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Amendements  sur le projet ou la proposition

N° 1898

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 septembre 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI ORGANIQUE (N° 1599) relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution,

PAR M. Jean-Luc WARSMANN,

Député.

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INTRODUCTION 7

I. ASSURER LA CONSTITUTIONNALITÉ DE L’ORDRE JURIDIQUE 8

1. Un contrôle de constitutionnalité encadré par la Constitution 9

2. Les conséquences du contrôle de constitutionnalité a posteriori 11

II. PERMETTRE AU CITOYEN DE FAIRE VALOIR DES DROITS CONSTITUTIONNELS 12

1. Ouvrir largement la question aux citoyens 12

2. Éviter la perturbation du cours de la justice 14

a) Le double filtre et les conditions de son exercice 14

b) La règle du sursis à statuer et ses exceptions 16

3. Une procédure apportant des garanties aux justiciables 18

a) Le respect du contradictoire 18

b) Des délais de jugement strictement encadrés 19

c) L’assistance d’un avocat et le bénéfice de l’aide juridictionnelle 20

III. ASSURER LA PRÉÉMINENCE DE LA CONSTITUTION 21

1. Des principes constitutionnels non équivalents aux principes conventionnels 21

2. Une priorité d’examen indispensable 23

AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE, MINISTRE D’ÉTAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS 27

EXAMEN DES ARTICLES 39

Avant l’article 1er 39

Article 1er (articles 23-1 à 23-11 [nouveaux] de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958) : Conditions de mise en œuvre de la question de constitutionnalité 40

Article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Question de constitutionnalité soulevée devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation 41

Article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Conditions de transmission de la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation 50

Article 23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Sursis à statuer en cas de transmission de la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation 65

Article 23-4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel 69

Article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Question de constitutionnalité soulevée devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation 73

Article 23-6 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Procédure devant la Cour de cassation. Formation de la Cour de cassation chargée de décider le renvoi au Conseil constitutionnel 76

Article 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation relative à la saisine du Conseil constitutionnel 78

Article 23-8 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Information du Président de la République, du Premier ministre et des présidents des assemblées et observations adressées au Conseil constitutionnel 80

Article 23-8-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Examen de la question par le Conseil constitutionnel si l’instance est éteinte 82

Article 23-9 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Délai de jugement et procédure applicable devant le Conseil constitutionnel 83

Article 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Motivation, notification et publication de la décision du Conseil constitutionnel 85

Article 23-11 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : Rétribution des auxiliaires de justice en cas de transmission d’une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel 86

Article 2 (articles. L.O. 771-1 et 771-2 [nouveaux] du code de justice administrative, articles L.O. 461-1 et L.O. 461-2 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire et article L.O. 630 du code de procédure pénale) : Règles de transmission et de renvoi de la question de constitutionnalité 87

Article 2 bis (article 107 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 2009) : Question de constitutionnalité relative à une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie 88

Article 3 : Modalités d’application de la loi 89

Article 4 : Entrée en vigueur de la loi 89

ANNEXES 91

Audition de M. Jean-Marc SAUVÉ, Vice-président du Conseil d’État accompagné de M. Bernard STIRN, Président de la section du contentieux du Conseil d’État 91

Audition de M. Francis DELPÉRÉE, Vice-président du Sénat de Belgique,
professeur de droit constitutionnel à l’Université Catholique de Louvain
98

Audition de M. Bertrand MATHIEU, Professeur à l’Université Paris I, président de l’Association française de droit constitutionnel 104

Audition de MM. Thierry WICKERS, Président du Conseil National des Barreaux, ancien Bâtonnier de Bordeaux, Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL, vice-président du Conseil National des Barreaux, bâtonnier de Paris, Mme Marie-Aimée PEYRON, vice-présidente du Conseil National des Barreaux 111

Audition de M. Jean-Claude COLLIARD, Président de l’Université Paris I,
ancien membre du Conseil constitutionnel
116

Audition de Mme Anne LEVADE, Professeure à l’Université Paris XII 121

Audition de M. Didier LE PRADO, Président du Conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la cour de Cassation 130

Audition de M. Nicolas MOLFESSIS, Professeur à l’Université Paris II 136

Audition de M. Guy CARCASSONNE, Professeur à l’Université Paris X 144

Audition de M. Paul CASSIA, Professeur à l’Université Paris I 149

Audition de M. Marc GUILLAUME, Secrétaire général du Conseil constitutionnel 158

Audition de M. Jean-Louis NADAL, Procureur général près la Cour de cassation 167

Audition de M. Vincent LAMANDA, Premier président de la Cour de cassation 178

TABLEAU COMPARATIF 189

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 199

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 201

MESDAMES, MESSIEURS,

S’inscrivant dans la mise en œuvre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le présent projet de loi organique a pour objet de fixer les conditions d’application du nouvel article 61-1 de la Constitution, aux termes duquel « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

Cette disposition constitutionnelle est l’aboutissement d’une réflexion ancienne, puisqu’un premier projet de loi constitutionnelle portant sur ce sujet avait été déposé le 30 mars 1990 sur le bureau de l’Assemblée nationale, en même temps que le projet de loi organique destiné à fixer les conditions d’application de la réforme proposée (1). En dépit d’un examen par les deux chambres du Parlement, cette réforme ne put alors aboutir. À la suite des propositions du Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Vedel, le dépôt d’un nouveau projet de révision, le 10 mars 1993, n’eut pas davantage de succès en ce qui concerne la question de constitutionnalité.

La proposition de créer un contrôle de constitutionnalité a posteriori fut reprise dans le rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par
M. Édouard Balladur, et introduite dans le projet de révision constitutionnelle présenté le 23 avril 2008. Dans le texte initial du projet de loi constitutionnelle, il était proposé de ne soumettre à ce contrôle de constitutionnalité que les textes législatifs postérieurs à l’entrée en vigueur de la Constitution de la Ve République. Si un filtre des questions par le Conseil d’État et la Cour de cassation était prévu, aucune précision n’était apportée sur les conditions d’exercice de ce filtre.

Sur ces deux points, le Parlement a souhaité modifier le dispositif proposé, d’une part en permettant de soumettre au contrôle de constitutionnalité tout texte législatif, sans prise en compte d’un critère chronologique, d’autre part en prévoyant que le Conseil d’État et la Cour de cassation devront statuer sur le renvoi au Conseil constitutionnel dans un délai déterminé.

Ainsi, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République prévoit que la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être contestée, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, et elle instaure un filtrage du renvoi de la question au Conseil constitutionnel par les deux plus hautes juridictions de chaque ordre, dans un délai déterminé.

L’adoption d’un projet de loi organique est nécessaire afin de permettre l’entrée en vigueur de la disposition constitutionnelle (2) ainsi que pour détailler les conditions dans lesquelles sera posée la question de constitutionnalité devant les juridictions, les conditions dans lesquelles sera exercé le filtre du Conseil d’État ou de la Cour de cassation et les conditions dans lesquelles la question sera examinée et jugée par le Conseil constitutionnel.

Conformément à ce que prévoit l’article 4 du présent projet de loi organique, l’entrée en vigueur de ce nouveau droit interviendra le premier jour du troisième mois suivant la publication de la loi.

Les conditions de mise en œuvre de ce nouveau droit, fixées par les articles 1er à 3 du présent projet de loi organique, sont destinées à en rendre l’exercice effectif. Sur certains points, elles traduisent dans la loi les engagements pris par le Gouvernement à l’occasion de la révision constitutionnelle, notamment sur le délai dans lequel le Conseil d’État ou la Cour de cassation devra choisir de transmettre ou non une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Sur de nombreux points, le projet de loi organique s’est également inspiré du projet de loi organique qui avait été déposé sur le bureau de notre Assemblée le 30 mars 1990.

Le professeur Bertrand Mathieu, lors de son audition par votre commission, a ainsi résumé les objectifs de la nouvelle disposition constitutionnelle : « purger l’ordre juridique des dispositions inconstitutionnelles, permettre au citoyen de faire valoir les droits qu’il tire de la Constitution et assurer la prééminence de la Constitution dans l’ordre juridique ». C’est au regard de ces trois objectifs, également cités par M. Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel, que peuvent être présentés les enjeux du présent projet de loi organique et les compléments que votre commission souhaite apporter afin d’assurer à ce nouveau droit constitutionnel sa pleine effectivité.

I. ASSURER LA CONSTITUTIONNALITÉ DE L’ORDRE JURIDIQUE

En raison des modalités du contrôle de constitutionnalité des lois pratiqué jusqu’à présent, seule une partie des dispositions législatives postérieures à la Constitution du 4 octobre 1958 ont fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel. Le contrôle de constitutionnalité a posteriori, encadré par l’article 61-1 de la Constitution qui l’instaure, devrait contribuer à élargir les possibilités de contrôle et, par le biais de l’abrogation des dispositions législatives dont l’inconstitutionnalité serait constatée, assurer une meilleure constitutionnalité de notre ordre juridique.

1. Un contrôle de constitutionnalité encadré par la Constitution

Le contrôle de constitutionnalité a posteriori introduit par le nouvel article 61-1 de la Constitution a été encadré dès le stade de la révision constitutionnelle, en limitant les moyens de constitutionnalité invocables, en limitant la faculté d’invoquer ces moyens et en instaurant un filtre des juridictions suprêmes. Ces différentes limites, dans lesquelles le législateur organique doit s’inscrire, conduisent à tempérer l’affirmation selon laquelle la question de constitutionnalité permettrait de purger l’ordre juridique de toutes les dispositions inconstitutionnelles.

Une question de constitutionnalité peut être posée par toute personne partie à une instance, à l’encontre de toute disposition législative (à l’exclusion sans doute des dispositions législatives d’origine référendaire) qui ne respecterait pas les « droits et libertés garantis par la Constitution ».

Les termes « droits et libertés garantis par la Constitution » permettent de couvrir l’ensemble des droits substantiels auxquels notre Constitution fait référence, et a pour seule conséquence d’exclure du contrôle de constitutionnalité a posteriori les dispositions procédurales, relatives aux pouvoirs publics et à leurs rapports, ainsi que les dispositions relatives au partage des compétences entre la loi et le règlement, figurant dans la Constitution. Comme l’a explicitement affirmé le garde des Sceaux lors de la discussion en séance du projet de révision constitutionnelle : « Il ne s’agit pas, par exemple, de pouvoir contester la loi pour des questions tenant à la procédure qui a conduit à son adoption, notamment si on a méconnu à un moment donné de consulter un organisme avant l’adoption de la loi. » (3)

En ce sens, la question de constitutionnalité ne saurait permettre de purger les dispositions législatives de l’ensemble des inconstitutionnalités qu’elles seraient susceptibles de contenir, mais uniquement de celles qui font grief à une partie à l’instance.

En outre, si la question est largement ouverte aux justiciables, elle n’est en revanche pas un moyen pouvant être soulevé d’office par le juge. À l’occasion de la réforme inaboutie de 1990, il avait été envisagé que ce puisse être le cas. Le choix de n’accorder cette voie de droit qu’aux parties à un procès se déduit de la rédaction retenue par l’article 61-1 de la Constitution, qui prévoit que la question doit être « soutenue au cours d’une instance » (or le juge ne saurait « soutenir » une question). Lors de la révision constitutionnelle, les rapporteurs, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, ont d’ailleurs explicitement affirmé que seuls les justiciables pourraient poser de telles questions (4).

En revanche, il devrait demeurer loisible au ministère public de poser une telle question, comme l’ont souligné lors de leurs auditions le Premier président et le Procureur général près la Cour de cassation.

La question de constitutionnalité ainsi soulevée ne pourra être réglée directement par le juge. En ce sens, cette question se distingue des exceptions de procédure. Une exception est un obstacle temporaire à l’action, soulevé par une partie et qui doit être jugée par priorité, avant que l’action ne puisse reprendre. Or, l’exception est jugée par le juge saisi au fond de l’affaire, ce qui ne sera pas le cas du moyen prévu par l’article 61-1 de la Constitution, qui devra être renvoyé par le Conseil d’État ou la Cour de cassation au Conseil constitutionnel.

La question, transmise, par la juridiction devant laquelle elle aura été soulevée, au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, pourra être renvoyée par ces derniers au Conseil constitutionnel. Ce mécanisme du filtre, qui pourrait sembler surprenant dans la mesure où les quelques exemples étrangers de filtre des questions de constitutionnalité ont été abandonnés faute d’avoir fait leur preuve (Autriche, Allemagne), a été voulu par le Constituant afin d’assurer une régulation efficace des questions soumises au Conseil constitutionnel et d’éviter un afflux de requêtes plus ou moins fondées (5). Afin d’éviter que ce filtre ne devienne un obstacle au succès de la réforme, le Constituant a dans le même temps prévu que les juridictions suprêmes devraient exercer ce filtre « dans un délai déterminé ».

Cette disposition constitutionnelle relative aux délais d’examen de la question ne saurait toutefois à elle seule assurer le succès de la question de constitutionnalité, qui dépendra dans une large partie de la manière dont les juridictions suprêmes concevront et pratiqueront leur rôle de filtre. Comme l’a souligné M. Marc Guillaume : « À l’évidence, ces orientations nécessiteront un “self restraint”. Nul ne doute en effet de la capacité des deux cours suprêmes à imaginer la solution à diverses questions constitutionnelles qui leur seront soumises. Le Conseil d’État les traite même dans le cadre de ses formations administratives. Mais ici, malgré la capacité à les traiter, il n’en aura pas la compétence. Ce n’est pas son métier. De même que le Conseil constitutionnel, qui a les capacités à régler les questions conventionnelles, sait résister à cette tentation. »

2. Les conséquences du contrôle de constitutionnalité a posteriori

Le Constituant a modifié l’article 62 de la Constitution afin de permettre au Conseil constitutionnel, qui abrogerait une disposition législative dont il serait saisi dans le cadre d’une question de constitutionnalité, de pouvoir adapter les conséquences de cette abrogation.

D’une part, cet article prévoit que le Conseil constitutionnel puisse, dans sa décision d’abrogation, moduler dans le temps les effets de cette abrogation. La modulation dans le temps des effets d’une abrogation est une pratique inaugurée par le juge administratif (6) et qui a déjà été utilisée par le Conseil constitutionnel saisi sur le fondement de l’article 61 de la Constitution (7). Cette faculté de différer l’abrogation de la disposition devrait permettre au législateur de pouvoir prendre une nouvelle disposition législative afin de pallier l’abrogation. Elle justifie que les assemblées parlementaires, dans le présent projet de loi organique, soient tenues informées des questions renvoyées et des décisions du Conseil constitutionnel.

D’autre part, ce même article 62 de la Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel « détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». Cette disposition est susceptible de permettre au Conseil constitutionnel de prévoir une extension des effets de l’abrogation à des dispositions de justice devenues définitives. Une telle possibilité pourrait en effet s’avérer nécessaire notamment lorsque le litige à l’occasion duquel la question de constitutionnalité a prospéré a déjà reçu une solution définitive.

On peut également souligner que, en tout état de cause, le second alinéa de l’article 112-4 du code pénal, qui prévoit que « la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale », devrait permettre de mettre un terme à l’exécution du jugement lorsque la disposition déclarée inconstitutionnelle est l’incrimination pénale (8).

Plusieurs personnes auditionnées se sont néanmoins interrogées sur l’opportunité de prévoir explicitement, dans le présent projet de loi organique, une possibilité de révision du jugement définitif de l’instance à l’occasion de laquelle une question de constitutionnalité qui a prospéré a été soulevée. L’introduction de dispositions spécifiques en matière de révision des jugements serait toutefois à la fois une source de complexité et un empiétement sur la faculté donnée par le Constituant au Conseil constitutionnel de remettre en cause les effets produits par la disposition législative qui serait abrogée.

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question de constitutionnalité, pourrait également déclarer la disposition conforme à la Constitution sous réserve d’une interprétation qu’il délivrerait. Une telle déclaration de conformité sous réserve pourrait avoir des conséquences pour l’instance en cours, si l’interprétation de la disposition législative s’imposant au juge du fond commande l’issue du litige.

Tant par son mode d’examen prioritaire que par ses conséquences, la question de constitutionnalité se distinguera des questions préjudicielles. La question de constitutionnalité devra être examinée par priorité, dès que le juge est à même d’apprécier si les critères de transmission ou de renvoi sont effectivement remplis, tandis que la question préjudicielle, comme l’a rappelé M. Guy Carcassonne, « n’est examinée que si elle gouverne l’issue du procès, ce que l’on ne détermine qu’à la fin de l’instruction ; elle n’est donc considérée comme telle qu’une fois que le juge a répondu à toutes les autres questions ». D’autre part, si la juridiction de renvoi de la question de constitutionnalité sera dans tous les cas distincte de celle devant laquelle la question est soulevée, la décision rendue par le Conseil constitutionnel diffèrera d’une décision rendue par une juridiction saisie à titre préjudiciel en ce qu’elle aura une portée erga omnes.

La question de constitutionnalité se distingue donc tant des exceptions de procédure que des questions préjudicielles, même si elle s’en approche par certains aspects. Cette spécificité, combinée au fait que la question de constitutionnalité doit primer sur les questions de conventionnalité, a conduit votre commission à introduire le qualificatif de « prioritaire » pour bien affirmer la nature de cette nouvelle voie de droit.

II. PERMETTRE AU CITOYEN DE FAIRE VALOIR DES DROITS CONSTITUTIONNELS

Le projet de loi organique permet d’ouvrir largement la question de constitutionnalité aux citoyens tout en s’efforçant de concilier ce nouveau droit avec les exigences d’un déroulement des instances judiciaires assurant le respect des droits des parties.

1. Ouvrir largement la question aux citoyens

La question de constitutionnalité pourra être soulevée par toute partie à une instance.

Alors que la Constitution avait visé le cas d’une « instance en cours devant une juridiction », le présent projet de loi organique permet de soulever un moyen de constitutionnalité devant toute juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Les juridictions de première instance devant lesquelles la question de constitutionnalité pourra être posée sont ainsi particulièrement nombreuses, depuis celles de droit commun (tribunal de grande instance, tribunal de police, tribunal administratif) jusqu’aux juridictions spécialisées (conseils de prud’hommes, tribunaux de commerce, tribunaux pour enfants, mais également tribunaux paritaires des baux ruraux, tribunaux des affaires de sécurité sociale…). Seront également concernées les juridictions d’instruction ainsi que les juridictions du provisoire (juge des référés). Le juge de l’exécution, en matière civile, ainsi que le juge et le tribunal de l’application des peines, en matière pénale, constituent également des juridictions au sens de cette disposition.

Le projet de loi organique précise que la question peut être soulevée pour la première fois aussi bien à l’occasion d’un appel que d’un pourvoi en cassation. Il est également prévu que la question puisse être soulevée au cours de l’instruction pénale. Cette formulation très large permettra par conséquent de soulever une question de constitutionnalité à tous les stades d’une procédure. Pouvant être soulevée à tout moment, elle ne sera donc pas soumise à la règle imposant de soulever les exceptions de procédure in limine litis.

Les seules restrictions concernent :

—  le Tribunal des conflits, la Haute Cour et la Cour supérieure d’arbitrage, juridictions que le Constituant a volontairement entendu exclure du bénéfice de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de justice de la République étant pour sa part concernée dans la mesure où la procédure de cassation de ses décisions la fait relever de la Cour de cassation ;

—  la cour d’assises, une question de constitutionnalité pouvant toutefois être soulevée à l’occasion de l’appel contre l’arrêt de la cour d’assises et transmise immédiatement à la Cour de cassation. En outre, elle aura également pu être soulevée à l’occasion de l’instruction puis en cas de contestation de l’arrêt de la chambre de l’instruction. Cette dernière dérogation, limitée, était déjà prévue dans le projet de loi organique présenté le 30 mars 1990 et se justifie pleinement au regard de la composition particulière de la cour d’assises et de la procédure suivie devant cette dernière (9).

Par ailleurs, bien que le texte n’apporte aucune précision en la matière, votre rapporteur considère, en accord avec la plupart des personnes auditionnées par votre commission, que la question ne saurait être posée devant un tribunal arbitral ou une autorité administrative indépendante exerçant un pouvoir de sanction. Cette impossibilité de la poser à ce stade sera compensée par la possibilité de la soulever à l’occasion de l’appel de ces décisions.

Enfin, le fait de subordonner la question à sa défense par une partie et d’exiger que la disposition législative contestée commande l’issue du litige permet de faire apparaître le lien de la question de constitutionnalité avec une instance en cours. Cela implique par conséquent, comme l’ont considéré la plupart des personnes auditionnées, que la question ne puisse prospérer devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, dans l’hypothèse où surviendrait une cause d’extinction de l’instance. En revanche, votre commission considère que, une fois renvoyée au Conseil constitutionnel, la question de constitutionnalité est constitutive d’un contentieux objectif, dans l’intérêt du droit, et qu’il convient que le Conseil constitutionnel se prononce sur la disposition législative contestée, que l’instance soit ou non éteinte. Elle a pour cette raison introduit une disposition prévoyant explicitement que le Conseil constitutionnel sera tenu de se prononcer sur une question qui lui a été renvoyée. Cela permettra notamment d’éviter que l’instance pénale close en raison du décès de la partie ou l’instance civile close en raison d’une transaction entre les parties n’empêchent à une question sérieuse ou nouvelle de prospérer.

Cette disposition, au même titre que celle relative à la priorité d’examen de la question de constitutionnalité ainsi que celle relative aux personnes compétentes pour soulever ce moyen, devrait permettre d’éviter toute assimilation de la question de constitutionnalité à une question préjudicielle — laquelle, à l’inverse, peut être soulevée d’office par le juge, est examinée uniquement si aucun des autres moyens soulevés ne lui permet de régler le litige et ne prospère qu’en lien avec l’instance.

2. Éviter la perturbation du cours de la justice

a) Le double filtre et les conditions de son exercice

Le Constituant a volontairement souhaité que le Conseil d’État et la Cour de cassation puissent exercer un filtre sur le renvoi des questions de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Ce filtre doit avoir lieu dans un délai déterminé, que le présent projet de loi organique propose de fixer à trois mois, conformément à ce qui avait été annoncé par le garde des Sceaux lors de la discussion constitutionnelle (10).

Dans le cas particulier d’une question de constitutionnalité posée à l’occasion d’une instruction, il est prévu de porter cette question devant la chambre de l’instruction, afin que la formation à l’origine de l’éventuelle transmission de la question à la Cour de cassation soit celle chargée par ailleurs d’apprécier la validité de la procédure.

Dans le cas d’une question de constitutionnalité posée à l’occasion de l’appel d’un arrêt de cour d’assises, la question sera directement examinée par la Cour de cassation, les cours d’assises n’étant pas compétentes pour examiner ces moyens (11).

Le présent projet de loi organique permet également de préciser quels seront les critères en fonction desquels le juge saisi de la question, puis la juridiction suprême de son ordre, devra apprécier la recevabilité de la question.

Le premier critère est celui du lien de la question avec l’instance en cours, qui fait apparaître clairement le fait que la question, bien que pouvant conduire à une décision du Conseil constitutionnel dans l’intérêt du droit, a avant tout pour fonction d’apporter une solution à un litige.

Le deuxième critère est l’absence de déclaration de conformité à la Constitution de la disposition contestée, qui tire la conséquence logique de la disposition de l’article 62 de la Constitution en vertu de laquelle les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles. Ce critère est tempéré par la possibilité d’admettre un changement des circonstances, justifiant qu’une disposition pourtant déjà validée par le Conseil constitutionnel dans les motifs comme le dispositif de sa décision puisse être à nouveau contestée.

Enfin, le troisième critère, relatif au caractère sérieux de la question, fait l’objet d’une gradation, puisqu’une juridiction de l’un des deux ordres de juridiction devra s’assurer que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, tandis que la juridiction suprême devra apprécier le caractère nouveau ou la difficulté sérieuse de la question posée.

Ces critères de sélection des questions, qui ont été légèrement modifiés par rapport à ceux envisagés en 1990 (prise en compte du changement des circonstances de droit ou de fait, variation du critère sur le caractère sérieux de la question posée entre la juridiction saisie et la juridiction suprême), devraient permettre au filtre de remplir pleinement son rôle, afin que ne soient transmises au Conseil constitutionnel que les questions qui appellent une analyse approfondie et une réponse qui puisse s’imposer à tous. Comme le soulignait le garde des Sceaux, lors de la discussion de la révision constitutionnelle au Sénat, le système de filtres « est donc vraiment la garantie que (le Conseil constitutionnel) ne sera saisi qu’à bon escient » (12).

Néanmoins, afin que le mécanisme du filtre soit intelligible pour les citoyens, il conviendrait d’éviter qu’un justiciable dont la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux voie cependant la juridiction suprême refuser que cette question soit transmise au Conseil constitutionnel car la nouveauté de la question ne serait pas avérée ou car, pour présenter un « caractère sérieux », la question ne serait toutefois pas considérée comme relative à une « disposition présentant une difficulté sérieuse ». En effet, la gradation des critères et le passage du « caractère sérieux » de la question à la « difficulté sérieuse » de la disposition contestée devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, ne semblent pas nécessaires pour éviter que des questions inutiles ou déjà satisfaites soient posées au Conseil constitutionnel. Le critère de l’absence de déclaration de conformité à la Constitution de la disposition contestée est suffisant pour atteindre cet objectif et éviter tout engorgement du Conseil constitutionnel. Les professeurs Guy Carcassonne, Paul Cassia et Nicolas Molfessis ont ainsi préconisé un alignement des conditions du renvoi au Conseil constitutionnel par les juridictions suprêmes sur celles de la transmission par le juge ordinaire à ces dernières. En outre, en appliquant les mêmes critères que les juridictions de première instance et d’appel, le Conseil d’État et la Cour de cassation pourront donner une ligne directrice à l’ensemble des cours.

Votre commission vous propose par conséquent que le troisième critère soit identique devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation et devant les juridictions relevant de l’un ou l’autre ordre. Elle vous propose de retenir un critère alternatif : la question devra être nouvelle ou présenter un caractère sérieux. Il est en effet important qu’une question nouvelle puisse prospérer et être transmise au Conseil constitutionnel, afin d’éviter que les juridictions soient tentées de porter elles-mêmes une appréciation sur le caractère sérieux ou non de ladite question, et ainsi de se substituer à l’office du juge constitutionnel. Le critère alternatif du caractère sérieux de la question permettra de couvrir toutes les autres hypothèses dans lesquelles il est opportun que le Conseil constitutionnel soit saisi.

D’autre part, prenant en compte les critiques formulées à l’encontre du premier critère, qui exige que la disposition contestée commande l’issue du litige ou la validité de la procédure, votre commission vous propose d’en atténuer la portée, pour que puisse prospérer toute question portant sur une disposition applicable au litige.

b) La règle du sursis à statuer et ses exceptions

Comme le projet de loi organique du 30 mars 1990 l’avait prévu et comme telle est la règle lorsqu’une question préjudicielle est posée, il convient de prévoir que la décision de transmission suspend l’instance en cours. Cette suspension de l’instance n’aura en tout état de cause qu’une durée limitée, puisque le projet de loi organique fixe à la juridiction suprême de chaque ordre tout comme au Conseil constitutionnel un délai de trois mois pour se prononcer.

L’application du sursis à statuer est de bonne méthode, dans la mesure où de la réponse apportée à la question de constitutionnalité soulevée peut dépendre l’issue même du litige. Il serait de ce point de vue peu satisfaisant que le juge soit conduit à rendre sa décision sans attendre la réponse du Conseil constitutionnel et qu’une réelle insécurité juridique pèse ainsi sur la décision de justice.

Toutefois, un certain nombre d’hypothèses dans laquelle la règle du sursis à statuer serait préjudiciable au bon fonctionnement de la justice sont envisagées par le projet de loi organique, et la faculté ou l’obligation pour le juge de déroger à la règle du sursis à statuer est alors prévue. Le tableau ci-dessous, qui regroupe l’ensemble de ces dérogations, montre qu’une juridiction sera dans l’obligation de se prononcer, dès lors que la privation de liberté est en cause, et aura la faculté de se prononcer, dès lors qu’un texte lui impose de statuer dans un délai déterminé ou en urgence.

LES DIFFÉRENTES DÉROGATIONS AU SURSIS À STATUER

Instance concernée

Conditions de dérogation au sursis à statuer

Caractère de la dérogation au sursis à statuer

Instance devant une juridiction de première instance

Personne privée de liberté à raison de l’instance

Obligation

Instance devant une juridiction de première instance

Instance ayant pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté

Obligation

Instance devant une juridiction de première instance

Juridiction devant statuer dans un délai déterminé ou en urgence

Faculté

Instance devant une juridiction d’appel

Juridiction devant statuer dans un délai déterminé ou en urgence

Faculté

Pourvoi en cassation

Intéressé privé de liberté à raison de l’instance et Cour de cassation devant statuer dans un délai déterminé

Obligation

Instance devant la Cour de cassation

Intéressé privé de liberté à raison de l’instance et Cour de cassation devant statuer dans un délai déterminé

Obligation

Instance devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation

Conseil d’État ou Cour de cassation tenu de se prononcer en urgence

Faculté

En outre, la question soulevée au cours de l’instruction n’aura pas pour effet de suspendre le cours de l’instruction. Elle n’empêchera pas non plus le juge de prendre les mesures provisoires ou conservatoires qui s’imposent. Enfin, pour éviter des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives, le juge pourra être conduit à trancher immédiatement certains points.

Ces différentes dérogations au sursis à statuer ont été jugées complexes par le Premier président et le Procureur général près la Cour de cassation. Ils ont signalé les difficultés pouvant naître de l’absence de suspension des délais de prescription et de péremption pendant le cours de l’instruction, notamment en matière de presse. Ils ont également fait observer que, du fait de l’absence de sursis à statuer, il est possible que le juge rende une décision définitive sans qu’il ait obtenu une réponse à la question de constitutionnalité qu’il a décidé de transmettre, – alors même que la disposition contestée commande l’issue du litige. Toutefois, une telle hypothèse est peu probable, dans la mesure où la partie ayant soulevé la question aura toujours la faculté de former un appel ou un pourvoi en cassation, afin d’éviter que le jugement rendu en l’absence de sursis à statuer ne devienne définitif avant que la question de constitutionnalité n’ait obtenu une réponse.

3. Une procédure apportant des garanties aux justiciables

a) Le respect du contradictoire

Il est prévu que les parties au procès puissent faire connaître leurs observations et leurs conclusions sur la question de constitutionnalité lorsque cette dernière est soulevée devant une juridiction, ainsi que lorsqu’elle est examinée par le Conseil constitutionnel.

En revanche, il n’est pas précisé dans quelle mesure une question transmise à une juridiction suprême pourrait faire l’objet de nouvelles observations et conclusions des parties devant cette juridiction. Dans le silence du texte, il conviendrait de considérer que cette faculté sera ouverte, et ne pourra éventuellement être restreinte que par les règles de représentation s’appliquant devant les deux juridictions suprêmes.

Afin de respecter les procédures applicables devant chaque type de juridiction, il n’est pas prévu par principe que la question de constitutionnalité doive faire ou non l’objet d’une phase orale devant chaque juridiction. En revanche, devant le Conseil constitutionnel, il est explicitement prévu que la question donnera lieu à une audience, en principe publique, et que les parties pourront y présenter contradictoirement leurs observations. Ces dispositions permettent de garantir que les exigences de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales seront respectées devant le Conseil constitutionnel. Pour le reste, il reviendra au Conseil constitutionnel lui-même de fixer les conditions précises de déroulement de la procédure dans le cadre de son règlement intérieur.

Par ailleurs, votre rapporteur considère que les décisions relatives à la transmission de la question aux juridictions suprêmes, de même que les décisions relatives au renvoi de la question au Conseil constitutionnel, devront être motivées, qu’elles accueillent ou non le moyen soulevé. Comme l’a souligné le professeur Paul Cassia, cette motivation garantira le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le sujet (arrêt Ernst contre Belgique de la Cour européenne des droits de l’homme du 15 juillet 2003).

b) Des délais de jugement strictement encadrés

La question de constitutionnalité soulevée devant une juridiction devra être examinée par priorité. Il n’est toutefois pas précisé dans quel délai la juridiction devant laquelle ce moyen sera soulevé devra se prononcer. Si l’on peut considérer que la juridiction s’efforcera d’examiner la question dans les délais les plus brefs, rien n’interdirait en théorie au juge d’attendre la mise en l’état de l’affaire pour se prononcer sur la question. Il est donc possible de s’interroger sur l’opportunité de prévoir un délai d’examen de la question soulevée au cours d’une instance.

L’intérêt des justiciables reposant dans la rapidité avec laquelle ce nouveau moyen sera examiné par les juridictions, votre commission a adopté un amendement présenté par M. Jean-Jacques Urvoas prévoyant que la juridiction saisie d’une question de constitutionnalité devra la transmettre « sans délai », dès lors qu’elle sera à même d’apprécier dans quelle mesure les critères de transmission sont effectivement remplis.

Dans le même temps, votre rapporteur a considéré qu’une telle mention ne serait pleinement opérante que si elle était accompagnée d’une possibilité de se prémunir contre toute interprétation dilatoire. Votre commission a ainsi complété l’amendement de M. Urvoas par l’adoption d’un sous-amendement imposant à la juridiction saisie de la question un délai maximal de deux mois pour se prononcer.

Cette disposition est complétée par un autre amendement adopté par votre commission qui offre à toute partie à l’instance la faculté de saisir directement le Conseil d’État ou la Cour de cassation de la question de constitutionnalité qui a été soulevée si la juridiction ne s’est pas prononcée sur sa transmission dans le délai de deux mois à compter de la présentation du moyen.

Les juridictions suprêmes auxquelles une question de constitutionnalité a été transmise disposent pour leur part, dans le projet de loi organique, d’un délai de trois mois pour décider de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Par coordination, votre commission a souhaité, dans le respect du texte de la Constitution (« sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, qui se prononce dans un délai déterminé »), que les juridictions suprêmes disposent également d’un délai lorsqu’elles sont directement saisies de la question de constitutionnalité.

Le délai cumulé d’examen par les juridictions d’une question de constitutionnalité remplissant les critères prévus par le législateur organique ne dépassera donc pas cinq mois (deux mois devant la juridiction a quo puis trois mois devant la juridiction suprême, et seulement trois mois si la question est directement posée devant la juridiction suprême).

L’hypothèse dans laquelle une juridiction suprême ne rendrait pas de décision dans le délai imparti n’est pas non plus traitée par le projet de loi organique. Certaines personnes auditionnées ont critiqué cette omission et considéré comme souhaitable de prévoir une sanction de l’absence de respect du délai. Comme l’a fait observer M. Marc Guillaume, une telle sanction tirerait les conséquences de la disposition constitutionnelle, qui a entendu prévoir que les juridictions suprêmes se prononcent « dans un délai déterminé », sans prévoir de dérogation à cette condition de délai. Dans le même temps, il convient de respecter la lettre de l’article 61-1 de la Constitution également sur un autre point : il est uniquement envisagé que le Conseil constitutionnel « peut être saisi sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ». Cette rédaction interdirait de confier au justiciable lui-même le soin de renvoyer au Conseil constitutionnel une question qui n’aurait pas été examinée dans les temps.

Votre commission vous propose pour cette raison qu’en l’absence de décision explicite sur le renvoi d’une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel à l’issue des délais impartis, le Conseil constitutionnel soit automatiquement saisi de la question. Pour reprendre les propos du secrétaire général du Conseil constitutionnel : « Dès lors, si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé sous trois mois, la question de constitutionnalité doit être transmise au Conseil constitutionnel par leur secrétariat ou leur greffe. »

Enfin, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question de constitutionnalité, disposera d’un délai de trois mois pour rendre sa décision.

La procédure devrait donc se dérouler dans des délais relativement brefs, au total toujours inférieurs à huit mois, ce qui garantira ainsi au justiciable que le jugement de l’instance, lequel aura pu faire l’objet d’un sursis à statuer, ne pâtira pas d’un retard excessif.

c) L’assistance d’un avocat et le bénéfice de l’aide juridictionnelle

Bien que le projet de loi n’apporte aucune précision en la matière, il sera indispensable que les critères de la représentation obligatoire des parties dans le cadre de la question de constitutionnalité ne soient pas plus sévères que les critères de la représentation applicables à l’instance au cours de laquelle cette question est soulevée. Par conséquent, le ministère d’un avocat aux conseils ne devrait s’imposer, devant les juridictions suprêmes, que pour autant que cette représentation obligatoire vaut pour l’instance principale.

Comme l’a expliqué M. Didier Le Prado, président du Conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, les honoraires pratiqués pour cette procédure devraient s’établir « dans une fourchette allant de 2 000 à 3 000 euros ». Dans un courrier qu’il a ensuite adressé à votre rapporteur au cours du mois de juillet 2009, M. Didier Le Prado a souhaité préciser que cette fourchette ne vaudrait que dans les hypothèses d’un moyen soulevé pour la première fois devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation ou d’un pourvoi contre une décision de refus de transmission de la question aux juridictions suprêmes, et qu’une fourchette plus basse, de l’ordre de 1 500 à 2 000 euros serait respectée dans le cas d’une transmission de la question par le juge du fond. La représentation obligatoire ne devrait donc pas se traduire par un surcoût significatif pour les parties.

D’autre part, M. Marc Guillaume a proposé que « la représentation devant le Conseil constitutionnel soit facultative. […] Mais l’accès à la barre serait réservé aux avocats à la cour ou aux avocats aux Conseils car il n’est pas permis de penser que n’importe quel mandataire choisi par les parties puisse formuler des observations orales ». En tout état de cause, les règles relatives à la représentation devant le Conseil constitutionnel devraient relever du règlement intérieur du Conseil constitutionnel.

Dans la mesure où les parties au procès pourront être parties à la question de constitutionnalité, il convient de prendre en compte cette nouvelle voie procédurale pour la rémunération des auxiliaires de justice. Le projet de loi organique propose pour cette raison une majoration de l’aide juridictionnelle lorsqu’une question de constitutionnalité aura été renvoyée au Conseil constitutionnel, la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ne permettant pas de prévoir une rémunération des avocats pour un contentieux devant le Conseil constitutionnel. Cette disposition, qui exigera l’adoption d’un texte réglementaire d’application, permettra de garantir à tout justiciable un égal accès à cette nouvelle procédure.

Certaines personnes auditionnées se sont interrogées sur la nécessité de prévoir également une disposition permettant d’assurer le bénéfice de l’aide juridictionnelle devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation au requérant qui a vu sa question posée devant une autre juridiction transmise à l’une ou l’autre des juridictions suprêmes. Dans la mesure où la transmission de la question devrait être considérée comme une poursuite de la même instance, une disposition spécifique ne s’impose pas, les parties devant pouvoir continuer à bénéficier de l’aide juridictionnelle qui leur aura été accordée devant le juge a quo. En revanche, il conviendra de prévoir, par voie réglementaire, une majoration de l’aide juridictionnelle en cas de transmission de la question de constitutionnalité à une juridiction suprême.

III. ASSURER LA PRÉÉMINENCE DE LA CONSTITUTION

La question de constitutionnalité qui pourra être soulevée par les justiciables à l’occasion des instances en cours devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation est un nouveau droit, qui devrait conduire à garantir la prééminence de la Constitution au sein de notre ordre juridique.

1. Des principes constitutionnels non équivalents aux principes conventionnels

En matière de droits et libertés, il n’est pas rare que les conventions internationales auxquelles la France est partie apportent des garanties très substantielles au justiciable. Ainsi, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit le droit à la liberté et à la sûreté (article 5), à un procès équitable (article 6), la légalité des délits et des peines (article 7), le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8), la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9), la liberté d’expression (article 10), la liberté de réunion et d’association (article 11), interdit les distinctions ou discriminations (article 14)… Certains protocoles à la Convention européenne complètent encore le champ des droits et libertés protégés, qu’il s’agisse de la protection de la propriété (protocole n° 1), de la liberté de circulation (protocole n° 4), de l’interdiction de la peine de mort (protocole n° 13)…

Si le domaine des droits et libertés protégés par des conventions ratifiées par la France, d’une part, et celui des droits et principes garantis par la Constitution d’autre part, se recouvrent en grande partie, il n’en demeure pas moins certaines différences, lesquelles devraient contribuer à rendre précieux le contrôle de constitutionnalité a posteriori.

Le principe de laïcité, le principe de continuité des services publics, le principe de libre administration des collectivités territoriales, ou encore le principe d’indépendance des professeurs d’université, qui sont garantis par notre bloc de constitutionnalité – lequel inclut aussi bien la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et que la Charte de l’environnement de 2004 – ne rencontrent pas d’équivalents dans les engagements internationaux conclus par la France.

Certains autres principes reçoivent une acception particulière dans notre ordre constitutionnel. Plusieurs personnes auditionnées par votre commission ont cité à ce titre le principe d’égalité. Comme l’a souligné le professeur  Nicolas Molfessis, « on peut sans doute s’attendre à ce que les plaideurs invoquent le principe d’égalité, parce qu’il a un rayonnement très large, qu’il est d’une imprécision justifiant qu’une partie tente sa chance, et qu’il présente sous l’angle du droit constitutionnel des attraits bien supérieurs à ce qu’il permet en matière conventionnelle, sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Par ailleurs, si l’ensemble des droits et libertés en vertu desquels le Conseil constitutionnel assure le contrôle de constitutionnalité a priori devraient pouvoir être invoqués dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a posteriori, la possibilité de faire entrer dans cette catégorie les objectifs de valeur constitutionnelle devra être tranchée. Pour M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, « tous les principes et objectifs à valeur constitutionnelle reconnaissant des droits et libertés ont, bien entendu, vocation à être invoqués devant le juge administratif ». De la même manière, M. Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation et le professeur Guy Carcassonne ont estimé que les objectifs de valeur constitutionnelle devraient pouvoir être invoqués. Telle n’était toutefois pas l’interprétation du président de la commission des Lois du Sénat, lors de l’examen du projet de révision constitutionnelle (13).

Par le biais de l’article 61-1 de la Constitution, le contentieux des droits et libertés devrait pouvoir prospérer au sein du cadre national. La spécificité des droits et des principes reconnus par le bloc de constitutionnalité devrait apparaître avec plus de force et des conséquences plus concrètes pour tous les justiciables.

L’enjeu est d’instituer, dans le présent projet de loi organique, des règles de procédure garantissant le succès de la question de constitutionnalité et sa diffusion comme moyen d’assurer la prééminence de la Constitution et le renforcement de la hiérarchie des normes au sein de l’ordre juridique français. De ce point de vue, le Constituant a laissé au législateur organique la plus grande latitude et les choix retenus par le présent projet de loi organique, complétés par votre commission, devraient assurer à la question de constitutionnalité un contenu substantiel.

2. Une priorité d’examen indispensable

La faculté, au cours d’une instance en cours devant une juridiction, de poser la question de la conformité d’une disposition législative à un droit ou une liberté garantis par la Constitution, devrait avoir pour effet d’affermir la place prééminente de la Constitution au sein de notre ordre juridique.

Toutefois, le justiciable français a pris l’habitude de soulever des moyens tirés de l’absence de conformité des dispositions législatives aux conventions internationales signées par la France (ce que l’on désigne du terme de « question de conventionnalité »). La question de constitutionnalité devrait permettre de remédier à ce « paradoxe normatif » ainsi défini par M. Jacques-Henri Stahl : « Alors qu’était toujours plus nettement réaffirmée, dans l’ordre juridique interne, la suprématie théorique de la Constitution sur toutes les autres normes, y compris internationales, la réalité du contrôle juridictionnel conduisait à faire prévaloir en pratique la norme internationale sur les normes internes et notamment sur la loi. Suprématie théorique de la loi, supériorité pratique et effective des traités et des autres règles de droit international. » (14)

Or, il est probable que la question de conventionnalité conserve pour le justiciable un intérêt certain. Au moyen de cette question, il est possible d’invoquer l’absence de respect de nombreux droits ou libertés qui sont protégés tant par une convention que par la Constitution. La question de conventionnalité est en outre jugée directement par le juge qui en est saisi (15). Si la réponse apportée par le juge à la question ne vaut que pour l’instance concernée, le résultat pour le justiciable est équivalent à celui d’une abrogation de la disposition jugée contraire à la Constitution.

Pourtant, il serait souhaitable que la question de constitutionnalité, bénéficie d’un réel attrait, et ne soit pas seulement utilisée par des requérants altruistes. La question de constitutionnalité donne naissance à un contentieux objectif, dans l’intérêt du droit, et mérite à ce titre d’être privilégiée. En outre, la question de conventionnalité peut présenter le risque, pour le juge, de se mettre éventuellement en contradiction avec une autre interprétation de la convention et de donner souvent lieu à une jurisprudence complexe, parfois corrigée après condamnation de la France.

Afin d’éviter une concurrence entre ces deux moyens de contestation d’une disposition législative, qui pourrait être préjudiciable au développement de la nouvelle procédure, le projet de loi organique propose que la question de constitutionnalité soit jugée de manière prioritaire. Cette priorité, combinée au fait que la question de constitutionnalité devra être transmise à la juridiction suprême de l’ordre et que cette juridiction suprême, tout comme le Conseil constitutionnel ensuite, disposera d’un délai de trois mois pour rendre sa décision, devrait constituer un réel attrait pour le justiciable, lequel pourra espérer que, par le biais d’une abrogation de la disposition législative contestée, son affaire puisse trouver dans des délais brefs une issue favorable.

Le projet de loi organique ne propose de poser le principe de priorité qu’au stade de l’examen de la question de constitutionnalité par une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, laissant ainsi ces deux juridictions suprêmes libres d’appliquer ou non ce principe de priorité lorsqu’une question de constitutionnalité serait directement posée devant elles. Une telle dissymétrie serait difficilement compréhensible, comme l’ont souligné plusieurs personnes auditionnées, et votre commission vous propose donc de la corriger.

Néanmoins, afin de respecter les obligations qui incombent à la France en vertu de sa participation aux Communautés européennes et à l’Union européenne, le projet de loi organique propose de retenir une exception à la règle de priorité de la question de constitutionnalité, lorsque sont en jeu ces obligations communautaires. La rédaction, qui mentionne la « réserve, le cas échéant, des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution », n’est pas dépourvue d’ambiguïté, comme l’a notamment relevé le professeur Anne Levade : elle laisse supposer que l’article 88-1 offre un contrôle de conventionnalité ; elle évoque « des exigences », alors que le Conseil constitutionnel n’en a jusqu’à présent identifié qu’une seule – celle de transposition des directives communautaires.

D’après les explications apportées par le Gouvernement, cette réserve devrait avoir pour conséquence de préserver la faculté pour juge national, saisi de la contestation de la conformité au droit communautaire d’une disposition également contestée au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, de privilégier l’examen de la question de conformité au droit communautaire. À ce titre, une question préjudicielle pourrait être posée à la Cour de justice des Communautés européennes par le juge, sans préjudice du règlement de la question de constitutionnalité soulevée par une partie à l’instance (16).

Cette question préjudicielle, qui obéit aux règles fixées par l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne (TCE) ainsi que par le statut de la Cour de justice et le Règlement de procédure de la Cour de justice, a pour effet de suspendre la procédure nationale jusqu’à ce que la Cour de justice ait statué. L’introduction de cette question par les juridictions nationales est ouverte de manière différenciée selon les domaines. Si, dans le domaine du « premier pilier », toute juridiction peut en principe saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle, en revanche, pour les actes pris par les institutions dans le domaine des visas, de l’asile, de l’immigration et des autres politiques liées à la libre circulation des personnes (titre IV de la troisième partie du TCE), le renvoi n’est ouvert qu’aux juridictions statuant en dernier ressort, et, dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (titre VI du TUE), chaque État qui a accepté la compétence de la Cour peut déterminer le degré d’ouverture de la faculté de saisine de la Cour (17).

La question préjudicielle devant la Cour de justice

Art. 234 du Traité instituant la Communauté européenne. – La Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a) sur l’interprétation du présent traité,

b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté et par la BCE,

c) sur l’interprétation des statuts des organismes créés par un acte du Conseil, lorsque ces statuts le prévoient.

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice.

Art. 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (entrée en vigueur le premier jour du mois suivant le dépôt du dernier instrument de ratification du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007). – La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a) sur l’interprétation des traités,

b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais.

Les statistiques de la Cour de justice font apparaître que les juges français ne procèdent qu’à une vingtaine de renvois préjudiciels par an, toutes juridictions confondues (18). Lorsqu’une jurisprudence établie de la Cour permet de résoudre le point de droit litigieux, les juridictions nationales statuant sans possibilité de recours interne ne sont plus tenues de saisir la Cour de justice (19). Il est donc probable que la situation dans laquelle une question préjudicielle et une question de constitutionnalité viendraient en concurrence serait relativement rare.

Néanmoins, comme l’ont exposé plusieurs personnes auditionnées, il ne semble pas opportun de prévoir une dérogation au caractère prioritaire de la question de constitutionnalité. Ainsi, M. Nicolas Molfessis : « Aucune raison ne doit conduire à admettre une priorité temporelle de la question de droit communautaire sur celle de droit constitutionnel et il n’est absolument pas justifié de prévoir la réserve de l’article 88-1 de la Constitution. Il ne s’agit pas, en répondant à la question de constitutionnalité, de trancher la question de conformité au droit communautaire qui serait l’objet d’une question préjudicielle : il s’agit de trancher la question de conformité à la Constitution d’une disposition législative sans préjudice de ce qui sera jugé sur le terrain communautaire. La préséance chronologique de la question constitutionnelle n’est évidemment pas l’affirmation d’une primauté sur le droit communautaire ni un empiétement de compétences. À telle enseigne que, si la réponse à la question constitutionnelle devait être celle d’une conformité à la Constitution de la disposition législative, il resterait encore à statuer sur la question préjudicielle communautaire. Il serait en réalité justifié d’amputer l’alinéa 14 de l’article 1er de la référence à l’article 88-1 de la Constitution. La juridiction doit se prononcer en premier lieu sur la question de constitutionnalité ; il n’y a pas de réserve à prévoir puisque ce n’est pas elle qui se prononcera, à la suite d’une question préjudicielle, sur la conformité au droit communautaire. »

*

* *

La Commission procède, le jeudi 3 septembre 2009, à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, Garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi organique relatif à l'application de l’article 61-1 de la Constitution (n° 1599).

M. le président Jean-Luc Warsmann. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir au nom de notre commission Mme la ministre d’État, Garde des sceaux, dans le cadre de l’examen du projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution.

Nous souhaitons tous que tous les textes relatifs à la révision constitutionnelle viennent en discussion dès que possible. Celui que nous examinons aujourd’hui est très attendu, car il donnera à nos concitoyens un nouveau droit. Je me réjouis donc que les arbitrages rendus aient permis qu’il puisse être adopté durant la prochaine session extraordinaire.

Je rappelle que notre commission a réalisé un important travail de fond et procédé à de nombreuses auditions de représentants de juridictions, d’avocats et d’universitaires, qui nous ont permis d’approfondir divers aspects de ce texte.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, Garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Mesdames, messieurs les députés, le texte que vous examinez aujourd’hui, s’il est relativement simple et court, est aussi particulièrement important : il s’agit à la fois de prendre acte d’une décision votée dans le cadre de la réforme constitutionnelle, de la mettre en œuvre, et de donner à nos concitoyens un nouveau droit qui leur ouvre la possibilité de faire procéder à un examen de la constitutionnalité des lois qui leur sont appliquées.

Je tiens à rendre hommage à votre commission pour le travail important qu’elle a accompli sur ce texte. De nombreux amendements ont déjà été déposés et d’autres le seront certainement encore au cours des travaux de la commission et de l’examen du projet de loi en séance publique, qui sont toujours une occasion d’améliorer les textes et de les rendre plus lisible pour nos concitoyens, afin de mieux montrer le sens des réformes engagées.

En l’espèce, le justiciable doit pouvoir soutenir, à l’occasion d’un contentieux, qu’une disposition législative porte atteinte aux principes, aux droits et aux libertés garantis par la Constitution. La question de la constitutionnalité des lois est récurrente depuis très longtemps, et elle l’était déjà lorsque j’étais étudiante en droit. Ce projet de loi me semble donc représenter un progrès historique pour l’approfondissement de l’État de droit dans notre pays. Il consacre la vocation première de notre bloc de constitutionnalité, qui est de protéger les droits et libertés fondamentales des citoyens.

En prévoyant que le Conseil constitutionnel puisse être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de Cassation, le législateur a également voulu éviter certains risques, notamment celui de l’engorgement des juridictions par des questions déjà tranchées ou fantaisistes, dont la finalité serait purement dilatoire. Ce qui est en jeu, je le rappelle, c’est la possibilité de garantir aux citoyens que les lois respectent bien leurs droits et leurs libertés tels que définis par la Constitution. Un autre risque pourrait être celui de la déstabilisation de notre organisation juridictionnelle par le mélange de diverses compétences.

Afin de prévenir ces difficultés, le projet de loi organique institue le mécanisme de la question de constitutionnalité, qui est en cohérence avec le droit français et garantit l’effectivité d’une mise en œuvre par des règles de procédure adaptées.

Pour ce qui concerne tout d’abord la cohérence, la question de constitutionnalité réaffirme la hiérarchie des normes juridiques, à laquelle je sais que votre commission est particulièrement attachée, dans le respect de notre architecture juridictionnelle. La primauté de la Constitution sur toutes les règles de droit interne se trouve ainsi réaffirmée – ce qui est bien, au demeurant, le but de la réforme constitutionnelle engagée.

Cette démarche met fin à une situation anormale : lors d’un procès, un justiciable qui estimait que la règle qu’on lui appliquait était inconstitutionnelle ne pouvait pas le faire reconnaître. Ce moyen pourra désormais être soulevé en première instance comme en appel et devant toute juridiction, qu’elle relève du Conseil d’État ou de la Cour de Cassation. En cour pénale, le moyen de la constitutionnalité pourra intervenir au cours de l’instruction ; en assises, la question pourra être soulevée en amont, dans la phase d’instruction du procès criminel.

La question de constitutionnalité ne remet pas en cause notre organisation juridictionnelle. En effet, le principe de la spécialité de juridictions est préservé. Le choix qui a été fait n’a pas été de permettre à tout tribunal de juger de la constitutionnalité d’une règle, mais de réserver cette décision au Conseil constitutionnel. Chacun restera donc dans sa sphère de compétence. Les juridictions judiciaires et administratives vérifient la compatibilité entre les règles nationales et les normes internationales, tandis que le Conseil constitutionnel a compétence exclusive pour vérifier la conformité de la loi avec la Constitution. L’équilibre des juridictions est ainsi maintenu. Il ne s’agit pas pour autant de faire du Conseil constitutionnel une sorte de super Cour suprême : son contrôle demeure abstrait – il ne touche pas au fond de l’affaire et se limite à la seule question de constitutionnalité qui a été soulevée. De la sorte, et même si une coopération entre les différents niveaux est nécessaire pour trancher cette question, le Conseil d’État et la Cour de Cassation demeurent des cours souveraines et tout se fait dans le respect des compétences et de la spécialité des différentes juridictions.

Cependant, la question de constitutionnalité doit aussi garantir aux citoyens la pleine effectivité du nouveau recours prévu par la Constitution et deux règles ont paru essentielles à cette fin. La première porte sur la priorité du contrôle de constitutionnalité de la loi sur celui de sa conventionnalité, c’est-à-dire de sa conformité au droit international. L’autre règle concerne le moment de l’examen de la question de constitutionnalité par le juge saisi. Ces deux points sont importants dans notre organisation juridictionnelle.

Pour ce qui est tout d’abord de la priorité reconnue à l’examen de la constitutionnalité, le projet de loi articule les deux contrôles de la loi au regard des normes qui lui sont supérieures : la Constitution et le droit international. Le contrôle de conventionalité, ou de conformité au droit international, est pratiqué depuis longtemps par les juridictions judiciaires et administratives, avec des évolutions progressives qui ont abouti à l’état actuel du droit. Le contrôle de constitutionnalité, tel qu’il est prévu par le projet de loi, est une prérogative exclusive du Conseil constitutionnel. La finalité est de pouvoir invalider un projet de loi qui se révélerait contraire à la Constitution. C’est donc aussi la raison pour laquelle on a voulu que le contrôle de constitutionnalité prime sur la décision de contrôle de la conformité aux normes internationales. Le risque n’est pas théorique, car la plupart des droits et des libertés sont protégés à la fois par la Constitution et par des engagements internationaux. De la sorte, si on laissait au juge le droit de choisir entre les deux avant l’avis du Conseil constitutionnel, la norme internationale s’appliquerait parfois au détriment de notre Constitution – ce qui semblerait tout à fait anormal à la juriste et à la gaulliste que je suis.

Le deuxième point essentiel est celui de l’examen par le juge, dans la perspective de la célérité de la justice. De fait, nos concitoyens reprochent notamment à la justice sa lenteur, et il importe donc de ne pas rajouter des délais au déroulement des procès. C’est la raison pour laquelle le texte enferme dans un délai raisonnable, estimé à six mois, le traitement de la question de constitutionnalité par les cours suprêmes et par le juge constitutionnel, ce qui permet que cet examen ait lieu parallèlement au déroulement de la procédure sur le fond. D’autre part, les différentes étapes de la procédure pourraient s’articuler harmonieusement. Le juge saisi d’une demande par un justiciable doit donc examiner sans délai le texte sur le fondement des critères prévus par le projet de loi, avant de décider de sa transmission à la cour suprême dont il relève – le Conseil d’État ou de Cour de Cassation –, qui l’examine selon les critères traditionnellement employés, après quoi le juge constitutionnel rendra sa réponse au moyen soulevé. Si le Conseil constitutionnel estime qu’il existe un problème de constitutionnalité, la loi sera abrogée.

Il s’agit donc bien d’une garantie supplémentaire, et donc d’une avancée historique pour le justiciable comme pour notre droit.

Il faut toutefois observer que, bien que l’exception d’inconstitutionnalité soit considérée depuis longtemps et par tous comme une avancée, nombreux sont ceux qui ont reculé lorsqu’il s’agissait de la mettre en œuvre. Le projet de loi soumis à votre examen est à la fois réaliste – car il tient compte des contraintes et des risques de perversion du système – et ambitieux. Sans négliger aucune des difficultés juridiques soulevées par cette innovation, il vise à donner réalité à la protection des droits et libertés inscrits dans la loi fondamentale de notre pays.

Guy Geoffroy. Dans le cadre de l’application de la révision constitutionnelle, l’avancée que représente ce texte devrait réunir les suffrages de la quasi-totalité de nos collègues. Je tiens à saluer le travail accompli par le président et rapporteur de notre Commission. N’ayant pu participer à ce travail, j’ai pris grand soin de lire le compte rendu des auditions de très grande qualité auxquelles il a été procédé et qui ont permis d’identifier certains éléments qu’il conviendrait de préciser pour améliorer encore l’ensemble du dispositif.

Tout d’abord, l’article 61-1 de la Constitution fait explicitement référence à la loi organique, et à elle seule, pour mettre en œuvre ce nouveau droit qui garantit à nos concitoyens la possibilité d’un examen de la constitutionnalité des textes, parfois très anciens, auxquels ils sont soumis dans le cadre d’une procédure judiciaire. Il faut donc veiller à ne rien oublier de ce qui doit figurer dans la loi organique pour que la révision constitutionnelle porte tout son effet, car il n’y aura pas de session de rattrapage et il ne saurait être question de reprendre dans une loi ordinaire des éléments que nous aurions oubliés au passage.

Je souhaiterais donc, madame la ministre d’État, connaître votre sentiment sur certains points

Ma première interrogation porte sur les délais. En effet, si un délai de trois mois est imparti aux deux cours souveraines pour transmettre le dossier au Conseil constitutionnel, aucun délai n’est prévu dans la phase de la première instance. En fixer un garantirait à nos concitoyens que leurs demandes seront traitées dans un temps raisonnable et connu d’avance.

En deuxième lieu, le texte ne prévoyant pas non plus ce qu’il advient en cas de dépassement des délais, il me semblerait opportun de préciser dans la loi organique qu’en pareil cas, la logique du mouvement institutionnel va dans le sens d’une transmission au Conseil constitutionnel.

Il semble par ailleurs que les dispositions tout à fait satisfaisantes qui sont définies pour les cas où le Conseil d’État ou la Cour de cassation sont saisis d’une question de constitutionnalité ne soient pas prévues lorsque les cours souveraines en sont directement saisies. Il pourrait donc être opportun d’y remédier – un simple rappel par réécriture y suffirait.

Enfin, s’il n’est pas question de compléter ultérieurement cette loi organique par une loi ordinaire, il n’est pas non plus question d’y inclure n’importe quoi. Je m’opposerai donc farouchement à ceux qui, à ce que j’entends dire, souhaitent faire figurer dans ce texte, par voie d’amendements, des dispositions relatives au Conseil constitutionnel en tant que tel, et non pas seulement aux questions de constitutionnalité qui lui sont soumises. Il nous faut examiner toute la loi organique, mais rien que la loi organique. Toucher au Conseil constitutionnel n’est pas le rôle du législateur, et surtout pas dans le cadre de ce texte.

