supporter de telles souffrances. Lorsqu’on touche à ce que l’homme a de plus intime, il faut faire preuve de bon sens et de beaucoup d’humanité.

M. Xavier Lacroix. « Transgression » et « dérogation » sont des notions difficiles. C’est le cas également de la question du rapporteur, qui renvoie à une décision personnelle, prise en toute conscience. Il faut distinguer le contexte de la décision personnelle et le cadre de la loi. Personne ne peut prendre la décision à la place du couple qui se trouve face à une terrible maladie. Mais nous sommes ici pour aider le législateur, et la loi doit poser des limites et un cadre général.

Où placer le curseur ? Nous sommes tous opposés à l’acte infanticide sur un nouveau né. Se poser la question pour l’enfant à naître, c’est donc avoir un point de vue ontologique sur l’embryon et considérer qu’il est moins grave de détruire un embryon qu’un enfant déjà né ; il faut déjà être conscients de cette option. La loi doit positionner le curseur. Elle le fait, en choisissant le compromis. Mais la plus grande vigilance s’impose, car il y a un risque évident d’eugénisme. En effet, le nombre de maladies et d’affections qui peuvent être dépistées ne cesse de croître – mucoviscidose, chorée de Huntington, hémophilie, myopathie, handicaps mentaux, cancers du côlon et du sein… Si nous ne fixons pas des limites strictes, la tentation de l’eugénisme, c’est-à-dire de sélection selon des critères subjectifs, est inévitable. Le diagnostic prénatal de la trisomie conduit déjà, dans plus de 90 % des cas, à une interruption médicale de grossesse, et savez-vous qu’en Angleterre, une association de sourds demande qu’il soit possible d’utiliser le diagnostic préimplantatoire pour permettre aux parents atteints de surdité de ne donner la vie… qu’à des enfants sourds ? On voit bien quelles dérives pourrait amener une telle pratique.

Au-delà de la conscience individuelle, la religion intervient en tant que source d’espérance et de foi. Mais il n’en va pas de même de la loi, qui se doit de poser des limites et d’éviter les dérives.

J’en viens à la dérogation. On peut dire que la loi Veil est une dérogation puisqu’elle maintient l’interdit, même si elle permet d’y déroger. On pourrait la résumer en disant qu’elle interdit l’avortement sauf avant dix semaines de grossesse, dans les cas de détresse et sous certaines conditions bien précises. Pour moi, le fait d’affirmer un interdit correspond à un minimum d’éthique, quitte à laisser les chercheurs considérer qu’un intérêt supérieur justifie une dérogation. Mais nous sommes ici pour faire un travail législatif, et je préfère un système basé sur l’interdit et les dérogations à celui qui consiste à accorder une autorisation a priori.

M. Haïm Korsia. Cette analyse me paraît juste. Savez-vous que notre pays est le troisième exportateur d’armes au monde ? Pourtant notre législation interdit les exportations d’armements « sauf »… Il a fallu mettre en place la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) chargée, au cas par cas, d’autoriser ces exportations.

Je voudrais évoquer un autre risque du diagnostic préimplantatoire. J’ai appris récemment qu’il était possible désormais de déceler la schizophrénie potentielle. Quelle peut être la décision de futurs parents à qui l’on apprend que leur enfant sera schizophrène et qui, naturellement, ont vu un film terrible sur un schizophrène qui devient un assassin ? On devine cette décision. Pourtant, utiliser le diagnostic préimplantatoire pour cette maladie, c’est une manière de dire aux schizophrènes qu’ils sont des personnes dont l’humanité est moindre et que, si on le pouvait, mieux vaudrait se débarrasser d’eux…

Il est important de toujours mesurer les conséquences de nos décisions. Imaginons que nous soyons victimes d’une pandémie de grippe aviaire et qu’il soit nécessaire d’établir la liste des personnes à vacciner en priorité du fait de leur utilité – par exemple les rabbins, les prêtres et les députés ! (Sourires) Mais, sortie du contexte de l’épidémie, cette liste apparaîtra comme celle des personnes vraiment utiles à la société, ce qui implique que toutes les autres sont inutiles ! Baser l’humanité d’un homme sur son utilité est un concept très dangereux. Or, si l’on pousse à l’extrême la théorie du diagnostic préimplantatoire, c’est à quoi l’on arrive.

Quant aux embryons surnuméraires, ils se trouvent dans une sorte de no man’s land. Faut-il permettre à un autre couple de les utiliser, les détruire ou les destiner à la recherche ? En réalité, nous ne savons pas quoi en faire.

Le judaïsme reconnaît deux temps forts au cours de la grossesse : le premier se situe le quarantième jour après la conception, et le second – que le législateur avait intuitivement compris, jusqu’à la dernière révision de la loi relative à l’avortement, qui a accru le délai légal pour celui-ci de deux semaines – correspond au moment où l’embryon acquiert une forme humaine, c’est-à-dire trois mois. En général, les embryons sont prélevés dès le début de la grossesse, et cela ne nous pose pas de problèmes. Dès lors que nous permettons la recherche, nous préférons que les embryons aient une utilité au lieu d’être simplement détruits.

La question qui se pose dépasse le cadre de la loi : il s’agit de la déontologie du chercheur. On peut voter autant de lois qu’on veut, sans déontologie, un chercheur ira toujours plus loin. Il a besoin d’un cadre légal pour pratiquer ses recherches, mais on ne peut encadrer ce qui n’existe pas encore ! Le Talmud le dit mieux que moi : « Nul ne peut témoigner sur ce qui est à venir ». Ne pouvant imaginer ce qui n’a pas encore été découvert, il faut laisser aux chercheurs une marge d’appréciation qui n’en ferait pas des apprentis sorciers, mais des gardiens de l’humanité.

M. Xavier Lacroix. L’Église tient à rappeler que l’embryon est un être humain commencé, puisque le corps ne doit pas être dissocié de la personne. Les seuils de quatorze et de quarante jours sont respectables, mais pour nous, le continuum est primordial. L’embryon étant un corps humain commencé, il doit être respecté et nous n’acceptons pas qu’il soit instrumentalisé. J’ai entendu des chercheurs, pourtant intelligents et pleins de bonne volonté, dire que c’est en le rendant utile qu’on le rend humain. Cet argument n’est pas monstrueux, mais nous ne pouvons pas l’accepter, car il présente un grand risque de dérives. Au XVIIIème siècle, dans les plantations de rhum, les esclaves étaient utiles ! Le fait de faire de l’homme un objet est inacceptable. Si l’utilité de la recherche médicale est évidente, elle ne saurait légitimer certaines pratiques – nous avons connu de terribles précédents durant la dernière guerre. Nous sommes ici pour le rappeler.

M. Didier Sicard. Je partage a priori tout ce qui vient d’être dit. Il est naturel que la médecine prédictive cherche à étendre son champ d’investigations et sa connaissance du gène, même si cela peut sembler parfois illusoire.

La question de savoir où l’on doit placer le curseur est relativement simple : il suffit de faire appel au bon sens, comme l’a suggéré M. Haïm Korsia. Lorsque le diagnostic préimplantatoire permet à des dizaines d’enfants d’échapper à une maladie rare ou orpheline, il n’est nullement question de le censurer. En revanche, faut-il l’étendre à la simple prédisposition à d’autres maladies ? Cela comporte trois écueils. Le premier est le risque de discrimination – il pourrait sembler que les personnes atteintes d’hémophilie ne soient plus des citoyens à part entière. Le second est qu’un gène délétère peut s’avérer ultérieurement favorable – c’est le cas de certains gènes mutés, qui protègent du sida. Il serait tragique pour une société de considérer qu’elle est parvenue à une parfaite connaissance de la normalité génétique. Troisième écueil : a-t-on le droit, au XXIème siècle d’empêcher la naissance d’un enfant dont on pourra peut-être assurer la guérison vingt ans plus tard ? Il faut donc limiter le diagnostic préimplantatoire à ce qui est uninimement considéré comme une tragédie et non un « risque » de tragédie...

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Selon vous, M. le Grand rabbin, faut-il une loi très précise, ou au contraire une loi-cadre, son application étant confiée par exemple à l’Agence de la biomédecine ? Vous dites – et cela renvoie à une problématique analogue – que, dans votre tradition, la loi écrite est complétée par la loi orale. Mais qui définit cette dernière ? Est-ce que tout membre de la communauté peut y concourir ou est-ce réservé à ceux qui ont une formation particulière, ou qui sont reconnus par la communauté ? Par ailleurs, si des divergences surviennent, quelle est l’instance qui décidera en dernier recours ?

M. Haïm Korsia. C’est une excellente question, qui se trouve au cœur même de ce que je souhaite vous dire. Le Talmud nous apprend que deux grands rabbins, Hillel et Chammaï – d’où le verbe "se chamailler" – s’opposaient sans cesse. Un jour, quelqu’un demande si, au ciel, l’un aura toujours raison et l’autre toujours tort. Voici la réponse : non, car la parole de l’un et la parole de l’autre sont la parole du Dieu vivant.

C’est ainsi que notre bon code civil a attendu deux siècles pour être toiletté, cependant que la jurisprudence a adapté les principes de notre droit à la réalité quotidienne. La Bible n’évoque pas la procréation médicalement assistée, mais le Talmud y trouve des principes qui servent de référence. La Bible date d’environ 3 500 ans, le Talmud de 1 500 ans, et le Codex de quelques siècles, mais ce sont toujours les mêmes principes qui sont en jeu. Avons-nous réellement besoin de trancher ? Je pense qu’il faut simplement définir un consensus. Or, dans un débat, le consensus ne s’obtient qu’en acceptant les idées opposées. Je prendrai un exemple : nous n’acceptons pas de commercialiser le corps, mais nous manquons d’ovocytes, alors ne peut-on faire une exception ? Certains souhaitent que l’on puisse répondre à une demande ponctuelle, quitte à faire tomber le tabou qui s’attache à la commercialisation du corps, et d’autres veulent conserver un principe intangible. Je pense pour ma part qu’il faut éviter de recourir à des solutions ponctuelles et qu’il est préférable de conserver des grands principes.

Tout l’art de construire une loi consiste à prévoir la façon dont elle sera appliquée – c’est pourquoi il est si difficile de mettre en œuvre les décrets d’application, bien souvent morts-nés. (Sourires.)

M. le président. Pour le diagnostic préimplantatoire, nous avons attendu les décrets d’application près de quatre ans…

M. Xavier Lacroix. Je savais que quelqu’un poserait la question de la loi-cadre. Je suis favorable à une loi, qui n’entre pas trop dans les détails et ne soit donc pas révisable tous les cinq ans, ce qui risque d’entraîner un phénomène d’usure et de donner à penser que ce qui est refusé aujourd’hui pourra être accepté dans cinq ou dix ans. À condition toutefois que l’on ne considère pas comme des « détails » des points qui n’en sont pas, comme l’accès à l’AMP, le modèle parental, la définition de la filiation ou encore le respect de l’embryon. S’agissant des enjeux anthropologiques, la loi doit se positionner clairement et éviter de donner un pouvoir exorbitant à l’Agence de la biomédecine qui, étant composée d’experts et non d’élus, n’est pas le lieu d’un débat citoyen.

M. le président. Souhaitez-vous que le Préambule de la Constitution fasse mention de la bioéthique ?

M. Xavier Lacroix. A priori, non !

M. Didier Sicard. La France, et nous nous en réjouissons, dispose d’une loi républicaine qui donne un sens à ces questions. La loi-cadre a une portée pédagogique, visant essentiellement à mettre en question telle ou telle pratique médicale. La loi doit donner à la société les moyens d’avoir confiance en son avenir. Je ne crois pas que l’inscription dans le marbre de la Constitution de la bioéthique soit utile. Son risque serait de refermer le débat qui doit rester ouvert.

M. Haïm Korsia. En matière éthique, il m’est difficile de donner une réponse définitive car il est important de douter et de rester dans un questionnement. Si la loi a pour finalité d’apporter des réponses, elle risque d’être rapidement périmée. Cela nous donne des pistes de réflexion. Pourquoi ne créeriez-vous pas une toute petite cellule, composée de quelques membres de votre mission, chargée de suivre en permanence l’application de la loi, éventuellement en collaboration avec le CCNE ?

M. le président. C’était le rôle initial de l’Agence de la biomédecine, chargée de présenter un rapport annuel sur l’évolution et l’application de la loi.

M. Haïm Korsia. C’était l’objet du rapport remis par Alain Cordier en 2008. Mais Xavier Lacroix a raison : l’Agence est faite d’experts et est très centrée sur le monde des praticiens. Il est important de disposer d’un lieu où peut se poursuivre le débat.

Le judaïsme célèbre la fête de la Torah. Ce jour-là, on lit successivement deux versets de la Bible. On lit la fin du Pentateuque, qui évoque la mort de Moïse, et aussitôt après le début de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Car pour nous, la lecture de la Bible n’a pas de fin. De la même manière, la finalité de la loi pourrait être non d’apporter un point final au débat, mais d’ouvrir ce débat.

M. le président. Cela m’amène à demander au rapporteur ce que deviendront les États généraux après le mois de juin ?

M. le rapporteur. Je vais tenter à mon tour de faire coïncider le commencement et la fin… Le Président de la République a voulu, sur ces questions, un débat populaire et citoyen, et non un débat d’experts. Il ne s’agit pas de demander aux gens s’ils sont pour ou contre telle ou telle disposition, mais de faire émerger des questions que nos concitoyens pourront s’approprier. Je les invite donc, dans les synagogues, les temples, les églises et les mosquées, mais également dans tous les espaces publics, à réfléchir à ces questions essentielles. Il est important, dans notre République laïque, que les religions fassent entendre leur voix. Je vous invite à participer à ce débat et à poser des questions susceptibles d’enrichir la réflexion de tous les hommes de bonne volonté.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de M. Jean-François MATTEI, président
de la Croix-Rouge française,
responsable de l’Espace éthique méditerranéen



(Procès-verbal de la séance du 27 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-François Mattei, président de la Croix-Rouge française et responsable de l’Espace éthique méditerranéen.

M. Jean-François Mattei. C’est avec un grand plaisir que je me retrouve parmi vous, dans un nouveau rôle, que je tenterai d’assumer avec le plus de conviction possible.

L’expression « loi de bioéthique » me paraît tout d’abord inadaptée et réductrice. En effet, le terme « bioéthique » fait référence à l’éthique au regard des progrès en biologie. Or les questions abordées, concernant notamment le secret, l’accès aux origines et le consentement, vont au-delà de cette discipline. En outre, cette expression est réductrice dans la mesure où elle donne à penser que seules relèvent de la bioéthique les questions relatives à la transplantation, à l’assistance médicale à la procréation et à la génétique. Or, avant ou après l’adoption de la loi de 2004 relative à la bioéthique, appelée ainsi à mon corps défendant, plusieurs textes ont été adoptés sur la fin de vie, l’accouchement sous X et l’accès aux origines, sans oublier la loi ayant mis fin à la jurisprudence Perruche. C’est ainsi qu’au sujet de la proposition de loi relative aux recherches biomédicales présentée par Oliver Jardé, Le Journal du Dimanche du 22 janvier 2009 titre : « Bioéthique : une loi pour encourager la recherche ». Le terme « bioéthique » prête donc à confusion dans l’opinion publique. Je rappelle au passage que les premières lois dites « de bioéthique », adoptées en 1994, étaient au nombre de trois : la première, portée par le garde des sceaux, modifiait le code civil ; la deuxième, portée par le ministre de la santé, modifiait le code de la santé publique ; la troisième, portée par le ministre de la recherche, modifiait la législation relative à l’informatique et aux libertés.

Je n’ai pas non plus été suivi par la majorité des députés, en 2004, à propos de la révision de la loi dans un délai de cinq ans. Prévoir de réviser cinq ans plus tard des dispositions ayant une incidence sociale importante, comme celles de la loi de 1975, ou encore des dispositions très novatrices pour la recherche, telles que celles concernant l’embryon, adoptées en 2004, me paraît une démarche prudente. En revanche, s’engager dans une démarche rituelle, tous les cinq ans, à l’occasion de chaque adoption d’une loi de bioéthique, me paraît dangereux car de nature à affaiblir les principes reconnus en leur conférant une valeur provisoire. Je remarque à cet égard que les lois de 1994 ont été révisées, non en 1999, mais en 2004, pour plusieurs raisons conjuguées : il était difficile d’élaborer des décrets novateurs sur l’accueil de l’embryon ou le diagnostic préimplantatoire (DPI) ; la question du clonage est apparue ; d’autres thèmes ont émergé. Si la date de révision est fixée à l’avance, on aura tendance à traiter par anticipation des sujets qui ne sont pas encore arrivés à maturité ou à attendre l’échéance pour légiférer sur des sujets pourtant arrivés à maturité. Enfin, la révision régulière conduit à rouvrir tous les chapitres. Or je ne suis pas sûr que tous les sujets des lois de 1994, révisées en 2004, soient confrontés à des nouveautés.

