Accueil > Documents parlementaires > Les rapports législatifs
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 569

——

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 janvier 2008.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE DE M. PATRICK BRAOUEZEC (N° 560), visant à compléter l’article 11 de la Constitution par un alinéa tendant à ce que la ratification d’un traité contenant des dispositions similaires à celles d’un traité rejeté fasse l’objet de consultation et soit soumis à référendum,

PAR M. Patrick BRAOUEZEC,

Député.

——

INTRODUCTION 5

I. —  UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE : ASSURER LE RESPECT DE L’EXPRESSION DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE 6

A. LE RÉFÉRENDUM, « EXPRESSION DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE », EXIGE DES ÉGARDS PARTICULIERS 6

1. Le référendum est l’expression directe de la souveraineté nationale 6

2. La parole du peuple doit être respectée 7

B. RATIFIER LE TRAITÉ DE LISBONNE EN CONTOURNANT LE PEUPLE SERAIT UNE MANœUVRE ANTIDÉMOCRATIQUE 8

1. Traité constitutionnel et traité de Lisbonne : des différences d’ordre cosmétique 8

a) Deux traités, un contenu pratiquement semblable 8

b) L’oubli persistant des services publics dans la construction européenne 10

2. Une procédure de ratification qui ne peut ignorer les enseignements de la consultation du 29 mai 2005 12

II. —  UNE PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE INDISPENSABLE 13

A. LE RÉFÉRENDUM DANS LA CONSTITUTION DE 1958 EST DAVANTAGE UN OUTIL AU SERVICE DE L’EXÉCUTIF QU’UN VÉRITABLE PROCÉDÉ DE DÉMOCRATIE DIRECTE 14

1. Le référendum de l’article 11 : un outil à la discrétion du pouvoir exécutif 14

2. Une procédure de droit commun pour la révision, mais pratiquement toujours contournée 15

3. Le référendum préalable à l’adhésion des nouveaux États membres à l’Union européenne 16

B. LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE DU GROUPE GDR : REDONNER AU RÉFÉRENDUM TOUT SON SENS 16

EXAMEN EN COMMISSION 19

TABLEAU COMPARATIF 21

Mesdames, Messieurs,

Le 29 mai 2005, le peuple français a décidé, par 54,67 % des suffrages exprimés, de rejeter le traité établissant une Constitution pour l’Europe, au terme d’une campagne électorale marquée par une mobilisation sans précédent du « Non » de gauche. Cette campagne a intéressé les Français comme l’a montré le taux de participation qui a approché les 70 %, en dépit du caractère complexe du texte soumis à son examen.

Compte tenu de ce résultat, suivi trois jours plus tard d’un autre référendum négatif aux Pays-Bas, le processus de ratification du Traité constitutionnel s’est trouvé entravé. Pour autant, ses partisans n’ont pas renoncé, et plutôt que de proposer aux citoyens européens une alternative au projet libéral préconisé dans le traité constitutionnel, ils ont préféré « recycler » les dispositions substantielles de ce traité, au sein d’un nouveau traité dit « réformateur », signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne.

D’ores et déjà, le Président de la République a annoncé qu’il ne soumettrait pas le nouveau traité au référendum, craignant sans doute une réponse similaire à celle donnée en mai 2005. Ce véritable déni de démocratie illustre la place particulière du référendum dans les institutions de la Cinquième République : il n’est nullement considéré comme un instrument de démocratie directe, mais simplement comme un outil de tactique politicienne à la discrétion du Président de la République.

Pourtant, de très nombreux citoyens réclament l’organisation d’un référendum sur le traité de Lisbonne, considérant que seul le peuple peut éventuellement revenir sur le résultat du 29 mai 2005. Le groupe GDR a donc décidé de déposer une proposition de loi constitutionnelle afin de remédier à une lacune criante de la Constitution de la Cinquième République, qui n’a prévu aucun mécanisme permettant d’assurer le respect de l’expression directe de la souveraineté nationale que constitue le référendum.

I. —  UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE : ASSURER LE RESPECT DE L’EXPRESSION DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE

A. LE RÉFÉRENDUM, « EXPRESSION DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE », EXIGE DES ÉGARDS PARTICULIERS

1. Le référendum est l’expression directe de la souveraineté nationale

Présenter l’exigence du recours au référendum sur un sujet aussi crucial que le traité de Lisbonne comme une méfiance vis-à-vis du système représentatif est profondément malhonnête.

L’article 3 de la Constitution précise que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Et le Conseil constitutionnel a estimé, dans la décision n°62-20 du 6 novembre 1962, que les lois « adoptées par le Peuple à la suite d’un référendum, constituent l’expression directe de la souveraineté nationale ».

