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N
° 2438

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 2010, autorisant la ratification d’un accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Turkménistan, d’autre part,

par M.  Gaëtan GORCE

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTRODUCTION 5

I – UN CONSTAT : L’EUROPE EN QUETE D’UNE PLACE NOUVELLE EN ASIE CENTRALE 7

A – L’ASIE CENTRALE, NOUVELLE RÉGION STRATÉGIQUE 7

1) Une indépendance récente qui suscite des convoitises 7

2) La proximité avec des zones de crises majeures 8

3) Des territoires clés dans la lutte contre la drogue 8

4) Des ressources naturelles considérables 9

B – LA STRATÉGIE EUROPÉENNE, COMBINAISON D’APPROCHES RÉGIONALES ET BILATÉRALES 10

1) Des actions initialement peu coordonnées 10

2) La stratégie européenne pour l’Asie centrale, une vision plus structurée 11

II – UN OUTIL : L’ACCORD DE PARTENARIAT ET DE COOPERATION, INSTRUMENT DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE EN ASIE CENTRALE ET AU TURKMENISTAN 15

A – LE TURKMÉNISTAN, UN ETAT ISOLÉ QUI CHERCHE À SE DÉSENCLAVER 15

1) La sortie récente d’une posture autarcique 15

2) Des intérêts non négligeables 16

B – LA PRÉSENCE EUROPÉENNE AU TURKMÉNISTAN RESTE MODESTE 17

C – L’ACCORD DE PARTENARIAT ET DE COOPÉRATION RESPECTE LES STANDARDS APPLIQUÉS AUX AUTRES PAYS 19

1) Les principes et les modalités du partenariat politique avec le Turkménistan 19

2) L’amélioration des relations commerciales avec le Turkménistan 20

3) L’engagement à coopérer dans des domaines variés 21

a) Règles instituées en matière de commerce et d’investissements 21

b) Coopérations dans le domaine économique 23

c) Lutte contre les activités illégales 24

d) Coopérations législative et culturelle 24

e) Les moyens financiers de l’Union au service de la coopération 25

f) La coopération dans le domaine des droits de l’homme 25

III – UNE DIFFICULTE MAJEURE : LES VIOLATIONS RÉPÉTÉES DES DROITS DE L’HOMME PAR UN RÉGIME TURKMÈNE AUTORITAIRE ET OPAQUE 27

A – UNE VOLONTÉ DE RÉFORME TRÈS SUPERFICIELLE 27

1) Un régime opaque et oppressant : 27

2) Des avancées erratiques et limitées 29

B – DES MANQUEMENTS PARTICULIÈREMENT CHOQUANTS AUX DROITS HUMAINS LES PLUS FONDAMENTAUX 30

1) Arrestations arbitraires et opacité du système judiciaire 30

2) Le cas alarmant des conditions de détention 31

C – QUELLE SOLUTION PRIVILÉGIER POUR AMÉLIORER LA SITUATION ? 32

1) Ne pas fermer la voie au dialogue… 32

2) …Mais tout mettre en œuvre pour obtenir des progrès concrets en matière de respect des droits de l’homme 33

a) Réaffirmation de nos exigences concernant les cas individuels les plus graves 33

b) Maintien d’un contact unique au Turkménistan pour les questions relatives aux droits de l’homme 34

c) Création d’un contact pour les ONG auprès du représentant spécial de l’Union européenne 34

d) Information régulière des parlements nationaux sur les avancées obtenues dans le domaine des droits de l’homme en Asie centrale 35

e) Formalisation de notre préoccupation en matière de droits de l’homme à l’égard de l’Union européenne 35

CONCLUSION 37

EXAMEN EN COMMISSION 39

ANNEXE – Liste des personnes auditionnées 43

_____

ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 45

Mesdames, Messieurs,

L’Asie centrale est devenue, depuis l’accession à l’indépendance des cinq Etats qui constituent cette région, un territoire hautement stratégique en raison des ressources énergétiques considérables qui s’y trouvent et de sa situation géographique, au carrefour proche à la fois de l’Afghanistan et de l’Iran.

L’Europe a très tôt manifesté son intérêt pour la région, dès 1991 et l’apparition de ces cinq nouveaux acteurs dans le concert des Nations. Toutefois, confrontée à des situations politiques et économiques très difficiles, elle a sans doute péché initialement par son approche trop compartimentée, et son manque de vision globale.

Adoptée en juin 2007, la nouvelle stratégie européenne pour l’Asie centrale pallie ce défaut initial. En plus des ressources budgétaires affectées à des projets régionaux et bilatéraux, l’action de l’Union européenne s’appuie sur des accords passés avec chacun des Etats de la région : Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan. L’accord du 25 mai 1998, objet du présent projet de loi, signé à Bruxelles par les Communautés européennes, leurs Etats membres, et la République du Turkménistan, est le seul à n’être pas encore en vigueur.

Un tel retard s’explique facilement. Si la sortie du système soviétique s’est soldée, dans toutes les Républiques centrasiatiques, par l’apparition de régimes autoritaires et le recours à des méthodes violentes d’encadrement de la population, nulle part cette tendance au repli sur soi et à l’autoritarisme n’a été aussi caricaturale, et dramatique pour les populations concernées, qu’au Turkménistan. Le Parlement européen a longtemps ralenti la procédure de ratification des accords avec ce pays du fait de la situation dramatique des libertés fondamentales qui règne sur place.

La ratification du présent accord de partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et le Turkménistan s’intègre à une stratégie qui vise à promouvoir non seulement les intérêts de l’Europe dans cette région stratégique, mais aussi les valeurs qui rassemblent les Européens.

Une fois décrit le contexte que crée la nouvelle stratégie européenne en Asie centrale, il n’est donc pas possible de faire l’impasse sur la situation intérieure du Turkménistan avant de se prononcer sur l’opportunité d’une adhésion française, seule manquante avec celle du Royaume-Uni, à cet accord.

I – UN CONSTAT : L’EUROPE EN QUETE D’UNE PLACE NOUVELLE EN ASIE CENTRALE

La dislocation de l’Union soviétique a renouvelé les conditions du dialogue stratégique dans des régions devenues indépendantes parfois contre la volonté des dirigeants locaux de l’époque. Après une phase d’observation au cours des années 1990, l’Europe a accéléré son investissement politique et stratégique en Asie Centrale.

A – L’Asie Centrale, nouvelle région stratégique

Intégrés à l’empire russe entre la fin du XVIIIème et la deuxième moitié du XIXème siècles, puis à l’Union soviétique sous la forme de cinq Républiques créées entre 1924 et 1936, les Etats d’Asie centrale (1), riches en ressources naturelles, notamment en hydrocarbures, ont vu leur développement intrinsèquement lié à celui du reste de l’empire russe, puis de l’U.R.S.S. et de ses satellites.

1) Une indépendance récente qui suscite des convoitises

D’une population totale inférieure à 60 millions d’habitants, les cinq Etats d’Asie centrale étaient ainsi parfaitement intégrés au système économique soviétique. En échange d’une captation des ressources naturelles au bénéfice de l’Union soviétique et de ses Etats satellites, l’Asie centrale bénéficiait d’une manne financière conséquente versée par Moscou, et d’une assistance technique dans les domaines agricole, industriel et administratif.

Une telle situation permet d’expliquer pourquoi les principaux responsables de ces cinq Républiques ont revendiqué leur indépendance parfois tardivement, notamment au Kazakhstan. Toutefois, sous la pression de la population, et en l’absence d’intérêt marqué à l’époque par la Russie pour conserver ces Etats dans son giron, les cinq Républiques ont toutes choisi de mener une politique autonome après 1991. Dans certains cas, comme au Tadjikistan, l’accession à l’indépendance s’est faite au prix d’une véritable guerre civile.

Nouvellement indépendants, les Etats d’Asie centrale sont apparus d’une grande importance pour les Occidentaux, nouveaux acteurs dans la région. L’intérêt stratégique que représentent les réserves en hydrocarbures d’au moins deux d’entre eux, le Kazakhstan et le Turkménistan, s’est rapidement doublé d’un rôle géopolitique majeur, du fait de leur proximité avec plusieurs régions instables, notamment l’Afghanistan.

2) La proximité avec des zones de crises majeures

Lancée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, l’opération militaire en Afghanistan, d’abord américano-britannique, puis passée en majeure partie sous le commandement de l’OTAN, a donné aux Républiques ex-soviétiques d’Asie centrale une importance stratégique qu’elles n’avaient pas auparavant.

En effet, pour accéder au territoire afghan, malgré les progrès technologiques et la possibilité de recourir à des porte-avions, il est nécessaire de disposer de bases, notamment aériennes, dans les Etats voisins de l’Afghanistan, dont les Etats d’Asie centrale font partie. Profitant de l’indépendance récente et de l’intérêt déclinant de la Russie envers cette région, les principales puissances occidentales ont très vite négocié avec les gouvernements d’Asie centrale afin d’y disposer leurs installations de soutien.

Trois bases ont ainsi été installées dans les Etats d’Asie centrale. La plus importante, en taille, est la base américaine de Manas, en République Kirghize. La France dispose quant à elle d’un détachement aérien à Douchanbé, au Tadjikistan. L’Allemagne a, pour sa part, installé ses forces aériennes à Termez, en Ouzbékistan.

En plus de ces infrastructures militaires, des partenariats plus ciblés permettent à la force internationale d’assistance à la sécurité – FIAS, nom donné à l’opération de l’OTAN en Afghanistan – d’utiliser les espaces aériens et les aéroports de certains pays de la région. C’est ainsi que le Turkménistan autorise le survol et les escales de vols « non létaux », notamment les aéronefs transportant des blessés graves ne pouvant être traités dans les hôpitaux militaires en Afghanistan.

3) Des territoires clés dans la lutte contre la drogue

Du fait de leur proximité avec l’Afghanistan, premier producteur mondial de pavot et d’opium, les Républiques d’Asie centrale se trouvent également au cœur du trafic d’héroïne.

On estime ainsi qu’environ 25 % de la production annuelle d’héroïne issue des champs de pavot afghans transite par l’Asie centrale, baptisée « route du Nord ». Les pays les plus touchés sont les pays immédiatement frontaliers avec l’Afghanistan : le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan.

Il est difficile d’estimer précisément lesquels de ces trois pays souffrent le plus du trafic de la drogue, chacun rejetant la responsabilité sur les autres. Il semble que les trafiquants de drogue aient réussi à monnayer des complicités jusqu’aux hautes sphères de l’Etat dans ces trois pays, facilitant dès lors le passage des multiples frontières.

A l’heure actuelle, pour le seul Turkménistan, les saisines d’héroïne annuelles seraient déjà comparables aux saisines françaises, soit 750 kilogrammes par an.