M. Didier Quentin. Je m’associe aux remarques formulées par mon collègue Guy Geoffroy.

Vos propos sont rassurants, madame la Garde des sceaux, quant à l’application de l’article 61-1 de la Constitution mais j’observe tout de même qu’afin d’éviter tout usage dilatoire de la loi, il est impératif de préciser que le juge ne doit pas attendre l’issue de la procédure pour traiter de la question de constitutionnalité : en effet, le délai d’examen de cette dernière doit être imputé sur le temps de la procédure et non s’y rajouter. Dès lors, il serait opportun de préciser que la juridiction transmet « sans délai » la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies – il s’agit du premier alinéa de l’article 23-2 – et de rappeler par ailleurs dans l’ensemble du texte qu’il s’agit d’une « question préalable » ou – ce qui serait encore mieux – « prioritaire » de constitutionnalité. Enfin, pour que les Français s’approprient ce nouveau dispositif, la réponse à cette question doit intervenir dans un délai satisfaisant.

Le cinquième alinéa de l’article 23-2, de plus, pose le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité par rapport au moyen de conventionnalité, c’est-à-dire sur contrôle de la conformité des lois eu égard notamment à la convention européenne des droits de l’homme. Cette orientation très positive doit cependant être renforcée en étendant cette disposition au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Par ailleurs, outre qu’il conviendrait de supprimer la référence aux moyens soulevés « de façon analogue » – tant les conséquences de cette formulation peuvent être incertaines –, il n’est pas admissible – et Mme la Garde des sceaux s’en est émue en tant que gaulliste – que cet article s’applique sous réserve des exigences de l’article 88-1 de la Constitution, laissant ainsi penser que le droit communautaire primerait le droit constitutionnel.

M. Jean-Jacques Urvoas. Le groupe socialiste ne s’opposera pas à ce texte puisque nous avions naguère déposé une proposition de loi en ce sens. Sans doute étions-nous d’ailleurs restés prisonniers d’une vision limitée aux années quatre-vingt-dix – je songe aux rapports Vedel ou Balladur – sans prendre suffisamment en compte les évolutions du droit, notamment celui du Conseil d’État – je songe, cette fois, aux arrêts Nicolo, Boisdet ou Rothmans. Mieux encore : nous souhaitons que ce projet soit applicable le plus rapidement possible – il en est d’ailleurs de même s’agissant d’autres mesures issues de la révision constitutionnelle dont celles concernant le « Défenseur des droits » ou le référendum d’initiative conjointe.

Ce n’est pas trahir un secret : ce texte est elliptique car il est le fruit du plus petit commun dénominateur trouvé par les membres du comité Balladur, qui, s’ils s’accordent en effet sur son principe, divergent sensiblement en revanche sur ses modalités d’application. Précisément, Mme la Garde des Sceaux a pointé les trois difficultés qui se posent et, tout d’abord, celle – stratégique – concernant le filtre.

Les auditions, de ce point de vue, ont dessillé mes yeux car je pensais que les relations entre le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel étaient idylliques. Comme ce n’est pas tout à fait le cas, le législateur se devait de mettre en place – tout en respectant bien entendu les prérogatives des uns et des autres – un nouveau mécanisme dont le nom ne doit pas tant témoigner d’un constat – comme c’est le cas avec la « question de constitutionnalité » – que d’une direction – comme cela serait le cas d’une « question préalable ou prioritaire » de constitutionnalité.

Deuxième difficulté : la priorité. La question se pose d’autant plus que, comme l’ont dit MM. Pierre Mazeaud et Jean-Louis Debré, l’unification des prérogatives des juges de la constitutionnalité et de la conventionnalité sera tôt ou tard effective. À ce propos, monsieur le président Warsmann, je note qu’il aurait été utile d’auditionner les représentants des magistrats.

Troisième difficulté, enfin : le statut du Conseil constitutionnel, lequel sera dorénavant une juridiction – ce changement impliquant de tirer un certain nombre de conséquences.

Par ailleurs, ne peut-on parler d’une partialité « structurelle » du Conseil d’État dès lors que la question préalable de constitutionnalité portera sur un texte sur lequel il s’est déjà prononcé – je vous rappelle, à ce propos, la jurisprudence de 2000 dite Labor Metal  ? Que pensez-vous également, madame la Garde des sceaux, du déport des membres du Conseil d’État ayant eu un rôle majeur dans l’adoption d’un texte qui serait contesté ? N’en va-t-il pas de même des membres du Conseil constitutionnel – dans lequel siègent, je le rappelle, deux Présidents de la République, qui pourraient être amenés à se prononcer sur des textes qu’ils n’avaient pas déférés car jugés implicitement conformes à la Constitution ? Quelles pourraient être les conséquences d’une telle situation ? Quid, enfin, des anciens parlementaires qui siègent parmi eux ?

En outre, le troisième alinéa de l’article 56 de la Constitution disposant que le Président du Conseil constitutionnel a voix prépondérante en cas de partage, que se passera-t-il en cas d’absence et qu’en sera-t-il de l’égalité des parties ?

Enfin, le ministère d’avocat sera-t-il obligatoire devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation ou bien sera-t-il par exemple possible de défendre devant le Conseil d’État, sans avocat, l’inconstitutionnalité d’un texte dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir ? Je note que le président Warsmann, si j’en crois le pré-rapport qu’il a eu l’excellente idée de nous transmettre, semble le penser. Dans les autres cas, lorsque le recours au principal n’est pas dispensé d’un ministère d’avocat, en sera-t-il de même devant le Conseil d’État ?

Dernier point, un peu anecdotique je le reconnais : quelles seront les conséquences de ce texte sur le droit local alsacien-mosellan ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. Lorsque nous l’avons auditionné, le secrétaire général du Conseil constitutionnel, M. Marc Guillaume, a considéré qu’il devrait être possible d’être assisté par n’importe quelle personne de son choix devant le Conseil constitutionnel mais qu’une demande d’expression orale impliquait la présence d’un avocat, solution qui nous avait alors paru de bon aloi puisqu’en droit du travail, par exemple, une personne peut fort bien être représentée par un délégué syndical.

Mme Marietta Karamanli. Si, s’agissant du périmètre des dispositions contrôlées, la loi organique évoque des « dispositions législatives » – à l’instar de la Constitution –, cette expression couvre-t-elle également l’ensemble des actes normatifs dont les mesures qui, normalement, relèvent des ordonnances au titre de l’article 38, les dispositions de nature législative nommées par l’article 53 et, enfin, les textes de forme législative visés par l’article 37 ? N’aurait-il pas dès lors été préférable d’évoquer des « lois et des textes à caractère législatif » ?

La procédure d’exception étant par ailleurs différente de la procédure de contrôle a priori, je m’interroge également sur les effets de l’appréciation de conformité à la Constitution. Le contrôle portant sur une disposition législative, que penser de la portée d’une décision d’inconstitutionnalité par voie d’exception prononcée à l’encontre de dispositions qui se révèleraient inséparables du reste de la loi promulguée, car essentielles ? N’aurait-il pas été de bonne politique de prévoir l’annulation des dispositions jugées « indétachables » ?

En outre, l’article 23-10 dispose que la décision du Conseil constitutionnel est motivée ; lorsque ce dernier statue dans le cadre de la procédure de contrôle préalable, il dispose par ailleurs de toute latitude pour choisir et retenir les motifs d’inconstitutionnalité. Or, en 1990, le sénateur Larcher – l’actuel président de la Haute assemblée – avait envisagé que la combinaison d’une déclaration d’inconstitutionnalité prononcée au-delà des moyens invoqués et portant sur des dispositions déclarées inséparables pourrait conduire à une décision contraire aux intentions de la partie requérante qui aurait donc été éventuellement susceptible de tenir de la loi d’autres droits et dont, en l’espèce, ni elle ni la partie adverse n’auraient contesté la constitutionnalité. N’aurait-il donc pas été préférable de préciser que la décision du Conseil constitutionnel est motivée notamment au regard des moyens soulevés devant les juridictions relevant du Conseil d’État et de la Cour de cassation ?

Enfin, le Sénat avait considéré en 1990 que le renforcement des compétences du Conseil constitutionnel et l’accentuation de son caractère juridictionnel imposaient d’accroître la nécessaire indépendance de ses membres en étendant le régime de leurs incompatibilités. Le sénateur Larcher estimait alors cette extension d’autant plus nécessaire que le justiciable dont les exceptions d’inconstitutionnalité seraient renvoyées devant le Conseil constitutionnel n’admettrait pas que ses affaires soient tranchées par des juges constitutionnels exerçant par ailleurs des fonctions politiques, des mandats électifs ou syndicaux et des activités constitutionnelles susceptibles d’influer sur leur jugement. Il ajoutait également que la crédibilité même du mécanisme d’exception d’inconstitutionnalité suppose l’absolue neutralité de l’organe appelé à statuer. Il me semble en conséquence opportun d’adopter un amendement disposant que les fonctions des membres du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec l’exercice de toute fonction publique élective et de représentation : il n’est en effet pas possible d’être à la fois juge et partie.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Ne s’agissait-il pas de Jacques Larché plutôt que de Gérard Larcher ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Peu de dispositions incluses dans la révision constitutionnelle concernant directement les citoyens, celle dont nous discutons aujourd’hui dans le cadre d’une loi organique revêt donc une importance particulière : elle ouvre en effet un droit fondamental – d’où, en l’occurrence, le caractère essentiel du filtre – tout comme d’ailleurs le référendum d’initiative citoyenne dont j’espère qu’il sera bientôt mis en place.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Le référendum d’initiative conjointe.

M. Jean-Christophe Lagarde. Non : ce sont les citoyens qui en ont l’initiative en nous saisissant, les parlementaires ayant déjà quant à eux l’initiative de la procédure de révision constitutionnelle.

Le Nouveau Centre se montrera très attentif, madame la Garde des sceaux, à ce que nul ne remette en cause le fait de ne pas surseoir à statuer lorsque, par exemple, les conditions de la remise en liberté d’une personne placée en détention provisoire sont en cause.

J’attire également votre attention sur le changement de statut du Conseil constitutionnel – lequel devient en effet une juridiction à laquelle nous souhaitons d’ailleurs que revienne, à terme, le contrôle de la conventionnalité ; sans doute la Commission des lois pourrait-elle se saisir de cette question. Si des Présidents de la République y siègent et y ont en effet siégé en raison de leur sagesse supposée – même si je n’ignore pas qu’à l’origine il s’agissait de tenir compte de la situation particulière d’un individu –, il me semble que cela ne devrait plus être le cas après la mise en œuvre de cette réforme.

Enfin, si l’effectivité du nouveau droit ouvert à nos concitoyens suppose qu’un délai soit adopté, qu’en sera-t-il de son non respect – lequel ne doit pas être sans conséquence ?

M. André Vallini. Bien que n’étant pas « estampillé » gaulliste, j’ai beaucoup d’admiration pour le général de Gaulle…

M. le président Jean-Luc Warsmann. Tout le monde a été, est ou sera gaulliste !

M. André Vallini. Je l’ai été, je le suis et je le serai longtemps !

Bref, si les constituants ont en l’occurrence prévu que les anciens présidents de la République siègeraient au Conseil constitutionnel, c’est parce que le général de Gaulle a voulu faire un geste pour le Président René Coty…

M. Jean-Christophe Lagarde. Je suis historien et je le sais !

M. André Vallini. …qui lui avait transmis le pouvoir, comme le rappelle d’ailleurs l’arrière petit-fils de ce dernier, Benoît Duteurtre, dans Ballet rose.

Quoi qu’il en soit, je me réjouis de ce texte qui arrive enfin : la gauche en a rêvé, d’autres le font, ne boudons pas notre plaisir !

Mme la Garde des sceaux. Je vous remercie de vos interventions.

M. Geoffroy a eu raison de le dire : c’est précisément parce que les lois organiques ne peuvent être modifiées du jour au lendemain lorsque l’on s’aperçoit que leur application n’est pas conforme aux attentes suscitées que nous devons être prudents et envisager l’ensemble des cas de figure susceptibles de soulever des difficultés.

Si, par ailleurs, le texte ne mentionne pas de délai s’agissant de la première instance, c’est que la réponse formelle apportée par le juge doit être littéralement « sans délai », les délais cumulés tout le long de la procédure devant quant à eux être raisonnables – ils sont d’ailleurs un peu plus encadrés s’agissant des cours suprêmes, notamment du Conseil constitutionnel. Si tel ne devait pas être le cas, outre que les recours sont assez rapides, je rappelle que l’appréciation du travail du juge dépend en partie de sa capacité à traiter en temps utile l’ensemble des dossiers qui lui sont soumis. En l’occurrence, nous y serons particulièrement attentifs. Faut-il pour autant être plus précis ? Cela n’aurait-il pas un effet inverse à celui attendu en encourageant le juge à attendre l’expiration du délai ? Votre commission peut bien entendu se saisir de cette question mais l’essentiel repose selon moi dans la relative concomitance entre l’instruction de l’affaire et l’usage de ce nouveau droit. Faut-il se limiter strictement à la question posée ? Je pense, pour ma part, que oui.

Didier Quentin a, à juste titre, souligné que la juridiction ne devrait pas attendre l’issue de la procédure pour soulever la question de constitutionnalité. C’est en effet dès le début qu’il faut s’en préoccuper. Faut-il parler de « question prioritaire » ou de « question préalable » de constitutionnalité? On peut en débattre. Je serai, comme toujours, à l’écoute à toute proposition d’amélioration du texte émanant des parlementaires qui sont au contact permanent des justiciables et des citoyens. Notre objectif est bien d’élaborer un droit compréhensible par tous : la rédaction retenue doit donc être la plus claire possible.

S’agissant de la priorité respective du contrôle de conventionnalité et du contrôle de constitutionnalité, j’ai donné mon avis et me réjouis qu’il soit partagé par nombre d’entre vous. Sur ce point également, nous nous efforcerons de parvenir à la meilleure rédaction possible.

Jean-Jacques Urvoas attend avec impatience les textes relatifs au Défenseur des droits et au référendum d’initiative populaire. Nous y travaillons. Le premier d’entre eux a déjà fait l’objet de certains arbitrages. Dès lors qu’une révision constitutionnelle a été adoptée, il est naturel que le Gouvernement propose les textes de mise en œuvre de cette réforme. Espérons que le calendrier parlementaire permettra l’adoption de ces textes.

Monsieur Urvoas, vous avez également rappelé, à juste titre, la nécessité de préciser certains points sur le filtre ou sur la priorité.

S’agissant du statut du Conseil constitutionnel, je rappelle que celui-ci est déjà une juridiction, notamment lorsqu’il statue en matière de contentieux électoral. Il n’y a donc pas de novation radicale en la matière.

Vous avez ensuite évoqué une « partialité structurelle » du Conseil d’État, point de vue que bien sûr je ne partage pas. Je souligne que pour les textes récents, la plupart auront été préalablement déférés au Conseil constitutionnel. Si aujourd’hui une loi ne l’est pas, c’est que chacun s’accorde sur la constitutionnalité de ses dispositions, étant donné le droit de saisine dont disposent les parlementaires. Je ne vois donc pas de problème sur ce point. Enfin, dois-je rappeler que le Conseil d’État a lui-même deux formations, administrative et contentieuse ? Cette séparation règle, je le crois, la question. Aucune suspicion n’est de mise.

Pour ce qui est du président du Conseil constitutionnel, je fais observer que, dans toute instance, il y a toujours un président de séance, qui a voix prépondérante.

En ce qui concerne la place des avocats, si le ministère d’un avocat est obligatoire, ce sont ceux du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui seront compétents. Dans le cas contraire, la logique veut qu’il ne soit pas besoin d’y recourir. Pour autant, s’agissant de questions éminemment juridiques, cela sera sans doute recommandé et je ne doute pas que les choses se passeront naturellement ainsi.

Pour ce qui est de l’Alsace et de la Moselle, elles sont soumises à notre Constitution et les exceptions que comporte leur droit y sont d’ailleurs expressément prévues. Les règles qui s’y appliqueront seront donc les mêmes, comme il est logique.

M. Jean-Jacques Urvoas. Il y aura donc bien des conséquences pour elles.

Mme la Garde des sceaux. Il pourra y en avoir.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Que l’on se rassure, nous veillerons aux intérêts de l’Alsace-Moselle.

Mme la Garde des sceaux. Mme Karamanli s’est demandée s’il ne vaudrait pas mieux parler de « texte de nature législative » ou de « dispositions législatives » que de « loi » ? En tout état de cause, tels sont bien l’esprit du texte comme notre volonté. Je vous laisse juge de l’opportunité d’une rédaction plus précise.

S’agissant de la motivation des décisions du Conseil constitutionnel, il est bien évident que celui-ci les motive comme il le souhaite, mais n’oubliez pas qu’il ne traite pas du fond du litige, mais seulement de la constitutionnalité des dispositions appliquées.

Pour ce qui est du renforcement de l’indépendance des membres du Conseil constitutionnel, j’ai déjà répondu, indiquant que, de toute façon, ce n’était pas dans ce texte que cette question devait être traitée.

M. Jean-Christophe Lagarde. Selon les cas, un avocat sera ou non nécessaire. Ma question, en tant que député de la Seine-Saint-Denis, département à la population particulièrement modeste, est de savoir si tous nos concitoyens pourront y avoir accès. Un justiciable qui pourrait se payer les services d’un avocat du barreau de Bobigny, dont la prestation est d’un coût raisonnable, le pourra-t-il d’un avocat au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, aux honoraires beaucoup plus élevés ?

Mme la Garde des sceaux. Nous en avons déjà discuté avec les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Ils sont parfaitement conscients que l’une des contreparties de leur monopole sera d’appliquer des honoraires modérés. N’oublions pas non plus qu’une partie du travail aura déjà été accompli avec les avocats traitant du fond du litige ni que les justiciables les plus modestes peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle.

M. Jean-Jacques Urvoas. Il ne serait pas inutile de dire ici quelques mots de la circulaire du 22 juin dernier relative à l’aide juridictionnelle…

Mme la Garde des sceaux. La finalité même du RSA est d’inciter les personnes à reprendre un travail sans en être en rien pénalisées. Il aurait donc été aberrant de leur supprimer le bénéfice de l’aide juridictionnelle. C’est pourquoi dès que j’ai eu connaissance du projet, j’ai demandé officiellement que la mesure soit rapportée.

M. Jean-Jacques Urvoas. Lorsque nous avions auditionné le président Le Prado, il nous avait annoncé une fourchette d’honoraires des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui semble depuis avoir été divisée par deux, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Le président Le Prado avait effectivement évoqué devant la commission une fourchette de 2000 à 3000 euros. Dans un courrier qu’il m’a fait parvenir cet été, il évoque plutôt 1500 à 2000 euros. Je vous ferai passer copie de sa lettre si vous le désirez.

Mme la Garde des sceaux. Monsieur Lagarde, s’agissant du respect du délai de trois mois, le problème est plus théorique que réel. En effet, jusqu’à présent, chaque fois que des délais ont été fixés à des juridictions, ils ont toujours été respectés, tout particulièrement par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. Faut-il être encore plus contraignant, au risque de manifester à l’égard des plus hautes juridictions de notre pays une forme de méfiance ?

Au terme de cette réponse, je tiens, monsieur le président de la Commission, mesdames et messieurs les commissaires, à vous remercier pour votre accueil et la qualité du travail accompli. Je formule le vœu que ce texte soit un exemple d’une collaboration fructueuse entre la Chancellerie et votre commission pour rendre le droit plus compréhensible pour tous nos concitoyens et faire en sorte qu’il réponde mieux à leurs attentes, à leurs besoins et à l’image positive que je souhaite qu’ils aient de leur justice.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Madame la Garde des sceaux, je vous remercie.

*

* *

EXAMEN DES ARTICLES

La Commission examine le projet de loi organique relatif à l'application de l’article 61-1 de la Constitution (n° 1599) au cours de sa réunion du jeudi 3 septembre 2009.

M. Guy Geoffroy, président. Je propose que nous considérions que, comme à l’accoutumée, la discussion générale sur le projet de loi a déjà eu lieu et que nous passions à l’examen des articles.

M. Jean-Jacques Urvoas. Je ne considérais pas, pour ma part, que la discussion générale avait eu lieu. L’audition de la ministre visait à préciser les intentions du Gouvernement. C’est volontairement que nous n’avons pas évoqué devant elle des points qui nous semblaient relever de la Commission exclusivement. J’aurais donc aimé faire une brève introduction.

M. Guy Geoffroy, président. Il est de tradition qu’une fois auditionné le ministre, nous passions directement à l’examen des articles. Pour autant, je ne vois pas d’inconvénient à ce que vous interveniez brièvement si vous le souhaitez. Mais cela ne doit pas conduire à rallonger nos débats ni inciter d’autres collègues à faire eux aussi une intervention liminaire. Oui, donc, à votre intervention, mais dans des proportions correspondant à la raison que je sais être la vôtre.

M. Jean-Jacques Urvoas. Dans ces conditions, je ne prendrai pas la parole.

Avant l’article 1er

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels avant l’article 1er.

Elle examine d’abord l’amendement CL 2 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Cet amendement pose le principe de la publication des opinions séparées, qui se pratique dans beaucoup de pays et dont je suis convaincu qu’elle sera, tôt ou tard, intégrée dans notre tradition juridique. Ce texte en donnerait utilement l’occasion. Quoi qu’en pense la ministre, il y a bel et bien un changement de nature dans la fonction du Conseil constitutionnel. Le contrôle a priori qu’il exerçait jusqu’à présent est une spécificité française. Doté désormais d’un pouvoir de contrôle a posteriori, il sera ainsi la seule haute juridiction au monde à exercer les deux, ce qui va d’ailleurs modifier profondément le volume de son activité. Pourquoi plaidé-je donc pour une publication des opinions séparées ? Comme chacun le sait, le droit est constitué d’un ensemble de normes produit par des individus et dont la signification naît au fil de leurs débats. Une décision de justice, quelle qu’elle soit, ne tire pas sa rationalité du nombre de personnes qui en ont fait le choix mais de la cohérence de son argumentation et de la confrontation d’idées de laquelle elle est née. Favoriser ce débat contradictoire en élevant les exigences de validation des arguments présentés me paraîtrait opportun.

On m’a souvent objecté que la publication d’une opinion séparée affaiblirait l’autorité de la décision prise. Pour ma part, ayant une conception assez profane du droit, je considère que la force d’une décision du Conseil constitutionnel ne repose pas sur le décompte du nombre des personnes qui l’ont approuvée mais sur la souveraineté même de cette juridiction. Les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à tous de la même façon, qu’elles aient été prises à l’unanimité ou par une seule voix d’avance. Une opinion séparée n’est pas une opinion dissidente et ne remet en rien la décision en cause. Je ne vois pas en quoi sa publication en affaiblirait la « force morale ». Celle-ci est aujourd’hui parfois affectée par la rédaction même des considérants, voire certains commentaires de la doctrine ou certaines critiques portées par les politiques.

On m’a également fait valoir que l’opinion séparée n’appartiendrait pas à notre tradition juridique. Certes, mais l’évolution n’est-elle pas tout aussi légitime que le maintien de la tradition ? Sur ce point d’ailleurs, le contrôle de constitutionnalité non plus ne faisait pas partie de notre tradition et pourtant, il s’est très rapidement instauré et imposé dans notre pays, et a au contraire renforcé la loi. Il faut savoir aussi que dans les pays où se pratique l’opinion séparée, il n’y en est fait qu’un usage très modéré.

Enfin, une opinion séparée n’est que l’expression d’un désaccord sur les motivations de la décision. On peut parfaitement aboutir à la même décision que celle finalement prise, en ayant suivi un tout autre cheminement juridique. Il me paraîtrait utile que l’on puisse en avoir connaissance. Je n’ignore pas que ce qui fait véritablement débat est la publication de ces opinions. Nul n’ignore pourtant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas toutes unanimes et que certains membres de l’institution souhaiteraient que l’on admette le principe des opinions séparées. Convaincu que de toute façon on y viendra – mais de façon prétorienne –, je préférerais que le législateur puisse encadrer la pratique.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Avis défavorable à l’amendement CL 2, ainsi qu’aux amendements de cohérence CL 4 et CL 5 de M. Jean-Jacques Urvoas.

La Commission rejette l’amendement CL 2 ainsi que les amendements CL4 et CL5.

Article 1er

(articles 23-1 à 23-11 [nouveaux] de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958)


Conditions de mise en
œuvre de la question de constitutionnalité

Le présent article a pour objet d’insérer au sein du titre II de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel un chapitre consacré à la procédure créée par le nouvel article 61-1 de la Constitution. Les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel peut être saisi d’une question relative à une disposition législative qui porterait atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit doivent en effet être fixées par le législateur organique.

Le législateur organique est déjà fortement encadré par le Constituant lui-même, qui a prévu que la question de constitutionnalité ne peut être posée qu’« à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction », que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de cette question que sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation et que ces deux juridictions doivent se prononcer dans un délai déterminé.

Au sein du nouveau chapitre II bis de l’ordonnance du 7 novembre 1958, il est proposé de distinguer trois sections : une première section relative aux dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation (articles 23-1 à 23-3), une deuxième section relative aux dispositions applicables devant le Conseil d’État et la Cour de cassation (articles 23-4 à 23-7) ; enfin une troisième et dernière section relative aux dispositions applicables devant le Conseil constitutionnel (articles 23-8 à 23-11).

Article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Question de constitutionnalité soulevée devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation

Le nouvel article 23-1 permet de fixer les conditions dans lesquelles une question de constitutionnalité peut être soulevée devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, son objet étant de contester la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d’une disposition législative.

1. Les juridictions concernées

Le premier alinéa de l’article 23-1 prévoit qu’une question de constitutionnalité peut être soulevée « devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ».

Cette mention permet de couvrir un champ très large, qui inclut aussi bien les juridictions d’instruction que les juridictions de jugement, les juridictions du fond que les juridictions du provisoire, les juridictions de droit commun que les juridictions spécialisées. Il convient à ce propos de faire observer que si la faculté de soulever une question de constitutionnalité devant le juge des référés n’est pas exclue, il sera dans l’intérêt même des parties de soulever plutôt cette question devant le juge du principal, dans la mesure où ce dernier sera tenu de se prononcer sans délai sur la transmission de cette question à la juridiction suprême de son ordre.

Comme le fait apparaître la structure des nouvelles dispositions, le Tribunal des conflits, la Haute Cour et la Cour supérieure d’arbitrage (créée par les articles L. 2524-7 et suivants du code du travail) ne pourront être saisis de questions de constitutionnalité. Cette restriction avait déjà été évoquée lors de la révision constitutionnelle, lorsque l’Assemblée nationale s’était interrogée sur l’opportunité de mentionner dans la Constitution la possibilité de contester la constitutionnalité d’une disposition législative devant une juridiction ne relevant ni de la Cour de cassation ni du Conseil d’État. Comme l’avait alors fait observer votre rapporteur : « le Tribunal des conflits, qui peut être notamment saisi des décisions définitives des tribunaux des deux ordres lorsqu’elles présentent une contrariété aboutissant à un déni de justice, n’est jamais saisi en tant que tel de questions concernant les droits et libertés garantis par la Constitution. Dans ces conditions, la mention de la Cour de cassation et du Conseil d’État est suffisante. » (20)

En revanche, la Cour de justice de la République pouvant être considérée comme relevant de la Cour de cassation en raison de la faculté de se pourvoir en cassation contre ses arrêts, devrait pouvoir admettre que des questions de constitutionnalité soient soulevées devant elle.

Le texte proposé par le présent article ne permet par ailleurs pas de préjuger dans quelle mesure le Conseil constitutionnel statuant comme juge des élections législatives et sénatoriales (voire comme juge des incompatibilités et inéligibilités survenues en cours de mandat), ou comme juge de certaines opérations préalables à l’organisation des référendums, pourrait admettre une question de constitutionnalité directement soulevée devant lui (21). Il appartiendra au Conseil constitutionnel de tirer lui-même les conséquences de la réforme constitutionnelle.

En revanche, peut se poser la question de la faculté de soulever un moyen d’inconstitutionnalité devant les tribunaux arbitraux d’une part, et devant les autorités administratives qui sont des juridictions au sens du premier paragraphe de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales d’autre part.

Certaines autorités administratives indépendantes exerçant des pouvoirs de sanctions comprennent dans leur formation de jugement des magistrats. Il en va ainsi pour le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, composé exclusivement de magistrats professionnels (deux conseillers d’État et deux conseillers à la Cour de cassation) (22 ou encore pour la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, composée pour partie de magistrats professionnels (quatre des douze membres, dont le président) (23). Les décisions prises par ces autorités administratives peuvent faire l’objet d’une réformation, par la voie d’un recours devant le juge judiciaire (cas des deux autorités précitées (24), mais également de l’Autorité de la concurrence (25)) ou devant le juge administratif (cas du Conseil supérieur de l’audiovisuel (26), de l’Autorité de contrôle des assurances et mutuelles (27) ou encore de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (28)). En dépit de leur composition et des voies d’appel contre leurs décisions, de telles autorités administratives, même indépendantes, mêmes soumises aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ne sont pas des juridictions en droit interne. En outre, comme l’ont fait observer la plupart des personnes auditionnées, il demeurera possible pour les parties de soulever une question de constitutionnalité à l’occasion d’un recours formé devant une juridiction à l’encontre de la décision de l’autorité administrative. Pour ces deux raisons, il ne semble pas souhaitable que les autorités administratives puissent admettre qu’un moyen de constitutionnalité soit soulevé devant elles.

Une sentence arbitrale a, dès qu’elle est rendue, l’autorité de la chose jugée (article 1476 du code de procédure civile). Lorsqu’une sentence arbitrale est susceptible d’appel, cet appel est porté devant la cour d’appel (article 1486 du même code) (29). Néanmoins, comme l’a expliqué M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, devant votre commission, « en premier lieu, le tribunal arbitral n’est pas une “ juridiction relevant de la Cour de cassation ” : l’arbitre, détaché de tout lien avec un État, ne relève pas d’un ordre juridique étatique affirmé. Comme le souligne la jurisprudence de la Cour de cassation, “ les arbitres (…) tiennent leur pouvoir du seul consentement des parties, et non de la puissance publique ”. Ils n’ont donc pas leur place dans l’ordonnancement des juridictions dans la hiérarchie judiciaire. En second lieu, l’arbitre, juge privé, n’est pas habilité à saisir une instance publique pour trancher une question de droit qui lui est soumise. D’ailleurs, la Cour de justice des Communautés européennes ne reconnaît pas aux arbitres le droit de lui poser une question préjudicielle, un tribunal arbitral conventionnel ne constituant pas selon elle une juridiction d’un État-membre. » (30) Enfin, il sera possible, de la même manière que pour les sanctions prises par des autorités administratives, de poser valablement la question de constitutionnalité à l’occasion d’un recours devant une juridiction saisie en appel.

2. Les dispositions pouvant être contestées

Le premier alinéa exige la présentation d’un moyen « tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ». La rédaction qui est proposée vise la contestation de toute « disposition législative », sans introduire plus de précision.

Le Conseil constitutionnel se refuse jusqu’à présent à contrôler la constitutionnalité d’une disposition législative adoptée par la voie du référendum (31). Il est donc possible de s’interroger sur la possibilité que des dispositions législatives d’origine référendaire puissent faire l’objet d’une question de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel considère en effet que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 « sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple français à la suite d’un référendum contrôlé par le Conseil constitutionnel au titre de l’article 60, constituent l’expression directe de la souveraineté nationale » (32). Par parallélisme, il pourrait de la même manière être considéré que les dispositions législatives visées par l’article 61-1 de la Constitution sont uniquement celles votées par le Parlement.

En l’absence de mention spécifique des dispositions législatives organiques, serait-il possible de soulever une question de constitutionnalité à l’encontre d’une disposition figurant dans une loi organique ? Il y a vingt ans, M. Bruno Genevois plaidait pour l’exclusion des lois organiques du champ de la question de constitutionnalité : « On peut considérer que les lois organiques font partie intégrante des normes de référence du contrôle de constitutionnalité des lois et qu’il est dès lors souhaitable de ne pas les soumettre au contrôle par la voie de l’exception qui doit rester limité aux lois ordinaires. À ce premier argument s’en ajoute un second, plus convaincant à nos yeux, et qui est tiré de ce que les lois organiques ont été soumises au contrôle de constitutionnalité obligatoire en vertu du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution. » (33) Il serait également possible d’ajouter à ces arguments en faveur de leur exclusion le fait que les lois organiques sont généralement des lois qui règlent les relations entre les pouvoirs publics et qui n’intéressent pas a priori les droits et libertés garantis par la Constitution. Cet argument est toutefois contrecarré par le développement des lois organiques statutaires relatives aux collectivités d’outre-mer. En sens inverse, il serait possible de soutenir que les dispositions organiques mériteraient de pouvoir faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori, soit qu’il s’agisse de dispositions prises sur le fondement de l’article 92 de la Constitution entre le 4 octobre 1958 et le 4 février 1959 et qui n’ont pas été contrôlées par le Conseil constitutionnel, soit qu’il s’agisse de dispositions validées par le Conseil constitutionnel mais dont un nouvel examen serait justifié par un changement des circonstances de droit ou de fait. M. Marc Guillaume, lors de son audition par votre commission, a plaidé en faveur d’une possibilité de soumettre à la question de constitutionnalité des dispositions organiques non encore soumises au Conseil constitutionnel.

Se pose également la question de l’application du nouveau droit constitutionnel aux lois du pays de Nouvelle-Calédonie, lesquelles ont force de loi lorsqu’elles interviennent dans l’un des domaines énumérés à l’article 99 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (34). La Constitution prévoit que les conditions dans lesquelles certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante de Nouvelle-Calédonie peuvent être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel doivent figurer dans la loi organique portant statut de la Nouvelle-Calédonie (troisième alinéa de l’article 77 de la Constitution). Cette disposition constitutionnelle a ainsi permis de prévoir un mode de saisine spécifique du Conseil constitutionnel pour lesdites lois du pays. Toutefois, il ne semble pas que cette disposition spéciale de la Constitution, dérogatoire à celle figurant à l’article 61 de la Constitution et organisant les modalités de la saisine a priori du Conseil constitutionnel, implique que toute autre forme de contrôle de constitutionnalité des lois du pays après leur publication soit constitutionnellement prohibée. En outre, comme l’a notamment souligné M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, « il serait paradoxal que les lois du pays soient mieux protégées que ne le seraient les lois du Parlement » et cette différence pourrait sans doute, comme le professeur Anne Levade en a formulé l’hypothèse, donner matière à saisine de la Cour européenne des droits de l’homme.

Votre rapporteur, favorable à l’application de la question de constitutionnalité aux lois du pays, considère que l’expression « disposition législative », introduite dans le nouvel article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, doit suffire à permettre de soulever une question de constitutionnalité à l’encontre d’une loi du pays. Votre commission vous propose toutefois d’adapter les conditions d’examen de cette question devant le Conseil constitutionnel lorsqu’elle sera soulevée à l’encontre d’une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie, et d’apporter également une modification à l’article 107 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie (voir infra commentaire de l’article 2 bis).

3. Les moyens d’inconstitutionnalité pouvant être invoqués

Une disposition législative ne pourra faire l’objet d’une question de constitutionnalité que pour autant qu’elle serait contraire aux « droits et libertés garantis par la Constitution ». Cette limitation du champ de la contestation de la conformité à la Constitution est un choix volontaire du Constituant de 2008.

Votre rapporteur avait déjà considéré, dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, qu’« il n’est pas question de juger d’une loi dans son aspect procédural ou au regard de la compétence de son auteur ; mais (…) de confronter la disposition à l’ensemble du contenu du “ bloc de constitutionnalité ”, comprenant à la fois les droits et libertés garantis par la Déclaration de 1789, l’ensemble des principes particulièrement nécessaires à notre temps énoncés par le préambule de la Constitution 1946 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (35).

Si les règles de procédure ou de compétence ne sauraient en principe être invoquées pour soulever une question de constitutionnalité, cette exclusion de principe ne signifie sans doute pas que l’ensemble des aspects du contrôle de constitutionnalité externe doivent être a priori exclus.

M. Marc Guillaume a jugé que « devrait pouvoir être soulevée la question du manquement à l’obligation faite à la loi de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. Il en irait de même dans le cas de l’incompétence négative du législateur ». Une disposition législative trop peu précise et n’épuisant pas la compétence du législateur (incompétence négative) pourrait voir sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution contestée. Il serait ainsi possible de considérer, comme l’a soutenu devant votre commission M. Jean-Marc Sauvé, qu’une incompétence négative en matière de procédure pénale soit regardée comme portant atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et puisse à ce titre être à l’origine d’une question de constitutionnalité. En sens inverse, une incompétence négative ne mettant pas en cause la protection d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution exclurait une telle question. De fait, l’atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis qu’il appartient à la loi de sauvegarder conduit déjà le Conseil constitutionnel à censurer a priori des dispositions législatives qui ne déterminent pas elles-mêmes la nature des garanties nécessaires (36). Toutefois, comme l’a fait observer M. Marc Guillaume, toutes les décisions rendues par le Conseil constitutionnel en matière d’incompétence négative ne sont pas relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution, comme l’attestent de nombreux exemples récents, et les violations en cause ne pourraient donc être alléguées dans le cadre de l’article 61-1.

Il devrait, de la même manière, être possible de soutenir que l’absence de respect d’une règle de procédure serait une atteinte à un droit ou une liberté constitutionnellement garantis. Par exemple, une collectivité territoriale, dont le législateur aurait prévu la consultation préalable à l’adoption d’une disposition législative la concernant, devrait pouvoir contester une disposition législative qui aurait été adoptée sans avoir procédé à cette consultation, en arguant du lien entre l’obligation de consultation et le principe de libre administration des collectivités territoriales.

4. Les conditions de saisine de la juridiction

Le premier alinéa du nouvel article 23-1 propose d’exiger la production d’un écrit distinct et motivé pour soulever une question de constitutionnalité, ce qui semble pouvoir se justifier, en raison du caractère très particulier de cette procédure, qui peut être introduite tant devant le juge administratif que devant le juge judiciaire, à tout stade de l’instance, et qui comporte plusieurs filtres. On notera toutefois que cette exigence n’est pas exclusive de la possibilité d’une phase orale, selon les règles procédurales applicables à chaque type de juridiction.

Comme l’a fait observer le M. Paul Cassia, « il faut avoir à l’esprit les difficultés pratiques que l’exigence d’une particularisation du moyen tiré de l’exception d’inconstitutionnalité de la loi peut soulever ». Il serait en effet possible de considérer qu’un moyen soulevé dans le mémoire principal n’est pas recevable, non plus qu’un moyen figurant dans un mémoire comportant également des moyens d’une autre nature. Il reviendra au juge du fond d’apprécier la recevabilité formelle du moyen soulevé devant lui et de mettre la partie l’ayant soulevé à même de régulariser sa demande.

L’interdiction pour le juge soulever d’office la question de constitutionnalité est un choix important. De la rédaction de l’article 61-1 de la Constitution, qui utilise les termes « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu », il convient de déduire que la question de constitutionnalité doit être soutenue par une partie et qu’elle ne saurait être un moyen d’ordre public, à la disposition du juge. Un juge soulevant d’office une question de constitutionnalité porterait atteinte au monopole d’appréciation de la Constitution par le Conseil constitutionnel ; aussi bien est-il clairement précisé que le moyen ne peut être relevé d’office.

En revanche, et sans que cela appelle une disposition explicite du législateur organique, le ministère public, lorsqu’il sera partie à l’instance, pourra soulever une question de constitutionnalité. Pour le Premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, « le ministère public, qui a toujours la faculté, s’il n’est déjà partie principale, d’intervenir dans toute instance en qualité de partie jointe, aura la possibilité de soulever une question de constitutionnalité ». Sur ce point, l’interprétation donnée par le Gouvernement diverge, puisqu’il considère que le ministère public ne serait compétent pour soulever une telle question qu’en qualité de partie principale. Lorsque le ministère public est partie jointe, soit en raison de la matière de l’affaire (37), soit de sa propre initiative (38), soit à celle du juge du siège (39), il est chargé d’intervenir « pour faire connaître son avis sur l’application de la loi » (article 424 du code de procédure civile). Dans la mesure où l’inconstitutionnalité éventuelle d’une disposition législative est susceptible de poser la question de l’application de cette disposition, il ne serait pas infondé que le ministère public puisse, en qualité de partie jointe, invoquer un tel moyen.

Enfin, le premier alinéa permet qu’un tel moyen soit soulevé pour la première fois en cause d’appel. Interdire de soulever pour la première fois en appel une question de constitutionnalité reviendrait à apporter à ce droit, qui est constitutionnellement garanti, une limite excessive.

Le deuxième alinéa organise les conditions de l’information du ministère public devant les juridictions relevant de la Cour de cassation. Il est prévu que la question de constitutionnalité devra être portée à sa connaissance lorsqu’il n’est pas partie à l’instance, de telle sorte qu’il puisse faire connaître son avis. En tout état de cause, lorsqu’il sera partie à l’instance, il pourra faire connaître son avis au même titre que toute autre partie.

Le troisième alinéa prévoit que, lorsque la question est soulevée au cours d’une instruction pénale, la juridiction d’instruction du second degré en est saisie. Comme l’explique l’exposé des motifs du projet de loi organique, il est « logique de confier à la juridiction compétente pour statuer sur la validité de la procédure la responsabilité d’apprécier si la question de constitutionnalité soulevée affecte ou non la régularité de la procédure ». Par conséquent, il reviendra en tout état de cause à la chambre de l’instruction de se prononcer sur la question de constitutionnalité soulevée au cours d’une instruction.

Le quatrième alinéa interdit qu’une question de constitutionnalité puisse être soulevée devant la cour d’assises, comme cela était déjà le cas dans le projet de loi organique du 30 mars 1990 précité. En 1990 tout comme aujourd’hui, cette restriction est justifiée par la composition particulière de la cour d’assises et par l’intérêt qui s’attache à ce que les questions de droit et de procédure soient réglées avant l’ouverture du procès criminel. Par ailleurs, la possibilité de faire appel des décisions des cours d’assises, introduite dans notre droit par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, conduit à prévoir qu’une question de constitutionnalité peut être soulevée en cas d’appel de la décision rendue par la cour d’assises en premier ressort. La question ainsi soulevée devra prendre la forme d’un « écrit accompagnant la déclaration d’appel », lequel devra être distinct et motivé et sera immédiatement transmis à la Cour de cassation. Par conséquent, au cours d’un procès criminel, la partie qui souhaiterait soulever une question de constitutionnalité aura plusieurs occasions pour le faire : au cours de l’instruction ; à l’occasion d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de mise en accusation ; à l’occasion d’un appel contre la décision rendue en premier ressort par la cour d’assises. Dans ces deux dernières hypothèses, la question ne fera l’objet que d’un seul filtre – celui de la Cour de cassation.

Le Procureur général près la Cour de cassation s’est interrogé sur l’opportunité de permettre aux formations spéciales des cours d’assises de connaître directement des questions de constitutionnalité. Mais si une telle solution pourrait être justifiée au regard de la composition particulière de ces cours d’assises, en revanche, elle ne permettrait pas de garantir le respect du principe de la continuité des débats qui régit le procès criminel.

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CL 25 du rapporteur et l’amendement CL 1 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L’amendement CL 25 répond à une attente unanime de la Commission en proposant de nommer la nouvelle procédure « question prioritaire de constitutionnalité ». J’invite nos collègues du groupe SRC qui souhaitaient, eux, qu’on parle de « question préalable » à s’associer à mon amendement.

M. Jean-Jacques Urvoas. Notre principal souci était d’éviter que l’on ne dise « question préjudicielle de constitutionnalité » car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Je juge la rédaction proposée par le rapporteur meilleure que la nôtre car l’argument peut en effet ne pas être « préalable ». C’est donc bien volontiers que nous nous rallions à sa proposition.

La Commission adopte l’amendement CL 25, l’amendement CL 1 étant retiré.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL 6 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je ne suis pas favorable à cet amendement qui vise à imposer au ministère public de faire connaître son avis « sans délai ». En effet, cet avis n’est nullement obligatoire. Disposer qu’il doit le rendre « sans délai », c’est l’obliger à le donner.

M. Jean-Jacques Urvoas. Sans cette précision, le risque existe que le ministère public bloque la procédure en s’abstenant de donner son avis.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Non, car plus avant dans le texte, nous prévoyons expressément un délai.

La Commission rejette cet amendement.

Puis elle adopte l’amendement CL 26 du rapporteur.

Article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Conditions de transmission de la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation

Le nouvel article 23-2 est relatif aux conditions de transmission d’une question de constitutionnalité, soulevée au cours d’une instance devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. En ce sens, il met en place un « premier filtre » assuré par le juge du fond, préalable au filtre exercé par chacune des deux juridictions suprêmes.

Les quatre premiers alinéas de l’article 23-2 posent les critères en fonction desquels une juridiction saisie d’une question de constitutionnalité devra examiner le moyen soulevé et choisir ou non de transmettre la question à la juridiction suprême de son ordre. Le cinquième alinéa de l’article 23-2 instaure la priorité de l’examen de la transmission de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité. Enfin, le sixième alinéa de l’article 23-2 précise les conditions dans lesquelles la question devra être transmise au Conseil d’État ou à la Cour de cassation ainsi que le statut de la décision rendue par la juridiction sur la question.

1. Les conditions de transmission de la question de constitutionnalité à la juridiction suprême

La juridiction devra s’assurer que la disposition législative contestée « commande l’issue du litige ou la validité de la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ». Cette première condition, relative au lien entre la question posée et l’instance, fait clairement apparaître le fait qu’il ne s’agit pas uniquement d’une question dans l’intérêt de la loi mais avant tout d’une question en lien direct avec l’instance (d’où le fait de ne pas admettre un moyen soulevé d’office par le juge). En prévoyant que la disposition contestée puisse commander non l’issue du litige mais la validité de la procédure, la rédaction permet de couvrir le cas des dispositions législatives procédurales et de soulever dans certains cas une question de constitutionnalité dès le stade de l’instruction (40). Le cas d’une disposition législative constituant le fondement des poursuites trouvera toute son importance dans le cadre des affaires pénales.

La juridiction devra également s’assurer que la disposition « n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ». Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’une loi adoptée par le Parlement, en vertu du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, il ne délivre pas un brevet de constitutionnalité à l’ensemble de la loi. Le fait qu’il ne soulève pas d’office l’inconstitutionnalité d’une disposition qui n’a pas été expressément contestée lors de la saisine ne vaut pas validation de cette disposition législative. Il est donc cohérent d’exiger qu’une disposition ait été expressément contrôlée par le Conseil constitutionnel, comme en attestent les motifs et le dispositif de sa décision, pour ne pas pouvoir être remise en cause (41). En outre, cette restriction apportée au champ des dispositions déjà contrôlées est complétée par la mention du « changement des circonstances ». Il s’agit de permettre la prise en compte des éventuelles modifications constitutionnelles postérieures à l’adoption de la disposition législative et au regard desquelles ladite disposition devrait être à nouveau contrôlée – changement de circonstances de droit – , mais également les changements de circonstances de fait, qui pourraient également justifier un nouveau contrôle de la disposition législative (42).

La juridiction devra enfin d’assurer que la question « n’est pas dépourvue de caractère sérieux ». Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi organique, afin de s’assurer que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, la juridiction « procèdera à un examen sommaire ». Cette troisième condition devrait permettre d’écarter dès ce stade les questions qui ne sont pas susceptibles de conduire à une abrogation d’une disposition législative au regard des droits et libertés garantis par la Constitution.

Les conditions que devra satisfaire la question de constitutionnalité pour faire l’objet d’une transmission à la juridiction suprême de l’ordre administratif ou judiciaire sont donc très largement identiques à celles qui avaient été envisagées dans le projet de loi organique du 30 mars 1990. On peut toutefois signaler quelques différences : l’exigence d’une question « non dépourvue de caractère sérieux » remplaçant l’exigence d’une « question qui n’est pas manifestement infondée » ; l’ajout de la réserve du changement des circonstances ; l’absence de mention de la transmission sans délai de la question.

L’exigence d’une question « non dépourvue de caractère sérieux », est à comprendre en relation avec l’exigence posée pour le filtre exercé par les juridictions suprêmes (voir infra commentaire de l’article 23-4). Dans la mesure où votre commission a souhaité harmoniser les critères applicables par les juridictions suprêmes d’une part et par les juridictions relevant de l’un ou l’autre ordre d’autre part, elle a substitué au critère de la question non dépourvue de caractère sérieux celui de la question nouvelle ou présentant un caractère sérieux.

L’hypothèse du « changement des circonstances », permettant de mettre en question la conformité à la Constitution d’une mesure législative à propos de laquelle le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé, prend pleinement en compte l’importance des révisions constitutionnelles et des changements auxquels elles peuvent conduire dans l’appréciation de la constitutionnalité de dispositions législatives. Toutefois, M. Bertrand Mathieu, lors de son audition, a exprimé la crainte que la possibilité pour le requérant d’invoquer le changement des circonstances de fait rende inopérant le critère de l’absence de déclaration de conformité à la Constitution. En permettant au juge d’apprécier si une disposition pourtant déjà déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel peut être à nouveau contestée en raison du changement des circonstances de fait, serait introduit un élément d’appréciation dans la décision de transmission de la question, lequel pourrait être source d’insécurité juridique. De manière quelque peu similaire, M. Nicolas Molfessis a jugé la référence au changement de circonstances ambiguë et a exprimé sa préférence pour une possibilité d’admettre une question de constitutionnalité portant sur une disposition déjà jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel uniquement en cas d’introduction de nouveaux droits et libertés garantis par la Constitution postérieurement à la décision du Conseil constitutionnel.

La formulation retenue pour la première condition a également été critiquée par certaines personnes auditionnées. Ainsi le professeur Jean-Claude Colliard : « Je suis cependant gêné par la formule “ commande l’issue du litige ” : à un citoyen qui expose au juge qu’une loi est anticonstitutionnelle, ce dernier pourra être amené à répondre que son analyse est probablement vraie, mais que la loi ne commandant pas l’issue du litige, la question ne sera pas posée. La philosophie de la réforme n’entraîne-t-elle pas un droit pour le citoyen à faire vérifier que la loi est bien constitutionnelle ? Le texte du projet de loi organique est de ce point de vue sensiblement plus restrictif que celui de l’article 61-1 de la Constitution, qui permet de poser la question “ à l’occasion d’un litige ”. Certes, n’importe quel requérant d’habitude ne doit pas se voir permettre de soulever tout problème à toute occasion. Cependant, une formule plus respectueuse du texte de la Constitution telle que : “ la disposition est en rapport direct avec le litige ” devrait être trouvée. » M. Marc Guillaume a de la même manière plaidé en faveur d’un assouplissement de cette condition qui, trop étroite, pourrait être préjudiciable au succès de la réforme. Votre commission vous propose pour cette raison de remplacer l’exigence d’une disposition qui « commande l’issue du litige ou la validité de la procédure » par celle, moins contraignante et donc plus propice à un développement des questions de constitutionnalité, d’une disposition qui « est applicable au litige ou à la procédure ».

Enfin, l’imprécision sur les conditions de délai dans lesquelles doit intervenir l’examen de la question de constitutionnalité ne se justifie pas et n’est pas favorable à un développement équilibré de cette nouvelle voie de droit, comme l’ont fait observer aussi bien MM. Marc Guillaume et Thierry Wickers que les professeurs Paul Cassia, Jean-Claude Colliard, Francis Delpérée, Anne Levade, Bertrand Mathieu et Nicolas Molfessis. À défaut d’une disposition en ce sens, le risque serait réel que le juge attende parfois la mise en état de l’affaire pour se prononcer sur ce moyen, et le prive ainsi de son principal intérêt.

Pour cette raison, votre commission vous propose de prévoir que la question devra être examinée sans délai par la juridiction. Cette notion de « sans délai » signifie que le juge devra se prononcer sur la transmission de la question dès qu’il sera à même d’apprécier les conditions de transmission. Pour dissiper tout doute sur l’interprétation du « sans délai », il a été ajouté par votre commission que cette décision devra intervenir en tout état de cause « dans la limite de deux mois ». Le dispositif a enfin été complété par une disposition prévoyant que, une fois ce délai de deux mois échu, toute partie à l’instance pourra, dans un délai d’un mois, saisir le Conseil d’État ou la Cour de cassation si la juridiction ne s’est pas prononcée sur la transmission de la question aux juridictions suprêmes. Il a semblé utile de limiter la durée pendant laquelle une transmission à la demande d’une partie pourrait intervenir, pour éviter que cette faculté nouvelle ne se transforme en une arme de procédure dans les mains d’une partie au détriment des autres parties.

Ces différents ajouts de votre commission apporteront aux justiciables une garantie importante pour le meilleur fonctionnement de cette nouvelle voie de droit et conforteront la priorité d’examen de la question de constitutionnalité par le juge.

2. La priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité

a) Le principe de la priorité

Le juge français assure depuis plusieurs années un contrôle de la conformité des lois nationales aux engagements juridiques internationaux conclus par la France, même si la loi est postérieure à l’introduction en droit interne de la norme internationale. Ce contrôle de conventionnalité des lois, d’abord pratiqué par le juge judiciaire (Cour de cassation, chambre mixte, 24 mai 1975, Administration des douanes contre Société des cafés Jacques Vabre et Société Weigel), puis par le juge administratif (Conseil d’État, Assemblée, 20 octobre 1989, Nicolo), est désormais bien ancré dans notre paysage juridictionnel (43).

Or, dans la mesure où, à l’occasion d’une instance, une ou plusieurs parties sont susceptibles de soulever à la fois un moyen tiré de la contrariété d’une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit et un moyen tiré de la contrariété de cette même disposition à un engagement international de la France, il convient de déterminer avec précision un ordre de priorité entre ces deux questions. L’instauration d’un ordre de priorité est souhaitable afin d’éviter que puissent naître des divergences entre les juges.

De ce point de vue, l’exemple belge est particulièrement instructif. Alors que la Cour constitutionnelle belge est compétente, depuis 2003, pour procéder à un contrôle des dispositions législatives au regard des droits fondamentaux, la Cour de cassation a adopté une position consistant à examiner en premier lieu les moyens de conventionnalité, tout en refusant de poser une question de constitutionnalité dès lors que la Constitution ne pose pas plus d’exigences que la disposition conventionnelle d’effet direct. Pour remédier à cela, une proposition de loi spéciale prévoyant la priorité de l’examen des moyens de constitutionnalité sur l’examen des moyens de conventionnalité a été adoptée définitivement le 25 juin 2009 (44).

Le cinquième alinéa de l’article 23-2 propose de poser le principe de la priorité de la question de constitutionnalité. Il est prévu que la juridiction saisie de moyens contestant de façon analogue la conformité d’une disposition législative à la Constitution d’une part et aux engagements internationaux de la France d’autre part doit se prononcer en premier lieu sur la question de constitutionnalité.

Comme le justifie l’exposé des motifs du projet de loi organique : « Cette priorité d’examen est liée à l’effet erga omnes de la déclaration d’inconstitutionnalité qui conduira à l’abrogation de la disposition législative contestée. » Il peut sembler logique qu’un moyen dont les effets sont supérieurs doive être privilégié. D’autre part, cette priorité s’inscrit dans l’esprit de la révision constitutionnelle, qui doit permettre de donner à la Constitution toute sa place et au justiciable de s’en prévaloir efficacement. À défaut d’une telle priorité, comme l’a souligné M. Marc Guillaume, « compte tenu de la proximité entre, d’une part, la protection constitutionnelle des droits et libertés, et, d’autre part, la protection conventionnelle des droits et libertés, la quasi-totalité des questions de constitutionnalité pourraient être rejetées au motif que la loi contestée doit être écartée pour inconventionnalité ».

Mme Anne Levade comme M. Paul Cassia ont néanmoins fait observer que l’instauration d’une priorité de la question de constitutionnalité pourrait inciter les justiciables à se prévaloir de préférence de l’inconventionnalité de la disposition législative, dans la mesure où le litige pourrait alors être immédiatement tranché par le juge, sans qu’il soit sursis à statuer.

Des critiques plus sévères encore ont été portées à l’encontre du principe de priorité par le Premier président de la Cour de cassation, qui a estimé que cette priorité serait « de nature à porter préjudice au justiciable », dans la mesure où le contrôle de conventionnalité peut dans certaines hypothèses « se révéler plus efficace et mieux adapté que le contrôle de constitutionnalité pour assurer la protection effective des droits fondamentaux ». Ainsi, plusieurs personnes auditionnées ont plaidé pour l’absence de toute priorité, afin de laisser aux parties et aux juges la plus grande latitude pour faire prévaloir l’un ou l’autre contrôle.

Dans le même sens, M. Didier Chauvaux a écrit que, dans la mesure où ces deux contrôles ne sont pas interchangeables, « il paraît préférable de faire confiance au discernement du juge », afin « d’éviter des renvois inutiles, retardant le règlement du litige et faisant naître d’apparentes contradictions entre la décision du Conseil constitutionnel, écartant l’exception d’inconstitutionnalité, et celle de la juridiction accueillant ensuite le moyen fondé sur la violation de la convention » (45).

Le fait qu’une disposition législative puisse successivement être jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et être écartée, au cas d’espèce, par le juge a quo, en raison de la contrariété avec une norme conventionnelle, devrait conforter l’office respectif du Conseil constitutionnel, juge de la Constitution, et des juridictions judiciaires et administratives, juges de la conventionnalité. À l’inverse, donner à ces juridictions toute latitude pour articuler les deux moyens pourrait conduire dans certains cas à un examen de la question de constitutionnalité postérieur à celui des autres moyens, et donc priver cette nouvelle voie de droit d’une partie de son intérêt pour le justiciable, qui ne pourrait plus en espérer un gain de temps au cours de la procédure et verrait sa question le plus souvent satisfaite par la voie conventionnelle.

Comme l’a souligné M. Nicolas Molfessis, « le caractère préalable dans le temps d’une question est une problématique chronologique ». En ce sens, il serait excessif de voir dans l’instauration d’une priorité d’examen autre chose qu’une « règle de méthodologie juridictionnelle », pour reprendre les mots du professeur Francis Delpérée, vice-président du Sénat de Belgique. Si la question de constitutionnalité n’était effectivement préalable, elle pourrait rester sans réponse, ce qui aboutirait en pratique à empêcher le succès de la réforme.

Par ailleurs, en précisant que les moyens soulevés au titre de la conformité à la Constitution et de la conformité aux engagements internationaux doivent être « analogues », le projet de loi introduit une notion imprécise dont l’intérêt a été contesté par la plupart des personnes auditionnées. Dès lors que la disposition législative à l’encontre de laquelle les différents moyens sont soulevés est la même, il est souhaitable que la priorité du moyen de constitutionnalité soit assurée, sans qu’il soit besoin de porter une appréciation sur la similitude de ces moyens.

b) La réserve des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution

Une dérogation au caractère prioritaire de la question de constitutionnalité est prévue, afin de prévoir le cas des « exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution ». L’article 88-1 de la Constitution, qui affirme la participation de la République aux Communautés européennes et à l’Union européenne, assure l’effet direct de l’ordre juridique communautaire dans notre ordre juridique national. C’est en se fondant sur cet article 88-1 de la Constitution que le Conseil constitutionnel considère que « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle » (46). Or, les personnes auditionnées par votre commission ont présenté des lectures sensiblement différentes de cette réserve.

Pour M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, « par exception à la priorité du droit constitutionnel sur les engagements internationaux de la France, il doit y avoir une priorité des questions de conformité au droit communautaire sur les autres questions de constitutionnalité ». En effet, a rappelé M. Jean-Marc Sauvé, une question de conformité au droit communautaire est une question de constitutionnalité. Ce mécanisme serait illustré, en matière réglementaire, par l’affaire Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, à l’occasion de laquelle le Conseil d’État, qui avait à statuer sur la légalité d’un décret assurant la transposition d’une directive, a saisi la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle sur la validité de la directive au regard du principe d’égalité. Il a en effet considéré « que la portée du principe général du droit communautaire garantit, au regard du moyen invoqué, l’effectivité du respect du principe constitutionnel en cause » (47). Le Conseil d’État a ensuite tiré les conséquences de la position prise par la Cour de justice sur le principe communautaire d’égalité au regard du principe constitutionnel d’égalité (arrêt du 3 juin 2009).

Dans le cadre d’une disposition législative nationale dont serait contestée dans le même temps la contrariété aux droits et libertés garantis par la Constitution et la contrariété au droit communautaire, la priorité de la question de constitutionnalité ne s’imposerait pas et il conviendrait de préserver la possibilité pour le juge de pouvoir assurer immédiatement le plein effet des normes communautaires. Cette dérogation à la priorité de la question de constitutionnalité permettrait de respecter la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, en vertu de laquelle « le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel » (48). Cette jurisprudence ancienne a pu sembler confortée plus récemment par l’arrêt Mecanarte du 27 juin 1992, dans lequel la Cour a considéré que « l’effet utile du système instauré par l’article 177 du traité [devenu l’article 234]exige que les juridictions nationales disposent de la faculté la plus étendue de saisir la Cour de justice si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation ou une appréciation de validité des dispositions du droit communautaire nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis. »

Le juge pourrait notamment, dans le cadre de l’examen du moyen relatif à la contrariété de la disposition législative au droit communautaire, formuler une question préjudicielle auprès de la Cour de justice des Communautés européennes (question qui peut être posée d’office par le juge et qui a pour effet de suspendre l’instance), sans avoir au préalable pris de décision concernant la question de constitutionnalité posée par l’une des parties à l’instance.

