N° 2770
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 juillet 2010.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI portant réforme des retraites,
(procédure accélérée)
PAR M. Denis JACQUAT,
Député.
——
TOME I
Exposé général
Travaux de la commission
Voir les numéros :
Assemblée nationale : 2760, 2767 et 2768.
INTRODUCTION 13
I. UNE SITUATION FINANCIÈRE DE NOTRE SYSTÈME DE RETRAITE QUI APPELLE DES RÉPONSES IMMÉDIATES 15
A. UN SYSTÈME DE RETRAITE PERFORMANT MAIS FRAGILE 15
B. UN SYSTÈME DUREMENT TOUCHÉ PAR LA CRISE 17
C. DE FORTES CONTRAINTES DÉMOGRAPHIQUES 20
II. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE ET AMBITIEUSE 23
A. FAIRE SAUTER LE TABOU DES 60 ANS 23
B. POURSUIVRE LA CONVERGENCE ENTRE PUBLIC ET PRIVÉ 28
C. POUR LA PREMIÈRE FOIS, PRENDRE EN COMPTE LA PÉNIBILITÉ 29
1. Proroger et améliorer le dispositif « carrières longues » 29
2. Un nouveau dispositif de prise en compte de la pénibilité 33
D. FAVORISER L’EMPLOI DES SENIORS 38
E. POUR UN SYSTÈME PLUS SOLIDAIRE 41
1. Des mesures en faveur des femmes 42
a) La retraite des femmes aujourd’hui 42
2. Poursuivre la revalorisation des retraites agricoles 47
3. La situation des jeunes 49
4. Aller plus loin pour les polypensionnés 50
F. DÉVELOPPER LE DROIT À L’INFORMATION 51
1. Les progrès accomplis depuis 2003 en matière de droit à l’information 52
a) Les outils mis en place par la réforme de 2003 52
b) Le succès de la mise en œuvre du droit à l’information 52
2. Les trois droits nouveaux créés par le projet de loi 53
a) La nécessité du droit à l’information 53
b) Les trois nouveaux outils créés par le projet de loi 54
III.- REVENIR À L’ÉQUILIBRE EN 2018 56
A. TROUVER DE NOUVELLES RECETTES 56
B. RÉSORBER PROGRESSIVEMENT LE DÉFICIT 58
C. FINANCER LA DETTE 60
TRAVAUX DE LA COMMISSION 63
I.- AUDITION DU MINISTRE 63
II.- DISCUSSION GÉNÉRALE 89
III.- EXAMEN DES ARTICLES 151
TITRE IER : DISPOSITIONS GÉNÉRALES 151
Chapitre Ier : Pilotage des régimes de retraite 151
Avant l’article 1er 151
Article 1er (articles L. 114-4-2 et L. 114-4-3 [nouveaux] du code de la sécurité sociale) : Création d’un comité de pilotage des régimes de retraite 152
Après l’article 1er 179
Article 2 (article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale) : Indexation des pensions 181
Article 3 (article L. 161-17 du code de la sécurité sociale) : Amélioration du droit à l’information des assurés 182
Article additionnel après l’article 3 : Périmètre du répertoire national commun de la protection sociale 195
Article additionnel après l’article 3 : Échanges entre régimes concernant les pensions de réversion 196
Article additionnel après l’article 3 : Création d’un répertoire de gestion des carrières unique 196
Après l’article 3 197
Article additionnel après l’article 3 : Mensualisation des pensions 198
Après l’article 3 198
Chapitre II : Durée d’assurance ou de services et bonifications 200
Article 4 (article 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites) : Modalité d’allongement de la durée d’assurance jusqu’en 2020 200
Après l’article 4 210
TITRE II : DISPOSITIONS APPLICABLES À L’ENSEMBLE DES RÉGIMES 219
Chapitre Ier : Âge d’ouverture du droit 219
Avant l’article 5 219
Article 5 (articles L. 161-17-2 [nouveau] du code de la sécurité sociale) : Relèvement de l’âge légal d’ouverture du droit à une pension 224
Après l’article 5 236
Article 6 (articles L. 351-1 et L. 351-8 du code de la sécurité sociale) : Relèvement de l’âge d’annulation de la décote 237
Après l’article 6 245
Article 7 (articles L. 732-18, L. 732-25 et L. 762-10 du code rural et de la pêche maritime) : Coordination pour les non-salariés agricoles 248
Article 8 : Relèvement de l’âge d’ouverture du droit à pension pour les catégories actives 250
Article 9 (articles L. 14, L. 24 et L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite) : Coordination pour le relèvement de l’âge d’ouverture des droits des fonctionnaires 261
Article additionnel après l’article 9 : Modalités de remboursement de certains rachats de trimestres 263
Chapitre II Limite d’âge et mise à la retraite d’office 264
Article 10 (article L. 1237-5 du code du travail) : Mise à la retraite d’office 264
Article 11 : Relèvement de 65 à 67 ans de la limite d’âge dans la fonction publique 266
Article 12 (art. 1er, 1-2 et 7 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984) : Coordination résultant du relèvement de 65 à 67 ans de la limite d’âge dans la fonction publique 270
Article 13 : Dispositif dérogatoire en faveur de certains personnels infirmiers et paramédicaux 271
Article 14 : Relèvement de deux années des limites d’âge des catégories actives de la fonction publique 274
Article 15 (art. L. 5421-4 du code du travail) : Âges limites de versement des indemnités versées aux travailleurs privés d’emploi 276
Chapitre III : Limite d’âge et de durée de services des militaires 277
Article 16 (art. 91 de loi n° 2005-270 du 24 mars 2005) : Relèvement de deux années des limites d’âge des militaires et des durées de services des militaires sous contrat 277
Chapitre IV : Maintien en activité au-delà de la limite d’âge 279
Article 17 (art. 1-3 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984) : Coordination du dispositif de maintien en activité au-delà de la limite d’âge 279
Chapitre V :Durées de services 280
Article 18 : Relèvement de deux années des durées de services des catégories actives de la fonction publique et des militaires de carrière 280
Article 19 (art. L. 24 et L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite) : Coordination résultant du relèvement de deux années des durées de services 284
Chapitre VI : Dispositions relatives à certains statuts particuliers 284
Article 20 (article 2 de la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 ; articles 3 et 4 de la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 ; article 24 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 ; article L. 952-10 du code de l’éducation ; article L. 416-1 du code des communes ; article 86 de la loi n° 52-432 du 28 avril 1952 ; article 3 de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 ; article 37 de la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 ; article 20 de la loi n° 47-1465 du 8 août 1947 ; article L. 422-7 du code des communes) : Mesures de coordination relatives à certains statuts particuliers 284
Après l’article 20 288
Article additionnel après l’article 20 : Mesures de coordination dans le code de la défense 288
Après l’article 20 289
TITRE III MESURES DE RAPPROCHEMENT ENTRE LES RÉGIMES DE RETRAITE 314
Article additionnel avant l’article 21 : Demande de rapport sur la création d’une Caisse de retraite des fonctionnaires d’État 314
Article 21 (article L. 61 du code des pensions civiles et militaires de retraite) : Rapprochement des taux de cotisation 315
Après l’article 21 322
Article 22 (article L. 25 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite ; article 57 de la loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004) : Aménagement du dispositif carrières longues dans la fonction publique 322
Article 23 (article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite) : Fermeture de la possibilité de départ anticipé pour les parents de trois enfants 326
Article 24 (article L. 17 du code des pensions civiles et militaires de retraite) : Réforme de la pension minimale garantie dans la fonction publique 339
Après l’article 24 348
Article additionnel après l’article 24 : Suppression d’une bonification pour les professeurs de l’enseignement technique 349
Après l’article 24 351
Article additionnel après l’article 24 : Suppression de la majoration de pension pour conjoint à charge 351
Après l’article 24 352
TITRE IV : PÉNIBILITÉ 356
Article 25 (articles L. 4624-2 et L. 4121-3-1 [nouveaux] du code du travail) : Dossier médical en santé au travail – Document d’information sur l’exposition du travailleur aux risques professionnels 373
Article 26 (article L. 351-1-4 [nouveau] du code de la sécurité sociale) : Abaissement de la condition d’âge pour le départ à la retraite et bénéfice du taux plein au profit des assurés justifiant d’une incapacité permanente au titre d’une maladie ou d’un accident professionnels 391
Article additionnel après l’article 26 : Rapport au Parlement sur l’adaptation aux travailleurs non salariés du dispositif prévu à l’article 26 401
Article 27 (articles L. 241-3 et L.242-5 du code de la sécurité sociale) : Modalités de financement de la mesure d’abaissement de l’âge requis pour la liquidation de la pension de retraite des assurés justifiant d’une incapacité permanente au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail 401
Après l’article 27 406
Article additionnel après l’article 27 : Utilisation du compte épargne-temps pour une cessation progressive d’activité 406
Après l’article 27 407
Article additionnel après l’article 27 : Rapport au Parlement sur l’application des dispositions sur la pénibilité 411
Après l’article 27 413
Titre IV du projet de loi 414
TITRE V : MESURES DE SOLIDARITÉ 414
Chapitre Ier : Dispositions applicables au régime des exploitants agricoles 414
Article 28 (articles L. 732-56, L. 732-58, L. 732-59, L. 732-60 et L. 732-62 du code rural et de la pêche maritime) : Extension de la retraite complémentaire obligatoire du régime des exploitants agricoles aux aides familiaux et aux collaborateurs de chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole 414
Article 29 (article L. 815-13 du code de la sécurité sociale) : Exclusion du capital d’exploitation de l’assiette du recouvrement sur les successions du minimum vieillesse des exploitants agricoles 418
Après l’article 29 422
Article additionnel après l’article 29 : Prorogation de l’assurance veuvage 423
Après l’article 29 424
Article additionnel après l’article 29 : Rapport du Gouvernement relatif au bénéfice des bonifications de pension pour les fonctionnaires 425
Après l’article 29 426
Article additionnel après l’article 29 : Rapport du Gouvernement sur la réforme de l’allocation de veuvage 427
Après l’article 29 428
Article additionnel après l’article 29 : Rapport du Gouvernement relatif à la validation des périodes de stage au titre de la retraite 435
Après l’article 29 435
Chapitre II : Dispositions relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes et à l’emploi des seniors 437
Article 30 (articles L. 135-2 et L. 351-1 du code de la sécurité sociale) : Amélioration de la compensation des interruptions de carrière liées à la maternité 437
Article 31 (article L. 2323-51-1 [nouveau] du code du travail ; article L. 135-3 du code de la sécurité sociale ; article L. 2323-59-1 [nouveau] du code du travail) : Mesures en faveur de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes 439
Après l’article 31 449
Article 32 (article L. 5133-11 [nouveau] du code du travail) : Aide à l’embauche des seniors 451
Après l’article 32 457
Titre V bis du projet de loi 463
Article additionnel après l’article 32 : Alimentation des PERCO par des journées de RTT non utilisées 463
Après l’article 32 465
Article additionnel après l’article 32 : Alimentation des PERCO par la participation 469
Après l’article 32 470
Article additionnel après l’article 32 : Négociation de branche sur la mise en place d’un PERCO 470
Après l’article 32 471
Article additionnel après l’article 32 : Obligation de couverture de l’ensemble des salariés par un dispositif d’épargne retraite 472
Après l’article 32 473
TITRE VI : DISPOSITIONS FINALES 475
Article 33 : Entrée en vigueur 475
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 479
Principales modifications apportées par la commission
Parmi les 434 amendements examinés par la Commission des affaires sociales, lors de ses séances des 20, 21 et 22 juillet 2010, en présence de M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, et de M. Georges Tron, secrétaire d’État chargé de la fonction publique, la commission en a retenu 107.
● Au titre Ier (Dispositions générales), les principales modifications au projet de loi portent sur :
– des précisions sur les missions (adoption d’un amendement du Rapporteur) et la composition du Comité de pilotage des régimes de retraite, en prévoyant la présence de parlementaires et de représentants des organisations syndicales et patronales (adoption d’un amendement de M. Dominique Tian, modifié à l’initiative du Rapporteur et de M. Roland Muzeau) ;
– la prise en compte des travaux de l’observatoire de la pénibilité du Conseil d’orientation sur les conditions de travail pour le pilotage des régimes de retraite, et la consécration législative de cet observatoire (adoption de deux amendements de M. Francis Vercamer) ;
– le calendrier de l’entretien individuel qui sera proposé à tous les assurés tous les cinq ans à partir de l’âge de 45 ans (adoption d’un amendement de Mme Marisol Touraine) ;
– l’enrichissement du contenu de cet entretien individuel (adoption d’un amendement de Mme Martine Billard et d’un amendement de Mme Marisol Touraine) ;
– la création d’un répertoire de gestion des carrières unique, incluant la totalité des données des régimes de retraite de base (adoption d’un amendement de la Commission des finances) ;
– la mensualisation du versement des pensions à la demande de l’assuré (adoption d’un amendement de la Commission des finances).
● Au titre II (Dispositions applicables à l’ensemble des régimes), la principale modification porte sur la possibilité de demander le remboursement du rachat des années d’études, si celui-ci est rendu inutile par le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite (adoption d’un amendement du Gouvernement).
● Au titre III (Mesures de rapprochement entre les régimes des retraites), les principales modifications portent sur :
– la demande d’un rapport relatif à la création d’une caisse de retraite des fonctionnaires de l’État (adoption d’un amendement du Rapporteur) ;
– la suppression de la majoration de pension pour conjoint à charge (adoption d’un amendement de la Commission des finances) ;
– l’alignement des règles de calcul de la surcote des régimes du secteur public sur celles du régime général (adoption d’un amendement du Rapporteur, sous-amendé par le Gouvernement).
● Au titre IV (Pénibilité du parcours professionnel), les principales modifications portent sur :
– la demande d’un rapport sur les modalités d’extension aux travailleurs non salariés du nouveau dispositif permettant le départ à 60 ans à taux plein pour les assurés justifiant d’une incapacité permanente au titre d’une maladie ou d’un accident professionnels (adoption d’un amendement du Rapporteur) ;
– la possibilité, avec l’accord de l’employeur, d’utiliser les droits affectés sur un compte épargne-temps pour cesser de manière progressive son activité (adoption d’un amendement de la Commission des finances et de M. Hervé Mariton, modifié à l’initiative du Rapporteur) ;
– la demande d’un rapport sur la mise en œuvre des dispositions du projet de loi consacrées à la pénibilité et, le cas échéant, proposant des adaptations, notamment en ce qui concerne la prévention, la compensation et la réparation de la pénibilité (adoption d’un amendement du Président Pierre Méhaignerie).
● Au titre V (Mesures de solidarité), les principales modifications portent sur :
– la prorogation de l’assurance veuvage (adoption d’un amendement du Rapporteur) ;
– la demande d’un rapport sur la prise en compte des périodes de stage dans le calcul des droits à retraite (adoption d’un amendement de Mme Marisol Touraine) ;
– la soumission des entreprises de plus de 50 salariés à une pénalité financière en l’absence d’accord professionnel ou de plan d’action relatif à l’égalité professionnelle et pérennisation de l’obligation de négociation relative à la réduction des écarts salariaux entre les femmes et les hommes créée par la loi du 23 mars 2006 (adoption d’un amendement du Rapporteur).
● Au nouveau titre V bis (Mesures relatives à l’emploi des seniors) la principale modification porte sur une demande de rapport établissant un bilan détaillé de la mise en œuvre de l’aide à l’emploi des seniors (adoption d’un amendement du Rapporteur).
● Puis, la commission a adopté plusieurs amendements relatifs à l’épargne-retraite tendant à :
– la possibilité d’alimenter un plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO) par des jours de réduction du temps de travail (RTT) non-utilisés (adoption d’un amendement de la Commission des finances) ;
– la possibilité d’alimenter un PERCO par la moitié des sommes perçues au titre de la participation (adoption de deux amendements identiques du Rapporteur et de la Commission des finances) ;
– l’obligation de négocier, dans le délai de deux ans, la mise en place d’un PERCO dans les branches professionnelles (adoption de deux amendements identiques du Rapporteur et de la Commission des finances) ;
– l’obligation pour une entreprise, qui réserve un régime de retraite supplémentaire à certains de ses salariés, de proposer à l’ensemble de ses salariés un dispositif d’épargne-retraite collectif (adoption de deux amendements identiques du Rapporteur et de la Commission des finances).
Le système français de retraite par répartition se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins : il a, depuis cinquante ans, pleinement rempli son objectif qui était de réduire la pauvreté parmi nos aînés en garantissant un revenu de remplacement, permettant le maintien du niveau de vie lors du passage à la retraite.
Mais, ce système se trouve aujourd’hui fragilisé : dans un système par répartition, les dépenses du présent doivent être financées par les recettes du présent. Or, notre système de retraite se trouve en déséquilibre financier depuis maintenant quelques années et ce déficit a été considérablement creusé par la crise, qui a frappé l’ensemble de notre système de protection sociale ces deux dernières années.
Même si notre pays retrouve rapidement le chemin de la croissance, cette crise laissera des traces profondes. D’autant qu’elle se conjugue avec une évolution démographique particulièrement défavorable, malgré la bonne tenue de notre natalité. L’arrivée à la retraite des baby-boomers, qui a déjà commencé et qui va se poursuivre jusqu’en 2030, va structurellement dégrader l’équilibre démographique sur lequel est fondé tout système par répartition.
Face à cette situation financière périlleuse, il est aujourd’hui essentiel de réformer, sans quoi c’est l’ensemble du système qui est menacé. Le Gouvernement, et la majorité qui le soutient, a donc fait des choix courageux, parfois difficiles, mais qui obéissent tous à un triple impératif : l’équité, la responsabilité et l’efficacité.
Le Président de la République avait clairement annoncé les choses lors de sa déclaration devant le Congrès, le 22 juin 2009 : « 2010 sera un rendez-vous capital. Il faudra que tout soit mis sur la table : l’âge de la retraite, la durée de cotisation et, bien sûr, la pénibilité. Toutes les options seront examinées. Les partenaires sociaux feront des propositions. Je n’ai nullement l’intention de fermer le débat au moment même où je l’ouvre. Mais quand viendra le temps de la décision, à la mi-2010, que nul ne doute que le Gouvernement prendra ses responsabilités. C’est une question d’honneur, c’est une question de morale à l’endroit des générations qui vont nous suivre ».
Nous y sommes.
I. UNE SITUATION FINANCIÈRE DE NOTRE SYSTÈME DE RETRAITE QUI APPELLE DES RÉPONSES IMMÉDIATES
Fruit d’une longue construction historique, notre système de retraite est, malgré ses défauts (multiplicité des régimes, manque de lisibilité pour les assurés), l’un des plus performants d’Europe et il a su résister à la crise. Néanmoins, celle-ci a durement fragilisé sa situation financière et les évolutions démographiques à venir vont encore le fragiliser. La réforme est donc indispensable.
Aujourd’hui, comme l’illustre le schéma ci-dessous, les dépenses de retraite sont supérieures aux dépenses de maladie et à celles de l’État :
En 2008, 243 milliards d’euros, soit 12,5 % de la richesse nationale produite, ont été affectés au paiement des pensions de retraite. Cet effort est en augmentation constante : la part du produit intérieur brut (PIB) affecté au financement du système de retraite s’établissait à 11,7 % en 2002 et s’est accrue en moyenne de 0,1 point par an depuis 2003.
Ceci amène la France au troisième rang des pays membres de l’OCDE et plus de 5 points au dessus de la moyenne :
Cet effort important explique qu’en France, 85,4 % du revenu disponible des personnes âgées de plus de 65 ans provient de transferts publics, soit le taux le plus important (derrière la Hongrie).
Et cet effort explique aussi que le niveau de vie moyen des retraités s’établit, aujourd’hui, à un niveau proche de celui des actifs, même si cette situation recouvre des disparités : mesuré en prenant en compte les seuls revenus d’activité ou pensions de retraite, le niveau de vie s’élève ainsi en moyenne à 21 600 euros pour un actif et à 21 440 euros pour un retraité. L’écart relatif des niveaux de vie tend même à s’inverser au profit des retraités, si on intègre le patrimoine dans la comparaison.
Il convient, à cet égard, de souligner que, dans la plupart des autres pays de l’OCDE, le niveau de vie des retraités est, à l’inverse, généralement inférieur à celui de l’ensemble de la population (d’après les comparaisons établies par l’OCDE, seuls quatre pays sur trente étudiés ont un niveau de vie des plus de 65 ans rapporté à celui de la population supérieur à celui de la France).
Un autre élément, qui peut être invoqué à l’appui de ce constat, porte sur le taux de pauvreté des retraités. Au cours des dernières décennies, le taux de pauvreté des personnes de 60 ans et plus a fortement décru. Alors qu’il dépassait 30 % en 1970, il s’établit aujourd’hui à environ 10 %, soit à un niveau inférieur à celui de l’ensemble de la population. La France figure ainsi parmi les pays de l’OCDE celui où les personnes âgées sont les moins touchées par la pauvreté (dans la majorité des pays, le taux de pauvreté des retraités est supérieur à celui de l’ensemble de la population contrairement à la situation française).
Et on remarquera que ce système a remarquablement bien résisté à la crise : les pensions ont pu être servies sans difficulté, elles n’ont pas baissé (à la différence d’autres pays). Et les dispositifs de solidarité en termes d’acquisition de droits à la retraite, en particulier pour les personnes en situation de chômage, ont permis de réduire l’impact social de la crise.
Néanmoins, cette efficacité de notre système de retraite et son caractère protecteur ont un coût que l’on ne peut pas négliger d’autant que, à l’instar de l’ensemble de nos finances publiques, les régimes de retraite ont été durement touchés par la crise.
Equilibrée jusqu’en 2004, la branche vieillesse du régime général connaît, depuis 2005, un déficit croissant qui devrait s’établir, sous l’effet de la crise, à plus de 8 milliards d’euros en 2009 et près de 11 milliards en 2010.
Au-delà du seul régime général, l’ensemble des régimes obligatoires de base présente une situation financière dégradée : d’après les prévisions associées au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, le déficit de l’ensemble des régimes de base devrait atteindre près de 13 milliards d’euros en 2010. Le FSV, qui assure le financement d’avantages non contributifs servis par les régimes d’assurance vieillesse (minimum vieillesse, validations gratuites de périodes au titre du chômage, majorations de pensions pour enfants), est également concerné par cette dégradation (déficit prévisionnel de 3 milliards d’euros en 2009 et de 4,5 milliards d’euros en 2010).
Précisons que ces prévisions ne tiennent pas compte de la situation particulière du régime des fonctionnaires de l’État, qui est équilibré par une cotisation de l’État employeur. L’évolution significative du taux de cette cotisation traduit, cependant, la dégradation financière de ce régime puisqu’il est passé, entre 2006 et 2009, de 49,90 % à 60,14 % pour les pensions civiles et de 100 % à 108,39 % pour les pensions militaires. C’est donc au prix d’un financement croissant par l’État qu’est maintenu l’équilibre du régime des fonctionnaires de l’État.
La détérioration brutale des comptes de la branche vieillesse en 2009 et 2010 est avant tout la conséquence de la crise économique, qui a réduit fortement les recettes assises sur les revenus d'activité.
Rappelons que trois quarts des recettes sociales sont assis sur la masse salariale et, en particulier, les cotisations sociales. Un point de masse salariale perdue représente une perte de recettes de l'ordre de 2 milliards d'euros pour le régime général. Entre 2008 et 2009, 5,6 points de masse salariale ont été perdus dans le secteur privé. Ainsi, alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 évaluait le déficit de la branche vieillesse à 5,3 milliards d’euros en 2009, celle pour 2010 a réévalué cette prévision à hauteur de 8,2 milliards d’euros.
Si la crise a substantiellement aggravé les déficits de la branche vieillesse, il convient d'être attentif au fait que la reprise économique n'apportera à elle seule aucune amélioration du solde des régimes de retraite, en raison de l'effet base.
En effet, même si la masse salariale reprend sa croissance selon une tendance comparable à celle qu'elle connaissait avant la crise, elle partira d'un niveau, en masse, très inférieur à celui atteint auparavant. Pour qu'un rattrapage s'opère, il faudrait que la masse salariale progresse temporairement beaucoup plus vite qu'avant la crise, ce qui n'apparaît guère vraisemblable. Aucune amélioration spontanée sensible de l'équilibre financier du système de retraite ne peut donc être attendue de la reprise économique.
C’est ce qu’illustrent parfaitement les dernières projections du COR. On se souvient que des projections avaient été précédemment effectuées en 2007 : elles évaluaient déjà à 0,7 point du PIB le besoin de financement du système de retraite en 2015, à 1 point de PIB en 2020 et 1,7 point de PIB en 2050.
Le huitième rapport du COR1, adopté le 14 avril, actualise ces projections financières à moyen et long terme, sur la base de trois scénarios alternatifs en termes d’évolution du chômage et de la productivité :
– un premier scénario (A) suppose un rattrapage intégral des effets de la crise économique en retenant un taux de croissance de la productivité de 1,8 % par an et le retour à un taux de chômage de 4,5 % (qui correspond au plein emploi) à partir de 2024 ;
– le second scénario (B), moins favorable, suppose un taux de chômage également ramené à 4,5 % à partir de 2024 mais un taux de croissance de la productivité plus faible à 1,5 % par an ;
– le troisième scénario (C) est le plus défavorable en supposant un taux de chômage stable à 7 % à partir de 2022 et une croissance annuelle de la productivité de 1,5 %.
Il ressort des travaux du COR que, quel que soit le scénario économique retenu, le besoin de financement devrait continuer de se dégrader à moyen terme. Alors que le besoin de financement de l’ensemble du système de retraite était évalué à 10,9 milliards d’euros, soit 0,6 point du PIB, en 2008, il atteindrait, selon les projections du COR, 40 milliards d’euros environ en 2015, soit 1,8 point de PIB.
À l’horizon 2030, ce besoin de financement serait compris entre 1,9 et 2,9 points du PIB par an selon les scénarios retenus, soit un déficit annuel compris entre 56,3 et 79,9 milliards d’euros (en euros constants).
L’accumulation des déficits sur la période considérée aurait pour conséquence un alourdissement considérable de la dette sociale : dès 2020, les projections du COR font apparaître un besoin de financement cumulé de plus de 20 % du PIB.
Il convient de souligner que l’ensemble des régimes étudiés (CNAV, Service de retraites de l’État, CNRACL et AGIRC-ARRCO) est touché par cette détérioration et se trouveraient en déficit à la fin de la période de projection (sauf dans l’hypothèse d’une prolongation au-delà de 2010 des règles actuelles d’achat du point à l’AGIRC et l’ARRCO). S’agissant du seul régime général, le déficit de la CNAV devrait être de l’ordre de 13 milliards d’euros en 2015, compris entre 16 et 19 milliards d’euros en 2020 et 50 et 65 milliards d’euros en 2050.
Le Gouvernement a refusé la facilité qui aurait consisté à se placer sous le scénario le plus favorable. Il s’est placé dans le cadre du scénario intermédiaire, soit le scénario » du COR. Dans ce scénario, les besoins de financement seront les suivants :
Besoins de financement du système de retraite – Scénario B
Rendements AGIRC-ARRCO CONSTANTS
(en % du PIB)
2008 |
2015 |
2020 |
2030 |
2040 |
2050 | |
Masse des cotisations Dépenses de retraite Besoin de financement annuel |
12,8 13,4 -0,6 |
12,7 14,5 -1,8 |
12,7 14,5 -1,9 |
12,7 15,1 -2,5 |
12,7 15,4 -2,8 |
12,7 15,3 -2,6 |
Besoins de financement cumulés |
-1,0 |
-13,0 |
-22,1 |
-44,3 |
-73,5 |
-104,3 |
Besoin de financement annuel |
-10,9 |
-39,4 |
-45,0 |
-70,3 |
-92,3 |
-102,6 |
Source : COR
Au-delà des effets de la crise, notre système de retraite est, bien sûr, confronté à un gigantesque défi démographique.
Le gonflement des dépenses de retraite (le COR prévoit qu’elles vont passer, entre 2008 et 2050, de 13,4 % à 14,3 % du PIB dans le scénario le plus favorable, à 15,3 % dans le scénario intermédiaire et à 15,7 % dans le dernier scénario) résulte de facteurs démographiques bien identifiés.
Le premier de ces facteurs est l’arrivée à l’âge de la retraite depuis 2006 des générations plus nombreuses de l’après-guerre. L’arrivée à l’âge de 60 ans de la génération 1946, première génération du baby-boom, avait ainsi contribué à l’augmentation de 16 % du nombre de nouveaux pensionnés en 2006 par rapport à 2005 et le nombre de nouveaux retraités se maintient depuis à un niveau élevé, supérieur à 800 000 par an alors qu’il s’établissait à environ 600 000 en 2003. L’impact du baby-boom sur le nombre de retraités constitue un phénomène durable, qui ne devrait s’infléchir qu’à partir de 2035.
Le second facteur contribuant à la croissance des dépenses de retraite est l’allongement de l’espérance de vie, qui se traduit par un allongement de la période de versement des pensions. À cet égard, les dernières projections établies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) font apparaître la poursuite de l’allongement de l’espérance de vie entre 2000 et 2050, celle-ci passant de 75,3 à 83,8 ans pour les hommes et de 82,8 à 89 ans pour les femmes.
Sous l’effet combiné de ces deux facteurs, le nombre de retraités devrait passer de 15 millions en 2008 à près de 23 millions en 2050, contribuant à la dégradation du ratio démographique des régimes et à l’augmentation massive des dépenses des régimes de retraite sur la période.
Les difficultés auxquelles notre système de retraite est confronté sont donc bien avant tout démographiques. C’est pourquoi le Gouvernement a privilégié les solutions démographiques.
II. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE ET AMBITIEUSE
Face à cette situation financière particulièrement inquiétante, réformer notre système de retraite est un impératif politique, qui s’impose à tout Gouvernement responsable et refusant de repousser au lendemain les réformes indispensables.
La réforme voulue par le Président de la République et proposée par le Gouvernement est une réforme juste, efficace et responsable. Responsable, car elle propose une réforme en profondeur de notre système ; efficace, car elle permet le retour à l’équilibre financier dès 2018 ; juste enfin, car elle fait contribuer tout le monde : les assurés, qui devront travailler plus longtemps, mais aussi les entreprises, les hauts revenus et le capital grâce à de nouvelles recettes ; juste encore, car elle développe les éléments de solidarité existant dans notre régime et permet à ceux ayant commencé à travailler jeunes ou ayant exercé des métiers pénibles de partir plus tôt.
La mesure-phare et emblématique de ce projet de loi est bien sûr le report de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et le report parallèle de 65 à 67 ans de l’âge du taux plein. Ce report est une mesure de bon sens compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie depuis trente ans. Il permet de faire participer l’ensemble des salariés à l’effort de redressement des comptes de notre système de retraite, sans pénaliser les personnes ayant eu des difficultés à intégrer le marché du travail ou ayant connu des carrières hachées, comme l’aurait fait un nouvel allongement de la durée de cotisation.
Le passage de 60 à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite permet à la France de rejoindre la norme des pays voisins, qui ont quasiment tous procédé à des réformes de leur système de retraite en agissant sur les bornes d’âge.
Certes, les âges légaux applicables dans les régimes étrangers ne sont pas nécessairement comparables avec l’âge d’ouverture des droits en France, car ils correspondent :
– soit, comme en France, à un âge d’ouverture des droits (il n’est pas possible de prendre sa retraite avant) ;
– soit à un « âge-pivot » (il est possible de prendre sa retraite avant, mais celle-ci fait alors l’objet d’une décote).
Néanmoins, dans l’essentiel des réformes accomplies à l’étranger, l’âge d’ouverture des droits a été augmenté : c’est le cas en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni (passage progressif de 65 à 67 ans), ainsi qu’en Italie et en Suède (passage à 61 ans). Enfin, en Allemagne, l’âge minimal d’ouverture des droits restera fixé à 63 ans (sous condition de disposer de trente-cinq années de cotisation), mais avec une décote accrue.
Dans d’autres cas, il a été choisi d’agir (éventuellement conjointement avec une action sur l’âge d’ouverture des droits) sur l’âge-pivot dans les pays où il existe un tel âge : Etats-Unis (report de l’âge-pivot de 65 à 67 ans), Allemagne (report de l’âge-pivot de 65 à 67 ans en 2029), Japon (report de l’âge-pivot de 60 à 65 ans).
Ceci montre que, dans l’ensemble des pays, les réformes mises en œuvre ont agi sur l’âge légal de la retraite, que celui-ci corresponde à un âge d’ouverture des droits ou à un âge-pivot.
Le tableau ci-dessous récapitule l’âge légal de départ à la retraite dans les pays européens en le rapprochant de l’âge effectif de retrait du marché du travail.
Âges de départ observés en Europe en 2006
Âge légal de départ en retraite |
Âge effectif de départ | ||
Hommes |
Femmes | ||
Allemagne |
65 ans (67 ans d’ici à 2029) |
62,1 |
61,6 |
Autriche |
H : 65 ans/F : 60 ans |
61,3 |
60,6 |
Belgique |
65 ans |
61,2 |
61,9 |
Danemark |
65 ans (67 ans d’ici 2027) |
62,5 |
61,3 |
Espagne |
65 ans |
61,8 |
62,3 |
Finlande |
65 ans |
62,3 |
62,5 |
France |
60 ans |
58,7 |
59,1 |
Grèce |
65 ans |
61,8 |
60,4 |
Hongrie |
62 ans |
61,2 |
58,7 |
Irlande |
65 ans |
65,3 |
64,7 |
Italie |
H : 65 ans/F : 60 ans |
60,5 |
60 |
Luxembourg |
65 ans |
na |
na |
Pays-Bas |
65 ans (67 ans d’ici 2037) |
62,1 |
62,1 |
Pologne |
H : 65/F : 60 |
61,4 |
67,5 |
Portugal |
65 ans |
62,9 |
62,3 |
Rep. tchèque |
H : 61,5/F : 59,5 (65 ans d’ici 2013) |
61,8 |
59 |
Royaume-Uni |
H : 65 ans/F : 60 ans |
63,8 |
62,6 |
Suède |
à partir de 61 ans |
64,2 |
63,7 |
Source : Commission européenne, 2009.
On constate ainsi que l’âge moyen de sortie du marché du travail est dans la grande majorité des cas sensiblement plus faible que l’âge légal actuel d’ouverture des droits, notamment en raison de dispositifs dérogatoires permettant une liquidation plus précoce ou de recours plus fréquent à l’invalidité (Pays-Bas et Royaume-Uni), sauf pour la Belgique, l’Italie et la Suède, ce dernier pays ayant un système de retraite particulier, avec une forte incitation à la prolongation d’activité. Hormis dans ces trois pays, l’âge effectif moyen de sortie du marché du travail semble assez corrélé à l’âge d’ouverture des droits.
En France, l’écart entre l’âge moyen de cessation d’activité (59,3 ans en 2008) et l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite (60 ans) est plus faible que dans la plupart des autres pays européens. Cela peut traduire la moindre incidence des dispositifs permettant la cessation précoce d’activité de certaines catégories d’assurés. Il n’en reste pas moins que la sortie du marché du travail est de près de deux ans plus précoce en France qu’au niveau européen (61,1 ans en moyenne pour onze pays de la zone euro selon Eurostat). L’écart entre la France et ses partenaires est plus marqué chez les hommes (presque trois ans) que chez les femmes (un peu plus d’un an). Cet écart s’est accentué : l’Union européenne a enregistré, au cours des cinq dernières années, une progression d’un an de l’âge moyen de fin d’activité, ce qui contraste avec la stabilité de cet indicateur pour la France.
Ainsi, à compter de la génération 1956, l’âge légal sera porté à 62 ans. D’ici là, une montée en charge progressive du dispositif est prévue, selon un calendrier encadré par le second alinéa du nouvel article L.161-17-2 du code de la sécurité sociale.
Un décret fixera donc les conditions de relèvement de l’âge d’ouverture de 60 à 62 ans pour les assurés nés avant le 1er janvier 1956. Ce décret fixera une montée en charge croissante, au rythme de quatre mois par génération :
Génération à compter de |
Âge de départ |
Date d’effet possible |
Juillet 1951 |
60 ans et 4 mois |
Novembre 2011 |
Janvier 1952 |
60 ans et 8 mois |
Septembre 2012 |
Janvier 1953 |
61 ans |
Janvier 2014 |
Janvier 1954 |
61 ans et 4 mois |
Mai 2015 |
Janvier 1955 |
61 ans et 8 mois |
Septembre 2016 |
Janvier 1956 |
62 ans |
Janvier 2018 |
Comme pour l’âge légal, le relèvement de l’âge du taux plein sera progressif et son calendrier fixé par décret. Il sera, par ailleurs, décalé par rapport à l’âge légal. En effet, on ne peut décaler l’âge du taux plein qu’à compter de la génération 1951, c'est-à-dire à compter de juillet 2016. Pour les assurés nés avant le 1er juillet 1951, l’âge d’obtention du taux plein est donc maintenu à 65 ans et il évolue ensuite pour les assurés nés à compter de cette date en proportion de l’évolution de l’âge légal de départ soit :
Génération |
Âge taux plein |
Date d’effet taux plein à compter de |
Juillet 1951 |
65 ans et 4 mois |
Novembre 2016 |
Janvier 1952 |
65 ans et 8 mois |
Septembre 2017 |
Janvier 1953 |
66 ans |
Janvier 2019 |
Janvier 1954 |
66 ans et 4 mois |
Mai 2020 |
Janvier 1955 |
66 ans et 8 mois |
Septembre 2021 |
Janvier 1956 |
67 ans |
Janvier 2023 |
Se pose la question de l’évolution ultérieure de ces bornes d’âge : le groupe UMP de l’Assemblée nationale s’est, par exemple, déclaré favorable à une indexation automatique de ces bornes d’âge sur l’allongement de l’espérance de la vie, à l’instar de ce qui est prévu par la loi Fillon pour la durée de cotisation. Cette proposition était séduisante, car elle permettait de dédramatiser une éventuelle remontée ultérieure et donnait une certaine sécurité juridique aux assurés. Néanmoins, votre Rapporteur n’a pas souhaité proposer cette solution à la commission : d’une part, elle préemptait d’une certaine façon le débat programmé pour 2018 par le projet de loi ; d’autre part, elle supposait un fort travail de pédagogie auprès des Français et donc du temps.
Selon l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, pour l’ensemble des régimes, le report de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans (à raison de 4 mois par an à compter du 1er juillet 2011), le décalage au même rythme de l’âge automatique d’obtention d’une pension complète de 65 à 67 ans et la poursuite de l’allongement de la durée de cotisation selon le principe fixé par la loi du 21 août 2003 jusqu’en 2020, se traduiraient par une économie de près de 2 milliards d’euros en 2011 et d’environ 20 milliards d’euros en 2020. Cette mesure comblerait ainsi près de la moitié du besoin de financement, tous régimes de retraite confondus, en 2020.
Sur le seul champ du régime général de retraite, la mesure aurait un impact positif sur le solde de la CNAV de plus de 1 milliard d’euros dès 2012 et de près de 10 milliards d’euros en 2020. Les projections réalisées par la CNAV ont permis d’estimer que le nombre de retraités au régime général serait minoré de 423 000 environ en 2015, de 900 000 en 2020, et de plus d’1 million à compter de 2030.
À l’horizon 2020, l’incidence du relèvement de l’âge d’ouverture de droit et de celui d’obtention du taux plein correspond pour 80 % à des économies sur les prestations (départs plus tardifs) et pour 20 % à des ressources supplémentaires (cotisations liées aux poursuites d’activité).
Pour la fonction publique, le report de l’âge légal, cumulé avec les autres mesures d’âge (limites d’âge, durées de services minimales) aurait l’impact financier détaillé dans le tableau ci-dessous :
(en milliards d’euros)
2015 |
2018 |
2020 | |
Fonction publique d’État |
1 |
1,9 |
2,6 |
CNRACL |
0,6 |
1,2 |
1,6 |
Source : Étude d’impact.
Pour les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO, l’économie procurée par l’augmentation de la durée d’assurance et le report de l’âge légal serait en partie compensée par une augmentation du nombre de points acquis par les assurés et par une amélioration de la retraite complémentaire qui leur est servie. Les effets de la réforme ont été mesurés par les gestionnaires des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO. À l’horizon 2020, la réforme permet, néanmoins, le retour à l’équilibre des régimes, avec un solde créditeur d’environ 0,5 milliard d’euros, alors qu’en l’absence de réforme, le déficit à cette date serait de plus de 5 milliards d’euros.
Dans le prolongement de la réforme de 2003, qui a mis en œuvre une convergence des règles applicables dans les régimes de la fonction publique sur celles du régime général, notamment en matière de durée d’assurance, de décote et de surcote, d’indexation des pensions sur les prix, le titre III comporte des mesures spécifiques aux régimes des fonctionnaires dans le sens de la poursuite du rapprochement avec le régime général.
En effet, même si le Gouvernement n’a pas fait le choix d’une réforme systémique qui n’aurait en rien résolu les problèmes financiers auxquels notre système de retraite est confronté, il est indispensable d’aller vers une plus grande convergence des règles régissant chacun de ces régimes.
La multiplicité de ces règles est, en effet, incompréhensible pour nos concitoyens et nourrit les inquiétudes des uns et des autres, qui ont toujours le sentiment que le voisin est privilégié.
Les mesures contenues dans le titre III vont donc dans le bon sens :
– alignement du taux de cotisation salarial dans le public sur celui du privé ;
– extinction progressive d’un dispositif de préretraite réservé aux fonctionnaires parents de trois enfants ;
– réforme du minimum garanti pour le rapprocher du minimum contributif existant au régime général.
Malgré ce rapprochement, les différences entre régimes n’en demeurent pas moins importantes :
– exclusion des primes de l’assiette des cotisations dans la fonction publique, sauf (en partie) pour la retraite additionnelle de la fonction publique ;
– calcul de la pension sur les six derniers mois et non sur les vingt-cinq meilleures années ;
– absence de plafonnement, tant des cotisations que du montant de la pension de la fonction publique ;
– impossibilité de percevoir une pension de la fonction publique en-deçà de quinze ans de services ;
– absence de caisse de retraite pour la fonction publique d’État, même si le compte d’affectation spéciale Pensions retrace les ressources et les charges du régime ;
– minimum garanti de la fonction publique évoluant selon un taux décroissant au fur et à mesure des années de services ;
– règles différentes en matière de réversion.
Votre Rapporteur comprend que le rapprochement doit être progressif et ne saurait être trop brutal. La Commission des affaires sociales a néanmoins souhaité aller plus loin que ce que proposait le projet initial du Gouvernement ; elle a d’abord confié au Comité de pilotage des régimes de retraite, créé par l’article 1er du projet de loi, la mission de veiller au rapprochement des règles et des paramètres entre les différents régimes. Elle a, ensuite, demandé au Gouvernement d’élaborer un rapport sur la création éventuelle d’une caisse de retraites des fonctionnaires de l’Etat sur le modèle de la CNRACL. Elle a également aligné les règles d’obtention d’une surcote dans la fonction publique sur celles existant dans le régime général.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement devrait permettre, chaque année, à près de 100 000 personnes de partir avant l’âge légal de la retraite : 90 000 au titre du dispositif « carrières longues », qui est prorogé et amélioré, et 10 000 au titre d’un nouveau dispositif « pénibilité ». Ce dernier dispositif constitue une avancée sociale importante, puisqu’un droit nouveau est créé pour les personnes ayant exercé des métiers particulièrement usant physiquement : ces personnes pourront partir avant l’âge légal et ce sans décote.
Le dispositif « carrières longues », créé par la loi Fillon de 2003, a constitué l’une des principales avancées sociales de ces dernières années : il a permis à près de 600 000 personnes de partir à la retraite de façon anticipée.
Parmi celles-ci, 112 200 correspondent à un départ effectif en 2004, 102 210 à un départ en 2005, 107 710 à un départ en 2006, 115 120 à un départ en 2007, 122 200 à un départ en 2008 et 30 218 à un départ en 2009. On observe un afflux important de départs fin 2008, dû à l’anticipation par les futurs retraités de la modification des conditions liées à la durée validée et cotisée.
Source : CNAV.
Le coût des départs anticipés a atteint 1,3 milliards d’euros en 2005, 1,8 milliards d’euros en 2006, 2,1 milliards d’euros en 2007 et 2,4 milliards d’euros en 2008. On observe, depuis 2007, un ralentissement de la progression des dépenses (+14 % en 2008, contre +17 % en 2007 et +38 % en 2006), qui traduit la fin de la montée en charge du dispositif. En 2009, le coût de la mesure a diminué pour atteindre 2,1 milliards d'euros, du fait des restrictions apportées à la prise en compte des déclarations sur l’honneur pour les régularisations de cotisations arriérées.
Ce dispositif a été utilisé par les assurés pour partir le plus tôt possible : si on observe une relative stabilité des départs en retraite anticipée par âge entre 2005 et 2008 pour les 57, 58 et 59 ans, autour d’environ 20 000 à 25 000 départs par an (à chaque âge), en revanche, les départs à l’âge de 56 ans sont, d’une part, plus importants en nombre qu’aux âges suivants, et d’autre part, ils ont augmenté fortement sur la période passant d’environ 22 000 en 2004 à environ 52 000 en 2008.
Source : CNAV.
Le Gouvernement a annoncé son intention de prolonger le dispositif « carrières longues », tout en l’améliorant. Cette amélioration ne figure pas dans le projet de loi, car la rédaction actuelle de l’article L. 351-1-1 permet au pouvoir réglementaire d’adapter les conditions d’entrée dans le dispositif, comme cela avait d’ailleurs été fait en 2008, pour tenir compte de l’allongement de la durée de cotisations.
Le Gouvernement fixera donc prochainement les nouvelles conditions de départ anticipé mais l’on connaît d’ores et déjà ses intentions : pour les assurés nés après le 1er janvier 1956, l’âge d’accès au dispositif « carrières longues » sera donc fixé à 58 ou 59 ans pour les assurés qui ont débuté leur activité professionnelle à 14 ou 15 ans et à 60 ans pour ceux qui ont débuté leur activité professionnelle à 16 ans, soit un décalage d’une année par rapport à la situation actuelle.