J’ai beaucoup entendu parler de « lois-cadres », notamment au Comité consultatif national d’éthique (CCNE). À cet égard, permettez-moi de vous lire un extrait de la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 sur les lois de bioéthique :

« Considérant que lesdites lois énoncent un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine, que les principes ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ;

« Considérant que l’ensemble des dispositions de ces lois mettent en œuvre en les conciliant et sans en méconnaître la portée, les normes à valeur constitutionnelle applicables […] ».

Ne s’agit-il pas à l’évidence de la description d’une loi-cadre à portée constitutionnelle ? Soit dit en passant, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle aux principes de respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, et d’absence de caractère patrimonial du corps humain.

J’évoquerai trois sujets, portés par les médias et repris en écho : l’anonymat du don de gamètes ; les recherches sur l’embryon et les cellules souches ; la gestation pour autrui.

Le premier sujet, celui de l’anonymat des gamètes, est controversé et donne lieu à des tensions éthiques. Il a été abordé en même temps que le problème de l’accouchement sous X. L’accès aux origines est une question latente qui exprime avec force le débat de société entre, d’une part, l’inné, le biologique, et, d’autre part, l’acquis, l’affectif.

Les donneurs ont l’intention de donner, mais aucunement celle d’assumer la paternité, quand bien même celle-ci serait-elle réduite à la connaissance de leur identité. On n’entend qu’un cas sur mille, celui de l’enfant qui écrit un livre, alors que les 999 autres ne disent rien. Lever l’anonymat serait ouvrir la boîte de Pandore. Nous risquerions de voir le nombre de dons baisser ou, à tout le moins, voir le profil psychologique des donneurs changer : il s’agirait davantage de personnes se considérant avant tout comme d’excellents reproducteurs ; en outre, des considérations financières apparaîtraient pour répondre aux besoins. Par ailleurs, il faudrait s’assurer que chaque enfant naît d’une insémination artificielle, car il est arrivé qu’une femme recoure à une insémination artificielle mais que l’enfant soit d’un autre homme qu’elle aime. Au surplus, dans la vie quotidienne, nombre d’enfants ne sont pas du père présumé. La reconnaissance absolue des origines conduirait à l’utilisation systématique des empreintes génétiques, à chaque naissance. Je ne suis pas sûr que toute la vérité favorise la paix des ménages.

J’ai longtemps pensé que le double guichet était une bonne idée. Mais, après réflexion, j’ai changé d’avis car il entraînerait une discrimination : certains enfants auront été conçus grâce à l’insémination du sperme d’hommes qui ne veulent pas donner leur identité, tandis que d’autres auront accès à leurs origines. La moins mauvaise solution est en conséquence le maintien de l’anonymat.

Il faudrait sans aucun doute améliorer grandement la communication de données génétiques et médicales non identifiantes, afin de permettre à l’enfant de bénéficier de prévention et de prévoyance, encore que cela s’impose moins que pour l’accouchement sous X, les donneurs étant sélectionnés pour leurs qualités génétiques.

Ainsi, faute de solution satisfaisante, il faut retenir la moins mauvaise, et il faut s’en accommoder.

Sur le deuxième sujet, il convient de distinguer la recherche sur l’embryon pour l’embryon et la recherche sur l’embryon pour d’autres finalités. Je suis favorable à la première car l’embryon, à mon sens, est un patient potentiel ; il sera reconnu demain en tant que tel, comme le fœtus l’est aujourd’hui, et je trouverais paradoxal qu’il soit privé de l’accès à la médecine du fait de sa reconnaissance comme être humain. Tenant compte de la situation particulière des embryons sur lesquels seraient conduits des essais, il faut mettre au point des méthodes diagnostiques et thérapeutiques, et mieux comprendre les raisons de stérilité, d’avortements répétés, de troubles de développement, voire de certains processus cancéreux. Il est impensable que l’embryon soit une terre inaccessible pour la recherche s’il s’agit d’améliorer son sort. Les chercheurs devraient être plus attentifs à ces sujets.

Mais je suis beaucoup plus réservé sur la recherche utilisant l’embryon. Je pense en définitive que la question est beaucoup plus simple qu’on ne le dit. D’abord, la préoccupation de départ est tout à fait légitime : vouloir remplacer chez un patient des cellules vieillies et malades par des cellules jeunes et normales est une superbe hypothèse de thérapie cellulaire que l’on ne peut méconnaître. Ensuite, la question de l’origine des cellules se pose : elles peuvent être embryonnaires, avec une référence au clonage thérapeutique ; d’origine adulte, même si cette question semblait plus problématique en 2004, dans la mesure où les recherches sur ces cellules étaient quasiment considérées comme ne pouvant aboutir par rapport à celles portant sur les cellules embryonnaires ; enfin, les cellules prélevées sur le cordon ombilical – je ne comprends d’ailleurs pas que les recherches sur ces dernières n’aient pas été plus développées car elles présentent un grand potentiel.

En 2004, je me suis inspiré de la loi de 1975 relative à l’avortement : il s’agissait en effet de poser l’interdit fondateur – la vie doit être respectée dès le commencement – mais, en admettant, dans un certain nombre de situations, des dérogations possibles. J’étais en effet absolument persuadé qu’il fallait pour un temps accéder à ces cellules embryonnaires. Notre système de valeurs est fondateur de notre société. Il figure du reste dans le code civil et dans la loi de 1975. Si d’aventure cet interdit était supprimé, il faudrait modifier le code civil et la loi de 1975. Une société a besoin de repères. La nôtre n’a plus guère que deux repères intangibles : le début et la fin de la vie. Des solutions peuvent être trouvées pour le début de la vie, comme cela a été fait pour la fin de la vie, en respectant le principe fondateur.

Il est impossible de s’affranchir de la thérapie cellulaire. Il faut que les autres procédés continuent d’avancer. Il faut procéder à des évaluations comparatives. Il y a environ quinze mois, des Japonais et des Américains ont découvert que des cellules adultes, les iPS (induced pluripotent stem cells), cellules souches pluripotentes induites, pouvaient être remises dans un état de jouvence embryonnaire. Un quotidien a ainsi écrit, sous le titre « Le boom des cellules souches iPS » : « Une équipe d’Harvard vient d’annoncer l’obtention de vingt nouvelles lignées de cellules iPS associées à dix pathologies humaines. » Dans un encadré, figure le dernier progrès : « Nous savons désormais transformer les cellules iPS sans introduire de gènes étrangers dans le génome de la cellule, tout simplement par un vecteur adénoviral. »

La levée de l’interdiction de la recherche sur les cellules embryonnaires est injustifiée. En revanche, la prolongation du moratoire l’est parfaitement. Il sera temps, ultérieurement, d’adopter une autre attitude.

J’ai naturellement pris connaissance de l’audition de Marc Peschanski, à qui je me suis souvent affronté, même si je l’estime. Il a affirmé devant vous que le clonage thérapeutique n’était plus un sujet d’actualité et que la réglementation actuelle ne l’avait pas empêché, pendant les cinq dernières années, de mener les recherches qu’il avait l’intention de mener. Aucune recherche digne de ce nom sur les cellules souches embryonnaires n’a été empêchée. Dès lors, compte tenu des progrès dans le domaine des cellules souches adultes, sous réserve de dérogation prolongée et de l’avis et de l’expertise de l’Agence de la biomédecine, je ne vois pas quelle serait la motivation de la levée de l’interdiction.

Un glissement sémantique s’opère souvent entre le mot « thérapeutique » et le mot « médical ». Je le comprends, mais il faut rappeler que la médecine, au-delà de la thérapeutique, inclut également le diagnostic et le suivi. Il n’a pas été simple de légiférer pour la première fois en autorisant la recherche sur les cellules souches embryonnaires ; nous y sommes allés progressivement. Mais demander aujourd’hui la levée de l’interdit relève plus d’un combat idéologique visant à supprimer les barrières au début et à la fin de la vie, que d’un combat médical et scientifique. La mise au point des cellules iPS requiert encore un peu de temps. Les cellules embryonnaires doivent encore nous aider à faire la part des choses. Il faut maintenir l’interdiction et prolonger le moratoire et les dérogations.

J’en viens à la gestation pour autrui, sujet tout aussi récurrent. En 1990, j’en ai débattu avec le docteur Sacha Geller, réinventeur de la gestation pour autrui. Après s’être un peu éteint, le sujet redevient à la mode. Je m’étonne de l’évolution du débat qui tend, d’une part, à sacraliser le désir des parents comme le droit à l’enfant et, d’autre part, à diaboliser ceux qui voudraient rappeler certaines données de bon sens.

En référence à Pirandello, je décrirai quatre personnages en quête d’auteur : le médecin, le couple, la mère porteuse, l’enfant.

Premier personnage : le médecin. Celui-ci doit-il être l’instrument d’une évolution sociétale ? Doit-il être le prestataire de services ? Ne doit-il pas donner son sentiment sur l’avenir de l’enfant ? On parle beaucoup des couples, et c’est légitime, mais insuffisamment de l’enfant. À l’exception de quelques psychanalystes, les psychiatres affirment que les neuf mois de la grossesse sont cruciaux pour la maturation et l’évolution psychologique de l’enfant, par le filtre de la mère. Comment l’utérus pourrait-il être considéré comme un simple incubateur, première étape vers l’utérus artificiel d’Henri Atlan ? Si tel était le cas, on aboutirait à une déshumanisation de la maternité.

Deuxième personnage : le couple. Au risque de vous surprendre, je pense qu’il n’y a aucune différence entre le cas où la mère porteuse est seulement gestatrice et celui où elle est à la fois génitrice et gestatrice. Si la première des solutions, mère seulement gestatrice, était acceptée, tout le monde serait peut-être content. Mais, avec l’insémination artificielle avec sperme de donneur (IAD), cette distinction céderait devant des demandes difficiles à récuser. Je n’ignore pas les cas d’absence d’utérus, congénitale ou acquise, qui frappent quelques centaines de couples par an. Mais l’enfant est-il un dû ou un don ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour satisfaire le désir d’enfant ? N’existe-t-il pas d’autres modes d’épanouissement ? Je connais l’infinie tristesse des couples infertiles, mais il ne faut pas s’arrêter à ce seul argument.

Troisième personnage : la mère porteuse. Quelle est sa motivation ? On ne pourra m’empêcher de penser qu’elle espère gagner un peu d’argent, non un salaire mais un dédommagement, un défraiement, une indemnité. Sur Internet, cela tourne autour de la somme considérable de 45 000 euros les neuf mois. Une autorisation devrait par conséquent être accompagnée d’un remboursement par la sécurité sociale, sans quoi elle créerait une discrimination par l’argent, ce que nous n’avons jamais accepté pour l’interruption de grossesse ou d’autres interventions ne relevant pas de pathologies. Je rappelle que la procréation assistée pour les couples infertiles ne vise pas à les guérir. Dans les deux ou trois pays ayant légalisé cette pratique, la femme porteuse doit avoir déjà enfanté, et donc avoir un conjoint. Quel comportement aura ce dernier ? Personne ne le sait. En outre, chacun sait qu’une femme s’attache forcément à l’enfant qu’elle porte. Dans ce cas, sachant qu’elle devra abandonner l’enfant, elle se placera dans une situation d’autodéfense, elle évitera d’établir des liens avec lui, ce qui ne donnera pas toutes ses chances à ce dernier. La littérature rapporte au demeurant des cas où la femme refuse de donner l’enfant à la naissance. Lorsque les médias rapportent des cas brûlants, ils frappent l’opinion, mais ils ne suivent généralement pas les affaires. Ainsi, Corinne Parpalaix avait obtenu, en 1984, qu’on lui remette les paillettes congelées du sperme de son mari décédé. La couverture médiatique s’est arrêtée au jugement. Or l’histoire eut été instructive !

Au surplus, s’agissant d’une convention ou d’un accord, il faudrait signer un document ressemblant à un contrat, qui aurait l’enfant pour objet. En échange d’un dédommagement, la gestatrice s’engagerait à porter l’enfant, puis à accoucher, mais aussi à ne pas fumer, à ne pas consommer d’alcool, à respecter une hygiène de vie, ce qui serait fort difficile à vérifier au quotidien. Je vous laisse imaginer les contentieux susceptibles d’apparaître si l’enfant n’était pas tout à fait normal à la naissance : le couple intentionnel pourrait refuser l’enfant. Que l’enfant devienne objet de contentieux me fait évidemment frémir.

En outre, le droit dit : mater semper certa est, c’est-à-dire la mère est la femme qui accouche. Dès lors, accepter le principe de la mère porteuse serait légitimer l’abandon d’un enfant par sa mère. En outre, l’argent n’étant pas totalement étranger à l’affaire, ce serait revenir sur le principe à valeur constitutionnelle de non-patrimonialité du corps humain, et ouvrir la porte, après l’utérus, au sang, aux tissus, aux cellules, voire aux organes.

Quatrième personnage : l’enfant. La situation de ces enfants est très différente de celle des enfants abandonnés, dont le sort n’était pas programmé. En l’espèce, la grossesse et l’abandon sont programmés. Mais d’autres questions restent sans réponse : quel rapport l’enfant établira-t-il avec la gestatrice non anonyme ? Voudra-t-il la rencontrer, par curiosité ou désir de savoir ? Comment la considérera-t-il ? Ne demandera-t-elle pas un droit de visite ? Nous ne sommes pas du tout à l’abri d’une novation juridique.

On peut déplorer que des personnes libres et responsables fassent ce choix, comme on peut déplorer que des personnes sujettes à un important retard mental, ou alcooliques, aient des enfants, mais c’est leur droit. Autre chose est de légitimer une pratique par la loi car la société engage sa responsabilité. J’attends les premiers procès d’enfants mettant en cause la responsabilité de l’État arguant du fait que le procédé par lequel ils ont été conçus ne leur convient pas.

Les fondements juridiques ne se changent pas au gré des modes sociétales. Je ne dis pas que tous ceux qui militent pour ces changements le font à dessein mais, à mon sens, nous vivons une véritable déconstruction des rapports entre les personnes, entre les générations, avec une recherche de liberté absolue qui gomme l’appartenance à une société organisée. En peinture, la période de la déstructuration a précédé celle de l’abstraction. J’ignore quelles conséquences la déstructuration des liens pourrait avoir sur notre société. La révolution n’est pas seulement biologique ou juridique, mais aussi anthropologique. Les scientifiques qui défendent ces sujets, parfois avec un esprit militant, n’ont pas de vue d’ensemble, de vision d’avenir, de notion du sens de ce qu’ils entreprennent au regard du temps, à partir de demandes conjoncturelles. La responsabilité des législateurs que vous êtes sera très grande.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous sommes très heureux d’entendre de nouveau votre voix ici car elle est claire et réfléchie.

Nous sommes également ébranlés par ce rendez-vous obligatoire pour la révision des lois, après cinq ans, qui écorne le sens des valeurs que nous défendons. Quant à l’expression « loi de bioéthique », elle est peut-être inadaptée, mais ces lois continueront d’être qualifiées ainsi.

Dans notre société, l’individualisme et la recherche de la satisfaction du désir immédiat s’opposent à une vision collective, porteuse de plus de sens mais exigeant le partage de valeurs. C’est, au fond, le combat entre l’inné et l’acquis, nourri par l’obsession de la génétique, la quête de l’immortalité, la volonté de pérenniser son matériel génétique et de connaître son ascendance. Fort heureusement, hormis des maladies graves bien connues, nous ne sommes pas programmés par autre chose que le lien à l’autre. Si l’accès aux origines peut être une démarche individuelle légitime, il serait délicat d’ouvrir la boîte de Pandore en créant des situations ouvrant la porte à d’autres problèmes. « L’arbre qui tombe fait beaucoup plus de bruit que la forêt qui pousse », dit le proverbe chinois : un événement particulier mis en évidence remet parfois en cause le consensus global.

La science peut difficilement se passer de la recherche sur l’embryon, mais il me semble difficile de distinguer la recherche pour l’embryon et la recherche sur l’embryon car une recherche peut avoir les deux finalités.

Vous préconisez un maintien de l’interdit avec dérogation, à l’instar de la loi Veil, mais en reconduisant la période de cinq ans. J’y vois une petite contradiction. La recherche sur les cellules souches embryonnaires semble perdre du terrain par rapport à la dédifférenciation cellulaire et à la recherche sur les cellules souches adultes. Tant mieux, mais elle ne doit pas être abandonnée pour autant. Pourquoi instaurer une période de cinq ans si l’on estime que cette séquence immuable pose problème ? Ne vaudrait-il pas mieux considérer la dérogation comme définitive, quitte à la remettre en cause si des découvertes interviennent ?