M. Marc Guillaume a contesté une telle interprétation, qui « impliquerait une nouvelle hiérarchie des normes, avec au sommet le droit communautaire, puis le droit constitutionnel, puis le reste du droit » et qui « devrait conduire à la modification du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel [qui] deviendrait juge de la conventionnalité communautaire ».

D’autre part, la jurisprudence Simmenthal de la Cour de justice des Communautés européennes a été interprétée par M. Francis Delpérée, vice-président du Sénat de Belgique, comme affirmant la primauté du droit communautaire mais n’imposant pas que le contrôle de la conformité au droit communautaire ait priorité sur la question de constitutionnalité. Ainsi, le Conseil d’État belge, dans un avis du 3 mars 2009, a considéré que « dès lors que les États maintiennent […] la compétence de leurs juridictions de contrôler la conformité des règles de droit national au droit communautaire, la jurisprudence [Simmenthal] exposée ci-avant ne semble pas leur interdire, non seulement de maintenir un contrôle de constitutionnalité, mais en outre d’organiser un ordre d’examen des questions qui se posent au juge saisi, spécialement de l’obliger à commencer par l’examen de la compatibilité constitutionnelle de la règle nationale. » (49) Il serait possible pour les États d’organiser l’ordre d’examen des questions dès lors que cette organisation n’a pas pour conséquence l’absence de voie de recours, même incidente, assurant le respect des droits que les justiciables tirent du droit communautaire. C’est en s’appuyant sur cet avis que le Parlement belge a adopté une disposition législative prévoyant la priorité de la question de constitutionnalité sur toute question relative à une « disposition de droit européen ou de droit international ».

On peut ajouter à cela que, dans l’arrêt Mecanarte précité, à la question de savoir « si le renvoi préjudiciel [à la Cour de justice des Communautés européennes] n’est pas superflu, dans la mesure où il peut être remédié, dans l’ordre juridique national, aux vices d’une disposition nationale [en constatant l’inconstitutionnalité des dispositions en cause] », la Cour de justice des Communautés européennes a répondu qu’« il incombe au juge national d’apprécier la pertinence des questions de droit soulevées par le litige dont il se trouve saisi et la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement ainsi que le stade de la procédure auquel il y a lieu de déférer une question préjudicielle à la Cour ».

En outre, comme cela a été souligné au cours des auditions de votre commission, dans l’hypothèse où la Convention européenne des droits de l’homme serait considérée comme partie intégrante du droit communautaire (50), et lorsque la Charte des droits fondamentaux bénéficiera d’un statut de droit positif (lors de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne) (51), le contrôle de conformité préalable de la disposition législative contestée au droit communautaire pourrait conduire à vider de sa substance la question de constitutionnalité, les principes du droit communautaire pouvant dans une large mesure recouvrir les principes constitutionnels invocables.

Afin de sortir de cette difficulté et d’éviter tout problème d’interprétation, les personnes auditionnées, à l’exception notable du Premier président et du Procureur général près la Cour de cassation ainsi que du vice-président du Conseil d’État, ont proposé de supprimer la réserve de l’article 88-1 de la Constitution. Votre commission a suivi cette suggestion et choisi de simplifier l’écriture de l’alinéa relatif à la priorité d’examen de la question de constitutionnalité.

Il demeurerait toutefois possible de poser une question préjudicielle en interprétation du droit communautaire en même temps qu’une question de constitutionnalité serait transmise à la juridiction suprême ou renvoyée au Conseil constitutionnel, comme l’ont souligné M. Marc Guillaume et les professeurs Jean-Claude Colliard, Bertrand Mathieu et Anne Levade.

La concomitance possible de la question de constitutionnalité et de la question préjudicielle devant la Cour de justice des Communautés européennes permettrait de respecter le principe de l’applicabilité directe du droit communautaire. Dans les faits, la durée respective de la question de constitutionnalité (six mois au plus) et de la question préjudicielle devant la Cour de justice (en moyenne 16,8 mois en 2008) conduirait à ce que le juge reçoive d’abord une réponse la question de constitutionnalité. Dans l’hypothèse où la question de constitutionnalité prospèrerait et où le Conseil constitutionnel abrogerait la disposition contestée, la Cour de justice serait dessaisie de la question préjudicielle, le litige au principal étant réglé par la décision du Conseil constitutionnel. Dans l’hypothèse inverse, le juge a quo pourrait attendre l’interprétation du droit communautaire par la Cour de justice pour rendre sa décision.

3. La décision de la juridiction

Le sixième alinéa de l’article 23-2 précise d’une part les conditions de la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation et d’autre part les droits du justiciable en matière de recours contre la décision du juge.

La décision de transmettre la question doit être adressée au Conseil d’État ou à la Cour de cassation dans un délai de huit jours suivant son prononcé. Cette transmission doit s’accompagner de celle des mémoires ou conclusions des parties. La mention « des parties » sous-entend que l’ensemble des parties au litige principal pourront également être parties à la question de constitutionnalité et faire part de leurs observations à la juridiction.

La transmission de la question, qui a pour objet de laisser au Conseil d’État ou à la Cour de cassation le soin d’apprécier si la question doit ou non être renvoyée au Conseil constitutionnel, ne semble pas interdire au juge d’apporter des éléments supplémentaires ou de reformuler la question. De même, l’avis qui aura pu être donné par le ministère public pourra faire l’objet d’une transmission. Enfin, il conviendra que le juge motive sa décision, qu’elle soit positive ou négative, afin de permettre au justiciable de connaître les raisons de cette décision.

La décision de la juridiction de transmettre la question de constitutionnalité n’est pas susceptible de recours. Cette absence de recours contre la décision de transmission peut se justifier, dans la mesure où la transmission est une simple mesure préparatoire, et non un jugement sur le fond de la question de constitutionnalité.

Une possibilité de recours est en revanche prévue à l’encontre d’une décision, implicite ou explicite, de refus de transmettre la question. Dans ce cas, il est précisé que la contestation du refus de transmettre la question ne peut intervenir qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige (52). La subordination du recours contre le rejet de la question de constitutionnalité à un jugement sur le fond garantit que ce recours ne puisse être utilisé comme un moyen dilatoire. Néanmoins, comme l’a souligné M. Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation, cette possibilité de recours permettra à tout requérant ayant soulevé une question de constitutionnalité qui n’a pas été transmise à la juridiction suprême de l’ordre de poser à nouveau cette question, à l’occasion d’un recours en appel ou d’un pourvoi en cassation. Cette faculté présente de ce point de vue un risque réel d’encombrement des juridictions suprêmes. Il n’est néanmoins pas certain qu’une interdiction de toute faculté de recours contre une décision de refus de transmettre la question apporterait une réponse satisfaisante, car elle pourrait inciter certains requérants à attendre le stade du pourvoi en cassation pour poser la question de constitutionnalité.

La Commission est saisie de l’amendement CL 7 de M. Jean-Jacques Urvoas, qui fait l’objet du sous-amendement CL 37du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Avis favorable à l’amendement qui vise à ce que la juridiction transmette « sans délai » la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, sous réserve de préciser, comme je le propose dans le sous-amendement CL 37, « dans la limite de deux mois ». Il faut absolument éviter que les procédures ne s’éternisent.

M. Sébastien Huyghe. D’accord avec l’amendement, je suis plus dubitatif quant au sous-amendement. En fixant un délai précis, le risque est que, si celui-ci n’est pas respecté, la question ne soit d’office transmise au Conseil constitutionnel. Certains juges de première instance pourraient ainsi être tentés de ne pas se prononcer, tout simplement en ne respectant pas, plus ou moins volontairement, le délai prescrit. Il y aurait alors un risque d’embouteillage artificiel au Conseil constitutionnel.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Mon amendement CL 31 à venir prévoit que « si la juridiction ne s’est pas prononcée à l’issue d’un délai de deux mois à compter de la présentation du moyen, toute partie à l’instance peut saisir, dans un délai d’un mois, le Conseil d’État ou la Cour de cassation (…) ». Le non-respect du délai aura donc bien des conséquences et il est très important que « toute partie » puisse alors agir. Il nous appartient d’empêcher que les décisions ne s’enlisent en prévoyant une date-butoir, et les conséquences de son non-respect.

M. Jean-Jacques Urvoas. Le succès futur de la nouvelle procédure tient à ses délais. Si elle peut prendre un temps trop long, le contrôle de conventionalité inévitablement l’emportera sur le contrôle de constitutionnalité car la juridiction de première instance exercera d’abord le premier. Le sous-amendement du rapporteur est donc tout à fait opportun.

La Commission adopte le sous-amendement CL 37 puis l’amendement CL 7 ainsi sous-amendé.

La Commission adopte l’amendement de coordination CL 27 du rapporteur.

Elle examine ensuite en discussion commune les amendements CL 28 du rapporteur et CL 8 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L’amendement CL 28 vise à remplacer la formule : « commande l’issue du litige », d’interprétation complexe, par la notion très simple de disposition « applicable au litige ».

M. Jean-Jacques Urvoas. Notre amendement CL 8 poursuit le même objectif, mais avec une autre rédaction : « est en rapport direct avec le litige ». La rédaction « commande l’issue du litige » rend le projet de loi organique plus restrictif que la Constitution, puisque la formule figurant à l’article 61-1 est : « à l’occasion » d’un litige. Cette question est sensible, car la procédure n’est pas celle d’une action directe : ce n’est pas au citoyen, mais au justiciable engagé dans un procès qu’est ouverte la possibilité de contester une disposition législative. Dans sa rédaction actuelle le texte ouvre au juge une faculté d’interprétation très large.

La formule proposée par M. le rapporteur – « est applicable » – pourrait du reste être remplacée par : « susceptible de commander l’issue du litige ». Ces nuances sont subtiles, mais nos débats doivent être très clairs et précis sur la volonté du législateur organique : la rédaction adoptée ne doit pas pouvoir être utilisée pour écarter la question de constitutionnalité. À la lumière des travaux du groupe SRC, il nous apparaît que permettre au juge de décider de ce qui relève ou non du litige fait courir un réel risque de blocage. Que l’on pense par exemple à la Charte de l’environnement ; elle n’a fait jusqu’ici l’objet que de peu de jurisprudence, mais cela ne saurait tarder.

M. Guy Geoffroy, président. Si vos propos doivent recueillir l’adhésion générale, le caractère restrictif de la rédaction de l’amendement CL 8 me semble cependant – permettez-moi cette remarque – un peu en contradiction avec eux. L’institution d’une faculté de juger du caractère direct ou indirect du rapport d’une disposition législative avec un litige va à l’encontre de votre objectif. La formule : « applicable à » ne requiert pas le même niveau d’interprétation d’un éventuel lien direct ou indirect. Si notre échange éclairera ceux qui auront à analyser la loi, c’est la proposition du rapporteur qui me semble le mieux résumer ce que nous souhaitons.

L’amendement CL 8 est retiré et l’amendement CL 28 est adopté à l’unanimité de la Commission.

La Commission examine l’amendement CL 9 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Dans son activité de contrôle a priori de la constitutionnalité des lois, le Conseil constitutionnel n’analyse pas systématiquement l’intégralité du dispositif de celles-ci ; il peut se limiter à juger des griefs qui lui sont soumis par les requérants. Dans l’action de contrôle a posteriori des lois, il faut éviter de considérer que toutes les dispositions d’une loi qui a fait l’objet d’une saisine préalable ont été effectivement validées, même celles sur lequel le Conseil n’a pas porté d’observations particulières.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L’alinéa du projet de loi est très précis : la disposition doit avoir été déclarée conforme à la Constitution à la fois dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil. L’amendement est donc inutile, car satisfait.

M. Jean-Jacques Urvoas. L’ajout du terme « expressément » n’alourdirait pas le texte ; il a un sens dans la jurisprudence du Conseil.

M. Charles de La Verpillière. À mon sens la disposition du texte fait écho au droit que le Conseil constitutionnel s’est reconnu, lorsqu’une loi lui est déférée en son entier mais que la demande de déclaration d’inconstitutionnalité ne porte que sur quelques-uns de ses articles, non seulement de statuer sur ceux-ci, mais aussi de soulever de son propre chef la constitutionnalité d’articles à l’encontre desquels les auteurs de la saisine n’ont pas soulevé de griefs. La disposition vise à éviter, me semble-t-il, que les articles sur lesquels le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé soient considérés comme reconnus conformes à la Constitution, et à garantir la tenue d’un débat devant lui lorsqu’une disposition d’un tel article est en cause.

La Commission rejette l’amendement CL 9.

Elle examine ensuite l’amendement CL 10 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Nous suggérons d’ajouter les mots « de droit » pour préciser les éléments au vu desquels le juge peut apprécier qu’une disposition antérieurement contrôlée par le Conseil constitutionnel doive l’être à nouveau. De notre point de vue, il ne saurait l’apprécier au regard de circonstances de fait.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je suggère à la Commission de s’en tenir au texte du projet et de rejeter l’amendement. Dans sa décision de janvier 2009 sur la loi habilitant à redécouper les circonscriptions législatives, pour ne pas maintenir le minimum de deux sièges de députés par département, le Conseil constitutionnel a invoqué des circonstances de droit – le nombre maximum de 577 députés fixé par le constituant – mais aussi de fait – l’augmentation importante de la population française. La société peut aussi connaître des évolutions considérables : ainsi Internet n’a plus aujourd’hui son visage d’il y a trois ans. La jurisprudence du Conseil comme la vie de notre société montrent donc que des changements de circonstances peuvent conduire à des évolutions. Sans renier mon attachement très fort au principe de la sécurité juridique, je pense que la rédaction du Gouvernement laisse au Conseil la souplesse indispensable, qu’il a utilisée encore très récemment, de façon justifiée.

M. Dominique Perben. Je suis assez tenté de soutenir cet amendement. Ne pas préciser le type de circonstances peut aboutir à donner à la Cour de cassation et au Conseil d’État un rôle très supérieur au rôle de « filtre » voulu par la réforme constitutionnelle. Au prétexte d’évolutions de fait dans la société, ces juridictions pourront se donner la possibilité d’interpréter le droit. Ce n’est pas ce que la réforme constitutionnelle a prévu. Les termes de « circonstances de droit » me paraissent plus précis et mieux correspondre au rôle que la réforme veut donner aux cours suprêmes. La rédaction me parait comporter un risque de transfert de l’examen de la requête du Conseil constitutionnel vers le «  filtre ».

M. Charles de La Verpillière. Au contraire, soit le texte doit être laissé tel quel, soit il faut préciser « circonstances de droit ou de fait ». C’est faire écho à la jurisprudence du Conseil d’État en matière de validité des actes réglementaires. Selon celle-ci, un acte, parfaitement légal à une époque, peut, par suite de l’évolution des circonstances de fait ou de droit, cesser de l’être et devenir illégal. Un exemple typique est fourni par un acte d’un gouverneur colonial de Polynésie qui interdisait aux gens de maison d’être membres d’un jury d’assises. Cet acte, légal au moment de sa publication, a cessé de l’être un jour par suite de l’évolution des circonstances, de fait ou de droit.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je reste partisan de la rédaction du Gouvernement. Le seul risque qu’elle comporte, c’est que le Conseil constitutionnel reçoive un peu plus de saisines. Mais il prendra sa décision. Il n’y a pas de risque juridique. L’expérience montre que les circonstances ne peuvent être réduites aux circonstances de droit.

La Commission rejette l’amendement CL 10.

Puis elle est saisie de l’amendement CL 29 du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Il s’agit d’uniformiser les critères de transmission des juridictions de base et des juridictions suprêmes, en demandant que soient transmises les questions soit nouvelles soit présentant un caractère sérieux. La définition doit être claire et épargner au Conseil d’avoir à examiner une question qu’il a déjà tranchée ou qui n’aurait pas un caractère sérieux ; et je crois plus cohérent que les critères soient les mêmes aux deux niveaux de juridiction. La Cour de Cassation et le Conseil d’État vont assez vite établir leur jurisprudence ; le juge de première instance pourra s’y référer. On parviendra ainsi à un ensemble cohérent.

M. Jean-Jacques Urvoas. L’amendement répondrait ainsi à la préoccupation relative aux facultés d’intervention du Conseil d’État lorsqu’il est saisi en premier lieu.

La Commission adopte l’amendement CL 29 à l’unanimité.

La Commission en vient à l’amendement CL 30 du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Il s’agit de traiter clairement des rapports entre questions de constitutionnalité et questions relatives aux engagements internationaux de la France. L’amendement rédige ainsi l’alinéa 14 : « La juridiction doit en tout état de cause, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative d’une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. »

M. Dominique Perben. C’est une rédaction claire et sobre, qui fait aussi disparaître la référence à l’article 88-1 de la Constitution.

M. Guy Geoffroy, président. Je suggère au rapporteur de rédiger ainsi le début de l’amendement : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie ».

Après avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL 30 ainsi rectifié.

En conséquence, les amendements CL 11 et CL 12 de M. Jean-Jacques Urvoas, deviennent sans objet.

La Commission est saisie de l’amendement CL 13 de M. Jean-Jacques
Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Le délai de huit jours demandé par le projet de loi organique au juge du fond qui décide de transmettre la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de Cassation ne s’impose pas. C’est une faiblesse de la réforme. Si l’on voulait que le juge du fond opère lui-même un contrôle de constitutionnalité, il fallait mettre en place non pas une question préjudicielle ou préalable, mais un contrôle diffus, à l’exemple des États-Unis. Je suggère donc de supprimer de la loi les références à des délais.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le délai ici mentionné est celui imposé au greffe de la juridiction pour effectuer la transmission au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Fixer ce délai à huit jours me paraît beaucoup plus simple que d’ajouter la mention « sans délai ».

La Commission rejette l’amendement CL 13.

Puis elle examine l’amendement CL 14 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Les juges auront à vérifier si les conditions énoncées par l’article 23-2 sont ou non réunies. Ce faisant, ils seront conduits à constater que la question a ou non déjà été tranchée et à apprécier son caractère sérieux. Obliger les juges à développer une motivation détaillée sur ce dernier les conduirait, en quelque sens qu’ils statuent, à porter une appréciation d’ordre constitutionnel qui n’est pas dans leur vocation et qui pourrait même les embarrasser, d’autant plus qu’ils ne disposeront que de brefs délais. C’est pourquoi, par cet amendement, nous souhaitons les en dispenser.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Avis défavorable. Toute décision de justice doit être motivée. Prévoir une motivation sommaire ne me paraît pas constitutif d’un progrès.

La Commission rejette l’amendement CL 14.

Elle adopte ensuite l’amendement CL 31 du rapporteur.

Article 23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Sursis à statuer en cas de transmission de la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation

L’article 23-3 permet de fixer les conditions dans lesquelles la décision de transmettre une question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation peut conduire le juge à surseoir à statuer jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’État ou à la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

Dans la mesure où des délais impératifs sont prévus tant pour la décision du Conseil d’État ou à la Cour de cassation que pour la décision du Conseil constitutionnel, la durée du sursis ne saurait en aucun cas être supérieure à six mois (et trois mois si la question n’est pas renvoyée au Conseil constitutionnel).

Le premier alinéa fait du sursis à statuer une obligation pour la juridiction qui décide de transmettre la question. Cette obligation est toutefois assortie d’une série d’exceptions :

—  le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ;

—  le sursis à statuer est interdit si une personne est privée de liberté à raison de l’instance, ou si l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté ;

—  le sursis à statuer est une simple faculté si la loi ou le règlement prévoit que la juridiction doit statuer dans un délai déterminé ou en urgence ;

—  le sursis à statuer est une simple faculté, et peut ne porter que sur certains points, lorsque ce sursis risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie ;

—  le sursis à statuer de la juridiction d’appel saisie d’une décision rendue sans attendre par la juridiction de première instance est également une simple faculté (à moins qu’il ne s’agisse d’une obligation, le texte du projet n’étant pas dépourvu d’ambiguïté) si cette juridiction d’appel est tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence ;

—  le sursis à statuer de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi en cassation en raison d’une décision rendue sans attendre par les juges du fond, est possible (à moins qu’il ne soit obligatoire, le texte du projet n’étant pas dépourvu d’ambiguïté), si l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et si la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.

Il convient de signaler sur ce point que les dérogations à la règle du sursis à statuer introduites par le présent projet de loi organique sont beaucoup plus nombreuses que les dérogations prévues dans le projet du 30 mars 1990, qui ne portaient que sur les cas où une juridiction devait statuer dans l’urgence, en vertu d’une disposition législative, et ceux où elle devait prendre les mesures d’urgence ou conservatoires nécessaires.

Certaines dispositions législatives peuvent en effet imposer au juge, de première instance, d’appel, ou de cassation, de devoir statuer dans un délai déterminé. Dans de tels cas, il peut sembler légitime que le juge puisse renoncer à surseoir à statuer. Il est possible de citer :

—  pour le juge judiciaire, l’obligation de statuer dans un délai de deux mois suivant la première comparution lorsque le prévenu est en détention provisoire (à défaut, le prévenu est mis en liberté d’office) (article 397-3 du code de procédure pénale) ;

—  pour le juge administratif, l’obligation de statuer dans un délai de deux mois sur les recours tendant à ce que soit ordonné le logement ou le relogement d’un demandeur de logement social reconnu prioritaire (article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation), dans un délai de trois mois sur les recours contre les décisions relatives au séjour assorties d’une obligation de quitter le territoire français, délai réduit à 72 heures en cas de placement en rétention de l’étranger (article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), dans un délai de trois jours lorsque l’enregistrement d’une candidature à une élection est refusé (articles L. 159, L. 210-1, L. 265, L. 303, L. 351, L. 401, L. 410 et L. 420 du code électoral) et dans un délai de 48 heures lorsque le juge administratif se prononce comme juge des référés et qu’est en jeu la sauvegarde d’une liberté fondamentale (article L. 521-2 du code de justice administrative) ;

—  pour le juge de cassation, l’obligation de statuer dans un délai de trois mois lorsqu’un pourvoi est formé contre un arrêt de renvoi en cour d’assises (1° de l’article 604 du code de procédure pénale) ou lorsqu’un pourvoi est formé contre un arrêt de la chambre de l’instruction rendu en matière de détention provisoire (article 567-2 du code de procédure pénale) et dans un délai de deux mois lorsqu’il est fait droit la requête du demandeur en cassation tendant à faire déclarer son pourvoi immédiatement recevable (3° de l’article 604 du code de procédure pénale).

Si, en l’état actuel, les délais de jugement imposés au juge sont tous inférieurs ou égaux à trois mois et devraient par conséquent conduire dans tous les cas le juge à renoncer à surseoir à statuer, afin de respecter lesdits délais, il convient de laisser ouverte la possibilité qu’un délai de jugement supérieur au délai dans lequel la question de constitutionnalité transmise au Conseil d’État ou à la Cour de cassation peut être tranchée conduise un juge, tenu par ce délai de jugement, à ne pas renoncer au sursis à statuer.

Outre les dérogations au sursis à statuer liées à un délai de jugement prévu par le législateur, des dérogations au sursis à statuer sont également prévues pour prendre en compte les nécessités d’une bonne administration de la justice (53). À ce titre, il est prévu que la question de constitutionnalité ne puisse faire obstacle à la poursuite de l’instruction, ni empêcher le juge de prononcer un sursis à exécution ou de faire procéder à un constat d’urgence par un expert. L’absence de suspension de l’instruction, qui aura pour effet de faire courir les délais de prescription de l’action publique et de péremption de l’instance a été critiquée par le Premier président comme par le Procureur général près la Cour de cassation. Il pourrait sembler souhaitable de suspendre le cours de l’instruction, dans l’attente d’une réponse à la question de constitutionnalité, afin d’éviter qu’une instruction dont la clôture aurait été prononcée pendant l’examen de la question de constitutionnalité se voie a posteriori remise en cause. Faute de quoi, comme le faisait valoir M. Paul Cassia, il faudrait « prévoir une réouverture automatique de l’instruction après que la juridiction suprême ou le Conseil constitutionnel s’est prononcé ». Toutefois, il demeurera toujours loisible au juge, lorsqu’une question de constitutionnalité prospérera, de ne pas clore l’instruction ou de la rouvrir.

D’autre part, l’instauration d’une dérogation obligatoire au sursis à statuer lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance n’est pas sans poser des questions. Cette dérogation est justifiée par la volonté de ne pas retarder la décision susceptible de mettre fin à cette privation de liberté. Le juge pourra ainsi rendre une décision sans qu’il ait obtenu une réponse à la question de constitutionnalité qu’il a décidé de transmettre. Cette décision sera toutefois susceptible d’être remise en cause, si la question de constitutionnalité prospère.

Mais, dans l’hypothèse où un jugement intervenu sans attendre la décision relative à la question de constitutionnalité deviendrait définitif (en l’absence d’appel de la décision du juge de première instance ou de pourvoi en cassation à l’encontre de la décision du juge d’appel (54)), la question de constitutionnalité deviendrait sans objet, l’instance à l’occasion de laquelle elle a été posée ayant trouvé son terme. En effet, quelle que soit la raison pour laquelle l’instance à l’origine de la question de constitutionnalité viendrait à s’éteindre (jugement devenu définitif, action non transmissible éteinte en raison du décès du demandeur, désistement d’action du demandeur, désistement d’instance conclu par le demandeur et le défendeur, transaction, caducité de la citation…), cette question ne saurait plus prospérer devant les juridictions suprêmes, qui doivent s’assurer que la disposition contestée commande l’issue du litige. Cette impossibilité pour la question de constitutionnalité d’exister par elle-même – au moins jusqu’au stade du renvoi au Conseil constitutionnel – est conforme à la logique retenue par le Constituant, qui a entendu conférer la possibilité de contester la constitutionnalité d’une disposition législative « à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction ». De ce point de vue, la question de constitutionnalité devrait obéir à la même logique que la question préjudicielle en interprétation du droit communautaire. La partie ayant soulevé la question devra par conséquent être particulièrement vigilante s’agissant des délais d’appel ou de pourvoi en cassation, afin d’éviter que le jugement relatif à une instance à l’occasion de laquelle une personne est privée de liberté devienne définitif.

Par ailleurs, lorsqu’une question de constitutionnalité conduit le Conseil constitutionnel à abroger une disposition déclarée inconstitutionnelle, les décisions juridictionnelles prises entre-temps, par dérogation à la règle du sursis à statuer, doivent être réexaminées. Il reviendra au Conseil constitutionnel, en vertu de l’article 62 de la Constitution, de déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets produits par une disposition inconstitutionnelle seront susceptibles d’être remis en cause et, le cas échéant, de prévoir une possibilité de réformer le jugement. Mais, comme l’a fait observer M. Didier Le Prado lors de son audition par votre commission, « peut-être faudrait-il prévoir le sort des décisions juridictionnelles qui ont été prises malgré la transmission de la question de constitutionnalité, dans le cas où la loi aura été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel […] Le législateur ne pourrait-il prévoir le sort de la décision rendue, en décidant, par exemple, qu’elle doit être annulée de plein droit ? Un tel mécanisme existe puisque l’article 625 du code de procédure civile précise que la cassation entraîne l’annulation de plein droit de toute décision juridictionnelle qui serait indivisiblement liée à la décision cassée ». Le Premier président et le Procureur général près la Cour de cassation ont également plaidé en faveur de l’introduction d’une disposition spécifique sur ce point. Toutefois, dès lors que le Constituant a souhaité conférer au Conseil constitutionnel la faculté de remettre en cause les effets produits par la disposition législative abrogée, il ne serait pas souhaitable d’instaurer deux mécanismes parallèles, voire concurrents.

La Commission adopte successivement les amendements CL 32 à CL 36 du rapporteur.

La Commission examine l’amendement CL 24 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Cet amendement vise à combler une lacune du texte : le cas où la question de constitutionnalité serait soulevée devant une juridiction ne relevant ni du Conseil d’État, ni de la Cour de cassation.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je vous rassure : le Tribunal des conflits doit renvoyer vers l’un des deux ordres de juridiction, et la Cour de justice de la République relève de la Cour de cassation. La question trouvera donc toujours une juridiction suprême.

M. Jean-Jacques Urvoas. Si vous me confirmez que la Cour de justice de la République relève de la Cour de cassation, mon souci disparaît.

La Commission rejette l’amendement CL 24.

Article 23-4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel

Lorsqu’une question de constitutionnalité est transmise par une juridiction au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, il revient à la juridiction suprême de se prononcer sur le renvoi ou non de cette question au Conseil constitutionnel. L’article 23-4 permet de fixer les conditions dans lesquelles ce renvoi éventuel doit avoir lieu.

L’article 61-1 de la Constitution exige que le Conseil d’État ou la Cour de cassation « se prononce dans un délai déterminé » sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Conformément à cette exigence, le présent article fixe un délai de trois mois à compter de la réception de la question transmise par une juridiction pour se prononcer.

Le défaut de renvoi de la question à l’issue de ce délai de trois mois n’entraîne toutefois aucune conséquence. Certaines personnes auditionnées – les professeurs Paul Cassia, Jean-Claude Colliard, Bertrand Mathieu et Nicolas Molfessis – ont suggéré que, à défaut de renvoi de la question, le Conseil constitutionnel puisse être saisi d’office ou par les parties. M. Marc Guillaume a même considéré que la disposition de l’article 61-1 de la Constitution selon laquelle le Conseil d’État et la Cour de cassation exercent leur filtre « dans un délai déterminé », « ajoutée par amendement lors des débats parlementaires, implique une sanction du non-respect du délai. Dès lors, si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé sous trois mois, la question de constitutionnalité doit être transmise au Conseil constitutionnel par leur secrétariat ou leur greffe ». Selon le même raisonnement, il serait sans doute possible de considérer que le législateur organique, dans l’hypothèse où il ne sanctionnerait pas l’absence de décision à l’issue du délai imparti aux juridictions suprêmes, ne répondrait pas entièrement à l’exigence posée par le Constituant. Il convient donc de prévoir explicitement l’hypothèse dans laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne répondrait pas dans les délais impartis.

À l’occasion de la première lecture du projet de loi constitutionnelle, votre commission avait proposé de prévoir explicitement, dans le nouvel article 61-1 de la Constitution, que le Conseil constitutionnel « peut également être saisi à la demande d’une partie si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé dans le délai prévu à cet effet ». Du fait de la rédaction définitive de l’article 61-1, il ne semble pas possible que la saisine du Conseil constitutionnel, à défaut d’une décision d’une cour suprême dans le délai imparti, puisse être à l’initiative d’une partie. En revanche, comme l’a expliqué M. Marc Guillaume lors de son audition par votre commission, le fait que le constituant ait imposé que le Conseil d’État et la Cour de cassation se prononcent dans un délai déterminé « implique une sanction du non-respect du délai. Dès lors, si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé sous trois mois, la question de constitutionnalité doit être transmise au Conseil constitutionnel par leur secrétariat ou leur greffe ». Votre commission a ainsi introduit un tel mécanisme de saisine à l’article 23-7.

Les conditions du renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel sont au nombre de trois dans le texte initial du projet :

—  la disposition contestée doit commander l’issue du litige ou la validité de la procédure ou constituer le fondement des poursuites ;

—  la disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

—  la question soulevée est nouvelle ou la disposition contestée présente une difficulté sérieuse.

Seul ce troisième critère diffère de celui posé par l’article 23-2 pour la transmission de la question par la juridiction du fond au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, qui exige que la question ne soit « pas dépourvue de caractère sérieux ».

Le fait que le Conseil d’État ou la Cour de cassation doive examiner les critères relatifs à la disposition contestée, qui ont déjà été contrôlés par la juridiction qui a transmis la question, permettra d’assurer un double filtre efficace (excepté dans le cas d’une question posée lors de l’appel d’un arrêt de cour d’assises, qui est directement renvoyée devant la Cour de cassation). En outre, en exigeant que la juridiction suprême s’assure que la question est nouvelle ou présente une difficulté sérieuse, la volonté est que le filtre de la juridiction suprême soit plus fin que celui exercé par le juge a quo.

Il est nécessaire d’envisager l’hypothèse d’une question nouvelle, laquelle peut ne pas porter sur une disposition législative posant une difficulté sérieuse mais poser néanmoins un réel problème de constitutionnalité, notamment dans le cas d’une disposition législative antérieure à une modification constitutionnelle et qui semble être devenue manifestement contraire à la nouvelle norme constitutionnelle.

Le cas de la question relative à une disposition présentant une difficulté sérieuse est plus complexe. Le fait d’utiliser les termes « difficulté sérieuse » et de les appliquer à la disposition contestée (et non à la question posée) est plus restrictif que l’exigence du « caractère sérieux » de la question, comme tend à le confirmer le fait que le contrôle du caractère sérieux soit laissé au soin du juge a quo.

On peut signaler que le législateur a déjà fait usage des critères de la nouveauté et de la difficulté sérieuse d’une question, dans le cas de l’avis contentieux recueilli par une juridiction administrative auprès du Conseil d’État (55) ou par un juge judiciaire auprès de la Cour de cassation (56) (il s’agit toutefois dans ce cas de critères cumulatifs).

Toutefois, il ne serait pas souhaitable qu’à l’occasion de cet examen plus approfondi des questions qui doivent être transmises au Conseil constitutionnel, l’une ou l’autre juridiction suprême assure un contrôle de constitutionnalité préalable et s’approprie ainsi une compétence qui est exclusivement réservée par la Constitution au Conseil constitutionnel. L’existence d’un filtre des juridictions suprêmes peut, de ce point de vue, poser un risque d’appréciation de la constitutionnalité par ces juridictions, qui a été jugé réel par plusieurs personnes auditionnées. D’une part, les juges conserveront la possibilité de faire application de principes constitutionnels. D’autre part, si une juridiction suprême ne pourra déclarer une disposition législative inconstitutionnelle à l’occasion d’une question de constitutionnalité, elle pourrait en revanche, par son refus de renvoyer une question au Conseil constitutionnel, empêcher que ce dernier n’apprécie la constitutionnalité d’une disposition qui serait pourtant contestable, voire formuler à l’occasion de sa décision une interprétation de la constitutionnalité de la disposition. Ce risque justifie qu’il soit proposé, à l’article 23-7, que le Conseil constitutionnel reçoive copie de toute décision par laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation décide de ne pas le saisir d’une question de constitutionnalité.

Pour éviter que le filtre n’offre prise à un préjugement de constitutionnalité, les personnes auditionnées ont également proposé des modifications. MM. Nicolas Molfessis, Paul Cassia et Guy Caracassonne ont ainsi plaidé pour l’absence de gradation entre les critères de transmission de la question aux juridictions suprêmes et les critères de renvoi de la question au Conseil constitutionnel. Cela permettrait en effet d’éviter qu’une question qu’il était justifié de transmettre puisse tout aussi justement ne pas être renvoyée au Conseil constitutionnel. Mme Anne Levade a pour sa part préconisé de retenir la même gradation que celle qui figurait dans le projet de loi organique du 30 mars 1990, qui exigeait que le juge a quo s’assure que la question ne soit pas « manifestement infondée », et que la juridiction suprême vérifie que la question soit « sérieuse ».

Votre commission a retenu les propositions en faveur d’une homogénéité des critères de transmission aux juridictions suprêmes d’une part et de renvoi au Conseil constitutionnel d’autre part, et proposé que le caractère sérieux ou la nouveauté de la question soient retenus tant devant les juridictions a quo que devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Il lui a en effet semblé que l’identité des critères permettrait plus aisément de fonder une ligne directrice, voire une jurisprudence, pour l’appréciation des critères de renvoi et serait pour le justiciable à la fois plus intelligible et plus acceptable – et à ce titre un gage de succès de cette voie de droit.

M. Nicolas Molfessis a par ailleurs considéré que l’absence de motivation de la décision de renvoi au Conseil constitutionnel pourrait être « un moyen simple d’éviter d’instaurer un double contrôle de constitutionnalité – l’un qui serait officiel, explicite et autorisé, celui du Conseil constitutionnel, l’autre officieux, implicite et illégitime, celui du juge de cassation », M. Guy Caracassonne plaidant également en ce sens.

M. Paul Cassia a toutefois signalé que la motivation de la décision sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel serait nécessaire, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’assure qu’une décision de rejet du renvoi d’une question de constitutionnalité à la Cour constitutionnelle est suffisamment motivée et n’apparaît pas entachée d’arbitraire (57). Qui plus est, les chefs des deux cours suprêmes ont considéré que la motivation systématique des décisions serait souhaitable. Comme l’a résumé le Premier président de la Cour de cassation : « De façon générale, toutes les décisions des juridictions sont motivées, à l’exception de celles portant uniquement administration judiciaire, ce qui n’est pas le cas de la question de constitutionnalité. »

La Commission adopte successivement les amendements CL 38 et CL 39 du rapporteur.

L’amendement CL 15 de M. Jean-Jacques Urvoas est devenu sans objet.

La Commission est saisie de l’amendement CL 16 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Cet amendement tire les conséquences nécessaires de l’article 61-1 de la Constitution qui impose au Conseil d’État et à la Cour de cassation de se prononcer « dans un délai déterminé » : il prévoit qu’en cas de non respect de ce délai, la question est transmise au Conseil constitutionnel à la demande d’une partie.

La solution inverse, celle d’une décision implicite de rejet de la demande de renvoi, ne serait ni légitime ni conforme aux exigences constitutionnelles, notamment faute de motivation.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Mon avis est défavorable, pour des raisons de forme. Je proposerai un amendement CL 43 allant dans le même sens, qui prévoit que l’absence de décision au bout de trois mois vaut saisine du Conseil constitutionnel.

La Commission rejette l’amendement CL 16.

Article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Question de constitutionnalité soulevée devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation

L’article 23-5 prévoit qu’une question de constitutionnalité puisse être soulevée directement devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Il fixe les conditions dans lesquelles cette question peut alors être renvoyée au Conseil constitutionnel ainsi que les règles de sursis à statuer qui doivent alors être appliquées à l’instance en cours devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation.

En précisant que ce moyen peut être soulevé à l’occasion d’un pourvoi en cassation, l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 fait clairement apparaître que le régime des exceptions de procédure (58) n’est pas applicable à la question de constitutionnalité (même si cette question peut avoir pour effet de suspendre la procédure en cours), et qu’il sera donc notamment permis au justiciable de soulever cette question à tout instant de la procédure (59).

Le Conseil d’État peut être juge de première instance, d’appel ou de cassation. En ce qui concerne la Cour de cassation, elle est uniquement juge de cassation. Afin que la plus grande portée soit donnée au mécanisme de la question de constitutionnalité, il est proposé d’autoriser toute partie à poser cette question à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, y compris pour la première fois en cassation. Par souci de parallélisme avec les dispositions proposées à l’article 23-1, il est précisé que ce moyen ne peut être soulevé d’office par le juge et qu’il doit être soulevé, à peine d’irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé.

Il n’est pas précisé si le moyen pourra être soulevé à tout moment ou sera encadré par des délais. Dans le silence de la loi organique, les dispositions législatives ordinaires régissant les différentes formes de pourvoi en cassation s’appliqueront à ce moyen, au même titre qu’à tout autre moyen. Serait ainsi applicable la disposition prévoyant que, dans le cadre d’un pourvoi contre un arrêt de la chambre de l’instruction rendu en matière de détention provisoire, aucun moyen nouveau ne peut être soulevé par le demandeur en cassation et il ne peut plus déposer de mémoire après l’expiration du délai d’un mois à compter de la réception du dossier (article 567-2 du code de procédure pénale).

Il n’est pas non plus précisé si la partie soulevant une telle question en cassation pourra le faire sans le ministère d’un avocat aux conseils. Dans le silence de la loi organique, les règles relatives à la représentation obligatoire applicables à l’instance devraient être transposées à la question préjudicielle posée à l’occasion de cette instance (60).

On peut signaler que, par le biais de l’ouverture d’une possibilité de soulever une question de constitutionnalité à l’occasion d’un recours en cassation devant la Cour de cassation, une telle question pourra être posée en cas de pourvoi en cassation contre un arrêt de la Cour de justice de la République ou contre un arrêt de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (61).

Le deuxième alinéa de l’article 23-5 précise les conditions en vertu desquelles le Conseil d’État ou la Cour de cassation, saisi directement d’une question de constitutionnalité, doit renvoyer celle-ci au Conseil constitutionnel. Dans la mesure où la saisine directe du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ne permet pas l’existence d’un niveau de juridiction exerçant un second filtre, le projet de loi organique proposé de retenir les mêmes critères que lorsque le Conseil d’État ou la Cour de cassation exercent leur rôle de filtre après avoir été saisis par une juridiction et qui sont énumérés à l’article 23-4 : la disposition contestée doit commander l’issue du litige ou la validité de la procédure ou constituer le fondement des poursuites ; elle ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision, sauf changement de circonstances ; la question doit être nouvelle ou la disposition contestée présenter une difficulté sérieuse. De même que pour les critères applicables devant ces juridictions suprêmes saisies par une autre juridiction, votre commission a atténué le premier critère (la disposition doit être « applicable au litige ») et unifié le troisième critère (la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux).

Toutefois, à l’inverse de la décision de renvoi au Conseil constitutionnel d’une question transmise par une autre juridiction, qui doit intervenir dans un délai de trois mois (article 23-4), la décision qui devra être rendue par le Conseil d’État ou la Cour de cassation directement saisis n’est pas encadrée par une condition de délai. Or, cette absence de délai n’est pas conforme à l’exigence constitutionnelle que le Conseil d’État ou la Cour de cassation « se prononce dans un délai déterminé ». Il convient donc de prévoir un délai, que votre commission a fixé à trois mois, par similitude avec le délai retenu par le projet de loi organique pour l’examen d’une question transmise par une juridiction au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.

Par ailleurs, aucune règle relative à la priorité d’examen de la question de constitutionnalité dont serait saisi directement le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne figure dans le texte du projet de loi organique, alors qu’une telle règle est prévue à l’article 23-2 pour les questions de constitutionnalités posées devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Comme s’interrogeait M. Bertrand Mathieu : « Faut-il y voir le souci de ménager la susceptibilité des deux cours régulatrices ? Mais, dans ce cas, il risquerait d’en résulter, selon la procédure suivie, une distorsion difficilement compréhensible aboutissant à des divergences de jurisprudence peu justifiables. Si le justiciable soulève la question la première fois devant la cour d’appel, la question de constitutionnalité sera prioritaire, mais si c’est devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, on ne sait pas ce qui va se passer. Sur un plan de pure logique, on ne peut pas comprendre la distinction. » Votre commission vous propose par conséquent d’introduire à l’article 23-5 la même règle de priorité que celle prévue à l’article 23-2.

Le troisième alinéa de l’article 23-5 instaure la règle selon laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation, dès lors qu’il a renvoyé la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, doit surseoir à statuer jusqu’à ce que ce dernier se soit prononcé sur cette question. Toutefois, une dérogation à cette règle de sursis à statuer est prévue, lorsque l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. Une dérogation facultative au sursis à statuer est d’autre part admise lorsque le Conseil d’État ou la Cour de cassation est tenu de se prononcer en urgence.

De la même manière que la décision de transmission à la juridiction suprême, la décision de renvoi au Conseil constitutionnel devrait être motivée. Cette motivation semble même devoir être une exigence au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (62). De la même manière également, la juridiction suprême devrait pouvoir reformuler la question renvoyée au Conseil constitutionnel, sans que cette reformulation puisse lier le Conseil constitutionnel, qui pourra, au regard des mémoires des parties et de la décision de renvoi, éventuellement rétablir la question dans sa formulation initiale.

La Commission est saisie de l’amendement CL 40 du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cet amendement définit comme prioritaire l’examen de la question de constitutionnalité par le Conseil d’État et la Cour de cassation.

La Commission adopte l’amendement CL 40.

Elle adopte ensuite successivement les amendements CL 41 et CL 42 du rapporteur.

La Commission examine l’amendement CL 17 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Le projet de loi organique ne reprend pas la disposition relative au caractère prioritaire de la question de constitutionnalité quand le Conseil d’État ou la Cour de cassation sont saisis en premier lieu ou à la suite du rejet de la question par le juge du fond. Cette rédaction risque d’introduire des distorsions et des divergences de jurisprudence. Il est donc nécessaire de reprendre les dispositions figurant à l’article 23-2 de l’ordonnance.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cet amendement est satisfait par l’amendement CL 40. Avis défavorable.

L’amendement CL 17 est retiré.

Article 23-6 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Procédure devant la Cour de cassation. Formation de la Cour de cassation chargée de décider le renvoi au Conseil constitutionnel

L’article 23-6 fixe les règles de procédure relatives à une question de constitutionnalité transmise à la Cour de cassation ou directement soulevée devant elle.

Le premier alinéa prévoit que le Premier président de la Cour de cassation est le destinataire des documents ayant trait à la question de constitutionnalité qui est transmise à cette juridiction ou soulevée devant elle. Ces documents comprennent, dans tous les cas, le mémoire distinct et motivé dans lequel le moyen est soulevé, et, également, lorsque la question est transmise par une juridiction, la décision de cette dernière.

Le deuxième alinéa confie au Premier président de la Cour de cassation la mission d’aviser immédiatement le Procureur général, selon la même logique que celle retenue par l’article 23-1 pour les questions de constitutionnalité soulevées devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lesquelles doivent être communiquées immédiatement au ministère public.

Les trois autres alinéas de l’article 23-6 prévoient la composition des formations de la Cour de cassation chargées de décider du renvoi de la question au Conseil constitutionnel. La formation est présidée par le Premier président et composée des présidents des chambres ainsi que de deux conseillers appartenant à chaque chambre spécialement concernée (63). La détermination de la ou des chambres spécialement concernées sera établie au regard de l’instance principale à l’occasion de laquelle la question est posée.

Toutefois, par dérogation, le Premier président peut, lorsque la question du renvoi ou de l’absence de renvoi au Conseil constitutionnel lui paraît s’imposer, recourir à une formation plus restreinte, qu’il présidera, mais qui ne sera composée que du président de la chambre spécialement concernée et d’un conseiller de cette chambre (64). Ainsi, alors que la formation plénière comptera neuf magistrats, la formation restreinte n’en comptera que trois. La possibilité de recourir à une formation restreinte a été critiquée par M. Nicolas Molfessis : « la question de constitutionnalité est toujours fondamentale et jamais évidente dès lors qu’elle a franchi le premier filtre ». Toutefois, la Cour de cassation sera conduite à examiner non seulement des questions transmises mais également des questions directement soulevées au stade du pourvoi en cassation, lesquelles pourraient être manifestement infondées et justifier à ce titre le recours à une formation simplifiée.

Enfin, le dernier alinéa permet que le Premier président et les présidents de chambres puissent être suppléés, respectivement par un délégué désigné parmi les présidents de chambre et par un délégué désigné parmi les conseillers de chambre. Cette faculté de se faire suppléer sera applicable à la formation plénière comme à la formation restreinte.

La Commission examine l’amendement CL 18 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Les dispositions des alinéas 29, 30 et 31, qui précisent la nature et la composition de la formation spéciale de la Cour de cassation, relèvent de la législation simple. Nous souhaitons donc les supprimer du présent projet de loi organique.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Avis défavorable. Si ces dispositions relèvent de la loi ordinaire, elles pourront être déclassées sans difficulté comme telles.

M. Guy Geoffroy, vice-président. L’article 61-1 de la Constitution est ainsi rédigé qu’aucune loi ordinaire n’est susceptible de le mettre directement en œuvre. Pour ces raisons, ces dispositions, quand bien même elles relèveraient de la loi ordinaire, doivent figurer au sein de la loi organique.

La Commission rejette l’amendement CL 18.

Article 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation relative à la saisine du Conseil constitutionnel

L’article 23-7 fixe le statut de la décision qui doit être rendue par la Cour de cassation ou le Conseil d’État concernant le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

De la même manière que la question transmise par une juridiction à la Cour de cassation ou au Conseil d’État devait être accompagnée des mémoires et conclusions des parties et de la décision de ladite juridiction, la décision de la Cour de cassation ou du Conseil d’État devra être transmise au Conseil constitutionnel avec les mémoires et conclusions des parties.

En l’absence de précision relative au caractère des décisions du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, il sera loisible à ces juridictions de choisir l’ampleur de la motivation de leurs décisions, voire de reformuler la question (cette dernière possibilité n’offrant d’intérêt que s’il s’agit de garantir ainsi le renvoi au Conseil constitutionnel de la question, dans la mesure où ce dernier pourra de toute façon à nouveau reformuler cette question comme il le souhaite). En revanche, le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne sauraient rendre une décision non motivée, ce qui reviendrait à déroger au principe général de motivation des décisions de justice.

En l’absence de renvoi de la question au Conseil constitutionnel, justifiée par le fait que l’une des conditions prévues par les articles 23-4 ou 23-5 n’est pas remplie, le Conseil constitutionnel devra néanmoins recevoir copie de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Cette disposition, en apparence anodine, préservera les juridictions suprêmes de toute tentation de retenir les questions de constitutionnalité ou de ne pas les traiter dans les délais.

Votre commission a complété le premier alinéa de l’article 23-7 par une disposition prévoyant que la question qui n’aura pas été traitée par le Conseil d’État ou la Cour de cassation dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5 devra être transmise automatiquement au Conseil constitutionnel. Elle a ainsi répondu à ce qui avait été suggéré lors de son audition par M. Marc Guillaume : « Tout laisse à penser que [le délai fixé aux juridictions suprêmes] sera respecté. Néanmoins, par hypothèse, quelle serait la sanction dans le cas inverse ? Le constituant semble avoir expressément prévu la réponse à l’article 61-1 de la Constitution, qui impose que ces juridictions “ se prononcent dans un délai déterminé ”. Cette précision, ajoutée par amendement lors des débats parlementaires, implique une sanction du non-respect du délai. Dès lors, si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé sous trois mois, la question de constitutionnalité doit être transmise au Conseil constitutionnel par leur secrétariat ou leur greffe. »

Enfin, la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation sera en toute hypothèse communiquée à la juridiction à laquelle cette question a d’abord été posée et notifiée aux parties. Votre commission a souhaité prévoir le délai de cette notification et de cette communication, dans la mesure où la décision n’est pas sans incidence sur le cours de l’instance ou de la procédure, prolongeant le sursis à statuer de trois mois en cas de renvoi au Conseil constitutionnel, et mettant un terme à ce sursis dans le cas contraire.

La Commission examine l’amendement CL 19 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. La décision par laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation renvoient une question au Conseil constitutionnel n’a pas besoin d’être motivée : le renvoi suffit à attester que, aux yeux de la juridiction suprême concernée, les conditions énoncées par la loi organique sont réunies. En revanche, en cas de décision de refus de renvoi, il faut que le justiciable sache, au moins sommairement, laquelle des conditions n’était pas présente là où, par hypothèse, il s’était trouvé au moins un juge d’un niveau inférieur pour penser le contraire.

Pour nous, imposer un double filtre serait tuer la nouvelle procédure avant même qu’elle puisse faire ses preuves. Les avocats préfèreront faire appel à la Cour européenne des droits de l’Homme.

Après avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL 19.

Elle adopte ensuite l’amendement CL 44 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CL 43 du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cet amendement parachève le dispositif de transmission au Conseil constitutionnel en cas de non respect des délais.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement CL 45 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL 46 du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L’amendement fixe un délai de huit jours pour la transmission de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation à la juridiction qui les a saisis.

La Commission adopte l’amendement.

Article 23-8 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Information du Président de la République, du Premier ministre et des présidents des assemblées et observations adressées au Conseil constitutionnel

L’article 23-8 prévoit que le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État ou la Cour de cassation d’une question de constitutionnalité, devra en aviser immédiatement le Président de la République, le Premier ministre ainsi que les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il permet à ces quatre autorités politiques d’adresser au Conseil constitutionnel des observations sur la question de constitutionnalité dont il est saisi.

En l’état du droit, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’une loi non encore promulguée, il en avise immédiatement ces mêmes quatre autorités (article 18 de l’ordonnance n°58-1067). Toutefois, il n’est pas prévu explicitement, dans ce cas, que des observations puissent être formulées sur la loi dont la constitutionnalité est contestée. On rappellera à ce sujet que M. Robert Badinter, devenu président du Conseil constitutionnel, avait exprimé, dans une lettre adressée en juin 1986 aux présidents des deux assemblées parlementaires, le souhait que le membre du Conseil constitutionnel désigné pour rapporter une affaire prenne l’attache tant du rapporteur de la commission qui a été saisie au fond du projet ou de la proposition de loi que d’un représentant des auteurs de la saisine, afin qu’ils puissent faire connaître leurs observations. M. Alain Poher, président du Sénat, et M. Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, avaient alors tous deux refusé cette institutionnalisation des relations entre le rapporteur du Conseil constitutionnel et certains membres du Parlement, faisant notamment valoir que le rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi voit ses fonctions cesser lors du vote du texte.

En revanche, l’article 12 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, qui dispose que le Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à constater qu’une loi est intervenue dans un domaine relevant de la compétence de la Polynésie française, doit en informer l’ensemble des autorités titulaires du pouvoir de le saisir (président de la Polynésie française, président de l’assemblée de la Polynésie française, Premier ministre, président de l’Assemblée nationale ou président du Sénat), prévoit que ces autorités peuvent présenter des observations dans un délai de quinze jours. De la même manière, l’article 104 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie permet aux autorités qui ont la faculté de déférer au Conseil constitutionnel une loi du pays (haut-commissaire, gouvernement, président du congrès, président d’une assemblée de province), informées de la saisine, de présenter des observations dans un délai de dix jours.

Dans un registre quelque peu différent, lorsqu’une question préjudicielle est posée à la Cour de justice, cette question est notifiée aux parties, aux États membres et à la Commission, ainsi qu’au Conseil ou à la Banque centrale européenne si l’acte contesté émane de ceux-ci, et au Parlement européen et au Conseil si l’acte contesté a été adopté conjointement par ces deux institutions (article 23 du statut de la Cour de justice). Les personnes à qui la question a été notifiée disposent d’un délai de deux mois pour déposer devant la Cour des mémoires ou observations écrites.

Dans la mesure où l’article 23-9 prévoit explicitement que les parties peuvent présenter leurs observations devant le Conseil constitutionnel, il est possible de prévoir également que le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux assemblées parlementaires peuvent formuler des observations, même si l’édiction de cette disposition pourrait être laissée au règlement intérieur du Conseil constitutionnel, dans le cadre de la définition des modalités de l’instruction.

Comme l’a souligné M. Jean-Claude Colliard : « Tout ce qui va dans les sens du contradictoire est utile. » Pour autant, il n’est pas interdit de s’interroger sur la portée concrète d’une telle disposition : « Pour le Président de la République, c’est prendre le risque d’être désavoué. Les présidents des deux assemblées seront sensibles au fait que la loi est l’œuvre des Assemblées. C’est donc le Secrétariat général du Gouvernement, placé auprès du Premier ministre, qui devrait pour l’essentiel mettre en œuvre cette disposition. »

La faculté de pouvoir formuler des observations ouverte aux présidents des Assemblées n’offre donc guère d’intérêt, et elle est même susceptible de prêter à confusion avec la procédure prévue par l’article 61 de la Constitution, qui reconnaît des droits spécifiques aux présidents des Assemblées ainsi qu’aux autres parlementaires. Votre commission a donc souhaité que seuls le Président de la République ou le Premier ministre puissent formuler des observations à l’occasion d’une question de constitutionnalité.

Par ailleurs, afin de prendre en compte le fait que les dispositions législatives pouvant faire l’objet d’une question de constitutionnalité pourront être des lois du pays de Nouvelle-Calédonie, votre commission a prévu, dans ce cas, que les autorités qui ont eu la faculté de déférer a priori la loi du pays au Conseil constitutionnel seront informées de la question renvoyée au Conseil constitutionnel.

La Commission examine l’amendement CL 55 du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Il s’agit, tout en prévoyant que les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat seront avisés de la décision du Conseil constitutionnel, de limiter au Président de la République et au Premier ministre le droit d’adresser des observations à celui-ci.

La Commission adopte l’amendement CL 55.

L’amendement CL 20 de M. Jean-Jacques Urvoas devient sans objet.

La Commission rejette l’amendement CL 21 de M. Jean-Jacques Urvoas.

La Commission adopte ensuite successivement les amendements CL 47 et CL 48 du rapporteur.

La Commission examine ensuite l’amendement CL 49 du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Il s’agit d’inclure clairement dans le dispositif les lois du pays de la Nouvelle-Calédonie.

La Commission adopte l’amendement.

Article 23-8-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Examen de la question par le Conseil constitutionnel si l’instance est éteinte

Compte tenu des observations formulées par la plupart des personnes auditionnées par votre commission, il est probable qu’en l’absence de disposition explicite dans le présent projet de loi organique, une question de constitutionnalité renvoyée au Conseil constitutionnel mais soulevée à l’occasion d’une instance éteinte entre-temps (soit par un jugement définitif, soit par toute autre cause telle qu’un désistement, une caducité…) ne serait jamais examinée par ce dernier. Ainsi, dans le cas d’une instance pénale, le décès pourrait, en mettant fin à l’instance, empêcher la question de constitutionnalité de prospérer. De même, dans le cas d’une instance civile, une transaction conclue entre les parties aurait le même effet. Pourtant, en dépit de ces incidents, la question de constitutionnalité pourrait présenter tout autant d’intérêt qu’auparavant. L’absence de décision sur une telle question, qui aurait pourtant passé le crible des juridictions suprêmes, serait préjudiciable à la constitutionnalité de notre ordre juridique et à l’ensemble des justiciables.

Aussi, votre commission a-t-elle souhaité prévoir explicitement que le Conseil constitutionnel, une fois saisi d’une question, devra systématiquement rendre une décision, quelle que soit l’évolution de l’instance à l’origine de ladite question.

Concernant le contrôle de constitutionnalité prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de considérer que les autorités ou parlementaires l’ayant saisi d’une loi avant sa promulgation ne pouvaient retirer leur saisine et empêcher ainsi le contrôle de constitutionnalité engagé d’aller à son terme (65). La logique retenue pour le contrôle de constitutionnalité a priori serait donc ainsi transposée au contrôle de constitutionnalité a posteriori. Ainsi, la question de constitutionnalité présentera un caractère de contentieux objectif, dans l’intérêt du droit - tout comme le confirme également l’effet erga omnes de l’éventuelle décision d’abrogation du Conseil constitutionnel - , ce qui devrait conduire à apprécier différemment la participation des parties à l’examen de la question par le juge constitutionnel.

La Commission examine l’amendement CL 50 du rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le Conseil constitutionnel n’est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité qu’après les acceptations de la juridiction de base puis de la Cour suprême dont elle relève. Dès lors l’extinction pour quelque cause que ce soit – décès du requérant, réalisation d’une transaction en matière civile… – de l’instance à l’occasion de laquelle la question de constitutionnalité a été posée doit être sans conséquence sur l’examen de celle-ci. Une fois le Conseil constitutionnel saisi, la question est une question objective. Il est de l’intérêt général, en termes de sécurité juridique, que le Conseil se prononce à son sujet.

La Commission adopte l’amendement CL 50.

Article 23-9 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Délai de jugement et procédure applicable devant le Conseil constitutionnel

L’article 23-9 fixe à trois mois le délai dans lequel le Conseil constitutionnel doit statuer sur une question de constitutionnalité qui lui est transmise et précise un certain nombre de règles relatives à la procédure applicable.

Si le Conseil constitutionnel ne dispose, en vertu de l’article 61 de la Constitution, que d’un mois pour rendre ses décisions dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori des dispositions législatives, la brièveté de ce délai, qui peut être ramené à huit jours à la demande du Gouvernement, se justifie par le fait que la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation de la loi adoptée par le Parlement. Le délai de huit jours qui lui est accordé, en vertu de l’article 41 de la Constitution, lorsqu’il est saisi de la question du caractère réglementaire ou législatif d’une proposition de loi ou d’un amendement se justifie de la même manière par le fait que cette saisine a pour effet de suspendre une procédure législative en cours. Le délai d’un mois, pouvant être réduit à huit jours, se retrouve également, dans l’ordonnance du 7 novembre 1958, en ce qui concerne les décisions sur la conformité à la Constitution d’un engagement international (article 19), ainsi que les décisions sur les demandes de déclassement de dispositions législatives (article 25).

En revanche, dans d’autres cas, la durée retenue est de trois mois :

—  pour le contrôle de la conformité à la Constitution d’une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie (article 105 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie) ;

—  pour le contrôle du respect des matières relevant de la compétence de la Polynésie française par une loi (article 12 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française)

Il ne semble donc pas illégitime que le Conseil constitutionnel puisse également disposer de trois mois dans le cas de l’examen d’une question de constitutionnalité renvoyée par la Cour de cassation ou le Conseil d’État.

Les autres règles de procédure qui sont introduites découlent directement de la nécessité de respecter, à l’occasion de l’examen de cette question devant le Conseil constitutionnel, les garanties prévues par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt Ruiz-Matéos contre Espagne, du 26 juin 1993, a considéré que le contentieux constitutionnel peut en effet ressortir au champ d’application de cet article de la Convention, dans la mesure où ce contentieux peut s’avérer déterminant pour l’issue du litige devant le juge a quo (66).