4) Des ressources naturelles considérables

La place des pays d’Asie centrale dans les importations d’hydrocarbures de nombreux pays de la région et, indirectement, de plusieurs pays européens, est l’autre grand motif du regain d’intérêt qu’a connu la région depuis les indépendances. En plus d’être frontaliers de la mer Caspienne, ce qui leur permet ainsi de revendiquer une partie de ses ressources offshore, certains Etats d’Asie centrale sont dotés de ressources considérables sur leur territoire propre.

Le Kazakhstan dispose des plus grandes réserves régionales de pétrole, avec un total prouvé de 30 milliards de barils, ce qui le classerait au onzième rang mondial. Il dispose par ailleurs d’importantes réserves de gaz (14ème rang mondial) et est l’un des acteurs majeurs de l’extraction d’uranium naturel, avec la troisième production annuelle mondiale, et des ressources estimées au deuxième rang mondial derrière l’Australie.

Le Turkménistan, pour sa part, est un producteur de gaz naturel de premier plan. Ses réserves prouvées s’élèveraient à un peu moins de 8 milliards de mètres-cubes, ce qui le classe au cinquième rang mondial et au deuxième rang des pays de l’ex-URSS. Les réserves gazières du Turkménistan, qui étaient estimées jusqu’en 2007 à environ 2 800 Mds m3, ont fait l’objet d’une importante révision à la hausse, liée en particulier à la réévaluation des données concernant le champ de Yolotan Sud, situé au sud-est du pays et dont les réserves prouvées s’élèveraient entre 4 000 milliards et 14 000 Mds m3. Cette réévaluation témoigne du potentiel de découvertes importantes du pays, de larges zones n’ayant pas encore été explorées. Une réelle prudence s’impose néanmoins, du fait que les autorités des pays disposant de larges réserves en hydrocarbures ont tendance à privilégier les estimations les plus hautes pour faire espérer le meilleur retour sur investissement aux éventuels partenaires étrangers.

Enfin, l’Ouzbékistan, dont les réserves actuelles restent modestes comparativement aux deux Etats susmentionnés, continue de faire l’objet d’une attention soutenue de la part des grandes compagnies pétrolières et gazières. En effet, d’importants gisements pourraient être découverts au sud du pays.

B – La stratégie européenne, combinaison d’approches régionales et bilatérales

Liée à l’Union soviétique par un accord de commerce et de coopération de décembre 1989, la Communauté européenne, puis l’Union européenne, ont rapidement cherché à refonder leurs relations avec les Républiques ex-soviétiques. Dans certains cas, celles-ci sont devenues membres de l’Union, comme pour les pays baltes. Dans d’autres, comme en Asie centrale et dans le Caucase, une série d’accords de partenariat et de coopération (APC), qui s’inspiraient d’un même modèle, ont été négociés à partir de 1992.

1) Des actions initialement peu coordonnées

L’action de l’Union européenne à l’égard des anciennes Républiques soviétiques, outre sa dimension juridique concrétisée par la négociation des APC, a également pris une forme financière et technique, par l’intermédiaire du programme TACIS (Technical Assistance to the Community of Independant States – Assistance technique à la Communauté des Etats indépendants) créé en 1991.

Les premières années d’exécution du programme, de 1991 à 1999, ont vu la Russie bénéficier très largement des mannes communautaires, captant plus de 30 % des sommes versées sur une base bilatérale. Avec pour objectif principal d’aider au cofinancement de projets concrets, la première phase du programme TACIS a permis de lancer quelques initiatives régionales, mais qui ont été critiquées pour leur manque d’objectif précis.

Relancée en 2000 par l’adoption du nouvel instrument dit TACIS II, aux moyens renforcés, la stratégie européenne en Asie centrale a continué de s’appuyer sur des actions spécifiques, chaque domaine correspondant à un processus particulier. Toutefois, plusieurs événements ont contribué à la faire évoluer.

Tout d’abord, les attentats du 11 septembre 2001 et les opérations militaires qui s’en sont suivies en Afghanistan ont conduit plusieurs Etats européens à investir davantage dans les Républiques centrasiatiques. Une fois passée l’urgence des premiers contacts nécessaires à l’installation de bases arrière pour les opérations en Afghanistan, la nécessité de faire progresser les relations avec ces anciennes Républiques soviétiques s’est fait jour peu à peu.

Mais ce sont les agitations intérieures subies par ces Etats qui ont réellement accéléré la prise de conscience européenne des risques de déstabilisation en Asie centrale, faute de partenariats suffisamment structurés. En effet, après une période d’autoritarisme et de musellement des forces d’opposition (2) faisant immédiatement suite aux indépendances, plusieurs Républiques d’Asie centrale ont connu des troubles intérieurs sérieux.

La république kirghize fut ainsi secouée, au mois de mars 2005, par une vague d’importantes manifestations, organisées par les mouvements d’opposition qui contestaient le résultat des élections législatives remportées par le parti du président Akaïev. La « révolution des tulipes » aboutit au départ du président en place vers l’étranger, et l’organisation d’élections présidentielles en juillet 2005.

La même année, une manifestation d’opposants au régime en Ouzbékistan organisée à Andijan, donna lieu, durant la journée du 13 mai, à l’intervention des forces armées contre la population. Les organisations non gouvernementales rappellent que le bilan exact de cette intervention n’a pas été établi, et pourrait s’établir à plusieurs centaines de morts. Le gouvernement ouzbek explique pour sa part qu’il a fait usage de la force pour réprimer une tentative de coup d’Etat islamiste, qui avait débuté par la libération d’une centaine de prisonniers de la prison d’Andijan dont plusieurs hommes d’affaires soupçonnés de financer le terrorisme.

Consciente de l’importance de maintenir la stabilité de cette zone, au vu de sa nouvelle place stratégique, l’Union européenne a choisi de donner un nouveau cadre à son action afin de répondre aux différents défis que rencontrent les Etats d’Asie centrale. Cette décision était très attendue par les Etats de la région, qui estimaient que les actions engagées au titre des programmes TACIS restaient insuffisantes pour les aider à assurer leur transition économique et politique de manière apaisée.

2) La stratégie européenne pour l’Asie centrale, une vision plus structurée

La nomination, en 2005, d’un représentant spécial pour l’Asie centrale, en la personne de M. Jan Kubis, remplacé en septembre 2006 par M. Pierre Morel, marque sans doute la première étape du changement d’approche de l’Union européenne vis-à-vis de l’Asie centrale. Permettant de développer une vision synthétique de l’action de l’Union européenne dans la zone, les représentants spéciaux ont relayé la volonté allemande de mettre au point une stratégie régionale.

Construite dès la fin de l’année 2006, l’ébauche de stratégie européenne a ensuite été développée au cours de la présidence allemande de l’Union européenne, au cours du premier semestre 2007. La phase de préparation a permis d’associer les Etats d’Asie centrale concernés, qui ont montré un vif intérêt à l’implication nouvelle de l’Union européenne.

Adoptée le 22 juin 2007, la stratégie européenne pour l’Asie centrale 2007-2013 permet de recenser l’ensemble des initiatives que l’Union européenne entend soutenir dans la région, tout en offrant un cadre global plus cohérent aux différentes actions mises en œuvre.

De manière générale, l’Union européenne agit désormais de deux manières : à la fois par l’intermédiaire de programmes régionaux, mais également en développant ses relations bilatérales avec les cinq Etats centrasiatiques, dont les situations économiques et sociales peuvent être très différentes(3).

Les programmes soutenus par l’Union européenne sont désormais regroupés en sept chapitres :

– Les droits de l’homme, l’Etat de droit, la bonne gouvernance et la démocratisation ;

– L’investissement dans la jeunesse et l’éducation ;

– La promotion du développement économique, du commerce et de l’investissement ;

– Le renforcement des liens dans le domaine de l’énergie et des transports ;

– Le développement durable et la gestion des ressources en eau ;

– La lutte contre les menaces communes (terrorisme, criminalité organisée, trafic de drogues, trafic d’êtres humains,…) ;

– L’amélioration du dialogue interculturel.

Pour la seule Asie centrale, les moyens consacrés par l’Union européenne ont été significativement augmentés. Désormais intégrés à l’instrument de coopération pour le financement du développement, créé par un règlement du Conseil du 18 décembre 2006, les fonds destinés à l’Asie centrale devraient représenter 719 millions d’euros pour la période 2007-2013, contre 650 millions d’euros versés au titre du programme TACIS entre 1991 et 2007 (4). Trois types d’actions prioritaires sont retenues : la réduction de la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie (40 à 45 % du budget), la coopération régionale (30 à 35 %) et l’amélioration de la gouvernance et la réforme du système économique (20 à 25%).

Des premiers résultats ont été enregistrés par cette nouvelle stratégie. Un certain nombre d’engagements ont été recueillis, de la part des Etats d’Asie centrale, concernant la mise en place d’un Etat de droit. La France pilote les projets régionaux de coopération judiciaire. Par ailleurs, un premier sommet a permis de réunir à Rome les différents Etats afin d’évoquer la gestion des ressources en eau, alors même que cette question est considérée comme un irritant majeur dans les relations entre ces pays (5).

Enfin, la présidence française de l’Union européenne a permis de réunir, le 18 septembre 2008, les responsables des cinq Républiques centrasiatiques, ainsi que de nombreux ministres des affaires étrangères d’Etats membres de l’Union, en présence de représentants de toutes les organisations de sécurité de la région (6), et d’autres organisations internationales.

L’Union européenne n’est pas seule à s’intéresser à l’Asie centrale. Outre les relations historiques entretenues par ces Etats avec la Russie, dont le retour à une logique de puissance depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine a considérablement modifié le comportement dans la région, une politique active est menée par les Etats-Unis, principalement dans le domaine énergétique. La Chine, si elle reste quelque peu discrète sur les questions politiques afin de ne pas renforcer les revendications autonomistes des provinces ouïgours toutes proches, revendique toutefois une place croissante dans les exportations d’hydrocarbures.

II – UN OUTIL : L’ACCORD DE PARTENARIAT ET DE COOPERATION, INSTRUMENT DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE EN ASIE CENTRALE ET AU TURKMENISTAN

Les grandes puissances présentes dans l’ensemble du sous-continent centrasiatique, ont noué des liens avec le Turkménistan, profitant du changement de posture internationale opéré depuis la disparition du président Saparmyrat Niazov, remplacé en 2006 par l’actuel chef de l’Etat, Gourbangouly Berdymoukhamedov. L’Union européenne a choisi de renforcer sa place dans ce pays, ce que l’accord faisant l’objet du présent projet de loi pourrait faciliter.

A – Le Turkménistan, un Etat isolé qui cherche à se désenclaver

Le règne de Saparmyrat Niazov, autoproclamé « Turkmenbachi », c’est-à-dire père des Turkmènes, a donné lieu à une repli considérable du Turkménistan sur lui-même. Sa disparition, le 21 décembre 2006, a ouvert la voie à une réouverture marquée du pays aux contacts extérieurs, offrant des opportunités importantes à plusieurs acteurs majeurs de la région.