Enfin, dans le joli conte de Perrault La Belle au bois dormant, trois bonnes fées veillent au pied du berceau tandis qu’une méchante fée endort l’héroïne. Si les trois fées étaient celle qui a donné l’ovocyte, celle qui a porté l’enfant et celle qui l’a élevé, laquelle serait la mère ? Et la mauvaise fée ne serait-elle pas la société qui a eu la mauvaise idée de créer trois bonnes fées au lieu d’une seule, la mère génétique, gestatrice et affective ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous vous êtes déclaré favorable à la recherche pour l’embryon. Or aujourd’hui on sait prélever une cellule d’un blastomère sans le détruire et certains pays autorisent la réimplantation de l’embryon, ce qui est aujourd’hui interdit en France. N’est-il pas envisageable de lever cet interdit, comme dans d’autres pays, ce qui pourrait permettre de donner des résultats bien meilleurs que les nôtres en matière de fécondation in vitro ?

Quelle est votre position concernant, d’une part, les dons d’organe par donneur vivant et, d’autre part, la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique avérée et la question de la levée du secret médical si le patient refuse de transmettre l’information ?

M. Olivier Jardé. Les dons de gamètes multiples n’entraînent-ils pas un risque de consanguinité ?

Au-delà des recherches sur l’embryon à visée thérapeutique ou médicale, pourrait-on aller jusqu’à autoriser des recherches à visée scientifique ?

M. Jean-Luc Préel. Que pensez-vous de la médecine prédictive et du diagnostic préimplantatoire ?

M. Jean-François Mattei. À propos de l’anonymat des gamètes, je me souviens d’un couple qui demandait le recours à une insémination artificielle avec donneur (IAD). Lorsque j’ai demandé à l’homme, stérile, si cela ne lui faisait rien que sa femme soit enceinte avec un spermatozoïde d’un autre homme, il m’a regardé d’un air stupéfait, qui me poursuit toujours, me répondant : « Vous n’avez rien compris, docteur. Nous désirons cet enfant. Je ne peux pas le lui donner. La biologie n’est pas plus forte que l’amour. » Avec ces demandes d’enfants nés de l’IAD, c’est le triomphe de la biologie sur l’amour qui est dans la balance. Si cette démarche avait été prévue au départ, j’aurais recommandé de ne pas se lancer dans cette voie. Je ne puis me satisfaire de cette inversion de la logique. C’est pourquoi je pense qu’il faut maintenir l’anonymat.

Dans une loi qui porte votre nom, M. le rapporteur, vous avez vous-même indiqué que l’intention précède l’action. En l’occurrence, l’intention est de porter secours à l’embryon ou aux embryons à venir, même si nombre d’embryons succombent lors des recherches. La recherche sur l’embryon ne profite généralement pas à l’embryon qui est l’objet de la recherche, mais aux embryons futurs ; l’intention est tout de même celle d’améliorer le sort des embryons. Les expérimentations de biopsies de blastomère avant le diagnostic préimplantatoire (DPI) étaient aléatoires mais menées en faveur de l’embryon. Dans ce domaine, il faut accepter des exceptions. Seule compte la pureté des intentions.

M. le président. De quel droit le législateur imposerait-il un moratoire sur la recherche fondamentale ? Pourquoi ce délai de cinq ans ?

M. Jean-François Mattei. Ma langue a dû fourcher. Je rejoins totalement la position exprimée par le rapporteur : il faut maintenir l’interdit, poser un principe dérogatoire et y revenir lorsque ce sera opportun, sans fixer de délai a priori.

M. le président. Comment justifier cette dérogation ?

M. Jean-François Mattei. Parce que nous en avons besoin, pour des raisons de santé. Si l’efficacité thérapeutique des cellules souches embryonnaires s’avérait supérieure, il faudrait se rendre à l’évidence et se tourner vers elles. Je pense que ce ne sera pas le cas mais, en toute objectivité, les preuves formelles n’ont pas encore été apportées.

M. le président. Certes, mais pourquoi limiter ces recherches fondamentales ? Si, comme vous le dites, elles sont utiles, ne faut-il pas les autoriser ?

M. Jean-François Mattei. En 1992, mon homologue britannique, la baronne Warnock, m’avait déclaré que, pour elle, avant quatorze jours, l’entité de préembryon créée par la loi pouvait servir à tout, y compris pour les cosmétiques. Pour vérifier l’existence de voies alternatives, il est indispensable d’accepter une dérogation, que nous fermerons le moment venu, sans fixer de date a priori.

Il est vrai que le mot « thérapeutique » peut être remplacé par le mot « médical », car science et médecine ne sont jamais éloignées. Ce n’est pas à la loi mais à l’Agence de la biomédecine de définir les limitations.

Je suis convaincu que les cellules souches iPS s’imposeront car les travaux paraissent extrêmement simples et se répandent comme une traînée de poudre.

M. le président. Par le passé, nous avons eu tant de certitudes qu’il convient de nous montrer prudents !

M. Jean-François Mattei. C’est vrai. Mais, en zone d’incertitude, la prudence ne consiste pas à lever un interdit, surtout si nous maintenons une dérogation et que celle-ci n’est pas limitée.

Je suis un adepte des contes de fées, mais il ne faut pas oublier le réveil, notamment pour l’enfant. Sur mille cas par an, il y aurait à peine quelques dizaines de demandes. Pour le DPI, voté en 1994, nous n’en sommes qu’à 200 ou 300 cas par an. La gestation pour autrui (GPA) nous conduirait à légitimer un modèle d’exception susceptible de devenir une référence, et le réveil ne serait pas toujours sans douleur ni regrets.

Pour ce qui concerne les dons d’organe, il est temps d’imposer que la mention « donneur » ou « non donneur » figure sur une carte, par exemple la carte Vitale. J’ai toujours émis ce souhait mais je me suis heurté à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui jugeait cette mesure susceptible de provoquer des discriminations à l’encontre des personnes non donneuses. Je pense qu’il faut maintenant prendre la décision.

Les médecins ont beaucoup de mal à apprivoiser la loi sur la fin de vie et, en matière de dons d’organes, ils ont encore autant de mal à apprivoiser les dispositions relatives au témoignage de la famille, qu’ils prennent pour un consentement. Il n’y a pas de raison que l’Espagne réponde correctement à la demande et que la France ne le fasse pas. Si les médecins n’effectuent pas correctement leur travail de transplantation, il faut comprendre pourquoi. Il convient de former des collaborateurs aptes à ce type d’interrogatoire, lequel doit intervenir en un lieu autre que le couloir situé entre l’ascenseur et l’entrée du service de réanimation. Il faut être capable d’agir avec humanité, mais aussi avec fermeté, car il existe une loi.

Si nous n’y arrivons pas, il faudra évidemment creuser la piste des dons entre vivants. Mais j’éprouve deux réticences, sans que cela me conduise à une position de refus : des pressions morales peuvent être exercées sur un sujet compatible mais qui n’a pas envie de donner ; des pressions financières peuvent aussi apparaître. La seule garantie est l’intervention d’un juge ou d’une commission indépendante et objective présidée par un magistrat. La vie doit prévaloir, mais une telle mesure doit être entourée de mille précautions.

Pour l’information de la parentèle suite au diagnostic d’une anomalie génétique, nous n’avons toujours pas trouvé la bonne solution, même si j’ai cru que c’était fait en 2004. Il faudra que le législateur décide : lorsqu’une femme conductrice donne la vie à un enfant myopathe, si sa sœur accouche ensuite d’un enfant myopathe, qui est responsable ? Le médecin, pour ne pas avoir prévenu la sœur qu’elle devait vérifier si elle était conductrice ? La mère déjà frappée par le malheur, pour être la cause de la naissance de son neveu myopathe ? Honnêtement, neuf fois sur dix, nous réussissons à convaincre les parents. Il faut instaurer un équilibre, mais je n’ai pas d’avis à vous livrer, d’autant que, par mon métier, je suis partie prenante. Nous agissons avec tact. Je reste cependant à votre disposition s’il faut retravailler la question.

Dans les conditions actuelles du don de gamètes, il n’existe pas de risque de consanguinité, à condition de continuer à n’utiliser le sperme d’un même donneur que dix fois au plus, et non cinquante ou cent fois. Compte tenu du nombre d’enfants naturels dans un rayon proche, le risque est inférieur à celui présent dans la population générale.

La médecine n’est jamais éloignée de la science. La recherche est une ; je trouve finalement assez artificiel de distinguer recherche fondamentale, recherche clinique et recherche appliquée. Le scientifique et le médical, dans mon esprit, sont à peu près identiques.

La médecine prédictive avait été assez bien cernée en 1994. Il faudra malheureusement s’en remettre à une formule insatisfaisante, mais qui a fait ses preuves, tout en prévoyant des garde-fous : la médecine prédictive est chaque fois justifiée dans les cas d’une affection d’une particulière gravité et incurable. Certaines formes de cancer du sein ont un très grand risque d’apparaître. Que faut-il faire sachant qu’une petite fille, à l’âge adulte, devra être amputée des seins et des ovaires si l’on veut lui éviter un cancer ? Cette situation est abominable. Quand le patient le demande ou l’exige, cela peut parfaitement être envisagé, pour autant que la maladie soit incurable. Or je crois que la thérapie va progresser.

M. le rapporteur. Pour une telle maladie, compte tenu notamment des dépistages très précoces et réguliers, faudrait-il remplacer le terme « incurable » par la référence à une affection « d’une particulière gravité » ?

M. Jean-François Mattei. Naturellement, mais le suivi à intervalles rapprochés pour vérifier qu’un cancer n’apparaît pas rend la vie extrêmement difficile à supporter. La question peut se poser et il faut s’en remettre aux familles, d’autant que la maman, qui porte le gène, sait ce qu’elle a vécu.

M. le président. Pour quelles raisons la France n’a-t-elle pas encore ratifié la convention d’Oviedo ?

M. Jean-François Mattei. À cause de la fin de vie. En l’absence de grande avancée sur ces sujets, il faut ratifier la convention et les avenants adoptés depuis sa signature.

M. le président. Quelles sont les raisons qui pourraient nous empêcher de procéder à la ratification ?

M. Jean-François Mattei. Je n’en vois aucune. Même la question de l’embryon fait partie de celles renvoyées à la compétence des législations nationales.

Pour conclure, j’aborderai trois autres sujets.

Premièrement, il faudra que vous vous penchiez sur l’exploitation des empreintes génétiques par le biais d’Internet. En 1994, nous avions pris des mesures garantissant la paix des ménages et l’ordre public. Mais maintenant, moyennant de 200 à 400 euros, vous pouvez effectuer un prélèvement sur une brosse à cheveux, l’expédier dans un petit sachet et obtenir le résultat anonymement dans les quinze jours. La loi ne peut encadrer ces pratiques nouvelles, qui ne connaissent pas les frontières.

Deuxièmement, il est nécessaire de légiférer sur les neurosciences, qui connaissent des avancées inquiétantes, confinant à la neuro-économie. Je sais que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a organisé une table ronde à ce sujet, mais il faut fixer une limite : compte tenu des connaissances actuelles en matière d’imagerie cérébrale fonctionnelle, personne ne peut se prévaloir d’une image pour assumer ou se défaire d’une responsabilité quelconque.

Troisièmement, j’entends souvent dire que les Français devraient légiférer dans une direction donnée parce que c’est ce qui se fait dans les pays voisins. J’observe que certains États des États-Unis sont pour l’avortement ou la peine de mort, alors que d’autres sont contre, ce qui n’empêche nullement l’unité nationale. Je comprends parfaitement que certains cherchent à satisfaire leurs désirs ou leurs rêves à l’étranger, mais nous avons le devoir, me semble-t-il, de traduire la culture et la tradition françaises pour déterminer ce que l’on est en droit de faire ou non. J’observe au demeurant que la Grande-Bretagne n’a pas envie de copier la Belgique, la Suisse ou les Pays-Bas en matière de fin de vie, car elle dispose de soins palliatifs depuis longtemps. La Belgique hésite à légiférer sur l’accouchement sous X et s’accommode bien que ses ressortissantes fréquentent les maternités du Nord. Il s’agit là d’un mauvais argument : chaque pays fait ce qu’il veut.

M. le rapporteur. Le Président de la République a souhaité la mise en place d’États généraux de la bioéthique. Comment aborder des problèmes scientifiques complexes qui touchent aux fondements de la vie quotidienne : la famille, la naissance, la vie, la mort ? Comment trouver le juste milieu pour que le débat, tout en étant de qualité, soit aussi populaire, afin de faire comprendre à nos concitoyens les enjeux recouverts par la science et de recueillir leur opinion, à laquelle le législateur ne saurait rester insensible ?

M. Jean-François Mattei. Je suis perplexe. Si l’on m’avait demandé mon avis sur des États généraux de la bioéthique, j’aurais exprimé un sentiment de réserve. La plupart des colloques organisés dans ce domaine se transforment en réunions militantes : les associations ont un message à faire passer. Organiser ce genre de manifestation fait prendre un très grand risque : même si les participants sont sélectionnés, ceux auxquels l’accès de la salle sera interdit seront dehors et feront encore plus de bruit ! La conférence citoyenne sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) s’est traduite par un échec : elle n’a pas apporté les éclaircissements espérés parce que les avis étaient trop tranchés, sur un sujet, certes, éminemment quotidien – nous mangeons trois fois par jour – mais aussi éminemment complexe.

Je note que les élèves des classes de terminale posent, sur ces sujets, des questions incisives et justes et qu’ils débattent sereinement ; ils font preuve de beaucoup de cœur et de générosité, mais ils ne sont pas prêts à accepter n’importe quoi. Le compte rendu d’un sondage réalisé parmi les étudiants était ainsi intitulé : « Les étudiants sont plutôt conservateurs. » Les jeunes, déjà un peu bousculés dans leur vie familiale, ne donneront pas forcément la réponse attendue à propos de la gestation pour autrui, même s’ils sont les plus ouverts, les plus concernés, les plus attentifs. L’avis des gens naïfs est plus utile que les faux savants qui fondent leur avis sur ce qu’ils ont entendu dans une émission de téléréalité. Je n’ai donc pas de réponse toute faite. Il faut que vous déterminiez quelle géométrie vous souhaitez donner à ces États généraux et que vous sachiez qui vous souhaitez inviter, comment vous sélectionnerez les participants, s’ils feront l’objet d’une information préalable. C’est un travail épouvantable, pour lequel je vous souhaite bon courage.

M. le président. Vous résumez la méthode et les questions sur lesquelles travaille le comité de pilotage. Monsieur Mattei, je vous remercie.

Audition de M. Géraud LASFARGUES, président de l’Académie nationale de médecine et de M. Jacques-Louis BINET, secrétaire perpétuel


(Procès-verbal de la séance du 27 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Géraud Lasfargues, président, depuis le 6 janvier 2009, de l’Académie nationale de médecine, dont il était membre titulaire depuis 1997, professeur honoraire des universités – Paris VI –, ancien médecin des hôpitaux de Paris, agrégé de pédiatrie et ancien chef de service à l’hôpital Trousseau, et M. Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine et ancien chef de service d’hématologie à la Pitié-Salpêtrière.

La mission chargée de réfléchir sur la révision des lois bioéthiques aimerait notamment savoir quel bilan vous tirez, messieurs, de l’application de la loi du 6 août 2004. Par ailleurs, le groupe de travail sur la gestation pour autrui mis en place par l’Académie nationale de médecine a-t-il rendu ses conclusions?

M. Géraud Lasfargues. Notre exposé liminaire comportera deux parties. Dans la première, je décrirai la façon dont l’Académie travaille et envisage les questions de bioéthique ; dans la seconde, M. Jacques-Louis Binet exposera les propositions de l’Académie.

Tout d’abord, nous vous remercions de nous avoir invités à cette audition. Notre Compagnie s’est toujours intéressée aux questions de bioéthique médicale et a souligné l’ampleur des questions éthiques, juridiques et sociétales soulevées par les progrès de la science et de la technique dans le domaine de la procréation, de la transplantation d’organes et du génie génétique.

Un bref historique vous montrera la place qu’accorde l’Académie à la bioéthique. Dès 1947, le professeur Piédelièvre avait participé à l’écriture du code de Nuremberg, texte fondateur de la protection de la personne humaine dans le domaine de l’expérimentation biomédicale. Notre confrère Jean Bernard fut, en 1983, le premier président du Comité consultatif national d’éthique, et depuis, statutairement, l’Académie y désigne chaque fois un de ses membres. Claude Sureau, que vous allez bientôt recevoir, vient d’être réélu à cette fonction.