Par ailleurs, le Gouvernement a décidé d’ouvrir le dispositif aux assurés ayant démarré leur activité à l’âge de 17 ans : pour ces derniers, l’âge de la retraite sera maintenu à 60 ans s’ils remplissent les conditions de durée d’assurance requise pour accéder au dispositif.
Si on translate les règles existant aujourd’hui concernant les durées d’assurance validées et cotisées, on aboutit au dispositif suivant :
Départ en retraite |
Réglementation actuelle |
Elargissement aux débuts d’activité à 17 ans pour les départs à 60 ans |
56 ans |
Durée validée ≥ taux plein +8 trimestres Durée cotisée ≥ taux plein +8 trimestres Début activité avant 16 ans |
|
57 ans |
Durée validée ≥ taux plein +8 trimestres Durée cotisée ≥ taux plein +8 trimestres Début activité avant 16 ans |
|
58 ans |
Durée validée ≥ taux plein +8 trimestres Durée cotisée ≥ taux plein +4 trimestres Début activité avant 16 ans |
Durée validée ≥ taux plein +8 trimestres Durée cotisée ≥ taux plein +8 trimestres Début activité avant 16 ans |
59 ans |
Durée validée ≥ taux plein +8 trimestres Durée cotisée ≥ taux plein Début activité avant 17 ans |
Durée validée ≥ taux plein +8 trimestres Durée cotisée ≥ taux plein +8 trimestres Début activité avant 16 ans |
60 ans |
pas possible |
Durée validée ≥ taux plein +8 trimestres Durée cotisée ≥ taux plein Début activité avant 18 ans |
61 ans |
pas possible |
Départ toujours possible si les conditions de départ à 60 ans étaient déjà remplies l’année des 60 ans |
La CNAV a évalué l’impact qu’aurait un tel dispositif sur le nombre de départs anticipés : si le Gouvernement s’était « contenté » de prolonger le dispositif existant en l’adaptant, 65 000 personnes auraient alors pu bénéficier d’un départ anticipé en 2015. En choisissant d’élargir le dispositif aux assurés ayant débuté leur activité à 17 ans, ce sont 25 000 personnes supplémentaires qui pourront partir en 2015, portant à 90 000 le nombre de départs anticipés.
Source : CNAV
Budgétairement, le surcoût pour la CNAV de cet élargissement a été chiffré à 870 millions d'euros au maximum en 2018.
Source : CNAV
Bien sûr, les éléments donnés ici ne le sont qu’à titre indicatif dans la mesure où cet aspect de la réforme est l’un des sujets de la concertation actuellement menée par le Gouvernement avec les organisations syndicales. Des évolutions sont donc encore possibles.
De même que le dispositif « carrières longues » a constitué une avancée essentielle à l’occasion de l’adoption de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, de même le présent projet de loi innove en consacrant de nouvelles dispositions en matière de prise en compte de la pénibilité.
La notion de pénibilité est peu aisée à appréhender. D’une part, parce qu’il s’agit d’une notion relative, qui évolue dans le temps : la pénibilité du travail aujourd’hui n’a que peu de rapports avec la pénibilité du travail au XIXè siècle (2).
D’autre part, parce qu’on peut dire que cette notion est protéiforme, au carrefour de différentes questions : celle des conditions de travail, bien sûr, mais aussi de la santé au travail des personnes concernées et de leur espérance de vie. Dans la mesure où la préoccupation de la qualité de l’emploi est indissociable de celle de la quantité de temps passé au travail, se posent aussi, notamment, les questions du temps et du rythme de travail, ainsi que du moment de la cessation de l’activité professionnelle, donc de la retraite. De nombreux rapports sont, encore très récemment, revenus de manière détaillée sur ces différents enjeux en en montrant la pluralité, en particulier le rapport d’information présenté par M. Jean-Frédéric Poisson au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale en conclusion des travaux de la mission d’information sur la pénibilité au travail (mai 2008), mais aussi le rapport établi dès 2003 par M. Yves Struillou pour le COR sur la question du lien entre pénibilité et retraite (3).
Le droit positif français ne définit pas aujourd’hui la pénibilité (4). Pour autant, la notion de pénibilité n’est pas totalement absente des textes de notre corpus juridique, comme l’a montré le rapport précité de M. Jean-Frédéric Poisson. Quelques articles du code du travail se réfèrent, sans la définir expressément, à la notion de pénibilité : la « pénibilité caractérisée » est évoquée pour justifier, concernant le travail des mineurs, l’interdiction de certaines tâches, accomplies de manière répétitive ou dans une ambiance ou à un rythme tels qu’ils leur confèrent cette pénibilité (article D. 4153-4 du code du travail) ; la « pénibilité » figure parmi les indicateurs que doit comporter le « rapport de situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise » : il s’agit du rapport soumis chaque année, dans les entreprises de 300 salariés et plus, par l’employeur aux représentants du personnel (article D. 2323-12 du code du travail) ; le décret n° 2008-1217 du 25 novembre 2008, relatif au Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT), a créé l’observatoire de la pénibilité (articles R. 4641-13 et D. 4641-15 du code du travail), qui a pour mission d’assister le comité permanent du conseil, en appréciant la nature des activités pénibles dans le secteur public et le secteur privé, en particulier celles ayant une incidence sur l’espérance de vie, et en proposant au comité permanent du COCT toute mesure de nature à améliorer les conditions de travail des salariés exposés à ces activités ; la pénibilité doit être prise en compte par l’employeur pour déterminer les conditions de travail des salariés dont l’emploi présente un risque lié à l’amiante (article R. 4412-101 du code du travail).
Par ailleurs, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, les entreprises de plus de 50 salariés ont l’obligation de négocier sur l’emploi des seniors et, à défaut d’accord, d’établir un plan d’action sur ce thème, sous peine d’une amende représentant 1 % de la masse salariale. Ces accords doivent, notamment, comporter des dispositions favorables au maintien dans l’emploi et au recrutement des salariés âgés, dispositions qui portent – entre autres – sur l’amélioration des conditions de travail et la prévention des situations de pénibilité (article R. 138-26 du code de la sécurité sociale). En outre, les branches ont une obligation triennale de négociation sur la prise en compte de la pénibilité du travail (5).
Enfin, et surtout, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a prévu que « dans un délai de trois ans après la publication de la (…) loi, les organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau national sont invitées à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité » (6).
La négociation interprofessionnelle sur la pénibilité a réuni les partenaires sociaux une quinzaine de fois, de février 2005 à juillet 2008, compte tenu d’une période d’interruption d’une année environ, d’avril 2006 à mai 2007 (7). Une reprise des négociations a été possible grâce à l’action de M. Gérard Larcher, alors ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle, qui a proposé aux partenaires sociaux la mise à disposition d’une expertise technique, sous la forme d’un groupe inter-administratif conduit par l’inspection générale des affaires sociales. Ce groupe avait pour mission de coordonner les travaux des différentes administrations compétentes et de traiter la pénibilité dans la triple perspective suivante : la définition, les instruments de mesure et les critères de prise en compte de la pénibilité ; la prévention ; la compensation (qui serait accordée au cours de la carrière professionnelle) et la réparation (qui interviendrait à l’issue de la carrière professionnelle) de la pénibilité.
En dépit de ces tentatives, cette période de trois ans et demi s’est close par l’annonce de l’échec de la négociation, qui a néanmoins contribué à l’approfondissement de la notion de pénibilité. Comme l’avait constaté le COR dans son cinquième rapport dès novembre 2007, elle a permis de « progresser globalement sur les critères de pénibilité » (8), voire sur « la prévention et sur l’amélioration des conditions de travail », tout en n’ayant « pas abouti sur la question de la réparation » (9).
Le présent projet de loi propose de s’inscrire dans ce débat complexe en retenant deux impératifs : la nécessité de l’amélioration de la traçabilité des expositions des travailleurs aux différents facteurs de risques professionnels ; la consécration d’une modalité nouvelle de départ à la retraite au profit de personnes dont l’état de santé est dégradé à la suite d’expositions à des facteurs de pénibilité.
● La question de la traçabilité des expositions au risque professionnel
La prise en compte de la pénibilité passe aujourd’hui, notamment, par la mise en œuvre d’une politique de prévention des risques professionnels, qui requiert en amont une meilleure connaissance de l’exposition des salariés concernés à ces différents risques. On évoque souvent, à cet égard, la question de la traçabilité des expositions (10).
Cette exigence est d’autant plus grande que, d’une part, les parcours professionnels se caractérisent par une mobilité accrue des travailleurs et que, d’autre part, le risque chimique étant en perpétuelle mutation, de nouveaux risques à effet différé sur la santé apparaissent, tandis que certaines substances jugées à un moment donné non dangereuses peuvent se révéler plus tard cancérogènes ou toxiques pour la reproduction (11). De nombreux rapports sont, au cours des années récentes, revenus de manière détaillée sur ce constat (12).
La nécessité d’une meilleure traçabilité des expositions au risque a aussi été rappelée par le gouvernement lors de la présentation du plan santé au travail 2010-2014, qui prévoit la création progressive d’un dispositif général de traçabilité des expositions aux risques professionnels, à la fois individuelle et collective, en lien avec la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Dans son avis du 8 juillet 2010 consacré au travail de nuit, le Conseil économique, social et environnemental a préconisé « la tenue d’un dossier médical en santé au travail qui devrait ainsi contribuer à améliorer la prévention, le diagnostic et la prise en charge précoce des maladies professionnelles, en particulier celles qui seraient liées au travail de nuit » (13).
Les principaux enjeux d’une mise en place de cette traçabilité sont donc bien identifiés et peuvent être ainsi résumés : l’amélioration de l’information des salariés, dès l’embauche, sur la question de l’exposition au risque ; la mise en œuvre d’un suivi des salariés particulièrement exposés, suivi conçu comme étant médical, mais aussi post-professionnel, ainsi que le souligne l’étude d’impact accompagnant le projet de loi ; l’aménagement des conditions de travail de ces salariés, pour favoriser leur maintien dans l’emploi (14).
Pour l’ensemble de ces raisons, le présent projet de loi propose la revalorisation du dossier médical en santé au travail, qui souffre d’un certain nombre d’imperfections aujourd’hui, ainsi que l’institution d’un nouveau document contenant des informations sur les différents risques d’exposition des travailleurs (article 25 du projet de loi).
● La question des modalités des droits à retraite
Une seconde disposition du projet de loi vise à permettre la prise en compte, au moment de la liquidation de la pension de retraite, de la situation des personnes atteintes dans leur intégrité physique pour des raisons imputables à leur activité professionnelle, avec l’ouverture d’un droit au départ à 60 ans, alors que cet âge sera progressivement porté à 62 ans, et ce quelle que soit leur durée d’assurance, donc à taux plein (sans décote). Ce dispositif sera financé par la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Il s’agit d’un autre élément de réponse à la question de la pénibilité, avec la création d’un droit spécifique (articles 26 et 27 du projet de loi), très novateur en Europe où, comme le montre l’étude d’impact du projet de loi, ce type de mesures est assez rare (15).
Ce nouveau dispositif vient s’ajouter au dispositif « carrières longues », dont, comme on l’a vu, le Gouvernement a annoncé la prolongation dans le cadre de la présente réforme.
Cette mesure est aussi distincte de la possibilité pour les assurés de demander la liquidation de leur retraite au titre de l’inaptitude (16) : cette possibilité permet à un assuré qui n’est pas en mesure de poursuivre l’exercice de son emploi sans que cela nuise gravement à sa santé, et qui est atteint d’une incapacité permanente au moins égale à 50 %, de partir à la retraite à l’âge prévu à l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale en bénéficiant du taux plein, même s’il ne justifie pas de la durée d’assurance requise. Bénéficient également de ce dispositif, notamment, les titulaires d’une pension d’invalidité qui, lorsqu’ils atteignent l’âge légal, voient automatiquement leur pension d’invalidité remplacée par une pension de retraite pour inaptitude, systématiquement calculée sur la base du taux plein.
Comme l’a indiqué à plusieurs reprises le Gouvernement (17), cette réponse repose sur certains choix.
En premier lieu, les salariés pourront être concernés par le dispositif dans la mesure où leur état de santé est dégradé à la suite d’expositions à des facteurs de pénibilité, autrement dit s’ils sont physiquement usés au moment du départ à la retraite. Sont donc prises en compte les expositions à des risques qui ont un impact immédiat sur la santé des salariés, non un impact différé. Ce choix est motivé par deux considérations.
D’une part, il est difficile aujourd’hui d’apprécier à partir de quel seuil précis d’exposition, en termes de durée et d’intensité, on peut estimer qu’un risque pour le salarié est excessif. Ce constat a été encore récemment établi par des scientifiques (18).
D’autre part, dans l’hypothèse où le seul état de santé ne serait pas pris en compte, c’est l’exposition pendant un temps donné à un ou plusieurs risques donnés qui le serait : or il est délicat de vérifier, pour les situations passées, la réalité de ces expositions, en l’absence d’outil de traçabilité suffisant, comme le montrent par exemple les limites du dossier médical en santé au travail tel qu’il existe aujourd’hui (voir sur ce point le commentaire de l’article 25).
En second lieu, ce droit nouveau sera accordé de manière individuelle : il est en effet essentiel de pouvoir prendre en compte l’ensemble des situations de pénibilité, sans se limiter à certains métiers ou certaines classifications professionnelles considérés ex ante comme pénibles, ainsi que l’ont, là aussi, mis en évidence des experts (19).
Le présent projet de loi constitue une occasion privilégiée d’aborder le débat sur l’emploi des seniors, dans la mesure, notamment, où un taux d’emploi des salariés âgés trop faible, comme il en va encore aujourd’hui dans notre pays, pèse sur les comptes des régimes de retraite (voir infra). Dans le but d’encourager l’emploi des seniors, le projet de loi mobilise plusieurs instruments différents.
En 2009, le taux d’emploi des seniors de 55 à 64 ans s’est établi à 38,9 % en moyenne. Ce taux est très inférieur au taux moyen observé dans l’Union européenne à 27, qui s’élève à 46 % (20). En outre, l’objectif qui avait été retenu, dans le cadre de la stratégie européenne de Lisbonne, à horizon 2010, était un taux d’emploi des seniors de 50 %.
De manière plus précise, on observe que la situation française est moins préoccupante pour la tranche d’âge 55-59 ans (le taux d’emploi y est de 58,5 % en 2009, le même taux étant de 60 % dans l’Union européenne) que pour la tranche d’âge 60-64 ans (où le taux d’emploi est de 17 %, alors qu’il s’élève à 30,4 % dans l’Union européenne) (21).
Après la conclusion, le 13 octobre 2005, d’un accord national interprofessionnel relatif à l’emploi des seniors par les partenaires sociaux, et la mise en œuvre du plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors 2006-2010 sous l’impulsion de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, de nombreuses mesures ont été prises pour encourager la prolongation de l’activité des seniors : taxation des préretraites, fin des mises à la retraite d’office avant 70 ans, libéralisation totale du cumul emploi-retraite ou encore majoration de la surcote qui permet à un salarié choisissant de travailler au-delà de la durée nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein d’améliorer le niveau de sa pension (22).
En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a prévu, pour les branches et les entreprises de plus de 50 salariés, une obligation de signer avant le 1er janvier 2010, sous peine de sanction financière pour les entreprises, des accords ou des plans d’action pour recruter ou maintenir les seniors dans l’emploi, avec des objectifs et des moyens précisément chiffrés. Les entreprises de moins de 300 salariés ont bénéficié d’un délai supplémentaire jusqu’au 1er avril.
Ces mesures ont commencé à produire leurs effets. Le bilan d’étape de la politique économique et sociale effectué, le 10 mai 2010 par le Président de la République à l’occasion d’une réunion avec les partenaires sociaux (23), montre que le taux de recours à la surcote a atteint 12,6 % en 2009, quand il n’était que de 5 % en 2005. De plus, le nombre de personnes cumulant retraite et emploi a aussi tendance à augmenter : fin 2008, environ 238 000 personnes cumulaient une pension de retraite du régime général et une activité salariée (195 000) ou d’indépendant (43 000). Par ailleurs, les préretraites publiques sont en quasi-extinction : en 1993, on comptait 56 300 entrées en préretraites du Fonds national pour l’emploi dites AS-FNE (donnant droit à une allocation spéciale de ce fonds), tandis qu’on en dénombre 2 300 seulement en 2009.
Début mai 2010, 97 branches négociaient ou avaient négocié un accord sur l’emploi des seniors ; sur ce nombre, 81 % des négociations avaient abouti et avaient été validées par l’administration, pour un total de 8,9 millions de salariés couverts. Au 31 mars 2010, on comptait près de 28 000 accords d’entreprise ou plans d’action (les plans d’action représentant 69 % de ce total). Les actions les plus fréquemment prévues par ces accords sont le développement des compétences, la transmission des savoirs et l’anticipation des évolutions des carrières professionnelles (plus de 80 % des accords validés).
Enfin, en dépit des effets de la crise, le taux d’emploi des seniors est orienté à la hausse. Ainsi, la progression du taux d’activité « sous-jacent » (à savoir le taux corrigé des effets de structure démographique, qui contribuent aujourd’hui à faire baisser le taux d’emploi des 55-64 ans du fait de l’arrivée des générations nombreuses du baby-boom dans la tranche d’âge des 60-64 ans, où les taux d’emploi sont plus faibles) s’est accélérée de 2008 à 2009, atteignant 1,6 point en moyenne annuelle pour les 50-64 ans et 2,2 points pour les 55-64 ans, contre + 0,6 point sur la période 2003-2008 pour ces deux tranches d’âge (24).
Ces résultats doivent naturellement être confortés et amplifiés. Le présent projet de loi constitue une occasion privilégiée d’aborder ce sujet. Comme le souligne l’étude d’impact, le maintien du taux d’emploi des salariés âgés à un niveau trop faible pèse sur les comptes des régimes de retraite, en agissant à la fois sur les recettes (du fait de moindres recettes résultant de durées de carrière plus brèves) et sur les dépenses (en raison de l’allongement de la période de versement de la retraite). Aussi, le présent projet de loi mobilise différents outils en faveur de l’emploi des seniors.
Avant tout, il vise à augmenter la durée d’activité, de manière progressive et juste. L’étude d’impact revient de manière détaillée sur le principe de « l’effet horizon », mis en évidence par les économistes, selon lequel les mesures de relèvement de l’âge légal ont un effet positif sur la gestion des seniors dans l’entreprise et les recrutements de ces derniers dans le secteur privé. Cet effet devrait notamment conduire les entreprises à revoir les modalités de leur gestion prévisionnelle des salariés vieillissants. S’agissant de la fonction publique, l’étude d’impact rappelle que la question des seniors y est envisagée dans une perspective globale des parcours professionnels, sans systématisation des mesures ciblées sur les agents les plus âgés.
En outre, le projet de loi tend à prendre en compte une difficulté spécifique rencontrée par les seniors sur le marché de l’emploi, liée à un retour à l’emploi particulièrement difficile : en 2008, 60 % des chômeurs masculins âgés de 50 à 64 ans sont au chômage depuis plus d’un an, alors que ce taux est de seulement 38 % pour la tranche d’âge 30-49 ans. De manière à favoriser leur retour à l’emploi, le projet crée une aide à l’embauche des seniors, sous certaines conditions (article 32 du projet de loi). Comme le précise l’étude d’impact, cette aide est d’autant plus justifiée, qu’il ressort de la lecture des accords de branche et d’entreprise relatifs aux salariés âgés que le domaine d’action du recrutement est peu retenu spontanément par les employeurs.
Enfin, le Gouvernement a annoncé son intention d’encourager encore le développement du tutorat, pour favoriser la transmission des savoirs et valoriser la fin de carrière. Il a indiqué prévoir le renforcement des aides apportés par les fonds de la formation professionnelle au développement du tutorat en entreprise : à ce titre, la faculté de remboursement par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) du temps passé par un tuteur auprès d’un jeune en contrat de professionnalisation serait élargie (25). Cette mesure ne requiert pas nécessairement de disposition de nature législative et elle devrait, selon les informations transmises à votre Rapporteur par les services du secrétariat d’État chargé de l’emploi, intervenir par voie réglementaire. Elle s’inscrirait dans le prolongement des dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie sur la prise en charge du tutorat par les seniors (26).
Parce que la présente réforme vise à l’équité et à la justice, ce projet de loi doit être l’occasion de renforcer le caractère solidaire de notre système de retraite, en ce qui concerne la situation des femmes, les retraites agricoles, la situation des jeunes et la question complexe des polypensionnés.
● Malgré la hausse de l’activité féminine, des écarts demeurent en matière de retraite entre hommes et femmes
En 2010, la durée d’assurance des femmes est inférieure de dix trimestres en moyenne à celle des hommes. Cependant, alors que la durée moyenne d’assurance devrait stagner chez les hommes entre 2010 et 2020, elle continuerait d’augmenter chez les femmes. En conséquence, à partir de 2020, la durée d’assurance serait équivalente entre hommes et femmes et même légèrement supérieure pour les femmes en fin de projection, celles-ci ayant des carrières plus complètes au fil des générations.
Source : CNAV.
Note de lecture : pour les assurés qui partent en retraite en 2015, la durée d’assurance tous régimes serait en moyenne de 157 trimestres chez les hommes et de 152 trimestres chez les femmes.
En ce qui concerne le niveau des pensions, le rattrapage est plus lent. En 2007, les pensions des femmes étaient inférieures de 38 % à celles des hommes. En valeur absolue, en 2010, l’écart de pension entre hommes et femmes est de 1 840 euros. À l’horizon 2020, cet écart serait encore de 15 %.
Source : CNAV.
Note de lecture : pour les assurés qui partent en retraite en 2030, la pension servie par la CNAV serait en moyenne de 9 146 euros chez les hommes et de 7 705 euros chez les femmes.
Tous phénomènes confondus, c’est principalement le différentiel de salaire annuel moyen qui explique l’évolution de l’écart sur la pension moyenne entre hommes et femmes.
Source : CNAV.
Note de lecture : pour les assurés qui partent en retraite en 2050, par rapport aux hommes, les femmes auraient en moyenne une durée d’assurance tous régimes supérieure de +2%, un salaire annuel moyen (SAM) inférieur de 18 % et une pension inférieure de 15 %.
Ces différentiels expliquent, en partie, un départ à la retraite en moyenne plus tardif pour les femmes que pour les hommes. Ainsi, si 60 % des hommes et 61 % des femmes sont partis à 60 ans en 2009, avec en moyenne 160 trimestres d’assurance pour les hommes et 161 trimestres pour les femmes, 13 % des hommes et 22 % des femmes sont partis à 65 ans, avec en moyenne 129 trimestres d’assurance pour les hommes et 102 trimestres pour les femmes.
Répartition des effectifs selon le genre, l’âge de liquidation et la catégorie de pension
Age à la liquidation |
Catégorie |
Hommes |
Femmes |
Ensemble |
Moins de 60 ans |
Invalide/inapte |
0 % |
0 % |
0 % |
Taux plein par la durée |
6 % |
2 % |
4 % | |
Ensemble des moins de 60 ans |
6 % |
2 % |
4 % | |
60 ans |
Invalide/inapte |
16 % |
17 % |
16 % |
Taux plein par la durée |
40 % |
38 % |
39 % | |
Taux réduit |
5 % |
7 % |
6 % | |
Ensemble des 60 ans |
60 % |
61 % |
61 % | |
Entre 61 et 64 ans |
Invalide/inapte |
2 % |
2 % |
2 % |
Taux plein par la durée |
14 % |
8 % |
11 % | |
Taux réduit |
2 % |
1 % |
2 % | |
Ensemble des 61-64 ans |
18 % |
12 % |
15 % | |
65 ans |
Invalide/inapte |
0 % |
0 % |
0 % |
Taux plein par la durée |
3 % |
2 % |
2 % | |
Taux plein par l'âge |
10 % |
20 % |
15 % | |
Ensemble des 65 ans |
13 % |
22 % |
18 % | |
66 ans et plus |
Invalide/inapte |
0 % |
0 % |
0 % |
Taux plein par la durée |
2 % |
1 % |
1 % | |
Taux plein par l'âge |
2 % |
3 % |
2 % | |
Ensemble des 66 ans et plus |
4 % |
3 % |
3 % | |
Ensemble des âges |
Invalide/inapte |
18 % |
19 % |
18 % |
Taux plein par la durée |
64 % |
50 % |
57 % | |
Taux plein par l'âge |
12 % |
23 % |
18 % | |
Taux réduit |
6 % |
8 % |
7 % | |
Ensemble des motifs |
100 % |
100 % |
100 % |
Source : CNAV, données 2009.
● De nombreux dispositifs contribuent toutefois à les compenser
De nombreux dispositifs permettent aujourd’hui de compenser les écarts de durée d’assurance et de pension entre les femmes et les hommes. Il en résulte une situation originale, dans laquelle les femmes bénéficient d’une combinaison de droits : droits propres tirés de l’activité professionnelle, droits propres au titre des périodes d’éducation des enfants et droits dérivés de ceux du conjoint. Les droits familiaux et conjugaux représentent environ le quart des retraites versées (27).
Les droits familiaux de retraite jouent un rôle fondamental dans la compensation des aléas de carrière des femmes. Parmi les femmes nouvellement retraitées du régime général en 2007, 90 % ont bénéficié de la majoration de durée d’assurance, près de 80 % de la majoration de pension pour trois enfants et plus, et un peu plus d’une sur trois de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), qui était alors encore en phase de montée en charge.
La majoration de durée d’assurance, créée par les lois « Boulin » des 31 décembre 1971 et 3 janvier 1972, a pour objectif d’améliorer les droits à pension des femmes qui ne bénéficient pas de l’AVPF, en leur permettant de partir plus tôt en retraite. Les assurées bénéficient d’une majoration de leur durée d’assurance d’un trimestre pour toute année durant laquelle elles ont élevé un enfant, dans la limite de huit trimestres par enfant, soit deux ans, qu’elles aient ou non interrompu leur activité. En 2007, 90 % des femmes en bénéficiaient. Ce dispositif a été aménagé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, afin de l’ouvrir davantage aux pères, tout en préservant la situation des femmes. Les huit trimestres sont désormais divisés en deux blocs : quatre trimestres liés à l’accouchement et à la maternité et quatre trimestres liés à l’éducation, ouverts également à la mère et au père.
La majoration de pension a été instituée en 1945 pour le régime général en vue de compenser les charges de famille passées. Le bénéfice des majorations de retraites de 10 % pour le régime général est accordé aux deux parents. S’y ajoute une majoration de 5 % par enfant au-delà de trois pour le régime complémentaire. Le même droit existe dans la fonction publique. Ces majorations concernent aujourd’hui 45 % des pensionnés, pour un montant mensuel moyen d’environ 120 euros pour les hommes et 60 euros pour les femmes. Le montant de la majoration dépend directement du montant de la pension perçue : les personnes ayant accompli des carrières longues et perçu des revenus élevés toucheront une majoration importante. A contrario, les personnes ayant accompli des carrières courtes et faiblement rémunérées perçoivent des bonifications de faible montant.
L’assurance vieillesse des parents au foyer, instaurée par la loi du 3 juillet 1972, et initialement réservée aux mères inactives a ensuite été étendue à toute personne n’exerçant aucune activité professionnelle, ou seulement une activité à temps partiel, et souhaitant s’occuper de ses enfants – ou d’une personne âgée ou handicapée – tout en se constituant néanmoins des droits à la retraite. On compte aujourd’hui environ 1,5 million de bénéficiaires en année pleine. Fin 2006 et toutes générations confondues, 40 % des femmes ont bénéficié d’au moins un trimestre d’AVPF. En moyenne, celle-ci leur a permis de valider 22 trimestres. Ce nombre varie de 13 trimestres pour la génération 1974 à 25 trimestres pour les générations 1942 à 1958. Il faut également noter que le dispositif est ciblé sur les petites retraites, dans la mesure où 74 % des bénéficiaires sont au minimum contributif.
D’autres dispositifs, tels que la validation d’un trimestre au titre du congé maternité, la validation des périodes de chômage non indemnisées ou des périodes d’invalidité, permettent également de compenser les aléas de carrière des femmes.
Enfin, tous les régimes de retraite accordent une pension de réversion aux veuves. Dans le secteur public, le taux de réversion est de 50 % et la pension est versée sans conditions d’âge. Dans le secteur privé, le taux de réversion est de 54 %, et la pension est versée à partir de 55 ans, avec une majoration à partir de 65 ans, sous conditions de ressources. Il faut y ajouter les pensions de réversion versées par les régimes complémentaires. Ces conditions permettent de maintenir le niveau de vie des femmes après le décès de leur conjoint.
b) Les améliorations apportées par le projet de loi
● Le report au compte de l’assurée des indemnités journalières versées lors du congé maternité
Le congé maternité donne lieu aujourd’hui à la validation d’un trimestre d’assurance au titre de la retraite. Cette validation forfaitaire permet de neutraliser l’impact du congé maternité sur la durée d’assurance de l’assurée.
L’article 30 du projet de loi y ajoute une prise en compte des indemnités journalières dans le salaire annuel moyen qui va servir au calcul de la pension. Il y aura donc un « report au compte » des sommes touchées pendant le congé de maternité, ce qui devrait à terme permettre une majoration de 1,6 % en moyenne de la pension des bénéficiaires.
● Les mesures en faveur de la réduction des inégalités professionnelles
Les écarts importants des pensions servies aux hommes et aux femmes devraient s’atténuer progressivement mais, selon les évaluations du COR en 2007, ils ne disparaîtront pas, « même pour les générations liquidant leurs droits en 2030 : le volume d’emploi féminin tend à plafonner, notamment à cause de la fréquence accrue du temps partiel, et les écarts salariaux entre hommes et femmes ont cessé de se réduire depuis le milieu des années 1990. »
C’est pourquoi, il est impératif d’agir sur les conditions d’emploi des femmes. Votre Rapporteur est convaincu que l’égalité en matière de retraite est fonction des progrès en matière d’égalité professionnelle.
L’article 31 du projet de loi propose la création :
– d’une pénalité financière, pour les employeurs de plus de 300 salariés, qui ne respecteraient pas l’obligation, prévue par le code du travail, de transmettre annuellement, au comité d’entreprise, un rapport de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des hommes et des femmes dans l’entreprise ;
– d’une obligation, pour les entreprises de plus de 300 salariés, de publier les indicateurs et objectifs présents dans le rapport de situation comparée avant le 31 décembre 2011, date à laquelle l’employeur sera tenu de les communiquer à toute personne qui en formulera la demande.
Si ces mesures vont dans le bon sens, votre Rapporteur estime qu’il faut aller plus loin dans la lutte contre les inégalités professionnelles, en prévoyant non pas une simple obligation d’information, mais une véritable obligation de résultat pour les entreprises.
Il préconise pour cela la création d’une sanction financière pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés n’ayant pas signé d’accord ou de plan d’action comprenant des objectifs précis en matière de réduction des inégalités professionnelles entre hommes et femmes, que ce soit en matière de formation, de conditions de travail, ou de rémunération.
● La prorogation annoncée de l’allocation veuvage
Parallèlement à la suppression progressive de la condition d’âge minimum pour toucher une pension de réversion, la loi du 21 août 2003 a prévu l’abrogation, au 1er janvier 2011, de l’assurance veuvage.
Or, cette condition d’âge a été rétablie par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, ce qui pourrait avoir des effets financiers importants pour les veuves dites « précoces », qui perdent leur conjoint avant 55 ans. Il est donc urgent de trouver une solution pour les veuves et veufs « précoces », qui ont souvent des enfants à charge.
Le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique a clairement exprimé sa volonté de rétablir l’assurance veuvage et a déclaré soutenir toute initiative parlementaire qui irait en ce sens.
En accord avec les déclarations du Gouvernement, votre Rapporteur propose une prorogation de l’allocation de veuvage.
Il estime également que ce rétablissement ne clôt pas le sujet et doit s’accompagner d’une réflexion de fonds sur la prise en charge du veuvage précoce. L’assurance veuvage a, en effet, fait l’objet de critiques avant sa suppression en 2003, concernant les conditions d’attribution de l’allocation, ou encore la prise en compte des enfants à charge dans le montant versé. Se pose aussi la question de savoir si l’assurance veuvage doit ou non relever de l’assurance vieillesse, de la prévoyance, que cette dernière soit individuelle ou collective, ou encore de la politique familiale.
Réaffirmé par le Président de la République dans son allocution du 23 février 2008, cet engagement se situe dans la continuité des politiques conduites ces dernières années, qui ont progressivement élargi les critères d’accès aux revalorisations.
Malgré un contexte difficile, marqué, à la différence de la branche maladie, par un financement plus solidaire que contributif et par un déséquilibre structurel qui demeure de l’ordre 1,2 milliard d’euros pour 2010, depuis plus de quinze ans, les régimes vieillesse des exploitants agricoles ont, en effet, bénéficié d’un effort continu d’amélioration. Le plan pluriannuel de revalorisation, lancé en 1994, avait pour ambition de porter au minimum vieillesse les pensions des retraités à carrière complète. La démarche pluriannuelle répondait à la nécessité de répartir dans le temps le coût des mesures de revalorisation et de tirer parti de la baisse du nombre de retraités attendue dès 1996. Les mesures prises dans le cadre de ce plan ont mis l’accent sur les personnes aux revenus les plus faibles et ayant exercé l’essentiel de leur vie active dans le secteur agricole.
Renouvelé pour la période 1998-2002, le plan de revalorisation s’est traduit par des mesures dont le coût s’est élevé à 150 millions d’euros par an. En outre, la loi du 4 mars 2002 a institué une retraite complémentaire obligatoire (RCO), financée par des cotisations des exploitants agricoles et par l’affectation d’une fraction du produit du droit de consommation sur les tabacs, et ouverte, le cas échéant, à des personnes n’ayant jamais cotisé.
Certains des mesures de la réforme de 2003 ont également contribué à remédier aux situations les plus difficiles : mise en place d’une surcote pour les exploitants agricoles partant en retraite après 60 ans avec une carrière complète ; possibilité de rachat des périodes d’activité en tant qu’aide familial agricole et des périodes d’études supérieures par les exploitants agricoles ; réforme des pensions de réversion des régimes obligatoire et complémentaire ; enfin, assouplissement des conditions de cumul d’une pension de retraite et d’un revenu d’activité des exploitants agricoles.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a apporté deux nouvelles améliorations : passage de 32,5 ans à 22,5 ans de la durée minimale d’assurance et abaissement du coefficient de minoration par année manquante à 5,5 % en 2007, puis à 4 % à partir de 2008.
Mais, les critères d’accès aux majorations de pension avaient fini par créer des « poches de pauvreté » parmi certains publics exclus des revalorisations. Ainsi, 91 % des veuves sans droits propres touchaient moins de 400 euros par mois au 30 juin 2007, alors que le minimum vieillesse atteignait alors 621,27 euros par mois. L’article 77 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a donc mis en place un montant minimum de retraite de base par le biais d’un nouveau dispositif (plafonné) de majoration des retraites. En supprimant le statut de conjoint participant, il a par ailleurs permis aux 8 000 personnes, qui avaient omis d’y opter entre 1999 et 2001, de bénéficier du nouveau statut de conjoint collaborateur, plus avantageux. En effet, il ouvre droit à une retraite proportionnelle en sus de la retraite forfaitaire, avec la possibilité de rachats de points pour les années antérieures à 2000, dans la limite d’un an, et un dispositif de revalorisation permet de porter le total de la pension au minimum vieillesse.
Les articles 28 et 29 du présent projet de loi s’inscrivent parfaitement dans la continuité de cet effort de solidarité, poursuivant, chacun sous un angle différent, l’amélioration des retraites les plus modestes :
– l’article 28 étend la retraite complémentaire obligatoire (RCO) aux aides familiaux et conjoints collaborateurs, soit plus de 50 000 nouveaux bénéficiaires ;
– l’article 29 lève un obstacle au bénéfice du minimum vieillesse et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), en excluant totalement le capital d’exploitation agricole de l’assiette de la récupération sur succession.
Conformément aux différentes annonces gouvernementales, les jeunes en situation précaire devraient, aux termes de la réforme, pouvoir valider six trimestres pour le calcul de leurs droits à retraite, au titre de leur première période de chômage non indemnisée, alors que le nombre de trimestres pouvant être ainsi validés est de quatre aujourd’hui.
Cette mesure vise à prendre en compte les difficultés particulières que rencontrent les jeunes pour accéder à leur premier emploi. Ces difficultés sont bien connues : l’enquête Génération 2004 du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) a, par exemple, montré que la part des jeunes sortis de formation initiale sans diplôme est de 17 %, ce pourcentage étant resté constant depuis 1998, et que 31 % de ces mêmes jeunes sont au chômage au cours des premiers mois de leur vie active, ce taux étant encore de 14 % en 2007, soit trois ans après leur sortie (28).
Un certain nombre de mesures existent aujourd’hui pour compenser l’aléa de carrière que constituent les périodes de chômage, au regard des droits à la retraite. Ces périodes font l’objet d’une validation gratuite, selon des règles prévues par la partie réglementaire du code de la sécurité sociale (29), en application desquelles sont comptées comme périodes d’assurance pour l’ouverture du droit à pension : la première période de chômage non indemnisé, qu’elle soit continue ou non, dans la limite d’un an ; chaque période ultérieure de chômage non indemnisé, à condition qu’elle succède sans solution de continuité à une période de chômage indemnisé, dans la limite d’un an.
Au total, la prise en charge des validations gratuites par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) constitue l’un des principaux dispositifs de solidarité des régimes de retraite : il représente une dépense de 9 milliards d’euros en 2010 (30).
Pour renforcer ces règles, le Gouvernement devrait donc prévoir, par voie réglementaire, une validation de la première période de chômage non indemnisé dans la limite non plus d’un an, mais de six trimestres. Cette mesure devrait bénéficier à plus de 6 000 personnes par an.
Enfin, votre Rapporteur souhaite se faire l’écho d’une autre préoccupation légitime concernant un sujet important pour les jeunes, à savoir l’évolution éventuelle des modalités de prise en compte des périodes d’étude, ainsi que des périodes de stage, pour le calcul de droits à retraite, sujet qui a été abordé à plusieurs reprises au cours des auditions qu’il a réalisées.
La coexistence de plusieurs régimes de retraite fondés sur une base socioprofessionnelle et l’instabilité croissante des parcours professionnels, en particulier avec des changements de statut d’activité plus fréquents (salariés du secteur privé, fonctionnaire ou indépendant), conduisent à ce que de plus en plus de personnes perçoivent, à la retraite, plusieurs pensions de base. La proportion de polypensionnés parmi les retraités tend à augmenter et représentait 38 % en 2004 selon l’échantillon interrégimes de retraités (EIR).
Dans ce contexte, l’article 3 de la loi du 21 août 2003 pose le principe de l’égalité de traitement entre les cotisants : « Les assurés doivent pouvoir bénéficier d’un traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes de retraite dont ils relèvent ».
Or, malgré les progrès accomplis depuis 2003, les polypensionnés sont encore pénalisés par rapport aux monopensionnés et ce point a été souligné et dénoncé par la quasi-totalité des personnes auditionnées par votre Rapporteur et le Président de la République a indiqué qu’il s’agissait d’une des pistes d’amélioration de la réforme, dans le cadre de la concertation avec les organisations syndicales.
Quelles sont les pistes de réforme ? La première pourrait concerner les régimes alignés : en 2003, il est apparu que le calcul du salaire annuel moyen sur la base des 25 meilleures années (à partir de la génération 1948) aurait pénalisé les polypensionnés par rapport aux monopensionnés, aboutissant dans certains cas à faire entrer dans le calcul de leur pension toutes leurs rémunérations, ce qui revenait, de fait, à un calcul sur la base du salaire moyen de carrière.
Cette pénalisation, d’autant plus forte que les salaires portés au compte ne sont revalorisés que sur les prix, a été en partie corrigée en 2004, par l’introduction d’un mécanisme de proratisation, pour les polypensionnés effectuant leur carrière dans différents régimes alignés sur le régime général. La correction est partielle, car le mécanisme de proratisation conduit à ne retenir au total que 25 salaires annuels (répartis entre les différents régimes de base) mais très rarement les 25 meilleurs salaires de toute la carrière.
La correction ne serait totale que si le salaire annuel moyen était calculé dans chaque régime de base en fonction des 25 meilleures années de toute la carrière. Cependant, avec cette formule, la pension du premier régime d’affiliation notamment pourrait être déterminée sur la base de salaires perçus en dehors de la période d’activité liée à ce régime et, de fait, plus élevés que ceux perçus au cours de cette période ; ce type de situation poserait alors la question de l’instauration éventuelle de transferts financiers entre les régimes concernés.
Votre Rapporteur pense qu’il s’agit là d’une piste de travail particulièrement intéressante qui appelle néanmoins trois remarques. D’une part, une telle mesure aurait un coût relativement élevé (de l’ordre de 2 milliards d’euros une fois la montée en charge achevée). D’autre part, cette mesure serait un premier pas vers une quasi-intégration des régimes alignés dans le régime général, évolution peut-être souhaitable mais néanmoins lourde. Enfin, il faudrait alors supprimer certaines dispositions qui sont aujourd’hui favorables aux polypensionnés par exemple en plafonnant à 1 le coefficient de proratisation ou en limitant à quatre le nombre de trimestres validés par année et ce tous régimes confondus.
Une autre piste de réforme consisterait à étendre la proratisation aux polypensionnés ayant effectué leur carrière dans un régime aligné et dans un régime non aligné (régimes de la fonction publique, régime des professions libérales ou encore régime des exploitants agricoles).
Une extension de la proratisation du salaire annuel moyen à cette catégorie de polypensionnés entraînerait un surcoût pour le régime général. Si la mesure avait été appliquée aux flux de nouveaux retraités du régime général de 2004 et 2005, environ 13 % d’entre eux auraient vu leur pension du régime général augmenter, pour un gain annuel moyen estimé à 410 euros. La dépense supplémentaire pour le régime général représenterait un peu plus de 30 millions d’euros par an et par cohorte annuelle de retraités, soit plusieurs centaines de millions d’euros à terme.
Votre Rapporteur est moins convaincu par cette option, car la différence de traitement entre polypensionnés doit toutefois être mise en regard des règles différentes applicables pour la détermination du salaire annuel moyen dans chacun des régimes (salaire annuel moyen des vingt-cinq meilleures années dans les régimes alignés et, par exemple, salaires des six derniers mois dans les régimes de la fonction publique).
Si des progrès incontestables ont été accomplis depuis 2003 en matière de droit à l’information en matière de retraite, le présent projet de loi va plus loin encore en instituant trois nouveaux outils.
En 2003, le législateur a poursuivi cinq objectifs :
– rendre automatique et individualisée l’information destinée aux assurés : celle-ci doit leur permettre non seulement de faire le point sur les éléments de calcul des droits à pension de retraite qu’ils ont réunis – et donc intervenir suffisamment tôt dans la gestion de leurs droits futurs –, mais également de disposer d’une estimation indicative du montant des droits globaux qu’ils pourront obtenir au moment de leur départ à la retraite ;
– généraliser l’information à tous les droits à pension, en englobant les régimes complémentaires obligatoires ;
– simplifier les procédures pour les assurés, en désignant une caisse ou un service coordinateur de la fourniture de l’information globale sur tous leurs droits à pension ;
– permettre des échanges d’informations fluides entre les régimes, en coordonnant les bases de données qu’ils gèrent et en interconnectant leurs systèmes informatiques, afin que chaque régime puisse fournir à un assuré une estimation globale de ses droits à pension ;
– assurer la transparence vis-à-vis des assurés du fonctionnement de l’assurance vieillesse.
Deux droits à l’information ont été définis par la loi du 21 août 2003 et sont codifiés à l’article L. 161-17 du code de la sécurité sociale :
– l’envoi automatique à partir de 35 ans, puis tous les cinq ans, ou sur demande de l’assuré, d’un relevé de situation individuelle au regard de l’ensemble des droits que l’assuré s’est constitué auprès des régimes de retraite obligatoires ;
– la fourniture automatique et périodique à partir de 55 ans, d’une estimation indicative globale du montant des pensions de retraite que l’assuré sera susceptible d’obtenir à son départ à la retraite de la part des régimes de retraite obligatoires.
Le droit à l’information est mis en œuvre par le GIP Info retraite, groupement d’intérêt public qui comprend l’ensemble des régimes de retraite obligatoires. Le GIP a été conçu comme l’outil de coordination permettant d’effacer aux yeux des assurés la complexité de l’architecture des régimes de retraite français et de la gestion des droits par chaque organisme ou service chargé de la liquidation des droits à pension. Ainsi, il doit combiner l’action de ses trente-six membres sans se substituer à eux, pour l’établissement des situations individuelles, l’échange des données entre les régimes et la fourniture des informations aux assurés.
La mise en place du droit à l’information a nécessité une forte mobilisation des régimes de retraite et des investissements importants. En effet, outre la mise à disposition des données, chaque régime répond aux questions d’ordre général que peut poser l’assuré portant sur ses droits. Cette fonction de conseil, amenée à se développer, suppose l’engagement d’actions de formation du personnel des régimes.
Le droit à l’information a connu sa première campagne en 2007. La montée en charge des envois est progressive. Dès la fin 2010, tous les assurés de 35, 40, 45, 50, 55 et 60 ans recevront un document. En 2009, les envois ont commencé à 40 ans. Au total, 1 459 792 estimations indicatives globales et 2 732 097 relevés de situation individuelle ont été expédiés par les régimes de retraite réunis au sein du GIP Info Retraite.
L’augmentation du nombre de générations à servir, selon un calendrier fixé par un décret dès la mise en place de la réforme, s’est accompagnée d’une amélioration des traitements. En 2009, 91,39 % des assurés de ces générations se sont vu envoyer un courrier par leurs régimes, alors qu’ils étaient respectivement 87 % en 2008, et 82,6 % en 2007. Cette progression est le fruit du travail des différents organismes de retraite. De gros progrès ont notamment été faits pour récupérer les adresses des assurés.
Plus nombreux à être envoyés, les courriers sont également plus complets. Si 9,74 % des documents envoyés en 2007 comportaient au moins un feuillet vide, ils n’étaient plus que 2,55 % en 2008 et 2,36 % en 2009. De plus, cela concernait surtout des situations de contentieux ou des dossiers en cours de régularisation.
