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N
° 2629

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juin 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION de Mmes et MM. Jean-Marc AYRAULT, Henri EMMANUELLI, Jérôme CAHUZAC, Pierre-Alain MUET, Christian ECKERT, Jean-Pierre BALLIGAND, François BROTTES, Dominique BAERT, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Gérard CHARASSE, Pierre BOURGUIGNON, Thierry CARCENAC, Alain CLAEYS, Jean-Louis DUMONT, Aurélie FILIPPETTI, Annick GIRARDIN, Marc GOUA, David HABIB, François HOLLANDE, Jean-Louis IDIART, Jean LAUNAY, Patrick LEMASLE, Victorin LUREL, Pierre MOSCOVICI, Henri NAYROU, Alain RODET, Michel SAPIN, Michel VERGNIER et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés, tendant à la création d’une commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies (n° 2577),

PAR M. HENRI EMMANUELLI,

Député.

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Pages

INTRODUCTION 5

I.– L’OPPORTUNITÉ D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE NE FAIT AUCUN DOUTE COMPTE TENU DES ENJEUX ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX 7

A.– LA CRISE GRECQUE A MIS EN ÉVIDENCE DES PRATIQUES SUR LESQUELLES IL CONVIENT D’ENQUÊTER 7

1.– La complexité des produits financiers dérivés facilite la spéculation 7

2.– L’inefficacité des dispositifs actuels doit nous inciter à nous interroger 8

B.– LES PRINCIPAUX AXES D’INVESTIGATION 8

II.– LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA SPÉCULATION EST JURIDIQUEMENT POSSIBLE 9

A.– LES CONDITIONS POUR CRÉER UNE COMMISSION D’ENQUÊTE 9

B.– LA DÉTERMINATION PRÉCISE DES FAITS 9

1.– Le sujet n’est pas limité à la « crise grecque » même si cette dernière est sous-jacente 9

2.– La nécessité de tirer les leçons des crises passées 10

C.– L’ABSENCE DE TRAVAUX SIMILAIRES AU COURS DES DOUZE DERNIERS MOIS ET DE POURSUITES JUDICIAIRES SUR LES FAITS 10

1.– L’Assemblée nationale n’a pas enquêté sur la spéculation au cours de l’année écoulée. 10

2.– La nécessaire séparation des pouvoirs législatif et judiciaire 11

EXAMEN EN COMMISSION 13

INTRODUCTION

Dans un discours prononcé à Toulon le 25 septembre 2008, le Président Nicolas Sarkozy déclarait au sujet de la crise dite des subprimes : « Les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage doivent être sanctionnés au moins financièrement. L’impunité serait immorale. On ne peut pas se contenter de faire payer les actionnaires, les clients, les salariés, les contribuables en exonérant les principaux responsables. Personne ne pourrait accepter ce qui serait, ni plus, ni moins, une injustice de grande ampleur. »

Cette déclaration – qui n’a pas été suivie de beaucoup d’effets – fut prononcée à l’occasion de l’une des plus graves crises financières et spéculatives que le monde ait connue depuis 1945. Les conséquences de ces événements se font encore sentir en 2010 : une croissance atone, des déficits qui se creusent et un chômage ayant atteint un niveau très élevé.

Dix-huit mois après la première, une nouvelle crise spéculative, issue cette fois de la situation économique et financière d’un pays membre de la zone euro, ébranle l’économie du continent européen, contribue à faire chuter les cours de la monnaie unique et provoque de nouveaux désordres économiques à l’échelle mondiale.

Devant l’insuffisance de l’action gouvernementale, c’est au Parlement qu’il appartient d’agir, en examinant les mécanismes spéculatifs qui ont conduit aux événements cités et en prenant les mesures législatives appropriées pour mettre fin à des pratiques qui, pour l’enrichissement rapide et injustifié de quelques-unes, mettent en péril les équilibres économiques internationaux et rendent plus difficile la vie quotidienne de millions de personnes.

C’est dans ce contexte que, dans le cadre du « droit de tirage » conféré à chaque président de groupe d’opposition ou minoritaire par l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés (SRC) a demandé, en Conférence des présidents, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 2577 de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe SRC tendant à la création d’une commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies.

En effet, depuis la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale du 27 mai 2009, chaque groupe d’opposition ou minoritaire peut demander, en Conférence des présidents, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, qu’un débat sur une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête soit inscrit d’office à l’ordre du jour de la séance publique au cours d’une séance de la première semaine réservée par priorité au contrôle. Le troisième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale précise les conditions de ce débat : seuls les députés défavorables à la création de la commission d’enquête participent au scrutin, le rejet de la création de la commission d’enquête ne peut alors intervenir qu’à la majorité des trois-cinquièmes des membres de l’Assemblée.