Au sein de notre Compagnie, trois groupes de travail s’intéressent actuellement à des problèmes spécifiques de bioéthique. Le premier, dirigé par le professeur Yves Chapuis, transplanteur à l’hôpital Cochin qui a réalisé un nombre important de greffes du foie, travaille sur les prélèvements et greffes d’organes ; le deuxième, dirigé par Roger Henrion, gynécologue-obstétricien, étudie les questions posées par le recours éventuel à la GPA, la gestation pour autrui – son rapport doit être remis la première semaine de mars – ; enfin le troisième, dirigé par Jean-Jacques Hauw et Raymond Ardaillou, travaille sur les prélèvements tissulaires à but scientifique chez les patients vivants ou décédés.

Avant cette audition, nous avons interrogé nos confrères académiciens bien sûr, mais aussi Laure Coulombel de l’INSERM, et Bernard Bioulac, qui fut un acteur important de la première loi en 1994. Nous avons aussi relu le bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, publié en 2008 par vous-même, monsieur le président Claeys, et Jean-Sébastien Vialatte, et les Questions d’éthique biomédicale dirigées la même année par Jean-François Mattei.

Avant de vous faire connaître les réponses de l’Académie et les éventuelles modifications qu’elle souhaiterait voir apporter aux lois de bioéthique, nous voudrions insister sur l’esprit qui a animé nos discussions et sur les conclusions qui en découlent.

Pour l’Académie, la bioéthique est une éthique nouvelle née de la prise en compte des problèmes suscités par l’application à l’homme de techniques nouvelles et des révolutions thérapeutiques qui en découlent. Les avantages attendus d’un progrès scientifique doivent être évalués tant du point de vue de ses finalités que de ses conséquences. Dès lors, la réflexion bioéthique s’impose pour accompagner la mise en œuvre de dispositifs innovants. Elle permet au législateur de décider de restrictions momentanées ou définitives qui pourront évoluer en fonction des avancées technologiques et des évaluations indispensables réalisées par les travaux des médecins.

Deuxième point qui nous semble très important : la bioéthique n’est qu’un élément de l’éthique médicale. Celle-ci ne saurait être circonscrite aux éléments scientifiques ou les plus innovants de nos pratiques. Il ne faut pas négliger les enjeux de l’éthique des soins au quotidien, ni la prise en compte des vulnérabilités dans l’accès à la prévention, ni même des problèmes complexes comme le devoir de solidarité. Ces valeurs, qui font partie de ce que certains, comme Emmanuel Hirsch, dénomment l’éthique « d’en bas » – par complémentarité avec l’éthique « d’en haut » représentée par la bioéthique –, ne doivent pas être ignorées : elles doivent être prises en compte dans les grands principes qui servent de base à la bioéthique.

L’Académie y est très attachée ; elle estime de son rôle de le faire savoir, en particulier en étant davantage impliquée dans les processus de réflexion imaginés pour répondre aux conditions nouvelles créées par les progrès scientifiques, au même titre que les sociétés savantes et le Conseil national de l’Ordre des médecins. Il lui paraît nécessaire de créer les conditions d’une concertation fixant les principes essentiels de la bioéthique et anticipant les évolutions prévisibles. En matière de bioéthique, l’Académie considère qu’il conviendrait de mettre en lumière, plutôt que de les masquer, les fondements philosophiques, spirituels et sociaux des différentes décisions, pour être mieux compris par nos concitoyens.

Troisième point important : la bioéthique a une spécificité qui nécessite une méthodologie appropriée.

Il est frappant de constater que, alors que l’on sait comment travailler, par exemple, pour définir la meilleure technique face au cancer du sein, il n’y a pas encore vraiment de méthodologie appliquée en bioéthique. La bioéthique a une spécificité : c’est une éthique qui s’applique à des programmes médicaux. Il y a le législateur et le médecin. Ce dernier souhaiterait, d’après nos enquêtes et nos auditions, que soit reconnue la nécessité d’une évaluation médicale des décisions législatives dans une période dérogatoire. Une évaluation objective et contradictoire de leurs conséquences devrait être prévue. Le manque actuel de méthodologie en bioéthique, contrairement à ce qui est le cas dans d’autres secteurs de la médecine, est très regrettable. Lorsque les progrès scientifiques en biologie permettent d’envisager de nouvelles conduites, diagnostiques ou thérapeutiques, acceptées par la société, le médecin devrait pouvoir les évaluer avant que ne soient prises les dispositions réglementaires définitives. Bref, une interdiction avec dérogation avant une autorisation définitive nous paraît la décision la plus raisonnable.

Quatrième point : la bioéthique occupe une place importante dans les préoccupations de l’Académie, même si, contrairement à ce qui se passe dans d’autres domaines, les positions et recommandations de l’Académie font l’objet de vives discussions et ne sont pas adoptées à l’unanimité. Il existe souvent au sein de l’Académie, comme dans la société elle-même, des divergences d’opinions toujours respectables tant il est vrai qu’en bioéthique interviennent des facteurs très personnels liés à la tradition, la philosophie, la spiritualité, la conception et le sens de la vie.

Cinquième point : le rôle de l’Académie en matière de bioéthique est très précis.

La bioéthique fait partie de la mission statutaire de l’Académie. Cette dernière doit s’intéresser avant tout aux éventuelles conséquences – accidents somatiques ou psychologiques pour l’individu – des décisions du législateur. Elle prévient le législateur des effets médicaux secondaires prévisibles pour lui permettre d’éventuelles modifications de la loi.

En revanche elle ne croit pas devoir intervenir sur les modalités de la loi. Par exemple, elle ne choisit pas entre une loi-cadre et une loi détaillée, régulièrement remaniée, même si elle en note bien les différences. Mais elle serait favorable au dépôt d’une proposition de loi pour donner un cadre unique à toute recherche sur l’être humain.

Sixième point : l’information et le suivi en bioéthique sont essentiels. L’Académie y contribue selon trois modalités.

Tout d’abord, elle met au premier rang un effort de pédagogie auprès de nos concitoyens. De plus, s’impose un projet d’information auprès des jeunes des lycées et des universités. L’Académie peut y contribuer en assurant la formation d’enseignants et en organisant des rencontres ouvertes au public, par exemple, en partenariat avec l’Espace éthique de l’AP-HP.

Ensuite, elle est désireuse de participer à la mise en place de dispositifs de suivi et d’évaluation de technologies nouvelles, notamment par un travail de veille réalisé par ses spécialistes de bioéthique.

Enfin, l’Académie est très favorable à un dialogue avec le public pour expliquer les enjeux et pour faire connaître nos valeurs communes qui fondent les choix que nous faisons. Ceux-ci sont souvent difficiles car il existe encore de nombreuses incertitudes dans ces nouvelles connaissances.

Toutes ces remarques nous ont paru nécessaires pour faire comprendre à votre mission les positions de notre Compagnie, que M. Jacques-Louis Binet va maintenant évoquer.

M. Jacques-Louis Binet. Géraud Lasfargues et moi-même parlons, bien entendu, d’une seule voix sur ces questions. Nous présenterons les propositions de l’Académie sous forme d’interrogations, afin d’illustrer l’esprit, que vient de préciser Géraud Lasfargues, dans lequel travaille l’Académie.

Premier thème, première question : les cellules souches somatiques sont-elles une alternative crédible et éthiquement acceptable au recours aux cellules embryonnaires ?

Il est certain que les progrès scientifiques et thérapeutiques réalisés depuis quatre ans avec les cellules souches somatiques apportent des avancées importantes, en particulier si l’on utilise des cellules reprogrammées ou cellules souches induites, dites iPS. Cependant, nos connaissances sur les cellules reprogrammées sont récentes et incomplètes et on ne saurait encore affirmer que leurs propriétés sont identiques à celles des cellules embryonnaires, d’autant que ces cellules ont un passé.

Aussi paraît-il nécessaire de comparer les résultats et les indications des diverses variétés de lignées cellulaires, sans idée préconçue, et de poursuivre l’étude et des cellules somatiques et des cellules embryonnaires. Il faut donc traiter équitablement le financement de ces deux séries de recherches. Par ailleurs, la suppression du moratoire faciliterait l’activité des laboratoires de recherche car il semble bloquer certaines recherches de longue durée. Le contrôle de l’Agence de la biomédecine doit, quant à lui, être maintenu. L’Académie ne s’est pas prononcée sur le remplacement de la clause disposant que la perspective de progrès thérapeutiques est un prérequis à l’autorisation, par une autre qui indiquerait que l’espoir d’amélioration des connaissances au bénéfice de la santé et de l’humanité est suffisant.

Le sang de cordon ne contient pas de cellules souches totipotentes. Il est utilisé pour la reconstitution du tissu hématopoïétique par les cellules souches multipotentes qui s’y trouvent. C’est avec de telles cellules qu’Eliane Gluckman a réalisé pour la première fois une greffe de moelle à l’hôpital Saint-Louis. Après avoir été en tête sur ce type de traitement, la France se retrouve aujourd’hui en retard. Il faut absolument développer le réseau français sous la double autorité de l’Établissement français du sang et de l’Agence de la biomédecine. L’emploi de ces cellules placentaires pose le problème, comme on l’a observé dans d’autres pays européens, de la création de banques mixtes, publiques et privées.

Deuxième question : Comment faire évoluer l’encadrement de l’assistance médicale à la procréation ?

Pour la procréation au sein du couple, l’Académie nationale de médecine est opposée à l’insémination post mortem car des pressions extérieures fortes peuvent s’exercer sur la jeune femme. En revanche, le transfert post mortem d’un embryon conçu avant la mort du mari nous semble tout à fait acceptable. L’Académie ne s’est pas prononcée sur la nécessité ou non de déterminer un âge limite à la procréation assistée chez la femme et chez l’homme, ni sur la procréation dans les couples homosexuels.

Pour la procréation hors couple, l’Académie demeure très attachée à l’anonymat absolu des dons de gamètes. Elle comprend le désir de certains enfants, devenus adultes, de connaître leur père ou leur mère biologique, mais la demande, qui reste limitée à 1 pour 1 000 des sujets ainsi conçus, ne peut être actuellement prise en compte parce que la suppression de l’accouchement sous X augmenterait vraisemblablement le nombre d’avortements.

L’ANM n’est pas non plus favorable au système du double guichet. Mme Valérie Pécresse avait déposé une proposition de loi à ce sujet lorsqu’elle était députée, et c’est un de nos académiciens qui l’a convaincue de la retirer.

L’Académie rappelle que le don d’ovocytes n’est pas sans risques – ceux-ci sont liés à la stimulation ovarienne – et encourage les travaux sur la vitrification des ovocytes car elle permet un taux de survie de ces derniers très supérieur à la congélation des embryons.

Troisième thème : faut-il étendre l’utilisation des diagnostics préimplantatoires à des prédispositions ?

Le recours aux DPI pour diagnostiquer sur les embryons les pathologies « d’une particulière gravité et incurables » au moment du diagnostic est tout à fait légitime puisqu’il s’applique à des embryons conçus par des couples dont les enfants sont susceptibles de porter des gènes défectueux. En revanche, il n’y a pas lieu (sauf peut-être dans des cas exceptionnels) d’étendre l’utilisation du diagnostic préimplantatoire à des prédispositions à des maladies – cancer du colon, du sein ou de l’ovaire – dont la probabilité de survenue est augmentée par rapport au reste de la population. Enfin, l’Académie est très attentive à la définition de l’incurabilité et s’inquiète des modalités d’établissement d’une liste de maladies incurables.

Quatrième question : faut-il autoriser la grossesse pour autrui ou GPA?

Notre groupe de travail sur cette question, présidé par Roger Henrion, rendra son rapport le 14 mars 2009. Sans vouloir préjuger ses conclusions, nous faisons remarquer que la GPA pose des problèmes fondamentaux d’éthique portant notamment sur l’instrumentalisation du corps humain. Cependant, le groupe de travail a voulu apporter des arguments objectifs en étudiant les 400 cas de GPA rapportés dans la littérature à partir de l’expérience de certains États – Californie, Grande-Bretagne. Il a réalisé une étude médicale très complète, regroupant des arguments pour et contre la GPA. Il informera le législateur des conséquences médicales de ce type de gestation.

Ce chapitre illustre bien notre méthode de travail. Nous ne sommes pas des législateurs. Nous ne pouvons ni ne voulons l’être. Nous sommes des médecins qui, sur des problèmes interférant avec l’éthique, la religion et les sensibilités de chacun, informent et donnent des arguments médicaux – et seulement médicaux.

Cinquième thème et question : comment faire évoluer la législation des dons d’organes ?

L’Académie a émis plusieurs propositions et recommandations dans le cadre d’un groupe de travail présidé par Yves Chapuis.

On distingue trois types de prélèvements.

Les premiers sont les prélèvements sur personnes en état de mort encéphalique. Leur taux reste autour de 30 % – 27 % en 2007 – dans le régime actuel du consentement présumé. Ce taux est très insuffisant par rapport à la demande, qu’il s’agisse des greffes de rein ou de foie. Le refus des familles reflète, semble-t-il, davantage le point de vue des proches que celui de la personne décédée.

Que faire ? Actuellement, le registre du refus de dons d’organes est peu utilisé : 70 000 refus. Nos propositions seront, là encore, exprimées sous forme d’interrogations. Ne vaut-il pas mieux proposer d’inscrire ce refus sur la carte vitale de tous les sujets vivants ? On pourrait aussi instaurer un registre de donneurs volontaires d’organes à remplir de son vivant. On pourrait également revenir tout simplement à la notion de don implicite tel que l’instituait la loi Caillavet, mais ce serait en contradiction avec la loi Kouchner de 2002 sur les droits du malade.

Le deuxième type de prélèvements, ce sont ceux opérés sur donneurs à cœur arrêté. Consciente de l’intérêt de nouvelles approches de nature à favoriser l’obtention de greffons, comme les prélèvements à cœur arrêté, l’Académie est attentive aux expérimentations des procédures initiées dans le cadre de l’Agence de la biomédecine. Une évaluation des pratiques semble toutefois s’imposer, notamment s’agissant des techniques de réanimation innovantes faisant intervenir le recours à la circulation extracorporelle.

Le troisième type de prélèvements comporte ceux effectués sur donneurs vivants. Cette ressource reste marginale en France : 8 % pour la greffe de rein, 1,7 % pour la greffe de foie, exceptionnel pour le poumon.

Le rapport d’Yves Chapuis insiste, premièrement, sur le maintien des comités d’experts appelés désormais « comités donneurs vivants » et sur la présence de médecins dans le comité – ces derniers en sont absents actuellement – ; deuxièmement, sur le maintien dans la loi de l’obligation de la tenue des registres par l’Agence de biomédecine concernant l’activité de greffes, mais aussi l’avenir des donneurs et des receveurs ; troisièmement, sur la nécessité d’un statut du donneur.

Sixième question : les prélèvements tissulaires à but scientifique sur le patient décédé sont-ils nécessaires ?

Ils font actuellement l’objet d’une étude par un groupe de travail, dirigé par Jean-Jacques Hauw et Raymond Ardaillou, qui doit remettre prochainement ses conclusions. Notre Compagnie les transmettra à votre mission. Vous devriez les avoir au milieu du mois de février.

Il faut insister sur les difficultés entraînées par la réglementation actuelle et la nécessité d’y remédier. Les problèmes administratifs sont très lourds. Ces prélèvements qui doivent être regroupés dans des centres de recherche biologique ne le sont toujours pas. Les associations de patients – France Alzheimer, France Parkinson, AFM, par exemple – soutiennent et encouragent ce don d’organes pour la recherche, et contribuent souvent à financer celle-ci.

L’autopsie médicale, à la base de la médecine, n’existe plus dans les hôpitaux. Elle est pourtant nécessaire au progrès de la médecine. Or, elle est rendue très difficile par la loi Kouchner. Une solution doit être recherchée.

Septième question : faut-il permettre des tests génétiques pour convenance personnelle ?

En plus des indications juridiques dans les enquêtes criminelles, scientifiques et médicales, se pose en effet le problème des analyses du génome effectuées par convenance personnelle. La législation actuelle ne les autorise pas mais beaucoup de Français vont les faire pratiquer à l’étranger. La loi devrait évoluer car la France ne peut garder seule une attitude restrictive. D’autant plus que les tests proposés au public devraient faire l’objet d’une autorisation préalable et d’une information du public sur leur interprétation et leurs limites ; aujourd’hui rien ne limite le délire dans l’interprétation des résultats.

Pour terminer, nous voudrions émettre un souhait et faire une annonce.

