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N
° 1044

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juillet 2008.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants,

par M. Jean GLAVANY,

Député

Voir les numéros  :

Sénat : 220, 316 et T.A. 111 (2007-2008).

Assemblée nationale : 960.

INTRODUCTION 5

I – LA TORTURE ET LES TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS CONTINUENT À ÊTRE PRATIQUÉS, MALGRÉ LE CADRE INTERNATIONAL DESTINÉ À LES COMBATTRE 7

A – UN ÉTAT DES LIEUX DIFFICILE À DRESSER, MAIS GLOBALEMENT INQUIÉTANT 7

B – UNE INTERDICTION ABSOLUE, QUELLES QUE SOIENT LES CIRCONSTANCES 10

C – LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX DE PRÉVENTION 11

II – LE PROTOCOLE FACULTATIF DE 2002 CONSTITUE UNE AVANCÉE IMPORTANTE, QUE LA FRANCE DEVRA APPLIQUER PLEINEMENT 15

A – LE VOLET INTERNATIONAL DU DISPOSITIF : LE SOUS-COMITÉ DE LA PRÉVENTION 16

1) La composition du sous-comité de la prévention 16

2) Le mandat du sous-comité 17

B – LE VOLET INTERNE À CHAQUE ÉTAT PARTIE : LES MÉCANISMES NATIONAUX DE PRÉVENTION 19

1) Le cadre des mécanismes nationaux de prévention 19

2) Sa mise en œuvre en France et les questions qu’elle pose 20

CONCLUSION 25

EXAMEN EN COMMISSION 27

ANNEXES 29

Annexe 1 - État des ratifications et des signatures du Protocole facultatif 31

Annexe 2 - Extraits du rapport annuel 2008 d’Amnesty international  33

Annexe 3 - Carte des pays pratiquant la torture en 2007 37

Mesdames, Messieurs,

S’il est par définition très difficile d’évaluer précisément le nombre de personnes qui sont victimes d’actes de torture ou de traitements inhumains ou dégradants, l’existence, de par le monde, de plusieurs centaines d’associations non gouvernementales luttant contre la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées et tout autre traitement cruel, inhumain ou dégradant permet de témoigner de l’ampleur d’un phénomène qui n’est pas observé exclusivement dans les pays au régime tyrannique, et n’épargne pas les démocraties, même les plus solidement établies.

Tout instrument visant à renforcer les moyens de lutter contre de telles pratiques est donc utile. Le Protocole facultatif se rapportant à la convention de lutte contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, signé le 18 décembre 2002 à New York, dont le présent projet de loi, adopté par le Sénat le 12 juin 2008, vise à autoriser l’approbation par la France, est particulièrement précieux dans la mesure où il organise l’articulation entre un sous-comité de la prévention à vocation universelle qu’il crée et des mécanismes nationaux de prévention dont chaque Etat partie doit se doter.

C’est un protocole facultatif dans la mesure où peut y adhérer – sans que cela constitue une obligation – tout Etat partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, convention dont il renforce l’efficacité. Cette technique des protocoles facultatifs est fréquemment utilisée dans les normes internationales relatives aux droits de l’homme (1) : elle permet aux Etats qui le souhaitent de prendre des engagements allant au-delà de ceux inclus dans la convention de base, alors même que tous les Etats parties à celle-ci ne sont pas prêts à le faire.

Avant même de déposer le présent projet de loi, la France a enrichi son corpus législatif d’une loi instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité qui a, notamment, vocation à constituer le mécanisme français de prévention de la torture. Notre pays respecte ainsi d’ores et déjà les stipulations du Protocole relatives à ce mécanisme, même si ce respect n’est sur certains points que a minima, comme votre Rapporteur le mettra en évidence.

Après avoir souligné les difficultés d’appréhension de la fréquence de ces pratiques, qui semblent néanmoins relativement banalisées, et rappelé la reconnaissance par le droit international de l’interdiction de la torture et des traitements dégradants ou inhumains, votre Rapporteur présentera les dispositifs de prévention de la torture, universel et européen, auxquels la France est actuellement partie. Il s’intéressera ensuite aux stipulations portant création d’un sous-comité de prévention de la torture, en soulignant les différences entre celui-ci et le comité du Conseil de l’Europe remplissant le même objectif. Votre Rapporteur mettra enfin l’accent sur les exigences du Protocole relatives aux mécanismes nationaux de prévention et sur leur mise en œuvre, encore imparfaite à ce jour, en droit français.

I – LA TORTURE ET LES TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS CONTINUENT À ÊTRE PRATIQUÉS, MALGRÉ LE CADRE INTERNATIONAL DESTINÉ À LES COMBATTRE

L’article 1er de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 définit la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. »

La torture et les traitements inhumains ou dégradants sont interdits à la fois en temps de guerre par le droit humanitaire et en temps de paix par le droit international classique.

Cette prohibition absolue a conduit à la mise en place de dispositifs de prévention, que le Protocole objet du présent projet de loi vise à compléter.

Des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants continuent néanmoins d’être observés dans de nombreux pays. Ils auraient même tendance à se banaliser.

A – Un état des lieux difficile à dresser, mais globalement inquiétant

Alors que le nombre annuel des exécutions capitales est bien connu dans la mesure où elles constituent l’aboutissement d’une procédure judiciaire, celui des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants est impossible à établir de manière précise. Les Etats qui recourent à ces pratiques interdites n’en font pas publicité et l’un des buts principaux de leur utilisation est justement de faire peur et de réduire au silence ceux qui pourraient s’opposer à eux. Les nombreuses associations qui luttent contre ces formes de violence reçoivent des témoignages, qui ne portent que sur une partie des actes de torture effectivement commis.

Amnesty International indique avoir recueilli des informations sur des cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants dans quatre-vingt-un pays en 2007 ; dans son dernier rapport annuel, elle mentionne les pratiques interdites observées dans trente-cinq pays. Figurent en annexe du présent rapport (2) plusieurs extraits de ce rapport, qui donnent des exemples des pratiques observés dans certains de ces pays. L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) a dressé une carte des pays qui pratiquent la torture (3). En font partie de nombreux pays au régime autoritaire, mais aussi de grandes démocraties comme le Brésil, l’Inde et les Etats-Unis.

Selon les observations faites par Amnesty International, la nécessité de bannir toutes les formes de torture, quelle que soit la situation, n’apparaît plus aussi évidente aux yeux de la Communauté internationale dans son ensemble. Des Etats, parmi lesquels des défenseurs traditionnels des droits de l’homme, ont tendance à justifier l’usage de la torture dans certaines situations, et en particulier dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Les pratiques observées dans la prison d’Abou Ghraib ou sur la base américaine de Guantanamo en témoignent.

La révélation, au printemps 2006, de l’existence, sur le territoire de plusieurs pays européens, des « prisons secrètes de la CIA », mises en place dans le cadre du programme dit de « restitution » de l’Agence, en est une autre illustration. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a consacré un rapport très intéressant à cette question, dont le résumé est reproduit dans l’encadré ci-après. Il présente plusieurs exemples de personnes ayant été détenues au secret et ayant subi des actes ou de torture ou d’autres traitements interdits par le droit international. Ces lieux de détention étant tenus secrets, aucun organisme ne peut vérifier les conditions dans lesquelles les personnes sont détenues, ce qui ouvre la porte à toutes les pratiques prohibées. Certaines d’entre elles, d’abord maintenues en détention sous le contrôle des États-Unis ont ensuite été transférées vers des pays connus pour soumettre les détenus à la torture et à d'autres types de mauvais traitements au cours des interrogatoires.

ALLÉGATIONS DE DÉTENTIONS SECRÈTES ET DE TRANSFERTS INTERÉTATIQUES ILLÉGAUX DE DÉTENUS CONCERNANT DES ETATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE (1)

« C’est une véritable « toile d’araignée » à travers le monde que nous dévoile l’analyse du programme des « restitutions » de la CIA, analyse basée sur les données officielles fournies par les autorités de contrôle du trafic aérien, ainsi que sur d’autres informations. Cette « toile » se compose de plusieurs points d’atterrissage, que nous avons distingués en différentes catégories, reliés entre eux par des avions civils volant pour le compte de la CIA, ou par des avions militaires.