Les parties devront être « mises à même de présenter contradictoirement leurs observations ». Elles devront donc pouvoir non seulement obtenir communication respective de leurs mémoires mais également être en mesure de répondre aux mémoires qui leur auront été communiqués. Il est possible que le règlement intérieur du Conseil constitutionnel prévoie des délais de production des mémoires, tant de la part des parties que de celle des autres autorités autorisées à en produire.

L’audience sera en principe publique, le règlement intérieur du Conseil constitutionnel pouvant prévoir les cas exceptionnels dans lesquels il pourra être dérogé à cette publicité. La publicité de l’audience devrait garantir que les parties pourront présenter oralement leurs arguments devant le Conseil constitutionnel, de la même manière que la procédure de la question préjudicielle devant la Cour de justice comprend une phase orale (article 104, paragraphe 4 du Règlement de procédure de la Cour de justice des Communautés européennes). Comme l’a écrit M. Marc Guillaume : « Ce caractère public des audiences devant le Conseil répondrait au caractère juridictionnel de la procédure. Il serait également justifié par le fait que, devant le juge saisi au principal, les audiences des juridictions de jugement sont normalement publiques. Cette ouverture de la barre du Conseil compléterait la procédure écrite tout en devant éviter les travers des “ effets de manche constitutionnels ”. » (67)

Il s’agira donc bien d’un procès, comportant un examen effectif du recours, des débats contradictoires et en principe publics, l’égalité des armes et un délai raisonnable de jugement.

La Commission est saisie de l’amendement CL 22 de M. Jean-Jacques
Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Cet amendement vise à entériner une évidence : le changement de nature du Conseil constitutionnel induit par la réforme. Ses membres, et tout d’abord son président – qui s’est exprimé sur ce point à plusieurs reprises – en sont très conscients. La transformation du Conseil constitutionnel en juridiction au regard de textes tels que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme imposera demain le respect d’exigences qui ne sont pas aujourd’hui nécessaires à la validité de ses décisions. Je ne doute pas que les instances internationales seront très vigilantes sur la façon dont il garantira l’équité des parties au procès. En prévoyant par cet amendement que la procédure doit garantir les règles du procès équitable, nous rassurerons les membres du Conseil.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Ce principe s’impose de façon obligatoire à toutes les juridictions. Cette précision ne me semble donc pas nécessaire.

La commission rejette l’amendement CL 22.

Article 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Motivation, notification et publication de la décision du Conseil constitutionnel

L’article 23-10 porte sur les caractéristiques que devra remplir la décision rendue par le Conseil constitutionnel saisi d’une question de constitutionnalité.

Cette décision doit être motivée, notifiée aux parties et communiquée à la juridiction devant laquelle la question de constitutionnalité a été soulevée ainsi qu’à la juridiction suprême qui a renvoyé la question au Conseil constitutionnel. Une notification de la décision aux autorités qui ont été avisées du renvoi de la question de constitutionnalité est également prévue. Enfin, il est précisé que cette décision est publiée au Journal officiel.

La motivation et la publication au Journal officiel des décisions du Conseil constitutionnel sont déjà exigées pour les déclarations de conformité à la Constitution. Dans le cas de la question de constitutionnalité, il est logique de prévoir également une notification à toutes les personnes qui ont eu à connaître de la question, et au tout premier chef aux juridictions, lesquelles peuvent avoir été conduites à surseoir à statuer dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel.

La Commission adopte successivement les amendements CL 51, CL 52 et CL 53 du rapporteur.

Article 23-11 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

Rétribution des auxiliaires de justice en cas de transmission d’une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel

L’article 23-11 prévoit que la contribution de l’État à la rétribution des auxiliaires de justice prêtant leur concours au titre de l’aide juridictionnelle sera majorée, lorsqu’une question de constitutionnalité aura été transmise au Conseil constitutionnel. Les modalités de cette majoration sont renvoyées au soin du pouvoir réglementaire.

Si, comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi organique, « il n’y a pas lieu de prévoir que l’aide juridictionnelle puisse être accordée à une partie spécialement en vue ou à l’occasion de la question de constitutionnalité », il semble toutefois justifié que la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, qui a pour conséquence la présentation d’observations contradictoires, conduise à une meilleure rétribution des auxiliaires de justice, dont la charge de travail sera accrue.

Il est nécessaire que le pouvoir législatif habilite le pouvoir réglementaire à procéder à une majoration de la rétribution des auxiliaires de justice. Dans la mesure où cette rétribution des auxiliaires de justice correspond à une affaire jugée par le Conseil constitutionnel, la disposition trouve naturellement sa place dans la loi organique relative au Conseil constitutionnel.

La Commission adopte l’amendement CL 54 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement CL 23 de M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Comme l’a indiqué le professeur Cassia lors de son audition, la question de la représentation des parties n’a pas nécessairement à figurer dans une loi organique. Mais, qu’elle relève de la loi ordinaire ou du règlement, il appartient au législateur organique de prendre position sur ce point dans ses travaux préparatoires. Notre amendement vise à rompre le monopole de la représentation des avocats près le Conseil d’État et la Cour de cassation pour ce qui est de la présentation de la question préalable de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel. Cette procédure doit être ouverte à tout avocat inscrit au barreau, évitant ainsi au justiciable de changer de conseil au cours de l’instance.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Lors de son audition, Marc Guillaume avait considéré que la représentation, devant le Conseil constitutionnel, devrait être facultative. Selon lui, les parties devraient être autorisées à désigner la personne de leur choix pour les représenter, de la même façon que pour le contentieux électoral. Certains mandataires pourraient ainsi ne pas être avocats, par exemple pour les contentieux prud’homaux. Mais l’accès à la barre devrait être réservé aux avocats à la cour ou aux avocats aux Conseils, car n’importe quel mandataire choisi par les parties ne doit pas pouvoir formuler des observations orales. De telles règles pourraient être fixées, comme le prévoit l’article 3 du projet de loi organique, dans le règlement intérieur du Conseil, sachant qu’un décret est déjà prévu, par exemple, pour les règles relatives au montant des unités de valeur allouées au titre de l’aide juridictionnelle.

Cette position me semble la bonne. Je ne suis donc pas favorable à l’amendement.

M. Jean-Jacques Urvoas. J’ajoute que le monopole des avocats aux Conseils devant le Conseil constitutionnel, s’il était décidé, devrait figurer dans une loi organique. L’absence de cette précision implique donc que d’autres qu’eux peuvent être présents. Si vous souscrivez, comme moi, à l’argumentation du secrétaire général du Conseil constitutionnel, je retire mon amendement.

L’amendement CL 23 ayant été retiré, la Commission adopte l’article 1er ainsi modifié.

Article 2

(articles. L.O. 771-1 et 771-2 [nouveaux] du code de justice administrative, articles L.O. 461-1 et L.O. 461-2 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire et article L.O. 630 du code de procédure pénale)


Règles de transmission et de renvoi de la question de constitutionnalité

Les dispositions introduites dans l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel fixent les règles de transmission d’une question de constitutionnalité d’une juridiction à la juridiction suprême de son ordre ainsi que les règles de renvoi d’une question de constitutionnalité de la juridiction suprême de l’ordre au Conseil constitutionnel. Par conséquent, dans un souci d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi applicable, il est proposé d’insérer dans les différents codes concernés un renvoi explicite aux nouveaux articles de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

Sont ainsi créés :

—  un nouveau chapitre Ier bis au sein du titre VII du livre VII du code de justice administrative (lequel titre est consacré aux dispositions spéciales en matière de jugement), comprenant deux nouveaux articles L.O. 771-1 et L.O. 771-2, qui précisent quels sont les articles de l’ordonnance du 7 novembre 1958 applicables respectivement à la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État et au renvoi de cette question par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel ;

—  un nouveau titre VI au sein du livre IV du code de l’organisation judiciaire (lequel livre est consacré à la Cour de cassation), comprenant deux nouveaux articles L.O. 461-1 et L.O. 461-2, qui précisent quels sont les articles de l’ordonnance du 7 novembre 1958 applicables respectivement à la transmission à la Cour de cassation de la question de constitutionnalité soulevée devant une juridiction de l’ordre judiciaire et au renvoi de cette question par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel ;

—  un titre Ier bis au sein du livre IV du code de procédure pénale (lequel livre est consacré aux procédures particulières), comprenant un article L.O. 630, qui précise quels sont les articles de l’ordonnance du 7 novembre 1958 applicables à la transmission à la Cour de cassation d’une question de constitutionnalité soulevée à l’occasion d’une instance pénale et au renvoi de cette question par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel.

La Commission adopte successivement les amendements du rapporteur CL 56 à CL 64.

Puis elle adopte l’article 2 ainsi modifié.

Article 2 bis

(article 107 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 2009)


Question de constitutionnalité relative à une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie

L’article 61-1 de la Constitution doit permettre de soumettre à la question de constitutionnalité toute disposition législative qui porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. À ce titre, les lois du pays de la Nouvelle-Calédonie, qui ont valeur législative, peuvent être soumises à la procédure prévue par l’article 61-1 de la Constitution, les auditions ayant amplement confirmé cette analyse.

Néanmoins, afin de lever tout doute en la matière, votre commission a adopté cet article afin que l’article 107 de la loi organique du 19 mars 1999 portant statut de la Nouvelle-Calédonie prévoie explicitement cette possibilité de contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois du pays.

Il convient à ce propos de signaler que la commission des Lois du Sénat avait déjà présenté, à l’occasion de l’examen du projet de loi organique relatif à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte, un amendement ayant pour objet d’introduire dans le statut de la Nouvelle-Calédonie une disposition prévoyant explicitement que les lois du pays puissent faire l’objet du contrôle de constitutionnalité prévu par l’article 61-1 de la Constitution (68).

La Commission est saisie de l’amendement CL 65 du rapporteur portant article additionnel après l’article 2.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cet amendement précise que les lois de Nouvelle-Calédonie sont bien soumises au dispositif de la question de constitutionnalité.

La Commission adopte cet amendement.

Article 3

Modalités d’application de la loi

Le présent article renvoie les modalités d’application du présent projet de loi organique à un décret en Conseil des ministres et au règlement intérieur du Conseil constitutionnel.

Dans la mesure où les nouvelles dispositions relatives à la question de constitutionnalité prennent place au sein du titre II de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l’article 56 de ladite ordonnance, qui prévoit que le règlement intérieur du Conseil constitutionnel complètera les règles de procédure édictées par le titre II de l’ordonnance, est d’application directe. En revanche, il peut sembler opportun d’améliorer la rédaction de cet article 56, en précisant que le règlement intérieur du Conseil constitutionnel ne peut compléter que les règles de procédure applicables devant lui.

D’autre part, l’article 55 de l’ordonnance précitée prévoit déjà qu’un décret en Conseil des ministres, pris après consultation du Conseil constitutionnel et avis du Conseil d’État, détermine les modalités d’application de l’ordonnance. Cet article 55 est donc applicable au présent projet de loi organique, cette application découlant de l’introduction des dispositions faisant l’objet du présent projet de loi organique dans l’ordonnance du 7 novembre 1958.

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 4

Entrée en vigueur de la loi

Le présent article prévoit une entrée en vigueur du présent projet de loi organique le premier jour du troisième mois suivant celui de sa publication. Ce délai permettra au pouvoir réglementaire et au Conseil constitutionnel de prendre les mesures d’application prévues par l’article 3, sans pour autant reporter au-delà du nécessaire l’application de la nouvelle disposition constitutionnelle.

Dans un souci de clarté et d’intelligibilité, votre commission a souhaité faire partir le délai pour le décompte de l’entrée en vigueur de la loi du jour de sa promulgation, qui est le jour dont la loi est datée, plutôt que du jour de sa publication.

À compter de l’entrée en vigueur du projet de loi organique, la faculté de soulever un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution sera ouverte à tout justiciable, quel que soit le stade de l’instance à l’occasion de laquelle ce moyen sera soulevé.

La Commission adopte l’amendement CL 66 du rapporteur.

Elle adopte l’article 4 ainsi modifié.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi organique ainsi modifié à l’unanimité.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution dans le texte figurant dans le document joint au présent rapport.

ANNEXES

Audition de M. Jean-Marc SAUVÉ, Vice-président du Conseil d’État accompagné de M. Bernard STIRN, Président de la section du contentieux du Conseil d’État.

M. le président Jean-Luc Warsmann. J’ai le plaisir d’accueillir, pour cette première audition le Vice-Président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, accompagné du président de la section du contentieux, M. Bernard Stirn.

M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État. La précision des questions écrites qui nous ont été transmises me dispensera d’un long exposé liminaire.

Le contrôle de la constitutionnalité des lois en France, qui était dans le débat doctrinal depuis au moins un demi-siècle, est entré dans le débat politique voilà vingt ans et a été examiné à trois reprises : en 1990, en 1993 et en 2008. Ce qui n’était qu’une éventualité est devenu, après le dépôt du rapport du comité Balladur puis du projet de loi constitutionnelle, une possibilité puis une certitude. Cette réforme impactera plus fortement qu’on ne l’imaginait le fonctionnement général des juridictions, en dépit des convergences des droits et libertés garantis par la Constitution et par nos engagements internationaux. Les conditions de sa mise en œuvre doivent être attentivement pesées.

La première série de questions portait sur le périmètre de la question de la constitutionnalité.

Tout d’abord, la notion de « juridiction » mentionnée à l’article 61-1 de la Constitution doit être comprise au sens du droit interne français. Il n’y a, a priori, pas de raison de faire une interprétation constructive de ce terme juridiquement clair, pour l’étendre aux autorités administratives qui sont regardées comme des tribunaux, au sens de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que les conditions dans lesquelles l’inconstitutionnalité d’une loi peut être invoquée ne relèvent pas des conditions du procès équitable prévues par cet article.

Par ailleurs, tous les principes et objectifs à valeur constitutionnelle reconnaissant des droits et libertés ont, bien entendu, vocation à être invoqués devant le juge administratif. Mais, au vu des questions qui ont déjà pu se poser devant lui, on peut penser que certains principes sont susceptibles d’être plus fréquemment sollicités. Je pense au principe d’égalité, dès lors que le principe homologue – le principe de non-discrimination – posé par l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par ladite Convention et ses protocoles additionnels. Aujourd’hui, le champ d’application de ce principe est limité ; il est plus étroit qu’en droit constitutionnel. Depuis le dépôt du rapport du comité Balladur, dans certaines affaires, nous avons eu à connaître de moyens tirés de la violation du principe d’égalité qui ont été rejetés sur un terrain conventionnel, mais qui, à notre avis, auraient pu être accueillis sur le terrain constitutionnel. Je prendrai l’exemple d’un arrêt de section du 7 février 2008, l’arrêt Mme Baomar – veuve d’un militaire ressortissant des anciens territoires d’outre-mer. À l’époque, le commissaire du Gouvernement avait d’ailleurs discrètement indiqué que, « sur le terrain aujourd’hui invocable et aujourd’hui applicable », il concluait au rejet.

Les droits de la défense et le principe de proportionnalité et de nécessité des peines seront certainement fréquemment soulevés au cours des procédures.

On peut également penser que la Charte de l’environnement offrira un terrain privilégié pour la critique de certaines dispositions législatives.

Il ne faut pas non plus négliger le fait que de nombreux objectifs constitutionnels n’ont pas d’équivalent dans les principes protégés par la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles additionnels, non plus que pour les autres instruments internationaux de protection des droits de l’homme, pourront servir de base à des contestations de dispositions législatives, sans préjuger de l’issue de ces procédures.

Toujours concernant le périmètre de la question de constitutionnalité, le problème de l’interprétation de la notion de « disposition législative » ne semble pas avoir été abordé au cours des travaux préparatoires, et ce sera au Conseil constitutionnel de dire le droit sur ce point. Mais on peut raisonnablement penser que la notion doit être comprise comme visant toute disposition de valeur législative, entrant dans le champ d’application de l’article 34 de la Constitution. Tel est le cas des « lois du pays » définies par les articles 99 et suivants de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et dont l’article 104 prévoit qu’elles peuvent être déférées devant le Conseil constitutionnel. Il serait, du reste, paradoxal que les lois du pays de Nouvelle-Calédonie soient, à cet égard, mieux protégées à l’encontre de la censure d’une inconstitutionnalité que ne le seront les lois votées par le Parlement de la République.

Vous vous êtes ensuite demandé si les termes « droits et libertés garantis par la Constitution » permettraient d’invoquer une incompétence négative du législateur à l’appui d’une question de constitutionnalité.

On peut penser que tel sera le cas si l’incompétence négative alléguée entraîne une atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, au sens de son article 61-1, par exemple, en matière de procédure pénale. En revanche, il paraît exclu que la rédaction dudit article 61-1 englobe la totalité des questions d’incompétence négative, si la protection d’un droit ou d’une liberté n’est pas en cause. Prenons l’exemple d’un texte créant une nouvelle catégorie d’établissements publics. Ce texte pourrait ne pas comprendre la totalité des points que le législateur doit trancher. Il serait alors entaché d’incompétence négative. Porterait-il pour autant atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Constitution ? J’ai tendance à répondre par la négative. En conclusion, l’incompétence négative peut conduire à accueillir une exception d’inconstitutionnalité. Mais tout dépend de la matière.

L’articulation opérée par le Conseil d’État entre la question de constitutionnalité et sa jurisprudence concernant l’abrogation implicite des lois antérieures à la Constitution est une application des principes de hiérarchie des normes, selon lesquels lorsqu’une norme d’un niveau égal ou supérieur se révèle radicalement incompatible avec une norme antérieure, cette dernière est regardée comme ayant été implicitement mais nécessairement abrogée par la nouvelle norme.

En matière de conflit entre une norme de nature législative et une norme constitutionnelle, cette jurisprudence n’a donné lieu qu’à très peu de décisions positives. La question a beau être très importante au niveau des principes, sa portée pratique est très limitée. On peut néanmoins citer : l’arrêt Taddéi de 1959 s’agissant des compétences des commissions d’avancement des magistrats prévues par la loi du 29 avril 1919 au regard des compétences du Conseil supérieur de la magistrature instauré par la Constitution du 27 octobre 1946 ; l’arrêt Le Couteur et Sloan, du 7 décembre 1973, concernant les autorités compétentes pour contresigner un décret prévues par une loi du 8 août 1947 au regard de l’article 22 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; enfin, l’arrêt Ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et Syndicat national des huissiers de justice, relatif au monopole réservé à la Chambre nationale des huissiers de justice en matière de négociation collective par l’ordonnance du 2 novembre 1945, au regard du sixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Une dernière décision, du 22 janvier 1982, peut également être évoquée. Il s’agit de l’affaire Ah Won, relative à la composition de la Cour criminelle de Polynésie française réservant le droit de figurer sur les listes d’assesseur aux « notables » et excluant « les domestiques » et « serviteurs à gages ». Mais elle portait sur la constitutionnalité de dispositions réglementaires – qui ont évidemment été considérées comme abrogées par l’entrée en vigueur des dispositions constitutionnelles de 1958.

Cette jurisprudence ancienne a été rappelée après l’entrée en vigueur de la Charte de l’environnement : dans l’arrêt Association eaux et rivières de Bretagne, de 2006, et dans l’arrêt Commune d’Annecy, de 2008.

Cette jurisprudence n’a jamais reposé sur une appréciation fine de la contrariété éventuelle entre une loi antérieure et une norme constitutionnelle postérieure, mais sur la constatation d’une contrariété radicale entre les deux. Il reste qu’après l’entrée en vigueur des dispositions de la présente loi organique sur laquelle votre Assemblée va prochainement délibérer, il conviendra que le Conseil d’État apprécie si et dans quelle mesure la nouvelle compétence du Conseil constitutionnel doit conduire à la révision de cette jurisprudence.

L’entrée en vigueur des nouvelles dispositions constitutionnelles et organiques ne peut pas ne pas conduire à réexaminer cette jurisprudence car le contrôle de l’incompatibilité radicale entre une loi antérieure et une disposition constitutionnelle nouvelle peut être interprété matériellement comme une forme de contrôle de constitutionnalité des lois.

Votre deuxième série de questions portait sur le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité.

Instaurer la priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité semble être une nécessité pour donner son plein effet à la volonté du Constituant et pour éviter que le juge ne préfère apporter une réponse conventionnelle plutôt qu’une réponse constitutionnelle à la grande majorité des questions qui pourraient être soulevées devant lui.

La priorité peut se justifier sur un autre terrain que celui de la volonté du Constituant : une déclaration d’inconstitutionnalité a des effets abrogatifs qui s’imposent erga omnes, et apporte une réponse plus satisfaisante en termes de qualité de l’ordonnancement juridique.

Lorsqu’une disposition législative suscite à la fois une question de constitutionnalité et une question de contrariété au droit communautaire, il ne fait de doute aujourd’hui, en tout cas depuis la décision du Conseil constitutionnel de juillet 2004, que le droit communautaire comme le droit constitutionnel imposent le respect de la primauté du droit communautaire. Le projet de loi organique réserve, du reste, très explicitement les dispositions de l’article 88-1 de la Constitution en vertu desquelles la République française se doit de respecter et de faire respecter ses obligations communautaires.

Par exception à la priorité du droit constitutionnel sur les engagements internationaux de la France, il doit y avoir une priorité des questions de conformité au droit communautaire sur les autres questions de constitutionnalité – en effet, une question de conformité au droit communautaire est une question de constitutionnalité.

C’est ce qui ressort, à la fois de la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis juillet 2004, et de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, avec l’arrêt Simmenthal de mars 1978, par lequel la Cour a censuré une législation italienne qui imposait de saisir la Cour constitutionnelle italienne pour faire appliquer le droit communautaire. Le passage par une Cour constitutionnelle nationale est apparu contraire au droit communautaire. Ainsi, un juge saisi d’une question d’application du droit communautaire doit appliquer le droit communautaire.

L’affaire Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, illustre assez bien cette question, dans le domaine du contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires. Le Conseil d’État, qui avait à statuer sur la légalité d’un décret assurant la transposition d’une directive relative aux quotas d’émission des gaz à effet de serre, avait été saisi d’un moyen tiré de la violation du principe constitutionnel d’égalité. S’il tranchait complètement la question au regard du principe constitutionnel d’égalité, implicitement et nécessairement, il se prononçait sur la question de la conformité de la directive aux principes généraux du droit communautaire et exerçait l’office de la CJCE. La transposition de la directive avait consisté, pour le gouvernement français, à recopier dans un décret la directive. La contestation du texte au regard du droit constitutionnel était strictement identique à la contestation du texte au regard du droit communautaire. Pour combiner ces deux moyens, nous avons considéré que le droit communautaire assurait une protection effective du principe d’égalité, que le moyen de droit constitutionnel qui était invoqué devant nous se trouvait être aussi un moyen de droit communautaire. Nous avons posé une question préjudicielle à la CJCE, qui nous a répondu à la fin de l’année 2008 qu’il n’y avait pas violation du principe d’égalité en droit communautaire. Puis nous en avons tiré les conséquences en droit interne en rejetant la requête. Nous avons statué au fond sur la contestation de la société Arcelor et donné au principe constitutionnel d’égalité la même portée. En l’occurrence, il s’agissait de l’égalité de traitement entre l’industrie métallurgique – les métaux ferreux – et les industries plastiques – les métaux non ferreux.

Une priorité doit selon nous être donnée aux moyens tirés de la violation du droit communautaire par rapport aux autres moyens d’inconstitutionnalité. Dans ce cas particulier, nous avons pu éviter une contradiction entre notre appartenance aux Communautés européennes et nos principes constitutionnels parce que le principe constitutionnel dont la violation était invoquée avait un équivalent en droit communautaire et qu’il était effectivement protégé.

S’agissant des conséquences sur l’instance d’une question préjudicielle de constitutionnalité, le projet de loi impose au juge de ne pas surseoir à statuer lorsque la liberté d’une personne se trouve en cause, et lui offre la possibilité de le faire lorsque la juridiction saisie doit statuer dans un délai déterminé ou en urgence, ou encore « lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives ». Dans tous ces cas, le projet de loi organise le report du sursis à statuer sur la juridiction d’appel, voire sur la juridiction de cassation.

Ces dispositions apparaissent comme reposant sur un juste équilibre, pour la bonne administration de la justice, entre tous les intérêts en présence. On ne peut pas se dispenser de répondre aux procédures d’urgence engagées devant un juge : cela vaut pour le juge pénal, mais aussi pour le juge administratif – recours contre une décision de reconduite à la frontière, ou contre un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français.

Quant à la procédure applicable devant les juridictions, si un désistement de l’action ou un désistement de l’instance met un terme au procès, alors qu’une question de constitutionnalité a été soulevée, la question transmise à la juridiction suprême de l’ordre ou renvoyée au Conseil constitutionnel peut-elle encore prospérer ?

On peut penser que le désistement d’instance ou d’action rendra sans objet l’exception d’inconstitutionnalité. C’est, du moins, la solution qui a été jusqu’à présent retenue pour les demandes d’avis posées, en application de l’article L.113-1 du code de justice administrative, sur les « questions de droit nouvelles présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ».

Nous considérons qu’un désistement engagé devant le tribunal administratif ou la cour d’appel rend sans objet la demande d’avis déposée devant le Conseil d’État, et que, mutatis mutandis, il devrait rendre sans objet une exception d’inconstitutionnalité qui transiterait par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, ou serait même arrivée au Conseil constitutionnel. Encore faut-il que la juridiction saisie initialement ait effectivement pris acte du désistement.

La dispense du ministère d’avocat devrait-elle s’appliquer en toute hypothèse à cette question de constitutionnalité ? Il appartiendra au pouvoir réglementaire, en application de la hiérarchie des normes, de préciser les règles applicables au ministère d’avocat. Celles posées en matière de demande d’avis contentieux d’une juridiction au Conseil d’État apparaissent légitimement transposables. Ainsi, en vertu de l’article R.113-2 du code de justice administrative, « si la requête dont est saisie la juridiction qui a décidé le renvoi est dispensée du ministère d’avocat devant cette juridiction, la même dispense s’applique à la production des observations devant le Conseil d’État ; dans le cas contraire, et sauf lorsqu’elles émanent d’un ministre, les observations doivent être présentées par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. »

Je crois nécessaire de maintenir le monopole de l’ordre des avocats aux Conseils pour examiner devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation les questions de constitutionnalité. Cette nouvelle procédure ne saurait conduire à remettre en cause, sur un point particulier, les conclusions d’ensemble qui ont été récemment apportées à ce débat par le rapport Darrois. Les remettre en cause ponctuellement reviendrait à les remettre en cause totalement, et il en résulterait certainement des conséquences inacceptables pour les cours suprêmes.

Concernant la question de la composition de la – ou des – formation du Conseil d’État chargée d’exercer le filtre, nous ne sommes pas favorables à une formation spéciale : le droit commun prévu par l’article L.122-1 du code de justice administrative s’appliquera. L’exception d’inconstitutionnalité pourra être soumise, selon sa difficulté, à une sous-section jugeant seule, soit trois juges, aux sous-sections réunies, soit neuf juges, ou encore à la section ou à l’assemblée du contentieux, soit quinze ou dix-sept juges.

Par ailleurs, la motivation de la décision de transmission au Conseil d’État ou de renvoi du Conseil d’État au Conseil constitutionnel apparaît nécessaire. Elle est destinée à rendre compte de ce que les conditions fixées par la loi organique sont effectivement remplies. Une possibilité de reformulation de la question ne saurait être exclue dans la seule perspective de lui donner une interprétation d’effet utile.

Je n’exclus pas qu’il puisse y avoir, au stade du Conseil d’État comme au stade du Conseil constitutionnel, une reformulation. Si je l’excluais, le principe de réalité m’apporterait un démenti cinglant. Nous avons plus de cinquante ans d’expérience des questions préjudicielles devant la CJCE et entre les ordres de juridiction. Le juge auquel on s’adresse a le droit de se saisir de la question posée ; il peut parfois répondre au-delà. D’ailleurs, depuis un arrêt de décembre 2006, le Conseil d’État reconnaît l’autorité de la chose interprétée aux décisions de la CJCE qui statue au-delà même de la saisine faite par le juge français.

Enfin, la présentation contradictoire des observations des parties ne risque-t-elle pas de transformer la question de constitutionnalité en un litige incident ?

Les délais limités dans lesquels s’inscrit la procédure, tant devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation que devant le Conseil constitutionnel, sont de nature à atténuer les risques de dérive du procès.

M. Jean-Jacques Urvoas. L’examen de la question préjudicielle suppose que trois conditions soient réunies : que la disposition contestée commande l’issue du litige ; que la question n’ait jamais été tranchée par le Conseil constitutionnel ; que la contestation soit « sérieuse ». Cette dernière condition ne vous semble-t-elle pas superfétatoire ? Ne faudrait-il pas s’assurer que la contestation est sérieuse avant que le Conseil ne soit saisi ?

Je m’interroge également sur la force juridique des décisions du Conseil constitutionnel. Par principe, ses décisions s’appliquent à toutes les juridictions. Comment qualifieriez-vous une décision du Conseil constitutionnel saisi d’une question préjudicielle ?

M. Jean-Marc Sauvé. La condition du sérieux est formulée dans des termes différents devant le juge du fond et devant la Cour de cassation et le Conseil d’État : devant le premier, la question ne doit pas être « dépourvue de caractère sérieux » ; devant les seconds, il faut « une question nouvelle ou une difficulté sérieuse ».

Il me semble que les conditions prévues à l’article 23-2 du projet de loi constitutionnel sont cumulatives. Qu’une seule condition ne soit pas satisfaite, et la juridiction initialement saisie devra ne pas donner suite à la question qui lui est posée.

Le renvoi au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation ou par le Conseil d’État est possible, selon l’article 23-4, « dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ». J’aurais tendance à penser que l’ordre de présentation n’a pas d’importance, dans la mesure où les conditions posées sont cumulatives et non alternatives.

Quant à la force juridique des décisions du Conseil constitutionnel, il convient de se reporter à l’article 62 de la Constitution. La censure d’une disposition législative a un effet erga omnes. Elle s’impose à l’ensemble des juridictions – juridictions du fond et juridictions suprêmes de chaque ordre.

Si les décisions du Conseil constitutionnel n’avaient pas cette autorité, nous serions amenés à poser des questions à répétition. Au demeurant, les dispositions du texte de la Constitution qui n’ont pas été modifiées par la loi du 23 juillet 2008 nous paraissent suffisantes.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le vice-président du Conseil d’État, je vous remercie pour la précision de vos réponses.

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Audition de M. Francis DELPÉRÉE, Vice-président du Sénat de Belgique,
professeur de droit constitutionnel à l’Université Catholique de Louvain.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je souhaite la bienvenue à M. Francis Delpérée qui va pouvoir nous éclairer sur ce qui se passe chez nos amis et voisins belges.

M. Francis Delpérée, vice-président du Sénat de Belgique, professeur de droit constitutionnel à l’Université Catholique de Louvain. Je remercie l’Assemblée nationale et sa commission des Lois de bien vouloir accueillir un sénateur venu d’un pays voisin et ami, et, surtout, un professeur d’université qui a rédigé sa thèse ici à Paris, voilà quarante ans, sous la direction d’un éminent publiciste, Marcel Waline, membre du Conseil constitutionnel, ce qui nous amène tout droit à notre débat.

La pratique belge depuis 1984, soit depuis vingt-cinq ans, de la justice constitutionnelle et de la technique de la question préjudicielle, s’apparente, dans une large mesure, à celle de la question de constitutionnalité qu’instaure la loi constitutionnelle française de 2008. Le système est cependant différent dans la mesure où ni la Constitution ni la loi belge n’organisent un système de filtre par l’intermédiaire de la Cour de cassation ou du Conseil d’État. En Belgique, le juge de paix, le tribunal d’instance ou encore un juge administratif peut saisir directement la Cour constitutionnelle à l’occasion d’un litige.

En d’autres termes, le droit belge connaît le juge a quo et le juge ad quem la Cour constitutionnelle –, tandis que le droit français, s’il connaît également le juge a quo et le juge ad quem, instaure, entre les deux, un troisième juge dans la procédure de vérification de la constitutionnalité des lois. C’est plus compliqué, mais peut-être est-ce plus efficace.

À ce propos, permettez-moi de vous faire part de ma surprise à la lecture de l’alinéa 14 de l’article 1er du projet de loi organique sur le Conseil constitutionnel et relatif à l’article 23-2 de l’ordonnance : « La juridiction doit, en tout état de cause, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant, de façon analogue, la conformité de la disposition à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier lieu sur la question de la constitutionnalité … » A mon avis, ce n’est pas le juge du fond qui se prononce sur la question de constitutionnalité, mais le Conseil constitutionnel. Le juge du fond se prononce sur la question de savoir s’il est utile de poser la question de constitutionnalité, par l’intermédiaire de la Cour de cassation et du Conseil d’État.

J’en viens aux cinq questions générales que vous avez bien voulu me poser.

Concernant la réforme qui a été introduite en 2003 en Belgique, j’ai rappelé que la procédure de la question préjudicielle avait été introduite dans la Constitution dès 1980 et que la Cour constitutionnelle, appelée originellement Cour d’arbitrage, avait été installée en 1984. Elle a rendu ses premiers arrêts en 1985. Dès ce moment, le mécanisme de la question préjudicielle a été mis en œuvre. Aujourd’hui, plus de la moitié des recours – près de 60 % – qui aboutissent à la Cour constitutionnelle interviennent par le biais de la question préjudicielle

La loi spéciale du 12 avril 2003 ne modifie pas de manière radicale la procédure de la question préjudicielle telle qu’elle était initialement prévue. Elle corrige simplement, sur des points particuliers, la procédure en cours. L’obligation de saisir la Cour demeure le principe pour le juge judiciaire ou administratif. Mais plusieurs aménagements ont été apportés sur des points particuliers. Nous nous sommes notamment rendus compte qu’il fallait établir des exceptions, dans le cadre des procédures caractérisées par l’urgence. S’il y a urgence, en particulier en matière répressive, le juge est dispensé de poser une question préjudicielle, sauf s’il existe un doute sérieux sur la constitutionnalité de la norme en cause.

Enfin, les Chambres législatives sont actuellement saisies de propositions visant à modifier la loi spéciale. Ces modifications s’inscrivent toutes dans une perspective précise : celle de l’harmonisation ou de l’articulation des contrôles de constitutionnalité et des contrôles de conventionnalité.

S’agissant du périmètre de la question de constitutionnalité et de la possibilité d’invoquer une « incompétence négative » du législateur à l’appui d’une question de constitutionnalité, tout dépend de ce que l’on entend par cette dernière formule.

Soit il s’agit de l’omission législative, à la portugaise : le législateur n’a pas statué dans un domaine particulier, et son silence pourrait prêter à critique au regard de la constitutionnalité. Il me semble, en qualité de parlementaire et de juriste, que la formulation même de l’article 61-1 de la Constitution exclut cette hypothèse. Le particulier doit en effet soutenir devant une juridiction qu’une disposition législative porte atteinte « positivement » à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit. Si les auteurs de la Constitution avaient voulu que soit sanctionnée l’omission du législateur, il aurait fallu formuler autrement le texte de l’article 61-1 en écrivant, par exemple, que : « s’il est soutenu devant une juridiction qu’une disposition législative ne s’inscrit pas dans le respect des droits et libertés que la Constitution garantit... ».  Porter atteinte, c’est attaquer, c’est violer. La notion d’atteinte a un aspect « interventionniste ».

Soit il s’agit du traitement différencié, mais en réalité discriminatoire, à la belge. Imaginez une loi qui règle le statut des agents des musées nationaux, mais qui ne précise pas celui des agents des musées municipaux. Le législateur ne devait-il pas traiter de la même manière des personnes qui remplissent des fonctions identiques ? La Cour constitutionnelle de Belgique examine ce genre de questions tous les jours. Il s’agit d’un contrôle d’égalité – ou de non-discrimination.

Comme le faisait remarquer M. Sauvé, le principe d’égalité – ou de non-discrimination – sera certainement le premier principe constitutionnel à être évoqué. Il permettra de passer au crible toutes les lois de la République.

En Belgique, le contrôle de constitutionnalité très limité n’a empêché personne d’introduire des recours devant la Cour constitutionnelle, ni les juridictions de poser des questions préjudicielles à ce sujet sur ce seul critère de l’égalité.

La question de la priorité entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité est sans doute la plus importante, compte tenu des développements actuels du droit belge.

À titre d’information, le Sénat de Belgique a voté, il y a un an, une loi spéciale – vous parleriez de « loi organique » – réformant la procédure devant la Cour constitutionnelle. Le projet a été transmis à la Chambre des Représentants qui l’a amendé, non sur le fond mais sur la forme. La Commission des réformes institutionnelles du Sénat l’a examiné jeudi dernier et a marqué son accord sur les amendements proposés par la première Chambre. Je viens de rédiger le rapport sur cette nouvelle loi. Le texte devrait être adopté au Sénat jeudi prochain, et publié au Journal officiel dans les premiers jours du mois de juillet. Je le tiens à votre disposition. Vous pourrez constater que nous ne sommes pas très loin des préoccupations exprimées dans le projet qui est soumis à votre délibération.

Le Parlement belge organise, sans conteste, un droit de priorité pour les analyses de constitutionnalité par rapport aux analyses de conventionnalité. Pourquoi obliger le juge à poser une question de constitutionnalité plutôt que d’exercer proprio motu le contrôle de conventionnalité ? J’ai essayé de l’expliquer lors du cinquantième anniversaire du Conseil constitutionnel, en novembre dernier : sans cet ordre de priorité, le juge du fond risquerait de se trouver devant un dilemme.

Un jour le justiciable lui demandera de lire l’article 55 de la Constitution et de pratiquer lui-même le contrôle de conventionnalité, en s’alignant sur la jurisprudence de Luxembourg ou de Strasbourg, sans tenir compte de la Déclaration de 1798, ni du Préambule, ni des textes constitutionnels, ni de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le lendemain, le même justiciable lui conseillera plutôt de lire l’article 61-1 de la Constitution et de demander au Conseil constitutionnel, par l’intermédiaire du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, de pratiquer le contrôle de constitutionnalité, en s’alignant sur Paris et en ignorant superbement Luxembourg et Strasbourg.

Qui dit que, le surlendemain, le même justiciable ne lui suggérera pas de pratiquer une lecture combinée des articles 55 et 61-1 de la Constitution, et qu’il ne l’invitera pas à une interprétation syncrétique des jurisprudences de Luxembourg, de Strasbourg et de Paris ?

De manière plus subtile, le juge peut être tenté, après avoir décelé un problème de constitutionnalité, de se dispenser de suivre la procédure – il ne saisit pas le Conseil d’État ou la Cour de cassation, il ne s’adresse pas, par leur intermédiaire, au Conseil constitutionnel – et décider de trouver, dans la jurisprudence internationale, toutes les réponses aux questions de constitutionnalité qu’il se posait.

Autrement dit, il faut éviter de donner des échappatoires au juge judiciaire ou au juge administratif. C’est la raison pour laquelle je me suis permis de dire qu’il convenait d’installer des poteaux indicateurs, et même des signaux de priorité sur les routes de France et d’Europe, en invitant le justiciable, et le juge auquel il s’adresse, à emprunter la voie constitutionnelle avant la voie conventionnelle. Le texte belge disposera que « la juridiction est tenue de poser "d’abord " à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle sur la compatibilité avec la disposition du titre II » relatif aux droits et libertés. Le texte dont vous êtes saisi ne fait qu’utiliser d’autres mots.

Par ailleurs, lorsqu’une disposition législative suscite à la fois une question de constitutionnalité et une question de contrariété au droit communautaire, comment peut se régler la priorité entre ces deux questions ? Le problème est d’autant plus important que, dans ses développements prévisibles, le droit européen ne manque pas de se référer aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’il contient une Charte des droits fondamentaux dont les dispositions recoupent sur des points essentiels les dispositions de nos textes constitutionnels.

Je vous livrerai ici trois éléments de réflexion à l’origine du droit belge, de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la jurisprudence du Conseil d’État de Belgique.

Premièrement, la loi qui sera adoptée dans deux jours à Bruxelles mentionnait, dans sa version originelle, l’hypothèse du concours de deux questions, l’une de constitutionnalité, l’autre de conventionnalité. Le Conseil d’État a fait remarquer que la notion de « conventionnalité » ou de « droit conventionnel » était peut-être trop restrictive, en tout cas ambiguë, et qu’elle ne permettait pas de traiter de toutes les questions du droit européen. On pouvait notamment se demander si le droit dérivé était concerné.

Pour répondre à cette remarque du Conseil d’État, le texte a été amendé, et il fait désormais référence aux dispositions « de droit européen ou de droit international ». Voilà qui est clair et cohérent. La Belgique n’est pas suspecte, juridiquement, d’anti-européanisme – je vous renvoie à l’arrêt Le Ski qui date déjà de 1971 et qui affirme la primauté du droit communautaire sur le droit national. Mais elle entend instaurer des règles de procédure aux fins d’ordonner de la meilleure façon qui soit le débat judiciaire. Le droit européen n’a pas un statut particulier par rapport aux autres dispositions de droit international.

Deuxièmement, la Cour constitutionnelle de Belgique pratique volontiers ce qu’elle appelle la méthode « du tout indissociable » ou « de l’ensemble indissociable ». Elle ne vérifie pas la conformité des lois avec les dispositions du droit européen ou du droit international. Mais si un requérant ou un juge invoque devant elle la violation d’une disposition de droit constitutionnel, relative, par exemple, à la liberté d’expression, et, en même temps, la violation d’une disposition de la Convention européenne ou d’un pacte onusien sur le même sujet, la Cour prend en compte globalement l’ensemble de ces dispositions.

Elle utilise ce que j’ai appelé un mélangeur ou un mixer, en y mettant les dispositions de la Constitution, de la Convention, des pactes onusiens, créant une sorte de droit constitutionnel autonome et hybride de la liberté d’expression, avec tels principes et telles exceptions, ce qui ne sert pas la cause de la sécurité juridique. Je ne suis pas un adepte de la méthode du mélangeur, mais je reconnais qu’elle permet de résorber des conflits qui pourraient naître des différences d’appréciation portées sur le plan constitutionnel ou sur le plan conventionnel.

Je tire ma troisième réflexion de la jurisprudence du Conseil d’État de Belgique – et plus spécialement de ses chambres consultatives. Dans son avis du 3 mars 2009, celui-ci a soulevé le problème suivant : est-ce que l’ordre de priorité que nous voulons établir sur le plan national est acceptable d’un point de vue communautaire ? La CJCE ne risque-t-elle pas de condamner ce système au motif qu’il ne respecte pas la primauté du droit communautaire ?

Je me séparerai un peu du point de vue de M. Sauvé. Ce n’est pas pour moi une question de primauté, mais une question de priorité dans l’examen des procédures et des questions posées devant un juge.

En tant que juge, si l’une des parties au procès a développé devant moi des moyens de fond et l’autre un moyen d’irrecevabilité, je vais d’abord examiner la question de la recevabilité. Cela ne signifie pas que les questions de recevabilité sont plus importantes que les questions de fond.

En tant maintenant que juge administratif, si l’un des requérants fait valoir plusieurs moyens dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir – les uns de forme, les autres de fond – je connais, d’abord, des premiers, ensuite des seconds. Cela ne signifie pas que le vice de forme est plus important que le détournement de pouvoir.

En tant, à présent, que juge constitutionnel, si l’une des parties au procès constitutionnel invoque des moyens tirés de la violation de ses droits fondamentaux et soutient aussi que le législateur n’était pas compétent pour intervenir dans un domaine de compétences régionales, la Cour donne la priorité à l’examen des moyens tirés de la violation des règles de compétence. Cela ne signifie pas que les questions touchant aux droits fondamentaux sont secondaires.

Nous sommes ici devant ce que j’appellerai des règles de « méthodologie juridictionnelle ». Le législateur national a le droit d’établir de telles règles pour autant, bien entendu, qu’il n’exclue pas toute forme de contrôle au regard du droit européen. Me permettra-t-on d’utiliser cette image ? Sur la route encombrée des contrôles juridictionnels, le législateur a le droit d’instaurer des panneaux indicateurs, des signaux de priorité, des sens giratoires, voire des itinéraires obligés.

En d’autres termes, et comme l’exprime bien la loi belge, il y a lieu « d’abord » d’examiner les problèmes de constitutionnalité, et « ensuite » les questions de conformité avec les dispositions du droit européen. C’est un contrôle en deux temps qui est organisé. Ce n’est pas un contrôle exclusif qui est aménagé au profit du juge constitutionnel.

Cela nous ramène à la jurisprudence Simmenthal évoquée précédemment. Un tel système en deux temps ne porte-t-il pas préjudice au pouvoir des juges nationaux en les privant d’une saisine préjudicielle directe de la Cour de justice des communautés européennes sur la base de l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne ? Est-il compatible avec la jurisprudence Simmenthal qui condamne toute disposition d’un ordre juridique national (...) qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit communautaire ? L’arrêt en question dispose que l’efficacité du droit communautaire se trouverait menacée si l’existence d’un recours obligatoire devant la Cour constitutionnelle pouvait empêcher le juge national saisi d’un litige régi par le droit communautaire d’exercer la faculté que lui confère l’article 234 du traité de soumettre à la Cour de justice les questions portant sur l’interprétation et l’applicabilité du droit communautaire, afin de lui permettre de juger si une règle nationale est ou non compatible avec celui-ci.

Comme l’a relevé le Conseil d’État belge dans son avis du 3 mars 2009, rendu en assemblée plénière, « dès lors que les États maintiennent (...) la compétence de leurs juridictions de contrôler la conformité des règles de droit national au droit communautaire, la jurisprudence exposée ci-avant » – c’est-à-dire la jurisprudence Simmenthal – « ne semble pas leur interdire, non seulement de maintenir un contrôle de constitutionnalité, mais, en outre d’organiser un ordre d’examen des questions qui se posent au juge saisi spécialement de l’objet en commençant par l’examen de la compatibilité constitutionnelle de la règle nationale ».

Dans ce contexte, la formule retenue à l’alinéa 14 de l’article 1er du projet de loi organique – « sous réserve, le cas échéant, des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution » – me paraît problématique. Pourquoi ne pas préférer au terme « sous réserve » l’expression « sans préjudice » de l’article 88-1 ? Pourquoi « le cas échéant » qui est une locution floue ? Le terme « exigences » n’est-il pas trop fort ? La rédaction de cet alinéa me semble devoir être reconsidérée pour ne pas laisser penser que c’est le juge du fond qui se prononce sur les questions de constitutionnalité.

Concernant, enfin, la motivation des décisions de renvoi au Conseil constitutionnel et la reformulation des termes de la question, le renvoi, en droit belge, doit être motivé aux fins de définir aussi précisément que possible la saisine du juge constitutionnel et de faire apparaître de manière aussi claire que possible les questions de constitutionnalité soulevées. La loi spéciale du 6 janvier 1989 donne donc au juge constitutionnel la faculté de reformuler la question posée. Il arrive que le juge constitutionnel interroge le juge de renvoi sur tel ou tel point, par exemple, si une question préjudicielle qui lui a été soumise n’est pas tranchée au moment où la loi sur laquelle elle porte est modifiée par le Parlement.

M. Jean-Jacques Urvoas. À votre avis, une décision de non-renvoi au Conseil constitutionnel doit-elle être, elle aussi, motivée ?

M. Francis Delpérée. Bien entendu. Ma réponse est guidée par l’exigence que la question revête un « caractère sérieux ». Un exemple : comme un titre entier de la Constitution belge est consacré au droit de propriété, une partie à un litige, qui se trouverait en difficulté, peut être tentée d’invoquer la liberté d’expression pour gagner du temps. La question n’est manifestement pas « sérieuse ». À ce moment-là, le juge motivera son refus.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Il me reste, monsieur le vice-président, à vous remercier.

*

* *

Audition de M. Bertrand MATHIEU, Professeur à l’Université Paris I, président de l’Association française de droit constitutionnel.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. Bertrand Mathieu, ancien membre du « comité Balladur » sur la réforme des institutions et président de l’Association française de droit constitutionnel.

M. Bertrand Mathieu, professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, président de l’Association française de droit constitutionnel. Avant de répondre à vos questions, je souhaite vous dire à quel point je suis honoré d’intervenir sur un sujet aussi important pour un constitutionnaliste.

Le projet de loi organique contient deux enjeux essentiels.

Le premier est de rendre effective cette nouvelle voie de droit qui bousculera bien des habitudes et bien des conservatismes juridictionnels. Il faudra, pour l’imposer, fixer des règles précises. La réforme de 2008 visait un triple objectif : purger l’ordre juridique des dispositions inconstitutionnelles, permettre au citoyen de faire valoir les droits qu’il tire de la Constitution et assurer la prééminence de la Constitution dans l’ordre juridique.

Le second enjeu, souvent invoqué par les adversaires de la réforme, c’est la sécurité juridique. Ce contrôle nouveau sera confié à des magistrats et à des avocats qui, pour la plupart, maîtrisent mal le contentieux constitutionnel. Mais cela ne saurait servir de prétexte puisque le cas était le même lors de la mise en place du contrôle de conventionnalité. Or l’obstacle a été surmonté. Il convient néanmoins de limiter les possibilités de recours à des fins purement dilatoires.

Certaines des questions qui se posent seront résolues par la jurisprudence, notamment la question des droits et libertés qui peuvent être invoqués, ainsi que les objectifs de valeur constitutionnelle, en particulier l’incompétence négative du législateur qui pourrait être soulevée dans le cadre de l’application de la Charte de l’environnement.

Les domaines où la question de la constitutionnalité sera le plus souvent soulevée seront ceux où interviennent par exemple les associations de consommateurs ou de protection de l’environnement, parce qu’elles auront un intérêt évident à obtenir l’abrogation de la loi, plutôt que sa non-application dans un cas particulier.

Par ailleurs, il existe des principes spécifiques en droit français, comme la laïcité, mais aussi le principe d’égalité dont l’interprétation par le Conseil constitutionnel ne serait vraisemblablement pas exactement celle de la Cour européenne des droits de l’homme.

Le projet de loi articule de façon satisfaisante l’intervention des différentes juridictions devant lesquelles l’inconstitutionnalité peut être soulevée. Les procédures retenues ne privent à aucun moment le justiciable du droit à ce que la question de constitutionnalité soit posée. S’agissant des tribunaux arbitraux, mon expertise est assez limitée. Devant une autorité administrative, il n’est pas indispensable que le moyen puisse être soulevé puisque les sanctions qu’elles prononcent sont susceptibles de recours devant le juge. Il me semble nécessaire, au moins dans un premier temps, de ne pas bouleverser la logique du contentieux juridictionnel.

Les points qui doivent être réglés précisément par la loi organique renvoient à la séparation des ordres juridictionnel, administratif et judiciaire. Il faut donc éviter, autant que faire se pourra, les divergences entre le Conseil d’État et la Cour de cassation, qui seraient à la fois dommageables pour la sécurité juridique et difficilement compréhensibles pour les citoyens. La loi organique doit donc être précise de façon à favoriser une appréciation convergente de la procédure par les deux hautes juridictions.

En ce qui concerne le filtrage par les juridictions administratives et judiciaires, la juridiction d’abord saisie vérifiera que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, c’est-à-dire qu’elle est recevable, pour éviter des manœuvres dilatoires. Le Conseil d’État et la Cour de cassation s’assureront que ces conditions sont remplies, mais leur contrôle sera plus approfondi puisqu’ils détermineront si « la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ». Je suis personnellement favorable au caractère alternatif de ces deux conditions. Si l’on se contentait de la notion de difficulté sérieuse, on pourrait craindre que ni le Conseil d’État ni la Cour de cassation ne considèrent jamais qu’une question est trop sérieuse ou trop délicate qu’ils ne puissent la résoudre par eux-mêmes. La notion de question nouvelle a l’avantage de répondre à un critère plus objectif.

Une question importante, qui ne m’a pourtant pas été posée, concerne la formule selon laquelle le juge doit vérifier si la disposition contestée « n’a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ». La référence aux motifs et au dispositif est bonne dans la mesure où il fut un temps où les considérants du Conseil étaient très généraux. Mais je suis plus réservé sur la restriction apportée par l’expression « sauf changement de circonstances ». Cette condition renvoie à la question de l’office même du Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle a posteriori. La question fondamentale sera de savoir si le Conseil constitutionnel sera le juge de la loi ou de l’application de la loi. Au surplus, le changement de circonstances sera apprécié d’abord par le juge du fond puisqu’il sera chargé du contrôle de la recevabilité de la demande. Pour des raisons qui tiennent, d’une part, à l’autorité des décisions du Conseil, d’autre part, au respect de la compétence du législateur, c’est au législateur d’adapter la loi aux circonstances et non pas au juge. Dès lors, la dérogation ne devrait concerner que les changements de circonstances de droit, en particulier le changement du texte constitutionnel, et non le changement de circonstances de fait.

Dans le cas contraire, deux effets pervers sont à attendre. Premièrement, la condition deviendra purement formelle et les décisions du Conseil constitutionnel pourront être remises en cause systématiquement puisque les circonstances de fait ne seront jamais les mêmes. Deuxièmement, ce sera le juge de première instance qui sera saisi de la question. Dès lors, pour se prononcer, il examinera, outre le fait que le Conseil s’est déjà prononcé et le caractère sérieux de la question, si les circonstances ont changé depuis la décision du Conseil constitutionnel. Dans ce cas, l’office du juge de première instance sera considérablement modifié et c’est, non pas le caractère sérieux de la requête, mais le changement de circonstances de fait qui constituera un élément d’insécurité juridique. Il y a là un élément de désordre juridique dont les avocats s’empareront très vite.

Quant au caractère préalable et prioritaire de la question de la constitutionnalité, c’est une des conditions de réussite de la réforme. Le projet de loi organique apporte une réponse en prévoyant que la juridiction doit, « lorsqu’elle est saisie de moyens contestant, de façon analogue, la conformité de la disposition à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur la question de constitutionnalité, sous réserve, le cas échéant, des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution. »

Cette priorité s’impose pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle s’inscrit dans la triple logique de la réforme constitutionnelle. Si l’on admettait que le juge puisse examiner d’abord le respect de la conventionnalité, il pourrait donner satisfaction au fond au justiciable sans qu’il ne soit satisfait à aucun de ces trois objectifs. La question de la constitutionnalité est à la disposition du justiciable mais rien ne l’oblige à la poser. Mais si elle l’est, le juge doit répondre car on ne peut laisser sans réponse la demande d’abrogation formulée par le justiciable. Au surplus, dans le cas où il serait jugé que la question de constitutionnalité n’est pas nouvelle ou sérieuse, ou si la disposition est déclarée constitutionnelle, le juge pourra alors se prononcer sur la question de conventionnalité.

Enfin, sur un strict plan procédural, il est logique que le moyen aux effets potentiellement les plus radicaux soit privilégié. Si tel n’était pas le cas, les juges, plus familiers des normes conventionnelles, invoquant une identité parfois apparente avec les normes constitutionnelles, auraient tendance à privilégier la voie de la conventionnalité, faisant ainsi échouer la réforme.

Ainsi, les droits et libertés fondamentaux seront, si tel est le choix du justiciable, d’abord défendus dans l’ordre interne, et ce n’est que dans l’hypothèse où cette protection se révélerait insuffisante au regard des normes conventionnelles que la question serait posée à ce niveau, et sous réserve des dispositions inhérentes à l’identité constitutionnelle de la France.

Cependant, la rédaction retenue soulève trois problèmes.

Premièrement, la référence au moyen contestant de façon analogue la conformité à la Constitution et aux engagements internationaux de la France est ambiguë. S’agit-il du même principe ou d’un principe équivalent ? S’agit-il d’un principe apprécié dans sa reconnaissance nominale ou dans sa signification substantielle, laquelle peut diverger dans l’ordre juridique interne et dans l’ordre juridique européen ? Je pense, en particulier, au principe d’égalité. On pourrait considérer que c’est au regard de la disposition invoquée qu’il convient de se placer, et non au regard du moyen invoqué. Le contrôle est en effet un contrôle objectif qui vise l’éventuelle abrogation de la disposition contestée.

Deuxièmement, la référence à l’article 88-1 suscite des réserves. Sur un plan symbolique, au regard de la place spécifique que la Constitution accorde au droit communautaire, on peut comprendre que celui soit distingué du reste du droit international. Cependant, une telle distinction est susceptible d’engendrer plus de problèmes qu’elle n’en résout. Par exemple, au fur et à mesure de l’extension du droit communautaire, la Charte des droits fondamentaux pourra être invoquée mais aussi la Convention européenne des droits de l’homme, toutes deux étant considérées comme des principes généraux du droit communautaire.

Je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel relative au traité portant Constitution pour l’Europe qui vérifie la conformité du traité à la Constitution en prenant en compte le droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans cette hypothèse, on peut ruiner la priorité accordée à la question de constitutionnalité en réintégrant le droit de la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence évolutive et parfois constructive de la Cour européenne des droits de l’homme dans le droit communautaire.

Troisièmement, quelle est la portée qu’il faudra accorder à cette réserve ? L’article 88-1 doit-il être entendu uniquement dans le sens que lui donne la jurisprudence du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire qu’on ne peut pas invoquer l’inconstitutionnalité d’une loi qui transpose purement et simplement une directive, sauf à invoquer un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ? Si tel est le cas, la jurisprudence du Conseil suffit sans qu’il soit besoin de faire une telle réserve.

D’autre part, j’aurai la même appréciation que le Conseil d’État belge, mais en droit français, sur la jurisprudence Simmenthal, qui condamne un dispositif réservant à une autre autorité que le juge saisi le soin d’assurer le respect du droit communautaire. Le Conseil constitutionnel ne juge pas de la conformité de la loi au droit communautaire mais au droit interne. Par ailleurs, cette procédure ne prive pas le juge saisi de la faculté de se prononcer sur la conformité de la loi au droit communautaire alors même que le Conseil constitutionnel aurait jugé la loi conforme à la Constitution. Dans le cas d’une déclaration d’inconstitutionnalité, la question de la conformité au droit communautaire ne se poserait plus.

Enfin, rien n’empêcherait le juge de poser conjointement la question de constitutionnalité et de renvoyer une question préjudicielle au juge communautaire. Le problème sera facilement réglé puisque, dans les délais, le Conseil constitutionnel aura répondu avant la Cour de justice des Communautés européennes.

Personnellement, je serais partisan de ne pas faire référence à l’article 88-1. Il est bien évident que les mécanismes propres au droit communautaire joueront, ne serait-ce que par application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou de la jurisprudence communautaire, et l’absence de référence au droit communautaire ne paralyserait aucunement les procédures. En revanche, la référence spécifique au droit communautaire peut poser un problème d’interprétation : la portée dudit article limitée pour le moment à la transposition des directives va-t-elle au-delà ? D’où la question incidente : qui va en fixer les limites ? En outre, la référence à l’article 88-1 peut ruiner le système en réintégrant le contrôle de conventionnalité via celui du respect des droits fondamentaux.

Pour en revenir à la priorité, le projet de loi organique ne reprend pas cette disposition relative au caractère prioritaire de la question de constitutionnalité quand le Conseil d’État ou la Cour de cassation sont saisis soit en premier lieu soit à la suite du rejet de la question par le juge du fond. Faut-il y voir le souci de ménager la susceptibilité des deux cours régulatrices ? Mais, dans ce cas, il risquerait d’en résulter, selon la procédure suivie, une distorsion difficilement compréhensible aboutissant à des divergences de jurisprudence peu justifiables. Si le justiciable soulève la question la première fois devant la cour d’appel, la question de constitutionnalité sera prioritaire, mais si c’est devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, on ne sait pas ce qui va se passer. Sur un plan de pure logique, on ne peut pas comprendre la distinction.

S’agissant des délais, la question est partiellement traitée par le projet de loi. L’un des soucis essentiels pour la sécurité juridique, c’est de ne pas allonger excessivement les procédures. Il ne faut pas donner une prime aux justiciables qui voudraient faire traîner les choses. Le choix a été fait d’installer un double filtre, et le projet de loi prévoit que le Conseil d’État et la Cour de cassation doivent se prononcer dans un délai de trois mois à compter de la réception de la question et que le Conseil constitutionnel disposera lui aussi d’un délai de trois mois. À cet égard, la loi organique mériterait d’être complétée sur deux points.

En ce qui concerne le délai imparti à la juridiction saisie pour se prononcer, il faudrait utiliser une expression du type « sans délai ». En toute hypothèse, il conviendrait que la loi organique précise à la fois que ce délai doit être extrêmement bref et que cette question doit être résolue préalablement à toute autre. Les deux conditions sont inséparables car il ne s’agit pas que ce délai se rajoute à celui de la procédure.

Ensuite, rien n’est prévu dans le cas où la Cour de cassation ou le Conseil d’État ne se prononcerait pas dans le délai imparti. Il serait sans doute opportun de prévoir une transmission, d’office ou par les parties, au Conseil constitutionnel de façon à combler cette lacune.

Pour résumer, les questions importantes sont celles portant sur les circonstances de droit ou de fait, le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité et les délais. Ce sont trois conditions essentielles pour la réussite de la réforme.

Dans les circonstances actuelles, la motivation doit être favorisée à tous les stades, indépendamment de la teneur de la réponse.