Cette proposition de résolution est aujourd’hui soumise à notre examen. Elle est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique de l’Assemblée nationale le 24 juin 2010.

Le rôle de la Commission saisie de toute demande de commission d’enquête est défini par l’article 140 du règlement de l’Assemblée nationale. Conformément à ses dispositions, le Rapporteur examinera l’opportunité de créer une commission d’enquête sur le sujet qu’elle mentionne (I) avant d’examiner la recevabilité de la proposition au regard du droit parlementaire (II).

I.– L’OPPORTUNITÉ D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE NE FAIT AUCUN DOUTE COMPTE TENU DES ENJEUX ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

A.– LA CRISE GRECQUE A MIS EN ÉVIDENCE DES PRATIQUES SUR LESQUELLES IL CONVIENT D’ENQUÊTER

Fin 2009, en pariant sur l’insolvabilité au moins partielle de l'État grec, de nombreux acteurs des marchés financiers ont réalisé de juteuses opérations spéculatives en vendant massivement des bons du Trésor grecs souvent à terme et à découvert. Réalisée sur des marchés souvent peu transparents grâce à des produits sophistiqués détournés de leur usage premier, cette spéculation est déstabilisante pour les économies européennes et mondiales.

1.– La complexité des produits financiers dérivés facilite la spéculation

Des interrogations fortes agitent l’opinion publique et les experts concernant d’une part la sensibilité des marchés financiers aux rumeurs, d’autre part l’exploitation par certains acteurs de mécanismes financiers permettant de réaliser leurs prises de position sur les marchés. Les interrogations portent aussi sur les soupçons de conflits d'intérêts affectant les agences de notation et les banques, ces acteurs étant à la fois conseils des émetteurs de titres souverains et acteurs sur les marchés des dettes souveraines.

Ces interrogations se sont notamment exprimées à propos des produits dérivés censés permettre aux investisseurs de se couvrir contre les risques de défauts sur des titres souverains, les « Credit Default Swap » (CDS). Le fait qu'il soit possible d'acheter des CDS sur un titre souverain que l'on ne détient pas, c’est-à-dire de contracter une assurance sur un produit qu’on ne possède pas, pose évidemment question. L’acheteur de ce produit a en effet un intérêt financier objectif à ce que les doutes sur la capacité du pays emprunteur à rembourser sa dette se propagent.

De même, la possibilité offerte de s’engager à vendre à terme des titres ou leurs dérivés tels que les CDS sans jamais avoir à justifier de leur possession met à disposition des spéculateurs des outils puissants pour parier sur la baisse de ces obligations d'État.

Par ailleurs, le High Frequency Trading (HFT - courtage à haute vitesse), qui offre la possibilité technique de passer des ordres massifs en un millionième de seconde, est à l’évidence un facteur d’amplification de la spéculation, donc de déstabilisation accrue des économies.

2.– L’inefficacité des dispositifs actuels doit nous inciter à nous interroger

L’intérêt économique et social de ces outils de spéculation n’est pas prouvé. Bien au contraire, devant le danger qu’ils représentent, plusieurs pays ont prévu de limiter voire d’interdire leur usage. En France, l’Autorité des marchés financiers a, depuis 2008, prévu l’interdiction des ventes à nu à découvert sur les titres des banques. Mais cette interdiction n’a pas été étendue aux titres souverains.

Ces mouvements spéculatifs censés être encadrés ont portant suscité une forte déstabilisation des économies.

À supposer que les marchés financiers aient tardé à prendre la mesure d’une dégradation objective de la situation d’endettement de certains États européens, ceci ne légitime ni la possibilité qui serait aujourd’hui ouverte de spéculer sur cette situation, ni le refus de limiter les surréactions tardives des agences de notation ou de certains investisseurs alors même que les pays de la zone euro ont manifesté leur détermination à assurer qu'aucun pays de la zone ne connaîtra de défaut sur sa dette publique.

Plus largement, il est du devoir du Parlement de s’interroger sur la légitimité de laisser certains acteurs financiers récemment sauvés in extremis de la faillite par des interventions s'appuyant sur des injections massives de fonds publics, spéculer sans aucune entrave sur la fragilisation d’États ayant participé à leur sauvetage.

B.– LES PRINCIPAUX AXES D’INVESTIGATION

La commission d’enquête dont la création est proposée aurait pour objectif de déterminer quels sont les acteurs qui spéculent contre les intérêts nationaux et européens et d’identifier avec précision les méthodes utilisées, dans le but de donner au législateur les moyens de mieux les encadrer.

Dans cette optique, cinq axes principaux de recherche pourraient être poursuivis selon les signataires de la proposition de résolution :

– la recherche des acteurs qui se livrent à des attaques spéculatives, ainsi que la détermination de leurs zones ou marchés d’intervention ;

– l’analyse des méthodes employées. En quoi l’automatisation des décisions de ventes ou d’achats amplifie-t-elle les mouvements spéculatifs ?