On ne saurait donc tirer prétexte de la nécessité de respecter le Parlement comme argument pour écarter la consultation directe du peuple. En effet, le parlementarisme ne repose bien évidemment pas sur une méfiance vis-à-vis du peuple, sauf dans les régimes censitaires, mais sur l’idée de sa représentation. Votre rapporteur souhaite ainsi rappeler les propos de René Carré de Malberg, en 1931, sur la combinaison du référendum et du parlementarisme. Le grand juriste de la troisième République et théoricien du parlementarisme refusait en effet une opposition artificielle entre ces deux formes d’expression de la souveraineté :

« Du moment, en effet, que l’on base la puissance de l’État et de ses organes sur l’idée de souveraineté de la volonté générale, il devient manifestement impossible de refuser voix délibérante, et même voix décisive, à ceux en qui la volonté générale prend sa source et sa consistance, c’est-à-dire aux citoyens s’assemblant à cet effet en un collège unique et indivisible. Surtout, il devient manifestement contradictoire de justifier l’énormité de la puissance parlementaire par un argument tiré de ce que le Parlement énonce la volonté populaire, et en même temps, de maintenir contre le peuple une exclusive, qui implique que cette volonté se forme en dehors de lui, sans qu’il ait la ressource de contester l’expression que le Parlement en a donnée. De ce point de vue donc, et plus encore que du point de vue des idées de représentation populaire, l’on est obligé de conclure que non seulement le référendum et le parlementarisme ne sont pas incompatibles l’un avec l’autre, mais qu’il y a une relation immédiate et inéluctable entre les concepts qui ont servi à fonder la puissance parlementaire et les institutions démocratiques permettant à la communauté des citoyens de faire entendre sa voix. » (1)

Il ne faut pas oublier que ce qui fonde la légitimité de la démocratie parlementaire est l’élection par le peuple au suffrage universel. Les citoyens délèguent leur souveraineté à leurs représentants, non pas car ils seraient incapables de décider de leur avenir, mais d’abord pour des raisons pratiques évidentes. Dès lors, il est parfaitement inconcevable de jouer la légitimité parlementaire contre la légitimité populaire, la première n’existant que par délégation de la seconde. Votre rapporteur craint même qu’en contournant le peuple pour faire adopter le traité de Lisbonne par la voie parlementaire, le président de la République ne contribue à accentuer le fossé entre le peuple et ses représentants. En l’espèce, il est clair que le refus du référendum n’est pas motivé par des raisons liées au manque d’importance du texte et au risque d’abstention, mais bien par la crainte d’un résultat négatif.

En remontant encore plus loin dans l’histoire constitutionnelle française, on constate d’ailleurs que l’origine de la pratique référendaire ne remonte ni au général de Gaulle ni aux plébiscites napoléoniens, qui en ont profondément dénaturé le sens, mais à la Révolution française. Le premier référendum de l’histoire de France est ainsi celui qui a permis l’adoption de la Constitution du 24 juin 1793. Cette Constitution très démocratique, fondée sur le primat de la souveraineté populaire, prévoyait d’ailleurs, en son article 59, la possibilité pour les « Assemblées primaires » cantonales (c’est-à-dire la réunion des citoyens) de contester les lois votées par le Corps législatif.

2. La parole du peuple doit être respectée

L’intervention directe du peuple à l’occasion de débats engageant son avenir est donc toujours légitime. Dans certaines hypothèses, elle peut même sembler impérative. En régime parlementaire, le peuple délègue sa souveraineté à ses représentants pour le vote des lois. Pour autant, ceux-ci ne peuvent s’appuyer sur cette légitimité pour prendre des décisions qui vont à l’encontre des positions clairement exprimées par le corps électoral.

Votre rapporteur considère que le recours au référendum devrait être obligatoire pour l’adoption de lois qui contiennent des dispositions précédemment rejetées par le peuple, consulté par référendum. Le peuple peut bien évidemment changer de position, mais il est inacceptable que son vote soit contourné s’il n’a pas donné la réponse attendue de lui. Le parallélisme des formes et le respect de « l’expression directe de la souveraineté nationale » exigent donc d’encadrer le pouvoir législatif du Parlement sur les matières ayant fait l’objet d’une consultation populaire.

Certaines démocraties ont d’ailleurs prévu des mécanismes de protection de l’expression directe du peuple. La Constitution italienne prévoit ainsi le référendum abrogatif d’initiative populaire : sur demande de 500 000 électeurs ou de cinq conseils régionaux, un référendum est organisé sur une proposition d’abrogation totale ou partielle d’une loi. L’abrogation est acquise si la majorité des électeurs a participé au vote et si la majorité des suffrages exprimés a voté en faveur de la proposition. La question se posait alors de la marge de manœuvre laissée par la suite au Parlement sur les normes ainsi abrogées. La Cour constitutionnelle a répondu très clairement à cette question en protégeant la volonté exprimée directement par le peuple. Dans sa décision n°468 de 1990, la Cour a rappelé : « la nature particulière du référendum, en tant qu’acte-source de l’ordonnancement. À la différence du législateur qui peut corriger ou même abroger ce qu’il a précédemment établi, le référendum manifeste une volonté définitive et ne pouvant être retirée ».

De façon assez proche, la Constitution de l’État de Californie prévoit la possibilité de référendum, sur l’initiative de 5 % du corps électoral, sur les lois votées par le Congrès de l’État avant leur promulgation ou sur une initiative législative. Dans ce dernier cas, l’article 2 -section 10- indique que le Congrès ne peut modifier un texte issu de l’initiative populaire qu’en soumettant le projet de loi à référendum.