L’analyse du fonctionnement de ce système et de dix cas de restitutions nous permet de tirer des conclusions à la fois quant aux violations des droits de l’homme qui se sont produites dans ce cadre - et dont certaines durent toujours – et quant aux responsabilités d’un certain nombre de pays membres du Conseil de l’Europe liés par la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la Convention Européenne pour la Prévention de la Torture.

Les Etats-Unis d’Amérique, Etat observateur auprès de notre Organisation, ont effectivement mis en place un système répréhensible, que nous estimons critiquable à la lumière des valeurs partagées de part et d’autre de l’Atlantique. Mais nous pensons avoir établi que c’est seulement grâce à la collusion – intentionnelle ou gravement négligente – des partenaires européens que cette « toile » a pu s’étendre aussi à travers notre continent.

Si des preuves au sens classique du terme ne sont pas encore disponibles, de nombreux éléments, cohérents et convergents, indiquent que des centres secrets de détention et des transferts illégaux de détenus ont bel et bien existé en Europe. Il ne s’agit pas de déclarer les autorités de ces pays « coupables » d’avoir toléré des lieux secrets de détention, mais de les tenir pour « responsables » de ne pas s’être conformés à l’obligation positive qui leur incombe de diligenter une enquête sérieuse en cas d’allégations crédibles de violation des droits fondamentaux. »

(1) Extrait du rapport de M. Dick Marty, au nom de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, doc. 10957, 12 juin 2006.

Une autre source d’inquiétude pour les organisations de défense des droits de l’homme et de lutte contre la torture réside dans l’interprétation de moins en moins rigoureuse que de nombreux Etats ont de l’interdiction qui leur est faite, notamment en application de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de renvoyer dans leur pays des personnes qui risquent d’y être victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements. On observe ainsi un développement de la pratique des « assurances diplomatiques », qui consiste, pour un Etat, à demander à un autre Etat qui pratique la torture ou d’autres traitements interdits, de s’engager à ne pas faire subir un tel traitement à l’un de ses ressortissants, qui se trouve actuellement sur le territoire du premier Etat, mais va être renvoyé dans son pays d’origine. C’est donc un moyen de contourner l’interdiction, alors même que de telles « assurances » ne constituent absolument pas une garantie : il est pratiquement impossible de vérifier qu’elles seront respectées et, quand bien même il serait connu, le manquement d’un Etat à sa promesse ne serait pas sanctionné.

Plus inquiétant encore, l’évolution des opinions publiques vis-à-vis de l’interdiction absolue de la torture s’opère dans le sens d’une plus grande acceptation. Selon les résultats d’une étude d’opinion réalisée dans dix-neuf pays par WorldPublicOpinion.org au printemps 2008, 57 % des personnes interrogées se prononcent en faveur de l’interdiction absolue de la torture, mais 35 % sont en faveur de la possibilité d’y recourir quand la vie d’innocents est en jeu et 9 % défendent même son utilisation par l’Etat de manière générale. Les résultats sont évidemment très différents selon les pays, mais en Inde, au Nigeria et en Turquie, une majorité se dégage en faveur de l’usage de la torture dans le but de sauver des vies innocentes. 44 % des Américains sondés sont du même avis, parmi lesquels 13 % approuveraient son utilisation par l’Etat de manière générale. Un sondage réalisé en juin-juillet 2006 sur la question de l’utilisation de la torture dans la lutte contre le terrorisme avait mis en évidence un soutien moins marqué à cette pratique : il était exprimé par 32 % des Indiens, contre 59 % aujourd’hui, 39 % des Nigérians, contre 54 %, 24 % des Turcs, contre 51 %, et 36 % des Américains. Parallèlement, dans les pays déjà majoritairement en faveur d’une interdiction absolue, la part de ceux qui souhaitent cette interdiction a augmenté. Mais, globalement, la part des défenseurs de l’usage de la torture contre les terroristes a crû de six points, pendant que celle des tenants de l’interdiction absolue n’a gagné que deux points. Il apparaît que les premiers ont surtout progressé dans les pays qui ont subi des attaques terroristes au cours des deux dernières années.

Le droit international est ainsi régulièrement violé, souvent sans que la Communauté internationale ou la population ne s’en émeuve. Il n’en demeure pas moins capital en cela qu’il solennise la position de la Communauté internationale, dans sa grande majorité, si ce n’est dans sa totalité, contre la torture et les autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Votre Rapporteur tient à souligner que, si les gouvernements ont le devoir de protéger leur population des attaques violentes, y compris des actes terroristes, c’est en renforçant le système de protection des droits de l’homme, et non en l’affaiblissant par l’utilisation de pratiques illégales, comme la torture, qu’ils parviendront à se protéger efficacement. Les gouvernements qui utilisent la torture et d’autres mauvais traitements au mépris de la loi ont recours à une tactique terroriste et détruisent les valeurs mêmes qu’ils affirment vouloir protéger. La fragilisation d’une série de droits déprécie inévitablement tous les autres droits. Il faut donc absolument condamner et prévenir la torture et les autres mauvais traitements, ce à quoi le Protocole de 2002 contribue de manière importante.

B – Une interdiction absolue, quelles que soient les circonstances

C’est au lendemain de la fin de la deuxième guerre mondiale que la lutte contre la torture est devenue un sujet de préoccupation essentiel, au nom du respect des droits de l’homme. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dans son article 5, est le premier texte juridique international où la « torture » est déclarée illégale de manière spécifique. Le premier traité interdisant la torture, adopté peu après, en 1950, est la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 3). La Convention des Nations unies de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (dite Convention contre la torture) est le premier instrument international contraignant qui porte exclusivement sur la lutte contre une des violations des droits de l’homme les plus graves et les plus répandues de notre époque. 144 Etats y sont actuellement parties.

De nos jours, la plupart des traités généraux relatifs aux droits de l’homme, adoptés aux échelons régional et mondial, évoquent le problème de la torture et des mauvais traitements infligés aux personnes (4). Ils affirment que la torture est absolument interdite, y compris dans des situations d’urgence ou de conflit armé.

Dès la fin du XIXème siècle, le droit humanitaire applicable en temps de guerre exclut en outre de manière non équivoque le recours à la torture. Sans mentionner explicitement la « torture », l’article 4 du Règlement annexé aux Conventions de La Haye de 1899 et 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre stipule que les prisonniers de guerre doivent être traités avec humanité, ce qui exclut clairement des traitements acceptables le recours à la torture ; la même interdiction peut en être déduite au bénéfice des civils. L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 inclut dans la liste des règles minimales que doivent observer toutes les parties, même dans un conflit armé non international, une interdiction concernant « (...) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment (...) les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices (...) ». De même, le Protocole II additionnel aux Conventions de Genève (5), prohibe « (...) les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier (...) les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles ». En vertu de la troisième convention de Genève, relative au traitement des prisonniers de guerre, les États parties et leurs autorités sont tenus, lors de conflits armés internationaux, de traiter les prisonniers de guerre en tout temps avec humanité et de respecter leur personne en toutes circonstances. La quatrième convention, relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, interdit les actes de violence et la torture contre les civils protégés en temps de guerre. Enfin, l’article 75 du Protocole I étend cette interdiction à toutes les personnes se trouvant dans ce genre de situation et précise que « la torture sous toutes ses formes, qu’elle soit physique ou mentale » est absolument prohibée.

C – Les instruments internationaux de prévention

En raison de ses graves conséquences psychologiques, le mal infligé à la victime par la torture ne saurait être réparé. La prévention revêt donc une importance primordiale. Sur le plan des droits de l’homme, selon l’article 2.1 de la Convention contre la torture, tout État est tenu de « prend[re] des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis (...) ». Ces mesures comprennent non seulement l’interdiction sans équivoque des actes de torture, mais aussi la formation du personnel de police et de sécurité, l’application de directives précises concernant le traitement des personnes privées de liberté, la mise en place de mécanismes nationaux d’inspection et de supervision et/ou l’introduction d’un dispositif permettant d’enquêter efficacement sur les plaintes relatives à des mauvais traitements.