L’enquête de satisfaction, menée auprès des bénéficiaires de la campagne 2009, confirme les résultats des enquêtes précédentes : 94 % des personnes ayant reçu leur document sont satisfaites de la démarche. Seuls 3,71 % des assurés ont éprouvé le besoin de prendre contact avec leurs régimes de retraite, principalement pour signaler un manque ou une erreur. Dans 86 % des cas, ces mêmes assurés ont pu bénéficier d’une réponse immédiate. Ils sont 85 % à se déclarer satisfaits de l’accueil reçu.
Le droit à l’information en matière de retraite est indissociable de la question du pilotage du système, et ce à plusieurs titres :
– le morcellement des régimes nécessite le renforcement du droit à l’information ; un nombre croissant d’assurés connaît une forte mobilité professionnelle, ce qui entraîne des changements de régime d’affiliation fréquents et complexifie le calcul des droits à pension ; selon les données recueillies par le GIP Info retraite, les assurés servis durant la campagne d’envoi de 2009 étaient 42 % à être rattachés à deux régimes de retraite, 31 % à trois régimes, 15 % à quatre régimes, et 9 % à cinq régimes ;
– les possibilités pour l’assuré de choisir un départ à la retraite avancé ou retardé, de valider certaines périodes d’assurance, de racheter des années d’étude, de cumuler un emploi et une pension ou encore de surcotiser en période de temps partiel, sont des variables importantes agissant sur les droits à pension, et difficilement mesurables pour un particulier ; les deux réformes de 2003 et 2010 mettent l’accent sur la liberté de choix en matière d’âge et de conditions de départ à la retraite ; cette liberté ne peut s’exercer sans une information complète des assurés ;
– la généralisation des régimes de retraite complémentaire obligatoires accroît la complexité de la fixation des droits globaux, d’autant que les règles de calcul sont souvent très différentes de celles des régimes de base ;
– enfin, les assurés sont souvent peu au fait des dispositifs d’épargne retraite existants, alors même qu’ils constituent un complément utile à la pension.
Le droit à l’information est un enjeu fondamental de la réforme de notre système de retraite. La modification des règles de liquidation et l’introduction de nouveaux droits pour les assurés exigent des explications pour être comprises et acceptées.
L’article 3 du projet de loi introduit trois nouveaux outils pour améliorer l’information des assurés. Il prévoit que :
– dans un délai déterminé suivant la première année au cours de laquelle il a validé au moins une période d’assurance dans un des régimes de retraite légalement obligatoires, l’assuré bénéficie d’une information générale sur le système de retraite par répartition, notamment sur les règles d’acquisition de droits à pension et l’incidence, sur ces derniers, des événements susceptibles d’affecter sa carrière ;
– l’assuré bénéficie, à sa demande, à un âge et dans des conditions fixées par décret, d’un entretien sur les droits qu’il a constitué dans les régimes de retraite légalement obligatoires et sur les perspectives d’évolution de ces droits ;
– à la demande de l’assuré, les régimes de retraite communiquent le relevé de situation individuelle par voie électronique ; il s’agit de s’adapter à l’évolution de l’environnement culturel et technologique des assurés.
L’entretien individuel constitue une avancée majeure, qui nécessitera toutefois des investissements considérables pour les régimes, particulièrement dans la fonction publique. De plus, votre Rapporteur estime que devra être rapidement précisée la nature de cet entretien. Doit-on en effet se borner à commenter le relevé de situation individuelle de l’assuré ou bien s’orienter d’avantage vers du conseil, ce qui dépasse les fonctions traditionnelles de gestion du personnel des régimes ?
III.- REVENIR À L’ÉQUILIBRE EN 2018
Dans un contexte de forte dégradation de l’environnement économique international et, corrélativement, de nos finances publiques et sociales, la sauvegarde de notre système de retraite par répartition serait à la fois vaine et dépourvue de sens, si elle ne se fixait pas un objectif de retour à l’équilibre à moyen terme.
Ayant pour effet de moduler les différents paramètres de fonctionnement des régimes de retraite, les mesures précédemment exposées contribuent bien entendu, dans une large mesure, à ce rétablissement des comptes de la branche vieillesse. Mais, elles ne sont pas suffisantes : il faudra donc, pour l’avenir, affecter de nouvelles recettes, afin d’assurer le financement des retraites, tout en réglant le problème posé par les stocks de dette, non seulement le stock déjà constitué mais aussi celui qui est appelé à se former durant la période de retour à l’équilibre des comptes.
À ce stade, tous les tenants et aboutissants du financement de la réforme ne sont pas connus et certains éléments n’ont pas encore été arbitrés par le Gouvernement. Faut-il pour autant s’en offusquer ? Non seulement ce dernier a déjà exposé les grandes lignes de ce financement, mais l’absence de dispositions de nature financière dans le présent projet de loi est le corollaire de l’application d’un principe essentiel, énoncé par le Premier ministre dans sa circulaire du 4 juin 2010 relative à l’édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la sécurité sociale : la prohibition, dans les projets de loi ordinaire, de dispositions fiscales ou affectant les recettes de la sécurité sociale, à laquelle le Président de la République souhaite à juste raison que soit conférée une valeur constitutionnelle. Dès lors, les traditionnels grands textes financiers de l’automne – projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale –, auxquels se joindra le projet de loi organique portant sur la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), viendront confirmer et compléter les informations qui ont été d’ores et déjà fournies.
Le produit des différentes mesures de recettes annoncées par le Gouvernement serait de 3,7 milliards d’euros en 2011 et de 4,6 milliards d’euros en 2020. Elles portent à la fois sur les ménages et sur les entreprises.
Les prélèvements supplémentaires sur les ménages se concentrent sur les plus hauts revenus :
– augmentation de 1 point du taux d’impôt sur le revenu appliqué à la tranche la plus élevée (230 millions d’euros en 2011 et 290 millions d’euros en 2020) ;
– majoration respectivement de 2,5 % à 8 % et de 10 % à 14 % du taux des contributions spécifiques (salariale et patronale) sur les stock-options, dont le produit est actuellement affecté aux régimes obligatoires d’assurance maladie (70 millions d’euros en 2011 et 200 millions d’euros en 2020) ;
– création d’une contribution salariale de 14 % sur les retraites chapeaux et assujettissement de l’employeur dès le premier euro en cas d’option pour une contribution « à la sortie » (110 millions d’euros en 2011 et 140 millions d’euros en 2020) ;
– augmentation de 1 point de l’ensemble des prélèvements sur les revenus du capital et du patrimoine (265 millions d’euros en 2011 et 320 millions d’euros en 2020) ;
– suppression du crédit d’impôt sur les dividendes perçus par les actionnaires (645 millions d’euros en 2011 et 800 millions d’euros en 2020) ;
– taxation à l’impôt sur le revenu des plus-values de cession d’actions et d’obligations au premier euro de bénéfice perçu (180 millions d’euros en 2011 et 220 millions d’euros en 2020).
S’ils comprennent moins de mesures, les prélèvements supplémentaires sur les entreprises ne sont pas moins importants, bien au contraire :
– annualisation des allégements généraux (« réduction Fillon ») de cotisations sociales (2 milliards d’euros en 2011 et 2,4 milliards d’euros en 2020) ;
– suppression du plafonnement aux charges réelles de la quote-part de frais et charges réintégrée aux résultats des sociétés mères (200 millions d’euros en 2011 et 250 millions d’euros en 2020).
La plupart de ces recettes nouvelles bénéficient à droit constant au budget de l’État, y compris l’annualisation des allégements généraux, puisque ceux-ci sont déjà compensés aux régimes de sécurité sociale par la voie d’un « panier de recettes » (affectation de divers impôts et taxes). Les textes financiers de l’automne procéderont bien évidemment aux réaffectations nécessaires, afin que les régimes de retraite et le Fonds de solidarité vieillesse bénéficient de manière à la fois effective et durable de ces nouvelles ressources.
Enfin, l’objectif fixé en 2003 et consistant à opérer un basculement de cotisations entre l’assurance chômage et l’assurance vieillesse demeure d’actualité. Selon les prévisions du COR, le taux de chômage s’établirait à 5,7 % en 2020, rouvrant ainsi la perspective, envisagée à l’automne 2008, d’une mobilisation des excédents futurs de l’UNEDIC. À cet égard, le Gouvernement a retenu une estimation prudente, le transfert de cotisations ne débutant qu’en 2015 pour ne s’élever qu’à 1,4 milliard d’euros en 2020.
Parmi les trois scénarios tracés par le COR pour les décennies à venir, le Gouvernement n’a choisi ni de noircir excessivement le tableau, ni de se laisser aller à un trop facile optimisme. Il a donc retenu le « scénario B », dont les hypothèses sont un retour au plein emploi (taux de chômage de 4,5 %) à l’horizon de 2024 et une croissance de la productivité du travail de 1,5 % à long terme. Toutes choses égales par ailleurs, le COR estime que le besoin de financement annuel, qui s’élève déjà à 32,3 milliards d’euros en 2010, atteindrait 45 milliards d’euros en 2020.
Dans ces conditions, et déduction faite de l’incidence des mesures d’amélioration des prestations contenues dans la réforme, le retour à l’équilibre serait atteint en 2018 par l’effet additionné des mesures ci-après, portant à la fois sur les régimes de base et complémentaires et dont la montée en charge s’établit comme suit :
Solde tous régimes (2010-2020)
(en milliards d’euros 2008)
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2020 | |
Solde avant réforme |
– 32,3 |
– 35,1 |
– 36,6 |
– 38,1 |
– 38,7 |
– 39,4 |
– 40,3 |
– 41,1 |
– 42,3 |
– 45,0 |
Mesures d’âge |
– |
1,7 |
5,0 |
6,7 |
7,4 |
9,5 |
14,0 |
17,1 |
18,6 |
20,2 |
Convergence public-privé |
– |
0,4 |
1,0 |
1,6 |
2,2 |
2,7 |
3,2 |
3,6 |
4,0 |
4,9 |
Effort de l’État |
15,6 |
15,6 |
15,6 |
15,6 |
15,6 |
15,6 |
15,6 |
15,6 |
15,6 |
15,6 |
Recettes nouvelles |
– |
3,7 |
3,9 |
4,0 |
4,1 |
4,5 |
4,8 |
5,1 |
5,4 |
6,0 |
Mesures positives |
– |
– 0,1 |
– 0,3 |
– 0,5 |
– 0,6 |
– 0,8 |
– 1,0 |
– 1,1 |
– 1,3 |
– 1,6 |
Incidences de la réforme |
s.o. |
+ 21,3 |
+ 25,2 |
+ 27,4 |
+ 28,7 |
+ 31,5 |
+ 36,6 |
+ 40,3 |
+ 42,3 |
+ 45,1 |
Solde après réforme |
s.o. |
– 13,7 |
– 11,4 |
– 10,7 |
– 10,1 |
– 7,8 |
– 3,7 |
– 0,9 |
0,0 |
+ 0,1 |
Source : Gouvernement
Parmi ces quatre types de leviers, l’action sur les paramètres démographiques, la politique de convergence public-privé et les nouvelles recettes ont été précédemment décrits. Un autre mérite en revanche de plus amples développements, d’autant que sa part dans le redressement des comptes n’est pas négligeable (un peu plus du tiers en 2020, mais près des trois quarts en 2011) : il s’agit du gel de l’effort financier de l’État au financement du régime de retraite des fonctionnaires, comptabilisé à 15,6 milliards d’euros.
Ce montant correspond à l’accroissement de l’effort de l’État employeur entre 2000 et 2010. En effet, souhaitant « ne pas remettre les compteurs à zéro » à l’occasion de chaque exercice de projection, le COR a construit ses projections sous l’hypothèse d’un taux de contribution maintenu à son niveau de 2000. Autrement dit, le solde technique – par construction, en raison de la contribution d’équilibre de l’État, on ne peut parler de déficit au sens propre – des régimes de fonctionnaires est évalué par rapport au taux de contribution de l’État permettant l’équilibre du régime en 2000, les prévisions du COR n’intégrant pas l’effort fourni depuis lors pour maintenir cet équilibre. Celui-ci, qui s’élève à 15,6 milliards d’euros, doit donc être pris en compte dans le schéma de financement de la réforme. Le solde technique ainsi défini se distingue donc non seulement des données présentées dans le rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale, mais aussi des conventions du compte d’affectation spéciale Pensions (qui inclut notamment les différents transferts, les dépenses d’allocation temporaire et d’invalidité ainsi que les affiliations rétroactives).
Par ailleurs, comme le Gouvernement écarte pertinemment une poursuite de l’augmentation de l’effort de l’État au-delà de son niveau actuel, qui ferait peser sur les contribuables une charge plus élevée pour financer les retraites de la fonction publique, l’objectif est de geler la contribution à son niveau actuel, soit 15,6 milliards d’euros par an.
Le fait que les dépenses retracées dans le compte d’affectation spéciale progresseront néanmoins d’environ 4,5 milliards d’euros d’ici 2013 s’explique par des évolutions hors champ de l’équilibre technique retenu par le COR – l’effet prix et la revalorisation des pensions (à hauteur de 1,8 milliard d’euros), ainsi que l’augmentation des transferts (400 millions d’euros) – tandis que la dynamique démographique (2,3 milliards d’euros) correspond bien à la dégradation de l’équilibre tendanciel sur la même période.
Dans ces conditions, en retenant un périmètre consolidé tous régimes, la réforme permettrait le retour à l’équilibre dès 2018, pour près de la moitié grâce aux mesures d’âge.
Mais, cette approche globale n’exclut bien évidemment pas des disparités selon les régimes. Le régime général serait ainsi sans doute encore déficitaire en 2018, tandis que les régimes complémentaires obligatoires dégageraient, en revanche, un solde positif.
Dans la fonction publique, le creusement du solde technique tendanciel consécutif à la dégradation du ratio démographique (5,4 milliards d’euros en 2020, y compris la contribution de 15,6 milliards d’euros) ne serait pas intégralement compensé par les mesures de la réforme visant à améliorer les comptes : le retour à l’équilibre ne serait donc atteint ni en 2018 (– 1 milliard d’euros), ni même en 2020 (– 600 millions d’euros).
Pour la CNRACL, qui est actuellement excédentaire, le solde technique deviendrait négatif en 2016, pour atteindre 1,3 milliard d’euros en 2020. Grâce à la réforme, le solde demeurerait positif durant toute la période, pour atteindre 2,6 milliards d’euros en 2020, ce qui permettrait à la CNRACL de faire face aux difficultés de financement prévisibles durant la décennie 2020-2030.
Globalement, l’excédent des régimes des fonctions publiques s’élèverait donc à 2 milliards d’euros en 2020.
Éclairée par les travaux de la commission qui a réuni au printemps parlementaires et ministres sur la question de la dette sociale, la tâche est double : il faut, non seulement régler le problème de la dette accumulée depuis la précédente reprise, étant précisé qu’elle résulte pour partie de déficits de l’assurance maladie, mais aussi envisager les modalités selon lesquelles seront traités les déficits de la branche vieillesse, qui continueront à s’accumuler pendant la phase de montée en charge de la réforme.
Plusieurs solutions étaient concevables, mais la commission a d’emblée écarté les pistes suivantes : prolongement de la durée de vie de la CADES pour la totalité de la dette ; reprise de la dette par l’État ; reprise de tout ou partie de la dette par une seconde CADES.
Le schéma finalement retenu par le Gouvernement joue sur différents leviers, que ce soit la reprise de dette, l’allongement de la durée de vie de la CADES, des recettes nouvelles et un apport d’actifs.
Fin 2010, le montant des déficits cumulés du régime général et du FSV depuis la précédente reprise de dette par la CADES, intervenue fin 2008, atteindrait près de 55 milliards d’euros, ainsi que le montre le tableau ci-dessous :
Soldes du régime général et du FSV (2009-2010)
(en milliards d’euros)
2009 |
2010 | |
Maladie |
– 10,6 |
– 13,1 |
Accidents du travail |
– 0,7 |
– 0,6 |
Vieillesse |
– 7,2 |
– 9,3 |
Famille |
– 1,8 |
– 3,8 |
Total régime général |
– 20,3 |
– 26,8 |
Fonds de solidarité vieillesse |
– 3,2 |
– 4,3 |
Total |
– 23,5 |
– 31,1 |
Source : Rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale (juin 2010)
Il est prévu que la CADES reprenne ces déficits, dont la partie correspondant aux seuls effets de la crise économique, évaluée à 34 milliards d’euros (toutes branches), serait couverte par un allongement de quatre ans de la durée de vie de la caisse, dont l’échéance serait ainsi reportée de 2021 à 2025.
En vertu de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, le transfert à la CADES d’une dette nouvelle aurait dû entraîner une majoration concomitante de ses recettes, soit environ 0,5 point de CRDS. Compte tenu du caractère exceptionnel de cette « dette de crise », cette solution a été écartée, au profit d’un prolongement de la durée de vie de la caisse. Elle nécessite, toutefois, une modification des dispositions organiques : un projet de loi organique a été adopté à cette fin en Conseil des ministres le 13 juillet dernier, en même temps que le présent projet de loi, et sera discuté au Parlement à l’automne prochain.
Pour les 20 milliards d’euros restants au titre des exercices 2009 et 2010, correspondant en quelque sorte à la dette « structurelle » (toutes branches), et pour 14 milliards d’euros attendus en 2011 au titre de la branche maladie, soit un total de 34 milliards d’euros, la solution envisagée par le Gouvernement est celle d’un apport à la CADES des recettes requises, soit 3,2 milliards d’euros. Cette somme résulterait d’économies à réaliser sur les différents mécanismes d’exonérations de cotisations sociales, en plus des 2 milliards d’euros déjà gagnés par ailleurs sur les allégements généraux.
Le Gouvernement a fait le choix d’une montée en charge progressive de la réforme des retraites : les effets ne s’en feront donc pleinement sentir qu’à compter de 2018. D’ici là, il n’en faudra pas moins traiter les déficits, même s’ils se réduiront progressivement chaque année.
Déficits cumulés de la branche vieillesse tous régimes (2011-2020) (*)
(en milliards d’euros 2008)
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2020 | |
Déficit cumulé avant réforme |
68,0 |
105,9 |
146,2 |
187,8 |
230,9 |
275,8 |
322,4 |
371,1 |
475,4 |
Déficit cumulé après réforme |
13,7 |
25,3 |
36,6 |
47,4 |
56,1 |
60,9 |
63,0 |
64,3 |
66,9 |
Source : Gouvernement
(*) Les montants diffèrent de la simple somme des soldes annuels présentés dans le tableau figurant au B. ci-dessus en raison de l’application d’un taux d’actualisation de 2 %.
Les déficits des exercices 2011 à 2018 seront financés grâce à deux types de ressources.
Il s’agit d’une part de la mobilisation des actifs du Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Le principe même de cette mobilisation requiert également une modification de la loi organique du 2 août 2005, laquelle est prévue dans le projet de loi organique susmentionné.
Ce recours au fonds de réserve est contesté, au prétexte que celui-ci aurait eu pour mission exclusive de faciliter le passage du cap difficile que devaient connaître les régimes de retraite entre 2020 et 2040.
Votre Rapporteur, qui a toujours défendu le rôle du fonds de réserve depuis sa création par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, estime toutefois que ce raisonnement ne peut tenir, en raison de la brutalité de la crise économique, qui a considérablement avancé le moment où des difficultés de grande ampleur se présentent aux régimes de retraite. Le moment est donc venu d’utiliser les ressources collectées depuis près de dix ans par le fonds, soit 34,5 milliards d’euros, dont il convient toutefois de déduire environ 2 milliards d’euros au titre des plus-values latentes et de la part de la soulte versée par la Caisse nationale des industries électriques et gazières.
Il serait, en outre, aberrant et coûteux de continuer à creuser des trous pour en boucher d’autres. Car, c’est à cela que revient le fonctionnement actuel des différentes entités contribuant au financement des retraites – régimes proprement dits, FSV et fonds de réserve. Car faute d’excédents des régimes de retraite et du FSV, qui devaient à l’origine contribuer bien davantage que le prélèvement de 2 % à la montée en charge du fonds de réserve, c’est bien la CADES, en reprenant ces déficits, qui a indirectement financé le fonds de réserve entre 2000 et 2008. En effet, les sommes apportées au fonds de réserve entre 2000 et 2008, provenant pour les deux tiers du prélèvement social de 2 %, se sont élevées à 17,7 milliards d’euros. Or, dans le même temps, la CADES a repris 17,9 milliards d’euros de dette au titre de la CNAV (13,9 milliards d’euros) et du FSV (4 milliards d’euros).
Bref, les sommes reprises par la CADES ont permis d’alimenter le fonds de réserve. Cette anomalie était en outre coûteuse, puisqu’à fin 2010, les frais financiers de la CADES, des régimes de retraite et du FSV sont plus élevés que les produits financiers du fonds de réserve.
D’autre part, les ressources actuelles du fonds de réserve, à savoir principalement une fraction de 65 % du produit du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital (soit 1 461 millions d’euros en 2010), seront également affectées au remboursement de la dette engendrée par la branche vieillesse. Comme c’est le cas depuis l’institution du prélèvement sur les revenus du capital, son produit continuera donc bien à financer les retraites, seules les modalités en seront différentes.
Ainsi le dispositif proposé par le Gouvernement apparaît-il pleinement légitime : le stock et le flux des montants gérés par le fonds de réserve seront affectés au financement des retraites.
En conclusion, même s’il reviendra aux textes financiers de l’automne prochain d’en préciser certains des contours, la réforme met donc bien en place les conditions du retour à l’équilibre à l’horizon 2018.
Lors de sa séance du mardi 13 juillet 2010, la Commission des affaires sociales entend M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, et M. Georges Tron, secrétaire d’État à la fonction publique, sur le projet de loi portant réforme des retraites.
M. le président Pierre Méhaignerie. Merci, Messieurs les ministres, de venir nous présenter le projet portant réforme des retraites, qui vient d’être adopté en conseil des ministres.
Avec le dépôt de ce projet de loi, nous entrons dans le vif du sujet. La commission a déjà entendu et confronté les points de vue des responsables des régimes de retraite, des partenaires sociaux et des experts au cours de 32 auditions, représentant près de 43 heures de réunion, qui ont permis aux membres de la commission qui y ont assisté de faire évoluer leur position. Je demanderai d’ailleurs à la Commission d’autoriser la publication des comptes rendus de ces auditions dans un rapport d’information.
Je souhaite la bienvenue à Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des Finances. Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Il y a près d’un mois, j’ai eu l’honneur, avec Georges Tron, de présenter à votre commission l’avant-projet de réforme visant à sauvegarder notre système de retraite. Nous l’avons ensuite soumis au Conseil d’État, puis aux conseils d’administration des organismes de sécurité sociale, notamment de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), qui ont émis un avis favorable. J’y vois la preuve qu’il s’agit d’un texte équilibré, répondant aux défis que notre système doit affronter sans attendre.
Le projet de loi que voici est nécessaire, car nous ne pouvons pas laisser plus longtemps se dégrader la situation financière de nos régimes de retraite, confrontés à un choc démographique sans précédent. Cette réforme est également urgente, la crise ayant accéléré de vingt ans le rythme des déficits. Enfin cette réforme est juste, parce qu’elle donne un avenir à notre système de retraite par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations, les actifs finançant les retraites des plus âgés, comme à l’intérieur des générations, via les nombreux dispositifs destinés à compenser les aléas de la vie active, tels que le chômage ou la maladie. On ne peut pas prétendre être attaché à la solidarité entre les générations et se résigner à faire peser tout le poids de l’effort sur nos enfants.
Conformément à la volonté du Président de la République, le Gouvernement a donc pris ses responsabilités sans tarder, dans la continuité des réformes déjà accomplies par notre majorité en 1993, en 2003 et en 2007-2008 pour les régimes spéciaux.
Nous avons bâti cette réforme sur trois exigences : celle de la responsabilité, car on ne peut prétendre maintenir la pérennité d’un système par répartition sans agir sur la durée d’activité ; celle de l’efficacité, puisque nous visons, non seulement la réduction du déficit, mais également le retour à l’équilibre en 2018 ; celle de la justice, car nous ne pouvons pas demander à tous un effort, sans tenir compte de ceux qui ont été exposés à des conditions de travail plus pénibles ou qui ont commencé à travailler plus tôt.
En application de ces principes, cette réforme se fixe les quatre orientations suivantes : augmenter la durée d’activité de manière progressive jusqu’en 2018 ; renforcer l’équité du système de retraites ; améliorer les mécanismes de solidarité à l’intérieur du système de retraites et renforcer la compréhension par les Français des règles de la retraite.
L’augmentation de la durée d’activité est au cœur de la réforme proposée. C’est une réponse de bon sens : qui peut prétendre que l’allongement de la durée de vie ne doit emporter aucune conséquence sur la durée de la vie active ? Qui peut prétendre qu’il est juste de faire face à ce défi en chargeant les générations futures d’une augmentation massive des impôts ? La plupart des pays européens, confrontés à la même situation, y ont répondu de la même manière. Que ce soit en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni, cette solution n’a pas été celle d’un camp ou d’un parti : elle a été le fait de gouvernements de droite comme de gauche, qui ont tout simplement choisi de regarder la réalité telle qu’elle est.
Cette augmentation sera progressive, pour ne pas bouleverser les projets des Français qui sont proches de la retraite. L’âge de la retraite sera augmenté de quatre mois par génération dans l’ensemble des régimes de retraite, pour atteindre 62 ans en 2018. Parallèlement au recul de l’âge légal, c’est-à-dire l’âge auquel on a le droit de prendre sa retraite, l’âge d’annulation de la décote, aujourd’hui fixé à 65 ans, sera reculé aussi, pour être porté à 67 ans d’ici 2023.
Il est une vérité qu’il faut rétablir : aujourd’hui, ceux qui font valoir leur droit à la retraite à 65 ans ne travaillent pas nécessairement jusqu’à cet âge, certains attendant d’avoir atteint cet âge pour pouvoir échapper à la décote. Ceux qui prétendent, comme je l’ai souvent lu et entendu, que nous allons obliger les femmes à travailler jusqu’à 67 ans ne disent pas la vérité.
M. Alain Vidalies. C’est un comble ! Elles devront attendre deux ans de plus au chômage !
M. le ministre. L’élévation de l’âge du départ à la retraite sera générale. Elle concernera tous les assurés, quel que soit le régime dont ils relèvent. Pour les régimes spéciaux cependant, le relèvement de l’âge de la retraite débutera au 1er janvier 2017, pour tenir compte du calendrier de montée en charge de la réforme de 2008.
Dans un souci d’équité, ceux qui ont commencé à travailler tôt, ou que leur travail a usé physiquement de façon prématurée, pourront continuer à partir à 60 ans ou avant 60 ans. Le dispositif « carrières longues » créé en 2003 sera préservé et étendu aux salariés qui ont commencé à travailler à 17 ans, au lieu de 16 ans actuellement. Tous les salariés concernés pourront partir au plus tard à 60 ans : cela concernera 90 000 personnes en 2015. Un salarié de 58 ans ayant commencé à travailler à 15 ou 16 ans continuera de bénéficier des mêmes conditions de départ à la retraite.
Ceux qui sont usés physiquement du fait de leur activité professionnelle pourront, eux aussi, continuer de partir à 60 ans sans subir de décote. C’est là un droit social nouveau, comme le dispositif « carrières longues » l’était en 2003, et sans précédent en Europe. Au total, grâce à ce dispositif et au dispositif « carrières longues », ce sont 100 000 personnes par an, soit un Français sur sept, qui pourront partir plus tôt à la retraite.
À la demande du Président de la République, nous travaillons, en concertation avec les partenaires sociaux, à améliorer ces dispositifs. Nous souhaitons notamment renforcer la prévention. Nous proposons que les expositions à certains facteurs de pénibilité soient désormais enregistrées dans un carnet de santé au travail individuel, pour permettre un meilleur suivi du salarié tout au long de sa carrière. Sur ce sujet, les discussions sont en cours. Nous explorons aussi d’autres pistes, telles qu’une meilleure participation de la médecine du travail à la politique de prévention en entreprise, ou un suivi médical post-professionnel des salariés exposés. Le deuxième plan Santé au travail pour la période 2010-2014, que j’ai présenté hier, nous permettra également de progresser dans ce domaine.
Enfin, nous allons poursuivre et amplifier l’effort engagé depuis 2007 en faveur de l’emploi des seniors, en créant une aide à l’embauche pour les chômeurs de plus de 55 ans. Le développement du tutorat sera par ailleurs encouragé pour favoriser la transmission du savoir et valoriser les carrières.
Notre deuxième objectif est d’améliorer l’équité du système de retraite. Dans cette logique, il est apparu nécessaire de renforcer la convergence entre le public et le privé, en supprimant certaines différences qui n’étaient plus justifiées par des spécificités de la fonction publique. Le taux de la cotisation acquittée par les fonctionnaires sera porté de 7,85 à 10,55 % en dix ans, afin de l’aligner sur celui s’appliquant aux salariés du privé. La possibilité de retraite anticipée sans condition d’âge, ouverte aux parents de trois enfants pouvant justifier d’au moins quinze ans d’activité, sera supprimée à compter du 1er janvier 2012. Les fonctionnaires, qui remplissent ces deux conditions à cette date, conserveront la possibilité de partir plus tôt sur la base des règles applicables à tous les Français. Quant au minimum garanti dans la fonction publique, il sera désormais, comme dans le secteur privé, soumis à une condition de taux plein.
Par ailleurs, pour faire participer l’ensemble des assurés à l’effort de rééquilibrage des régimes de retraite, le Gouvernement proposera, dans les prochains projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, des mesures de recettes à hauteur de quatre milliards d’euros. En effet, si le Gouvernement refuse de répondre au choc démographique par un choc fiscal, il n’a jamais écarté la possibilité de recourir à des mesures de recettes ciblées dans un souci d’équité. Ces mesures concerneront principalement les hauts revenus : majoration de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu, renforcement de la taxation des stock options et des retraites chapeaux. Les revenus du capital seront également concernés, avec l’augmentation des prélèvements libératoires sur les revenus du patrimoine, la suppression du crédit d’impôt sur les dividendes et l’imposition au premier euro des plus-values de cession d’actifs, actions et obligations. Les entreprises, enfin, seront mises à contribution via des mesures relatives aux niches sociales dont elles bénéficient, notamment l’annualisation du calcul des allégements généraux de charges sociales.
Nous allons, enfin, améliorer les mécanismes de solidarité qui caractérisent le système de retraite français. Non contents de pérenniser son caractère solidaire, nous le renforçons pour un certain nombre de catégories d’assurés. Les jeunes, qui rencontrent des difficultés à entrer dans le marché du travail, bénéficieront de six trimestres validés gratuitement en début de carrière, contre quatre aujourd’hui. Les indemnités journalières que perçoivent les femmes au cours de leurs congés maternité seront prises en compte dans le calcul de leur pension de retraite. En outre, étant donné que la faiblesse des pensions des femmes est due avant tout aux inégalités salariales entre les hommes et les femmes, nous mettrons en œuvre des mesures incitant les entreprises à s’investir davantage dans la réduction de ces écarts salariaux. Enfin, la retraite des exploitants agricoles sera améliorée, grâce en particulier à l’assouplissement des conditions d’accès au minimum vieillesse.
Quatrième et dernier objectif, nous voulons renforcer la compréhension des règles de retraite, leur lisibilité étant un élément décisif de la confiance des Français. Dans la continuité des précédentes réformes, nous proposons la création d’un point d’étape retraite à 45 ans, pour permettre aux Français de faire le meilleur choix ; la transmission, dès l’entrée dans la vie professionnelle, de documents d’information générale sur le système de retraite ; la mise en place, dans tous les régimes, d’un relevé de carrière en ligne.
Telles sont les mesures que nous proposons pour rééquilibrer et pérenniser le modèle français de retraite par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations et à l’intérieur des générations. Cette réforme permettra aux caisses de retraite de renouer avec l’équilibre dès 2018. Les déficits accumulés d’ici cette date seront repris par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), à laquelle seront transférés en contrepartie les actifs du Fonds de réserve pour les retraites, qui a été créé pour cela.
M. Alain Vidalies. C’est un hold-up !
M. le ministre. Nous ne sommes pas dans l’idéologie : nous sommes dans le pragmatisme et la responsabilité.
M. le président Pierre Méhaignerie. Que chacun fasse preuve de modestie. Dois-je rappeler qu’avant 2003, personne ne s’inquiétait du sort des ouvriers qui avaient travaillé pendant quarante-cinq ans ?
M. Alain Vidalies. Et la retraite à 60 ans ? Il est vrai que vous ne l’avez pas votée !
M. le ministre. La réforme des retraites n’est ni de droite, ni de gauche. C’est une réforme responsable, parce que nous veillerons à assurer son succès sur le long terme : de nouvelles instances de pilotage seront chargées de préparer le rendez-vous sur les retraites de 2018, afin d’assurer l’équilibre du système des retraites après 2020. C’est une réforme absolument juste, parce qu’elle ne reporte pas tout l’effort sur les plus jeunes, mais le répartit équitablement entre tous les actifs.
De même qu’il y a des hommes et des femmes d’État, qui savent dépasser les calculs politiques pour s’intéresser à l’intérêt collectif de la Nation, il y a des réformes d’État : celle-ci en est une.
M. Denis Jacquat, rapporteur. Les dispositions du projet de loi sont conformes aux grandes orientations présentées par le Gouvernement le 16 juin dernier et je les soutiens entièrement.
Je souhaiterais néanmoins poser sept questions précises.
Quelles pistes de travail devons-nous privilégier sur le dossier de la pénibilité, sujet qui tient particulièrement à cœur au Président Méhaignerie ?
Concernant le veuvage précoce, nous sommes nombreux à souhaiter que le problème soit traité dès maintenant, sans attendre le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Partagez-vous ce souhait ?
S’agissant des polypensionnés, le Président de la République a indiqué qu’il souhaitait que nous allions plus loin. Quelles pistes privilégiez-vous ?
Que pensez-vous des améliorations et des simplifications proposées par certains députés concernant la retraite supplémentaire ?
Quelles solutions proposez-vous aux lourds problèmes de compensation que le statut de l’auto-entrepreneur pose au régime social des indépendants (RSI), comme à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAV-PL) ?
Concernant la possibilité de rachat des années d’études, la mise en œuvre de la réforme susciterait un certain nombre de difficultés. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le nombre de personnes concernées et sur les réponses envisagées ?
Enfin, êtes-vous favorable au projet de fusion des régimes complémentaires des artisans et des commerçants ?
M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la Commission des finances. Pour notre commission, déplacer le curseur de l’âge légal de départ à la retraite est la première mesure à prendre pour garantir la pérennité de notre système par répartition.
Les projections financières à horizon 2020 tiennent compte non seulement des dispositions du projet de loi portant réforme des retraites, mais également des mesures de recettes que vous proposerez à l’automne, dans le cadre du projet de loi des finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pouvez-vous nous détailler dès aujourd’hui ces mesures par régime, qu’il s’agisse des régimes de base ou des régimes complémentaires ?
Quelles seront globalement les modalités d’affectation aux régimes de retraite des nouvelles recettes ou des réductions de dépenses ? En particulier, quelles recettes seront affectées respectivement au Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et à la CNAV ?
S’agissant des pensions des agents de l’État, la contribution de l’État au compte d’affection spéciale Pensions sera gelée jusqu’en 2020, si l’on en croit le document annexé au projet de loi. Quel serait le trend de cette contribution, autrement dit sa progression naturelle si on ne tenait pas compte des mesures prises dans le cadre du projet de loi ? Le gel de la contribution de l’État est-il compensé par le relèvement du taux de cotisation des fonctionnaires et par les autres mesures d’économies prévues dans le champ des pensions de la fonction publique ?
Pouvez-vous également préciser le schéma qui sera retenu pour couvrir, d’une part les déficits cumulés du régime général et du FSV en 2009 et 2010 et d’autre part, les déficits de la branche vieillesse de 2011 à 2018 ? L’utilisation du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) me paraît logique dans la perspective d’un rééquilibrage des comptes sociaux qui ne pèse pas sur les générations futures.
Mme Valérie Rosso-Debord. Ne nous y trompons pas : l’enjeu de la réforme des retraites est bien d’assurer la pérennisation de notre système par répartition, qui a permis une réelle amélioration du niveau de vie des retraités et constitue un modèle de solidarité auquel nous sommes attachés. Je rends hommage au Gouvernement d’avoir privilégié une approche responsable et attentive à la situation de chacun.
L’allongement de la durée de la vie active constitue une dimension incontournable de la réforme. C’est une réalité partagée par l’ensemble des pays européens. Avec un âge légal de départ à la retraite fixé à 60 ans, la France est devenue une exception en Europe, où il est plus souvent fixé à 65 ans et va progressivement être porté à 67 ans.
Mais s’il est indispensable de travailler plus longtemps, il est tout aussi important de tenir compte des conditions de travail. C’est pourquoi le projet de loi prend en compte l’usure des salariés, en permettant à ceux qui ont une vie professionnelle plus dure de partir à la retraite plus tôt : pour eux, la retraite sera maintenue à 60 ans. Mais, ce texte encourage par ailleurs une approche préventive de la pénibilité, extrêmement novatrice. Cela suppose une plus grande implication de la médecine du travail et une meilleure gestion des carrières : je vous demanderai, monsieur le ministre, de détailler ce point. La réflexion sur la pénibilité doit promouvoir une approche prenant en compte la spécificité de chaque cas, de chaque parcours professionnel.
Enfin, pour les salariés qui ont commencé à travailler avant 17 ans, le dispositif « carrières longues » est maintenu. J’attache une grande importance à la préservation de ce dispositif, que la gauche a refusé de voter, alors qu’il concernera 100 000 personnes à l’horizon 2015.
Ce projet de loi est équilibré, il a su trouver un juste milieu entre l’urgence de faire face aux défis, démographique et financier, et la nécessité d’améliorer les dispositifs en vigueur. Une fois de plus, c’est notre majorité qui en prend l’initiative. Le groupe socialiste s’est toujours dangereusement abstenu de toute mesure susceptible de sauver notre système de retraite. Ce sera donc à nous de les prendre en 2010, comme nous l’avons déjà fait en 1993, en 2003 et en 2008. Le temps des responsabilités est venu : à chacun de prendre la sienne.
Mme Marisol Touraine. Je voudrais dire tout d’abord à quel point nous sommes choqués par les propos de ceux qui, comme le Président de la République hier, nous accusent de favoriser un climat délétère dans notre pays pour éviter de débattre de la réforme des retraites. De telles insinuations sont d’autant plus indignes que c’est la majorité qui ne cesse d’osciller entre deux attitudes contradictoires : alors que, fidèle à la stratégie de votre groupe, madame Valérie Rosso-Debord, vous nous reprochez de ne rien proposer, le Président de la République a contesté, hier, le bien-fondé de nos propositions : c’est bien la preuve que nous en avons.
Nous sommes évidemment prêts à une confrontation d’idées et de projets, et il serait légitime que vous y soyez également disposés. Mais, si la majorité aborde ce débat avec l’idée qu’elle seule connaît la bonne solution et que seule la réforme qu’elle propose est à même de résoudre le problème des retraites, nous allons au-devant de débats houleux. Il nous est quand même loisible, monsieur le président, tout en admettant la nécessité d’une réforme, de faire nos propositions et d’avoir notre avis sur les mesures qu’on nous présente. Il est insupportable de vous entendre prétendre que nous ne contribuons pas au débat public.
Il est tout aussi insupportable que vous tentiez de faire accroire à nos concitoyens que les Français vivraient dans je ne sais quel paradis social. Puisque vous citez des exemples étrangers, comparez ce qui est comparable. En France comme dans ces pays, l’âge de la retraite à taux plein est de 65 ans. Dans la plupart de ces pays, la durée de cotisation exigée est de 35 annuités, et non pas de 40 ou 41. Allez donc jusqu’au bout : ayez le courage de dire à nos concitoyens qu’aux termes de votre réforme, le système français sera le plus dur d’Europe. C’est d’ailleurs la teneur des propos de Mme Lagarde devant la presse économique. À l’en croire, les marchés peuvent dormir sur leurs deux oreilles : la France ira plus vite que l’Allemagne ou que le Royaume-Uni.
Vos propositions nous ont d’autant moins convaincus, monsieur le ministre, qu’elles sont strictement identiques à celles que vous aviez présentées il y a quelques semaines : on se demande à quoi aura servi la consultation des organisations syndicales. Il est vrai que le Président de la République nous a assuré qu’aucune opposition ni manifestation ne changerait un iota au fond de la réforme.
Votre projet est à la fois injuste, imprévoyant et inefficace. Il est injuste, parce qu’il fait reposer tout l’effort sur les salariés, en particulier sur ceux qui ont commencé à travailler jeunes ou qui ont eu une carrière hachée. La prise en compte de la pénibilité, que vous nous proposez, ne peut être considérée comme une avancée sociale : ce n’est rien d’autre que le droit pour les malades ou les invalides d’être reconnus comme tels, et cela existe déjà. Quant au dispositif prévu pour les carrières longues, il faudra, pour en bénéficier, avoir cotisé au moins 43 ans et demi. Autant dire qu’il ne s’agit pas non plus d’une grande avancée sociale.
Votre réforme est également imprévoyante. Comment prétendre qu’elle évitera de transférer la dette aux générations futures, alors que celles-ci seront les premières pénalisées par le hold-up que vous opérez sur le Fonds de réserve pour les retraites ? Avec les mesures que vous nous annoncez et celles que contiendra le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui prévoit l’allongement de la durée de vie de la CADES, le Gouvernement prélève les ressources destinées aux générations futures sans garantir le financement du système après 2018, alors qu’on attend à cette date un choc démographique extrêmement fort.
Enfin, la réforme est inefficace, puisque, par idéologie, par dogmatisme, vous refusez d’opérer des prélèvements sur les revenus du capital ou ceux des plus riches. Ce n’est pas avec des recettes de 4 milliards d’euros, dont deux prélevés sur les revenus d’entreprises, que vous parviendrez à l’équilibre. Par ailleurs, le tiers au moins du financement de la réforme nous est inconnu. C’est pourquoi je relaie la demande de Laurent Hénart : comme lui, je souhaite que vous nous transmettiez un tableau du financement prévu à l’horizon de 2020, voire après cette date, afin de comprendre comment vous gérerez dans la durée le déficit de la CNAV et des caisses de retraites.
Au nom du groupe socialiste, je regrette que le président de la Commission des affaires sociales et le Bureau aient refusé d’ouvrir à la presse nos débats en commission. Cependant, nous abordons la discussion dans un esprit constructif, qui tient non au projet du Gouvernement mais aux préoccupations des Français.
Nous souhaitons une réforme qui s’inscrive dans la durée, à l’horizon de 2025, et qui s’appuie sur un financement équilibré, ce qui suppose une mise à contribution significative des revenus du capital. Nous souhaitons aussi une réforme qui, sans faire l’impasse sur le travail ni sur l’emploi des seniors, propose des mesures raisonnables, comme l’allongement de la durée de cotisation et l’incitation, pour ceux qui le peuvent et qui le souhaitent, à travailler plus longtemps. C’est ce que nous appelons la retraite choisie. Là où la droite impose, les socialistes entendent privilégier la liberté de choix et l’incitation.
M. Roland Muzeau. Même si, jusqu’au dernier jour, le Gouvernement et le Président de la République ont manipulé l’opinion publique, la concertation n’a jamais eu lieu. Il suffit pour s’en convaincre de rencontrer les organisations syndicales. Les annonces distillées jour après jour n’ont servi qu’à conforter un projet décidé de longue date, malgré les engagements, d’ailleurs contradictoires, du Président Sarkozy. Celui-ci avait annoncé, en janvier 2007, que la réforme des retraites n’était pas à son programme. En mars 2008, il avait indiqué à Mme Parisot qu’il était hors de question qu’elle vienne en discussion avant la fin de son mandat. Les promesses n’engagent que ceux qui les entendent !
Votre projet, messieurs les ministres, ne vise qu’à répondre aux exigences de plus en plus fortes du monde de la finance et des agences de notation, qui, durant ces derniers mois, ont multiplié leurs oukases à l’adresse des puissances publiques. Il y a peu, vous avez assuré que certains points restaient ouverts à la discussion : la pénibilité, les carrières longues, le cas des polypensionnés. Or, aucune modification n’est intervenue dans ces domaines. De même, toutes les mesures contestées prévues pour les fonctionnaires ont été maintenues. Les Français doivent savoir que les sacrifices pèseront à 85 % sur les salariés, puisque le MEDEF a la main sur le dossier. D’ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, les syndicats de salariés ont rejeté en bloc la démarche du Gouvernement.
Hier soir, sur un ton aussi patelin que peu convaincant, le Président de la République a asséné sa vérité. À l’en croire, aucune autre solution que la sienne ne serait possible. Faute de pouvoir convaincre, il tente de faire entrer ce discours à coup de marteau dans la tête des Français. Or, on peut parfaitement maintenir le départ à 60 ans, sans retarder à 65 ans l’accès à la retraite à taux plein. Non seulement les députés communistes et du parti de gauche n’ont jamais refusé d’en débattre, mais ils ont déposé en ce sens une proposition de loi, en vue de réfléchir à une nouvelle répartition des richesses nationales. Nous en reprendrons les mesures sous forme d’amendements. Pour trouver de nouveaux financements, on peut soumettre à cotisation les revenus financiers des banques et des entreprises, et moduler les cotisations de celles-ci en fonction de leur politique en vue de développer l’emploi et de soutenir les salaires.
En ce qui concerne la pénibilité, la voie individuelle est scandaleuse et injuste, alors que l’examen des postes de travail serait une réponse collective. Pour certains métiers, il faut ouvrir le droit à la retraite avant 60 ans, afin de prendre en compte la pénibilité des tâches.
Quant aux femmes, dont le passage à la retraite augmente la paupérisation, comment de ne pas douter des nouvelles mesures en faveur de l’égalité salariale que vous nous promettez ? Après vingt-cinq ans d’action et cinq lois, rien n’a changé. L’égalité entre hommes et femmes n’existe ni pour la nature du travail ni pour sa rémunération, et la précarité reste majoritairement féminine.