B. RATIFIER LE TRAITÉ DE LISBONNE EN CONTOURNANT LE PEUPLE SERAIT UNE MANœUVRE ANTIDÉMOCRATIQUE

1. Traité constitutionnel et traité de Lisbonne : des différences d’ordre cosmétique

a) Deux traités, un contenu pratiquement semblable

Afin de savoir s’il est nécessaire de consulter le peuple sur le traité négocié en réaction au « Non » du 29 mai 2005, il importe de s’interroger sur le contenu de ce traité.

Dans un article particulièrement éclairant (2), Valéry Giscard d’Estaing, qui fut le Président de la Convention qui a rédigé le projet de Constitution européenne, fait une analyse particulièrement honnête du projet de texte, devenu ensuite le Traité de Lisbonne. Il explique tout d’abord que l’ensemble des éléments importants du traité constitutionnel se retrouvent dans le nouveau traité réformateur : « La différence porte davantage sur la méthode que sur le contenu (…).Les juristes n’ont pas proposé d’innovations. Ils sont partis du texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d’amendements aux deux traités existants de Rome (1957) et de Maastricht (1992). Si l’on en vient maintenant au contenu, le résultat est que les propositions institutionnelles du traité constitutionnel - les seules qui comptaient pour les conventionnels - se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs. La conclusion vient d’elle-même à l’esprit. Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut fouiller pour trouver ce que l’on cherche. »

Poursuivant son analyse, le Président Giscard d’Estaing entreprend une énumération des différences entre les deux textes, qui ne peut aucunement rassurer les anciens partisans du « Non » de gauche :

« Il y a cependant quelques différences. Trois d’entre elles méritent d’être notées. D’abord le mot "Constitution" et l’adjectif "constitutionnel" sont bannis du texte, comme s’ils décrivaient des maladies honteuses (…). Et l’on supprime du même coup la mention des symboles de l’Union : le drapeau européen, qui flotte partout, et l’hymne européen, emprunté à Beethoven. Quoique ridicules, et destinées heureusement à rester inappliquées, ces décisions sont moins insignifiantes qu’elles n’y paraissent. Elles visent à écarter toute indication tendant à évoquer la possibilité pour l’Europe de se doter un jour d’une structure politique. C’est un signal fort de recul de l’ambition politique européenne.

Concernant, ensuite, les réponses apportées aux demandes formulées notamment en France par certains adversaires du traité constitutionnel, il faut constater qu’elles représentent davantage des satisfactions de politesse que des modifications substantielles. Ainsi l’expression "concurrence libre et non faussée", qui figurait à l’article 2 du projet, est retirée à la demande du président Sarkozy, mais elle est reprise, à la requête des Britanniques, dans un protocole annexé au traité qui stipule que "le marché intérieur, tel qu’il est défini à l’article 3 du traité, comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée".

Il en va de même pour ce qui concerne le principe de la supériorité du droit communautaire sur le droit national, dont le texte de référence reste inchangé dans le traité.(…)Beaucoup plus importantes, enfin, sont les concessions faites aux Britanniques. La charte des droits fondamentaux - sorte de version améliorée et actualisée de la charte des droits de l’homme - est retirée du projet, et fera l’objet d’un texte séparé, ce qui permettra à la Grande-Bretagne de ne pas être liée par elle. Dans le domaine de l’harmonisation et de la coopération judiciaires, la Grande-Bretagne se voit reconnaître des droits multiples de sortie et de retour dans le système(…) ».

Autrement dit, le traité de Lisbonne a permis de faire des concessions aux États et aux forces politiques partisans du souverainisme et méfiants à l’idée même de construction européenne. Ainsi, il faut rappeler que l’inclusion de la Charte des droits fondamentaux au sein même du traité constitutionnel était régulièrement avancé par les partisans du « Oui » comme un signe qui aurait dû rassurer les partisans d’une Europe plus sociale. Pourtant, dans le traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux ne figure plus dans le texte même des traités, mais se trouve inscrite par le biais d’un renvoi. De plus, la Charte n’est plus applicable au Royaume-Uni.

Au total donc, la quasi-totalité des dispositions du traité constitutionnel se retrouvent, dans un ordre différent, dans le traité de Lisbonne, qu’il s’agisse :

— de l’ensemble des changements institutionnels : présidence stable de l’Union européenne, élargissement des pouvoirs de la commission européenne, composition de la Commission, rôle du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (même s’il perd son titre de ministre des affaires étrangères) ;

— de la personnalité morale conférée à l’Union européenne et de la suppression des « piliers » ;

— du renforcement de la coopération judiciaire ;

— des dispositions sur la politique étrangère et de défense commune. À cet égard, le nouveau traité ne tient aucunement compte des critiques formulées en 2005 sur le positionnement de la politique européenne de défense par rapport à l’OTAN.

