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N° 4364

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 février 2012.

RAPPORT D’INFORMATION

déposé

par le COMITÉ D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES
sur l’évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne
sur
l’économie française

et présenté

par MM. Philippe COCHET et Marc DOLEZ,

Députés.

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Le Groupe de travail du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur « l’évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne sur l’économie française » est composé, en application de l’article 146-3 du Règlement de l’Assemblée nationale, de : MM. Philippe Cochet, Marc Dolez, rapporteurs ; ainsi que de MM. Michel Diefenbacher, Philippe Duron, Mmes Geneviève Fioraso, Anne Grommerch, MM. Michel Havard, Jean-Luc Pérat, Frédéric Reiss, Jean-Claude Sandrier et Christophe Sirugue.

INTRODUCTION 11

SYNTHÈSE 17

PREMIÈRE PARTIE : LA STRATÉGIE DE LISBONNE A CONSTITUÉ LA FEUILLE DE ROUTE POUR PLUS DE CROISSANCE DANS L’UNION EUROPÉENNE SUR LA DÉCENNIE 2000 – 2010 20

I. LISBONNE : L’ÉLABORATION D’UNE TENTATIVE DE RÉPONSE EUROPÉENNE À LA MONDIALISATION 21

A.  POURQUOI « RÉUSSIR LISBONNE » ? 22

1.  Fixer un « objectif stratégique » à atteindre en dix ans : « Devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » 22

2.  La « Stratégie » était supposée permettre d’atteindre « l’objectif stratégique » 24

a)  La transition vers l’« économie de la connaissance la plus compétitive » : les prescriptions du sommet de Lisbonne 24

b)  La question du cadre et du contenu des politiques macro-économiques 26

c)  Le volet social de la Stratégie de Lisbonne, une « modernisation » aux contours ambigus 26

3.  Les fondements politiques et économiques de la Stratégie de Lisbonne 28

a)  Des politiques principalement d’ordre microéconomique et portant sur l’offre de production 28

b)  Des gains d’efficacité dus à des réformes simultanées ? 29

B. UNE GOUVERNANCE SPÉCIFIQUE, DÉCENTRALISÉE ET PEU CONTRAIGNANTE 31

1.  Les caractéristiques de la méthode ouverte de coordination (MOC) 31

a)  Ni une politique ni un processus, mais une « méthode » 31

b) Un caractère « ouvert » 32

c)  Un pilotage par le Conseil européen 32

d)  La méthode ouverte de coordination, un compromis politique 33

2.  Le choix de la méthode appropriée a été fortement contraint par les compétences respectives des États membres et de l’Union européenne 33

a)  En 2000, le périmètre de la Stratégie de Lisbonne concernait des compétences relevant exclusivement des États membres 34

b)  La création d’un nouvel instrument communautaire n’a pas été jugée opportune 34

II.  LA MISE EN œUVRE DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE A CONNU UNE INFLEXION EN 2005 36

A.  « LISBONNE I » : LA PREMIÈRE PHASE DE LA MISE EN œUVRE DE LA STRATÉGIE (2000-2005) 36

1.  La Stratégie reposait initialement sur trois piliers : l’économique, le social et l’environnemental 36

2.  La gouvernance de la Stratégie comportait de nombreux objectifs et indicateurs 37

a)  Le choix difficile des indicateurs 37

b)  L’inflation des objectifs et des indicateurs 37

c)  Le sommet de Barcelone en 2002 : l’objectif de l’emploi et les recommandations en matière de retraite 38

3.  La publication du rapport Sapir a conduit la Commission européenne à resserrer la liste des indicateurs dès 2003 39

a)  Le rapport Sapir : une analyse économique des conditions supposées permettre d’atteindre les objectifs de Lisbonne 39

b)  Une première limitation du nombre d’indicateurs en 2003 40

B.  2005 : APRÈS LE RAPPORT DE M. WIM KOK, LA STRATÉGIE DE LISBONNE A ÉTÉ RELANCÉE À MI-CHEMIN 40

a) Les fondements économiques de la Stratégie sont considérés comme encore valables en 2004 41

b)  Le rapport Kok a noté des progrès ponctuels mais a souligné que les objectifs chiffrés fixés en 2000 ne seront sans doute pas atteints 41

c)  Le rapport Kok a proposé un recentrage thématique sur la croissance et l’emploi 42

d)  La gouvernance devait renforcer l’appropriation nationale de la Stratégie 43

C.  « LISBONNE II », OU « LA STRATÉGIE DE LISBONNE RENOUVELÉE POUR LA CROISSANCE ET L’EMPLOI  » DÉCIDÉE EN 2005, CONSTITUE UN CHANGEMENT MARQUANT DE THÈMES ET DE GOUVERNANCE 44

1.  Priorité donnée aux objectifs de croissance économique et d’emploi 44

a)  Un recentrage global sur l’économique et l’emploi 44

b)  L’accent mis sur un environnement favorable aux entreprises 45

c)  Le caractère très global de la Stratégie 46

2.  À partir de 2005, la gouvernance, plus décentralisée, utilise des « lignes directrices intégrées » et des plans nationaux 46

a)  Une gouvernance jugée à la fois complexe et insuffisante 46

b)  L’adoption de lignes directrices intégrées triennales et l’élaboration de plans nationaux 47

c)  Une implication accrue des institutions européennes et les conséquences budgétaires 49

d)  Le premier bilan de la portée du changement intervenu en 2005 49

3. La mise en place de « la Stratégie de Lisbonne renouvelée » 50

D.  2008-2010, « LISBONNE III » MARQUE LA FIN DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE 50

DEUXIÈME PARTIE : COMME L’ILLUSTRE LA SITUATION DE LA FRANCE, LA STRATÉGIE DE LISBONNE S’EST RÉVÉLÉE DÉCEVANTE 53

I. LES OBJECTIFS DE LISBONNE N’ONT PAS ÉTÉ ATTEINTS 53

A.  LES PERFORMANCES TRÈS DIVERSES DES ÉTATS MEMBRES 53

1.  L’objectif chiffré de croissance économique n’a pas été atteint 56

a)  L’objectif emblématique du taux de croissance de 3 % du PIB européen en moyenne n’a pas été atteint 56

b)  Une comparaison entre l’UE-27 et les États-Unis montre la faiblesse de l’Union européenne 56

2.  Des progrès significatifs mais fragiles enregistrés en matière de taux d’emploi 57

a)  Une progression globale du taux d’emploi, mais l’objectif des 70 % n’est pas atteint par la plupart des États membres 57

b)  Certains groupes demeurent fragiles au regard de leur situation vis-à-vis de l’emploi 59

c)  La qualité des emplois créés reste difficile à mesurer 59

3.  Les investissements publics et privés dans la recherche et développement : l’objectif des 3 % du PIB s’est révélé hors de portée 59

a)  Seuls deux pays atteignent l’objectif global en 2010 60

b)  La stagnation de l’effort européen en matière de recherche est préoccupante dans un contexte de mondialisation croissante des économies 60

B.  LE CAS DE LA FRANCE NE SE DISTINGUE PAS SIGNIFICATIVEMENT DE LA SITUATION DES AUTRES ÉTATS MEMBRES 62

1.  Le suivi des indicateurs de Lisbonne 62

a)  L’audition de M. Laurent Cohen-Tanugi par la délégation pour l’Union européenne 62

b)  Les travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE) 63

c)  La « Position française sur la stratégie Europe 2020 » 63

d)  Les données fournies par Eurostat 63

2.  La croissance économique française est loin d’avoir connu le dynamisme attendu, notamment en raison de l’impact de la crise économique de 2008 63

a)  Le PIB, une évolution décevante 64

b)  Les autres indicateurs clés 64

3.  En France, la période correspondant à la mise en œuvre de la Stratégie est marquée par des résultats mitigés en termes d’emploi 65

a)  Le taux d’emploi global connaît une évolution proche de la cible 2010 65

b)  Le taux d’emploi féminin : la cible fixée dans le cadre de la Stratégie est largement dépassée 67

c)  L’emploi des seniors : la hausse de plus de dix points en dix ans ne permet pas d’atteindre la cible 67

4.  Le champ de l’économie de la connaissance : l’éducation et la recherche 67

a)  La réduction des sorties précoces du système scolaire 68

b)  L’objectif de 3 % du PIB de dépenses de recherche et développement 68

C.  GLOBALEMENT, LA STRATÉGIE DE LISBONNE A DOUBLEMENT DÉÇU 69

1.  La compétitivité européenne, considérée dans son ensemble, n’a pas rejoint celle des États-Unis 69

a)  Les indices de la productivité horaire et du coût unitaire de production ne montrent pas de progrès relatifs 69

b)  Certains pays européens ont néanmoins accru leur compétitivité 70

c)  « L’Europe de la connaissance » a progressé mais la situation de l’Union européenne est menacée 70

2.  La Stratégie de Lisbonne n’a pas contribué à prévenir les graves crises que traverse l’Europe depuis 2008 71

D.  SI LES PRINCIPAUX OBJECTIFS INITIAUX N’ONT PAS ÉTÉ ATTEINTS, LA STRATÉGIE DE LISBONNE A CEPENDANT EXERCÉ UNE INFLUENCE RÉELLE SUR LES POLITIQUE PUBLIQUES 72

1.  Le double acquis de Lisbonne : la naissance d’une politique européenne de croissance et la reconnaissance de l’indispensable nécessité de la transition vers une « économie de la connaissance » 72

a)  La croissance économique comme objet de politique économique à l’échelon européen 72

b)  L’« économie de la connaissance » comme condition d’adaptation à la mondialisation ? 73

c)  La réhabilitation relative de l’action de la puissance publique 74

d)  Une influence certaine mais difficilement évaluable sur les politiques de l’emploi 74

2.  La Stratégie de Lisbonne a permis de mettre l’accent sur la notion de « réformes structurelles », concept non dépourvu d’ambiguïté 75

a)  La focalisation sur l’emploi 75

b)  La notion de « réformes structurelles » : quel contenu ? 76

II. CETTE ABSENCE DE RÉUSSITE EST LARGEMENT IMPUTABLE AU MODE DE GOUVERNANCE ET À L’ABSENCE D’ARTICULATION DES POLITIQUES MICRO- ET MACROÉCONOMIQUES 77

A.  LE CARACTÈRE INADAPTÉ DES OBJECTIFS 78

a)  Des cibles mouvantes, trop nombreuses et insuffisamment hiérarchisées 78

b)  L’élaboration difficile des programmes nationaux de réforme (PNR) 79

c)  Des objectifs excessivement ambitieux et pas assez spécifiques par pays 80

B.  LA GOUVERNANCE INADAPTÉE D’UNE STRATÉGIE « SANS BRAS » 81

1.  Les États ont manqué d’incitations politiques à appliquer la Stratégie de Lisbonne 81

a)  La Stratégie n’a pas mis en place un système incitatif 81

b)  La « pression par les pairs » a connu des limites 82

c)  Une information détaillée sur les efforts de chacun était nécessaire 82

2.  L’absence de sanctions n’a pas favorisé la mise en œuvre de la Stratégie 82

3.  Le manque regrettable d’une authentique dynamique de coopération européenne 83

4.  L’insuffisante implication du Parlement européen n’a pas favorisé l’appropriation démocratique du processus 84

5.  La faiblesse de la gouvernance a renforcé les risques suscités par les élargissements de l’Union européenne 85

C.  UNE POLITIQUE D’OFFRE PEU COORDONNÉE AVEC LES POLITIQUES ÉCONOMIQUES MACROÉCONOMIQUES 85

1.  La Stratégie de Lisbonne était une politique économique d’offre reposant essentiellement sur l’amélioration des conditions de production 85

2.  Les politiques macro-économiques de gestion de la demande sont restées à l’écart du processus de Lisbonne 86

a)  La création de la zone euro a contraint fortement les politiques macroéconomiques des États membres concernés 86

b)  L’étanchéité entre la Stratégie et les engagements au titre du Pacte de stabilité et de croissance n’a pas facilité son application 87

3.  La crise financière et économique née en 2008 n’est pas la cause majeure du mauvais bilan de la Stratégie de Lisbonne 88

D.  LE FAIBLE INVESTISSEMENT PROPRE DE L’UNION EUROPÉENNE DANS LA RÉALISATION DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE 88

1.  Les fonds structurels : une « lisbonnisation » tardive 89

2.  Le manque d’intégration avec les autres politiques et instruments communautaires 89

E.  UNE INSUFFISANTE APPROPRIATION NATIONALE PAR LES DÉCIDEURS ET PAR LES CITOYENS EUROPÉENS, QU’ILLUSTRE LE CAS DE LA FRANCE 90

1.  Les peuples et les gouvernements ne se sont pas appropriés la Stratégie, qui est restée un processus jugé très bureaucratique 91

2.  Le cas français illustre les difficultés d’appropriation d’une telle stratégie par le Parlement, les responsables administratifs et les citoyens 92

a)  La Stratégie de Lisbonne et le Parlement (2005-2010) 92

b)  La Stratégie de Lisbonne et les responsables politiques : le cas emblématique de la présentation du PNR 2005-2008 à la commission des Affaires économiques 96

c)  La Stratégie de Lisbonne et les administrations françaises : une gestion ambiguë… 97

d)  … incarnée par le caractère assez hétérogène du contenu des PNR 99

e)  La place singulière du Conseil économique, social et environnemental (CESE) 101

f)  La Stratégie de Lisbonne et les partenaires sociaux : des objectifs généraux jugés plutôt consensuels mais une application jugée décevante 102

g)  La Stratégie de Lisbonne et les citoyens : ni notoriété ni popularité 103

TROISIÈME PARTIE : LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS VISENT À REVENIR À L’ESPRIT ORIGINEL DE « LISBONNE » ET À FAVORISER L’APPROPRIATION DÉMOCRATIQUE DES AGENDAS PLURIANNUELS EUROPÉENS 105

A. FINANCER L’AMBITION INITIALE DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE PAR UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES 106

1. Bâtir une économie de la connaissance, une ambition propre à mobiliser l’Europe, les États membres et les citoyens 106

2. Un financement supplémentaire et dédié : le produit d’une taxe sur les transactions financières 107

3. Financer la construction d’une économie européenne de la connaissance et la coopération industrielle transfrontalière 109

B. UNE MEILLEURE APPROPRIATION NATIONALE DES AGENDAS EUROPÉENS PLURIANNUELS DE CROISSANCE 110

1. Placer le Parlement comme le lieu privilégié de la discussion des modalités d’application d’Europe 2020 110

a) Débattre d’Europe 2020 à l’Assemblée nationale 110

b) Organiser des rencontres annuelles avec les membres du Parlement européen 112

2. Mieux informer l’opinion publique 113

3. Associer davantage les citoyens européens aux décisions européennes qui les concernent 113

RÉUNION DU CEC DU 16 FÉVRIER 2012 : EXAMEN DU PROJET DE RAPPORT 115

ANNEXE N° 1 : AUDITIONS ET DÉPLACEMENT 125

ANNEXE N° 2 : LES 14 INDICATEURS STRUCTURELS DE LA « LISTE RESTREINTE » ADOPTÉE EN 2003 127

ANNEXE N° 3 : SUIVI DES OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE 128

ANNEXE N° 4 : LES 24 LIGNES DIRECTRICES INTÉGRÉES (LDI) POUR LA CROISSANCE ET L’EMPLOI (2005-2008) 129

ANNEXE N° 5 : EUROPE 2020 : LES DIX LIGNES DIRECTRICES INTÉGRÉES (LDI) 131

ANNEXE N° 6 : CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN DU 17 JUIN 2010 132

ANNEXE N° 7 : ARTICLES DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE 133

INTRODUCTION

Par un courrier en date du 4 avril 2011 adressé à M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale et à ce titre Président du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (CEC), le Président du groupe « Gauche démocrate et républicaine » (GDR), a demandé à ce que, en application de l’article 146-2 du Règlement (1), le CEC inscrive à son programme de travail pour la session 2011-2012 « un rapport d’évaluation sur la Stratégie de Lisbonne ».

La « Stratégie de Lisbonne (2) » peut être définie en première approche comme un ensemble d’orientations que l’Union européenne s’est fixé en mars 2000. Il s’agissait de définir un « nouvel objectif stratégique pour la décennie à venir : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » (3). La Stratégie de Lisbonne visait donc, dans un cadre européen, à proposer aux États membres d’adopter des réformes permettant d’aboutir à un surcroît de croissance et d’emplois pendant la décennie 2000-2010. Le levier principal de cette croissance supplémentaire dépendait de la transition vers une « économie de la connaissance ».

Compte tenu de son caractère très transversal, le sujet proposé s’inscrivait manifestement dans le cadre posé par les dispositions de l’article 146-3 du Règlement, qui précise que « le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques réalise des travaux d’évaluation portant sur des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente. »

En raison des caractéristiques du CEC, organe d’évaluation des politiques publiques menées à l’échelon national, l’évaluation de la Stratégie de Lisbonne devait naturellement se concentrer sur les conséquences de sa mise en œuvre en France. Le mercredi 7 avril 2011, le Comité a donc inscrit à son programme de travail le sujet de « l’évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne sur l’économie française ». Lors de la réunion du Comité du 9 juin 2011, les commissions concernées (4) ont désigné des membres (5) pour participer aux travaux portant sur la Stratégie de Lisbonne. Conformément à l’article 146-3 du Règlement, le Comité a désigné les deux rapporteurs lors de cette même réunion, l’un membre de la majorité, l’autre membre du groupe de l’opposition à l’origine de la demande.

*

* *

L’évaluation des « incidences de la Stratégie de Lisbonne sur l’économie française » est une démarche présentant des difficultés et des caractéristiques particulières.

• Différents niveaux d’analyse

L’appréciation de l’objet singulier de politique publique que constitue la Stratégie de Lisbonne a suscité, depuis son adoption en mars 2000, un grand nombre de commentaires, d’analyses et de critiques. Cependant, ces critiques diffèrent à la fois par leur sens et leur portée ; de plus, elles n’ont pas toutes été convergentes, même si quelques traits communs se dégagent. Les principales critiques ont porté sur les champs suivants :

– le processus même d’un agenda de politique économique et social supranational fait question, certains estimant que les problèmes économiques sont d’abord nationaux et que leur traitement optimal exige des mesures nationales, la Stratégie de Lisbonne n’étant alors qu’un processus européen bureaucratique inutile ;

– beaucoup s’interrogent sur les objectifs de la Stratégie, en critiquant leur pertinence, leur caractère imprécis ou leur hiérarchie ; il s’agit de la critique la plus fondamentale, car si l’objectif recherché manque de pertinence, l’appréciation de l’efficacité de la méthode utilisée pour l’atteindre ne présente pas d’intérêt ;

– d’autres estiment que si certains objectifs étaient pertinents, ils étaient cependant parfois incompatibles (il s’agit du problème de la cohérence interne de la Stratégie), donc inatteignables de manière simultanée ; certains objectifs étaient jugés mal articulés avec les autres politiques menées au niveau européen (problème de cohérence et d’articulation avec le mécanisme du Pacte de stabilité notamment) ;

– si les objectifs sont jugés intéressants, la méthode suivie fait parfois l’objet de critiques, soit parce qu’elle est jugée trop directive, soit parce qu’elle est considérée comme manquant de caractère contraignant, soit, enfin, parce qu’elle ne se serait pas accompagnée des moyens financiers suffisants, notamment au niveau européen ;

– si les objectifs et la méthode sont considérés comme adaptés, les commentateurs soulignent que la Stratégie de Lisbonne n’a pas été vraiment appliquée et qu’il serait dès lors impossible d’imputer les résultats observés à sa mise en œuvre ;

– enfin, lorsque les objectifs et la méthode sont considérés comme pertinents, lorsqu’il est admis que la Stratégie a connu une authentique application, c’est bien la réussite de la Stratégie qui est mise en cause : les objectifs recherchés n’auraient en effet pas été atteints.

Les rapporteurs soulignent donc, à ce stade, que la Stratégie a régulièrement fait l’objet de niveaux d’analyse différents, qui mêlent des considérations d’efficacité, de légitimité et de cohérence.

Il importe cependant de bien distinguer entre, d’une part, les critiques concernant le « fond » de la Stratégie, c’est-à-dire sa justification économique et, finalement, son opportunité politique, et, d’autre part, les critiques relatives à la « forme », portant essentiellement sur la gouvernance du dispositif.

• La Stratégie de Lisbonne est-elle une politique publique ?

Une autre problématique du sujet adopté consiste dans la caractérisation de la Stratégie de Lisbonne comme une authentique « politique publique », définie classiquement comme un ensemble d’actions coordonnées menées par les pouvoirs publics afin d’atteindre des objectifs définis. En effet, il est établi que la Stratégie ne constitue pas, à l’aune de cette définition, une « politique publique », notamment en raison de sa méthode de gouvernance.

En effet, cette Stratégie a principalement relevé d’un processus assez inédit de coopération politique et volontaire entre États membres, fondé sur l’établissement d’objectifs et la définition d’indicateurs communs dont la réalisation et le suivi sont examinés par la Commission et le Conseil européen. La Stratégie de Lisbonne peut être définie, en dernière analyse, comme la détermination d’une liste d’objectifs communs conduisant les États à préciser les moyens permettant de les atteindre. La méthode utilisée a consisté à inciter à la diffusion des « bonnes pratiques » parmi les États membres ainsi qu’à l’évaluation régulière et partagée des mesures prises. Elle n’a présenté aucun caractère obligatoire. Ces caractéristiques amènent d’ailleurs certains commentateurs à douter de l’application effective de la Stratégie, ou, comme M. Yves Bertoncini, secrétaire général de l’association « Notre Europe », à évoquer plutôt l’« agenda de Lisbonne » ou le « processus de Lisbonne » qu’une stratégie, qui selon sa définition, exige la fixation d’objectifs ainsi que l’engagement de moyens permettant d’atteindre ces derniers.

• Un processus très global appelant à une définition précise des thèmes de travail des rapporteurs

Une particularité du sujet adopté réside également dans le caractère très global du processus évalué. En effet, la Stratégie de Lisbonne concerne potentiellement des champs très vastes de l’action publique ; de plus, son champ a été régulièrement modifié par les Conseils européens successifs.

Il s’est donc avéré nécessaire de restreindre le périmètre des travaux à quelques questions, jugées les plus intéressantes. Les rapporteurs ont ainsi orienté leurs investigations sur les questions relatives à la croissance économique et ses effets sur l’emploi. Les problématiques relatives à la recherche et à l’éducation sont abordées en ce qu’elles contribuent à la réflexion sur la mise en œuvre et l’impact de la Stratégie. Les autres thématiques de Lisbonne, par exemple relatives à l’environnement et au marché intérieur, n’ont pas fait l’objet d’analyses particulières dans le cadre des présents travaux.

Les rapporteurs ont également pris en compte les missions d’évaluation menées simultanément au sein du CEC. Ainsi, le Comité avait inscrit au programme de ses travaux le sujet de l’évaluation de la « performance comparée des politiques sociales en Europe » : les rapporteurs MM. Michel Heinrich (UMP) et Régis Juanico (SRC) ont été désignés le 12 janvier 2011. Le groupe de travail constitué pour participer à ces travaux a notamment procédé à l’évaluation comparée de la situation de la France et de ses principaux partenaires européens au regard des indicateurs d’emploi et de cohésion sociale définis pour le suivi de la Stratégie de Lisbonne. Le CEC a autorisé la publication du rapport (6) présenté par MM. Michel Heinrich et Régis Juanico le 15 décembre 2011.

En raison du champ de ces derniers travaux, la présente évaluation a donc écarté de son périmètre l’analyse approfondie des questions relatives aux politiques d’emploi et de lutte contre le chômage, ainsi qu’à l’étude des mesures visant à faciliter la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale.

• La question de l’imputabilité des résultats

Concernant le champ de l’économie française, une problématique centrale de l’évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne concerne un aspect classique de l’évaluation publique : la question de l’imputabilité des impacts. Il s’agit, en règle générale, de mesurer l’impact spécifique de la politique publique évaluée sur la ou les variables-cibles.

Or, compte tenu de son caractère très transversal, de son mode de gouvernance et de ses objectifs, la Stratégie ne peut se prêter à une évaluation de type classique. C’est ce qu’ont confirmé de nombreuses personnes entendues par les rapporteurs, selon lesquelles les effets propres à la Stratégie, non quantifiables, n’étaient pas directement évaluables. Cette considération a emporté des conséquences sur la méthode suivie, qu’il a fallu adapter aux caractéristiques du sujet.

La mission consistant à évaluer la Stratégie de Lisbonne a donc conduit les rapporteurs à s’interroger sur l’intérêt et la pertinence des objectifs et des indicateurs retenus, puis à dresser un tableau des conditions d’application de la Stratégie. Les rapporteurs ont également étudié la cohérence interne et externe des orientations des politiques économique et sociale prescrites par la Stratégie ainsi que le degré de réalisation des objectifs initiaux. La méthode utilisée a enfin consisté à se pencher de manière approfondie sur l’efficacité de la gouvernance de la Stratégie.

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Mais pourquoi se pencher en 2012 sur la Stratégie de Lisbonne ?

Les rapporteurs soulignent que les questions posées par le bilan de la Stratégie trouvent un grand écho dans les difficultés que traversent actuellement les États membres, comme l’ont d’ailleurs fait valoir auprès des rapporteurs les personnalités qu’ils ont entendues, notamment l’économiste M. Jacques Sapir et le représentant de la direction générale du Trésor.

En effet, la crise aiguë que traversent les États membres de la zone euro ne peut être réduite à une crise de l’endettement public. Certes, cet endettement a notamment résulté de la gestion par les États de la crise financière née en 2008 aux États-Unis. Il a cependant été également causé par l’accumulation de dettes suscitée par les politiques menées dans la plupart des pays membres depuis une dizaine d’années ainsi que par la persistance de déséquilibres structurels, voire systémiques, sur l’origine desquels les analyses divergent.

L’acuité de cette crise n’est pas uniquement due au montant total des dettes publiques ainsi accumulées. Sa gravité doit aussi être mesurée à l’aune de la dégradation des ratios rapportant la dette publique aux produits intérieurs bruts des pays considérés. Les marchés financiers évaluent en effet la capacité des États à rembourser leur dette actuelle en s’appuyant notamment sur leurs perspectives de croissance économique. Cette crise de l’endettement doit donc être mise en perspective avec les chiffres décevants de croissance des États membres sur la décennie 2000-2012. Au-delà de la crise de la dette souveraine, l’Europe souffre bien d’un manque structurel de croissance (7).

Or la Stratégie de Lisbonne avait précisément pour but de promouvoir la croissance économique des États membres. Évaluer maintenant son opportunité, son fonctionnement et ses incidences sur l’économie française présente donc un grand intérêt.

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La méthode retenue a consisté à mener des auditions (8) de personnalités. Trois groupes peuvent être distingués : les responsables publics, les experts de sensibilités différentes (dont des économistes) et ce qu’il est convenu de dénommer « les parties prenantes », qui comprennent en l’espèce les représentants des salariés, des employeurs et les organisations professionnelles(9). Un déplacement à Bruxelles a permis de rencontrer un membre de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, plusieurs représentants des services concernés de la Commission européenne ainsi que des experts indépendants.

SYNTHÈSE

Les 23 et 24 mars 2000 s’est tenue une réunion extraordinaire du Conseil européen à Lisbonne (Portugal), « afin de définir pour l’Union un nouvel objectif stratégique dans le but de renforcer l’emploi, la réforme économique et la cohésion sociale dans le cadre d’une économie fondée sur la connaissance ». Ces objectifs, par la suite précisés et complétés, sont devenus la Stratégie de Lisbonne, à laquelle a succédé en 2010 le programme Europe 2020.

Par un courrier adressé à M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale et à ce titre Président du CEC, le Président du groupe « Gauche démocrate et républicaine » (GDR) a demandé à ce que le CEC inscrive à son programme de travail pour la session 2011-2012 « un rapport d’évaluation sur la Stratégie de Lisbonne ».

Le CEC a décidé d’inscrire à son agenda « l’évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne sur l’économie française ». Ce sujet correspond donc à la première demande formulée par le groupe GDR au titre de l’article 146-3 du Règlement, qui aménage un « droit de tirage » par session ordinaire au bénéfice de chaque groupe parlementaire.

Les rapporteurs ont été désignés en juin 2011 ; en raison du calendrier institutionnel particulier de l’année 2012, les travaux des rapporteurs se sont déroulés dans un délai réduit, du mois de septembre 2011 au mois de février 2012.

Au fil des auditions réalisées et grâce à un déplacement à Bruxelles, les rapporteurs se sont efforcés de travailler sur toutes les dimensions de cet agenda, objet politique singulier. Ils se sont interrogés sur tous ses aspects, qu’il s’agisse de sa justification économique et politique, de son efficacité finale, de sa gouvernance ou de son appropriation nationale.

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Le rapport rappelle tout d’abord les objectifs de cet agenda européen pluriannuel. Ces objectifs, certes formulés de manière très générale, ont suscité un certain consensus en Europe. Cet agenda pluriannuel visait en effet à jeter les bases d’une croissance reposant sur les piliers suivants :

– l’Union européenne devait devenir une économie de la connaissance, notamment en dépensant 3 % de son produit intérieur brut en dépenses de recherche et développement ;

– elle devait connaître une forte croissance économique (l’Union devait devenir l’économie « la plus compétitive et la plus dynamique du monde ») ; ainsi, son produit intérieur brut devait croître de 3 % en moyenne sur la décennie 2000-2010 ;

– cette croissance devait présenter un caractère « durable » ;

– elle devait être dotée d’un volet social relatif à l’emploi et la cohésion sociale en visant une « amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».

Les travaux des rapporteurs ont par la suite consisté à décrire les grandes étapes de la mise en œuvre de cet agenda pluriannuel, marquée, après une certaine phase caractérisée par la profusion d’objectifs et d’indicateurs, par le recentrage intervenu en 2005 sur les problématiques de croissance et d’emploi. L’année 2005 a également conduit à une importante réforme de la gouvernance du dispositif, conduisant les États membres à transmettre des programmes nationaux de réforme (PNR) aux institutions européennes.

Les rapporteurs ont ensuite cherché à identifier et analyser l’impact de la Stratégie de Lisbonne sur l’économie française.

Rapportés aux objectifs initiaux, les indicateurs de la Stratégie rendent compte d’une application plutôt décevante, notamment sur les trois points fondamentaux de la croissance économique, du taux d’emploi global et de l’intensité en recherche et développement. Ainsi, en 2010, si le taux d’emploi féminin atteint en France la cible fixée, le taux de dépenses de recherche et développement n’atteint que 2,26 % du PIB, loin de la cible de 3 % initialement fixée.

La Stratégie de Lisbonne a pu exercer une influence indirecte sur le contenu des politiques publiques, notamment en soulignant le caractère nécessaire d’une transition vers « l’économie de la connaissance » et en mettant en avant le concept, pourtant très ambigu, des « réformes structurelles ». La mesure de cette influence sur les politiques publiques nationales, assez diffuse, reste délicate à apprécier avec précision.

Les rapporteurs se sont ensuite attachés à identifier les causes des résultats décevants de la Stratégie de Lisbonne. Si les conséquences négatives de la crise économique et financière née en 2008 n’ont pas contribué à faciliter la mise en œuvre de cette stratégie, les facteurs ayant abouti à l’insuccès de la Stratégie sont multiples.

Ils sont notamment liés à une gouvernance insuffisante, manquant à la fois d’incitations et de sanctions et qui a échoué à susciter une authentique coopération politique. Alors que l’élargissement de l’Union européenne a accru l’hétérogénéité politique, économique et sociale de l’Union européenne, cette gouvernance n’a pas empêché les comportements de concurrence entre États membres, au détriment du bien-être de tous les citoyens européens.

L’implication propre des institutions européennes, de plus, s’est révélée insuffisante dans l’application de la Stratégie de Lisbonne. En particulier, la « lisbonnisation » des fonds structurels a été trop tardive.

Surtout, l’articulation insuffisante des politiques à caractère microéconomique inspirées par la Stratégie avec les conséquences de l’application du mécanisme du Pacte de stabilité et de croissance n’a pas permis d’aboutir à une croissance économique dynamique en Europe.

Enfin, cet agenda n’a pas fait l’objet d’une appropriation nationale suffisante, à la fois par les administrations et par les citoyens européens. La Stratégie de Lisbonne, pourtant présentée comme un agenda de croissance pour tous, est toujours restée étrangère aux peuples européens.

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Les recommandations des rapporteurs sont organisées autour de deux axes principaux concernant le fond et la forme de ces agendas pluriannuels européens :

– le premier axe de propositions concerne le contenu d’Europe 2020, qui a succédé en 2010 à la Stratégie de Lisbonne, et son financement : il s’agit de proposer de revenir à l’esprit originel de la Stratégie de Lisbonne, en engageant un effort sans précédent en matière de recherche, d’innovation et d’éducation, grâce à un financement nouveau, le produit, total ou partiel, d’une taxe sur les transactions financières ;

– le second axe de propositions s’appuie sur le constat d’une insuffisante appropriation nationale et concerne donc les moyens à engager afin de l’améliorer : seule l’intervention des parlements nationaux, émanation du peuple souverain, pourra garantir son caractère authentiquement démocratique et mieux associer les citoyens aux décisions européennes qui les concernent.

PREMIÈRE PARTIE : LA STRATÉGIE DE LISBONNE A CONSTITUÉ LA FEUILLE DE ROUTE POUR PLUS DE CROISSANCE DANS L’UNION EUROPÉENNE SUR LA DÉCENNIE 2000 – 2010

En mars 2000, l’adoption de la Stratégie de Lisbonne a constitué de la part des États membres de l’Union européenne (UE) autant une tentative de réponse coordonnée et de long terme aux défis posés par le processus de mondialisation qu’un essai de nouvelle mise en perspective de l’idée européenne. L’ambition de cet agenda marquait une proposition de modification fondamentale de la relation de l’Europe (10) au monde ; comme le note le rapport d’évaluation de la Stratégie de Lisbonne de la mission présidée par M. Laurent Cohen-Tanugi (11), l’intention des États membres était de mettre en place un « portail du monde », un « agenda consensuel d’adaptation des économies européennes aux défis de la mondialisation ».

Après 1945, le projet européen avait principalement trouvé ses sources dans le rejet de la guerre et de la désunion ; par la suite, la construction du marché unique, puis les progrès vers l’Union économique et monétaire (UEM) et enfin la création d’une monnaie unique ont constitué des objectifs aussi politiques qu’économiques. Cependant, ces processus se sont révélés finalement peu propices à mobiliser les citoyens européens et n’ont pas suffi à susciter une croissance économique soutenue.

La Stratégie de Lisbonne avait vocation, sur la décennie 2000-2010, à devenir le « mode d’emploi européen de la mondialisation », ce phénomène étant présenté comme pouvant bénéficier à chaque citoyen européen. L’idée – finalement assez nouvelle en 2000 – consistait à présenter l’Europe politique comme une source directe de croissance économique, au-delà des effets présumés bénéfiques d’une intégration avancée des marchés. La Stratégie privilégiait des solutions d’adaptation à la mondialisation considérées comme compatibles avec les caractéristiques des économies et des sociétés des États membres de l’Union européenne. Au prix d’une adaptation des structures des économies, elle était supposée rendre la mondialisation compatible avec les valeurs de l’Europe.

Sur la forme, la Stratégie a fait l’objet d’une mise en application conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, ainsi qu’aux traités européens, dans des domaines où, en 2000, les traités en vigueur limitaient significativement les compétences de l’Union européenne.

L’agenda de Lisbonne consistait principalement dans l’élaboration d’une réponse spécifiquement européenne aux défis économiques, sociaux et environnementaux de la fin des années 1990 (I). Sa mise en œuvre (II) a connu trois grandes étapes :

– période 2000-2005 : « Lisbonne I », axée sur l’effort d’innovation et marquée par une certaine extension du champ de la Stratégie,

– période 2005-2008 : « Lisbonne II », qui procède à un recentrage important sur la croissance et l’emploi ainsi qu’à un réaménagement de la gouvernance,

– puis la période 2008-2010 : « Lisbonne III », qui marque la fin de la mise en œuvre de cet agenda, auquel succède l’agenda Europe 2020.

I. LISBONNE : L’ÉLABORATION D’UNE TENTATIVE DE RÉPONSE EUROPÉENNE À LA MONDIALISATION

Les 23 et 24 mars 2000 s’est tenue une réunion extraordinaire du Conseil européen (12) à Lisbonne (Portugal), « afin de définir pour l’Union un nouvel objectif stratégique dans le but de renforcer l’emploi, la réforme économique et la cohésion sociale dans le cadre d’une économie fondée sur la connaissance » (13). Les conclusions de cette réunion (document intitulé « Conclusions de la Présidence ») détaillaient la Stratégie de Lisbonne, son contenu, ses finalités, son calendrier et sa méthode. Les réunions ultérieures du Conseil européen ont précisé les contours de cette stratégie en y apportant des inflexions plus ou moins significatives.

Après les travaux menés à la fin des années 1990 par les précédentes présidences, la présidence portugaise a proposé en janvier 2000 aux États membres de définir pour l’Union européenne un nouvel « objectif stratégique » supposé prendre en compte la transition vers une « économie de la connaissance » (A). Cette stratégie devait être pilotée selon un dispositif de gouvernance spécifique (B).

A.  POURQUOI « RÉUSSIR LISBONNE » ?

Selon les analyses des promoteurs de la Stratégie, au seuil de la décennie 2000-2010, les États membres devaient trouver une réponse à deux défis principaux. Il s’agissait, d’une part, de prévenir des difficultés et de bénéficier des opportunités induites par la mondialisation, et, d’autre part, d’aménager les conditions permettant d’exploiter au mieux l’usage croissant des NTIC (14), prélude à la transition souhaitée vers une « économie de la connaissance ».

La Stratégie de Lisbonne consistait essentiellement à tenter de bâtir une voie européenne dans la mondialisation économique. L’Union européenne, conformément aux conclusions du Conseil européen de mars 2000, devait répondre à ces défis « d’une manière conforme à ses valeurs et à sa conception de la société ».