Notre souhait a été formulé par de nombreux chercheurs : il faut simplifier. Le dispositif instauré et modifié à différentes reprises depuis les lois de 1994 est très lourd et nécessite de nombreuses démarches administratives. Il pourrait sans doute être simplifié. L’Agence de la biomédecine doit conserver son pouvoir, et peut-être également acquérir une liberté décisionnelle accrue. Est-il nécessaire, par exemple, que le guide de bonnes pratiques fasse l’objet d’un arrêté ministériel ? Est-il nécessaire de publier par arrêté ministériel le bilan annuel réalisé par les centres et synthétisé par l’Agence ?

L’annonce que nous souhaitons faire est que l’Académie de médecine, en parrainage avec l’Espace Éthique de l’AP-HP, participera aux États généraux de la bioéthique.

Elle organisera, dans ses locaux de la rue Bonaparte, de mars à juin 2009, entre six et huit séances de rencontres avec le public. Ces rencontres reprendront les différents thèmes des révisions de la loi relative à la bioéthique à partir d’un exposé approfondi suivi des commentaires de deux intervenants. L’Académie confirme ainsi son rôle de formation et d’information et son désir de contribuer à l’évolution des lois de bioéthique.

Nous vous laisserons un document regroupant les trente-deux publications de l’Académie sur le thème de la bioéthique, des brochures sur les cellules souches et la grossesse, et le programme des réunions « populaires » que nous organiserons de mars à juin à l’occasion des États généraux.

Nous avons insisté pour venir tous les deux devant votre mission alors qu’aucun de nous n’est spécialisé en éthique médicale. Nous la connaissons comme tout médecin. Il nous a semblé plus logique d’interroger les membres de notre Compagnie impliqués dans ces problèmes afin de vous donner un point de vue de médecins.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous vous remercions pour votre exposé détaillé et votre documentation.

Ma première question concerne le diagnostic préimplantatoire. Vous avez dit que l’Académie était très attentive à la définition de l’incurabilité. Nous nous sommes demandés avec le professeur Jean-François Mattei, que nous avons entendu il y a un instant, s’il ne fallait pas remplacer le mot « incurable » par l’expression « d’une extrême gravité » car une maladie peut être incurable aujourd’hui et ne plus l’être demain.

M. Jacques-Louis Binet. Je suis tout à fait de votre avis, d’autant que le mot « incurable » n’est guère un terme médical.

Un membre de l’Académie a eu un fils qui est né avec toutes les malformations possibles. Celui-ci a actuellement une situation importante et est lui-même membre de l’Académie alors que la maladie dont il était atteint était considérée comme incurable dans les livres. De plus la chirurgie néonatale et embryonnaire ne cesse de faire des progrès.

M. Géraud Lasfargues. L’Académie craint l’établissement d’une liste des maladies incurables. Nous en avons vu une l’autre jour où figuraient deux maladies totalement curables. Les termes « maladies d’une extrême gravité » conviennent donc mieux.

Il est important d’établir une claire distinction entre le dépistage de ces maladies et les diagnostics préimplantatoires permettant de déceler la possibilité d’une maladie grave à un certain âge. Quoique fondamentale, cette distinction est en train de se perdre dans l’esprit des gens. Ceux qui vont se faire faire un génome à Vienne ou à Zurich et reviennent avec un pronostic d’un risque sur cinq de développer un cancer de la prostate ou un risque sur dix d’avoir un cancer du sein se retrouvent dans une situation insupportable car ils ne savent pas quoi en penser. On suscite leur anxiété sans résoudre leurs problèmes.

De même, s’il existe une liste des maladies « incurables », l’échographe qui décèle une anomalie correspondant à une de ces maladies le dira à la mère – comme cela s’est passé il n’y a pas très longtemps – et poussera systématiquement celle-ci à avorter, ce qui la mettra dans une situation horrible, alors que la décision doit faire suite à une discussion entre son médecin traitant et elle.

Le fils de notre collègue dont a parlé Jacques-Louis Binet est aujourd’hui agrégé de pharmacie, membre de l’Académie de pharmacie et père de plusieurs enfants bien qu’il ait eu une vie extrêmement difficile du fait des handicaps majeurs qu’il a. Ce n’est pas au législateur de dire qu’une maladie est incurable.

M. Jacques-Louis Binet. Ni même au médecin, compte tenu de l’évolution de la médecine.

M. le rapporteur. Ma seconde question porte sur le consentement présumé pour les greffes d’organes. Comme nous avons appris que l’Espagne avait un taux de donneurs beaucoup plus important que la France, nous réfléchissons à la révision de la loi.

La mention « Je ne suis pas donneur » sur la carte vitale pourrait avoir un caractère discriminant : le porteur de la carte pourrait être considéré par la société comme ne faisant pas preuve de la solidarité ou de la fraternité escomptée. Certains préféreraient un consentement réel, avec la mention « Je suis donneur » sur la carte vitale. Comment peut-on conserver l’idée de donneur présumé avec une inscription sur la carte vitale? Comment sortir de la situation actuelle ou ce sont bien souvent, de fait, les proches qui décident ?

M. Géraud Lasfargues. Le cas de l’Espagne est particulier. Ce pays compte un nombre très élevé de donneurs vivants et réalise trois fois plus de greffes que la France. Le système de recueillement est extrêmement efficace puisqu’on offre aux familles de payer les funérailles de la personne qui donne ses organes. Mais un tel système est impossible à appliquer en France. Il est très éloigné de la sensibilité des médecins français.

Le don implicite, tel que prévu par la loi Caillavet, est le système le plus simple, mais il est contraire à la loi Kouchner aux termes de laquelle on n’a pas le droit de prendre un organe sans le consentement du malade.

M. le rapporteur. La loi Kouchner n’élimine pas le consentement implicite.

M. Géraud Lasfargues. Elle le contredit. Tous les juristes que nous avons rencontrés nous ont dit que, tant qu’il y aurait la loi Kouchner, nous ne pourrions pas revenir à la loi Caillavet. Cette dernière était d’une simplicité remarquable : s’il n’y avait pas de papier sur le malade indiquant qu’il ne voulait pas donner ses organes, on n’avait pas à appeler la famille.

L’attitude des familles est compréhensible. Prenons le cas d’un jeune de vingt ans qui a un accident de voiture. On téléphone à sa famille de la Pitié-Salpêtrière où il a été placé pour lui annoncer : « Votre fils est en état de mort encéphalique. Pouvons-nous prendre les organes ? » Évidemment, 90 % des familles répondent par la négative.

Il y a deux autres solutions : inscrire le refus du don d’organes sur la carte vitale ou, à l’inverse, faire un registre des donneurs volontaires, avec le risque, dans les deux cas, que ceux qui refusent soient regardés d’un sale œil. Les transplanteurs sont favorables à la première solution : toutes les personnes qui n’auraient pas inscrit sur leur carte vitale qu’ils ne sont pas donneurs d’organes seraient considérés comme pouvant les donner.

M. Jacques-Louis Binet. Le système actuel crée des difficultés aux médecins. Ils doivent attendre un quart d’heure ou une demi-heure après l’annonce de la mort pour demander à la famille si elle accepterait que le malade donne son cœur par solidarité. Nous connaissons tous des familles qui ont accepté. Cela demande beaucoup de générosité.

M. le rapporteur. Que proposez-vous ?

M. le président. La solution qui ressort des auditions est le consentement présumé.

M. Géraud Lasfargues. Il faut soit revenir à la loi Caillavet, soit opter pour l’inscription sur la carte vitale.

M. le rapporteur. Un cas s’est produit récemment qui pose un problème majeur. Un sujet, en état de mort apparente, est en réanimation. Au bout d’un moment, le SAMU le considère en état de mort cérébrale...

M. Géraud Lasfargues. C’est le cas typique d’un cœur arrêté. La personne est alors bardée de sondes et emmenée à la Pitié-Salpêtrière où on essaie de la réanimer pendant quarante-cinq minutes. Si le cœur ne redémarre pas, elle est considérée en état de mort encéphalique. Les prélèvements ne peuvent avoir lieu que dans cet état. La distinction entre cœur arrêté et mort encéphalique est fondamentale.

M. le rapporteur. Dans l’histoire que je relate, il est décidé de prélever les reins de la personne. Comme on veut le faire sur cœur battant, on demande à l’équipe de continuer la réanimation, ce qui aboutit à ce que le malade reprenne une vie encéphalique et revienne donc à la vie. Est-il possible de trouver des critères beaucoup plus objectifs sur le plan médical pour éviter de se retrouver dans cette situation paradoxale où c’est parce qu’il n’a pas été possible de faire le prélèvement d’organes que la prolongation de la réanimation a sauvé le patient ?

M. Géraud Lasfargues. Au bout de quarante-cinq minutes de réanimation, il y a deux possibilités : soit le cœur ne redémarre pas et le cerveau commence à souffrir – et le patient est considéré en état de mort encéphalique –, soit le cœur redémarre et le patient va en réanimation. Récemment, un de nos collègues a fait un arrêt cardiaque. Son cœur a redémarré au bout de neuf chocs cardiaques.

Les critères de Coulon sur la mort encéphalique sont très précis et reconnus dans le monde entier.

M. le rapporteur. Comment expliquez-vous le cas que j’ai cité ?

M. Jacques-Louis Binet. L’électroencéphalogramme ou l’électrocardiogramme ont dû être mal interprétés.

M. Géraud Lasfargues. Il y a toujours des cas limites. On peut attendre plus longtemps avant de dire que le patient est mort. Certains font même des CEC, des circulations extracorporelles, avant de se prononcer. Mais je pense que les réanimateurs pourront vous donner des critères très précis permettant, dans 99 % des cas, d’être devant une situation claire.

M. Jacques-Louis Binet. Les réanimateurs sont confrontés à ce problème tout le temps. À un moment, ils cessent la réanimation parce qu’il n’y a plus d’espoir. Les seuls à être confrontés au problème de l’euthanasie, ce sont eux.

M. Géraud Lasfargues. Ce qu’il faudrait, c’est évaluer les techniques nouvelles. Cela devrait faire partie de la méthodologie dont je parlais tout à l’heure. L’Agence de biomédecine devrait évaluer les techniques qu’utilisent les réanimateurs.

M. Jacques-Louis Binet. Il importe de mettre en place une méthodologie médicale sur les questions d’éthique médicale. Il ne devrait pas y avoir de loi en la matière sans expérimentation préalable. C’est ce qu’a fait notre confrère Georges David pour le don de sperme dans le cadre du CECOS – centre d’études et de conservation des œufs et du sperme. Chaque étape a fait l’objet d’une analyse sérieuse. Lorsqu’il a lancé l’idée d’une banque de spermatozoïdes, celle-ci a été refusée par tout le monde mais il a su, grâce à sa méthodologie, convaincre non seulement qu’elle ne présentait pas de risques mais encore qu’elle était nécessaire.

M. Géraud Lasfargues. La seule méthodologie qui existe à l’heure actuelle est celle des CECOS sur les dons de spermatozoïdes. Depuis dix ans, ceux-ci font l’objet d’une évaluation constante. On sait, par exemple, que, l’année dernière, il a fallu 243 000 embryons pour faire 12 000 enfants.

M. Jacques-Louis Binet. Ce qui est une catastrophe !

M. Géraud Lasfargues. Il y a là un problème majeur : 40 % des embryons qui sont fabriqués, appelés pré-embryons, ne se développent pas s’ils sont implantés.

M. Xavier Breton. Avez-vous des échanges avec vos homologues d’autres pays, notamment européens ? Ces échanges portent-ils sur des questions de bioéthique et, si oui, les expériences des autres pays peuvent-elles être sources d’inspiration pour nous ?

Avez-vous déjà commencé à travailler ou comptez-vous prochainement travailler sur les nanotechnologies et les neurosciences qui vont, elles aussi, poser des questions d’éthique ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je ferai deux remarques par rapport à ce que vous avez dit concernant le don d’organes.

Vous avez dit que l’inscription sur la carte vitale comportait le risque que les personnes qui refuseraient soient « regardées d’un sale œil ». Pour moi, ce n’est pas en culpabilisant ceux qui ne voudraient pas donner leurs organes qu’on obtiendra plus de dons. Donner un organe, ce n’est pas comme faire un chèque de 50 euros à un organisme. Cela fait intervenir des considérations culturelles, religieuses et philosophiques dont une société comme la nôtre doit tenir compte sans sectarisme ni jugement. Nous devons être vigilants au regard collectif que nous portons sur le don d’organes.

Vous avez fait remarquer que la sensibilité des médecins français n’était pas la même que celle des médecins espagnols. Il en est de même de la sensibilité des familles.

Ma question concerne le don de gamètes. Tout être humain a le droit de connaître son origine et en a souvent le désir, ce qui pose un problème lorsqu’il y a don de gamètes. Vous avez dit que les personnes concernées ne sont que 1 pour 1000, taux cité également il y a quelques instants par le professeur Mattei. Mais, sur les 12 000 naissances par an, cela représente douze cas qui peuvent être particulièrement douloureux et, au fil des ans, cela fait un certain nombre de cas. N’est-il pas insuffisant de répondre à cette question simplement par un pourcentage ? Nous sommes toute notre vie les enfants de nos parents. Que peut-on répondre à une personne qui voudrait connaître son origine – même si le père qui l’a élevée est vraiment son père, car, à défaut de lui donner un spermatozoïde, il lui a donné de l’amour ? Peut-on lever une partie de l’anonymat ?

M. Géraud Lasfargues. Croyez-vous que la personne sera mieux quand elle connaîtra cette origine ? La position que nous avons donnée semble tranchée mais elle a fait l’objet d’une très longue discussion à l’Académie. Nous avons également interrogé nos confrères et des familles. Une personne sur mille qui souffre de ne pas connaître son origine ne doit pas masquer les 999 autres qui n’ont aucun problème.

Dans le domaine de l’adoption, nous voyons, à l’heure actuelle, de nombreuses filles de quatorze ou seize ans rechercher leur père ou leur mère biologique. Pour en avoir suivi beaucoup en tant que pédiatre, je puis vous dire que, quand elles le ou la retrouvent, elles ne sont pas en général apaisées.

Deux courants s’opposent sur ce sujet. Les psychanalystes français sont favorables à la connaissance de la filiation. La grande majorité des pédiatres qui suivent les enfants y sont assez opposés.

Une autre question à se poser est : doit-on satisfaire tous les désirs des gens ? Jusqu’où peut-on aller ? Cette question se pose également en matière de GPA. Le désir d’un enfant de connaître son père biologique comme celui d’une femme d’avoir un enfant sont immenses et, quand ils ne sont pas satisfaits, causent une détresse incommensurable. À l’évidence, nous souhaiterions tous les deux pouvoir combler au maximum le désir des gens qui viennent nous voir ; mais il nous faut confronter ce désir au concret. Croyez-vous qu’il y aura encore beaucoup de donneurs de gamètes si on lève l’anonymat ? Je pense que non. Même le système du double guichet n’a pas été bien vécu par les donneurs. Quant aux douze enfants qui naissent par an et qui sont malheureux de ne pas connaître leur père biologique, iront-ils mieux en le connaissant ? Cela reste à prouver.

À l’heure actuelle, nous sommes un peu dans l’impasse : ou bien on se focalise sur les douze enfants qui souffrent de ne pas connaître leur origine et ils deviennent plus importants que les autres, ou bien on privilégie la majorité par rapport à la minorité. On peut dresser deux colonnes avec, d’un côté, les avantages et, de l’autre, les inconvénients. Au moment de trancher, aucune solution n’est vraiment bonne.

Nous avons évidemment des relations avec nos homologues européens et américains. En particulier, dans le domaine de la GPA, nous avons fait une étude très minutieuse des 400 femmes californiennes. S’il est aisé d’analyser les faits objectifs, nous nous sommes rendu compte qu’il existait d’énormes différences culturelles, philosophiques et religieuses entre les pays latins et les pays anglo-saxons (pour le dire schématiquement). Les méthodes de contraception tout comme l’approche de la GPA sont différentes. Celle-ci semble ne guère avoir posé de problème à nos collègues anglais – tout au moins au départ car il y a d’autres problèmes aujourd’hui – tandis qu’en France, il est souvent impossible d’en parler. L’instrumentalisation du corps humain n’est pas envisageable. Mme Jospin nous a clairement dit que c’était impensable.

Je suis moins catégorique, premièrement, parce que le désir pour une femme d’avoir un enfant est immense, deuxièmement, parce que je ne vois pas pourquoi, après avoir permis le don de spermatozoïdes et d’ovocytes, on refuserait le prêt de la maison.

Les 400 femmes qui ont accepté une GPA sont toutes infertiles à cause d’une anomalie du vagin ou de l’utérus. Elles ne peuvent pas avoir d’enfants parce qu’elles n’ont pas de maison pour les construire. Quand on les interroge, on s’aperçoit qu’il était assez logique pour elles de demander à quelqu’un d’autre de leur prêter un toit pendant neuf mois.