Depuis longtemps, le droit humanitaire reconnaît la nécessité d’élaborer des dispositions précises concernant le traitement des personnes privées de liberté, afin de lutter contre tout mauvais traitement. On peut considérer que les nombreuses dispositions de la troisième convention de Genève, notamment celles relatives à l’internement des prisonniers de guerre et celles relatives aux relations entre prisonniers de guerre et autorités, constituent une codification de normes destinées à prévenir efficacement la torture et les peines ou traitements cruels ou inhumains pour cette catégorie de personnes protégées. Cela vaut également pour de nombreuses dispositions relatives au traitement des internés contenues dans la quatrième convention de Genève.

Mais, si les conflits internationaux ou internes créent un contexte particulièrement favorable au recours à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants, celui-ci est aussi fréquent en temps de paix. Pour veiller au respect des principes qu’elle pose, la convention contre la torture de 1984 crée donc, en son article 17, un Comité contre la torture, composé de dix experts indépendants élus par les Etats parties à la Convention. Tous les Etats sont tenus de présenter au Comité, à intervalles réguliers, des rapports sur la mise en œuvre des droits consacrés par la Convention : ils doivent présenter un premier rapport un an après avoir adhéré à la Convention, puis tous les quatre ans. Le Comité examine chaque rapport et fait part de ses préoccupations et de ses recommandations à l’Etat partie sous la forme d’« observations finales » (article 19 de la Convention).

La Convention met aussi en place trois mécanismes qui permettent au Comité de s’acquitter de ses fonctions de surveillance : le Comité peut, dans certaines conditions, examiner des requêtes individuelles ou des communications émanant de particuliers qui se disent victimes d’une violation des droits reconnus par la Convention (6) (article 22), entreprendre des enquêtes (article 20) et examiner des plaintes entre Etats (7) (article 21).

Les violations du droit international dans le domaine de la torture et des traitements dégradants ou inhumains étant souvent dissimulées, il est capital que les organismes chargés de prévenir ces violations puissent effectuer des visites de lieux de détention. Ces visites, qui peuvent éventuellement permettre d’éviter les actes de torture, surtout si elles sont inopinées, peuvent surtout aider à déterminer les situations susceptibles d’entraîner de tels actes, et donc de prendre les mesures appropriées afin de réduire ce risque. Le droit international humanitaire reconnaît l’utilité de ces visites, dont la responsabilité incombe au comité international de la Croix-Rouge en temps de guerre et dont celui-ci peut être chargé dans les situations de conflit armé non international ou de tensions et de troubles intérieurs. Plusieurs instruments internationaux prévoient aussi l’organisation de visites des lieux de détention dans les situations non conflictuelles.

Le Conseil de l’Europe a ainsi adopté, en 1987, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Entrée en vigueur en février 1989, et ratifiée par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, elle a mis en place un organe d’experts indépendants, le Comité européen pour la prévention de la torture, qui est chargé d’effectuer des visites périodiques ou ad hoc dans tous les lieux de détention sur le territoire des États parties (article 7) et de faire des recommandations confidentielles au pays concerné (articles 10 et 11), afin d’améliorer certaines situations susceptibles d’entraîner des actes de torture et des mauvais traitements. Ces visites ont eu des résultats jugés extrêmement positifs par les experts dans la lutte contre la torture.

Par rapport à ce dispositif européen, le présent protocole à la convention de lutte contre la torture présente l’avantage d’articuler un organe international voisin du comité européen et des dispositifs nationaux propres à chaque Etat partie.

II – LE PROTOCOLE FACULTATIF DE 2002 CONSTITUE UNE AVANCÉE IMPORTANTE, QUE LA FRANCE DEVRA APPLIQUER PLEINEMENT

Le protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants a été adopté à New York le 18 décembre 2002. Conformément aux stipulations de son article 28, le Protocole est entré en vigueur le trentième jour suivant le dépôt du vingtième instrument de ratification ou d’adhésion, soit en juin 2006. Trente-cinq Etats y sont actuellement parties, trente-trois autres, dont la France, ayant signé le Protocole sans l’avoir encore ratifié (8). On est loin des plus de cent-quarante Etats qui sont parties à la convention contre la torture de 1984, mais ce protocole n’est que facultatif. Le fait que près de la moitié des Etats parties à la Convention l’ait signé, et ce moins de six ans après son adoption, constitue néanmoins un signe très encourageant de l’intérêt de la Communauté internationale pour la lutte contre la torture, en dépit des signes inquiétants évoqués supra.

On observera que dix-neuf des vingt-sept Etats membres de l’Union européenne ont signé le Protocole, mais que des pays importants, qui sont parties à la Convention de 1984, ne l’ont pas encore fait : tel est le cas par exemple des Etats-Unis, de la Russie, du Japon et de la Chine. Pour ce qui est de l’Inde, elle a signé la Convention en 1997, mais ne l’a pas ratifiée : tant qu’elle ne l’a pas fait, elle ne peut pas devenir partie au Protocole additionnel.

La première partie du Protocole pose les principes généraux, qui consistent en la coexistence d’un sous-comité de la prévention (article 2), créé au sein du Comité contre la torture mis en place par la convention contre la torture de 1984, et d’organes nationaux (article 3), les deux niveaux devant remplir ensemble l’objectif fixé par l’article 1er du Protocole, qui est l’établissement d’un « système de visites régulières » « sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Pour ce faire, les Etats parties au Protocole les autorisent à effectuer ces visites. Le champ d’application de celles-ci est très vaste : est en effet susceptible d’être visité dans le cadre du Protocole « tout lieu placé sous [la] juridiction [de l’Etat] ou sous son contrôle où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté sur ordre d’une autorité publique ou à son instigation, avec ou sans son consentement exprès ou tacite » (article 4).

A – Le volet international du dispositif : le sous-comité de la prévention

Les deuxième et troisième parties du Protocole sont consacrées respectivement à la composition et au mandat du sous-comité de la prévention. L’une et l’autre sont proches du dispositif mis en place par la convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les principales différences sont liées à la nécessité de tenir compte du caractère universel du Protocole, qui devrait conduire à ce qu’un très grand nombre d’Etats y soient parties.

1) La composition du sous-comité de la prévention

Ainsi, alors que Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants est composé d’un nombre de membres égal à celui des Etats qui y sont parties, c’est-à-dire actuellement quarante-sept, autant que d’Etats membres du Conseil de l’Europe (9), l’article 5 du Protocole prévoit que le sous-comité compte dix membres, dans un premier temps, puis vingt-cinq lorsque le nombre d’Etat parties au Protocole aura atteint cinquante. Le nombre dix correspond à la moitié du nombre d’Etats parties requis pour que le Protocole entre en vigueur (vingt, en application de l’article 28 du Protocole). Cette limitation du nombre de membres traduit un souci d’efficacité : il ne fait guère de doute qu’un sous-comité d’une centaine de membres – si un aussi grand nombre d’Etat ratifiait le Protocole – serait inutilement lourd à gérer.

Trente-cinq pays ayant à ce jour ratifié le Protocole, le sous-comité est donc composé aujourd’hui de dix membres, qui sont originaires du Royaume-Uni, d’Argentine, de Croatie, de République tchèque, de Pologne, du Danemark, du Costa Rica, du Mexique, d’Uruguay et d’Espagne. On observe que cette composition traduit la nécessité, qui figure dans le Protocole, d’assurer une répartition géographique équitable (des Etats parties, lesquels ne sont pas également répartis sur les cinq continents) et la représentation des diverses formes de civilisation et systèmes juridiques des Etats parties, mais ne tient guère compte de celle, mentionnée de la même manière, d’assurer une représentation respectueuse de l’équilibre entre les sexes, dans la mesure où seul le membre croate du sous-comité est une femme.