1.  Fixer un « objectif stratégique » à atteindre en dix ans : « Devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde »

Les conclusions du Conseil européen de Lisbonne indiquaient que l’Union européenne se dotait d’un « objectif stratégique » pour « la décennie à venir » (soit la décennie 2000-2010 (15)). Cet objectif, qui n’était pas encore formellement dénommé « Stratégie de Lisbonne (16) », était ainsi énoncé :

« Devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».

Cet objectif stratégique était formulé en termes assez généraux, mêlant les aspects économiques, technologiques, environnementaux et sociaux. Beaucoup d’observateurs ont relevé le style emphatique de la rédaction de cet objectif stratégique, souvent moquée pour sa prétention ou, du moins, pour son ambition jugée excessive. La revue « La lettre de l’OFCE (17) » décrit ainsi une « formule quasiment liturgique » et « une prière ânonnée ». Le rapport du groupe de travail présidé par M. Laurent Cohen-Tanugi (18) évoque une « déclaration tonitruante (19) » et juge la « formule initiale irréaliste, voire immodeste, dont la transformation rapide en vœu pieux a nui durablement à l’ambition qu’elle était censée servir ».

La Stratégie de Lisbonne dessinait pour l’Europe un objectif à caractère global mais à dominante économique, qui se déclinait en trois volets (ou « piliers ») :

– l’Union européenne devait devenir une économie de la connaissance et connaître une forte croissance économique (l’Union devait devenir l’économie « la plus compétitive et la plus dynamique du monde ») ;

– cette croissance devait présenter un caractère « durable » ;

– elle devait être dotée d’un volet social relatif à l’emploi et la cohésion sociale, en visant une « amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et une plus grande cohésion sociale ».

Ces objectifs étaient, du moins dans leur principe, de nature à susciter un large accord des citoyens, des États membres et des « parties prenantes (20) ». Comme le note M. Jean Pisani-Ferry dans un article sur la Stratégie de Lisbonne, il était difficile de se prononcer contre ces objectifs qui, virtuellement, bénéficiaient d’un soutien universel (21).

Les personnalités entendues par les rapporteurs ont relevé que cet objectif avait effectivement fait l’objet d’un grand consensus parmi les États membres et les institutions communautaires. En particulier, les représentants des partenaires sociaux entendus par les rapporteurs ont rappelé qu’en 2000, la fixation de cet objectif n’avait pas rencontré d’opposition particulière.

La contribution écrite adressée aux rapporteurs par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) est, à cet égard, emblématique lorsqu’elle aborde le point de la transition vers « l’Europe de la connaissance » :

« Le concept est louable et cohérent mais en termes pratiques, correspond-il à une orientation vers des mesures efficaces ? Certes, orienter vers une croissance économique durable, une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et une plus grande cohésion sociale est une nécessité, tombant sous le sens, mais est-ce suffisant pour aboutir à de véritables lignes directrices homogènes en direction des États membres ? »

2.  La « Stratégie » était supposée permettre d’atteindre « l’objectif stratégique »

La rédaction des conclusions du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 distinguait l’objectif de la Stratégie, cette dernière rassemblant les différents moyens mis en œuvre pour atteindre ledit objectif. Il importe en effet de distinguer les objectifs précédemment identifiés de la Stratégie stricto sensu : le cumul d’objectifs, plus ou moins précis et dépourvue de hiérarchie, ne saurait constituer à lui seul une stratégie.

Les conclusions du sommet de Lisbonne, après avoir identifié l’objectif (défini supra) exposaient les contours de la Stratégie : atteindre l’objectif stratégique supposait une « stratégie globale » consistant à :

« – préparer la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance, au moyen de politiques répondant mieux aux besoins de la société de l’information et de la R&D, ainsi que par l’accélération des réformes structurelles pour renforcer la compétitivité et l’innovation et par l’achèvement du marché intérieur ; »

« – moderniser le modèle social européen en investissant dans les ressources humaines et en luttant contre l’exclusion sociale ; »

« – entretenir les conditions d’une évolution saine de l’économie et les perspectives de croissance favorables en dosant judicieusement les politiques macroéconomiques. »

Selon le texte des conclusions du Sommet, si la Stratégie ainsi définie était appliquée, l’Union pouvait connaître de l’année 2000 à l’année 2010 un taux de croissance annuel moyen du produit intérieur brut (PIB) proche de 3 %.

Si les objectifs mentionnés ci-dessus recueillaient un consensus assez global, les axes de la Stratégie cités supra étaient loin d’être aussi consensuels. En effet, l’appréciation du bien-fondé de la Stratégie dépendait notamment de la définition exacte des expressions relatives à la « modernisation » du modèle social européen, à la notion de « réformes structurelles », du « judicieux dosage des politiques macroéconomiques » ou de « l’évolution saine de l’économie », qui pouvaient renvoyer à des conceptions très divergentes de l’économie politique.

a)  La transition vers l’« économie de la connaissance la plus compétitive » : les prescriptions du sommet de Lisbonne

Les conclusions du Conseil européen dressaient ensuite, plus précisément, les grandes lignes des actions supposées préparer la « transition vers une économie compétitive, dynamique et fondée sur la connaissance ».

• Une économie de la connaissance

Le premier point concernait l’aspect relatif à la connaissance. Les conclusions du sommet invitaient ainsi les États membres à accélérer la numérisation de leurs sociétés, de leurs économies et de leurs administrations. Certaines recommandations s’adressaient au Conseil et à la Commission.

Le texte invitait à créer un « espace européen de la recherche et de l’innovation » en estimant que « Les activités de recherche au niveau national et au niveau de l’Union doivent être mieux intégrées et coordonnées afin d’être aussi efficaces et novatrices que possible pour que l’Europe offre des perspectives attrayantes à ses meilleurs cerveaux ».

Le sommet de Lisbonne proposait de relier les programmes nationaux et communs de recherche, de rendre l’environnement plus propice à l’investissement privé dans la recherche, aux partenariats de recherche et développement et aux jeunes sociétés spécialisées dans la haute technologie. Le texte invitait à favoriser la création d’un réseau à très haut débit pour les communications scientifiques, à favoriser la mobilité des chercheurs et, enfin, à faire en sorte qu’un brevet communautaire soit rapidement disponible, « d’ici à la fin de 2001 ».

• La compétitivité

Les conclusions du sommet insistaient sur la nécessité d’instaurer un climat favorable à la création et au développement d’entreprises novatrices, notamment de PME, en réduisant « l’excès de bureaucratie ». Des recommandations étaient adressées au Conseil et à la Commission, invités à procéder à l’évaluation de questions telles que la durée et les coûts afférents à la constitution d’une société, à élaborer une charte européenne pour les petites entreprises et à réexaminer les instruments financiers de la Banque européenne d’investissement (BEI) et du Fonds européen d’investissement (FEI).

Le texte mentionnait ensuite la question du parachèvement du marché intérieur, jugé indispensable afin de « tirer pleinement parti des avantages de la libéralisation des marchés ». Le Conseil européen demandait donc à la Commission, au Conseil et aux États membres, eu égard à leurs compétences respectives, de définir une stratégie pour l’élimination des entraves aux services, d’accélérer la libéralisation dans des secteurs tels que le gaz, l’électricité, les services postaux et les transports. Une série de considérations et de recommandations concernaient également les marchés financiers, qui devaient être rendus plus efficaces et plus intégrés, afin de favoriser « la croissance et l’emploi en permettant une meilleure allocation des capitaux à un moindre coût ».

Conformément au texte adopté à Lisbonne, les efforts visant à favoriser la concurrence et à réduire le niveau général des aides d’État devaient être poursuivis, « en mettant l’accent, non plus sur un soutien à des sociétés ou à des secteurs individuels, mais plutôt sur la poursuite d’objectifs horizontaux d’intérêt communautaire, tels que l’emploi, le développement régional, l’environnement et la formation ou la recherche. »

b)  La question du cadre et du contenu des politiques macro-économiques

Dans les conclusions du sommet de Lisbonne relatives à la promotion de la compétitivité de l’Union européenne, les derniers développements concernaient la coordination des politiques macroéconomiques – principalement les politiques budgétaires compte tenu du monopole de la Banque centrale européenne (BCE) en matière de gestion de la politique monétaire.

Cette partie du document, qui s’intitulait « Assainissement, qualité et viabilité des finances publiques », assignait aux politiques macroéconomiques trois buts :

– « préserver la stabilité macroéconomique » ;

– « encourager la croissance et l’emploi » ;

– « favoriser la transition vers une économie de la connaissance, d’où un rôle plus important pour les politiques structurelles ».

Le pilotage des finances publiques devait être ajusté afin d’éviter les déséquilibres : « Il y a lieu de saisir la chance qu’offre la croissance pour s’employer davantage à assainir les finances publiques et pour en améliorer la qualité et la viabilité. » Les recommandations du Conseil européen s’adressaient au Conseil et à la Commission, qui devaient présenter un rapport évaluant la contribution des finances publiques à la croissance et à l’emploi, notamment par la réduction de la fiscalité sur le travail et la réorientation des dépenses publiques afin d’appuyer les efforts de recherche et d’assurer « la viabilité à long terme des finances publiques ».

c)  Le volet social de la Stratégie de Lisbonne, une « modernisation » aux contours ambigus

Le volet social de la Stratégie de Lisbonne, du moins tel qu’il apparaissait dans le texte des conclusions du sommet de mars 2000, était significatif. Ce consensus pour doter la Stratégie de ce volet social, au moins dans sa définition initiale, était largement imputable au contexte politique européen de la fin des années 1990. Les citoyens des États membres avaient en effet choisi des majorités classées plutôt à gauche ou au centre-gauche(22), qu’il s’agisse de la France (M. Lionel Jospin, PS), de l’Allemagne (M. Gerhard Schröder, SPD) ou du Royaume-Uni (M. Tony Blair, Labour). Un commentateur, l’économiste M. Stefan Collignon, pouvait ainsi écrire ainsi en 2005 : «   Lisbonne a manifesté la suprématie que détenaient alors des gouvernements de centre-gauche en Europe. Ce fut le premier ministre portugais, Antonio Guterres, qui le premier, dans un groupe de travail du parti socialiste européen, désigna ce qui devint plus tard la Stratégie de Lisbonne ».

Le texte de mars 2000 abordait la question du modèle social européen, qu’il fallait « moderniser en investissant dans les ressources humaines et en créant un État social actif », afin que l’usage des nouvelles technologies n’aggravât pas les problèmes d’exclusion sociale. Le Conseil européen invitait donc les États, le Conseil et la Commission à prendre les mesures relevant de leurs compétences et jugées nécessaires pour atteindre une série d’objectifs en la matière (23), particulièrement dans le domaine de l’éducation. Le volet social de la Stratégie de Lisbonne a ensuite été articulé avec le processus de l’« Agenda social » européen décidé lors du Conseil européen de Nice (décembre 2010), agenda qui insistait notamment sur la problématique de la qualité de l’emploi (24).

• La politique de l’emploi

S’agissant de la politique du marché du travail, le document visait « une politique active de l’emploi », recommandant d’y associer davantage les partenaires sociaux. Le Conseil et la Commission étaient invités à agir de manière à rendre effectives l’éducation et la formation tout au long de la vie ainsi que l’égalité des chances. En revanche, le thème de la qualité des emplois, pourtant bien cité dans une des têtes de chapitre, n’était ni défini ni développé. Le Conseil européen adoptait plutôt deux cibles quantitatives :

– porter le taux d’emploi (25) (alors de 61 % en moyenne) à un niveau aussi proche que possible de 70 % en 2010 ;

– faire en sorte que la proportion de femmes actives (26) (alors de 51 % en moyenne) atteigne 60 % en 2010.

Les conclusions du sommet notaient que ces cibles n’étaient pas homogènes : compte tenu de leurs situations de départ différentes, les États membres devaient se fixer des objectifs nationaux pour atteindre un taux d’emploi accru.

• « Moderniser » la protection sociale

Le texte évoquait un « modèle social européen », à adapter à un « État social actif » en renforçant les incitations financières au travail et en garantissant la viabilité à long terme des régimes de protection sociale. Le texte incitait le Conseil à renforcer la coopération entre les États membres par l’échange d’expériences et l’identification des « meilleures pratiques (27) ».

Les conclusions du sommet comportaient également de longs développements visant à ce que la Stratégie de Lisbonne favorise l’intégration sociale, notamment en utilisant la « nouvelle société de la connaissance » (via « les conditions économiques d’une plus grande prospérité grâce à des taux de croissance et d’emploi plus élevés » ou « de nouvelles modalités de participation à la société »). Selon le texte, la clé du succès résidait dans de meilleures qualifications permettant de fournir à chacun un emploi.

3.  Les fondements politiques et économiques de la Stratégie de Lisbonne

La Stratégie de Lisbonne visait à promouvoir des politiques portant plutôt sur l’offre de production, en utilisant des instruments de nature plus microéconomique que macroéconomique. Quelles considérations théoriques ont motivé l’élaboration du contenu et du cadre de cette politique ? Pourquoi était-il jugé important que ces réformes soient menées simultanément dans l’ensemble des États membres ?

Les développements suivants rejoignent les réflexions de la Commission européenne ou sont issus des travaux d’experts proches de la Commission, voire mandatés par cette dernière. Ils ne reflètent pas les analyses du rapporteur M. Marc Dolez, qui les juge d’inspiration libérale.

a)  Des politiques principalement d’ordre microéconomique et portant sur l’offre de production

L’agenda de Lisbonne est partiellement fondé sur les théories économiques dites de la « croissance endogène (28) ». Ces doctrines ont tendu à réintégrer (à « endogénéiser ») dans l’explication de la croissance économique des facteurs qui, jusqu’alors, étaient considérés comme « exogènes » au circuit économique. Il s’agit notamment de l’innovation, que ces théories considèrent comme résultant du comportement, des initiatives et du développement des compétences des agents économiques. De la même manière, dans le cadre de ces théories, les dépenses d’éducation et de formation sont considérées comme augmentant le capital humain et permettant d’infléchir durablement le taux de croissance. Le rôle bénéfique des infrastructures est également mis en valeur. Cette théorie est généralement considérée comme réhabilitant l’action publique par le lancement d’investissements adaptés.

Dans cette perspective, la croissance économique et en particulier le taux de croissance potentielle de long terme sont principalement fonction de la qualité et de la quantité de l’offre, les outils de gestion de la demande n’introduisant que des déséquilibres transitoires inefficaces, notamment des tensions inflationnistes.

La validité de ces théories reste cependant discutée, l’arbitrage entre le court terme et le long terme étant particulièrement important dans l’appréciation de l’efficacité des différentes politiques économiques menées.

La Stratégie de Lisbonne a mis en œuvre des politiques répondant à ce schéma en proposant des mesures propres à accroître la qualité et la quantité des facteurs de production. Dans ce cadre, les instruments de politique économique longtemps considérés comme relevant de la gestion macroéconomique de la demande sont soit délégués à un tiers (politique monétaire déléguée à la BCE), soit astreints à une certaine neutralité via l’exigence de l’assainissement des finances publiques.

b)  Des gains d’efficacité dus à des réformes simultanées ?

En 2004, le « rapport Kok  (29)» (cf. infra) fondait ainsi l’utilité d’entreprendre des réformes simultanément :

« L’idée [de la Stratégie de Lisbonne] était que les actions menées par un État membre seraient d’autant plus efficaces que ses partenaires au sein de l’Union agiraient de concert ; une vague économique créée en commun porterait avec une puissance encore accrue chacun des navires de la flotte européenne. Plus l’Union parviendrait à développer en tandem ses initiatives sur le plan de la connaissance et de l’ouverture des marchés, plus l’économie de chaque État membre serait forte et compétitive. Cette stratégie (…) se composait d’une série de réformes globales et interdépendantes qui se renforçaient mutuellement. »

La définition de la Stratégie de Lisbonne reposait notamment sur la conviction de certains experts et responsables que mener des réformes simultanément, dans plusieurs États membres, serait à la fois plus facile et plus efficace que de les engager dans un seul État. Deux arguments étaient régulièrement cités à l’appui de ce raisonnement(30:

– les externalités positives des réformes ;

– les effets d’apprentissage.

• Les externalités positives issues des réformes dans une zone intégrée

Selon certains experts, il y aurait un effet « d’externalité positive » des réformes portant sur l’offre de production. Dans le cadre de ces analyses, ces externalités pourraient en effet, sous certaines conditions, bénéficier aux économies des autres États membres. L’argument principal qui soutient cet effet souligne la profonde intégration de la zone économique de l’Union européenne : intégration des marchés (marchandises, capitaux et, dans une moindre mesure, main d’œuvre) et interdépendance commerciale des différentes économies. Cette intégration est encore plus approfondie pour les États membres de la zone euro, qui partagent une monnaie unique. Il s’agit d’une zone où les économies sont interdépendantes ; dès lors, il y aurait un intérêt commun à ce que des politiques économiques convergentes y soient menées.

Un article rédigé par MM. Jean Pisani-Ferry et André Sapir, « Last exit to Lisbon (31) », rédigé dans le cadre du think tank européen « Bruegel » en 2006, rappelait opportunément certains piliers théoriques ayant motivé la construction de la Stratégie. Les auteurs soulignaient notamment l’importance des « externalités positives transfrontières » des dépenses de recherche et développement : les effets bénéfiques de ces dépenses pourraient avoir un impact positif au-delà des frontières, notamment grâce à la mobilité des chercheurs, aux échanges intellectuels et aux mouvements de main d’œuvre qualifiée. Les bénéfices suscités par des efforts accrus en matière de recherche et développement n’emporteraient cependant des effets positifs qu’à moyen et long terme.

• Des effets d’apprentissage et d’émulation

La Stratégie de Lisbonne emporterait également un effet d’apprentissage mutuel. Dans cette perspective, les États membres pourraient tirer des conclusions de l’évaluation du succès des réformes réalisées dans les autres États membres et sélectionner ainsi les meilleures pratiques.

Dans leurs travaux précités, MM. Jean Pisani-Ferry et André Sapir mettent en évidence que mener des politiques économiques de manière simultanée pourrait, sous certaines conditions, amener les États à apprendre des succès, des difficultés, voire des échecs des autres États membres. Cet effet d’apprentissage, qui serait particulièrement marqué s’agissant des politiques visant à réformer les marchés du travail, serait cependant conditionné à la transparence des processus, qu’il s’agisse des objectifs, des performances et des méthodes d’évaluation. Il ne fonctionnerait en effet que si le système garantit une information objective et détaillée sur les efforts fournis, les performances réalisées et les gains retirés par chaque État.

Cet effet pourrait aussi s’accompagner d’une autre conséquence positive, celle d’une mobilisation par l’émulation : chaque État obtiendrait une connaissance précise de sa situation relative par rapport à celle de ses voisins, et tenterait alors de les surpasser dans la mise en œuvre formelle et effective des politiques considérées. MM. Pisani-Ferry et Sapir indiquaient que cet effet d’émulation relative avait pu être constaté s’agissant des études PISA sur les performances des systèmes scolaires, études comparatives menées dans le cadre de l’OCDE (32).

B.  UNE GOUVERNANCE SPÉCIFIQUE, DÉCENTRALISÉE ET PEU CONTRAIGNANTE

Les conclusions de la présidence du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 rendaient compte de la mise en place d’une « approche plus cohérente et plus systématique » : la Stratégie de Lisbonne ferait l’objet d’une « nouvelle méthode ouverte de coordination ». La méthode, décidée par les chefs de gouvernements et d’États réunis au sein du Conseil européen, avait recueilli préalablement le soutien du Parlement européen ainsi que des organisations de syndicats et d’employeurs à l’échelon européen.

1.  Les caractéristiques de la méthode ouverte de coordination (MOC)

a)  Ni une politique ni un processus, mais une « méthode »

Comme son nom l’indique, la gouvernance de la Stratégie relève d’une « méthode », pas d’une « politique » dotée d’une force exécutoire qui serait formellement définie par les traités européens et impliquant les organes et institutions de l’Union européenne. Cette méthode avait pour but une « coordination » au sens du Traité instituant l’Union européenne, ce qui excluait toute coercition. Elle visait à aider les États membres à mettre en place les politiques permettant une convergence accrue des économies.

La MOC était qualifiée par les conclusions du sommet de Lisbonne de « nouvelle méthode » ; elle avait pourtant déjà été utilisée dans le cadre de la Stratégie européenne pour l’emploi, cf. infra. Elle se fondait principalement sur l’organisation d’un dialogue formalisé entre les États membres et les institutions européennes, la fixation d’objectifs, la diffusion de l’information et l’identification des « bonnes pratiques ». Les techniques de la MOC se sont inspirées des pratiques du secteur privé et des entreprises : élaboration d’indicateurs, distinction entre les objectifs intermédiaires et les objectifs finaux, recueil des « meilleures pratiques »…

La MOC a tout d’abord supposé l’identification et la définition en commun d’objectifs à remplir, ces objectifs pouvant être adaptés aux caractéristiques de chaque État. L’étape suivante a concerné l’élaboration commune d’instruments de mesure définis (statistiques, indicateurs, lignes directrices). La MOC a aussi permis d’utiliser les techniques de parangonnage (benchmarking), c’est-à-dire la comparaison des performances des États membres. En matière de suivi, cette MOC a consisté en une forme d’évaluation mutuelle des États, sur le modèle de « la pression par les pairs ». Le rôle des institutions européennes est alors limité à l’organisation d’une forme de surveillance multilatérale et à la mise à disposition d’informations fiables sur la réalisation des objectifs par les États membres, notamment via le système d’informations statistiques européen Eurostat.

b) Un caractère « ouvert »

La méthode a été qualifiée d’« ouverte », ce qui signifie qu’elle était supposée faciliter l’implication de tous les partenaires et de toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse de partenaires publics non gouvernementaux (parlements, collectivités territoriales…) ou d’organismes non étatiques (partenaires sociaux, associations, entreprises…) :

« L’approche retenue sera totalement décentralisée, conformément au principe de subsidiarité ; l’Union, les États membres, les collectivités régionales et locales, ainsi que les partenaires sociaux et la société civile seront activement associés dans diverses formes de partenariat. Une méthode d’évaluation des meilleures pratiques en matière de gestion des changements sera élaborée par la Commission européenne en coordination avec différents prestataires et utilisateurs, à savoir les partenaires sociaux, les entreprises et les ONG (33). »

Ce caractère « ouvert » peut aussi se rattacher à son mécanisme : un but défini (cf. les objectifs décrits supra), avec des méthodes « ouvertes », destinées à contribuer à atteindre les cibles fixées. La gouvernance de la Stratégie, incarnée par l’action de la Commission, s’est d’ailleurs, au fil du temps, de plus en plus attachée à la mise en place des processus, plutôt qu’à la réalisation des objectifs initialement fixés.

c)  Un pilotage par le Conseil européen

La Stratégie de Lisbonne a fait l’objet d’un suivi très étroit par le Conseil européen. Les conclusions de la présidence du Conseil européen de Lisbonne indiquaient en effet que le Conseil européen devait assumer « un rôle phare d’orientation et de coordination, qui lui permettra d’assurer la cohérence générale et un suivi effectif des progrès réalisés sur la voie du nouvel objectif stratégique. Par conséquent, le Conseil européen se réunira chaque année au printemps pour débattre des questions économiques et sociales. » L’information du Conseil européen devait être assurée par la Commission européenne. Le même document invitait « la Commission à élaborer chaque année un rapport de synthèse sur les progrès réalisés sur la base d’indicateurs structurels en matière d’emploi, d’innovation, de réformes économiques et de cohésion sociale, qui seront fixés d’un commun accord. »

Chaque année, au printemps, les chefs d’État et de gouvernement des États membres, réunis au sein du Conseil européen, faisaient le bilan de l’application de la Stratégie de Lisbonne sur la base des informations collectées par la Commission. Ce suivi annuel a pu complexifier le processus en raison de la volonté du Conseil européen d’ajouter progressivement des objectifs supplémentaires ou de procéder à des révisions du processus.

d)  La méthode ouverte de coordination, un compromis politique

Le caractère peu coercitif de la MOC a sans doute facilité les négociations préalables à l’élaboration de la Stratégie, puis son adoption. En effet, comme le souligne notamment le « rapport Sapir (34) », la MOC a été soutenue au nom de conceptions différentes, voire diamétralement opposées.

La méthode ouverte de coordination a en effet conforté ceux qui espéraient trouver une alternative aux méthodes communautaires, jugées trop restrictives : elle introduisait un processus minimal de coordination dans des politiques nationales ne relevant pas de l’Union. D’autres observateurs ont plutôt considéré la méthode ouverte de coordination comme un prélude à l’extension future des compétences de l’Union européenne.

Certains commentateurs jugent également que la MOC, qui s’est historiquement développée dans le domaine du droit social (la politique de l’emploi, cf. infra), a également été un moyen de remédier à une approche jugée trop libérale et restrictive de la politique économique européenne, incarnée par la libéralisation des marchés et une politique monétaire principalement préoccupée par la stabilité monétaire et la maîtrise de l’inflation.

2.  Le choix de la méthode appropriée a été fortement contraint par les compétences respectives des États membres et de l’Union européenne

La méthode ouverte de coordination relève de processus antérieurement utilisés par l’Union comme les États membres. Son choix pour appliquer la Stratégie relevait d’une décision raisonnée, juridiquement et politiquement contrainte. En raison de son caractère peu contraignant, son efficacité n’était cependant pas garantie.

a)  En 2000, le périmètre de la Stratégie de Lisbonne concernait des compétences relevant exclusivement des États membres

L’article 98 du Traité instituant l’Union européenne fonde la base de la coordination des politiques économiques des États membres. Il demande aux États de considérer leurs politiques économiques comme des « questions d’intérêt commun » et de les coordonner au sein du Conseil.

En 2000, les politiques publiques concernées par la Stratégie de Lisbonne relevaient dans une très large mesure de compétences ressortissant aux États membres, qu’il s’agisse de la politique industrielle, de l’innovation, de l’emploi, de la protection sociale ou de la formation. Pendant la mise en œuvre de la Stratégie, le Traité de Lisbonne (« Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – TFUE »), entré en vigueur le 1er décembre 2009, a conduit à accroître sensiblement le périmètre des compétences de l’Union européenne, notamment les compétences partagées entre l’Union et les États membres.

Certaines thématiques concernées par la Stratégie de Lisbonne relevaient, à des degrés divers suivant l’organisation politique de l’État considéré, de la compétence des collectivités territoriales. Ainsi, la formation professionnelle, un des volets de la construction de « l’économie de la connaissance » promue par la Stratégie de Lisbonne, est du ressort des régions en France ; en Allemagne, l’éducation ressortit aux Länder.

Le choix d’adopter la MOC, procédure juridiquement non contraignante, était donc indispensable, à la fois pour des raisons à la fois juridiques et politiques. En effet, d’un point de vue juridique, les traités européens ne donnaient pas compétence aux institutions de l’Union sur les sujets constituant le cœur de la Stratégie de Lisbonne. D’un point de vue politique, il aurait été long et hasardeux, quelques années après la ratification du Traité instituant l’Union européenne (TUE), d’engager des négociations visant à accroître les compétences des institutions européennes. Il fallait donc choisir une voie moins contraignante pour les États, solution qu’a représentée l’utilisation de la méthode ouverte de coordination.

b)  La création d’un nouvel instrument communautaire n’a pas été jugée opportune

La méthode ouverte de coordination ne constituait pas un processus complètement inédit. Elle a en fait combiné deux outils préexistants : les « processus » et les « Grandes orientations de politique économique – GOPE ».

• Les « processus »

Dans les domaines relevant de la Stratégie et donc de la compétence des États membres, il existait avant 2000 des processus de coordination, formellement ou non intégrés aux Traités, qui respectaient les compétences des institutions de l’Union européenne et des États.

Ainsi, le « processus de Cardiff » (lancé lors du Conseil européen de juin 1998) visait la coordination des réformes économiques à caractère structurel. L’ambitieux « processus de Cologne », établi sur la base d’une résolution du Conseil européen de juin 1999, tentait de mettre en place les conditions d’un dialogue macroéconomique européen informel impliquant les grands acteurs économiques européens : négociateurs des salaires (représentants des employeurs et des salariés), Banque centrale européenne, Conseil, Commission européenne et gouvernements (35).

Le « processus de Luxembourg » (suite du « processus d’Essen », également dénommé « Stratégie européenne pour l’emploi – SEE (36) »), a été amorcé en novembre 1997, à la suite de la signature du Traité d’Amsterdam, qui inclut un chapitre « Emploi » dans le Traité instituant l’Union européenne. Il vise à établir une stratégie coordonnée entre États membres en faveur de l’emploi et de réforme du marché du travail, grâce à un système de surveillance multilatérale, un rapport conjoint sur l’emploi, des lignes directrices pour l’emploi et des plans d’action nationaux (PAN).

• Les Grandes orientations de politique économique

L’instrument des Grandes orientations de politique économique (GOPE), qui ne présente pas de caractère contraignant, est prévu par les articles 98 et 99 (deuxième alinéa) du Traité instituant l’Union européenne. Il constitue un cadre général pour les politiques économiques des États. Le Conseil Ecofin (37) adopte ce document annuel, ensuite avalisé par le Conseil européen, au début de l’été, sur la base d’une recommandation de la Commission. Leur suivi est assuré par le Conseil Ecofin.

En raison de l’existence des deux outils précités (GOPE et SEE), le Conseil européen de Lisbonne n’a pas décidé de la création d’un processus institutionnel spécifique, ne jugeant pas nécessaire de créer de nouveaux instruments à vocation sectorielle (38). Le Conseil européen a décidé de simplifier, d’adapter et de renforcer ces processus, au besoin en mettant en place des indicateurs précis et communs à tous les États, dans le cadre d’une méthode ouverte de coordination. Les conclusions du sommet précisaient que d’autres formations du Conseil de l’Union européenne que l’Ecofin pourraient participer à l’élaboration des GOPE.

De plus, le Conseil européen indiquait que les « grandes orientations des politiques économiques devraient se concentrer de plus en plus sur les conséquences à moyen et à long terme des politiques structurelles et sur les réformes visant à valoriser le potentiel de croissance économique, l’emploi et la cohésion sociale, ainsi que sur le passage à une économie de la connaissance. »

II.  LA MISE EN œUVRE DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE
A CONNU UNE INFLEXION EN 2005

Sur la décennie 2000-2010, la Stratégie de Lisbonne n’a pas connu une application uniforme. Les thèmes objets du processus ont régulièrement changé, le mode de gouvernance a été modifié, ces évolutions rendant l’appréhension de la Stratégie particulièrement difficile (39). La littérature politique et économique distingue généralement trois phases dans la mise en œuvre de la Stratégie :

– « Lisbonne I », de mars 2000 à mars 2005 ;

– « Lisbonne II », qui suit la « relance » décidée à la suite de la remise du rapport Kok et de la tenue du Conseil européen de mars 2005 : la Stratégie change de dénomination et devient officiellement la « Stratégie de Lisbonne renouvelée pour la croissance et l’emploi » ;

– puis, enfin, « Lisbonne III (40) », sur la période 2008-2010.

A.  « LISBONNE I » : LA PREMIÈRE PHASE DE LA MISE EN œUVRE DE LA STRATÉGIE (2000-2005)

En raison de l’objectif très ambitieux que l’Europe s’était fixé – devenir en 2010 « l’économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive », les conditions de démarrage et de mise en œuvre de la stratégie, dans les premières années de la décennie, ont pris une importance fondamentale.

1.  La Stratégie reposait initialement sur trois piliers : l’économique, le social et l’environnemental

Développée au cours de plusieurs Conseils européens postérieurs à celui tenu à Lisbonne, la Stratégie s’est construit progressivement sur la base de trois piliers thématiques : un pilier économique visant à transformer l’économie européenne en une économie compétitive, dynamique et fondée sur la connaissance, un pilier social, qui devait permettre de moderniser le modèle social européen grâce à l’investissement dans les ressources humaines et à la lutte contre l’exclusion sociale, et enfin un pilier environnemental.

Le pilier environnemental a été ajouté à la Stratégie par le Conseil européen de Göteborg (Suède) en juin 2001. Ce sommet a en effet adopté une « stratégie de développement durable » pour l’Union européenne, stratégie visant à protéger l’environnement mais également supposée ouvrir de nouveaux développements en matière de croissance économique grâce aux « nouvelles technologies vertes ».

2.  La gouvernance de la Stratégie comportait de nombreux objectifs et indicateurs

a)  Le choix difficile des indicateurs

Le choix des indicateurs de la Stratégie (dont certains présentaient en fait le caractère d’objectifs, cf. infra) constituait un problème éminemment délicat. Chaque État membre, en effet, a tenté de privilégier les domaines où il était le plus performant afin de réduire les efforts à fournir pour atteindre les objectifs ou, du moins, rendre ceux-ci raisonnablement atteignables. Comme souvent en la matière, le choix des indicateurs a donc fait l’objet d’un compromis qui a conduit, dans un premier temps, à en augmenter excessivement le nombre.

À titre de rappel, le Conseil européen de Lisbonne fixait les objectifs suivants pour la décennie 2000-2010 :

– 3 % de croissance du PIB en moyenne par an ;

– en matière d’emploi, un taux d’emploi de 70 % et une proportion de femmes actives de 60 %.

En raison de leur caractère général et structurant, ces objectifs étaient qualifiés de « finaux » ; ils ont été complétés par des objectifs plus précis ou complémentaires, dits « intermédiaires ». Ainsi, le Conseil européen de Lisbonne indiquait que les États devaient réduire de moitié, en 2010, le nombre des personnes âgées de 18 à 24 ans n’ayant accompli que le premier cycle de l’enseignement secondaire et qui ne poursuivaient pas leurs études ou leur formation.

b)  L’inflation des objectifs et des indicateurs

La tenue des Conseils européens successifs a conduit à élargir la liste des objectifs finaux ou intermédiaires. Cette procédure a accru peu à peu le périmètre et la précision de la Stratégie, au risque cependant d’en brouiller la visibilité et d’en complexifier le pilotage.

Ainsi, le Conseil européen de Stockholm du printemps de l’année 2001 a fixé un objectif de 50 % de taux d’emploi des plus de 50 ans. Le Conseil européen de Barcelone tenu au printemps de l’année 2002 a procédé à une forte augmentation du nombre d’objectifs :

– réduction de 8 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 ;

– dépenses en recherche et développement fixées à au moins 3 % du PIB européen (41;

– augmentation de cinq ans de l’âge effectif de départ à la retraite ;

– enfin, accroissement du nombre de jeunes enfants accueillis dans des structures d’accueil subventionnées (42).

Certains objectifs étaient, de plus, pourvus d’indicateurs supplémentaires. Selon un document du Conseil économique, social et environnemental (43), entre 2000 et 2003, sept indicateurs structurels ont été définis dans six domaines : contexte économique, emploi, innovation/recherche/éducation et formation, intégration des marchés et réforme économique, cohésion sociale et environnement.

Cette liste de 42 (44) indicateurs structurels, établie par la Commission européenne, était manifestement inadaptée en raison du nombre excessif de données à collecter et à analyser. Elle ne permettait guère une hiérarchisation des indicateurs, ce qui était, d’ailleurs, peut-être l’objectif recherché, compte tenu du compromis qui avait présidé à leur choix.

c)  Le sommet de Barcelone en 2002 : l’objectif de l’emploi et les recommandations en matière de retraite

En mars 2002 s’est tenue à Barcelone une réunion du Conseil européen particulièrement importante s’agissant des contours et du contenu de la Stratégie. Le Conseil européen y a souligné les domaines d’action prioritaires sur lesquels devait se concentrer l’Union européenne afin d’atteindre les objectifs de long terme fixés à Lisbonne.

Ces considérations préfiguraient l’inflexion de 2005 (cf. infra), notamment parce qu’elles mettaient l’accent sur un environnement plus favorable aux entreprises, demandaient aux États de prendre des mesures afin de rendre le travail plus « attractif » et engageaient l’Union européenne dans un processus d’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz (45). Parmi ces domaines jugés prioritaires, le Conseil européen citait l’emploi, qui faisait l’objet d’« une stratégie pour l’emploi renforcée ».

Le sommet de Barcelone posait également le principe que les États membres devaient réduire les incitations aux retraites anticipées et mettre en œuvre, compte tenu du vieillissement de la population, un allongement progressif de la durée de vie active :

« Il faudrait chercher d’ici 2010 à augmenter progressivement d’environ cinq ans l’âge moyen effectif auquel cesse, dans l’Union européenne, l’activité professionnelle. »

3.  La publication du rapport Sapir a conduit la Commission européenne à resserrer la liste des indicateurs dès 2003

a)  Le rapport Sapir : une analyse économique des conditions supposées permettre d’atteindre les objectifs de Lisbonne

En 2002, le président de la Commission européenne, M. Romano Prodi, a chargé M. André Sapir (46), universitaire et économiste belge, de former un groupe de travail de haut niveau, composé d’experts indépendants, mais la plupart plutôt classés comme libéraux, afin de procéder à une revue générale des politiques économiques de l’Union européenne. Le but était de les modifier le cas échéant, afin de promouvoir la croissance dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne, tout en prenant en compte les conséquences des élargissements programmés.

En juillet 2003, M. André Sapir a remis le rapport du groupe de haut niveau, document intitulé « An agenda for a growing Europe / Making the EU economic system deliver (47) ». Ce texte dense proposait, entre autres suggestions, de réduire les dépenses de l’Union relatives à l’agriculture (dans le cadre de la Politique agricole commune – PAC) et de remanier les aides allouées au titre des fonds structurels en responsabilisant davantage les États membres. Il recommandait également que des incitations (incentives) soient créées au bénéfice des États qui s’impliqueraient dans la réalisation de la Stratégie de Lisbonne.