Nous retrouvons là la question qui a été déjà posée : doit-on accepter tous les désirs, même aussi nobles que celui d’avoir un enfant ?

M. Jacques-Louis Binet. Qu’arrive-t-il en cas d’accident ?

M. Géraud Lasfargues. Un exemple est frappant à ce sujet. Une jeune femme, ayant fait une hémorragie de la délivrance, a subi une hystérectomie quinze jours après, l’empêchant d’avoir d’autres enfants. Comme elle n’avait pas eu d’enfant avant, elle a refusé de donner celui qu’elle avait porté.

M. Jacques-Louis Binet. C’est pourquoi beaucoup de pays demandent que la gestante ait eu deux enfants avant. Mais elle n’en aura pas moins des rapports avec l’enfant qui est en elle. On peut très bien imaginer qu’elle veuille le garder.

M. Géraud Lasfargues. D’autant qu’il y a plusieurs cas de figure. L’œuf peut être issu de gamètes soit de la demandeuse et de son mari, soit du mari de la femme gestante, soit de l’ovocyte de cette dernière. Tous ces cas se rencontrent chez les femmes californiennes.

M. Jacques-Louis Binet. Les lois sont différentes selon les pays. Dans l’un, l’enfant qui est dans le ventre de la femme gestante appartient à la femme à laquelle il sera donné tandis que, dans un autre, il appartient à la gestante qui, ensuite, le donnera selon une procédure administrative ou juridique. Vous vous rendez compte des problèmes psychologiques que cela pose.

M. Géraud Lasfargues. Que dira-t-on ensuite à l’enfant qui demandera comment il a été conçu ? Notre rôle n’est pas de vous dire s’il faut ou non autoriser la GPA. Il est de vous donner les arguments médicaux pour et contre. Il faut ensuite se poser la question de savoir si la société est prête ou non à accepter cette solution.

M. Jacques-Louis Binet. Concernant les nanotechnologies, deux ou trois personnes, dont M. Ardaillou, travaillent sur le sujet. Mais nous n’en sommes encore qu’à la technique. La signification des nanorésultats n’a pas encore son contrepoint médical. On ne peut pas encore dire si telle augmentation à des doses infinitésimales de tel corps a une action en pathologie.

Comme le disait Jean Bernard, il n’y a pas d’éthique médicale universelle. Le Français ne raisonne pas comme l’Algérien, ni même comme l’Allemand ou l’Anglo-Saxon. Notre diversité s’étend à nos convictions et à notre conception de la vie. Une juridiction unique n’est pas souhaitable.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Pensez-vous que les embryons sans projet parental puissent être « matière à recherche » ?

M. Jacques-Louis Binet. M. Lasfargues et moi-même n’avons peut-être pas le même point de vue sur le sujet. Personnellement, je répondrai par l’affirmative.

La production de cellules souches embryonnaires est interdite en France mais on peut avoir une autorisation pour aller en chercher à l’étranger si le projet est correct. Or, les projets ne sont pas faits par des fous. Il serait, dès lors, singulier d’être amené à jeter des embryons sans projet parental.

Un autre argument sur lequel insistent beaucoup de nos confrères gynécologues est qu’on ne sait pas grand-chose sur l’embryon. C’est pourquoi je pense que les embryons sans projet parental devraient être utilisés pour la recherche. Cela permettrait de déceler les pathologies très tôt.

Le moratoire tous les cinq ans interdit, dans ce domaine, les recherches de longue durée.

M. Géraud Lasfargues. M. Mattei a une position très différente. Selon lui, on n’a pas besoin de cellules embryonnaires. Il suffit de prendre des cellules somatiques totipotentes reprogrammées. Or, les chercheurs que nous avons interrogés nous ont dit que les cellules reprogrammées gardaient le souvenir de leur état antérieur. À l’heure actuelle, on ne peut donc pas dire que les cellules iPS reprogrammées soient exactement comme les cellules embryonnaires.

C’est la raison pour laquelle l’Académie préconise de poursuivre l’étude et des cellules somatiques et des cellules embryonnaires afin de déterminer si l’on a besoin ou non de ces dernières. Si on en a besoin, il faut arrêter d’aller les chercher en Israël, en Allemagne ou ailleurs. C’est hypocrite.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Sur le plan de la technique, ne peut-on pas, dans le cadre de la procréation médicalement assistée, diminuer le nombre d’embryons surnuméraires ?

M. Géraud Lasfargues. C’est une question très importante. Comme vous le dira M. Sureau, les gynécologues pensent pouvoir diminuer le nombre d’embryons de moitié. Mais, il faut, pour cela, autoriser certaines études sur l’embryon.

Si mes souvenirs sont exacts, c’est au stade de huit blastomères, c’est-à-dire huit cellules, qu’il faut en prélever deux. L’évolution de l’embryon n’en est absolument pas modifiée et l’on peut même la prévoir selon l’état des trophoblastes des deux cellules prélevées. Comme je l’ai déjà dit, 40 % des embryons que l’on fabrique, que l’on appelle pré-embryons, seront toujours incapables de devenir fœtus. Si l’on arrive à les sélectionner au départ, on pourra diminuer le nombre d’embryons.

Les chiffres à l’heure actuelle sont impressionnants : il faut 240 000 embryons pour avoir 12 000 naissances par an. Selon les gynécologues, on devrait pouvoir passer à 100 000 embryons pour 12 000 naissances en appliquant de nouvelles techniques, actuellement non autorisées.

M. Sureau, que vous avez prévu d’entendre, a une position plus ouverte que Mme Hermange, qui est plus proche de M. Mattei.

À l’Académie, il y a rarement unanimité sur la question des cellules souches. Il y a de très fortes minorités dans un sens et dans l’autre, comme dans la population.

M. Jacques-Louis Binet. Il est fort possible que l’Académie soit incapable de conclure dans les trois prochains rapports que nous vous ferons parvenir. Ceux-ci donneront des arguments pour et des arguments contre mais ne trancheront pas la question.

M. le président. Nous vous remercions, messieurs.

Audition de Mme Simone VEIL, présidente du Comité de réflexion
sur la Préambule de la Constitution



(Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je vous remercie, madame, d’avoir accepté cette audition. Inutile de vous présenter : académicienne, ancien ministre de la santé, ancienne présidente du Parlement européen, ancien membre du Conseil constitutionnel. Ces seules fonctions justifieraient l’invitation de notre mission. Mais votre audition est d’autant plus importante pour nous que, tout au long de votre carrière, vous vous êtes penchée sur des questions relevant du domaine de la bioéthique. La loi sur l’interruption volontaire de grossesse, qui porte votre nom, a posé les bases de la réflexion éthique sur le statut de l’embryon et les débuts de la vie. Plus récemment, le Président de la République vous a confié la présidence du Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution. Dans le rapport de ce Comité, que vous avez remis le 17 décembre dernier, vous appréciez la pertinence qu’il y aurait à inscrire dans le Préambule de la Constitution, et donc dans les droits qu’elle garantit, les grands principes de bioéthique d’une part, et le principe de dignité de la personne humaine de l’autre.

Vous avez écarté la constitutionnalisation des grands principes de bioéthique, du fait notamment de leur nombre et de leur caractère révisable, et estimé que « il valait mieux s’en remettre au législateur, soumis à l’obligation de réviser périodiquement ces textes ». Le rapport précise qu’ « il serait difficile de donner valeur constitutionnelle aux différents principes de bioéthique, car ces derniers, qui peuvent aujourd’hui paraître intangibles, pourraient fort bien ne plus l’être demain. »

À la lumière des auditions réalisées par le Comité et de votre expérience personnelle, pensez-vous que les grands principes de bioéthique doivent être établis de manière définitive par la loi ou qu’il faille en prévoir à nouveau la révision périodique ? Vous avez proposé, à l’inverse, d’introduire dans notre norme suprême la reconnaissance de l’égale dignité de chacun. Que changerait cette constitutionnalisation de la dignité dans le domaine de la bioéthique ? N’aurait-elle qu’une valeur symbolique ou emporterait-elle des conséquences sur le plan juridique ?

Mme Simone Veil. Bien que restreint, ce Comité de réflexion s’est avéré très intéressant. Je tiens à rendre hommage à ses membres – juristes, médecins, parlementaires, dont le Président de l’Assemblée – qui sont venus y travailler pendant dix-huit mois, tous les jeudis, dans un climat d’amitié très favorable à la discussion. Certains ont pu considérer que nous n’avions retiré de nos travaux « que » le principe de dignité. Mais derrière ce principe, nous avons mis beaucoup de choses. Malgré nos différences, nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre de principes fondamentaux et nous avons été unanimes à penser qu’il fallait faire preuve de beaucoup de prudence.

Nous avons procédé à de très nombreuses auditions, retranscrites par un personnel de qualité, mis à notre disposition par la Présidence de la République. Nous avons fait en sorte de choisir des personnalités représentatives de la diversité de l’opinion française. Nous avons évité de les confronter, car des débats n’auraient rien donné et auraient pu mettre certaines d’entre elles en difficulté. Ces auditions seront publiées.

Pour nous tous, il manquait quelque chose au Préambule de la Constitution : la référence à la dignité, une dignité prenant en charge tout ce qui concerne la vie humaine, entendue comme un élément majeur de la relation entre la société et l’individu. Nous nous sommes aperçus que ce n’était pas là ce que certains attendaient de nous. Nous n’en avons pas moins tracé notre chemin, restant attentifs au respect de la personne. C’est dans cette perspective que nous avons travaillé : en évitant le dogmatisme, mais en prenant la réalité en compte afin d’améliorer certaines situations. Votre président est venu assez souvent, malgré ses occupations. En tant que médecin, son appui nous a été très utile.

Avec la bioéthique, on entre dans une sphère très difficile : jusqu’où peut-on aller ? Comment ? Que faut-il faire ? Que ne faut-il pas faire ? Les différences sont parfois très grandes entre les uns et les autres. Nous avons respecté ces différences et laissé chacun expliquer longuement sa position. C’est la partie de notre travail qui fut la plus polémique, comme cela ressort des enregistrements.

Tous ceux qui ont participé au débat sont restés sur la même ligne : il s’agit de respecter la personne et de veiller à ce que l’on n’aille pas trop loin. Mais jusqu’où peut-on aller ? Sauf cas particulier, nous avons estimé que l’on pouvait avancer dans ce domaine, tout en sachant que de nombreux garde-fous existent déjà. Nous n’avons pas voulu fermer la porte à toute évolution de la science. On ne peut pas dire aujourd’hui que telle ou telle pratique sera interdite pour toujours. Certaines pratiques sont interdites en France, alors qu’elles sont permises en Belgique, par exemple ; mais les Français vont en Belgique. Par ailleurs, la science évoluant, les conditions pourront devenir acceptables. Enfin, on peut penser, dans la perspective du traité de Lisbonne, que ces questions seront traitées dans les textes européens et qu’une entente interviendra nécessairement. Nous aurons alors notre mot à dire.

Une chose m’a frappée : c’est souvent le Conseil constitutionnel qui est intervenu pour dire ce qui était ou non faisable. Dans l’ensemble, ce qu’il a édicté a été intégré dans la pratique. Il a par ailleurs des relations avec des instances internationales, devant lesquels les Français peuvent former des recours, et qui ont permis le développement d’une certaine logique. Cela me paraît extrêmement important.

Mais ce qui me semble surtout important, encore une fois, c’est que notre petit groupe, malgré les différences qu’il y avait entre ses membres, ait pu trouver un accord. Il faut savoir que notre société peut très bien, et sans doute assez rapidement, aller trop loin, ou au contraire se restreindre et devenir extrêmement rigoureuse en stoppant certaines situations, quitte à revenir en arrière, alors que celles-ci sont déjà très bien bordées et acceptées. Entre extrême rigueur et laxisme, il est bon d’être vigilants. Mais je ne suis pas pessimiste. Le traité de Lisbonne va très loin, il enferme des obligations sur ces questions pour l’ensemble des Européens, ce qui constitue une garantie.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous remercie de votre présence.

Dans la société actuelle, la dignité est à géométrie variable. Certains la considèrent comme un élément constitutif de chaque être humain ; d’autres estiment qu’il s’agit plutôt de l’estime de soi ou du regard que portent les autres sur eux-mêmes. Pourriez-vous nous donner votre définition de cette dignité que vous avez retenue dans le Préambule de la Constitution ?

Pensez-vous que l’on puisse adopter cette hiérarchie des normes : d’abord, au niveau constitutionnel, le principe de dignité ; ensuite, au niveau législatif, certains principes comme l’inviolabilité du corps humain, la non marchandisation, l’anonymat du don, etc, repris dans une loi-cadre assez large ; enfin, dans des situations médicales complexes et nouvelles, rendues possibles par les découvertes, les cas concrets qui seraient réglés par l’Agence de biomédecine ?

Vous avez parlé de l’international et de l’Europe. On avance un argument selon lequel, en bioéthique, on sera finalement obligé de s’aligner sur le « moins faisant » éthique. Puisque dans le pays voisin, on admet telle ou telle pratique, pourquoi l’interdire chez nous et créer une situation dans laquelle seules les personnes qui auront la possibilité de se déplacer, donc les plus riches, pourront se payer le luxe d’avoir recours à cette même pratique ? Il est tentant d’instituer une législation européenne dans le domaine de la bioéthique. Compte tenu de la disparité des législations européennes, est-il souhaitable de procéder à une harmonisation, ou de maintenir une réflexion éthique sur chaque territoire ? La France n’a toujours pas ratifié la convention d’Oviedo. Pensez-vous que nous devrions le faire ?

Enfin, pourquoi parler de « l’égale dignité de chacun » ? Estimez-vous important que l’on apprécie la dignité sous l’angle de la justice et de l’égalité ? Ou faut-il plutôt la considérer comme une valeur qui doit être respectée chez chaque personne, indépendamment de toute comparaison avec ses semblables ?

M. Paul Janneteau. M. le rapporteur a déjà très bien formulé les questions que je souhaitais vous poser concernant la dignité et une évolution possible vers une législation européenne. Plus concrètement, selon vous, quel peut-être l’avenir des embryons surnuméraires sans projet parental ?

M. Xavier Breton. Vous avez dit que nous disposions aujourd’hui de nombreux garde-fous. Il convient de s’interroger sur les domaines dans lesquels il n’y en pas encore assez, ou sur ceux dans lesquels ils ne seraient pas suffisants, ou trop rigides.

Dans le domaine des diagnostics prénataux, on observe certaines dérives. Ces diagnostics peuvent aboutir à des interruptions de grossesse, par exemple dans les cas de trisomie, et conduire (même si ce n’était pas le but initial) à l’élimination d’une partie de la population atteinte d’une maladie. Ne faudrait-il pas mettre en place des garde-fous, pour éviter un eugénisme a posteriori ?

Par ailleurs, un garde-fou a été posé dans le domaine de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, faisant intervenir la notion de projet parental. Cette dernière est-elle fondatrice de dignité ? La dignité peut-elle dépendre du bon vouloir de personnes extérieures ?

Mme Simone Veil. Nous étions partis d’une demande, formulée par le Président de la République, relative au Préambule de la Constitution. Il nous est apparu, dès notre première réunion, qu’il fallait affirmer la dignité de la personne et le principe selon lequel chaque personne a droit à la dignité. Même si nous sommes allés beaucoup plus loin par la suite, c’est la seule recommandation que nous ayons faite. La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? Je n’en crois rien, car la reconnaissance de la dignité humaine, ainsi mise en valeur, était déjà très importante. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel l’avait prise en compte.

Il ne faut pas oublier le contexte européen, avec le traité de Lisbonne qui va sans doute resserrer les liens entre les Européens et les amener à respecter de mieux en mieux certaines obligations. Quelles que soient nos difficultés momentanées avec certains pays, ce sont, dans l’ensemble, les mêmes textes qui sont appliqués, et un certain accord règne sur la nécessité de les respecter.

Au stade prénatal, il est nécessaire de faire des enquêtes, de connaître les pratiques, de déterminer les cas où le corps médical doit ou non intervenir. La jurisprudence française a d’ailleurs évolué : on accepte maintenant qu’un enfant qui n’a pas pu vivre ait droit à une reconnaissance et ait droit à être enterré. Il faut sans doute aller encore plus loin. De nombreux parents sont prêts à accueillir un enfant très prématuré. En même temps, il faut éviter que des enfants qui auraient pu être viables ne soient sacrifiés. Il convient d’être prudent, surtout en cette période de crise économique. Je me réjouis en tous cas que les Français aient dépassé les Irlandais s’agissant du nombre des naissances.