Comme les membres du comité européen, ceux du sous-comité doivent être choisis parmi « des personnalités de haute moralité ayant une expérience professionnelle reconnue » dans les domaines dont traite le Protocole. Ils siègent à titre individuel et agissent en toute indépendance et impartialité. Le comité ne peut comprendre plus d’un ressortissant du même Etat.

L’article 7 du Protocole précise les modalités d’élection des membres du sous-comité alors que l’article 6 fixe les conditions dans lesquelles les Etats parties désignent les candidats : chaque Etat peut désigner deux candidats au maximum, dont au moins un doit posséder sa nationalité (pour le comité européen, trois candidats peuvent être désignés, dont deux ressortissants de l’Etat). Les membres du sous-comité sont élus pour quatre ans, comme ceux du comité européen, et sont rééligibles une seule fois (contre deux pour le comité européen). Ils sont renouvelés par moitié (article 9).

L’article 10 prévoit notamment que le sous-comité tient, chaque année, l’une de ses sessions simultanément à une session du Comité contre la torture. Ainsi, en 2007, après avoir tenu sa première session en février et une deuxième en juin, le sous-comité s’est réuni conjointement avec le Comité en novembre. Il a tenu sa quatrième session en février 2008.

En application de l’article 35, les membres du sous-comité jouissent des privilèges et immunités qui leur sont nécessaires pour exercer leurs fonctions en toute indépendance, ce qui ne les dispense ni de respecter les lois et règlements des pays où ils se rendent, ni de s’abstenir de toute action ou activité incompatible avec le caractère impartial et international de leurs fonctions (article 36).

2) Le mandat du sous-comité

L’article 11 du Protocole attribue trois missions au sous-comité :

– effectuer des visites des lieux où se trouvent des personnes privées de liberté et, à l’issue, formuler à l’attention des Etats des recommandations concernant la protection de ces personnes contre tout mauvais traitement ;

– coopérer avec les mécanismes nationaux de prévention, en leur apportant notamment formation, assistance technique et avis ;

– coopérer avec tous les organismes internationaux compétents en vue de prévenir la torture.

C’est naturellement la première mission qui est la plus essentielle et la plus délicate à remplir. Plusieurs articles du Protocole détaillent les conditions dans lesquelles le sous-comité s’en acquitte.

L’article 13 prévoit que le sous-comité établisse, « d’abord par tirage au sort », un programme de visites régulières dans les Etats parties, ces visites régulières pouvant être suivies d’une « brève visite ». Le choix du tirage au sort est original : il ne figure pas dans la convention européenne qui mentionne pour sa part des visites périodiques et « toute autre visite lui paraissant exigée par les circonstances ». Le dispositif « universel » est en cela moins exigeant que le dispositif régional, situation qui est fréquente en ce qui concerne les mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme. Pour 2008, le programme de visites du sous-comité mentionne la Suède et le Bénin au premier semestre, le Mexique et le Paraguay au second semestre.

Les visites sont conduites par au moins deux membres du sous-comité, qui peuvent être assistés par des experts choisis sur une liste dressée sur la base des propositions des Etats parties, du Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et du Centre des Nations unies pour la prévention internationale du crime.

Ce travail ne peut être conduit sans la collaboration des Etats visités. Les formes que celle-ci doit prendre sont détaillées aux articles 12 et 14 du Protocole. D’une manière générale, les Etats parties doivent d’abord autoriser les membres du sous-comité à accéder à leur territoire et aux lieux de détention. Ils doivent aussi leur communiquer toutes les informations qu’ils demandent, faciliter les contacts entre le sous-comité et les mécanismes nationaux de prévention, examiner les recommandations du sous-comité et prendre les mesures préconisées.

Lorsque le sous-comité effectue une visite sur le territoire d’un Etat, ce dernier est tenu de lui fournir tous les renseignements sur le nombre de personnes détenues et les lieux de détention, ainsi que leur emplacement, sur le traitement de ces personnes et leurs conditions de détention. Il doit lui donner accès à tous les lieux de détention, lui permettre de choisir ceux qu’il visitera et les personnes qu’il rencontrera, et lui accorder la possibilité de s’entretenir, en privé, avec toutes les personnes détenues ou toute autre personne qu’il jugera utile de rencontrer. L’article 14 n’autorise l’Etat concerné à faire objection à la visite d’un certain lieu de détention par le sous-comité que « pour des raisons pressantes et impérieuses liées à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles graves là où la visite doit avoir lieu, qui empêche provisoirement que la visite ait lieu ». Le dispositif européen est un peu différent : aucun programme de visites n’étant exigé du comité, il doit notifier à l’Etat son intention d’effectuer une visite, laquelle peut ensuite être faite à tout moment. L’Etat peut aussi faire objection à une visite (d’une manière générale ou prévue dans un certain lieu) dans tous les cas prévus par le Protocole, mais aussi dans deux autres : en raison de l’état de santé d’une personne ou d’un interrogatoire urgent, dans une enquête en cours, en relation avec une infraction pénale grave.

L’article 15 prévoit que soit accordée une forme d’immunité aux personnes ou aux organisations qui auront « communiqué des renseignements, vrais ou faux, au sous-comité ou à ses membres ». Bien que l’article 30 du Protocole interdise aux Etats parties de faire des réserves, la France accompagnera sa ratification d’une déclaration interprétative précisant que les renseignements « vrais ou faux » ne seront couverts par cette immunité que s’ils ont été communiqués de bonne foi, afin d’exclure les faux intentionnels de ce dispositif protecteur.

En application de l’article 16 du Protocole, les recommandations du sous-comité sont transmises à l’Etat concerné, voire à son mécanisme national de prévention, à titre confidentiel. Le rapport du sous-comité, éventuellement accompagné des observations de l’Etat concerné, n’est donc publié qu’à la demande de celui-ci ou si ce dernier en a lui-même publié une partie, le sous-comité présentant par ailleurs chaque année un rapport public sur ses activités.

La publication du rapport concernant un Etat n’est possible sans son accord que pour sanctionner ses manquements aux engagements contractés dans le cadre du Protocole ou son refus de prendre les mesures recommandées par le sous-comité. Encore faut-il que des conditions exigeantes soient réunies : le sous-comité doit demander au Comité contre la torture de décider cette publication, à la majorité de ses membres, « après que l’Etat aura eu la possibilité de s’expliquer ». Le Comité peut aussi, dans les mêmes conditions, choisir de faire une déclaration publique à ce sujet.

Il est probable que ce dispositif de sanction, jamais encore utilisé, ne sera mis en œuvre que dans des cas de manquements graves et répétés, ce qui prive l’ensemble du Protocole d’une partie de son efficacité. Mais il faut reconnaître que le mécanisme européen n’est pas plus contraignant : le Comité européen peut décider lui-même de faire une déclaration publique sur un Etat non coopératif mais il doit obtenir une majorité des deux tiers de ses membres pour ce faire, et la possibilité de publier un rapport sur un Etat sans son accord ne lui est pas ouverte.

B – Le volet interne à chaque Etat partie : les mécanismes nationaux de prévention

La véritable valeur ajoutée du Protocole par rapport à la convention européenne est, outre son caractère universel, l’obligation qu’il crée pour les Etats parties de mettre en place un mécanisme national de prévention. Avant même de le ratifier, la France a ainsi enrichi sa législation d’une loi instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Mais la pérennité de cette autorité, qui n’a un titulaire que depuis quelques semaines, est aujourd’hui en question.

1) Le cadre des mécanismes nationaux de prévention

L’article 17 du Protocole accord aux Etats nouvellement parties un délai d’une année pour « administre[r], désigne[r] ou met[tre] en place (…) un ou plusieurs mécanismes nationaux de prévention indépendants en vue de prévenir la torture à l’échelon national ».

Les articles 18 à 23 du Protocole mettent à la charge de chaque Etat une série d’obligations, destinées à faire en sorte que les mécanismes nationaux de prévention puissent remplir, au niveau national – voire infranational –, le même type de missions que le sous-comité de la prévention au niveau international.