1) La sortie récente d’une posture autarcique

Indépendant de l’Union soviétique depuis 1991, le Turkménistan s’est vu reconnaître un statut de neutralité permanente par les Nations unies en 1995. Fort de cette particularité, le pays a progressivement coupé ses relations avec tous ses partenaires, tombant peu à peu dans une autarcie facilitant l’emprise autoritaire exercée par le régime sur tous les compartiments de la vie des Turkmènes.

En plus de cet isolement croissant, l’autoritarisme de Niazov et l’accaparement des ressources du pays par ses proches furent donc la marque des quinze premières années du Turkménistan indépendant. Fondées sur un ouvrage rédigé par lui, le Ruhnama, les décisions du président Niazov ont contribué à un recul considérable du Turkménistan dans tous les domaines : situation des droits de l’homme et des libertés publiques, développement économique et social, niveau de formation de la population, système de santé, etc. Parmi les choix les plus régressifs, on notera ainsi la suppression de l’obligation scolaire à partir de l’âge de quatre ans, et la fermeture des hôpitaux publics.

Uniquement centré autour du culte de la personnalité du président, le régime qu’a connu le Turkménistan entre 1991 et 2006 a fait de ce pays une exception notable dans la région, seul pays refusant toute relation constructive et suivie avec des partenaires étrangers, y compris la Russie (7). Si le nouveau président n’a pas officiellement rompu avec l’idéologie de son prédécesseur, il a clairement choisi d’infléchir la politique étrangère turkmène, désormais marquée par une ouverture dans toutes les directions.

2) Des intérêts non négligeables

Le Turkménistan occupe une position géographique qui lui permettrait de jouer un rôle important dans plusieurs dossiers majeurs. Disposant de la plus longue frontière avec l’Afghanistan, le pays est également un voisin proche de l’Iran, dont il assure une part non négligeable de l’approvisionnement en produits hydrocarbures raffinés. Dès lors, la naissance d’une politique étrangère turkmène sous l’impulsion du président Berdymoukhamedov a été suivie attentivement par les puissances impliquées dans la région. Les nombreux déplacements présidentiels, dont un récent à Paris au début du mois de février 2010, marquent le choix délibéré du Turkménistan de revenir sur son isolationnisme traditionnel.

Cette inflexion s’est accompagnée d’un engagement continu en faveur de la diversification des exportations gazières du Turkménistan. Très marqué par la période soviétique, le réseau d’évacuation des hydrocarbures turkmènes reste principalement orienté vers la Russie, par laquelle transite du gaz dont une partie aboutit sur les marchés européens. Le principal gazoduc reste le Central Asia Centre (CAC), longtemps la seule voie d’évacuation importante du gaz turkmène vers la Russie, via l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. D’une capacité de à 45 à 55 Mrds m3/an, il devrait à court terme être porté à 90 Mrds m3/an.

Toutefois, l’Iran et la Chine s’imposent désormais comme deux concurrents sérieux au monopole d’achat de la Russie sur le gaz turkmène. Une telle diversification apparaît cruciale pour le Turkménistan, qui a gardé un souvenir amer de la crise d’avril 2009, qui a vu Gazprom prendre prétexte de l’explosion d’un gazoduc pour interrompre ses importations de gaz, dans un contexte de baisse mondiale de la demande (et donc des prix). Cette crise a abouti à une suspension pendant huit mois des exportations de gaz turkmènes vers la Russie.

Un gazoduc de faible capacité (8 Mrds m3/an), permet ainsi au Turkménistan d’exporter depuis 1997 vers l’Iran. Un nouveau gazoduc, vient d’être inauguré début janvier 2010. Il relie sur une trentaine de kilomètres le champ turkmène de Dautelabad, à la raffinerie iranienne de Khangiran. D’une capacité initiale de 6 Mrds m3 par an, il pourra à terme exporter vers l’Iran jusqu’à 12 Mrds m3 par an, portant la capacité totale des interconnexions Turkménistan - Iran à 20 Mrds m3.

Avec la Chine, le Président Berdymoukhamedov a renouvelé l’accord signé par son prédécesseur pour la fourniture de gaz pendant trente ans, à compter de la fin de l’année 2009. Le volume concerné sera à terme de 30 Mds m3 par an. La mise en œuvre de cet accord était toutefois subordonnée à la construction d’un gazoduc permettant d’acheminer le gaz turkmène jusqu’à la frontière chinoise, d’où le lancement du Central Asia Gas Pipeline (CAGP), vaste système de transport reliant le Turkménistan à la Chine, via le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Ce gazoduc, qui a été inauguré en décembre 2009, a une capacité de 40 Mrds m3 par an.

Pour le Turkménistan, l’arrivée de nouveaux acheteurs potentiels est une nécessité, afin de renouveler les conditions tarifaires des livraisons de gaz à la Russie, actuellement très avantageuses pour Gazprom. L’Europe veut profiter de cette situation, et a très tôt cherché à associer le Turkménistan au projet Nabucco, ainsi qu’au projet de gazoduc transcaspien. Le Turkménistan a donné son accord de principe

A l’image des autres Etats d’Asie centrale, le Turkménistan apparaît donc comme un partenaire important pour l’Europe, tant du fait de sa situation stratégique que de ses réserves en hydrocarbures. Pour le moment, le rôle joué par l’Union européenne dans ce pays est plutôt limité.

B – La présence européenne au Turkménistan reste modeste

La disparition de l’ancien président turkmène, en 2006, et la définition de la nouvelle stratégie européenne pour l’Asie centrale, en 2007, ont permis de relancer les relations entre l’Europe et le Turkménistan, dans plusieurs domaines. Toutefois, la faible implantation européenne au Turkménistan, hormis quelques exceptions notables dans certains secteurs économiques, est révélatrice de l’état de gel diplomatique qu’a subi le Turkménistan pendant plusieurs années.

Dans le domaine économique, par exemple, l’Union européenne, quoique deuxième partenaire commercial du Turkménistan, voit son volume d’échanges limité à 2,4 milliards d’euros, dont 1,9 milliards d’importations européennes en provenance du Turkménistan, constituées à plus de 60 % par des importations d’hydrocarbures (8).

Le Turkménistan suscite toutefois un intérêt croissant de la part de plusieurs groupes occidentaux. Plusieurs délégations d’entreprises ont fait le déplacement jusqu’à Achgabat, notamment Chevron, la Deutsche Bank ou Mannesmann. Deux cas particuliers doivent être signalés, qui concernent deux entreprises européennes bénéficiant de liens suffisamment développés avec le régime pour pouvoir réaliser une activité importante sur place.

Ainsi, depuis son arrivée dans le pays en 1991, le groupe Bouygues a réalisé plus d’une cinquantaine de projets ayant généré 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Les relations développées par le groupe Bouygues avec le président Niazov (9) lui ont assuré une place de choix dans l’attribution de ses projets immobiliers de prestige. Le Turkménistan représente à lui seul la moitié du chiffre d’affaires mondial de Bouygues Construction. Les perspectives de développement des activités de Bouygues pourraient, à terme, multiplier par 5 son chiffre d’affaires dans le pays.

Par ailleurs, le groupe Siemens, propriétaire du centre de soins dans lequel l’actuel président Berdymoukhamedov s’était fait soigner pour des problèmes cardiaques, a été reçu par ce dernier en février 2008, et devrait développer fortement son activité dans différents domaines, notamment les télécommunications, l’énergie et la santé. En 2009, Siemens affichait ainsi un chiffre d’affaires de 45,5 millions d’euros au Turkménistan, dont 24 millions provenaient de nouveaux contrats.

En-dehors de ces cas particuliers, l’Union européenne peine à renforcer sa présence dans un pays dont la structure économique reste très endommagée, uniquement tournée vers l’exploitation des ressources énergétiques. Des opportunités existent pourtant, y compris dans le domaine énergétique, où la volonté turkmène d’indépendance vis-à-vis de la Russie pourrait ouvrir la voie à des investissements européens, notamment français, au moins pour développer les infrastructures nationales, dans la mesure où l’exploitation des gisements on shore reste pour le moment réservée aux sociétés turkmènes ou non européennes, notamment chinoises.

L’adoption, le 22 avril 2009 par le Parlement européen, d’un accord commercial intérimaire avec le Turkménistan (10) après de longues années de suspension de la procédure (11) est donc un élément important du renouveau des relations entre l’Union européenne et ce pays. Achoppant, depuis longtemps, sur la question du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales au Turkménistan, l’adhésion du Parlement européen a finalement été obtenue en contrepartie de l’engagement pris par l’Union européenne d’accompagner les relations commerciales de progrès politiques.

En effet, sur le plan politique, l’Union européenne ne dispose pas encore de représentation pleine et entière sous la forme d’une délégation de l’Union européenne. Seule existe une Maison de l’Europe, forme de représentation ad hoc permettant de regrouper divers intervenants européens. L’accord de partenariat et de coopération vise à donner un nouvel élan aux relations entre l’Europe et le Turkménistan, dans la lignée des accords déjà en vigueur avec les autres Républiques centrasiatiques.

Afin de faire avancer les relations bilatérales, l’Union européenne a donc proposé au Turkménistan un accord de partenariat et de coopération sur le modèle de ceux déjà en vigueur avec les quatre autres Républiques centrasiatiques. Cet accord, objet du présent projet de loi, vise à mettre en place une coopération dans plusieurs domaines, que reprennent, et développent, les sept thèmes de travail de la stratégie européenne pour l’Asie centrale.

C – L’accord de partenariat et de coopération respecte les standards appliqués aux autres pays

Les accords de partenariat et de coopération de l’Union européenne visent à établir un dialogue structuré entre l’Europe et ses partenaires issus de la dissolution de l’Union soviétique, dans le respect de principes fondamentaux chers aux Etats membres de l’UE. L’accord signé le 25 mai 1998 (12) qui fait l’objet du présent projet de loi n’y fait pas exception, comme le rappelle l’article 1er.

1) Les principes et les modalités du partenariat politique avec le Turkménistan

Les deux premiers titres, qui regroupent les articles 2 à 6, énumèrent les différentes mesures nécessaires à la tenue régulière d’un dialogue à différents niveaux.

S’inscrivant dans le cadre des conventions internationales de référence dans le domaine des droits de l’homme et des principes démocratiques (13), au titre de l’article 2, ainsi que des règles de bon voisinage et de coopération régionale fixées par l’Acte final d’Helsinki, le dialogue politique, prévu par l’article 4, peut prendre plusieurs formes.