M. Jean-Jacques Urvoas. Pourriez-vous, en faisant fi de votre position personnelle, nous exposer les critiques adressées au projet de loi par ses adversaires ? Par ailleurs, la création au sein de la Cour de cassation d’une formation spécialisée chargée du traitement des questions préjudicielles ne risquerait-elle pas de contribuer à la fragmentation de la Cour ?

M. Bertrand Mathieu. La réforme a fait l’objet de deux critiques.

D’une part, elle serait dangereuse pour la sécurité juridique en remettant en cause la constitutionnalité de la loi devant n’importe quel juge.

La critique est infondée pourvu que soient introduits des garde-fous. De toute manière, il existe un contrôle de constitutionnalité a priori de plus en plus efficace et il le sera d’autant plus que le Conseil aura à l’esprit la possibilité d’un contrôle a posteriori. On devrait ainsi aboutir assez rapidement à un nombre de contestations raisonnable. C’est précisément pour parer à cette critique que je suggère d’écarter le changement de circonstances de fait.

D’autre part, la réforme serait inutile dans la mesure où le contrôle de conventionnalité répond très bien aux besoins.

À mon sens, ce n’est pas vrai pour trois raisons.

Premièrement, la procédure nouvelle permettra d’obtenir l’abrogation de la loi, donc de purger l’ordre juridique au lieu de se contenter de suspendre l’application ponctuelle de la loi en cas de litige.

Deuxièmement, il est inouï que, dans un ordre juridique, on ne puisse invoquer d’abord la Constitution. Dans la plupart des pays européens, la Cour européenne est plutôt soulagée que le litige soit d’abord résolu au niveau constitutionnel. Il est logique de tenter de résoudre les contentieux d’après nos principes nationaux, quitte à se tourner ensuite vers le juge européen si la protection apportée se révèle insuffisante.

Troisièmement, il y a des principes spécifiques à l’ordre constitutionnel et il était aberrant que ces principes ne puissent être invoqués par le justiciable devant aucun juge.

Je me garderai d’une réponse tranchée à votre seconde question. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, que la question de constitutionnalité se banalise. Peut-être est-il nécessaire, dans un premier temps, de créer un organe spécialisé au sein de la Cour de cassation, mais la situation ne devrait pas perdurer car elle n’est pas cohérente. Elle conduirait à créer des sections spécialisées dans le principe de conventionnalité, dans le droit communautaire, etc.

M. Jean-Jacques Urvoas. Une telle disposition ne devrait-elle pas figurer, plutôt que dans une loi organique, dans une loi ordinaire ?

M. Bertrand Mathieu. En effet.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le Professeur, je vous remercie.

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Audition de MM. Thierry WICKERS, Président du Conseil National des Barreaux, ancien Bâtonnier de Bordeaux,
Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL, vice-président du Conseil National des Barreaux, bâtonnier de Paris,
Mme Marie-Aimée PEYRON, vice-présidente du Conseil National des Barreaux

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous accueillons à présent les représentants du GIE Conseil national des barreaux – Ordre des avocats de Paris – Conférence des bâtonniers.

M. Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux et ancien bâtonnier de Bordeaux. Les avocats ont un point de vue extrêmement positif sur l’intégration du contrôle de constitutionnalité dans notre droit. Il s’agit d’un progrès essentiel et nous souhaitons que la loi organique qui sera votée le rende effectif, pratique et en fasse une solution alternative au contrôle de conventionnalité qui reste jusqu’à aujourd’hui la seule échappatoire offerte au plaideur pour faire valoir ses droits fondamentaux que, paradoxalement, la Constitution lui garantissait. En permettant au plaideur de faire valoir d’abord la Constitution, le projet de loi organique remet sur sa base la pyramide de l’ordre juridique.

Toutes les questions aujourd’hui posées dans le cadre d’une exception – question préjudicielle et principe de conventionnalité – ont vocation à entrer dans le périmètre de la question de constitutionnalité : le principe d’égalité, la garantie de la liberté individuelle, le respect de la vie privée, les droits de la défense, le principe de nécessité, le principe de proportionnalité en matière pénale, le principe de la légalité des délits et des peines… S’y ajouteront les spécificités françaises, comme la Charte de l’environnement avec le principe de précaution et d’information, et des matières nouvelles qui sont en dehors du champ du contrôle de conventionnalité telles que le droit fiscal qui n’a jamais fait l’objet d’aucun contrôle d’aucune sorte. Tout ce qui concerne les droits de l’homme, l’environnement, le droit du travail et le droit des étrangers sera concerné par la réforme.

S’agissant de la possibilité d’invoquer l’incompétence négative du législateur à l’appui d’une question de constitutionnalité, il semble qu’il faille se référer à l’article 61-1 lui-même qui est légèrement restrictif. Ce dernier précise que la question de constitutionnalité porte uniquement sur l’atteinte « aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Il ne nous semble pas que les hypothèses dans lesquelles le législateur aurait refusé de faire application de la totalité de son pouvoir législatif entrent dans le champ des « droits et libertés ».

La présence du filtre, c’est-à-dire la vérification par la juridiction suprême que les conditions de transmission du dossier sont remplies, ne risque-t-elle pas de conduire à un « pré-jugement de constitutionnalité » ? Nous avons déjà beaucoup de cours suprêmes. Et voilà que va apparaître la cour suprême des cours suprêmes ! On peut imaginer qu’une juridiction suprême ne verra pas avec plaisir qu’elle n’est plus tout à fait aussi suprême…

Le risque existe et le texte s’efforce d’ores et déjà d’y remédier en prévoyant que le Conseil d’État et la Cour de cassation devront envoyer au Conseil constitutionnel copie de leur décision de ne pas le saisir. Cette disposition laisse augurer d’un dialogue des juges, peut-être informel. Le système proposé n’existe nulle part, ou plutôt n’existe plus nulle part car le filtre se transforme trop souvent en barrage. Si c’est le cas, l’objectif du législateur, qui est de permettre au citoyen de faire valoir les droits garantis par la Constitution, ne sera pas atteint. Pour nous, le risque existe.

Pour y parer, trois remèdes sont possibles : supprimer le filtre, ce qui remettrait en cause l’économie générale de la réforme ; faire le point après quelques années d’expérimentation ; enfin, prendre le plus de précautions possibles. C’est sans doute la voie la plus réaliste.

En ce qui concerne la priorité donnée au contrôle de constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité, elle se justifie par la différence fondamentale qui existe entre les deux : la décision rendue dans le premier cas s’applique erga omnes, alors qu’elle ne vaut qu’inter partes dans le second. Ne serait-ce que pour cette raison, la priorité se justifie. Mais il y en a d’autres : on remet la pyramide sur son socle en mettant la loi fondamentale au sommet de la hiérarchie alors qu’aujourd’hui, on est obligé de soulever la question de conventionnalité faute d’avoir accès au contrôle de constitutionnalité.

Il serait peut-être sage que la disposition qui encadre le mécanisme de transmission prévoie qu’elle se fasse sans délai. Il faut couper court à la tentation qui pourrait exister d’attendre que les choses se décantent, qu’une question de conventionnalité soit évoquée… Compte tenu de l’importance de l’enjeu, la priorité doit se traduire dans les textes et les procédures.

Dans l’hypothèse où un plaideur soulèverait simultanément une question de constitutionnalité et une question de conventionnalité, il faut éviter de laisser au juge du fond une trop grande latitude car on peut craindre qu’il ne fasse passer le domaine dans lequel il est compétent avant. Or la priorité doit être donnée au principe de constitutionnalité. À ce propos, l’expression « sous réserve des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution » – lequel renvoie à la primauté des traités –, nous paraît de nature à créer des difficultés, outre qu’elle n’est pas indispensable puisque le juge national respecte les règles du droit communautaire du fait de la supériorité du traité sur la loi. Tel qu’il est rédigé, le texte laisse entendre que le juge pourrait dans une certaine mesure jouer entre la constitutionnalité et la conventionnalité. Il serait, à notre avis, préférable de préciser « sans préjudice de l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne ». On éliminerait le risque, tout en obtenant le même résultat.

En ce qui concerne les sursis à statuer, il faut veiller à ne pas rajouter un délai supplémentaire. C’est pourquoi préciser que la transmission de la question de constitutionnalité doit être immédiate nous paraît important. La question du sursis ne devrait d’ailleurs se poser que si l’on a attendu le dernier moment pour soulever la question. Si le moyen est invoqué immédiatement, la juridiction compétente aura eu le temps de trancher avant la fin de l’instruction du dossier.

S’agissant de la dispense du ministère d’avocat, nous n’allons pas demander une extension de la représentation par avocat à cette occasion. Les règles de représentation s’appliqueront et il arrivera que la question de constitutionnalité soit soulevée par des parties qui n’auront pas recouru à l’assistance d’un avocat. En revanche, nous ne voyons pas pourquoi il faudrait imposer de recourir à un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Cela créerait une rupture dans l’organisation de la défense, qui n’a pas grand sens, d’autant que, en l’espèce, la compétence particulière de nos confrères relative aux moyens de cassation n’est pas transposable à cette question. Cela étant, le principal inconvénient résiderait dans le fait que vous encourageriez le phénomène auquel vous voulez mettre fin, à savoir le pas pris par le contrôle de conventionnalité sur le contrôle de constitutionnalité. Quand ils auront le choix, les justiciables préféreront soulever la question de conventionnalité plutôt que de faire appel à un avocat supplémentaire.

Vous avez envisagé le cas où, après avoir soulevé une question de constitutionnalité, les parties renonceraient à leur procès. Comme la décision s’appliquera erga omnes, il nous semble que la question, dès qu’elle aura été jugée recevable, doive être tranchée.

Les décisions de renvoi au Conseil constitutionnel doivent-elles être motivées ? Si la décision est positive, la motivation est en réalité contenue dans les mémoires. La motivation des refus de renvoi est encore plus essentielle, ne serait-ce que pour permettre un dialogue fructueux entre les cours suprêmes et comprendre les raisons du refus. Les décisions doivent donc toutes être motivées.

Vos dernières questions portent sur la procédure devant le Conseil constitutionnel lui-même. Le Conseil doit-il être tenu par les termes de la question qui lui a été renvoyée ? L’exemple de la procédure de saisine de la Cour de justice des communautés européennes conduit à penser que le Conseil constitutionnel doit pouvoir reformuler et requalifier la question qui lui a été posée. La question de constitutionnalité est au-dessus des parties ; l’objet est de trancher la difficulté, une fois celle-ci identifiée.

La possibilité pour le Conseil de recevoir les observations du Président de la République, du Premier ministre et des présidents des assemblées, à la manière du contrôle ex ante tel qu’il fonctionne aujourd’hui, nous paraît également s’imposer.

Enfin, le litige relatif au contrôle de constitutionnalité est par nature un litige incident. Le droit ainsi ouvert au justiciable de saisir une juridiction a pour objet de lui permettre de soulever la question de constitutionnalité non pas hors de tout contexte mais seulement à condition que, dans un litige pendant, lui soit opposée une disposition législative dont, à son avis, la constitutionnalité peut être discutée. Par nature nous sommes donc en présence d’un litige incident. Pour reprendre une expression utilisée par les économistes, ce litige présente cependant des caractéristiques particulières « d’externalité positive, » puisque la décision rendue par le Conseil constitutionnel va avoir des effets sur la société tout entière, ainsi que sur la totalité des plaideurs présents et à venir. En revanche, cela ne signifie pas que le Conseil constitutionnel tranche lui-même le litige au fond ; nous sommes bien en présence d’un litige au fond d’une part, d’un litige constitutionnel incident et autonome de l’autre.

M. Jean-Jacques Urvoas. Mes deux questions portent sur l’interprétation du texte. L’alinéa 6, qui modifie l’article 23-1 de l’ordonnance portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, commence ainsi : « Devant les juridictions relevant du Conseil d’État… ». Cette rédaction signifie-t-elle que la question préjudicielle de constitutionnalité pourrait être soulevée devant une autorité administrative qui serait une juridiction au sens de la Convention européenne des droits de l’homme ?

Selon vous, l’ordre dans lequel sont énoncées les trois conditions prévues par l’article 23-2 pour la transmission de la question par la juridiction a-t-il un sens, ou pourrait-il être interverti ? Autrement dit le troisième point, qui porte sur le caractère sérieux de la question, a-t-il un caractère lui aussi prioritaire ou seulement cumulatif ?

M. Thierry Wickers. Sur le premier point, j’ai le sentiment que si les décisions des autorités administratives que vous avez mentionnées sont insusceptibles de recours, l’article 23-1 prive le justiciable de la possibilité de soulever cette exception d’inconstitutionnalité. Si en revanche elles sont susceptibles de recours, la réponse est inverse. À mon sens, il n’existe pas d’autorités de ce type dont les décisions soient insusceptibles de recours juridictionnel.

Il est logique que la première question mentionnée à l’article 23-2 soit posée en premier. Le contrôle de constitutionnalité ne s’exerce pas dans l’absolu, mais à propos d’un litige particulier, sur un point qui doit avoir un intérêt pour la solution du litige, voire en commander l’issue. Le juge est là pour trancher, non pour donner des avis.

À mon sens la deuxième question, qui est celle de l’autorité de la chose jugée, est également à sa place. Il est de la responsabilité du juge du fond de vérifier que la question qui lui est posée n’a pas déjà été tranchée.

En conséquence, le caractère sérieux doit être vérifié en troisième et dernier lieu.

M. Jean-Jacques Urvoas. De ce fait, la vérification du caractère sérieux n’est-elle pas inutile ?

M. Thierry Wickers. La deuxième question a trait à la nouveauté. Pour moi, elle ne tranche pas celle relative au caractère sérieux.

M. Christian Charrière-Bournazel, vice-président du Conseil national des Barreaux. En ma qualité de vice-président du CNB et bâtonnier de Paris, je suis en accord avec le président Wickers.

Je voudrais simplement souligner, après lui, trois points. D’abord la question n’est pas préjudicielle mais préalable. La question d’inconstitutionnalité doit être examinée avant toute question d’inconventionnalité. C’est une affaire de sécurité juridique.

Ensuite, comme l’a dit le président Wickers, pour que la réforme ait toute sa portée, la recevabilité doit être examinée par le Conseil constitutionnel lui-même et non par l’une des deux hautes juridictions. À Strasbourg, la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas suspendue à une décision des juridictions internes ; on peut supposer qu’autrement elle serait rarement saisie.

En revanche, la création d’une commission d’accès, comme autrefois les chambres des requêtes à la Cour de cassation, ou d’une commission du Conseil constitutionnel chargée d’examiner le sérieux du litige incident, éviterait, nous en sommes certains, que le filtre ainsi créé ne devienne un « bouchon ».

Il ne faut pas instituer de monopole de représentation ou d’assistance au profit d’une catégorie d’avocats, ni d’assistance d’un avocat dans les matières où, sur le plan procédural, cette assistance n’est pas nécessaire, comme les domaines social ou pénal. Si un avocat a été suffisamment pertinent pour formuler une question qui mérite d’être posée au Conseil constitutionnel, il est capable d’en soutenir la présentation lui-même.

Le Conseil constitutionnel s’est déjà organisé pour entendre contradictoirement les avocats, lire leurs mémoires et entendre leurs explications. Si en revanche la partie veut renchérir le coût de son procès et faire appel à un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, personne ne s’y opposera ; il n’y a pas de monopole. De la même manière, si une partie, dans une affaire où elle est dispensée d’assistance d’avocat, veut poser elle-même, sans avocat, sa question devant le conseil des prud’hommes ou la juridiction pénale et la soutenir tout au long de la procédure, elle doit pouvoir le faire.

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Messieurs, je vous remercie.

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Audition de M. Jean-Claude COLLIARD, Président de l’Université Paris I,
ancien membre du Conseil constitutionnel.

M. le président Jean-Luc Warsmann. J’ai le plaisir d’accueillir maintenant M. Jean-Claude Colliard, président de l’Université Paris I, ancien membre du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Claude Colliard, président de l’université de Paris I, ancien membre du Conseil constitutionnel. Monsieur le président, pour un constitutionnaliste, pouvoir apporter sa pierre à l’élaboration d’une loi sur la saisine du Conseil constitutionnel est une grande satisfaction.

Le questionnaire que vous avez bien voulu me transmettre couvre à peu près l’ensemble des sujets que je souhaitais soulever. J’ajouterai cependant in fine quelques observations.

Quels sont les principes constitutionnels les plus susceptibles d’être soulevés ? Cette première question est la plus difficile. Au début de la mise en œuvre de la loi, l’imagination risque d’être très grande. Je m’attendrais assez volontiers à ce que le principe d’égalité, déjà très largement utilisé, soit le premier à être mis en avant. La liberté individuelle aussi devrait être largement invoquée. Ce concept est en train de se renforcer, de prendre plus de contenu ; une manifestation récente en est la censure de la loi HADOPI. Le juge constitutionnel est allé au-delà de ses analyses habituelles en matière de liberté de communication. Il en ira sans doute de même pour d’autres libertés.

Les droits de la défense devraient aussi être invoqués. Cependant le rôle du procureur a été renforcé par nombre de lois récentes, évolution qui devrait d’ailleurs finir par susciter quelques questions auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, et même, peut-être, au regard de nos exigences internes.

La rédaction du texte permettra-t-elle d’invoquer une incompétence négative du législateur à l’appui d’une question de constitutionnalité ?

Le projet de loi prévoit que l’exception est admise lorsque la loi commande l’issue du litige. Même s’il est toujours possible de soutenir philosophiquement que l’absence de loi aussi peut commander l’issue d’un litige, j’ai du mal à imaginer que soit adressée au juge une demande de censure d’une loi qui n’existe pas. De plus, le Conseil constitutionnel a généralement refusé de considérer que l’absence d’une disposition souhaitable dans la loi pouvait entraîner son annulation. Les cas contraires sont très particuliers et exceptionnels, tel celui connu sous le nom d’« affaire des femmes corses » : nous avions alors exposé qu’il manquait une disposition législative, et qu’il appartiendrait au législateur d’y remédier à l’occasion de la discussion de la prochaine loi sur l’Assemblée de Corse.

Je ne pense donc pas que l’idée de l’incompétence négative puisse prospérer.

Il faut souligner la difficulté d’établir un catalogue précis des droits et libertés garantis par la Constitution. Le juge allemand connaît les droits constitutionnels couverts par le Verfassungbeschwerden, et le juge espagnol par la procédure d’amparo. Il est vrai qu’à l’occasion du référé liberté par exemple, nous avons constaté qu’un droit garanti par la Constitution, comme le droit à la santé, pouvait ne pas être considéré comme une liberté. Mais eu égard au caractère généreux et imprécis des limites fixées par le Constituant, je crains que le législateur ne puisse guère agir pour aider la jurisprudence. Établir cette liste sera pourtant l’une des premières tâches de celle-ci.

Exiger que la juridiction suprême saisie s’assure que la question soulevée est nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ne risque-t-il pas de conduire les juridictions suprêmes à un pré-jugement de constitutionnalité ? Je répondrai à cette troisième question par l’affirmative, bien sûr. C’est même le principal risque de cette réforme.

On peut penser qu’un filtre est souhaitable. En revanche, lorsqu’elle ne transmettra pas au Conseil constitutionnel la question préjudicielle, la juridiction suprême affirmera la constitutionnalité d’un texte et donc se conduira en juge de la constitutionnalité. Si le filtre fonctionne bien, dans la quasi-totalité des cas c’est le Conseil d’État ou la Cour de cassation qui déclarera que la loi n’est pas entachée d’inconstitutionnalité. Le principal risque de cette réforme est qu’elle aboutisse ainsi à un contrôle diffus par les juridictions suprêmes au lieu d’un contrôle centralisé par le Conseil constitutionnel.

Un tel risque pouvait, à mon sens, être évité. Lors des travaux relatifs à la révision constitutionnelle, j’avais suggéré de permettre au Conseil constitutionnel de se saisir d’une question de constitutionnalité. Selon moi, une telle procédure n’est pas incompatible avec le texte de la Constitution. Le Conseil constitutionnel est saisi sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Rien n’interdit donc de prévoir que lorsque ces juridictions sont saisies, elles en informent le Conseil constitutionnel. Ensuite, soit la cour suprême décide spontanément de transmettre, soit le Conseil constitutionnel demande à être saisi de la question.

Pour répondre maintenant à vos autres questions, instaurer une priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité est essentiel. Autrement, le juge du fond utilisera évidemment la procédure de l’exception d’inconventionnalité : il est habitué à la manier et n’a pas à attendre qu’une autre juridiction lui dicte sa conduite. La rédaction de l’arrêt comportera alors les termes « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la question de constitutionnalité ». L’exemple de la Belgique, qui a heureusement inspiré le législateur, est à cet égard significatif. La loi a dû être refondue justement parce que la procédure d’inconstitutionnalité n’était pas utilisée.

Ma réponse est la même pour les cas où une disposition législative suscite à la fois une question de conformité au droit communautaire et une question de constitutionnalité.

Votre Commission, si elle le souhaite pourrait peut-être se pencher sur quelques formules de la loi susceptibles de susciter des interprétations discutables. L’expression « de façon analogue », employée à l’alinéa 14 de l’article 1er du projet de loi organique, ne me paraît pas extrêmement et pertinente. Elle ne relève pas d’un vocabulaire pleinement juridique. Le juge pourra aussi toujours considérer que les contestations ne sont pas tout à fait analogues, et donc décider de traiter en priorité la question de conventionnalité.

Je trouve également un peu imprudente la formule « sous réserve de l’article 88-1 » de la Constitution. Elle risque de permettre au juge du fond, qui a mon sens souhaitera plutôt privilégier la question d’inconventionnalité, d’exciper à cette fin de la nécessité de respecter l’article 88-1. Or, nous ne connaissons pas exactement la portée de cet article. Sur ces bases, le Conseil constitutionnel a commencé à construire une théorie relative à la transposition des directives. Il n’est pas certain qu’elle le conduise à considérer que le droit communautaire l’emporte sur le droit constitutionnel.

L’idée que le respect de l’article 88-1 impose d’abord de traiter la conformité au droit communautaire, voire de poser la question préjudicielle porte le risque de l’affirmation d’une sorte de priorité du droit communautaire sur le droit constitutionnel national. Tel n’est certainement pas l’objet de ce texte ; sa philosophie est plutôt, au contraire, de donner au citoyen une arme en droit constitutionnel interne. Cette formule devrait donc être supprimée.

Si l’on veut maintenir un renvoi, pourquoi ne pas écrire tout simplement que la juridiction peut, au moment où elle transmet la question de constitutionnalité, soulever concomitamment la question préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes ? Compte tenu du faible délai prévisible du traitement de la question de constitutionnalité, la réponse sera fournie certainement avant celle de la Cour de justice des Communautés européennes. Dès lors, du temps aura été gagné dans le procès. La mention de l’article 88-1 me semble conduire à beaucoup de confusion.

S’agissant du désistement de l’instance, celui-ci entraîne selon moi le désistement sur la question de constitutionnalité : puisqu’il n’y a plus de litige, celle-ci ne commande plus l’issue de celui-ci.

Je suis cependant gêné par la formule « commande l’issue du litige » : à un citoyen qui expose au juge qu’une loi est anticonstitutionnelle, ce dernier pourra être amené à répondre que son analyse est probablement vraie, mais que la loi ne commandant pas l’issue du litige, la question ne sera pas posée. La philosophie de la réforme n’entraîne-t-elle pas un droit pour le citoyen à faire vérifier que la loi est bien constitutionnelle ?

Le texte du projet de loi organique est de ce point de vue sensiblement plus restrictif que celui de l’article 61-1 de la Constitution, qui permet de poser la question « à l’occasion d’un litige ». Certes, n’importe quel requérant d’habitude ne doit pas se voir permettre de soulever tout problème à toute occasion. Cependant, une formule plus respectueuse du texte de la Constitution telle que : « la disposition est en rapport direct avec le litige » devrait être trouvée. À mon sens, la réforme comporte l’idée que notre droit doit être purgé d’éventuelles inconstitutionnalités.

La motivation des décisions de renvoi est-elle souhaitable ? Quoi qu’il arrive, les décisions seront motivées. Il est difficile d’imaginer que le Conseil d’État renvoie un texte au Conseil constitutionnel pour inconstitutionnalité sans expliquer sur quoi porte celle-ci. Dès lors pourquoi ne pas prévoir celle-ci, à condition que le juge constitutionnel ne soit pas tenu par cette motivation, de façon à permettre de l’éclairer ?

À mon sens, les juridictions devraient pouvoir aussi reformuler les termes de la question. Cependant, ce point n’a pas grande d’importance. Le juge sera saisi du mémoire déposé par le plaignant. Si, par hypothèse invraisemblable, une juridiction dénaturait une question posée par un requérant, le Conseil constitutionnel, saisi des deux formulations, pourrait rétablir la question initiale.

Cela me conduit directement à l’examen de la question par le Conseil constitutionnel. Il est essentiel que ce dernier ne soit pas tenu par les termes de la question qui lui est renvoyée, et qu’il puisse la reprendre. Sans aller jusqu’à une théorie de la saisine d’office, le Conseil constitutionnel, puisqu’il est saisi d’une loi, doit pouvoir exposer en quoi elle est ou non conforme à la Constitution, sans être tenu par une vision qui pourra être un peu étroite de la disposition précise qui commande l’issue du litige.

Faut-il prévoir que des observations puissent être adressées au Conseil constitutionnel par le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des assemblées ? Tout ce qui va dans le sens du contradictoire est utile. Je n’y vois donc que des avantages. Je doute cependant que cette procédure soit employée autrement qu’exceptionnellement. Pour le Président de la République, c’est prendre le risque d’être désavoué. Les présidents des deux assemblées seront sensibles au fait que la loi est l’œuvre des Assemblées. C’est donc le Secrétariat général du Gouvernement, placé auprès du Premier ministre, qui devrait pour l’essentiel mettre en œuvre cette disposition.

Enfin, il semble inévitable que la présentation contradictoire des observations transforme la question de constitutionnalité en litige incident, dès lors que cette exception est introduite. Mais quelle importance ?

J’ajouterai à ces réponses quelques observations.

Le problème de la question de constitutionnalité soulevée directement devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation et qui est évoqué dans l’exposé des motifs doit être précisé. Il serait étrange que les conditions d’examen d’une question soulevée à l’occasion d’une saisine en matière de contentieux des élections cantonales, dont le juge de première instance est le tribunal administratif, ne soient pas identiques aux conditions d’examen d’une question soulevée à l’occasion d’une saisine en matière d’élections régionales, où c’est le Conseil d’État.

Par ailleurs, pourquoi l’alinéa 15 de l’article 1er fait-il état d’un délai de transmission de huit jours ? Une autre rédaction précisait « sans délai ». Puisque l’affaire est prête, que le mémoire a été déposé par les parties et transmis par le juge, ce délai de huit jours n’a pas de raison d’être.

Il faut aussi faire attention à un point assez délicat, le cas, prévu à l’alinéa 12 de l’article 1er de l’article 1er, où la disposition a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une disposition du Conseil constitutionnel. La formulation est prudente. Cette prudence est-elle suffisante ? La difficulté a pour origine une faiblesse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La rédaction du dernier considérant des décisions a varié dans le temps. À certaines époques, le considérant a couvert l’ensemble du texte, exposant que la loi déférée ne comportait pas d’autres inconstitutionnalités, et à d’autres non. La formule utilisée « sans qu’il soit besoin pour le Conseil constitutionnel de soulever d’autres questions de constitutionnalité » doit-elle être considérée comme validant la constitutionnalité de l’ensemble du texte ? La réponse est plutôt négative. Le texte du projet de loi devrait comporter la mention « expressément conforme », de façon à faire apparaître que la disposition en question doit avoir été visée expressément et non pas par une des formules finales des décisions.

Enfin, le contrôle abstrait et le contrôle concret ne se confondent pas. Ainsi, une loi allemande avait disposé que lorsqu’un couple occupait ensemble un appartement, si le mari quittait le domicile conjugal, il devait continuer à en payer le loyer lorsque sa femme n’avait pas de ressources. Une telle loi, examinée dans le cadre d’un contrôle a priori, aurait été déclarée constitutionnelle. Le cas s’est vu cependant d’un couple où la femme a installé chez elle son amant ; le mari a quitté le domicile ; condamné à continuer à payer le loyer, il a formé un recours devant la Cour constitutionnelle. Celle-ci a déclaré la loi inconstitutionnelle à cause de ses conséquences dans le cas précis. Peut-être la fin de l’alinéa 12 de l’article 1er de l’article 1er du projet de loi pourrait-elle préciser « sauf changement de circonstances de droit ou de fait ».

En conclusion, la réforme est ambitieuse et utile. La loi organique sera décisive pour sa mise en œuvre. Elle comporte deux risques, la vider de son contenu et transférer le contrôle de constitutionnalité aux cours suprêmes existantes, ce qui n’est pas son but.

M. Jean-Jacques Urvoas. Entre question préjudicielle et question préalable, quel est le bon qualificatif ?

Le texte comporte la création au sein de la Cour de cassation d’une formation spécialisée. Cette disposition relève-t-elle vraiment d’une loi organique ? Ne serait-il pas plus prudent de l’insérer plutôt dans une loi ordinaire ?

M. Jean-Claude Colliard. Je n’ai pas l’impression que les expressions « question préalable », « question préjudicielle », « exception d’inconstitutionnalité » désignent des catégories fondamentalement différentes. L’appellation répandue aujourd’hui auprès des constitutionnalistes est celle de « question préjudicielle ». Dans la mesure où le point doit être tranché préalablement à l’examen du fond, l’expression de question préalable pourrait être également employée. Cependant, sans être spécialiste de ces procédures je pense que le terme de question préjudicielle couvre également cette hypothèse.

Le Conseil constitutionnel va être consulté sur la loi. Je crois me souvenir qu’il accepte qu’une loi organique comprenne des dispositions relevant de la loi ordinaire. S’il relève que tel est le cas, ces dispositions peuvent être modifiées par une loi simple. Pour ne pas être juridiquement très rigoureuse, cette technique ne présente pas d’inconvénients majeurs. Élaborer deux lois qui s’accompagnent, comme en matière de financement politique par exemple, compliquerait le calendrier parlementaire.

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Il me reste, monsieur Colliard, à vous remercier de votre intervention.

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Audition de Mme Anne LEVADE, Professeure à l’Université Paris XII.

M. le président Jean-Luc Warsmann. J’ai maintenant le plaisir de souhaiter la bienvenue à Mme Anne Levade, professeure à l’Université de Paris XII.

Mme Anne Levade, professeure à l’université de Paris XII. Je vous propose de reprendre dans l’ordre les questions que vous m’avez adressées, avant d’évoquer quelques points supplémentaires.

La première, qui portait sur les principes constitutionnels qui seraient le plus fréquemment invoqués par les justiciables, était rendue particulièrement difficile par son caractère prospectif. Je considérerai que ces principes sont les droits et principes constitutionnellement garantis.

Pour déterminer la réponse, trois séries d’éléments peuvent être prises en compte : des éléments normatifs, des éléments tenant aux personnes, enfin des éléments de droit comparé.

En droit normatif, la doctrine s’est parfois essayée à vérifier l’existence d’inconstitutionnalités latentes de textes qui pourraient être soumis à la question de constitutionnalité.

Ces textes sont de deux ordres. On peut supposer que certains textes, comme l’article L.7 du code électoral, seraient, au regard de la jurisprudence postérieure du Conseil constitutionnel, contraires à la Constitution. D’autres, comme la loi sur la sécurité quotidienne de 2001 ou le texte relatif au port de signes religieux distinctifs, n’ont pas fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel ; cette catégorie pourrait également susciter des velléités de questions de constitutionnalité. Le champ au fond est donc déjà considérable.

On peut légitimement s’attendre à ce que les personnes physiques et les personnes morales ne réagissent pas de façon identique à la question de constitutionnalité. Les personnes physiques pourraient assez logiquement soulever de telles questions en lien immédiat avec leur situation du moment en tant que justiciables, parties à un litige – autrement dit peut-être principalement des droits de procédure –, tandis que les personnes morales, des entreprises notamment, pourraient avoir intérêt à soulever des droits plus substantiels, comme le droit de propriété, la liberté d’entreprendre ou des droits issus de la Charte de l’environnement. Des justiciables ou requérant institutionnels pourraient quant à eux avoir intérêt, dans le champ économique et social, à voir abroger un texte de loi.

En revanche, le droit comparé ne permet pas vraiment d’illustrer ce que pourrait être notre pratique. Il n’y a pas d’autre État dans la même position que la nôtre, avec d’un côté un contrôle abstrait et de l’autre une question de constitutionnalité qui ne concerne que les lois et vise uniquement les droits fondamentaux. La comparaison avec des pays comme l’Allemagne ou l’Italie est donc forcément un peu aléatoire. Pour autant, là aussi les questions posées a posteriori sur les textes semblent avant tout concerner des droits de procédure, et seulement ensuite des points particuliers et beaucoup plus spécifiques, comme le respect de la vie privée, la liberté de conscience, la liberté religieuse. Le constat peut être aussi étendu à l’application de la conventionnalité et à la manière dont a pu être invoquée la Convention européenne des droits de l’homme.

Enfin, deux phases peuvent être légitimement prévues, une première où des textes, en vigueur peut-être depuis longtemps, donneraient lieu à des questions de constitutionnalité, puis une deuxième où ce sont les textes nouvellement promulgués qui pourraient donner lieu à ces questions de constitutionnalité. Dans cette deuxième phase, la situation pourrait être extrêmement variée : l’an dernier, en Espagne, sur 15 questions préjudicielles, 12 ont été posées sur un seul et même texte.

Après avoir indiqué que le texte du projet de loi organique prévoyait que la question de constitutionnalité devrait porter sur la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, votre deuxième question se déclinait en deux sous-questions, l’une sur les lois du pays de Nouvelle-Calédonie, l’autre sur l’incompétence négative.

La lecture des articles 61, 61-1 et 77 de la Constitution montre à l’évidence que le Constituant n’a pas entendu exclure les lois du pays de Nouvelle-Calédonie du champ d’application de l’article 61-1. Qu’elles ne soient pas mentionnées expressément dans le projet de loi organique n’empêche pas de considérer que la nouvelle procédure s’applique à elles.

Certes, l’article 77 renvoyant lui-même à une loi organique, le problème se pose de l’articulation entre les deux lois organiques, notamment sur l’étendue du contrôle et l’article 107 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, qui dispose expressément que les lois promulguées ne sont plus susceptibles de recours.

La difficulté est qu’aujourd’hui le contrôle a priori exercé par le Conseil constitutionnel est limité aux lois du pays soumises à deux délibérations ; à l’évidence, il n’y a pas de raison que l’article 61-1 se calque sur ce régime : raisonner ainsi aboutirait à considérer un peu paradoxalement que seuls les textes déjà soumis a priori au Conseil pourraient le cas échéant donner lieu a posteriori à une question de constitutionnalité.

Ensuite, il faudrait que l’article 107 qui indique que les lois du pays, lorsqu’elles entrent dans le champ de l’article 99 de la loi organique et sont donc de nature législative ne sont susceptibles d’aucun recours, soit modifié pour que la question de constitutionnalité puisse leur être appliquée.

L’incompétence négative devrait à l’évidence pouvoir être soulevée. Considérer qu’est ainsi dénommée l’obligation faite au législateur de ne pas rester en deçà de sa compétence peut amener à penser que cette notion aurait un lien avec la procédure et le pouvoir d’appréciation du législateur. Il n’en est rien : depuis qu’il l’a identifiée dans sa décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, le Conseil constitutionnel considère que l’incompétence négative est un moyen destiné à éviter des atteintes à des droits et libertés constitutionnellement garantis, qu’il appartient à la loi de sauvegarder.

À l’évidence, l’incompétence négative doit pouvoir être soulevée au même titre que tous les autres moyens susceptibles de contribuer à la protection des droits et libertés. Elle devrait pouvoir l’être par exemple en cas de manquement à l’obligation faite au législateur de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles Selon moi, il ne faut rien exclure de l’acquis du contrôle a priori ; la jurisprudence du Conseil constitutionnel a montré que les manifestations que pouvaient prendre les éléments de protection des droits fondamentaux étaient extrêmement variées.

La troisième question, délicate, porte sur les conditions posées à la fois à la transmission par le juge a quo puis au renvoi par les juridictions suprêmes qui me semblent soulever une difficulté. Trois conditions sont posées. Les deux premières sont communes aux juridictions. Quoiqu’elles ne soient ni l’une ni l’autre exemptes d’imperfections, elles ne posent pas de difficultés majeures. Je ne m’attarde pas sur la première, qui dispose que la disposition contestée commande l’issue des poursuites. La deuxième prévoit que la disposition contestée ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstance. Je la laisse aussi de côté.

En revanche, la troisième disposition traite différemment le juge a quo et les juridictions suprêmes. Le juge a quo doit vérifier que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; en revanche les juridictions suprêmes doivent vérifier que la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse.

La première différence est que le juge a quo apprécie la question et la juridiction suprême la disposition contestée. Cette différence ne renvoie pas seulement à une différence d’intensité, mais également de nature du contrôle.

La seconde différence est que, dans le premier cas, il suffit de vérifier que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, tandis que, dans le deuxième, il faut vérifier que la disposition pose une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse. On pourrait considérer que la question nouvelle serait plus objectivement appréciable et la difficulté sérieuse d’appréciation plus subjective. Néanmoins, dans certains cas, les juridictions suprêmes pourraient être tentées d’apprécier et même d’interpréter la jurisprudence du Conseil constitutionnel, voire leur propre jurisprudence, pour donner à leurs arrêts une portée montrant la présence ou non d’une question nouvelle. À ce stade, un précontrôle de constitutionnalité pourrait donc être instauré.

Cela dit, la notion de difficulté sérieuse comporte encore plus d’éléments subjectifs. On peut même imaginer qu’en face d’un élément apprécié comme une difficulté mais non qualifiée de sérieuse, le juge suprême puisse, en expliquant sans doute pourquoi cette difficulté n’est pas sérieuse, ne pas renvoyer. Pour moi, dès qu’il y a difficulté, il y a question potentiellement nouvelle. Ces distinctions sont donc à mon sens un peu trop raffinées et présentent par là un risque.

Le recours au droit comparé est ici éclairant : en Allemagne, une distinction et un filtre de même nature avaient été instaurés. Dès 1956, il a fallu renoncer à cette procédure, du fait des difficultés survenues non seulement entre la juridiction suprême et la Cour constitutionnelle, mais aussi entre les juridictions suprêmes et les juges a quo, en désaccord sur ce qui pouvait être considéré comme une question sérieuse. Tous les États qui ont adopté la question préjudicielle s’en sont tenus à une formule plus neutre.

Il faut donc envisager d’autres formulations. Il serait, me semble-t-il beaucoup plus clair d’insister sur le fait que si le juge a quo doit vérifier que la question est sérieuse, c’est uniquement parce qu’au terme d’un examen sommaire – les conditions de délai sont fixées par la loi organique – il doit pouvoir justifier la transmission de la question à la juridiction suprême. Il me semblerait assez opportun d’écrire que le juge doit vérifier, « à l’issue d’un examen sommaire », que la question n’est « pas dépourvue de caractère sérieux », ou plus simplement qu’elle n’est « pas manifestement infondée ».

En revanche, la rédaction à l’usage des juridictions suprêmes, qui disposent de plus de temps, pourrait être : « la disposition contestée soulève une question nouvelle » ; elle ne réglerait pas la distinction entre question et disposition ; par contre, toute difficulté sérieuse est, me semble-t-il, une question nouvelle. Une autre possibilité serait que la juridiction suprême puisse se contenter de vérifier, ce qui serait amplement suffisant, que « la question présente un caractère sérieux » ; dans ce cas, elle serait sans doute moins fortement incitée à se livrer à un précontrôle de constitutionnalité.

S’agissant de la deuxième condition, je vous renvoie aux observations écrites que je vous ai remises.

Extrait des observations communiquées par Mme Anne Levade :

Sur la deuxième condition posée, tant au juge a quo qu’à la juridiction suprême, à savoir que la disposition « n’a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ». En l’absence de contrôle possible par le Conseil constitutionnel, plusieurs questions méritent attention : à partir de quand peut-on considérer que la disposition contestée a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision ? quid, en particulier du cas dans lequel l’inconstitutionnalité serait soulevée sur un fondement différent de celui qui a été examiné par le Conseil ? quid des lois organiques que le Conseil est supposé examiner en toutes leurs dispositions ? quid enfin de la situation dans laquelle l’application d’une loi dans une situation que ni le législateur ni le Conseil constitutionnel n’a prévue ou imaginée conduit à une évidente contrariété à la Constitution ?

J’en viens maintenant à la deuxième série de questions, sur l’articulation entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité, la distinction étant aussi faite entre le contrôle de conventionnalité en général et le cas particulier du droit communautaire.

Deux remarques préalables doivent être faites sur les termes de la loi organique relatifs à l’articulation entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité, autrement dit l’alinéa 14 de l’article 1er.

Cet alinéa me semble recéler deux incertitudes rédactionnelles. Il indique d’abord que le juge pourrait avoir à se prononcer dans l’hypothèse où seraient soulevées de façon analogue une question de constitutionnalité et une question de conventionnalité. L’expression « de façon analogue » me laisse perplexe. En effet, cette formule a priori rapidement compréhensible fait relever du juge a quo l’appréciation de l’analogie ; on peut aussi se demander quel devrait être le degré d’analogie. Faut-il que le même droit soit invoqué dans les deux questions ? Doit-il être invoqué rigoureusement dans les mêmes termes ? Faut-il qu’il y ait matière à poser une double question, question de constitutionnalité d’un côté, renvoi préjudiciel de l’autre ?

Le deuxième point, plus technique, mais qui me tient à cœur, est la réserve de l’article 88-1 de la Constitution. Que le juge doive examiner en priorité la question de constitutionnalité, sous réserve cependant des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution pose deux difficultés.

La première est de laisser ainsi supposer que l’article 88-1 offre un contrôle de conventionnalité. Ce n’est à l’évidence pas le cas. La jurisprudence du Conseil constitutionnel issue de sa décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 sur l’IVG l’affirme très clairement.

La situation dans laquelle le juge devrait se trouver n’est pas plus connue. Doit-il mener de front le double examen de la conventionnalité et de la constitutionnalité, ou au contraire, par exception, écarter le contrôle de constitutionnalité au profit du contrôle de conventionnalité ? Mais un contrôle au regard de l’article 88-1 relève encore du contrôle de constitutionnalité ! Le dispositif me semble d’une grande confusion.

La priorité constitutionnelle ne me paraît pas nécessaire. À la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi organique, elle ne semble pas s’imposer d’elle-même, notamment pas pour des motifs juridiques. Deux raisons sont invoquées, l’effet erga omnes de la déclaration d’inconstitutionnalité, qui conduira à l’abrogation de la disposition législative en vigueur, et l’inscription de cette priorité dans la volonté d’une réappropriation de la Constitution par les justiciables, exprimée par le pouvoir constituant lors de la révision. La seconde raison me paraissant à la fois subjective et conjoncturelle, je m’attacherai à la première.

L’effet erga omnes ne me semble pas à lui seul justifier la priorité. En effet, il n’existe pas à mon sens d’obstacle juridique à ce que soient menés de front les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité. Ils sont distincts, sur le plan procédural et du point de vue de leur objet. De plus, dans le cas du contrôle de constitutionnalité, le juge doit surseoir à statuer ; le justiciable pourrait très légitimement souhaiter que le litige soit tranché plus rapidement par le biais de la question de conventionnalité.

Pour ces raisons, la priorité me semble non seulement non justifiée, mais potentiellement contre-productive : dans la mesure où elle est conditionnée au fait que le juge soulève de façon analogue les deux questions, on pourrait tout à fait imaginer qu’à terme le parti soit pris de ne pas les soulever de façon analogue, ou encore de ne plus soulever que la question de conventionnalité, de manière à éviter justement le temps du traitement d’une question de constitutionnalité. La seule raison légitime, me semble-t-il, à l’institution de la priorité constitutionnelle est d’éviter au juge, habitué qu’il est au contrôle de conventionnalité, la tentation de purger l’inconventionnalité de prime abord de manière à ne plus avoir à poser la question de constitutionnalité. Cependant cette raison n’est ni suffisante, ni nécessaire.

Le droit communautaire pose des problèmes particuliers. Sont évidemment visées par les questions que vous m’avez posées les hypothèses d’incompatibilité entre la priorité de la question de constitutionnalité et l’arrêt Simmenthal rendu le 9 mai 1978 par la Cour de justice des Communautés européennes.

Aux termes de la jurisprudence Simmenthal, le juge national ne peut être contraint d’attendre une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité avant de procéder de sa propre autorité à l’application du droit communautaire et, le cas échéant, à un renvoi préjudiciel sur le fondement de l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne. Si la question est posée au juge communautaire de savoir quel est le contrôle qu’il faut d’abord exercer, il répondra bien sûr que c’est le contrôle de conventionnalité au regard du droit communautaire et qu’il faut d’abord saisir la Cour de justice des Communautés européennes, sans se préoccuper d’une éventuelle question de constitutionnalité, dépourvue de sens du point de vue de l’ordre juridique communautaire.

La rédaction de la réserve de l’article 88-1 dans le projet de loi organique me semble à cet égard poser vraiment problème. Si, en instituant la question de constitutionnalité, l’objectif de la réforme est de protéger les droits fondamentaux, décider d’y faire une exception, celle de l’article 88-1, est, dans le cas particulier du droit communautaire, reléguer ces droits au second plan. Cela ne me semble guère justifié. Le projet de loi organique mentionne également les exigences constitutionnelles de l’article 88-1. À ma connaissance cependant, le Conseil constitutionnel n’en a identifié qu’une seule, l’exigence de transposition des directives communautaires. Celle-ci constitue donc la seule exception, alors même que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, et, avec elle, celle de la Charte des droits fondamentaux, créera, si elle advient, des difficultés juridiques potentielles bien plus larges que celles qui concernent les transpositions des directives.

Pour toutes ces raisons, il me semble que la priorité constitutionnelle est non seulement injustifiée mais surtout dangereuse Une solution beaucoup plus simple pourrait être d’indiquer que le juge, confronté à une question de constitutionnalité et de conventionnalité, ne devrait pas écarter la première au profit de la seconde. En effet, deux cas de figure sont imaginables.

Le premier est celui de la conventionnalité en matière de droits fondamentaux, notamment en cas de saisine de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans ce cas, le juge peut tout à fait poser la question de constitutionnalité, et surseoir à statuer dans l’attente de la réponse, puisque pour saisir la Cour européenne des droits de l’Homme, il faut avoir épuisé les voies de recours interne. Après quoi, soit le Conseil constitutionnel abroge la loi, et dans ce cas la conventionnalité n’a plus lieu d’être contrôlée ; soit il ne l’abroge pas l’inconstitutionnalité n’est pas constatée et le contrôle de conventionnalité peut reprendre.

Le second est celui de la conventionnalité communautaire. Rien ne s’oppose à ce que le juge, confronté en termes analogues à une question de constitutionnalité et à une question de conventionnalité communautaire, utilise parallèlement les deux procédures à sa disposition. En effet, le délai de réponse de la Cour de justice des Communautés européennes à une question préjudicielle est en moyenne de 21,6 mois. Là encore, il est fort vraisemblable que le Conseil constitutionnel aura répondu à la question de constitutionnalité bien avant la réponse de la Cour de justice des Communautés européennes. Telles sont les raisons pour lesquelles l’examen simultané ne me semble pas poser de difficulté.

Une question délicate, mais que j’ai développée dans le document que je vous ai remis, concerne l’opportunité d’instituer la possibilité de soulever l’inconstitutionnalité d’office. Les obstacles à ce choix ne me semblent pas dirimants.

Extrait des observations communiquées par Mme Anne Levade :

Implicitement mais nécessairement, cette proposition pose aussi la question de l’opportunité d’envisager que la question de constitutionnalité puisse être soulevée d’office par le juge saisi d’une unique question de conventionnalité qu’il estimerait constitutionnellement transposable. Moyen d’ordre public, la question de constitutionnalité peut, aux termes du projet de loi organique, être soulevée « pour la première fois » « en cause d’appel » (art. 23-1) ainsi qu’« en cassation » (art. 23-5). Toutefois, moyen relevant de l’ordre public de protection, il ne peut, en principe, être soulevé que par le justiciable. Dans la mesure où, à notre connaissance, aucun principe de valeur constitutionnelle n’y fait obstacle, l’opportunité de prévoir que puisse être soulevée d’office une question de constitutionnalité mérite d’être posée, la solution ayant notamment été retenue par d’autres États.

S’agissant de la question relative au sursis et au déroulement de l’instance, en l’état actuel, le nombre et la nature des exceptions au sursis me semblent globalement satisfaisants et il ne me semble pas nécessaire d’en ajouter d’autres.

La dernière série de questions concernait la procédure devant les juridictions. Le désistement d’une procédure doit-il empêcher la question de constitutionnalité de prospérer ? Selon moi, la question de constitutionnalité est une question préjudicielle au sens strict : le juge qui statue n’est en effet pas le même que celui qui statue au fond. Dans ces conditions, si l’affaire se résout, il n’y a plus lieu d’attendre la réponse à la question de constitutionnalité.

Cette analyse est conforme à la nature de la question préjudicielle, à la première condition nécessaire pour que la question de constitutionnalité soit posée – autrement dit que la difficulté soit liée au litige –, à la pratique de toutes les instances maniant la question de constitutionnalité ainsi qu’à celle de la question préjudicielle devant la Cour de justice des Communautés européennes. Celle-ci a du reste révélé une difficulté, qui concerne la transmission de l’information sur le désistement. Il pourrait être judicieux que la loi prévoie les conditions dans lesquelles le juge a quo serait tenu d’informer les juridictions suprêmes puis le Conseil constitutionnel des conditions dans lesquelles l’affaire a été interrompue, afin que la question de constitutionnalité puisse être radiée du rôle ou qu’il soit déclaré qu’il n’y a plus lieu à statuer.

La question relative à la reformulation de la question de constitutionnalité est délicate. Dans les termes dans lesquels elle m’était posée, elle visait la question soumise au juge a quo et la question soumise au juge de renvoi, c’est-à-dire les juridictions suprêmes. Dans ma réponse, j’y ajouterai la question soumise au Conseil constitutionnel.

Je ne vois pas d’obstacle à ce que le juge a quo reformule la question. Pour autant, il doit statuer de manière sommaire. De plus, le projet de loi organique dispose bien que ce sont les requérants qui doivent, dans une requête distincte, formuler la question de constitutionnalité. Ces deux raisons m’incitent à penser que le juge devant rapidement examiner le caractère sérieux de la question, il n’y aurait pas vraiment de raison de prévoir qu’il la reformule, d’autant qu’on peut très logiquement penser que si, au terme de cet examen sommaire, la question devait être déclarée recevable puis transmissible, la juridiction suprême puis le Conseil constitutionnel pourraient procéder à la reformulation.

Les juridictions suprêmes doivent-elles pouvoir reformuler la question ? L’affaire est plus délicate. Elles pourraient ainsi se trouver en situation de procéder à un précontrôle de constitutionnalité : reformuler la question peut en effet amener à exposer qu’il n’y a pas de question nouvelle ni de difficulté sérieuse, ou à l’inverse aboutir à créer une question nouvelle ou une difficulté sérieuse. Je suis donc hostile à ce que la juridiction suprême puisse reformuler la question.

Il me semble en revanche nécessaire que le Conseil constitutionnel, lui, puisse le faire. Ce serait la garantie de l’effectivité et de l’efficacité du dispositif : le Conseil constitutionnel est la seule instance fondée à identifier les termes dans lesquels la disposition législative devrait le cas échéant être contestée en vue de son abrogation.

En conclusion, la reformulation paraît inutile à l’échelon du juge a quo, dangereuse à celui des juridictions suprêmes, mais en revanche indispensable à l’échelon du Conseil constitutionnel.

J’ajoute que, compte tenu des termes de la Constitution, le législateur organique ne peut pas revenir sur le point délicat du pouvoir pour le Conseil de rattraper, le cas échéant, une question de constitutionnalité qui lui aurait échappé. Le projet de loi organique comporte cependant une disposition indiquant que les décisions de non-renvoi lui seraient communiquées. Cette disposition laisse penser, sans l’affirmer, que le Conseil constitutionnel pourrait tenir compte de ces décisions au cas où il serait saisi d’une autre question de constitutionnalité, voire dans le cadre de son contrôle a priori.

Enfin, vous m’avez posé la question de la motivation des décisions. Celle-ci est évidemment souhaitable en ce qu’elle permet de montrer que les conditions que doit vérifier le juge a quo sont remplies : son travail de motivation sur ce point est normalement facilité par la requête déposée par le justiciable. Elle est aussi nécessaire pour éclairer les juridictions suprêmes et le cas échéant le Conseil constitutionnel sur les faits de l’affaire. Que le juge vérifie qu’ils sont bien établis me paraît indispensable : dans cette procédure, la question de constitutionnalité aura été révélée par l’application de la disposition législative. Les juridictions de renvoi, Conseil d’État et Cour de cassation, seront quant à elles nécessairement conduites à motiver. Pour garantir l’efficacité et l’effectivité du contrôle, il me paraît indispensable, pour qu’un bilan de l’application de la loi organique soit réalisé au terme des trois premières années d’application, comme l’exposé des motifs du projet de loi le prévoit, et pour que le justiciable soit éclairé, que les décisions de non-transmission ou de non-renvoi soient précisément motivées.

Enfin, plusieurs questions supplémentaires me paraissent centrales. J’insisterai sur le hiatus entre la Constitution et le projet de loi organique. Alors que l’article 61-1 de la Constitution vise le droit de tout justiciable devant une juridiction, le projet de loi organique ne mentionne plus que les juridictions relevant du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Sont donc exclues du champ du projet de loi organique des juridictions comme la Cour de justice de la République, le Tribunal des conflits ou la Cour supérieure d’arbitrage. Se pose aussi la question de la situation du Conseil constitutionnel juge électoral ou celle, très délicate, des juridictions d’arbitrage, ou que l’on peut qualifier comme telles.

Enfin se pose la question de l’articulation à prévoir avec les dispositions relatives à l’admission des pourvois en cassation, notamment devant le Conseil d’État. En effet celui-ci statue sur les demandes de pourvoi sans que le mémoire en réponse ait nécessairement été déposé. La décision d’admission peut donc être rendue avant que le mémoire en défense n’ait été présenté. Le défenseur peut donc alors se voir privé de son droit constitutionnel à contester la demande de pourvoi, ce qui peut l’amener à poser une question de constitutionnalité. Ce point de détail n’est pas négligeable

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Merci beaucoup, madame la Professeure, pour ces éléments de réponse.

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Audition de M. Didier LE PRADO, Président du Conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la cour de Cassation.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je souhaite la bienvenue à notre dernier intervenant, M. Didier Le Prado, Président du Conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la cour de Cassation.

M. Didier Le Prado, président du Conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. L’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ne peut que se réjouir de la possibilité désormais ouverte au justiciable par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de débattre, à l’occasion d’un procès, de la conformité des dispositions législatives à la Constitution : cette réforme permettra de faire entrer dans le champ du procès ordinaire les droits et libertés constitutionnellement garantis. Elle est la bienvenue puisqu’elle offre de nouveaux droits aux citoyens que nous représentons devant les deux Hautes juridictions.

La procédure prévue par le projet de loi organique doit être respectueuse à la fois de l’intérêt général et de l’intérêt du justiciable. Elle doit donc allier la rapidité et l’efficacité avec le respect des principes fondamentaux du procès. Le dispositif, tel qu’il est prévu par le projet de loi, respecte ces deux impératifs.

Je reste persuadé que sa mise en œuvre par les différents acteurs – Conseil constitutionnel, Conseil d’État et Cour de cassation, avocats aux Conseils, juridiction du fond et avocats auprès des cours et des tribunaux – se fera de façon harmonieuse et conforme à l’intérêt général ; cette réforme doit réussir et elle réussira.

En qualité de président de l’Ordre des avocats aux Conseils, je traiterai bien sûr davantage devant vous de la procédure devant le Conseil d’État et la Cour de cassation au regard de ces critères de célérité et d’efficacité, d’une part, de respect des principes fondamentaux du procès, d’autre part. J’évoquerai cependant dans un premier temps la procédure prévue en amont devant les juridictions du fond.

À cet égard, certaines des dispositions prévues dans la loi organique m’apparaissent nécessaires.

Je citerai d’abord l’exigence d’une formulation écrite et motivée de la question, même en cas de procédure orale : c’est sur cette question écrite et motivée que le Conseil d’État et la Cour de cassation, si elle lui est transmise, puis le cas échéant le Conseil constitutionnel, se prononceront.

Il en va de même de la possibilité d’invoquer une question d’inconstitutionnalité pour la première fois en cause d’appel : elle doit être ouverte le plus largement possible aux parties.

Il convient également de se féliciter des critères retenus – moyens opérants et non dépourvus de caractère sérieux – car ils sont suffisamment larges.

De même, si le projet prévoit que la loi ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, il faut réserver l’hypothèse des circonstances de fait ou de droit nouvelles.

Enfin, le fait que le recours ne pourra être formé contre la décision refusant la transmission que dans le même temps où il sera formé contre la décision au fond, n’appelle pas non plus d’objection : c’est un mécanisme classique en matière de cassation, puisqu’un arrêt avant dire droit ne peut être déféré à la Cour de cassation qu’en même temps que la décision au fond.

J’en viens à la question du sursis à statuer. Les dispositions du projet peuvent en la matière paraître complexes, mais elles sont indispensables : il est en effet des hypothèses dans lesquelles le juge du fond ne peut attendre six mois pour se prononcer et où il doit rendre une décision au moins provisoire ou conservatoire. En revanche, peut-être faudrait-il prévoir le sort des décisions juridictionnelles qui ont été prises malgré la transmission de la question de constitutionnalité, dans le cas où la loi aura été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel. Dans certains cas, l’instance ne sera plus pendante devant le juge ordinaire. Le législateur ne pourrait-il prévoir le sort de la décision rendue, en décidant, par exemple, qu’elle doit être annulée de plein droit ? Un tel mécanisme existe puisque l’article 625 du code de procédure civile précise que la cassation entraîne l’annulation de plein droit de toute décision juridictionnelle qui serait indivisiblement liée à la décision cassée. Il ne paraît pas opportun de laisser dans le paysage juridictionnel des décisions qui seraient contraires à celles rendues par le Conseil constitutionnel.

Quant à décider de la priorité entre une question de constitutionnalité et une question d’inconventionnalité, j’estime essentiel, en tant qu’avocat, que les plaideurs conservent leur entière liberté : tel plaideur pourra privilégier le moyen d’inconventionnalité, dans la mesure où le juge ordinaire pourra lui donner plus rapidement une réponse qui lui suffira ; tel autre pourra privilégier la question de constitutionnalité dans la mesure où, si elle entraîne un délai complémentaire de six mois, elle lui permet d’obtenir une décision dont la portée sera plus importante, puisqu’il s’agira de l’abrogation de la disposition contestée. Le plaideur doit rester maître des moyens qu’il invoque.

J’en viens maintenant à la procédure devant le Conseil d’État et la Cour de cassation.

Les questions de constitutionnalité pourront être soumises aux deux Hautes juridictions à trois occasions différentes : en cas de pourvoi formé contre un arrêt de refus de transmission, en même temps que contre la décision au fond ; à l’occasion d’un moyen soulevé pour la première fois devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation ; lors de la transmission de la question d’inconstitutionnalité par les juges du fond. Dans ces trois cas de figure, les parties pourront être représentées par un avocat aux Conseils.

Comme vous le savez, le Conseil d’État comme la Cour de cassation disposent d’un barreau spécifique dont les membres assurent la représentation obligatoire des parties devant ces deux Hautes juridictions, sauf exceptions prévues dans certaines matières – essentiellement le pénal et l’excès de pouvoir hors cassation –, étant précisé que même dans ces matières, il est couramment fait appel à un avocat aux Conseils.

Ce système est conforme à la directive 98-5 du 16 février 1998, qui permet aux États membres, selon un critère organique, de disposer d’un barreau dédié à leurs Cours suprêmes. Il a été consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui admet que la représentation des parties soit réservée à ce barreau attaché au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et que seuls ses membres puissent présenter des observations orales. Un tel système a été approuvé dans le récent rapport relatif aux professions du droit remis par M. Jean-Michel Darrois au Président de la République.

Dans les trois cas que j’évoquais à l’instant, dans lesquels les deux Hautes juridictions auront à se prononcer sur une question de constitutionnalité, la présence d’avocats aux Conseils permettra que l’instruction des dossiers devant les deux Hautes juridictions se fasse dans des conditions à la fois rapides, respectueuses des nécessités de bon fonctionnement de ces juridictions et du contradictoire, et permettant aux juridictions de se prononcer dans le délai de trois mois prévu par le projet de loi organique.

Dans les deux premières hypothèses, dans lesquelles le Conseil d’État ou la Cour de cassation se prononceront sur un pourvoi contre une décision de refus de renvoi ou sur un moyen soulevé pour la première fois devant eux, les deux Hautes juridictions statueront, si l’on est dans une matière qui n’est pas dispensée du ministère d’avocat, sur la base des mémoires que nous déposerons.