Enfin, aucune mesure crédible ne peut être prise en matière de retraite, dès lors que l’emploi n’est pas soutenu par une politique publique et industrielle. Si vous occultez cet aspect du dossier, votre réforme s’avérera aussi inefficace que celle de 2003, et elle en appellera d’autres, porteuses, comme les précédentes, de nouvelles régressions.
M. Jean-Luc Préel. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la réforme des retraites est indispensable pour sauvegarder notre système par répartition, du fait du papy-boom et de l’allongement de la durée de vie. Le Nouveau Centre salue votre courage. Vous vous êtes attelé à une réforme que, par le passé, d’autres n’ont pas voulu mener à bien. Elle devrait susciter un consensus, comme toutes celles visant à repousser l’âge de la retraite, qui ont été prises dans les pays confrontés aux mêmes problèmes que nous.
Il n’est pas choquant d’utiliser le Fonds de réserve pour les retraites pour financer la période de 2010 à 2018, puisque celui-ci a été créé précisément pour résorber les déficits.
Après avoir été quelque peu dubitatif, le Nouveau Centre approuve votre choix. Cependant, nous aimerions recevoir l’assurance que nous pourrons faire adopter des amendements, comme l’a annoncé le Président de la République.
Par ailleurs, pourquoi ne pas avoir saisi l’occasion de la réforme pour simplifier les trente-huit régimes de retraite et passer à un régime unique géré par les partenaires sociaux ? Vous auriez pu ainsi prévoir l’extinction des régimes spéciaux, la création d’une caisse de retraite des fonctionnaires, l’alignement de la période prise en compte des six derniers mois aux vingt-cinq meilleures années, tout en intégrant les primes dans le calcul de la pension, puisque, dans le cadre d’une réforme des retraites, il faut respecter le principe d’équité, auquel les Français sont très attachés.
Je m’interroge également sur l’hypothèse d’un retour à l’équilibre financier en 2018, qui me semble optimiste. Il me paraîtrait judicieux de proposer quelques recettes supplémentaires en plus de celles que vous prévoyez. Le Nouveau Centre s’y emploiera.
Par rapport au Conseil d’orientation des retraites, quel sera le pouvoir du comité de pilotage que vous créez, et quelles seront ses missions ?
Sera-t-il possible de prendre en compte les vingt-cinq meilleures années des polypensionnés, qui sont actuellement pénalisés, puisqu’ils perçoivent des retraites minorées ?
Bien que, dans les autres pays, le problème de la pénibilité ne soit pas traité par les régimes de retraites, Francis Vercamer préconise, dans un rapport remarquable, la création d’un observatoire de la pénibilité. Envisagez-vous de le créer et de définir ses missions ? Il serait dommageable de repousser l’âge de départ à la retraite sans se préoccuper de cette question ni prendre en compte l’exposition aux risques et à certains produits.
Enfin, allez-vous améliorer les pensions de réversion et prolonger l’allocation de veuvage ? Dès lors que la condition d’âge a été rétablie pour la pension de réversion, l’allocation veuvage mérite, sans doute, d’être pérennisée et son taux d’être amélioré.
M. le président Pierre Méhaignerie. Je souhaite que, même s’il est passionné, le débat reste sérieux et responsable. Je vous invite donc, mes chers collègues, à écouter les orateurs. Quant à vous, monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir laissé ouvert le débat sur la pénibilité, qui est essentiel. Le texte prévoit actuellement qu’une personne sur six pourra partir en retraite à 60 ans, sinon plus tôt. Ce sera le cas de plus de 100 000 personnes sur les 700 000 à 800 000 départs prévus. Reste à savoir s’il faut aller au-delà pour ceux qui ont commencé à travailler après 18 ans dans un métier pénible.
Quoi qu’il en soit, aucune position ne doit être caricaturée. Je rappelle aux députés de l’opposition que, en 2001 et en 2002, certains ouvriers travaillaient quarante-cinq ou quarante-six ans avant de pouvoir partir en retraite. D’autre part, je rappelle – parce que les bonnes intentions se heurtent parfois à la réalité – que c’est entre 1983 et 1987 que la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé le plus fortement. Voilà qui devrait nous inciter tous à une certaine modestie.
M. le ministre. Mon collègue Georges Tron répondra aux questions ayant trait à la fonction publique.
Monsieur Jacquat, l’assurance veuvage a été prolongée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Nous poursuivrons la politique qui a été menée dans ce sens, en sachant que vous êtes attentif à ce dossier.
La médecine du travail est un point clé de la réforme des retraites. J’avais d’ailleurs envisagé de traiter les deux sujets dans le même texte, mais cela aurait sans doute compliqué les choses. Quoi qu’il en soit, on ne peut parler de retraite ni de pénibilité si l’on ne traite pas des conditions de travail, qui, en France, peuvent encore être considérablement améliorées. Nous rédigerons donc un texte en vue de réformer la médecine du travail. Récemment, j’ai rencontré des médecins dans cette perspective, mais peut-être faudrait-il créer des équipes pluridisciplinaires, comprenant aussi des ergonomes et des psychothérapeutes. Tous les services de médecine du travail n’ont pas évolué au même rythme. À certains endroits, il n’en existe pas du tout. En outre, leur rôle ne doit pas se limiter à organiser des visites médicales. Il faut aussi analyser les postes de travail. Dans ce domaine, on constate beaucoup d’inégalités et une réforme de fond doit être menée. Aujourd’hui, deux médecins du travail sur trois ont plus de cinquante ans. Il y a donc une crise de recrutement à régler. On ne disposera d’aucun outil de traçabilité en matière de pénibilité si l’on ne modernise pas ce secteur.
Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, l’État ne compense plus les cotisations des auto-entrepreneurs dont l’activité est inférieure à 200 heures de SMIC, ce qui a réduit fortement les charges de compensation de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales. Cependant, nous sommes prêts à aller plus loin sur le sujet.
Beaucoup d’entre vous se sont exprimés sur la question de la pénibilité, qui est un point essentiel de la réforme. Je regrette que certains aient caricaturé notre position. Pour la première fois, nous créons un lien entre la retraite et la pénibilité, qui sera prise en compte à hauteur de 20 %. C’est d’abord aux médecins qu’il reviendra de se prononcer : dès lors qu’ils constateront une usure physique prématurée, en lien avec l’activité professionnelle, il sera possible à l’intéressé de prendre sa retraite plus tôt. Cette mesure s’inscrit dans le cadre bien connu de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles, car notre but n’est pas de créer une usine à gaz, mais de partir sur des bases objectives. Cela dit, on peut sans doute aller plus loin.
Certains d’entre vous ont regretté que le texte n’ait pas évolué depuis un mois. Comment s’en étonner ? Conformément à ce qui était prévu, nous avons rencontré tous les partenaires sociaux dans des réunions techniques. À partir de septembre, quand commencera la discussion du texte, des évolutions pourront intervenir, notamment sur la prise en compte de la pénibilité. Les partenaires sociaux ont beaucoup travaillé sur le lien entre l’âge de la retraite et l’usure liée à l’exercice d’un métier. Ils ont détaillé les facteurs d’exposition aux risques. Reste qu’il ne suffit pas de prendre en compte ces données pour le passé, en les intégrant au calcul de la retraite. Il faut prévoir, à l’avenir, des dispositifs de traçabilité plus forts.
Monsieur Jacquat, vous m’avez interrogé sur la situation de ceux qui ont racheté des trimestres avant la réforme. Pour ma part, je suis favorable à ce qu’ils soient remboursés, s’ils ne peuvent en retirer le bénéfice escompté.
Sur le régime social des indépendants et la fusion des régimes complémentaires des artisans et des commerçants, je suis sensible à vos arguments. C’est un sujet que nous examinerons.
La question des polypensionnés est délicate. Une partie du chemin a été faite en 2003. Faut-il aller plus loin ? C’est surtout une question de moyens, puisque nous devons respecter l’équilibre général de la réforme, qui doit être atteint en 2018. Nous verrons à la fin de l’été si nous pouvons aller plus loin.
Monsieur Hénart, vous m’avez interrogé sur les conditions générales du bouclage. Un report de deux ans de l’âge légal de départ en retraite représente 9 milliards d’euros pour la CNAV ; 2,1 milliards d’euros pour la fonction publique d’État ; et 2,3 milliards d’euros pour la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). Par ailleurs, il faudra procéder à un équilibrage des différents régimes. À cette fin, nous avons saisi toutes les caisses et nous vous présenterons à la rentrée une proposition.
Quant à l’affectation des recettes, c’est une question de tuyauterie. La somme, légèrement supérieure à 4 milliards d’euros en 2020, soit 3,7 milliards en 2011, servira intégralement à financer les retraites, mais un partage interviendra entre le Fonds de solidarité vieillesse et la CNAV, afin d’améliorer les résultats de celle-ci et de consolider les financements solidaires qui interviennent au sein du FSV. Ce point devra être précisé, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter à cet égard.
À l’égard du Fonds de réserve pour les retraites, je ne comprends pas la position des députés socialistes. Ce fonds n’a pas à susciter en eux je ne sais quelle nostalgie. C’est un instrument technique, qui a été créé afin d’absorber une « bosse », c’est-à-dire un surcroît de départs en retraite à partir de 2020. Depuis sa création, une réforme des retraites est intervenue : dès lors que l’âge de départ en retraite est reporté de deux ans, l’effet de bosse est en partie traité.
Par ailleurs, le fonds a accumulé 33 milliards d’euros de réserve, somme inférieure à la totalité des dettes cumulées par la CNAV et le FSV depuis 1999. Tous les pays qui ont créé des fonds de ce type l’ont fait à une époque où ils dégageaient des excédents, dans le but de les utiliser pendant les périodes de déficit. Dès lors que nous avons vingt ans d’avance sur les déficits en points de PIB, il est logique de l’utiliser. Il n’y a pas lieu de parler de hold-up, c’est un débat technique. Si nous n’utilisions pas le fonds de réserve, les déficits accumulés entre 2011 et 2018 seraient financés par la dette, c’est-à-dire qu’ils seraient payés par les générations suivantes, ce qui serait injuste. D’ailleurs, la première personne à avoir effectué une ponction sur le fonds est Mme Martine Aubry, qui, aussitôt après la création de celui-ci, l’a utilisé pour financer les 35 heures !
Quant à la retraite choisie, cette notion existe déjà en France. Il est prévu une date d’entrée dans les droits, et une autre à partir de laquelle on peut exercer ces droits sans décote, quelle que soit la durée de cotisation. Aujourd’hui, ces seuils sont respectivement de 60 et de 65 ans ; à partir de 2018, la retraite sera choisie entre 62 et 67 ans. Si quelqu’un veut continuer à travailler, il bénéficie d’une surcote ; s’il veut partir à 60 ans sans disposer de tous ses trimestres, il subit une décote. Il s’agit donc bien d’une retraite « à la carte », valable pendant une période donnée.
Il est par ailleurs logique qu’une telle période soit fixée. Alors que dans un régime par capitalisation, on peut partir en retraite quand on le veut, dès lors que le contrat le permet, dans un régime par répartition, il est normal que les générations suivantes – dans la mesure où elles paient les pensions – vous donnent, au moment où elles le jugent légitime, l’autorisation de liquider votre retraite. C’est bien sur ce point, que se joue le débat sur la solidarité entre les générations.
Monsieur Muzeau, ce n’est pas parce que le texte ne fait pas l’unanimité, notamment à gauche, qu’il n’y a pas eu de concertation. Celle-ci a duré deux mois et demi, et a donné des résultats intéressants, en matière par exemple de pénibilité, de carrières longues ou d’âge. En revanche, il n’y a eu – la notion est différente – aucune négociation : les partenaires sociaux n’y étaient pas prêts, parce qu’ils refusaient les mesures d’âge. Le Parti socialiste a eu d’ailleurs la même attitude, ce qui est son droit – même si nous pensons qu’il a profondément tort. Quoi qu’il en soit, il est difficile de négocier quoi que ce soit avec des gens qui refusent l’idée selon laquelle la notion d’âge intervient en matière de retraite.
En ce qui concerne l’égalité professionnelle, il est vrai qu’en dépit du grand nombre de textes adoptés, les choses n’ont pas vraiment évolué. Le fait que, à travail et à responsabilités égaux, les femmes soient moins bien payées que les hommes, est un véritable scandale social. L’écart s’est un peu réduit, mais il reste conséquent. J’ai donc l’intention de prendre des mesures fortes sur ce sujet dans les mois qui viennent – mais pas à l’occasion du texte sur les retraites, dans lequel on ne peut pas tout mettre.
Par principe, monsieur Préel, les amendements sont naturellement possibles, et vous n’avez nullement besoin de mon accord pour en déposer.
Pourquoi n’avoir pas fait le choix d’un système par points, ou en comptes notionnels ? Tout d’abord, un tel système ne permet pas de résorber les déficits. Quand on prévoit un déficit de plus de 40 milliards d’euros dans les dix ans à venir, ce n’est pas un changement de système qui peut résoudre le problème. On cite toujours l’exemple des Suédois, mais ceux-ci viennent justement de baisser de 3 % le montant des pensions. C’est leur variable d’ajustement. Il en est de même pour le système allemand, madame Touraine : les 35 années de cotisations en Allemagne ne sont pas équivalentes aux 41 années de cotisations en France, car il n’existe pas là-bas les majorations de durée d’assurance que nous avons ici. On ne peut donc pas faire cette comparaison.
Mme Marisol Touraine. Pourquoi pas ?
M. le ministre. En Allemagne, on peut partir à la retraite après trente-cinq ans de cotisations, mais seulement à partir de 63 ans, et en subissant une lourde décote. L’entrée dans un système d’assurance à taux plein ne se fait pas avant l’âge de 65, 66 ans, et bientôt de 67 ans.
Mme Marisol Touraine. Comme chez nous !
M. le ministre. Pas du tout ! Vous ne pouvez pas mettre sur le même plan les systèmes allemand et français, qu’il s’agisse de l’âge d’ouverture des droits à la retraite, de la décote ou du nombre d’années de cotisations nécessaires. En effet, les durées de majoration ne sont pas calculées de la même manière.
En ce qui concerne nos prévisions, ce sont aussi celles du Conseil d’orientation des retraites (COR). Dans ce domaine, on doit se garder d’être catastrophiste – il n’y aurait aucun sens, par exemple, à prolonger sur dix ou quinze ans les tendances actuelles en matière de chômage – ou de se montrer trop optimiste, au risque de rester dans le domaine du rêve. Nous avons donc repris les prévisions du COR, qui sont loin d’être irréalistes. Deux ans avant la crise, le taux de chômage tendait à se réduire. Il est donc tout à fait possible – heureusement !– que ce taux redescende à 6 % vers 2018 et que l’on connaisse le plein-emploi vers 2024. De même, il n’est pas absurde de prévoir que la productivité va augmenter de 1,8 %. Évidemment, si les résultats se révèlent moins bons, cela n’aura pas seulement des conséquences sur l’équilibre du système de retraite mais sur l’ensemble des finances publiques.
Le comité de pilotage est un aspect important de la réforme, car notre système de retraite n’est pas suffisamment piloté à l’heure actuelle. En particulier, les rapports avec les partenaires sociaux restent faibles, et n’ont lieu que lorsqu’une réforme est envisagée. Il serait souhaitable que le Gouvernement et les partenaires sociaux se rencontrent régulièrement pour faire le point sur l’état d’avancement des réformes et pour préparer les rendez-vous importants. Plus on dédramatisera les modifications et ajustements dont notre système de retraite a besoin, mieux ce sera.
J’ai déjà répondu concernant l’allocation veuvage. S’agissant de la pénibilité, c’est un sujet sur lequel nous travaillons. Nous verrons en septembre si nous pouvons présenter de nouvelles propositions dans ce domaine.
M. Georges Tron, secrétaire d’État chargé de la fonction publique. Concernant le gel de l’effort financier de l’État au financement du régime de retraite des fonctionnaires, nous nous fondons, monsieur Hénart, sur la convention de calcul établie par le COR. Après avoir mesuré l’écart entre l’année 2000 et l’année 2010, qui est de 15 milliards d’euros, le Conseil a fait une projection jusqu’aux années 2020, estimant que le besoin de financement augmenterait de 5 milliards d’euros entre 2010 et 2020. Les mesures proposées par le projet de loi permettront de rétablir l’équilibre, puisque nous attendons, sur la base des mesures d’âge et des trois mesures ponctuelles, une économie de 4 milliards d’euros en 2018 et de 4,9 milliards d’euros en 2020.
En ce qui concerne la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), le redressement est encore plus spectaculaire. Aujourd’hui, elle connaît un solde technique positif de 1,9 milliard d’euros, mais d’après les projections, ses résultats seraient déficitaires à partir de 2015, avec le départ en retraite des fonctionnaires transférés. Le déficit atteindrait même 1,3 milliard d’euros en 2020. Avec les mesures que nous proposons, ce solde resterait positif en 2020, avec un excédent de 2,6 milliards d’euros. Ainsi, non seulement nous gelons la contribution de l’État aux pensions de ses agents, mais nous faisons aussi tout ce qui est nécessaire pour renforcer le bilan de la CNRACL.
Nos propositions, monsieur Muzeau, s’inscrivent dans une recherche de l’équité, en particulier de celle réclamée par nos concitoyens entre le régime du public et le régime du privé. C’est pourquoi, au-delà des mesures d’âge, qui s’appliqueront de manière universelle – sauf pour les régimes spéciaux, qui ne seront concernés qu’à partir du 1er janvier 2017 –, nous avons prévu trois mesures : augmentation du taux de la cotisation salariale, extinction du dispositif de départ anticipé des parents de trois enfants ayant quinze ans de service, modification du minimum garanti.
Pour ce qui est du taux de cotisation, sa progression sera extrêmement lente : l’alignement se fera en dix ans, et il en résultera pour les agents une augmentation de 6 euros en moyenne de leur contribution. En outre, l’examen de la rémunération moyenne des personnes en place entre 2000 et 2010 montre que, quelles que soient les circonstances, cette augmentation sera rapidement absorbée par celle du pouvoir d’achat. En effet, entre 2000 et 2010, lors des trois années – 2000, 2004 et 2006 – où une augmentation du point d’indice égale à celle que nous avons décidée en 2010, soit 0,5, a été appliquée, on a observé une augmentation du pouvoir d’achat dans la fonction publique de respectivement 2,4 %, 1,8 % et 1,7 %. Même en retenant la seule année – 2003 – où il y a eu 0 % d’augmentation du point d’indice, on constaterait malgré tout une augmentation du pouvoir d’achat des fonctionnaires de l’ordre de 1,8 %. D’ailleurs, lors de nos discussions avec les organisations syndicales – qui, évidemment, n’étaient pas favorables à cette mesure –, nous avons posé cette question très simple : pour un montant de pension moyen à peu près similaire dans le public et dans le privé, existe-t-il une raison de maintenir un écart entre les coûts d’acquisition ? Nous sommes convenus que tel n’était pas le cas.
S’agissant du mécanisme de départ anticipé pour les fonctionnaires réunissant les deux conditions – quinze ans de services effectifs et parent de trois enfants –, je rappelle que nous laissons aux familles la possibilité d’en bénéficier jusqu’à la fin de l’année 2011. En outre, l’extinction du dispositif sera progressive : les personnes remplissant les conditions à la date du 1er janvier 2012 conserveront la possibilité de partir après quinze ans de service. Il ne s’agit donc pas d’une mesure particulièrement brutale.
Enfin, en ce qui concerne le minimum garanti, la réforme tend également à établir l’équité. À l’heure actuelle, en effet, les conditions d’obtention du minimum de pension sont très différentes dans le privé et dans le public : il faut le taux plein pour bénéficier du minimum contributif, mais pas pour obtenir le minimum garanti. Cependant, conformément à la promesse que nous avons faite, nous n’alignons pas le montant du minimum garanti sur celui du minimum contributif. Le dispositif reste donc, là encore, assez mesuré.
À partir du moment où nous sommes tous d’accord – je pense en effet que nous pourrions l’être – sur la nécessité de faire converger les régimes du secteur public et du secteur privé, les mesures que nous proposons apparaissent justes et sans excès. Si, cependant, elles vous apparaissent critiquables, monsieur Muzeau, je suis prêt à écouter les propositions que vous pourriez être conduit à faire pour aller vers cette convergence voulue par les Français. C’est justement l’un des sujets sur lesquels nous allons travailler pendant l’été.
On peut toujours penser, monsieur Préel, qu’une réforme systémique était possible, mais nous avons fait le choix d’une réforme paramétrique.
Vous avez évoqué l’harmonisation du calcul de la retraite entre le secteur privé et le secteur public et la prise en compte des primes. Les chiffres fournis par le COR montrent que la pension versée est approximativement du même montant, que son calcul soit effectué en prenant en compte les six derniers mois, comme dans la fonction publique, ou en retenant les vingt-cinq meilleures années, comme dans le privé. Si nous avions constaté des écarts très importants, nous aurions pu choisir la logique de l’alignement – même si les organisations syndicales nous ont signalé à plusieurs reprises qu’elles jugeaient une telle réforme difficile à accepter, car attentatoire au statut de la fonction publique et au code des pensions. Mais dans la mesure où les pensions sont comparables, nous n’avons pas jugé utile de lancer un chantier aussi vaste, d’autant – et vous le soulignez vous-même – que cela supposerait de modifier toutes les règles d’inclusion des primes dans l’assiette de la pension. Alors que la situation est déjà complexe – avec la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), une partie des primes représentant jusqu’à 20 % du traitement indiciaire est incluse dans le dispositif –, il aurait fallu adopter un mode de calcul radicalement différent.
Je rappelle, en outre, qu’il existe plus de 1 800 primes différentes dans la fonction publique de l’État, et que le système de primes est également extraordinairement complexe et divers dans la fonction publique territoriale. Nous souhaitons donc d’abord harmoniser le dispositif général des primes, notamment en introduisant la prime de fonction et de résultats. Celle-ci existe déjà, mais sera généralisée, suite à l’adoption de la loi du 5 juillet dernier relative à la rénovation du dialogue social, dans les filières sociales et techniques de la fonction publique, ainsi que dans la fonction publique territoriale et hospitalière.
Vous avez également suggéré la création d’une caisse de retraites des fonctionnaires. Permettez-moi de poser la question : qu’est-ce qui pourrait justifier une telle option ? En particulier, quel serait l’avantage d’une caisse de retraite par rapport au compte d’affectation spéciale existant ?
Sur le plan de la transparence, l’utilisation d’un compte d’affectation spéciale permet d’obtenir toutes les informations dont on a besoin. En particulier, elle met en exergue l’évolution de la contribution de l’État employeur, qui est aujourd’hui de 62,15 %. Elle permet également de connaître le montant des différentes contributions. Ainsi, l’État versera 35,2 milliards d’euros en 2010 pour équilibrer le régime des pensions. La contribution de 7,85 % versée par les fonctionnaires à leur régime de retraite rapporte 4,6 milliards d’euros ; celle des autres employeurs publics – La Poste et France Télécom –, 5,6 milliards d’euros ; et la compensation interrégime est de l’ordre de 1 milliard d’euros. La seule donnée qui pourrait manquer concerne les frais de gestion, mais ceux-ci sont indiqués dans les documents de la Direction générale des finances publiques. De plus, le compte général de l’État ne se contente pas d’estimer le montant des versements de l’année en cours, mais rend également compte de l’ensemble des droits déjà validés pour les fonctionnaires. En 2010, les engagements de l’État dans son bilan s’élèvent, comme vous le savez, à près de un milliard d’euros. Ainsi, nous pouvons penser qu’en matière d’information, une caisse de retraite n’apporterait rien de plus que le compte d’affectation spéciale.
Par ailleurs, une caisse de retraite serait dotée de la personnalité juridique et d’un conseil d’administration. Or, les organisations syndicales, avec lesquelles j’ai bien entendu ouvert la discussion à la demande d’Éric Woerth, ont prévenu que, dans le cas où une caisse de retraite autonome serait créée, elles ne souhaitaient pas y être directement présentes. Les représentants de l’État auraient donc été les seuls à siéger au conseil d’administration, ce qui serait apparu peu efficace. C’est un argument supplémentaire en faveur du maintien d’un compte d’affectation spéciale.
M. Arnaud Robinet. Je rends hommage à notre ministre pour la qualité de son projet de loi. N’en déplaise à l’opposition, il s’agit de la plus grande réforme des retraites que la France ait connue, et elle mérite donc autre chose que la caricature.
Cette réforme est juste et équitable, et porte une avancée sociale, la prise en compte de la pénibilité. Pourtant, le Parti socialiste s’oppose à cette mesure, de même qu’il s’était opposé, en 2003, au dispositif des carrières longues.
L’objectif est bien sûr de sauver le système par répartition. Or, dans la mesure où celui-ci repose essentiellement sur la démographie, il est naturel d’opter pour une solution démographique : le recul de 60 à 62 ans de l’âge de départ à la retraite.
Je rappelle, par ailleurs, à notre collègue Marisol Touraine qu’en France, le taux plein existe à 60 ans, et que deux tiers des Français en bénéficient avant 65 ans.
Vous avez déjà répondu, monsieur le ministre, à une partie des questions que je souhaitais vous poser, notamment sur les avancées possibles en matière de pénibilité ou sur les polypensionnés. Quel dispositif pourrait être créé concernant la retraite supplémentaire ? Comment rendre l’épargne retraite accessible à l’ensemble des salariés français ? Est-il possible de poursuivre la réflexion sur l’opportunité de réaliser une réforme systémique après 2018 ou 2020 ?
M. Christophe Sirugue. Une des appréciations essentielles que nous portons sur ce projet est son aspect injuste. J’en donnerai deux exemples, illustrant notamment les conséquences de votre projet sur les personnes en situation de précarité.
Les jeunes, tout d’abord. Comme vous le savez, l’entrée sur le marché du travail est particulièrement difficile en France où la stabilisation y est la plus longue : entre sept et dix ans. Selon un récent rapport, 60 % des jeunes de moins de trente ans ne disposent pas d’un emploi stable. On peut craindre pour eux que les mesures que vous proposez n’aient aucune incidence positive pour eux. En 2003, une réforme des retraites avait déjà eu lieu, qui devait résoudre tous les problèmes en échange des efforts consentis. Sept ans plus tard, cette promesse est remise en question. Les jeunes d’aujourd’hui devront-ils subir dans quelques années une nouvelle réforme destinée à répondre à leur situation ?
Une autre catégorie exposée est celle des chômeurs en fin de droits ou des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Ces personnes sont déjà fragilisées par la précarité et par un dispositif, le RSA, dont on peut d’ores et déjà constater le faible développement. Or, contrairement aux demandeurs d’emploi de longue durée bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), les demandeurs d’emploi en fin de droits qui bénéficiaient de l’aide exceptionnelle prévue dans le cadre du plan Rebond pour l’emploi ou du RSA n’acquièrent pas de trimestre validé d’assurance vieillesse pour l’assurance de base. Que prévoit votre projet de loi pour ces personnes, qui risquent de n’avoir que des miettes lorsqu’elles feront valoir leur droit à la retraite ?
Mme Marie-Christine Dalloz. Je souris lorsque j’entends Marisol Touraine affirmer que les propositions des députés du groupe UMP sont en conformité avec celles du Gouvernement. Je n’ai pas entendu, au sein de l’opposition, d’autres propositions que celles provenant de la rue de Solferino !
Pendant l’intervention de mon collègue de l’UMP à l’instant, j’ai entendu certains dénoncer l’utilisation d’éléments de langage. Mais si un tel reproche peut être fait, il devrait plutôt s’appliquer à l’opposition qui ne cesse de marteler un seul et même argument – qu’elle ne va pas manquer de répéter pendant tout l’examen du projet de loi –, à savoir que la réforme des retraites serait injuste ! Or, cette réforme est juste parce qu’elle est équitable et, surtout, parce qu’elle garantit le grand principe de la solidarité intergénérationnelle. N’est-ce pas d’ailleurs justement cet élément qui gêne profondément l’opposition ?
Je remarque par ailleurs que, pour la première fois en France, on aborde la notion de pénibilité dans un texte de loi. Il est dommage qu’en son temps, l’opposition ne l’ait pas considérée comme une priorité ! C’est bien une majorité UMP qui va introduire la reconnaissance individuelle de la pénibilité.
Et de grâce, arrêtez de faire l’amalgame entre invalidité et incapacité permanente à un taux fixé par décret. Ce n’est pas la même chose ! Une incapacité de 20 %, par exemple, n’est pas une invalidité définitive et totale. Avec ce mauvais procès, vous prenez les Français en otage.
M. Jacques Domergue. Les Français ont compris que nous souhaitions réformer les retraites sur la base de l’équité. La réforme ne sera donc acceptée que si cette équité est incontestable.
De même, ils ont compris que la question démographique était au fondement de la réforme des retraites, dès lors que l’on ne veut pas toucher aux pensions ni au taux de cotisation.
Il existe deux points sur lesquels, en tant que parlementaires, nous serons conduits à garantir le mieux possible une certaine équité : les régimes spéciaux et la pénibilité.
La réforme des régimes spéciaux date de 2008 et, depuis, une crise est survenue. Même si une convergence est prévue à partir de 2017, les Français comprendraient mal qu’aucune modification de ces régimes ne soit prévue pour tenir compte des nouvelles circonstances. Le rôle du Parlement sera donc de veiller à ce que toutes les catégories de Français soient concernées par la réforme.
Concernant la pénibilité, mes propos risquent d’être un peu dissonants. Vous souhaitez, monsieur le ministre, que son évaluation se fasse sur des critères objectifs. Il serait, en effet, très difficile d’entrer dans le détail des différents métiers : quel Français, aujourd’hui, ne prétend pas que son métier est pénible ? Cependant, l’incapacité n’est pas le meilleur critère à retenir pour définir la pénibilité, sous peine de négociations difficiles avec la médecine du travail et des contentieux. Nous devons travailler à mettre l’équité au cœur de la réforme des retraites.
M. Michel Issindou. Monsieur le ministre, vous avez au moins évolué sur un point : vous avez enfin reconnu que les socialistes avaient des propositions à formuler. Cependant, si vous assumez votre projet avec force et conviction, vous répétez en boucle les mêmes arguments sans entendre les nôtres, que nous vous exposerons donc en commission, puis, à l’automne, dans l’hémicycle.
N’en déplaise à Marie-Christine Dalloz, je persiste à penser que votre projet est injuste. Ainsi, 85 % ou 90 % de son financement seront assurés par les salariés, alors que le projet socialiste prévoit de demander à ceux qui en ont les capacités de contribuer davantage. Vous prévoyez, certes, que 4,4 milliards d’euros, sur 45 ou 50 milliards, seront prélevés sur les riches, mais cela ne représente qu’une élévation d’un point du taux maximal – de 40 % à 41 % –, ce qui fait sourire. Vous auriez au moins pu augmenter de 5 ou 10 points : cela aurait fait des recettes supplémentaires.
Vous devriez cesser d’employer le terme de « pénibilité », car vous ne la prenez en compte que s’il y a invalidité – ce n’est, au fond, pour vous, qu’anticiper sur une retraite pénible ! Ce n’est pas sérieux.
Quant aux carrières longues, les salariés qui ont commencé à 14 ou 15 ans, que vous citez sans cesse, sont bien peu nombreux, car il y a déjà longtemps que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Pensez plutôt à ceux qui commencent à 18 ans, et qui travailleront bien jusqu’à 62 ans.
Allez donc voir sur le terrain ce que c’est que des travaux pénibles
– comme je l’ai fait récemment en allant visiter une forge à Voiron, dans l’Isère. Pour les salariés concernés, le fait de partir à 60 ou à 62 ans fait une vraie différence, qui les inquiète même s’ils sont aujourd’hui en bonne santé.
À quoi bon, par ailleurs, repousser l’âge du taux plein à 67 ans si, comme vous l’affirmez, personne ne travaille jusqu’à cet âge ? Supprimez donc cette provocation supplémentaire et restez-en à 65 ans.
Enfin, votre réforme est inefficace, car elle sera à refaire en 2018, alors même qu’on nous avait promis que celle de 2003 vaudrait pour deux ou trois générations. Vous laissez à la CADES une charge de dette insupportable et vous avez ponctionné le Fonds de réserve pour les retraites, qui était destiné à passer la bosse de 2020 – mais vous semblez vous soucier bien peu de ce qu’il adviendra après 2018.
Votre projet suscite donc chez les Français une grande déception. Ils vous l’ont dit, mais vous ne l’entendez pas. Ils vous le rediront – peut-être encore plus fort – au mois de septembre et j’espère que vous les entendrez mieux.
M. Guy Malherbe. Le Médiateur de la République a récemment attiré l’attention sur trois mécanismes du système de retraite des fonctionnaires qui soulèvent des problèmes. Ces questions ont-elles été pris en compte dans le projet de loi ? Le cas échéant, des avancées seront-elles possibles lors du débat sur le texte ?
Tout d’abord, à la différence de ce qui a cours pour les autres régimes, la pension de réversion des veuves et veufs de fonctionnaires n’est pas répartie sur les autres ayants droit lors du décès du conjoint survivant, mais cette part est récupérée par l’État. Le médiateur propose de supprimer cette inégalité de traitement, dont rien ne justifie l’existence.
Par ailleurs, il semble que tous les fonctionnaires ne puissent pas bénéficier de la bonification d’un an accordée aux parents d’enfants nés avant le 1er janvier 2004 – c’est notamment le cas des hommes, des enseignantes ayant accouché durant les vacances d’été, qui n’ont donc pas pris de congé de maternité, et des mères adoptantes, qui ont eu un congé de deux mois ou d’une durée inférieure. Le médiateur propose de rétablir ce droit à bonification.
Enfin, la possibilité dont disposent les fonctionnaires à temps partiel de cotiser sur la base d’un temps plein, limitée à quatre trimestres pour l’ensemble de la carrière, est inférieure à celle dont disposent les salariés affiliés au régime général et laisse à la charge de l’agent 80 % des cotisations salariales. Le médiateur propose de supprimer cette limitation à quatre trimestres, sans modifier la charge financière.
M. Michel Heinrich. J’ai été surpris de l’agressivité de nos collègues de l’opposition et je regrette qu’ils n’aient pas davantage soutenu les mesures que nous avons prises en faveur, par exemple, des petites retraites, en revalorisant de 25 % le minimum vieillesse, ou pour revaloriser les pensions de réversion et les retraites agricoles.
Je tiens à saluer la qualité du projet de loi, qui sauvegarde réellement notre régime de retraite par répartition avec des mesures d’âge bien moins drastiques que dans la quasi-totalité des pays européens et avec l’attention portée à la pénibilité – progrès qui vient s’ajouter à la prise en compte également des carrières longues instaurée en 2003 et améliorée aujourd’hui par l’extension aux salariés qui débutent leur carrière à 17 ans. La notion de pénibilité obligera certainement les employeurs et les partenaires sociaux à mieux travailler, à mieux écouter et à mieux suivre le parcours professionnel des salariés dans l’entreprise. À cet égard, le carnet de santé est un bon dispositif de traçabilité. Il faudra améliorer l’organisation de la santé au travail. Nous formulerons des propositions en la matière et serons à l’écoute des vôtres.
Les convergences des régimes ne soulèvent guère de contestation. Pouvez-vous toutefois nous expliquer votre prudence quant au dispositif de réversion, que vous ne semblez pas avoir voulu modifier, alors qu’il existe de grandes différences en la matière entre le public et le privé ?
Enfin, n’eût-il pas été judicieux d’aligner les cotisations à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales, qui ne représentent que 85 % du plafond pour le régime de base, sur le taux qui s’applique aux commerçants et artisans ? Du reste, les auditions auxquelles nous avons procédé semblent indiquer que les intéressés y seraient plutôt favorables.
Mme Martine Billard. Quand disposerons-nous du texte du projet de loi afin de pouvoir déposer des amendements avant l’examen du texte en commission mardi prochain ?
Par ailleurs, quand aura lieu le débat dans l’hémicycle ? En effet la date du 7 septembre a été annoncée, mais le Président de la République évoquait, hier, celle du 6 septembre.
M. le président Pierre Méhaignerie. Compte tenu des manifestations prévues le mardi 7 septembre, il serait peut-être préférable de commencer l’examen du texte le lundi 6 au soir, afin que le plus grand nombre possible d’entre nous soit présent. En outre, il faut que nous ayons le temps nécessaire pour la discussion générale. Nous en reparlerons.
Mme Martine Billard. Pour en revenir au projet de loi, la réforme, tout d’abord, n’est pas « juste ». Ainsi, le départ à 62 ans se traduira, pour ceux qui auront commencé à cotiser à 18 ans, par quarante-quatre années de cotisation. Du reste, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas reprocher à la gauche le fait que l’on travaillait plus longtemps quand elle était aux affaires et critiquer en même temps sa mesure d’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans...
J’observe que les convergences sont généralement défavorables. En termes d’équité, la question se pose depuis plusieurs années de l’égalité des droits des pacsés en matière de pension de réversion.
Je remarque, par ailleurs, que les 30 % des femmes, qui doivent déjà attendre l’âge de 65 ans pour liquider leur retraite, devront désormais cotiser jusqu’à 67 ans, ce qui dégradera encore leur situation.
En matière de pénibilité, il existait des dispositifs tels que la préretraite et les régimes spéciaux, sans parler de l’âge de départ alors fixé à 60 ans. Il n’est donc pas indifférent que vous tentiez de noyer le nombre de personnes concernées – moins de 1 % des salariés – dans les carrières longues. Pour ce qui est de la pénibilité, cette réforme n’est pas sérieuse. Je rappelle à ce propos que des critères avaient été actés par les organisations syndicales et patronales et qu’il ne restait plus qu’à s’accorder sur le mode de mise en œuvre – le MEDEF refusant la demande des syndicats d’une participation financière des entreprises et de négociations par branche visant à définir, à partir des critères fixés, les postes de travail ouvrant droit à un départ anticipé.
J’en viens à une question très précise : comme ceux qui, lors de la création du corps des professeurs des écoles, ont choisi de garder leur ancien statut d’instituteurs et institutrices, les professeurs des écoles issus de ce corps conservaient le droit de partir à la retraite à 55 ans s’ils avaient effectué 15 années de services actifs comme instituteur. Le projet de loi, qui fait passer de 15 à 17 le nombre d’années requises, remet-il en question le droit de ces fonctionnaires, qui ne sont plus en mesure d’effectuer deux années supplémentaires dans un corps qu’ils ont quitté ? La situation n’est pas claire et le rectorat a d’ailleurs indiqué aux instituteurs qu’ils devaient déposer dès maintenant leur dossier pour pouvoir bénéficier de ce droit. Pour éviter des problèmes sérieux à la rentrée scolaire, une annonce claire s’impose, comme cela a été le cas pour le report au 31 décembre de la date limite pour les mères de trois enfants.
Mme Michèle Delaunay. Monsieur le ministre, vous remplacez la pénibilité par l’invalidité – c’est-à-dire par les dégâts qu’elle cause. Pourquoi ne pas utiliser les critères validés par les partenaires sociaux et les données fournies par la médecine du travail – qui permettent, en effet, pour de nombreux groupes professionnels, de connaître les risques et les taux d’accidents et de morbidité, ainsi que l’âge de survenue ? Pas un ministre – et, sans doute, pas un député – ne tiendrait deux heures sur un toit avec les couvreurs par les chaleurs que nous avons connues ces derniers jours. De même, on connaît les troubles qu’encourent par exemple les jockeys de Chantilly dont on sait bien qu’ils n’exerceront pas leur activité jusqu’à 65 ans. Pourquoi donc ne pas accepter, sur la base des risques connus, des critères de pénibilité, au lieu de ne tenir compte de cette dernière que lorsqu’elle a fait des dégâts et limite d’au moins 20 % les capacités de vie normale ?
M. le ministre. L’épargne retraite, évoquée par M. Arnaud Robinet, ne figure pas dans le texte, car celui-ci a pour objet de sauver les retraites par répartition. Nous étudierons, bien entendu, les amendements relatifs à cette question.
Monsieur Sirugue, pour ce qui est de la précarité, le texte prévoit la possibilité, pour les personnes inscrites au chômage et ne percevant pas ou n’ayant pas perçu d’indemnité, d’enregistrer six trimestres, au lieu de quatre aujourd’hui. De fait, les salariés acquièrent des droits à la retraite, et c’est du reste la raison pour laquelle ils ont le plus souvent, lorsqu’ils partent à 60 ans – et, a fortiori, à 62 ans – tous les trimestres nécessaires.
Madame Dalloz, merci de vos propos.
Monsieur Domergue, un travail considérable a été fait voilà deux ans sur les régimes spéciaux. Il faut respecter ce travail et greffer le calendrier de la réforme des retraites sur celui des mesures adoptées en 2007 et 2008.
Monsieur Issindou, le Gouvernement n’est pas moins déçu par le projet de la gauche que vous ne l’êtes par le sien. Votre projet est un projet fiscal, et non pas un projet de réforme des retraites.
Madame Delaunay, la pénibilité que retient le texte est la pénibilité constatée. Il est heureux qu’il n’y ait pas plus de 10 000 personnes présentant un taux d’invalidité de 20 % : cela signifie que les conditions de travail s’améliorent en France. Pourquoi ne pourrait-on pas travailler jusqu’à 62 ans en France, alors que l’on peut travailler au-delà de 60 ans dans la quasi-totalité des autres pays, y compris Nordiques ? Vous n’avez jamais répondu à cette question.
Monsieur Heinrich, il faut en effet parvenir à une convergence des régimes, mais nous avons considéré que cette convergence avait déjà bien avancé pour les fonctionnaires et qu’il n’était pas nécessaire d’aller au-delà dans le cadre de cette réforme. Quant à la réversion, il faudra en discuter.
Madame Billard, le PACS n’instaure pas de solidarité financière totale entre les parties. Or, la réversion relève de cette solidarité.
Pour ce qui est des instituteurs, nous avons déjà répondu : la durée de cotisation retenue reste de quinze ans. Ce point a été confirmé par les trois conseils supérieurs de la fonction publique.
M. le secrétaire d’État. Pour les régimes spéciaux, le passage de trente-sept années et demie à quarante années de cotisation est prévu pour 2012 et le passage à quarante et une années pour 2016. Nous sommes donc dans une logique de convergence progressive. Le texte doit s’appliquer, je le rappelle, à partir du 1er janvier 2017. La logique adoptée est également de ne pas réduire le montant des pensions.
Madame Billard, les trois conseils supérieurs, je le répète à mon tour, ont acté le dispositif évoqué.
Monsieur Malherbe, plusieurs des questions soulevées par le Médiateur de la République sont à l’examen. Pour ce qui est de la reliquidation des retraites aux veuves, je rappelle que le principe général qui s’applique aux retraites est celui de la non-reliquidation des pensions : lorsqu’une pension est liquidée, son montant n’est plus révocable.
Enfin, pour ce qui est des enfants nés avant le fait générateur, c’est l’arrêt de travail qui ouvre le droit à bonification. La question a été réglée pour les enfants nés après le 1er janvier 2004. Ce point n’avait pas été retenu dans le cadre de la réforme de 2003. Quant aux mères adoptives, qui ne se sont pas arrêtées de travailler, il ne s’agit pas de la récupération d’un préjudice, comme c’est le cas pour les mères non adoptives.
M. le président Pierre Méhaignerie. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vos réponses ont été précises, concises et sereines. Je vous en remercie.
La Commission examine le présent projet de loi au cours de ses première et deuxième séances du mardi 21 juillet 2010.
M. le président Pierre Méhaignerie. Messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaiterais vous apporter quelques précisions avant que nous commencions la discussion du projet de loi portant réforme des retraites.
J’entends que l’on parle de « huis clos » à propos de l’examen des articles en commission. Comme l’a très justement rappelé ce matin Jérôme Cahuzac, président de la Commission des finances, l’examen des articles d’un projet de loi s’est toujours déroulé sans la presse. Il est apparu au bureau de notre commission qu’il était préférable, pour la qualité des débats et pour que nous puissions aller au fond des sujets en discussion, de continuer ainsi. Par ailleurs, le compte rendu de nos différentes séances sera, comme à l’accoutumée, mis en ligne très rapidement, et un point de presse, où les porte-parole de tous les groupes pourront s’exprimer, se tiendra à l’issue de chaque réunion. Enfin, le débat en séance publique permettra à la presse d’assister à un débat qui durera cinquante heures.
Je voudrais faire également le point sur les amendements dont nous aurons à discuter. Il a été déposé 490 amendements devant notre commission : 70 du rapporteur ; 2 du Gouvernement ; 5 de la Commission des finances pour le moment ; 9 de la Commission des lois ; 91 de l’UMP ; 148 du groupe SRC ; 124 du groupe GDR ; 34 du groupe Nouveau Centre.
Ayant procédé à l’examen de la recevabilité financière des amendements conformément à l’article 89 du Règlement, j’ai déclaré 71 d’entre eux irrecevables, dont 13 après avoir consulté le président de la Commission des finances. Ils se répartissent ainsi : 23 amendements de l’UMP, 19 du SRC, 16 du GDR et 13 du Nouveau Centre. Selon certains, il s’agirait là d’une lecture extrêmement stricte de l’article 40 qui aurait pour but d’empêcher le débat d’avoir lieu. C’est évidemment absurde, puisque je n’ai fait qu’appliquer la « jurisprudence » constante des présidents de la Commission des finances, Didier Migaud hier, Jérôme Cahuzac aujourd’hui. Je l’ai d’ailleurs consulté sur 15 amendements à propos desquels je m’interrogeais et j’ai suivi scrupuleusement son avis. Je rappelle qu’aucune majorité, qu’elle soit du centre, de gauche ou de droite n’a jamais proposé de supprimer l’article 40.
Par ailleurs, le groupe SRC n’a sans doute guère été surpris par cette application de l’article 40, puisqu’il avait par avance doublé la quasi-totalité des amendements déclarés irrecevables d’un amendement demandant un rapport au Gouvernement sur la mesure coûteuse qui était demandée.
Il nous reste donc 419 amendements à examiner. Mais auparavant, tous les commissaires n’ayant pu s’exprimer au cours de l’audition de MM. Woerth et Tron à laquelle nous avons procédé mardi dernier, nous ferons une discussion générale, dans laquelle je donnerais par priorité la parole à ceux qui ne l’ont pas eue alors.