M. Michel Vaxès. Je voudrais qu’on aille au-delà de la réponse que vous avez donnée à propos de l’harmonisation européenne. En effet, cette harmonisation pourrait se faire au détriment de ce qui est de meilleure qualité éthique chez nous que chez d’autres. J’en veux pour preuve la façon dont ont été traitées récemment les questions sur la fin de vie. Certains, dans l’opinion publique, notamment les adhérents de certaines associations, pensent que nous sommes frileux. Pourtant, au moment de l’évaluation de la loi de 2005, nous avons été unanimes à considérer que nous étions en avance sur ces questions. La Belgique et la Hollande ont adopté d’autres logiques. Il me semble pourtant que ce serait régresser que de s’aligner sur ces logiques.

Ce qui vaut pour la fin de vie peut valoir pour les questions qui nous préoccupent. Je ne voudrais pas que nous soyons amenés à des concessions que nous ne souhaiterions pas. Cela m’inquiète. Tout le monde ne considère pas encore que la dignité est inscrite dans la personne humaine.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du Comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. J’aimerais revenir sur une des questions de M. Jean Leonetti. Le législateur se demande s’il faut réécrire ou revisiter la loi de bioéthique en faisant une loi-cadre, ou aller davantage dans le détail des différents questionnements qui se posent dans ce texte. Si l’on fait une loi-cadre et qu’un certain nombre de directives – notamment dans le domaine de la santé et du médicament – s’imposent à nous, notre législation ne risque-t-elle pas d’être dépassée par le niveau européen ?

Mme Simone Veil. Le niveau européen, aujourd’hui, est très largement partagé par les différents pays. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir de véritable cassure dans la vision des choses. De toutes façons, les règles européennes sont discutées. Un certain nombre de pays ont la même vision que la France et je ne vois pas de menaces de ce côté-là. Certains pays nous soutiendront et surtout, le traité de Lisbonne permettra d’étendre les obligations s’agissant de certaines questions. Si nous restons seuls, nous aurons bien plus de difficultés que si nous collaborons avec les autres pays européens. Le danger pour nous serait de rester seuls. Ou alors, on renoncerait à l’Europe !

M. Jean-Marc Nesme. J’aimerais connaître votre sentiment sur la gestation pour autrui et savoir quelle différence il faut faire entre « droit de l’enfant » et « droit à l’enfant ».

Mme Simone Veil. Il n’y a pas de droit à l’enfant, malheureusement pour les gens qui en voudraient et qui n’en ont pas. C’est la nature. On peut admettre que, sous certaines conditions, des femmes qui ont des difficultés à avoir un enfant cherchent à en avoir. L’une de ces conditions a trait à l’âge de la femme ; à partir d’un certain âge, ce n’est pas souhaitable, et c’est d’ailleurs compliqué. Avoir un enfant pour autrui pose aussi des problèmes. Ces sujets sont matière à réflexion. N’oublions pas que lorsque l’on souhaite un enfant, il faut faire en sorte que la vie de celui-ci soit la meilleure possible ; or, je ne pense pas que, dans de telles conditions, ce soit le cas.

M. le rapporteur. Je voudrais insister sur l’égale dignité de chacun, dont vous avez parlé. La dignité n’est pas mesurable, dans la mesure où elle est donnée à chaque être humain. Pourquoi avoir utilisé une formule qui sous-entend que certains pourraient être « moins dignes » que d’autres ? Ne pourrait-on pas parler d’inviolabilité de la dignité de chacun, ou dire que chaque être humain est porteur de dignité, sans utiliser le mot d’égalité ?

Mme Simone Veil. Nous avons utilisé seulement le terme de dignité, et pas celui d’égalité. La dignité est un principe général. Si nous l’avons retenu dès notre première réunion, c’est parce qu’il s’attache à la personne prise individuellement, et parce qu’il concerne tout le monde, quel que soit son âge. Nous avons estimé que toute personne avait droit à ce que sa dignité soit reconnue. Cela ne va pas plus loin. Lorsque nous avons remis nos travaux au Président de la République, il a trouvé que le résultat était mince. Nous en avons malgré tout tiré un certain nombre d’éléments. Il nous a semblé important de reconnaître la dignité de la personne quelle qu’elle soit, en donnant au mot de dignité un sens fort : le respect que chacun doit avoir pour soi-même et le respect que l’État doit avoir vis-à-vis de chacun.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous avez insisté, avec raison, sur la dignité de la personne quel que soit son âge. Mais est-ce qu’un embryon congelé, de quelques cellules, au fond d’un congélateur, est une personne ?

Mme Simone Veil. Non, dans la mesure où la dignité doit avoir quelque chose de concret. Malgré ses différences, notre groupe s’est retrouvé sur certains points. Le fait que la dignité ait une consonance concrète en fait partie, ce dont le Conseil Constitutionnel est aussi le garant.

M. le président. J’aimerais revenir sur la décision qui vous a conduits à ne pas constitutionnaliser les grands principes de la bioéthique. Dans votre rapport, on peut lire qu’il vaut mieux s’en remettre au législateur, soumis à l’obligation de réviser périodiquement ces textes. Votre préférence, et celle de votre groupe, va donc vers une révision régulière des lois bioéthiques ?

Mme Simone Veil. Cela s’est toujours fait. Depuis dix ans, les lois bioéthiques ont été revues, pour éviter certaines choses, ou pour en intégrer d’autres. La situation n’est pas statique, ne serait-ce qu’en raison des progrès de la science.

M. le président. Au nom de la mission, je vous remercie d’avoir accepté de vous rendre à notre invitation. Je vous remercie également pour le travail effectué par votre groupe.

Mme Simone Veil. Je pense qu’il serait intéressant que M. Accoyer vous donne son avis.

M. le président. Nous ne manquerons pas de le lui demander.

Audition de M. Claude SUREAU, membre du Comité consultatif
national d’éthique (CCNE)



(Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009)

Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je vous prie de bien vouloir excuser Alain Claeys, qui n’a pu présider cette audition.

Nous avons le plaisir d’accueillir parmi nous M. le professeur Claude Sureau, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), ancien chef de service et professeur de gynécologie obstétrique et président honoraire de l’Académie nationale de médecine.

Vous menez depuis de nombreuses années une réflexion éthique qui porte notamment sur le statut du fœtus, les pratiques médicales relatives au début de la vie et le clonage. Vous êtes l’auteur de différents ouvrages dont L’erreur médicale, Son nom est personne, Fallait-il tuer l’enfant Foucault ?, Alice au pays des clones.

Le progrès des techniques médicales et l’entrée dans l’ère post-génomique ont accru de façon considérable nos possibilités d’intervention sur le vivant. Selon vous, la loi actuelle répond-elle aux nouvelles questions éthiques ? Convient-il de formuler de nouveaux principes juridiques ? Quels espoirs ces progrès scientifiques suscitent-ils et de quelles précautions doivent-ils être assortis ? Vous pourrez sans doute, sur toutes ces questions, nous apporter un éclairage nouveau, susceptible de nous aider pour la suite de nos travaux.

M. Claude Sureau. Je vous remercie. Avant tout, je précise que je m’exprimerai en mon nom propre, et non en celui du CCNE, ni de l’Académie de médecine.

D’une façon générale, je partage globalement, M. le président, les positions qui ont été exprimées dans votre rapport d’information et par l’ensemble des personnes que vous avez auditionnées.

Mon exposé portera sur cinq points.

J’évoquerai tout d’abord la procréation artificielle. J’y suis, comme vous, tout à fait favorable s’il s’agit d’un couple stérile qui dispose de ses propres gamètes, mais je ne suis pas certain de la validité de certaines dispositions législatives – âge de procréer, durée de la vie commune – prévues pour l’encadrer. Quant à l’insémination post mortem, vous avez conclu à son interdiction. Je suis en parfait accord avec vous sur ce point. Nous nous souvenons tous de l’affaire Parpalaix et des suites personnelles qu’elle a eues : elles ont montré que la position de Georges David dans cette affaire était parfaitement légitime. Ce qui m’a fait un énorme plaisir, c’est d’apprendre que vous proposez la licéité du transfert post mortem de l’embryon, dans des conditions précises. Nous avons en mémoire l’affaire Pires, qui m’a occupé durant une quinzaine d’années et a fait l’objet de débats passionnés, jusqu’au niveau politique. À l’époque, je partageais le sentiment exprimé par M. Alain Claeys. Pour plusieurs raisons, le législateur ne nous a pas suivis. Ce n’est qu’aujourd’hui, quinze ans plus tard, qu’un rapport parlementaire reconnaît, sous réserve qu’il soit encadré de façon stricte, la légitimité du transfert post mortem. Je suis parfaitement d’accord avec vous sur cette question.

J’attire votre attention sur un point que vous avez évoqué dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Je pense qu’il serait intéressant de développer la congélation ovocytaire, plus précisément la technique dite de vitrification. Des travaux sont en cours, notamment à Marseille. Il serait opportun que les agences concernées favorisent les recherches et la mise en application de la vitrification ovocytaire, qui, s’il se confirme qu’elle est efficace et sans danger, rendra des services considérables, ne serait-ce que celui d’éviter la congélation embryonnaire.

Sur la procréation artificielle avec des gamètes étrangers au couple, mon opinion est plus nuancée. Pour avoir fait partie, il y a plus de trente ans, du comité de surveillance du CECOS de l’hôpital Bicêtre à Paris, avec mon ami Georges David, je connais bien les éléments qui militent en faveur de l’anonymat du don, les parents qui bénéficient d’un don de sperme pouvant par ailleurs garder le secret sur le mode de conception. Il est logique de s’en tenir pour l’instant à l’anonymat – c’est la position que vous exprimez dans votre rapport –, malgré certaines réclamations dont je comprends la motivation. Mais je me demande si tout ceci n’appartiendra pas très vite au passé, car nous disposerons, dans une vingtaine d’années, d’une parfaite connaissance de l’identité génétique des individus. Dans de telles conditions, il sera difficile de maintenir l’anonymat des donneurs de sperme.

Dans son rapport au nom de l’OPECST, M. Alain Claeys mentionne que la loi, en France, ne saurait être rétroactive, à l’inverse des lois suédoises et britanniques. Mais les choses vont évoluer et je suppose que dans une vingtaine d’années, nos connaissances dans le domaine de la génétique seront telles que toutes ces réflexions seront obsolètes.

Vous préconisez l’abandon de la voie du « double guichet ». J’avais été sensible à cette proposition de Mme Valérie Pécresse, mais elle comporte certains inconvénients, notamment une forme de discrimination entre les personnes nées d’un don de gamètes, selon que celui-ci est ou non anonyme. C’est pourquoi je pense comme vous qu’il est légitime d’abandonner cette piste du double guichet.

J’ai également beaucoup apprécié votre position sur l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les célibataires, que les lois de 1994 et de 2004 interdisent. En tant qu’obstétricien, j’ai passé la majeure partie de ma carrière dans un milieu féminin. J’ai pu observer que les enfants élevés par des mères célibataires recevaient une éducation de grande qualité. Vous allez me dire qu’une femme célibataire qui veut un enfant peut très bien le faire sans utiliser la médecine. C’est une évidence, mais il faut considérer le cas des femmes célibataires et stériles, et c’est pour celles-ci que je partage totalement votre proposition d’autoriser ces femmes célibataires à recourir à l’AMP.

J’en viens au problème extrêmement complexe du don d’ovocytes, sur lequel j’avoue ma grande incertitude du fait des risques inhérents à cette pratique et des questions de l’indemnisation et de la connaissance des origines. Je suis très incertain en effet et je m’inquiète de voir se multiplier les propositions tendant à le permettre dans un cadre familial. Une personnalité politique s’est dite prête à donner ses ovocytes à sa fille, si celle-ci s’avérait stérile, ce qui ferait de son petit-enfant son propre enfant ! Je ne partage pas cette opinion.

La loi actuelle prévoit l’accueil d’embryon. Je partage assez largement les réserves émises par le vice-président du CCNE, M. Pierre Le Coz : il évoque la « psychologie de fond de tube » des enfants qui, à la suite d’une fécondation in vitro et d’une congélation d’embryon, ne seront pas transplantés dans l’utérus de leur mère biologique mais dans celui d’une autre femme. C’est pourquoi, tout en reconnaissant la légitimité de cette disposition législative, je m’interroge sur ses conséquences, éventuellement perverses.

S’agissant de la gestation pour autrui, j’ai noté avec intérêt dans votre rapport que le professeur Atlan en préconisait l’expérimentation sociale en temps réel, comme l’avait fait Georges David en 1973 lors de la création des Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), ce qui avait permis de mettre en place les dons de sperme. Cette voie mérite d’être explorée. Il faut sortir de la vision manichéenne imposée par certains milieux, qui souhaitent l’interdiction totale de la gestation pour autrui ou au contraire son acceptation sans conditions, que des personnalités redoutent au vu du désordre sociétal qu’il a généré aux États-Unis.

Je partage les incertitudes qui subsistent sur cette question et je vais vous livrer mon opinion personnelle, celle que je me suis forgée après avoir beaucoup réfléchi et entendu de nombreux couples. J’étais le gynécologue de la femme dont la situation a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation de 1991. Je n’avais pas participé à son projet de gestation pour autrui, j’avais même tenté de l’en dissuader. Toutefois, à l’heure où je vous parle, dans la mesure où il y a consentement, où les parents qui accueilleront l’enfant sont également ses parents génétiques et en prenant un luxe de précautions, tant sur le plan physique que psychologique, je suis favorable à la gestation pour autrui.

J’en viens à l’évolution des embryons et des fœtus – leur destruction et leur protection. J’ai été heureux de lire dans le rapport de M. Claeys que vous reconnaissiez l’efficacité des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) et que vous jugiez nécessaire l’encadrement strict du diagnostic préimplantatoire (DPI).

Je crois – pouvez-vous me le confirmer ? – que la législation actuelle maintient la contrainte de ne faire de DPI que pour repérer l’affection causale éventuellement génératrice d’anomalies dans la famille. Ne serait-il pas légitime de dépister en même temps la trisomie 21 ? Dans la mesure où l’on accepte le DPI, sachant que celui-ci sera éventuellement suivi d’une ponction amniotique – deux étapes qui ne sont pas sans danger – il me paraîtrait normal de procéder au dépistage de la trisomie 21 en même temps que celui de l’anomalie congénitale.

L’autre point sur lequel j’exprimerai un avis divergent du vôtre concerne la définition d’une liste indicative des affections d’une particulière gravité pour lesquelles un DPI peut être pratiqué. Je ne suis pas du tout satisfait par votre position sur ce point. Cela me rappelle la loi de 1975. Le Parlement, faisant face à d’importantes difficultés législatives, avait envisagé de subordonner l’interruption médicale de grossesse à une liste limitative de ses indications. J’avais d’ailleurs indiqué à Mme Veil qu’il me paraissait inopportun de fixer un cadre rigide ne correspondant pas aux réalités humaines et médicales. Je suis toujours très réservé quant à l’intérêt d’une telle liste.

Si tout le monde s’accorde sur l’intérêt de la thérapie génique somatique, en revanche, l’interdiction du recours à la thérapie génique germinale m’inquiète, même si elle n’est pas pour demain. Si l’article 16-4, alinéa 4, du code civil énonce qu’« aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne » – jusque-là, nous sommes d’accord – il commence ainsi : « Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques… ». Cette précision est manifestement en contradiction avec l’article 13 de la convention d’Oviedo !

Dans son rapport, M. Claeys s’indigne du retard pris pour la ratification de la convention d’Oviedo. Je ne suis pas juriste, mais cela s’explique peut-être simplement par la contradiction qui existe entre ces deux articles ! J’espère que vous pourrez m’éclairer sur ce point. Cela dit, l’annexe B de la recommandation 1100 du Conseil de l’Europe précise que des recherches « peuvent être autorisées si elles n’interviennent pas sur le patrimoine génétique non pathologique », ce qui me semble être en cohérence avec l’article 16-4 du code civil. Pour ma part, même si ce n’est pas pour demain, je ne suis pas opposé au dépistage, dès le début d’une fécondation, d’une prédisposition à une anomalie grave et à sa transmission à la génération suivante. Quoi qu’il en soit, il faut engager une réflexion sur cette possibilité.

J’en viens à la question de l’utilisation des cellules souches, qui nous renvoie aux discussions politiques que nous avons eues en 2004, lors de la révision législative des lois de bioéthique. À l’époque, l’Académie nationale de médecine – j’étais alors rapporteur d’une résolution sur ce sujet – et l’Académie des sciences, dans un rapport commun, s’étaient déclarées favorables à la réalisation d’études comparatives sur les avantages et les inconvénients potentiels de toutes les lignées cellulaires, qu’il s’agisse de lignées issues du sang du cordon, de lignées circulantes, ou résultant de cellules développées dans un embryon conçu in vitro ou issues d’un transfert nucléaire.