Dans la troisième hypothèse de renvoi par les juges du fond de la question préjudicielle, le Conseil d’État ou la Cour de cassation se prononceront sur la base des écritures déposées devant la juridiction du fond ; mais le justiciable pourra, s’il souhaite être spécialement représenté devant les deux Hautes juridictions, s’adresser à l’un de mes confrères qui déposera un mémoire et présentera, le cas échéant, des observations orales.

La procédure prévue par le projet de loi organique est très proche de la procédure d’avis prévue par l’article R.113-2 du code de la justice administrative et par l’article 1031-4 du code de procédure civile, procédure qui se déroule de la même façon et à la satisfaction tant des juridictions que des parties.

Je n’ai pas d’observation particulière sur les critères prévus par le projet de loi organique pour renvoyer la question au Conseil constitutionnel.

Il est important que le projet de loi dispose que la question de constitutionnalité puisse être soulevée pour la première fois devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation : comme je l’ai observé préalablement, la question de constitutionnalité doit être la plus ouverte possible.

Une observation toutefois : on peut se demander si le projet de loi doit interdire au Conseil d’État et à la Cour de cassation de soulever d’office le moyen d’inconstitutionnalité. La question de la constitutionnalité d’une loi relève d’un ordre public nouveau qui incorpore la protection des droits fondamentaux, et il est, à mon avis, de l’office du juge, s’agissant des deux plus hautes juridictions, de pouvoir soulever ce moyen, même si les parties ne l’ont pas soulevé, cela bien évidemment dans le respect du contradictoire. Pour autant, dans la mesure où il s’agirait d’une simple possibilité offerte au juge, le fait qu’il ne l’ait pas soulevée ne pourrait pour autant être assimilé à un brevet de constitutionnalité de la loi.

En définitive, la procédure prévue dans le projet de loi organique devant les deux Hautes juridictions permettra d’allier les exigences de célérité et de respect des principes fondamentaux du procès ; les avocats aux Conseils, en représentant les parties devant les deux Hautes juridictions, veilleront à donner à ce dispositif toute son efficacité.

Quelques mots, pour en terminer, sur la procédure devant le Conseil constitutionnel lui-même. Les modalités d’instruction du dossier seront précisées par le règlement intérieur du Conseil. Mais il sera bien entendu nécessaire, comme le prévoit le projet de loi, que soit respecté le principe du contradictoire. Peut-être la question se posera de savoir s’il est nécessaire de désigner un défenseur de la loi et dans quelle mesure des interventions pourront être admises devant le Conseil constitutionnel. Mais c’est là un point qui ne relève pas du projet de loi organique qui vous est soumis.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Pour la partie de la procédure se déroulant devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, à quel montant d’honoraires estimez-vous l’intervention de l’un de vos confrères ?

M. Didier Le Prado. Les avocats aux Conseils ont une tradition de modération d’honoraires. Dans cet esprit, je situerais le coût total de la procédure dans une fourchette allant de 2000 à 3 000 euros, sachant qu’une possibilité d’aide juridictionnelle est évoquée dans le projet de loi organique.

J’en viens à vos questions écrites.

Si les matières fiscale, pénale et douanière devraient être les domaines de prédilection des requérants pour soulever des questions de constitutionnalité, les principes constitutionnels les plus susceptibles d’être privilégiés par les plaideurs devant les juridictions du fond – principes d’égalité, de sûreté, de propriété, de laïcité, de liberté de l’enseignement supérieur,... – devraient être ceux dont on ne retrouve pas le doublon dans la Convention européenne des droits de l’Homme.

Quant à invoquer une incompétence négative du législateur à l’appui d’une question de constitutionnalité, une telle possibilité existera, du moins si cette incompétence négative entraîne une atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Elle pourra donc être invoquée, mais de façon encadrée.

S’agissant par ailleurs d’un risque de pré-jugement de constitutionnalité par les juridictions suprêmes, le juge, dans la troisième hypothèse procédurale que j’évoquais, c’est-à-dire lorsqu’il jouera son rôle de filtre, se trouvera dans une situation analogue, si ce n’est très proche, de celle dans laquelle d’autres questions préjudicielles peuvent être posées, par exemple à la Cour de justice des Communautés européennes ou au juge administratif par le juge judiciaire. Sa décision ne vaudra donc pas pré-jugement et ne liera en rien le Conseil constitutionnel dans le cas où la question lui serait renvoyée par le Conseil d’État ou par la Cour de cassation.

Pour ce qui est de l’ordre dans lequel les questions de constitutionnalité et de conventionnalité doivent être traitées, je suis pour ma part très attaché à la liberté de choix du plaideur. Les données sont différentes lorsqu’une question de priorité se pose entre une question de constitutionnalité et une question de contrariété au droit communautaire. Ce dernier constitue un ordre juridique autonome qui doit conserver sa primauté et si une question d’incompatibilité au droit communautaire est posée, elle doit prévaloir par rapport à la question de constitutionnalité.

Concernant le sursis à statuer en cas de transmission ou de renvoi d’une question, si son principe est indispensable, les exceptions prévues sont un peu complexes. Pour autant, il faut que, dans un certain nombre de cas de figure, le juge ordinaire puisse statuer. Peut-être faudra-t-il alors prévoir le sort de décisions devenues définitives alors que l’instance devant le juge ordinaire sera terminée.

J’ai déjà évoqué la question de la dispense du ministère d’avocat. On se trouve là dans une situation analogue à celle de la procédure d’avis. Le dossier déposé par l’avocat devant les cours et tribunaux est adressé au Conseil d’État ou à la Cour de cassation qui se prononcent sur la demande d’avis – au vu, le cas échéant, de mémoires particuliers déposés par des membres du barreau dédié à ces deux Hautes juridictions –, avant de revenir devant le juge ordinaire. Le parallèle peut également être fait avec la procédure devant le Tribunal des conflits : les mémoires y sont déposés exclusivement par les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et une fois que la question de procédure a été tranchée, l’affaire repart vers la juridiction ordinaire de l’un ou de l’autre ordre de juridiction, devant laquelle l’avocat qui suivait au fond le dossier reprend de nouvelles écritures. Il n’y a pas à envisager de particularité pour la représentation des parties devant le Conseil d’État et la Cour de cassation.

Par ailleurs, dès lors que l’instance est la chose des parties, il me semble que s’il y a un désistement devant la juridiction ordinaire et que cette dernière l’a constaté, le Conseil constitutionnel n’a plus lieu à statuer sur la question qui lui a été transmise par le Conseil d’État ou par la Cour de cassation. La procédure est d’ailleurs la même dans d’autres cas de questions préjudicielles, que ce soit devant la Cour de Luxembourg ou devant la juridiction administrative à la demande du juge judiciaire.

Les décisions de renvoi de la question au Conseil constitutionnel sont des décisions de justice et elles doivent à ce titre être motivées. Il s’agira bien évidemment d’une motivation au regard de l’existence ou de l’absence de difficulté sérieuse. Il faut que le justiciable sache pourquoi le juge a considéré qu’il y avait ou non difficulté sérieuse et donc pourquoi il y avait lieu ou non de transmettre la question au Conseil constitutionnel.

Il me semble que la possibilité pour les juridictions de reformuler les termes de la question ne devrait intervenir, devant le Conseil d’État et la Cour de cassation, que pour des raisons de clarté. Les deux Hautes juridictions ne peuvent à mon avis modifier la question qui leur est transmise par le juge du fond ni, bien évidemment, formuler une autre question. La même règle doit s’appliquer au Conseil constitutionnel. Encore une fois, nous sommes dans le cadre d’une instance qui est la chose des parties ; c’est sur la question qui a été filtrée et transmise par le Conseil d’État ou la Cour de cassation que le Conseil constitutionnel va se prononcer. Il pourra également la reformuler dans un souci de clarté mais sans pouvoir à cette occasion trancher une autre question.

Je suis favorable au fait de prévoir que, devant le Conseil constitutionnel, des observations puissent être adressées sur toute question de constitutionnalité par le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux assemblées. Le débat doit être le plus large possible, dans le souci de respecter le principe du contradictoire.

Enfin, la présentation contradictoire des observations des parties devant le Conseil constitutionnel est indispensable. Elle ne transformera pas pour autant la question de constitutionnalité en un litige incident. Il est naturel que toutes les parties au procès puissent présenter des observations, étant entendu – encore que la question ne se pose pas dans le cadre du projet de loi organique – que des interventions seront possibles devant le Conseil constitutionnel si celui-ci entend prévoir – ce qu’il conviendrait alors d’encadrer – une telle possibilité pour compléter encore les exigences du contradictoire.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie pour cette contribution à nos travaux.

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Audition de M. Nicolas MOLFESSIS, Professeur à l’Université Paris II

M. Dominique Perben, président. Mes chers collègues, je vous prie d’excuser le président Jean-Luc Warsmann qui a été retardé et m’a demandé de commencer notre série d’auditions. Nous avons tout d’abord le plaisir d’accueillir M. Nicolas Molfessis, professeur à l’Université Paris II-Assas.

Monsieur le professeur, nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation. Nous vous avons transmis une série de questions reflétant les préoccupations de la Commission des lois à propos du projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution. Je vous propose d’y répondre et de nous exposer votre vision de ce texte.

M. Nicolas Molfessis, professeur à l’Université Paris II-Assas. Permettez-moi, avant toute chose, de vous dire l’honneur que vous me faites en sollicitant mon intervention sur ce sujet, et ce d’autant plus que je suis professeur de droit privé. Votre initiative montre que le droit constitutionnel est en train de dépasser la frontière – pourtant si marquée dans notre système juridique – entre le droit public et le droit privé.

Cette frontière est toutefois encore présente dans le texte qui nous intéresse en ce qu’il présuppose, en quelque sorte, une infériorité de compétence de la Cour de cassation par rapport au Conseil d’État, si l’on en juge par l’instauration d’une formation spéciale, requise au sein de la première mais non du second.

L’exposé des motifs ouvrant le projet de loi organique place d’emblée la réforme opérée sous l’angle des droits des justiciables, en affirmant que la loi constitutionnelle a ouvert un droit nouveau à leur bénéfice. J’évoquerai d’abord un certain nombre de points sur lesquels le texte appelle une discussion avant de répondre plus explicitement aux questions qui m’ont été posées.

Tout d’abord, pourquoi imposer, comme critère du filtre opéré par la juridiction suprême saisie, que la question de constitutionnalité soulevée « présente une difficulté sérieuse » ? Ce critère est connu dans la procédure d’avis, mais il est ici inapproprié. À supposer que la disposition législative en cause soit de toute évidence inconstitutionnelle, la question soulevée ne présenterait pas de difficulté sérieuse, mais la transmission au Conseil constitutionnel serait d’autant plus justifiée. Au reste, si l’on prolonge le parallèle avec la procédure d’avis, qui est codifiée, c’est la question qui doit présenter une difficulté sérieuse et non, comme le prévoit la rédaction proposée pour l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constutionnel, la disposition législative critiquée. Au fond, qu’est-ce qu’une disposition qui « présente une difficulté sérieuse » ? Seul un problème, une question peut présenter une telle difficulté.

Au-delà, est-il si logique que les conditions de transmission au Conseil constitutionnel par la juridiction de cassation – Conseil d’État ou Cour de cassation – ne soient pas les mêmes que celles imposées au juge du fond ? Au vu de l’état actuel du projet, le juge du fond pourrait avoir raison de transmettre la question de constitutionnalité à la Cour de cassation, et celle-ci pourrait être tout aussi fondée à ne pas la transmettre au Conseil constitutionnel. En pratique, la distinction entre les critères actuellement prévue par le projet n’aura donc ni sens ni portée. Évitons donc d’avoir à nous interroger, par exemple, sur la nature d’une question de constitutionnalité qui ne serait pas « dépourvue de caractère sérieux » – article 23-2 – mais qui, pour autant, ne serait pas nouvelle – article 23-5. Il serait plus simple d’affirmer que le Conseil d’État ou la Cour de cassation saisit le Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues à l’article 23-2 sont remplies. Ce faisant, on réduirait d’autant le risque de « pré-jugement » de constitutionnalité dont il va être question tout à l’heure.

En troisième lieu, la référence à un « changement de circonstances » pour admettre que le juge puisse transmettre une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, quand bien même celui-ci aurait antérieurement déclaré la disposition en cause conforme à la Constitution, est ambiguë. On comprend que le texte vise l’hypothèse dans laquelle une réforme constitutionnelle serait depuis lors survenue, avec pour effet d’accroître la liste des droits et libertés à valeur constitutionnelle. On songe par exemple aux griefs d’inconstitutionnalité qui pourraient être formulés sur le fondement de la Charte de l’environnement à l’encontre de textes examinés antérieurement à son insertion dans la Constitution.

Mais un changement de jurisprudence de la part du Conseil constitutionnel – et il y en a beaucoup – constitue-t-il un « changement de circonstances » ? Et en est-il de même du changement dans l’interprétation de la loi par le juge ordinaire ? Il serait en réalité préférable de viser clairement ce que sous-tend la disposition, et à mon sens de faire référence à la seule hypothèse d’invocation de droits et libertés qui n’étaient pas constitutionnellement garantis à l’époque du contrôle de constitutionnalité a priori. Ce serait plus clair et moins susceptible de soulever des difficultés.

En quatrième lieu, la procédure prévue devant la Cour de cassation est, dans le projet, surprenante. Le premier président de la Cour de cassation préside la formation qui rend l’arrêt. Mais, lorsque la solution lui paraît s’imposer, il peut aussi choisir de renvoyer le cas devant une formation allégée, présidée par lui-même et composée « du président de la chambre spécialement concernée et d’un conseiller de cette chambre ». Le premier président et les présidents de chambre peuvent aussi choisir d’être suppléés par des délégués qu’ils désignent. Comment comprendre ces dispositions ? Le critère permettant la décision en formation allégée est-il pertinent dans la mesure où la question aura été préalablement jugée comme n’étant « pas dépourvue de caractère sérieux » ? En l’absence de précision, c’est aussi bien la conformité à la Constitution que la non-conformité à celle-ci qui peut paraître s’imposer au président de la Cour de cassation. Cela revient en réalité à faire de lui le juge unique de la question de constitutionnalité.

Et, dans le cas où la solution qu’il estimerait devoir s’imposer serait la transmission au Conseil constitutionnel, comment concilier cette hypothèse avec le fait que ladite transmission suppose d’être en présence d’une disposition législative qui « soulève  une question nouvelle » ou « présente une difficulté sérieuse » ? De même, comment comprendre la référence qui est faite par le texte à la chambre « spécialement concernée », alors que l’on évoque ici une question de constitutionnalité supposée échapper à la compétence des magistrats de l’ordre judiciaire ?

Que signifie, enfin, cette référence à la chambre « spécialement concernée » alors que, dans un alinéa précédent, lorsqu’il est question de la formation normale, on prévoit d’y faire siéger deux conseillers « appartenant à chaque chambre spécialement concernée » ? Faut-il croire qu’il y ait des degrés dans le fait d’être concerné par une question de constitutionnalité qui permettrait de distinguer deux chambres, puis une, au sein de la Cour de cassation ?

En réalité, une question de constitutionnalité ne concerne pas une chambre. L’expression est maladroite, et d’autant plus malvenue qu’elle corrobore à son tour l’idée de pré-jugement par une chambre. Soyons donc simples et logiques : la question de constitutionnalité est toujours fondamentale et jamais évidente dès lors qu’elle a franchi le premier filtre. Elle doit relever sans exception de la formation évoquée à l’article 23-6, troisième alinéa, à savoir une formation présidée par le premier président de la Cour de cassation et composée des présidents des chambres et, sans doute – ce serait plus logique – d’un conseiller par chambre.

Je répondrai maintenant aux questions qui m’ont été posées.

S’agissant des principes constitutionnels les plus susceptibles d’être utilisés par des requérants, notamment en matière de contentieux devant le juge judiciaire, on peut sans doute s’attendre à ce que les plaideurs invoquent le principe d’égalité, parce qu’il a un rayonnement très large, qu’il est d’une imprécision justifiant qu’une partie tente sa chance, et qu’il présente sous l’angle du droit constitutionnel des attraits bien supérieurs à ce qu’il permet en matière conventionnelle, sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’homme. Les parties devraient également fréquemment invoquer les diverses garanties que l’on range classiquement sous l’étiquette « procès équitable ». Enfin, on peut penser que la sécurité juridique devrait être invoquée, même s’il reste à s’entendre sur le point de savoir si un principe à valeur constitutionnelle comme celui de l’intelligibilité et de l’accessibilité du droit relève des droits et libertés garantis par la Constitution, au sens de l’article 61-1 nouveau de la Constitution.

S’agissant, en deuxième lieu, de la portée de l’expression « disposition législative », on doit pouvoir considérer qu’elle englobe les lois du pays de la Nouvelle-Calédonie. Quant aux termes « droits et libertés garantis par la Constitution », ils ne peuvent, me semble-t-il, viser une incompétence négative que pour autant qu’une telle incompétence traduirait une atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Toute incompétence négative n’entre donc pas dans le domaine du texte.

En troisième lieu, le fait d’exiger que la juridiction suprême saisie s’assure que la question soulevée est « nouvelle ou présente une difficulté sérieuse » conduit inévitablement à ce qu’elle procède à une forme de pré-jugement de constitutionnalité. Il ne peut pas en aller autrement à partir du moment où le filtrage conduit le juge à apprécier la pertinence de la question soulevée. Mais il est un moyen simple d’éviter d’instaurer un double contrôle de constitutionnalité – l’un qui serait officiel, explicite et autorisé, celui du Conseil constitutionnel, l’autre officieux, implicite et illégitime, celui du juge de cassation – : ne pas exiger une motivation de la décision de transmission ou de non-transmission.

En revanche, il faut souligner que la Cour de cassation applique depuis longtemps les droits à valeur constitutionnelle, et qu’il lui arrive même de les viser dans ses décisions. Si, depuis plus d’un siècle et demi, elle refuse avec constance de contrôler la constitutionnalité des lois, elle n’en reconnaît pas moins que les principes et droits à valeur constitutionnelle constituent bien des règles de droit, et elle en donne donc des interprétations. Ainsi, dans une décision du 28 novembre 2006, la Cour de cassation a jugé que « le libre accès à sa propriété constitue un accessoire du droit de propriété, droit fondamental à valeur constitutionnelle ». La Cour en tire d’ailleurs des conséquences souvent importantes. Par exemple, dans un arrêt du 4 janvier 1995, elle a censuré la décision d’un juge qui, après divorce, avait imposé à une personne de consentir un bail rural à son ex-époux sur un bien qui lui était propre, en soulignant que « le droit de propriété est un droit fondamental de valeur constitutionnelle, de telle sorte que l’obligation imposée à l’un des époux de consentir un bail rural constituait une restriction à son droit de disposer librement d’une parcelle dont elle était seule propriétaire ». S’il faut donc redouter une forme de pluralisme des contentieux concernant les droits constitutionnels, c’est parce que les juges conservent, et conserveront, la possibilité de les appliquer. S’ils ne peuvent déclarer une loi contraire à la Constitution, ils pourront toujours, évidemment, se référer aux droits à valeur constitutionnelle. Il faut espérer que le développement du rôle du Conseil constitutionnel contribuera à l’unité d’interprétation des normes constitutionnelles.

S’agissant de vos quatrième et cinquième questions, relatives au caractère préalable de la question posée – spécialement par rapport à la question de conventionnalité –, et au problème de contrariété entre le droit constitutionnel et le droit communautaire, il me semble possible de faire trois observations.

Tout d’abord, le caractère préalable dans le temps d’une question est une problématique chronologique. Ce truisme grossier est destiné à éviter de décalquer ce qui relève du traitement chronologique des questions sur des raisonnements menés en termes de hiérarchie des normes.

Ensuite, dès lors que la question de constitutionnalité est soulevée, il doit y être répondu. En aucune manière, la question de constitutionnalité ne peut être subsidiaire, ou encore seconde, comme pourrait l’être par exemple une question de bien-fondé par rapport à une question de recevabilité. On comprend très bien que, si la recevabilité n’est pas franchie, on ne puisse jamais examiner le bien-fondé. En revanche, une fois la question de constitutionnalité posée au juge, aucune autre question ne lui permet d’échapper à son obligation d’y répondre, qui n’est jamais que la traduction de son devoir de juger. Si la Constitution a consacré un droit nouveau au bénéfice des justiciables, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, ce n’est pas pour qu’ils s’en trouvent privés, ne serait-ce que dans certaines hypothèses.

Enfin, la question de constitutionnalité n’a pas le même objet que la question dite de conventionnalité. C’est une évidence, puisque la première peut conduire à l’abrogation d’un texte, mais pas la seconde. En répondant à une question de conventionnalité, on ignore la question de constitutionnalité, quand bien même les droits invoqués ici et là seraient les mêmes. De même, lorsqu’il répond à la question de constitutionnalité, le juge ne répond pas à la question communautaire.

De ces trois observations, il résulte que la question de constitutionnalité est effectivement préalable, sans quoi elle pourrait rester sans réponse, au risque de ruiner le mécanisme en pratique, et plus fondamentalement de méconnaître ce qui en fait l’essence même.

Il en résulte aussi qu’aucune raison ne doit conduire à admettre une priorité temporelle de la question de droit communautaire sur celle de droit constitutionnel et qu’il n’est absolument pas justifié de prévoir la réserve de l’article 88-1 de la Constitution. Il ne s’agit pas, en répondant à la question de constitutionnalité, de trancher la question de conformité au droit communautaire qui serait l’objet d’une question préjudicielle : il s’agit de trancher la question de conformité à la Constitution d’une disposition législative sans préjudice de ce qui sera jugé sur le terrain communautaire. La préséance chronologique de la question constitutionnelle n’est évidemment pas l’affirmation d’une primauté sur le droit communautaire ni un empiétement de compétences. À telle enseigne que, si la réponse à la question constitutionnelle devait être celle d’une conformité à la Constitution de la disposition législative, il resterait encore à statuer sur la question préjudicielle communautaire. Il serait en réalité justifié d’amputer l’alinéa 14 de l’article 1er de la référence à l’article 88-1 de la Constitution. La juridiction doit se prononcer en premier lieu sur la question de constitutionnalité ; il n’y a pas de réserve à prévoir puisque ce n’est pas elle qui se prononcera, à la suite d’une question préjudicielle, sur la conformité au droit communautaire.

Enfin, il faut souligner que le caractère préalable vaut évidemment aussi devant la Cour de cassation et le Conseil d’État. Il est d’autant plus important d’apporter cette précision que, comme l’indique le texte du projet de loi, la question peut être posée pour la première fois devant l’une ou l’autre de ces juridictions.

J’en viens à votre septième question. En cas de désistement de l’action ou de l’instance mettant un terme au procès, la question de constitutionnalité ne devrait logiquement pas prospérer. Cette question est soulevée à l’occasion d’un litige, et lui est liée, au point d’ailleurs que la question n’est transmise que si « la disposition contestée commande l’issue du litige ou la validité de la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ». Dès lors, elle ne peut survivre à l’extinction de l’instance et à l’absence de litige. Elle est d’ailleurs conçue comme un droit du justiciable : s’il se désiste, ce dernier met également fin à la procédure qui conduit de la question à la réponse.

Répondant à la huitième question, je dirai que les juridictions n’ont pas de rôle jouer dans la formulation de la question soulevée, et ce d’autant moins qu’on leur refuse de relever d’office une question de constitutionnalité. En toute hypothèse, il ne m’apparaît pas qu’il leur appartiendrait de reformuler une question qu’elles estimeraient mal posée. Admettre l’inverse serait en réalité les faire participer directement au jugement sur la constitutionnalité de la disposition, et donc verser dans ce pré-jugement qu’il faut absolument éviter.

Le Conseil constitutionnel, en revanche, doit pouvoir reformuler la question, car c’est lui, comme le souligne la Constitution, qui est saisi de la question de la constitutionnalité et qui doit la trancher. Ce que doivent trancher les autres juges, c’est la question de la transmission de la question de constitutionnalité, ce qui est bien différent et doit le rester.

Vous vous interrogez également sur le point de savoir si l’abrogation d’une disposition en matière pénale et en matière de procédure pénale devrait s’articuler avec l’exécution des peines déjà prononcées. Cette question trouve déjà une réponse dans le droit positif, au second alinéa de l’article 112-4 du code pénal. À partir du moment où la disposition législative est déclarée inconstitutionnelle, il faut comprendre qu’elle est abrogée dans notre ordre juridique et qu’en conséquence elle disparaît. L’effet de l’abrogation d’une disposition législative qui prévoit une incrimination pénale est bien connu : soit la condamnation n’est pas encore définitive et, dans ce cas, la loi étant abrogée, cette condamnation ne pourra recevoir une exécution, comme lorsque l’on est en présence d’une loi pénale plus douce ; soit la condamnation est d’ores et déjà définitive, mais la peine n’est pas exécutée ou ne l’est pas entièrement, auquel cas elle cesse de recevoir exécution. Il n’y a donc pas de difficulté particulière sur ce point déjà prévu par l’article 112-4 du code pénal. En revanche, je laisse aux publicistes le soin de répondre à la question de savoir si le justiciable condamné sur le fondement d’une disposition considérée comme inconstitutionnelle peut invoquer la responsabilité de l’État.

Enfin, l’abrogation d’un texte qui avait remplacé un précédent texte pourra-t-elle avoir pour effet de faire revivre la disposition antérieure ? À cette très belle question d’école, il convient – c’est mon sentiment – de répondre par la négative. On ne peut pas faire revivre une disposition antérieure déjà abrogée, et ce d’autant moins que cette disposition pouvait elle-même être inconstitutionnelle – on peut même imaginer qu’elle l’était plus gravement que le texte qui l’a remplacée.

M. Jean-Jacques Urvoas. Nous sommes tous d’accord, je suppose, pour convenir que la question préjudicielle ne doit pas allonger excessivement la procédure. À cet égard, on peut penser que le double filtre n’est pas la solution la plus pertinente. Mais puisque c’est le choix retenu pour élaborer ce projet de loi, nous devons nous montrer attentifs à la question des délais.

Le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit se prononcer dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission de la question préjudicielle, et le Conseil constitutionnel dispose du même délai pour se prononcer. Quel est votre avis sur le temps imparti à la juridiction saisie pour se prononcer sur la recevabilité de la question ? J’imagine qu’il doit être bref, ce problème devant être résolu préalablement à tous les autres.

Par ailleurs, le texte ne prévoit aucune conséquence si la Cour de cassation ou le Conseil d’État ne se prononce pas dans le délai requis. De votre point de vue, cela signifie-t-il que la question est alors transmise d’office ?

M. Nicolas Molfessis. Je répondrai d’abord à la deuxième question, la plus simple. Il faut en effet considérer, à mon avis, que si la juridiction ne se prononce pas dans le délai de trois mois, la question est transmise de plein droit au Conseil constitutionnel. La solution inverse reviendrait à priver de ses droits le justiciable qui l’a soulevée. Pour plus de clarté, cette conséquence pourrait toutefois être explicitement prévue par le projet de loi.

À votre première question, il ne m’appartient pas de fournir une réponse de lege ferenda. Le projet ne prévoit en effet aucun délai au stade du premier filtre, mais il vous appartient de combler cette lacune. Il existe deux options : l’une consiste à prévoir que la juridiction saisie doit examiner sans délai la question de constitutionnalité ; l’autre à encadrer la décision dans un délai précis. Selon moi, la première option est préférable.

M. Jacques Alain Bénisti. Lorsqu’un texte qui avait remplacé un précédent texte est jugé inconstitutionnel, pourquoi ne pas revenir à l’ancien texte ? Et sur quelles dispositions peut-on s’appuyer pour le remplacer ?

M. Nicolas Molfessis. La logique de l’abrogation d’un texte est de le faire disparaître de l’ordre juridique, sans conséquence sur l’état antérieur du droit. Pour autant, cela n’annule pas l’abrogation que ce texte avait entraînée. Si un texte nouveau, ayant remplacé un autre texte – qu’il abroge explicitement ou non –, est déclaré contraire à la Constitution, il disparaît sans faire renaître le texte antérieurement abrogé. Le caractère abrogatoire ne disparaît pas.

Au-delà de cet aspect relevant de la technique juridique, il peut ne pas être judicieux de faire revivre une disposition antérieure abrogée, car elle-même peut avoir des effets contraires à la Constitution ou être considérée comme anticonstitutionnelle.

M. Dominique Perben, président. Le législateur devra donc très rapidement combler cette lacune.

M. Nicolas Molfessis. C’est pour cette raison, me semble-t-il, que le constituant a prévu une modulation dans le temps des effets de la décision d’inconstitutionnalité.

M. Dominique Perben, président. Une question de constitutionnalité peut être soulevée devant « les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ». À votre avis, cette expression devrait-elle permettre de considérer qu’une question peut être soulevée par un tribunal arbitral, ou devant une autorité administrative exerçant un pouvoir de sanction et considérée comme une juridiction au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ?

M. Nicolas Molfessis. L’interprétation de cet article 6 par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme porte davantage sur la notion de tribunal que sur celle de juridiction. Il me semble donc, dans l’état actuel des choses, que, lorsqu’un texte se réfère à une juridiction, c’est exclusif de la référence aux autorités administratives indépendantes. S’il fallait en décider autrement, il serait plus légitime de le souligner que de laisser aux interprètes le soin de gloser sur le terme « juridiction ». A fortiori, le raisonnement vaut pour les procédures arbitrales.

M. Dominique Perben, président. Monsieur le professeur Molfessis, je vous remercie.

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Audition de M. Guy CARCASSONNE, Professeur à l’Université Paris X

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir M. Guy Carcassonne, professeur à l’Université Paris X-Nanterre.

Monsieur le professeur, je vous cède immédiatement la parole pour répondre aux questions que nous vous avons adressées.

M. Guy Carcassonne, professeur à l’Université Paris X-Nanterre. C’est toujours un plaisir et un honneur de me trouver devant votre Commission.

Vous m’avez d’abord interrogé sur le périmètre de la question de constitutionnalité.

Quels sont les principes constitutionnels qui devraient être le plus souvent invoqués par les requérants ? Ce seront sans doute souvent les mêmes que dans le contrôle préventif, et en particulier le principe d’égalité. Peut-être un accent particulier sera-t-il mis sur ce qui, ailleurs, relève du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et que, ici, on appelle la garantie des droits, en particulier ce qui touche à l’équité d’un procès, au déroulement de la procédure et aux droits de la défense. Contrairement à d’autres, je ne pense pas qu’il faille s’attendre à un déferlement d’actions, tout simplement parce que je ne crois pas que notre droit positif soit à ce point truffé de dispositions inconstitutionnelles. Depuis 1974, presque tous les textes posant problème ont déjà été déférés au Conseil constitutionnel ; les gisements de dispositions susceptibles d’être déférées sont donc antérieurs à 1974, et je ne pense pas qu’ils soient très nombreux. Mais il y a sans doute des « filons » : le droit fiscal et, surtout, le droit douanier sont très menacés. Les administrations concernées seraient d’ailleurs bien inspirées de devancer les censures, faute de quoi ces dernières risquent de faire l’affaire de fraudeurs et de trafiquants.

Les « lois du pays » entrent-elles dans le champ des dispositions susceptibles d’être contestées au titre de l’article 61-1 de la Constitution ? Pour moi, la réponse est clairement « non ». La locution « loi du pays » vise un objet juridique tout à fait différent des « lois » et des « dispositions législatives » qu’elles contiennent.

Pourra-t-on invoquer une incompétence négative du législateur ? La question est plus délicate, mais pour moi il ne fait aucun doute que la réponse est « oui ». En effet, je considère qu’à la lumière de l’article 61-1, qui crée au profit du justiciable un droit subjectif – notamment celui d’obtenir l’abrogation d’un texte inconstitutionnel –, l’article 34 crée un autre droit subjectif, celui de tous les citoyens à ce que le législateur exerce ses compétences, et surtout à ce que les compétences qui lui sont confiées ne puissent être exercées que par lui. Au demeurant, l’incompétence négative devrait la plupart du temps viser des textes antérieurs à 1974, et souvent à 1958 ; je ne pense pas que le grief puisse se rencontrer fréquemment, mais ne s’agirait-il que d’un seul cas, il est normal que le Conseil constitutionnel puisse le sanctionner.

Enfin, la disposition proposée pour l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et selon laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation procède au renvoi au Conseil constitutionnel dès lors que « la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse » est purement et simplement absurde. Je n’ai pas le moindre doute sur le fait que vous allez la modifier. D’abord, l’emploi de l’expression « difficulté sérieuse » est désobligeant à l’égard du Conseil d’État et de la Cour de Cassation. Et surtout, cette disposition n’a pas de sens : la « nouveauté » est déjà une condition de la recevabilité de la question dans le dispositif de l’article 23-2. Quant à l’existence d’une « difficulté sérieuse », il s’agit d’un critère non pertinent : lors même qu’une inconstitutionnalité serait évidente, il faudrait néanmoins saisir le Conseil constitutionnel car c’est à lui qu’il revient de la sanctionner. Je suggère fortement que l’on s’en tienne dans la loi organique à la notion de « question sérieuse », en retirant ces deux ajouts qui n’ont aucune raison d’être : pour que la question soit transmise au Conseil constitutionnel, il faut et il suffit que la question soit sérieuse.

Votre deuxième groupe de questions concerne les rapports entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité.

Oui, bien sûr, la priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité est une nécessité. La première raison en est que, faute de cette priorité, l’article 61-1 serait mort-né. Les juridictions suprêmes sont en effet réticentes à l’égard de cette nouvelle procédure ; l’une des conditions prévues par le texte proposé pour l’article 23-2 de l’ordonnance étant que la disposition contestée commande l’issue du procès, le fait d’examiner d’abord la question de conventionnalité leur permettrait, le cas échéant, d’écarter l’application de la disposition au motif qu’elle est contraire à une convention internationale, et ainsi d’éviter de saisir le Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité. Parmi les partisans de la nouvelle disposition constitutionnelle, on s’est d’abord inquiété que le filtre ne devînt pas un bouchon ; et on a découvert un autre risque, celui que le bouchon laisse la place à un canal de dérivation, détournant vers le contrôle de conventionnalité tout ce qui, en bonne logique, devrait relever du contrôle de constitutionnalité, lequel n’aurait alors plus aucun sens.

Indépendamment de ces raisons de politique jurisprudentielle, la priorité à donner à la question de constitutionnalité repose sur des raisons juridiques de fond : les effets des deux contrôles ne sont pas les mêmes. L’article 61-1 de la Constitution créant un droit subjectif à obtenir l’abrogation d’une disposition inconstitutionnelle, le justiciable doit être en mesure de le faire valoir, et il n’appartient à personne de se déterminer à sa place. Il peut arriver, dans le cadre de contentieux répétitifs, qu’il n’y ait aucun doute sur le fait qu’une disposition législative soit de nouveau déclarée contraire aux engagements internationaux de la France ; le justiciable a le choix entre cette issue certaine et la décision de poser d’abord la question de constitutionnalité.

D’ailleurs, le contrôle de conventionnalité, faut-il le rappeler, est lui aussi un enfant de la Constitution, puisqu’il est issu de son article 55. Que l’on commence par s’assurer de la conformité des lois à la norme suprême de notre ordre interne me paraît donc logique et naturel.

Si l’on ne veut pas que le contrôle de conventionnalité soit le moins du monde retardé par le contrôle de constitutionnalité, la seule solution est d’accélérer ce dernier. C’est la raison pour laquelle, à juste raison, ce projet de loi organique tend à créer en la matière une sorte d’autoroute : dès l’instant où une question sérieuse de constitutionnalité est posée, elle doit être tranchée rapidement. Le juge saisi n’en conserve pas moins la totalité de ses compétences au regard des questions de conventionnalité – que, s’il y a lieu, il examinera le moment venu, conformément aux principes fixés par l’arrêt Simmenthal rendu le 9 mars 1978 par la Cour de justice des Communautés européennes, et dans les délais habituels : ce contrôle n’est ni amputé ni différé en quoi que ce soit.

J’en viens aux dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.

Si, alors qu’une question de constitutionnalité a été soulevée, un désistement de l’action ou de l’instance met un terme au procès, que se passe-t-il ? Il est logique que, quel que soit le stade de la procédure, l’action relative à la question de constitutionnalité prenne fin : on ne peut pas à la fois soutenir qu’il s’agit d’un droit subjectif reconnu à « tout justiciable » et admettre l’idée que, le justiciable ayant disparu, l’action continue de manière autonome.

Les décisions de renvoi au Conseil constitutionnel doivent-elles être motivées ? Non, car le renvoi au Conseil est une motivation en lui-même : il signifie que la question est jugée sérieuse par le Conseil d’État ou par la Cour de cassation, sans qu’il soit nécessaire de leur demander pourquoi – au risque de faire apparaître inutilement des nuances ou des désaccords au sein de ces hautes juridictions.

Celles-ci devraient-elles pouvoir reformuler les termes de la question ? Là encore, ma réponse est « non » car c’est au justiciable qu’un droit est reconnu ; c’est éventuellement lui que l’on pourra, dans le cours des débats, amener à reconsidérer les termes dans lesquels il a posé sa question, mais il n’est pas souhaitable qu’une juridiction se substitue à lui. En revanche, il va de soi que le Conseil constitutionnel, une fois saisi, formulera la réponse dans les termes qu’il estimera adéquats.

Nous en arrivons ainsi à votre dernière série de questions, relatives aux dispositions applicables devant le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel doit-il être tenu par les termes de la question qui lui a été renvoyée ? Par la rédaction, sans doute pas, mais par l’objet, évidemment : il s’agit d’une disposition législative, contestée au titre d’un principe constitutionnel, et c’est dans ce cadre que le Conseil doit rendre sa décision.

Faut-il que le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat puissent adresser au Conseil constitutionnel leurs observations sur la question de constitutionnalité qui lui est soumise ? Je considère que oui. Il faudrait également prévoir que les présidents des deux assemblées informent les membres de celles-ci et reconnaître la possibilité de formuler des observations à soixante députés ou soixante sénateurs. Cela permettrait en particulier aux membres de l’opposition de faire valoir leurs arguments lorsque la disposition législative contestée a été adoptée à un moment où leur famille politique était majoritaire.

Enfin, la présentation contradictoire des observations des parties devant le Conseil constitutionnel ne transforme-t-elle pas la question de constitutionnalité en un litige incident ? En réalité, peu importe car ce litige incident sera réglé très vite, et là est l’essentiel.

Pour conclure, permettez-moi de souligner que la réforme gagnerait, et sans doute gagnerions-nous tous, à ce que cette procédure reçoive un nom de baptême, si possible de vous qui avez adopté la réforme constitutionnelle. Techniquement, il ne s’agit pas d’une exception d’inconstitutionnalité : en principe, c’est le juge de l’action qui est juge de l’exception ; il y aurait exception s’il y avait contrôle diffus, mais il y a contrôle concentré et il s’agit donc d’une question. Cette question de constitutionnalité n’est pas une question préjudicielle au sens classique du terme : celle-ci n’est examinée que si elle gouverne l’issue du procès, ce que l’on ne détermine qu’à la fin de l’instruction ; elle n’est donc considérée comme telle qu’une fois que le juge a répondu à toutes les autres questions. Il s’agit en revanche d’une question préalable. Voilà pourquoi je suggère de dénommer cette procédure « question préalable de constitutionnalité ». Si vous retenez une autre dénomination, l’essentiel est qu’elle caractérise précisément ce dont il s’agit.

M. Jean-Jacques Urvoas. Je voudrais vous poser plusieurs questions complémentaires.

Le filtre – ou le « bouchon », ou encore le « canal de dérivation » – a-t-il sa place dans une loi organique ? Ne serait-il pas plus prudent de renvoyer cela à une loi ordinaire ?

Il est prévu au texte proposé pour l’article 23-4 de l’ordonnance que le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit se prononcer dans un délai de trois mois. Considérez-vous que l’absence de réponse dans ce délai vaudra transmission d’office au Conseil constitutionnel ?

Que pensez-vous du délai de « huit jours » dans lequel la décision de transmettre la question est adressée au Conseil d’État ou à la Cour de cassation ? Ne vaudrait-il pas mieux écrire, dans le dernier alinéa du texte proposé pour l’article 23-2, « sans délai » ?

Ce texte relatif à ce que vous appelez la question préalable de constitutionnalité ne serait-il pas l’occasion de donner une reconnaissance à l’opinion dissidente au sein du Conseil constitutionnel ?

Enfin, le Conseil pourrait-il selon vous être saisi de questions relatives à des droits qui ne sont pas aujourd’hui expressément reconnus par la jurisprudence ? Je pense à ce que l’on appelle les « objectifs à valeur constitutionnelle », par exemple le droit à bénéficier d’un logement décent ou le pluralisme de la presse, ou encore le droit à la dignité, affirmé à partir d’un article de la Constitution de 1946.

M. Guy Carcassonne. En ce qui concerne votre première question, il me semble aller de soi, à la lecture de l’article 61-1 de la Constitution, qu’une loi organique est nécessaire.

La question des effets résultant du non-respect des délais est fort importante. Permettez-moi de vous suggérer à ce sujet de compléter l’article 23-4 de l’ordonnance par une disposition que l’on pourrait rédiger ainsi : « Si la Cour de cassation ou le Conseil d’État n’a pas statué dans le délai prévu au présent alinéa, l’intéressé peut saisir directement le Conseil constitutionnel. » C’est la logique du texte, et il vaut mieux que la faculté de saisir directement le Conseil soit reconnue au justiciable lui-même – car c’est lui qui est au cœur de l’article 61-1. On peut d’ailleurs concevoir que, dans certains cas, la Cour de cassation ou le Conseil d’État, sachant que son silence aura cet effet – protecteur des droits du justiciable –, préfère ne pas statuer. La rédaction de l’article 61-1, selon lequel le Conseil est saisi « sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation » autorise-t-elle cette lecture ? Je vous laisse apprécier.

Si les délais de trois mois sont utiles, la mention « sans délai » est en effet préférable au délai de huit jours que vous évoquez. Il conviendrait également d’introduire cette mention à d’autres endroits du texte, par exemple dans le deuxième alinéa de l’article 23-1, faute de quoi le ministère public pourrait bloquer la procédure en s’abstenant de donner un avis.

S’agissant de l’opinion dissidente, sans doute suis-je trop conservateur ou trop prudent, mais je pense que c’est au contraire lorsque la nouvelle procédure aura fait ses preuves que l’on pourra sans difficulté introduire l’opinion dissidente. Le contrôle de constitutionnalité est, je crois, encore trop récemment entré dans les mœurs françaises pour que l’on risque de le menacer par des opinions dissidentes, lesquelles sèmeraient le doute dans l’opinion. Ce que nous, juristes, savons être légitime exige, à l’égard du contrôle de constitutionnalité, un niveau de maturité que les Français, y compris dans leur système politique, n’ont sans doute pas tout à fait atteint. Le temps viendra, mais je crois qu’il n’est pas encore venu.

Enfin, la référence faite par l’article 61-1 aux « droits et libertés que la Constitution garantit » couvre à mes yeux les objectifs à valeur constitutionnelle. La Constitution n’est pas triviale, et par essence ce qu’elle contient est important ; le fait de tourner le dos à un objectif dont on a reconnu la valeur constitutionnelle me paraît porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution protège. Pour le reste, ce sera au Conseil constitutionnel de faire preuve du sens de la mesure nécessaire.

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Monsieur le professeur Carcassonne, il nous reste à vous remercier de votre contribution à nos travaux.

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* *

Audition de M. Paul CASSIA, Professeur à l’Université Paris I

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous accueillons maintenant M. Paul Cassia, professeur à l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne.

Vous avez la parole, monsieur le professeur, tant sur le projet de loi organique que sur le questionnaire que la Commission vous a fait parvenir.

M. Paul Cassia, professeur à l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne. Je ferai deux remarques préliminaires, en réaction aux riches interventions de la semaine passée. Je veux, en effet, insister sur le fait que le projet de loi organique est limité – le professeur Carcassonne l’a souligné à l’instant – par le texte même de l’article 61-1 de la Constitution : le législateur organique ne peut pas faire ce qu’il souhaite.

J’en donnerai deux exemples, qui seront mes remarques préliminaires.

Premièrement, contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, il s’agit bien d’un contrôle diffus de constitutionnalité qui est organisé quand le juge rejette l’exception soulevée devant lui.

Dans une proposition de loi organique déposée en avril 2009, il était prévu que l’article 61-1 de la Constitution soit étendu à toute juridiction ne relevant ni du Conseil d’État ni de la Cour de cassation – comme, par exemple, le Conseil constitutionnel quand ce dernier statue comme juge électoral. Cela rejoint le souhait émis par Anne Levade la semaine dernière et semble opportun mais ce n’est pas juridiquement possible. Cela ne signifie pas que l’exception d’inconstitutionnalité soit interdite devant ces juridictions – elles peuvent se reconnaître la faculté de soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’elles-mêmes –, mais qu’elle n’est pas celle de l’article 61-1.

Une deuxième limite posée par le projet de loi organique a trait au relevé d’office par la juridiction de la question de constitutionnalité, proposé la semaine passée par Anne Levade et le président Le Prado. Il n’est pas possible que le juge ordinaire relève d’office la question de savoir si une loi est conforme ou non à la Constitution. Le texte de l’article 61-1 de la Constitution prévoit qu’il doit être soutenu que la loi est inconstitutionnelle. Le projet de loi organique va le plus loin possible en prévoyant que la question de constitutionnalité de la loi est un moyen d’ordre public, qui peut être soulevé par les parties à tout stade de la procédure, mais il n’est pas permis de l’ériger en moyen devant être relevé d’office.

J’aborderai maintenant quelques aspects techniques du projet de loi organique, avant d’en venir à des propositions de modification plus substantielles.

En son état actuel, le projet de loi organique me semble devoir faire l’objet de « lissages » pour éviter des difficultés devant le juge ordinaire et les juridictions suprêmes.

Devant le juge ordinaire, il convient que le moyen d’inconstitutionnalité figure dans un « écrit » ou « mémoire » distinct. Je vous renvoie au document que je vous ai remis : il énumère les questions susceptibles d’être soulevées devant la juridiction ordinaire et sur lesquelles il serait souhaitable que le législateur organique prenne position au cours des travaux préparatoires. Elles concernent, certes, des aspects très techniques mais très utiles pour les justiciables.

Extrait des observations communiquées par M Paul Cassia :

Le projet de loi organique emploie indifféremment, s'agissant de la recevabilité du moyen tiré de l'exception d'inconstitutionnalité, les termes « écrit » ou « mémoire » distinct, On trouve également l'indication, s'agissant de l'appel d'une décision d'une cour d'assises, selon laquelle le moyen peut être soulevé « dans un écrit accompagnant la déclaration d'appel » - il ne pourrait donc plus être soulevé postérieurement à l'appel.

Un terme unique doit être employé, celui de mémoire pouvant être privilégié..

Il faut avoir à l'esprit les difficultés pratiques que l'exigence d'une particularisation du moyen tiré de l'exception d'inconstitutionnalité de la loi peut soulever, et auxquelles il serait utile que le rapport sur le projet de loi organique réponde par avance ; le mémoire « ad hoc » doit-il être produit en même temps que le mémoire principal ? Ce mémoire ad hoc est-il recevable lorsqu'il est agrafé au mémoire principal ? Quid si le moyen d'inconstitutionnalité figure dans le mémoire au principal, mais dans une partie distincte de celui-ci (par exemple, au verso d'une feuille) ? Est-il recevable s'il figure dans le mémoire principal et dans un mémoire accessoire ? Doit-il faire l'objet d'un enregistrement spécifique par le greffe ? Quid si l'écrit comporte des moyens accessoires (autres que celui tiré de l'inconstitutionnalité) et des conclusions accessoires (frais irrépétibles pour sa rédaction) ?

Il faut également éclairer la question de la régularisation de cette irrecevabilité : une régularisation est-elle possible, et si oui jusqu'à quand ? Jusqu'à l'expiration du délai de recours ? La clôture de l'instruction, comme le laisse supposer la circonstance que le moyen tiré de l'exception d'inconstitutionnalité sera d'ordre public ? Le greffe doit-il adresser à la partie concernée une invitation à régulariser ?

Toute une série de questions techniques vont également se poser devant les juridictions suprêmes. Ne pouvant, faute de temps, toutes les énumérer, j’insisterai sur quelques points que le projet de loi organique ne tranche pas ou, plutôt, laisse dans l’ombre.

En premier lieu, quelle est la nature de la décision rendue par la juridiction suprême sur la question de savoir s’il faut saisir ou non le Conseil constitutionnel ?

Dans le texte proposé pour l’article 23-6 de l’ordonnance de 1958 – alinéa 29 de l’article 1er du projet de loi organique – le terme « arrêt » de la Cour de cassation est employé. On trouve ensuite le terme plus ambigu de « décision » du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.

Certains intervenants, la semaine passée, ont émis l’idée que la décision de la juridiction suprême soit un avis équivalant à l’avis contentieux actuellement utilisé devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Cette question n’est pas anodine : elle conditionne l’intervention des tiers – elle n’est pas possible dans la procédure d’avis contentieux – et le temps de parole accordé aux avocats – au Conseil d’État, même les avocats aux conseils ne peuvent plus reprendre la parole après l’intervention du rapporteur public quand celui-ci conclut sur une demande d’avis contentieux. Il est donc fondamental que le législateur organique tranche.

Étant favorable à tout ce qui peut permettre de renforcer le contradictoire, je serai d’avis que la décision de la juridiction suprême soit rendue selon la procédure applicable aux arrêts.

En deuxième lieu, quelles sont les conditions de la transmission par le juge ordinaire de la question de constitutionnalité à la juridiction suprême et du renvoi de cette question par les juridictions suprêmes au Conseil constitutionnel ?

Dans le projet de loi organique actuel, les critères diffèrent : le juge du fond doit vérifier que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; la juridiction suprême doit vérifier que la disposition contestée ou bien « soulève une question nouvelle », ou bien « présente une difficulté sérieuse ». Il est indispensable d’harmoniser les conditions de la transmission et du renvoi parce qu’il arrive que le Conseil d’État soit saisi en premier et dernier ressort. Je ne comprendrais pas qu’il soit soumis à des conditions de renvoi différentes selon qu’il est juge de premier et dernier ressort ou juge saisi par une juridiction ordinaire. En tout état de cause, l’alternative ouverte aux juridictions suprêmes – renvoi parce que la disposition contestée soit soulève une question nouvelle, soit présente une difficulté sérieuse – est redondante. Par définition, la question posée est nouvelle. Autrement, elle ne passerait pas le filtre de la deuxième condition présidant au renvoi au Conseil constitutionnel.

Je préconise un alignement des conditions du renvoi au Conseil constitutionnel par les juridictions suprêmes sur celles de la transmission par le juge ordinaire à ces dernières, c’est-à-dire de retenir le caractère sérieux de la question posée, ce qui rejoint la proposition de loi organique déposée en avril 2009.

En troisième lieu, la question de la recevabilité de la transmission de la question par le juge ordinaire à la juridiction suprême n’est pas abordée dans le projet de loi organique. Cette dernière pourra-t-elle vérifier que le moyen d’inconstitutionnalité n’a pas été soulevé d’office par la juridiction et qu’il figurait bien dans un mémoire ou un écrit distinct ? Ces points méritent d’être clarifiés au fil de vos travaux.

En quatrième lieu, comme cela a été indiqué par M. Carcassonne, le délai prévu dans le texte proposé pour l’article 23-2 pour transmettre la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation est trop long. Il faut remplacer, comme le proposait également le président Colliard la semaine dernière, les termes « dans les huit jours » par les mots : « sans délai ».

Enfin, il me semble nécessaire d’obliger la juridiction suprême à motiver sa décision sur le renvoi de l’exception au Conseil constitutionnel. Le justiciable doit pouvoir en connaître les raisons – de fait ou de droit. Cette motivation est, d’ailleurs, exigée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Je renvoie sur ce point la Commission à un arrêt de cette Cour du 15 juillet 2003 – Ernst contre Belgique : chargée de vérifier si le refus de la Cour de cassation belge de transmettre une question de constitutionnalité à la Cour d’arbitrage, qui est une cour constitutionnelle, n’est pas entaché d’arbitraire, la Cour européenne des droits de l’homme conclut par la négative parce que le refus est motivé.

J’en viens maintenant à des appréciations plus substantielles.

J’exprimerai tout d’abord un sentiment général : il me semble que le projet de loi organique ne contribue qu’imparfaitement à l’attractivité du contrôle diffus de constitutionnalité de la loi promulguée. Il l’impose aux justiciables en donnant la priorité à l’exception d’inconstitutionnalité sur l’exception d’inconventionnalité. Je m’attacherai à le démontrer en me plaçant du point de vue, non pas du juge, de l’avocat ou du professeur de droit, mais du justiciable. Sous cet angle, le projet de loi organique me semble devoir être amélioré sur trois points, qui soulèvent des difficultés d’application prévisibles.

Premier point : quel est l’impact du contrôle diffus de constitutionnalité sur les procédures de référé ?

Les instances en référé relèvent-elles ou non du champ d’application de l’article 61-1 de la Constitution ? La réponse n’est pas claire à la lecture du projet de loi organique.

On peut lire, à la page 6 de l’exposé des motifs : « Les délais d’examen de la question de constitutionnalité par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, puis, le cas échéant, par le Conseil constitutionnel, ne sont pas compatibles avec certaines règles de procédure qui imposent que le juge statue dans un délai déterminé. » Cela semble exclure le contrôle diffus de constitutionnalité dans les procédures d’urgence.

Pourtant, des articles du projet de loi organique disposent qu’en cas d’urgence, la juridiction ordinaire peut statuer sur la question de constitutionnalité sans attendre la réponse de la juridiction suprême « si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ».

De fait, il va de soi que les procédures de référé entrent dans le champ d’application de l’article 61-1 de la Constitution. Le texte ne laisse pas le choix puisque les mots « à l’occasion d’une instance en cours » incluent les procédures de référé.

Dès lors, le projet de loi organique est lacunaire à deux égards.

D’une part, il prévoit qu’en cas d’urgence, la juridiction suprême ou le juge ordinaire peut décider le renvoi de la question au Conseil constitutionnel sans prononcer de sursis à statuer. Il est étonnant qu’une procédure puisse se dérouler devant le Conseil constitutionnel alors qu’elle est achevée devant le juge ordinaire. À l’égard de quels justiciables va-t-il rendre sa décision ? Il faut prévoir une réouverture automatique de l’instruction après que la juridiction suprême ou le Conseil constitutionnel s’est prononcé.

D’autre part, cette procédure ne concerne que les cas d’urgence et non les cas d’extrême urgence : je pense au référé-liberté et au référé-suspension devant le juge administratif. Pour ceux-là, il me semble indispensable de créer une procédure d’examen accélérée des questions de constitutionnalité sur le modèle de l’article 104 bis du règlement de procédure de la Cour de justice des Communautés européennes, avec, par exemple, un renvoi au Conseil d’État et à la Cour de cassation dans un délai de quelques jours, une simple consultation du rapporteur public, la réunion accélérée d’une formation avec trois juges devant le Conseil constitutionnel.

Deuxième question de fond : la représentation des parties devant la juridiction suprême et le Conseil constitutionnel. Cette question est essentielle du point de vue des parties car elle touche au coût du procès, qui peut devenir disproportionné pour la partie perdante si tous les frais irrépétibles sont mis à sa charge.

J’ai lu avec un peu d’amusement les points de vue exprimés la semaine passée par les représentants du barreau et des avocats aux Conseils. Il faut dépasser l’aspect corporatiste du problème.

La question de la représentation des parties n’a pas nécessairement à figurer dans une loi organique. Cela étant, qu’elle relève de la loi ordinaire ou du règlement, il appartient au législateur organique de prendre position sur ce point dans les travaux préparatoires, ne serait-ce que pour que cette question soit envisagée de la même manière devant les juridictions suprêmes et devant le Conseil constitutionnel, qui va devoir se prononcer à son sujet.

Il y a au moins deux solutions possibles.

La première est l’application des règles de droit commun. S’il n’y a pas de ministère d’avocat devant la juridiction ordinaire, il n’y en a pas non plus devant la juridiction suprême ni devant le Conseil constitutionnel. En revanche, si un avocat est prévu devant la juridiction ordinaire, il y a un avocat aux conseils devant la juridiction suprême ainsi que devant le Conseil constitutionnel.

La deuxième solution consisterait à appliquer des règles particulières. Si un avocat à la Cour est prévu devant la juridiction ordinaire, cet avocat – comme cela a été envisagé par les représentants du barreau la semaine dernière – pourrait suivre son client devant la juridiction suprême et devant le Conseil constitutionnel.

Après tout, l’avocat qui a soulevé le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de la loi est tout à fait apte à poursuivre la procédure devant les juridictions supérieures. Les avocats à la Cour sont déjà habilités à le faire s’agissant du contentieux électoral. La proposition de loi organique déposée en avril 2009 prévoyait cette possibilité.

Je vous proposerai quant à moi une troisième solution, dans laquelle je change de point de vue par rapport à l’année passée. Il me paraîtrait bon d’instaurer dans tous les cas un monopole de la représentation par avocat aux conseils devant la juridiction suprême et devant le Conseil constitutionnel, à la condition que l’État prenne en charge les frais de la représentation par avocats aux conseils.

Pourquoi proposer un monopole par avocat aux conseils ? Pas pour des raisons de technicité juridictionnelle – on n’est pas dans le cadre d’un recours en cassation, où les moyens doivent être présentés d’une certaine manière, justifiant le savoir-faire des avocats aux conseils –, mais simplement pour des raisons de proximité géographique avec les juridictions suprêmes et le Conseil constitutionnel. Cela permettrait de limiter les coûts du procès. Il n’est, pour s’en convaincre, que d’imaginer un avocat à la Cour qui soulève devant le tribunal administratif de La Réunion un moyen tiré d’une exception d’inconstitutionnalité, qui sera transmis et renvoyé à la juridiction suprême ou au Conseil constitutionnel. Les coûts seraient excessifs. Les avocats aux conseils peuvent utilement servir de relais, comme ils le font souvent.

Ce monopole n’est envisageable qu’à la condition que l’État prenne entièrement en charge les frais de la représentation par avocats aux conseils. Cela ne doit pas entraîner de coût pour le justiciable. La rémunération de l’auxiliaire de justice doit être fixée par arrêté. Je ne propose pas une aide juridictionnelle, mais un mécanisme équivalent : celui de l’assistance judiciaire de plein droit, sans conditions de ressources, pour l’ensemble des parties, devant les juridictions suprêmes et le Conseil constitutionnel.

Ma troisième et dernière observation substantielle portera sur les rapports entre exception d’inconstitutionnalité et exception d’inconventionnalité.

Les champs d’application de ces deux mécanismes ne sont pas identiques.

Celui du droit international est parfois plus étendu que celui de la Constitution. Par exemple, le principe d’égalité n’a pas la même acception en droit communautaire et en droit constitutionnel.

Parfois, le droit constitutionnel est le seul applicable et sera le seul invoqué par les justiciables. Certains principes n’existent pas dans les conventions internationales, comme le principe magnifique – dont j’ai affiché chez moi la décision constitutionnelle afférente – d’indépendance des enseignants-chercheurs, ainsi que celui de libre administration des collectivités territoriales.

Il arrive aussi que le litige n’entre pas dans le champ d’application du droit international et que le droit constitutionnel soit le seul applicable. Je renvoie à cet égard la Commission à la décision de section du 7 février 2008 du Conseil d’État, Mme Baomar.

La règle de priorité instituée en faveur de l’exception d’inconstitutionnalité comporte un double effet pervers. Je vais donc plaider pour sa suppression.

Premier effet pervers : cette priorité dévalue l’exception d’inconventionnalité.

Elle est contraire à l’intention exprimée par le Président de la République lors du colloque du 3 novembre 2008 sur le cinquantenaire du Conseil constitutionnel. Il avait alors déclaré : « Pas de doutes, vous » – il s’adressait aux membres du Conseil constitutionnel – « rendrez l’exception d’inconstitutionnalité des lois aussi efficace que la contestation de leur conformité au droit international devant le juge ordinaire. » Il ne s’agissait donc pas de diminuer l’exception d’inconventionnalité, mais de faire en sorte que l’exception d’inconstitutionnalité soit au moins aussi efficace.

Le risque est que le justiciable ne soulève pas l’exception d’inconstitutionnalité dès lors qu’il lui apparaîtra possible de se prévaloir de l’inconventionnalité de la loi, afin que son litige soit tranché le plus rapidement possible.

Le second effet pervers de cette priorité donnée à l’exception d’inconstitutionnalité est qu’elle peut être contournée par le biais du droit communautaire, dont le droit de la Convention européenne des droits de l’homme fait partie intégrante.

Je note que, dans le projet de loi organique, l’exécutif a souhaité réserver un sort spécifique au droit communautaire.