En revanche, aucun des éléments du nouveau traité ne constitue l’amorce de la construction d’une autre Europe, au-delà de quelques modifications sémantiques purement cosmétiques. La pseudo disparition de la référence au « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » est à cet égard très révélatrice. Sur le fond, il n’y a aucune modification sur les dispositions qui ont motivé le rejet du Traité, à savoir celles qui empêchent l’Europe de prendre une autre direction que celle du marché, de la libre concurrence, d’une politique monétaire contrainte ou de la méfiance vis-à-vis des services publics.

b) L’oubli persistant des services publics dans la construction européenne

La place donnée aux services publics dans le traité de Lisbonne mérite d’être analysée précisément dans la mesure où il a souvent été affirmé qu’il était davantage soucieux de la garantie des services publics que le traité constitutionnel. Pourtant, le principe de « service public », auxquels tous les citoyens ont accès et dont les coûts sont mutualisés, n’est admis ni comme valeur (article 2 du traité sur l’Union européenne tel que modifié par le traité de Lisbonne), ni comme objectif (article 3 TUE) de l’Union. Il n’y a donc sur ce point fondamental, aucun progrès par rapport au traité constitutionnel.

La notion de service public n’existe pas dans le vocabulaire européen : l’expression est totalement absente des traités, si ce n’est une seule et unique fois et en tant que « servitude » concernant les transports (à l’article 93 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui reprend les termes de l’article III-238 du traité constitutionnel). Les services d’intérêt général non marchands, ou services non économiques d’intérêt général, c’est-à-dire qui ne sont pas directement payés par l’usager, comme l’éducation nationale, les services sociaux, les services de santé, les services culturels, figurent dans le protocole 9-2 (3). C’est certes la première fois qu’un texte de portée équivalente aux traités porte sur ces services publics non marchands.

Ce protocole semble protéger les services d’intérêt général non économiques des règles de la concurrence. Le problème vient de la définition des « services non économiques » qui n’est pas précisée par les traités. D’après une jurisprudence constante de la Cour de justice « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné ». Tout peut donc être considéré comme une activité économique s’il y a marché. Et de fait, dans un rapport sur les services d’intérêt général, fait à l’occasion du Conseil européen de Laeken à la fin de l’année 2001, la Commission indique qu’il n’est « pas possible d’établir a priori une liste définitive de tous les services d’intérêt général devant être considérés comme non économiques ». Elle indique d’autre part que « la gamme de services pouvant être proposés sur un marché dépend des mutations technologiques, économiques et sociétales ». C’est toujours aux services publics de faire en permanence la preuve qu’ils ne sont pas un obstacle aux échanges dans l’Union, et c’est la Cour de justice européenne qui trace au cas par cas la ligne de partage entre activités économiques et services non économiques. Elle admet qu’un service est non économique quand il correspond à une mission de l’État et est financé majoritairement par des fonds publics. Mais, si le service est majoritairement financé par l’usager, il pourrait suffire que des entreprises investissent ce service, créant ainsi un marché, pour que l’activité devienne économique et soit soumise aux règles de la concurrence. L’article 2 du protocole 9 risque fort, dans ce cadre, de rester sans aucune portée pratique.

Ces services sont en outre sous la coupe de l’Accord général sur le commerce des services de l’Organisation mondiale du commerce, aux objectifs de laquelle les projets de traité adhèrent (article 21-e du TUE modifié qui reprend l’article III-292-2-e du TCE) et dont les décisions s’imposent à l’Union. Son rôle est d’ouvrir à la concurrence du marché mondial toutes les activités, les unes après les autres.

Il ne faut pas non plus se laisser tromper par la référence aux « services d’intérêt économique général », qui ne sont définis nulle part dans les projets de traité. Il faut consulter le livre blanc de la Commission pour apprendre que ce sont des services publics marchands - que l’usager paie directement comme l’eau, les transports publics, l’énergie – et que les États membres soumettent à des obligations de service public en vertu d’un critère d’intérêt général. La Charte des droits fondamentaux reconnaît l’accès à ces « services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales » (art. 96). Le nouveau traité reconnaît aussi la place qu’ils occupent « parmi les valeurs communes de l’Union » (article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui reprend l’article III-122 du TCE), mais ce dernier article reprend l’article 16 du traité de Nice. La seule modification par rapport aux traités actuels consiste à renvoyer explicitement à un acte législatif européen (règlement, directive ou décision dont seule la Commission européenne a l’initiative) pour leur mise en œuvre concrète. Pour autant, un tel acte législatif ne serait ni plus ni moins obligatoire qu’avec les traités en vigueur : le progrès est donc inexistant pour la place des services publics dans la construction européenne.