L’article 5, complété par les articles 77 et suivants, précise ainsi qu’un dialogue au niveau ministériel est institué. Celui-ci est organisé au sein d’un Conseil de coopération composé de membres du gouvernement turkmène, de membres de la Commission et de membres du Conseil de l’Union européenne. Réuni une fois par an, il est assisté par un comité constitué par des représentants des membres du Conseil de coopération. Les articles 82 à 84 prévoient la création d’une commission parlementaire de coopération, qui réunit des membres du Parlement européen et des membres du Parlement turkmène.

D’autres stipulations, similaires à celles prévues dans les autres accords de partenariat, régissent les principales questions que pourrait soulever la mise en œuvre de l’accord.

Au titre de l’article 85, les parties s’engagent à assurer le libre accès à leurs institutions judiciaires, tandis que l’article 86 permet aux parties de prendre les mesures nécessaires pour faire face à des troubles internes graves, ou éviter la divulgation d’informations contraires à ses intérêts essentiels.

Les articles 87 et 90 fixent le principe d’égalité de traitement, dans les domaines de coopération fixés par l’accord, à la fois entre les Etats membres de l’Union européenne, et entre ces derniers et le Turkménistan.

Les articles 88 et 89 prévoient la saisie du Conseil de coopération en cas de litige relatif à l’application de l’accord mais la recherche préalable d’un consensus. L’article 94 rappelle le principe d’application de bonne foi des stipulations d’un accord international.

Les articles 91 et 92 apportent des précisions relatives aux compétences des parties, et au régime applicable à la Charte européenne de l’énergie.

La validité de l’accord est prévue, au titre de l’article 93, pendant dix ans, avec tacite reconduction d’année en année. L’accord inclut quatre annexes, de même valeur que le texte principal, comme le souligne l’article 95.

L’article 96 indique que les droits reconnus aux opérateurs économiques des Etats membres au titre d’accords bilatéraux antérieurs ne sont pas affectés par l’accord de mai 2008, avant que des droits équivalents ne leur aient été reconnus, sauf dans les domaines de compétence de l’Union européenne.

L’article 97 donne des précisions sur le champ territorial d’application de l’accord. Les articles 98 et 99 font du secrétaire général du Conseil de l’Union européenne le dépositaire de l’accord. L’article 100 précise que l’accord entre en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la réception du dernier instrument de ratification.

2) L’amélioration des relations commerciales avec le Turkménistan

Le titre III de l’accord de partenariat porte sur le développement des relations commerciales entre l’Union européenne et le Turkménistan. Plusieurs autres stipulations de l’accord du 25 mai 1998 concernent également des dispositions réglementant les échanges de biens et/ou de services entre les deux parties.

L’adoption par le Parlement européen de l’accord intérimaire de commerce entre les Communautés européennes et le Turkménistan permettra que plusieurs articles de l’accord de partenariat entrent en vigueur dès que le Conseil aura achevé la procédure de ratification de l’accord intérimaire. Il s’agit des articles n°2, 7 à 16, 39§1, 40§1, 41§4, 81, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 92, 94, 97 de l’accord de partenariat.

Les grands principes définis par l’accord intérimaire sont les suivants :

– application de la clause de la Nation la plus favorisée par chacune des parties ;

– signature d’un protocole d’assistance administrative sur les questions douanières ;

– engagement du Turkménistan à mettre en place d’ici cinq ans des règles de protection de la propriété intellectuelle d’un standard équivalent à celles actuellement en vigueur dans l’Union européenne.

Si l’entrée en vigueur de l’accord intérimaire a permis de lever plusieurs obstacles au développement des relations économiques entre l’Union européenne et le Turkménistan, il est loin de remplir l’ensemble des fonctions dévolues à l’accord de partenariat et de coopération.

En effet, conformément aux objectifs poursuivis par l’Union européenne dans sa stratégie pour l’Asie centrale l’APC ne se limite pas aux seuls aspects économiques et commerciaux, mais vise à développer des coopérations approfondies dans des domaines très nombreux.

3) L’engagement à coopérer dans des domaines variés

a) Règles instituées en matière de commerce et d’investissements

Au-delà des seules questions tarifaires et de contrôles douaniers, couvertes par l’accord intérimaire, le renforcement des relations économiques entre l’Union européenne et le Turkménistan impliquent que les règles régissant les investissements sur le territoire de chacune des parties respectent un certain nombre de principes identiques.

Les articles 18 à 20 précisent ainsi qu’aucune discrimination en raison de la nationalité ne saurait être pratiquée entre ressortissants turkmènes et ressortissants communautaires.

Les articles 21 à 27 s’efforcent également d’organiser le principe de non-discrimination en matière d’implantations de sociétés communautaires au Turkménistan, et inversement. A l’annexe II de l’accord, les Communautés ont posé une réserve sur l’article 21§2, qui prévoit l’application des mêmes règles aux sociétés turkmènes désireuses de s’implanter sur le territoire communautaire, que celles réservées aux sociétés communautaires. Au titre de la réserve formulée par les Communautés, cet article ne saurait faire obstacle à l’application de règles concernant l’exercice de certaines activités particulières (exploration minière, exploitations vinicoles, pêches…) par des sociétés non communautaires.

Parallèlement, l’annexe III comporte des réserves turkmènes à l’article 21§4, lequel fixe le principe d’égalité de traitement avec les sociétés turkmènes pour l’établissement des sociétés communautaires au Turkménistan. Ainsi, le Turkménistan se réserve le droit de soumettre l’établissement de sociétés communautaires dans certains secteurs à l’obtention d’une autorisation préalable. De même, il est rappelé que l’achat de biens fonciers (immeubles) n’est pas autorisé pour les personnes et sociétés étrangères au Turkménistan. En aucun cas ces réserves ne peuvent permettre au Turkménistan d’accorder un régime plus favorable à des sociétés d’un pays non partie à l’accord.

Les articles 22 à 27 apportent diverses clarifications concernant les activités concernées (toute activité industrielle et commerciale sauf transports aériens, fluviaux et maritimes), les possibilités de réglementation des activités financières, la possibilité pour les sociétés d’une partie d’employer temporairement des ressortissants nationaux sur le territoire de l’autre partie et de soumettre leurs contrats aux règles du pays d’établissement hôte, l’engagement des parties à ne pas accroître les restrictions concernant l’établissement et l’activité des sociétés privées sur leurs territoires.

Les articles 28 à 31 fixent les conditions auxquelles la prestation de services par des sociétés d’une des deux parties sur le territoire de l’autre pourrait être amenée à progresser. L’idée générale est d’amener le Turkménistan à développer le secteur des services et notamment l’ouverture du marché du transport maritime international. De manière générale, le secteur des transports pourra faire l’objet d’accords spécifiques.

L’ensemble des stipulations relatives au développement des échanges est soumis à des dispositions générales, prévues aux articles 32 à 38 de l’accord de partenariat, de caractères très divers. Outre les réserves relatives aux dispositions d’ordre public, ces articles prévoient ainsi que les stipulations de l’accord de partenariat n’ont aucune incidence sur la possibilité par les parties d’adopter des mesures concernant l’entrée et le séjour d’étrangers sur leur territoire sous réserve qu’elles ne réduisent pas à néant les avantages conférés par l’APC. Par ailleurs, certaines stipulations prévoient de rendre les principes de l’APC compatibles avec les règles de l’accord général sur le commerce des services (GATS).

Les articles 39 et 40 visent à faciliter l’application des stipulations relatives au commerce. Déjà partiellement en vigueur du fait de la ratification de l’accord intérimaire de commerce, l’article 39 prévoit ainsi que les opérations financières entre les deux parties soient facilitées, notamment par la possibilité de paiement en devises convertibles sur tout compte courant de l’une ou l’autre partie, et que des mesures en faveur de la liberté de circulation des capitaux soient adoptées.

L’article 40 incite le Turkménistan à améliorer la protection de la propriété intellectuelle sur son territoire. Le Turkménistan s’engage ainsi à adhérer aux principales conventions multilatérales dans ce domaine, dont la liste est fournie par l’annexe V de l’accord, au plus tard cinq ans après l’entrée en vigueur de l’APC.

b) Coopérations dans le domaine économique

L’économie turkmène se trouve dans une situation dramatique, malgré des taux de croissance affichés importants, et qui ont résisté à la crise (10,5 % e, 2008, 3,9 % en 2009). Hormis le secteur énergétique, seul pourvoyeur de devises, la seule filière fonctionnant à peu près correctement est l’industrie textile, restructurée grâce à l’entrée de capitaux turcs dans le pays. Du fait du manque chronique d’investissements, les capitaux domestiques ayant été consacrés en large partie à des projets immobiliers de prestige et les investisseurs étrangers ne pouvant s’engager du fait d’un climat des affaires délétère, le développement reste très limité dans de nombreux secteurs, et les dernières estimations (14), en 2004, du taux de chômage (60 %) et de pauvreté (30%) restaient alarmantes.

Héritière du système soviétique, l’économie turkmène est organisée et gérée par l’Etat dans sa plus grande partie. Dès lors, comme avec ses autres partenaires centrasiatiques, l’Union européenne s’engage, dans le cadre de l’APC du 25 mai 1998, à favoriser la réforme en profondeur de l’économie turkmène. Le champ de cette coopération, très large, est fixé par les articles 42 à 66 de l’accord. L’article 42 rappelle que la coopération économique, comme toute autre coopération prévue par l’accord, peut donner lieu à la fourniture par l’Union européenne d’une assistance technique au Turkménistan.

Les articles 43 à 47 visent à améliorer le climat des affaires au Turkménistan, en prévoyant des coopérations pour faciliter l’échange de biens et de services, restructurer et développer l’industrie, améliorer les règles relatives à la protection et la promotion des investissements, favoriser la concurrence pour l’accès aux marchés publics, améliorer le système de normes de qualité.

Les articles 48 à 56 prévoient des coopérations ciblées par secteur d’activité, avec pour objectifs la restructuration de l’économie turkmène, pour l’amener progressivement vers un niveau de développement plus avancé dans les domaines suivants : extraction minière et gestion des matières premières, utilisation de la science et de la technologie, éducation et formation des individus, agriculture et industrie agro-alimentaire, mise au point d’une politique énergétique durable et cohérente, respect de l’environnement, modernisation et développement des réseaux de transports, mise au point et application d’une politique de développement des services postaux et de télécommunications, développement de l’industrie financière et renforcement des institutions fiscales. L’article 60 prévoit également une coopération dans le domaine du tourisme.

Les articles 57 à 59 prévoient des coopérations visant à améliorer le contexte socio-économique des activités professionnelles. L’article 57 précise ainsi que les parties s’engagent à coopérer pour faciliter la privatisation des entreprises. L’article 58 vise à favoriser un développement économique harmonieux, en gardant à l’esprit les nécessités de l’aménagement du territoire. L’article 59 indique qu’une coopération visant à améliorer la santé et la sécurité des travailleurs peut être instituée. Dans le même ordre d’idées, l’article 61 stipule que les parties peuvent coopérer pour favoriser la création et le développement des petites et moyennes entreprises.