Ils doivent ainsi garantir l’indépendance de ces mécanismes et celle de leur personnel et veiller à ce que les experts qui en font partie soient compétents et à ce que les mécanismes disposent des moyens nécessaires à leur fonctionnement (article 18). Déclinant au niveau interne le mandat du sous-comité, l’article 19 impose que les mécanismes nationaux soient investis au moins des missions suivantes :

– l’examen régulier de la situation des personnes privées de liberté dont le Protocole vise la protection ;

– la formulation de recommandations destinées aux autorités compétentes afin d’améliorer le traitement et la situation de ces personnes, et de prévenir les mauvais traitements ;

– la présentation de propositions ou d’observations sur la législation en vigueur ou les projets de loi en la matière.

Pour ce faire, ils doivent avoir accès aux informations pertinentes, aux personnes détenues et aux lieux de détention de leur zone de compétence dans les mêmes conditions que le sous-comité dans chaque Etat partie (article 20). En revanche, il n’est pas prévu de cas dans lesquels les autorités pourraient faire objection à la visite d’un lieu de détention par un mécanisme national de prévention.

En application respectivement de l’article 21 et de l’article 35, les personnes qui communiquent des informations à ces mécanismes jouissent de la même immunité que celles qui informent le sous-comité de la prévention, et les membres des mécanismes nationaux doivent être couverts par les mêmes privilèges et immunités que ceux accordés aux membres du sous-comité.

Les stipulations de l’article 22 imposent à chaque Etat partie d’examiner les recommandations de leurs mécanismes nationaux de prévention et de discuter avec eux des mesures à prendre, tandis que celles de l’article 23 leur demandent de publier et diffuser chaque année les rapports annuels de ces mécanismes.

2) Sa mise en œuvre en France et les questions qu’elle pose

Votre Rapporteur souhaite d’abord exprimer son regret devant l’absence persistance d’une définition de la torture dans le code pénal français. La perspective de la ratification du Protocole lui semble pouvoir être l’occasion de rappeler au Gouvernement cette nécessité.

Comme le souligne la fiche d’évaluation juridique du présent projet de loi, c’est notamment pour mettre en œuvre de manière anticipée ses stipulations que la France a institué, par une loi du 30 octobre 2007 (10), un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Alors que le projet de loi déposé initialement par le Gouvernement était très en retrait par rapport aux exigences posées par le Protocole, il a été grandement amélioré au cours de son examen par le Sénat – ce dont se félicitait la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans un avis adopté le 20 septembre 2007 qui mettaient néanmoins en lumière les limites de la version du projet adoptée par les sénateurs –, puis par notre Assemblée, dont les amendements ont levé plusieurs difficultés qui demeuraient à l’issue de la lecture au Sénat.

La loi du 30 octobre 2007 est donc globalement satisfaisante, tout en demeurant critiquable sur certains points.

On peut d’abord s’interroger sur le choix de la création d’une autorité indépendante unique, chargée du contrôle de tous les lieux de privation de liberté, dont le nombre est évalué à plus de 5 800, alors que ceux-ci sont très divers (il s’agit des établissements pénitentiaires, mais aussi des locaux de garde à vue, des dépôts des tribunaux, des centres de rétention, des cellules de retenue des douanes, par exemple) et présentent des spécificités qui justifieraient de prévoir des organes spécialisés et des procédures adaptées pour certains d’entre eux, comme les hôpitaux psychiatriques, qui étaient dépourvus de système de contrôle, ou les centres de rétention administrative et les zones d’attente pour les étrangers, qui relevaient déjà de la compétence de la commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d’attente (CRAZA) (11), dont le fonctionnement aurait pu être simplement entouré de davantage de garanties.

La loi présente par ailleurs trois dispositions qui ne sont pas en parfaite conformité avec les stipulations du Protocole. Elle n’accorde pas les immunités et privilèges nécessaires à l’exercice des fonctions des collaborateurs du Contrôleur général, pourtant exigées par l’article 35 du Protocole. Elle prévoit des cas dans lesquels les autorités peuvent demander le report de la visite d’un lieu de privation de liberté par le Contrôleur – il s’agit des trois cas visés à l’article 14 du Protocole –, alors que le Protocole n’ouvre cette possibilité que pour s’opposer à une visite du sous-comité de la prévention, mais pas à celle d’un mécanisme national de prévention. De telles restrictions, justifiées dans le cas d’un organisme international, ne devraient en effet pas s’appliquer à un organe national. Enfin, la loi limite le champ de compétence du Contrôleur général au territoire de la République, tandis que le Protocole stipule que le mécanisme national doit pouvoir visiter les lieux privatifs de liberté placés « sous la juridiction ou le contrôle des autorités publiques », sans limite géographique. Le Contrôleur ne pourra donc s’intéresser ni aux pratiques des militaires français en opération extérieure, ni à celles des policiers effectuant des missions hors du territoire national, alors que les activités de ce type ont vocation à se développer dans le cadre de l’agence européenne FRONTEX, dont l’objectif est de renforcer le contrôle des frontières extérieures maritimes, terrestres et aériennes de l’Union en mutualisant les moyens humains et techniques des polices européennes.

En outre, se pose la question des moyens financiers accordés au fonctionnement de la nouvelle autorité. Son indépendance financière résulte formellement de l’article 13 de la loi qui l’institue, lequel assure l’indépendance de l’exécution de son budget et son autonomie de gestion, mais elle ne sera réelle que si ses ressources sont adaptées à la charge qui lui incombe. Dans son avis précité, la Commission nationale consultative des droits de l’homme soulignait ainsi « l’importance des moyens humains et financiers nécessaires à un fonctionnement efficace d’un tel mécanisme de prévention à l’échelle de tout le pays. (…) faute d’un effort exceptionnel, l’effectivité et la crédibilité du contrôleur général se trouveraient largement hypothéquées dès le départ ».

Au cours de l’examen du projet de loi, la garde des Sceaux  indiquait que 2,5 millions d’euros seraient alloués au Contrôleur général en 2008. Le rapporteur observait pourtant dans son rapport que le budget de l’Inspecteur en chef des prisons britannique atteignait 5 millions d’euros(12). Votre Rapporteur observe que le champ d’intervention de l’Inspecteur britannique est pourtant moins large que celui du Contrôleur général, qui est notamment chargé des hôpitaux psychiatriques.

Le 9 novembre dernier, dans le cadre de la discussion des crédits du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l’action du Gouvernement », le Gouvernement a présenté un amendement qui a redéployé, à partir notamment des crédits de la justice, 2,5 millions d’euros destinés à doter le Contrôleur général des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions : des moyens de fonctionnement évalués à environ 450 000 euros, comprenant la location d’un immeuble de 450 mètres carrés, et des crédits de personnel à hauteur de 2,05 millions d’euros, correspondant à la rémunération de dix-huit emplois en équivalent temps plein, y compris celle du contrôleur général.

Comme le rapporteur spécial des crédits de la mission « Direction de l’action du Gouvernement », notre collègue Jean-Pierre Brard, l’a noté, cette manière de procéder était critiquable sur la forme, comme sur le fond. Sur la forme, il aurait été logique d’ouvrir des crédits supplémentaires pour doter une institution nouvelle ; sur le fond, le niveau des crédits apparaît – on vient de le voir avec une simple comparaison internationale – notoirement insuffisant. Mais enfin, le Gouvernement respectait les engagements pris quelques semaines plus tôt, et la nouvelle autorité semblait en mesure de commencer son travail.

Il ne restait plus qu’à prendre un décret d’application, lequel a été publié le 13 mars 2008, et à nommer un Contrôleur général, ce qui n’a été fait, par décret du Président de la République, que trois mois plus tard, le 11 juin, la commission compétente de chaque assemblée ayant donné un avis favorable à la nomination de M. Jean-Marie Delarue, le 29 mai au Sénat, le 4 juin à l’Assemblée nationale.