L’idée était de réduire certaines catégories de dépenses, jugées peu efficientes, afin de financer par des fonds européens des activités considérées plus porteuses d’avenir et correspondant mieux aux objectifs de la Stratégie : faire de l’Union européenne une « économie de la connaissance ». Ainsi, le rapport suggérait d’investir dans des activités de recherche, d’enseignement et de formation, notamment via une douzaine d’universités de taille mondiale et la création d’une agence européenne ad hoc.

Les conclusions du rapport ont suscité une vive opposition entre les États membres suivant les bénéfices respectifs qu’ils retiraient de la PAC et des fonds structurels. En particulier, la France a réitéré son attachement à la PAC, les orientations du rapport étant plutôt soutenues par le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Compte tenu de l’opposition de grands pays et d’une partie de la technocratie bruxelloise, la Commission n’a pas repris pas les propositions du rapport Sapir. Les débats, parfois vifs, auxquels ce document donna lieu ont cependant eu un impact sur la mise en œuvre de la Stratégie et ont constitué les prémices des conclusions du rapport Kok (cf. infra).

b)  Une première limitation du nombre d’indicateurs en 2003

En partie en raison des conclusions du rapport Sapir, il a été décidé de se limiter à une liste restreinte de 14 indicateurs. Cette limitation a été formalisée par une communication de la Commission du 8 octobre 2003. Ce document notait que, en raison de l’inflation des indicateurs, il était devenu difficile de faire un bilan des progrès réalisés et que la liste excessivement longue ainsi constituée ne présentait plus guère de cohérence :

« Grâce à cette liste réduite, il devrait être plus facile, dans le cadre du rapport de printemps, de faire passer les messages politiques et de résumer la situation des États membres par rapport aux objectifs clés de la Stratégie de Lisbonne, ce qui contribuera à entretenir la dynamique de Lisbonne. »

La liste des indicateurs, auparavant fixée sur une base annuelle, était désormais établie pour une durée de trois ans. Cette liste, adoptée par la suite par le Conseil européen, figure en annexe au présent rapport. Il est à cet égard intéressant de noter les particularités suivantes :

– le PIB par habitant, le premier indicateur, était signe de son importance ;

– il existait un indicateur relatif à « l’intégration des marchés financiers » ;

– un indicateur concernait la part de population considérée « à risque de pauvreté ».

B.  2005 : APRÈS LE RAPPORT DE M. WIM KOK, LA STRATÉGIE DE LISBONNE A ÉTÉ RELANCÉE À MI-CHEMIN

La première moitié de la décennie 2000-2010 est marquée, d’une part, par un certain essoufflement de la croissance économique dans les États membres et, d’autre part, par l’adhésion en 2004 de dix nouveaux membres, issus d’Europe centrale ou orientale pour la majorité (48). De plus, la composition de la Commission européenne a changé en 2004 : M. Manuel Barroso, portugais, en est désigné président.

En mars 2004, le Conseil européen confie à un groupe d’experts de haut niveau, présidé par M. Wim Kok, ancien Premier ministre des Pays-Bas, la réalisation d’un rapport sur la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne. Le mandat confié à ce groupe est de proposer au Conseil européen des mesures qui constitueraient « une stratégie cohérente propre à permettre aux économies européennes d’atteindre les objectifs de Lisbonne ».

Les constats et les recommandations de ce rapport remis en novembre 2004, qualifié ultérieurement par un document de la Commission d’« extrêmement critique », sont assez explicites en dressant un tableau mitigé des résultats de la Stratégie. Ce constat est alors partagé par beaucoup d’observateurs ; ainsi, la revue « La Lettre de l’OFCE » évoque en 2005 (49) « La « Stratégie de Lisbonne » engluée dans la tactique de Bruxelles ». De même, le rapport précité de M. Laurent Cohen-Tanugi décrit la période de 2000 à 2004 comme « quatre années d’immobilisme ».

a) Les fondements économiques de la Stratégie sont considérés comme encore valables en 2004

Le rapport note les difficultés de mise en œuvre de la Stratégie dans un contexte où la conjoncture économique s’est dégradée. Il est également souligné que l’élargissement, s’il offre des perspectives de croissance du PIB européen en raison des phénomènes de rattrapage, augmente la dispersion des situations initiales des différents États membres par rapport aux objectifs fixés. Ainsi, le taux de chômage de longue durée atteint 4 % dans l’UE-25, contre 3,3 % dans l’UE-15.

Le rapport Kok ne propose ni de remettre en cause les objectifs ni de différer l’échéance de leur réalisation. En effet, le document considère que les fondements de la Stratégie continuent à être valables. Il estime même que sa réalisation présente un caractère d’urgence, compte tenu, d’une part, de l’émergence de nouveaux acteurs compétitifs sur la scène économique mondiale (50) et, d’autre part, du vieillissement continu de la population européenne.

b)  Le rapport Kok a noté des progrès ponctuels mais a souligné que les objectifs chiffrés fixés en 2000 ne seront sans doute pas atteints

Le rapport Kok note des « résultats encourageants », comme la création de six millions d’emplois depuis le lancement de la stratégie :

« Lisbonne ne présente pas le tableau irrémédiablement sombre que certains aiment à dépeindre. Des progrès significatifs ont été accomplis dans le domaine de l’emploi entre le milieu des années 90 et 2003. Les gouvernements européens ont pris des mesures qui se sont conjuguées pour tenter de lever les obstacles à l’emploi des travailleurs à bas salaires, renforcé leurs politiques actives du marché du travail et permis la croissance de l’emploi temporaire. »

Le document met également en exergue l’augmentation du taux d’emploi, de 62,5 % en 1999 à 64,3 % en 2003 – cette hausse est à nuancer car elle ne tient pas uniquement compte des emplois à temps plein. Des résultats encourageants sont soulignés en matière de taux d’emploi global (sept États membres sont alors en passe d’atteindre l’objectif intermédiaire de 67 %), de taux d’emploi de la main-d’œuvre féminine et de taux d’emploi des travailleurs âgés. Le rapport Kok souligne également les progrès effectués du point de vue de la diffusion des technologies de l’information et de la communication et de l’internet dans les écoles, les universités, les administrations et le commerce.

Il note cependant que les objectifs chiffrés assignés à l’Union européenne en 2010 ne seront probablement pas atteints, notamment en matière de taux d’emploi (70 %) et de dépenses de recherche et développement (3 % du PIB européen).

c)  Le rapport Kok a proposé un recentrage thématique sur la croissance et l’emploi

• Des objectifs trop nombreux

Le rapport Kok relève la surabondance des objectifs, leur nombre trop important faisant perdre de vue leur hiérarchisation. « La Stratégie de Lisbonne traite de tout, donc de rien », comme certains ont pu résumer l’appréciation du rapport. Selon le document, le nombre excessifs d’objectifs fixés a fait perdre de vue la nécessité absolue d’atteindre les plus importants.

• La proposition d’un recentrage thématique sur cinq domaines

Le document souligne que la réalisation de la Stratégie de Lisbonne préservera le modèle européen, construit notamment sur un attachement à une « économie sociale de marché » et sur une attention soutenue aux questions environnementales : « Ce qui est en jeu à moyen et à long terme, ce n’est rien moins que la viabilité de la société bâtie par l’Europe. »

Pour préserver ce modèle, le rapport propose un recentrage de la Stratégie sur les thématiques de l’emploi et de la croissance. Cinq priorités sont identifiées : 1) la réalisation de l’économie de la connaissance, 2) l’achèvement du marché intérieur et la promotion de la concurrence (notamment dans les services, y compris financiers), 3) l’établissement d’un environnement favorable aux entreprises, 4) la création d’un marché du travail adaptable et fondé sur l’intégration de tous les salariés, et enfin 5) la « promotion énergique de stratégies économiques rentables pour tous ». Dans ces cinq domaines, le rapport Kok formulait des recommandations.

• Les réactions à la proposition de recentrage

Quelques États et organisations ont réagi négativement à cette suggestion de recentrage, estimant qu’il était plutôt nécessaire que la Stratégie puisse continuer à proposer aux populations européennes un horizon de progrès social et environnemental. Si les organisations d’employeurs ont salué les propositions, la plupart des organisations syndicales ont exprimé leur hostilité à ces recommandations :

« Les objectifs de Lisbonne sont […] de renforcer la cohésion sociale et le développement social durable [...]. Lisbonne n’a certainement pas pour but d’effrayer les travailleurs et citoyens européens par un agenda étroit, décidé sans eux et axé sur une déréglementation pure ainsi que sur  une baisse de leur niveau de vie et de leurs standards sociaux (51) ».

Les chefs de file du groupe socialiste au Parlement européen ont remarqué que « Le manque de précision du rapport Kok [...] crée le risque que ce texte soit mal interprété et instrumentalisé pour saper les fondements du programme de l’UE dans les domaines économique, social et environnemental (52) ». 

d)  La gouvernance devait renforcer l’appropriation nationale de la Stratégie

• Un manque d’appropriation nationale

S’agissant de la gouvernance, constatant l’enchevêtrement des compétences respectives des États membres, de la Commission européenne et du Conseil européen, le rapport estimait que  « Tout le monde est responsable et donc personne n’est responsable ».

Le document faisait également le constat d’une carence dans les appropriations nationales de la Stratégie de Lisbonne. Il considérait qu’une vue d’ensemble des mesures envisagées et adoptées par les gouvernements est fondamentale pour assurer l’efficacité du processus et que l’établissement d’« un tableau d’honneur », fondé sur l’évaluation comparée et publique des performances de chaque État, serait de nature à accroître les incitations à atteindre les objectifs de la Stratégie.

Le rapport indiquait que l’appropriation devait également concerner les institutions de l’Union et son budget, qui ne prenaient pas suffisamment en compte les priorités de la Stratégie (recherche et développement, infrastructures, éducation et formation).

• Les propositions

Le rapport rédigé par le groupe d’experts présidé par M. Wim Kok proposait donc :

– l’établissement de rapports annuels par pays (« plans d’action nationaux »), où chaque État dresserait la liste de ses engagements, après consultation du parlement et des partenaires sociaux, afin d’améliorer l’appropriation de la Stratégie ;

– l’établissement d’un « tableau d’honneur », sorte de classement public des États membres en fonction de leurs réalisations au regard de l’agenda de Lisbonne, susceptible de renforcer les incitations à appliquer la Stratégie ;

– la restructuration des dépenses du budget de l’Union européenne afin qu’elles reflètent mieux les priorités de la Stratégie, c’est-à-dire la transition vers une « économie de la connaissance » fondée sur le « triangle de la connaissance » (innovation, recherche et éducation) ; le rapport suggère également l’introduction d’« incitants (sic) budgétaires ayant pour but d’encourager les États membres à réaliser les objectifs de Lisbonne ».

C.  « LISBONNE II », OU « LA STRATÉGIE DE LISBONNE RENOUVELÉE POUR LA CROISSANCE ET L’EMPLOI (53) » DÉCIDÉE EN 2005, CONSTITUE UN CHANGEMENT MARQUANT DE THÈMES ET DE GOUVERNANCE

Dans le prolongement du rapport remis par le groupe d’experts présidé par M. Wim Kok, la Stratégie de Lisbonne a fait l’objet d’une revue à mi-parcours. La révision est intervenue lors de la réunion du Conseil européen tenue du 22 au 23 mars 2005 à Bruxelles. Cette réunion s’est appuyée sur la communication de la Commission européenne «Travaillons ensemble pour la croissance et l’emploi. Un nouvel élan pour la Stratégie de Lisbonne (54) », dont certains constats et propositions s’inspiraient du rapport Kok. Cette communication, qui jugeait « inégal » le bilan de cinq années d’application de la Stratégie, était complétée par des contributions du Comité des régions, du Comité économique et social européen ainsi que des partenaires sociaux.

1.  Priorité donnée aux objectifs de croissance économique et d’emploi

L’inflexion intervenue en 2005 a d’abord concerné les thèmes de la Stratégie. Elle correspondait, dans une large mesure, aux changements de majorité et de politiques intervenus dans de nombreux États membres, incluant le changement de majorité en France en 2002 et la mise en œuvre de l’« Agenda 2010 (55) » en Allemagne.

a)  Un recentrage global sur l’économique et l’emploi

Le changement de thématique a consisté à moins porter l’accent sur l’« économie de la connaissance » et plus sur l’amélioration de la compétitivité de l’Union européenne. Le document préparatoire précité de la Commission européenne indiquait ainsi que « la Stratégie de Lisbonne renouvelée » devait être axée sur la croissance et l’emploi, en dégageant trois priorités :

− l’Europe devait être plus attrayante pour les investisseurs et les travailleurs ;

− la connaissance et l’innovation devaient devenir le moteur de la croissance européenne ;

− les politiques menées par les institutions européennes comme par les États membres devaient permettre aux entreprises de créer davantage d’emplois de meilleure qualité.

Sur la base de la proposition de la Commission européenne, le Conseil européen de Bruxelles a procédé à une « relance » de la Stratégie, qui s’est conjuguée avec son recentrage sur la croissance et l’emploi.

Ne subsistaient plus que deux objectifs chiffrés à l’échéance de 2010 :

– un taux d’investissement – public et privé – total dans la recherche et le développement égal à 3 % du PIB européen (objectif dit « de Barcelone »), des niveaux spécifiques intermédiaires devant être fixés au niveau national (56) ;

– un taux d’emploi de 70 % (proportion de la population européenne en âge de travailler qui occupe un emploi).

b)  L’accent mis sur un environnement favorable aux entreprises

La Stratégie de Lisbonne, qualifiée en 2005 de « relancée », s’organisait autour de trois axes.

Le Conseil européen a défini le premier axe de la relance du processus comme la priorité donnée à la « croissance et l’innovation » (notamment par le biais d’incitations fiscales relatives aux dépenses de recherche), les considérations relatives à l’environnement étant réduites à un paragraphe.

Le deuxième axe consistait à construire « Un espace attrayant pour investir et travailler ». Ces derniers développements soulignaient la nécessité de « parachever le marché intérieur », de se doter d’un « cadre règlementaire plus favorable » et de développer des infrastructures performantes. Il était préconisé une réduction des aides d’État et un redéploiement de la politique industrielle en faveur de mesures à caractère horizontal(57).

L’inflexion intervenue en 2005 a conduit la Commission et le Conseil européenne à souligner la nécessité d’un cadre micro et macroéconomique favorable aux entreprises et à l’activité. De manière générale, le rapport de la Commission et les conclusions du Conseil européen adoptaient une tonalité plus favorable aux entreprises, particulièrement aux PME, et à la libéralisation des marchés.

Le troisième axe de la relance du processus de Lisbonne concernait la préservation de la cohésion sociale. Le Conseil européen estimait que l’augmentation du taux d’emploi permettait sa sauvegarde et considérait qu’il était impératif d’attirer davantage de personnes sur le marché du travail. Il était préconisé d’engager des politiques d’emploi combinant flexibilité et sécurité et d’améliorer le « capital humain » des actifs grâce à des politiques de formation adaptées.

c)  Le caractère très global de la Stratégie

Le Conseil européen de Bruxelles a souligné que l’Union devait mobiliser tous les moyens nationaux et communautaires appropriés dans les trois dimensions économique, sociale et environnementale de la Stratégie de Lisbonne. En effet, malgré le recentrage évoqué plus haut sur la croissance et l’emploi, les autres thématiques n’ont pas été complètement écartées. Certes, les préoccupations environnementales ont font l’objet d’un processus distinct au sein de l’Union européenne (la « stratégie de développement durable »). Cependant, il n’était pas indiqué de manière explicite que l’environnement ne relevait plus de la Stratégie de Lisbonne, qui conservait son caractère très global.

Par la suite, des objectifs intermédiaires continuent d’être ajoutés au processus. Le Conseil européen tenu à Bruxelles au printemps 2006 ajoute ainsi un objectif intermédiaire supplémentaire relatif à la réduction du taux de chômage des jeunes. De même, le Conseil européen tenu en mars 2007 fixe des nouveaux objectifs intermédiaires, relatifs, d’une part, à la simplification administrative (58) et, d’autre part, à la situation énergétique des États membres en 2020.

2.  À partir de 2005, la gouvernance, plus décentralisée, utilise des « lignes directrices intégrées » et des plans nationaux

Le changement de 2005 a non seulement affecté la hiérarchisation des priorités mais aussi la gouvernance de la Stratégie de Lisbonne.

a)  Une gouvernance jugée à la fois complexe et insuffisante

Le rapport de la Commission européenne, rédigé sur la base du « rapport Kok », avait insisté sur la nécessité de « simplifier et rationaliser la Stratégie de Lisbonne. Autrement dit, clarifier qui fait quoi, simplifier la procédure d’élaboration des rapports et soutenir l’application de la stratégie au moyen de programmes d’action au niveau communautaire et national. »

De manière générale, les conclusions du Conseil européen de mars 2005 jugeaient nécessaire de mettre davantage l’accent sur les réformes et les processus que sur les résultats – orientation qui marque quelque peu l’abandon de l’ambition initiale de Lisbonne. Elles mettaient également en exergue la nécessaire implication de tous les lieux de dialogue et de négociation, qu’ils fussent européens (Parlement, Conseil économique et social européen, Comité des régions, processus de l’agenda social européen...) ou nationaux (parlements et instances locales, conseils économiques et sociaux, partenaires sociaux ou société civile…).

b)  L’adoption de lignes directrices intégrées triennales et l’élaboration de plans nationaux

Les conclusions du Conseil européen ont défini une nouvelle approche, fondée sur deux cycles de trois ans. La nouvelle gouvernance, qui devait relever principalement d’un pilotage par le Conseil européen, s’organisait autour de trois documents : la proposition initiale de la Commission européenne (dénommée « rapport de synthèse »), les 24 lignes directrices intégrées (LDI) adoptées par le Conseil européen, et, enfin, les programmes nationaux de réforme (PNR), élaborés par les États. Les LDI, orientations communes à tous les États membres, étaient supposées imprimer plus de force et de cohérence aux prescriptions européennes ; les PNR, quant à eux, étaient censés contribuer à renforcer l’appropriation de la Stratégie et donc à en faciliter son application.

• Les lignes directrices intégrées réunissent dans un document unique les Grandes orientations de politique économique et les lignes directrices pour l’emploi

Le nouveau document, appelé « Lignes directrices intégrées » (LDI), valable pour trois ans, constituait un des instruments centraux de la coordination des politiques économiques, avec le respect du Pacte de stabilité et de croissance. Ce document unique compilait formellement deux instruments juridiques préexistants :

- d’une part, les Grandes orientations des politiques économiques (GOPE), mentionnées à l’article 98 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE), qui ne présentent pas de caractère juridique contraignant ;

- d’autre part, les Lignes directrices pour l’emploi (LDE) prévues par l’article 128 du Traité sur la communauté européenne, définies, sur la base d’une proposition de la Commission, par le Conseil de l’Union européenne après différents avis (Parlement européen, Comité économique et social européen, Comité des régions et comité de l’emploi) puis reprises par le Conseil européen.

Les lignes directrices intégrées pour la croissance et l’emploi valables pour la période 2005-2008, présentées en trois parties (macroéconomie, microéconomie et emploi), ont été formellement adoptées au début du mois de juillet 2005 (59). La composition de ces lignes directrices intégrées, qui figurent en annexe au présent rapport, reflète le recentrage thématique opéré en 2005 : les lignes directrices concernant l’emploi, au nombre de sept, sont placées après les lignes directrices à caractère micro et macroéconomique.

• Les plans nationaux de réforme (PNR) visent à adapter le processus de la Stratégie à la situation de chaque État membre

À la suite du changement de gouvernance intervenu en 2005, les États membres ont été chargés d’établir des « programmes nationaux de réforme » (PNR). Ces documents pluriannuels, qui doivent « prendre en compte » les LDI précitées, devaient répondre à leurs besoins et à leur situation particulière.

Ces PNR (2005-2008 puis 2008-2010) ont dû faire l’objet d’une consultation avec toutes les parties prenantes, y compris les instances parlementaires, selon les procédures propres à chaque État membre. Les objectifs sont plus spécifiques. L’ « intensité-cible » (en 2010) de l’effort en recherche et développement a ainsi été graduée, au printemps 2006, en fonction des situations de départ : 4 % pour la Finlande et la Suède mais 0,75 % pour Malte (taux de 0,27 % en 2006).

Les États membres ont dû établir chaque année un rapport de suivi de leur PNR, rapport communiqué à la Commission en octobre. La procédure a été simplifiée puisque les États ne devaient plus rendre à la Commission qu’un rapport unique rassemblant les différents aspects de l’application de la Stratégie. Sur la base des PNR et de son appréciation des rapports de suivi, la Commission établissait un rapport annuel sur la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne, document qui pouvait conduire à une modification des LDI. Enfin, le Conseil, en statuant à la majorité qualifiée, pouvait décider, à partir d’une proposition de la Commission, de recommandations spécifiques destinées à un pays.

Comme le notait la recommandation précitée de la Commission, l’accent était mis sur un dialogue bilatéral approfondi entre la Commission et les États membres sur la base du PNR. La coordination fondée sur des discussions multilatérales entre les vingt-cinq États membres et la Commission sur des thèmes d’action particuliers s’est révélée à la fois complexe et inefficace.

Enfin, le Conseil européen de Bruxelles, sur le fondement de la recommandation précitée de la Commission européenne, a prévu la nomination au sein de chaque pays d’un ou une « coordinateur national Lisbonne ».

c)  Une implication accrue des institutions européennes et les conséquences budgétaires

Le document précité de la Commission comme les conclusions du Conseil européen de Bruxelles de mars 2005 imputent le bilan mitigé de la Stratégie non seulement à l’insuffisance de la gouvernance ou aux carences des États, mais aussi à l’implication insuffisante des institutions européennes. Le « programme communautaire » de Lisbonne, c’est-à-dire l’action propre de l’Union dans la réalisation de la Stratégie de Lisbonne, devait passer notamment par le redéploiement du budget, par le programme-cadre pour la recherche et le développement (PCRD), le programme communautaire pour la compétitivité et l’innovation, l’initiative i2010 (concernant les TIC) et la mise en œuvre de l’Agenda social.

La communication de la Commission comme le Conseil européen de Bruxelles prévoyaient que les dépenses du budget de l’Union européenne seraient davantage orientées vers la mise en œuvre de la Stratégie, notamment dans le cadre des perspectives financières 2007-2013. En ce qui concerne les LDI, pour les matières relevant de la compétence communautaire, un « Programme communautaire de Lisbonne » établi par la Commission a été publié en juillet 2005.

d)  Le premier bilan de la portée du changement intervenu en 2005

L’année 2005 a-t-elle vraiment marqué un tournant dans la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne ? Cette question reste assez discutée dans la littérature économique.

Certains commentateurs (60), jugeant que la gouvernance n’avait pas substantiellement modifiée et que les questions de politiques macroéconomiques, notamment en termes de stimulation de la demande, restaient assez ignorées, ont qualifié cette nouvelle phase de la Stratégie de Lisbonne par l’expression « less, but the same » : « la même chose, mais en plus petit ».

L’année 2005 a marqué néanmoins une inflexion thématique profonde et une modification significative du régime de la gouvernance. Il n’est guère contestable que le « recentrage » de la Stratégie intervenu en 2005 a tendu à lui faire perdre son originalité initiale. En 2000, l’accent mis sur l’« économie de la connaissance » et le fait que la Stratégie s’appuyait sur trois piliers (économique, social et environnemental) imprimaient à la Stratégie un caractère assez novateur, jugé propice à mobiliser citoyens et partenaires sociaux. Cet aspect a semblé passer au second plan dès 2005, la Stratégie de Lisbonne prenant les traits d’un ensemble assez flou de mesures disparates de politiques économiques supposées apporter un surcroît de croissance économique aux États membres.

Il est d’ailleurs assez significatif d’évoquer à ce sujet les propos tenus en janvier 2006 par M. Klaus-Heiner Lehne, député européen (groupe PPE-DE) :

« À l’occasion de la discussion sur la résolution sur la révision à mi-parcours de la Stratégie de Lisbonne adoptée en mars 2005, le Groupe du PPE-DE était parvenu, à faire comprendre, malgré le PSE (61), que le processus de Lisbonne ne pouvait fonctionner sans que soit recentré son agenda sur des actions promouvant la croissance et l’emploi. Certes la Stratégie de Lisbonne repose sur trois piliers : la croissance, l’emploi et l’environnement. Mais sans croissance et emploi, il n’y a pas de possibilité de mettre en œuvre une véritable politique environnementale (62). »

3. La mise en place de « la Stratégie de Lisbonne renouvelée »

La « Stratégie de Lisbonne renouvelée » s’est organisée sur la période considérée autour de la mise en œuvre et la concrétisation des réformes répondant aux quatre priorités définies lors du Conseil européen de mars 2006 à Bruxelles :

– investir davantage dans la connaissance et l’innovation, via de grands projets du type de Galiléo (63), le développement du capital-risque ou la promotion de la mobilité des chercheurs ;

– « libérer le potentiel des entreprises », en particulier des PME ; les charges administratives découlant de la législation de l’Union européenne devaient être réduites d’au moins 25 % en 2012 ; le marché unique devait être enfin parachevé, notamment par « l’intensification des efforts pour accroître la concurrence dans les industries de réseau » et la dimension externe de la Stratégie de Lisbonne renforcée, permettant l’ouverture de nouveaux marchés ;

– « investir dans le capital humain et moderniser les marchés du travail », notamment en renforçant l’adaptabilité des marchés du travail en se fondant sur la « flexisécurité » ;

– élaborer une nouvelle politique énergétique pour l’Europe.

D.  2008-2010, « LISBONNE III » MARQUE LA FIN DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE

La période 2008-2010 n’a pas été marquée par des changements institutionnels majeurs. Les États membres, les institutions européennes et les parties prenantes ont préparé les contours de l’agenda Europe 2020, qui devait succéder à la Stratégie. Lors du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008, à Bruxelles, les chefs d’État ou de gouvernement ont présenté les directions essentielles du dernier cycle de la Stratégie, sur la base du « rapport stratégique » proposé par la Commission européenne.

• La gouvernance

Le Conseil européen a confirmé que les lignes directrices intégrées définies en 2005 devaient également être utilisées pour la période de 2008 à 2010. Il a souscrit aux « recommandations pays » élaborées par le Conseil de l’Union européenne. Les conclusions du Conseil européen ont souligné également l’importance des dix objectifs fixés dans le cadre du « programme communautaire de Lisbonne » : la Commission devait adresser au Parlement européen et au États membres un rapport sur le suivi de ce programme communautaire.

• Le périmètre de la Stratégie de Lisbonne

L’accent a été mis sur la réalisation des quatre priorités fixées en 2006 (cf. supra), qualifiées de « piliers de la Stratégie de Lisbonne renouvelée ».

Un paragraphe entier des conclusions du sommet a été consacré à la nécessité de disposer d’un cadre macroéconomique stable pour réaliser les réformes (64) : « Il convient d’améliorer la qualité des finances publiques en accroissant l’efficacité des dépenses et des recettes publiques, y compris en poursuivant les efforts visant à lutter contre la fraude fiscale transfrontière, en modernisant l’administration publique et en privilégiant dans les budgets publics les mesures qui favorisent la productivité, l’emploi et l’innovation ».

Les conclusions du Conseil européen de 2008, après le « recentrage » opéré en 2005, ont semblé à nouveau étendre le périmètre de la Stratégie en évoquant de nouveaux champs (volet externe, politique énergétique, politique migratoire …), sans pour autant proposer de modifier les LDI. S’agissant de cette extension du périmètre, le rapport précité de M. Cohen-Tanugi mentionnait le risque d’un « effet dilutif » de l’accroissement des thèmes traités, la Stratégie risquant de devenir « un récit global non opérationnel des politiques menées en Europe ».

Trois thèmes ont été particulièrement mis en valeur. Ainsi, l’importance de la dimension sociale de la Stratégie a été soulignée : le Conseil européen a déclaré attendre « avec intérêt la proposition de la Commission concernant un agenda social renouvelé ». La « flexisécurité » a été définie (65).

De nombreux développements ont été consacrés à la stratégie d’innovation et comportaient des prescriptions adressées aux États membres et à la Commission (rédaction des PNR, accroissement de la mobilité des chercheurs, des étudiants…).

Enfin, les conclusions du Conseil européen ont souligné la nécessité d’améliorer la qualité de la législation en accroissant les efforts visant les PME.

Le Conseil européen de printemps de mars 2009 a enfin insisté sur la nécessité de poursuivre la Stratégie de Lisbonne malgré l’intensité de la crise économique. Les conclusions du Conseil indiquent que « La crise fait ressortir la nécessité de poursuivre et d’accélérer les réformes structurelles, qui renforceront la crédibilité et l’impact des mesures de relance. Les mesures à court terme prises par l’UE et les États membres seront d’autant plus efficaces qu’elles iront dans le sens des objectifs à moyen et long terme que prévoit cette Stratégie de Lisbonne ».

DEUXIÈME PARTIE : COMME L’ILLUSTRE LA SITUATION DE LA FRANCE, LA STRATÉGIE DE LISBONNE S’EST RÉVÉLÉE DÉCEVANTE

Les développements suivants ont vocation à retracer les résultats de l’application de la Stratégie de Lisbonne dans les États membres de l’Union européenne entre 2000 et 2010. Sous l’importante réserve de la question de l’imputabilité des résultats observés à la Stratégie, cette partie du présent rapport montre que les objectifs chiffrés visés au début des années 2000 n’ont pas été atteints en 2010. Elle souligne également que le principal impact de la Stratégie est plutôt à rechercher dans l’influence, même relative et diffuse, qu’elle a pu exercer sur le mode d’élaboration des réformes économiques et sociales menées dans les États membres sur la période considérée (I). Cette deuxième partie présente ensuite une analyse des raisons (II) de l’insuccès de la Stratégie. Le cas de la France fait l’objet de développements particuliers.

I. LES OBJECTIFS DE LISBONNE N’ONT PAS ÉTÉ ATTEINTS

Si elle a pu influer sur le contenu et la gouvernance des réformes menées dans les États membres, la Stratégie a déçu (A). La situation de la France, à cet égard, ne constitue pas une exception (B).

A.  LES PERFORMANCES TRÈS DIVERSES DES ÉTATS MEMBRES

Une première approche de l’évaluation de la Stratégie et de ses incidences sur les économies des États membres consiste à rechercher si ses objectifs initiaux ont bien été atteints. À cette fin, les rapporteurs ont notamment utilisé un document de travail des services de la Commission européenne (66), document qui relève que « la Stratégie a eu, dans l’ensemble, des résultats positifs sur l’Union (67) ». Il est intéressant de noter que ce rapport consacre de longs développements à la stabilité macro-économique (partie de l’annexe au document intitulée Macroeconomic resilience and financing (68) ), objectif qui, pourtant, ne relève pas de la Stratégie, du moins dans sa version initiale.

Rapprocher les résultats observés des objectifs initiaux soulève deux questions préalables d’inégale portée : le problème de l’imputabilité des résultats observés à la Stratégie, d’une part, et, d’autre part, la question de l’hétérogénéité de la situation des États membres.

• La question de l’imputabilité des résultats à l’effet propre de la Stratégie

Rapprocher les résultats des objectifs pose le problème fondamental de l’imputabilité des résultats observés à la Stratégie elle-même.

La solution idéale du problème de la mesure des impacts de la Stratégie serait de pouvoir identifier ses effets propres, au besoin en bâtissant un scénario contrefactuel permettant de répondre à la question centrale suivante : « que se serait-il passé si la Stratégie de Lisbonne n’avait pas été appliquée ? » Devant l’impossibilité d’une telle construction, il faut prendre en compte le fait que les résultats obtenus dans le – très vaste – champ du processus de Lisbonne sont, dans une très large mesure, le résultat des situations initiales des États membres, des cycles économiques et des décisions des gouvernements des États, comme le reconnaît d’ailleurs la Commission européenne dans sa propre évaluation des résultats de la Stratégie (69). À titre d’exemple, les bons résultats de certains pays nordiques obtenus à la fin des années 2000 seraient, à cet égard, le fruit de réformes menées dans les années 1990, avant la mise en place de la Stratégie(70).

À cette considération importante s’ajoute le constat que la Stratégie, qui ne constitue pas stricto sensu une politique publique (cf. supra, Introduction), n’a connu qu’une application très partielle.

• La distinction entre « petits » et « grands pays »

Rapprocher les résultats des objectifs fixés, c’est aussi mesurer à quel point les élargissements intervenus pendant la décennie 2000 ont pu rendre complexe l’appréciation des effets de la Stratégie. Ces élargissements ont en effet conduit à accroître la dispersion des situations au sein de l’Union et ont rendu dans une large mesure caducs les objectifs globaux initiaux. Cependant, il faut également noter le poids des grandes économies. Ainsi, en 2007, cinq pays (71) concentraient 75 % du PIB de l’Union européenne, si bien que les économistes Philippe Aghion, Élie Cohen et Jean Pisani-Ferry pouvaient qualifier l’Europe d’« illusion statistique (72) ».

À cet égard, la littérature (73) oppose souvent les « petits » pays, jugés dynamiques (à titre d’illustration, la Finlande, l’Irlande et le Luxembourg), aux « grandes » économies, considérées comme « languissantes » comme l’Allemagne, la France ou l’Italie. Dans cette optique, les petits États membres auraient connu plus de succès dans l’application de la Stratégie que les grands, notamment parce qu’ils auraient bénéficié d’une forme de désinflation compétitive (74), en s’inscrivant généralement dans un processus non coopératif (forte modération salariale, concurrence fiscale …).

Cette différence entre « grands » et « petits » pays s’explique par plusieurs facteurs. Ainsi, en raison de leur poids propre et de leur démographie, les changements s’opéreraient plus lentement dans les « grands pays », et les coûts politiques des réformes y seraient plus élevés. De plus, les « grands » pays seraient comparativement moins ouverts que les petits : leur intérêt à appliquer une stratégie destinée à faciliter leur insertion dans une économie mondialisée serait moindre.

• La distinction entre États dits « du sud » et États dits « du nord »

De nombreux observateurs ont également distingué, dans l’appréciation de la mise en place de la Stratégie, l’application dans les pays du nord de l’Europe et dans les pays du sud. Cette différence a notamment été mise en valeur par l’économiste M. Jacques Sapir, entendu par les rapporteurs, et lors des déplacements des rapporteurs à Bruxelles (entretien avec un représentant de la représentation permanente auprès de l’Union européenne).

Il ne fait en effet pas de doute que la Stratégie de Lisbonne a été appliquée à des États aux structures économiques, sociales et démographiques très différentes. Ces États, malgré leurs différences de structures et d’évolution, étaient placés dans des situations initiales très diverses vis-à-vis des objectifs de Lisbonne. La décennie 2000-2010 a certes vu s’opérer un phénomène de convergence, mais la Stratégie de Lisbonne n’a pas conduit à remédier aux principaux déséquilibres observés entre des pays du nord et pays du sud. Comme l’a indiqué devant les rapporteurs M. Henri Sterdyniak, ces processus ont notamment concerné l’augmentation du taux de chômage dans certains États, la désindustrialisation relative de certains pays (France), des spécialisations aux résultats discutés (exemple du secteur de la construction et de l’immobilier en Espagne) ou la financiarisation excessive de certaines économies.

Ces déséquilibres se sont notamment traduits par de profonds déséquilibres commerciaux : certains États membres ont accumulé des déséquilibres croissants, ces déséquilibres sont devenus in fine des risques pour la stabilité de l’Europe dans son ensemble.

1.  L’objectif chiffré de croissance économique n’a pas été atteint

Un des objectifs emblématiques et le plus connu de la Stratégie était que l’économie européenne croisse à un rythme annuel moyen de 3 % sur la période considérée. À titre de rappel, les conclusions du sommet de Lisbonne (cf. supra) indiquaient que ce rythme de croissance pouvait être atteint si les mesures correspondant à la Stratégie étaient mises en place. Il s’agit donc autant d’un objectif que d’un indicateur.

a)  L’objectif emblématique du taux de croissance de 3 % du PIB européen en moyenne n’a pas été atteint

Le graphique suivant, issu du document de travail précité des services de la Commission, fait le point sur les performances des pays membres sur la période 2000-2009.

CROISSANCE DU PIB RÉEL DANS L’UE-27 :
en pourcentage d’augmentation par rapport à l’année précédente

Source : Commission européenne.

Après la relative faiblesse de l’activité observée en 2002-2003, les années 2002 à 2007 ont plutôt été marquées par un certain dynamisme économique. Par la suite, si l’impact de la crise économique, causée en partie par la crise financière, a été sensible dès 2007, l’objectif de croissance de 3 % était, les années précédentes, rarement atteint.

b)  Une comparaison entre l’UE-27 et les États-Unis montre la faiblesse de l’Union européenne

Sur la période 2002-2006, le taux de croissance du PIB a dépassé 3 % dans 17 États membres, parmi lesquels des pays d’Europe centrale et orientale qui connaissaient une dynamique de rattrapage, mais aussi chez d’ « anciens » États membres. En revanche, la France, l’Allemagne et l’Italie ont connu des taux faibles qui ont diminué la moyenne européenne.

Les tableaux suivants, issus de la base statistique européenne Eurostat, comparent les taux de croissance du PIB réel de 2003 à 2010. Entre 2003 et 2004, l’UE fait mieux que les États-Unis sur trois années seulement. Les États-Unis atteignent ou dépassent à trois reprises le seuil des 3 %, l’Union européenne à deux reprises.

TAUX DE CROISSANCE DU PIB RÉEL – EN VOLUME,
VARIATION PAR RAPPORT À L’ANNÉE PRÉCÉDENTE (%)

 

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

UE 27

1,4

2,5

2,0

3,3

3,2

0,3

–4,3

2,0

États-Unis

2,5

3,5

3,1

2,7

1,9

–0,3

–3,5

3,0

Source : Eurostat (75)

2.  Des progrès significatifs mais fragiles enregistrés en matière de taux d’emploi

De nombreux documents rédigés par la Commission européenne ou des experts proches des institutions européennes et relatifs au bilan de la Stratégie mettent en avant le nombre d’emplois créés au cours de la décennie 2000-2010. Ainsi, le site internet de la Commission européenne relatif à Europe 2020 affirme qu’un point fort de la Stratégie de Lisbonne a consisté dans l’« objectif juste [sic] de croissance et d’emploi (18 millions d’emplois créés depuis 2000) ».