En outre, les entreprises chargées de la gestion de ces services restent « soumises aux règles de la concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de [leur] mission » (article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui reprend le texte de l’article III-166-2 du TCE). Cet article est la reprise intégrale de l’article 86 du traité actuel et de l’article 86 du traité de Rome et n’apporte donc rien de nouveau. Comme dans le traité instituant la Communauté européenne, c’est par dérogation et sous réserve de conditions strictes qu’un État peut accorder une aide à une telle entreprise. Les traités expriment donc la soumission des services publics au principe de concurrence dans les mêmes termes que les traités en vigueur, sans permettre une législation spécifique et non dérogatoire sur les services publics. Or, cette ouverture des services publics à la compétition les pousse à se comporter comme des entreprises privées, avant d’être démantelés. L’instauration de ces services, à l’échelle européenne, n’étant prévue nulle part, ils sont, dès lors, de la compétence des États. Enfin nulle part n’est affirmé le droit à l’usage de biens communs à l’ensemble de l’humanité (eau, culture, énergie...).

2. Une procédure de ratification qui ne peut ignorer les enseignements de la consultation du 29 mai 2005

Les différences entre le traité constitutionnel et le traité de Lisbonne ne peuvent donc pas satisfaire les électeurs qui ont voté « Non » le 29 mai 2005. En tout état de cause, il semble impossible de préjuger de leur avis et de considérer qu’il n’est donc nul besoin de le solliciter. On ne peut exclure que les électeurs, consultés sur le nouveau traité, n’estiment que les progrès soient suffisants par rapport au TCE, mais encore faut-il le leur demander ! Telle n’est pas l’intention du Président de la République, qui est à l’origine de ce nouveau traité : celui-ci souhaite en effet que les dispositions du texte constitutionnel soient adoptées, mais sans recourir à un référendum dont il craint le résultat. Votre rapporteur ne peut que, là encore, citer l’article de Valéry Giscard d’Estaing  : « Quel est l’intérêt de cette subtile manoeuvre ? D’abord et avant tout d’échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire constitutionnel ».

Il est pourtant encore possible de contraindre le Président Sarkozy à consulter les électeurs sur le Traité de Lisbonne, lesquels ont seuls la légitimité pour apprécier l’ampleur des « progrès » entre le traité qu’ils ont rejeté et le nouveau texte.

Le traité de Lisbonne a été signé le 13 décembre 2007 et immédiatement soumis au Conseil constitutionnel par le Président de la République, en application de l’article 54 de la Constitution (4).

Le 20 décembre 2007, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision (2007-560 DC). Il n’a pu que constater que la ratification du traité de Lisbonne exigeait une révision préalable de la Constitution, comme il l’avait constaté pour le TCE par sa décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004. Ainsi, l’essentiel des dispositions du traité de Lisbonne justifiant une révision constitutionnelle reprennent des dispositions du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Le Gouvernement a donc déposé un projet de loi constitutionnelle le 3 janvier 2008 qui sera examiné par l’Assemblée nationale à partir du 15 janvier 2008. Une fois adoptée dans les mêmes termes par le Sénat, le Président de la République a annoncé qu’il serait soumis au Parlement réuni en Congrès le 4 février 2008 plutôt qu’au référendum. L’utilisation d’une procédure de révision identique à celle suivie en 2005 pourrait éventuellement se justifier si, comme en 2005, les électeurs étaient ensuite appelés à se prononcer par référendum sur le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne.

Ainsi, le respect de la position démocratiquement exprimée par les Français le 29 mai 2005 exige que ceux-ci soient consultés au cours du processus de ratification du traité de Lisbonne. Cette consultation référendaire pourrait avoir lieu à l’occasion de l’autorisation de ratification, comme en 2005, mais il est impossible de contraindre le Président de la République d’y procéder, compte tenu de la rédaction de l’article 11 de la Constitution. Votre rapporteur vous proposera donc de le modifier. L’autre voie ouverte pour permettre un référendum consisterait à ce que, faute de pouvoir réunir la majorité des 3/5ème des suffrages exprimés au Congrès, le Président de la République soit contraint de faire le choix du référendum pour approuver la révision constitutionnelle préalable à la ratification.

II. —  UNE PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE INDISPENSABLE

Il est indispensable de modifier la Constitution de la Cinquième République qui prévoit le référendum, mais comme un instrument de tactique politique, à la seule discrétion de l’exécutif.

A. LE RÉFÉRENDUM DANS LA CONSTITUTION DE 1958 EST DAVANTAGE UN OUTIL AU SERVICE DE L’EXÉCUTIF QU’UN VÉRITABLE PROCÉDÉ DE DÉMOCRATIE DIRECTE

En dehors des cas particuliers des référendums locaux (5) ou dans le cadre d’un processus de décolonisation (6), la Constitution de la Cinquième République prévoit trois formes de référendum national, dont aucune n’exprime une véritable confiance dans le peuple, comme expression de la souveraineté nationale.

1. Le référendum de l’article 11 : un outil à la discrétion du pouvoir exécutif

La Constitution de la Cinquième République a certes innové en instituant la possibilité de recourir au référendum pour adopter des textes législatifs ordinaires : c’est l’objet de l’article 11. Pour autant, le référendum tel qu’il est pratiqué en France ne saurait être assimilé à un véritable procédé de démocratie directe.

L’article 11 précise le champ du référendum : initialement les projets de loi susceptibles d’être soumis à référendum ne pouvaient porter que sur l’organisation des pouvoirs publics ou sur la ratification d’un traité, qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. Depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, qui a étendu son champ aux réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, le référendum peut donc être très largement utilisé en théorie.

