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N
° 166

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’ Assemblée nationale le 18 septembre 2007.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif aux implantations communes de missions diplomatiques et de postes consulaires,

PAR M. Jacques MYARD,

Député

——

Voir les numéros  :

Sénat : 294, 399 et T.A. 127 (2006-2007)

Assemblée nationale : 119

INTRODUCTION 5

I.– L’ACCORD-CADRE DU 12 OCTOBRE 2006 TEND À GÉNÉRALISER DES SOLUTIONS RÉSERVÉES JUSQU’À PRÉSENT À DES SITUATIONS PARTICULIÈRES 7

A – LA FRANCE ET L’ALLEMAGNE ONT DÉJÀ EU RECOURS À LA CRÉATION D’IMPLANTATIONS COMMUNES 7

1) Des co-localisations franco-allemandes existent déjà 7

2) Le développement de cette coopération a été récemment réaffirmé 7

B – LA CRÉATION D’UN CADRE JURIDIQUE GÉNÉRAL PLUS STABLE APPLICABLE AUX IMPLANTATIONS COMMUNES 8

1) Certaines lacunes de l’arrangement administratif de 1997 ont été comblées 8

2) Des stipulations de l’arrangement administratif de 1997 ont été simplifiées 8

II – L’ACCORD DU 12 OCTOBRE 2006 EST-IL PERTINENT ? 11

A – EST-IL PERTINENT SUR LE PLAN DE LA GESTION IMMOBILIÈRE ? 11

B – EST-IL PERTINENT DU POINT DE VUE POLITIQUE ? 11

1) La signature d’un tel accord-cadre ne garantit pas une meilleure coopération entre les services diplomatiques français et allemand 11

2) L’évolution du rôle des postes consulaires rend une telle coopération particulièrement mal aisée 12

3) L’accord-cadre du 12 octobre 2006 pourrait affaiblir la position de la France au sein de l’Union européenne 12

CONCLUSION 13

EXAMEN EN COMMISSION 15

ANNEXE 19

Mesdames, Messieurs,

La coopération diplomatique entre plusieurs Etats peut prendre des formes très variables, de la discussion informelle à la création d’une organisation permanente. Elle peut également recourir à des moyens plus symboliques, comme l’implantation commune de missions diplomatiques ou consulaires.

Les missions diplomatiques ou les postes consulaires de plusieurs pays peuvent en effet être réunis à l’étranger au sein d’un même bâtiment. On parle alors de « co-localisations ». La France et l’Allemagne ont déjà eu recours à cette forme d’action en commun, ce qui a donné lieu à des arrangements administratifs ad hoc entre les deux pays.

Le projet de loi soumis à votre examen vise à autoriser l’approbation de l’accord-cadre signé le 12 octobre 2006 afin d’établir un cadre juridique plus général et plus stable applicable aux implantations communes. Ses effets politiques pourraient toutefois être contraires aux intérêts de la France, et ses conséquences financières sont douteuses.

I.– L’ACCORD-CADRE DU 12 OCTOBRE 2006 TEND À GÉNÉRALISER DES SOLUTIONS RÉSERVÉES JUSQU’À PRÉSENT À DES SITUATIONS PARTICULIÈRES

A – La France et l’Allemagne ont déjà eu recours à la création d’implantations communes

1) Des co-localisations franco-allemandes existent déjà

Le 3 juillet 1997, la France et l’Allemagne ont conclu un arrangement administratif visant à permettre l’implantation commune de missions consulaires à Praia (Cap Vert).

Conformément à l’article 18 de cet arrangement, les grands principes qu’il fixait devaient servir de base à la coopération dans tous les autres postes où les missions des deux pays partageraient des locaux.

Ce cadre a été adapté et a permis à plusieurs projets de co-localisations de voir le jour, auprès des autorités de Republika Srpska (en Bosnie-Herzégovine) depuis 1999, à Almaty (Kazakhstan) entre 1999 et 2007, à Lilongwe (Malawi) depuis 2003, à Monrovia (Liberia) depuis avril 2007.

2) Le développement de cette coopération a été récemment réaffirmé

En 2003, pour le quarantième anniversaire de la signature du traité de l’Elysée, les gouvernements français et allemand ont affirmé leur volonté de développer la complémentarité entre les réseaux diplomatiques des deux pays.