Les articles 62 à 65 visent à améliorer le fonctionnement des administrations et des industries impliquées dans le fonctionnement de l’économie dans son ensemble. Ainsi, la gestion de l’information, la protection des consommateurs, l’administration des douanes et la gestion des statistiques économiques font partie du champ couvert par l’accord de partenariat. Enfin, les parties s’engagent, au titre de l’article 66, à coopérer pour le développement de la science économique.

c) Lutte contre les activités illégales

Frontalier avec l’Ouzbékistan, qui souffre du passage fréquent des réseaux de trafiquants d’héroïne utilisant le pavot produit en Afghanistan, le Turkménistan se trouve de ce fait sur l’une des principales routes de l’opium. Le Turkménistan pourra bénéficier, dans ces domaines comme dans d’autres, de l’assistance de l’Union européenne.

En effet, les articles 68 à 71 prévoient l’organisation de coopérations dans de nombreux domaines : blanchiment d’argent, lutte contre la drogue, immigration clandestine. Le texte de l’accord porte principalement sur les activités illégales dans le domaine économique, comme le précise l’article 68. Les stipulations concernant l’immigration clandestine de l’article 71 prévoient pour leur part une clause de réadmission mutuelle des immigrés clandestins en provenance de l’une des parties.

d) Coopérations législative et culturelle

La stratégie européenne pour l’Asie centrale précise explicitement que les mesures adoptées par l’Union européenne visent à rapprocher les Etats partenaires des normes existant en Europe. Certains domaines de coopération visent précisément à faciliter ce rapprochement.

L’article 41 de l’APC fixe ainsi pour objectif un rapprochement de la législation turkmène des standards existant au niveau communautaire, dans de nombreux domaines : législation douanière, droit des sociétés, législation sur les services bancaires et autres services financiers, comptabilité et fiscalité des entreprises, propriété intellectuelle, protection des travailleurs sur le lieu de travail, services financiers, règles de concurrence, y compris toutes les questions connexes et les pratiques touchant au commerce, marchés publics, protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, et préservation des végétaux, environnement, protection des consommateurs, fiscalité indirecte, règles et normes techniques, lois et réglementations en matière nucléaire, transports et télécommunications.

L’article 72 de l’accord prévoit pour sa part une coopération culturelle entre l’Europe et le Turkménistan.

e) Les moyens financiers de l’Union au service de la coopération

Les articles 73 à 76 de l’APC prévoient que les mesures de coopération prévues dans les autres parties de l’accord soient financées par l’Union européenne au titre du programme TACIS. Depuis l’adoption de la stratégie européenne pour l’Asie centrale, c’est l’instrument de coopération pour le financement du développement qui sera sollicité.

15,25 millions d’euros ont ainsi été consacrés, au titre du programme TACIS II, au Turkménistan. Dans la programmation 2007 – 2011 du nouvel instrument de financement, 22 millions d’euros sont prévus, qui devraient passer à 31 millions d’euros pour la période 2011 – 2013. Les trois domaines d’assistance prioritaires ont été définis comme suit :

– renforcement du développement social et économique des zones rurales ;

– soutien en faveur du développement du capital humain, en améliorant le système d'enseignement et de formation professionnelle et en renforçant le secteur public, grâce entre autres à l'amélioration des établissements spécialisés d'enseignement et de formation de la fonction publique ;

– développement à long terme de l'énergie durable.

En outre, le Turkménistan est éligible aux programmes régionaux thématiques couverts par le document de stratégie régionale et financés par l’instrument de coopération pour le financement du développement, qui représentent un total de 105 millions d’euros pour 2011-2013 afin de financer des programmes en matière d’énergie, de transport, de développement des PME, d’environnement, de gestion des frontières et lutte contre la drogue et d’éducation.

f) La coopération dans le domaine des droits de l’homme

Comme pour tous les accords de partenariat ratifiés par l’Union européenne, l’accord du 25 mai 2008 signé avec le Turkménistan prévoit que des actions de partenariat pourront être menées afin d’aider au respect des droits de l’homme et des principes démocratiques.

L’engagement européen pour le respect de ces principes ne peut être pleinement apprécié au regard du seul article 67, qui prévoit l’organisation d’une coopération pour l’établissement et le renforcement d’institutions démocratiques conformes aux règles fixées par l’OSCE et les principes du droit international.

En effet, par une déclaration commune sur l’article 94, annexée au traité, la Communauté européenne et le Turkménistan s’engagent à suspendre l’application de l’accord s’il estime que l’autre partie a violé substantiellement ses engagements au titre de l’accord, parmi lesquels figure, notamment au titre de l’article 2, le respect de la démocratie et des droits fondamentaux de l’homme.

Une telle situation n’est pas théorique. C’est sur cette base que l’Union européenne a suspendu une partie de l’accord de partenariat et de coopération avec l’Ouzbékistan pendant un an, suite à la répression violente des manifestations intervenues le 13 mai 2005 dans la ville d’Andijan.

Cette possibilité de suspension offre à l’Union européenne un instrument supplémentaire pour amener le Turkménistan à se rapprocher des principes démocratiques qu’elle défend. Toutefois, la situation particulièrement dramatique des libertés fondamentales dans ce pays interdit de se satisfaire de cette seule clause pour garantir une amélioration du comportement des autorités turkmènes.

III – UNE DIFFICULTE MAJEURE : LES VIOLATIONS RÉPÉTÉES DES DROITS DE L’HOMME PAR UN RÉGIME TURKMÈNE AUTORITAIRE ET OPAQUE

Le Turkménistan est considéré par les organisations non gouvernementales militantes des droits de l’homme comme l’une des dictatures les plus dures de la planète, fréquemment comparées au régime nord-coréen et à la junte birmane. Le décès du président Niazov en décembre 2006 avait suscité des espoirs d’ouverture du régime, et de démocratisation du fonctionnement des institutions. Cependant, malgré quelques signes d’ouverture durant les premiers mois d’exercice du président Berdymoukhamedov, la situation des libertés au Turkménistan semble rester au mieux inchangée, et quelques signes de régression sont mêmes perceptibles.

A – Une volonté de réforme très superficielle

Il est difficile d’apporter des éléments précis sur la situation des droits de l’homme au Turkménistan, les sources d’information sur ce sujet étant pratiquement inexistantes. Les organisations non gouvernementales ne peuvent pas exercer leur activité sur le territoire turkmène, et les rares contacts qu’elles entretiennent sur le terrain prennent des risques considérables pour les tenir informées. Le remplacement d’homme fort à la tête du pays n’a apporté que des changements limités.

1) Un régime opaque et oppressant :

Conséquence de la fermeture du pays à l’extérieur sous le règne de Niazov, le manque de transparence du régime turkmène n’a pas fondamentalement changé depuis la prise de pouvoir de Berdymoukhamedov.

Formellement, le Turkménistan est partie à de nombreuses conventions internationales sur les droits de l’homme (six grandes conventions des Nations-Unies relatives aux droits de l’Homme (15), protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes du 23 septembre 2009). De plus, le Turkménistan a été le premier pays d’Asie centrale à abolir la peine de mort, le 1er janvier 2000. En revanche, il n’a toujours pas ratifié le protocole additionnel à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant, ni le statut de Rome établissant la Cour Pénale Internationale.

Toutefois, il n’existe aucun moyen de contrôler que le Turkménistan respecte concrètement ces engagements. Bien que soumis à l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2008, le Turkménistan continue d’interdire l’accès de son territoire aux rapporteurs spéciaux de l’ONU. Seule l’auteure du rapport de 2009 sur la liberté religieuse, Asma Jahangir, a été autorisée à entrer sur le territoire et d’y effectuer des visites dans les limites de sa mission.

Les militants de grandes ONG internationales rappellent fréquemment qu’il leur est interdit d’entrer sur le territoire pour y exercer leur activité. Médecins sans frontières a été la dernière ONG internationale autorisée sur place, mais a dû quitter le pays en décembre 2009. Les ONG travaillant sur les questions relatives aux droits de l’homme ont notamment renouvelé leurs revendications lors de la visite du président turkmène à Paris en février dernier, dans une déclaration commune, parmi lesquelles figurent l’autorisation pour elles d’entrer sur le territoire turkmène.

Dans le même temps, le régime multiplie les entraves à la circulation de ses propres citoyens. Le nombre d’interdiction de sorties du territoire pour des raisons politiques est très inquiétant. Les contrôles de la circulation à l’intérieur même du territoire étaient systématiques jusqu’à récemment. Le système de la « propiska » oblige les citoyens à déclarer un lieu de résidence permanente, limitant considérablement leur liberté de circulation, et leur droit au logement et à l’emploi, puisque ces derniers ne peuvent travailler que sur leur lieu de résidence déclaré.

L’Etat exerce son contrôle de nombreuses manières. Maîtrisant les seules sources de revenus, à savoir les exploitations gazières, il règne également sur tous les secteurs de l’économie, notamment l’agriculture, en imposant un plan de production qui en fait le seul acheteur des productions locales. Au sein de l’Etat, le pouvoir est concentré entre les mains du président, et il n’existe aucun contre-pouvoir institutionnel sérieux, malgré la tenue d’élections (restreintes jusqu’à aujourd’hui au seul parti du président).

Autre élément d’opacité et de contrainte, l’inexistence de toute source d’information libre. Les seuls périodiques disponibles pour la population turkmène sont affiliés au pouvoir. Tous sont censés avoir été fondés par le président, comme le rappellent leurs « ours ». Les fonctionnaires sont obligés de s’abonner à ces quotidiens. Seules certaines administrations sont autorisées à recevoir des périodiques étrangers, et toute personne entrant au Turkménistan est fouillée afin d’éviter que des informations extérieures ne parviennent dans le pays.

Enfin, la liberté d’association est également très limitée. Le Turkménistan refuse d’immatriculer les ONG susceptibles de remettre en cause le fonctionnement de l’Etat, et seule une organisation n’ayant véritablement aucun lien avec le régime essaie de développer une activité, nécessairement très limitée.

2) Des avancées erratiques et limitées

Globalement, la situation du Turkménistan apparaît donc comme un cas extrême d’autoritarisme, associé à un phénomène particulièrement accentué de monopolisation du pouvoir par le seul président. Cette réalité du pouvoir personnel s’est accompagnée d’un culte de la personnalité très spectaculaire sous le règne de Niazov : installation de son vivant d’une statue plaquée d’or au sommet du plus haut bâtiment d’Achgabat, construction d’une immense mosquée dans le village de naissance de sa mère, disparue lors d’un tremblement de terre, imposition du Ruhnama, ouvrage écrit par Niazov, comme principal ouvrage de référence pour l’enseignement des arts et de la littérature turkmènes.