Il y a effectivement lieu de noter que de 2000 à octobre 2008, 18 millions d’emplois ont été créés en Europe, dont plus de la moitié entre 2005 et 2008. Selon le document issu des services de la Commission, cette croissance ne peut s’expliquer exclusivement par des facteurs cycliques, mais résulte aussi des réformes engagées dans le cadre de la Stratégie, notamment celles visant à mettre en œuvre la « flexisécurité ». La Commission note également que, dans ce contexte de nombreuses créations d’emplois, l’absence de tensions sur les salaires, lors de période 2005-2008, a été permise par la mise en œuvre de la Stratégie.

Cependant, les rapporteurs estiment que ce type d’affirmation est, au mieux, imprudent. Compte tenu des réserves développées plus haut, il est impossible d’imputer exclusivement, et même partiellement, ces emplois créés aux effets de la Stratégie. Le document des services de la Commission ne comporte d’ailleurs pas de démonstration rigoureuse sur ce point.

a)  Une progression globale du taux d’emploi, mais l’objectif des 70 % n’est pas atteint par la plupart des États membres

La Stratégie de Lisbonne avait pour objectif final un taux d’emploi de 70 %, avec des taux spécifiques de 50 % pour les travailleurs de plus de 55 ans et de 60 % pour les femmes. Le document précité des services de la Commission comporte le graphique suivant, qui rend compte de la progression du taux d’emploi sur la décennie 2000-2010.

Source : Commission européenne

Le graphique ci-dessus fait apparaître une progression des taux d’emploi, progression parfois spectaculaire, dans la quasi-totalité des États membres. On remarque cependant qu’à la fin de l’année 2009, sept États membres seulement avaient un taux d’emploi atteignant ou dépassant 70 % : Pays-Bas, Danemark, Suède, Autriche, Allemagne, Chypre et Royaume-Uni.

Le taux de chômage dans l’Union européenne, après un étiage de 7 % à la mi-2007, a ensuite augmenté pour approcher les 10 % en 2010, la perte d’emplois atteignant plus de sept millions.

b)  Certains groupes demeurent fragiles au regard de leur situation vis-à-vis de l’emploi

La comparaison des taux d’activité féminine en Europe ayant été traitée par le rapport précité de nos collègues MM. Michel Heinrich et Régis Juanico, il n’y a pas lieu d’y revenir dans le cadre du présent rapport.

Comme le souligne le document précité des services de la Commission, deux groupes d’âge doivent faire l’objet d’efforts supplémentaires. Le taux d’emploi des 55-64 ans reste très en deçà de celui des 25-54 ans. De plus, le taux de chômage des jeunes n’a pas cessé d’être un problème préoccupant sur la période, ce qui pourrait démontrer l’inadaptation des politiques de formation et l’inadéquation des systèmes éducatifs.

c)  La qualité des emplois créés reste difficile à mesurer

De plus, il y a lieu de s’interroger, au-delà des chiffres relatifs à la création d’emplois ou aux taux d’emploi, sur la qualité des emplois créés et occupés par les salariés. Cette notion de « qualité des emplois » est souvent mentionnée dans les documents rédigés dans le cadre de la Stratégie, sans pour autant être davantage précisée (une ligne directrice de la Stratégie de Lisbonne mentionne néanmoins la « sécurité de l’emploi »).

Ces emplois créés sont-ils des emplois à temps plein ? À temps partiel ? Si oui, subi ou choisi ? Les salariés embauchés ont-ils conclu des contrats à durée déterminée ? Quelles sont les conditions de travail de ces salariés ?

Les chiffres donnés par la Commission et Eurostat renseignent peu sur la qualité de ces emplois, qui reste cependant un paramètre fondamental pour évaluer la mise en œuvre de la Stratégie de la manière la plus exhaustive possible. Ainsi, un rapport récent (76) de l’Organisation internationale du Travail (OIT) met en lumière la part importante de travailleurs pauvres en Europe (le cas français fait l’objet de développement spécifiques, cf. infra).

3.  Les investissements publics et privés dans la recherche et développement : l’objectif des 3 % du PIB s’est révélé hors de portée

Dans le cadre de la Stratégie, le Conseil européen de Barcelone, en 2002, avait fixé à 3 % l’objectif d’intensité de recherche et développement (77) en 2010. Cette proportion avait constitué l’un des objectifs les plus emblématiques de la Stratégie, même si les pays étaient invités, le cas échéant, à se fixer des objectifs spécifiques. Le taux 2010 sur le périmètre UE 27 n’atteint que 2 %. Certes en légère augmentation par rapport à 2001 (1,87 %), il reste bien loin de l’objectif.

a)  Seuls deux pays atteignent l’objectif global en 2010

Concernant le financement de la recherche et développement, seules la Suède et la Finlande dépassent en 2010 l’objectif des 3 % du PIB. Ces bons résultats, du moins à l’échelle européenne, sont cependant un peu atypiques. Ils sont en effet imputables, pour une large part, à la présence de quelques très grandes entreprises (Volvo et Nokia, par exemple). En outre, ce bon résultat est à nuancer compte tenu de la position de départ de ces pays, qui était très favorable.

L’effort insuffisant des « grands pays » est le plus préoccupant. En effet, leurs dépenses, en raison de leurs volumes, sont susceptibles d’emporter un fort effet d’entraînement sur tous les États membres. Ainsi, en 2007, l’effort cumulé de l’Allemagne (62 milliards d’euros), de la France (39 milliards) et du Royaume-Uni (37 milliards) représentait 60 % des dépenses totales de R&D de l’Union européenne (78).

b)  La stagnation de l’effort européen en matière de recherche est préoccupante dans un contexte de mondialisation croissante des économies

Les chiffres disponibles montrent que dans l’Union européenne prise dans son ensemble, l’effort global de dépenses de recherche et développement a diminué entre 2000 et 2006 : dix pays sur 27 n’ont pas augmenté leurs dépenses, voire les ont diminuées. Le graphique suivant, issu du document de travail précité des services de la Commission, fait le point sur l’évolution des dépenses de recherche et de développement sur la décennie dans les États membres (2000-2008). Sur l’ensemble de la période, la moyenne de l’Union européenne (UE-27) n’a que très légèrement augmenté.

Les États membres ont donc connu une quasi-stagnation des dépenses de recherche et développement sur la période, qu’il s’agisse de dépenses publiques ou de dépenses privées ; la Commission relève pourtant que plus de vingt États ont connu une croissance de la part de leurs budgets publics consacrés à ce type de dépenses, évolution qu’elle considère comme une preuve que les États membres ont considéré cet investissement comme prioritaire. Entre 2001 et 2007, les plus fortes hausses relatives ont été constatées en Autriche, en Estonie et au Portugal.

Sur la décennie, la stagnation de l’effort européen n’a pas permis de combler le retard accumulé par rapport aux principaux concurrents de l’Union (2,76 % du PIB aux États-Unis en 2010 et 3,44 % au Japon). L’effort européen est aussi inférieur à celui de la Corée du Sud (3,37 % du PIB en 2008), dans un contexte où la part de ces dépenses en % du PIB tend à augmenter en Inde et en Chine. Le tableau suivant, issu des publications de la Commission, fait le point sur l’évolution des dépenses de 2000 à 2008 au sein des 27 États membres.

Le document précité des services de la Commission attribue cet échec notamment à l’absence de brevet européen, aux difficultés d’utiliser les innovations sur les marchés (« get innovation to market ») et aux problèmes de standardisation. À titre de rappel, le sommet de Lisbonne de 2000 engageait les États membres à mettre en place rapidement un brevet européen. En 2012, ce brevet n’existe toujours pas.

B.  LE CAS DE LA FRANCE NE SE DISTINGUE PAS SIGNIFICATIVEMENT DE LA SITUATION DES AUTRES ÉTATS MEMBRES

Les développements suivants dressent l’état de l’économie française au regard des indicateurs de la Stratégie. Ces données font l’objet des mêmes réserves méthodologiques que décrites précédemment.

1.  Le suivi des indicateurs de Lisbonne

Les rapporteurs, se limitant aux champs de la croissance économique, de l’emploi et de la recherche ainsi que l’éducation, ont utilisé plusieurs sources différentes pour mesurer l’impact de la Stratégie.

a)  L’audition de M. Laurent Cohen-Tanugi par la délégation pour l’Union européenne

Ils ont d’abord exploité le compte rendu de l’audition de M. Laurent Cohen-Tanugi par la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale, le 26 mars 2008 (79). M. Laurent Cohen-Tanugi a été missionné en novembre 2007 par Mme Christine Lagarde, Ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, et par M. Xavier Bertrand, Ministre du Travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, pour réaliser l’évaluation de la Stratégie de Lisbonne. Il a présidé à ce titre une mission dénommée « L’Europe dans la mondialisation » et a remis son rapport aux ministres concernés en avril 2008.

L’audition de M. Laurent Cohen-Tanugi a mis en exergue le bilan mitigé de l’application de la Stratégie en France, le décalage entre la France et de nombreux autres pays de l’Union s’agissant de la perception négative de cette Stratégie, les performances françaises moyennes ou mauvaises à l’aune de ces objectifs et le faible degré d’appropriation nationale de l’agenda européen. Ainsi, au regard de la liste d’« indicateurs structurels » de la Stratégie de Lisbonne (cf. annexe n° 4), la France n’atteignait que trois des quatorze objectifs (proportion d’enfants accueillis dans des structures subventionnées, niveau des aides d’État et degré de transposition des directives).

b)  Les travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Les rapporteurs ont également exploité les travaux particulièrement utiles du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Cette institution s’est en effet spécifiquement investie dans le suivi de l’application de la Stratégie de Lisbonne en France (cf. infra).

Son rapport « Suivi de la situation de la France au regard des indicateurs de Lisbonne – édition 20009 (80) » permet de disposer d’un panorama assez détaillé de la situation. Il dresse un bilan quasi-final de l’application de la Stratégie en France, compte tenu du lancement par le Conseil européen de mars 2008 du dernier cycle de cette stratégie (2008-2010). Le document établit un suivi particulièrement intéressant et utile des quatorze indicateurs structurels.

c)  La « Position française sur la stratégie Europe 2020 »

Les rapporteurs ont également exploité le document intitulé « Position française sur la stratégie Europe 2020 » qui leur a été communiqué par la représentante du Secrétariat général aux affaires européennes lors de son audition. Ce document élaboré en réponse à la consultation lancée par la Commission européenne estimait ainsi que les objectifs de la Stratégie de Lisbonne « n’ont été que partiellement atteints et les efforts consentis n’ont pas porté tous les fruits escomptés malgré certaines réussites ».

d)  Les données fournies par Eurostat

Les rapporteurs ont également utilisé les sources disponibles sur le site internet de l’organisme européen Eurostat, qui a effectué un suivi exhaustif des indicateurs relatifs à l’application de la Stratégie. Cependant, certaines données relatives au suivi de la Stratégie de Lisbonne ne sont plus facilement accessibles ou bien font l’objet d’un retraitement pour constituer des séries statistiques cohérentes avec les indicateurs de l’agenda Europe 2020 (cf. infra). De plus, comme le précise le rapport précité du CESE, les données issues d’Eurostat concernant la France n’intègrent pas les résultats issus des collectivités d’outre-mer.

2.  La croissance économique française est loin d’avoir connu le dynamisme attendu, notamment en raison de l’impact de la crise économique de 2008

Le texte des conclusions du sommet de mars 2000 indique que si les mesures prescrites au titre de la Stratégie sont appliquées, le PIB de l’Union européenne croîtra à une moyenne annuelle d’environ 3 % sur la période 2000-2010. Qu’en est-il de la France ?

a)  Le PIB, une évolution décevante

Comme le souligne M. Laurent Cohen-Tanugi lors de son audition, la situation française est plutôt défavorable s’agissant du taux de croissance, le pays se classant 23e sur 27 en 2007. La performance française est mauvaise en comparaison avec les autres États membres, alors même que l’Union européenne dans son ensemble n’atteint pas l’objectif de croissance moyenne annuelle de 3 % et que les États-Unis ont obtenu des résultats supérieurs sur la période étudiée.

La France fait ainsi partie des neuf pays de l’Union européenne dont le PIB a le moins progressé. Sur la période 1998-2007, ce sont surtout les « petits » pays qui ont connu une forte croissance moyenne (Luxembourg, Irlande ou nouveaux pays membres comme les pays baltes).

Le tableau suivant, issu des statistiques d’Eurostat, fait apparaître les taux de croissance du PIB de la France, de l’Allemagne et de la moyenne de l’Union européenne.

TAUX DE CROISSANCE DU PIB EN % PAR RAPPORT À L’ANNÉE PRÉCÉDENTE :
UNION EUROPÉENNE, ALLEMAGNE ET FRANCE

 

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

EU 27

3,6

1,9

1,1

1

2,1

1,5

2,9

2,7

-0,1

-4,6

EU 15

3,5

1,7

0,7

0,7

1,7

1,2

2,6

2,4

-0,5

-4,7

Allemagne

2,9

1,3

-0,2

-0,4

1,2

0,7

3,8

3,4

1,3

-4,8

France

3

1,1

0,2

0,2

1,8

1,1

1,8

1,7

-0,6

-3,3

Source : Eurostat.

La rupture de croissance intervenue en 2008 est bien marquée. Elle empêche définitivement la France d’atteindre en moyenne les 3 % de croissance du PIB annuel, objectif qui n’était pas atteint sur la période 2000-2007.

b)  Les autres indicateurs clés

Le rapport précité du CESE analyse également l’évolution de deux indicateurs relevant de la « liste restreinte ».

• Le PIB par habitant (en parité de pouvoir d’achat) exprimé par rapport à la moyenne de l’UE-27

Eurostat réalise un suivi de la variable PIB par habitant de chaque État membre, en la comparant avec la moyenne UE-27 (81).

Les données les plus récentes montrent que le PIB par habitant français a diminué en termes relatifs par rapport à la moyenne européenne, passant de l’indice 115 en 2000 à l’indice 108 en 2010. Le PIB de la zone euro a connu la même évolution relative, le PIB allemand par habitant restant stable par rapport à la moyenne UE-27. L’évolution de cette variable montre que la France est intégrée à un mouvement de convergence des économies de l’Union européenne, les pays les moins favorisés comblant progressivement leur retard.

• Le PIB par personne occupée en parité de pouvoir d’achat exprimé par rapport à la moyenne UE-27

Cet indice, qui ne fait pas de distinction entre personne à temps complet ou à temps partiel, permet d’avoir une première approche de la productivité du travail d’une économie. Ainsi, en 2007, en France, la productivité du travail était élevée, même si la variable considérée peut faire l’objet d’interprétations divergentes. Selon les données du CESE, la productivité ainsi appréciée atteignait en France un indice de 122,1 par rapport à la moyenne UE-27 fixée à 100. La productivité du travail, telle qu’elle peut être approchée par cet indice, classe la France dans le groupe des États de tête, avec le Luxembourg, la Belgique et l’Irlande.

L’organisme européen Eurostat dispose d’une série récente approchant cette variable : lévolution de la productivité par heure de travail. Selon cette série, à partir d’un index 100 en 2000, cette productivité atteint environ 103 en 2010 pour l’UE-27 mais reste stable à 100 en France (82).

3.  En France, la période correspondant à la mise en œuvre de la Stratégie est marquée par des résultats mitigés en termes d’emploi

Le constat relatif à la situation de la France au regard des différents indicateurs de la Stratégie en matière d’emploi a été largement traité par le rapport déposé au nom du Comité et présenté par nos collègues, MM. Régis Juanico et Michel Heinrich (83). Les principaux résultats suivants sont donc indiqués pour mémoire, le rapport précité comportant des développements détaillés sur la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.

a)  Le taux d’emploi global connaît une évolution proche de la cible 2010

La Stratégie fixait un objectif de taux d’emploi (84) de 70 % en 2010, assorti d’un objectif spécifique de taux d’emploi féminin de 60 %.

• Le taux d’emploi global a progressé

En 2010, selon le site Eurostat, le taux d’emploi français pour la tranche d’âge 20-64 ans (85) atteignait 69,1 %, contre 67,8 % en 2000, soit une légère augmentation sur la décennie : le taux cible était pratiquement atteint. Le taux d’emploi a dépassé la valeur-cible en 2008 (70,4 %) pour connaître ensuite une légère diminution. Le taux d’emploi français est inférieur au taux d’emploi dans la zone euro.

Les rapporteurs attirent néanmoins l’attention sur le fait que la Stratégie de Lisbonne fixait un objectif de taux d’emploi de 70 % pour la tranche d’âge 15-64 ans, sur laquelle les résultats français sont moins bons. Ainsi, en 2007, la France se situait au 18e rang sur 27 s’agissant du taux d’emploi global, ce qui marquait sa mauvaise performance relative. Son taux d’emploi atteignait 64,6 %, soit assez loin du taux cible de 70 %. Plus préoccupant, le taux français était passé en dessous de la moyenne européenne.

• La qualité des emplois

Les rapporteurs souhaitent rappeler, à ce stade, la préoccupation importante de la qualité des emplois, que l’objectif de l’augmentation du taux d’emploi ne doit pas conduire à occulter. Cette qualité s’apprécie notamment à l’aune de la proportion de salariés en situation de précarité (ayant conclu un contrat à durée déterminée ou un contrat d’intérim) ou travaillant à temps partiel non choisi.

Le rapport précité du CESE a fourni une donnée intéressante permettant d’approcher la qualité des emplois en 2007. Il a ainsi indiqué que la définition d’un taux d’emploi retenant uniquement les salariés occupés à temps complet faisait chuter le taux d’emploi français de 5,4 points – mais de 17 points le taux d’emploi allemand.

Le rapport précité de MM. Heinrich et Juanico fournit des données en la matière, en indiquant que, en France, « les difficultés se concentrent sur certains publics : les familles monoparentales, les moins qualifiés, les jeunes, les immigrés et les Français issus de l’immigration, qui parviennent difficilement à s’extraire d’emplois de moindre qualité. Les autres publics accèdent à des emplois plus stables, avec des conditions de travail plus satisfaisantes, mais toutefois peu de perspectives d’évolution. »

Le rapport de MM. Heinrich et Juanico reprend également les conclusions de nombreux travaux portant sur la qualité de l’emploi. Ainsi, Mme Christine Ehrel, chercheuse au Centre d’études pour l’emploi (CEE), a souligné la « position moyenne de la France par rapport à ses voisins européens, au regard des quatre dimensions principales de la qualité de l’emploi » (sécurité socio-économique, accès à la formation, conditions de travail, inégalités de genre et difficultés à concilier travail et vie familiale). Sur la base d’un indicateur synthétique de qualité de l’emploi, la France, avec un indice de 1,1, obtient ainsi des résultats moins favorables que la Suède (2,1), l’Irlande (1,6), la République Tchèque (1,3) ou la Belgique (1,25).

b)  Le taux d’emploi féminin : la cible fixée dans le cadre de la Stratégie est largement dépassée

Le taux d’emploi féminin en France marque une progression significative sur la période, passant de 60,3 à 64,7 % et dépassant le taux cible fixé à 60 %. Si la progression est marquée pour l’Union européenne, le taux français atteint en 2010 est particulièrement favorable puisqu’il dépasse la moyenne UE-27 et la moyenne UE-15.

Il importe cependant de souligner le taux élevé de femmes employées à temps partiel en France : selon Eurostat, il est de 30,1 % en 2010.

c)  L’emploi des seniors : la hausse de plus de dix points en dix ans ne permet pas d’atteindre la cible

La Stratégie, dans le cadre de la liste restreinte des indicateurs structurels, avait fixé un objectif de taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans de 50 %. Selon les données issues d’Eurostat, la France a augmenté de près de 10 points son taux, passant de 29,9 % à 39,7 %, le taux cible de 50 % n’étant pas toutefois atteint.

La situation de la France est significativement moins bonne que celle de la moyenne UE-27 (46,3 %) et de la zone euro (48,4 %). La situation de la France est également relativement défavorable s’agissant de l’âge moyen de sortie d’activité (24e sur 27 en 2007).

4.  Le champ de l’économie de la connaissance : l’éducation et la recherche

Dans le domaine de la transition vers l’économie de la connaissance, la Stratégie avait fixé deux objectifs chiffrés en 2010 :

– en mars 2000, la réduction du nombre de sorties précoces du système éducatif ; l’objectif était qu’en 2010, au moins 85 % des jeunes âgés de 20 à 24 ans aient terminé leurs études secondaires ;

– en mars 2002, lors du Conseil européen de Barcelone, la fixation d’un niveau de dépenses en recherche et développement (86) équivalent à 3 % du PIB européen.

a)  La réduction des sorties précoces du système scolaire

Dans son évaluation 2009 du suivi de la situation de la France au regard des indicateurs de Lisbonne, le CESE a souligné à juste titre que la diversité des systèmes scolaires et de formation au sein de l’Union européenne rendait le maniement de cet objectif très délicat. L’aspect qualitatif de l’éducation ainsi dispensée était en particulier écarté.

Le Conseil indiquait néanmoins qu’en 2007, le taux français de jeunes ayant terminé leurs études secondaires atteignait 82,4 %, soit un taux supérieur à la moyenne européenne mais qui restait inférieur au taux cible fixé dans le cadre de la Stratégie. Ce taux a augmenté de 3,5 points entre 1998 et 2007.

Le ministère de l’éducation nationale (87) estime les « sorties précoces » du système éducatif, soit la part des jeunes âgés de 18 à 24 ans qui n’étudient plus et n’ont pas terminé avec succès l’enseignement secondaire de second cycle (88), à 11,9 % en France (la moyenne étant de 14,9 % dans l’Union européenne).

À noter que le site Eurostat estime le pourcentage de jeunes âgés de 18 à 24 ans ayant quitté prématurément l’éducation à 12,8 % en 2010 en France, la cible au titre du programme Europe 2020 étant de 10 %.

b)  L’objectif de 3 % du PIB de dépenses de recherche et développement

En la matière, la France se situe au-dessus de la moyenne mais n’atteint pas l’objectif. Ainsi, le rapport précité du CESE estimait que le taux était de 2,08 % en 2007, soit largement supérieur à la moyenne européenne de 1,83 % (UE-27) mais inférieur au seuil fixé en 2000.

Les sources plus récentes, issues d’Eurostat, indiquent un taux de dépenses en recherche et développement de 2,26 % du PIB en 2010, soit un taux supérieur à la moyenne UE-27 et à la moyenne des États membres de la zone euro. La France est notamment distanciée par l’Allemagne (2,82 %) et l’Autriche, mais devance l’Italie et le Royaume-Uni. Ce taux insuffisant au regard de l’objectif et des efforts des principaux concurrents de la France est principalement imputable à un effort insuffisant d’investissement privé (en 2006 : 1,2 % du PIB en France, 1,7 % en Allemagne et 2,3 % au Japon (89)).

Ce taux reste insuffisant au regard des efforts fournis par la France, notamment grâce à l’instrument novateur du crédit impôt-recherche (CIR), profondément modifié, élargi et assoupli en 2007, qui a permis d’aider massivement l’effort privé en matière de recherche et développement.

C.  GLOBALEMENT, LA STRATÉGIE DE LISBONNE A DOUBLEMENT DÉÇU

Idée sympathique… mais un échec complet, comme a conclu l’économiste M. Henri Sterdyniak devant les rapporteurs, la Stratégie n’a pas connu le succès attendu.

1.  La compétitivité européenne, considérée dans son ensemble, n’a pas rejoint celle des États-Unis

Le premier échec est le plus flagrant : en 2010, l’Europe n’est pas devenue « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». Il s’agit sans doute du plus mauvais résultat de la Stratégie.

La Stratégie de Lisbonne s’était très largement construite sur la « langueur » supposée de l’Europe, qui subissait la concurrence d’une économie américaine jugée plus dynamique. Or il apparaît que les réformes entreprises sur la décennie 2000-2010 et s’inspirant de la Stratégie – compte tenu des réserves exprimées plus haut – n’ont pas eu pour conséquence de rendre l’Europe aussi compétitive que les États-Unis.

a)  Les indices de la productivité horaire et du coût unitaire de production ne montrent pas de progrès relatifs

L’évolution de la productivité par heure de travail entre 2000 et 2010 fournit un bon indice en la matière. Ainsi, sur un index 100 de production par heure travaillée en 2002 (90), les États-Unis parviennent à l’indice 147,1 en 2010, alors que la France et l’Allemagne atteignent des valeurs respectives de 122 et 115. La Corée du Sud atteint pour sa part un indice élevé de 172,9.

Le tableau suivant fait le point sur l’évolution comparée des coûts salariaux unitaires sur la période 2002-2010. Il montre la dégradation relative de la place de la France.

ÉVOLUTION DES COÛTS UNITAIRES DU TRAVAIL
DANS L’INDUSTRIE (CORRIGÉE DES VARIATIONS DE CHANGE)

(2002 = index 100)

États-Unis

France

Allemagne

Japon

2005

91,6

128,8

122,3

93

2010

89,2

144,1

140,8

102,9

Source : United States Department of Labour.

b)  Certains pays européens ont néanmoins accru leur compétitivité

L’appréciation sur les progrès faits en matière de compétitivité doit néanmoins être nuancée car elle ne peut se limiter à l’étude de la productivité horaire ou des coûts unitaires de travail.

Certains pays européens ont bien vu leur compétitivité croître. Ainsi, l’Allemagne, en combinant un bon positionnement sur le marché européen et le marché mondial, une compétitivité hors prix excellente, une délocalisation de certaines activités chez ses voisins européens, des coûts salariaux unitaires modérés et une certaine flexibilité de l’emploi, a accumulé d’importants excédents commerciaux. Il n’est cependant pas évident que cette stratégie économique, considérée comme largement non coopérative et qui n’a pas réduit la segmentation du marché du travail allemand, puisse être étendue à tous les États membres de l’Union européenne (91).

Le rapporteur M. Marc Dolez tient à souligner que la politique économique conduite par l’Allemagne à partir du milieu des années 1990 a également eu des incidences sociales préoccupantes. Elle s’est traduite par une stagnation globale des salaires, qui ont baissé en moyenne de 2,5 % de 2000 à 2010, une explosion du recours au temps partiel (le pays compte près de 6,5 millions de « mini-jobers » avec des emplois à 400 euros pour 60 heures par mois…) et des situations de grande pauvreté, puisque 15 % de la population allemande vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, contre 13 % en France.

c)  « L’Europe de la connaissance » a progressé mais la situation de l’Union européenne est menacée

L’évaluation des résultats de la Stratégie relatifs à l’établissement d’une économie de la connaissance exigerait des développements plus longs. Les rapporteurs renvoient ainsi, notamment, aux conclusions du récent rapport présenté par leurs collègues MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut et déposé au nom de l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques. Ce rapport, intitulé « L’innovation à l’épreuve des peurs et des risques », estime que la Stratégie de Lisbonne a échoué en la matière. Certains indicateurs (92) laissent effectivement à penser que la Stratégie de Lisbonne a échoué à faire de l’Europe la première économie de la connaissance :

– dans les publications scientifiques, la part de l’Union européenne a baissé de 2001 à 2008 (même observation pour le pourcentage de citations, mais la donnée doit être pondérée par la légère augmentation de l’indice d’impact) ;

– si le nombre de chercheurs a augmenté entre 2001 et 2007, la part mondiale de demandes de brevet européen de l’Union européenne, qui représentait 46,2 % en 1998, a diminué jusqu’en 2008 de plus de 3,5 points.

Enfin, la numérisation des sociétés et des économies a progressé en Europe. Néanmoins, si l’on écarte du classement les pays scandinaves, aucun État membre ne figure parmi les dix pays utilisant le plus les infrastructures numériques, les États-Unis étant classés troisième en 2010 (93).

2.  La Stratégie de Lisbonne n’a pas contribué à prévenir les graves crises que traverse l’Europe depuis 2008

L’aspect relatif à la régulation de la sphère financière n’a pas été au cœur de la Stratégie, du moins dans sa première version : il est vrai qu’elle couvrait un champ si vaste qu’il aurait été peut-être contreproductif d’élargir davantage son périmètre.

L’inflexion de 2005 a conduit à mettre l’accent sur la nécessité d’accroître l’intégration des marchés financiers. Elle n’a malheureusement pas conduit à souligner la nécessité d’une régulation plus efficace des marchés financiers et des établissements financiers afin d’éviter la survenue d’un risque systémique et de prévenir ses conséquences négatives sur l’économie réelle.

La littérature institutionnelle relative à l’agenda de Lisbonne, en particulier issue des conclusions des Conseils européens tenus dans la première moitié des années 2000, bien que très prolifique, comporte très peu de considérations relatives à la stabilité financière, à la prévention des excès de la financiarisation des économies ainsi qu’à la survenue éventuelle de risques financiers systémiques. Ces Conseils notent régulièrement, en revanche, les déséquilibres préoccupants induits par les déficits des finances publiques et des niveaux excessifs de dettes publiques.

Comme l’a noté l’économiste M. Henri Sterdyniak lors de son audition par les rapporteurs, la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne n’a pas permis de trouver des solutions aux problèmes européens structurels, dont les éléments constituent le cœur de la crise actuelle : divergences entre pays, financiarisation excessive de l’économie et désindustrialisation progressive de certains États membres.

D.  SI LES PRINCIPAUX OBJECTIFS INITIAUX N’ONT PAS ÉTÉ ATTEINTS, LA STRATÉGIE DE LISBONNE A CEPENDANT EXERCÉ UNE INFLUENCE RÉELLE SUR LES POLITIQUE PUBLIQUES

La démarche d’évaluation, s’agissant d’un objet politique aussi singulier que celui de la Stratégie, compilation changeante d’orientations générales et pas nécessairement appliquées (cf. infra), doit dépasser la comparaison – certes nécessaire – entre les objectifs initiaux de 2000 et les résultats observés en 2010.

L’évaluation des effets de la Stratégie doit en effet tenir compte d’une double question d’imputabilité :

– dans quelle mesure les réformes menées par les États membres sont-elles la conséquence de la Stratégie ?

– dans quelle mesure les résultats obtenus sur le champ des indicateurs de la Stratégie de Lisbonne sont-ils la conséquence de ces réformes et donc, le cas échéant, de la Stratégie ?

Les rapporteurs se sont donc attachés à déterminer et à juger de l’influence de la Stratégie sur les conditions de l’élaboration des politiques économiques des États membres. En l’espèce, la principale incidence mesurable de la Stratégie réside dans son influence sur l’élaboration, le contenu et la mise en œuvre des réformes menées dans les États membres sur la décennie 2000-2010.

Le rapporteur M. Marc Dolez souligne que l’analyse de cette influence ne permet cependant pas de juger de l’opportunité et de l’efficacité des politiques publiques nationales qui ont suivi ces orientations.

1.  Le double acquis de Lisbonne : la naissance d’une politique européenne de croissance et la reconnaissance de l’indispensable nécessité de la transition vers une « économie de la connaissance »

Comme l’ont reconnu certaines personnalités entendues par les rapporteurs, la Stratégie a contribué à former le creuset d’une nouvelle ambition collective européenne qui met l’accent sur l’innovation et la connaissance.

a)  La croissance économique comme objet de politique économique à l’échelon européen

La première incidence de la Stratégie a été d’acter la conception européenne d’une stratégie de croissance. La Stratégie a refondé l’objectif propre de croissance économique en tant qu’objet de politique économique européenne. Grâce à Lisbonne, l’objectif d’une croissance économique soutenue a été hissé au même niveau que d’autres objectifs, comme la cohésion territoriale, l’intégration politique ou la stabilité macroéconomique.

Dans les années 1950, la Communauté européenne, fondée essentiellement sur le souhait d’éviter de nouvelles guerres, avait été certes bâtie en vue d’aboutir à une croissance économique forte. L’article 2 du traité de Rome de 1957 (traité instituant une communauté économique européenne – CEE) stipulait en effet que « la Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l’ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les États qu’elle réunit ». De même, l’article B du Traité sur l’Union européenne affirmait que l’Union se donne pour objectif « de promouvoir un progrès économique et social équilibré et durable ».

Pourtant, jusqu’à la définition de la Stratégie en 2000, mener à l’échelon européen une réflexion à caractère stratégique sur les conditions d’une croissance économique soutenue n’était pas une démarche évidente. Outre les obstacles attachés au nécessaire respect des compétences respectives des États et de l’Union, il semblait alors que l’intégration des divers marchés ainsi que la création d’une zone monétaire dotée d’une monnaie unique constitueraient des leviers économiques et institutionnels permettant d’aboutir à une croissance économique soutenue dans les États membres.

À cet égard, l’adoption de la Stratégie marque le constat officiel que ces deux facteurs, certes considérés comme nécessaires par les promoteurs de cet agenda, restaient insuffisants pour susciter un dynamisme économique durable.

b)  L’« économie de la connaissance » comme condition d’adaptation à la mondialisation ?

La seconde incidence importante de Lisbonne a consiste à créer les conditions permettant de faire converger les conceptions sur le moyen d’obtenir cette croissance. La thématique de l’ « Europe de la connaissance », où un haut niveau de formation, la recherche et l’innovation permettent aux États membres de s’adapter à la mondialisation et constituent les principaux leviers d’une croissance durable, reste un thème d’actualité.

Ces objectifs restent en effet légitimes : devenir une « économie de la connaissance » est plus nécessaire que jamais. Cependant, cette affirmation reste à nuancer suivant le degré d’appropriation politique de chaque État membre ; de plus, la notion d’ « économie de la connaissance » doit être appréhendée dans une perspective plus large et dans l’identification de tous ses impacts, économiques, sociaux et sociétaux.

L’objectif de l’« économie de la connaissance » a imprégné, à différents degrés, les sphères administratives et intellectuelles des États membres, les cercles d’experts et les principales formations politiques de l’Union. Il a nourri des échanges de « bonnes pratiques », même si ces échanges ont surtout concerné des experts indépendants ou gouvernementaux. Grâce, notamment, à la MOC et aux échanges entre responsables des États membres qu’elle exigeait, la Stratégie de Lisbonne a conduit tous les décideurs européens à s’imprégner du processus (94).

c)  La réhabilitation relative de l’action de la puissance publique

La Stratégie – et surtout sa première phase « Lisbonne I » entre 2000 et 2005 – a aussi contribué à renouveler la légitimité de l’action de l’État par deux voies différentes.

D’abord, elle a légitimé, théoriquement et institutionnellement, l’investissement public dans les facteurs de croissance que sont les infrastructures et, surtout, la connaissance considérée au sens large (éducation, recherche et innovation). La Stratégie a permis de construire un nouveau consensus en la matière et convaincu les différentes parties prenantes que la dépense publique devait être réorientée vers les secteurs porteurs de croissance.

De plus, la Stratégie de Lisbonne a facilité l’engagement de réformes qualifiées de « structurelles ». Sur ce dernier point, la notion de consensus doit cependant être relativisée (cf. infra).

d)  Une influence certaine mais difficilement évaluable sur les politiques de l’emploi

L’introduction à une évaluation de la stratégie européenne pour l’emploi (SEE) réalisée par les services de la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) (95), comme l’audition de son directeur par les rapporteurs, ont permis de mesurer l’influence de la Stratégie sur l’élaboration des politiques de l’emploi. Cet impact a été mis en évidence par de nombreuses personnalités entendues par les rapporteurs, notamment par les représentants de la CFE-CGC.

La création de la SEE, qui trouve ses sources dans le processus d’Essen, est antérieure au lancement de la Stratégie de Lisbonne. Elle en est devenue une des composantes essentielles, bien que subordonnée aux GOPE.

L’évaluation précitée a mis en relief la difficulté à identifier, parmi les résultats observés en matière de politique de l’emploi, ceux imputables à la SEE et ceux relevant du cycle économique ou de décisions antérieures. L’évaluation concède que la SEE a manqué de notoriété, n’étant connue que « d’un petit nombre d’initiés ». Elle souligne cependant qu’elle a eu une influence « discrète mais importante sur les orientations, les priorités et la conduite de la politique de l’emploi ». Ce mode d’influence correspond à l’action de la Stratégie dans son ensemble : convaincre, orienter, informer, plutôt que contraindre. À cet égard, M. Henri Sterdyniak, lors de son audition, a mis en évidence l’impact que la Stratégie a pu avoir sur les « technocraties nationales ».

Selon l’évaluation précitée, la SEE, en offrant aux décideurs des États membres une palette d’instruments de réformes, aurait constitué un utile « horizon commun » qui aurait permis de « faire converger sans obliger, faire ressembler sans imiter ». Elle aurait suscité l’inscription de certains sujets sur l’agenda politique, facilité la réalisation de réformes et accéléré leur mise en place. Selon l’expression de M. Yves Bertoncini, entendu par les rapporteurs, la Stratégie aurait eu un impact indirect par un processus de « capillarité », où des experts influencent peu à peu les cercles du pouvoir.

Le document précité souligne que sans la SEE, jamais le thème de l’augmentation du taux d’emploi de la population française n’aurait trouvé une telle résonance chez une majorité de responsables politiques. Toute une série d’objectifs de politique publique – dont l’opportunité et l’efficacité restent toutefois encore discutées – trouvent un écho dans les principes fondateurs de la SEE, comme l’augmentation de l’activité féminine et de celle des seniors, l’accroissement de l’attractivité du travail et l’émergence du concept de « flexisécurité ».