Mme Marisol Touraine. Notre débat s’engage dans des conditions extrêmement défavorables, et nous dénonçons le traitement que vous réservez à la commission. Le dernier exemple, particulièrement choquant, est la quasi-conférence de presse que vous venez de tenir ici, alors que vous nous imposez le huis clos sous prétexte de respecter les travaux de la commission. Plus généralement, le climat politique actuel rend quasiment impossible toute discussion de fond.
Sur un projet que vous présentez comme l’un des plus importants du quinquennat, vous refusez toute confrontation démocratique de projets et d’idées, en rejetant la responsabilité de ce refus sur le Parti socialiste qui serait incapable d’avoir des idées. Mais, vous affirmez par ailleurs que nos propositions ne tiennent pas la route, puisqu’elles ne s’inscrivent pas dans l’épure du Gouvernement. La vérité, c’est que nous avons un véritable contreprojet à opposer au Gouvernement. Il est frappant de constater que les amendements, que vous avez retoqués sous le prétexte de l’article 40, portaient une alternative. On voit bien le sens qui se dégage de cette succession de refus : refus de la publicité des débats, refus de la transparence des projets, refus de la confrontation des projets et des idées, qui augurent bien mal de la suite de nos débats.
Vos refus sont d’autant plus préoccupants qu’ils ne vous empêchent pas de vous livrer à une véritable propagande en faveur de votre texte à coups de spot télévisuels et de communiqués dans la presse écrite. Outre qu’elle n’est qu’une succession de contrevérités – à vous en croire, il suffira d’avoir mal au dos pour invoquer la pénibilité, ou d’avoir commencé à travailler à dix-huit ans pour bénéficier du dispositif « carrières longues » – cette publicité pour une réforme qui n’est pas encore votée signifie que le débat parlementaire n’a aucun sens ni aucune utilité.
Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous interroger sur le statut de nos travaux. D’une part, l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi n’en a que le nom, au point que Jean-Marc Ayrault a saisi le Président de l’Assemblée de ce problème : elle ne comporte aucun élément nous permettant d’apprécier la portée financière et sociale de la réforme. D’autre part, le président du groupe UMP a déclaré, ce matin à France Inter, que son groupe déposerait ses principaux amendements dans l’hémicycle, les réunions de la commission n’ayant pas d’autre fonction que de « prendre la température » ! À quoi sert donc la commission, si nous ne pouvons pas y confronter nos projets ?
Enfin, monsieur le ministre, vous avez dit que vous seriez disposé à faire évoluer votre texte à la rentrée, notamment en ce qui concerne la pénibilité ou la prise en compte des polypensionnés – la dernière intervention du Président de la République ayant semblé fermer la porte en ce qui concerne les carrières longues – sans que la représentation nationale soit saisie de ces nouvelles propositions. Nous attendons des réponses sur tous ces points, et nous déterminerons notre attitude pour la suite en fonction de vos réponses.
M. le président Pierre Méhaignerie. Je vous répondrai sur trois points, avec tout le respect que je vous dois. Vous ne pouvez pas nous accuser de refuser la confrontation des idées, alors que cela fait trois mois que nous travaillons et que 32 auditions d’une durée de 45 heures ont permis de poser toutes les questions. Pour ce qui me concerne, ces auditions m’ont permis de faire évoluer ma position sur plusieurs points.
Ensuite, tous les députés de quelque expérience savent que l’article 40 s’est toujours appliqué strictement, que les amendements déclarés irrecevables soient soutenus par des députés de l’opposition ou de la majorité. En l’espèce, l’application de l’article 40 a d’ailleurs fait tomber plus d’amendements de l’UMP que du groupe SRC. Mais les questions qu’ils soulèvent pourront être présentées dans le cadre de la discussion générale. Ils permettront de poser des jalons, notamment sur la pénibilité, à charge pour le Gouvernement de traduire nos propositions dans des amendements de son initiative.
Quant à la publicité de nos débats, la majorité des membres de la conférence des présidents, dont le président de la Commission des finances, a exprimé le souhait de ne pas modifier les conditions habituelles d’examen des amendements. Cependant, pour tenir compte de votre demande, nous avons décidé qu’une conférence de presse se tiendrait à l’issue de chacune de nos réunions. J’ai, en outre, demandé aux services que les comptes rendus de tous nos débats soient accessibles le plus rapidement possible.
Mme Marisol Touraine. Et sur la propagande ?
M. le président Pierre Méhaignerie. Il ne m’appartient pas de répondre à ce sujet, l’exécutif étant un pouvoir distinct du législatif. Je voudrais simplement dire qu’il faut se garder de tout excès, d’un côté comme de l’autre.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. L’étude d’impact a été validée par le Conseil d’État et largement inspirée par les travaux du Conseil d’orientation des retraites.
S’agissant de la publicité, il est normal que le Gouvernement fasse de la pédagogie sur un projet aussi important. Quant à son caractère mensonger, vous n’en avez donné aucun exemple précis.
Enfin, qu’un texte évolue après son dépôt ne contredit en rien les règles de la discussion parlementaire : le Gouvernement peut déposer des amendements à tout moment et l’examen en commission n’est pas l’aboutissement d’un texte. Nous comptons utiliser toutes les étapes de la discussion pour examiner une série de sujets très importants, qui faisaient encore la semaine dernière l’objet de concertations avec la plupart des organisations syndicales. Je suis prêt à faire évoluer le texte si cela apparaît nécessaire. Cela n’a rien de contraire à la pratique parlementaire.
Mme Valérie Rosso-Debord. Nous souhaitons, nous, un débat serein et de qualité, et nous attendons de nos partenaires de l’opposition qu’ils donnent une autre image de la politique. Nous pensons qu’ils ont, comme nous, beaucoup travaillé, et que, comme nous, ils attendent un échange avec le Gouvernement.
Quant à l’article 40, il est bon que son application donne lieu à une jurisprudence constante. Je rappelle que les questions abordées par les amendements tombés sous le coup de l’article 40 peuvent être discutées, ce dont nous ne nous priverons pas en ce qui nous concerne.
Retarder le débat par de vaines polémiques, comme vous le faites, ne peut que donner une image déplorable de notre commission.
M. Pascal Terrasse. Voilà un débat bien mal engagé. Vous répétez les erreurs commises lors des réformes de 1993 et de 2003. D’abord, monsieur le ministre, vous confondez négociation et concertation. Si une bonne réforme des retraites suppose la consultation des partenaires sociaux, elle implique aussi une part de négociation. Or, vous n’avez pas engagé la moindre négociation.
Ensuite, en confinant l’examen de ce texte au cœur de l’été, puis dans une session extraordinaire d’une dizaine de jours début septembre, vous refusez aux Français le débat sérieux et serein qu’ils attendent de nous. En 2003, la discussion avait duré trois mois, de mai à juillet.
D’autre part, on ne sait plus qui pilote la réforme, du ministre du travail, du Premier ministre, de l’Élysée, voire de Jean-François Copé, comme sa dernière intervention le laisse à penser.
Enfin, et cela traduit votre profonde méconnaissance de l’histoire sociale de notre pays, vous essayez de passer en force en faisant l’économie d’un accord a minima avec les partenaires sociaux. Vous ne pouvez pas sérieusement faire fi de l’opposition unanime du mouvement social à votre réforme, en dépit de tous vos efforts pour le diviser.
Ce que nous proposons, nous, c’est un véritable processus de réforme.
Il aurait tout d’abord fallu travailler à partir d’un diagnostic partagé, ce que ne constituent pas les travaux du COR, ne vous en déplaise, monsieur le ministre : il y a eu en réalité deux rapports. Si le premier, établissant diverses projections et abaques, a reçu l’approbation de tous les membres du COR, tel n’a pas été le cas pour le second, émanant du seul secrétariat général du conseil. Il eût fallu ensuite que la mission de dialogue aboutisse, ce qui n’est pas encore le cas. Enfin, il n’y a pas eu de négociation au vu d’un accord interpartenarial. Nous abordons donc le débat législatif sans que tout ce travail préliminaire ait été mené à bien.
Enfin, votre réforme est hémiplégique. L’hypothèse de départ a été qu’un problème démographique appelait une réponse démographique, ce qui est une erreur. Certains pays européens, comme l’Allemagne, ont réussi à réformer leur système de retraites dans le consensus entre formations politiques. Vous avez, hélas, exclu d’emblée toutes les propositions du Parti socialiste, pourtant toutes financées – à la différence des vôtres ! En 2003 M. François Fillon avait juré la main sur le cœur que sa réforme assurait l’équilibre financier jusqu’en 2020, à quoi, à l’époque porte-parole de mon groupe sur le dossier, j’avais répondu que non. Et il s’avère en effet aujourd’hui que dès 2011, tous nos régimes seront en déficit tendanciel.
M. Guy Lefrand. Ce projet de loi nous paraît dans l’ensemble satisfaisant. Les Français ont, dans leur grande majorité, pris conscience de la nécessité de cette réforme.
S’agissant de la pénibilité, vous avez indiqué, monsieur le ministre, lors de votre dernière audition en commission, que vous présenteriez ultérieurement un projet de loi relatif à la santé au travail. Il s’agit, en effet, d’un problème clé, notamment pour améliorer le taux d’emploi des seniors. Nous n’avons pas déposé pour l’instant d’amendements sur le sujet, nous réservant la possibilité de le faire en septembre. Dans cette perspective, nous aimerions connaître vos propositions en matière d’amélioration de la gouvernance au travail comme de la prise en charge des millions de Français qui ne bénéficient d’aucun suivi et pour lesquels il est difficile d’évaluer la pénibilité du travail – c’est le cas de nombreux fonctionnaires, de contractuels, des employés de maison des particuliers employeurs.
En ce qui concerne la convergence public-privé, nous soutenons vos propositions. L’âge légal de départ en retraite échappe toutefois à cette convergence. Nous avons déposé plusieurs amendements tendant à y remédier, car il y va de l’équité entre salariés. Nous regrettons vivement que ces amendements aient été repoussés au titre de l’article 40. En effet, pour la droite, un fonctionnaire qui travaille apporte une contribution utile à la société, alors que le président socialiste de la Commission des finances estime apparemment que les fonctionnaires sont d’abord des personnels qui coûtent. Nous sommes en total désaccord avec son interprétation de l’article 40. Quelles sont, monsieur le ministre, vos propositions pour améliorer la convergence entre public et privé ?
M. Christian Paul. Vous aurez compris, au vu des interventions de Marisol Touraine et de Pascal Terrasse, dans quel état d’esprit nous abordons ce débat. Nous n’entendons pas que « les affaires » parasitent le débat sur les retraites. Nous souhaitons que ce débat ait lieu, dans des conditions acceptables par la majorité comme par l’opposition.
Monsieur le président, vous qui avez la réputation d’être un républicain et un démocrate, cessez d’orchestrer la mascarade que constitue ce débat à huis clos. À votre argument selon lequel il n’y a pas de précédent, nous répondons qu’après la réforme constitutionnelle de 2008 et la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale qui s’en est suivie, nous sommes en train d’inventer une nouvelle pratique institutionnelle. Il est de votre responsabilité que sur un sujet aussi important – le texte le plus important de la législature, nous dit-on –, le débat soit accessible au plus grand nombre de nos concitoyens, notamment aux salariés et aux organisations syndicales. Il faudrait aussi tenir compte des évolutions technologiques. En ce moment même, dans cette salle, certains envoient des SMS, d’autres twittent, et il m’a même été dit que des téléphones étaient ouverts à l’intention de journalistes. Nous vous demandons solennellement, à défaut que nos travaux se poursuivent en présence de la presse, qu’ils soient retransmis sur LCP-AN. À cette condition seulement, nous aurons le sentiment que ce débat en commission n’aura pas été confisqué.
Je vous invite enfin à tirer au clair au sein de la majorité le statut réel du travail en commission. J’ai, moi aussi, entendu ce matin Jean-François Copé dire en gros qu’on se « fichait » de ces trois jours de débat en commission et que la majorité réservait ses amendements pour la rentrée…
M. le président Pierre Méhaignerie. Nul n’a parole d’Évangile.
M. Christian Paul. Si ces travaux ont quelque sérieux, ils doivent être publics comme le sont ceux de l’hémicycle. Entendez-vous, oui ou non, monsieur le président, assurer la transparence et la publicité des travaux de la Commission des affaires sociales ?
M. le président Pierre Méhaignerie. Le sujet a été débattu par le bureau de la commission et il a été décidé que nos travaux se dérouleraient hors la présence de la presse.
Mme Marisol Touraine. Nous demandons une suspension de séance.
M. le président Pierre Méhaignerie. Elle vous sera accordée après que tous les groupes se seront exprimés.
M. Bernard Perrut. Je souhaiterais, pour ma part, que, sur un sujet de société aussi important, nous puissions travailler sereinement et dépasser les clivages partisans. Je suis surpris qu’après toutes les auditions auxquelles notre commission a procédé dans la sérénité, la politique politicienne l’emporte de nouveau.
Cette réforme des retraites repose sur trois exigences. Responsabilité : il n’est pas envisageable de maintenir notre système de retraite par répartition sans allongement de la durée d’activité. Efficacité : il ne suffit pas de réduire les déficits, il faut garantir un retour durable à l’équilibre. Équité, sans laquelle cette réforme serait vouée à l’échec. C’est précisément dans un souci d’équité que ceux qui ont commencé à travailler tôt pourront continuer de partir en retraite sans décote à 60 ans, voire avant, au titre des carrières longues, dispositif que notre majorité a fait voter en 2003. De même, pourront demain partir sans décote à 60 ans ceux que leur travail a prématurément usés : c’est là un droit social nouveau, rarement souligné. Il faudrait aller plus loin, et faire en sorte que travailler plus longtemps soit aussi l’occasion de travailler mieux. Nous devrions réfléchir ensemble à une politique active de prévention de la pénibilité. Nous attendons vos propositions, monsieur le ministre, en matière d’amélioration des conditions et relations de travail, ainsi que de réforme de la médecine du travail. Il faut que la pénibilité puisse être prise en compte à titre individuel.
L’équité passe aussi par une réelle convergence public-privé. Le projet de loi nous paraît encore timide à cet égard.
Il faut enfin que la réforme apparaisse juste à nos concitoyens. Outre que ses dispositions doivent s’appliquer à tous d’égale façon, dans des délais clairs, préalablement définis, il faut aussi que les hauts revenus soient mis à contribution, comme cela est d’ailleurs prévu avec le relèvement de 1% du taux marginal d’imposition pour la tranche la plus haute de l’impôt sur le revenu, l’augmentation des prélèvements sur les plus-values de cessions mobilières et immobilières, sur les stock-options et les retraites chapeaux.
Je souhaiterais qu’au cours d’un débat constructif, nous puissions nous retrouver autour de l’objectif qui nous est cher à tous de sauvegarder notre système de retraite par répartition, fondé sur la solidarité inter-générationnelle. Plutôt que de polémiquer sur des sujets annexes, nous devrions être fiers d’apporter notre pierre à la réalisation de cet objectif.
Mme Martine Billard. Nul ne nie l’importance de cette réforme – il suffit d’écouter les Français parler dans la rue ou les transports en commun. Vous nous dites qu’elle est juste. Ce n’est pas ce que pensent ceux de nos concitoyens qui, ayant par exemple commencé à travailler à 18 ans, devront cotiser quarante-quatre ans avant de pouvoir prendre leur retraite. La justice eût été de ne pas toucher au départ à 60 ans pour ceux qui ont tous leurs trimestres.
De même, repousser de 65 à 67 ans l’âge de départ sans décote pour les personnes n’ayant pas leurs annuités pénalise considérablement les femmes. La justice aurait été, pour elles notamment, de modifier le mode de validation des trimestres cotisés. En effet, comme il faut avoir travaillé au moins 200 heures payées au SMIC pour valider un trimestre, les femmes qui travaillent à temps partiel ou très partiel, ce qui est fréquent dans le secteur des services à la personne, n’ont jamais quatre trimestres validés par an. Elles seront donc de plus en plus nombreuses à ne pouvoir jamais arriver à quarante et un ans et demi de cotisation – sans même parler de ce qui adviendra si vous allongez encore la durée de cotisation, à quoi le groupe GDR est résolument opposé. Elles n’auront d’autre choix que d’attendre 67 ans pour liquider leur retraite, en n’étant même pas sûres de trouver à s’employer jusque-là.
L’un de nos collègues nous invite à dépasser les clivages partisans. Mais, il est entre nous une divergence fondamentale, difficilement surmontable : c’est notre choix de société. Pour nous, la vie ne se résume pas au travail. Nous tenons pour un immense progrès social, par rapport aux siècles antérieurs, que les gens puissent aujourd’hui, durant un temps de leur vie, vivre décemment d’un revenu garanti par la société sans avoir à travailler – ce qui ne signifie d’ailleurs pas être inactif.
Les auditions auxquelles notre commission a procédé nous ont appris beaucoup de choses, par exemple que, contrairement à une idée reçue, les fonctionnaires sont loin d’être privilégiés en matière de retraite. À catégorie équivalente, leurs pensions sont de même niveau que celles des salariés du privé, voire inférieures. Mais, il est si facile de dresser les salariés les uns contre les autres ! L’équité, pour vous, ce n’est pas que les détenteurs des plus hauts revenus soient davantage mis à contribution, ou que les grands patrons soient plus solidaires des petits patrons, lesquels ne bénéficient ni de retraites chapeaux ni de parachutes dorés ! Vous ne recherchez jamais l’équité qu’au détriment de ceux qui, déjà, ont le moins.
J’en viens à l’organisation de nos travaux aujourd’hui. À défaut que les journalistes soient admis dans cette salle, il aurait été possible que nos débats soient retransmis sur LCP-AN – seule chaîne, soit dit au passage, à organiser de vrais débats politiques de qualité.
Pour le reste, il est étonnant d’entendre Jean-François Copé qui, que je sache, a défendu la réforme constitutionnelle de 2008 visant, entre autres, à revaloriser le travail des commissions parlementaires, déclarer que la réforme des retraites mérite d’être débattue avant tout dans l’hémicycle. Nous proposera-t-il prochainement une nouvelle réforme de la Constitution ? Où est la cohérence ?
Enfin, puisque vous nous dites, monsieur le ministre, qu’il y aura peut-être des avancées fin août, après d’ultimes consultations, comment le fameux débat dans l’hémicycle pourrait-il débuter le 6 ou le 7 septembre ? Ce n’est pas sérieux. C’est pourquoi le groupe GDR demande le report de ce débat au moins au 14 septembre. Nous avons besoin de revoir les organisations syndicales, les associations familiales et d’autres acteurs, notamment sur les questions de pénibilité.
M. Francis Vercamer. Cette volonté permanente de repousser le débat, et partant la réforme, me surprend, vu l’importance du sujet pour nos concitoyens et l’impérieuse nécessité d’équilibrer nos régimes de retraite.
Je n’aborderai, pour ma part, que la question de la pénibilité. Sa prise en compte dans les régimes de retraite constitue une avancée indéniable. Je regrette néanmoins que des amendements sur le sujet ne puissent être adoptés en commission, au motif que des discussions se poursuivent parallèlement. Rien n’empêche, en effet, qu’un amendement voté en commission soit ensuite modifié en séance. Et cela permettrait quand même d’avancer.
Responsabilité, efficacité et justice sont les trois piliers de la réforme. La justice exige de prendre en compte la pénibilité du travail et la différence d’usure qui s’en suit pour les salariés. La pénibilité reste toutefois une notion assez subjective – et il est difficile d’évaluer ses aspects psychiques. Il faut également veiller à ce que sa prise en compte ne mette pas en péril l’équilibre de notre Sécurité sociale.
Nos amendements portent sur quatre points principaux. D’abord, une définition précise de la pénibilité, assise sur des bases juridiques stables. Puis, une approche globale de la pénibilité du travail incluant également la prévention, et pas seulement la réparation ou la compensation : nous formulerons des propositions de modification du code du travail en ce sens. Ensuite, une prise en compte de la pénibilité sur le long terme, en tenant compte de l’évolution des métiers et des expositions – les futurs travaux de l’Observatoire des pénibilités seront très utiles à cet égard. Enfin, une prise en compte de l’espérance de vie sans incapacité afin d’ouvrir la possibilité de départs anticipés dans les secteurs reconnus à haut risque de maladies professionnelles même si la maladie, notamment pour celles qui se déclarent de manière différée, n’est pas encore constatée. La question demeure ouverte de savoir si cela doit être financé par la solidarité nationale ou par les entreprises et les branches.
M. François Bayrou. Une remarque de forme d’abord. À quoi sert un débat en commission qui n’est pas public et où l’application de l’article 40 a rendu irrecevables quasiment tous les amendements ? Je me joindrai volontiers à la demande de certains de nos collègues que nos travaux soient au moins retransmis sur LCP-AN, de façon que ceux de nos concitoyens que cela intéresse puissent les suivre. Je ne crois pas au huis clos !
M. le président Pierre Méhaignerie. Un compte rendu très détaillé de nos débats est établi.
M. François Bayrou. Quel problème poserait alors une retransmission ?
M. le président Pierre Méhaignerie. La tradition !
M. François Bayrou. Je vous ai connu moins traditionaliste !
M. le président Pierre Méhaignerie. Le bureau de la commission a tranché.
M. François Bayrou. J’en viens au fond. La réforme doit-elle être d’ordre démographique ou pas ? Tous répondent oui, sauf le groupe de Martine Billard. Le Parti socialiste se prononce pour l’allongement de la durée de cotisation au-delà des 41,5 ans. Pour ma part, je pense que faire glisser l’âge de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans est inéluctable et juste. Agir sur la variable durée de cotisation créerait une discrimination à l’égard des personnes ayant fait des études longues ou qui ont « galéré » avant d’entrer dans la vie professionnelle. Je rappelle que la France est seule à agir sur les deux variables, la plupart des pays agissant uniquement sur l’âge de départ à la retraite. J’adhère donc, sur ce point, au texte du Gouvernement.
Néanmoins, j’éprouve trois inquiétudes.
D’abord, malgré les assurances données par le Gouvernement, ce texte n’est pas financé au-delà de 2013. Le Fonds de réserve pour les retraites ne suffira pas, car 32 milliards d’euros sont vite dépensés.
Ensuite, on ne peut limiter la pénibilité au handicap constaté avec une pension. Cela me semble inacceptable.
Enfin, il ne faut pas faire glisser l’âge légal de départ à la retraite sans décote de 65 à 67 ans. Je me battrai bec et ongles afin que les publics les plus faibles – les femmes ayant élevé des enfants, les personnes qui ont « galéré » pendant leur vie professionnelle et celles qui ont travaillé à l’étranger – ne subissent pas cette injustice. Selon la pyramide des départs à la retraite, que m’a communiquée la CNAV, les deux tiers des salariés partent à 60 ans, et ceux qui attendent 65 ans sont environ 3 %, dont la moitié au moins le font parce qu’ils ont atteint le nombre de trimestres nécessaires. Le public qui nous intéresse représentant donc un très petit pourcentage. Dès lors, je ne comprends pas comment le Gouvernement peut affirmer que le départ à 65 ans sans décote coûte 7 milliards d’euros. Il est de notre responsabilité de défendre ces personnes, d’autant plus qu’elles n’ont pas de porte-parole syndical.
Cela dit, je crains fort que l’équilibre de nos systèmes de retraite soit impossible dans le long terme. Il faudrait y réfléchir, comme certains courants politiques ont commencé à le faire. Pour ma part, je défends depuis longtemps l’idée d’un régime par points ou en comptes notionnels.
M. le ministre. Monsieur Terrasse, le Gouvernement a toujours été prêt à négocier, mais en considérant qu’il ne peut y avoir de réforme des retraites sans modification de l’âge de départ. Les partenaires sociaux n’ayant pas voulu discuter de ce point, le Gouvernement s’en est tenu à une concertation. Je relève cependant qu’en 2003, le temps accordé au débat sur les retraites avait été plus court que celui que nous avons consacré à la concertation ; et en 1993, il avait même été nettement plus court. En outre, nous ne sommes pas « au cœur de l’été », et c’est à la rentrée que le débat débutera dans l’hémicycle : les Français sont donc bien informés.
La médecine du travail, monsieur Lefrand, est une vraie question, mais elle ne peut faire l’objet d’une réforme complète dans le cadre de ce texte. Une telle réforme, à laquelle je suis favorable, nécessite un travail très approfondi avec les médecins du travail. Ce projet comporte néanmoins des éléments sur la pénibilité, sur lesquels nous sommes prêts à discuter.
Je remercie M. Bernard Perrut de noter que ce texte comporte beaucoup d’éléments d’équilibre et de justice et qu’aucune information mensongère n’a été diffusée dans les journaux.
Madame Billard, la solidarité de notre système de retraite est préservée, car le temps partiel peut compter en totalité dans l’obtention des trimestres. Avec un SMIC à mi-temps, on valide un temps complet. Il suffit de 200 heures au SMIC pour valider un trimestre.
Mme Martine Billard. Mais avec 180 heures, rien du tout !
M. le ministre. En outre, des trimestres sont délivrés gratuitement pour certaines situations. Vous avez raison : la vie ne se résume pas à travailler. Mais les personnes qui prendront leur retraite à 62 ans en 2018 passeront trois à quatre ans de plus à la retraite – en bonne santé – que celles qui l’ont prise à 60 ans dans les années 1980.
Par ailleurs, le Gouvernement peut a tout moment déposer des amendements. Il le fera au mois de septembre.
Monsieur Vercamer, la définition précise de la pénibilité est très complexe. Nous avons proposé une approche non seulement globale, mais juste. Chacun a sa propre définition, mais considérer que tout travail est pénible impliquerait de maintenir le départ à la retraite à 60 ans !
Il faut essayer de mesurer la pénibilité pour éviter des injustices. Le texte a le mérite de se baser sur des critères reconnus. Certes, il n’est pas complet, ne traitant pas, vous avez raison, des effets différés. Nous devrons aborder cette question, mais aucun pays n’a intégré dans son système de retraite ou d’invalidité les effets différés, car cela est difficile à mesurer.
Monsieur Bayrou, même si cela est impopulaire, la réforme doit être démographique. La majorité et le Gouvernement l’assument.
Cette réforme ne résout évidemment pas tout. En 2018, 50 % du montant nécessaire seront financés. Comment les 50 autres le seront-ils ? Depuis 2000, l’État contribue aux retraites des fonctionnaires, à hauteur de 15,6 milliards d’euros supplémentaires. Cette contribution devrait atteindre 22 ou 23 milliards en 2024. L’objectif du Gouvernement est de geler ces 15,6 milliards sur une période de dix ans, ce qui représente un effort exceptionnel. Ensuite, un transfert de cotisations sera opéré des régimes de chômage vers la CNAV. Cela avait été prévu dans la réforme Fillon de 2003, mais la crise a dégradé les régimes d’assurance chômage. Dans les perspectives du COR, nous retrouvons néanmoins cette marge : les régimes d’assurance chômage dégageront des excédents à partir de 2015 : cela représente 3 % des besoins de financement.
Par ailleurs, l’augmentation des cotisations des fonctionnaires sur dix ans apportera 4 milliards d’euros.
Ainsi, le solde après réforme se traduira par une couverture du besoin à 100 %.
Avant 2018, nous ferons appel au Fonds de réserve pour les retraites. Le Gouvernement et la majorité considèrent que c’est normal, car nous avons aujourd’hui besoin de cette réserve.
M. Pascal Terrasse. Merci Jospin !
M. le ministre. La gauche avait préféré un fonds de réserve à une réforme. Cela dit, il faut bien que ce fonds serve : s’il était utilisé sans réforme, ce serait anormal mais tel n’est pas le cas !
Sur la pénibilité, je ne partage pas votre approche. On aurait pu continuer à vivre sur les régimes d’invalidité qui existent, mais le Gouvernement a décidé de permettre aux gens ayant un taux d’incapacité de 20 % de partir avec une retraite complète. C’est une pénibilité constatée. Pour ce qui n’a pas été constaté, c’est très compliqué à mesurer : il faut traiter la question des effets différés avec raison et justice, sinon le dispositif sera vidé de son contenu.
Le report à 67 ans nous semble très important, car cela représente 7 milliards d’euros en 2025, soit un tiers des économies procurées par les mesures d’âge : 18 % des gens partent à la retraite à 65 ans – dont 60 % de femmes et 40 % d’hommes. En fait, la plupart des personnes ne travaillent plus au moment de solder leur pension.
Quant aux femmes qui ont cessé de travailler pour élever leurs enfants, elles bénéficient de trimestres gratuits par le biais des majorations de durée d’assurance : deux ans par enfant, prise en charge par l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) et des congés parentaux jusqu’à trois ans. Certes, ces mères de famille auront une pension inférieure à celles de femmes dont la carrière est plus longue. Le problème n’est donc pas dans ce cas le nombre de trimestres, mais le niveau de la pension.
M. François Bayrou. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas prétendre rechercher, en même temps, la justice et le financement de la réforme des retraites par les plus faibles, les plus fragiles et les plus basses pensions ! Cela est choquant !
En vérité, vous spéculez sur l’absence de réaction de ces publics qui ne sont pas représentés et qui vivent avec les revenus de leur conjoint lorsqu’ils en ont un.
M. le ministre. La CNAV a réalisé une photographie de ce public qui part à 65 ans : il n’a pas nécessairement de problèmes financiers, car il a moins accès au minimum vieillesse que celui parti avant, et n’est pas plus faible qu’un autre, bien au contraire.
En outre, entre 30 % et 40 % sont des étrangers venus travailler en France pendant peu de temps et qui attendent l’âge de 65 ans pour bénéficier d’un taux plein. Il est logique d’avoir une retraite inférieure lorsqu’on n’a pas beaucoup travaillé. Des dispositifs de solidarité compensent cela dans un certain nombre de situations.
M. le président Pierre Méhaignerie. Sans oublier qu’il y a le minimum vieillesse !
M. Georges Tron, secrétaire d’État chargé de la fonction publique. Deux questions seulement ont porté sur la fonction publique. S’agissant de la convergence tout d’abord, elle concerne aussi les mesures d’âge : selon le principe d’universalité que nous suivons, ces mesures sont appliquées à la fonction publique dans toutes ses catégories, sans exception. Je pense que la question portait plutôt sur le fait que la réforme ne s’applique pas dès aujourd’hui aux régimes spéciaux. Mais, je rappelle qu’une réforme, votée en 2008, est en train de monter en puissance, qui rassemblait tous les paramètres de la réforme de la fonction publique de 2003 – allongement des cotisations de trente-sept années et demi à quarante, alignement sur les prix, décote et surcote – ainsi que des dispositifs particuliers liés à la suppression des bonifications. Nous avons fait en sorte que les dispositifs soient équivalents. La fonction publique est touchée de la même façon, pour des rendements de l’ordre de 3 milliards d’euros en 2018 pour ce qui est des mesures d’âge. Nous avons à peu près réussi à éviter de cumuler la réforme de 2010 et la montée en charge de la réforme de 2008, tout en prenant des mesures complémentaires.
Ainsi que l’a dit Mme Billard, les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés. C’est le paramètre de base que nous déclinons depuis le début ! Nous savons tous que le niveau des pensions est à peu près équivalent entre public et privé. C’est pourquoi nous n’envisageons pas de réformer le dispositif des six derniers mois au regard des vingt-cinq meilleures années. En revanche, et au-delà des mesures d’âge, il est des dispositifs qui ne semblent pas justifiés par les spécificités de la fonction publique. Ainsi, les taux de cotisation y sont de deux points et demi à trois points inférieurs : à pension égale, le coût de la retraite aura été supérieur d’un petit tiers dans le privé. Nous avons donc prévu une augmentation progressive des cotisations, de six euros par an en moyenne pendant dix ans. Cette augmentation sera absorbée dans le cadre de l’augmentation de la rémunération moyenne des personnes en place dans la fonction publique.
Par ailleurs, le dispositif « quinze ans trois enfants » a fait l’objet de critiques récurrentes du COR et de la Commission européenne. Il était jusqu’à présent largement utilisé – à 90 % par des femmes – comme un dispositif de préretraite, avec un âge moyen de départ de 52 ou 53 ans. Ce dispositif, qui date de 1924, était donc détourné. Surtout, il était profondément inégalitaire, puisque ce n’étaient pas les règles générationnelles issues de la loi de 2003 qui étaient appliquées, mais les règles précédentes. Bref, il était à la fois anticonstitutionnel et contraire au droit européen.
Je ne prétends pas que ce que nous avons élaboré soit parfait. Mais tout le monde considère que l’équité passe aussi par la convergence entre le public et le privé, même les organisations syndicales – la CFDT, à son congrès de Tours, s’y est dite favorable à 80 %. Si vous présentez des mesures pouvant aller dans ce sens, je vous écouterai avec la plus grande attention. Mais pour l’instant, il n’y a pas d’autre proposition que celles du Gouvernement et de la majorité.
La séance, suspendue à 16 heures 35, est reprise à 16 heures 45.
Mme Marisol Touraine. J’ai été plus qu’étonnée d’entendre notre collègue Valérie Rosso-Debord expliquer à la presse, à l’extérieur de cette salle, que le débat était entravé par les socialistes, qui employaient des manœuvres dilatoires pour empêcher de passer à l’examen des amendements. Notre collègue ignore-t-elle qu’il y a une discussion générale avant l’examen des amendements ?
M. Jean-Luc Préel. La réforme des retraites est indispensable, et urgente. Il y a déjà eu deux discussions générales à l’occasion des auditions des ministres et nous aurions pu faire l’économie de celle de cet après-midi. Certaines réflexions ne visent d’ailleurs qu’à polluer le débat.
La position du Nouveau centre a toujours été claire : une réforme des retraites est indispensable pour sauvegarder le système par répartition et assurer l’équité. De notre point de vue, le projet du Gouvernement ne va pas assez loin. Nous souhaitons un régime identique pour tous, par points ou en comptes notionnels, et donc l’extinction des régimes spéciaux. En attendant, j’espère que nous progresserons sur la pénibilité et l’emploi des seniors.
M. Jean Leonetti. Le groupe UMP, fort de ses convictions, est prêt à présenter ses propositions en matière d’équité et de pénibilité. Nous sommes parfaitement sereins et toujours ouverts à la discussion. J’espère que nos collègues socialistes feront preuve du même sens de l’écoute.
M. Gaëtan Gorce. Un point sur la forme d’abord : la méthode que vous employez n’est manifestement pas à la hauteur de l’enjeu. Nous parlons de la retraite de quinze millions de Français, bientôt vingt. Or, la modification en profondeur du quotidien d’un gros tiers de nos concitoyens n’a pas donné lieu à concertation avec les partenaires sociaux – car on ne peut appeler concertation le fait de rencontrer les organisations syndicales une fois, ou peut-être deux, sans leur donner de détail sur les changements envisagés.
M. le ministre. C’est faux. Vous dites un mensonge.
M. Gaëtan Gorce. Vous gagneriez, dans la situation actuelle, à éviter certains mots.
L’opposition n’a pas été associée non plus à l’élaboration du texte. On aurait pu imaginer, dans une démocratie sereine, que le Premier ministre ou le Président de la République veuillent discuter avec elle du moyen de garantir l’avenir des retraites et de bâtir un régime stable et consensuel, afin d’éviter d’en faire un sujet de polémique constant. Cela n’a malheureusement pas été le cas, à la différence de la plupart des grands pays européens.
Le Gouvernement ne dispose pas de la confiance et de la crédibilité nécessaires – et je ne fais aucunement allusion au climat politique actuel – pour mener à bien une telle réforme. Car, ainsi que l’a rappelé Pascal Terrasse, on nous a déjà fait le coup à plusieurs reprises. La réforme de 1993 était censée apporter une réponse à la question des retraites – et tout le monde sait à quoi s’en tenir sur la concertation qui avait prévalu à l’époque. En 2003 aussi, M. François Fillon a prétendu régler la question, allant jusqu’à suggérer que s’il ne devait rester qu’une chose du mandat de Jacques Chirac, ce serait cette réforme.
Mais ce qui reste aujourd’hui sur les bras des Français, après les réformes de 2003 et de 2008, c’est un déficit croissant du régime de retraite. Malgré tous vos engagements, vous n’avez apporté aucune réponse, et ce sont eux qui en payent le prix : accroissement du déficit, baisse du niveau des pensions, augmentation du nombre des Français au minimum contributif, difficultés croissantes pour les femmes et tous ceux qui ont eu une carrière cabossée. Devant une telle réalité, comment vous croire ? D’autant que le comité de pilotage, prévu à l’article 1er, semble appelé à prendre assez vite les mesures d’ajustement que vous n’avez pas fait figurer dans le texte, puisque vous ne réalisez pas l’équilibre financier. La création de ce comité de pilotage, qui cohabitera on ne sait comment avec le COR, montre que vous n’avez pas réglé la question et que vous savez qu’elle va revenir sur le tapis. Tout ce qui vous importe, c’est de remporter une victoire politique – de faire passer le message que vous aurez réformé les retraites, même si ce n’est pas vrai, alors que l’opposition n’en serait pas capable.
Il faut sortir de ce schéma. Pour cela, vous devez accepter que le débat ait lieu au fond et que l’ensemble des propositions, y compris celles du Parti socialiste qui ont un impact financier, puissent être discutées. Nous devons pouvoir aborder des questions de fond comme le début de carrière des jeunes, qui est un enjeu considérable, alors que les amendements qui y ont trait ont été repoussés.
Nous devons aussi pouvoir discuter tranquillement des enjeux démographiques. Vous vous justifiez souvent en invoquant l’exemple des Allemands ou des Espagnols – gouvernés par des socialistes que vous passez votre temps à encenser, comme tous les socialistes du moment qu’ils ne sont pas français – alors que notre taux de fécondité est de l’ordre de deux enfants par femme, contre 1,3 et 1,4 en Espagne et en Allemagne ! Notre problème démographique ne se pose donc pas avec la même gravité. Les comparaisons que vous faites ne sont qu’une facilité rhétorique.
Je demande donc qu’on nous donne le temps nécessaire pour aborder les questions de fond – le temps d’un vrai débat en commission, ouvert à la presse, pour pouvoir informer les Français, même si nous sommes dans la deuxième quinzaine de juillet, et le temps d’un vrai débat en séance publique. Vous avez déclaré l’urgence sur un tel dossier ! Comment dès lors délibérer de manière sereine de l’ensemble des propositions qui seront faites, y compris au Sénat, sachant que les amendements que le Gouvernement a annoncés pourraient arriver à la fin de l’été ? Ce n’est pas une réforme des retraites, c’est un coup politique. Nous n’avons aucune raison de nous y associer.
M. Yves Bur. Cette séance de travail se déroule de façon parfaitement normale. La seule chose anormale, c’est la présence du président du groupe socialiste, que je n’ai jamais vu participer à une seule séance de notre commission depuis quinze ans que j’y siège. Réclamer la levée du huis clos, c’est demander une exception qui n’a pas lieu d’être.
Le service des pensions doit être une dépense courante, qui n’a pas vocation à être payée par la dette. Il était donc plus que temps de compléter les réformes que nous avons déjà menées – et que l’opposition avait toujours évitées – par une étape bâtie à l’horizon 2020. Dans le contexte d’assainissement des finances publiques de l’ensemble des pays européens, il n’était que temps de s’attaquer aux déficits structurels tels que le financement des retraites publiques et privées. En mettant fin à la fuite en avant, au financement par la dette, cette réforme est un acte moral. Elle constitue un signal d’espoir pour les jeunes, qui n’ont pas vocation à être les payeurs de notre irresponsabilité.
Ce qui pénalise les générations futures, c’est le statu quo, autrement dit l’immobilisme qui a servi de politique à la gauche française. Il y a quinze jours, nous avons rencontré la présidente socialiste de la Commission du budget du Bundestag, qui nous a dit que son groupe n’avait pas l’intention de revenir sur le report progressif de l’âge de la retraite à 67 ans d’ici 2029, qu’il avait soutenue il y a deux ans alors qu’il faisait partie de la grande coalition. Gaëtan Gorce a remarqué que nous prenions parfois pour exemple des socialistes étrangers. Il se trouve qu’ils sont parfois plus à droite que l’UMP elle-même !
Nous avons un devoir vis-à-vis des générations futures. Nous sommes prêts à l’assumer, avec toutes les difficultés que cela comporte. Le pire que nous puissions faire pour elles, c’est de nous aligner sur vos positions et de refuser la réalité – de refuser les réformes que tous les pays du monde ont menées pour défendre leur système de solidarité. Nous sommes prêts à prendre nos responsabilités, et ce ne sont pas des manœuvres de procédure qui nous empêcheront de mener à bien cette réforme.
M. Jean Mallot. Peut-être Yves Bur devrait-il être rappelé à l’ordre. Qualifier d’anormale la présence du président du groupe socialiste aujourd’hui est absolument inacceptable et mériterait des excuses de sa part.
M. Yves Bur. Disons « exceptionnelle ».
M. Jean Mallot. Par ailleurs, si nous ne pouvons pas examiner les amendements dès cet après-midi, c’est aussi parce qu’il faut attendre les amendements de la Commission des finances saisie pour avis.
Je regrette que l’UMP s’emploie à chercher l’incident à tout bout de champ, car le débat que nous menons est riche et intéressant, et aussi important pour la vie politique de notre pays que pour celle de nos concitoyens. Tenir cette réunion de travail législatif à huis clos est d’ailleurs sans doute anticonstitutionnel. L’article 33 de la Constitution dispose, en effet, que les séances de l’Assemblée nationale sont publiques. Or, depuis la révision constitutionnelle d’août 2008, l’on discute dans l’hémicycle des textes élaborés en commission. Par conséquent, le travail législatif s’effectue désormais aussi en commission, laquelle devrait donc être publique. Je ne serais pas surpris que le Conseil constitutionnel déclare bientôt de tels procédés inconstitutionnels, à propos par exemple d’une partie de texte qui aurait été adoptée par amendement dans une commission à huis clos et qui n’aurait pas été rediscutée dans l’hémicycle. Le temps nous le dira.
Je voudrais revenir enfin sur la campagne de publicité qu’a évoquée Marisol Touraine. Celle-ci a coûté entre 7 et 8 millions d’euros, même si les estimations varient. Son contenu ne s’appuie ni sur l’avant-projet de loi dont nous avons débattu ni sur le présent projet, mais sur les travaux préparatoires qui les ont précédés, avant que la discussion publique ait lieu, que le droit d’amendement s’exerce et qu’on puisse présenter un texte résultant du vote du Parlement. Il s’agit donc d’un acte de mépris à l’égard de celui-ci.
Pour appuyer mon argumentation, je reviendrai sur les trois périodes qui se sont succédé depuis 2007.
De lois de financement de la sécurité sociale en lois de financement de la sécurité sociale, nous avons d’abord vu le Gouvernement repousser les échéances et rejeter nos amendements, alors même que nous formulions des propositions de nature à résoudre les problèmes de déficit de la Sécurité sociale en général et des régimes de retraite en particulier. J’en présenterai quatre illustrations.
Selon l’article 12 de la loi du 21 août 2003, les partenaires sociaux devaient se concerter pour prendre en compte la pénibilité du travail dans les régimes de retraite. En cas d’échec de ces négociations, le Gouvernement devait soumettre des propositions au Parlement – la différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur est de sept ans, et c’est donc, et à juste titre, une question très importante pour nos concitoyens. La notion de pénibilité est à peu près la seule qui soit indiscutable pour opérer une discrimination relative à l’âge du départ en retraite. Les partenaires sociaux ont longuement discuté et se sont accordés sur la définition des trois critères de pénibilité qui ont été rappelés et sur lesquels nous présenterons des amendements. Mais ils n’ont pas abouti sur les conclusions à en tirer pour leur application. Le MEDEF aurait voulu une application individualisée, « sur mesure », les syndicats de salariés demandant de leur côté, et avec raison, que les critères de pénibilité permettent un départ en retraite plus précoce. Les représentants du patronat suggéraient que les personnes ayant occupé des emplois pénibles soient, en fin de carrière, employées à temps partiel – comme si l’on mourait à temps partiel ! La négociation sociale n’ayant donc pas abouti, le Gouvernement n’a pas, pour autant, pris ses responsabilités en proposant un mécanisme de prise en compte de la pénibilité dans les régimes de retraite.
Le débat sur l’âge légal de départ en retraite, pour sa part, se poursuit depuis 2007. Le 22 janvier 2007, le futur président Sarkozy déclarait au journal Le Monde que devait demeurer le droit à la retraite à 60 ans. Le 27 mai 2008, sur RTL, en réaction à une proposition de Mme Laurence Parisot d’élever l’âge de la retraite à 63,5 ans, il considérait que, n’ayant pas pris un tel engagement devant les Français, il n’avait pas mandat pour le faire. Je ne m’étendrai pas davantage sur ses propos... Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, à laquelle participaient notre Rapporteur, Denis Jacquat, et M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail, le premier indiquait qu’avant de reculer l’âge de la retraite, encore fallait-il que les Français pussent travailler au moins jusqu’à 60 ans. Pourquoi a-t-il changé d’avis ?
Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, M. Xavier Bertrand, répondant aux deux amendements défendus par Yves Bur et par Dominique Tian, qui proposaient de relever progressivement l’âge légal de départ en retraite, faisait valoir que repousser celui-ci sans changer les comportements en matière d’emploi des seniors, afin de faire coïncider l’âge légal et l’âge réel de départ en retraite, diminuerait mathématiquement le montant des pensions. « Êtes-vous prêt à l’assumer ? » demandait-il alors à Yves Bur qui, bien sûr, retira son amendement.
Puisque votre étude d’impact, monsieur le ministre, indique que « les mesures adoptées ne remettent pas en cause le pouvoir d’achat des retraités, actuels et futurs, et que l’équilibre financier ne se fera pas à travers une diminution du montant des pensions », l’UMP devra expliquer pourquoi elle a changé d’avis.
On évoque par ailleurs les déficits des régimes de retraite, notamment du régime général, mais où se situe la surprise ? Dans la loi de financement pour 2010, que vous avez votée, le déficit dépasse les 30 milliards d’euros chaque année, dont 12 à 16 milliards pour la vieillesse. Vous n’avez même pas, contrairement aux années précédentes, indiqué qu’on essaierait de s’orienter à terme vers l’équilibre.