L’élection de Gurbanguly Berdymoukhamedov le 11 février 2007 avait fait espérer une évolution du régime. Quelques décisions semblaient aller dans ce sens. Le président avait ainsi annoncé qu’il souhaitait arrêter le culte de la personne du chef de l’Etat. Par ailleurs, quelques espoirs avaient été nourris par les ONG, suite à une conférence donnée par le président le 24 septembre 2007 à l’université de Columbia à New-York, dans laquelle il estimait que l’accès des ONG au territoire turkmène n’était « pas un sujet » et qu’aucune restriction n’existait. La nouvelle posture diplomatique du Turkménistan, sortant de quinze ans d’autarcie, semblait également confirmer une nouvelle orientation.

L’annonce présidentielle de l’ouverture de points d’accès Internet dans le pays marque sans doute la seule avancée concrète, quoique très relative, des droits de l’homme au Turkménistan. D’abord, après l’annonce officielle d’un objectif d’une vingtaine de cybercafés pour l’ensemble du pays, d’une superficie de 488 000 kilomètres carrés environ, comparable à la France, le président a décidé de limiter ce nombre à quinze. Ensuite, les conditions d’accès à Internet sont particulièrement attentatoires aux libertés : obligation de s’enregistrer à l’entrée de tous les cybercafés, en présentant son passeport lors de toute utilisation. Enfin, un filtre contrôlé par les autorités empêche d’accéder à une cinquantaine de sites, parmi lesquels ceux des principales ONG internationales et les sites de l’opposition en exil. Les courriels sont également « écoutés » par les services de sécurité, qui vérifient qu’aucune déclaration opposée au régime ne s’y trouve.

Il est tout aussi difficile d’admettre de nets progrès de la part du Turkménistan sur le plan du fonctionnement institutionnel. Le président Berdymoukhamedov a choisi de supprimer le Conseil du Peuple, organe législatif suprême permanent composé de 2 507 membres, remplacé par un parlement composé de 65 élus. Toutefois, bien que deux candidats aient été présentés dans pratiquement toutes les circonscriptions (125 candidats au total), tous étaient membres du parti présidentiel.

L’état d’esprit des autorités turkmènes semble avoir peu changé par rapport à la période précédente. L’enregistrement, après treize ans d’attente, de l’Eglise catholique au Turkménistan, pouvait faire espérer une certaine détente vis-à-vis de l’émergence d’une société civile autonome. De la même manière, le président Berdymoukhamedov s’était ainsi engagé à faire avancer progressivement le Turkménistan vers le multipartisme.

Il a toutefois précisé qu’une telle évolution ne saurait ouvrir la voie à la création de partis politiques pouvant porter atteinte à la « dignité internationale » de l’Etat, ce qui limitera à coup sûr les possibilités d’enregistrement de formations politiques d’opposition.

Des nouvelles restrictions ont été imposées en matière de liberté de circulation. Ainsi, en 2009, après avoir soutenu un programme de financement de séjour d’étudiants à l’étranger, les autorités ont finalement annulé le départ des étudiants, en leur demandant de fournir des documents complémentaires. Les autorisations de sortie n’ont pas été accordées à tous les candidats, notamment à ceux souhaitant se rendre dans des universités privées.

B – Des manquements particulièrement choquants aux droits humains les plus fondamentaux

Parmi les nombreuses violations des droits de l’homme commises au Turkménistan, certaines suscitent une émotion particulièrement vivace car elles concernent l’intégrité personnelle des citoyens. Du fait de l’existence de lois pénales particulièrement incertaines, et d’une justice qui ne remplit pas les conditions minimales du procès équitable, nombreux sont ceux qui se retrouvent incarcérés pour des raisons politiques. Or, les conditions de détention au Turkménistan sont parmi les plus difficiles au monde, avec des cas avérés de torture. Le système répressif tel qu’il existe au Turkménistan laisse donc peu de doutes sur la réalité du recours à la menace et la torture pour lutter contre toute forme d’opposition au régime.

1) Arrestations arbitraires et opacité du système judiciaire

Les ONG dénoncent l’existence de textes de loi rendant impossibles toute activité militante en faveur des droits de l’homme. La résolution de l’organe suprême turkmène « Sur les traîtres à la patrie », qui n’a toujours pas été abrogée, permet ainsi de condamner, à des peines allant jusqu’à la perpétuité, des personnes simplement soupçonnées d’avoir émis une critique du régime.

Les arrestations d’opposants supposés sont souvent faites sur des prétextes fallacieux. Il est aujourd’hui impossible de connaître le nombre exact de personnes emprisonnées de la sorte, car les jugements ne sont pas rendus publics. Les familles attendent parfois plusieurs années avant de savoir si leur parent incarcéré est toujours en vie. Les cas de tortures par les services de sécurité sont fréquents, avant et après que les jugements aient lieu.

L’ONG Human rights watch rappelle, dans son rapport mondial de 2010, rappelle ainsi qu’environ 50 personnes ont été arrêtées, et emprisonnées, à la suite d’un attentat qui aurait été commis contre le président Niazov en 2002. Aucune information n’est disponible concernant leur situation actuelle.

Des cas personnels sont évoqués, tant par les ONG que par les autorités communautaires et françaises dans leurs dialogues avec les dirigeants du Turkménistan.

Un cas particulièrement grave de détention arbitraire implique des collaborateurs d’une journaliste française

Dans le cadre de l’émission « Envoyé spécial », sur la chaîne France 2, un reportage intitulé « La folie Niazov ». Cas rare, cette émission avait permis de présenter au public français des images tournées au Turkménistan. La reporter avait bénéficié de l’aide logistique (transport, traduction) de citoyens turkmènes, qui n’avaient pas, pour autant, participé en tant que journalistes.

Arrêtés par les services de sécurité en possession de matériel de tournage, qu’ils prévoyaient de rendre à la journaliste trois collaborateurs de la journaliste ont été condamnées le 25 août 2006 pour espionnage. Parmi eux, MM. Sapardourdy Khadjiev et Annakourban Amanklytchev, sont toujours emprisonnés, et, selon certaines sources, encore vivants. Leur lieu de détention serait la prison de Turkmenbachi, située en plein désert.

La troisième personne, Mme Ogoulsapar Mouradova, correspondante, comme une dizaine d’autres personnes au Turkménistan, de Radio Free Europe / Radio Liberty, a également été condamnée, et incarcérée. Elle est morte en détention, et sa famille en a été informée le 14 septembre 2006. C’est seulement sur pression de chancelleries étrangères que ses proches ont finalement été autorisés à voir le corps de la défunte.

Concernant des personnes ayant collaboré avec une journaliste salariée par une chaîne de télévision française, votre Rapporteur estime nécessaire que le groupe France Télévisions mène une action plus résolue pour obtenir la libération des deux personnes encore détenues. A l’heure actuelle, ces derniers sont parrainés par la société France Télévisions, mais cette mesure semble insuffisante, puisque les familles n’ont toujours pas été autorisées à rendre visite à leurs proches.

2) Le cas alarmant des conditions de détention

Les arrestations pour motifs politiques continuent donc d’exister au Turkménistan. Par ailleurs, le pays souffre de conditions d’incarcération très dures, sur lesquelles il est d’ailleurs difficile d’obtenir des informations précises. Même le Comité international de la Croix rouge n’est pas autorisé à pénétrer dans les lieux de détention turkmènes.

Les témoignages communiqués par des sources turkmènes aux ONG évoquent une surpopulation chronique, d’autant plus problématique que certaines prisons sont situées en plein désert, où les températures estivales peuvent dépasser 50° celsius. Dans certains lieux, la surpopulation conduirait à faire dormir les prisonniers dehors, leur faisant courir de graves risques de santé dans des zones où les températures les plus froides peuvent atteindre -15° pendant les nuits d’hiver.

Les allégations de tortures et mauvais traitements en prison sont nombreuses. Des cas de travail forcé sont fréquemment évoqués. Il est parfois fait mention de cas endémiques de tuberculose et d’autres infections. Dans ces conditions, la mortalité en prison atteint des niveaux significatifs.

C – Quelle solution privilégier pour améliorer la situation ?

Les atteintes graves aux droits de l’homme perpétrées par les autorités turkmènes, et le maintien d’un régime autoritaire et oppressant, ne peuvent manquer de choquer. Le Turkménistan est sans doute l’un des pays où la transition démocratique post-soviétique a pris le plus de retard.

1) Ne pas fermer la voie au dialogue…

Malgré une situation déplorable, se contenter d’accuser les autorités turkmènes de violation répétées des libertés humaines fondamentales déboucherait probablement sur un retour à une politique d’autarcie.

Depuis l’adoption de la nouvelle stratégie européenne, le Turkménistan a d’ailleurs accepté de siéger à plusieurs rencontres entre l’Union européenne et ses partenaires d’Asie centrale, dont certaines concernaient explicitement les droits de l’homme. Cette question est systématiquement évoquée lors des rencontres entre les représentants de l’Union et les dignitaires centrasiatiques, à la fois de manière collective, et bilatérale.

Par ailleurs, des rencontres bilatérales entre l’Union européenne et le Turkménistan, organisée tous les ans, donnent lieu à des échanges de vue sur l’ensemble des préoccupations européennes, y compris des cas individuels. Le Représentant spécial de l’Union européenne pour l’Asie centrale insiste également sur ces questions à chacune de ses rencontres avec les autorités turkmènes.

La France participe à ces actions. Elle est chargée de l’initiative pour le renforcement de l’Etat de droit en Asie centrale, qui fait partie de la stratégie européenne. Toutefois, pour le moment, le Turkménistan ne participe que faiblement aux activités organisées dans ce cadre.

De plus, la France évoque directement avec le Turkménistan des cas individuels, dont ceux de MM. Sapardourdy Khadjiev et Annakourban Amanklytchev, qui restent prioritaires. Leur libération a été officiellement demandée par le ministre des affaires étrangères et européennes en avril, puis en septembre 2008.

La question des droits de l’homme a également été évoquée lors de la rencontre entre les président Sarkozy et Berdymoukhamedov des 1er et 2 février 2010. Cette rencontre a permis d’obtenir un accord de principe pour la venue au Turkménistan de l’ambassadeur français pour les droits de l’homme, Monsieur François Zimeray, en mai 2010.

D’autres acteurs arrivent également à jouer un rôle, parfois discret, pour la protection des droits de l’homme. Ainsi, la représentation locale de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe assure une mission importante de veille juridique, et élabore les seuls documents disponibles contenant l’ensemble du droit turkmène, y compris la jurisprudence.

2) …Mais tout mettre en œuvre pour obtenir des progrès concrets en matière de respect des droits de l’homme

Quelles que soient ses limites, le dialogue vaut mieux que l’absence de toute forme de coopération. Il comporte au moins l’avantage de pouvoir évoquer directement avec les autorités turkmènes les cas les plus difficiles tout en réaffirmant notre souci d’une évolution significative et régulière de la situation globale. Il importe cependant de s’assurer que ce dialogue ne sert pas de paravent à l’immobilisme du pouvoir turkmène. S’il ne peut être question d’obtenir, et donc d’exiger, des améliorations spectaculaires, nous devons nous assurer que l’instauration de ce dialogue permet de véritables avancées.