2.  La Stratégie de Lisbonne a permis de mettre l’accent sur la notion de « réformes structurelles », concept non dépourvu d’ambiguïté

Comme l’a souligné l’économiste M. Jacques Sapir lors de son audition par les rapporteurs, il est pratiquement impossible de faire un bilan agrégé de l’application de la Stratégie de Lisbonne en France ; cependant, il est possible d’identifier les problématiques qu’elle a soulevées, et d’en souligner, le cas échéant, les ambiguïtés.

a)  La focalisation sur l’emploi

Beaucoup d’interlocuteurs entendus par la mission ont estimé que la plupart des réformes dues à Lisbonne – ou, du moins, « compatibles » avec le processus de Lisbonne – auraient été, de toutes les manières, réalisées, mais beaucoup plus lentement. La Stratégie aurait donc partiellement fonctionné comme un accélérateur des réformes, notamment en plaçant la question de l’emploi au cœur de l’approche des politiques sociales (workfare plutôt que welfare (96) ). La Stratégie aurait ainsi promu les politiques visant à favoriser l’accès à l’emploi, à susciter le retour à l’emploi et à renforcer ce que certains responsables politiques qualifient d’ « attractivité » du travail.

b)  La notion de « réformes structurelles » : quel contenu ?

Du point de vue des politiques publiques européennes, la Stratégie de Lisbonne a développé, en complément des aspects concernant l’ajustement des finances publiques, un discours relatif aux réformes structurelles.

La Stratégie de Lisbonne aurait ainsi rendu plus visible le concept des « réformes structurelles », notion dont la nécessité n’aurait pas été suffisamment perçue en 2000. Ce concept assez mouvant de « réformes structurelles » intègre un ensemble de réformes plus ou moins consensuelles, qu’il s’agisse de leurs objectifs, des moyens mis en œuvre pour les réaliser ou de leur bilan.

L’existence d’un consensus portant sur la nécessité de « ces réformes structurelles », souvent avancée, doit être nuancée par deux réserves importantes.

D’abord, il n’est pas établi que ces réformes fassent effectivement l’objet de larges consensus au sein des opinions et des forces politiques des États membres. Certaines réformes, pourtant qualifiées de « structurelles », notamment par les institutions européennes (Commission européenne, Conseil de l’Union européenne …) ou internationales (OCDE, Fonds monétaire international…), ont bien fait l’objet de vives oppositions en Europe. Les exemples des discussions auxquelles ont donné lieu l’adoption de la directive sur les services, la libéralisation des marchés de l’énergie ou la recommandation de reculer l’âge de la retraite adoptée par le Conseil européen de Barcelone de 2002 confirment que la notion de « réformes structurelles », certes au cœur de la mécanique de Lisbonne, ne recueille qu’un consensus limité.

Le contenu et la portée de certaines de ces réformes ne sont d’ailleurs pas dépourvus d’ambiguïté. Ainsi, le document de travail des services de la Commission relatif à l’évaluation de la Stratégie affirme que le « concept de flexisécurité » est un succès. Ce point reste à prouver, tant le concept en lui-même reste problématique et ambigu, dépendant du contenu que chacun lui accorde.

La contribution écrite du syndicat de salariés CGT-FO souligne à ce sujet qu’« en incitant à poursuivre les politiques de déréglementation et de libéralisation des marchés, les réformes structurelles des marchés du travail pour atteindre davantage de flexibilité, les politiques européennes ont participé à l’élaboration d’un terrain favorable au déclenchement de la crise ».

À l’inverse, selon la contribution adressée aux rapporteurs de l’Union professionnelle artisanale (UPA), lorsque les réformes inspirées par les objectifs de la Stratégie de Lisbonne sont appliquées, elles ont des effets positifs :

« Il faut cependant noter que la stratégie de Lisbonne en matière d’emploi a eu de bons résultats dans les pays qui l’ont effectivement mise en œuvre et qui ont joué le jeu de la concertation avec les partenaires économiques et sociaux, en particulier ceux qui ont appliqué la flexisécurité : les pays nordiques, l’Autriche et les Pays-Bas, qui l’ont mise en œuvre dans leur législation sont justement les États membres qui ont été les plus performants en matière de création d’emplois et qui ont le mieux résisté à la crise. »

II. CETTE ABSENCE DE RÉUSSITE EST LARGEMENT IMPUTABLE
AU MODE DE GOUVERNANCE ET À L’ABSENCE D’ARTICULATION
DES POLITIQUES MICRO- ET MACROÉCONOMIQUES

La Stratégie de Lisbonne n’a pas atteint les objectifs initialement fixés. Cette absence de réussite a des causes multiples. Le choc exogène qu’a constitué la crise financière puis économique de 2007-2009 a certes contribué à cet insuccès. Elle n’en représente cependant pas le facteur causal exclusif.

Le Parlement européen, dans sa résolution du 10 mars 2010 relative à Europe 2020, consacre un paragraphe aux causes de l’insuccès de la Stratégie de Lisbonne, en citant :

– la « faiblesse de la structure de gouvernance » ;

– le « manque de responsabilisation » ;

– l’« objectif général extrêmement complexe, fait de trop nombreux objectifs sectoriels » et, enfin,

– « un excès d’ambition et un manque de précision, d’orientation claire et de transparence ».

D’une certaine manière, l’insuccès de la Stratégie, est, effectivement, dû à un problème de gouvernance : la Stratégie aurait été insuffisamment appliquée. Les développements suivant illustrent ce problème de gouvernance. Cette appréciation, qui souligne principalement les problèmes de mise en œuvre de la Stratégie, n’épuise cependant pas toutes les explications relatives au manque de réussite de cet agenda pluriannuel.

Pour le rapporteur M. Marc Dolez, les causes de cet échec sont, par exemple, principalement à rechercher dans l’accent mis sur la concurrence au détriment des convergences sociales, dans l’absence d’harmonisation fiscale, dans le recul de l’investissement public et dans l’insuffisante implication des budgets européens dans le soutien aux filières industrielles.

La faible incidence propre de la Stratégie sur les économies des États membres est imputable à divers facteurs d’importance inégale. L’appréciation de chaque rapporteur diverge toutefois quant à la part respective de chaque facteur.

En premier lieu, il est établi que la Stratégie de Lisbonne comportait des objectifs trop nombreux, parfois incompatibles (A), et que sa gouvernance était en tout état de cause inadaptée pour atteindre les objectifs assignés (B).

Plus fondamentalement, selon certaines analyses, la Stratégie de Lisbonne n’a pas connu la réussite car elle a promu des politiques publiques majoritairement tournées vers l’offre et insuffisamment coordonnées avec les politiques de gestion macroéconomique de la demande (C).

Enfin, l’absence de réussite a aussi été imputable à un faible investissement propre des institutions de l’Union européenne (D) et last but not least, à une insuffisante appropriation nationale (E).

A.  LE CARACTÈRE INADAPTÉ DES OBJECTIFS

La lecture des conclusions des Conseils européens concernant la Stratégie de Lisbonne illustre les deux mouvements antagonistes auxquels cet agenda a été alternativement soumis : l’exhaustivité et le recentrage.

a)  Des cibles mouvantes, trop nombreuses et insuffisamment hiérarchisées

Les rapporteurs estiment que les objectifs ont été trop nombreux. Insuffisamment hiérarchisés, ils ont présenté un aspect hétérogène et finalement peu efficient.

En 2005, les rapporteurs pour la Délégation pour l’Union européenne estimaient leur nombre à 28 objectifs principaux, 120 objectifs secondaires et 117 indicateurs (97). En 2006, M. Günter Verheugen, vice-président de la Commission européenne, estimait que sur la période 2000-2004, plus de 102 objectifs chiffrés avaient été ajoutés aux buts initiaux.

La distinction entre objectifs finaux et intermédiaires n’a pas montré son efficacité. Le fait que certains objectifs soient indiqués en niveau et d’autres en tendance a également été une source de confusion.

Cette caractéristique permettait aux États de sélectionner les objectifs ou catégories d’objectifs, qui, en fonction de leurs spécificités, leur paraissaient les plus faciles à atteindre. Le changement de gouvernance intervenu en 2005 n’a pas fondamentalement modifié cet aspect.

Les LDI, excessivement vastes, parfois imprécises, couvraient pratiquement tout le champ des politiques économiques et leur structure empêchait toute ordonnancement des priorités. Ces lignes directrices, supposées être « intégrées », n’étaient en réalité que « juxtaposées » et ne permettaient pas la synthèse nécessaire entre politique microéconomique, macroéconomique et politique de l’emploi.

Elle étaient de plus trop nombreuses (un État ne peut suivre simultanément 24 priorités), ce qui n’a pas mis fin au syndrome dit de la « liste de courses », permettant à chaque État membre de sélectionner un ou deux champs et de montrer qu’il parvient à « faire Lisbonne » (98).

Il existait en outre une ambiguïté de méthode relevée par certaines personnalités entendues et par la littérature économique. En effet, il semble que l’élaboration de la Stratégie ne permettait pas de distinguer avec suffisamment de précision les objectifs des indicateurs, à moins de considérer ces indicateurs comme des objectifs secondaires. Ainsi, la notion de « dépenses de recherche et développement » paraissait un peu grossière : comme l’indiquait une des personnalités entendues, pour atteindre facilement l’objectif prévu de dépenses en proportion du PIB, « il suffisait d’augmenter de 50 % la rémunération de tous les chercheurs publics »… Cette dépense était-elle finalement un objectif ou était-elle plutôt un indicateur des politiques à l’œuvre ?

b)  L’élaboration difficile des programmes nationaux de réforme (PNR)

L’absence de hiérarchisation entre objectifs se reflétait généralement dans la rédaction des PNR. Ces documents, du moins s’agissant de la France, tendaient à ressembler à d’indigestes compendiums de toutes les réformes effectuées par l’État membre qui pouvaient correspondre, de près ou de loin, à une des orientations prescrites par une LDI.

Souvent, les PNR se résumaient à une compilation d’indications sur les politiques suivies, rédigées de manière à montrer que ces réformes étaient l’application de la Stratégie, alors que certaines n’étaient que compatibles avec cette stratégie. Les PNR ont généralement procédé à « l’emballage » de mesures existantes ou déjà décidées (« a repacking of existing measures »).

La rédaction des PNR n’a pas contribué à l’appropriation nationale de la Stratégie de Lisbonne. Leur qualité a été très variable, et, comme le montre le cas français examiné infra, les conditions de leur élaboration et de leur évaluation ont révélé l’importance relative donnée à l’exercice par les gouvernements.

Pour constituer un véritable instrument d’application de la Stratégie, la forme des PNR aurait peut-être dû être plus contrainte, notamment par la mention de calendriers ou d’objectifs finaux et intermédiaires.

c)  Des objectifs excessivement ambitieux et pas assez spécifiques par pays

• Des objectifs trop génériques

Les objectifs n’ont pas été assez spécifiques. Pour qu’ils emportent une véritable force de mobilisation, soient stimulants et fassent l’objet d’une authentique appropriation nationale, ils auraient dû être, dès le début de la mise en œuvre de la Stratégie, spécifiques à chaque État membre, afin de tenir compte des positions de départ et des avantages comparatifs de chaque pays.

Il est vrai que la Stratégie de Lisbonne n’a pas explicitement statué sur les avantages relatifs de chaque pays. Tel a été, par exemple, le cas des dépenses de recherche : les dépenses de recherche devaient-elles être augmentées dans chaque État ? Ou uniquement dans les États où la « productivité » de ces dépenses en termes de points de PIB européen était la plus élevée ?

De même, fixer un objectif de taux d’emploi féminin unique pour toute la zone de l’Union européenne pouvait paraître foncièrement inadapté au regard de la variété nationale et régionale des contextes sociaux, économiques et culturels, hétérogénéité renforcée après l’élargissement.

Comme le souligne l’évaluation par la Commission de la Stratégie, les LDI adoptées en 2005 et poursuivies en 2008 étaient trop globales pour inciter les États à passer à l’action. De plus, comme le document le remarque, elles n’ont pas été amendées alors que, d’une part, la Stratégie de Lisbonne a été recentrée en 2006 sur quatre thèmes prioritaires (cf. supra) et que, d’autre part, le contexte macro-économique a significativement changé entre 2005 et 2010.

Les auteurs de l’article précité « Last exit to Lisbon » soulignent également que l’uniformité des LDI n’a pas tenu compte des grandes différences entre États membres. Ils montrent la différence d’approche avec la stratégie de l’OCDE intitulée « En route pour la croissance », où l’Organisation, après l’analyse du cas de chaque économie, procède à l’identification des recommandations spécifiques à l’État considéré.

• Des objectifs trop ambitieux

Ces objectifs étaient manifestement trop ambitieux, comme l’a souligné M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS), lors de son audition. Le contexte de leur élaboration a sans douté joué un rôle dans cette ambition excessive, mais fixer un objectif général d’intensité de recherche et de développement de 3 % du PIB était manifestement inatteignable. Comme l’a relevé l’économiste M. Élie Cohen, la Stratégie de Lisbonne a été à cet égard « une parfaite illustration de ce que l’Europe fait de moins bien : une proclamation sonore d’objectifs inatteignables suivi de comptes rendus réguliers de l’incapacité à les atteindre (99) ».

B.  LA GOUVERNANCE INADAPTÉE D’UNE STRATÉGIE « SANS BRAS »

L’échec de la Stratégie de Lisbonne a trouvé principalement ses racines dans la gouvernance insuffisante d’un processus politique de coordination aussi inédit que complexe, ce que M. Henri Sterdyniak et M. Yves Bertoncini ont résumé en évoquant respectivement une Stratégie « sans bras » ou « sans dents ». Les États membres ont appliqué la Stratégie « à la carte », de manière ponctuelle et incomplète. À cet égard, il a manqué à l’agenda de Lisbonne à la fois des incitations et des sanctions. Sans ces deux outils, la Stratégie n’a pu véritablement jouer un rôle d’incitateur et de catalyseur de réformes simultanées dans tous les États membres, ce qui constituait son ambition initiale et était la condition de sa réussite finale.

1.  Les États ont manqué d’incitations politiques à appliquer la Stratégie de Lisbonne

a)  La Stratégie n’a pas mis en place un système incitatif

La Stratégie de Lisbonne ne relevait pas d’une « politique » formelle. Son fonctionnement n’était régi ni par les traités ni par le droit dérivé. Il n’avait été créé aucune obligation juridique à atteindre les objectifs de la Stratégie. Elle manquait donc fondamentalement d’une véritable autorité.

La MOC s’est révélée un mécanisme trop lâche. Elle a permis aux États membres de formaliser le suivi de leurs réalisations, sans pour autant susciter la dynamique collective attendue.

Ce manque d’autorité s’est doublé d’une autre carence, aussi profonde : l’absence d’incitations fortes à appliquer la Stratégie. La coordination des politiques ouvrait la perspective de gains supplémentaires de croissance. Ces gains étaient potentiels et partiellement liés à la simultanéité des réformes. Cependant, la perspective d’un niveau de croissance économique plus élevé n’a pu constituer une incitation forte à engager les réformes compatibles avec Lisbonne, notamment lorsque les efforts à engager paraissaient excessifs et que les effets de contexte propre à chaque État réduisaient l’efficacité des réformes envisagées. Sur la décennie 2000-2010, les perspectives d’une croissance plus soutenue se sont révélées avoir moins de poids que les impératifs nés des agendas politiques nationaux.

b)  La « pression par les pairs » a connu des limites

Dans la gouvernance de la Stratégie, les incitations sont supposées naître de la comparaison des efforts et des résultats, notamment grâce à l’identification des « meilleures pratiques » (parangonnage ou benchmarking). Or cette procédure n’a pas joué à plein, faute d’appropriation politique, de prédominance des enjeux nationaux sur l’agenda européen et d’absence de mise en œuvre d’un véritable « tableau d’honneur » garantissant la transparence des efforts de tous les États membres.

Il n’a pas été facile pour les opinions publiques – et les électeurs – d’imputer des succès économiques aux réformes inspirées par Lisbonne. Cela est dû notamment aux effets de contexte propres à chaque pays ainsi qu’aux préférences nationales. La comparaison des politiques menées et de leurs résultats n’a donc pas été évidente.

c)  Une information détaillée sur les efforts de chacun était nécessaire

L’absence d’incitations fortes à mettre en œuvre la Stratégie de Lisbonne et de sanctions en cas d’application insuffisante a pu conduire les gouvernements des États membres à une certaine forme d’attentisme, voire d’inertie. Certains ont pu espérer que les effets positifs de la Stratégie, grâce aux externalités transfrontalières attendues des réformes, leur bénéficient sans qu’eux-mêmes n’appliquent l’agenda de Lisbonne (100).

Ces situations ont mis en relief la nécessité d’une information complète et précise des efforts de chaque pays visant à appliquer la Stratégie de Lisbonne. L’organisme européen Eurostat, sur la base des informations délivrées par chaque État membre, faisait le point sur les indicateurs de la Stratégie. Il ne fait guère de doute que les données présentées par cet organisme, pourtant accessibles à tous, n’ont pas connu toute la publicité nécessaire.

2.  L’absence de sanctions n’a pas favorisé la mise en œuvre de la Stratégie

La Stratégie n’était pas accompagnée de fortes incitations. Elle n’était pas non plus accompagnée de la possibilité de sanctions.

Selon M. Jean Pisani-Ferry, le rôle de la Commission européenne a longtemps été indéfini, entre celui de maître d’école et celui d’entraîneur (« between the role of a schoolmaster and that of a coach »). Après l’inflexion de 2005, la Commission a finalement opté pour la seconde fonction afin d’encourager les efforts de tous, sans doute au détriment de l’efficacité globale du processus. La Commission s’est alors plutôt comportée comme un organe facilitateur et un « partenaire attentif  (101) » que comme une authentique instance d’évaluation.

Selon la Commission, les « recommandations-pays » qu’elle était chargée de formuler constitueraient une sorte de « success story » de la gouvernance de la Stratégie car elles seraient le meilleur moyen d’exercer la « pression par les pairs », une des caractéristiques de la méthode ouverte de coordination. Il est cependant difficile de partager cette autosatisfaction, du moins s’agissant des « grands » États membres.

Comme le reconnaît la Commission, ces recommandations n’ont pu, dans certains pays, influer significativement sur le débat politique intérieur. Les « recommandations-pays » sont d’ailleurs restées trop vagues ; le fait qu’elles étaient peu reliées au dispositif du Pacte de stabilité n’a pas renforcé leur crédibilité (cf. infra).

Ce problème relatif aux sanctions a connu un écho jusque dans la préparation d’Europe 2020. Ainsi, en janvier 2010, l’ancien premier ministre espagnol M. José Luis Zapatero ainsi que M. Guy Verhofstadt (président du groupe libéral au Parlement européen) avaient proposé que soient introduites des sanctions visant les pays qui n’auraient pas respecté les avertissements de la Commission. Cette proposition n’a pas été couronnée de succès, certains imputant cet échec à l’opposition des autorités allemandes (102).

Le rapporteur M. Marc Dolez souligne son profond désaccord avec l’idée selon laquelle les objectifs stratégiques, tels que ceux définis dans la Stratégie de Lisbonne, devraient être assortis de sanctions. Il estime notamment que le régime de sanctions prévu dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union européenne adopté le lundi 31 janvier 2012 par le Conseil européen, vise à promouvoir une gouvernance de l’Union toujours plus autoritaire, au centralisme technocratique toujours plus rigoureux, au détriment de l’expression de la souveraineté populaire et des principes démocratiques élémentaires.

3.  Le manque regrettable d’une authentique dynamique de coopération européenne

Le système de gouvernance de Lisbonne a certes manqué d’incitations à mettre en place la Stratégie, et l’absence de sanctions n’a pas non plus facilité son application.

Cependant, de nombreuses voix estiment que la carence principale de la gouvernance de la Stratégie de Lisbonne a résidé dans le développement de stratégies économiques non coopératives par certains États membres de la zone euro. De ce point de vue, la Stratégie de Lisbonne n’aurait pas permis l’émergence d’une authentique dynamique de coopération interétatique.

Cette thèse a notamment été développée, voici quelques années, par un article de Mme Catherine Mathieu et M. Henri Sterdyniak (103), qui notait qu’en raison de ces politiques jugées inadaptées, « l’UEM a vu, depuis 1999, la persistance (et parfois l’accroissement) des divergences entre les États membres en termes de croissance, d’inflation, de chômage et de déséquilibres extérieurs ». Ils notaient que : « Les États membres n’ont pas été capables de définir une stratégie commune de croissance. » Cette absence de coopération, notamment les hésitations entre un modèle libéral et un modèle scandinave ou bismarckien, aurait conduit à une « coordination par la concurrence », comme l’ont souligné devant les rapporteurs MM. Jacques Sapir et Henri Sterdyniak. Cette concurrence, malgré les processus de convergence à l’œuvre entre États membres, n’aurait pas favorisé le progrès social au sein de l’Union européenne.

Ce constat est également celui fait par la CGT-FO. Dans sa contribution écrite transmise aux rapporteurs, elle relève, s’agissant de la crise économique de 2008, que « les États ont élaboré des plans au seul échelon national, sans coordination et en poursuivant la logique de concurrence sociale et fiscale qui prévaut dans la zone euro depuis sa création ».

4.  L’insuffisante implication du Parlement européen n’a pas favorisé l’appropriation démocratique du processus

Des développements ultérieurs aborderont le problème de l’insuffisante appropriation nationale de la Stratégie de Lisbonne. Cette lacune n’a pas été comblée au niveau européen par un rôle accru du Parlement européen (PE), dont l’action aurait pu contribuer à une meilleure appropriation démocratique du processus de Lisbonne.

En effet, l’agenda de Lisbonne a concerné des compétences essentiellement nationales. En raison de ce facteur institutionnel et juridique, le rôle du Parlement européen (PE) dans la Stratégie de Lisbonne a donc été, de l’avis général des commentateurs, plutôt faible.

Il s’agissait d’un processus politique plutôt piloté par les formations du Conseil et le Conseil européen et, dans une moindre mesure, par la Commission. En outre, les caractéristiques de la MOC, qui consistait essentiellement en des échanges entre États ou entre la Commission et les États, ne favorisaient pas une intervention du Parlement européen.

Dans une résolution de mars 2009 sur la Stratégie de Lisbonne (104), le Parlement européen soulignait ainsi que « la méthode ouverte de coordination, sur laquelle la Stratégie de Lisbonne repose depuis neuf ans, a montré ses limites face aux nouveaux défis, internes et externes, auxquels l’Union se trouve confrontée ».

5.  La faiblesse de la gouvernance a renforcé les risques suscités par les élargissements de l’Union européenne

Les rapporteurs estiment que cette carence en matière de gouvernance est particulièrement préoccupante. Elle a en effet conduit à réduire le niveau général de régulation du système européen au bénéfice, notamment, des forces des différents marchés.

Elle a ainsi pu renforcer les conséquences négatives des comportements non coopératifs de certains pays, que certains qualifient de dumping fiscal, social ou environnemental. Les élargissements ont, sous cet angle, emporté des résultats assez négatifs.

C.  UNE POLITIQUE D’OFFRE PEU COORDONNÉE AVEC LES POLITIQUES ÉCONOMIQUES MACROÉCONOMIQUES

1.  La Stratégie de Lisbonne était une politique économique d’offre reposant essentiellement sur l’amélioration des conditions de production

La Stratégie de Lisbonne consistait en un éventail d’orientations générales, plutôt à caractère micro-économique principalement, et supposées agir sur les facteurs d’offre. À titre illustratif, elle visait à promouvoir un accroissement du facteur relatif à la main-d’œuvre, à la fois d’un aspect quantitatif (augmentation du taux d’emploi) et d’un aspect qualitatif (meilleure formation).

La Stratégie recommandait également d’orienter la production vers des secteurs plus immatériels, gage d’une transition réussie vers une « économie de la connaissance ». Elle jugeait utile de favoriser la croissance économique en agissant sur les facteurs d’offre, principalement par des mesures micro-économiques visant à modifier le comportement des agents économiques, par exemple en favorisant la libre circulation des personnes, des biens et des marchandises. Dans ce cadre, il est admis que les politiques macroéconomiques doivent garantir la stabilité, les réformes à caractère microéconomique étant censées accroître la croissance économique potentielle en agissant sur les déterminants de long terme.

C’est ce que notait M. Jean Pisani-Ferry dans son article de 2005 sur la Stratégie (105) : la politique macroéconomique n’était pas une composante du processus, qui se concentrait sur les facteurs structurels de croissance. La politique macroéconomique se réduisait dans cette perspective à un complément à cette politique structurelle ; elle mettait l’accent sur la stabilité budgétaire et monétaire.

2.  Les politiques macro-économiques de gestion de la demande sont restées à l’écart du processus de Lisbonne

a)  La création de la zone euro a contraint fortement les politiques macroéconomiques des États membres concernés

La création de l’Union économique et monétaire a conduit à limiter la marge de manœuvre des États membres de la zone euro en matière d’élaboration des politiques économiques par deux moyens principaux.

La monnaie unique a tout d’abord ôté des outils de politique économique la possibilité d’une dévaluation du taux de change nominal : en cas de déséquilibre au sein de la zone euro, conjoncturel ou structurel, les ajustements ne peuvent donc que résulter d’évolutions « réelles », dont l’évolution des salaires et/ou de la productivité du travail.

Dans le cadre de l’Union économique et monétaire, la conduite de la politique monétaire relève en outre du monopole de la BCE, dont le mandat consiste exclusivement à veiller à la stabilité des prix, contrairement à la « Fed (106) » américaine, à laquelle sont également assignés des objectifs de plein emploi et de croissance économique. De plus, le Pacte de stabilité et de croissance conduit à limiter singulièrement les possibilités de gestion de la demande par les variations du solde budgétaire.

Ces deux cadres limitent fortement la marge de manœuvre des États pour faire face aux éventuels chocs récessif sur les économies. De nombreux économistes estiment qu’ils ont contraint les États membres à conduire des politiques macroéconomiques excessivement restrictives, qui n’ont pas pu favoriser le retour à une croissance soutenue. Selon cette interprétation, ces politiques macroéconomiques trop rigoureuses auraient entravé le déploiement des effets éventuellement bénéfiques de Lisbonne, notamment parce qu’elles n’ont pu soutenir financièrement la réalisation de politiques structurelles en permettant l’application.

Les auditions de M. Jacques Sapir et M. Henri Sterdyniak ont clairement montré les limites de l’instrument de la Stratégie de Lisbonne en la matière. M. Jacques Sapir a souligné que la Stratégie, à cet égard, constituait une réponse à une question mal posée, où la croissance économique était envisagée comme le produit de facteurs considérés comme « structurels » (éducation, infrastructures....), sans considération pour la demande. Pour M. Jacques Sapir, développer ces réformes d’offre sans mesures de stimulation de demande, publique ou privée, ne pouvait pas véritablement aboutir à une croissance économique plus dynamique. La politique ainsi menée pouvait même susciter des effets contre-productifs, dans le cas où des personnes formées dans un État membre travaillaient finalement dans un État non membre de l’Union européenne.

Comme il l’a souligné devant les rapporteurs, le développement de l’innovation ne peut avoir de conséquences positives sur le niveau de la croissance si aucun marché ne permet d’alimenter cette offre accrue. Les revenus tirés de la conception de produits sont, dans cette perspective, inférieurs aux flux de richesses créés par la délocalisation de structures productives à l’étranger. La Stratégie de Lisbonne aurait donc échoué en séparant artificiellement le « structurel » du « conjoncturel ». Il aurait fallu se fixer un objectif de croissance de la demande, complément nécessaire de l’objectif de l’augmentation qualitative et quantitative de l’offre de production.

Ces économistes ont bien souligné les limites macroéconomiques de la Stratégie en matière de politique de l’emploi. Si celle-ci est parfois nécessaire, se fixer des objectifs d’augmentation de taux d’emploi sans prendre en compte la problématique de la demande peut mener à un échec.

b)  L’étanchéité entre la Stratégie et les engagements au titre du Pacte de stabilité et de croissance n’a pas facilité son application

La Stratégie de Lisbonne a été essentiellement conçue comme un « agenda de croissance ». Il s’agissait notamment de remédier aux limitations potentielles pour la politique économique que pouvaient constituer les limitations susmentionnées.

Dans la Stratégie, du moins dans sa première version (2000-2005), les politiques macro-économiques étaient supposées constituer un « cadre stable » complémentaire aux politiques de Lisbonne. La version renouvelée de la Stratégie de Lisbonne, à partir de 2005, a placé au cœur du processus les impératifs d’assainissement des finances publiques, comme le montre la rédaction des lignes directrices intégrées.

L’Europe comme les États membres ont donc disposé en parallèle, d’une part, d’un « agenda de croissance » reposant sur la nécessité de mener des « réformes structurelles » et, d’autre part, d’un cadre de politique macroéconomique plutôt contraignant. Cela a entraîné des difficultés. En effet, mener des réformes structurelles peut être coûteux, du moins à court terme. Il pourrait donc être opportun, en principe, de faciliter la réalisation d’une réforme structurelle en utilisant la politique budgétaire.

En outre, investir davantage dans les dépenses de recherche et de développement, et plus largement, dans les moyens de parvenir à une économie de la connaissance, peut susciter des dépenses publiques supplémentaires. Les deux processus n’étaient donc pas nécessairement compatibles.

Le document de travail des services de la Commission sur l’évaluation de la Stratégie reconnaît ainsi que les deux mécanismes (Stratégie et Pacte de stabilité et de croissance) ont plutôt fonctionné en parallèle qu’en complément l’un de l’autre.

Selon le rapporteur M. Marc Dolez, le renforcement de la discipline budgétaire commune fixée par le Pacte de stabilité a de toute évidence constitué un obstacle à la conduite des politiques économiques actives visant la réalisation des objectifs de croissance fixés notamment dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne. Le Pacte de stabilité, qui avait été présenté comme indispensable à la cohésion de la zone euro, s’est avéré, selon lui, brider les investissements et les salaires, maintenir un chômage de masse, et en définitive freiner la croissance du continent. La volonté de Bruxelles de mettre aujourd’hui plus encore l’accent sur l’assainissement des finances publiques, au travers d’un mécanisme tel que la règle d’or, risque de rendre caducs les objectifs fixés pour l’avenir en termes de croissance compte tenu en particulier du caractère puissamment récessif des politiques d’austérité et de contraction de la demande.

3.  La crise financière et économique née en 2008 n’est pas la cause majeure du mauvais bilan de la Stratégie de Lisbonne

Il ne fait pas de doute que la crise économique de 2008-2009, dont le déclencheur a été la crise financière née en partie de la crise américaine dite des subprimes, a joué un rôle important dans les difficultés rencontrées par certains États d’atteindre tous les objectifs de la Stratégie de Lisbonne. Elle a fortement limité les marges de manœuvre des politiques économiques.

Cependant, imputer exclusivement l’échec de la Stratégie à cette crise serait une erreur profonde. Les données relatives aux de taux de croissance, avant la survenue de cette crise, ne laissaient pas présager d’un respect des objectifs de la Stratégie. De même, il semble que les dépenses publiques en recherche et développement n’aient pas subi de réduction significative lors de cette crise. Les raisons de l’échec de la Stratégie, dont la crise économique de 2008-2009 n’a certes pas facilité la réalisation, révèlent un caractère plus structurel.

D.  LE FAIBLE INVESTISSEMENT PROPRE DE L’UNION EUROPÉENNE DANS LA RÉALISATION DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE

Comme le souligne notamment le rapport de la mission « L’Europe dans la mondialisation » présidée par M. Laurent Cohen-Tanugi, une des explications de l’échec de la Stratégie de Lisbonne résiderait dans l’insuffisant investissement propre des institutions et des instruments de l’Union européenne dans le processus. Cet investissement réduit s’explique en partie par le nécessaire respect des compétences respectives des États et de l’Union. En effet, en 2000, l’Union européenne ne disposait pas de compétences dans les principales matières relevant de la Stratégie de Lisbonne, qu’il s’agisse du droit du travail, de l’âge de la retraite, des conditions de travail des femmes ou de la recherche.

1.  Les fonds structurels : une « lisbonnisation » tardive

Les fonds structurels ont fait l’objet d’une adaptation tardive aux objectifs de la Stratégie de Lisbonne. Il a ainsi été créé une ligne spécifique de crédit pour identifier les dépenses supposées sources de croissance (rubrique « 1A Compétitivité pour la croissance et l’emploi (107) »), cette rubrique représentant environ 9 % des dépenses totales (108).

Le cadre financier pluriannuel pour les années 2007-2013 a été adopté le 17 mai 2006 par le Parlement européen, le Conseil et la Commission. La « lisbonnisation » des fonds structurels a ainsi permis d’affecter, entre 2007 et 2013, près de 228 milliards d’euros à la réalisation d’investissements jugés porteurs de croissance.

Afin d’accroître la cohérence des politiques menées par l’Union européenne, la programmation prévoit une obligation de ciblage, ou encore de « fléchage » (« earmarking ») d’une partie significative des fonds européens vers des actions répondant aux orientations de la Stratégie de Lisbonne.

Comme le précise le rapport de M. Pierre Lequiller au Premier ministre, « De nouvelles ambitions pour la politique européenne de cohésion », sur la période 2007-2013, 64 milliards d’euros de dépenses au titre de la politique de cohésion sont prévues pour financer des interventions relatives à la recherche, au développement technologique, à l’innovation et à l’esprit d’entreprise (soit près de 19 % des sommes totales).

Cependant, outre la tardive adaptation à Lisbonne de la gestion des fonds structurels, un problème majeur concerne le décalage entre l’agenda de Lisbonne (2000-2010) et les périodes de financement (par exemple 2007-2013). Ce décalage interdit toute vision claire de l’adéquation des financements affectés à la réalisation des objectifs de la Stratégie de Lisbonne.

2.  Le manque d’intégration avec les autres politiques et instruments communautaires

Comme le soulignent le rapport de la mission présidée par M. Laurent Cohen-Tanugi ainsi que le document d’évaluation de la Stratégie réalisé par les services de la Commission européenne, on ne peut que relever le faible contenu des politiques menées directement par l’Union afin de contribuer aux objectifs de Lisbonne sur la période 2000-2010. Le bilan du « programme communautaire de Lisbonne », lancé trop tardivement, est assez maigre.

E.  UNE INSUFFISANTE APPROPRIATION NATIONALE PAR LES DÉCIDEURS ET PAR LES CITOYENS EUROPÉENS, QU’ILLUSTRE LE CAS DE LA FRANCE

Les objectifs que les États membres de l’Union européenne s’étaient fixés en 2000 n’ont été que très partiellement atteints en 2010 : cette absence de résultats représente un échec significatif. Cependant, les rapporteurs, comme beaucoup d’observateurs, considèrent que l’échec principal de la Stratégie de Lisbonne a aussi résidé dans son absence d’écho auprès des peuples européens, pourtant principaux bénéficiaires supposés de cette stratégie inédite de croissance.

Ce manque de succès peut être défini comme le résultat de l’absence d’appropriation nationale de la Stratégie. Ce dysfonctionnement n’est pas spécifique à la France et a marqué, certes à des degrés divers, l’application de la Stratégie dans la plupart des États membres.

L’agenda de Lisbonne présente donc le paradoxe suivant : élaborée comme une stratégie politique centrale, conçue comme un horizon commun destiné à un bon usage de la mondialisation, la Stratégie n’a rencontré qu’une très faible appropriation par les États et par les opinions publiques. La Stratégie, qui n’a pas été reconnue par les citoyens, n’a donc pu être perçue comme une défense contre la mondialisation, comme le montrent les « non » aux référendums tenus en France et aux Pays-Bas afin de ratifier le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (109).

Dans l’ensemble, la Stratégie de Lisbonne a plutôt été perçue comme un processus bureaucratique. Selon l’avis d’un certain nombre de commentateurs, la Stratégie a produit « trop de papier et trop peu d’action ». À un moment donné, le processus donnait lieu à la rédaction de près de 300 rapports par an, transformant l’Union en « bureau d’études non appliquées », selon les mots de M. Jean-Claude Juncker. Comme le décrit un élément de la documentation destinée aux journalistes sur Europe 2020 et disponible sur le site internet de la Commission, le processus n’a pas fait l’objet d’une appropriation politique de haut niveau : « Une partie du problème de la Stratégie de Lisbonne était son statut relativement peu élevé sur la chaîne alimentaire politique ».

Cette absence de notoriété et de popularité auprès des peuples s’est doublée de l’absence régulière d’une véritable prise en compte et d’une analyse approfondie, par les décideurs politiques et administratifs, des enjeux de la Stratégie. Cet agenda a été utilisé comme un « label » apposé sur des décisions publiques qui auraient été pu être prises en l’absence de cet agenda supranational ; à l’inverse, des mesures pourtant compatibles avec le processus de Lisbonne ont été adoptées à l’échelon étatique sans référence à cette stratégie.

1.  Les peuples et les gouvernements ne se sont pas appropriés la Stratégie, qui est restée un processus jugé très bureaucratique

Un des échecs des promoteurs de la Stratégie est de ne pas avoir réussi à susciter de grand débat public, européen ou national, sur sa nécessité et sur les conditions de sa mise en œuvre. Comme l’a souligné l’économiste M. Henri Sterdyniak lors de son audition par les rapporteurs, la Stratégie a donné lieu à une intense activité bureaucratique à Bruxelles sans qu’aucune discussion démocratique et publique n’ait pu se tenir sur ce sujet. Le déplacement des rapporteurs à Bruxelles et la rencontre avec des représentants de la Commission européenne a pu confirmer ce constat : ce type d’agenda pluriannuel est propice au développement d’un discours technocratique qui, en se parant d’une expertise technique, n’a pu que contribuer à séparer les peuples des gouvernants.

De plus, dans beaucoup d’États membres, l’appropriation par les structures administratives et politiques considérées au sens large a été insuffisante.