Mais, à l’occasion de son audition portant sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a confirmé devant la commission des lois (13) ce qui figurait déjà dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, à savoir que « à terme, il [le Défenseur des droits des citoyens, dont la création est proposée à l’article 31 du projet de loi] pourrait notamment reprendre les attributions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ». Il semble donc bien que, si un Contrôleur général des lieux de privation de liberté aux compétences reconnues dans le monde pénitentiaire et même bien au-delà, vient enfin d’être nommé, il n’ait que peu de temps devant lui avant de laisser sa place à un Défenseur des droits des citoyens (14) qui aurait des missions aussi nombreuses que variées, parmi lesquelles notamment celles remplies aujourd’hui par le Médiateur de la République, mais aussi probablement celles relevant de la commission nationale de déontologie de la sécurité. Il est prévu qu’une loi organique fixe ces attributions.

Quelques jours avant sa nomination, le ministère de la justice a néanmoins indiqué que la question de la fusion des compétences du Contrôleur général avec celles du Défenseur des droits des citoyens ne se poserait qu’à l’issue du premier mandat de six ans du Contrôleur, qui a ensuite lui-même assuré que le moment de ce rapprochement n’était « pas encore venu ». On peut néanmoins s’interroger sur la manière dont les choses vont se passer : si la révision constitutionnelle est adoptée, la loi organique fixant notamment les compétences du Défenseur des droits des citoyens sera certainement votée rapidement. Inclura-t-elle d’ores et déjà un futur transfert des compétences de l’actuel Contrôleur général, qui ne serait effectif que six ans plus tard ? Sera-t-elle muette sur le sujet, laissant à une autre loi organique éventuelle le soin d’organiser ce transfert ? Si c’est la seconde solution qui est retenue, on peut s’interroger sur l’intérêt d’avoir évoqué ce possible transfert dès la discussion de la révision constitutionnelle…

Sur le fond, l’idée de fusionner le Contrôleur général avec d’autres organes aux missions fort éloignées des siennes est contestable. Si on la mettait en œuvre, on ne respecterait ni le législateur, qui vient tout juste de créer un organe spécialisé, ni les droits des personnes privées de liberté, dont la protection ne constituerait que l’une des nombreuses missions du nouveau Défenseur. Il est en outre probable que tout le travail effectué en septembre dernier pour améliorer le projet de loi instituant le Contrôleur général ne soit à recommencer. Tout cela ne préjuge rien de bon pour le respect par la France des engagements qu’elle va contracter en ratifiant le Protocole contre la torture, alors même que ces engagements sont absolument indispensables, pour tout Etat et a fortiori pour le pays qui se présente comme la patrie des droits de l’homme.

CONCLUSION

La nécessité pour la France de ratifier rapidement le Protocole facultatif se rapportant à la convention de lutte contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants est une évidence. Alors qu’il est déjà en vigueur depuis plus de deux ans, notre pays s’est engagé à le ratifier avant la fin du premier semestre 2008. Si cet engagement est globalement tenu, il ne le sera que de justesse.

Pas plus que les autres Etats, notre pays n’est à l’abri d’un acte de torture ou d’un traitement inhumain ou dégradant. Il ne peut se présenter comme défenseur des droits de l’homme à l’étranger s’il n’est pas absolument exemplaire à l’intérieur de ses frontières. Nous devons donc non seulement autoriser la ratification du Protocole facultatif, mais aussi faire en sorte que notre mécanisme national de prévention soit irréprochable. Des progrès restent à faire dans ce domaine. Il appartient au Parlement de faire preuve de la plus grande vigilance sur ce point, ce dont il est apparu parfaitement capable au cours de l’examen du projet de loi qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Je suis naturellement favorable à l’adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 9 juillet 2008.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a eu lieu.

Répondant favorablement à la suggestion du rapporteur d’un débat public pour l’approbation de cette convention, le Président Axel Poniatowski lui a demandé si, bien qu’il n’y ait pas d’identification officielle des pays pratiquant la torture, on supposait qu’il y en ait parmi les signataires du Protocole.

Le rapporteur a répondu qu’effectivement il en était ainsi, citant le cas du Brésil notamment. Il a insisté sur le fait que, en l’absence de statistiques officielles, ces informations émanaient surtout d’indications et d’éclairages apportés par les ONG, l’ACAT, Amnesty International notamment, ainsi que de rapports élaborés par les parlementaires siégeant au Conseil de l’Europe.

M. Jean-Paul Lecoq, indiquant qu’il venait le matin même d’être témoin à la Gare du Nord d’un contrôle de police, a souligné le fait que cette opération de près d’une heure avait eu lieu en public, ce qui l’avait rendue dégradante et humiliante. Il s’est demandé si les orientations prises ces derniers temps par notre pays, avec les centres de rétention, notamment, ne risquaient pas de le lui faire oublier les préconisations de ce rapport.

A ce sujet, il a déclaré avoir aussi exercé son droit de visite, en tant que parlementaire, de centres de rétention ; il lui a semblé percevoir que le gouvernement était agacé par ce pouvoir de contrôle et être prêt à le réduire. Il a donc insisté sur le fait que ce droit était important, que notre pays devait rester vigilant et que ce contrôle devait rester sans limite.

Le rapporteur a cité l’article 1er de la convention de 1984, soulignant qu’il n’y avait pas de définition simple et claire de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants ; il a estimé qu’il pouvait y avoir débat sur cette question en partie subjective, qui dépend aussi des conceptions philosophiques et religieuses de chacun. Rappelant les affaires d’abus de biens sociaux, il s’est interrogé sur le fait de savoir si la prison préventive ordonnée par un juge d’instruction pour contraindre un inculpé à avouer un délit pouvait ou non être considéré comme une forme de torture mentale. Il a précisé à Mme Marie-Louise Fort que la question de la peine de mort relève d’autres dispositions mais qu’en l’occurrence si les Etats-Unis sont cités, c’est en raison des traitements pratiqués à Guantanamo.

Mme Marie-Louise Fort a indiqué avoir également visité des centres de rétention et a tenu à relativiser la dureté des conditions et des contrôles effectués.

M. François Rochebloine est intervenu pour souligner que, si les contrôles étaient nécessaires, ils n’en devaient pas moins rester respectueux des personnes et s’est montré d’accord avec M. Lecocq. Il a indiqué qu’il devait en être de même vis-à-vis des détenus dans les prisons.

Le rapporteur est revenu sur l’ambiguïté et la subjectivité de la définition, conditionnée par les convictions de chacun. Il a souligné que les ONG ressentaient actuellement une recrudescence de la torture y compris dans les pays démocratiques et civilisés, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, alors même que la convention de 1984 établit qu’aucune cause ne saurait justifier le recours à la torture. Il a également considéré qu’il semblait que les gouvernements avaient actuellement sans doute trop tendance, au moment de procéder à des extraditions vers des pays supposés pratiquer la torture, à se contenter des assurances diplomatiques que de tels traitements ne seraient pas appliqués. Il y a vu une faiblesse des Etats qui pouvait participer de la recrudescence de la torture constatée par le ONG.

Il a indiqué aussi que si l’Europe paraissait heureusement à l’abri du phénomène et de sa recrudescence, comme en témoigne la carte distribuée au début de la réunion, il n’en reste pas moins que le Conseil de l’Europe a eu l’occasion de révéler l’existence de prisons secrètes de la CIA, sur le territoire de plusieurs pays européens, où il est avéré y avoir eu des cas de tortures et autres traitements interdits par le droit international, sans qu’on ait pu rien faire, compte tenu du caractère secret de ces détentions. Il reste donc malheureusement des zones d’ombre, sur lesquelles seuls les travaux d’ONG ou de parlementaires, tels ceux du Conseil de l’Europe, peuvent apporter une information.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi (no 960).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du protocole figure en annexe au projet de loi (n° 960).