La position des deux Académies, qui n’a pas été suivie, était schématiquement de dire que nous ne savons pas, parmi ces différentes éventualités, laquelle pourra, dans telle ou telle situation clinique, déboucher sur une utilisation thérapeutique intéressante. Et puisque nous ne savons pas, il convient de procéder à des études comparatives. Je suis, pour ma part, convaincu de la nécessité d’étudier l’ensemble de ces cellules, et donc notamment les embryons surnuméraires et ceux résultant d’un transfert nucléaire, ce qui, j’en conviens, est en contradiction avec la loi de 2004.

Je ne reviens pas sur l’utilisation du sang du cordon ombilical, qui a été largement débattue. J’indique simplement que je suis tout à fait d’accord avec les propositions qui ont été avancées, en particulier celle de créer des banques mixtes.

J’en viens à un problème beaucoup plus délicat, sur lequel je suis en désaccord avec un certain nombre d’entre vous : je pense que la recherche sur les gamètes et le mécanisme de la fécondation est une nécessité. Je rejoins en cela un certain nombre de personnalités, dont les professeurs Axel Kahn et Pierre Jouannet. Nous devons entreprendre des recherches sur l’embryon et pour l’embryon. Cela m’amène à vous dire une chose qui va sans doute vous horrifier : je suis favorable à la création d’embryons pour la recherche, que la loi du 6 août 2004 interdit formellement et qui est très critiquée dans la convention d’Oviedo.

J’ai présidé, il y a quelques années, un colloque conjoint de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine. À ce colloque participait une personnalité britannique remarquable, Mme Ann McLaren – malheureusement décédée quelques semaines plus tard dans un accident de voiture –, qui avait souligné la nécessité de créer des embryons pour la recherche. Je partage cette position, car ce que redoutent les accoucheurs, ce sont les malformations congénitales. Le recours à l’échographie, qui permet de détecter les malformations certaines, éventuelles ou susceptibles d’évolution, est en plein développement, ce qui pose aux accoucheurs un grave problème : nous n’hésitons pas à pratiquer une interruption médicale de grossesse dans le cas où l’enfant n’est pas viable – dans le cas d’un fœtus anencéphale, par exemple – mais que faire pour les enfants dont l’avenir est incertain ou que l’on expose à une vie désastreuse ? Les centres de diagnostic prénatal étudient chacune de ces situations, mais les accoucheurs sont confrontés à des cas dramatiques. Pourquoi nous priver de recherches qui nous permettraient d’éviter la conception et le développement d’enfants dans de telles circonstances ? C’est pourquoi je partage le sentiment d’Ann McLaren en faveur de la recherche sur les gamètes dans le but de détecter et d’éviter les anomalies génétiques.

Permettez-moi de rêver en abordant un point qui m’a toujours beaucoup intéressé : l’obtention de gamètes à partir de cellules somatiques. C’est une perspective d’avenir qui ne me paraît pas totalement déraisonnable. Ces gamètes, obtenus par méiose artificielle, permettraient de remédier à la totalité des infertilités d’origine gamétique. Cela dit, je suis conscient que cette nouvelle possibilité engendrerait un certain nombre de problèmes.

Quant aux hybrides cytoplasmiques, ou « cybrides », je ne sais ce qu’il faut qu’en penser. Les Anglais, qui y étaient favorables, sont quelque peu revenus sur leur position. Il est clair que les hybrides hommes-animaux choquent la conscience populaire qui les juge abominables, mais je vous rappelle, à titre de provocation, qu’il y a un certain nombre d’années, nous pratiquions le post-coïtal test, qui consistait à apprécier la fécondabilité des spermatozoïdes humains en les mettant en situation de féconder un ovocyte de lapine. Il s’agissait bien d’une première expérimentation de ces cybrides. Cette pratique n’a pas eu beaucoup de succès, mais il est amusant de rappeler qu’elle n’avait, à l’époque, provoqué aucun émoi ! Personnellement, cette pratique me choque un peu, mais si elle permet d’obtenir des tests de fécondabilité efficaces et d’évaluer le comportement des cellules sexuelles, elle peut avoir un intérêt.

J’en viens au point majeur de mon exposé qu’est le statut de l’être prénatal. Si j’ai émis quelques critiques à l’égard du rapport de l’OPECST, celle-ci est la plus importante. Ce rapport conclut en effet qu’il n’est pas nécessaire de définir le statut de l’embryon. Quant à celui du fœtus, il n’est pas non plus envisagé d’en discuter. Vous n’envisagez pas de modification du statut de l’embryon, sauf clarification des modalités de la recherche. J’ai du mal à comprendre ce que vous entendez par là. Vous faites également allusion au « statut juridique incertain » de l’embryon.

Ici, j’ai un problème. L’article 16 du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » Cet article, sur l’origine duquel je m’interroge, associe la personne et l’être humain. Je vous le dis franchement, cela me pose un problème. Pourquoi ? Les accoucheurs disposent aujourd’hui de nombreuses thérapeutiques médicales et les thérapeutiques chirurgicales se développent, y compris sur l’embryon ex utero. Le DPI effectué sur un embryon humain vivant, qui prélève une ou deux cellules sur huit, est l’exemple type d’une intervention chirurgicale. Quant aux thérapeutiques médicales sur l’embryon in vitro, je citerai les milieux de culture ; enfin des thérapeutiques ou chirurgicales in utero permettent de résoudre les incompatibilités sanguines et un certain nombre de pathologies.

Le fait d’engager des thérapeutiques médicales ou chirurgicales sur des êtres non nés – in ou ex utero – pose le problème fondamental de leur statut. À l’évidence, ces êtres prénataux peuvent, en fonction de considérations humaines et médicales, être soit détruits, soit traités, et c’est cette double éventualité de la destruction et du soin, qui, me semble-t-il, révèle la spécificité de ces êtres. J’emploie à dessein le terme de spécificité, au risque d’être soupçonné d’avoir une arrière-pensée, celle de vouloir mettre fin à la pratique de l’interruption de grossesse. Je vais donc préciser ma pensée : je suis, depuis l’origine, favorable aux dispositions de la loi de 1975, même si je ne les ai pas toujours mises en application. À mes yeux, la reconnaissance du statut de l’embryon et du fœtus n’est pas incompatible, comme on a trop tendance à le dire, avec les dispositions de la loi Veil. Cela n’en est pas moins un problème fondamental, d’ordre sociétal et juridique.

Je vais vous en citer quelques exemples. Concernant les enfants nés sans vie, vous avez appris l’émotion qu’a suscitée l’invalidation de la circulaire, qui reprenait les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les décrets du 22 août 2008 qui ont suivi, lesquels n’ont d’ailleurs rien résolu. C’est le règne de l’incertitude. La cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel, et l’on ne sait toujours pas quel est le statut de ces fœtus morts.

Mais il y a pire. Je rappelle l’affaire extraordinaire des embryons congelés d’Amiens, en 2005. Suite à une panne de congélateur, on déplore la perte de 206 embryons congelés. L’un des couples concernés porte plainte. Le tribunal administratif d’Amiens conclut au versement d’une compensation financière, mais cette décision est invalidée par la cour administrative d’appel de Douai dans un arrêt que je ne résiste pas au plaisir de vous citer : « Il ne viendrait à l’esprit de personne de considérer que ces embryons sont des êtres humains ». Oser dire que des embryons humains ne sont pas des êtres humains, c’est insensé ! Bien entendu, ce ne sont pas des personnes humaines, mais ce sont des êtres humains ! J’espérais que cette décision serait portée devant le Conseil d’État, mais cela n’a pas été le cas et l’arrêt a été appliqué. Cette affaire m’avait bouleversé…

En revanche, je ne suis pas du tout opposé aux conclusions des quatre arrêts fondamentaux de la chambre criminelle de la Cour de cassation correspondant à deux accidents de voiture et à deux fautes médicales majeures ayant abouti à la mort prénatale de fœtus. La chambre criminelle avait conclu qu’il ne saurait être question de préjudice, dans la mesure où le code pénal n’accorde pas au fœtus le statut de personne. Je ne suis pas opposé à cette conclusion, et je peux comprendre que les dispositions législatives et décisions juridictionnelles fixent le commencement de la personne humaine à la naissance, mais que se passe-t-il avant ? Nous ne le savons pas !

Vous allez me dire qu’il s’agit de problèmes théoriques. Il n’en est rien, ils sont même extrêmement précis. Prenons le cas d’une femme, sur le point d’accoucher, qui se trouve dans une situation pathologique qui met en danger immédiat le fœtus in utero. Si cette femme, qui, elle, est une personne, refuse la césarienne, que doit faire le médecin ? Cela pose une question majeure, tant médicale que juridique. Les anglo-saxons accepteraient la décision maternelle et laisseraient mourir le fœtus. Dans leur grande majorité, les accoucheurs français n’ont pas la même position et font quelque chose qui choquera sans doute les juristes : ils pratiquent une « césarienne forcée » et sauvent l’enfant. Et le lendemain, dans tous les cas que j’ai connus ou auxquels j’ai participé, la femme remercie le docteur…

Cet exemple pose la question du statut de l’être prénatal, qui n’est pas une personne mais n’est pas non plus une chose. C’est un être vivant, dont nous devons assurer la sécurité et la sauvegarde.

Le même problème se pose pour les césariennes post mortem. Que faire du fœtus lorsque la femme décède ? Si la famille, pour des raisons successorales par exemple, s’oppose à l’extraction de l’enfant par césarienne, que doit faire le médecin ? S’il décide d’extraire l’enfant, il se rend coupable, aux yeux de la loi, de viol de cadavre. Dans les cas où la mère se trouve dans le coma, il se trouve confronté à l’éventualité d’une interruption de grossesse sans le consentement de celle-ci.

Vous ne réglerez pas le problème demain matin, mais je souhaite que le Parlement se pose la question fondamentale et très dérangeante de l’éventualité d’une troisième catégorie de droit. Depuis l’origine du code civil et sa présentation par Portalis en 1804, il existe les personnes, sujets de droit, et les biens, objets de droit. Or, il existe une catégorie intermédiaire entre les personnes et les biens, celle des êtres prénataux, à qui nous devons tout notre amour et toute notre attention mais que, dans des circonstances particulières, nous sommes amenés à détruire.

Tout cela, à l’évidence, révèle à quel point cet être est spécifique, qu’il s’agisse de l’embryon, y compris in vitro, ou du fœtus in utero. D’ailleurs, dans le rapport de l’Office, le professeur Didier Houssin, pour qui j’ai beaucoup d’estime, fait état de demandes croissantes en faveur du statut du fœtus in vivo.

Tout en rendant un hommage mérité à la qualité de ce rapport, je voudrais pour conclure rappeler nos divergences : elles portent sur la liste des maladies d’une particulière gravité pour le DPI, la gestation pour autrui, la connaissance inévitable du statut génétique, mais surtout sur la création d’embryons à des fins de recherche – encore que sur ce dernier point, j’espère une évolution juridique – et sur le statut de l’être prénatal, qui m’obsède mais pour lequel je ne vois pas d’évolution. Trois amendements en ce sens ont été déposés au Parlement, mais aucun d’entre eux ne fut adopté. J’espère que nous évoluerons sur ce point au cours des prochaines années.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Sans m’attarder sur nos points d’accord, je voudrais revenir sur quelques contradictions. Tout d’abord, je reconnais qu’établir une liste des maladies graves est un exercice qui soulève plusieurs difficultés. L’opportunité d’une telle disposition mérite donc réflexion.

Je ne comprends pas pourquoi la gestation pour autrui vous paraît licite uniquement dans le cas de parents qui auraient fourni les gamètes pour ensuite récupérer l’enfant. Ce faisant, vous éliminez la mère porteuse de votre réflexion. Si je voulais être impertinent, je vous demanderais si vous la considérez comme un être humain ou comme une personne… N’est-elle pas instrumentalisée, chosifiée ? Car pourquoi porte-t-elle cet enfant ? Si c’est par amour pour lui, elle crée un lien et il lui sera difficile de se détacher ; si c’est par altruisme, cela implique également son conjoint si elle est mariée ; enfin, si elle est indemnisée – c’est qu’on a « loué » le corps d’une femme pendant neuf mois.

D’autre part, ce que vous attendez du législateur, est-ce un statut ou une définition de l’embryon ? Car ce sont deux choses différentes. Qu’il s’agisse de cellules humaines, personne n’en doute, et s’il n’a pas de statut ni de définition, il existe néanmoins certaines dispositions législatives le concernant. Si vous le définissez comme un être, vous référant à Portalis, et non comme un avoir ou un bien, cela ne pose problème à personne : il est inutile de le rappeler dans la loi. Quant à parler de l’embryon comme d’une « personne en devenir », cela ne fait guère avancer sa situation juridique.

La vraie question est la suivante. Si l’embryon est produit par deux gamètes d’origines sexuelles différentes on peut parler, dans l’intentionnalité comme dans l’objet, de création d’une personne humaine en devenir. Mais il existe d’autres mécanismes, comme la dédifférenciation cellulaire d’un noyau qui sera implanté dans un matériel, humain ou animal, et dont on imagine qu’il pourrait devenir un embryon et un fœtus ; il existe aussi des cellules initiales qui ne peuvent pas être implantées et aboutir à la création d’une personne. Y a-t-il, selon vous, une différence entre les embryons créés de façon différente ? Faut-il considérer que l’interdit porte sur la création de l’embryon tel que le conçoit la conscience commune, c’est-à-dire l’embryon né de la fécondation de gamètes sexuellement différents dans le but de créer, à terme, une personne humaine ? En d’autres termes, souhaitez-vous que l’on réserve à ce cas l’appellation d’embryon, et que l’on considère le reste comme de l’expérimentation ? Pensez-vous que cela sera suffisant pour créer ce que l’on appelle parfois des « pré-embryons », qui sont du matériel humain qu’il nous faut respecter, mais ne sont pas appelés à devenir des êtres humains ? Plutôt que de donner un statut à l’embryon, ne vaudrait-il pas mieux essayer de le définir par rapport à sa finalité : résulte-t-il de l’intention de donner la vie à une personne humaine, ou de la volonté de créer un matériel humain destiné à la recherche ?

On voit bien que nous sommes dans une zone assez floue entre l’avoir et la personne humaine. On ne saurait placer l’embryon dans le champ de l’avoir ; c’est pourquoi, dans le cas où la mère est décédée, il est parfaitement licite d’intervenir pour sauver un être humain susceptible de devenir une personne humaine. En revanche, sauf à remettre en cause la loi Veil, une femme qui refuse la césarienne ne doit pas y être contrainte. Imaginez qu’elle trouve la mort durant l’intervention : son mari est en droit d’attaquer le médecin qui a pratiqué une césarienne sans la volonté de sa femme. Il peut lui reprocher d’avoir mis en danger une personne humaine pour sauver un être humain, ce qui est en contradiction avec la logique prônée par le corps médical. Je comprends l’intention de bienfaisance qui peut présider à une césarienne forcée, mais sur le plan juridique, les médecins n’ont pas le droit d’intervenir sur le corps d’une personne sans l’accord de celle-ci, au risque d’entraîner sa mort, surtout pour sauver une vie qui n’est pas celle d’une personne humaine. Cela n’a rien à voir avec le cas d’une personne qui, victime d’une hémorragie, refuse d’être opérée mais que l’on opère contre son avis pour sauver sa vie.

En bref, les embryons obtenus par des voies différentes ont-ils la même valeur à vos yeux ? Craignez-vous que le statut intermédiaire de l’être humain qui n’est pas une personne humaine ne soit pas suffisamment clair dans l’esprit des juges ? Mais les lois trop précises posent parfois plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. C’est pourquoi mes collègues Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte ont choisi de ne pas aller plus loin dans la recherche d’un statut.

Je lie, vous le voyez, la question de savoir si nous acceptons la recherche sur l’embryon, et la question : qu’est-ce que l’embryon ? C’est que les deux sont liées dans l’imaginaire et dans la réalité, juridique et peut-être même médicale.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Selon vous, le diagnostic préimplantatoire (DPI) ne doit pas s’en tenir à la recherche de la pathologie incriminée. N’est-ce pas s’engager dans une quête du bébé parfait ? N’y a-t-il pas un risque d’eugénisme ?

Par ailleurs, les machines de séquençage du génome sont devenues tellement rapides et performantes qu’il n’est pas plus coûteux et à peine plus long de réaliser un séquençage complet du génome d’un individu que de rechercher une mutation ou un gène particulier. Faudra-t-il alerter les patients contre leur volonté lorsque nous découvrirons des anomalies génétiques qu’ils ne souhaitaient pas rechercher