Il convient dès lors d’améliorer l’efficacité du dialogue sur les droits de l’homme qui existe déjà, afin que l’éventuelle entrée en vigueur du présent accord de partenariat et de coopération ne transforme pas ces réunions en simples rituels dépourvus de conséquences concrètes.

Après avoir entendu plusieurs organisations internationales sur ce sujet, ainsi que des responsables du ministère des affaires étrangères, votre Rapporteur est d’avis de proposer que soient examinées les pistes d’amélioration suivantes.

a) Réaffirmation de nos exigences concernant les cas individuels les plus graves

L’incarcération de MM. Sapardourdy Khadjiev et Annakourban Amanklytchev au seul motif qu’ils ont aidé une journaliste française à réaliser un reportage sur le Turkménistan n’est pas acceptable. La France doit agir par tous les canaux possibles, tant diplomatiques que par ses entreprises, en l’occurrence France Télévisions, mais peut-être également Bouygues Construction, qui dispose d’une position éminente au Turkménistan et a même remporté un contrat de rénovation de studios de télévision, pour obtenir leur élargissement. Votre rapporteur souhaite obtenir du ministre des affaires étrangères l’engagement que ce dossier continuera d’être systématiquement évoqué et qu’il sera rendu compte devant votre commission des réponses obtenues.

La libération de Sapardourdy Khadjiev et Annakourban Amanklytchev, dont les cas ont déjà été évoqués dans ce rapport, pourrait constituer un signal concret qu’il serait encourageant d’obtenir avant la ratification définitive de l’accord de partenariat et de coopération. Cette demande pourrait être formulée lors de la prochaine visite de l’ambassadeur pour les droits de l’homme, M. François Zimeray, au Turkménistan. En tout état de cause, il faudra suspendre la procédure de ratification par l’Assemblée nationale dans l’attente de la libération de ces deux personnes.

b) Maintien d’un contact unique au Turkménistan pour les questions relatives aux droits de l’homme

La nomination de Mme Shirin Ahmedova à la tête de l’institut national des droits de l’homme turkmène a permis aux interlocuteurs étrangers de disposer d’un relais nouveau. Toutefois, celle-ci a dû quitter ses fonctions au bout de trois ans suite à son élection en tant que Députée. Ce départ a été appris de manière incidente par les ONG et les autres Etats. Sa remplaçante, Yazdursun Gurbannazarova, est une ancienne députée, présidente de la commission des droits de l’homme. Votre rapporteur souhaite que l’Union européenne agisse pour que l’activité de Mme Gurbannazarova permette de progresser dans le domaine des libertés publiques, et ne représente pas un nouveau recul dans cette matière.

c) Création d’un contact pour les ONG auprès du représentant spécial de l’Union européenne

Les ONG sont très critiques sur le contenu des réunions bilatérales sur les droits de l’homme entre l’Union européenne et le Turkménistan. Elles déplorent notamment de ne pas être tenues informées du contenu des discussions, bien que le Représentant spécial de l’Union affirme les consulter régulièrement avant toutes les réunions pour examiner les messages qu’elles souhaiteraient faire passer.

Pour plus de facilité, il semblerait utile d’adjoindre au RSUE, dont les fonctions débordent largement la seule question des droits de l’homme, un collaborateur chargé exclusivement de cette dimension. La création d’un service européen d’action extérieure, qui va nécessiter une refonte des services extérieurs de l’Union européenne, au Conseil comme à la Commission, pourrait donner l’occasion de créer cette fonction.

d) Information régulière des parlements nationaux sur les avancées obtenues dans le domaine des droits de l’homme en Asie centrale

A l’instar des ONG, il est très difficile pour les parlements nationaux d’obtenir des informations sur le contenu des discussions entre l’Union européenne et les gouvernements d’Asie centrale, particulièrement sur les questions relatives aux libertés humaines fondamentales.

Le ministère des affaires étrangères a refusé de communiquer à votre Rapporteur le rapport des chefs de mission européenne envoyé au Parlement européen préalablement au vote de l’accord intérimaire de commerce entre l’Union européenne et le Turkménistan. De la même manière, il n’a pu obtenir les comptes rendus des réunions bilatérales relatives aux droits de l’homme.

Alors que les accords de partenariat et de coopération, comme la stratégie européenne pour l’Asie centrale, font du respect des libertés humaines et des principes démocratiques le cœur même de l’action de l’Union européenne dans la région, il semblerait logique que les représentants des citoyens des Etats membres puissent être informés de l’état d’avancement des projets de réformes dans ce domaine.

A cette fin, votre rapporteur souhaite que le ministre des affaires étrangères et le département de l’Union européenne sur l’Asie centrale s’engagent à rendre compte à votre commission de l’état de la situation en matière de droits de l’homme chaque année afin de vous permettre d’apprécier l’opportunité de demander la poursuite ou la suspension de l’accord dont il vous est demandé d’autoriser la ratification. Ainsi qu’il est prévu pour d’autres projets de loi, votre Commission pourrait charger son Rapporteur d’une mission de suivi débouchant sur une communication régulière à votre intention.

e) Formalisation de notre préoccupation en matière de droits de l’homme à l’égard de l’Union européenne

Votre rapporteur préconise enfin que l’autorisation de ratifier cet accord soit accompagné d’une déclaration adressée à la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et visant à rappeler les attentes de la France en matière de droits de l’homme de la part du Turkménistan :

– libération des correspondants de France 2 détenus,

– libre accès du Comité international de la croix rouge dans les prisons turkmènes,

– désignation par les autorités turkmènes d’un correspondant chargé de recevoir les demandes des organisations non gouvernementales.

CONCLUSION

La stratégie poursuivie par l’Union européenne en Asie centrale est fondée sur l’accompagnement de ces cinq Etats dans un processus de réformes, tant économiques que politiques. Les coopérations nouées dans ce cadre, formalisées par des accords de partenariat et de coopération similaires à celui signé le 25 mai 1998 avec le Turkménistan, sont toutes soumises au respect des principes démocratiques et des droits de l’homme.

Le cas du Turkménistan est sans doute le plus difficile de tous ceux que l’Europe, et la France, ont eu à connaître dans la région. L’état dramatique des libertés fondamentales, les caractéristiques du régime, opaque, autoritaire et oppressant, ne peuvent être oubliées lorsqu’il s’agit d’examiner un accord avec ce pays.

L’importance stratégique du Turkménistan, comme, du reste, de l’ensemble de l’Asie centrale, ne peut faire oublier les préoccupations relatives au sort de la population turkmène. A cet égard, l’absence de progrès malgré le changement de président à la tête du pays est source d’inquiétudes.

Le dialogue engagé par l’Union européenne n’a pas porté ses fruits. Pour autant, rompre les discussions ne pourrait provoquer qu’un raidissement des autorités turkmènes, et rendre encore moins probables de quelconques progrès dans le domaine des droits de l’homme.

Afin de permettre à ce dialogue de remplir sa fonction, l’Europe, et la France en particulier, doivent mobiliser leurs moyens.

Le cas des personnes emprisonnées pour avoir simplement aidé une journaliste française dans le cadre d’un reportage destiné à la télévision nationale est insupportable, et doit être constamment rappelé. La ratification de l’accord ne saurait intervenir avant leur libération.

L’accord de partenariat et de coopération comporte une clause permettant de le suspendre en cas de violations délibérées de ses clauses par l’une des parties. Certains estiment que cette seule stipulation impliquerait que le présent accord soit suspendu dès son entrée en vigueur, tant les violations des libertés publiques par les autorités turkmènes sont graves, et fréquentes.

Même si l’on peut ne pas partager une telle vision, il va de soi que l’Union européenne aurait tout à gagner à rendre compte, à la société civile et aux représentants des citoyens des Etats membres, des avancées obtenues, ou, au contraire, des obstacles rencontrés, dans le combat pour imposer le respect des valeurs démocratiques et humanistes qui sont les nôtres.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 7 avril 2010.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Michel Terrot. Comment le Turkménistan a-t-il traversé la crise financière ? Quel est l’état de son secteur bancaire ? Par ailleurs, sur la question du gaz, on sait que le Turkménistan a essayé d’échapper à l’emprise du voisin russe par deux voies : un gazoduc avec l’Iran en 2009 et la même année, un gazoduc avec la Chine, d’une capacité de 40 milliards de m3. Quelle suite peut-on envisager : un cofinancement du projet Nabucco afin de bénéficier des 14 milliards de m3 qu’il doit transporter ?

M. Dino Cinieri. Merci au rapporteur pour son propos, en particulier sur le thème des droits de l’Homme. Le Turkménistan est le premier producteur gazier d’Asie centrale ; comment l’Union européenne pourrait-elle réduire sa dépendance gazière, dramatiquement démontrée lors de la crise russo-ukrainienne de l’hiver 2009 ?

M. Jean-Paul Lecoq. Je m’étonne que le rapporteur ait sans cesse évoqué l’Union européenne dans son intervention, alors que l’accord que nous avons sous les yeux ne mentionne que les Communautés européennes et leurs États membres. Sur le fond, que nous ayons besoin de gaz ne justifie pas de vendre notre âme. Ce texte est inacceptable. Toutes les dictatures tirent argument de la conclusion d’accords internationaux pour se maintenir en place au détriment de leur population, y compris l’URSS en son temps. Il faut isoler ces pays.

M. Pascal Clément. Pas vous, pas ça !

M. Jean-Paul Lecoq. Je n’ai jamais, au grand jamais, soutenu une telle politique à l’égard de l’Union soviétique et je vous défie de trouver une intervention de ma part qui irait dans ce sens.

M. le Président Axel Poniatowski. M. Lecoq, veuillez s’il vous plaît poursuivre et conclure votre intervention.

M. Jean-Paul Lecoq. J’ai terminé M. le président, mais je trouve inadmissible de laisser place à ce type de comportement.

M. Pascal Clément. Je vous présente des excuses pour m’être laissé emporter.

M. Jean-Jacques Guillet. L’unique justification de cet accord serait-elle gazière ? Ce serait d’autant plus regrettable qu’il s’agit en l’occurrence de la poursuite d’un fantasme. Car Nabucco est un projet compromis : le gaz iranien est nécessaire à sa viabilité – et il n’est pas disponible ; quant au gaz irakien parfois évoqué… il ne l’est pas davantage ! Nabucco – dont je rappelle qu’il s’agit d’un projet d’origine américaine – est donc mort-né. Cela est d’autant plus vrai qu’un certain nombre d’États européens, notamment dans les Balkans, se sont ralliés au projet de gazoduc concurrent South Stream, promis, lui, à un bel avenir. En outre, le Turkménistan a conclu des accords gaziers avec la Chine, avec l’Iran, avec la Russie ; cette dernière a même préempté il y a environ deux ans la quasi-totalité du gaz turkmène à un prix supérieur au prix du marché… Il y a donc tout lieu de craindre que l’accord que nous examinons, s’il était uniquement lié à la problématique gazière, soit un marché de dupes.