Les critères permettant habituellement de juger de l’appropriation nationale de la Stratégie sont les suivants : débat ad hoc au Parlement, références à la Stratégie dans le débat public et dans les déclarations des gouvernements, désignation d’un coordinateur de la Stratégie au plus haut niveau, implication des partenaires sociaux, mention de cette Stratégie dans les médias…

Un article de M. Jean Pisani-Ferry (110) a mentionné une étude réalisée sur le degré d’appropriation de la Stratégie de Lisbonne selon les États membres. Elle mettait en évidence la forte implication dans la mise en œuvre et dans le suivi de la Stratégie de trois types de pays : les pays ayant récemment adhéré à l’Union européenne (Pologne, pays baltes…), les « petits » pays et, enfin, les pays scandinaves. Comme le souligne le rapport précité de M. Cohen-Tanugi, les États membres ont pu être répartis en trois catégories au regard de leur relation à la Stratégie :

– les nouveaux membres ont considéré qu’il s’agissait d’un cadre de référence utile, les décideurs politiques et administratifs l’ont adopté dans leur discours et leurs actions ;

– d’autres États ont poursuivi leurs réformes, généralement conformes à la Stratégie de Lisbonne, mais sans que celle-ci ait été mentionnée dans le débat public (Allemagne, Royaume-Uni, pays scandinaves…) ;

– enfin, certains États, comme la France, ont éprouvé des difficultés dans la mise en place de leurs réformes structurelles, mais n’ont pas souhaité de renforcement du cadre multilatéral.

2.  Le cas français illustre les difficultés d’appropriation d’une telle stratégie par le Parlement, les responsables administratifs et les citoyens

L’absence d’appropriation de la Stratégie de Lisbonne par la France renvoie aussi aux réserves des Français à l’égard de la mondialisation, réserves régulièrement mises en exergue par les sondages d’opinion. À titre d’illustration, le quotidien « La Croix » a récemment fait réaliser un sondage par l’Ifop. Les résultats de cette étude, intitulée « Regards croisés sur la mondialisation dans dix pays » et publiée en janvier 2011, montrent que les Français seraient majoritairement enclins à considérer la mondialisation plutôt comme une « menace » que comme une « opportunité ».

La Stratégie, qui visait notamment à permettre aux États membres de s’adapter à cette mondialisation, a nécessairement pâti de cette image dégradée.

S’agissant du cas français, les rapporteurs se sont notamment appuyés sur les travaux de Mme Hélène Caune (111), qui sur la base de plus de 70 entretiens menés auprès de divers responsables politiques administratifs français et communautaires, avaient mis en évidence, voici quelques années, la faible appropriation de la Stratégie de Lisbonne, et plus spécifiquement de l’outil du programme national de réforme, parmi les responsables politiques et administratifs.

Ce travail, complété par des recherches plus récentes et par les auditions auxquelles les rapporteurs ont procédé, permet de souligner quelques points saillants :

– la Stratégie de Lisbonne n’a pas fait l’objet d’un débat approfondi au Parlement ;

– elle n’a pas été exploitée directement par les responsables politiques et par les décideurs administratifs ;

– elle a suscité une certaine montée en puissance du rôle du CESE ;

– ni l’opinion publique, ni les partenaires sociaux ou les collectivités territoriales n’ont fait « vivre » ou n’ont entendu faire « vivre » la Stratégie de Lisbonne en France.

a)  La Stratégie de Lisbonne et le Parlement (2005-2010)

Comme le soulignait le Président de la Commission européenne lors d’une rencontre en 2006 avec les parlementaires européens et nationaux, « forts de votre légitimité démocratique, Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes […] les indispensables relais de notre stratégie, grâce à votre lien de proximité privilégié avec les citoyens, mais aussi grâce à la très forte capacité d’entraînement, voire de pression, que vous pouvez exercer auprès de votre gouvernement ». Les Parlements nationaux étaient ainsi qualifiés de « chevilles ouvrières » du processus de Lisbonne.

Pourtant, alors que l’essentiel de la Stratégie de Lisbonne repose sur des décisions nationales, l’appropriation de la Stratégie, en tant qu’objet politique particulier, par le Parlement français en général et par l’Assemblée nationale en particulier, a t été plutôt faible.

La Stratégie a fait l’objet de peu de travaux parlementaires consacrés exclusivement au processus. En revanche, de nombreuses discussions, rapports et avis parlementaires ont abordé indirectement ce sujet au caractère très large.

L’essentiel du travail en la matière a été réalisé en commission. Le Gouvernement peut cependant demander l’organisation de débat sans vote sur un sujet européen, ce qui a pu conduire à aborder le thème : tel a ainsi été le cas avant la tenue du Conseil européen de printemps 2006.

À titre d’illustration de la relative mise à l’écart du Parlement du processus, les rapporteurs ont été surpris de prendre connaissance des conditions d’élaboration du document intitulé « Position française sur la stratégie Europe 2020 ». Ce document élaboré en réponse à la consultation lancée par la Commission européenne, qui fait le bilan de la Stratégie de Lisbonne et propose des orientations quant à la définition d’Europe 2020, n’a en effet fait l’objet d’aucune discussion au Parlement. À la connaissance des rapporteurs, il n’a pas fait l’objet d’une transmission officielle au Parlement français.

• La coopération avec le Parlement européen

Le Parlement européen a organisé les 16 et 17 mars 2005 une première conférence rassemblant les parlementaires européens et nationaux. Une autre rencontre a également eu lieu les 31 janvier et 1er février 2006 sur le thème des « Parlements en route vers Lisbonne ».

• La Délégation pour l’Union européenne, devenue Commission des Affaires européennes (112)

La Délégation a mené des travaux ayant un rapport assez étroit avec la Stratégie de Lisbonne ; elle a ainsi déposé un rapport d’information (113) présenté par M. Daniel Garrigue (UMP) sur « le renforcement de la gouvernance économique et la clarification de la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance ». La Délégation a également travaillé sur la Stratégie de manière incidente, en traitant de sujets sectoriels. Elle a ainsi déposé en novembre 2004 le rapport d’information n° 1927 présenté par M. Michel Herbillon (UMP) sur l’enseignement supérieur en Europe.

La délégation a également travaillé sur la Stratégie elle-même. Ainsi, le 16 février 2005, avant la tenue du Conseil européen de mars, elle a adopté une résolution de MM. Michel Delebarre (Groupe socialiste) et Daniel Garrigue (UMP) sur le suivi de la Stratégie de Lisbonne (114), considérée alors comme un « échec relatif ». La Délégation soulignait cependant le bien-fondé des objectifs retenus et de l’ambition initiale de la Stratégie. Les conclusions rassemblaient les préoccupations thématiques françaises : elles insistaient notamment sur la nécessaire « dimension industrielle » de la Stratégie, en évoquant les négociations commerciales internationales (négociations, qui, cependant, ne faisaient pas partie de la Stratégie). De plus, elles mettaient en exergue le nécessaire maintien des aspects « sociaux » de la Stratégie, considéré comme une « impérieuse exigence ».

D’autres considérations concernaient la politique familiale et les questions migratoires, qui ne font pas partie du périmètre de la Stratégie. Les conclusions de la Délégation portaient également sur les aspects financiers. Il était suggéré que les dépenses publiques concourant à la réalisation des objectifs de la Stratégie soient exclues du dispositif de Pacte de stabilité et de croissance et que les objectifs de la Stratégie soient pris en compte dans le débat sur les perspectives financières du budget de l’Union européenne, afin de bénéficier d’un financement adéquat. La réorientation de la politique de fonds structurels était également mentionnée.

Enfin, s’agissant de la gouvernance, les conclusions de la résolution insistaient sur la nécessaire implication des collectivités territoriales et jugeaient que chaque État membre devait s’organiser « pour assurer le suivi de la Stratégie de Lisbonne au niveau national » (ce qui constituait une critique implicite de la proposition européenne que chaque État désigne un « coordinateur (115) Stratégie de Lisbonne »). La délégation suggérait enfin que le « Parlement français puisse se prononcer, chaque année, avant le Conseil européen de Printemps, sur le plan d’action national ».

En 2007, l’audition par la Délégation de M. Laurent Cohen-Tanugi, président de la mission « L’Europe dans la mondialisation », a été l’occasion de procéder à un premier bilan de la Stratégie et de préparer le dispositif d’Europe 2020.

Sous la présente législature, c’est le programme Europe 2020 qui a suscité l’intérêt des députés. Ainsi, la commission des Affaires européennes a déposé en octobre 2010 le rapport d’information n° 2922 présenté par MM. Michel Herbillon (UMP) et Christophe Caresche (SRC) sur le gouvernement économique européen. Ce document comprend des développements sur la stratégie Europe 2020. Pour les rapporteurs, « la principale faiblesse de la Stratégie de Lisbonne résidait dans le fait qu’elle reposait quasi exclusivement sur des actions des États membres. La stratégie Europe 2020 ne semble pas en tirer les leçons. » De plus, « la question des financements, pourtant capitale, est éludée ».

• Les travaux des autres commissions

La commission des Finances de l’Assemblée a également travaillé sur la Stratégie de Lisbonne. Elle a ainsi adopté en juin 2005 une proposition de résolution présentée par M. Daniel Garrigue (UMP) « sur la communication de la Commission européenne relative aux lignes directrices intégrées pour la croissance et l’emploi. » Ce document marque l’intérêt des députés pour le processus de Lisbonne ; il y est souligné la nécessité, en vue de l’élaboration du PNR, de consulter les partenaires sociaux et d’y associer étroitement le Parlement. Le rapport (116) estime très important d’identifier un « chef de file » dans le processus et indique que « la commission des Finances, ainsi éventuellement que la commission des Affaires économiques et la commission des Affaires sociales, pourraient se saisir de l’examen de ce document ». Celui-ci préconise également qu’un lien puisse être établi avec la discussion du projet de loi de finances, au besoin dans le cadre du rapport général.

Le rapport précité procède à une critique intéressante du processus de construction des LDI, estimant que si le projet de la Commission européenne aborde certains thèmes intéressants tels qu’une approche du travail fondée sur le cycle de vie, la recherche d’un équilibre entre flexibilité et sécurité sur le marché du travail, l’insertion des demandeurs d’emploi et des personnes défavorisées ainsi que le Pacte européen pour la jeunesse, il ne réalise pas de véritable intégration entre les Grandes orientations de politique économique (GOPE) et les Lignes directrices pour l’emploi (LDE). Cette insuffisante intégration est de nature, selon le rapport, à affaiblir à la fois les objectifs de cohésion sociale affirmés lors des Conseils européens et la référence au modèle social européen. La résolution adoptée par la commission des Finances met l’accent d’une part, sur les conditions d’ouverture du commerce international, et, d’autre part, sur la nécessité d’un approfondissement de la gouvernance économique européenne.

Il est également à noter que la commission des Finances a travaillé sur la Stratégie de manière plus incidente, en déposant le 13 février 2008 un rapport d’information (n° 716) sur « le lancement du cycle de programmation 2007-2013 des fonds structurels européens » présenté par notre collègue M. Jean-Louis Dumont. Cet intéressant document, principalement consacré à la gestion par les préfets et les collectivités des fonds structurels, comporte des passages relatifs à la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne au niveau régional.

b)  La Stratégie de Lisbonne et les responsables politiques : le cas emblématique de la présentation du PNR 2005-2008 à la commission des Affaires économiques

La commission des Affaires économiques, de l’environnement et du territoire, le 30 novembre 2005, a entendu M. Thierry Breton, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie, sur la Stratégie de Lisbonne. Lors de cette réunion, le ministre a présenté le premier programme national de réforme (PNR) français couvrant la période 2005-2008. Cette audition a été riche d’enseignements quant à l’appropriation de la Stratégie par les responsables politiques comme par les députés.

Tout d’abord, le PNR n’a pas fait l’objet d’une discussion à l’Assemblée, discussion permettant aux députés de proposer des modifications au texte ; il est vrai que le statut juridique de ce texte hybride n’est pas fixé par une norme de droit interne. De plus, il a fait l’objet d’une présentation par un ministre à l’une des commissions permanentes après son envoi par le Gouvernement à la Commission européenne. En 2005, le ministre a déclaré regretter « que les contraintes d’agenda de chacun n’aient pas permis d’organiser cette audition avant envoi à la Commission européenne de ce document » et « souhaite qu’il n’en soit pas de même l’année prochaine (117) ».

Dans ces conditions, il était impossible aux députés de faire part au ministre d’éventuelles propositions de modifications du PNR. Le formalisme de la présentation du PNR, objet de politique publique nationale pourtant supposé central, est donc très réduit.

S’agissant du fond du sujet, le ministre a fait un tour d’horizon du PNR, axé autour de trois objectifs : répondre au trois défis que connaît la France (vieillissement démographique, insuffisante mobilisation des actifs et accroissement de la dette publique), établir les conditions d’une croissance sociale et bâtir l’économie de la connaissance. Il a noté que la Stratégie de Lisbonne demandait « un devoir de pédagogie », le PNR étant supposé devenir un « un instrument pédagogique pour expliquer aux Français l’action que le Gouvernement doit mener ».

Le ministre a également voulu dissocier les processus de la Stratégie du Programme de stabilité : « Le programme de stabilité et de croissance sera transmis à la Commission autour du 1er décembre. Mais les deux exercices sont profondément différents : le programme national de réforme est un exercice de pédagogie, de vision et d’évaluation des meilleures pratiques pour atteindre les objectifs de Lisbonne ; le second est un exercice de contrôle qui contraint les pouvoirs publics à la rigueur budgétaire ».

Le ministre, de manière significative, tempère également le souhait de la Commission de progresser en matière de comparaison et surtout de classement des pratiques : « (…) l’Union européenne établira une synthèse des PNR, mais il n’est pas souhaitable que des technocrates bruxellois notent et classent les États membres. Ceux-ci doivent rester responsables du rythme de leurs réformes, au regard de leurs spécificités, qui constitue une richesse (…) ».

c)  La Stratégie de Lisbonne et les administrations françaises : une gestion ambiguë…

La Stratégie n’a pas fait l’objet d’une réelle appropriation par les décideurs publics de haut niveau, à l’exception notable du SGAE (secrétaire général des affaires européennes), dont les missions le destinaient à suivre l’application de ce type de processus.

• Les responsables politiques

Il est intéressant de se pencher sur les premières déclarations de politique générale (118) des Premiers ministres qui se sont succédé sur la période 2002-2010. En effet, ces interventions, qui présentent une grande importance institutionnelle et politique, sont supposées dresser les grandes lignes de l’action gouvernementale sur plusieurs années. Il y a donc lieu de rechercher si elles ont développé la thématique de la Stratégie de Lisbonne ou, au moins, l’ont mentionnée.

Tel n’a pas été le cas. Ces discours ne se sont pas inscrits dans le cadre de la Stratégie, qui n’est pas même évoquée (à l’exception de l’objectif de l’intensité de l’effort de recherche et de développement de 3 %, par M. Dominique de Villepin). Cette absence de mention d’un processus censé fixer les grandes lignes de l’action économique et sociale des États membres est révélatrice de l’insuffisance de l’appropriation nationale.

D’autres indices montrent que la Stratégie de Lisbonne n’a pas fait l’objet d’une réelle appropriation au plus haut niveau politique. Ainsi, la France a mis du retard à procéder à la nomination d’un responsable gouvernemental unique de la Stratégie. Le rapport de suivi du PNR rédigé par les administrations pour l’année 2007 indique que la réalisation de la Stratégie implique huit ministres ; il précise que son « suivi politique » est confié à Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, des finances et de l’emploi, le SGAE, sous l’autorité du Premier ministre, conservant la « coordination technique » du processus. Selon l’article précité de M. Jean Pisani-Ferry (119), seuls 11 pays sur 25 avaient d’ailleurs effectivement nommé un « référent Lisbonne » au niveau gouvernemental.

Tout s’est passé comme si l’agenda national des réformes structurelles avait primé sur celui de Lisbonne, comme en témoigne d’ailleurs la rédaction du premier paragraphe de la lettre de mission des ministres Xavier Bertrand et Christine Lagarde à M. Laurent Cohen-Tanugi (120) afin qu’il réalise un bilan de l’application de la Stratégie de Lisbonne : « Sous l’impulsion du Président de la République, la France s’est engagée dans un effort de réformes structurelles de très grande ampleur. (…) Ces réformes (…) rejoignent les recommandations de l’Union européenne et convergent avec les actions entreprises par nos partenaires. La France entend donc les mener à bien en les inscrivant dans le contexte de l’évolution des politiques européennes à laquelle la France entend contribuer pleinement par la formulation de propositions concrètes. »

La primauté est bien l’agenda des réformes nationales, agenda bâti sous l’autorité d’une institution nationale (le Président de la République). Les réformes ainsi engagées « rejoignent » l’agenda européen, elles n’en procèdent pas. Les responsables politiques réalisent une sorte de déni :

– vis-à-vis des autorités européennes, la rédaction des PNR tend à présenter l’action du Gouvernement comme appliquant la Stratégie, ou, du moins, comme conforme à ses objectifs ;

– vis-à-vis de l’opinion publique, les réformes engagées, même lorsqu’elles s’inscrivent complètement dans le champ de la Stratégie, ne sont pas présentées comme une mise en œuvre de cet agenda européen.

La politique des investissements d’avenir illustre bien cette démarche ambiguë. Les investissements d’avenir, lancés en décembre 2009, correspondent à une relance de l’investissement public décidée après la crise économique de 2008. Se fondant sur le constat que les investissements publics à vocation structurelle diminuaient, le gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, a décidé de réaliser des investissements qualifiés d’ « investissements d’avenir » car concernant des secteurs supposés porteurs de croissance à terme.

Un rapport intitulé « Investir pour l’avenir : priorités stratégiques d’investissement et emprunt national (121) » définit les besoins en la matière. Sur les besoins de financement identifiés à hauteur de 35 milliards d’euros, près de la moitié concernent le soutien à l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation, soit le cœur de la Stratégie de Lisbonne. Le reste porte sur des axes qui constituent également les piliers de la Stratégie puis d’Europe 2020.

Il est donc significatif que le rapport de réflexion sur les besoins et les projets relatifs aux investissements d’avenir ne comporte aucune mention de la Stratégie. De même, le site internet consacré à la gestion des investissements d’avenir (122) ne fait pas de référence explicite à la stratégie européenne.

Il est d’autant plus surprenant, a contrario, de constater que le PNR pour la période 2011-2014 envoyé par la France à la Commission européenne mentionne à plusieurs reprises, et sous des chapitres différents, le sujet des investissements d’avenir.

• Les administrations et la Stratégie de Lisbonne

Les auditions auxquelles ont procédé les rapporteurs ont bien révélé l’absence d’authentique appropriation de la Stratégie par la haute administration, à l’exception du SGAE (123). À titre illustratif, les rapporteurs ont ainsi été surpris de constater que l’Insee, dont les missions consistent notamment à procéder à des expertises sur la croissance économique, n’avait jamais été saisi de la problématique de Lisbonne (124).

En juin 2005, a été créé le Conseil interministériel sur l’Europe. Présidé par le chef du gouvernement, cette instance réunit les ministres concernés par l’ordre du jour. Celui-ci est proposé par la ministre déléguée aux Affaires européennes à partir, notamment, des sujets de l’actualité européenne. Une circulaire du Premier ministre aux membres du Gouvernement, en date du 19 décembre 2005, a fixé les modalités d’association du Parlement, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux et des représentants de la société civile. Le secrétariat de ce comité interministériel est assuré par le SGAE.

Dans ce contexte, il semble que la désignation d’un référent « Stratégie de Lisbonne » ait donné lieu à une lutte de pouvoirs mettant aux prises le SGAE, les ministères économiques et financiers ainsi que le ministère des Affaires étrangères. Le SGAE a piloté l’ensemble du processus de coordination et de suivi des PNR, le suivi politique de la Stratégie étant assuré par le Comité interministériel sur l’Europe.

d)  … incarnée par le caractère assez hétérogène du contenu des PNR

Au titre de la Stratégie de Lisbonne renouvelée, les États membres devaient transmettre à la Commission européenne des Programmes nationaux de réforme. Ces documents indiquaient la manière dont les États membres comptaient appliquer les Lignes directrices intégrées et fixaient leurs objectifs spécifiques pour une durée de trois ans. Ces PNR faisaient ensuite l’objet de rapports annuels de suivi nationaux, toujours élaborés par les États membres, visant à préciser l’application annuelle des PNR. Le Conseil, sur la base d’une proposition de la Commission européenne élaborée en fonction des PNR et des rapports de suivi, pouvait adopter des « recommandations-pays » relativement précises (125).

En France, ce processus de rédaction du PNR est essentiellement resté un instrument bureaucratique, aboutissant à livrer un document indigeste et peu propice à l’appropriation de la Stratégie.

• La rédaction des deux PNR français

Les rapporteurs se sont penchés sur les deux PNR français élaborés au titre de la Stratégie de Lisbonne : le premier couvre la période 2005-2008 (document intitulé « Pour une croissance sociale »), le second la période 2008-2010. Leur élaboration a été pilotée par le SGAE et a mobilisé les services d’un certain nombre de directions ministérielles.

Le premier PNR a été validé par le Comité interministériel sur l’Europe en octobre 2005, avant son envoi à la Commission et sa présentation aux partenaires sociaux et au Parlement (cf. supra).

Le second PNR a été transmis en octobre 2008 à la Commission. Sa conception a donné lieu à des concertations avec les partenaires sociaux (Conseil économique, social et environnemental, Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales), les associations (notamment via le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale) et les collectivités locales. Son élaboration a également requis la consultation d’autorités indépendantes (la Commission de régulation de l’énergie et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) ainsi que du Conseil de la concurrence. Le Parlement n’a pas été consulté dans cette phase préalable.

Les rapporteurs notent que le PNR 2008-2010 a été présenté, du moins dans son introduction, comme un « programme de réforme qui répond tant aux objectifs de la Stratégie de Lisbonne qu’à ceux du Président de la République pour 2012 ». Cette mention du quinquennat présidentiel, qu’on peut juger assez déplacée, a contribué à ôter au document son caractère d’outil de politique européenne et a mis en relief les limites de l’appropriation nationale de la procédure européenne.

Ces documents, assez volumineux, étaient très détaillés. Cependant, leur champ était si large qu’ils perdaient de leur impact, présentant finalement un aspect hétérogène peu propice à la mobilisation. À titre d’exemple, la thématique de l’environnement et du développement durable, qui avait plutôt disparu de la Stratégie de Lisbonne renouvelée, faisait néanmoins l’objet de longs développements dans le PNR 2008-2010. Le titre I du PNR 2008-2010 s’intitulait « Croissance durable, innovation et développement des entreprises », sans que fussent véritablement définies et articulées ces trois thématiques assez distinctes (126). De même, l’introduction du PNR 2008-2010 indiquait que le document intègre d’autres « grands projets européens, tels que la mise en œuvre du « Small Business Act », l’initiative « Mieux Légiférer », la politique de la concurrence ou la poursuite des réformes nécessaires à la transposition de la Directive relative aux Services dans le Marché intérieur. »

La troisième partie du PNR 2008-2010 visait à « assurer la soutenabilité des finances publiques ». Il s’appuyait en fait très peu sur la Stratégie ou sur les LDI, mais plutôt sur les contraintes découlant du Pacte de stabilité et de croissance. Cette dernière partie recensait différentes réformes sans lien direct avec la Stratégie, qu’il s’agisse de la qualité de vie des malades chroniques, de la création des agences régionales de santé (ARS) ou de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

• La rédaction des rapports de suivi des PNR

Les États membres étaient supposés transmettre à la Commission des rapports de suivi annuels. Ces rapports étaient élaborés par le SGAE, qui a coordonné la rédaction de trois rapports (rapports 2006, 2007 et 2009). Ces documents ont fait l’objet d’une intense coordination ministérielle et ont été adoptés par le Conseil interministériel sur l’Europe. Leur élaboration a été précédée d’une série de consultations diverses (CESE, Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion – CNLE, Conseil national du développement durable, associations, partenaires sociaux, organes consulaires…). Les rapports de suivi étaient des documents assez longs et qui n’échappaient pas au caractère assez disparate des PNR. Selon le rapport de suivi 2007, les rapports de suivi ont été transmis aux présidents des commissions parlementaires compétentes. Le 10 octobre 2007, Mme Christine Lagarde, ministre chargée du suivi politique de la Stratégie, a été entendue par la délégation pour l’Union européenne du Sénat à propos de la Stratégie de Lisbonne et du rapport de suivi au titre de l’année 2007.

e)  La place singulière du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Comme l’ont expliqué ses représentants entendus par les rapporteurs, le CESE a représenté un cas unique dans le paysage institutionnel français en raison de son attention portée à la mise en œuvre de la Stratégie puis du programme Europe 2020. Le CESE s’est en effet très tôt impliqué dans la démarche de Lisbonne. Dès 2003, il avait présenté une communication (127) destinée à mettre en valeur ses avis auprès des instances préparant l’expression de la France lors des sommets européens de printemps. Un travail similaire a été réalisé en 2004 et 2005. Ces travaux ont contribué, au moins partiellement, à mieux faire connaître la Stratégie et à promouvoir l’implication de la société civile.

Le CESE s’est fortement investi dans ces agendas et dans leur suivi, particulièrement grâce aux travaux de sa section des affaires européennes et internationales et de sa délégation pour l’Union européenne. Selon les informations disponibles sur son site internet, il a ainsi publié plus d’une trentaine de documents sur la Stratégie de Lisbonne, dont les éditions annuelles du document « Suivi de la situation de la France au regard des indicateurs de Lisbonne » (128).

Le CESE s’est attaché, notamment en coordination avec le SGAE, à coopérer à l’élaboration des PNR, à effectuer un suivi des indicateurs de la Stratégie pour la France et, enfin, à contribuer aux rapports de suivi des PNR.

Le CESE a également participé, aux côtés d’autres conseils économiques et sociaux nationaux, au sous-comité « Stratégie de Lisbonne » mis en place par le Comité économique et social européen. Par la suite, mandaté par le Conseil européen pour favoriser l’appropriation du programme Europe 2020 par la société civile, le Comité économique et social européen a interrogé les CES nationaux, dont le CESE.

f)  La Stratégie de Lisbonne et les partenaires sociaux : des objectifs généraux jugés plutôt consensuels mais une application jugée décevante

Mis à part les travaux menés au sein du CESE, les partenaires sociaux se sont principalement appropriés la Stratégie de Lisbonne via les travaux du Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales (CDSEI). Ce comité consultatif est placé auprès du ministre en charge des relations sociales, qui le préside. Le CDSEI permet une représentation paritaire des partenaires sociaux et des administrations concernées (ministères des Affaires sociales, des Affaires étrangères, ministère de l’Économie).

Créé en 1988, il est devenu l’instance privilégiée du dialogue entre administrations concernées et partenaires sociaux sur les sujets sociaux ayant une dimension internationale et européenne. Les rapporteurs ont procédé à l’audition des représentants des organisations membres de ce Comité (129).

Le Comité prépare les principales échéances du « Conseil emploi et politique sociale » des ministres de l’Union européenne ainsi que du Conseil européen (chefs d’État et de gouvernement), s’agissant des aspects sociaux. Le CDSEI assure l’information et la consultation des partenaires sociaux français sur les travaux en cours au sein de l’Union européenne dans le domaine des questions sociales lato sensu (130).

Le CDSEI est régulièrement consulté sur l’élaboration des plans nationaux et des PNR. Ainsi, le PNR 2005-2008 a été présenté le 21 octobre 2005 aux partenaires sociaux par M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi, de la cohésion sociale et du logement, lors d’une réunion du Comité. Selon le rapport de suivi 2007, certaines remarques ont été prises en compte et toutes les réactions écrites ont été intégralement transmises à la Commission.

Comme l’a montré, par exemple, l’audition des représentants de la CFDT, il semble que les partenaires sociaux soient attachés à cette instance spécialisée de dialogue, notamment en raison du fait que la faculté de proposer l’examen de nouveaux dossiers soit partagée entre les partenaires sociaux et l’administration. Cependant, certains représentants des partenaires sociaux ont déploré auprès des rapporteurs le caractère jugé excessivement formel des consultations des partenaires sociaux. La question des délais est à cet égard cruciale compte tenu de la quantité d’informations à traiter.

g)  La Stratégie de Lisbonne et les citoyens : ni notoriété ni popularité

Il est assez difficile de juger de l’influence de la Stratégie auprès des citoyens, mais les rapporteurs estiment qu’il n’est pas douteux que ces processus restent complètement inconnus de la très grande majorité des Français.

Le fait qu’aucune personnalité publique de premier plan n’ait porté le projet de la Stratégie dans ses premières années peut expliquer cette absence de popularité. D’autres facteurs d’explication ont pu y contribuer : le fait que la Stratégie ne liait pas les États, l’approche très bureaucratique, la relance de 2005 sur des thèmes finalement très classiques, l’absence de débat public organisé autour des grands choix sous-tendant l’élaboration de ces processus (131)

Cause ou conséquence du désintérêt du grand public pour la Stratégie, les médias, et en particulier les médias audiovisuels, consacrent peu de commentaires à ces processus.

Il convient enfin de rappeler que les citoyens ont déjà, d’une certaine manière, jugé de l’efficacité de la Stratégie. En effet, le « non » à la ratification du Traité pour la Constitution européenne (TCE) peut être interprété comme le symptôme d’une Europe qui n’arrive pas à convaincre les peuples de sa capacité à fabriquer de la croissance supplémentaire (132). Cette impuissance sape autant son utilité que sa légitimité auprès des citoyens. Il est d’ailleurs à souligner que dans les causes du rejet français du traité constitutionnel européen de 2005, le facteur relatif à la situation économique et sociale, jugée dégradée, semble avoir constitué le principal motif du vote « non ».

TROISIÈME PARTIE : LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS VISENT À REVENIR À L’ESPRIT ORIGINEL DE « LISBONNE » ET À FAVORISER L’APPROPRIATION DÉMOCRATIQUE DES AGENDAS PLURIANNUELS EUROPÉENS

La Stratégie de Lisbonne parvenue à son terme, un nouvel agenda pluriannuel lui a succédé : le 26 mars 2010, le Conseil européen a approuvé la proposition de la Commission de lancer la stratégie Europe 2020 et l’a adoptée formellement le 17 juin.

Sur un plan thématique, l’agenda Europe 2020 ne modifie pas fondamentalement les orientations de politique économique fixées par les Lignes directrices intégrées adoptées par l’Union dès 2005 au titre de la Stratégie de Lisbonne renouvelée. L’accent porté sur les préoccupations sociales paraît cependant plus marqué, au moins dans la formulation des objectifs (en annexe au présent rapport figurent les huit objectifs d’Europe 2020). Les particularités d’Europe 2020 résident plutôt dans sa gouvernance, légèrement modifiée par rapport à la Stratégie de Lisbonne :

– des lignes directrices intégrées (LDI) constituent la base des orientations (elles figurent en annexe au présent rapport) ;

– les États membres se fixent des objectifs spécifiques, formalisés dans des Programmes nationaux de réforme (PNR) à caractère pluriannuel et transmis à la Commission européenne ;

– une nouvelle procédure, dénommée le « semestre européen », conduit la Commission et le Conseil à étudier simultanément les PNR et les Programmes de stabilité ainsi que leur suivi.

L’acuité de la crise économique et financière dans l’Union européenne a conduit, ces derniers mois, à un renforcement inédit de la gouvernance économique de l’Union européenne et en particulier de la zone euro, notamment au travers du Pacte pour l’euro plus. Ce renforcement, dont l’opportunité est appréciée de manière divergente par les rapporteurs, tend à intégrer et à dépasser les instruments de gouvernance mis en place dans le cadre d’Europe 2020.

Les recommandations des rapporteurs sont organisées autour de deux axes principaux concernant le fond et la forme de ces agendas pluriannuels européens :

– le premier axe de propositions concerne le contenu d’Europe 2020 et son financement : il s’agit de proposer de revenir à l’esprit originel de la Stratégie de Lisbonne, en engageant un effort sans précédent en matière de recherche, d’innovation et d’éducation, grâce à un financement nouveau, le produit, total ou partiel, d’une taxe sur les transactions financières ; cette nouvelle source de financement pourrait aussi financer des projets de coopération industrielle ;

– le second axe de propositions s’appuie sur le constat d’une insuffisante appropriation nationale et concerne donc les moyens à engager afin de l’améliorer : seule l’intervention des parlements nationaux, émanation du peuple souverain, pourra garantir son caractère authentiquement démocratique et mieux associer les citoyens aux décisions européennes qui les concernent.

A. FINANCER L’AMBITION INITIALE DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE PAR UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

Les rapporteurs proposent de renforcer l’originalité initiale de la Stratégie de Lisbonne – la promotion de l’économie de la connaissance – et d’affecter à cette ambition réaffirmée un nouveau financement reposant sur une taxe sur les transactions financières.

1. Bâtir une économie de la connaissance, une ambition propre à mobiliser l’Europe, les États membres et les citoyens

Les rapporteurs estiment qu’un recentrage thématique d’Europe 2020 semble s’imposer dans le contexte particulier où les dispositifs de gouvernance européenne économique créés récemment laissent peu de marge de manœuvre aux politiques budgétaires des États membres. Il semble en particulier aux rapporteurs qu’il faut souligner ce qui, dans les deux agendas considérés – la Stratégie de Lisbonne et, dans une moindre mesure, Europe 2020 – apparaît à la fois le plus consensuel, le plus efficace et le plus original : promouvoir la croissance économique par « l’économie de la connaissance » et la promotion des politiques dites du « triangle de la connaissance » (innovation, recherche et éducation).

Plus que jamais, dans une économie au caractère chaque jour plus mondialisé, les investissements publics et privés dans la connaissance, considérée dans son acception la plus large (éducation, recherche et innovation) se révèlent cruciaux. Seule cette course à l’innovation, dans un contexte de vieillissement continu de la population européenne, de vive concurrence et de difficultés marquées d’approvisionnement énergétique, pourra garantir un niveau élevé de production en Europe, des salaires convenables, et donc le maintien du modèle social européen.

En matière de politique de la recherche, l’action européenne peut se révéler particulièrement efficace. En effet, elle permet d’éviter le morcellement d’initiatives nationales pas toujours suffisamment coordonnées ; elle diffuse assez facilement ce qu’il est convenu d’appeler les « bonnes pratiques » et elle conduit à mettre en œuvre des programmes d’ampleur (participation au projet international Iter (133), Galileo...) en réunissant une masse critique financière suffisante. Elle est en mesure de susciter un effort financier complémentaire issu du secteur privé.

Les rapporteurs notent que l’ambition de Lisbonne relative à l’ « économie de la connaissance » a suscité un certain consensus en Europe. La mobilisation des citoyens européens n’a sans doute pas suivi l’enthousiasme relatif des décideurs et des experts, mais cet écart est plus imputable aux conditions défavorables de l’appropriation démocratique des agendas qu’à leur contenu. Les rapporteurs estiment donc opportun d’exploiter davantage ce consensus, au besoin en explorant les voies de projets de recherche communs entre États membres, dans la poursuite du programme de l’Union européenne proposant une « programmation conjointe » (134).

Cette ambition européenne consensuelle – bâtir une économie fondée sur la connaissance – exige qu’on la soutienne davantage. Ce type d’agenda pluriannuel souffrirait en effet d’un important problème de crédibilité en l’absence de financement adéquat, alors même que l’essentiel de ce processus repose sur les actions des États membres.

Les rapporteurs notent ainsi que la résolution européenne sur les recommandations de la Commission européenne relatives aux programmes de stabilité et de réforme (135), adoptée par l’Assemblée nationale, juge que la volonté d’aboutir à des finances publiques moins déséquilibrées ne doit pas conduire à occulter la question des investissements publics porteurs de croissance jugés nécessaires au succès d’Europe 2020.

2. Un financement supplémentaire et dédié : le produit d’une taxe sur les transactions financières

Ces raisons incitent les rapporteurs à suggérer un financement supplémentaire qui serait dédié au financement des programmes de recherche européenne engagés dans le cadre de l’agenda Europe 2020. Des projets de coopération industrielle transfrontaliers comme ceux suggérés par le rapport (136) établi par M. Yannick Paternotte (UMP) au nom de la commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire française (137), commission présidée par M. Alain Bocquet (GDR), pourraient ainsi être également financés (cf. proposition n° 9 du rapport précité).

Un financement à la fois innovant et substantiel est nécessaire ; la résolution européenne précitée évoque ainsi, comme ressource supplémentaire éventuelle possible, la mutualisation des budgets des États membres volontaires ou l’émission d’euro-obligations.

À terme, les rapporteurs jugent nécessaire que le budget de la recherche et les fonds consacrés au développement industriel deviennent le premier poste de dépenses de l’Union.

Les rapporteurs estiment à la fois possible et souhaitable, dans le contexte actuel, que ce nouveau financement soit assis, complètement ou partiellement, sur le produit d’une taxe sur les transactions financières.

Cette taxe reste à créer, sur le modèle élaboré par l’économiste américain James Tobin, qui avait conçu un taux très réduit portant sur une large assiette. La création de cette taxe, évoquée depuis près de trente ans dans divers cercles, suscite un large soutien. D’un point de vue international, la mise en place d’une telle taxe est régulièrement mentionnée depuis 2008 dans le cadre des réunions du G20. Elle a également fait l’objet d’études au sein du Fonds monétaire international (FMI) (138). Elle trouve de plus l’appui du Parlement européen, qui a adopté des propositions de résolution en ce sens (139).

Le 28 septembre dernier, la Commission européenne a présenté un projet de directive comportant l’établissement d’une taxe sur les transactions financières (140). Le projet de taxe, motivé notamment par la crise économique et financière ainsi que la sous-taxation du secteur via l’exonération de TVA de la plupart des services financiers, vise à mettre en place une taxe portant sur les transactions financières. Ses objectifs principaux consistent à faire participer les établissements financiers au coût de la crise et à réduire la fragmentation du marché intérieur des transactions financières.

Les rapporteurs rappellent que le principe de l’introduction d’une telle taxe en droit français a été adopté avec l’article 88 de la loi de finances pour 2002 (141) sans trouver encore à s’appliquer. Ils soulignent que cette proposition de création d’une taxe de cette nature semble rencontrer l’approbation d’une large majorité de députés issus de la majorité et de l’opposition. Ainsi, l’examen au sein de la commission des Affaires européennes d’une proposition de résolution européenne (n° 3867) sur la mise en place d’un Fonds européen de développement social, solidaire et écologique (142), comme sa discussion en séance publique (143), ont permis de constater la convergence entre opposition, majorité et gouvernement sur le principe même de cette proposition.