Il est souvent dit, à tort que, les socialistes n’ont pas, durant la législature, formulé de propositions pour améliorer la situation des retraités de ce pays. Or, à titre d’exemple, une proposition de loi relative à l’extension du régime de retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aides familiaux de l’agriculture fut discutée et rejetée le 26 janvier dernier au scrutin public par la majorité UMP.
Dans une deuxième période – après le report des échéances de lois de financement de la sécurité sociale en lois de financement de la sécurité sociale –, le Gouvernement a manipulé l’opinion en instrumentalisant le COR. On a demandé à celui-ci de procéder à des simulations à l’horizon 2050. Il a alors dépeint une situation catastrophique montrant que les mesures d’âge ne suffiraient pas, même si le problème est démographique. Cela m’a rappelé le rapport du Club de Rome qui, en 1972, annonçait la fin du monde. Car, lorsqu’on prolonge les courbes, on aboutit forcément à une catastrophe.
Le COR estimait le besoin financier des régimes de retraite à 45 milliards d’euros pour 2025. Nous ne pouvions donc échapper à la remise en cause de la retraite à 60 ans. Cela relève d’une méthode de communication bien connue, que le directeur du Service d’information du Gouvernement applique régulièrement, comme il l’a fait pour la grippe A, et qui consiste à maximiser la crise pour mieux piloter ensuite les choses en manipulant tout le monde.
L’exposé des motifs du projet de loi indique, ce qui est exact, que depuis 1982, l’espérance de vie a augmenté de 6,3 ans. À cette époque, la durée de cotisation était de 150 trimestres, elle est aujourd’hui de 162. Or douze trimestres équivalent à trois ans, soit près de la moitié de l’augmentation de l’espérance de vie. Une partie du problème démographique a donc déjà été résolue.
Vous nous parlez de l’espérance de vie à la naissance et à 60 ans, mais vous ne nous parlez jamais de l’espérance de vie en bonne santé. Elle est de 61,3 ans pour un homme et de 62,4 ans pour une femme. Cela signifie que lorsque l’âge légal de la retraite sera porté à 62 ans, la moitié de la population partira en retraite malade !
Avec la troisième période, le masque tombe. Après avoir évoqué les échéances de 2025 et de 2050, le Gouvernement présente un projet de loi dont l’échéance se situe en 2018. Depuis des années, il a laissé filer les déficits, quand il ne les a pas creusés lui-même. Sous la pression des marchés financiers, il estime maintenant qu’il faut redresser la barre. Il n’a pas supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), il l’a seulement contourné par le bouclier fiscal, dont nous mesurons chaque jour la véritable nature. Il n’a pas aboli les 35 heures, il s’est contenté de les amodier, notamment par des mécanismes d’heures supplémentaires défiscalisées. Mais, comme il lui faut donner des gages au MEDEF et aux marchés financiers, il va défaire la retraite à 60 ans.
Pour combler le déficit à court terme, le Gouvernement choisit de mettre la main sur le Fonds de réserve pour les retraites à hauteur de 34 milliards d’euros. Il s’agit là d’un détournement, qui nous démunit devant la bosse démographique de 2020. Or, nous avions formulé des propositions afin d’abonder ce fonds, en prélevant quinze points supplémentaires sur l’impôt sur les sociétés versé par les banques.
Pour autant, le plan du Gouvernement n’est pas financé. Il manque encore 15,6 milliards d’euros par an.
Pour dégager des recettes, le Gouvernement utilise la technique du pâté d’alouette – double en l’occurrence – et de cheval. Afin de compenser les besoins financiers des régimes de retraite, il déplace les bornes d’âge et va chercher quelques ressources du côté des revenus du capital. Mais, 90 % de la charge pèsera sur le cheval, c’est-à-dire sur les travailleurs salariés et non salariés ; les 10 % restant pèseront sur l’alouette, c’est-à-dire sur les revenus du capital – au sein desquels on retrouve un autre pâté d’alouette, avec une augmentation, de 40 à 41 %, de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, ce qui rapportera moins de 300 millions d’euros. Et pour accroître encore les ressources, le Gouvernement propose de modifier le mode de calcul des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires sur une base annuelle et non pas mensuelle, ce qui produira environ 2 milliards d’euros. Or, nous avions proposé cette mesure l’an dernier par un amendement n° 251 au projet de loi de financement de la sécurité sociale que vous avez rejeté ! Il s’agissait de faire respecter le dispositif d’exonération selon son principe de départ et que les entreprises ont contourné dans la pratique. Cette disposition devait rapporter 2 à 3 milliards d’euros.
Au bout du compte, le projet de loi prétend traiter de l’alignement des régimes de retraite du secteur public et du secteur privé. En réalité, il aboutit à une baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires – nous le démontrerons. Nous sommes en face d’un projet tronqué, ce qui correspond d’ailleurs aux habitudes du Gouvernement. M. Xavier Bertrand ne nous avait-il pas ainsi parlé de « flexisécurité » ? Or, si les dispositions relatives à la flexibilité sont intervenues, celles sur la sécurité se font toujours attendre. De même, dans le présent projet de loi, la partie concernant les recettes est renvoyée à plus tard.
Nous avons donc compris la vraie nature du sarkozysme : il s’agissait de travailler plus pour gagner plus, nous découvrons aujourd’hui qu’il s’agit de travailler plus longtemps pour gagner moins. Nous aurions préféré nous en tenir au programme du Conseil national de la Résistance, qui entendait instituer « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leur vie. »
Pour conclure, je voudrais évoquer la question de l’étude d’impact. Tous les projets de loi doivent, en effet, être accompagnés d’un tel document. Mais celui que nous avons lu ne constitue pas véritablement une étude d’impact : ce n’est qu’un exposé des motifs un peu développé. Je voudrais donc poser quelques questions importantes au ministre.
Le COR a travaillé sur des hypothèses et fourni des simulations à l’horizon 2018, 2025 et 2050. Celles-ci se fondaient-elles sur les mesures déjà choisies par le Gouvernement ?
L’étude d’impact souffre d’un grave manque : la prise en compte de l’incidence de la réforme, notamment les mesures d’âge, sur les autres dispositifs sociaux et sur les autres régimes, comme celui de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP), sur le revenu de solidarité active (RSA) avec, en arrière-plan, la question du transfert de charge sur les collectivités locales, ainsi que sur les dispositifs d’allocation d’équivalents retraite.
Quelle sera l’incidence du report de l’âge de la retraite à 62 ans sur le taux de chômage ? Que vont devenir ces demandeurs d’emplois contraints d’attendre plus longtemps leur retraite ? Quel sera l’impact sur le chômage des jeunes ? Rien ne figure concernant ces questions.
Le Fonds de réserve pour les retraites, dilapidé par votre projet de loi, est géré à long terme depuis 1999 de façon à lisser la bosse démographique prévue pour 2020. Or, vous voulez le liquider à court terme : là encore, rien ne nous renseigne dans l’étude d’impact.
À la question majeure portant sur ce qui se passera après 2018, vous nous répondez : « on se reverra. »
L’étude d’impact mentionne, enfin, des consultations obligatoires, notamment celles des organismes de sécurité sociale, tels que la CNAV et la CNAMTS. Les votes y furent souvent très serrés – la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP) s’est prononcée avec cinq voix pour et quatre voix contre ; la CNAV avec treize pour et douze contre ; la CNAMTS avec quinze pour et quatorze contre –, ce qui est lourd de signification quand on connaît la composition des conseils d’administration de ces organismes. En revanche, nous ignorons le contenu de leurs avis, qui auraient dû être joints à l’étude d’impact. Nous ne savons pas davantage si le Gouvernement les a, ou non, pris en considération. Nous désirerions donc maintenant en avoir connaissance. Ces avis ont-ils, le cas échéant, modifié le projet de loi ?
Selon l’étude d’impact, le conseil d’administration du Régime social des indépendants (RSI) a émis des observations. Lesquelles ? Le Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière et le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale se sont montrés majoritairement défavorables au projet. Nous ne disposons pas du texte de leur avis. Le Conseil d’orientation sur les conditions de travail et le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ont également été saisis : nous ne connaissons ni leur vote ni leur avis.
L’étude d’impact évoque les conséquences de l’allongement des carrières sur la santé au travail mais uniquement dans le secteur public.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, de compléter cette étude, dont l’insuffisance justifie que la Conférence des présidents n’inscrive pas ce projet de loi à l’ordre du jour.
M. Yannick Paternotte. Préparer l’avenir exige de sauver le système de retraite par répartition, mais aussi d’organiser le deuxième pilier qui est celui de l’épargne retraite. Dans cet objectif, j’ai déposé, avec de nombreux collègues, huit amendements après l’article 32, avant le titre VI, qui visent à renforcer le rôle de l’épargne retraite afin d’augmenter en France les revenus de substitution, d’offrir une plus grande liberté de choix aux ménages pour orienter leur épargne à long terme, privilégiant en particulier l’accession à la propriété, et de préparer la dépendance. Nous proposons à cet effet de rendre plus souples et plus attrayants les dispositifs mis en place par la loi de 2003, qui a notamment instauré le plan d’épargne retraite populaire (PERP) et le plan d’épargne retraite collectif (PERCO). Nous souhaitons instituer l’égal accès à ces mécanismes pour tous les salariés de toutes les entreprises. En comparant les sources de revenus des personnes âgées de plus de 65 ans dans les principaux pays de l’OCDE, telles qu’elles figurent dans le rapport de Valérie Rosso-Debord, on constate qu’en France les régimes privés d’épargne individuelle ne représentent que 8 % de ces revenus de substitution, dont seulement 4 % au titre de l’épargne retraite, contre 15 % en Allemagne, 21 % en Suède, 39 % au Royaume Uni et 42 % aux Pays Bas.
Pour conforter le premier pilier qu’est la retraite par répartition, relancer l’épargne retraite constitue donc une urgence sociale et un gage de compétitivité du tissu économique, favorable à l’emploi de demain.
Nous proposons pour cela quelques grands axes : assouplir le fonctionnement du PERP en le rendant plus attrayant, au moyen notamment de sorties anticipées en vue de la retraite, par exemple pour acquérir ou remettre en état la résidence principale, créer un avantage fiscal en cas de dépendance, mettre fin au double prélèvement de la CSG et de la CRDS sur le capital investi – anomalie de la loi de 2003 –, flécher vers l’épargne retraite la participation et l’intéressement, automatiquement investi dans le PERCO sauf avis contraire du salarié, instaurer des possibilités de transfert entre l’assurance-vie et l’épargne retraite, ouvrir, enfin, la possibilité de mettre en place, par accord interprofessionnel, un PERP et un PERCO pour les salariés non couverts par les dispositifs d’épargne retraite professionnelle.
Sur ces amendements, qui introduiraient un titre V bis dans le projet de loi, nous serions heureux, monsieur le ministre, de recueillir votre avis.
M. Vincent Descoeur. Si je me réjouis de la décision courageuse, salutaire et responsable que le Gouvernement a prise en rouvrant un dossier dont beaucoup, avant lui, ont préféré se tenir éloignés, je ne peux pas m’empêcher toutefois de me demander, compte tenu du triste spectacle auquel certains collègues de l’opposition viennent de se livrer, ce qu’auraient pensé les Français si vous aviez accédé, monsieur le président, à l’exigence socialiste de publicité des débats. Nos compatriotes n’auraient-ils pas douté de notre capacité à être à la hauteur de l’enjeu ? Un sujet aussi crucial pour l’avenir de notre société ne mérite-t-il pas de dépasser nos clivages politiques ? Ne pouvons-nous partager l’objectif de sauvetage de notre système de retraite ?
Plus précisément, j’attache une grande importance à la disposition tendant à favoriser l’accès au minimum vieillesse des exploitants agricoles – auquel ces derniers ne pouvaient prétendre jusqu’à présent – en excluant de l’actif successoral la valeur de leur outil de travail. Cette mesure, attendue de longue date, permettra de mettre fin à une inégalité criante – de même, d’ailleurs, que celle concernant la réversion des droits à la retraite complémentaire des conjoints collaborateurs et des aides familiaux pour le conjoint survivant.
Au final, voilà deux mesures de justice sociale destinées à plusieurs dizaines de milliers de personnes qui montrent combien ce texte comporte d’avancées essentielles !
M. Dominique Dord. Certains collègues ont dénoncé la méthode employée par le Gouvernement et la commission. À l’instar de ceux qui ont pris la peine de participer aux différentes étapes de l’élaboration du texte, elle me semble au contraire excellente. Les trois jours et nuits que nous nous apprêtons à consacrer exclusivement à son étude me semblent aussi un gage suffisant pour que nous puissions discuter dans la plus grande sérénité. Je comprends donc assez mal le contraste entre l’écoute dont nos collègues socialistes ont fait preuve pendant les quarante heures d’auditions et le ton qu’ils emploient aujourd’hui : hors l’intervention de Jean Mallot – lequel n’a d’ailleurs pas respecté les règles élémentaires de la discussion en commission – je n’ai pas entendu une seule remarque de fond. Plus de deux heures de débats ont été nécessaires pour exprimer seulement trois points de vue sur un mode polémique et itératif :
La crédibilité du Gouvernement, tout d’abord : mais est-ce nous qui, depuis des semaines, la mettons en cause ?
Ensuite, le huis clos – alors que tel est le plus souvent le cas en commission sans que personne n’y trouve à redire même si, comme François Bayrou, je considère qu’il s’agit là d’une pratique un peu vaine, compte tenu des moyens technologiques dont nous disposons. Plus généralement, si cette approche doit être remise en cause, que le caractère public des commissions soit alors explicitement formulé même si je doute, quant à moi, des bienfaits d’une telle systématicité.
Enfin, la campagne de publicité organisée par le Gouvernement. Nos collègues de l’opposition n’ont-ils pas la mémoire courte ? Je me souviens des affiches de quatre mètres sur trois – sur lesquelles avait d’ailleurs posé un chef d’entreprise de ma circonscription – que Mme Martine Aubry avait fait apposer partout dans notre pays pour vanter les bienfaits des 35 heures.
Au fond, nous ne faisons que marcher sur vos brisées !
Par ailleurs, j’avoue que nos débats m’ont fait évoluer : il me paraît aujourd’hui plus juste de « jouer » sur le paramètre de l’âge légal de départ en retraite – à condition toutefois d’y ajouter le dispositif de retraite anticipée pour les carrières longues – que sur celui de la durée des cotisations.
En outre, madame Billard, notre projet de société est moins « travail, travail, travail » que « retraites, retraites, retraites », et c’est précisément pour que ces dernières soient préservées que nous le défendons !
Enfin, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) – dont je préside le conseil de surveillance – cumulant 8 milliards d’euros de déficits, comment pourrions-nous laisser filer les déficits sociaux de façon abyssale et, à l’instar de nos collègues socialistes, défendre le Fonds de réserve pour les retraites, alors que ce dernier dépend des marchés boursiers et fonctionne partiellement sur le mode de la capitalisation ? Leur position n’est-elle pas à tout le moins inconfortable ? Je souscris donc quant à moi à l’utilisation la plus rapide et astucieuse possible du fonds de réserve !
M. Dominique Tian. Contrairement à nombre de nos collègues, je considère que le projet fait montre d’une extrême modération, en particulier lorsque l’on s’avise de la politique de nos voisins européens – en particulier allemands et espagnols. J’ajoute que ce texte répare l’erreur socialiste historique que fut l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans, lequel a mis en danger l’ensemble de notre système.
Par ailleurs, je salue la volonté du Gouvernement d’œuvrer en faveur d’un peu plus d’équité entre les secteurs public et privé, même s’il fait preuve d’une extrême prudence en la matière. M. le ministre Éric Woerth, au mois de mars, déclarait ainsi dans Le Monde que le calcul de la retraite des fonctionnaires à partir des six derniers mois constitue « un sujet qui fâche dont [il ne sait pas] s’il faut vraiment le mettre sur la table. » Et il ajoutait : « Doit-on tenir compte de la spécificité du secteur public ? ». Précisément, quelle est-elle ? Chacun sait que les six derniers mois de carrière, dans les administrations, sont l’occasion de réaliser la fameuse opération « coup de chapeau », soit des promotions fictives interdites aux travailleurs du secteur privé. Au mois d’avril 2003, la Cour des Comptes indiquait à ce propos que 31 % des fonctionnaires du ministère de l’intérieur, 30 % de ceux du ministère de la défense et 23 % de ceux de Bercy en bénéficient. Faut-il continuer dans cette voie ? Je ne le crois pas.
J’ajoute que le départ à la retraite à l’âge de 62 ans ne s’appliquera pas au million de fonctionnaires classés en catégorie active et ayant donc des emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles. N’est-il pas temps de mettre un peu d’ordre dans cette classification datant de 1853 ? Les douaniers, les agents d’entretien, les aiguilleurs du ciel prennent-ils des risques particuliers et sont-ils exceptionnellement fatigués ? Les salariés qui travaillent dans le secteur privé et qui, eux, ont des métiers pénibles dans le bâtiment ou les transports, l’artisanat ou l’agriculture, en doutent fortement alors qu’ils voudraient bien partir à la retraite à l’âge de 50 ans.
Enfin, je m’étonne que des amendements qui tendaient à accroître la justice sociale aient été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 par la Commission des finances et son président, Jérôme Cahuzac. Si faire travailler un peu plus longtemps un aiguilleur du ciel coûte en effet plus d’argent à l’État, n’est-ce pas aussi un bon moyen d’améliorer nos finances publiques ? Quoi qu’il en soit, je fais confiance au Gouvernement pour réintroduire certains d’entre eux, ce dont je le remercie par avance.
M. Jacques Domergue. Au vu du comportement de nos collègues socialistes, je suis persuadé du caractère relatif de notre huis clos. Favoriser un travail consensuel sur un sujet d’intérêt général – et c’est en l’occurrence le cas, puisqu’il est question des équilibres financiers et de l’avenir de nos compatriotes – devrait aller de pair avec un minimum d’honnêteté, quelles que soient les divergences !
Par ailleurs, comme Dominique Tian, je considère que des marges de manœuvre existent pour rendre ce texte encore plus équitable – de ce point de vue, en effet, nous restons un peu sur notre faim. Si les Français ont parfaitement compris qu’ils devront partir à la retraite plus âgés, ils ne comprennent pas, en revanche, que certains d’entre eux continuent à partir à l’âge de 50 ans, voire à 52 ans une fois le texte voté. N’y a-t-il pas là deux poids deux mesures ? Comment, dans ces conditions, faire converger les secteurs public et privé ? Nous, parlementaires, devons pouvoir faire en sorte de porter l’âge de la retraite de nos compatriotes qui sont dans cette situation, par exemple à 55 ans en posant un principe de base selon lequel aucun Français ne pourra partir à la retraite avant cet âge-là. La retraite des militaires elle-même doit-elle être uniforme – si vous me passez l’expression ?
De la même manière, au-delà d’un certain seuil, la prise en compte des années travaillées dans le secteur public n’est pas complète. Ainsi une infirmière qui ne travaillerait pas dix ans au minimum dans la fonction publique serait-elle pénalisée. Or, nous savons fort bien que les carrières seront de moins en moins linéaires et qu’une infirmière, pour garder cet exemple, peut très bien exercer dans les secteurs privé, public ou de façon libérale. Passer en l’occurrence de dix à douze ans, comme le prévoit le texte, ne me paraît pas de bonne politique, quand il conviendrait au contraire de réduire cette période.
Enfin, on croit rêver devant le « retoquage » par Jérôme Cahuzac et la Commission des finances, au titre de l’article 40, de certains de nos amendements ! En quoi le maintien en activité au-delà de 60 ans d’un salarié du secteur privé serait-elle un gain et celle d’un fonctionnaire, forcément et exclusivement, un coût ? Je suis persuadé que les Français sont prêts à accepter des sacrifices encore plus grands que ceux que nous leur demandons, mais à condition que la réforme soit équitable pour tous.
M. Étienne Pinte. Je suis un peu sur la même longueur d’onde que mon prédécesseur. Tout le monde en convient : la réforme des retraites est démographiquement et financièrement nécessaire. Néanmoins, le projet va-t-il aussi loin qu’il le faudrait pour que le budget de l’assurance vieillesse soit équilibré en 2018 ? J’en doute.
En outre, je m’interroge sur la prise en compte des inégalités d’espérance de vie entre les différentes catégories sociales.
Par ailleurs, si difficile que soit à définir et à appliquer la notion de pénibilité, je souhaite que cette dernière ne soit pas confondue avec celle d’invalidité.
Enfin, je regrette que le texte ne prenne pas suffisamment en compte la durée du temps de travail des femmes, la carrière de nombre d’entre elles n’ayant pas été un long fleuve tranquille.
M. Alain Vidalies. Comment s’étonner que nos débats se déroulent de la sorte alors que le huis clos était une erreur manifeste ? Si, au contraire, la transparence avait été de rigueur, chacun aurait défendu son point de vue sans se livrer à une bataille de communiqués ! Par ailleurs, un tel procédé n’est-il pas contradictoire avec la réforme constitutionnelle du travail en commission ? Je rappelle à ce propos que la discussion en séance publique ayant lieu à partir du texte issu de nos travaux, certaines de ses dispositions pourront être considérées comme définitives. Comme pour le patinage artistique, j’ai donc le sentiment que nous en sommes aujourd’hui aux figures imposées – qui ne sont jamais télévisées –, les figures libres venant dans un second temps. Parce que ce n’est pas ainsi que le travail en commission sera réhabilité je vous invite, monsieur le président, à ouvrir nos prochains débats à la presse et à faire en sorte qu’ils soient retransmis par LCP-AN.
En outre, venant ce matin de ma lointaine province, une intervention de Jean-François Copé m’a littéralement sidéré : le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale a considéré que notre discussion vise simplement à « prendre la température ». Je vous avoue que, si je n’avais pas dû respecter les consignes du président du groupe socialiste, j’aurais succombé à la tentation de faire demi-tour. « Prendre la température », est-ce une formule convenable alors que MM. Woerth et Tron sont parmi nous et que nous sommes nombreux à nous être réunis ? Au final, notre travail est donc doublement dévalorisé, et par une telle déclaration et par une telle méthode.
Si cette discussion est importante en ce qu’elle concerne l’ensemble des Français, ces derniers n’ont pas moins une approche différente de la question des retraites en raison de leurs intérêts propres – lesquels sont fonction, par exemple, de leur parcours professionnel ou de leur patrimoine. La retraite n’est, en effet, pas la même pour un salarié qui ne dispose que d’elle pour vivre et pour celui qui peut compléter ses revenus par la location d’un appartement ou d’une maison. De la même manière, l’espérance de vie n’est pas la même pour un ouvrier ou un cadre, non plus d’ailleurs que la perception qu’il peut avoir de son travail ou les conditions de ce dernier. Comment donc trouver une solution commune ? C’est ici que se situe le choix politique. J’insiste : parce que la retraite est le seul patrimoine de ceux qui n’en ont pas, c’est à eux qu’il convient d’abord de penser.
De surcroît, si les approches peuvent différer en ce qui concerne l’âge de départ à la retraite, pourquoi proposer une réforme offrant plus de souplesse à ceux dont les difficultés sont les moindres ? Ainsi, les cadres en bénéficieront-ils quand les ouvriers se verront opposer plus de contraintes, et c’est précisément en cela que votre réforme est injuste.
Par ailleurs, cette dernière n’est que la réforme de votre réforme de 2003 et, là, vous aurez des comptes à rendre ! Ce sera d’ailleurs pour vous un exercice redoutable lorsque nous nous livrerons, en séance publique, à certaines comparaisons. En 2003, vous prétendiez également répondre aux problèmes posés par la situation démographique de notre pays à partir des rapports du COR, le Premier ministre d’alors, M. Jean-Pierre Raffarin, son ministre des affaires sociales, M. François Fillon, et le rapporteur, M. Xavier Bertrand, arguant d’un déficit de 43 milliards d’euros à l’horizon de 2020 – d’où l’allongement de la durée des cotisations et, l’économie française se portant nécessairement de mieux en mieux selon eux, le transfert d’une partie des cotisations chômage sur l’assurance vieillesse, lequel aurait permis d’atteindre l’équilibre tant attendu.
Monsieur le ministre du travail, vous avez l’habitude d’utiliser cette formule étonnante, « les déficits ont gagné dix ans »,... qui vous évite de reconnaître que la situation s’est aggravée, puisque les déficits prévisibles pour 2020 sont constatés en 2010.
La question démographique a été posée en 2003 : or, comme il y a peu de chances que des salariés soient arrivés à la retraite en 2010 sans que leur existence ait été connue en 2003, ce n’est pas le paramètre démographique qui a changé depuis cette date, mais bien celui du niveau d’emploi, en raison de la crise. Nous pouvons tous partager ce constat en dépit de la divergence de nos analyses. On ne saurait donc reprendre aujourd’hui des arguments démographiques pour justifier une réforme qui, en réalité, présente la facture de la crise aux salariés français qui en ont déjà payé très largement le prix.
Cette intuition est confortée par la double communication du Gouvernement : Mme Christine Lagarde et vous-même vous êtes répartis les rôles. D’un côté, vous expliquez aux Français que la réforme est un passage obligé pour sauver le système par répartition tandis que, de l’autre, Mme Christine Lagarde informe les marchés financiers que la réforme se fonde sur les paramètres cumulés les plus durs d’Europe, que ce soit en termes d’âge de départ à la retraite ou de nombre d’annuités nécessaires pour bénéficier du taux plein. Mme Christine Lagarde a même déclaré aux marchés que la France irait plus vite en la matière que l’Allemagne – nous y reviendrons en séance publique. Vous ne faites pas une réforme pour les Français, mais pour les marchés financiers.
Vous-même, monsieur Jacquat, dans votre rapport d’information sur le rendez-vous de 2008 sur les retraites, avez écrit qu’il ne convient pas de prévoir une modification de l’âge légal du départ à soixante ans, qui est « un acquis social majeur ». La remise en cause d’un « acquis social majeur » étant par définition un « recul social majeur », j’espère, monsieur le rapporteur, que, dans votre prochain rapport, vous reprendrez les termes de 2008 : chacun pourra ainsi constater que vous remettez en cause un « acquis social majeur ». Il est vrai que vous n’êtes pas le seul à avoir changé de position sur le sujet. Jean Mallot a rappelé les déclarations péremptoires du Président de la République : il n’avait pas été élu pour « cela ». De même, certains, qui sont intervenus, avaient déclaré en 2003 qu’il ne fallait pas modifier l’âge légal du départ à la retraite. Il leur appartient de justifier un revirement aussi complet.
Par ailleurs, monsieur le ministre, que deviendront les chômeurs ou tous ceux qui bénéficient du RSA et qui approchent les 60 ans ? Je suis très étonné que le projet de loi soit muet sur le sujet, compte tenu des déclarations que vous avez faites à la convention de l’UMP le 25 mai dernier : « Je veux dire en particulier aux salariés âgés qui sont actuellement au chômage que je proposerai dans le cadre de la réforme un dispositif permettant d’éviter que l’augmentation de la durée d’activité ne les conduise à rester plus longtemps au chômage et donc à y perdre financièrement ». Le projet de loi les oublie : il faut passer aux actes, monsieur le ministre, pour rassurer ces centaines de milliers de Français qui seront immédiatement frappés par la réforme des retraites. Toutefois, je tiens à le rappeler après Jean Mallot que l’étude d’impact ne répond pas aux questions sur l’évaluation de la réforme.
Je discerne un autre changement, plus grave encore, sur la question de la pénibilité. En effet, si la droite et la gauche ne partagent pas les mêmes approches notamment sur le financement des retraites, du fait qu’il s’agit d’une question non seulement technique mais également politique – les Français arbitreront le moment venu –, en revanche, nous aurions pu adopter une démarche commune sur la question de la pénibilité, puisque, à la suite de la réforme de 2003, les partenaires sociaux ont travaillé sur le sujet. En effet, si la négociation a échoué, elle a donné lieu à des propositions intéressantes, si bien que nous disposons aujourd’hui des études réalisées par les partenaires sociaux, de projets d’accord relativement élaborés et des travaux demandés par le COR sur plusieurs années, visant à dégager une définition précise de la pénibilité au travail au travers, notamment, de statistiques. Tout ce matériau pouvait aboutir à une volonté commune de traiter la question. Or, le projet de loi adopte une démarche inverse en se fondant sur la pénibilité constatée et non sur les risques subis avant que celle-ci ait été constatée, alors même que les représentants de l’UMP eux-mêmes comprennent que la simple exposition à des facteurs de risques, notamment cancérigènes, diminue l’espérance de vie des ouvriers de sept ans par rapport aux cadres.
Chacun sait ici que ce n’est pas au moment où l’ouvrier travaille qu’il subit les conséquences les plus graves de son exposition à de tels facteurs, mais après avoir travaillé. Est-on capable de mesurer ces risques ? Or, sur cette question également, monsieur le ministre, nous pouvons observer de votre part un changement complet par rapport à ce même discours à la convention de l’UMP, dans lequel vous déclariez que vous intégreriez dans la réforme la reconnaissance de la pénibilité, ajoutant : « Nous nous appuierons sur la définition des partenaires sociaux qui ont privilégié l’approche par les facteurs d’exposition, qui est la seule possible ». C’était, je le répète, le 10 mai dernier, et voici que le projet de loi prévoit exactement le contraire : une incapacité de 20 % avec une référence à la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, lesquelles impliquent des questions d’imputabilité et de procédure qui sont une horreur absolue. Comment avez-vous pu nous proposer un tel texte ? La question de la pénibilité aurait pu être au cœur d’un important débat républicain : vous le renvoyez à plus tard.
Monsieur le ministre, voici qu’au manque de transparence qui entoure nos travaux et à l’agression verbale de Jean-François Copé, ce matin, sur la qualité de ceux-ci, s’ajoute le fait qu’on ne retrouve pas dans le texte le contenu des déclarations que vous aviez effectuées à son sujet : pensez-vous que les parlementaires peuvent accepter de débattre dans de telles conditions ? Les discussions ont manifestement lieu ailleurs qu’ici. Les députés de l’UMP en sont-ils informés ? En tout cas, nous ne le sommes pas.
Cette réforme, qui est majeure pour les Français, est l’objet de deux visions très différentes. C’est pourquoi, elle sera le lieu d’une opposition frontale entre deux projets. Ce n’était pas une raison pour écarter toute transparence et refuser d’engager le débat sur des questions que nous aurions pu partager, comme la pénibilité.
M. le président Pierre Méhaignerie. Nous sommes obligés de regarder ce que font nos partenaires européens en la matière : nous ne vivons pas dans un monde protégé.
M. Christophe Sirugue. Monsieur le président, vous avez confié à Dominique Tian et à moi-même la mission d’examiner les études d’impact des textes soumis à notre commission. C’est pourquoi je m’étonne que Dominique Tian n’ait pas évoqué celle portant sur le présent texte. Cet acte manqué fait peut-être écho aux propos liminaires du ministre du travail : puisque le Conseil d’État a validé l’étude, circulez, il n’y a rien à voir ! Monsieur le président, s’il est vrai que notre mission ne présente aucun intérêt, est-il nécessaire que nous continuions de la remplir ?
Même si le Conseil d’État a juridiquement validé l’étude d’impact, nous ne devons pas moins émettre un avis.
Pour ce faire, il convient de rappeler que le Gouvernement a souhaité que les études d’impact soient systématiquement adjointes aux projets de loi qui sont soumis à l’examen de la commission compétente afin de mesurer toutes les conséquences de leur application. Elles sont, en ce sens, nécessaires afin de ne pas réitérer les erreurs du passé. C’est d’autant plus vrai pour un projet de loi que vous présentez comme le texte majeur de la mandature, du fait qu’il concernera, par définition, tous les Français.
Or, quelle n’a pas été notre surprise devant la maigreur de la présente étude, alors que nous nous attendions à un document de 4 000 pages ! Certes, ce n’est pas son épaisseur qui fait la qualité d’une étude, mais celle-ci devait prendre en considération un très grand nombre de paramètres. Je rappelle que l’étude d’impact est réalisée par le ministère concerné, examinée par le secrétariat général du Gouvernement et transmise au Conseil d’État, puis aux assemblées. La rédaction originelle de ce document succinct émane donc bien du ministère dont M. Woerth a la responsabilité. Or, il s’agit présentement d’une étude indigente.
En effet, les trois premiers chapitres ne font que reprendre l’exposé des motifs : est-ce l’objet d’une étude d’impact ? Quant au quatrième chapitre sur l’analyse des impacts, il ne donne lieu à aucune évaluation globale : à aucun moment les différents éléments d’analyse ne viennent nourrir une réflexion générale sur l’impact du projet de loi, alors même que celui-ci aura des conséquences considérables, notamment dans les domaines financier, économique et social ou en termes d’organisation du temps de travail.
C’est que, par principe, l’étude refuse d’analyser les alternatives possibles. Nulle part les conséquences d’un âge de départ stabilisé à 60 ans ou passant à 61 ans ne sont évoquées. Certes, les travaux COR sur le sujet existent, mais, dans ces conditions, pourquoi l’étude d’impact ne les analyse-t-elle pas ?
De plus, celle-ci n’évalue à aucun moment les incidences de la réforme sur le pouvoir d’achat, question fondamentale dès lors qu’on évoque les pensions de retraite. Il n’y a pas non plus un mot sur la question de l’épargne, alors que c’est un élément déterminant de la réflexion menée sur la réforme des retraites.
En ce qui concerne les aspects financiers, l’étude s’appuie sur un choix unique de croissance alors qu’elle devrait évaluer les conséquences d’une croissance moins forte ou plus lente, notamment sur le mode de financement construit. Or, aucun élément d’analyse financier de la réforme n’est donné. L’étude se contente de communiquer, sans démonstration aucune, quelques chiffres lapidaires, alors que la démarche devrait être inverse : c’est à l’étude de démontrer le caractère indiscutable des chiffres fournis. En effet, les chiffres ne sauraient être indiscutables du simple fait que l’étude d’impact les mentionne !
L’étude n’évoque pas non plus le Fonds de réserve pour les retraites. On n’ignore s’il sera liquidé, à quelle échéance ou à quel rythme, et, s’il ne l’est pas, comment il sera alimenté. Il n’y a, non plus, aucune piste de réflexion sur l’après 2018 : qu’en sera-t-il du financement des retraites en 2020 ou en 2030 ?
Manifestement, ce document ne répond pas aux exigences de la loi organique du 15 avril 2009, qui a présidé à la consécration des études d’impact, sur le fondement du troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution.
Je me permets de rappeler qu’une étude d’impact non conforme aux critères de recevabilité doit entraîner le report du projet de loi. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président, outre les éléments que j’ai rappelés et que je détaillerai, j’envisage d’autant moins de valider l’étude d’impact que l’analyse administrative du secrétariat de la commission révèle que deux des rubriques prévues par la loi organique ne sont pas renseignées : l’articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d’élaboration, ainsi que la déclinaison du dispositif en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Or, je crains que, d’ici au 6 ou 7 septembre prochains, nous n’ayons pas les éléments que nous sommes en droit d’attendre : je pense notamment au détail du plan de financement du projet de réforme du Gouvernement à court et long termes, au détail concernant l’usage du Fonds de réserve pour les retraites et les ressources auquel il est adossé, aux variantes et à leurs effets en matière de choix de relèvement ou non des bornes d’âge de départ à la retraite ou à l’évaluation approfondie des questions ayant trait à la pénibilité.
J’ai, en raison de la clôture de la session extraordinaire, non pas quatre jours mais plus d’un mois pour émettre un avis, à savoir jusqu’au 28 août : si, en dépit de votre intervention, monsieur le président, nous ne pouvions disposer à cette date des éléments qui nous manquent objectivement, je serai amené à émettre officiellement sur cette étude l’avis négatif que je viens de donner et Jean-Marc Ayrault, le président de notre groupe, demandera le report du projet de loi. Il n’est pas acceptable, en effet, de disposer d’une étude d’impact aussi indigente sur un projet de loi aussi important.
M. Georges Colombier. En raison du déficit important et croissant de notre système de retraite par répartition, une réforme est indispensable. Nous sommes nombreux ici à en convenir. Dans le contexte économique et social actuellement explosif, trois principes doivent guider nos prises de position : la solidarité, l’équité et le réalisme.
Pour garantir la solidarité, il convient tout d’abord de réaffirmer notre attachement au régime par répartition, par opposition au régime par capitalisation où chacun épargne pour soi-même sans avoir le sentiment d’une quelconque solidarité avec la génération des aînés actuellement à la retraite. C’est pour maintenir cette valeur de solidarité qu’il faut prendre des mesures courageuses, comme l’augmentation de l’âge légal du départ à la retraite, en fonction de l’augmentation de l’espérance de vie, ou l’allongement du nombre d’annuités pour assurer l’équilibre financier de notre système. Ces deux mesures sont indissociables des questions relatives à la place des seniors sur le marché du travail. Même si beaucoup a été fait depuis 2007 en la matière, il convient de changer les mentalités pour en finir avec cette exception française : seulement 39 % des seniors ont un emploi en France contre 44,7 % en moyenne dans l’Union européenne.
Le texte devra également veiller à augmenter les petites retraites. Bien que des mesures spécifiques aient été prises en faveur des petites pensions depuis 2007, des situations de pauvreté persistent notamment pour ceux qui ont connu des carrières incomplètes ou qui ont faiblement cotisé. Je pense notamment aux carrières à temps partiel des femmes, en particulier celles qui travaillent dans le secteur de l’aide à domicile. Il ne faudra pas non plus oublier d’augmenter les retraites agricoles.
Pour être pleinement acceptée, la réforme doit être juste socialement. C’est la raison pour laquelle les plus hauts revenus doivent être mis à contribution au nom de la solidarité. Les revenus du capital doivent être davantage taxés, de même que les stocks options et les retraites chapeaux.
Pour garantir l’équité, une réforme juste suppose que l’effort soit partagé entre tous. Chacun doit participer au mouvement de réforme. Il faut, à cette fin, poursuivre la convergence entre le public et le privé, harmoniser les règles de réversion pour les conjoints survivants de la fonction publique sur celle du régime général et simplifier notre système de retraite.
Être réaliste suppose qu’on ne perde pas de vue qu’il demeure, en dépit de l’évolution des conditions de travail, des métiers plus pénibles et plus usants que d’autres : sept ans d’espérance de vie supplémentaires pour un cadre supérieur par rapport à un ouvrier du bâtiment sont une réalité incontestable qu’on doit prendre en compte. C’est un élément indiscutable de justice sociale. Il convient, à cette fin, de permettre à ceux qui ont commencé de travailler tôt de partir plus tôt : le système des carrières longues doit être maintenu et renforcé. Il convient également d’améliorer sans cesse les conditions de travail : encourager à travailler plus longtemps passe nécessairement par une réflexion sur le « travailler mieux » et la pénibilité. Enfin, être pragmatique, c’est reconnaître qu’il existe des marges de manœuvre à exploiter, pour ne pas faire reposer tout notre système de retraite sur la seule répartition : je pense notamment à l’épargne retraite. C’est également donner la possibilité de travailler plus longtemps à ceux qui le souhaitent.
La réforme des retraites, parce qu’elle touche à des valeurs qui fondent notre pacte social républicain, exige courage et ambition. Les Français ne sont pas dupes. Ils connaissent la réalité démographique et les limites de notre système actuel. Il est de notre responsabilité de leur tenir un discours de vérité qui ne soit pas pour autant alarmiste et de prendre toutes les mesures qui s’imposent, pour aujourd’hui comme pour demain. La réforme doit être ambitieuse parce que nous ne pouvons pas nous permettre d’ouvrir le chantier des retraites tous les dix ans : les perspectives à court terme engendrent inquiétude et défiance.
Allons vers une réforme aussi courageuse que nécessaire.
M. Jean Bardet. Peut-on encore parler d’un débat à huis clos, compte tenu du nombre des journalistes qui sont derrière la porte ?
Comme un grand nombre de mes collègues de la majorité, j’adhère totalement à la philosophie du projet du Gouvernement, qui est courageux et nécessaire. En effet, même si la crise l’a aggravé, il faut résoudre un problème d’ordre démographique par des solutions démographiques. Du reste, le Gouvernement a également proposé d’autres pistes.
Je ferai trois remarques et une proposition.
Ma première remarque, au risque de m’attirer les foudres de mes collègues socialistes, porte sur le report de l’âge légal de départ à la retraite. Je regrette qu’il n’ait pas été repoussé plus loin. Avec 62 ans, la France restera un des pays d’Europe où cet âge est le plus faible. Cette frilosité laisse planer un doute sur le retour à l’équilibre en 2018.
Ma deuxième remarque porte sur l’augmentation d’un point de la taxation des plus hauts revenus. Je pense, cette fois, obtenir l’adhésion de mes collègues socialistes en déclarant que nous aurions pu aller plus loin, ce qui aurait permis de mieux prouver encore le désir de justice et de solidarité de la majorité.
Ma troisième remarque concerne les carrières longues : je suis heureux que le Gouvernement ait maintenu ce dispositif. Je voudrais cependant rendre justice à ceux qui sont entrés tardivement dans le monde du travail, soit qu’ils aient galéré au début de leur carrière professionnelle, soit qu’ils aient fait des études longues et difficiles, parfois accompagnées de petits boulots le soir et les week-ends : ce ne sont pas forcément des privilégiés.
Enfin – ce sera ma proposition –, ne pourrait-on pas envisager, pour les jeunes qui entrent dans la vie professionnelle, des prêts à taux privilégié pour l’achat de leur résidence principale, dont la durée de remboursement serait calculée sur l’âge prévisible du départ à la retraite ? La fin des remboursements entraînerait, à ce moment-là, une augmentation automatique du pouvoir d’achat. Cette mesure permettrait de donner du patrimoine à ceux qui n’en ont pas, question qu’a évoquée notre collègue Alain Vidalies.
Ce projet de loi est courageux et nécessaire. Il n’est toutefois censé régler le problème des retraites que jusqu’en 2018. Ne pourrions-nous pas, dès maintenant, comme l’ont suggéré plusieurs députés, étudier un autre système de retraite, notamment par points ?
M. Michel Liebgott. Pas plus que mon collègue Alain Vidalies, je ne me faisais d’illusion à la veille de ce débat. Le Président de la République a très clairement expliqué voilà quelques jours que, constituant un élément essentiel du quinquennat, la réforme proposée n’était pas à débattre, et – cela nous a été confirmé aujourd’hui – qu’elle ne pouvait être révisée qu’à la marge, durant l’été, sur le point particulier de la pénibilité.
Les déclarations du président du groupe UMP ne sont pas non plus pour nous surprendre. Les critiques envers le président de notre groupe pour sa participation au débat de la Commission des affaires sociales sont pour moi incompréhensibles. Il me paraît plus judicieux pour un président de groupe de venir écouter les débats, comme l’a fait Jean-Marc Ayrault que de se répandre dans la presse. Même si la messe est dite, j’aurais préféré que les médias, plutôt que d’avoir communication de nos propos, les entendent en direct en lieu et place de déclarations faites par des parlementaires, qui n’auront participé que furtivement, voire pas du tout, à la discussion en commission.
Ne nous voilons pas la face et ne trompons pas nos électeurs. L’exercice que nous accomplissons ici est un exercice obligé, incontournable, rendu obligatoire par les institutions de la Ve République. Pour autant, nous le savons très bien, le Parlement n’est aujourd’hui qu’un petit appendice du pouvoir exécutif. Vous le constaterez encore demain, la presse évoquera bien plus largement les événements, positifs ou négatifs, qui se déroulent au sein de ce dernier que le débat qu’aura tenu la Commission des affaires sociales. Qu’on le regrette ou non, c’est ainsi, et je crois, monsieur le ministre, que vous le constatez tous les jours.
Ce n’est cependant pas là un motif pour nous taire. Les médias, je crois, seraient mieux mobilisés s’ils entendaient un vrai débat en direct. Nos propos en seraient du reste sans doute modifiés : nous devrions nous garder des provocations. Peut-être même les idées des uns et des autres pourraient-elles progresser à cette occasion : c’est au moyen du débat et non pas de discours unilatéraux que s’avance le progrès !
Nous sommes tous conscients des conséquences qu’entraîne le vieillissement de la population : parmi elles figurent des modifications sensibles de notre manière de vivre à la fois le temps actif et le temps du repos.
Le projet a néanmoins le mérite de mettre en évidence nos divergences fondamentales sur les modes de financement. Il est exemplaire de l’action menée depuis plusieurs années. Dominique Tian l’a souligné, il ne prévoit aucune taxation pour les capitaux et reporte l’intégralité de la charge sur les salariés et les travailleurs. Faut-il rappeler que le début du quinquennat a été marqué par la loi dite « TEPA », qui a instauré le bouclier fiscal et la défiscalisation des heures supplémentaires, comme s’il s’agissait de donner plus à ceux qui ont déjà beaucoup et de prendre à ceux qui ont peu ?
Alors que le projet socialiste prévoit une taxation des capitaux de 19 milliards d’euros, le projet de loi la limite, malheureusement, à 1,7 milliard d’euros, montant auquel s’ajoute une taxation de 2 milliards d’euros sur les entreprises. C’est bien peu pour le projet phare du quinquennat !
Le Fonds de réserve pour les retraites, cette construction si dénigrée, si maudite, qualifiée de rocambolesque, est aussi devenue l’une des pierres de la réforme proposée ! Sans l’action du Gouvernement Jospin et les 34,5 milliards d’euros du fonds – dont la dotation, je le rappelle, devait atteindre 150 milliards d’euros en 2020 –, le Gouvernement ne pourrait pas proposer aujourd’hui de réforme des retraites. La disparition des réserves du fonds va rendre aussi sans doute toute nouvelle réforme impossible. Comment allez-vous procéder en 2018 ? Comme l’a dit Alain Vidalies, vous utilisez déjà une réforme structurelle – réalisée par le Gouvernement Jospin – pour pallier un élément conjoncturel, dû à la crise économique ! Vous vous en servez pour créer un déséquilibre considérable entre le capital et le travail. Et, bien sûr, vous ne prévoyez aucune mesure pour sa reconstitution.
Le projet socialiste, au contraire, prévoit cette reconstitution, par le moyen d’un impôt sur les sociétés. Ainsi, après avoir pris nos responsabilités dans le passé, nous les prenons de nouveau, contrairement à vous, pour l’avenir.