Le Conseil des ministres franco-allemand du 26 octobre 2004 a donné corps à cette orientation en fixant une liste de nouveaux projets de co-localisations. Six projets ont été retenus. Deux d’entre eux concernent des missions diplomatiques à Maputo (Mozambique) et Tbilissi (Géorgie), les autres le domaine consulaire, à Yaoundé (Cameroun), Bakou (Azerbaïdjan), Melbourne (Australie) et Bangalore (Inde),

B – La création d’un cadre juridique général plus stable applicable aux implantations communes

Pour permettre la mise en œuvre de la décision du 26 octobre 2004, il a paru utile de réviser l’arrangement administratif de 1997, en le complétant et en le simplifiant. C’est l’objet de l’accord-cadre du 12 octobre 2006.

1) Certaines lacunes de l’arrangement administratif de 1997 ont été comblées

Visant une coopération plus avancée, l’accord-cadre de 2006 autorise ainsi les prises de bail en commun et l’acquisition de biens immobiliers en co-propriété (articles 7 et 8) en plus des cas où la mission de l’un des deux pays est locataire ou sous-locataire de l’autre mission (article 9). L’arrangement administratif de 1997 ne prévoyait que cette dernière éventualité, et ne prévoyait pas la possibilité de retrait que les trois articles de l’accord-cadre précités (7, 8 et 9) stipulent expressément.

Simplifiant et complétant les stipulations de l’arrangement administratif de 1997, l’accord-cadre fixe dans son article 4 diverses règles de fonctionnement des implantations communes, tant protocolaires que liées à la coopération des missions ou postes ainsi réunies. En matière protocolaire, il est nécessaire que les implantations communes indiquent à la fois la coexistence en leur sein de deux missions distinctes mais donnent également à voir la volonté de coopération qui les réunit dans un même lieu. La coopération s’organise à titre principal dans le cadre d’instructions données par les gouvernements.

2) Des stipulations de l’arrangement administratif de 1997 ont été simplifiées

Les règles relatives aux différentes zones comprises dans les implantations communes sont simplifiées. L’arrangement administratif de 1997 distinguait trois types de zones, contre seulement deux définies à l’article 3 de l’accord-cadre (zones exclusives, zones communes), chacune donnant lieu à des modalités de gestion et un régime de responsabilité particulier. L’article 5 de l’accord-cadre précise que les zones exclusives sont gérées sous la seule responsabilité du chef de mission ou du poste consulaire concerné.

La règle fixant la part de dépenses communes assumée par chaque Etat est simplifiée, puisque la même clé de répartition s’applique désormais à toutes les dépenses communes. L’article 6 précise que la part de financement est égale au ratio de la zone exclusive du pays concerné divisé par la somme des zones exclusives.

L’article 2 de l’accord-cadre indique que ce dernier doit être complété par un accord particulier pour chaque projet de co-localisation. L’article 11 précise que la coopération entre les représentations françaises et allemandes à l’étranger pourra excéder le cadre ainsi fixé.

Les aspects juridiques de la mise en œuvre de l’accord-cadre sont également précisés. L’article 10 renvoie tout litige éventuel lié à son interprétation devant les responsables ministériels concernés. L’article 13 précise que l’entrée en vigueur de l’accord-cadre abroge les dispositions de l’arrangement administratif de 1997 qui prévoyaient d’en faire la base de toute co-localisation dans le futur.

II – L’ACCORD DU 12 OCTOBRE 2006 EST-IL PERTINENT ?

A – Est-il pertinent sur le plan de la gestion immobilière ?

Le ministère des Affaires étrangères estime que les implantations communes permettent un gain d’efficacité économique dans la gestion des représentations étrangères des deux pays.

Les réponses apportées par le Ministère concernant les conséquences des co-localisations du point de vue de la gestion des deniers publics sont peu convaincantes.

L’idée que la réunion de missions diplomatiques ou de postes consulaires dans un même bâtiment pourrait réduire les coûts liés à l’immobilier est simplement présentée comme allant de soi.

Pourtant, une augmentation des coûts de gestion du fait de la multiplication des co-localisations est à craindre.

En effet, l’accord-cadre précise que les implantations communes doivent montrer qu’elles sont la réunion d’une mission diplomatique ou d’un poste consulaire de chaque pays, ainsi que d’une structure vouée à représenter la coopération franco-allemande en matière diplomatique.

Il est donc probable que les co-localisations nécessiteront finalement des locaux plus grands que la seule somme des locaux des deux missions diplomatiques ou des deux postes consulaires. Les coûts de gestion de telles infrastructures risquent donc d’être plus importants que ceux que l’absence d’une telle implantation commune pourrait occasionner.

B – Est-il pertinent du point de vue politique ?