Cependant, la procédure définie par l’article 11 encadre très strictement sa mise en œuvre, qui est d’abord un outil au service du pouvoir exécutif. En effet, l’initiative du référendum appartient conjointement au Gouvernement et au Parlement, mais aucun référendum n’a jamais été organisé sur proposition conjointe des deux assemblées. En outre, dans tous les cas, la décision d’organiser un référendum est une compétence personnelle du Président de la République, figurant parmi ses pouvoirs propres pouvant être mis en œuvre sans le contreseing prévu à l’article 19 de la Constitution.

Il résulte de ces dispositions une pratique très discutable du référendum sous la Cinquième République. Bien loin d’avoir été utilisé pour consulter directement le peuple sur les grandes orientations de la vie économique et sociale du pays, il a d’abord servi comme outil politique dans le cadre d’une stratégie de pouvoir. D’ailleurs, le Général de Gaulle, qui a convoqué quatre des huit référendums de l’article 11, n’a jamais caché qu’il considérait le référendum comme une forme de question de confiance posée au peuple. Son départ est ainsi la conséquence directe du « Non » au référendum du 26 avril 1969.

Dès ses débuts, le sens du référendum a donc été dénaturé par une conception essentiellement plébiscitaire de son utilisation. Par la suite, les successeurs du Général de Gaulle se sont bien gardés de conditionner leur maintien en poste au résultat des consultations référendaires qu’ils ont organisées. Néanmoins, la convocation des électeurs sur un projet de loi a toujours davantage répondu à des considérations d’opportunité politique qu’à l’importance même du projet de loi. Il est certes arrivé que des présidents de la République décident de convoquer un référendum sur des textes essentiels, notamment en 1992 sur le Traité de Maastricht ou en 2005 sur le Traité constitutionnel européen, mais c’était avec des arrière-pensées politiques.

2. Une procédure de droit commun pour la révision, mais pratiquement toujours contournée

L’intervention du peuple dans le champ constitutionnel devrait être la norme dans la mesure où le référendum est l’expression directe de la souveraineté nationale. La Constitution de la Cinquième République ainsi que celle de la Quatrième République ont d’ailleurs été adoptées par voie référendaire. Cependant, si le pouvoir constituant originaire semble appartenir directement au peuple, la situation est moins claire s’agissant du pouvoir constituant dérivé : c’est-à-dire du pouvoir de révision de la Constitution. Votre rapporteur considère que ce pouvoir devrait revenir au peuple lorsque les modifications constitutionnelles envisagées sont d’une telle ampleur qu’elles remettent en question le « contrat politique » conclu à l’occasion de l’adoption de la Constitution.

L’article 89 de la Constitution repose d’ailleurs sur cette philosophie, bien que la pratique s’en soit singulièrement éloignée. En effet, son deuxième alinéa indique que « le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum ». Le principe du recours au peuple y est donc clairement établi comme la procédure de droit commun. En effet, la voie alternative du Congrès n’est envisagée que dans un second temps, le troisième alinéa de l’article 89 précisant que « toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés ».

Selon le juriste gaulliste et ancien président de notre commission des Lois, René Capitant, « les dispositions de l’article 89, alinéa 3, ne jouent que dans le cas de révisions mineures, réalisées avec l’approbation tacite, ou à tout le moins dans l’indifférence du corps électoral » (7). Ainsi, l’utilisation de cette procédure afin de modifier les dates d’ouverture des sessions parlementaires en 1963 se justifiait pleinement dans ce cadre. À l’inverse, le choix du Congrès pour adopter des révisions constitutionnelles intervenant à la suite de décisions du Conseil constitutionnel constatant que les dispositions d’un traité portent atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale est beaucoup plus discutable.

Au total, la Constitution de la Cinquième République a fait l’objet de vingt-deux révisions : vingt d’entre elles ont été définitivement adoptées par le Congrès, et seulement deux par référendums, dont une seule en application de l’article 89, alinéa 2 (8). Le référendum du 24 septembre 2000 qui a permis la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans est donc le seul cas d’utilisation de la procédure de révision de droit commun.

3. Le référendum préalable à l’adhésion des nouveaux États membres à l’Union européenne

La Constitution de la Cinquième République prévoit cependant une hypothèse dans laquelle le référendum est obligatoire : celle de l’autorisation de ratification d’un traité d’adhésion à l’Union européenne. En effet, la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 a créé un article 88-5 rendant obligatoire l’organisation d’un tel référendum pour les adhésions à venir (9).

Cependant, la motivation de cette disposition constitutionnelle était très claire : il s’agissait pour le président Jacques Chirac de faire admettre à une majorité récalcitrante l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie, par l’engagement que le peuple serait in fine consulté. Cette disposition relève donc avant tout de considérations d’opportunisme politique. D’ailleurs, le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Cinquième République a proposé de revenir sur le caractère obligatoire de ce référendum. Le projet de loi constitutionnel issu des travaux de ce comité pourrait ainsi prévoir la possibilité d’autoriser la ratification des traités d’adhésion par le Parlement réuni en Congrès, comme en matière de révision constitutionnelle.

B. LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE DU GROUPE GDR : REDONNER AU RÉFÉRENDUM TOUT SON SENS

Par ailleurs, signe supplémentaire que le référendum ne constitue pas dans nos institutions un véritable outil de démocratie directe, la Constitution de la Cinquième République ne prévoit aucune disposition spécifique en cas de rejet d’un projet de loi soumis au référendum.

Le troisième alinéa de l’article 11 ne précise que les démarches à suivre en cas de succès du référendum. Dans cette situation, le Président de la République, tenu par les résultats du scrutin, doit promulguer la loi dans les 15 jours qui suivent la proclamation des résultats.

En cas de vote négatif au référendum, le projet est certes rejeté mais ce rejet n’entraîne aucune conséquence supplémentaire par rapport au rejet d’un texte par le Parlement. En théorie, un projet de loi rejeté par le Peuple peut donc être ensuite soumis, et éventuellement adopté, par le Parlement. Votre rapporteur ne remet bien évidemment pas en cause la légitimité de la représentation parlementaire, mais celle-ci tenant son pouvoir du Peuple, il n’est pas acceptable qu’elle puisse prendre des positions inverses de celles décidées à l’occasion d’un scrutin référendaire. C’est pourtant ce que le Président de la République a décidé de faire, en choisissant la voie parlementaire dans le cadre du processus de ratification du Traité de Lisbonne, dont votre Rapporteur a montré les très grandes similitudes avec le Traité établissant une Constitution européenne, rejeté par les Français le 29 mai 2005.

Face à ce déni de démocratie, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a décidé de débattre d’une proposition de loi constitutionnelle afin de mettre en place un mécanisme de protection de l’expression du suffrage universel en cas de rejet d’un projet de loi soumis au référendum. La solution envisagée ne vise pas à sacraliser définitivement le résultat d’un référendum, mais à laisser au peuple la responsabilité d’un éventuel changement de position. L’article 11 de la Constitution serait ainsi complété d’un quatrième alinéa précisant les conséquences du rejet d’un projet de loi par référendum. Dans cette hypothèse, aucune disposition législative figurant dans le projet de loi rejeté ne pourrait alors être valablement adoptée par la voie parlementaire. Afin de respecter le parallélisme des formes, et l’expression directe de la souveraineté nationale, seul un référendum permettrait donc l’adoption de dispositions précédemment rejetées par référendum.

La proposition de loi constitutionnelle tient compte du cas spécifique des traités internationaux. En effet, lorsque le peuple est appelé à se prononcer sur un traité, il ne se prononce pas directement sur les stipulations du traité, mais sur un projet de loi qui en autorise la ratification par le Président de la République. Si ce dernier projet de loi est rejeté par référendum, il est indispensable que le même traité ne puisse pas être, ensuite, ratifié par une autorisation donnée par le Parlement, ce que permettent pourtant nos institutions actuelles. La proposition de loi constitutionnelle du groupe GDR, si elle était adoptée, l’interdirait en rendant obligatoire l’organisation d’un référendum. Mais elle va plus loin en tenant compte de la situation créée par la signature du traité de Lisbonne : ce traité, formellement différent du traité établissant une Constitution pour l’Europe, reprend en fait l’essentiel des stipulations critiquables de ce dernier.

Afin d’éviter un contournement de la disposition constitutionnelle envisagée, celle-ci devrait donc prévoir également l’organisation obligatoire d’un référendum pour autoriser la ratification d’un traité contenant des stipulations qui figuraient déjà dans un précédent traité rejeté par référendum. Dans le cas du traité de Lisbonne, celui-ci devrait donc nécessairement faire l’objet d’un référendum dans la mesure où ce traité se contente de reprendre, dans un ordre et une présentation différents, les dispositions du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

La mise en œuvre de cette nouvelle procédure reposera principalement sur le Président de la République, qui sera chargé d’interpréter le sens des dispositions législatives et conventionnelles en voie d’adoption par le Parlement afin d’organiser un éventuel référendum. Pour autant, en cas d’interprétation erronée de la part du Président de la République, il appartiendrait alors au Conseil constitutionnel de censurer une loi adoptée par le Parlement en violation du nouveau quatrième alinéa de l’article 11.

*

* *

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné la présente proposition de loi constitutionnelle au cours de sa réunion du mercredi 9 janvier 2008. Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale a eu lieu.

M. Thierry Mariani après avoir expliqué qu’il avait été favorable au recours au referendum pour autoriser la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, a considéré que la disposition proposée ne serait pas dénuée d’intérêt, s’il ne s’agissait pas d’un texte de circonstance et si ses effets ne valaient que pour l’avenir. Il a rappelé le choix politique de l’actuel Président de la République, qui justifie pleinement que la voie législative ordinaire soit utilisée pour ratifier le traité de Lisbonne.