– le rôle des agences de notation dans les prises de positions des fonds spéculatifs et des acteurs de marché ;

– la détermination d’éventuels « délits d’initiés » ? Les spéculateurs étaient-ils informés de la réalité de solvabilité grecque en amont du déclenchement de la crise ? Comment certains acteurs ont-ils pu mettre à profit leur connaissance de la valeur réelle de certains titres, de la réaction des autorités monétaires et communautaires et des délais relatifs aux annonces des plans d’aide ?

– deux ans après la crise des subprimes, les bonnes décisions ont-elles été prises par les acteurs compétents au bon moment pour empêcher ou stopper ces mouvements spéculatifs ?

*

* *

II.– LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA SPÉCULATION EST JURIDIQUEMENT POSSIBLE

A.– LES CONDITIONS POUR CRÉER UNE COMMISSION D’ENQUÊTE

L’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale posent trois conditions à la recevabilité d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête :

– d’abord, les propositions « doivent déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou les entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion » ((1) ;

– ensuite, « Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre » ((2) ;

– enfin, « Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion » ((3).

B.– LA DÉTERMINATION PRÉCISE DES FAITS

1.– Le sujet n’est pas limité à la « crise grecque » même si cette dernière est sous-jacente

Pour ce qui est de la précision des faits qui donneraient lieu à enquête, le dispositif de la proposition de résolution ne pose pas de problème particulier.

Il s’agit de « connaître les conditions exactes dans lesquelles se sont développés les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, notamment ceux qui déstabilisent la monnaie et les titres souverains européens. »

Si l’objet de la commission d’enquête ne fait pas explicitement référence à la crise spéculative qui a frappé en premier lieu la Grèce, nul doute que ces faits seront à l’esprit des rapporteurs. Mais en ne mentionnant pas explicitement la crise en question, les auteurs de la proposition de résolution se gardent la possibilité d’enquêter sur toute autre attaque spéculative déstabilisant « la monnaie et les titres souverains ». Chacun sait que la spéculation est à l’affût et que d’autres pays, demain, peuvent en être la victime.

Les membres de la commission d’enquête devront s’attacher donc à faire toute la lumière sur les mouvements boursiers spéculatifs qui, en attaquant de manière injustifiée les titres souverains d’un État, contribuent à déstabiliser la zone euro, à faire perdre à la monnaie commune une partie de sa valeur et à mettre en péril durablement et gravement les équilibres économiques nationaux et internationaux.

2.– La nécessité de tirer les leçons des crises passées

Il s’agira également d’examiner, en l’état de notre droit, quelles sont les parades juridiques dont disposent les États pour lutter contre spéculation effrénée et, le cas échéant, de proposer un aménagement de la législation pour offrir une meilleure protection face à ces mouvements spéculatifs.

C.– L’ABSENCE DE TRAVAUX SIMILAIRES AU COURS DES DOUZE DERNIERS MOIS ET DE POURSUITES JUDICIAIRES SUR LES FAITS

1.– L’Assemblée nationale n’a pas enquêté sur la spéculation au cours de l’année écoulée.

Sur les faits visés par la proposition de résolution, malgré l’actualité du sujet, l’Assemblée nationale n’a effectué ni commission d’enquête ni mission pour l’exercice de laquelle le bénéfice des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête a été demandé au cours des douze derniers mois.

Le rapport d’information n° 1235 du 5 novembre 2008, de MM. Didier Migaud et Gilles Carrez relatif à la crise financière et les travaux du groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la crise financière internationale n’ont pas bénéficié des prérogatives propres à une commission d’enquête et ne peuvent donc faire obstacle à la création de celle qui est demandée par la proposition de résolution.

2.– La nécessaire séparation des pouvoirs législatif et judiciaire

Par une lettre en date du 16 juin 2010, la Garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir au Président de l’Assemblée nationale qu’à sa connaissance, « aucune poursuite judiciaire n’a été engagée sur les fait ayant motivé le dépôt de cette proposition ». Aucun élément de droit ne s’oppose donc à la création de la commission d’enquête.

La commission d’enquête aura pour finalité d’analyser un phénomène global et des pratiques, non de mettre en cause des personnes physiques ou morales. Le caractère particulièrement large du champ d’investigation, selon une pratique constante, assurera la pérennité de la commission d’enquête même si une procédure judiciaire, par nature ponctuelle, devait être engagée pendant les travaux.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 16 juin 2010 à 16 h 15, la Commission examine la proposition de résolution relative à la création d’une commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies.

Après l’exposé du Rapporteur, la commission adopte la proposition de résolution.

© Assemblée nationale

(1 ) Article 137.

(2 ) Article 138.

(3 ) Article 139.