De même, les rapporteurs soulignent l’intérêt de la proposition de résolution européenne relative à l’introduction d’une taxe sur les transactions financières(144), adoptée successivement par la commission des Affaires européennes, la commission des Finances et l’Assemblée nationale. Cette résolution rappelle les différentes conclusions du G20 et du Conseil européen et se prononce pour la création d’une taxe, au taux de 0,05 %, qui financerait notamment le développement et la lutte pour le changement climatique. Le produit de cette taxe serait affecté aux budgets nationaux.

Les rapporteurs relèvent que l’article 2 du projet de loi de finances rectificative pour 2012 déposé à l’Assemblée nationale le 8 février dernier propose la création d’une taxe sur les transactions financières : son taux devrait atteindre 0,1 % (145) pour un produit total estimé à 1,1 milliards d’euros en année pleine (146).

3. Financer la construction d’une économie européenne de la connaissance et la coopération industrielle transfrontalière

Dans son principe, cette taxe présente le double avantage de frapper les mouvements financiers spéculatifs et de contribuer à améliorer les conditions de la régulation des marchés financiers. Il n’appartient pas au présent rapport de définir les détails de cette taxe, qu’il s’agisse de son taux, de son assiette ou de son application territoriale. Cependant, à ce stade, les rapporteurs souhaitent souligner son intérêt et son utilité en tant que source de financement de projets de recherche européens.

Ces nouveaux fonds permettraient en effet d’abonder la transition européenne vers une économie de la connaissance. Ils devraient également financer des projets de recherche et de développement industriel, notamment des coopérations transfrontalières.

L’abondement du produit de cette taxe ou d’une partie de son produit permettrait de progresser vers le niveau cible d’intensité en recherche et développement fixé à l’origine par la Stratégie de Lisbonne : 3 % du PIB. Parvenir à 3 % suppose des dépenses annuelles d’environ 360 milliards d’euros pour l’ensemble des États membres ; compte tenu du taux actuel d’intensité de 2 %, la dépense supplémentaire nécessite un financement supplémentaire d’environ 120 milliards d’euros (147). Ce stimulus accru en matière d’investissement public pourra déclencher un effort comparable de la part du secteur privé via des systèmes innovants de cofinancement.

Les rapporteurs invitent donc à entreprendre les démarches nécessaires au niveau européen, et particulièrement par le biais d’une initiative franco-allemande, afin que la taxe sur les transactions financières soit enfin effective et que son produit ou une partie de son produit puisse financer un fonds dédié à la réalisation des objectifs précités, fonds qui pourrait devenir une composante du Programme-cadre de recherche et développement pour les années 2014 à 2020 intitulé « Horizon 2020 » et lancé par la Commission européenne en novembre dernier.

B. UNE MEILLEURE APPROPRIATION NATIONALE DES AGENDAS EUROPÉENS PLURIANNUELS DE CROISSANCE

La mise en œuvre du nouvel agenda pluriannuel européen passera nécessairement par une meilleure connaissance par les citoyens des enjeux de ce programme. Les Parlements, et en particulier l’Assemblée nationale, peuvent et doivent contribuer à cette appropriation accrue.

1. Placer le Parlement comme le lieu privilégié de la discussion des modalités d’application d’Europe 2020

a) Débattre d’Europe 2020 à l’Assemblée nationale

Les rapporteurs soulignent qu’une discussion approfondie au sein du Parlement d’Europe 2020, de ses objectifs, de son application et des positions françaises correspondantes est indispensable. Au sein de l’Assemblée nationale, ces débats doivent se tenir non seulement au sein de la commission des Affaires européennes, mais également dans les autres commissions concernées, en particulier au sein de la commission des Affaires culturelles (sur les thématiques de l’économie de la connaissance), de la commission des Affaires économiques et de la commission des Finances.

Ces débats tenus en commission doivent aussi trouver un prolongement dans des discussions à l’Assemblée nationale, par exemple dans le cadre d’un point d’ordre du jour d’une séance de la « semaine de contrôle » dédiée aux sujets européens, conformément à l’article 48-8 du Règlement (148).

Les « éléments clés » du Programme national de réforme français pour 2011-2014 ont été préparés par les différentes administrations compétentes dès le mois de novembre 2010, date à laquelle la France a publié les grands axes du document. Au cours de son élaboration pilotée par le Secrétariat général des Affaires européennes, ce projet a fait l’objet d’une large concertation. Il a ainsi été adressé aux différentes « parties prenantes » habituellement consultées, comme les associations des collectivités territoriales, le Conseil économique, social et environnemental, les partenaires sociaux réunis au sein du CDSEI (cf. supra) et le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Le PNR, finalement adopté en avril 2011, a été ensuite transmis à la Commission européenne.

Les rapporteurs remarquent que le Bundestag allemand a été informé précisément du PNR allemand 2011 (149). Après son adoption par le gouvernement en avril 2011, il a en effet été adressé immédiatement au Bundestag. La commission des Affaires économiques et de la technologie été saisie au fond, et huit commissions s’en sont saisies pour avis.

Les rapporteurs soulignent, pour le déplorer, que le PNR, pourtant qualifié dans son introduction de « pierre angulaire du nouveau système de coordination qui allie surveillance des cadres budgétaires nationaux et réformes structurelles » n’a pas été présenté de manière formelle aux Assemblées préalablement à sa transmission à la Commission. En effet, aucune présentation parlementaire n’a été effectuée avant son envoi à la Commission européenne, comme le montre la rédaction de l’introduction au PNR, qui liste les consultations effectuées. Selon les informations dont disposent les rapporteurs, aucune présentation formelle et exhaustive du PNR au Parlement n’a non plus été faite après son envoi à la Commission.

Conformément au droit applicable, le Programme français de stabilité fait l’objet d’un débat en séance publique sur la base de l’article 50-1 de la Constitution (150) et de l’article 14 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 (151).

Cette procédure pourrait être appliquée aux PNR via, le cas échéant, une modification de la loi de programmation de finances publiques. Cette proposition, qui rejoint celle formulée dans le rapport précité de M. Laurent Cohen-Tanugi, pourrait aussi correspondre à l’application ponctuelle de l’article 50-1 de la Constitution.

Pour le rapporteur M. Philippe Cochet, cette proposition a deux motivations. La première est relative à une meilleure implication du Parlement dans le semestre européen. C’est en effet une exigence démocratique que le Parlement, et les commissions compétentes, soient consultés préalablement à l’envoi du PNR à la Commission. La seconde consiste en un rééquilibrage de l’application de la procédure du semestre européen au Parlement. Les rapporteurs estiment en effet que cette procédure est actuellement déséquilibrée au profit de l’aspect « programmation des finances publiques », en conséquence, notamment, des contraintes liées au respect du pacte de stabilité et de croissance. Or, l’examen de la politique européenne ne saurait se résoudre à ces considérations budgétaires. Il faut absolument prendre en considération le fait que Europe 2020 est aussi un agenda de croissance.

Enfin, le rapporteur M. Philippe Cochet souligne que les parlementaires doivent donc débattre de la manière dont le Gouvernement compte appliquer les priorités européennes en la matière. Cela peut passer par un débat à l’Assemblée nationale sur le PNR après l’avis des commissions compétentes. Les détails de la procédure resteraient à définir, notamment son articulation avec les dispositions actuelles prescrivant un débat sur le programme de stabilité. La meilleure solution consisterait sans doute en un processus unique – débat puis vote – qui rassemblerait ces deux volets.

b) Organiser des rencontres annuelles avec les membres du Parlement européen

Enfin, il serait utile d’organiser des rencontres entre des membres des parlements nationaux et des membres du Parlement européen avant la tenue de chaque Conseil européen.

Il est à relever que notre collègue M. Pierre Lequiller, président de la commission des Affaires européennes, a proposé la création d’une conférence budgétaire permanente. Celle-ci réunirait les présidents des deux commissions concernées du Parlement européen et les présidents, ou leurs représentants, des commissions des affaires budgétaires des parlements nationaux de l’Union européenne, de façon que ceux-ci puissent contribuer à la coordination budgétaire. Cette conférence budgétaire pourrait aussi aborder les problématiques relatives à Europe 2020.

Ces propositions s’inscrivent également dans l’action menée par le Président de l’Assemblée nationale – et à ce titre président du CEC – pour approfondir les relations franco-allemandes. Ainsi, M. Bernard Accoyer et son homologue président du Bundestag allemand, M. Norbert Lammert, se sont rencontrés à de nombreuses reprises. Les deux présidents ont mis en place, en septembre 2011, un groupe de travail parlementaire bilatéral sur la gouvernance de la zone euro (152). Ce groupe de travail, composé de députés français et allemands, se réunit régulièrement, à Berlin ou à Paris. Après la première réunion à Berlin, une seconde réunion a été organisée à Paris, vendredi 9 décembre 2011, sur les questions budgétaires, à la crise économique et financière ainsi qu’aux modalités d’association des parlements nationaux à la gouvernance économique européenne.

2. Mieux informer l’opinion publique

Les rapporteurs déplorent l’insuffisante communication faite autour de la stratégie Europe 2020, qui est occultée par les préoccupations relatives au respect du Pacte de stabilité. Les peuples et les citoyens doivent être mieux informés des enjeux de cet agenda pluriannuel.

L’implication accrue des parlements nationaux, soulignée précédemment, constitue une nécessité. De plus, il est essentiel que les gouvernements fassent mieux le lien entre les réformes éventuelles engagées et les prescriptions définies au titre de l’application d’Europe 2020.

Couplée avec le nécessaire recentrage d’Europe 2020 sur l’objectif consensuel de la construction d’une « économie de la connaissance », une telle démarche permettra de mieux éclairer l’opinion publique sur les enjeux de cette stratégie et leur articulation avec les politiques publiques nationales. La cohérence de l’action publique aux yeux des citoyens en sera accrue.

3. Associer davantage les citoyens européens aux décisions européennes qui les concernent

Dans un contexte où les compétences de l’Union européenne s’accroissent au rythme des conséquences des crises économiques et financières, cette implication accrue de l’opinion publique devrait aussi et surtout prendre la forme d’un mouvement ascendant, permettant que les décisions prises au plus haut niveau revêtent une légitimité accrue.

Pour le rapporteur M. Philippe Cochet, cette légitimité renforcée permettra à ces politiques, mieux acceptées par les opinions publiques, d’être mieux appliquées et plus efficaces.

Il importe donc d’exploiter toutes les possibilités permettant aux citoyens européens d’influer sur les décisions prises au niveau européen et qui les concernent. Mettre fin à l’isolement technocratique européen, tel que les rapporteurs ont pu le constater lors de leur déplacement à Bruxelles, constitue un impératif démocratique et une condition du succès d’une Europe au service des peuples.

RÉUNION DU CEC DU 16 FÉVRIER 2012 :
EXAMEN DU PROJET DE RAPPORT

M. Claude Goasguen, président. Pour cette dernière réunion de la législature, l’ordre du jour appelle la présentation du rapport sur l’évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne sur l’économie française. Je rappelle que ce sujet a été inscrit au programme des travaux du Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) au titre du « droit de tirage » annuel du groupe GDR.

Onze de nos collègues ont été désignés par les commissions des Affaires culturelles, des Affaires économiques, des Affaires sociales, du Développement durable, des Finances et des Affaires européennes pour participer au groupe de travail. Les deux rapporteurs sont M. Philippe Cochet, pour le groupe UMP, et M. Marc Dolez, pour le groupe GDR.

M. Marc Dolez, rapporteur. Dans l’esprit du groupe GDR, évaluer la Stratégie de Lisbonne définie par le Conseil européen de mars 2000 devait permettre d’identifier les facteurs économiques et institutionnels qui ont empêché d’atteindre les objectifs assignés à l’Union européenne pour la décennie 2000-2010 : à savoir, devenir une économie de la connaissance en consacrant 3 % de son PIB aux dépenses de recherche et développement, connaître une croissance de 3 % en moyenne de son PIB – cette croissance devant présenter un caractère durable –, et, enfin, viser une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et une plus grande cohésion sociale.

Cette évaluation nous semblait d’autant plus utile que le Conseil européen de juin 2010 a adopté pour la décennie en cours une nouvelle stratégie dénommée Europe 2020 sans avoir tiré les leçons de la précédente, et que le Programme national de réforme présenté par la France pour la période 2011-2014 s’inscrit dans ce nouveau cadre. En outre, les questions soulevées par ce bilan trouvent un écho dans la crise actuelle de la zone euro.

Le CEC ayant pour mission d’évaluer les politiques publiques menées à l’échelon national, il a été décidé de centrer notre travail sur les incidences qu’a eues la Stratégie de Lisbonne sur l’économie française – exercice non dénué de difficultés, certains de nos interlocuteurs jugeant même pratiquement irréalisable un bilan agrégé de la mise en œuvre de cette stratégie en France.

Si nous avons travaillé, Philippe Cochet et moi-même, en excellente entente, chacun présentera successivement son point de vue, tant il est vrai que, sur ce sujet, autant nous avons pu établir d’un commun accord un certain nombre de constats et de recommandations, autant nous avons constaté nos divergences sur plusieurs points – ce qui semble normal.

Notre rapport établit que les objectifs initiaux en matière de croissance économique, de recherche et développement et d’emploi n’ont pas été atteints. C’est pourquoi nous estimons que la Stratégie de Lisbonne s’est révélée décevante.

A-t-elle néanmoins exercé une influence sur les politiques publiques ? Nous sommes d’accord pour dire que l’appel en faveur de l’innovation et de l’économie de la connaissance a exercé une réelle influence sur les politiques nationales. En revanche, nous divergeons sur l’appréciation du virage de 2005, quand, après une première évaluation, la stratégie a subi un recentrage que je qualifie pour ma part de « dérive néolibérale ». D’ailleurs, les « réformes structurelles » n’ont pas fait l’objet d’un consensus parmi les opinions publiques et les forces politiques des États membres : que l’on se souvienne des débats qui ont émaillé la décennie, sur la directive « services », sur la libéralisation du marché de l’énergie, sur le recul de l’âge de la retraite ou sur la « flexisécurité »…

Pourquoi cette « absence de réussite » – j’aurais, pour ma part, volontiers parlé d’« échec », à l’instar de nombreux observateurs, mais nous nous sommes entendus pour utiliser cette périphrase – de la Stratégie de Lisbonne ? C’est dans la réponse à cette question que nos points de vue divergent le plus. En ce qui me concerne, plutôt que dans le mode de gouvernance, j’en chercherais les causes dans l’accent mis sur la concurrence au détriment de la convergence sociale, dans l’absence d’harmonisation fiscale, dans le recul de l’investissement public et dans le soutien budgétaire insuffisant aux filières industrielles. Je ne suis pas non plus d’accord avec l’idée selon laquelle les objectifs stratégiques de Lisbonne auraient dû être assortis de sanctions ; cela n’aurait pu, à mon sens, que promouvoir une gouvernance de l’Union toujours plus autoritaire et technocratique, au détriment de l’expression de la souveraineté populaire. J’ajoute que la Stratégie de Lisbonne n’a pas permis, hélas, l’émergence d’une authentique dynamique de coopération entre les États membres, ce qui a conduit à une coordination par la concurrence, qui prévaut dans la zone euro, en matière sociale et fiscale, depuis sa création. En outre, on a fait l’impasse sur la demande et sur la relance par la consommation intérieure, et l’on n’a envisagé la croissance économique que comme le produit de facteurs considérés comme « structurels ».

Un autre point important, qui fait également l’objet d’une divergence entre nous, est de savoir s’il n’existerait pas une contradiction entre les objectifs de la Stratégie de Lisbonne et la politique monétaire conduite dans la zone euro. Selon moi, le Pacte de stabilité et de croissance, depuis 1997, et, depuis l’an dernier, le « Pacte pour l’euro plus », ont eu pour conséquences de brider les investissements et les salaires, de maintenir un chômage de masse, et de constituer un frein à la croissance, en raison du caractère récessif des politiques d’austérité et de contraction de la demande.

Nos recommandations sont de deux ordres.

S’agissant du contenu d’Europe 2020 et de son financement, nous proposons de revenir à l’esprit originel de la Stratégie de Lisbonne, en engageant un effort sans précédent en faveur de l’économie de la connaissance et en affectant à cette ambition un nouveau financement, qui reposerait sur une taxation des transactions financières. Il s’agit en effet du volet le plus consensuel de la Stratégie de Lisbonne, qui a en outre le mérite d’aborder la question des investissements publics porteurs de croissance. La nouvelle ressource permettrait de financer des projets de recherche et de développement industriel, notamment des coopérations transfrontalières, tout en s’inscrivant parfaitement dans le Programme-cadre de recherche et développement pour les années 2014 à 2020, en cours d’élaboration.

Ensuite, nous appelons de nos vœux une appropriation démocratique des agendas européens pluriannuels de croissance, tant par le Parlement que par les citoyens. Il est tout à fait anormal que notre assemblée n’ait pas été officiellement appelée à débattre de la position de la France sur la stratégie Europe 2020 ; de même, le Programme national de réforme français pour la période 2011-2014 n’a fait l’objet d’aucune présentation formelle et exhaustive devant le Parlement, ni avant, ni après sa transmission à la Commission européenne. Quant aux citoyens, ils devraient être mieux informés des enjeux de ces agendas et pouvoir influer davantage sur les décisions prises au niveau européen.

Au terme de ce rapport, nous considérons comme un impératif démocratique, et une condition du succès d’une Europe au service des peuples, de mettre fin à « l’isolement technocratique européen » tel que nous avons pu le constater avec acuité lors de notre déplacement à Bruxelles.

M. Philippe Cochet, rapporteur. J’atteste que le résumé de Marc Dolez reflète bien notre démarche – même si, comme il l’a dit, sur le fond, nous ne partageons pas un certain nombre d’analyses.

Les pays européens s’étaient mis d’accord sur une déclaration de principes, comportant un certain nombre de proclamations généreuses et plutôt sympathiques. Or nous nous sommes aperçus, au cours des auditions, que les résultats concrets étaient rattachés à la Stratégie de Lisbonne uniquement lorsque les objectifs avaient été atteints ! En d’autres termes, il n’y a pas eu, de la part des États, appropriation directe d’une stratégie qui a, de surcroît, été progressivement complétée sans que l’on se soucie de son application effective. Il conviendrait que les Parlements nationaux disposent de points d’étape réguliers dans ces matières.

Nous avons par ailleurs pu constater que l’existence de la Stratégie de Lisbonne n’avait empêché personne de dormir ! Si certains partenaires, notamment les organisations syndicales, ont compris l’intérêt de la démarche, beaucoup d’acteurs institutionnels l’ont traitée de manière purement administrative. On a cependant tiré les leçons de cette expérience, et des éléments nouveaux ont été introduits dans la stratégie Europe 2020.

Un aspect positif fut d’obliger les États membres à travailler ensemble, mais jusqu’à un certain point seulement. Les élargissements successifs ont rendu l’exercice encore plus difficile.

En résumé, notre rapport montre les limites du fonctionnement actuel de l’Union européenne : on adopte des déclarations de principe sympathiques, mais dès qu’il s’agit de passer à la pratique, ça se complique ; et quand une crise survient, chacun se replie sur soi.

Néanmoins, la Stratégie de Lisbonne reste d’actualité, surtout vu la conjoncture actuelle : il est impératif d’engager des réformes structurelles pour que chaque État membre puisse en tirer bénéfice.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales. De fait, ce rapport est d’actualité ! Plutôt que de multiplier les propositions de loi qui compliquent la vie économique et sociale, il vaudrait mieux tirer les leçons de cette expérience ! Personnellement, j’ai cru à la Stratégie de Lisbonne. À l’époque, une majorité d’États étaient gouvernés au centre-gauche ; il faut prendre conscience que les problèmes actuels de désindustrialisation et de chômage ont leur source dans les choix stratégiques effectués en 2000-2002. Si nous avions appliqué alors les orientations de la Stratégie de Lisbonne, nous serions dans une situation différente ! Mais les uns se sont endormis sur les 35 heures quand les autres s’employaient à maîtriser leurs dépenses et adaptaient leur code du travail… Ce bilan mériterait par conséquent d’être débattu à l’Assemblée, afin que chacun sache ce qu’il ne faudrait plus faire !

M. Jean Mallot. En tant que vice-président du Comité, je tiens tout d’abord à souligner que ce rapport complète utilement les précédents rapports du CEC, organe encore jeune, mais dont les travaux commencent à être reconnus. Établis à chaque fois par deux rapporteurs, l’un appartenant à la majorité, l’autre à l’opposition – exercice auquel nous n’étions pas nécessairement habitués, mais dont l’intérêt s’avère indéniable –, ces rapports font la part entre le diagnostic partagé et les différences d’appréciation sur les leçons à en tirer, ce qui permet d’asseoir le débat politique sur de bonnes bases. C’est ainsi que nous avons produit des rapports sur de grandes questions transversales, comme le principe de précaution, des rapports qui font référence, sur la politique de la ville ou sur l’aménagement du territoire en milieu rural, des rapports d’évaluation de politiques publiques, comme celui sur les autorités administratives indépendantes ou celui sur les dispositifs de défiscalisation des heures supplémentaires, et des rapports de portée européenne, comme le rapport sur la performance des politiques sociales en Europe ou le présent rapport. Il serait d’ailleurs opportun que celui-ci donne lieu à un débat dans l’hémicycle, ou à tout le moins en commission : puisque la principale critique qui y est formulée est que personne ne s’est approprié la Stratégie de Lisbonne, il ne serait pas mauvais que l’Assemblée donne l’exemple de l’effort à mener !

Cette stratégie était au départ une démarche extrêmement technocratique : rien que pour expliquer ses objectifs – l’emploi, la cohésion sociale et l’économie de la connaissance –, il faudrait faire appel à une douzaine d’universitaires ! Alors, quand j’entends Pierre Méhaignerie embrayer tout de suite sur les 35 heures, je trouve cela un peu court – d’autant plus qu’on pourrait lui rétorquer qu’en Allemagne, où la durée du travail est plus faible, le chômage est moins élevé qu’en France. Il me semble que ce débat mérite mieux.

Il faut puiser dans ce rapport de quoi avancer. Aujourd’hui, avec la crise de la dette et la crise de l’euro, on bute sur la question de la « gouvernance » européenne, sur le fait que le gouvernement économique européen, que chacun appelait de ses vœux au moment de la création de l’euro, n’a pas été mis en place : il n’existe qu’une fausse banque centrale, qui ne joue pas son rôle. Comme le souligne le rapport, il convient de doter l’Europe d’un organe politique à la hauteur des transferts de compétences qui ont été réalisés, notamment en matière économique et monétaire.

Le rapport recommande en outre de favoriser l’appropriation institutionnelle et politique de la Stratégie de Lisbonne ; il prévoit à cette fin un financement nouveau, reposant sur une taxe sur les transactions financières.

C’est un début. Si l’on veut des résultats, il faudra une volonté politique, des institutions et des ressources ; s’il n’en est pas ainsi, on en restera au constat dressé par le présent rapport : quelles que soient les arguties sémantiques, la Stratégie de Lisbonne n’est pas une réussite, c’est même un échec !

M. Pierre Lequiller, président de la commission des Affaires européennes. Je souscris à l’analyse des deux rapporteurs en ce qui concerne l’appréciation de la stratégie de Lisbonne. Diplomatiquement, dans les milieux européens, on parle d’« absence de réussite », mais il s’agit bien d’un échec – pour les raisons que vous évoquez : profusion d’indicateurs et de cibles, faiblesse de la gouvernance de l’exercice, dépourvue de dispositif d’incitations-sanctions, déficit d’appropriation par les États membres.

Il conviendrait de poursuivre l’analyse sur la stratégie Europe 2020. Certes, celle-ci marque une amélioration, on a réduit le nombre des indicateurs et des cibles, mais cela reste insuffisant. Les critères de stabilité sont assortis d’un système de sanctions quasi automatiques ; ce n’est pas le cas d’Europe 2020. On peut toujours donner aux États membres des objectifs chiffrés : si l’on ne prévoit pas un mécanisme, soit d’incitation, soit de sanction, rien ne garantit que les États les respecteront !

Je crois par ailleurs qu’il convient de donner une nouvelle impulsion à la recherche et à l’innovation européennes. Les nouvelles priorités du paquet législatif, proposé par la Commission européenne, sont de ce point de vue de bon augure. La Commission des affaires européennes en a débattu la semaine dernière ; nous comptons suivre de très près ce dossier lors de la prochaine législature. Les enjeux sont énormes, notamment en raison de la concurrence des pays émergents ; il faut impérativement que l’Europe rejoigne le niveau des États-Unis d’Amérique en matière de recherche et de compétitivité.

Dans votre rapport, vous citez – et je vous en remercie – les différents travaux menés sur la Stratégie de Lisbonne par la délégation puis la commission des Affaires européennes, notamment le rapport de Michel Delebarre et Daniel Garrigue, qui concluait déjà, en 2005, à « l’échec » de cette stratégie. Vous évoquez également ma proposition de constitution d’une conférence permanente destinée à doter la gouvernance économique européenne d’un pilier interparlementaire. Il s’agit d’un enjeu capital, car nous ne pouvons pas continuer à construire l’Europe, notamment en matière budgétaire et économique, sans une profonde réforme des relations entre les parlements nationaux et les institutions européennes. Il convient d’instaurer une coopération renforcée entre le Parlement européen et les parlements nationaux ; en outre, à partir du moment où l’on décide de partager la souveraineté budgétaire, à travers le « semestre européen », il est impératif que cela se traduise par une structure de coopération entre les parlements nationaux. C’est pourquoi, avec le président Accoyer, nous avons fait introduire dans le projet de traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, la constitution d’une telle conférence, à qui il reviendra de discuter de la coopération économique et budgétaire, mais aussi d’analyser l’échec de la stratégie de Lisbonne et la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020. Il reste à en préciser la composition.

Pour terminer, je voudrais signaler que la Commission des affaires européennes a procédé hier à l’audition de MM. Michel Heinrich et Régis Juanico sur le rapport qu’ils ont remis au nom du CEC sur l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe. Je serais désireux d’auditionner également MM. Cochet et Dolez sur le présent rapport, qui est particulièrement instructif, si le calendrier le permet.

M. Olivier Carré, suppléant le président du groupe UMP. Ce rapport est éminemment d’actualité. On ne peut pas examiner la situation des pays que les marchés surveillent actuellement d’un œil critique – en gros, les pays d’Europe du sud – sans s’interroger sur la valeur des politiques menées depuis une dizaine d’années, qui, à coups de fonds structurels, devaient rétablir les grands équilibres et favoriser la convergence avec les pays d’Europe du nord. On ne peut pas non plus nier le fait qu’au-delà des aspects strictement financiers de la crise, l’Eurogroupe, le Parlement européen et la Commission européenne ont failli à certaines de leurs missions ; les indicateurs auraient dû les alerter, non sur ce qui est constaté depuis six mois ou un an, mais sur le fait qu’au rebours de ce que prévoyaient les traités, plus l’Europe agissait, plus les divergences se creusaient.

Je souscris à l’opinion de Philippe Cochet sur les intentions « sympathiques ». Derrière, se cache un enjeu de taille, qui a été un peu oublié : le principe de subsidiarité. J’ai voté pour la première fois à l’occasion de la première élection au suffrage universel des membres du Parlement européen, en 1979 ; j’avais alors 19 ans, et il me paraissait évident qu’un jour, une institution représenterait les peuples européens et prendrait des décisions claires, par substitution, dans les domaines où les nations lui auraient conféré du pouvoir. C’était perçu à l’époque comme une réponse à l’émergence de grands blocs à l’échelle mondiale. Pourtant, aujourd’hui, on en est bien loin ! Le principe de subsidiarité a permis à nombre d’États de se décharger de leurs responsabilités sur les instances communautaires, éloignées des peuples. Or, quand on discute avec nos partenaires, la question de la subsidiarité revient à chaque fois : celui qui doit décider en dernier ressort, c’est le parlement national. Il faut donc que les parlements nationaux reviennent dans le jeu, parce que le dispositif imaginé à l’époque de la rédaction du traité de Lisbonne se révèle défaillant. Il s’agit d’une question d’organisation institutionnelle fondamentale.

Je terminerai par une réflexion sur la recherche de financements innovants. Si, pour financer de nouveaux investissements, on décide d’émettre des euro-obligations ou, du moins, d’ouvrir une nouvelle capacité d’emprunt, on risque de se trouver dans une situation comparable à celle que nous avons connue, en France, lorsque les intercommunalités ont été créées : un nouveau passif avait été ouvert, qui avait permis aux communes parties prenantes de financer des investissements importants sans que cela pèse sur leurs propres comptes. La même chose est en train de se produire aujourd’hui, à l’échelon européen.

Il convient donc de prévoir l’inscription, en regard, d’un actif ; un financement nouveau comme une taxe sur les transactions financières peut de ce point de vue être utile. Toutefois, on risque d’éluder ainsi la question de fond, à savoir celle de la subsidiarité, en ouvrant de nouvelles capacités d’action sans s’interroger sur la légitimité de cette action. D’où l’importance de ce rapport, qui interroge les mécanismes actuels de gouvernance – sujet qui, loin d’être ésotérique, me semble très concret ; en dépit des difficultés de mise en œuvre, il faut absolument que, d’ici à cinq ans, on ait fait quelque chose au moins sur le plan budgétaire et économique.

Quoi qu’il en soit, ce rapport nous incite à l’humilité et à réexaminer sans concessions la manière dont ont été conçues depuis vingt ans les relations entre l’Union européenne et les États membres.

M. Serge Poignant, président de la commission des Affaires économiques. Il convient effectivement d’examiner ce rapport dans ce qu’il a de consensuel, dans la mesure où, la Stratégie de Lisbonne visant à ce que l’Union européenne et les États membres profitent au mieux de la libéralisation des marchés, on ne peut aboutir aux mêmes constats selon qu’on est pour ou contre le libéralisme !

La Stratégie de Lisbonne a peut-être échoué pour des raisons de gouvernance, d’appropriation insuffisante, d’absence de cohésion sociale et d’harmonisation fiscale, mais quid de la crise, qui a sans doute été aussi pour beaucoup dans cet échec ? L’élargissement de l’Union européenne n’a-t-il pas été un autre frein ?

Il fut un temps où l’on pensait que la priorité était de construire un marché unique, afin que l’Europe puisse, de l’intérieur, développer son économie, avec une politique énergétique et une politique industrielle communes. Cela a échoué : dans un premier temps, on a commencé par vouloir restreindre la politique énergétique commune aux États membres de l’espace Schengen ; ensuite est arrivée la crise. Parallèlement, l’idée s’est développée que l’Europe ne pouvait se réduire à cela, et que le libéralisme devait aller de pair avec une certaine régulation. Aujourd’hui, tout le monde dans l’Union, ou presque, est sur la même longueur d’onde. Mais il faut aussi se situer par rapport au reste du monde, en particulier par rapport aux pays émergents, et faire évoluer en conséquence notre stratégie pour 2020, sans se limiter à l’analyse de tel ou tel échec.

Je suis évidemment favorable à une association plus étroite entre l’Europe et les parlements nationaux. Même s’il est difficile d’adopter une stratégie commune à vingt-sept, on peut être d’accord sur les bases. Or, s’il est un domaine où l’on ne met pas tous nos atouts dans notre jeu, c’est bien la recherche. Il importe donc de nous dégager de toute considération politique et de transcender les clivages actuels pour mettre en commun les immenses ressources dont nous disposons à l’échelon européen.

M. Pierre Lequiller. Je souscris aux propos qui viennent d’être tenus. Je ne crois pas que l’échec de la Stratégie de Lisbonne soit imputable à je ne sais quelle idéologie libérale ou au libéral que serait le président de la Commission européenne. Je regrette, quant à moi, plutôt un manque d’interventionnisme et des indications trop floues de la part de cette dernière.

M. Pierre Méhaignerie. Le social-libéral que je suis ne peut que rappeler qu’il était question de débureaucratiser et d’alléger les procédures complexes et nombreuses entravant la créativité et l’initiative, mais que les progrès attendus n’ont guère été au rendez-vous, y compris de notre part.

M. Jean Mallot. Interventionnisme, libéralisme, débureaucratisation… Ne mélangeons pas trop de choses !

Au fond, c’est la question du fédéralisme qui est posée. Alors que des compétences avaient été transférées, la Stratégie de Lisbonne traçait des orientations sans qu’on ne dispose des outils politiques et budgétaires nécessaires. Il faut être cohérent : dès lors que des compétences sont transférées, à quelque niveau que ce soit, il faut organiser la décision politique en conséquence et se doter des moyens financiers adéquats. En la matière, le problème n’est pas celui de la débureaucratisation ou de la bureaucratisation : un libéral peut fort bien bureaucratiser et un centralisateur débureaucratiser.

M. Marc Dolez, rapporteur. Le rapport est très clair : avant même le début de la crise de 2008, de nombreuses indications montraient que les objectifs fixés en 2000 ne pourraient pas être atteints en 2010.

En revanche, il est vrai que nous n’évoquons guère la question de l’élargissement mais, si elle se fait jour, c’est que ce dernier s’est produit avant que l’intégration ne soit effective – d’où les importantes disparités sociales et fiscales que nous connaissons.

Le rapport, tout le rapport, rien que le rapport ! M. Cochet et moi-même vous soumettons un certain nombre de constats partagés et deux recommandations – qu’elles soient à la fois limitées et communes ne leur donne que plus de force. Le débat demeure en revanche ouvert quant aux raisons de l’échec ou de l’insuccès de la Stratégie. Nous sommes d’accord sur certaines causes, en désaccord sur d’autres, mais je prie le président Pierre Lequiller de ne pas voir dans notre rapport un plaidoyer pour un mécanisme de sanctions ou pour des atteintes à la souveraineté budgétaire de la France. En ce qui me concerne, je récuse une telle perspective, de même, d’ailleurs, que celle du fédéralisme. Il ne faut pas « tirer » le rapport dans un sens que nous ne lui avons pas donné.

M. Philippe Cochet, rapporteur. Les échanges que nous venons d’avoir témoignent de l’intérêt d’une structure comme le CEC et de la nécessité qu’il y a, pour les parlements nationaux, à mieux se saisir de l’idée européenne. M. Marc Dolez et moi-même avons constaté que la technostructure peut très bien se passer de ces parlements – si une ambiguïté subsistait à ce propos, nous l’avons levée ! Il n’est donc que plus important de poursuivre ce travail sous la prochaine législature et, comme le président Pierre Lequiller, je souhaite que l’Assemblée s’approprie ces sujets en utilisant au mieux ce Comité.

M. Claude Goasguen, président. Je ne constate donc aucune opposition à la publication du rapport.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport sur l’évaluation des incidences de la stratégie de Lisbonne sur l’économie française.

Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

ANNEXE N° 1
AUDITIONS ET DÉPLACEMENT

Auditions du groupe de travail :

— Mme Anne-Laure de Coincy, secrétaire générale adjointe du Secrétariat général des affaires européennes (27 septembre 2011).

— M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique (4 octobre 2011).

— M. Yves Bertoncini, secrétaire général de l’association « Notre Europe » (18 octobre 2011).

— M. Jacques Sapir, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) (18 octobre 2011).

— M. Philippe Gudin de Vallerin, chef du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes de la direction générale du Trésor, au ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie (10 novembre 2011).

— M. Alain Schmitt, chef du service de la compétitivité et du développement des PME de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, au ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie (10 novembre 2011).

— M. Éric Dubois, directeur des études et synthèses économiques, et de Mme Corinne Prost, chef de la division emploi du département de l’emploi et des revenus d’activité de la direction générale, Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (22 novembre 2011).

— M. Antoine Magnier, directeur de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), ministère du Travail, de l’emploi et de la santé, accompagné de M. Guillaume Delautre, chargé d’études sur les questions internationales, ministère du Travail, de l’emploi et de la santé (22 novembre 2011).

— M. Yves Veyrier, président de la section des affaires européennes et internationales du CESE, accompagné de M. Hugues Martin, président de la section de l’économie et des finances, de Mme Monique Alleron, administratrice de la section de l’économie et des finances et de M. Damien Lanel, administrateur-adjoint à la section des affaires européennes et internationales (29 novembre 2011).

— M. Marcel Grignard, secrétaire général adjoint chargé des affaires internationales et économiques de la CFDT, membre titulaire du CDSEI (6 décembre 2011).

— M. Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l’Office français des conjonctures économiques (OFCE) (6 décembre 2011).

— Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), chargée des affaires sociales (13 décembre 2011).

— M. Christophe Lefevre, membre du comité exécutif de la CFE-CGC, membre titulaire du CDSE (20 décembre 2011).

— M. Ronan Stéphan, directeur général de la recherche et de l’innovation au ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur.

Autres travaux :

— Entretien des rapporteurs avec M. Pierre Lequiller, président de la commission des Affaires européennes (4 octobre 2011).

— Lors d’un déplacement à Bruxelles (14 décembre 2011), entretiens avec :

– Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne : M. Benoît de La Chapelle Bizot, ministre conseiller pour les affaires européennes, chef du service des affaires économiques et monétaires et conseiller en charge de la concurrence et des aides d’État.

– Commission européenne :

Mme Laurence de Richemont et M. Jakub Koniecki, cabinet de M. José Barroso, Président de la Commission européenne ;

M. Michel Servoz, secrétaire général adjoint.

– Institut européen Bruegel :

Dr. Guntram Wolff, directeur adjoint ;

Mme Benedicta Marzinetto, chercheuse.

ANNEXE N° 2
LES 14 INDICATEURS STRUCTURELS
DE LA « LISTE RESTREINTE » ADOPTÉE EN 2003

1. PIB par habitant

2. Productivité du travail

3. Taux d’emploi

4. Taux d’emploi des travailleurs âgés

5. Dépenses en ressources humaines (dépenses publiques en éducation)

6. Dépenses de R&D

7. Dépenses consacrées aux technologies de l’information

8. Intégration des marchés financiers (convergence des taux sur les prêts bancaires)

9. Part de la population à risque de pauvreté

10. Chômage de longue durée

11. Dispersion des taux d’emploi régionaux

12. Émissions de gaz à effet de serre

13. Intensité énergétique de l’économie

14. Volumes transportés

Source : Communication de la Commission - Indicateurs structurels COM/2003/0585 final.