La question de savoir s’il fallait que le droit communautaire bénéficie ou non d’une priorité d’application par rapport au droit constitutionnel a été débattue devant vous la semaine passée. Comme l’a indiqué le vice-président du Conseil d’État, les arguments défendus par le sénateur Delpérée ne sont pas recevables du point de vue du droit communautaire : la priorité d’application reconnue à la Constitution n’est pas comparable à la distinction recevabilité/fond devant le juge ordinaire, ni à la distinction moyen de légalité interne/moyen de légalité externe. Ce n’est pas une règle de procédure, mais une règle de fond, qui implique que la Constitution a une valeur supérieure au droit international. Il me semble indispensable de prévoir que cette priorité ne joue pas en matière communautaire.

La question est presque tranchée par différents arrêts de la CJCE : l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, l’arrêt Mecanarte du 27 juin 1991, ainsi que l’arrêt Rheinmuhlen-Dusseldorf, moins connu, du 12 février 1974, qui indique clairement que l’efficacité du renvoi préjudiciel ne peut pas être diminuée par une règle nationale, quelle qu’elle soit.

La justification donnée à la page 5 de l’exposé des motifs de la priorité d’application de la Constitution ne va pas de soi. Il y est écrit : « Cette priorité d’examen est liée à l’effet erga omnes de la déclaration d’inconstitutionnalité qui conduira à l’abrogation de la disposition législative contestée. » Lorsque la CJCE, saisie par voie préjudicielle, déclare qu’une directive ou qu’un règlement est contraire au droit communautaire, le texte n’est pas abrogé. Il ne disparaît donc pas de l’ordre juridique. L’invalidité n’a d’effet qu’entre les parties. Pourtant, la procédure n’en est pas moins efficace. La CJCE a clairement indiqué que l’invalidité obligeait les institutions à reprendre le texte et à revenir sur la législation invalide. L’abrogation n’est pas nécessairement une bonne chose pour les pouvoirs publics car elle crée un vide juridique. Il me semble préférable d’obliger les pouvoirs publics à se ressaisir. C’est ce qui se passe lorsqu’il y a déclaration d’inconventionnalité, le législateur étant en pratique tenu de réexaminer le texte.

Que faire ?

Comme la priorité d’application en faveur de la Constitution ne va pas dans le sens des intérêts du justiciable, je considère qu’il faut supprimer l’alinéa qui l’institue et laisser, comme le préconisait le président Le Prado la semaine passée, au justiciable le soin de choisir quel moyen il va soulever en premier – « à titre principal » ou « à titre subsidiaire » – ou au juge le soin de décider au cas par cas quelle norme doit être appliquée en priorité.

Si la règle de priorité de l’exception d’inconstitutionnalité devait être conservée, il faudrait lisser le projet de loi organique. Comme l’a relevé le professeur Mathieu, elle n’est pas appliquée au Conseil d’État lorsqu’il statue en premier et dernier ressort. Il faudra donc remédier à cette anomalie. À l’alinéa 14 de l’article 1er du projet de loi organique, instituant cette règle de priorité, l’emploi de l’expression « de façon analogue » est particulièrement obscur. Je signale qu’il n’y a jamais d’analogie entre exception d’inconstitutionnalité et exception d’inconventionnalité puisque, dans le premier cas, le justiciable réclame l’abrogation de la loi et que, dans le second, il demande que la loi ne lui soit pas appliquée. Par ailleurs, l’alinéa se termine par les mots : « sous réserve, le cas échéant, des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution » alors que l’article 88-1 n’est pas le support d’un contrôle de conventionnalité de la loi. Je laisse le soin au secrétaire général du Conseil constitutionnel d’en parler.

En conclusion, je rappelle que l’objet de la révision constitutionnelle est de faire en sorte que les citoyens s’approprient la Constitution. Cela n’implique pas une règle de priorité au profit de cette dernière. L’appropriation devrait être la conséquence non d’un artifice procédural, mais d’une attractivité supérieure de la Constitution française. On pourrait imaginer d’y insérer des droits fondamentaux qui ne figurent pas dans les conventions internationales de façon que la Constitution devienne bien la référence première des justiciables de France en matière de droits et libertés.

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Monsieur le professeur Cassia, nous vous remercions de votre contribution.

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Audition de M. Marc GUILLAUME, Secrétaire général
du Conseil constitutionnel

M. le Président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous accueillons maintenant M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Conseil constitutionnel.

M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Conseil constitutionnel. Je précise que mes propos n’engageront pas le Conseil constitutionnel, qui contrôlera la conformité de la loi organique à la Constitution.

Il me semble très important que ce texte relatif à l’application de l’article 61-1 de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui est la principale disposition donnant des droits nouveaux aux citoyens soit rapidement inscrit à l’ordre du jour du Parlement et adopté, comme l’ont déjà été d’autres projets de loi organique tendant à appliquer la révision constitutionnelle.

Je commencerai par répondre à vos questions concernant le périmètre de la question de constitutionnalité.

L’expression « disposition législative » suffit à permettre de contester la constitutionnalité d’une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie. L’article 107 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie dispose en effet que les lois du pays ont « force de loi ». En outre, le Conseil constitutionnel les qualifie de « lois » dans sa décision n° 99-410 DC. Enfin, il n’y a pas de raison que ces lois du pays bénéficient d’une immunité constitutionnelle, au détriment des habitants de la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, des amendements aux dispositions prévues pour les nouveaux articles 23-8 et 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 s’imposent.

Les termes « droits et libertés garantis par la Constitution » devraient-ils permettre d’invoquer une incompétence négative du législateur ? La question de constitutionnalité doit-elle inclure certains aspects du contrôle de constitutionnalité externe ? Sûrement pas pour la procédure parlementaire ou les éventuels empiétements de la loi sur le domaine réglementaire. En revanche, devrait pouvoir être soulevée la question du manquement à l’obligation faite à la loi de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. Il en irait de même dans le cas de l’incompétence négative du législateur. Le Conseil constitutionnel a récemment censuré une série d’incompétences négatives dont la plupart n’entreraient pas dans le champ des « droits et libertés garantis par la Constitution », notamment au travers de la décision n° 2009-578 DC du 18 mars 2009 concernant la censure du renvoi à un décret des taux d’un prélèvement sur les ressources financières des organismes HLM. L’incompétence négative ne pourra être invoquée que si la protection d’un droit ou d’une liberté est en cause.

Quels seraient les principes constitutionnels le plus susceptibles d’être utilisés par des requérants pour soulever des questions de constitutionnalité ? Il est bien difficile de faire un pronostic en la matière. Deux critères, l’un restrictif, l’autre extensif, peuvent guider ce pronostic. Dans les matières où les lois ont été systématiquement soumises au Conseil constitutionnel depuis vingt ou trente ans – il en va ainsi pour la procédure pénale ou le droit des étrangers –, il est probable que les saisines seront moins fréquentes. En revanche, dans les matières exclues du champ de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la CEDH, on peut penser qu’il y aura davantage de saisines ; de même, le principe d’égalité n’a pas la même portée à l’article 14 de la CEDH et dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le Conseil d’État et la Cour de cassation ne risquent-il pas de prononcer des « pré-jugements de constitutionnalité » ? Cette question est importante ; elle renvoie à celle du bon fonctionnement du système. La France sera le seul pays dans lequel la saisine a posteriori de la juridiction constitutionnelle s’opérera par le filtre des cours suprêmes. Les deux seuls précédents qui ont existé, en Allemagne et en Autriche, ont très mal fonctionné, ce qui a rapidement conduit à supprimer le filtre – en Allemagne, il n’a existé qu’entre 1951 et 1956. Comment faire pour que la double spécificité de la France, caractérisée par l’existence d’un filtre et par son bon fonctionnement, n’empêche pas la réussite de la réforme ? Deux conditions devront être réunies.

D’une part, il faut bien s’entendre sur le rôle du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Ceux-ci auront à décider s’il leur apparaît qu’une loi présente un risque d’inconstitutionnalité. Pour exercer cette fonction, ni le Conseil d’État ni la Cour de cassation ne devront eux-mêmes faire œuvre d’interprétation de la Constitution ; ils devront appliquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C’est le sens de la condition relative à l’existence d’une précédente déclaration de conformité « dans les motifs et le dispositif » d’une décision. Il ne s’agira pas seulement de l’autorité de la chose jugée mais également de la chose interprétée. Alors que le Conseil d’État, depuis décembre 2006, reconnaît aux décisions de la Cour de justice des Communautés européennes l’autorité de la chose interprétée, il conviendra de faire de même pour les décisions du Conseil constitutionnel. Dans le futur, si le Conseil d’État et la Cour de cassation éprouvent un doute, ils devront renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Telle est la logique de la spécialisation des juges : le Conseil d’État et la Cour de cassation ne sont pas juges constitutionnels mais juges conventionnels.

D’autre part, toujours dans la logique de spécialisation des juges, le Conseil constitutionnel est renforcé dans sa fonction de juge constitutionnel par l’article 61-1, mais il maintient aussi depuis près de trente-cinq ans sa jurisprudence n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, dite « IVG ». Il est l’unique juge constitutionnel des lois et il n’est que cela. Toute la logique de la réforme est fondée sur cette spécialisation. Il est par exemple impossible que le Conseil d’État ou la Cour de cassation opère des déclarations de constitutionnalité sous réserve. En effet, si une loi était interprétée dans un sens la rendant conforme à la Constitution, la question ne serait pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Une telle orientation ferait du Conseil d’État et de la Cour de cassation des juges de constitutionnalité. Pour la même raison, le Conseil d’État devra réexaminer sa jurisprudence relative à l’abrogation implicite des lois antérieures à la Constitution, qui est désormais contraire à l’article 61-1 de la Constitution. À l’évidence, ces orientations nécessiteront un « self restraint ». Nul ne doute en effet de la capacité du Conseil d’État et de la Cour de cassation à imaginer la solution à diverses questions constitutionnelles qui leur seront soumises. Le Conseil d’État les traite même dans le cadre de ses formations administratives. Mais, ici, il n’en aura pas la compétence, ce n’est pas son métier. Le Conseil constitutionnel, qui a les capacités à régler les questions conventionnelles, sait résister à cette tentation.

Il faut faire confiance aux trois juridictions pour mettre en œuvre cette spécialisation. Sinon, il faudrait soit supprimer le filtre, soit recourir à la solution avancée par Jean-Claude Colliard : que le Conseil constitutionnel se saisisse des questions de constitutionnalité qui ne lui sont pas renvoyées.

J’en viens à vos questions concernant le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité.

Est-il nécessaire d’instaurer la priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité ? Si le juge pouvait refuser de transmettre la question de constitutionnalité au motif que la loi contestée peut être écartée par un raisonnement de conventionnalité, la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 serait triplement mise en échec.

Premièrement, compte tenu de la proximité entre, d’une part, la protection constitutionnelle des droits et libertés, et, d’autre part, la protection conventionnelle des droits et libertés, la quasi-totalité des questions de constitutionnalité pourraient être rejetées au motif que la loi contestée doit être écartée pour inconventionnalité. La question de constitutionnalité serait alors circonscrite aux seules spécificités de la Constitution française, comme le principe de laïcité. La réforme serait vidée de tout contenu ; elle aurait fait « pschitt ».

Deuxièmement, l’article 61-1 vise à réaffirmer la hiérarchie des normes, à remettre la Constitution au sommet de l’ordre juridique français. Il est en effet apparu anormal que tous les juges puissent écarter une loi nationale pour un motif d’inconventionnalité alors que le respect de la Constitution ne pouvait être invoqué devant eux. Si l’inconventionnalité devait faire écran à l’inconstitutionnalité, cette anomalie subsisterait ; pire, la Constitution deviendrait définitivement une norme seconde.

Troisièmement, la réforme du 23 juillet 2008 permet l’abrogation erga omnes de la loi. Si le contrôle diffus et relatif de conventionnalité devait primer sur le contrôle de constitutionnalité, la réforme n’aurait pas atteint son objectif. Comme l’a souligné devant vous Jean-Marc Sauvé, il en va de la qualité de l’ordonnancement juridique.

À ces trois considérations relatives à la hiérarchie des normes et à la spécialisation des juges, je voudrais en ajouter une, liée au requérant, un peu trop souvent oublié alors que cette réforme a pour objet de lui conférer un droit nouveau. Le requérant, avec ses conseils, doit pouvoir développer une stratégie judiciaire. Il peut souhaiter ne soulever qu’un moyen de conventionnalité, par exemple parce qu’il pense pouvoir gagner en s’appuyant sur une jurisprudence très établie de la CEDH. Il faut respecter ce choix et ne pas indiquer, comme en 1990 avec le précédent projet de loi organique, que « l’exception d’inconstitutionnalité présente le caractère d’un moyen d’ordre public ». Il est peut-être excessif d’interdire au juge de la soulever – ce que font les sixième et vingt-quatrième alinéas de l’article 1er du projet de loi organique – mais cela doit, en tout état de cause, être non pas une obligation, mais une faculté. Il en va d’ailleurs du respect de la lettre de l’article 61-1 de la Constitution. Dans sa stratégie judiciaire, le requérant peut au contraire poser la question de la constitutionnalité ou combiner les deux questions ; il demande alors l’abrogation de la loi. Il en ira notamment ainsi pour les personnes morales, association de consommateurs, ligue de contribuables ou défenseurs de la nature. Pour ces personnes morales, l’issue du litige est l’abrogation de la disposition législative. Il n’est constitutionnellement pas possible de donner satisfaction à ces requérants sans avoir statué sur la question de constitutionnalité, il en va du respect de l’article 61-1.

Au total, cet article a créé un droit nouveau, une procédure particulière, qui a un objet propre, différent de l’incompatibilité entre la loi interne et une convention internationale. Elle vise spécifiquement l’abrogation de la norme. C’est en quelque sorte un recours préalable en abrogation. Comme l’a très bien dit devant vous le professeur Bertrand Mathieu « La question de constitutionnalité est à la disposition du justiciable mais rien ne l’oblige à la poser. Mais si elle l’est, le juge doit répondre car on ne peut pas laisser sans réponse la demande d’abrogation formulée par le justiciable. »

Lorsqu’une disposition législative suscite à la fois une question de constitutionnalité et une question de contrariété au droit communautaire, comment peut se régler la priorité entre ces deux questions ? Cette question est la plus importante à mes yeux. Je distinguerai deux niveaux de réponse : la procédure et la hiérarchie des normes.

Le niveau procédural est très important car il permet de redire comment la question de constitutionnalité doit fonctionner. Le constituant l’a largement souligné, cette procédure doit être rapide. La logique du projet interdit que la question de constitutionnalité ne soit posée qu’à l’issue de toute l’instruction de l’affaire, lors de l’audience finale du jugement. Il ne s’agit pas, aux termes d’une instruction pénale de cinq ans, d’ajouter deux fois trois mois de procédure. Il ne s’agit pas davantage, alors qu’un jugement au fiscal du tribunal administratif de Paris intervient quatre ans après le dépôt de la requête, d’ajouter encore deux fois trois mois.

Le projet implique que la question de constitutionnalité soit traitée « sans délai », dès qu’elle est posée. C’est pourquoi elle fait l’objet d’un mémoire distinct et séparé. C’est pourquoi les conditions de renvoi données au juge de première instance ou d’appel sont simples à examiner. Il ne faut donc pas imaginer un juge ayant face à lui un dossier entièrement instruit avec, par hypothèse, une question de constitutionnalité et une question de droit communautaire, ce juge devant alors choisir entre elles. Le dossier que le juge a entre les mains n’est pas en état, notamment sur le moyen de droit communautaire ; il possède seulement en état le mémoire distinct et séparé sur la question de constitutionnalité. Ainsi, s’il pose cette question, les deux fois trois mois d’examen de la question vont s’imputer sur la durée de la procédure et non s’y ajouter. Il faut renforcer les orientations du projet de loi organique sur ce point.

Il faut réaffirmer que l’examen de la question de constitutionnalité s’effectue préalablement à la solution du litige : le juge doit, en vertu de l’article 23-2, premier alinéa, statuer « sans délai » sur cette question dès qu’elle lui est posée. C’est d’ailleurs, indépendamment de toute autre préoccupation, la seule façon d’éviter les actions dilatoires. À cet égard, j’ai été très sensible aux propos de Me Thierry Wickers, qui vous a indiqué avec honnêteté : « Il faut couper court à la tentation qui pourrait exister d’attendre que les choses se décantent, qu’une question de conventionnalité soit évoquée ».

Outre l’ajout de la précision « sans délai », il conviendrait, dans le même sens, de réécrire le premier critère de transmission – « commande l’issue du litige » –, qui traduit mal le caractère préalable de la question. Jean-Claude Colliard vous a proposé cette rédaction : « est en rapport direct avec l’issue du litige ». Elle rejoindrait la précision de vocabulaire qu’a déjà parfaitement avancée devant vous Jean-Marc Sauvé. La question de constitutionnalité n’est pas une question préjudicielle puisqu’elle doit être traitée avant les autres.

Le deuxième niveau de réponse à votre question est plus fondamental puisqu’il touche à la hiérarchie des normes. Cette loi organique concerne l’ordre interne, dans lequel la Constitution est au sommet de la hiérarchie juridique. Cette primauté de la Constitution est reconnue tant par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2004-505 DC, que par le Conseil d’État, dans son arrêt Sarran, et par la Cour de cassation, dans sa jurisprudence Mlle Fraisse. Cette primauté s’exerce bien sûr à l’égard du droit communautaire. C’est même pour cela que le Conseil constitutionnel a dégagé une jurisprudence sur l’« identité constitutionnelle de la France ». Bref, nous ne sommes pas, ou pas encore, dans un État fédéral, dans lequel les juges pourraient ne pas tenir compte de la Constitution pour faire mieux respecter le droit communautaire.

À ce sujet, j’ai été très étonné d’entendre l’une des personnes que vous avez auditionnées affirmer : « Le droit communautaire doit conserver sa primauté et si une question d’incompatibilité au droit communautaire est posée, elle doit prévaloir par rapport à la question de constitutionnalité. » Cette affirmation confond ordre juridique interne et ordre juridique communautaire. Il est faux d’avancer que le droit constitutionnel impose le respect de la primauté du droit communautaire. Je souhaite insister sur les deux conséquences très importantes qu’aurait cette affirmation fausse.

D’une part, elle impliquerait une nouvelle hiérarchie des normes, avec au sommet le droit communautaire, puis le droit constitutionnel, puis le reste du droit. C’est ce que Jean-Claude Colliard a relevé devant vous : « L’idée que le respect de l’article 88-1 impose d’abord de traiter la conformité au droit communautaire, voire de poser la question préjudicielle, porte le risque de l’affirmation d’une sorte de priorité du droit communautaire sur le droit constitutionnel national. » Une telle conception de la hiérarchie des normes est évidemment dénuée de tout fondement. Elle est démocratiquement et politiquement inacceptable, elle est juridiquement fausse.

D’autre part, cette assertion devrait conduire à la modification du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel. Celui-ci devrait en effet faire respecter la règle de niveau constitutionnel, il deviendrait juge de la conventionnalité communautaire. L’article 88-1 inclurait ce contrôle, ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous n’avons jamais identifié qu’une seule exigence constitutionnelle de l’article 88-1 : celle relative à la transposition des directives communautaires. Devenir juge de la conventionnalité communautaire accroîtrait certes le rôle du Conseil constitutionnel mais irait fondamentalement à l’encontre de la logique de spécialisation des juridictions, au cœur de la réforme de l’article 61-1.

Au total, les termes très malheureux utilisés à l’article 23-2, cinquième alinéa, tel qu’il résulte de l’article 1er du projet de loi organique, « sous réserve, le cas échéant, des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution », ne peuvent être conservés en l’état. Ce que cet article semble chercher à préserver, c’est la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour de Luxembourg. Mais il est très clair que les juridictions nationales doivent avoir cette possibilité; les juridictions statuant en dernier ressort ont même le devoir de saisir la CJCE des difficultés d’interprétation qu’elles rencontrent dans le droit communautaire. Elles ne peuvent au demeurant être privées de ce droit, en vertu de la fameuse jurisprudence Simmenthal, qui condamne une législation nationale imposant une saisine de la juridiction constitutionnelle pour faire respecter le droit communautaire. Vous voyez aisément que ce problème ne se pose pas avec le projet de loi organique. Il n’est pas question ici de réserver à une autre autorité que le juge saisi le soin d’assurer le respect du droit communautaire.

La règle générale de priorité de la question de constitutionnalité posée par le projet de loi organique n’est en rien contraire à ces règles communautaires. Elle n’interdit pas au juge, ni dans un premier temps, ni dans un second temps, de s’adresser à la CJCE. La question de constitutionnalité peut s’accommoder d’une question préjudicielle posée concomitamment à la CJCE.

L’article 23-2, cinquième alinéa, mérite d’être triplement précisé pour traduire ces idées. D’abord, le professeur Francis Delpérée vous l’a dit, il ne revient pas, comme il est énoncé pour le moment, à la juridiction saisie de se prononcer ; celui qui se prononcera sur cette question est le Conseil constitutionnel. Ensuite, le professeur Paul Cassia vient de le souligner, il faut supprimer les termes « de façon analogue », qui seront source de jurisprudences contradictoires sans fin. Enfin, il doit en aller de même des termes très ambigus « sous réserve des exigences résultant de l’article 88-1 ». Il convient soit de ne rien dire, comme c’est le cas chez tous nos voisins, car il n’est pas besoin de rappeler l’existence de la question préjudicielle à la CJCE, soit d’ajouter « sans préjudice de l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne » pour rappeler cette faculté.

Il serait assez logique que le désistement d’instance ou d’action rende sans objet la question de constitutionnalité.

Extrait des observations communiquées par M. Marc Guillaume

Un argument, que j’ai déjà souligné, milite en ce sens. La réforme a entendu donner un droit au requérant, « à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction », pour voir trancher la question de la conformité à la Constitution de la disposition législative contestée. Un requérant ne peut pas être privé de ce droit, y compris en lui donnant satisfaction sur le fond de l’instance. En effet, l’intéressé demande également l’abrogation de la norme par le biais de la question de constitutionnalité. Une réponse à cette demande est nécessaire, ce qui interdit de régler l’affaire positivement à son profit en évitant de traiter la question de constitutionnalité.

Cette logique suivie par le constituant doit conduire à considérer que la question de constitutionnalité est abandonnée en cas de désistement d’instance ou d’action. Cette question n’existe pas par elle-même.

La motivation des décisions de renvoi de la question au Conseil constitutionnel est-elle ou non souhaitable ? Les juridictions devraient-elles pouvoir reformuler les termes de la question ? On n’imagine pas que le Conseil d’État ou la Cour de cassation, juges suprêmes de leur ordre juridictionnel, ne motivent pas leurs décisions. Pour autant, il s’agira seulement de pointer le critère qui n’est pas rempli, par exemple celui de la chose déjà jugée par le Conseil constitutionnel.

Je saisis cette question pour dire quelques mots sur le délai de trois mois laissé au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour que ces juridictions se prononcent. Tout laisse à penser qu’il sera respecté. Néanmoins, par hypothèse, quelle serait la sanction dans le cas inverse ? Le constituant semble avoir expressément prévu la réponse à l’article 61-1 de la Constitution, qui impose que ces juridictions « se prononcent dans un délai déterminé ». Cette précision, ajoutée par amendement lors des débats parlementaires, implique une sanction du non-respect du délai. Dès lors, si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé sous trois mois, la question de constitutionnalité doit être transmise au Conseil constitutionnel par leur secrétariat ou leur greffe.

Le Conseil constitutionnel sera-t-il tenu par les termes de la question qui lui a été renvoyée ? S’agissant de l’objet de la saisine, c’est-à-dire de la disposition législative contestée, le Conseil constitutionnel sera bien évidemment tenu par les termes de sa saisine. S’agissant des moyens soulevés, mutatis mutandis, il est dans la même situation que le Conseil d’État ou la Cour de cassation : il pourra reformuler les termes de la question.

Les observations formulées par les plus hautes autorités de l’État à propos de la constitutionnalité de la loi devront s’inscrire dans le contradictoire et être communiquées aux parties.

Je ne crois pas que la présentation contradictoire des observations des parties risque de transformer la question de constitutionnalité en un litige incident. Cette présentation contradictoire a pour seul objet d’assurer un bon déroulement du procès constitutionnel.

La dispense du ministère d’avocat devrait-elle s’appliquer en toute hypothèse devant le Conseil constitutionnel ? Le bon système serait que la représentation devant le Conseil constitutionnel soit facultative. Les parties seraient autorisées à désigner la personne de leur choix pour les représenter. Cette option présenterait l’avantage d’être identique à la règle applicable pour le contentieux électoral. Cela n’interdirait pas la présence de mandataires qui ne seraient pas avocats, par exemple pour les contentieux prud’homaux. Mais l’accès à la barre serait réservé aux avocats à la cour ou aux avocats aux Conseils car il n’est pas permis de penser que n’importe quel mandataire choisi par les parties puisse formuler des observations orales. Ces règles pourront être fixées, comme le prévoit l’article 3 du projet de loi organique, dans le règlement intérieur du Conseil, sachant qu’un décret est déjà prévu, par exemple, pour les règles relatives au montant des unités de valeur allouées au titre de l’aide juridictionnelle.

Pour le reste, les règles de droit commun s’appliqueront. Le projet de loi organique fait bien de prévoir des dispositions relatives à une formation spéciale au sein de la Cour de cassation, si ce choix est le vôtre. Plus exactement, si une telle formation doit exister, il faut le prévoir dans la loi organique, le recours à une loi ordinaire étant expressément exclu par l’article 61-1. En tout cas, le Conseil devra obligatoirement trancher ce point lorsqu’il sera saisi de la loi organique, quitte à déclasser lesdites dispositions.

S’agissant des conséquences d’une abrogation, je vous ai indiqué par écrit les rares jurisprudences du Conseil constitutionnel s’appuyant sur la technique de « déclaration d’inconstitutionnalité différée dans le temps ». Nous en ferions un usage limité, la stabilité des situations juridiques étant fondamentale.

Extrait des observations communiquées par M. Marc Guillaume

- D’une part, le Conseil a déjà reporté dans le temps les effets d’un manquement constaté à des dispositions ayant valeur constitutionnelle : lors de l’examen des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2006, il a ainsi reporté à l’année suivante la mise en conformité avec les exigences résultant de la loi organique applicable, dans un cas, « afin de laisser aux autorités compétentes le temps de procéder aux adaptations nécessaires et de surmonter les difficultés inhérentes à l’application » de la nouvelle norme (décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, cons. 26) et, dans l’autre cas, en raison de « l’intérêt général de valeur constitutionnelle qui s’attache à la protection sanitaire de la population » (décision n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005, cons. 24),

- D’autre part, à l’occasion de l’examen de la «loi OGM », le Conseil constitutionnel a utilisé, dans les motifs et le dispositif de sa décision, la technique de la déclaration d’inconstitutionnalité différée dans le temps (n° 2008-564 DC du 19 juin 2008). Il a alors jugé que «la déclaration immédiate d’inconstitutionnalité des dispositions contestées serait de nature à méconnaître une telle exigence (de transposition en droit interne des directives communautaires) et à entraîner des conséquences manifestement excessives ; que, dès lors, afin de permettre au législateur de procéder à la correction de l’incompétence négative constatée, il y a lieu de reporter au 1erjanvier 2009 les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. »

Ces décisions soulignent que le Conseil prend en compte diverses exigences constitutionnelles pour opérer un report dans le temps. La stabilité des situations juridiques comme les conséquences d’une remise en cause d’une annulation sont également fondamentales. Il en ira de même demain dans le cadre tracé par l’article 62 de la Constitution, Cette faculté ne sera pas, le plus souvent, utilisée. Lorsqu’elle le sera, ce sera au vu de ces exigences. C’est tout le sens des jurisprudences des Cours allemandes et italiennes en la matière.

Si les peines prononcées l’ont été définitivement, elles ne pourront être remises en cause par l’annulation de la norme. L’abrogation d’une disposition législative par le Conseil constitutionnel aura le même effet que l’abrogation d’une loi par le législateur.

Je reprendrai volontiers la formule du professeur Mathieu : « La réforme de 2008 visait un triple objectif : purger l’ordre juridique des dispositions inconstitutionnelles, permettre au citoyen de faire valoir les droits qu’il tire de la Constitution et assurer la prééminence de la Constitution dans l’ordre juridique. » De ce triple point de vue, le projet de loi organique qui vous est soumis va dans le bon sens. Il soulève encore des interrogations, ou, plus exactement, les interprétations auxquelles il donne lieu montrent que des précisions sont nécessaires dans deux directions.

Premièrement, aussi incroyable que cela puisse paraître, il semble nécessaire de réaffirmer la hiérarchie des normes : dans l’ordre interne, la Constitution est au sommet, ce qui signifie notamment que le constituant a la capacité de la changer. La Constitution prime, bien sûr, sur le droit communautaire, même si tout doit être fait pour éviter les contrariétés et même si, dans l’ordre communautaire, la norme européenne est au sommet. Cela signifie qu’un juge ne pourrait écarter une disposition constitutionnelle au profit d’une disposition communautaire, à moins que le constituant y ait lui-même consenti. Il ne paraissait pas nécessaire de rappeler ces évidences mais les malheureuses ambiguïtés nées de la mention de l’article 88-1 l’imposent.

Deuxièmement, le constituant a choisi une logique de spécialisation des juges : au Conseil constitutionnel un rôle unique, celui de juge constitutionnel ; au Conseil d’État et à la Cour de cassation celui de juge conventionnel. Il importe que cette répartition soit bien respectée par chacun, sans quoi notre système juridique, perdant toute cohérence, entrera dans une période troublée de compétition juridictionnelle. J’ai, pour ma part, foi dans la sagesse et le dialogue des juges.

Pour conclure, j’apporterai une précision complémentaire sur la question : la matière organique fera-t-elle partie du périmètre du contrôle de constitutionnalité ? Les ordonnances organiques prises en application de l’article 92 en 1958 et en 1959 n’ayant jamais été soumises au Conseil constitutionnel, leur conformité pourra être contrôlée, par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité. Par contre, toutes les dispositions des lois organiques adoptées depuis l’installation du Conseil constitutionnel, le 5 mars 1959, ont forcément été soumises au Conseil constitutionnel ; elles ne pourront par conséquent pas faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité, sauf en cas de changement de circonstances.

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je vous remercie, Monsieur le Secrétaire général.

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* *

Audition de M. Jean-Louis NADAL, Procureur général
près la Cour de cassation

M. le Président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous accueillons maintenant M. Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation.

M. Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation. Parmi les innovations introduites par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, celle concernant l’article 61-1 nouveau de la Constitution, qui ouvre à tout justiciable la possibilité d’un recours en inconstitutionnalité de la loi, porte une véritable révolution juridique : désormais, dans le cours d’une procédure civile, pénale ou administrative, chacun aura la faculté de contester la loi qui lui est opposée s’il estime que celle-ci « porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ». Je rappelle l’importance que revêt pour nous cette réforme, à propos de laquelle certains ont pu parler d’un véritable « big-bang juridictionnel ».

Certes, la question de l’exception d’inconstitutionnalité avait été évoquée plusieurs fois dans le passé, notamment dans le programme présidentiel de François Mitterrand avant 1981, dans les propositions de Robert Badinter de 1990 et dans le rapport du comité Vedel de 1993. Certes, une telle exception existe déjà dans nombre de pays. Toutefois, telle qu’elle vient d’être instituée en France, elle peut être regardée comme une étape majeure pour la protection des libertés et la démocratie, ainsi que comme un réel bouleversement institutionnel, tant ses implications sont nombreuses.

Cette réforme vient compléter le contrôle de constitutionnalité a priori ou préventif, c’est-à-dire antérieur à la promulgation de la loi, réservé au Président de la République, au Premier ministre, aux présidents des assemblées parlementaires et, depuis 1974, à soixante députés ou sénateurs. Elle y ajoute un contrôle a posteriori de la constitutionnalité, au stade de l’application des lois et à l’initiative des citoyens, devenu indispensable pour éviter que certaines lois inconstitutionnelles échappent encore à tout contrôle.

Cette réforme concerne toutes les lois promulguées qui n’ont pas été soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, ce qui pourrait concerner de nombreuses dispositions fiscales ou douanières, mais aussi pénales.

Le mécanisme de la question préjudicielle d’inconstitutionnalité est de nature à modifier profondément les rapports entre les juges judiciaires ou administratifs et le Conseil constitutionnel, puisque, par-delà le filtrage obligatoire des juges du fond, de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, qui devrait instituer un nécessaire dialogue des juges, c’est l’autorité ultime du Conseil constitutionnel sur le contrôle des lois qui est consacrée, autorité à laquelle le Conseil d’État et la Cour de cassation devront se soumettre. Le résultat pourrait être, nous le verrons, une remise en cause du contrôle de la conventionnalité des lois, largement utilisé par le juge judiciaire et le juge administratif.

Il va de soi que les incidences de cette réforme peuvent être très importantes sur le déroulement des procès, la durée des procédures et l’organisation de nos juridictions, en fonction du nombre de questions d’inconstitutionnalité qui seront soulevées par les justiciables ou par leurs avocats, encore impossible à mesurer. En ma qualité de procureur général près la Cour de cassation, je ne puis ignorer cet aspect.

Face à l’ensemble de ces enjeux, l’adoption du projet de loi organique, qui a pour objet de préciser les modalités de la mise en œuvre de l’article 61-1 de la Constitution, revêt un intérêt primordial et appelle une attention toute particulière.

Je m’attarderai sur deux problématiques d’ensemble : le champ d’application de la question préjudicielle de constitutionnalité ; la mise en œuvre juridictionnelle de la question préjudicielle de constitutionnalité.

La problématique du champ d’application de la question préjudicielle de constitutionnalité recouvre elle-même plusieurs questions.

Première question, quels sont les droits garantis ? Selon l’article 61-1 de la Constitution, une question préjudicielle de constitutionnalité ne peut être soulevée que si la disposition législative contestée porte atteinte « aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Que faut-il entendre par là ?

Il semble naturel que les droits et libertés énoncés dans les articles numérotés de la Constitution soient visés. On peut penser au principe de non-discrimination et à l’exigence de favoriser les femmes dans le cadre des élections politiques ou professionnelles, désormais consacrés à l’article 1er de la Constitution.

Mais la notion de « Constitution » renvoie-t-elle aussi au Préambule ? À vrai dire, il serait étonnant qu’il en soit autrement, d’une part parce que cela irait à rencontre de ce que le Conseil constitutionnel a consacré depuis sa décision du 16 juillet 1971, d’autre part parce que cela viderait de sa substance et de sa portée la réforme proposée. On doit donc conclure que la notion de « Constitution » inclut les droits économiques et sociaux du Préambule de 1946, auquel renvoie celui de 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ainsi que les droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004.

Une ambiguïté demeure toutefois s’agissant des principes, exigences et objectifs à valeur constitutionnelle énoncés par le Conseil constitutionnel sans être expressément écrits dans le texte de la Constitution ou de son Préambule : mentionnons l’objectif à valeur constitutionnelle d’accès à un logement décent ou les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en matière de droit pénal des mineurs – primauté de l’éducatif sur le répressif, atténuation de responsabilité et principe de spécialisation de la juridiction pour mineurs. Là encore, par souci de cohérence avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, d’attachement à l’État de droit et d’efficacité de la réforme, il serait fâcheux que de tels principes ou objectifs soient artificiellement mis à l’écart de ce que les constitutionnalistes appellent désormais le « bloc de constitutionnalité ».

Pour répondre plus précisément à votre interrogation sur les principes constitutionnels le plus susceptibles d’être utilisés par des requérants, notamment en matière de contentieux devant les juridictions civiles et pénales, je citerai : en matière pénale, les principes du respect des droits de la défense, de la légalité des délits et des peines, de la non-rétroactivité des lois pénales les plus sévères, de la proportionnalité des peines ; en matière civile, les principes de l’égalité devant la loi et la justice, de la liberté de la presse, de la liberté d’opinion, de conscience, de religion, de communication, d’association, d’enseignement, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit d’asile ; en matière sociale, le principe de la liberté syndicale, le droit au travail et à l’emploi, le droit de grève, le principe de la non-discrimination dans le travail.

Pour répondre à votre question concernant l’applicabilité de l’article 61-1 de la Constitution aux dispositions législatives des territoires d’outre-mer, comme la Nouvelle-Calédonie, je pense que la réponse est affirmative, la Constitution s’appliquant dans les territoires d’outre-mer de la République française.

Enfin, j’aurai tendance à considérer que les règles de légalité externe ou du champ de compétence des lois ne devraient pas entrer dans le champ de l’article 61-1 de la Constitution.

Quelles sont les juridictions concernées ?

Le champ couvert par l’article 61-1 de la Constitution s’avère très large quant aux juridictions concernées : la question de constitutionnalité pourra être soulevée au cours de toute instance, devant toute juridiction, qu’elle relève du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, y compris, pour la première fois, en appel ou en cassation.

S’agissant des juridictions civiles, devraient être inclus dans le champ de l’article 61-1, par exemple, le juge de l’exécution, le juge aux affaires familiales, le juge de la mise en état, le juge des référés.

Cela m’amène à répondre à votre première interrogation : une question de constitutionnalité peut-elle être soulevée devant un tribunal arbitral ou devant une autorité administrative exerçant un pouvoir de sanction et considérée comme une juridiction au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ?

Le tribunal arbitral n’étant pas une juridiction étatique, il ne me semble pas que l’exception d’inconstitutionnalité pourra être soulevée devant lui. En revanche, elle pourrait l’être devant la cour d’appel ou la Cour de cassation, amenées à statuer à la suite d’une décision rendue par un tribunal arbitral. La jurisprudence de la Cour de cassation considère au demeurant qu’une sentence arbitrale est une décision de justice et que les arbitres doivent respecter les règles impératives du droit, en particulier les principes de la contradiction ou des droits de la défense, sous le contrôle du juge de l’annulation.

Quant aux autorités administratives indépendantes, le même raisonnement m’amène à considérer qu’une exception d’inconstitutionnalité ne pourra être soulevée que devant la cour d’appel ou la Cour de cassation statuant sur le recours formé contre une de leurs décisions.

S’agissant des juridictions pénales, la question d’inconstitutionnalité pourra être soulevée au cours de l’instruction. En ce cas, elle sera portée devant la chambre de l’instruction, qui détient seule le pouvoir d’annuler un acte ou une pièce de la procédure d’instruction.

La question d’inconstitutionnalité devrait pouvoir aussi être soulevée devant les formations juridictionnelles en charge du contentieux de l’application des peines.

Le projet de loi organique, dans son dernier état, exclut en revanche la possibilité de soulever une question d’inconstitutionnalité devant la cour d’assises. L’exposé des motifs du projet de loi organique justifie cette restriction par la composition particulière de la cour d’assises et par l’intérêt qui s’attache à ce que les questions de droit et de procédure soient réglées avant l’ouverture du procès criminel, toute latitude étant ouverte en amont, dans la phase de l’instruction. Quels que soient les mérites de ces dispositions, malgré la spécificité de la procédure criminelle et de la composition de la cour d’assises, je m’interroge sur l’opportunité d’exclure un recours en inconstitutionnalité devant cette juridiction, y compris lorsqu’elle statue sans jurés, en première instance – notamment dans les affaires de terrorisme –, alors qu’elle intervient précisément, de façon directe, sur les libertés et droits fondamentaux de la personne.

Autre question, particulièrement délicate, comment s’opérera le choix entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité ?

Pour le justiciable, il ne sera pas facile de choisir entre l’invocation de l’inconstitutionnalité et l’invocation de l’inconventionnalité de la loi contestée. Il devra prendre en compte la durée prévisible de chacune des procédures et surtout la nature différente de leurs effets : dans le cas de l’inconstitutionnalité, le justiciable peut obtenir l’abrogation complète de la loi critiquée, tandis que, dans le cas de l’inconventionnalité, il peut gagner son procès, mais la loi demeure. Cela incite à penser que la voie de l’inconstitutionnalité pourra intéresser davantage des plaideurs institutionnels, des groupements ou des associations poursuivant des objectifs plus généraux ou collectifs.

La principale difficulté apparaîtra cependant dans le cas où seront invoquées cumulativement l’inconstitutionnalité et l’inconventionnalité de la loi contestée, lorsqu’une partie ou son avocat présenteront les deux moyens à la fois. En pareil cas, il m’avait semblé, avant que le projet de loi organique ne soit élaboré, qu’en l’absence d’indication à ce sujet dans l’article 61-1 de la Constitution, il n’était pas nécessaire de donner priorité à une question sur l’autre : il fallait laisser au juge le soin de retenir le moyen le mieux fondé, en se plaçant du seul point de vue de la qualité et de la pertinence juridique du moyen.

Toutefois, le projet de loi organique, dans son dernier état, s’est placé sur le terrain de la hiérarchie des normes et a considéré que la conformité d’une loi à la Constitution, norme suprême nationale, devait être examinée en premier, avant sa conformité à une convention internationale. La justification de cette adjonction tient, d’après l’exposé des motifs, à la « volonté de réappropriation de la Constitution par les justiciables » exprimée par le pouvoir constituant lors de la révision du 23 juillet 2008. Il s’agit là, sans doute, de répondre aux critiques formulées par certains contre le contrôle de conventionnalité, auquel il est reproché d’accorder aux normes internationales plus de poids et d’influence sur notre droit que notre propre Constitution, au détriment de l’« identité constitutionnelle française ».

Cette solution ne va cependant pas sans poser de problèmes, eu égard à l’applicabilité directe, en droit interne, du droit communautaire et de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi à l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État au sujet de la hiérarchie des normes internes et internationales, notamment communautaires. Le Conseil constitutionnel a en effet décidé que la théorie traditionnelle de la « Constitution-écran » ne pouvait plus contredire la primauté du droit communautaire et le Conseil d’État a établi que, conformément à l’article 88-1 nouveau de la Constitution, il existe une obligation constitutionnelle de transposition des directives de l’Union européenne. Au reste, le projet de loi organique a repris les conséquences que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont tiré des exigences de l’article 88-1 de la Constitution en matière de droit communautaire, en prévoyant une hypothèse de taille dans laquelle la primauté du contrôle de constitutionnalité ne jouera pas complètement : celle des lois de transposition des directives. Cette exception introduit une première brèche qui, me semble-t-il, réduit la cohérence d’ensemble, inspirée par la volonté de « réappropriation de la Constitution par les justiciables ».

Pour éviter ce conflit délicat entre le contrôle de conventionnalité et le contrôle de constitutionnalité, il convient d’effectuer un travail d’information auprès des parties et de leurs avocats afin de les convaincre de ne pas invoquer cumulativement les deux recours et de bien choisir celui qui est le plus efficace et le plus utile à leurs intérêts. Dès lors, plutôt que de faire prévaloir le contrôle de constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité, il convient de laisser le juge répondre de la manière plus efficiente.

En quoi est-il nécessaire d’instaurer la priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité ?

J’observe que le projet de loi organique, dans son dernier état, a réservé lui-même le cas de l’article 88-1 de la Constitution et du droit communautaire. Si le juge saisi constate que la question posée soulève une difficulté sérieuse d’interprétation du droit communautaire, il devrait d’abord poser la question préjudicielle à la Cour de justice des communautés européennes.

La mise en œuvre juridictionnelle de la question préjudicielle de constitutionnalité soulève elle aussi divers problèmes.

Le premier problème concerne la transmission de la question préjudicielle de constitutionnalité à la Cour de cassation par le juge du fond. À ce stade du processus déjà, plusieurs interrogations surgissent.

Première interrogation, quelles personnes ont qualité ou intérêt à soutenir la question préjudicielle ? La formulation de l’article 61-1 de la Constitution est large –« Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit » – et devrait permettre, en principe, à toute partie de soulever une question préjudicielle de constitutionnalité, qu’il s’agisse, par exemple, de la partie civile à l’occasion d’une instance devant le juge pénal ou du défendeur à une action civile à l’occasion d’un pourvoi en cassation.

J’estime évidemment que le ministère public doit pouvoir soulever une question préjudicielle de constitutionnalité mais aussi recevoir communication de toute question préjudicielle de constitutionnalité posée par un requérant. Quant au juge, la faculté devrait lui être reconnue de relever d’office une question préjudicielle de constitutionnalité, à l’instar de tout moyen d’ordre public ; il me semble en effet difficile d’admettre qu’un juge puisse appliquer une loi en la sachant inconstitutionnelle.

Je m’interroge dès lors sur la portée qu’il y a lieu de donner à la précision ajoutée dans le projet de loi organique, selon laquelle la question de constitutionnalité « ne peut être relevée d’office ».

Par ailleurs, en cas de désistement de l’action ou de désistement de l’instance avant la transmission de la question préjudicielle au Conseil constitutionnel, il m’apparaît que la question de constitutionnalité ne peut plus prospérer, puisque, s’agissant d’un incident concernant l’instance principale, le désistement met un terme à cette instance. Il n’y a plus lieu de statuer sur l’exception.

Deuxième interrogation, quelle est l’étendue du principe du sursis à statuer et ses exceptions en cas de transmission de la question par le juge ?

La règle du sursis à statuer en cas de transmission de la question préjudicielle par le juge, avec sa limitation du sursis de trois à six mois, ne me paraît pas poser de difficulté dans son principe. J’observe cependant qu’en prévoyant un sursis à statuer dans l’attente de la décision sur la constitutionnalité lorsque le juge du fond a statué sans attendre, le projet de loi organique confère un caractère suspensif au pourvoi en cassation quelle que soit la matière en cause, alors que le principe en matière civile est, selon l’article 579 du code de procédure civile, celui de l’absence d’effet suspensif.

Par ailleurs, le projet de loi organique a introduit un mécanisme complexe de dérogations au sursis à statuer, dans le but de garantir le bon fonctionnement du service public de la justice et de répondre aux situations d’urgence, en précisant notamment que le cours de l’instruction ne sera pas suspendu par la transmission de la question de constitutionnalité et que le juge pourra toujours prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

Or certaines de ces dérogations peuvent soulever des difficultés.

En prévoyant, par exemple, qu’il n’est pas sursis à statuer « lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance ni lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté », le projet de loi organique ne permet pas de déterminer de façon suffisamment précise quel type d’instance est concerné.

Par ailleurs, on ne peut exclure l’hypothèse dans laquelle le juge n’a pas sursis à statuer et où la personne qui a soulevé la question préjudicielle de constitutionnalité est condamnée pénalement sans former de pourvoi en cassation contre cette décision. En pareille situation, si la question préjudicielle d’inconstitutionnalité se trouve ensuite accueillie favorablement par le Conseil constitutionnel, il pourrait y avoir lieu d’ouvrir un réexamen de la décision de condamnation pénale.

Enfin, en énonçant qu’« en tout état de cause, le cours de l’instruction n’est pas suspendu et les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires peuvent être prises en toute instance », le projet de loi organique semble viser à la fois les domaines pénal et civil, sans préciser auquel des deux s’applique chacun des éléments de cette disposition.

Or il ne faut pas dissimuler les difficultés susceptibles de s’attacher à une telle absence de suspension, eu égard aux délais de prescription de l’action publique et de péremption de l’instance.

II peut être par exemple noté qu’en matière de presse, la transmission de la question préjudicielle de constitutionnalité pourrait se retourner contre les parties demeurées passives pendant la durée du sursis à statuer.

Face à la complexité du régime prévu pour les exceptions au sursis à statuer, tantôt obligatoires, tantôt facultatives, il me semblerait plus prudent de laisser au juge un certain pouvoir d’appréciation, en tenant compte des mesures d’urgence ou des mesures conservatoires nécessaires.

La décision du juge du fond de transmettre ou de ne pas transmettre une question préjudicielle de constitutionnalité à la Cour de cassation ou au Conseil d’État est-elle susceptible de recours ?

Le projet de loi organique exclut clairement tout recours contre la décision de transmission d’une question d’inconstitutionnalité à la Cour de cassation ou au Conseil d’État. L’exposé des motifs justifie cette exclusion, à juste titre, par la nécessité d’éviter que la mise en œuvre du mécanisme ne serve de prétexte à des manœuvres procédurales. Il ajoute que la partie qui s’oppose à ce que la question soit posée pourra faire valoir son point de vue devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, en plaidant, le cas échéant, que les conditions posées par la loi organique n’étaient pas réunies.

Quant au refus de transmission de la question préjudicielle, il est précisé qu’il ne pourra être contesté qu’à l’occasion d’un recours portant sur la décision au fond. Il peut être observé que la possibilité de former un recours, même différé, à l’encontre de la décision du juge du fond est de nature à compromettre le système du double filtrage institué par la Constitution. Devant la Cour de cassation, le contentieux lié à cette faculté de recours risque en effet d’être plus important en nombre que celui de l’examen des questions préjudicielles de constitutionnalité transmises par les juges du fond ou soulevées pour la première fois devant la Cour de cassation.

Le deuxième problème a trait au renvoi de la question préjudicielle au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation. Celle-ci peut être conduite à examiner une question de constitutionnalité dans deux hypothèses.

Première hypothèse, une juridiction du fond lui transmet une question préjudicielle après avoir elle-même procédé à un premier examen des trois points prévus : la disposition contestée doit commander l’issue du litige, la validité de la procédure ou constituer le fondement des poursuites ; elle ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux ; elle ne doit pas avoir été auparavant déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision, sauf changement de circonstances.

Seconde hypothèse, une partie forme un pourvoi contre l’arrêt d’une cour d’appel qui a refusé de renvoyer à la Cour de cassation.

Deux questions méritent à mon sens une attention particulière : la formation appelée, au sein de la Cour de cassation, à opérer la transmission au Conseil constitutionnel ; les critères du filtrage.

S’agissant de la formation de la Cour de cassation chargée de se prononcer sur la transmission au Conseil constitutionnel, le projet de loi organique prévoit une formation nouvelle ad hoc de la Cour de cassation, inspirée de la formation existant pour les demandes d’avis en matière civile, composée du premier président, des présidents de chambre et de deux conseillers à la Cour de cassation appartenant à chaque chambre spécialement concernée. Le premier président pourra aussi, lorsque la solution paraît s’imposer, renvoyer la question devant une formation restreinte composée de lui-même, du président de la chambre spécialement concernée et d’un conseiller de cette chambre. L’exposé des motifs du projet de loi ajoute que le premier président et les présidents des chambres pourront être suppléés.

S’agissant du ministère public devant la Cour de cassation, il va de soi que le parquet général de la Cour de cassation doit pouvoir présenter son avis devant chacune des formations ad hoc concernées. Par ailleurs, le projet de loi organique n’ayant pas précisé le régime de la procédure devant cette formation ad hoc, les règles ordinaires relatives à la procédure devant la Cour de cassation s’appliqueront. II conviendra en particulier que la question préjudicielle soulevée a l’occasion d’une instance devant la Cour de cassation soit présentée dans un mémoire ou des conclusions spécialement rédigées à cette fin, de manière à faciliter le traitement de la question devant la formation ad hoc.

S’agissant des critères de transmission au Conseil constitutionnel, il résulte des dispositions du projet de loi organique que la Cour de cassation, comme le Conseil d’État, exercera un contrôle sur les trois critères mis en œuvre par les juges du fond et qu’elle ne saisira le Conseil constitutionnel que si la disposition contestée « soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ». Le caractère « alternatif » de ces derniers critères peut poser problème. Il aurait été préférable, sinon d’abandonner le critère de la nouveauté, du moins de rendre cumulatifs les deux critères, ainsi que le prévoit l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire pour les demandes d’avis. Le critère de la nouveauté ne me paraît pas pouvoir être pris seul en compte devant la Cour de cassation, au risque de favoriser la formulation de nombreuses questions fantaisistes.

Le troisième problème porte sur la représentation par avocat en matière de question préjudicielle de constitutionnalité.

La complexité en droit de la question de constitutionnalité ne permet pas d’envisager une dispense du ministère d’avocat devant la Cour de cassation, si l’on veut que les recours soient efficaces ou effectifs. Sous le bénéfice de cette observation, une distinction me semble devoir être opérée selon que la question préjudicielle de constitutionnalité est transmise par une juridiction du fond ou soulevée à l’occasion d’un pourvoi en cassation.

Lorsque la question préjudicielle est transmise à la Cour de cassation par un juge du fond, deux types de solutions peuvent être envisagées : soit la simple transposition des règles applicables actuellement en matière de pourvoi en cassation ordinaire, prévoyant la représentation obligatoire en matière civile ; soit la généralisation de la représentation obligatoire pour l’examen de toutes les questions préjudicielles de constitutionnalité à la matière civile mais également à la matière pénale.

Lorsque la question préjudicielle est formée dans le cadre d’un pourvoi en cassation, la représentation obligatoire devrait suivre les règles applicables au pourvoi.

Le quatrième problème est relatif à l’octroi de l’aide juridictionnelle en cas de question préjudicielle de constitutionnalité. Il s’agit d’un sujet d’importance pour l’effectivité du droit d’accès à la justice des plaideurs les plus démunis désireux de soulever une question d’inconstitutionnalité.

Le dispositif prévu à cet égard par le projet de loi organique concerne la rétribution des auxiliaires de justice prêtant leur concours au titre de l’aide juridictionnelle devant le Conseil constitutionnel, mais il ne prend pas en compte spécifiquement le traitement de la question préjudicielle devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État.

Or, devant la Cour de cassation, l’attribution de l’aide juridictionnelle ne se posera pas de la même manière selon que la question de constitutionnalité sera soulevée à l’appui d’un pourvoi en cassation ou transmise à la Cour de cassation par une juridiction de fond : si la question est invoquée à l’appui d’un pourvoi en cassation, l’attribution de l’aide juridictionnelle devrait obéir aux conditions ordinaires, notamment à la condition qu’il existe un moyen sérieux de cassation ; si la question préjudicielle a été transmise par une juridiction du fond sans que le demandeur ait bénéficié jusque-là de l’aide juridictionnelle, le projet de loi organique ne permet pas, en l’état, l’octroi de cette aide devant la Cour de cassation. II serait souhaitable que l’aide puisse être attribuée au regard des seules ressources, en vue de la désignation d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Par ailleurs, l’aide devrait, sous la même condition de ressources, être octroyée de plein droit au défendeur à la question préjudicielle de constitutionnalité.

Le cinquième problème concerne la décision de la Cour de cassation de transmettre ou de ne pas transmettre au Conseil constitutionnel et ses suites.

La Cour de cassation, comme le Conseil d’État, dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer sur la transmission au Conseil Constitutionnel, ce dernier ayant ensuite lui aussi trois mois pour trancher.

Je considère que les décisions de la Cour de cassation devront être motivées. Un certain pouvoir de reformulation des termes de la question devrait même pouvoir être reconnu à la Cour de cassation et au Conseil d’État en cas de mauvaise rédaction, eu égard au pouvoir propre qui leur est reconnu de vérifier si la disposition contestée soulève une « question nouvelle » ou présente une « difficulté sérieuse ».

En revanche, il ne me paraissait pas nécessaire de prévoir un dispositif formel de transmission au Conseil constitutionnel d’une copie des décisions rejetant les demandes de saisine, dès lors que les décisions de la Cour de cassation revêtent toutes un caractère public et accessible. Je constate cependant que le projet de loi organique, dans son dernier état, en a décidé autrement, puisqu’il est précisé, à l’article 23-7 introduit dans l’ordonnance du 7 novembre 1958, que le Conseil constitutionnel reçoit une copie de la décision par laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation décide de ne pas le saisir d’une question d’inconstitutionnalité. Faut-il y voir la volonté de consolider le rôle de juge suprême du Conseil constitutionnel, appelé à contrôler dans tous les cas les motifs pour lesquels la Cour de cassation et le Conseil d’État effectuent leur filtrage ? La question mérite d’être posée.

Le sixième problème porte sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel lui-même. Plusieurs interrogations importantes subsistent à cet égard.

Premièrement, quelle est la portée du pouvoir de modulation reconnu au Conseil Constitutionnel par l’article 62, alinéa 2, de la Constitution, quant aux effets de sa décision d’inconstitutionnalité ? Il peut, par exemple, abroger une disposition déclarée inconstitutionnelle à compter d’une date ultérieure à la publication de sa décision et déterminer les conditions et les limites dans lesquelles les effets produits par la disposition sont susceptibles d’être remis en cause. Selon moi, il n’est pas souhaitable que le Conseil Constitutionnel aille ainsi, indirectement, jusqu’à énoncer les conséquences à tirer sur l’affaire judiciaire en cours. Le contentieux judiciaire doit être laissé entre les mains du juge judiciaire.

Un large champ d’appréciation reste encore ouvert, il est vrai, notamment en ce qui concerne les effets de l’abrogation d’une disposition pénale ou de procédure pénale par le Conseil constitutionnel. Même si cette abrogation produit ses effets pour l’avenir, on ne peut exclure que des personnes déjà condamnées demandent le bénéfice de l’abrogation et réclament une indemnisation. Mais je me garderai d’anticiper sur les jurisprudences susceptibles de se développer.

Deuxièmement, l’abrogation d’un texte qui avait remplacé un texte précédent pourra-t-elle avoir pour effet de faire revivre la disposition antérieure ? La question est complexe. Néanmoins, à première vue, puisque le texte a été abrogé, il appartient au législateur d’adopter rapidement un nouveau texte rectifié pour régir les situations concernées.

Troisièmement, dans quelles conditions le Conseil constitutionnel, saisi d’une question préjudicielle, pourra-t-il réexaminer une loi précédemment déclarée conforme en cas de changement des circonstances ou de nouveauté de la question posée ? À cet égard, on peut se demander si l’autorité erga omnes dont sont revêtues les décisions du Conseil constitutionnel lorsqu’il se prononce au sujet d’une disposition législative ne peut pas faire obstacle à des revirements de jurisprudence au sujet de la constitutionnalité d’une disposition donnée.

Nous nous trouvons en présence d’une réforme assurément extraordinaire pour la protection des droits des justiciables, mais qui, à ce stade, soulève un champ immense de questions. L’avenir de la nouvelle procédure dépendra pour une large part de ce qu’en feront les juges chargés des filtrages successifs. Au fur et à mesure que la législation prospère, le rôle du juge se renforce et l’accès à la justice se développe. Par conséquent, la moindre faille sera exploitée. S’il s’agit d’améliorer les exigences du service public de la justice, tant mieux ; s’il s’agit de mener des manœuvres dilatoires, la vigilance est de rigueur.

M. René Dosière. Les lois du pays votées par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui ont valeur législative, seront-elles soumises à ce contrôle ?

M. Jean-Louis Nadal. Oui.

M. le Président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Tous les intervenants à qui nous avons posé la question nous ont répondu positivement.

M. René Dosière. Il sera utile de le préciser.

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Ce sera fait.

Monsieur le Procureur général, je vous remercie.

*

* *

Audition de M. Vincent LAMANDA, Premier président
de la Cour de cassation

M. le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous accueillons maintenant M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation.

Monsieur le premier président, au nom de la Commission des lois, je vous souhaite la bienvenue et vous propose de nous faire part sans attendre de vos observations générales sur le présent projet de loi, ainsi que de vos réponses aux questions que nous vous avons transmises par écrit.

M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation. Tout d’abord, permettez-moi vous dire combien je suis honoré d’être entendu par votre commission sur le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, qui offre un nouveau droit au justiciable.

On ne peut que se féliciter de la présentation de ce texte qui concourt au renforcement des droits et libertés des citoyens. Il convient cependant de veiller à ce que les conditions de sa mise en œuvre ne viennent pas bouleverser les équilibres juridictionnels patiemment établis et altérer l’exercice habituel de son autorité par l’institution judiciaire.

J’entends dire qu’il s’agit de créer une « Cour suprême » – qui imaginerait déjà l’extension de ses prérogatives, du fait des judicieuses décisions qu’elle prendrait ; qui serait appelée à subordonner, par un dialogue rénové, les ordres administratif et judiciaire ; qui établirait et modifierait à sa guise son règlement de procédure, à la différence de toutes les autres juridictions françaises. Serait-ce véritablement la volonté du constituant ? Le magistrat professionnel que je suis s’interroge, tout en se réjouissant de l’hommage indirect ainsi rendu au noble métier de juge.

Les choix à venir devront être soigneusement réfléchis. À cet égard, les questions que vous m’avez transmises manifestent votre volonté d’être préalablement éclairés. Je vais m’efforcer d’y répondre.

Vous m’avez tout d’abord demandé si une question préjudicielle pourra être soulevée devant un tribunal arbitral. Deux séries d’arguments militent pour exclure la juridiction arbitrale du champ d’application de l’article 61-1 de la Constitution.

En premier lieu, le tribunal arbitral n’est pas une « juridiction relevant de la Cour de cassation » : l’arbitre, détaché de tout lien avec un État, ne relève pas d’un ordre juridique étatique affirmé. Comme le souligne la jurisprudence de la Cour de cassation, « les arbitres (…) tiennent leur pouvoir du seul consentement des parties, et non de la puissance publique ». Ils n’ont donc pas leur place dans l’ordonnancement des juridictions dans la hiérarchie judiciaire.

En second lieu, l’arbitre, juge privé, n’est pas habilité à saisir une instance publique pour trancher une question de droit qui lui est soumise. D’ailleurs, la Cour de justice des Communautés européennes ne reconnaît pas aux arbitres le droit de lui poser une question préjudicielle, un tribunal arbitral conventionnel ne constituant pas selon elle une juridiction d’un État-membre.