ANNEXES

Annexe 1

État des ratifications et des signatures
du Protocole facultatif

35 Etats Parties

33 Etats signataires (1)

Albanie

1er octobre 2003

Afrique du Sud

20 septembre 2006

Argentine

15 novembre 2004

Allemagne

20 septembre 2006

Arménie

14 septembre 2006

Autriche

25 septembre 2003

Bénin

20 septembre 2006

Azerbaïdjan

15 septembre 2005

Bolivie

23 mai 2006

Belgique

24 octobre 2005

Brésil

12 janvier 2007

Bosnie-Herzégovine

7 décembre 2007

Cambodge

30 mars 2007

Burkina Faso

21 septembre 2005

Costa Rica

1er décembre 2005

Chili

6 juin 2005

Croatie

25 avril 2005

Chypre

26 juillet 2004

Danemark

25 juin 2004

Equateur

24 mai 2007

Espagne

4 avril 2006

Finlande

23 septembre 2003

Estonie

18 décembre 2006

France

16 septembre 2005

Géorgie

9 août 2005

Gabon

15 décembre 2004

Guatemala

9 juin 2008

Ghana

6 novembre 2006

Honduras

23 mai 2006

Guinée

16 septembre 2005

Libéria

22 septembre 2004

Irlande

2 octobre 2007

Liechtenstein

3 novembre 2006

Islande

24 septembre 2003

Maldives

15 février 2006

Italie

20 août 2003

Mali

12 mai 2005

Kazakhstan

25 septembre 2007

Malte

24 septembre 2003

Luxembourg

13 janvier 2005

Maurice

21 juin 2005

Macédoine (ARYM)

1er septembre 2006

Mexique

11 avril 2005

Madagascar

24 septembre 2003

Moldavie

24 juillet 2006

Monténégro

23 octobre 2006

Nouvelle Zélande

14 mars 2007

Nicaragua

14 mars 2007

Paraguay

2 décembre 2005

Norvège

24 septembre 2003

Pérou

14 septembre 2006

Pays-Bas

3 juin 2005

Pologne

14 septembre 2005

Portugal

15 février 2006

République tchèque

10 juillet 2006

Roumanie

24 septembre 2003

Royaume-Uni

10 décembre 2003

Sierra Leone

26 septembre 2003

Sénégal

18 octobre 2006

Suisse

25 juin 2004

Serbie

26 septembre 2006

Timor-Leste

16 septembre 2005

Slovénie

23 janvier 2007

Togo

15 septembre 2005

Suède

14 septembre 2005

Turquie

14 septembre 2005

Ukraine

19 septembre 2006

   

Uruguay

8 décembre 2005

   

(1) Parmi les signataires, ne sont pas pris en compte les Etats ayant déjà ratifié le Protocole, ou y ayant adhéré, qui figurent donc parmi les Etats parties.

Annexe 2

Extraits du rapport annuel 2008 d’Amnesty international (15)

Brésil

« Une forte surpopulation, de mauvaises conditions sanitaires, la violence des gangs et les émeutes ont continué à régner au sein du système carcéral, où torture et mauvais traitements étaient monnaie courante. (…)

Dans tout le pays, les conditions régnant dans les centres de détention pour mineurs restaient préoccupantes. Des cas de surpopulation ainsi que des coups et des mauvais traitements ont encore été signalés. Par une décision critiquant le manque d’hygiène et les mauvaises conditions dans l’établissement de Tietê, la directrice de la Fondation CASA de São Paulo (précédemment connue sous le nom de Fondation brésilienne pour la protection des mineurs, FEBEM) a été démise de ses fonctions. Cette révocation a par la suite été annulée par la cour d’appel de l’État. »

Egypte

« Le recours à la torture et aux mauvais traitements restait généralisé et systématique ; au moins 20 personnes seraient mortes des suites directes ou indirectes de sévices. Des vidéos montrant des policiers en train de torturer des suspects ont été diffusées sur le Web par des internautes égyptiens.

Parmi les méthodes le plus souvent signalées figuraient les décharges électriques, les coups, la suspension dans des positions douloureuses, le placement à l’isolement, le viol ainsi que les menaces de mort, de sévices sexuels et d’agression à l’encontre des proches des détenus. Les allégations de torture faisaient rarement l’objet d’une enquête. Les rares cas où des tortionnaires présumés faisaient l’objet de poursuites concernaient généralement des affaires dans lesquelles la victime avait succombé aux sévices. Les tortures perpétrées sur les détenus politiques ne donnaient jamais lieu à une enquête. »

Etats-Unis

« Des informations ont fait état de mauvais traitements infligés à des personnes détenues ou placées en garde à vue sur le territoire américain. Cela impliquait souvent le recours à des méthodes de contrainte ou aux armes à décharges électriques.

Soixante-neuf personnes sont mortes après avoir été neutralisées au moyen de Tasers, ce qui portait à près de 300 le nombre total de personnes décédées dans des circonstances analogues depuis 2001. Un grand nombre de ce total avaient reçu plusieurs décharges ou avaient des problèmes de santé qui pouvaient les rendre plus vulnérables aux effets nocifs de ces armes. Bien que ces décès soient généralement attribués à des facteurs comme la prise de drogue, les médecins légistes ont conclu que les décharges infligées au moyen d’un Taser avaient entraîné, directement ou indirectement, la mort d’un certain nombre de victimes. La très grande majorité des personnes décédées n’étaient pas armées et ne constituaient pas une menace grave au moment où elles ont reçu les décharges. De nombreux services de police continuaient d’autoriser les Tasers dans toute une série de situations, y compris pour maîtriser des personnes non armées ou refusant d’obtempérer aux ordres de la police. Amnesty International a soumis ses sujets de préoccupation à une commission du ministère de la Justice chargée d’enquêter sur les cas de morts survenues à la suite de l’utilisation de Tasers. Elle a de nouveau demandé aux autorités américaines de suspendre le recours à ces armes et à d’autres armes paralysantes dans l’attente des conclusions d’une enquête approfondie et indépendante, ou de limiter leur utilisation aux situations où, autrement, le recours à une force meurtrière par la police serait justifié.

Des milliers de prisonniers restaient enfermés dans des établissements de haute sécurité, en isolement cellulaire de longue durée, dans des conditions qui s’apparentaient dans certains cas à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

Birmanie

« Pendant la reprise en main de septembre, un certain nombre de personnes, dont l’humoriste Zargana, ont été détenues dans des conditions dégradantes dans des lieux où l’on enferme normalement des chiens. Des cas de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment des passages à tabac, sur la personne de détenus ont été signalés. Un détenu a ainsi été contraint de rester agenouillé, jambes nues et de façon prolongée, sur des briques cassées. Il a également été obligé de se maintenir sur la pointe des pieds, dans une position particulièrement inconfortable (dite de la « bicyclette »). Des moines placés en détention ont été dépouillés de leur habit et ont été nourris à dessein l’après-midi, alors que leur religion leur interdit de s’alimenter à ce moment de la journée. »

Ouganda

« Cette année encore, des informations ont fait état d’actes de torture et de mauvais traitements imputables à des policiers et à des agents des services de sécurité. La Commission des droits humains de l’Ouganda et d’autres organismes ont notamment reproché à l’Unité l’intervention rapide (RRU), désignée auparavant sous le nom d’Unité de lutte contre la délinquance violente (VCCU), d’être responsable de nombreux cas de torture et de mauvais traitements, ainsi que de placements en détention arbitraire prolongée. À la fin de l’année, le gouvernement n’avait pas répondu aux demandes d’investigation formulées en lien avec ces allégations de torture et de mauvais traitements. »

Ouzbékistan

« Selon des allégations persistantes, la torture et, de façon plus générale, les mauvais traitements sur la personne de détenus et de prisonniers demeuraient des pratiques courantes. Ces informations émanaient non seulement d’hommes et de femmes soupçonnés d’appartenir à des groupes islamiques interdits ou d’avoir commis des atteintes à la législation antiterroriste, mais également de personnes appartenant à toutes les couches de la société civile, notamment de défenseurs des droits humains, de journalistes et d’anciens responsables, souvent haut placés, du gouvernement et des forces de sécurité.