M. Alain Vidalies a expliqué que le lien direct avec l’actualité de la proposition de loi communiste ne devrait pas suffire à justifier son rejet, sauf à devoir rejeter la plupart des projets de loi dont le Parlement est saisi. Il a rappelé que, dans l’histoire française, aucun projet rejeté par la voie du referendum n’avait ensuite fait l’objet d’une adoption par voie législative. Il a estimé que, dès lors que le peuple français est appelé à se prononcer, le fait de ne plus prendre en compte sa réponse pourrait conduire à une opposition dangereuse entre démocratie directe et démocratie représentative. Il a annoncé qu’il voterait en faveur de l’adoption de la proposition de loi.

M. Christophe Caresche s’est interrogé sur le fait de savoir si le traité qui sera soumis à la ratification pouvait être considéré comme identique ou même analogue au traité qui a été rejeté il y a quelques mois par referendum. Il a estimé pour sa part que ces deux textes ne l’étaient pas.

Le président Jean-Luc Warsmann a confirmé cette analyse, en précisant que le Conseil constitutionnel avait justement examiné la question de la conformité à la Constitution du traité de Lisbonne dans la mesure où ce traité n’était pas identique au projet de « Constitution européenne », dont la conformité à la Constitution avait déjà été examinée par le Conseil.

M. Manuel Valls a souligné l’importance du débat sur la question de la similitude des textes. Il a d’autre part estimé qu’il n’était pas possible de considérer la proposition de loi constitutionnelle indépendamment du projet de révision constitutionnelle qui permettra de ratifier le traité de Lisbonne. Il a enfin jugé que l’exposé des motifs de la proposition de loi devrait conduire à ne pas voter cette proposition.

M. Philippe Vuilque a considéré qu’il convenait de distinguer l’exposé des motifs – avec lequel on peut effectivement être en désaccord – de l’article unique de la proposition de loi. Il a jugé que cet article unique, qui propose d’établir un parallélisme des formes, devrait être approuvé, dans la mesure où il serait difficile de refuser aux Français de s’exprimer directement sur un sujet dont ils ont déjà eu à connaître par referendum, même si c’était en termes différents.

M. Jean-Jacques Urvoas a expliqué que, alors même que l’article unique lui semblait pouvoir être approuvé en soi, il ne voterait pas en faveur de la proposition de loi en raison de l’exposé des motifs, ouvertement défavorable au traité de Lisbonne.

Le rapporteur a reconnu qu’il ne cherchait pas à nier le lien entre l’actualité et le texte proposé, mais que celle-ci commandait d’agir afin d’éviter un déni de démocratie. Il a estimé que ce sujet était digne de l’attention des parlementaires qui devaient veiller à ne pas opposer démocratie directe et démocratie parlementaire. En effet, il faut éviter que la parole et la volonté du peuple ne soient détournées par un biais parlementaire, au risque d’accroître la méfiance à l’égard de la démocratie représentative.

Certes, le traité de Lisbonne n’est pas formellement identique au traité constitutionnel, mais les principales dispositions de ce dernier s’y retrouvent, sans aucun changement, par exemple sur le sujet crucial de la place des services publics dans la construction européenne.

Il a par ailleurs estimé normal que certains députés partagent la préoccupation démocratique portée par la proposition de loi, sans en partager l’exposé des motifs. En effet, la question de fond est bien de savoir s’il est possible de demander au Parlement de déjuger le résultat d’une consultation référendaire, ce qui serait sans précédent.

*

* *

À l’issue de ce débat, la Commission a rejeté l’article unique de la proposition de loi.

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte en vigueur

___

Texte de la proposition de loi
constitutionnelle

___

Constitution du 4 octobre 1958

Article unique

Art. 11. —  Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

L’article 11 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.

 

Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.

 
 

« Lorsque le référendum a conclu au rejet d’un projet de loi, tout nouveau projet de loi contenant des dispositions analogues ou autorisant la ratification d’un traité contenant des dispositions similaires à celles du traité ayant fait l’objet de la consultation, doit être soumis au référendum. »

© Assemblée nationale

1 () Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme, Revue du droit public et de la science politique, 1931, page 230.

2 () La boîte à outils du traité de Lisbonne, Le Monde, 26 octobre 2007.

3 () « "Les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres relative à la fourniture, à la mise en service et à l’organisation de services non économiques d’intérêt général".

4 () Art. 54 : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le Président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».

5 () La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a introduit un article 72-1 dans la Constitution, instituant plusieurs possibilités de référendum local.

6 () L’article 53 de la Constitution prévoit la consultation obligatoire des populations concernées avant toute cession, échange ou adjonction de territoire.

7 () Écrits constitutionnels, Paris, Ed du CNRS, 1982, p.385.

8 () Rappelons que l’élection du président de la République au suffrage universel a été introduite en 1962 par un projet de loi adopté par un référendum de l’article 11, bien que cette procédure de révision n’ait pas été prévue par le constituant.

9 () L’article 88-5 ne s’applique cependant pas aux États dont le processus d’adhésion avait été ouvert avant le 1er juillet 2004, à savoir la Bulgarie et la Roumanie (qui ont rejoint l’Union européenne le 1er janvier 2007) et la Croatie.