1) La signature d’un tel accord-cadre ne garantit pas une meilleure coopération entre les services diplomatiques français et allemand

L’accord-cadre ne garantit pas que les missions diplomatiques ou les postes consulaires français et allemands travailleront plus fréquemment en commun. Ce texte se contente en réalité de réunir au sein du même bâtiment des institutions dont le fonctionnement peut être largement indépendant.

En matière de coopération diplomatique, l’article 46 de la convention de Vienne du 18 avril 1961 permet déjà à un Etat de demander à un Etat tiers de défendre ses intérêts dans un Etat où il n’est pas représenté. En matière de nomination personnelle, les articles 6 de cette convention et 18 de la convention de Vienne du 24 avril 1963 autorisent quant à eux la nomination par plusieurs Etats de la même personne comme chef de mission diplomatique ou fonctionnaire consulaire auprès d’un Etat tiers.

2) L’évolution du rôle des postes consulaires rend une telle coopération particulièrement mal aisée

Le poids des questions économiques et commerciales dans le travail quotidien des postes consulaires est de plus en plus important.

Or, malgré un partenariat politique particulièrement solide, la France et l’Allemagne restent des concurrents d’un point de vue économique et commercial.

Il est donc paradoxal de chercher à faire travailler ensemble des structures dont l’utilité future sera précisément de veiller à ses intérêts propres, y compris contre l’action de l’autre institution.

3) L’accord-cadre du 12 octobre 2006 pourrait affaiblir la position de la France au sein de l’Union européenne

Il n’est pas opportun de marquer de manière aussi affichée l’importance du partenariat franco-allemand si aucune initiative à destination des autres Etats membres de l’UE ne vient compenser une telle avancée.

Or, en matière de co-localisation, aucun projet autre que franco-allemand n’a pour l’instant été envisagé par la France.

CONCLUSION

L’accord-cadre du 12 octobre 2006 visant à faciliter la création d’implantations communes de missions diplomatiques ou de postes consulaires français et allemands à l’étranger participe de la catégorie des « accords-gadgets ».

La mise en évidence de façon si ostensible de la relation entre la France et l’Allemagne ne doit pas faire apparaître la France comme moins soucieuse de ses relations avec les autres Etats membres de l’Union européenne.

Par ailleurs, les co-localisations ne sont pas un outil de coopération diplomatique très efficace, tout au plus un élément de gestion immobilière dont l’efficacité économique reste à démontrer.

Enfin, il sera toujours possible de créer de telles implantations sur la base d’accords ponctuels et adaptés aux situations spécifiques rencontrées sur le terrain.

Le projet de loi qui vous est soumis vise à autoriser la ratification d’un accord au mieux inutile et plus vraisemblablement contraire aux intérêts de la France dans le monde. Pour ces raisons, votre rapporteur propose de donner un avis défavorable à l’adoption de ce projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 18 septembre 2007.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a eu lieu.

Le Président Axel Poniatowski a indiqué que l’accord-cadre avait un caractère principalement logistique et ne faisait qu’étendre un arrangement administratif en date de 1997 pour en préciser les règles juridiques et financières et donner la possibilité de créer une implantation commune sous la forme d’une co-propriété.

M. François Loncle a indiqué que la question des implantations communes lui paraissait nouvelle et intéressante. Il est en revanche indispensable qu’une évaluation ait lieu, dans un délai suffisamment rapproché, pour permettre aux parlementaires de savoir si les co-localisations fonctionnent de manière satisfaisante. Sous cette réserve, il s’est prononcé pour la ratification de l’accord-cadre.

M. Jacques Myard, rapporteur, a indiqué que l’article 7 de l’accord-cadre, qui permet de créer des implantations communes dans le cadre de co-propriétés, allait sans doute créer plus de dysfonctionnements qu’il n’allait régler de problèmes.

Mais il a avant tout tenu à rappeler que le consul de France dans un pays étranger n’est pas qu’un simple officier d’état civil, il exerce également des fonctions de veille économique, commerciale, industrielle. L’existence de zones exclusives prouve enfin que cet accord est contradictoire avec les objectifs qu’il entend poursuivre.

M. Jean-Claude Guibal a souhaité recevoir quelques précisions sur la réelle portée de l’accord-cadre : s’agit-il d’un symbole de la coopération franco-allemande ou bien ne vise-t-il qu’à économiser les moyens de la puissance publique ? Si la préoccupation est uniquement gestionnaire, ces économies sont sans doute loin d’être prioritaires et peuvent même s’avérer contre-productives. Ainsi, dans le cas de l’ambassade de France à Monaco, la vente accélérée d’un immeuble a sans doute fortement réduit la plus value envisageable dans une telle opération.