ANNEXE N° 3
SUIVI DES OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE

1.  TAUX DE CROISSANCE

(en %)

 

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

France

0,2

0,2

1,8

1,1

1,8

1,7

-0,6

-3,3

0,9

1,0

Allemagne

-0,2

-0,4

1,2

0,7

3,8

3,4

1,3

-4,8

3,8

2,9

UE-27

1,1

1,0

2,1

1,5

2,9

2,7

-0,1

-4,6

1,7

1,3

Source : Eurostat.

2.  DÉPENSES DE R&D EN % DU PIB

(en %)

 

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

France

2,15

2,2

2,24

2,18

2,16

2,11

2,11

2,08

2,12

2,26

2,26

Allemagne

2,47

2,47

2,5

2,54

2,5

2,51

2,54

2,53

2,69

2,82

2,82

UE-27

1,86

1,87

1,88

1,87

1,83

1,83

1,85

1,85

1,92

2,01

2

Source : Eurostat.

3.  TAUX D’EMPLOI 16-64 ANS

(en %)

 

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

France

67,8

68,5

68,7

69,7

69,5

69,4

69,3

69,8

70,4

69,4

69,1

Allemagne

68,8

69,1

68,8

68,4

68,8

69,4

71,1

72,9

74,0

74,2

74,9

UE-27

66,6

66,9

66,7

67,0

67,4

68,0

69,0

69,9

70,3

69,0

68,6

Source : Eurostat.

ANNEXE N° 4
LES 24 LIGNES DIRECTRICES INTÉGRÉES (LDI) POUR LA CROISSANCE ET L’EMPLOI (2005-2008)

Six lignes directrices macroéconomiques

(1)  Assurer la stabilité économique en vue d’une croissance durable ;

(2)  Assurer la viabilité de la situation économique et budgétaire ;

(3)  Favoriser une affectation efficace des ressources axée sur la croissance et l’emploi ;

(4)  Veiller à ce que l’évolution des salaires contribue à la stabilité économique ;

(5)  Favoriser une plus grande cohérence des politiques macro-économiques, structurelles et de l’emploi ;

(6)  Contribuer au dynamisme et au bon fonctionnement de l’UEM.

Dix lignes directrices microéconomiques

(7)  Accroître et améliorer l’investissement dans la recherche et le développement, notamment de la part des entreprises ;

(8)  Faciliter l’innovation sous toutes ses formes ;

(9)  Faciliter la diffusion et l’utilisation effective des technologies de l’information et de la communication (TIC) et créer une société de l’information pleinement inclusive ;

(10)  Renforcer les avantages compétitifs de la base industrielle européenne ;

(11)  Encourager l’utilisation durable des ressources et renforcer la protection de l’environnement ;

(12)  Développer et approfondir le marché intérieur ;

(13)  Assurer l’ouverture et la compétitivité des marchés pour faire face à la mondialisation ;

(14)  Rendre l’environnement des entreprises plus concurrentiel ;

(15)  Encourager l’esprit d’entreprise et créer un environnement favorable aux PME ;

(16)  Améliorer les infrastructures européennes.

Sept lignes directrices pour l’emploi

(17)  Appliquer des politiques de l’emploi visant à atteindre le plein-emploi, à améliorer la qualité et la productivité du travail et à renforcer la cohésion sociale et territoriale ;

(18)  Favoriser une approche fondée sur le cycle de vie à l’égard du travail ;

(19)  Assurer des marchés du travail qui favorisent l’insertion, renforcer l’attrait des emplois et rendre le travail financièrement attrayant pour les demandeurs d’emploi, y compris les personnes défavorisées et les personnes inactives ;

(20)  Améliorer la réponse aux besoins du marché du travail ;

(21)  Favoriser la flexibilité en la conciliant avec la sécurité de l’emploi et réduire la segmentation du marché du travail, en tenant dûment compte du rôle des partenaires sociaux ;

(22)  Assurer une évolution des coûts du travail et instaurer des mécanismes de fixation des salaires qui soient favorables à l’emploi ;

(23)  Accroître et améliorer l’investissement dans le capital humain ;

(24)  Adapter les systèmes d’éducation et de formation aux nouveaux besoins en matière de compétences.

ANNEXE N° 5
EUROPE 2020 : LES DIX LIGNES DIRECTRICES INTÉGRÉES (LDI)

Grandes orientations de politique économique

Recommandation du Conseil du 13 juillet 2010 relative aux grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l’Union

1. Garantir la qualité et la viabilité des finances publique.

2. Résorber les déséquilibres macroéconomiques.

3. Réduire les déséquilibres dans la zone euro.

4. Optimiser le soutien à la recherche et au développement et à l’innovation, renforcer le triangle de la connaissance et libérer le potentiel de l’économie numérique.

5. Favoriser une utilisation plus efficace des ressources et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

6. Améliorer l’environnement des entreprises et des consommateurs et moderniser la base industrielle afin d’assurer le plein fonctionnement du marché intérieur.

Lignes directrices pour l’emploi

Décision du Conseil du 21 octobre 2010 relative aux lignes directrices pour les politiques de l’emploi des États membres

7. Accroître la participation des femmes et des hommes au marché du travail, diminuer le chômage structurel et promouvoir la qualité de l’emploi.

8. Développer une main-d’œuvre qualifiée en mesure de répondre aux besoins du marché du travail et promouvoir l’éducation et la formation tout au long de la vie.

9. Améliorer la qualité des systèmes d’éducation et de formation et les rendre plus performants à tous les niveaux, et augmenter la participation à l’enseignement supérieur ou d’un niveau équivalent.

10. Promouvoir l’inclusion sociale et lutter contre la pauvreté.

ANNEXE N° 6
CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN DU 17 JUIN 2010

Nouvelle stratégie européenne pour l’emploi et la croissance

Grands objectifs de l’Union européenne

– S’employer à porter à 75 % le taux d’emploi des femmes et des hommes âgés de 20 à 64 ans, notamment grâce à une plus grande participation des jeunes, des travailleurs âgés et des travailleurs peu qualifiés, ainsi qu’à une meilleure intégration des migrants légaux ;

– améliorer les conditions de la recherche et développement (R&D), afin en particulier de porter à 3 % du PIB le niveau cumulé des investissements publics et privés dans ce secteur; la Commission élaborera un indicateur portant sur l’intensité de la R&D et de l’innovation ;

– réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport aux niveaux de 1990; faire passer à 20 % la part des sources d’énergie renouvelable dans notre consommation finale d’énergie; et s’acheminer vers une augmentation de 20 % de notre efficacité énergétique; l’UE est résolue à adopter une décision visant à porter à 30 % la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990, à titre d’offre conditionnelle en vue d’un accord mondial global pour l’après-2012, pour autant que d’autres pays développés s’engagent à atteindre des réductions d’émissions comparables et que les pays en développement apportent une contribution adaptée à leurs responsabilités et à leurs capacités respectives ;

– améliorer les niveaux d’éducation, en particulier en s’attachant à réduire le taux de décrochage scolaire à moins de 10 % et en portant à 40 % au moins la proportion de personnes âgées de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ou atteint un niveau d’études équivalent ;

– favoriser l’inclusion sociale, en particulier en réduisant la pauvreté, en s’attachant à ce que 20 millions de personnes au moins cessent d’être confrontées au risque de pauvreté et d’exclusion.

ANNEXE N° 7
ARTICLES DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT
DE L’UNION EUROPÉENNE

Article 121

(ex-article 99 TCE)

1. Les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil, conformément à l’article 120.

2. Le Conseil, sur recommandation de la Commission, élabore un projet pour les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l’Union et en fait rapport au Conseil européen.

Le Conseil européen, sur la base du rapport du Conseil, débat d’une conclusion sur les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l’Union.

Sur la base de cette conclusion, le Conseil adopte une recommandation fixant ces grandes orientations.

Le Conseil informe le Parlement européen de sa recommandation.

3. Afin d’assurer une coordination plus étroite des politiques économiques et une convergence soutenue des performances économiques des États membres, le Conseil, sur la base de rapports présentés par la Commission, surveille l’évolution économique dans chacun des États membres et dans l’Union, ainsi que la conformité des politiques économiques avec les grandes orientations visées au paragraphe 2, et procède régulièrement à une évaluation d’ensemble.

Pour les besoins de cette surveillance multilatérale, les États membres transmettent à la Commission des informations sur les mesures importantes qu’ils ont prises dans le domaine de leur politique économique et toute autre information qu’ils jugent nécessaire.

4. Lorsqu’il est constaté, dans le cadre de la procédure visée au paragraphe 3, que les politiques économiques d’un État membre ne sont pas conformes aux grandes orientations visées au paragraphe 2 ou qu’elles risquent de compromettre le bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire, la Commission peut adresser un avertissement à l’État membre concerné. Le Conseil, sur recommandation de la Commission, peut adresser les recommandations nécessaires à l’État membre concerné. Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider de rendre publiques ses recommandations.

Dans le cadre du présent paragraphe, le Conseil statue sans tenir compte du vote du membre du Conseil représentant l’État membre concerné.

La majorité qualifiée des autres membres du Conseil se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point a).

5. Le président du Conseil et la Commission font rapport au Parlement européen sur les résultats de la surveillance multilatérale. Le président du Conseil peut être invité à se présenter devant la commission compétente du Parlement européen si le Conseil a rendu publiques ses recommandations.

6. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent arrêter les modalités de la procédure de surveillance multilatérale visée aux paragraphes 3 et 4.

Article 148

(ex-article 128 TCE)

1. Le Conseil européen examine, chaque année, la situation de l’emploi dans l’Union et adopte des conclusions à ce sujet, sur la base d’un rapport annuel conjoint du Conseil et de la Commission.

2. Sur la base des conclusions du Conseil européen, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, du Comité économique et social, du Comité des régions et du Comité de l’emploi visé à l’article 150, élabore chaque année des lignes directrices, dont les États membres tiennent compte dans leurs politiques de l’emploi. Ces lignes directrices sont compatibles avec les grandes orientations adoptées en application de l’article 121, paragraphe 2.

3. Chaque État membre transmet au Conseil et à la Commission un rapport annuel sur les principales mesures qu’il a prises pour mettre en oeuvre sa politique de l’emploi, à la lumière des lignes directrices pour l’emploi visées au paragraphe 2.

4. Sur la base des rapports visés au paragraphe 3 et après avoir obtenu l’avis du Comité de l’emploi, le Conseil procède annuellement, à la lumière des lignes directrices pour l’emploi, à un examen de la mise en oeuvre des politiques de l’emploi des États membres. Le Conseil, sur recommandation de la Commission, peut, s’il le juge approprié à la suite de son examen, adresser des recommandations aux États membres.

5. Sur la base des résultats de cet examen, le Conseil et la Commission adressent un rapport annuel conjoint au Conseil européen concernant la situation de l’emploi dans l’Union et la mise en œuvre des lignes directrices pour l’emploi.

1 () « (…) Chaque groupe peut obtenir de droit, une fois par session ordinaire, qu’un rapport d’évaluation, entrant dans le champ de compétence du comité (…) soit réalisé. »

2 ()  Également dénommée « Agenda de Lisbonne », la Stratégie de Lisbonne ne doit pas être confondue avec le « Traité de Lisbonne », traité signé le 13 décembre 2007 par les vingt-sept États membres de l’Union et qui procède à une refonte significative du fonctionnement et des institutions de l’Union. Le traité est entré en vigueur en décembre 2009.

3 ()  Texte des conclusions du Conseil européen de Lisbonne tenu en mars 2000.

4 ()  Affaires culturelles, Affaires économiques, Affaires sociales, Développement durable, Finances et Affaires européennes.

5 ()  Affaires culturelles : MM. Frédéric Reiss (UMP) et Jean-Luc Pérat (SRC) ; Affaires économiques : Mmes Geneviève Fioraso (SRC) et Anne Grommerch (UMP) ; Affaires sociales : M. Christophe Sirugue (SRC) ; Développement durable : MM. Michel Havard (UMP) et Philippe Duron (SRC) ; Finances : MM. Michel Diefenbacher (UMP) et Jean-Claude Sandrier (GDR) ; Affaires européennes : MM. Philippe Cochet (UMP) et Marc Dolez (GDR).

6 ()  Rapport dinformation (n° 4098) déposé au nom du CEC sur lévaluation des politiques sociales en Europe et présenté par MM. Michel Heinrich et Régis Juanico.

7 ()  Le communiqué de l’agence de notation Standard & Poor’s du 13 janvier 2012 « Standard & Poor’s takes various rating actions on 16 Eurozone Sovereign Governments » mentionne bien, parmi les problèmes ayant conduit à la dégradation des notes de certains États, l’incapacité des gouvernements à traiter du problème de l’insuffisance de la croissance en Europe.

8 () La liste des personnalités entendues figure en annexe au présent rapport.

9 ()  En cas d’impossibilité d’audition, un questionnaire a été transmis aux organisations concernées. Ont transmis une réponse : CGT, CGT – FO, FNSEA, UNAPL et UPA.

10 ()  Sauf indication contraire, le terme « Europe » désignera dans la suite de ce document l’entité politique et juridique « Union européenne ».

11 ()  Rapport de la mission « L’Europe dans la mondialisation » présidée par M. Laurent Cohen-Tanugi : « Une stratégie européenne dans la mondialisation : Europe 2015 ».

12 ()  Comme le précise son site internet, « le Conseil européen a été créé en 1974 avec l’intention d’établir une enceinte informelle de discussion entre chefs d’État ou de gouvernement. Il s’est rapidement mué en un organe fixant les objectifs de l’Union et traçant la voie pour les réaliser, dans tout les domaines d’action de l’UE. Il a acquis un statut officiel avec le traité de Maastricht de 1992 qui lui attribuait pour fonction de donner les impulsions et de définir les orientations politiques générales nécessaires au développement de l’Union. » Il ne doit pas être confondu avec une autre formation, le Conseil de l’Union européenne (dénommé « Conseil »), qui est l’organe législatif de l’Union (pour un large éventail de compétences communautaires, il exerce ce pouvoir législatif en codécision avec le Parlement européen).

13 ()  Extrait des « Conclusions de la présidence ».

14 () « Nouvelles technologies de l’information et de la communication ».

15 ()  L’échéance de la réalisation de ces objectifs n’apparaît pas de manière globale dans le texte des conclusions de la Présidence. Dans ce texte, l’échéance de 2010 apparaît de manière ponctuelle à propos des objectifs de taux d’emploi de réduction de l’échec scolaire (cf. infra). Le taux d’intensité de recherche et développement à atteindre en 2010 (3 % du PIB) sera fixé en 2002 à Barcelone.

16 ()  Cette dénomination, qui englobe l’« objectif stratégique », sera usitée après 2000 et deviendra officiellement le nom de cette stratégie.

17 ()  « La Stratégie de Lisbonne engluée dans la tactique de Bruxelles », Lettre de l’OFCE, n° 259, 23 mars 2005, MM. Jacques Le Cacheux, Jérôme Creel et Eloi Laurent.

18 ()  « Euromonde 2015 : une stratégie européenne pour la mondialisation - Rapport final », 2008.

19 ()  Compte rendu de la réunion de la Délégation pour l’Union européenne du mercredi 26 mars 2008.

20 () Représentants des employeurs, des salaries, organisations professionnelles, associations …

21 ()  « What’s wrong with Lisbon », juillet 2005, M. Jean Pisani-Ferry : “ It is hard to challenge the Lisbon goals. In fact they command virtually universal support. Governments are committed to them. The European Parliament supports them quasi-unanimously. Both the employers federation, UNICE and the European Trade Unions Congress, ETUC, strongly endorse them. ” (traduction : « Il est difficile d’aller contre les objectifs de Lisbonne. En fait, ils obtiennent virtuellement un soutien universel. Les gouvernements s’y sont engagés. Le Parlement européen les soutient à la quasi-unanimité. Les syndicats d’employeurs et de salariés les ont fortement repris.)

22 ()  Selon certaines interprétations, sur les 15 membres de l’Union européennes, 13 gouvernements étaient plutôt classés « à gauche ».

23 ()  Entre autres objectifs : accroître chaque année substantiellement l’investissement par habitant dans les ressources humaines, réduire de moitié en 2010 le nombre des personnes de 18 à 24 ans n’ayant accompli que le premier cycle de l’enseignement secondaire et qui ne poursuivent pas leurs études ou leur formation, adopter un cadre européen définissant les nouvelles compétences de base, accroître la mobilité des étudiants, des enseignants, des formateurs et des chercheurs…

24 ()  Sous l’angle des conditions de travail, de la santé, de la sécurité, de la rémunération, de l’égalité homme/femme…

25 ()  Selon la définition de l’Insee, le taux d’emploi d’une classe d’individus est calculé en rapportant le nombre d’individus de la classe ayant un emploi au nombre total d’individus dans la classe. Il peut être calculé sur l’ensemble de la population d’un pays, mais on se limite le plus souvent à la population en âge de travailler.

26 ()  Le texte ne comporte pas d’indication sur la nature de l’activité (à temps complet ou à temps partiel).

27 ()  Cette expression ne préjuge pas de leur efficacité.

28 ()  La théorie de la croissance endogène a pour objet d’expliquer la croissance économique à partir de processus et de décisions microéconomiques. Elle est apparue en réponse aux modèles de croissance exogène, en particulier le modèle de Solow, qui fondait la croissance économique sur le progrès technologique, mais n’expliquait pas l’origine de ce progrès.

29 () « Relever le défi : la Stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi », rapport du groupe de haut niveau présidé par M. Wim Kok, novembre 2004.

30 ()  Cf. notamment « What’s wrong with Lisbon », M. Jean Pisani-Ferry, juillet 2005.

31 ()  http://www.bruegel.org/publications/publication-detail/publication/29-last-exit-to-lisbon/.

32 ()  Cette dernière organisation publie chaque année, depuis 2005, un rapport intitulé « Objectif croissance », qui fait le point sur les réformes structurelles menées dans chaque pays : « Grâce à l’ensemble d’indicateurs internationalement publiés dans la revue, les pays peuvent évaluer leur performance économique et leurs politiques structurelles dans un large éventail de domaines » indique le site Internet de l’OCDE.

33 ()  Conclusions de la présidence du Conseil européen de mars 2000.

34 ()  Rapport de la mission présidée par M. André Sapir intitulé « An agenda for a growing Europe / Making the EU economic system deliver », cf. infra.

35 ()  On peut aussi citer le « processus de Bologne » visant à créer un espace européen d’enseignement supérieur.

36 ()  Le processus est encore en vigueur : cf. http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=101&langId=fr.

37 ()  Conseil pour les affaires économiques et financières, rassemblant les ministres chargés des finances et de l’économie des États membres (ainsi que, le cas échéant, les ministres chargés des affaires budgétaires).

38 ()  « Il n’est nul besoin de nouveaux processus », comme le notent les conclusions du sommet de Lisbonne.

39 ()  Cf. notamment « Stratégie de Lisbonne : les promesses sociales non tenues » par M. Jean-Claude Barbier, in « Documents de travail du Centre d’Économie de la Sorbonne » (mars 2010).

40 ()  Cette division en Lisbonne I, II et III ne présente aucun caractère officiel.

41 ()  Avec un objectif supplémentaire : les deux tiers de l’augmentation de l’investissement nécessaire pour atteindre le niveau de 3 % doivent être financés par le secteur privé.

42 ()  « D’ici 2010, des structures d’accueil pour au moins 90 % des enfants ayant entre trois ans et l’âge de la scolarité obligatoire et pour au moins 33 % des enfants âgés de moins de trois ans ».

43 ()  « Suivi de la situation de la France au regard des indicateurs de Lisbonne (édition 2009) », Conseil économique, social et environnemental, Mme Anne Duthilleul, mars 2009.

44 ()  107 en y intégrant les niveaux désagrégés et les sous-indicateurs.

45 ()  Incluant le libre choix du fournisseur et la dissociation entre la transmission et la distribution, d’une part, et la production et l’approvisionnement, d’autre part.

46 ()  À ne pas confondre avec son homonyme, également économiste, le Français M. Jacques Sapir.

47 ()  Ce rapport a été publié en anglais ; son titre pourrait être traduit par « Un agenda pour une Europe de croissance ».

48 ()   République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Chypre et Malte.

49 ()  Lettre de l’OFCE, n° 259, mercredi 23 mars 2005, « La “Stratégie de Lisbonne” engluée dans la tactique de Bruxelles », Jérôme Créel, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux.

50 ()  « L’Union européenne entre deux feux » (États-Unis et Asie).

51 ()  Déclaration de John Monks, secrétaire général de la CES (source : site Internet www.euractiv.fr).

52 ()  Source : idem.

53 ()  Il s’agit de la dénomination officielle.

54 ()  « Communication au Conseil européen de printemps du 2 février 2005 intitulée «Travaillons ensemble pour la croissance et l’emploi. Un nouvel élan pour la Stratégie de Lisbonne». Communication du président Barroso en accord avec le vice-président Verheugen [COM(2005) 24 final - Non publié au Journal officiel]. »

55 () Ce terme désigne un ensemble de réformes menées au début de la décennie 2000 sous la direction du Chancelier M. Gerhardt Schröder et largement inspirées de certains traits de la Stratégie de Lisbonne (particulièrement l’augmentation du taux d’emploi par l’incitation à la reprise du travail).

56 ()  En revanche, la répartition entre investissements privés et publics n’est plus précisée mais doit être « adéquate ».

57 ()  Classiquement, la politique industrielle mène deux types d’actions : sur un plan sectoriel (aides, promotion de champions nationaux ou européens, protection commerciale …) et sur un plan horizontal (politiques visant à favoriser l’environnement des entreprises concernées).

58 ()  Le Conseil européen de mars 2007 adopte un nouvel objectif visant à « réduire les charges administratives découlant de la législation européenne » de 25 %, effort devant s’accompagner d’actions comparables au niveau national.

59 ()  « Lignes directrices pour les politiques de lemploi des États membres » et Recommandation du Conseil du 12 juillet 2005 concernant les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de la Communauté (2005-2008).

60 ()  « “Nouvelle” Stratégie de Lisbonne, pacte de stabilité et de croissance et démocratie européenne », M. Stefan Collignon.

61 ()  Parti socialiste européen.

62 ()  Note documentaire des services du groupe PPE-DE : « Les Parlements en route vers Lisbonne » (31 janvier-1er février 2006).

63 ()  Projet européen de système de positionnement par satellites.

64 ()  Ce paragraphe évoquant les programmes de stabilité et de convergence qui ne sont pas des composantes du processus de Lisbonne.

65 ()  « La flexisécurité concilie flexibilité et sécurité sur le marché du travail et aide aussi bien les employeurs que les travailleurs à exploiter les possibilités qu’offre la mondialisation. Conformément aux recommandations formulées par les partenaires sociaux européens en octobre 2007 et conscient qu’il n’existe pas de modèle unique de flexisécurité, le Conseil européen demande aux États membres d’appliquer les principes communs qui ont été adoptés en la matière en exposant dans leurs programmes nationaux de réforme de 2008 les dispositions qu’ils prendront sur le plan national pour les concrétiser. La flexibilité et la sécurité se renforcent mutuellement tout au long du cycle de vie. »

66 ()  « Document de travail des services de la Commission : document d’évaluation de la Stratégie de Lisbonne » SEC(2010) 114 final, 2.2.2010.

67 ()  Le document indique de manière un peu contradictoire : « Il serait toutefois simpliste de conclure que la Stratégie a échoué du fait que ses objectifs n’ont pas été atteints ».

68 ()  « Maintenir l’évolution des salaires en ligne avec la productivité et améliorer les incitations au travail contribuent à la stabilité macro-économique et à la croissance étaient des objectifs centraux de la Stratégie de Lisbonne » (traduction).

69 ()  Document de travail des services de la Commission SEC (2010) 114 final : « Mesurer cet impact n’est pas chose aisée puisque le cycle économique et des évènements extérieurs, ainsi que les politiques gouvernementales, jouent un rôle déterminant » (…) « Même s’il n’est pas toujours possible de mettre en évidence un lien de cause à effet, entre les réformes issues de la Stratégie de Lisbonne et les résultats au niveau de la croissance, il est prouvé que les réformes ont joué un rôle important ».

70 ()  Cf. déclaration de M. Laurent Cohen-Tanugi, réunion de la Délégation pour l’Union européenne du 26 mars 2008.

71 ()  Allemagne, Italie, Espagne, France et Royaume-Uni (source : Conseil économique, social et environnemental, op. cit).

72 ()  « Politique économique et croissance en Europe », Conseil d’analyse économique.

73 ()  Cf. notamment « Comment expliquer les disparités économiques dans l’UEM », Mme Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, Revue de l’OFCE n° 102 (été 2007).

74 ()  Cf. compte rendu du séminaire du Centre d’analyse stratégique (CAS) sur la Stratégie de Lisbonne.

75 ()  http://epp.eurostat.ec.europa.eu/tgm/table.do?tab=table&plugin=1&language= fr&pcode=tsieb020).

76 ()  Édition 2012 des « Tendances mondiales de l’emploi » : « Prévenir une aggravation de la crise de l’emploi ».

77 ()  Part du PIB consacrée aux dépenses de recherche et de développement.

78 ()  Source Eurostat.

79 ()  Lien : http://www.assemblee-nationale.fr/13/europe/c-rendus/c0036.asp.

80 ()  Communication du CESE présentée par Mme Anne Duthilleul, au nom de la délégation pour l’Union européenne.

81 ()  Moyenne UE-27 = 100 pour chaque millésime.

82 ()  Donnée 2009, dernière disponible.

83 ()  Rapport d’information (n° 4098) déposé au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe et présenté par MM. Michel Heinrich et Régis Juanico (15 décembre 2011).

84 ()  La définition du taux d’emploi, selon le rapport 2009 de suivi de la Stratégie de Lisbonne par le CESE, prend en compte les personnes, qui, durant la semaine de référence et pendant une heure au moins, ont accompli un travail pour une rémunération ou un profit ou qui, n’ayant pas travaillé, avaient néanmoins un emploi dont elles étaient temporairement absentes. Les bornes d’âge incluaient les personnes âgées de plus de 15 ans, ce qui favorisait relativement les pays ayant mis en place un système massif de formation en alternance.

85 ()  Défini sur la tranche d’âge 20-64 ans, conformément à Europe 2020.

86 ()  Ces dépenses englobent « les travaux de création entrepris de façon systématique en vue d’accroître la somme des connaissances, y compris la connaissance de l’homme, de la culture et des sociétés, ainsi que l’utilisation de cette somme de connaissances pour de nouvelles applications », définition issue du Manuel de Frascati, ouvrage méthodologique d’Eurostat et cité par les travaux du CESE.

87 ()  « L’éducation nationale en chiffres » http://www.education.gouv.fr/pid338/l-education-nationale-en-chiffres.html.

88 ()  Proportion, parmi les 18-24 ans (soit un chiffre légèrement différent de la Stratégie de Lisbonne, qui se limite à la tranche d’âge 20-24 ans), de ceux qui ne poursuivent ni études, ni formation et n’ont ni CAP, ni BEP, ni diplôme plus élevé.

89 ()  Source : rapport précité du CESE citant le premier Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française présidée par M. Jacques Attali.

90 ()  Source : United States Department of Labour.

91 ()  Cf. notamment Document de travail de l’OFCE (n° 2010 – 07) « Politiques macroéconomiques et réformes structurelles : bilan et perspectives de la gouvernance économique au sein de l’Union européenne », mars 2010, Jean-Paul Fitoussi, Jean-Luc Gaffard, Francesco Saraceno

92 ()  Source : Groupement d’intérêt public « Observatoire des sciences et des techniques ».

93 ()  Source : Digital Economy Rankings 2010 – Beyond E-Readiness, Economist Intelligence Unit, 2010.

94 ()  Les travaux précités de M. Jean-Claude Barbier évoquent ainsi une « augmentation des occasions formalisées d’échanges entre administrations (…) puissant facteur de socialisation commune de ces élites administratives ».

95 ()  « Stratégie européenne pour l’emploi – Évaluation des politiques de l’emploi et du marché du travail en France 2000-2004 », Document d’études n° 114, avril 2006, Dares, coordination par Mme Christine Charpail et M. Frédéric Lerais.

96 ()  Expression tirée du rapport précité de la mission présidée par M. Laurent Cohen-Tanugi.

97 ()  Compte rendu de la réunion de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne du 16 février 2005, Examen du rapport d’information de MM. Michel Delebarre et Daniel Garrigue sur le suivi de la Stratégie de Lisbonne.

98 ()  Analyse développée notamment par M. Jean-Pisani Ferry dans son article « Last exit for Lisbon ».

99 ()  « La Stratégie de Lisbonne : une bonne idée vite pervertie », colloque X Ponts, 2007.

100 ()   La science économique désigne ce comportement comme celui du « passager clandestin ».

101 ()  Expression de M. Günter Verheugen, ancien vice-président de la Commission.

102 ()  Source : Nouvelle Europe http://www.nouvelle-europe.eu/europe-2020-qu-en-sera-t-il-de-l-tat-providence.

103 ()  « Comment expliquer les disparités économiques dans l’UEM ? », Mme Catherine Mathieu et M. Henri Sterdyniak, Revue de l’OFCE, été 2007. (http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue-textes/r102/13-102.pdf).

104 ()  Résolution du Parlement européen du 11 mars 2009 sur la contribution au Conseil de printemps 2009 concernant la Stratégie de Lisbonne.

105 ()  « What’s wrong with Lisbon ? », juillet 2005.

106 ()  Abréviation de « Federal reserve system », banque centrale des États-Unis.

107 ()  Elle rassemble les dépenses consacrées à la recherche et à l’innovation, à l’éducation et à la formation, aux réseaux de l’UE, à la politique sociale, au marché intérieur et à ses politiques associées.

108 ()  Source : http://ec.europa.eu/budget/explained/budg_system/fin_fwk0713/fin_fwk0713_fr.cfm.

109 ()  On peut également citer le rejet par l’Irlande de la ratification du Traité de Lisbonne en 2009 (finalement acceptée par référendum en 2009).

110 ()  « What’s wrong with Lisbon ? », juillet 2005.

111 ()  « L’appropriation nationale de la Stratégie de Lisbonne et les débuts difficiles du programme national de réforme : une analyse coûts/bénéfices », Hélène Caune, Institut d’études politiques de Paris, École doctorale de Sciences Po, année universitaire 2006-2007.

112 ()  La Délégation pour l’Union européenne est devenue la Commission des Affaires européennes à la suite de la révision constitutionnelle de juillet 2008 et de la réforme du Règlement intervenue en juin 2009.

113 ()  N° 2124, déposé le 2 mars 2005.

114 ()  Rapport d’information (n° 2102) déposé le 16 février 2005 par la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne et présenté par MM. Michel Delebarre et Daniel Garrigue sur « la Stratégie de Lisbonne : stratégie d’une Europe plus volontaire ».

115 ()  Ou une coordinatrice.

116 ()  Rapport sur la proposition de résolution (n° 2328) de M. Daniel Garrigue, sur la communication de la Commission européenne relative aux lignes directrices intégrées pour la croissance et l’emploi (n° 2353).

117 ()  Aucune présentation d’un PNR auprès de la commission des Affaires économiques n’a eu lieu entre 2006 et 2008.

118 ()  Texte des compte rendus des déclarations de politique générale à l’Assemblée nationale de MM. Jean-Pierre Raffarin (3 juillet 2002), Dominique de Villepin (8 juin 2005) et François Fillon (3 juillet 2007).

119 ()  « Last exit for Lisbon ».

120 ()  Lettre en date du 8 novembre 2007.

121 ()  Issu d’une commission ad hoc présidée par MM. Alain Juppé et Michel Rocard, anciens Premiers ministres.

122 ()  Sur le portail du Gouvernement http://investissement-avenir.gouvernement.fr/ et http://investissement-avenir.gouvernement.fr/content/action-et-projets

123 ()   Le Secrétariat général des affaires européennes, créé par décret le 17 octobre 2005, est placé sous l’autorité du Premier ministre.

124 () Cela avait pourtant été le cas du Conseil d’analyse économique, organe de réflexion placé auprès du Premier ministre.

125 ()  La recommandation adoptée en 2008 expliquait que la France devait notamment poursuivre l’effort d’assainissement budgétaire, « améliorer le cadre régissant la concurrence dans les secteurs du gaz et de l’électricité et prendre de nouvelles mesures pour renforcer la concurrence entre les concurrents et l’opérateur traditionnel dans le secteur du fret ferroviaire » et « continuer à intensifier la concurrence dans les secteurs et professions réglementés ».

126 ()  À titre d’illustration, cette partie évoque notamment les objectifs suivants : « Renforcer la concurrence dans les secteurs du gaz et de l’électricité », « Assurer l’excellence de l’enseignement supérieur » et « Favoriser le développement durable des territoires ».

127 ()  « Processus de Lisbonne : contribution du Bureau à partir des avis du Conseil préparatoire au sommet de printemps 2004 ».

128 ()  On peut également citer les ouvrages suivants : « Stratégie UE 2020 : contribution du Conseil économique, social et environnemental à la préparation du programme national de réforme » ;  « Accomplir la Stratégie de Lisbonne : contribution du Conseil économique et social à la préparation du programme national de réforme 2008-2010 » ; « Stratégie de Lisbonne : contribution du Conseil économique et social français au rapport de synthèse du Comité économique et social européen » (2005), avec les annexes : « L’économie de la connaissance dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne », avis présenté par M. Hubert Bouchet au nom de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, et « Les politiques économiques au service de la Stratégie de Lisbonne », avis présenté par M. Henri Feltz, au nom de la section des questions économiques générales et de la conjoncture.

129 ()  Cf. annexe n° 1. En cas d’impossibilité d’audition, un questionnaire a été transmis par les rapporteurs.

130 ()  Les questions d’emploi et de travail demeurent le cœur de l’activité du CDSEI mais ses travaux se sont élargis à d’autre sujets (santé et aspects bilatéraux).

131 ()  Il faut néanmoins noter que la Commission a organisé une consultation publique à l’occasion de l’élaboration d’Europe 2020.

132 ()  Cette interprétation est notamment celle de M. Jean Pisani-Ferry dans son article de juillet 2005 intitulé « What’s wrong with Lisbon ? », qui cite les résultats d’un sondage « sortie des bureaux de vote » réalisé par l’institut CSA.

133 ()  Programme international visant à développer l’énergie de fusion nucléaire à des fins pacifiques.

134 ()  Cf. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 15 juillet 2008 intitulée : « Vers une programmation conjointe de la recherche : travailler ensemble pour relever plus facilement les défis communs » [COM(2008) 468 final – Non publié au Journal officiel].

135 ()  Rapport (n° 3550) fait au nom de la commission des Finances par M. Gilles Carrez et enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 22 juin 2011, texte adopté n° 714.

136 ()  Rapport n° 3518, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juin 2011.

137 ()  « Commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire française : production de matériels roulants “voyageurs” et fret ».

138 ()  Rapport 2010 du FMI à l’intention du G20 sur la taxation du secteur financier.

139 ()  Voir notamment la résolution de la commission des Affaires économiques sur les financements innovants (2010/2105(INI) adoptée le 8 mars 2011 indiquant que l’Union européenne devrait promouvoir l’introduction d’une taxe sur les transactions financières, même si elle est seule à le faire ; le texte estime que cette taxe pourrait permettre de lever environ 200 milliards d’euros annuels dans l’Union européenne.

140 ()  Proposition de directive du Conseil du 28 septembre 2011 établissant un système commun de taxe sur les transactions financières et modifiant la directive 2008/7/CE COM (2011) 594 final.

141 ()  Loi de finances pour 2002 (n° 2011-1275 du 28 décembre 2001) : la disposition relative à la taxe devait entrer en vigueur « à la date à laquelle les États membres de la Communauté européenne auront dû achever l’intégration dans leur droit interne des mesures arrêtées par le Conseil prévoyant l’instauration, dans l’ensemble des États membres, d’une taxe sur les transactions sur devises, et au plus tôt le 1er janvier 2003. »

142 ()  Rapport présenté par M. Jean-Pierre Brard (n° 3939) enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2011.

143 ()  Discussion en séance publique le jeudi 1er décembre 2011 : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2011-2012/20120073.asp.

144 ()  Rapport fait au nom de la commission des Finances par M. Pierre-Alain Muet (SRC), document n° 3468 ; cf. également rapport (n° 3456) au nom de la commission des Affaires européennes par le même auteur (déposé le 24 mai 1911) ; discussion en séance publique les 9 et 14 juin 2011.

145 () Taxation des transactions sur actions.

146 () Cette estimation concerne le total des dispositions prévues par l’article 2 du projet de loi.

147 ()  Le rapport précité de M. Pierre Alain-Muet estime, sur la base d’études antérieures, que la mise en place en Europe d’une taxe sur les transactions financières d’un taux de 0,01 % permettrait d’aboutir à un produit correspondant à environ 0,7 % du PIB de l’Union européenne (source : Schulmeister, Schratzenstaller, Picek, 2008, « A general financial transaction tax. Motives, revenues, Feasibility and Effects »).

148 ()  « Chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient de droit l’inscription d’un sujet d’évaluation ou de contrôle à l’ordre du jour de la semaine prévue à l’article 48, alinéa 4, de la Constitution. Dans le cadre de cette semaine, une séance est réservée par priorité aux questions européennes. »

149 ()  Cf. le document « BT - Drucksache 17/5500 ».

150 ()  Article 50-1 de la Constitution : « Devant l’une ou l’autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d’un groupe parlementaire au sens de l’article 51-1, faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité. »

151 ()  Article 14 de la loi du 26 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 : « À compter de 2011, le Gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne en application de l’article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le projet de programme de stabilité. Le Parlement débat de ce projet et se prononce par un vote. »

152 () Lien sur le site internet de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/ international/berlin-octobre-2011.asp.


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