Je pourrais développer encore la question des déséquilibres entre les financements que vous prévoyez et ceux que nous envisageons. Je voudrais cependant aborder la pénibilité. Le rapport entre vos prévisions du nombre de personnes qui pourront être concernées par le dispositif – 10 000 – et le total des salariés – 25 millions – est proprement provocateur. Comment pouvez imaginer faire de la prise en compte de la pénibilité un symbole de votre réforme tout en limitant à 10 000 le nombre de bénéficiaires du dispositif ? Je le dis comme député d’une terre de sidérurgie, l’addition des salariés concernés des seules régions Lorraine et Nord-Pas-de-Calais suffirait largement à remplir ce quota ! Faut-il qualifier cette disposition de mirage ou d’alibi ? Le projet socialiste n’est pas une simple réforme comptable. La prise en compte de la pénibilité en fait partie, là où vous ne voyez qu’un modeste appendice à la notion d’invalidité.
Vous évoquez aussi des transferts de l’Unedic vers la CNAV comme sources de financement possible pour les retraites. Mais, messieurs les ministres, sur quels éléments pouvez-vous vous fonder pour considérer que les 40 % de personnes entre 48 et 65 ans qui, aujourd’hui, ne travaillent pas travailleront demain ? Comme l’a indiqué Christophe Sirugue, rien dans l’étude d’impact ne concerne l’amélioration des conditions de travail ni la prise en compte des troubles musculo-squelettiques et les problèmes psychosociaux dans le travail.
Il m’aurait aussi paru nécessaire, monsieur le président, que nombre d’amendements que nous avons déposés puissent être examinés au fond, et non pas écartés au préalable. À cet égard, une comparaison en pourcentage et par groupe des amendements refusés n’est pas pertinente : le rejet de nos amendements interdit tout simplement le débat. Or, du fait des changements de procédure induits par la réforme de la Constitution, l’Assemblée nationale va travailler en séance plénière sur le texte adopté en commission et non sur celui du Gouvernement. Autrement dit, les points sur lesquels portaient nos amendements ne pourront pas être traités en séance publique comme ils auraient dû l’être ici.
M. le président Pierre Méhaignerie. Monsieur Liebgott, mes trente-sept ans de carrière parlementaire m’ont appris que si les intentions sont toujours bonnes, la confrontation aux réalités du pouvoir fait brutalement changer les positions, quelle que soit leur sincérité. Pour mémoire, c’est en 1983 que la part du travail dans la valeur ajoutée a le plus diminué, tandis que, entre 1983 et 1986, celle du capital a augmenté de 9 points. Alexandre Soljenitsyne s’exprimait ainsi : « crois les yeux, pas les oreilles ».
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Une réforme des retraites est toujours un enjeu fort de débat. Nos concitoyens ont bien compris l’enjeu de celle-ci. Ils nous font part de leurs inquiétudes sur les différents points évoqués cet après-midi. Ils ressentent les injustices créées par l’inégale répartition de l’effort demandé, alors même que d’autres propositions, rappelées par certains de nos collègues, avaient été formulées – je pense à des propositions de la Cour des comptes sur la taxation des stock-options.
Nous n’avons aujourd’hui que peu évoqué le niveau des pensions. Les précédentes réformes – notamment la substitution, pour le calcul des pensions, des vingt-cinq meilleures années aux dix meilleures – ont eu pour conséquence une forte baisse de leur montant, et donc une pénalisation du pouvoir d’achat de nos concitoyens. Du fait de cette substitution, les personnes qui, pour des raisons de maladie ou d’accident de la vie, ont vécu des parcours professionnels chaotiques, ne peuvent plus obtenir de pension d’un niveau suffisant. Il nous avait paru possible que, pour le calcul de la pension de ces travailleurs, les quinze meilleures années soient retenues. Vous ne l’avez pas souhaité.
Le niveau des pensions détermine le pouvoir d’achat de nos concitoyens retraités. Le projet de loi n’apporte aucune garantie sur ce point.
Le niveau de revenu des personnes handicapées met souvent celles-ci sous le seuil de pauvreté. Leur handicap, les accidents de la vie, les amènent aussi à vivre de longues périodes d’inactivité. Du fait de l’usure causée par leurs conditions de travail, leur parcours professionnel se termine souvent dès l’âge de 50 ans. Tous les amendements que nous avons déposés pour améliorer leur situation ont été rejetés. Or, ces personnes constituent aujourd’hui plus de 3 millions de nos concitoyens.
Enfin, nous avons appris qu’en Commission des finances, un amendement a été adopté maintenant, pour les femmes ayant eu deux enfants ou plus, l’âge de 65 ans pour le bénéfice de la retraite à taux plein. Monsieur le ministre, le Gouvernement acceptera-t-il cet amendement devant notre commission ? Nos concitoyens sont attachés à la justice dans ces domaines.
Mme Danièle Hoffman-Rispal. Les Français, leur avait-on promis, allaient travailler plus pour gagner plus. Aujourd’hui, ils sont très inquiets : non seulement ils ne vont pas gagner plus, mais travailler plus longtemps – pour ceux dont les conditions de travail sont difficiles et l’espérance de vie limitée, la pilule est d’autant plus difficile à avaler –, mais voilà que soudain, à des milliers de kilomètres de Paris, le Premier ministre nous annonce la rigueur.
Il est vrai que nos compatriotes n’ont pas de quoi d’être surpris. Le programme de stabilité, publié au début de l’année, incluait déjà une hausse de deux points des prélèvements obligatoires entre 2011 et 2013. Quant aux taxes, ils peuvent avec raison avoir le sentiment de payer plus : qu’il s’agisse des franchises médicales ou du forfait hospitalier, dix-neuf taxes de ce type ont été instaurées ou majorées depuis 2007 !
Les propositions que nous avons élaborées, et que mes collègues ont développées, ont été rejetées d’un revers de main. Au contraire de celles de la majorité, elles avaient pourtant le mérite de financer les retraites jusqu’en 2025.
La diffusion du document du Gouvernement « Tout comprendre sur la réforme des retraites », élaboré par vos soins, monsieur le ministre, aurait à cet égard pu attendre le vote du texte par le Parlement en septembre. Quant aux exemples qui y sont cités, ils ne sont pas satisfaisants. J’évoquerai celui de « Denise », 56 ans, manutentionnaire dans une usine : « À la suite de ports répétés de charges lourdes, elle souffre de raideurs de l’épaule et de sciatique chronique. Celles-ci ont été reconnues comme maladies professionnelles à un taux supérieur à 20 %. Elle a été reclassée dans un emploi de bureau. » Mais les petites entreprises privées, comme celles du secteur textile où les manutentionnaires portent sans cesse des pièces de tissu extrêmement lourdes, de 40 ou 50 kilos – j’ai vécu cette situation trente ans de ma vie –, ne reclasseront pas ces salariés ! Cet exemple, comme les autres – je les ai tous étudiés –, est tendancieux. Si ce document suscite de l’espoir, c’est en mélangeant le vrai et le faux. Il n’est à la hauteur ni des enjeux ni de l’inquiétude des Français.
Pourquoi ne proposez-vous pas un peu plus de 3,7 milliards d’euros de recettes nouvelles ? Pourquoi n’avez-vous ni écouté ni pris en compte nos propositions ?
Le caractère extraordinaire de votre logique en matière de pénibilité et d’espérance de vie est bien illustré par l’exposé des motifs de l’article 3. À l’exemple du Rapporteur, nous pourrions nous réjouir de ce que, grâce au nouveau « point d’étape retraite » instauré par le projet de loi, les Français puissent mieux connaître, à 45 ans, leur situation à la date où ils prendront leur retraite, ainsi que les perspectives d’évolution de leurs droits « notamment en fonction de leurs choix de carrière ». Mais imaginons une femme de 38 ans, qui aura donc 45 ans avant 2018, caissière dans une grande surface, à la tête d’une famille monoparentale – autrement dit qui élève seule deux enfants. Comment peut-on parler d’un choix de carrière ! Découvrir à 45 ans l’état futur de ses droits sera plutôt pour elle une source de grande inquiétude sur son avenir ! Je le sais par expérience, les carrières des femmes qui exercent ce type de métier sont déjà chaotiques. Pour celles qui n’ont pas eu la chance de pouvoir en exercer d’autres, toute prévision offerte à 45 ans ne sera d’aucun secours. Quant aux dispositions relatives aux carrières longues et à la pénibilité, elles inquiètent également profondément les Français.
Nous avons été déçus par ailleurs, monsieur le président, par les modalités d’examen de la recevabilité financière des amendements. Selon la tradition, les amendements sont tous examinés en commission, y compris ceux qui seront ensuite déclarés irrecevables en application de l’article 40 de la Constitution. Tel n’a pas été votre choix. Certes, certains de nos amendements pouvaient toucher aux recettes. Mais des amendements de membres du groupe UMP tendant à diminuer les recettes de l’État n’ont-ils pas été acceptés lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture ? Y aurait-il deux poids, deux mesures ? De plus, notre amendement n° 314 ainsi rejeté, qui prévoyait – j’y tenais beaucoup – l’élargissement du bénéfice de la pension de réversion aux personnes pacsées, aurait permis au Président de la République de tenir l’une des promesses phares qu’il avait formulées en 2007. Dans une interview parue en mars 2007, le candidat Sarkozy s’exprimait ainsi : « Je suis donc pour une union civile homosexuelle qui ne passe pas par le greffe du tribunal d’instance mais par la mairie – c’est logique –, et je vais ajouter ceci que je n’ai jamais encore dit : cette union civile à la mairie entraînera une égalité fiscale, sociale, patrimoniale totale avec les couples mariés, qui ira par exemple jusqu’au droit à la pension de réversion pour le conjoint homosexuel. » La prise en compte de notre amendement aurait permis de réaliser cette promesse.
Enfin, nos collègues de la majorité ont critiqué nos plaintes sur la tenue à huis clos de la présente réunion. Alors que notre président Jean-Marc Ayrault a demandé plusieurs fois en Conférence des présidents que le débat soit au moins retransmis sur La Chaîne parlementaire, vous nous dites, monsieur le président, qu’un compte rendu écrit impeccable sera très rapidement consultable sur Internet. Mais, suivre un débat sur LCP-AN est pour beaucoup préférable à en lire le compte rendu sur Internet ! LCP-AN, dont nous venons de fêter les dix ans d’existence, est tout de même habilitée à retransmettre des débats de commission !
Lorsque je siégeais en Conférence des présidents, j’ai souvent fait remarquer aux présidents de commissions que la diffusion sur LCP-AN des débats, par exemple d’une mission d’information, avait de fortes conséquences sur le nombre de personnes qui s’y intéressaient. Nous le constatons sur le terrain. J’ai aussi insisté sur ce point lors des débats sur la réforme du Règlement. Vu l’inquiétude des Français, la retransmission de ce débat aurait permis plus de démocratie.
Quant aux propos tenus ce matin par Jean-François Copé, ils finiraient par nous faire douter de l’intérêt de débattre cet après-midi en compagnie de deux ministres. Il est regrettable que déposer des amendements en commission – voire même examiner un projet de loi en commission – puisse être considéré comme inutile !
M. le président Pierre Méhaignerie. Madame Hoffman-Rispal, la réforme du Règlement a transféré aux commissions saisies au fond l’examen, en application de l’article 40 de la Constitution, de la recevabilité financière des amendements. C’est ce que nous l’appliquons, ni plus ni moins.
Mme Marie-Christine Dalloz. Je serai brève car tout a été dit et redit : ce texte me semble équilibré. J’ai été très étonnée par l’accueil réservé à ce texte par le public des différentes réunions que j’ai organisées dans ma circonscription, même par des sympathisants, voire des adhérents du Parti socialiste, qui partageaient au moins notre diagnostic : on peut venir de différents bords et être d’accord pour reconnaître que la population vieillit.
Je voudrais, par ailleurs, saluer le travail accompli par la commission : le grand nombre d’auditions auxquelles elle a procédé lui a permis de traiter ce sujet en profondeur. Je voudrais insister particulièrement sur la qualité du travail du Rapporteur.
Quant à nos collègues socialistes, je ne peux que saluer leur art consommé de consacrer un temps infini au point essentiel de savoir si la presse devrait ou non assister à nos débats. Je veux par ailleurs rassurer Marisol Touraine, dont nous avons pu voir les allers et retours de cette salle au couloir : c’est M. Éric Woerth lui-même qui a demandé à être entendu par M. le procureur. Vous feriez donc mieux, madame Touraine, de suivre sereinement les débats, plutôt que d’aller vous émouvoir devant la presse.
Mme Marisol Touraine. Je suis extrêmement choquée par vos propos, madame, qui laissent à penser que j’aurais été m’émouvoir ou me scandaliser devant la presse. Apparemment, madame, vous n’entendez que ce que vous voulez entendre. Que M. Éric Woerth soit entendu par le parquet à sa demande ou non, ce n’est absolument pas ma préoccupation, ni celle du groupe socialiste. J’ai simplement relevé, en réponse à une question qui m’était posée, qu’il valait mieux repousser nos débats à la rentrée si cette audition devait interdire au ministre de prendre part aux travaux de la commission. Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, ce débat nous semble suffisamment important pour ne pas devoir pâtir d’un climat politique objectivement pollué.
M. Jérôme Bignon. Comme la plupart des gouvernements européens, le Gouvernement a tiré les conséquences de l’évolution démographique de notre pays. Il a choisi d’assumer le principe de réalité, alors que les socialistes s’étaient dérobés devant l’obstacle quand ils étaient au pouvoir. Pis, ils avaient délibérément choisi d’aggraver un problème dont ils avaient parfaitement conscience, en abaissant de façon irresponsable l’âge de la retraite à 60 ans.
Les évolutions démographiques, mais également le contexte de compétition internationale et notre situation économique nous obligent à rouvrir le dossier des retraites, que nos successeurs devront également affronter. Pourquoi, en effet, faire semblant de croire que nous allons mettre en place un système immuable ? Le monde change si vite que ce qui était inenvisageable hier le devient aujourd’hui. Ainsi, la convergence entre le public et le privé, impossible il y a sept ans, est aujourd’hui réclamée par nombre de nos compatriotes. De même, la notion de pénibilité, concept de justice et d’équité, va, fait unique en Europe, faire son entrée dans le droit positif. Cette avancée sociale mérite sûrement des améliorations, et nous allons y travailler. Le dialogue social va se poursuivre durant l’été, inspiré par nos débats, qui, s’ils sont de bonne qualité, feront avancer cette question.
Enfin, je suis particulièrement concerné par le dispositif « carrières longues », la plupart des 43 % d’actifs de ma circonscription qui travaillent en usine ayant pour la plupart commencé à 14 ans. La gauche au pouvoir ne s’est jamais beaucoup inquiétée de leur sort, si on excepte les communistes.
M. Jean Mallot. Et la retraite à 60 ans ?
M. Jérôme Bignon. C’est la retraite à 55 ans qu’ils veulent, ces hommes et ces femmes qui travaillent depuis l’âge de 14 ans, dans des conditions souvent pénibles. Le dispositif, que nous avons voté en 2003, a déjà permis à plusieurs centaines de milliers de salariés de partir plus tôt en retraite, et je me réjouis que le Gouvernement ait le courage d’améliorer et de conforter encore ce dispositif coûteux. Puissent nos travaux et les améliorations que le Gouvernement apportera au texte, soit sur notre initiative, soit dans le cadre du dialogue social qui va se poursuivre cet été, constituer un motif d’espoir pour celles et ceux de nos concitoyens les plus fragilisés par un parcours professionnel long et difficile.
M. Michel Issindou. Il faut bien reparler de la forme bien étrange de ce débat plein de contradictions. Cette réforme que le Président de la République ne cesse de nous présenter comme la dernière réforme d’envergure de son quinquennat, et qui fait l’objet d’une publicité extraordinairement coûteuse, voilà que nous devons l’examiner le plus discrètement possible ; voilà qu’il faut en débattre le plus loin possible de la place publique, alors que la presse est dans nos couloirs. Si vous êtes si fiers de votre projet, messieurs les ministres, pourquoi ne pas en faire profiter les Français ? Apparemment, vous avez quelque chose à cacher ; ou bien vous avez le sentiment que votre projet rencontre si peu l’adhésion de nos concitoyens qu’il vaut mieux l’examiner en catimini, au cœur de l’été, afin de le faire adopter plus rapidement. Sinon pourquoi avoir déclaré l’urgence ? Pourquoi faire passer ce texte en commission au mois de juillet ? Pourquoi avancer encore d’un jour son examen en séance publique ? Quand en outre Jean-François Copé déclare que le débat en commission n’a aucun intérêt et que le vrai débat aura lieu plus tard, on a tous les éléments qui prouvent qu’on se moque des Français.
Je ne résisterai pas, monsieur le ministre, à la tentation de vous dire une fois de plus tout le mal que je pense de ce projet injuste, dont vous faites reposer la quasi-totalité du financement sur les plus faibles de nos concitoyens, sans exiger des plus riches un véritable effort : faire passer le taux d’imposition de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu de 40 à 41 % ou faire contribuer le capital à hauteur de 4 milliards d’euros, tout cela est ridicule au regard des 45 à 50 milliards nécessaires. Il y a une bonne raison à cela, c’est que ce texte traduit votre philosophie générale, et on ne peut que saluer votre constance : depuis le début de ce quinquennat, vous avez toujours protégé les plus riches et taxé les autres.
Comment prétendre, par ailleurs, que ce texte traite la question de la pénibilité, alors que votre texte la confond avec l’invalidité ? Vous reconnaissez d’ailleurs vous-même à demi-mot n’avoir pas envie de traiter de ce sujet.
Vous vous plaisez à nous reprocher de n’avoir pas de projet. Nous en avons un, différent du vôtre. L’effort y est équilibré et partagé. Les salariés sont mis à contribution au travers de l’allongement de la durée de cotisation à 41,5 ans à l’horizon 2020 – nous ne revenons pas sur loi Fillon – et une augmentation de leurs cotisations retraite, ainsi que celles des employeurs – voilà vingt ans que la part patronale de ces cotisations n’a pas été augmentée ! Mais à côté de cela, nous trouvons également de nouvelles recettes. Il n’est pas scandaleux d’augmenter l’impôt quand il est juste. Nous le revendiquons même quand il s’agit de sauver nos régimes de retraite. Il ne serait ainsi pas anormal que les banques participent à l’effort collectif et soient taxées alors qu’on les a sauvées l’an passé. Il ne le serait pas non plus que les entreprises soient sollicitées par le biais d’un relèvement de 1,5 à 2,2 % de la taxe assise sur la valeur ajoutée remplaçant la taxe professionnelle, ce qui rapporterait 7 milliards d’euros. Certains revenus du capital devraient également être mis à contribution, ce qui, là encore, pourrait rapporter 7 milliards d’euros. Les stock-options et les bonus devraient de même être taxés davantage. Quant au forfait social, il pourrait passer de 4 % à 40 %.
Vous avez choisi de faire reposer l’effort à 90 % sur les salariés et 10 % sur le reste, là où nous proposons une répartition 50-50. Votre réforme n’est ni faite ni à faire, pas plus que ne l’étaient celles de 1993 et de 2003. Elle sera à refaire en 2018.
Vous ne voyez qu’à court terme en ponctionnant le Fonds de réserve pour les retraites. Ce n’est pas digne de ce qui devait être, selon vos dires mêmes, la grande réforme du quinquennat. Bref, vous n’aurez rien réglé du tout et vos successeurs devront tout reprendre.
M. le ministre. Le premier à avoir dit qu’il faudrait réformer nos régimes de retraite, c’est Michel Rocard en 1991 dans son Livre blanc. Et la première réforme qui a suivi a été celle de 1993, à laquelle les socialistes se sont opposés, comme ils se sont opposés à celle de 2003, à celle de 2007-2008 et comme ils s’opposent à celle d’aujourd’hui.
M. Jean Mallot. Nous avons eu raison parce qu’elles n’étaient pas bonnes. Preuve en est d’ailleurs qu’il faut en faire une nouvelle aujourd’hui !
M. le ministre. Les socialistes n’ont jamais rien fait en matière de retraites.
M. Christian Paul. Si, ils ont institué la retraite à 60 ans.
M. le ministre. Vous n’avez aucune expérience en matière de réforme des retraites. C’est un simple constat, sans appel.
M. Jean Mallot et M. Christophe Sirugue ont déploré l’indigence de l’étude d’impact. Celle-ci est pourtant solide et sérieuse. Y sont étudiées de manière très détaillée, dans 85 pages, les incidences de la réforme sur le marché du travail, sur les régimes complémentaires, etc. Y sont également examinés de nombreux aspects juridiques. De toute façon, quelle qu’eût été la nature de cette étude d’impact, je suis sûr qu’elle ne vous aurait pas convenue.
Il serait naturel que vous formuliez des critiques choisies et pertinentes sur le projet de réforme. Le problème est que vous rejetez tout en bloc.
Vous nous demandez si le COR a été saisi des hypothèses. Mais enfin, ce sont les siennes ! Nous avons retenu son scénario médian…
M. Pascal Terrasse. C’est le scénario du secrétaire général du COR, pas celui du COR lui-même.
M. le ministre. … quand vous, pour minimiser l’effort à fournir, retenez le scénario le plus optimiste. Le COR a donné un avis favorable, de même que le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale et le Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière. Contrairement à ce que vous prétendez, les procès-verbaux des réunions au cours desquelles ces instances se sont prononcées n’ont pas à être annexés à l’étude d’impact. Nous nous bornons à indiquer si leur avis a été favorable ou défavorable.
S’agissant de l’épargne retraite, nous sommes prêts à en discuter, mais je ne pense pas que ce soit là le sujet principal, qui me paraît être la sauvegarde de notre régime par répartition. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
Monsieur Tian, vous jugez notre projet très, voire trop, modéré. D’autres pensent le contraire. Cela m’incite à penser que nous avons vraisemblablement trouvé un juste équilibre. D’importants efforts sont faits en matière de convergence public-privé, mais il est des points auxquels nous ne toucherons pas comme la base de calcul des pensions – les six derniers mois d’activité dans le public contre les 25 meilleures années dans le privé. En effet, le mode de rémunération et les déroulements de carrière sont très différents dans le public et dans le privé. Le calcul de la pension sur la base des six derniers mois de salaire tient compte de cette particularité. Vous avez déposé toute une série d’amendements sur le sujet, dont nous débattrons le moment venu, mais il me semble que le projet du Gouvernement va déjà très loin en matière de convergence.
J’ai écouté avec grande attention ce qu’ont dit M. Étienne Pinte et d’autres s’agissant de la pénibilité et de l’espérance de vie. Ce sont en effet des sujets très importants. Nous devons regarder ce que font des pays voisins comme l’Allemagne, l’Espagne...
M. Alain Vidalies. Vous savez pertinemment que les travailleurs âgés y sont placés en invalidité.
M. le ministre. La France ne peut pas demeurer un îlot autarcique au milieu de l’Europe. De 1980 à 2010, l’espérance de vie à 60 ans a gagné cinq ans. Nous proposons d’en reprendre deux pour le travail et d’en laisser trois pour la retraite, ce qui nous paraît équilibré. Pour le reste, nous tenons en effet à ce que ce soient les cotisations des actifs qui financent les retraites, fondement du régime par répartition. Il est d’ailleurs curieux d’entendre de certaines bouches des propos qui sont précisément ceux d’ordinaire tenus par les défenseurs de la capitalisation...
M. Alain Vidalies. Restez sérieux !
M. le ministre. Oui, monsieur Vidalies, notre régime de retraite fait partie de notre patrimoine social, au même titre que notre assurance maladie et d’autres acquis. Mais le propre d’un patrimoine est qu’il s’entretient et se rénove. Nous ne pouvons pas demeurer inertes dans un monde qui bouge. Hélas, rien ne trouve jamais grâce à vos yeux. Vous rejetez tout en bloc, par principe, au point que, comme tout ce qui est excessif, cela en devient insignifiant.
Le COR indiquait en 2007 que le déficit des régimes de retraite représenterait 1,7 point de PIB à l’horizon 2030. Or, de par la conjonction des évolutions démographiques et de la crise mondiale, dont vous n’allez tout de même pas nous imputer la responsabilité, c’est dès 2010 que les déficits ont atteint ce niveau, avec vingt ans d’avance. Dans ce contexte, le Gouvernement avait-il le droit vis-à-vis de nos concitoyens de ne rien faire ? Vous avez tort de vous référer à des propos tenus avant la crise, car celle-ci a profondément changé la donne.
Certains me reprochent de ne pas tenir les mêmes propos sur la scène internationale et sur la scène nationale. Jugent-ils scandaleux que nous adressions des messages à nos partenaires européens et internationaux ? N’est-il pas de l’intérêt général que la France qu’elle défende son drapeau ?
Je suis conscient du fait qu’il faudra assurer au mieux la transition entre période de chômage en fin de vie professionnelle et retraite, dès lors qu’on repousse l’âge de celle-ci. Nous vous ferons des propositions en ce sens, qui sont en train d’être élaborées.
Ce que j’entends sur le Fonds de réserve pour les retraites est surréaliste. Vous vous accrochez à ce fonds parce qu’en définitive, c’est la seule chose que vous ayez jamais faite en matière de retraite.
M. Christian Paul. Nous aurions donc au moins fait une réforme ?
M. le ministre. Reconnaissez que mettre en place un fonds ne demandait quand même pas un grand courage. N’est-il pas normal de se servir de cet outil quand on en a besoin ? Quelle en serait sinon l’utilité ?
L’emploi des seniors, sujet abordé notamment par M. Colombier, est un vrai problème. Repousser l’âge légal de départ en retraite améliorera mécaniquement le taux d’emploi des seniors, comme on l’a constaté partout en Europe. Mais, il faudra aller plus loin et aider à ce que s’opère une véritable mutation culturelle dans les entreprises au profit de l’emploi des plus de 58, 59 ou 60 ans. Le Gouvernement a bien l’intention de poursuivre le travail déjà engagé.
Le Gouvernement n’est pas favorable à l’amendement de Mme Chantal Brunel visant à permettre aux mères d’au moins deux enfants de pouvoir liquider à 65 ans leur retraite sans décote, même si elles n’ont pas tous leurs trimestres. Tous les pays qui avaient institué une différence de traitement entre les femmes et les hommes en matière de retraite sont revenus dessus – cela a été le cas en Grèce, en Italie, en Grande-Bretagne… Cette différence de traitement est, en effet, difficilement défendable sur le plan juridique. En outre, la réalité ne la justifie plus. Aujourd’hui, les femmes ont en moyenne 17 trimestres validés de plus que les hommes, notamment par le biais des majorations de durée d’assurance ou de l’assurance vieillesse des parents au foyer. Le vrai problème pour les femmes n’est pas celui du nombre de trimestres cotisés, mais du niveau de leurs pensions, reflet du niveau trop bas de leurs salaires.
Par ailleurs, s’agissant du temps partiel, non pas voulu – parce qu’il est normal alors qu’il y ait alors un impact –, mais subi, il est vrai que celui-ci touche davantage de femmes que d’hommes. Il s’agit là d’une question très importante, même si tout ne peut être traité à l’occasion de cette réforme.
Monsieur Issindou, il ne s’agit pas, avec le projet de loi, de la dernière réforme du quinquennat. Nous avons, concernant mon champ de compétence, annoncé une réforme, majeure, relative à la dépendance. Quant à critiquer de façon excessive le Gouvernement, vous auriez pu choisir ce moment pour présenter les propositions – que j’attends toujours – du Parti socialiste dans le domaine des retraites ! En quatre heures de discussion, aucune n’a été présentée !
M. le secrétaire d’État. L’évolution de carrière, et donc de rémunération, dans la fonction publique est différente de celle du secteur privé, et explique le petit « coup de chapeau » donné en fin de carrière – lequel n’est pas une obligation. Les carrières dans la fonction publique évoluent par palier, mais in fine, les rémunérations sont à peu près équivalentes à celles du secteur privé. C’est une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas retenu le principe consistant à remettre en cause les six mois de référence.
Des propositions diverses ont été formulées pour réglementer ce « coup de chapeau ». Or, non seulement ce dispositif est discrétionnaire – ce qui explique l’absence de réglementation –, mais l’application de règles entraînerait des effets contre-productifs. En particulier, l’interdiction d’y procéder avant les trois dernières années aboutirait à comprimer en fin de carrière l’évolution et donc la motivation des agents. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas entrer dans la logique de rapprochement des six mois et des vingt-cinq années.
Les catégories actives évoluent de façon assez naturelle, et les mesures d’âge s’appliqueront à elles exactement comme pour toutes les catégories de la population qui travaille, sachant, d’une part, qu’en dépit des limites d’âge des catégories actives, le départ moyen est aujourd’hui supérieur à 55 ans – les fonctionnaires utilisent ce dispositif après les limites d’âge, évolution qui va en s’accentuant –, et, d’autre part, que la suppression des mesures couperet en 2009 a accéléré ce mouvement, en poussant les fonctionnaires à retarder l’âge de départ à la retraite.
Ainsi, on observe une évolution de plusieurs catégories actives : les instituteurs, par exemple, sont devenus professeurs des écoles et les infirmières disposeront – ce qui est une évolution statutaire – d’un droit d’option, en application de l’article 37 de la loi relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique. Vous le voyez : les catégories actives ne sont pas figées dans la fonction publique. Quant à la police et au personnel pénitentiaire, ce sont des catégories spécifiques qui n’ont pas d’équivalent dans le secteur privé.
Mme Colette Langlade. Je souhaite évoquer plus particulièrement la question de l’emploi des seniors. Si le produit intérieur brut par tête a considérablement progressé en France pour se rapprocher de celui du Japon, le clivage entre seniors et nouveaux entrants sur le marché du travail demeure important dans notre pays.
Il s’agit d’un point central de la réforme des retraites, et, au-delà, de la politique du travail. Pourtant, malgré ses engagements, votre Gouvernement n’a rien fait pour élever le taux d’emploi des seniors, qui reste de 38 % quand la moyenne de l’Union européenne est de 45 %. Nous sommes bien loin de l’objectif avancé dans la stratégie de Lisbonne et dans les conclusions du Conseil de Stockholm : un taux de 50 % à l’horizon 2010.
Vous partez du postulat selon lequel porter l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans entraînera un report de l’âge de départ effectif, de 58 à 60 ans. Mais, alors que de nombreuses études font état de l’accélération des rythmes de travail, d’une exigence de réactivité et de polyvalence accrues, d’une aggravation de la pénibilité physique comme des risques psychosociaux, les mesures que vous prévoyez se bornent à un saupoudrage : aide à l’embauche d’un demandeur d’emploi de plus de 55 ans sur un contrat à durée déterminée de plus de six mois et renforcement du tutorat. Comment, dans ces conditions, les seniors ne resteraient-ils pas condamnés à une alternance entre contrats à durée déterminée et périodes de chômage, les employeurs se débarrassant d’eux pour ne pas payer les charges trop lourdes que justifie leur expérience ?
On mesure, là, le manque flagrant d’ambition de votre majorité, alors que nos concitoyens attendent des propositions concrètes, efficaces et surtout, précisément, ambitieuses. Pour notre part, nous préconisons l’instauration d’un rendez-vous biennal ou triennal pour l’ensemble des salariés à partir de 45 ans, afin d’envisager leur évolution professionnelle ; nous proposons la généralisation du tutorat dans les entreprises, l’encouragement à la cessation progressive d’activité, l’aménagement des conditions de travail des plus de 55 ans, avec la limitation ou la suppression du travail de nuit et des tâches physiques trop exigeantes, la mise en place d’un mécanisme de bonus/malus qui aboutirait à moduler les cotisations patronales en fonction de la part des seniors dans l’entreprise, et la fixation à Pôle Emploi d’objectifs chiffrés de retours à l’emploi des seniors.
Rien de tout cela ne figure dans votre texte. Vous manquez d’une vision globale, faute de considérer des facteurs aussi importants que celui de la pénibilité pour les seniors. Ayant à cœur de préserver le système de retraite par répartition et donc de contribuer à un débat constructif, nous vous demandons de considérer nos propositions sans mépris ni démagogie, mais avec tout le sérieux qu’elles méritent.
M. Roland Muzeau. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire lors de l’audition de M. Woerth par la commission la semaine dernière : ce projet de loi est inacceptable, non seulement parce qu’il repousse les bornes de la retraite, mais aussi parce qu’il fait peser sur les salariés 85 % de l’effort demandé. En ce sens, il est inégalitaire et, alors que vous avez sans cesse le mot « équité » à la bouche, inéquitable.
Les députés communistes et du parti de gauche ont déposé une proposition de loi portant exclusivement sur le financement des retraites, qui vise à préserver l’acquis social de la retraite à 60 ans sans allonger la durée de cotisation. Nous comprenons bien que les solutions que nous préconisons ne peuvent être celles de la majorité présidentielle, mais nous demandons qu’elles soient versées au débat. On ne peut laisser croire qu’il n’y aurait d’autre chemin que celui que nous désigne le Gouvernement par une sorte d’oukase.
Nous nous inquiétons aussi de l’attitude adoptée par la majorité. Jean-François Copé, qui ambitionne de devenir président de la République – peut-être même avant 2017 ! –, a expliqué ce matin sur France Inter que le débat sur la réforme des retraites ne commencerait véritablement qu’à la rentrée, moment où l’UMP, qui n’a jusqu’ici déposé que quelques amendements, dévoilerait ses propositions phares. Ce premier supporter de la revalorisation du rôle du Parlement a ainsi manifesté le mépris dans lequel il tient notre commission et son travail, attitude bien peu en accord avec l’esprit qui guidait, selon la majorité présidentielle, la révision constitutionnelle et la réforme du Règlement.
Lors de votre audition, monsieur le ministre, vous avez expliqué que vous aviez été contraint de substituer la concertation à une négociation qui se révélait impossible. Le mouvement social et les représentations syndicales ont pourtant montré le contraire, en soumettant au débat un certain nombre de propositions, concernant en particulier la pénibilité.
À ce sujet, vous procédez à un curieux amalgame avec la question des carrières longues, avançant le chiffre de 100 000 personnes concernées par ces deux dispositifs. Mais, lorsque vous parlez de pénibilité dans votre dossier de presse, vous dites que seulement 10 000 salariés pourraient bénéficier du dispositif, chiffre ridiculement faible, dénoncé par toutes les organisations syndicales : dans la seule branche du bâtiment, on estime à 40 000 le nombre de ceux qui sont confrontés à la pénibilité.
Vous avez comparé cet après-midi la recherche d’indicateurs de pénibilité à une quête du Graal.
M. le ministre. Je parlais de leur définition.
M. Roland Muzeau. Pourtant, si l’on se réfère aux négociations conduites dans nombre de branches professionnelles ou même d’entreprises, la chose n’a rien d’impossible. Le Gouvernement aurait tout intérêt à s’inspirer des définitions figurant dans les accords conclus sur le sujet dans les secteurs aéronautique, sidérurgique, minier, automobile ou agricole, pour mettre en place des dispositifs permettant, non seulement d’accéder à la retraite à 60 ans, mais de cesser progressivement son activité à partir de 55 ans, selon le degré de pénibilité.
Mme Michèle Delaunay. Nous sommes d’accord sur un point au moins : cette loi est une loi majeure, et concerne tout le monde. Dès lors, je ne comprends pas que vous refusiez que les séances en commission soient retransmises sur
LCP-AN : nos concitoyens, notamment les plus âgés, auraient ainsi accès à nos débats plus aisément que par la lecture du compte rendu et l’image des politiques s’en trouverait valorisée. Persuadée que les députés ici présents, comme les membres du Gouvernement, n’auraient rien à y perdre, je me permets de renouveler cette demande.
Monsieur le ministre, vous avez dit que les députés de l’opposition étaient excessifs et rejetaient tout en bloc. C’est faux. Nous exigeons simplement des contreparties pour nos concitoyens. Comme l’a dit Jacques Domergue, ils consentent à l’effort qui leur est demandé, mais ils doivent en comprendre les raisons et y trouver leur compte, en termes de santé et d’espérance de vie. Cet effort doit en outre être mieux réparti, et partagé par ce que j’appellerai, pour faire court, le capital.
En tant que médecin, j’espérais une certaine réciprocité, effort contre bénéfice en matière de santé. Après cinquante ans de progrès social et médical, j’avoue avoir du mal à comprendre qu’il vous soit impossible de tenir compte des statistiques établies par la médecine du travail : celles-ci montrent précisément quelles sont les affections favorisées par tel ou tel type de métier. Pourquoi faire comme si rien de tel n’existait et se fonder uniquement sur le constat de l’invalidité pour mesurer la pénibilité ? Au contraire, les risques – connus – devraient être pris en compte de manière à les prévenir, ce qui faciliterait d’ailleurs l’acceptation de ces dispositions par certaines professions.
Par ailleurs, le taux d’invalidité fixé à 20 % est appelé à augmenter avec le vieillissement, affectant la longévité et les conditions de vie du retraité. Selon vous, 10 000 personnes pourraient être concernées chaque année par ce dispositif et se voir offrir ce « cadeau » que sera demain le droit de partir à la retraite à 60 ans. Mais pour 10 000 bénéficiaires effectifs, combien de dizaines de milliers de salariés déposeront une demande ? Comment la médecine du travail, dans l’état où elle se trouve, pourra-t-elle procéder à autant d’évaluations ?
À titre personnel, j’aurais aimé qu’il y ait un lien entre l’effort demandé aux salariés et aux retraités et la prise en compte de la dépendance. Or, au moment où les discussions s’engagent sur la retraite, nous apprenons que ce seront l’assurance privée et la récupération sur succession – et le Gouvernement n’y est pas pour rien – qui viendront en renfort de ce qui fut la belle perspective du cinquième risque. Cela ne nous incite pas à examiner dans un esprit positif les efforts que vous allez exiger des salariés.
Je vous demande de considérer avec loyauté les propositions que je vous ai présentées sans esprit partisan.
M. Christian Hutin. Concernant une réforme aussi importante, qui touche tous les Français et qui exigerait donc d’être examinée dans la sérénité, était-il vraiment nécessaire d’en faire un projet « d’été », puis « de rentrée », surtout après une trentaine d’auditions intéressantes auxquelles les commissaires s’étaient montrés assidus ? La discussion à la hussarde, à laquelle le Gouvernement nous a habitués, est ici particulièrement regrettable. Les chaînes d’actualité évoquent la réunion en catimini de la Commission des affaires sociales, au deuxième sous-sol, à huis clos. Cela ne vous ressemble pas, monsieur le président. C’est pourquoi je renouvelle l’appel d’Alain Vidalies et d’autres. Nos travaux ne pourront-ils pas, demain, être retransmis par LCP-AN ? Nous parlons tout de même du régime de retraite des Français ! Nous votons des financements destinés à LCP-AN. Que doit-elle diffuser sinon nos débats ?
Vous citez souvent, monsieur le ministre, les autres pays européens. Mais eux ont pris largement le temps de la réflexion. Dans les pays nordiques, les discussions ont duré deux ou trois ans. Il ne faut pas que cette réforme soit un sprint, non plus qu’un steeple-chase. Nous avions le temps.
Madame Rosso-Debord, il y a un vrai clivage philosophique et politique entre nous. Nous ne vivons pas tout à fait dans le même monde. Quand les dockers de Dunkerque parlent de pénibilité, ils ne parlent pas d’invalidité.
Mme Valérie Rosso-Debord. Dans ma circonscription, il y a Pompey. Le côté « je suis le seul à savoir » est extrêmement agaçant.
M. Christian Hutin. Je ne donne de leçon à personne, j’entends seulement souligner une différence entre la philosophie comptable et démographique qui est la vôtre et la nôtre, plus humaniste. Nous sommes tous d’accord qu’il faut une réforme. Mais le modeste médecin généraliste que je suis sait que confondre pénibilité et invalidité est une aberration totale. Il vaut mieux ne rien faire ! Si, en passant mon certificat d’études supérieures de médecine du travail, j’avais été interrogé sur la pénibilité et que j’avais traité de l’invalidité, on m’aurait dit, à juste titre, que j’avais fait un hors sujet.
On vit plus vieux, c’est vrai, mais pas forcément en bonne santé. Les gens que nous croisons dans nos circonscriptions disent qu’ils « profitent » de la retraite ou parlent de ceux qui n’ont pas eu le temps d’en « profiter ». Ce temps donné, il ne varie pas beaucoup. La preuve en est d’ailleurs que, dans quelques mois, nous allons nous pencher sur la dépendance. Et nous aurons un nouveau combat.
Philosophiquement, nous divergeons et nous n’avons pas la même façon de concevoir le financement des retraites.
Mme Martine Pinville. Les Français ont pris conscience de la nécessité d’assurer la pérennité du système de retraite mais, dans leur majorité, ils ne souhaitent pas cette réforme-là.
Les retraites des femmes sont en moyenne inférieures de 30 à 40 % à celles des hommes à cause de leurs carrières souvent hachées, interrompues pour élever leurs enfants. Elles optent aussi souvent pour le temps partiel. Une sur deux part à la retraite avec une pension de moins de 900 euros. Avec la réforme, les risques de pauvreté ne vont qu’augmenter, à cause notamment de l’allongement de la durée de cotisation. Les femmes ont moins que les hommes la possibilité de se défendre. La pénibilité du travail, la répétition des tâches, les horaires discontinus, le travail tardif pour les caissières ou les femmes de ménage, sont moins reconnus, car leurs effets ne sont visibles qu’à long terme. Le chômage des femmes reste très élevé et, avec la crise, les temps très partiels ont fortement augmenté sans procurer les mêmes avantages sociaux que le chômage partiel. Cela se traduit par un niveau de salaire et, partant, de pension, très bas.
Les mesures prévues dans la réforme ne couvriront pas l’ensemble des besoins de financement. C’est donc la politique de l’emploi qu’il faut revoir, notamment de l’emploi des seniors. Le taux d’emploi des 55-64 ans est très bas, de l’ordre de 38 % et il y a trois ans d’écart entre l’âge moyen de cessation d’activité, soit 58,5 ans, et celui de liquidation de la retraite. Entre-temps, les personnes concernées subissent le chômage, la préretraite ou d’autres dispositifs. C’est donc dans une réforme du marché du travail que résident les solutions. Je vous demande donc, messieurs les ministres, de prendre en compte les propositions que nous ferons tout au long du débat.
M. Paul Jeanneteau. Je me contenterai d’évoquer la situation des polypensionnés. C’est un sujet délicat, le Président de la République l’a d’ailleurs reconnu dans son intervention télévisée, et il a dit qu’il y travaillerait avec ses ministres pendant l’été. Un décret du 13 février 2004 a certes modifié le nombre d’années d’assurance à prendre en compte pour déterminer le salaire annuel moyen servant de base de calcul à la pension des polypensionnés, mais ne sont concernés que ceux relevant du régime général, des régimes agricoles, artisans et commerçants. Le cas de ceux qui ont travaillé alternativement dans le privé et le public n’est pas traité et ils sont pénalisés du fait que la pension est calculée en prenant en compte la totalité des années de travail, fussent-elles incomplètes ou faiblement rémunérées. Quelles sont les pistes que vous étudiez, messieurs les ministres, pour assurer une meilleure équité entre tous les polypensionnés ?
Mme Marie-Renée Oget. Je rappelle que les socialistes ont toujours affirmé la nécessité de légiférer sur la question des retraites, mais en se fondant sur un réel projet de société.
Vous prétendez que la réforme assurera un avantage à ceux qui ont eu des carrières longues. Mais est-ce vraiment le cas ? À 60 ans, ceux qui auront commencé à travailler à 17 ans auront cotisé quarante-trois annuités.
Vous avez parlé, messieurs les ministres, de marges de discussion possibles. Mais vous n’avez pas voulu des amendements tendant à améliorer le sort des parents d’enfants handicapés. Vous qui parlez d’équité, comment se fait-il que vous ne trouviez pas normal de tenir compte du fait que ces personnes doivent interrompre ou réduire leur activité pour s’occuper de leur enfant ?
Concernant la suppression du régime dérogatoire, dont bénéficient les parents de trois enfants ayant quinze ans d’ancienneté dans la fonction publique, vous aviez dans un premier temps fixé la date limite pour présenter sa demande au 13 juillet 2010. Fort heureusement, vous l’avez repoussée au 31 décembre. Quel sera l’impact de cette mesure sur les effectifs de la fonction publique hospitalière ou territoriale ? Les besoins en personnel ont-ils été anticipés en conséquence ?
M. Yves Durand. À vous entendre, il y aurait, d’un côté, ceux qui voudraient une réforme des retraites et, de l’autre, les partisans du statu quo, autrement dit les courageux et les autres. Je voudrais m’inscrire en faux contre cette présentation. Avant même que le Gouvernement ne présente son projet, le Parti socialiste avait fait des propositions pour contribuer à un débat clair et démocratique. Or, pour être démocratique, celui-ci doit être transparent et accessible à tous. Il aurait été intéressant que nos débats soient retransmis par LCP-AN, de sorte que nous puissions, les uns et les autres, défendre publiquement nos projets respectifs – ce qui aurait en outre évité des petites phrases, déplacées dans un débat de cette ampleur.
Selon vous, monsieur le ministre, cette réforme est essentielle. Nous en sommes d’accord. Mais, alors, il faut du temps. Or, vous invoquez l’urgence. Nous avons démontré que le problème ne se poserait pas avant 2020. Pourquoi vouloir avancer à marches forcées en réunissant les commissions en plein mois de juillet, en catimini ? Pourquoi vouloir boucler la réforme avant la fin de l’année ? Pour ne plus avoir à en parler pendant la campagne présidentielle ?
Il s’agit d’une véritable réforme de société, qui touche au travail, aux conditions de vie de chacun. Le sujet aurait mérité mieux qu’une réforme faussement comptable. Une réforme comptable aurait été « à côté de la plaque », mais elle aurait eu au moins le mérite d’être financée. Or, votre réforme ne l’est pas. En 2025, le système sera déficitaire tandis que, avec d’autres ressources, d’autres clefs de financement, nous arrivons, nous, à l’équilibre.
Un dernier point : le Fonds de réserve pour les retraites. Vous avez déclaré, monsieur le ministre, qu’il était normal de l’utiliser. Mais, il a été créé par le Gouvernement Jospin pour servir en cas d’aléa ou de crise économique. Vous, vous le pillez pour une réforme qui n’est ni faite, ni financée parce que vous refusez de toucher à des revenus que vous protégez. Voilà pourquoi je demande au Gouvernement de revoir sa position sur le fonds de réserve.