Le fait que les autorités compétentes n’enquêtaient pas sérieusement sur ces accusations constituait un grave motif de préoccupation. Il était exceptionnel que des responsables de l’application des lois soient traduits en justice et tenus de répondre de violations des droits humains. Pourtant, des milliers de personnes, en détention provisoire ou purgeant une peine, affirmaient avoir été maltraitées ou même torturées en garde à vue par des membres des forces de sécurité, qui cherchaient ainsi à leur extorquer des « aveux ». Au mois de janvier, le vice-ministre des Affaires intérieures a informé Amnesty International que six ou sept policiers avaient été reconnus coupables d’infractions relatives à des actes de torture en 2005 et 2006. Amnesty International s’est félicitée des procédures judiciaires engagées contre les auteurs d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Le nombre de condamnations dans de telles affaires restait cependant extrêmement faible, étant donné qu’environ 6 000 personnes avaient par ailleurs été incarcérées pendant l’année, après avoir été déclarées coupables à l’issue de procès intentés pour des motifs politiques et contraires, selon toute apparence, aux principes de l’équité. Nombre de ces prisonniers auraient subi en détention des mauvais traitements pouvant aller jusqu’à la torture. En novembre, le Comité contre la torture [ONU], examinant la manière dont l’Ouzbékistan appliquait la Convention contre la torture, a estimé que des actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants se produisaient de manière régulière dans ce pays. »

République démocratique du Congo

« Les services de sécurité et les groupes armés se sont régulièrement rendus coupables d’actes de torture et de mauvais traitements (passages à tabac, coups de couteau, viols pendant la garde à vue, notamment).Des personnes ont été maintenues en détention sans aucune possibilité de contact avec l’extérieur, parfois dans des lieux tenus secrets. À Kinshasa, la Garde républicaine, c’est-à-dire la garde présidentielle, et les services spéciaux de la police ont incarcéré de manière arbitraire, puis torturé et soumis à de mauvais traitements de nombreux opposants présumés. Beaucoup étaient visés uniquement parce qu’ils appartenaient à la même ethnie que Jean-Pierre Bemba ou étaient originaires comme lui de la province de l’Équateur. Dans la plupart des centres de détention et des prisons, les conditions d’incarcération demeuraient cruelles, inhumaines ou dégradantes. Des décès consécutifs à la malnutrition ou à des pathologies curables étaient régulièrement signalés. »

Russie

« De nombreux cas de torture et d’autres mauvais traitements infligés en garde à vue ou dans des centres de détention ont été signalés. Selon les informations reçues, certains policiers ou enquêteurs frappaient les détenus, les faisaient suffoquer en leur plaçant un sac en plastique ou un masque à gaz sur la tête, leur envoyaient des décharges électriques ou les menaçaient d’autres formes de torture pour leur faire reconnaître leur « culpabilité » et les contraindre à signer des « aveux ».

Cette année, plusieurs policiers ont été reconnus coupables d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements infligés à des détenus dans le cadre d’enquêtes et d’interrogatoires. (…)

Des mutineries ont été signalées dans plusieurs colonies pénitentiaires. Les prisonniers entendaient protester contre les mauvais traitements et les violations de leurs droits fondamentaux (visites des familles interdites, colis alimentaires refusés, etc.), ainsi que contre l’usage fréquent du cachot pour des infractions mineures à la réglementation carcérale. Selon les informations parvenues à Amnesty International, ce mouvement de protestation aurait touché des établissements pénitentiaires des régions de Krasnodar, de Sverdlovsk et de Kalouga. Selon la presse, trois prisonniers auraient été tués lors de l’intervention des forces de l’ordre dans la région de Sverdlovsk.

En janvier, le président Poutine s’est dit favorable à la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture. Plusieurs propositions destinées à rendre possible une surveillance publique des centres de détention étaient en discussion. Aucun dispositif effectif permettant des inspections inopinées n’avait cependant été mis en place à la fin de l’année. »

Ukraine

« Des cas de torture et d’autres mauvais traitements en garde à vue étaient toujours fréquemment signalés. En mai, le Comité contre la torture a examiné le cinquième rapport périodique de l’Ukraine concernant la mise en oeuvre de la Convention contre la torture [ONU]. Le Comité s’est dit préoccupé par l’impunité dont jouissaient les membres des forces de l’ordre qui commettaient des actes de torture ; il a noté avec inquiétude que les services du procureur général ne diligentaient pas d’enquêtes immédiates, impartiales et effectives en cas de plainte pour torture, et que les aveux servaient de principal élément de preuve dans l’exercice des poursuites pénales.

Le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a publié en juin le rapport relatif à sa visite d’octobre 2005 en Ukraine. Le Comité a notamment constaté que la pratique des mauvais traitements avait connu une légère réduction, estimant cependant que les personnes arrêtées par la police couraient toujours un risque non négligeable d’être maltraitées, voire torturées, notamment au cours de leur interrogatoire. Le Comité attirait l’attention sur l’usage abusif qui était fait du Code administratif pour placer certaines personnes en garde à vue afin de les interroger dans le cadre d’enquêtes sur des infractions pénales. Il déplorait en outre l’attitude des juges, qui, bien souvent, ne donnaient pas suite aux allégations de mauvais traitements. Il regrettait enfin qu’on ne puisse pas, en cas de mauvais traitements présumés, délivrer de rapport d’expertise médicolégale sans l’autorisation de la police. »

Yémen

« La torture et les mauvais traitements en garde à vue étaient répandus. Selon certaines sources, parmi les personnes détenues par la Sécurité politique ou la Sécurité nationale, deux branches des services de sécurité, nombreuses étaient celles qui ont été torturées. Les méthodes décrites étaient les coups de poing, les coups de matraque et de crosse de fusil, l’aspersion d’eau bouillante, le port de menottes serrées, le port prolongé d’une cagoule, la privation d’eau et d’accès aux toilettes, ainsi que les menaces de mort. »

Annexe 3

Carte des pays pratiquant la torture en 2007

Source : Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT)
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© Assemblée nationale

1 () Ainsi, par exemple, le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort ne réunit que la cinquantaine des Etats « abolitionnistes » quand plus de 150 Etats sont parties au Pacte lui-même ; de même, deux protocoles facultatifs, l’un concernant l’implication des enfants dans les conflits armés, l’autre concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, ont été, chacun, ratifiés par une quarantaine des 191 Etats parties à la Convention relative aux droits de l’enfant.

2 () Cf. annexe 2.

3 () Cf. la carte qui figure en annexe 3.

4 () Article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du 16 décembre 1966, article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant, du 20 novembre 1989, article 5.2 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, du 22 novembre 1969, article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950, article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du 27 juin 1981.

5 () Le Protocole I est relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, tandis que le Protocole II porte sur les victimes des conflits armés non internationaux ; ils ont tous les deux été signés le 8 juin 1977.

6 () En application de l’article 22 de la Convention, les communications émanant de particuliers se déclarant victimes de violation de leurs droits ne sont recevables que si le pays de la juridiction duquel ils relèvent ont reconnu la compétence du Comité pour examiner et recevoir de telles communications.

7 () En application de l’article 21 de la Convention, les plaintes d’un Etat relatives aux pratiques d’un autre Etat ne sont recevables que si le premier Etat a reconnu, en ce qui le concerne, la compétence du Comité pour recevoir et examiner les communications émanant le concernant d’un Etat.

8 () Voir tableau en annexe 1.

9 () Le Protocole n° 1 à la convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, signé le 4 novembre 1993 et entrée en vigueur le 1er mars 2002 permet au Comité des ministres du Conseil de l’Europe d’inviter tout Etat non membre à y adhérer, mais aucun Etat non membre ne l’a fait à ce jour.

10 () Loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cf. le rapport fait par M. Philippe Goujon au nom de la commission des lois sur ce projet de loi (Assemblée nationale, XIIIème législature, n° 162, pp. 15-16).

11 () Le support juridique de la CRAZA est de nature réglementaire. L’article 17 du décret n° 2008-246 du 12 mars 2008 relatif au Contrôleur général des lieux de privation de liberté prévoit sa suppression à compter du 1er juillet 2008.

12 () M. Philippe Goujon, rapport précité, p. 30.

13 () Commission des lois, compte rendu n° 52, du mercredi 30 avril 2008, à 16 heures 15.

14 () Au cours de l’examen du projet de loi constitutionnelle devant le Sénat, le Défenseur des droits des citoyens a été rebaptisé « Défenseur des droits ».

15 () Il ne s’agit que de quelques exemples significatifs, illustrant la subsistance d’actes de torture sur tous les continents en 2007.