M. Christian Bataille. Nabucco est un bel opéra mais un mauvais projet gazier ! En effet il n’est pas suffisamment approvisionné en gaz iranien ou turkmène. Quant à la solution d’un gazoduc transcaspien, elle se heurte à des difficultés techniques, et l’hypothèse d’un gazoduc contournant la Caspienne n’est pas près de devenir réalité. À l’heure actuelle, le gaz de la région acheminé vers l’Europe ne part que de Bakou en Azerbaïdjan. Ce pays n’est pas un modèle de démocratie ; savez-vous, M. le Rapporteur, si les atteintes aux droits de l’Homme y sont aussi graves qu’au Turkménistan ? La question mérite d’être posée car l’Azerbaïdjan, où viennent d’être découverts, par des compagnies internationales, d’importants gisements de pétrole, est appelé à devenir un fournisseur d’énergie de grande envergure.

M. Jean-Claude Guibal. Sur quels États le Turkménistan s’appuie-t-il : les États-Unis, la Chine, la Russie – son ancienne puissance tutélaire ?

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Je voudrais être parfaitement clair sur mon raisonnement. Il ne s’agit en aucun cas de sacrifier notre idée des droits de l’Homme au profit d’intérêts économiques considérés comme prioritaires. C’est d’autant moins le cas que nos intérêts économiques directs au Turkménistan sont limités. Seules deux grandes entreprises européennes y ont des activités : il s’agit de Siemens et de Bouygues – j’estime d’ailleurs que cette dernière pourrait être motivée à faire preuve, ne serait-ce que par décence, de plus de retenue dans le soutien qu’elle affiche en faveur du régime turkmène. Dans les deux cas, elles doivent leur présence dans le pays à des liens personnels avec le défunt Président Niazov ou l’actuel chef de l’Etat : Bouygues a édité le livre dans une trentaine de langues, assurant la diffusion de sa pensée dans le monde, et Siemens doit les marchés qu’elle a obtenus dans le domaine de la santé à l’aide qu’elle a apportée au président Berdymoukhamedov.

L’Union européenne a en revanche des intérêts indirects dans le pays. Pour ce qui est du gaz naturel, il est vrai que le régime turkmène a fait des déclarations positives sur le projet Nabucco, mais la réalisation de celui-ci est très incertaine et ces déclarations ne sauraient fonder une politique européenne. L’accord aurait en revanche l’avantage de poser la base d’un dialogue et de rendre possible une diversification des clients du Turkménistan, alors que la Chine joue un rôle déterminant dans l’exploitation du gaz et que la Russie y est à nouveau très présente. Il est donc dans l’intérêt de l’Union européenne d’être un partenaire de ce pays.

Ces éléments sont-ils suffisants pour justifier la ratification de l’accord ? Ma première réaction était négative, mais ma position a évolué. En effet, soit l’Union européenne prend une positive de principe, vertueuse, et refuse tout accord avec ce pays, au risque que celui-ci fasse le choix de l’autarcie comme cela a été le cas pendant quinze ans, se tenant à l’écart d’une région devenue instable politiquement comme le prouvent les émeutes actuelles en République kirghize ; soit elle s’efforce d’obtenir des avancées concrètes en mettant en œuvre cet accord.

Les premières avancées pourraient concerner les deux collaborateurs de la journaliste de France Télévisions, dont cette dernière porte incontestablement une responsabilité dans la détention. Une fois que l’ambassadeur Zimeray sera allé sur place et aura pu rendre compte de sa mission à la Commission, nous verrons si une évolution positive se dessine. Si un interlocuteur pour les ONG était mis en place auprès du représentant spécial d’une part – nous devrions écrire à Mme Ashton pour soutenir cette demande, cela répondrait aux demandes des défenseurs des droits de l’Homme. La nomination au Turkménistan d’un contact habilité à recevoir les demandes des ONG serait également une avancée notable.

J’indique à M. Lecoq que l’accord a été conclu avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, donc par les communautés européennes, auxquelles l’Union européenne a succédé depuis.

Pour ce qui est de la solidité du système bancaire, il faut rappeler qu’il n’en existe pas au sens qu’on donne à cette expression en Occident. Tout est sous le contrôle étroit de l’Etat, qui est directement issu du régime soviétique. Les élites sont les mêmes qu’avant 1991 et leurs pratiques n’ont pas changé.

La situation en Azerbaïdjan est comparable sur certains points avec celle du Turkménistan, bien que le cas azerbaïdjanais soit également inquiétant. Au Turkménistan, il n’existe absolument aucun espace de liberté, même pas la liberté de circuler dans leur pays pour les Turkmènes, qui doivent être dotés d’un passeport intérieur et sont sujets à des contrôles qui donnent lieu à un racket policier fréquent. C’est évidemment encore pire pour la sortie du territoire, au point qu’un programme d’échanges d’étudiants a été bloqué pour des raisons d’ordre public.

Nous devons donc choisir entre une position de principe qui n’aura pas d’effet positif sur le pays et une position plus ouverte qui passe par l’entrée en vigueur de l’accord, sachant que l’application de ce dernier peut être suspendu à tout moment si on constate que le dialogue politique ne porte aucun fruit.

M. le président Axel Poniatowski. Le Rapporteur est donc favorable à l’adoption du projet de loi sous certaines conditions. La commission des affaires étrangères s’est trouvée dans une situation comparable sous la douzième législature, lorsqu’elle a examiné une convention fiscale avec la Libye alors que les infirmières et le médecin bulgares y étaient toujours détenus. Elle a en l’espèce voté le projet de loi autorisant sa ratification tout en demandant au gouvernement de ne pas l’inscrire à l’ordre du jour tant que la situation des soignants bulgares n’était pas réglée. Le projet de loi a finalement été adopté au début de cette législature, après leur libération.

Il me semble qu’il faut envoyer un message de fermeté au Turkménistan. La responsabilité morale de France Télévisions est incontestablement engagée dans la situation des deux collaborateurs de journalistes, que notre pays ne peut pas oublier. Je propose que la commission vote le projet de loi mais demande au Gouvernement de ne pas l’inscrire à l’ordre du jour tant que les deux Turkmènes en question n’auront pas été libérés.

M. François Loncle. Il y aura alors un débat en séance publique, n’est-ce pas ?

M. le président Axel Poniatowski. Absolument ! J’invite d’ailleurs le Rapporteur à assurer le suivi de ce dossier en attendant que l’inscription à l’ordre du jour du projet de loi soit possible.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (no 2010).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

ANNEXE

Liste des personnes auditionnées

- M. Pierre Morel, représentant spécial de l'Union européenne pour l'Asie centrale

- M. Roland Galharague, directeur de l'Europe continentale, ministère des affaires étrangères et européennes

- M. Christian Lechervy, directeur adjoint du centre d'analyse et de prévisions du ministère des affaires étrangères, ancien ambassadeur de France à Achgabat

- M. François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l'homme

- M. Jean-Marie Fardeau, directeur du bureau de Human rights watch en France

- Mlle Alexandra Koulaeva, responsable Europe de la Fédération internationale des droits de l'homme

- Mlle Elise Vidal, responsable Asie centrale de Reporters sans frontières

- M. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, auteur de "Turkménistan", éd. Non Lieu, Paris, 2009

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification de l’accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Turkménistan, d’autre part (ensemble cinq annexes, un protocole et un acte final), signé à Bruxelles le 25 mai 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 2010).

© Assemblée nationale

1 () Les cinq anciennes Républiques soviétiques d’Asie centrale sont le Kazakhstan, la République kirghize, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan. Des définitions plus géographiques incluent parfois l’Afghanistan et certaines provinces de pays frontaliers comme l’Iran ou le Pakistan, ainsi que le Xinjiang et le Tibet.

2 () Voir à cet égard : « Asie centrale, la dérive autoritaire » de M. Laruelle et S. Peyrouse, éditions Autrement, 2006.

3 () Selon les statistiques du FMI, le rapport entre le PIB par habitant au Kazakhstan (8700$ environ) et au Tadjikistan (795$) est ainsi supérieur à un pour dix. Le chiffre pour le Turkménistan est de 3 500$.

4 () Source : “Regional Strategy Paper for Assistance to Central Asia for the period 2007-2013”, document de la Commission européenne.

5 () La complexité de la gestion de l’eau dans le bassin de la mer d’Aral et la surexploitation des ressources aquifères à des fins agricoles, notamment la culture du coton en Ouzbékistan, premier producteur mondial, rendent certains Etats d’Asie centrale particulièrement dépendants de réservoirs situés sur le territoire d’autres pays.

6 () Notamment la communauté des Etats indépendants, l’organisation de Shanghai et l’organisation collective de sécurité.

7 () Le Turkménistan n’est membre ni de l’organisation de coopération de Shanghai, ni de la communauté des Etats indépendants, ni de l’organisation commune de sécurité.

8 () Source : fiche « Turkménistan » de la DG TRADE, Commission européenne.

9 () La traduction du Ruhnama, ouvrage idéologique rédigé par le président Niazov, a été financée par le groupe.

10 () Limité aux aspects commerciaux de la relation UE – Turkménistan, cet accord, signé le 10 novembre 1999, concerne uniquement des compétences exclusives de l’Union européenne, et n’a donc pas besoin d’être ratifié par les Parlements nationaux pour entrer en vigueur.

11 () Les rapports de M. Daniel Caspien pour la Commission du commerce international et, pour avis, de M. Panasiatismes Beglitis pour la Commission des affaires étrangères, qui concluaient pourtant en faveur de l’adoption de cet accord, datent de 2006.

12 () L’accord est complété par cinq annexes et un protocole sur l’assistance administrative mutuelle en matière douanière, ainsi que sept déclarations communes, la plupart visant à clarifier certains termes, une déclaration du Gouvernement français excluant l’application de l’accord aux pays et territoires d’outre-mer associés à l’Union européenne, et un échange de lettres entre le Gouvernement turkmène et la Communauté européenne, le premier s’engageant à ne pas prendre de mesures plus restrictives concernant l’établissement de sociétés communautaires au Turkménistan entre le jour de la signature et l’entrée en vigueur de l’accord.

13 () Notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’Acte final d’Helsinki.

14 () Source : Ministère des affaires étrangères, site Internet.

15 () Pacte International sur les droits civils et politiques, pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, sur les droits de la femme, sur les droits de l’enfant et convention contre la torture.