Les autorités administratives indépendantes disposant d’un pouvoir de sanction, et assimilées, de ce fait, aux tribunaux au sens de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne peuvent pas non plus être considérées comme relevant de la Cour de cassation, alors même que le recours susceptible d’être formé à l’encontre de leurs décisions relèverait de la compétence du juge judiciaire.

L’Autorité de la concurrence en offre un exemple topique : la loi du 4 août 2008 la qualifie expressément d’ « autorité administrative indépendante », ce qui exclut par principe qu’elle puisse relever de l’autorité judiciaire. Un raisonnement comparable peut être tenu à l’égard d’autres autorités de régulation, comme l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, ou le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques : en dépit de certaines attributions juridictionnelles, ces autorités administratives indépendantes ne constituent pas des juridictions relevant de la Cour de cassation. En revanche, la juridiction saisie d’un recours contre la décision d’une autorité administrative indépendante – en règle générale, la Cour d’appel de Paris – pourra valablement transmettre une question préjudicielle de constitutionnalité.

Quels seraient les principes constitutionnels les plus susceptibles d’être utilisés par des requérants, notamment en matière de contentieux devant les juridictions civiles et pénales, pour soulever des questions de constitutionnalité ?

Ma réponse à cette question sera nécessairement brève : il paraît en effet difficile de déterminer à l’avance les moyens que les parties pourraient envisager de soulever dans leur propre intérêt ; le champ des possibles est très vaste. Ce qui est sûr, c’est que le nombre des juridictions de l’ordre judiciaire et la diversité de leurs contentieux conduiront à ce que soient posées devant elles la majorité des questions. Elles vont donc s’y préparer activement, notamment grâce à un important programme de formation continue, auquel la Cour de cassation est associée. L’institution judiciaire jouera loyalement sa partition, soyez-en assurés.

Le terme de « disposition législative » suffit-il à permettre de contester la constitutionnalité d’une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie ? Il résulte de l’article 77 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, et de l’article 99 de la loi organique du 19 mars 1999, que les lois de pays de la Nouvelle-Calédonie ont une valeur législative ; selon l’article 104 de la loi organique du 19 mars 1999, elles peuvent être déférées au Conseil constitutionnel. On peut donc les considérer comme des « dispositions législatives » au sens de l’article 61-1 de la Constitution.

Les termes de « droits et libertés garantis par la Constitution » permettraient-ils d’invoquer une incompétence négative du législateur à l’appui d’une question de constitutionnalité ? S’il faut entendre par là qu’il serait possible d’invoquer la carence du législateur, qui aurait refusé de faire application de son pouvoir législatif, il me semble que la lettre de l’article 61-1 doit conduire à une réponse négative. En effet, le dispositif mis en place par ce texte ne tend qu’à permettre à un justiciable d’obtenir que soit écartée une disposition législative qui porterait atteinte aux droits et libertés que le Constitution garantit. Autrement dit, si le constituant a conféré au justiciable la faculté, à l’occasion d’un procès, de contester la constitutionnalité d’une norme, il n’a pas entendu lui attribuer la possibilité de contester l’action même du législateur. De plus, je ne vois pas comment, concrètement, pourrait se traduire une telle contestation, puisque, par définition, il n’y a pas de « disposition législative », donc pas de texte à écarter.

Est-il nécessaire d’instaurer la priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité ?

Dans sa rédaction actuelle, l’article 1er, alinéa 14, du projet de loi organique édicte : « La juridiction doit en tout état de cause, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant, de façon analogue, la conformité de la disposition à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur la question de constitutionnalité, sous réserve, le cas échéant, des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution. » L’exposé des motifs précise que « cette priorité d’examen est liée à l’effet erga omnes de la déclaration d’inconstitutionnalité qui conduira à l’abrogation de la disposition législative contestée ». Il ajoute : « Elle s’inscrit dans la volonté de réappropriation de la Constitution par les justiciables exprimée par le pouvoir constituant lors de la révision du 23 juillet 2008. »

Je ferai à ce sujet trois observations.

En premier lieu, cette disposition repose sur une assimilation inexacte du « contrôle de conventionnalité » au « contrôle de constitutionnalité ». Ce dernier est un contrôle de légalité visant à vérifier la conformité d’une norme législative avec une norme supérieure, constitutionnelle ; il est réalisé de façon abstraite et aboutit à une décision de portée générale, qui peut se traduire par une abrogation.

Au contraire, le contrôle de conventionnalité, tel qu’il découle des jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, tend, non à contrôler la légalité de la norme interne à la norme internationale, mais à s’assurer que l’application d’une loi nationale à une situation donnée n’entraîne pas une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit donc d’un contrôle concret, en fonction des faits de la cause, et à la portée limitée au cas d’espèce. Le même texte peut ainsi, suivant les circonstances, voir son application écartée ou approuvée par le juge judiciaire, comme l’indiquent les arrêts d’assemblée plénière de la Cour de cassation sur la législation relative au désendettement des rapatriés. Si les droits reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales se rapprochent, de par leur contenu, des droits fondamentaux affirmés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, leur mise en œuvre répond à des conditions différentes et ils ne peuvent nécessairement se confondre.

En deuxième lieu, la priorité instituée par le projet de loi est de nature à porter préjudice au justiciable. Par exemple, si une partie conteste l’inconstitutionnalité d’une loi en vertu de laquelle elle est privée de sa liberté et, concomitamment, à bon droit, l’inconventionnalité de l’application qui lui est faite de cette disposition législative, le juge ne pourrait, en vertu de l’article 1er, alinéa 14, accueillir immédiatement l’exception d’inconventionnalité et prononcer la remise en liberté. Au contraire, il serait tenu de transmettre la question à la Cour de cassation qui, dans un délai de trois mois, transmettrait au Conseil constitutionnel, lequel statuerait dans un délai similaire. Le justiciable devrait donc patienter six mois, alors qu’il pourrait être mis fin immédiatement à une privation indue de liberté !

Je rappelle que, selon l’article 66 de la Constitution, « nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » On peut se demander si cela n’impose pas au juge judiciaire de statuer en premier lieu sur la décision la plus efficace pour assurer la sauvegarde de la liberté individuelle contre l’arbitraire. Il serait paradoxal que l’institution du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception aboutisse à un recul dans la protection de la liberté individuelle !

Cette considération ne vaut pas qu’en matière pénale – bien qu’elle y trouve un écho particulier –, mais se vérifie chaque fois qu’une disposition législative, incontestable dans son principe, porte atteinte, à l’occasion de son application à un litige donné, et en fonction des circonstances propres à ce litige, à un droit fondamental ou à une liberté garantie. Les délais de procédure sont un bon exemple d’une telle situation : si le principe de sécurité juridique les justifie en théorie, leur application stricte peut, dans certaines circonstances, se traduire pour le justiciable par une atteinte disproportionnée à son droit d’accès au juge. Le contrôle de conventionnalité peut alors se révéler plus efficace et mieux adapté que le contrôle de constitutionnalité pour assurer la protection effective des droits fondamentaux ; il a pour effet d’écarter l’application de la disposition litigieuse aux seuls cas d’espèce, sans la remettre en question pour tous.

Troisièmement, l’obligation faite au juge de statuer d’abord sur la question de constitutionnalité risque de se révéler inapplicable dans un certain nombre de cas. Il est en effet prévu à l’article 1er, alinéa 18, du présent projet de loi : « La juridiction peut (…) également statuer sans attendre la décision relative à la question de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s’il est formé appel de sa décision, la juridiction d’appel sursoit à statuer à moins qu’elle ne soit elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence. » Ce dispositif conduira le juge, dans les hypothèses prévues par ce texte – par exemple en matière de référé ou de rétention des étrangers –, après avoir transmis la question de constitutionnalité à la Cour de cassation, à se prononcer sur l’exception d’inconventionnalité avant de connaître la décision du Conseil constitutionnel qui, le cas échéant, deviendra sans objet.

Pour toutes ces raisons, on peut se demander si les avocats ne seront pas tentés de ne pas soulever la question de constitutionnalité et de n’invoquer qu’une exception d’inconventionnalité lorsque celle-ci leur apparaîtra de nature à satisfaire immédiatement les intérêts de leur client. L’article 23-2 de l’ordonnance introduit par le projet de loi risquerait alors d’aboutir à un résultat opposé à celui souhaité par le constituant. C’est pourquoi il me semblerait plus opportun de laisser au juge la liberté de statuer en premier sur le moyen qui lui paraît le plus opérant et de nature à protéger le plus rapidement les droits fondamentaux des citoyens.

S’agissant du droit communautaire, la CJCE, depuis l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, estime que « le juge national a l’obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ».

Si l’autonomie des systèmes judiciaires nationaux est reconnue par la Cour de justice, elle l’oriente néanmoins de telle sorte que l’efficacité du droit communautaire soit toujours préservée. Ainsi la Cour de justice a-t-elle affirmé que « serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle, même temporaire, à la pleine efficacité des normes communautaires. »

S’agissant du Conseil d’État et de la Cour de cassation, dans la mesure où leurs décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne, ils ont l’obligation de saisir la CJCE d’une question préjudicielle dès lors que se pose un problème d’interprétation du droit communautaire.

Donner la priorité à la question de constitutionnalité sur le renvoi préjudiciel risquerait de placer le Conseil constitutionnel dans une situation délicate vis-à-vis de la Cour de justice sur le plan institutionnel, si leurs analyses se révélaient différentes. En effet, la Cour de justice ne s’estimera pas tenue par l’interprétation du Conseil constitutionnel. En outre, compte tenu de la jurisprudence que je viens de rappeler, le juge judiciaire, comme le juge administratif, pourrait difficilement se retrancher derrière la réponse du Conseil constitutionnel jugeant la disposition incriminée conforme à la Constitution pour justifier un refus de saisine de la CJCE.

Enfin, la Cour de cassation, en matière pénale comme en matière civile, juge que la demande qui tend au renvoi d’une affaire devant la Cour de justice des Communautés européennes pour interprétation des textes communautaires peut être présentée en tout état de cause et même à titre subsidiaire. Une partie qui poserait une question de constitutionnalité devant la Cour de cassation serait donc également recevable à soulever, à ce stade de la procédure, une demande de renvoi préjudiciel devant la CJCE, même si elle ne l’avait pas sollicitée devant les premiers juges.

Dans cette hypothèse, il importe là encore de laisser au juge judiciaire la faculté de choisir le renvoi préjudiciel si la réponse de la CJCE apparaît déterminante pour l’issue du litige, et de poser une éventuelle question de constitutionnalité ultérieurement, si cela demeure pertinent. On rappellera que, depuis l’instauration d’une nouvelle procédure d’urgence, la Cour de justice peut répondre dans de courts délais – moins de trois mois actuellement – aux questions relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Les exceptions au sursis à statuer sont-elles satisfaisantes ? En tout cas, elles sont nécessaires.

Si le principe du sursis ne pose pas de difficulté particulière, le mécanisme de dérogation prévu par le projet de loi est particulièrement complexe. La formule selon laquelle il n’est pas sursis à statuer « lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance » ne permet pas de cerner avec suffisamment de clarté le type d’instance concernée par cette disposition. Cela concerne-t-il, par exemple, le cas de la personne privée de liberté avant jugement et maintenue en détention à l’occasion de l’instance au fond sur sa culpabilité ?

Dans le cas où la juridiction se sera prononcée sur le fond, ne pouvant surseoir à statuer, et aura néanmoins jugé opportun de poser une question de constitutionnalité, il faudrait prévoir, un recours n’étant pas nécessairement formé contre sa décision, d’ouvrir une possibilité de révision en matière civile, ou de réexamen en matière pénale. Si la question préjudicielle de constitutionnalité se trouvait par la suite accueillie favorablement par le Conseil constitutionnel, la personne concernée pourrait ainsi obtenir la remise en cause de la décision la concernant. Le juge naturel pour en connaître serait tout désigné ; il ne serait en effet pas convenable que, dans une hypothèse de la sorte – certes rare mais qui peut néanmoins se produire –, le Conseil constitutionnel soit conduit, en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution, soit à redresser lui-même la situation, ce qui paraît peu vraisemblable, soit, plutôt, à s’immiscer dans la désignation de la juridiction de l’ordre judiciaire devant le faire. Une personne détenue à titre provisoire devrait, en outre, être en mesure d’obtenir une indemnisation au titre de cette détention lorsque son maintien en détention aura été prononcé et que la question préjudicielle de constitutionnalité aura ultérieurement fait l’objet d’un accueil favorable par le Conseil constitutionnel. Il serait donc souhaitable que la loi organique prévoie l’insertion dans les codes de procédure civile et pénale des dispositions adéquates pour remédier à ces lacunes.

Selon l’article 1er, alinéa 16, du projet de loi, « Lorsque la juridiction décide de transmettre la question, elle sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires peuvent être prises en toute instance. »  Ce texte semble en réalité appréhender à la fois les domaines civil – second membre de la seconde phrase – et pénal – premier membre de la seconde phrase. Pour plus de clarté, cette dernière disposition devrait être dédoublée en précisant à quel domaine s’applique chacun de ces éléments.

Enfin, l’absence de suspension des délais de prescription et de péremption pendant le cours de l’instruction peut être source de difficultés. En soi, le principe du sursis à statuer présente un antagonisme avec l’absence de suspension du cours de l’instruction. En matière de presse notamment, la transmission de la question préjudicielle de constitutionnalité risque de se retourner contre les parties qui demeureraient passives pendant la durée du sursis à statuer.

S’agissant de la procédure devant les juridictions, le libellé de l’article 61-1 de la Constitution paraît exclure implicitement la possibilité d’un relevé d’office de la question préjudicielle de constitutionnalité : l’emploi des termes « il est soutenu » semble réserver l’initiative de la question préjudicielle aux parties, à l’exclusion du juge.

Les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle font d’ailleurs ressortir que la question préjudicielle a été conçue et voulue comme un droit nouveau institué au profit du justiciable. En revanche, le ministère public, qui a toujours la faculté, s’il n’est déjà partie principale, d’intervenir dans toute instance en qualité de partie jointe, aura la possibilité de soulever une question de constitutionnalité.

Si, alors qu’une telle question a été soulevée, un désistement de l’action ou un désistement de l’instance met fin au procès, la question transmise à la Cour de cassation ou renvoyée au Conseil constitutionnel n’aura plus lieu d’être examinée. La lettre même de l’article 61-1 de la Constitution instaure en effet un lien indissoluble entre « l’instance en cours », « à l’occasion » de laquelle sera soulevée la question préjudicielle, et le sort de cette même question, une fois transmise à la Cour de cassation ou renvoyée devant le Conseil constitutionnel. L’examen de cette question n’aura plus lieu d’être si une cause d’extinction de l’instance survient avant la décision du Conseil constitutionnel. Une solution identique a été dégagée s’agissant de la question préjudicielle posée par une juridiction nationale en application de l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne : la CJCE a jugé que « la justification du renvoi préjudiciel et, par conséquent, de la compétence de la Cour, n'est pas la formulation d'opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (…), mais le besoin inhérent à la solution effective d'un contentieux. » Un tel non-lieu à statuer devrait d’ailleurs intervenir quelle que soit la cause d’extinction de l’instance : transaction, acquiescement, désistement d’instance ou d’action, décès d’une partie dans les actions non transmissibles, péremption – dont la survenance serait toutefois peu plausible étant donné les délais impartis respectivement à la Cour de cassation et au Conseil constitutionnel – ou encore caducité de la citation, et ce conformément aux dispositions des articles 384 et 385 du code de procédure civile.

Devant la Cour de cassation, le ministère public sera systématiquement conduit à faire connaître son avis sur la question, les articles L.432-1 et L.432-3 du code de l’organisation judiciaire prévoyant que le procureur général près la Cour de cassation et les avocats généraux portent la parole devant les formations de jugement de la Cour.

Quels critères devraient me conduire à choisir le recours à la formation à trois juges pour examiner certaines questions ? La réponse est simple : je le ferai lorsque la solution paraît s’imposer – par exemple, lorsque la question est manifestement dénuée de tout fondement au regard des critères posés par la loi.

La dispense du ministère d’avocat devrait-elle s’appliquer à la question de constitutionnalité en toute hypothèse ? Les parties ayant été en mesure de discuter contradictoirement de la question de constitutionnalité devant le juge du fond, il ne paraît pas nécessaire d’ouvrir un nouveau débat devant la Cour de cassation, qui se bornera à examiner de nouveau la même question, telle que transmise par le juge : on risque d’alourdir encore la procédure et de retarder la transmission au Conseil constitutionnel.

En matière de demande d’avis, les règles relatives à la représentation des parties suivent celles applicables au pourvoi. S’il devait être néanmoins estimé nécessaire de permettre aux parties de présenter leurs observations devant la Cour de cassation à l’occasion de la transmission de la question de constitutionnalité, il serait opportun de prévoir, compte tenu de la technicité d’un tel contentieux, des dispositions similaires.

Comme le souligne justement le rapport Darrois, le recours à un barreau spécialisé apparaît, au regard du caractère très spécifique du rôle de la Cour de cassation – en la circonstance des critères précis du renvoi devant le Conseil constitutionnel – comme une nécessité. L’inverse comporterait le risque de voir la Cour de cassation submergée par un afflux de mémoires écrits ou d’exposés oraux, en demande et en défense, pour la plupart inopérants ou dépourvus de fondement sérieux, faute d’émaner de juristes hautement spécialisés. Ce foisonnement d’interventions serait de nature à entraver la mission confiée à la Cour de cassation de discerner, dans le très bref délai prévu par le texte, les questions propres à justifier la saisine du Conseil constitutionnel.

La motivation des décisions de transmission à la juridiction suprême ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel est-elle souhaitable ? De façon générale, toutes les décisions des juridictions sont motivées, à l’exception de celles portant uniquement administration judiciaire, ce qui n’est pas le cas de la question de constitutionnalité.

Les juridictions doivent-elles pouvoir reformuler les termes d’une question ? Dans la mesure où le juge n’aurait pas le pouvoir de relever d’office une question de constitutionnalité, il ne devrait pas davantage avoir celui de reformuler une question posée par une partie. S’il peut envisager de réécrire, dans un français plus clair, une question maladroitement formulée, le juge ne saurait cependant en dénaturer le sens dans la mesure où la loi lui fait obligation d’en vérifier la recevabilité au regard des conditions de fond qu’elle pose. En outre, on ne voit pas comment les parties, qui feront présenter leurs observations devant le Conseil constitutionnel, pourraient débattre devant celui-ci d’une question différente de celle qu’ils avaient initialement posée.

De même qu’en matière d’avis, la Cour de cassation s’interdit de répondre au-delà de la question posée par une juridiction, il conviendrait que le Conseil constitutionnel demeure dans les limites de la question le saisissant. Certes, pour le contrôle a priori de la constitutionnalité des lois, le Conseil a fréquemment recours à des réserves d’interprétation qui s’imposent aux autorités administratives et judiciaires et lui permettent, tout en sauvegardant un texte, d’en marquer les limites d’application acceptables. Transposer ce mécanisme à la solution d’une question préjudicielle de constitutionnalité pourrait conduire le Conseil à répondre à des questions qui ne lui auraient pas été directement posées. Le chemin vers la Cour suprême, si séduisant pour certains, ne les incitera-t-il pas à tenter l’aventure ?

Pour terminer sur la procédure, les décisions de la Cour de cassation revêtant toutes un caractère public et accessible, il n’apparaît ni opportun ni nécessaire de prévoir dans la loi organique un dispositif spécifique de transmission au Conseil constitutionnel d’une copie des décisions rejetant les demandes de saisine. Rien n’empêche le directeur du greffe ou le président de chambre, directeur du service de documentation et d’études de la Cour, de transmettre au secrétaire général du Conseil constitutionnel une copie des décisions, à titre d’information. Mais imposer à la juridiction elle-même de transmettre directement au Conseil constitutionnel ses décisions de ne pas le saisir est de nature à laisser accroire que la Cour de cassation serait subordonnée à ce dernier, lequel serait en droit, à partir de l’analyse de ces décisions, de lui adresser des remarques. J’insiste sur ce point, certes symbolique, mais essentiel.

S’agissant des conséquences d’une abrogation d’une décision pénale déclarée inconstitutionnelle, l’article 6 du code de procédure pénale prévoit que l’action publique s’éteint notamment par l’abrogation de la loi pénale. Cette disposition d’ordre général a vocation à s’appliquer s’agissant de l’abrogation qui pourra être prononcée par le Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution.

La jurisprudence est bien établie en ce sens : sauf dispositions législatives contraires expresses, une loi nouvelle, qui abroge une incrimination, s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non encore définitivement jugés. Par transposition de ce principe, l’abrogation, en vertu de l’article 62 de la Constitution, d’un texte pénal fondant les poursuites, devrait ne concerner que les faits n’ayant pas fait l’objet d’un jugement pénal définitif. Le pouvoir de modulation reconnu au Conseil constitutionnel par l’article 62 de la Constitution pourra néanmoins lui permettre de différer dans le temps les effets de cette abrogation.

Cet article prévoit : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »

Lorsqu’une loi est déclarée non conforme à la Constitution, elle est abrogée et disparaît de l’ordonnancement juridique à compter de la décision, y compris, en principe, au bénéfice des procédures en cours. Si cette abrogation devait avoir pour effet de faire revivre la disposition antérieure, qui avait été abrogée par le texte lui-même abrogé, une telle situation juridique serait de nature à entraîner, en matière pénale, une violation du principe de légalité des délits et des peines visé aux articles 111-3 du code pénal et 7, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, puisqu’elle aboutirait à faire revivre un texte qui n’était pas en vigueur au moment de la commission des faits. De façon plus générale, elle risquerait aussi de réintroduire une norme dans un contexte juridique, économique et social auquel elle ne serait plus adaptée.

On peut citer, à titre d’exemple, l’affaire de l’allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, dans laquelle la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1990 déclarant une disposition du code de la sécurité sociale inconstitutionnelle a fait revivre une rédaction antérieure du même texte, que les juridictions du fond ont dû appliquer, jusqu’à ce que la Cour de cassation ne déclare cette application contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en jugeant que le refus d’accorder cette allocation à une personne en raison de sa seule nationalité portait atteinte, de façon discriminatoire, au droit au respect des biens.

L’expérience de nos voisins européens prouve que cette difficulté n’est pas théorique, tant la question des effets de l’abrogation d’une disposition législative est complexe. Ainsi, en Autriche, la Constitution avait prévu initialement un délai maximal de six mois avant abrogation de la disposition litigieuse pour permettre au législateur de la corriger ; des révisions successives l’ont porté à dix-huit mois en raison de la complexité de certains dispositifs législatifs. En Allemagne, cette difficulté a conduit la Cour constitutionnelle à fixer elle-même des délais et à recourir à des injonctions au législateur, par lesquelles elle définit les éléments de législation de substitution qu’elle estime constitutionnellement nécessaires.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je pense avoir répondu à vos quatorze questions et me tiens à votre disposition pour tout complément d’information.

M. Philippe Houillon. Monsieur le premier président, je vous remercie pour la richesse et la précision de votre contribution. Vous nous avez laissé entrevoir que la Commission des lois, et notamment son rapporteur, aura un important travail d’amendement à effectuer sur ce texte.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte en vigueur

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Texte du projet de loi organique

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Texte adopté par la Commission

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Projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution

Projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution

 

Article 1er

Article 1er

 

Il est inséré, après le chapitre II du titre II de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, un chapitre II bis ainsi rédigé :

(Alinéa sans modification)

 

« Chapitre II bis

(Alinéa sans modification)

 

« De la question de constitutionnalité

… question prioritaire de …

(amendement CL25)

 

« Section 1

(Alinéa sans modification)

 

« Dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation

(Alinéa sans modification)

 

« Art. 23-1. – Devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne peut être relevé d’office.

« Art. 23-1. – (Alinéa sans modification)

 

« Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n’est pas partie à l’instance, l’affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu’il puisse faire connaître son avis.

(Alinéa sans modification)

 

« Si le moyen est soulevé au cours de l’instruction pénale, la juridiction d’instruction du second degré en est saisie.

(Alinéa sans modification)

 

« Le moyen ne peut être soulevé devant la cour d’assises. En cas d’appel d’une décision rendue par la cour d’assises en premier ressort, il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration d’appel. Cet écrit est immédiatement transmis à la Cour de cassation.


… d’un arrêt rendu par …

(amendement CL26)

 

« Art. 23-2. – La juridiction transmet la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

« Art. 23-2. –  … transmet sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de …

(amendement CL7 et
sous-amendement CL27)

 

« 1° La disposition contestée commande l’issue du litige ou la validité de la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

« 1°  … contestée est applicable au litige ou à la procédure …

(amendement CL28)

 

« 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

« 2° (Sans modification)

 

« 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

« 3° La question est nouvelle ou présente un caractère …

(amendement CL29)

Constitution du 4 octobre 1958

Art. 88-1. – Cf. annexe.

« La juridiction doit en tout état de cause, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant, de façon analogue, la conformité de la disposition à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur la question de constitutionnalité, sous réserve, le cas échéant, des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle …
… contestant la conformité d’une disposition législative d’une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.

(amendement CL30 rectifié)

 

« La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d’État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n’est susceptible d’aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

(Alinéa sans modification)

   

« Si la juridiction ne s’est pas prononcée à l’issue d’un délai de deux mois à compter de la présentation du moyen, toute partie à l’instance peut saisir, dans un délai d’un mois, le Conseil d’État ou la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité et en informe la juridiction dans le même délai.

(amendement CL31)

 

« Art. 23-3. – Lorsque la juridiction décide de transmettre la question, elle sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

« Art. 23-3. – Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit …

(amendement CL32)

 

« Toutefois, il n’est pas sursis à statuer lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance, ni lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.

… n’est sursis à statuer ni lorsqu’une …

(amendement CL33)

 

« La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s’il est formé appel de sa décision, la juridiction d’appel sursoit à statuer à moins qu’elle ne soit elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.



… question prioritaire de …

(amendement CL34)



… statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même …

(amendement CL35)

 

« En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

(Alinéa sans modification)

 

« Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu’il n’a pas été statué sur la question de constitutionnalité. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.








… question prioritaire de …

(amendement CL36)

 

« Section 2

(Alinéa sans modification)

 

« Dispositions applicables devant le Conseil d’État et la Cour de cassation

(Alinéa sans modification)

 

« Art. 23-4. – Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l’article 23-2 ou au dernier alinéa de l’article 23-1, le Conseil d’État ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse.

« Art. 23-4. – 




… question prioritaire de …

… 1°, et 3° de … … remplies.

(amendements CL38 et CL39)

 

« Art. 23-5. – Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d’irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d’office.

« Art. 23-5. – (Alinéa sans modification)

   

« En tout état de cause, le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit, lorsqu’il est saisi de moyens contestant la conformité d’une disposition législative d’une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

(amendement CL40 rectifié)

 

« Le Conseil d’État ou la Cour de cassation saisit le Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse.


… cassation dispose d’un délai de trois mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1°, et 3° de l’article 23-2 sont remplies.

(amendements CL41 et CL42)

 

« Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d’État ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à ce qu’il se soit prononcé. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. Si le Conseil d’État ou la Cour de cassation est tenu de se prononcer en urgence, il peut n’être pas sursis à statuer.

(Alinéa sans modification)

 

« Art. 23-6. – Le premier président de la Cour de cassation est destinataire des transmissions à la Cour de cassation prévues à l’article 23-2 et au dernier alinéa de l’article 23-1. Le mémoire mentionné à l’article 23-5, présenté dans le cadre d’une instance devant la Cour de cassation, lui est également transmis.

« Art. 23-6. – (Sans modification)

 

« Le premier président avise immédiatement le procureur général.

 
 

« L’arrêt de la Cour de cassation est rendu par une formation présidée par le premier président et composée des présidents des chambres et de deux conseillers appartenant à chaque chambre spécialement concernée.

 
 

« Toutefois, le premier président peut, si la solution lui paraît s’imposer, renvoyer la question devant une formation présidée par lui-même et composée du président de la chambre spécialement concernée et d’un conseiller de cette chambre.

 
 

« Pour l’application des deux précédents alinéas, le premier président peut être suppléé par un délégué qu’il désigne parmi les présidents de chambre de la Cour de cassation. Les présidents des chambres peuvent être suppléés par des délégués qu’ils désignent parmi les conseillers de la chambre.

 
 

« Art. 23-7. – La décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel lui est transmise avec les mémoires ou les conclusions des parties. Le Conseil constitutionnel reçoit une copie de la décision par laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation décide de ne pas le saisir d’une question de constitutionnalité.

« Art. 23-7. – 







… question prioritaire de constitutionnalité. Si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel.

(amendements CL44 et CL43)

 

« La décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation est communiquée à la juridiction qui a transmis la question de constitutionnalité et notifiée aux parties.



… question prioritaire de …
… parties dans les huit jours de son prononcé.

(amendements CL45 et CL46)

 

« Section 3

(Alinéa sans modification)

 

« Dispositions applicables devant le Conseil constitutionnel

(Alinéa sans modification)

 

« Art. 23-8. – Le Conseil constitutionnel, saisi en application des dispositions du présent chapitre, avise immédiatement le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ceux-ci peuvent adresser au Conseil leurs observations sur la question de constitutionnalité qui lui est soumise.

« Art. 23-8. – 

… République et le Premier ministre. Ceux-ci …

… au Conseil constitutionnel leurs observations sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui est soumise. Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sont également avisés par le Conseil constitutionnel.

(amendements CL55, CL47 et CL48)

   

« Lorsque la disposition législative qui fait l’objet de la question prioritaire de constitutionnalité est une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel avise également le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président du congrès et les présidents des assemblées de province.

(amendement CL49)

   

« Art. 23-8-1 (nouveau). - Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l’extinction, pour quelque cause que ce soit, de l’instance à l’occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur l’examen de la question.

(amendement CL50)

 

« Art. 23-9. – Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Les parties sont mises à même de présenter contradictoirement leurs observations. L’audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel.

« Art. 23-9. – (Sans modification)

 

« Art. 23-10. – La décision du Conseil constitutionnel est motivée. Elle est notifiée aux parties et communiquée soit au Conseil d’État, soit à la Cour de cassation ainsi que, le cas échéant, à la juridiction devant laquelle la question de constitutionnalité a été soulevée.

« Art. 23-10. – 




… question prioritaire de …

(amendement CL51)

 

« Le Conseil constitutionnel notifie également sa décision au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.





… Sénat ainsi que, dans les cas prévus au dernier alinéa de l’article 23-8, aux autorités qui y sont mentionnées.

(amendement CL52)

 

« La décision du Conseil constitutionnel est publiée au Journal officiel.


officiel et, le cas échéant, au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie.

(amendement CL53)

 

« Art. 23-11. – Lorsqu’une question de constitutionnalité a été transmise au Conseil constitutionnel, la contribution de l’État à la rétribution des auxiliaires de justice qui prêtent leur concours au titre de l’aide juridictionnelle est majorée selon des modalités fixées par voie réglementaire. »

« Art. 23-11. – Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, la …

(amendement CL54)

 

Article 2

Article 2

 

I. – Il est créé au titre VII du livre VII du code de justice administrative (partie législative), après le chapitre Ier, un chapitre Ier bis ainsi rédigé :

I. – (Alinéa sans modification)

 

« Chapitre Ier bis

(Alinéa sans modification)

 

« La question de constitutionnalité

… question prioritaire de …

(amendement CL56)

Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel

Art. 23-1 à 23-3. – Cf. supra art. 1er.

« Art. L.O. 771-1. – La transmission par une juridiction administrative d’une question de constitutionnalité au Conseil d’État obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

« Art. L.O. 771-1. – 

… question prioritaire de …

(amendement CL57)

Art. 23-4, 23-5 et 23-7. – Cf. supra art. 1er.

« Art. L.O. 771-2. – Le renvoi par le Conseil d’État d’une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel obéit aux règles définies par les articles 23-4, 23-5 et 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. »

« Art. L.O. 771-2. – 
… question prioritaire de …

(amendement CL58)

 

II. – Il est créé au livre IV du code de l’organisation judiciaire (partie législative), un titre VI ainsi rédigé :

II. – (Alinéa sans modification)

 

« Titre VI

(Alinéa sans modification)

 

« Question de constitutionnalité

« Question prioritaire de …

(amendement CL59)

Art. 23-1 à 23-3. – Cf. supra art. 1er.

« Art. L.O. 461-1. – La transmission par une juridiction de l’ordre judiciaire d’une question de constitutionnalité à la Cour de cassation obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

« Art. L.O. 461-1. – 

… question prioritaire de …

(amendement CL60)

Art. 23-4 à 23-7. – Cf. supra art. 1er.

« Art. L.O. 461-2. – Le renvoi par la Cour de cassation d’une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel obéit aux règles définies par les articles 23-4 à 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. »

« Art. L.O. 461-2. – 
… question prioritaire de …

(amendement CL61)

 

III. – Le titre Ier bis du livre IV du code de procédure pénale (partie législative) est rétabli dans la rédaction suivante :

III. – (Alinéa sans modification)

 

« Titre Ier bis

(Alinéa sans modification)

 

« De la question de constitutionnalité

… question prioritaire de …

(amendement CL62)

Art. 23-1 à 23-7. – Cf. supra art. 1er.

« Art. L.O. 630. – Les conditions dans lesquelles le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé dans une instance pénale, ainsi que les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel peut être saisi par la Cour de cassation de la question de constitutionnalité, obéissent aux règles définies aux articles 23-1 à 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. »

« Art. L.O. 630. – 







… question prioritaire de … … définies par les articles …

(amendements CL63 et CL64)

Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

 

Article 2 bis (nouveau)

Art. 107. – Les lois du pays ont force de loi dans le domaine défini à l’article 99. Elles ne sont susceptibles d’aucun recours après leur promulgation.

 

Après le premier alinéa de l’article 107 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

« Les dispositions d’une loi du pays peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, qui obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. »

(amendement CL65)

Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 précitée

Art. 23-1 à 23-7. —  Cf. supra art. 1er.

   
 

Article 3

Article 3

Art. 55. – Cf. annexe.

Art. 56. – Le Conseil constitutionnel complétera par son règlement intérieur les règles de procédure édictées par le titre II de la présente ordonnance. Il précisera notamment les conditions dans lesquelles auront lieu les enquêtes et mesures d’instruction prévues aux articles 42 et 43 sous la direction d’un rapporteur.

Les modalités d’application de la présente loi organique sont fixées dans les conditions prévues par les articles 55 et 56 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. À l’article 56, après les mots : « les règles de procédure », sont ajoutés les mots : « applicables devant lui ».

(Sans modification)

 

Article 4

Article 4

 

Les dispositions de la présente loi organique entrent en vigueur le premier jour du troisième mois suivant celui de sa publication.




… sa promulgation.

(amendement CL66)

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Constitution du 4 octobre 1958 200

Art. 88-1.

Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel 200

Art. 55.

Constitution du 4 octobre 1958

Art. 88-1. – La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences.

Elle peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007.

Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel

Art. 55. – Les modalités d’application de la présente ordonnance pourront être déterminées par décret en conseil des ministres, après consultation du Conseil constitutionnel et avis du conseil d’État.

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement CL1 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

I – A l’alinéa 3, après le mot : « question », insérer le mot : « préalable ».

II – En conséquence, dans l’ensemble du projet de loi organique, substituer aux mots : « question de constitutionnalité » les mots : « question préalable de constitutionnalité ».

Amendement CL2 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Avant l’article 1er

Insérer l’article suivant :

« Au deuxième alinéa de l’article 3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, les mots : « et des votes et de ne prendre aucune position publique » sont supprimés. »

Amendement CL4 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Avant l’article 1er

Insérer l’article suivant :

« L’article 14 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les décisions sont signées par tous les conseillers ayant participé au délibéré, mention étant faite du rapporteur.

« Les conseillers peuvent exprimer leur désaccord sur le dispositif et les motifs de la décision ou sur les seuls motifs dans une opinion séparée, signée de son auteur, annexée à la décision majoritaire et publiée au Journal officiel. »

Amendement CL5 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Avant l’article 1er

Insérer l’article suivant :

« L’article 20 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel est complété par les mots : « de même que les éventuelles opinions séparées ». »

Amendement CL6 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Compléter l’alinéa 7 par les mots : « sans délai ».

Amendement CL7 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

À l’alinéa 10, après les mots : « La juridiction transmet », insérer les mots : « sans délai ».

Amendement CL8 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

À l’alinéa 11, substituer aux mots : « commande l’issue du » les mots : « est en rapport direct avec le ».

Amendement CL9 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

À l’alinéa 12, après le mot : « déclarée » insérer le mot : « expressément ».

Amendement CL10 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Compléter l’alinéa 12 par les mots : « de droit ».

Amendement CL11 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

À l’alinéa 14, supprimer les mots : « , de façon analogue, ».

Amendement CL12 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Après les mots : « question de constitutionnalité » rédiger ainsi la fin de l’alinéa 14 : « sans préjudice des dispositions de l’article 88-1 de la Constitution. »

Amendement CL13 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

À l’alinéa 15, substituer aux mots : « dans les huit jours de son prononcé » les mots : « sans délai ».

Amendement CL14 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Compléter l’alinéa 15 par la phrase suivante :

« La décision de transmettre ou de refuser de transmettre est sommairement motivée. »

Amendement CL15 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

À l’alinéa 23, supprimer les mots : « et que la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ».

Amendement CL16 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Après l’alinéa 23, insérer l’alinéa suivant :

« Si le Conseil d’État ou la Cour de Cassation ne s’est pas prononcé dans le délai prévu au présent article, son avis est réputé favorable au renvoi et la question est immédiatement transmise au Conseil constitutionnel à la demande de toute partie au litige ayant donné lieu à cette question. »

Amendement CL17 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Compléter l’alinéa 25 par la phrase suivante :

« En outre, lorsque le Conseil d’État ou la Cour de cassation est saisi de moyens contestant, de façon analogue, la conformité de la disposition législative incriminée à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, il doit se prononcer en premier sur la question de constitutionnalité, sans préjudice des dispositions de l’article 88-1 de la Constitution. »

Amendement CL18 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Supprimer les alinéas 29, 30 et 31.

Amendement CL19 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

À l’alinéa 32, après les mots : « reçoit une copie de la décision », insérer les mots : « sommairement motivée ».

Amendement CL20 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

I. – À l’alinéa 36, après les mots : « les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat », insérer les mots : « , lesquels informent les membres de leurs assemblées respectives ».

II. – Compléter le même alinéa par la phrase suivante :

« Le même droit est ouvert à soixante députés ou soixante sénateurs. »

Amendement CL21 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Après la première phrase de l’alinéa 36, insérer la phrase suivante :

« À défaut d’avoir statué dans le délai imparti, la question est transmise de plein droit au Conseil constitutionnel, à moins que le justiciable à l’origine de la question ne s’y oppose. »

Amendement CL22 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Après la deuxième phrase de l’alinéa 37, insérer la phrase suivante :

« La procédure garantit les règles du procès équitable. »

Amendement CL23 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Compléter l’alinéa 41 par la phrase suivante :

« Les avocats inscrits à un barreau sont admis à représenter les parties pour les questions préalables d’inconstitutionnalité portées devant le Conseil constitutionnel par le Conseil d’État ou la Cour de cassation. »

Amendement CL24 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Après l’alinéa 22, insérer l’alinéa suivant :

« Art. 23-3-1. – Si une question préalable de constitutionnalité réunissant les conditions énoncées à l’article 23-2 est posée devant une juridiction qui ne relève ni du Conseil d’État ni de la Cour de cassation, la juridiction, sans délai, la transmet, à son choix, au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. »

Amendement CL25 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 3, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL26 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la deuxième phrase de l’alinéa 9, substituer aux mots : « d’une décision rendue » les mots : « d’un arrêt rendu ».

Amendement CL27 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 10, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL28 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 11, substituer aux mots : « commande l’issue du litige ou la validité de » les mots : « est applicable au litige ou à ».

Amendement CL29 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 13, substituer aux mots : « n’est pas dépourvue de caractère sérieux », les mots : « est nouvelle ou présente un caractère sérieux ».

Amendement CL30 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Rédiger ainsi l’alinéa 14 :

« La juridiction doit en tout état de cause, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative d’une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. »

Amendement CL31 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Après l’alinéa 15, insérer l’alinéa suivant :

« Si la juridiction ne s’est pas prononcée à l’issue d’un délai de deux mois à compter de la présentation du moyen, toute partie à l’instance peut saisir, dans un délai d’un mois, le Conseil d’État ou la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité et en informe la juridiction dans le même délai. »

Amendement CL32 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Au début de l’alinéa 16, substituer aux mots : « Lorsque la juridiction décide de transmettre la question, elle », les mots : « Lorsque la question est transmise, la juridiction ».

Amendement CL33 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 17, supprimer le mot : « pas » et insérer après le mot : « statuer » le mot : « ni ».

Amendement CL34 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la première phrase de l’alinéa 18, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL35 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la deuxième phrase de l’alinéa 18, substituer aux mots : « à moins qu’elle ne soit », les mots : « . Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est ».

Amendement CL36 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la première phrase de l’alinéa 20, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Sous-amendement CL37 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur, à l’amendement CL7 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Compléter cet amendement par les mots : « et dans la limite de deux mois ».

Amendement CL38 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la première phrase de l’alinéa 23, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL39 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la deuxième phrase de l’alinéa 23, substituer à la référence : « et 2° », la référence : « , 2° et 3° » et supprimer les mots : « et que la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ».

Amendement CL40 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Après l’alinéa 24, insérer l’alinéa suivant :

« Le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit en tout état de cause, lorsqu’il est saisi de moyens contestant la conformité de la disposition d’une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. »

Amendement CL41 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 25, substituer aux mots : « saisit le Conseil constitutionnel de la question », les mots : « dispose d’un délai de trois mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire ».

Amendement CL42 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 25, substituer à la référence : « et 2° », la référence : « , 2° et 3° » et supprimer les mots : « et que la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ».

Amendement CL43 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Compléter l’alinéa 32 par la phrase suivante :

« Si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel. »

Amendement CL44 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la deuxième phrase de l’alinéa 32, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL45 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 33, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL46 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Compléter l’alinéa 33 par les mots : « dans les huit jours de son prononcé ».

Amendement CL47 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la deuxième phrase de l’alinéa 36, après le mot : « Conseil », insérer le mot : « constitutionnel ».

Amendement CL48 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans la deuxième phrase de l’alinéa 36, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL49 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Après l’alinéa 36, insérer l’alinéa suivant :

« Lorsque la disposition législative qui fait l’objet de la question prioritaire de constitutionnalité est une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel avise également, aux mêmes fins, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président du congrès et les présidents des assemblées de province. »

Amendement CL50 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Après l’alinéa 36, insérer l’alinéa suivant :

« Art. 23-8-1. - Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l’extinction, pour quelque cause que ce soit, de l’instance à l’occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur l’examen de la question. »

Amendement CL51 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 38, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL52 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Compléter l’alinéa 39 par les mots : « ainsi que, dans les cas prévus au dernier alinéa de l’article 23-8, aux autorités qui y sont mentionnées ».

Amendement CL53 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Compléter l’alinéa 40 par les mots : « et, le cas échéant, au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie ».

Amendement CL54 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

Dans l’alinéa 41, substituer aux mots : « Lorsqu’une question de constitutionnalité a été transmise au Conseil constitutionnel », les mots : « Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité ».

Amendement CL55 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 1er

I. – Dans la première phrase de l’alinéa 36, substituer aux mots : « , le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat » les mots : « et le Premier ministre ».

II. – Compléter l’alinéa 36 par la phrase suivante :

« Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sont également avisés. ».

Amendement CL56 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 3, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL57 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 4, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL58 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 5, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL59 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 8, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL60 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 9, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL61 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 10, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL62 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 13, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL63 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 14, après le mot : « question », insérer le mot : « prioritaire ».

Amendement CL64 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 2

Dans l’alinéa 14, après le mot : « définies », substituer au mot : « aux », les mots : « par les ».

Amendement CL65 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Après l’article 2

Insérer l’article suivant :

« Après le premier alinéa de l’article 107 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions d’une loi du pays peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, qui obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. »

Amendement CL66 présenté par M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur :

Article 4

Substituer au mot : « publication », le mot : « promulgation ».

© Assemblée nationale

1 () Projet de loi organique modifiant l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, Assemblée nationale, IXe législature, n° 1204, 30 mars 1990.

2 () En vertu du I de l’article 46 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’article 61-1 de la Constitution entre en vigueur dans les conditions fixées par la loi organique nécessaire à son application.

3 () Journal officiel Débats, Sénat, séance du 24 juin 2008.

4 () Dans son rapport de première lecture, votre rapporteur précisait que « les demandes justiciables sont filtrées par les juridictions qui les reçoivent » (Rapport fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 892, page 442). Dans son rapport, M. Jean-Jacques Hyest exposait au Sénat que le contrôle serait « ouvert, sous réserve des filtres juridictionnels, aux justiciables » (Rapport fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République, Sénat, session 2007-2008, n° 387, page 171).

5 () Votre rapporteur avait ainsi expliqué que « si toute question d’inconstitutionnalité devait remonter immédiatement au Conseil constitutionnel et suspendait la décision de justice sur le fond, le Conseil risquerait d’être rapidement débordé par un flux de requêtes dont beaucoup n’auraient qu’un caractère dilatoire et l’ensemble du système juridictionnel s’en trouverait paralysé. » (Rapport n° 892 précité, Assemblée nationale, XIIIe législature, page 434). De même, M. Jean-Jacques Hyest avait reconnu que « ce filtre éviterait une multiplication incontrôlée des recours devant le Conseil constitutionnel que celui-ci ne serait pas en mesure de traiter. » (Rapport n° 387 précité, Sénat, session 2007-2008, page 178).

6 () Conseil d’État, Assemblée, 11 mai 2004, Association AC ! et autres.

7 () Le Conseil constitutionnel a ainsi reporté de six mois les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité, « afin de permettre au législateur de procéder à la correction de l’incompétence négative constatée » (décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, considérant 58). La correction de l’incompétence négative est ensuite intervenue dès l’adoption définitive et la publication de la loi n° 2008-757 relative à la responsabilité environnementale du 1er août 2008.

8 () Cette disposition législative ne saurait en revanche avoir de conséquence lorsque la disposition déclarée inconstitutionnelle est une disposition de procédure pénale.

9 () En particulier, le principe de continuité des débats, prévu par l’article 307 du code de procédure pénale, interdit en l’état toute suspension pour l’examen d’une question de constitutionnalité.

10 () Voir notamment le compte rendu des débats de la deuxième séance du jeudi 29 mai 2008 à l’Assemblée nationale (Journal officiel Débats, Assemblée nationale, 29 mai 2008).

11 () Cet examen direct sera en harmonie avec la procédure actuelle, puisque les arrêts de cour d’assises faisant l’objet d’un appel sont transmis à la Cour de cassation afin que cette dernière procède à la désignation de la cour d’assises d’appel (article 380-1 du code de procédure pénale).

12 () Journal officiel Débats, Sénat, séance du 24 juin 2008.

13 () Voir notamment Rapport n° 387 précité, Sénat, session 2007-2008, page 177.

14 () M. Jacques-Henri Stahl, « La longue marche de l’exception d’inconstitutionnalité », in Mélanges Genevois, 2009, page 998.

15 () Dans le cas du juge judiciaire, cette question est même relevée d’office (ainsi Cour de cassation, chambre sociale, 14 janvier 1999, arrêt Bozkurt contre CPAM de Saint-Étienne).

16 () Il convient toutefois de signaler que la durée moyenne d’une procédure de renvoi préjudiciel est de 16,8 mois en 2008. Dans le cas de la procédure préjudicielle d’urgence, qui ne peut porter que sur le domaine du troisième pilier, ce délai est ramené à 2,1 mois (Rapport annuel 2008 de la Cour de justice).

17 () La France, dans sa déclaration publiée par le décret n° 2000-668 du 10 juillet 2000, a choisi d’ouvrir cette faculté à l’ensemble de ses juridictions, à l’instar de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, de la Finlande, de la Grèce, de la Hongrie, de l’Italie, de la Lettonie, de la Lituanie, du Luxembourg, des Pays-Bas, du Portugal, de la République tchèque, de la Slovénie et de la Suède. En Espagne, le choix inverse a été fait de réserver la question préjudicielle dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale aux juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne.

18 () Le nombre de questions préjudicielles posées par des juges français est de 21 pour l’année 2004, 17 pour l’année 2005, 24 pour l’année 2006, 26 pour l’année 2007 et 12 pour l’année 2008 (Rapport annuel 2008).

19 () Dans un premier temps, la Cour de justice a considéré que si le traité « oblige, sans aucune restriction, les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, à soumettre à la Cour toute question d’interprétation soulevée devant elles, l’autorité de l’interprétation donnée par [la Cour] peut cependant priver cette obligation de sa cause, et la vider ainsi de son contenu » (27 mars 1963, Da Costa en Schaake NV, Jacob Meijer NV, Hoescht-Holland NV contre Administration fiscale nééerlandaise). Par la suite, la Cour de justice a admis la théorie de l’acte clair, qui permet à une juridiction nationale de ne poser de question préjudicielle que lorsque l’interprétation de la disposition communautaire pose problème (« une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu’une question de droit communautaire se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu’elle n’ait constaté que l’application correcte du droit communautaire s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable », 6 octobre 1982, Srl CILFIT et Lanificio di Gavardo SpA contre ministre de la Santé).

20 () M. Jean-Luc Warsmann, Rapport n° 892 précité, Assemblée nationale, XIIIe législature, page 440.

21 () Jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel s’est refusé à opérer un contrôle de constitutionnalité lorsqu’il se prononce comme juge de l’élection, faisant toutefois apparaître le lien entre cette position et les dispositions constitutionnelles alors en vigueur : « Considérant que le Conseil constitutionnel ne peut être appelé à statuer sur la conformité d’une loi à la Constitution que dans les cas et suivant les modalités définis par son article 61 ; qu’il ne lui appartient donc pas, lorsqu’il se prononce en qualité de juge de l’élection en vertu de l’article 59 de la Constitution, d’apprécier la constitutionnalité d’une loi » (décision n° 88-1082/1117 du 21 octobre 1988, A.N., Val d’Oise, 5ème circonscription, considérant 3, et plus récemment décision du 11 septembre 2000 sur une requête présentée par M. Alain Meyet, considérant 2, et décision du 20 septembre 2001 sur les requêtes présentées par M. Stéphane Hauchemaille et M. Philippe Marini, considérant 6).

22 () Article 28 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité.

23 () Article L. 621-2 du code monétaire financier.

24 () En ce qui concerne la CRE, seule une partie des sanctions font l’objet d’un appel devant le juge judiciaire (pour le règlement des différends entre opérateurs), les autres sanctions faisant l’objet d’un recours en premier et dernier ressort devant le Conseil d’État (articles 38 et 40 de la loi n° 2000-108 précitée).

25 () Article L. 464-7 du code de commerce.

26 () Article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

27 () Article L. 310-18 du code des assurances.

28 () Articles L. 5-3 et L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques.

29 () De la même manière, un recours en annulation contre une sentence arbitrale est possible dans certains cas, même lorsque les parties ont renoncé à l’appel, et ce recours est également jugé par la cour d’appel (article 1484 du code de procédure civile).

30 () La Cour de justice des Communautés européennes a refusé, dans un arrêt Nordsee du 23 mars 1982, de considérer comme une juridiction d’un État membre un tribunal arbitral, dans la mesure où il n’y avait aucune obligation pour les parties contractantes de confier leurs différends à l’arbitrage et dans la mesure où les autorités publiques de l’État concerné ne sont ni impliquées dans le choix de la voie de l’arbitrage ni appelées à intervenir d’office dans le déroulement de la procédure. Elle a considéré que « si un arbitrage conventionnel soulevait des questions de droit communautaire, les juridictions ordinaires pourraient être amenées à examiner ces questions, soit dans le cadre du concours qu’elles prêtent aux tribunaux arbitraux (…) soit dans le cadre du contrôle de la sentence arbitrale ».

31 () Décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962 et décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, Loi autorisant la ratification du traité sur l’Union européenne.

32 () Comme le soulignait M. Bruno Genevois en décembre 1989, « il y aurait quelque paradoxe à ouvrir une possibilité de contrôle par la voie de l’exception [des lois adoptées par voie de référendum]. Rien ne paraît justifier que le contrôle a posteriori puisse être plus étendu que le contrôle a priori » (in L’exception d’inconstitutionnalité. Expériences étrangères, situation française, Editions STH, 1990, page101).

33 () In L’exception d’inconstitutionnalité. Expériences étrangères, situation française, Éditions STH, 1990, page101.

34 () Pour leur part, les lois du pays de la Polynésie française, qui ont le caractère d’actes administratifs, peuvent déjà faire l’objet d’une contestation de leur conformité à la Constitution, devant le Conseil d’État, à l’occasion d’un litige devant une juridiction, en vertu de l’article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française. Il en va de même pour les actes des collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin (respectivement articles L.O. 6243-5 et L.O. 6343-5 du code général des collectivités territoriales).

35 () M. Jean-Luc Warsmann, Rapport n° 892 précité, Assemblée nationale, XIIIe législature, page 437.

36 () Voir notamment la décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, Loi modifiant la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle, considérants 11 et 12.

37 () L’article 425 du code de procédure civile prévoit que le ministère public doit avoir communication des affaires relatives à la filiation, à l’organisation de la tutelle des mineurs, à l’ouverture ou à la modification de la tutelle des majeurs, de même que de toutes les affaires dans lesquelles la loi dispose qu’il doit faire connaître son avis.

38 () L’article 426 du code de procédure civile permet au ministère public de prendre communication des affaires dans lesquelles il estime devoir intervenir.

39 () L’article 427 du code de procédure civile permet au juge du siège de décider la communication d’une affaire au ministère public.

40 () Il sera également possible, sur ce fondement, de contester des dispositions législatives qui ouvrent des voies de réformation des jugements.

41 () L’exigence d’une mention dans « les motifs et le dispositif » de la décision a pour effet d’empêcher qu’une mention de l’absence de contrariété à la Constitution dans le seul dispositif, comme cela était généralement le cas des dispositions non contestées avant 1987, suffise à considérer que la disposition a déjà été validée par le Conseil constitutionnel.

42 () Pour un exemple de changement des circonstances de droit et de fait, voir la décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 (Loi relative à la commission prévue à l’article 25 de la Constitution et à l’élection des députés, considérant 23), dans laquelle le Conseil constitutionnel a considéré que le minimum de deux députés par département, qui avait été jugée conforme à la Constitution dans une précédente décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986 (Loi relative à l’élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales, considérant 22), n’était « eu égard à l’importante modification de ces circonstances de droit et de fait, […] plus justifié par un impératif d’intérêt général susceptible d’atténuer la portée de la règle selon laquelle l’Assemblée nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques ».

43 () Il trouve son fondement dans l’article 55 de la Constitution, en vertu duquel « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de l’application par l’autre partie. », combiné à la jurisprudence du Conseil constitutionnel en vertu de laquelle « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international » (décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, considérant 7).

44 () Loi spéciale du 12 juillet 2009 modifiant l’article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage.

45 () M. Didier Chauvaux, « L’exception d’inconstitutionnalité, 1990-2009 : réflexions sur un retard », in Revue du droit public, 2009, n° 3, page 576.

46 () Voir notamment décisions n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, n° 2008-564 DC du 19 juin 2008.

47 () Conseil d’État, Assemblée, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres.

48 () Cour de justice des Communautés européennes, 9 mars 1978, Administration des finances de l’État contre Société anonyme Simmenthal, point 24. L’arrêt portait sur un cas où le droit italien interdisait aux juridictions de trancher elles-mêmes les incompatibilités entre la loi nationale et le droit communautaire.

49 () Avis du Conseil d’État n° 45.905/AG du 3 mars 2009, sollicité par le Président de la Chambre des représentants sur le projet de loi spéciale modifiant l’article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage.

50 () La Cour de justice « s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré ». À ce titre, elle considère que la Convention européenne des droits de l’homme « revêt une signification particulière » (avis 2/94 du 28 mars 1996) et elle dégage des principes généraux du droit communautaire qui découlent des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui ont été consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme.

51 () La Cour de justice des Communautés européennes fait déjà mention de la Charte des droits fondamentaux dans ses considérants, depuis l’arrêt Parlement européen contre Conseil de l’Union européenne du 27 juin 2006.

52 () On peut signaler à ce propos qu’une solution identique a été retenue par l’article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, qui interdit le recours à l’encontre d’une décision d’une juridiction de transmettre la question de la constitutionnalité d’une loi du pays au Conseil d’État, mais qui autorise en revanche un recours contre le refus de transmettre la question au Conseil d’État, dès lors que ce recours est formé conjointement au recours contre la décision tranchant tout ou partie du litige (et également par les articles L.O. 6243-5 et L.O. 6343-5 du code général des collectivités territoriales en ce qui concerne la question de la constitutionnalité d’un acte pris dans le domaine de la loi par la collectivité de Saint-Barthélemy ou celle de Saint-Martin).

53 () De ce point de vue, la logique du présent article est la même que celle de l’article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, qui prévoit que la juridiction qui transmet au Conseil d’État une question de conformité d’une loi du pays à la Constitution surseoit à statuer, mais peut renoncer à surseoir « dans les cas où la loi lui impartit, en raison de l’urgence, un délai pour statuer » et « peut dans tous les cas prendre les mesures d’urgence ou conservatoires nécessaires » (logique qui a été transposée au contrôle de la conformité à la Constitution des actes pris dans le domaine de la loi par les collectivités de Saint-Barthélemy (article L.O. 6243-5 du code général des collectivités territoriales) et de Saint-Martin (article L.O. 6343-5 du même code).

54 () Les délais d’appel de droit commun sont de un mois en matière civile (article 538 du code de procédure civile) et de 10 jours en matière pénale (articles 380-9, 498 et 547 du code de procédure pénale). Les délais de pourvoi en cassation sont de deux mois en matière civile (article 612 du code de procédure civile) et de 5 jours francs en matière pénale (article 568 du code de procédure pénale).

55 () Article L. 113-1 du code de justice administrative.

56 () Article L. 441-1du code de l’organisation judiciaire.

57 () Cour européenne des droits de l’homme, 15 juillet 2003, Ernst contre Belgique.

58 () En vertu de l’article 74 du code de procédure civile, « les exceptions doivent à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir » ; et « l’exception préjudicielle est présentée avant toute défense au fond » en vertu de l’article 386 du code de procédure pénale.

59 () De la même manière, la Cour de cassation considère que le régime des exceptions de procédure n’est pas applicable aux questions préjudicielles posées à la Cour de justice (Cour de cassation, Chambre criminelle., 16 mai 1991 ; 2e Chambre civile, 18 décembre 2008).

60 () Le même parallélisme prévaut en ce qui concerne la procédure d’avis de la Cour de cassation sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges (voir l’article 1031-4 du code de procédure civile).

61 () L’article 24 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 prévoit en effet que, « dans les conditions et formes déterminées par le titre Ier du livre III du code de procédure pénale, les arrêts de la commission d’instruction peuvent faire l’objet de pourvois en cassation qui sont portés devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation », et l’article 33 de la même loi organique que, « dans les conditions et formes déterminées par le titre Ier du livre III du code de procédure pénale, les arrêts de la Cour de justice de la République peuvent faire l’objet de pourvois en cassation qui sont portés devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation ».

62 () Arrêt Ernst contre Belgique précité.

63 () Une formation identique est déjà prévue pour se prononcer sur une demande d’avis à la Cour de cassation dans une matière autre que pénale (article R. 441-1 du code de l’organisation judiciaire).

64 () De la même manière, l’article 567-1-1 du code de procédure pénale prévoit que « lorsque la solution d’une affaire soumise à la chambre criminelle lui paraît s’imposer, le président ou le président la chambre criminelle peut décider de faire juger l’affaire par une formation de trois magistrats ».

65 () Le Conseil constitutionnel a considéré « qu’aucune disposition de la Constitution non plus que de la loi organique relative au Conseil constitutionnel ne permet aux autorités ou parlementaires habilités à déférer une loi au Conseil constitutionnel de le dessaisir en faisant obstacle à la mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité engagé » (décision n° 96-386 DC du 30 décembre 1996, Loi de finances rectificative pour 1996, considérant 4).

66 () La Cour européenne des droits de l’homme a constaté qu’« en l’occurrence, les instances civiles et constitutionnelles apparaissaient même tellement imbriquées qu’à les dissocier on verserait dans l’artifice et l’on affaiblirait à un degré considérable la protection des droits des requérants. La Cour rappelle qu’en suscitant des questions d’inconstitutionnalité, ces derniers utilisaient l’unique moyen – indirect – dont ils disposaient pour se plaindre d’une atteinte à leur droit de propriété ».

67 () M. Marc Guillaume, « La procédure au Conseil constitutionnel : permanence et innovations », in Mélanges Genevois, 2009, page 531.

68 () M. Christian Cointat, rapporteur, avait accepté de retirer cet amendement n° 51 portant article additionnel après l’article 27, le Gouvernement ayant souhaité que le débat sur le présent projet de loi organique ne soit pas anticipé pour la seule Nouvelle-Calédonie (Journal officiel Débats, Sénat, compte rendu de la séance du mardi 7 juillet 2009).