M. Jean-Paul Dupré a demandé si le nombre d’implantations communes à venir était important, ou si ce type d’opérations devait rester exceptionnel.

M. Jacques Myard, rapporteur, a précisé que l’accord-cadre ne faisait qu’ouvrir des possibilités. Toutefois, des projets dans des pays d’une importance stratégiques ont été évoqués, notamment au Kazakhstan dont les ressources minières sont abondantes.

De plus, l’aménagement des implantations communes coûtera forcément plus cher.

Le Président Axel Poniatowski s’est dit au contraire convaincu que des économies pourront être réalisées grâce aux implantations communes. L’accord-cadre a une dimension essentiellement technique, et les projets envisagés ne concernent que des pays avec lesquels nous n’avons pas de relations très développées. Il a toutefois émis les plus fortes réserves si des projets d’implantations communes devaient concerner des pays d’une importance stratégique.

M. Patrick Balkany a insisté sur le risque existant en cas de co-localisations dans des grands pays. Pourquoi n’existerait-il pas des maisons de l’Union européenne réunissant tous les services diplomatiques, plutôt que des bâtiments franco-allemands ?

Par ailleurs, l’existence d’un consulat français dans un pays étranger reste très importante pour les citoyens français y séjournant temporairement ou y résidant.

M. François Rochebloine a insisté sur le caractère technique de l’accord. Le projet d’accroître le nombre d’implantations communes et d’en stabiliser le cadre juridique a été défendu par plusieurs Ministres des Affaires étrangères successifs car la gestion rigoureuse des deniers publics est un impératif qu’il faut mettre en oeuvre.

Enfin, il a considéré que la volonté de conserver son drapeau de façon exclusive n’était pas en phase avec le processus de construction européenne.

M. Jean-Paul Bacquet a rappelé le rôle crucial des consuls en matière de commerce extérieur. Ce rôle est particulièrement important concernant ceux que l’on nomme un peu hâtivement les « petits pays ». En se focalisant uniquement sur les zones d’importance stratégique, la position de la France dans les pays de taille moyenne, comme en Afrique ou au Maghreb, risque d’être fortement concurrencée.

Par ailleurs, il s’est demandé s’il n’existait pas un risque de démotivation des fonctionnaires obligés de cohabiter avec des concurrents directs ?

Le Président Axel Poniatowski a déclaré que l’accord cadre du 12 octobre 2006 était un texte essentiellement technique. Après avoir rappelé que les projets de co-localisations envisagés lors du Conseil des ministres franco-allemand de 2004 ne concernaient pas des pays clés, il a indiqué qu’il était sensible aux arguments développés par le rapporteur. Faisant référence à sa propre expérience du commerce extérieur, il s’est dit conscient de l’importance des postes diplomatiques dans ce domaine, ainsi que de la puissance des compétiteurs allemands dans de nombreux secteurs.

Il a souhaité que la Commission adopte le projet de loi tout en émettant une observation.

Aussi, en accord avec le Président, la Commission a-t-elle considéré que les implantations communes que l’accord-cadre permettra de réaliser ne doivent pas aboutir à faire cohabiter des ambassades ou des missions économiques dans des Etats qui ont une importance stratégique pour le commerce extérieur de la France.

La commission a demandé au ministère des Affaires étrangères de prendre en compte cette réalité et de faire preuve de la plus grande vigilance Elle a par ailleurs souhaité qu’une évaluation précise du dispositif des implantations communes soit prévue de manière périodique.

M. Jean-Paul Lecoq a indiqué qu’il trouvait plus souhaitable de s’inspirer des méthodes allemandes en matière de commerce extérieur, dont l’efficacité est reconnue par tous, plutôt que de craindre un quelconque espionnage de leur part de la stratégie commerciale de la France.

Alors que M. François Rochebloine s’interrogeait sur l’examen de ce projet en procédure simplifiée en séance publique, M. François Loncle a fait part de l’intérêt qu’il y avait à organiser un débat sur des projets autorisant la ratification d’accords aux conséquences très concrètes. Il a souhaité que la Commission puisse se prononcer en amont sur les procédures d’examen en séance.

Contrairement aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi (no 119).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du présent accord figure en annexe au projet de loi (n° 119).


ANNEXE

Lettre de M. Axel PONIATOWSKI,

Président de la Commission des affaires étrangères

à

Monsieur Bernard KOUCHNER,

Ministre des affaires étrangères et européennes

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