Par ailleurs, il faudrait qu’il nous explique clairement comment il réussira à équilibrer le régime en 2025. À défaut, il mentira aux Français et l’urgence derrière laquelle il s’abrite pour passer en force apparaîtra pour ce qu’elle est : un mauvais argument.
M. Jean-Patrick Gille. Il n’y a pas de consensus sur un sujet qui l’aurait pourtant mérité, tout d’abord parce qu’il n’y a pas eu de négociation aboutie avec les partenaires sociaux. Ils sont tout de même censés gérer les caisses d’assurance vieillesse. Le Président de la République a décidé unilatéralement, dans un esprit de revanche politique et sociale. Il nous a en effet expliqué, dans son interview, que la première partie de son mandat avait été consacrée à la remise en cause des 35 heures et que la seconde le serait à celle de la retraite à 60 ans. Ensuite, parce que l’essentiel de l’effort est demandé au salariat sans que la pérennité du régime soit pour autant assurée, même si vous siphonnez le Fonds de réserve pour les retraites.
Je m’attacherai surtout aux dispositifs de solidarité en faveur des jeunes, des femmes et des seniors, vantés à l’excès dans la campagne de publicité lancée avant même que la loi ne soit votée.
L’emploi des jeunes a sa place dans la discussion de la réforme des retraites, puisque nous défendons la répartition. Tout devrait être fait pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes. Pourtant, ces derniers jours, on annonce qu’on renonce à plusieurs dispositifs d’accompagnement, sans doute pour trouver de l’argent pour les seniors. Vous annoncez une amélioration mineure destinée aux chômeurs non indemnisés, des jeunes en majorité. L’exposé des motifs indique que les jeunes en situation précaire pourront valider six trimestres au titre de leur première période de chômage non indemnisé, au lieu de quatre aujourd’hui. Quelle avancée ! Cependant, le projet de loi n’en porte pas trace. Comment comptez-vous faire, monsieur le ministre ? Ne vaudrait-il pas mieux prendre en compte les périodes de formation, indemnisées ou non, dans le décompte des annuités, et même instaurer un statut du salarié en formation ?
En ce qui concerne les femmes, l’inégalité des pensions reflète celle des traitements, mais aussi des carrières. Celles des femmes sont plus courtes et plus précaires. Ainsi, seulement 44 % d’entre elles ont une carrière complète. Mais, le cumul de l’augmentation de la durée de cotisation et du recul de l’âge légal pèsera sur le montant de leurs pensions et aggravera l’inégalité entre hommes et femmes. Beaucoup d’entre elles devront attendre 67 ans pour partir à la retraite. Au motif que les écarts tiennent surtout aux salaires, vous annoncez, monsieur le ministre, des mesures pour inciter les entreprises à investir dans la réduction des écarts salariaux entre hommes et femmes. Lesquelles ? Quand ?
Vous proposez de repousser l’âge de départ à la retraite, alors que le taux de chômage des seniors est élevé – et ne va pas baisser d’un coup de baguette magique. Le Président de la République a, certes, déclaré que les entreprises mettaient les salariés de plus de 55 ans au chômage parce que la retraite était à 60 ans et qu’en reculant l’âge de départ, les entreprises différeraient leur décision de deux ans aussi. Mais rien ne le prouve. Et il risque même d’y avoir un transfert important de la prise en charge, de l’assurance vieillesse vers l’assurance chômage.
Vous envisagez une aide à l’embauche des seniors, que nous venons de découvrir. Apparemment, elle n’a pas été discutée avec les partenaires sociaux. Espérons qu’elle aura un plus grand succès que la formule du contrat à durée déterminée pour les seniors. Une modulation des cotisations sociales serait préférable, favorable aux entreprises qui fidélisent leurs salariés et pénalisant celles qui recourent massivement à l’emploi précaire et au temps partiel.
Quel sera l’avenir du dispositif allocation équivalent retraite destiné aux chômeurs non indemnisés, mais qui peuvent prétendre à une retraite à taux plein ? La loi de finances pour 2008 l’avait abrogé, mais il a dû être prorogé sous l’effet de la crise et de nos pressions.
Enfin, ne trouvez-vous pas indécent, pour ne pas dire mensonger, de communiquer sur des mesures qui, non seulement ne sont pas votées, mais sont bien imprécises, sinon absentes du projet ?
M. Régis Juanico. Je souhaiterais revenir sur les conditions quelque peu surréalistes dans lesquelles débute l’examen de ce texte par la Commission des affaires sociales. Le Gouvernement a choisi de jeter une chape de plomb sur le débat ; le calendrier a été fixé de manière à éviter toute contestation. Vous faites tout pour aseptiser la discussion et pour vitrifier le texte, mais il n’est pas sûr que vous réussissiez !
Le plus grave, c’est qu’alors que vous avez fait de la concertation sociale l’une de vos ambitions politiques, on entend les partenaires sociaux, les syndicats en particulier, se plaindre que vous ne teniez pas compte de leurs positions. Il y a un mois, vous aviez annoncé qu’avant son examen par l’Assemblée, vous amélioreriez ce texte sur trois points : la pénibilité, les polypensionnés et les carrières longues. Rien n’a bougé. Bien au contraire, on observe une régression sur le premier volet.
Sur le fond, votre plan n’est pas fait pour les salariés, ni pour sauver notre système de retraite par répartition. Il a été conçu pour satisfaire les exigences des marchés financiers et des agences de notation. D’ailleurs, M. Claude Guéant expliquait dans le Financial Times qu’il s’agissait d’un plan strictement comptable – quoique faussement comptable –, visant à réaliser un maximum d’économies. On fera ainsi payer la crise aux salariés, puisque leur contribution représente 90 % de l’effort demandé, alors que les hauts revenus et le capital ne sont mis à contribution qu’à hauteur de 4 milliards d’euros.
Plus grave encore, ce plan est injuste, puisque vous ajoutez aux diminutions successives du taux de remplacement décidées en 1993, en 1994 et en 2003, qui ont entraîné une baisse des pensions de 20 %, la remise en cause d’un acquis social auquel les Français sont très attachés. Ce report de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans entraîne mécaniquement, n’en déplaise à François Bayrou, celui de l’âge de la retraite à taux plein, de 65 à 67 ans !
Cette mesure méconnaît l’existence dans la société française d’une inégalité fondamentale : la différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur, qui avoisine les sept années ; les ouvriers sont à la retraite moins longtemps et dans un état de santé plus dégradé que les autres catégories socioprofessionnelles.
Elle pénalisera les salariés les plus modestes, ceux qui ont commencé à travailler très jeunes, ceux qui ont eu des métiers pénibles, ainsi que les femmes aux carrières incomplètes et les travailleurs précaires.
Votre réforme sera sans doute la plus dure et la plus douloureuse d’Europe, puisque l’Allemagne prévoit pour 2029 le passage de l’âge de départ à la retraite à taux plein de 65 à 67 ans : vous réalisez l’exploit de le faire dix ans avant elle !
Ce texte est une trahison non seulement des engagements pris envers les Français en 2007, mais aussi de ceux, relatifs à la pénibilité, inscrits dans la loi de 2003. S’il comprend un volet, fort limité, sur l’incapacité physique, il ne propose pas de définition de la pénibilité, n’en identifie aucun facteur et ne prévoit pas de mesures préventives, alors que les partenaires sociaux s’étaient mis d’accord sur ces trois points. Cela prouve que le Gouvernement ne se soucie pas d’élaborer un dispositif tenant compte des effets identifiables et irréversibles du travail sur la santé, qui influent sur l’espérance de vie et touchent aujourd’hui 2,3 millions de salariés. Il privilégie une mesure relative à l’incapacité physique, qui ne concerne que 10 000 personnes et aura le moins de répercussions possibles sur le budget de l’État et sur le niveau des cotisations patronales.
M. le président Pierre Méhaignerie. Je souhaite rappeler quelques faits.
Premièrement, le pouvoir d’achat des 15,5 millions de retraités français est préservé, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays d’Europe. Deuxièmement, l’espérance de vie des Français à l’âge du départ à la retraite est la plus longue d’Europe. Troisièmement, la compétitivité des entreprises n’est pas remise en cause. Enfin, s’agissant de la pénibilité, 100 000 à 150 000 départs seront possibles à 60 ans ou avant. Est-ce le cas dans beaucoup de pays d’Europe ? Après avoir entendu tant de caricatures inspirées de Germinal, je tenais à rétablir ces vérités.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Nos concitoyens vivent mal ; ils sont inquiets pour leur avenir et pour celui de leurs enfants. Est-ce pour cette raison que vous n’avez pas souhaité que notre débat soit retransmis sur LCP-AN ?
Votre projet de loi pèse sur les plus faibles, une fois de plus – une fois de trop ?
Monsieur le ministre, en répondant à Martine Billard, vous avez eu l’air de prendre la situation des femmes à la légère, en prétendant qu’elles retrouveraient progressivement leur pouvoir d’achat. Pourtant, les femmes souffrent de la précarité, des écarts de salaires avec les hommes, du développement du travail à temps partiel, ainsi que de la pénibilité. Les pensions qui leur sont versées demeurent, et demeureront encore longtemps, inférieures à celles des hommes.
Malgré cela, votre projet de loi ne comporte, hormis la prise en compte du congé de maternité, aucune mesure en leur faveur. Vous vous êtes même déclaré défavorable à l’amendement adopté par la Commission des finances, visant à permettre aux femmes de bénéficier d’une retraite à taux plein à 65 ans au lieu de 67. Vous vous référez sans cesse à ce que font les autres pays européens, mais je vous signale que dans beaucoup d’entre eux, les femmes partent à la retraite à 60 ans et les hommes à 65 ans. Pourriez-vous vous inspirer de leur exemple pour revenir sur votre refus d’ici à la discussion en séance plénière ?
Beaucoup de femmes travaillent à temps partiel. Or, un temps partiel de moins de deux cents heures par trimestre ne permet pas de valider un trimestre. Je ne suis pas sûre que toutes les personnes concernées le sachent, ni que leurs employeurs le leur disent, notamment lorsqu’ils transforment des emplois à temps complet en emplois à temps partiel de moins de deux cents heures.
D’autre part, trouvez-vous normal qu’après avoir élevé trois enfants, celles qui touchent une petite retraite de 800 euros par mois et celles qui étaient cadres bénéficient de la même bonification, de 10 % ?
Enfin, nous sommes plusieurs députés, de tous bords politiques, à appeler chaque année l’attention du Gouvernement sur la situation des quatre millions de veufs et veuves de notre pays – plus de trois millions étant des femmes. Et chaque année, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, on nous renvoie à la discussion du projet de loi relatif aux retraites. Pourtant, je ne vois aucune disposition sur le sujet.
La situation des veuves est particulièrement difficile. De surcroît, le Président de la République avait promis, notamment lors de la campagne présidentielle, le passage du taux de réversion de 54 % à 60 %, l’augmentation du plafond de ressources pour l’attribution de la pension de réversion, la pérennisation de l’allocation veuvage – dont le régime doit s’interrompre au 31 décembre 2010. La réversion s’appliquant de nouveau sous la condition d’âge minimum de 55 ans, les jeunes veuves ne bénéficieront d’aucun des deux dispositifs ! De même, il avait promis l’ouverture d’un droit à pension de réversion pour les concubins et les pacsés. Je n’ose croire que ces engagements ne seront pas tenus !
M. le président Pierre Méhaignerie. Chers collègues, je vous informe que je n’accepterai aucune nouvelle demande de prise de parole. Quarante et un orateurs sont intervenus durant la discussion générale, qui a duré six heures trente au total. Il faut remonter très loin dans le temps pour trouver un débat en commission d’une telle ampleur !
M. Jean-Louis Gagnaire. Pour commencer, je souhaiterais corriger certains de vos accommodements avec la vérité, monsieur le président. Ainsi, vous dites que la part des salaires dans le PIB a diminué à partir de 1983 – probablement voulez-vous suggérer que c’est en raison de la politique du Gouvernement de l’époque. Certes, il y a eu une forte hausse dans les années 1970 et un retournement dans les années 1980 : on est revenu, vers 1986, au niveau de 1973. Toutefois, la hausse des années 1970 s’explique par la forte progression des salaires, quand la productivité du travail a ralenti. Permettez-moi de vous rappeler qu’en 1981, l’économie française était dans un état déplorable, au point que certaines entreprises, au bord de la ruine, ont dû être nationalisées. Quant à la baisse des années 1980, elle est due pour partie à la hausse des taux d’intérêts réels. Ce phénomène, qui ne résulte pas d’une volonté délibérée du Gouvernement, s’est largement accentué dans les années suivantes.
Quant à vous, monsieur le ministre, je me demandais en vous écoutant si vous n’aviez pas changé de casquette, pour devenir président de groupe. Vous vous exprimez comme si votre problème, c’était nous ! De toute évidence, vous n’avez pas lu nos propositions. Elles ont pourtant été présentées aux Français avant votre projet de loi, et nos concitoyens les ont comprises et approuvées. Je souhaiterais que vous en teniez compte. En caricaturant nos positions, vous vous caricaturez vous-mêmes !
Quand on entend les attaques en règle contre les fonctionnaires et les appels à une forme de privatisation de la retraite, il vaut effectivement mieux que certaines interventions ne soient pas retransmises à la télévision. Toutefois, je crois que l’on aurait gagné en sérénité si ce débat, qui intéresse tous les Français, avait été filmé.
Mme Bérengère Poletti. Qui êtes-vous pour nous donner des leçons ? Vous n’appartenez même pas à cette commission !
M. Jean-Louis Gagnaire. En effet, j’appartiens à celle des affaires économiques et, aux termes du Règlement que vous avez adopté, j’ai parfaitement le droit de participer à la réunion d’une autre commission – de même qu’à la Commission des affaires économiques, les membres des autres commissions peuvent intervenir, ce qui fut notamment le cas lors de l’examen des projets de lois de modernisation de l’économie ou de modernisation de l’agriculture, lorsque certains lobbies ont cherché à s’exprimer !
Pour ce qui me concerne, je ne suis pas là pour défendre un lobby, mais je souhaiterais que nous tenions compte de ce que disent les Français. Notre collègue, Marie-Christine Dalloz faisait tout à l’heure allusion à certaines réunions publiques. J’ignore où elles ont eu lieu, mais, en ce qui me concerne, je n’ai rencontré aucun salarié qui approuve la réforme proposée. Tout le monde est conscient que ce texte est fait pour donner des gages aux agences de notation. Mme Lagarde ne cesse, dans les réunions internationales, de répéter que cette réforme est nécessaire pour faire rentrer la France dans les clous et pour que la part des prélèvements obligatoires dans notre pays diminue rapidement. Il s’agit, en outre, de donner des gages à nos voisins allemands, qui s’impatientent devant l’incurie politique du Gouvernement.
Cette réforme est injuste, puisque 90 % des efforts demandés reposent sur les salariés, et imprévoyante, puisqu’il faudra revenir dessus en 2018 – et dès 2012 si les électeurs nous font confiance, pour corriger ses aspects antisociaux, pour sécuriser durablement les comptes des caisses de retraite, et pour mettre fin au hold-up sur le Fonds de réserve pour les retraites.
Par ailleurs, vous confondez invalidité et pénibilité. Dans ma région, deux industriels du secteur de la chimie, Rhodia et Arkema, ont décidé d’accorder, après discussion avec les partenaires sociaux, la retraite à 57 ans, sur fonds privés. Croyez-vous vraiment que ces groupes, qui doivent assurer la rémunération de leurs actionnaires, réduisent de trois ans la durée de travail de leurs salariés par pure philanthropie ?
M. le président Pierre Méhaignerie. Six mois, et non trois ans, monsieur Gagnaire : ensuite les salariés bénéficient des prestations de l’UNEDIC, non des fonds privés !
M. Jean-Louis Gagnaire. En tout cas, cela permet à certains salariés de partir à la retraite à 57 ans, ce qui prouve que ces deux groupes reconnaissent la pénibilité du travail dans leur secteur, les risques encourus et la moindre espérance de vie de leurs salariés à leur départ à la retraite. Ce que des groupes privés ont été capables de reconnaître à travers des accords signés avec les partenaires sociaux, le Gouvernement serait bien inspiré de l’introduire dans la loi, au lieu de nier l’évidence !
Enfin, se pose le problème du statut de l’auto-entrepreneur, dont nous discutons régulièrement à la Commission des affaires économiques. M. Novelli fait la promotion de ce dispositif, en assurant que la France sera bientôt copiée par l’Europe entière. Or, nous avons auditionné les responsables des caisses de retraite, notamment celle des professions libérales : les charges liées aux exonérations de cotisation sont actuellement supportées par elles, ce qui se traduira inévitablement par une augmentation de 10 à 20 % des cotisations. Si l’on veut assurer un financement équilibré des caisses de retraite, il faut que l’État honore ses engagements ! Vous avez fait voter dans l’urgence une loi absurde, qui déstabilise le secteur de l’artisanat et le budget des caisses de retraite, en attribuant des trimestres gratuits à tout auto-entrepreneur, quel que soit son chiffre d’affaire. Voilà la réalité du statut de l’auto-entrepreneur, que personne ne semble connaître au sein de votre commission !
M. le président Pierre Méhaignerie. Ne soyez pas provocateur, monsieur Gagnaire : nous avons travaillé des heures sur la question !
M. Jean-Louis Gagnaire. La loi de modernisation de l’économie n’a pas été examinée par la Commission des affaires sociales, mais par celle des affaires économiques, et ces questions ont été largement débattues par les députés de notre groupe : il me semble donc légitime que je porte le débat ici. D’ailleurs, vous auriez gagné du temps si vous nous aviez écoutés ; cela vous aurait évité de présenter certains amendements !
De même, lors de l’examen de la loi dite « TEPA », nous n’avions cessé de dire qu’il fallait supprimer les crédits d’impôt sur les intérêts d’emprunt. Aujourd’hui, M. Apparu reconnaît qu’il s’agit d’un gaspillage de l’argent public. Vous arrivez aux mêmes conclusions que nous, mais avec des semaines, voire des années de retard.
Votre réforme n’est ni faite, ni à faire, et elle sera à refaire !
M. Denis Jacquat, rapporteur. Au cours de sa séance du 8 juin 2010, la Commission des affaires sociales a reçu M. Jacques Escourrou, président du conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAV-PL). En page 266 du rapport d’information sur la réforme des retraites déposé par la commission, figure la question que je lui ai posée à propos des difficultés liées au statut des auto-entrepreneurs, et en page 269 sa réponse, selon laquelle la CNAV-PL devra payer 1 700 euros par an et par auto-entrepreneur. Je ne peux donc admettre ni laisser dire que nous ignorerions à quoi nous en tenir sur ce dossier.
Mme Gisèle Biemouret. Vous évoquez, monsieur le ministre, un droit social nouveau pour les salariés reconnus travailleurs handicapés. Notre appréciation diffère sans doute sur ce point, mais pourriez-vous nous dire quelles seront les 10 000 personnes concernées et en fonction de quels critères elles accéderont à ce nouveau droit social ? D’autre part, à qui sera confiée la gestion des demandes – à un nouveau service de l’État ou aux maisons départementales des personnes handicapées ?
Lorsque nous l’avons auditionné, le directeur général du Régime social des indépendants (RSI), nous a expliqué que, chaque année, celui-ci recouvre pour le compte de l’État le produit de la contribution sociale de solidarité des sociétés (CSSS), soit 5 milliards d’euros. Mais, si le RSI en assure la collecte, il ne conserve pas la totalité du produit de cette taxe ; où finissent ces fonds ?
M. Christian Eckert. Plusieurs remarques s’imposent sur la forme que le Gouvernement donne à ce débat. En premier lieu, quels éléments du projet sont négociables ? Aussi bien le Président de la République que vous, monsieur le ministre, allez proclamant que le report de l’âge de la retraite à 62 ans ne l’est pas, mais que l’on peut discuter des carrières longues, des polypensionnés et de la pénibilité. Dans les faits, qu’en est-il ? Ce matin, en Commission des finances, saisie pour avis, nos amendements sur ces sujets ont été balayés. À quoi servons-nous ? Dès que l’on vous fait des propositions précises, vous répondez que les éléments susceptibles d’être négociés le seront plus tard, peut-être en septembre… En réalité, vous refusez d’examiner ces sujets.
Sur un autre plan, pourquoi, monsieur le ministre, ne pas avoir assorti ce projet d’un projet de loi de finances rectificative ou d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative ? Certains, sur les bancs de la majorité, s’interrogent eux aussi à ce sujet. On lit, certes, l’annonce de diverses mesures, y compris fiscales, dans vos documents publicitaires, mais dans le projet de loi lui-même, rien !
Dans le même temps, vous allez de chaîne de télévision en chaîne de télévision affirmer qu’il n’y a pas de propositions socialistes ; c’était le cas ce soir encore, sur LCP-AN. Cessez de nous traiter par le mépris, comme si tout ce que nous disions était stupide ! Notre collègue Yves Durand l’a dit, les propositions du Parti socialiste sont sur la table, qu’il s’agisse de la taxation des revenus du capital ou de la majoration de l’impôt sur les sociétés acquitté par les banques, mais vous les balayez systématiquement d’un revers de main !
Tout à l’heure, j’ai entendu brocarder ce qui aurait été une sorte de plagiat de Germinal. Et pourtant ! Je prendrai pour seul exemple celui des mineurs de fer et de charbon. Le Rapporteur sait aussi bien que moi que, s’ils n’avaient bénéficié du droit à la retraite anticipée, ils seraient tous morts au travail ! Et même ainsi, il faut peu de mots pour récapituler ce qu’il en était : retraite après trente ans de fond, c’est-à-dire à 50 ans ; cancer du poumon se déclarant à 55 ans ; mort à 60 ans. Cela s’est passé ainsi dans ma famille, chez des voisins… Je connais des cas par légions ! Aussi, quel mépris de prétendre confondre pénibilité et handicap, sans vouloir prendre en compte les maladies différées !
Je le répète, les partenaires sociaux ont formulé des propositions sur la pénibilité, nous aussi, et nous en formulerons d’autres par le biais d’amendements. Vous seriez bien inspiré d’en tenir compte.
M. le président Pierre Méhaignerie. Je partage votre analyse pour ce qui est des mineurs, mais vous devriez nous rendre hommage d’avoir permis, en 2003, que 700 000 ouvriers, qui avaient commencé à travailler très jeunes, puissent partir à la retraite après quarante-cinq ou quarante-six ans d’activité.
M. le ministre. Madame Langlade, le Gouvernement est aussi attentif que vous l’êtes au taux d’emploi des seniors, mais il faut pour commencer faire des comparaisons probantes. Choisir pour référence le taux d’emploi des seniors âgés de 55 à 64 ans n’a pas grand sens puisque, d’évidence, la fixation de l’âge de la retraite à 60 ans fait qu’à partir de cet âge, ce taux est très inférieur en France à ce qu’il est dans les autres pays. Mais, à 59 ans, il est égal ou supérieur à la moyenne de ce qui est observé dans les pays de l’Union européenne – ce qui n’est toutefois pas assez, je vous l’accorde.
L’augmentation de l’âge de la retraite doit susciter un changement culturel tel que la société française s’habitue à conserver les seniors en entreprise. Cela signifie aussi qu’il faudra, en effet, adapter les carrières. C’est plus facile pour les grandes sociétés, Rhodia par exemple, qui servent de laboratoires, car leurs pratiques se diffusent dans les PME auxquelles elles sous-traitent. Il nous faut parvenir à employer massivement les seniors, ce qui ne se fera pas au détriment de l’emploi des jeunes – ce n’est pas parce qu’un salarié prend sa retraite qu’un jeune est nécessairement embauché, vous ne l’ignorez pas. Le projet met l’accent sur le tutorat, mais nous avons aussi prévu d’autres mesures, tel le recentrage sur les chômeurs âgés de l’exonération de charges prévue pour l’embauche d’un salarié par une très petite entreprise. Nous donnons ainsi un coup de pouce aux entreprises qui veulent employer des salariés âgés de plus de 55 ans. Il y faudra du temps, et nous devrons être vigilants.
Monsieur Muzeau, vous jugez le projet inacceptable ; c’est votre droit. Vous dites par ailleurs que l’on ne peut mêler carrières longues et pénibilité. Or, ceux qui ont commencé à travailler tôt ont souvent été exposés à des facteurs de pénibilité. Les populations considérées ne sont pas exactement les mêmes, mais elles peuvent être associées à certains égards. Cela représente 100 000 personnes sur 700 000 dont l’âge de retraite ne sera pas 62 ans mais 60 ans ou moins, car avoir commencé à travailler jeune est une des formes de la pénibilité.
Madame Delaunay, toute réforme des retraites est un temps majeur du débat politique. Il faut faire évoluer notre régime de retraite car, actuellement, il n’est pas financé. Les options que nous avons choisies sont incontournables. Voyez ce qui se passe dans les autres pays de l’Union européenne : leurs gouvernements seraient-ils atteints d’idiotie collective ? Nous sommes tous contraints de trouver une solution au problème qui se pose à nous tous et la réponse, nécessairement d’ordre démographique, passe par le report de l’âge de la retraite, mais aussi par d’autres mesures, qui figurent dans le projet.
Les petites pensions reflètent des carrières fragmentées et partielles. Pour corriger cette situation, il faut des minima, et nous en avons : minimum vieillesse, minimum garanti, minimum contributif. Leur montant n’est pas très élevé, soit, mais ils sont le plus souvent assortis d’allocations telles que l’aide personnalisée au logement. Un socle minimum de solidarité existe bel et bien, ce qui n’est pas le cas partout. Incidemment, je n’ai pas souvenir d’avoir entendu le Parti socialiste nous féliciter d’avoir augmenté le minimum vieillesse comme le Président de la République en avait pris l’engagement.
S’agissant de longévité, la mesure des facteurs de risque professionnel suppose la réalisation de matrices emploi-exposition. Il en existe, mais par pour tous les cas, il s’en faut de beaucoup. Pour aller plus loin en matière de pénibilité, il y a plusieurs manières de faire, dont l’une est de réfléchir aux effets différés de l’exposition au risque. Il faudra donc davantage de ces matrices – qui sont réalisées par des scientifiques et non par des politiques –, mais il faut ensuite faire le lien précis entre population exposée à un risque et facteurs de déclenchement de ce risque.
La pénibilité est une question compliquée. Nous aurions pu refuser d’aborder la question et en rester à l’incapacité, à l’invalidité ; nous acceptons d’entrer dans ce débat parce que nous considérons qu’il est juste… Les 10 000 personnes dont nous parlons sont celles qui justifieront d’un taux d’incapacité égal ou supérieur à 20 % ayant donné lieu à l’attribution d’une rente pour maladie professionnelle ou pour accident du travail – non par les médecins du travail mais par les médecins de la branche accidents du travail-maladie professionnelle de la CNAMTS.
M. Christian Paul. Pourquoi 20 % ? Pourquoi pas 18 ou 22 % ?
M. le ministre. Là encore, je n’entends pas beaucoup de propositions de votre part. Nous sommes offensifs, vous êtes sur la défensive…
M. Alain Vidalies. C’est insupportable.
M. le ministre. Vous avez l’épiderme bien sensible… Quant à dire que l’été n’est pas le bon moment pour réformer les retraites, permettez-moi de rappeler que la réforme a été annoncée en juin 2009 sans que vous vous saisissiez du sujet alors que, l’assurance vieillesse accusant un déficit de 30 milliards d’euros, nous n’avons pas le temps d’attendre. Nous avons mené une concertation très approfondie. Nous avons fait un lien entre retraite et pénibilité. Dans de nombreux pays, ce lien n’existe pas. Mais, il faut bien un outil pour mesurer la pénibilité ! Voudriez-vous que tout le monde soit éligible au dispositif ?
S’agissant du calcul de la retraite des polypensionnés, monsieur Jeanneteau, le calcul actuel me semble assez correct, puisque l’on se fonde, assez logiquement, sur les vingt-cinq meilleures années pour la pension due au titre de l’activité dans le secteur privé, et sur les six derniers mois pour l’activité dans le secteur public. Mais, d’autres problèmes se posent, qui concernent notamment les polypensionnés des régimes alignés, et nous continuons d’y réfléchir. La question reste ouverte et nous verrons en septembre.
Madame Oget, la majoration de la durée d’assurance vieillesse au régime général pour les parents ayant élevé un enfant dont le handicap ouvre droit à l’allocation d’éducation spéciale est égale à un trimestre pour chaque période de trente mois de versement de l’allocation. Elle demeure.
Peut-être les fonctionnaires ayant trois enfants et quinze ans de service anticiperont-elles un peu leur départ à la retraite, comme il est naturel en période de transition, mais nous avons veillé à étendre la période de choix.
La question du Fonds de réserve pour les retraites a été évoquée de multiples fois ; je ne pense pas vous avoir convaincus.
Vous contestez que le projet permette le retour à l’équilibre du régime des retraites en 2018. Mais le projet du Parti socialiste prévoit un retour à l’équilibre en 2025 ; en attendant, que faites-vous ?
M. Alain Vidalies. Ah ! Vous admettez donc qu’il y a un projet socialiste !
M. le ministre. Pourquoi, monsieur Juanico, ne pourrait-on débattre de la réforme de retraites en été ? Ni en juin, ni en septembre non plus ? La discussion a commencé il y a longtemps – début avril au sein de votre commission, qui m’a auditionné deux fois à ce sujet – et il continuera jusqu’au mois d’octobre. Le débat se fait donc sur une période longue et il n’a rien de tronqué.
Pour valider un trimestre, il faut 200 heures sur un an, madame Clergeau. La question de la pension de retraite des veuves et des veufs est, en effet, un sujet important ; pourtant, lorsque nous avons porté de 54 à 60 % le taux de la réversion pour les veuves et les veufs les plus modestes, vous n’avez pas voté cette mesure, qui concerne des dizaines de milliers de nos concitoyens.
L’allocation veuvage est maintenue…
M. Pascal Terrasse. Mais à quel âge ?
M. Alain Vidalies. Ce n’est plus un droit, c’est une allocation différentielle !
M. le ministre. Monsieur Gagnaire, il est assez prévisible que les Français, si on les interroge, disent ne pas approuver le passage à 62 ans de l’âge légal de la retraite. On peut présumer qu’interrogés, ils n’approuveraient pas davantage la réduction des pensions ou l’augmentation des impôts et, avec une telle approche, on aurait peu de chance de parvenir à réformer les retraites. Il faut procéder avec calme et dans un esprit de responsabilité. Le Gouvernement et le Parlement doivent prendre des mesures, et c’est ce qu’ils font.
Je ne reviens pas sur la question de la compensation versée par la CNAV-PL, déjà abordée.
S’agissant de l’emploi des seniors, il faut aménager les fins de carrière. Avec le passage de l’âge de la retraite à 62 ans, cette exigence est encore plus forte. Des expériences sont déjà en cours à cet effet dans de nombreuses entreprises ; il faudra les développer encore.
Madame Biemouret, vous m’avez demandé qui seront les 10 000 personnes reconnues travailleurs handicapés ; je vous ai répondu en répondant à Mme Delaunay.
La part de la contribution sociale de solidarité des sociétés que le RSI collecte mais ne conserve pas ne disparaît pas : elle est versée au Fonds de solidarité vieillesse.
La réforme est-elle négociable, monsieur Eckert ? Mais vous n’avez aucune envie de négocier avec le Gouvernement ! D’ailleurs, je n’ai pas souvenir qu’un seul des projets que vous avez présentés lorsque vous étiez au pouvoir ait été substantiellement modifié par des propositions de l’opposition. N’exigez pas de nous ce que vous n’avez jamais fait et que vous ne faites pas dans la plupart des exécutifs que vous dirigez !
Les choses sont simples : vous ne souhaitez pas aborder les mesures d’âge, le Gouvernement souhaite les aborder. Que fait-on ? On abandonne toute idée de réformer les retraites ?
M. le secrétaire d’État. Pour évaluer le nombre des départs anticipés de fonctionnaires ayant trois enfants et quinze ans de service dus à la modification envisagée, les références comparables sont peu nombreuses. Tout au plus puis-je vous dire que l’on a constaté 15 % de départs supplémentaires en 2003, mais que l’équilibre s’est rétabli dès l’année suivante. Cela étant, le risque de départs anticipés doit être minimisé, car le dispositif est progressif. Les règles actuelles s’appliqueront jusqu’au 31 décembre 2010, les règles « générationnelles » au 31 décembre 2011, ce qui permettra un lissage des départs. De plus, les fonctionnaires concernées ne prennent pas une décision de cette nature uniquement en fonction de l’évolution de la législation ; l’impact financier qu’aura le départ à la retraite est aussi pris en considération.
Monsieur Gagnaire, je suis favorable à l’écoute réciproque, mais les mots ont un sens. À cet égard, parler comme vous le faites d’« attaques contre les fonctionnaires », c’est abuser d’une dialectique pour laisser entendre que toute réforme se ferait contre eux. Cette manœuvre politique peine à convaincre, d’autant que vous ne proposez aucune alternative.
La question est la suivante : considérez-vous, oui ou non, que la convergence entre le public et le privé est nécessaire ? Si oui, j’attends avec impatience vos propositions.
Mme Marisol Touraine. Nous allons défendre des amendements.
M. le secrétaire d’État. Soit, mais je constate que dans la discussion générale, le sujet n’a aucunement été abordé, ce qui tendrait à me faire douter de votre conviction que l’équité passe par un rapprochement public-privé – auquel, pourtant, les Français sont très attachés.
M. Alain Vidalies. Monsieur le ministre, je préfère que vous critiquiez le projet du Parti socialiste plutôt que de répéter, comme vous l’avez fait encore devant la presse à l’issue de la séance de cet après-midi, que les socialistes n’ont rien à proposer. Que vous n’accordiez aucun crédit à notre projet, ce n’est pas un problème – d’autant que nous n’en accordons pas davantage au vôtre ! Mais cessez de dire que nous n’avons pas de propositions, ce n’est pas correct. Si ce débat avait été transparent, chacun aurait pu en prendre connaissance.
La Commission examine les articles du présent projet de loi au cours de ses séances du mardi 21, mercredi 22 et jeudi 23 juillet 2010.
TITRE IER
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Chapitre Ier
Pilotage des régimes de retraite
La Commission est saisie de l’amendement AS 34 de M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Cet amendement fait partie de ceux que nous proposons pour aller plus loin sur la voie de l’équité. Il tend à modifier l’article 2 de la loi du 21 août 2003, en indiquant que tout retraité a droit à une pension « en rapport avec les cotisations qu’il a versées » plutôt qu’avec « les revenus qu’il a tirés de son activité ». Il vise notamment l’équité entre le public et le privé.
M. Denis Jacquat, rapporteur. La modification du principe inscrit dans cet article n’est pas d’actualité. Avis défavorable, de même qu’à l’amendement AS 35.
M. Georges Tron, secrétaire d’État chargé de la fonction publique. Avis défavorable également, l’objectif d’équité des efforts contributifs étant satisfait, à l’article 21, par la mesure relative à l’augmentation des taux de contribution.
Mme Marisol Touraine. J’aimerais que le Gouvernement se déclare également opposé à l’exposé des motifs de cet amendement, qui montre bien la grande confusion que certains cherchent à entretenir à propos des fonctionnaires. Il laisse, en effet, entendre que ceux-ci sont avantagés, alors qu’à qualification égale, il faut le dire clairement, les niveaux de pension du secteur privé et du secteur public sont extrêmement proches.
M. le secrétaire d’État. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet. Si nous n’avons pas voulu procéder à une harmonisation entre la règle des vingt-cinq meilleures années et celle des six derniers mois, c’est parce que nous avons constaté qu’en effet, tant les rémunérations que les pensions sont approximativement les mêmes dans le privé et dans le public. Les dispositions de l’article 21 répondront aux préoccupations de M. Tian – dont par ailleurs le propos ne m’a paru en rien exprimer la stigmatisation que vous évoquez.
La Commission rejette l’amendement AS 34.
Puis, elle est saisie de l’amendement AS 35 de M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. À l’article 3 de la loi du 21 août 2003, selon lequel « les assurés doivent pouvoir bénéficier d’un traitement équitable au regard de la retraite », je propose de supprimer le mot « pouvoir », afin de donner à cette disposition un caractère impératif.
La Commission rejette l’amendement AS 35.
Article 1er
(articles L. 114-4-2 et L. 114-4-3 [nouveaux] du code de la sécurité sociale)
Création d’un comité de pilotage des régimes de retraite
L’article 1er du projet de loi crée dans le chapitre IV (Commissions et conseils) du titre Ier (Généralités) du Livre 1 (Généralités-Dispositions communes à tout ou partie) du code de la sécurité sociale une nouvelle section 8 intitulée « Comité de pilotage des régimes de retraite ».
Ce nouvel organisme, rassemblant les gestionnaires des multiples régimes de retraite obligatoire, a pour vocation de combler les lacunes du système français de retraite en termes de pilotage.
Le point de départ du débat récent sur la possibilité d’une réforme systémique, débat qui a abouti à l’élaboration du septième rapport du Conseil d’orientation des retraites publié en janvier 2010, est le constat, partagé par tous, du très grand éclatement de notre système de retraite entre de multiples régimes.
Multiplicité des régimes de base d’abord : en termes de prestations, le régime général ne représente que 49 % des prestations de retraite de base contre 31 % pour la fonction publique, 8 % pour les autres régimes spéciaux, 8 % pour la Mutualité sociale agricole (MSA) et 4 % pour le Régime social des indépendants (RSI). Mais aussi multiplicité des niveaux, avec le caractère désormais quasi systématique des régimes complémentaires : en 2010, ces derniers ont versé 80,8 milliards d’euros de prestations vieillesse contre 108 milliards pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), 45 milliards pour la fonction publique et 41,7 milliards pour les autres régimes de base. De ce fait, aujourd’hui un retraité liquide sa retraite auprès de 2,9 organismes en moyenne.
La fragmentation de notre système de retraite est d’abord très négative pour les assurés eux-mêmes : presque tous dépendent à la fois d’un régime de base et d’un régime complémentaire, tous deux obligatoires et les polypensionnés représentent une part de plus en plus importante des retraités. Chacun de ces régimes pouvant avoir des règles différentes en termes de modalités de calcul de la retraite ou de droits conjugaux et familiaux. Il est donc très difficile pour un assuré de s’y retrouver dans ce maquis des réglementations et d’avoir une idée plus ou moins précise de sa future retraite. Pour remédier à ces travers, deux pistes sont privilégiées, compte tenu de la difficulté de mise en œuvre d’une réforme systémique : le développement du droit à l’information et le rapprochement des règles entre les différents régimes. Ces deux voies sont approfondies par le présent projet, respectivement par l’article 3 et par le titre III.
Mais, la multiplicité des régimes de retraite pose également des problèmes importants en termes de gouvernance. La situation décrite ci-dessus ne permet pas, en l’absence d’instance ad hoc, un pilotage partagé des régimes de retraite, pilotage dont les grands enjeux appellent une approche transversale, associant l’ensemble des régimes légaux obligatoires, de base et complémentaires. Il en est ainsi notamment de la pérennité financière des régimes par répartition, de l’équité du système de retraite et du niveau de vie des retraités.
L’article 1er du projet de loi insère donc deux nouveaux articles dans le code de la sécurité sociale, le premier relatif aux missions du nouveau Comité de pilotage des régimes de retraite, le second relatif à sa composition.
Le comité aura un rôle double : d’abord de suivi de la mise en œuvre de la réforme sur les sept prochaines années ; puis de participation au rendez-vous 2018, au cours duquel seront définies les conditions de maintien de l’équilibre financier alors rétabli.
Le I du nouvel article L. 114-4-2 confie au comité de pilotage une triple mission. Il lui revient de veiller :
– « 1° À la pérennité financière des régimes de retraite par répartition ». Il s’agit de sa mission première. Comme l’explique parfaitement le COR dans son septième rapport (31) : « La pérennité financière est une condition de survie du système de retraite plus qu’un objectif en soi : le système de retraite doit être en mesure de verser des retraites aux retraités actuels et futurs. Cette condition est au cœur du contrat de confiance entre les générations dont dépend le système par répartition » ;
– « 2° À l’équité du système de retraite » : l’équité d’un système de retraite doit, en effet, être sa deuxième caractéristique fondamentale. Cette équité doit être intragénérationnelle et passer par un certain nombre de dispositifs de solidarité et de redistribution comme, par exemple, le minimum vieillesse ou la validation des accidents de parcours professionnel. Mais également intergénérationnelle : la confiance des différentes générations dans le système suppose également que chaque génération s’estime justement traitée ;
– « 3° Au maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités » : dernière caractéristique d’un système de retraite juste et équilibré, la garantie d’apporter aux retraités un niveau de revenu suffisant. La France a fait le choix de confier aux régimes par répartition le soin d’assurer un niveau de pension satisfaisant, au contraire d’autres pays, comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas dont le système obligatoire par répartition n’apporte qu’un niveau de revenu minimal, qui doit être complété par une retraite supplémentaire, d’entreprise ou individuelle. Ce choix est réaffirmé avec cet alinéa.
Votre Rapporteur partage l’ensemble de ces objectifs. Il lui semble néanmoins qu’il en manque un. Dans son septième rapport, le COR liste les objectifs souhaitables d’un système de retraite et il place en deuxième place « la lisibilité et la transparence ». Cette exigence de transparence passe certes par un développement du droit à l’information dont est chargé le Groupement d’intérêt public (GIP) Info-retraites, mais aussi par un rapprochement des différents paramètres de calcul de la pension entre les différents régimes. C’est pourquoi la commission a souhaité confier également au comité de pilotage le soin de veiller « au rapprochement des règles et des paramètres entre les différents régimes ».
Le II de l’article L. 114-4-2 indique que le comité suit « notamment » la progression du taux d’emploi des seniors, condition sine qua non de réussite de la réforme, ainsi que la réduction des écarts de pensions entre hommes et femmes. Surtout le comité de pilotage veille au « retour à l’équilibre des régimes de retraite à l’horizon 2018 ». Année après année, il reviendra donc au comité de vérifier que le retour à l’équilibre prévu par la réforme se déroule bien dans les conditions et les proportions envisagées. C’est pourquoi, il a semblé nécessaire à la commission de prévoir que le comité se réunit au moins une fois par an pour qu’il puisse, en cas de dérapage par rapport aux prévisions, proposer des mesures « correctrices ».
Ce rôle essentiel de suivi des équilibres financiers se retrouve dans le III de l’article L. 114-4-2, puisque le comité de pilotage est appelé à jouer un rôle fondamental dans la préparation du rendez-vous 2018 instauré par le projet de loi. Avant le 31 mars 2018, le COR devra, comme il l’a fait avant le rendez-vous 2008 ainsi que cette année, remettre au Parlement et au Gouvernement « un rapport faisant le point sur la situation des régimes de retraite ». C’est sur la base de ce rapport que le Gouvernement devra consulter le comité de pilotage sur un projet de réforme destiné à maintenir l’équilibre des régimes au-delà de 2020.
Votre Rapporteur est tout à fait d’accord avec la séquence introduite par le projet pour le rendez-vous de 2018 :
– expertise indépendante et objective du COR ;
– élaboration d’un projet de réforme par le Gouvernement ;
– consultation du comité de pilotage sur ce projet.
Néanmoins, il semble que le contenu du rapport du COR peut être précisé et enrichi, en s’inspirant de ce que prévoyait l’article 5 de la loi de 2003 s’agissant des rapports semblables précédant les rendez-vous 2008, 2012 et 2016. Un amendement en ce sens a été adopté par la commission.
Votre Rapporteur souhaite saisir cette opportunité pour rappeler l’importance de ce lieu d’échange et de concertation que constitue le COR. Créé par décret en 2000, cet organisme a été « élevé » au niveau législatif par la loi de 2003. Il constitue désormais un acteur essentiel de notre système de retraite.
De fait, une option aurait pu consister à élargir son champ de compétence au pilotage des régimes de retraite. Mais le Gouvernement a préféré, avec sagesse, écarter cette solution pour la simple et bonne raison que le COR est aujourd’hui avant toute chose une instance d’expertise, destinée à alimenter le débat public sur les retraites et à faire émerger des points de consensus sur les évolutions possibles et/ou souhaitables. Il est indispensable de protéger cette mission, en la distinguant clairement de la mise en œuvre d’un pilotage stratégique des régimes.
Votre Rapporteur ne souhaite donc pas que l’on touche aux missions ou à la composition du COR, qui doit continuer à jouer ce rôle essentiel d’expertise et de débat.
Le nouvel article L. 114-4-3 précise la composition du comité de pilotage. Structure opérationnelle, ce comité doit avant tout rassembler les administrateurs des différents régimes de retraite. Quels sont ces régimes ?
Le vocabulaire utilisé étant le même que pour le GIP Info-retraites, le périmètre du comité sera donc très certainement identique (cf schéma ci-dessous), même s’il est indiqué que des dispositifs spécifiques de représentation seront prévus pour les plus petits régimes.
Pour autant, un certain nombre de questions se posent que le débat parlementaire devra trancher :
– d’abord, la présence de personnalités qualifiées : elle est aujourd’hui prévue par le texte. Mais autant, elle semble totalement légitime dans un organisme de réflexion et d’expertise tel que le COR, autant elle est plus discutable pour un organisme de pilotage opérationnel. Quelle légitimité auront ces personnalités qualifiées, aussi brillantes fussent-elles, face aux représentants de la CNAV, de l’AGIRC-ARRCO ou encore de la CNRACL ?
– ensuite, la place des partenaires sociaux dans le dispositif. Certes, un certain nombre d’organisations syndicales seront représentées au sein du comité en tant qu’administrateurs des régimes. Mais, quid des organisations syndicales ou patronales qui n’assument pas de mandat de gestion ? Il serait tout de même étonnant qu’elles soient totalement exclues du dispositif. La commission a donc souhaité préciser que les organisations syndicales et nationales seraient représentées dans le comité, ainsi que des parlementaires issus de chacun des groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Source : GIP Info retraite.
*
La Commission est saisie des amendements de suppression AS 36 de M. Dominique Tian, AS 81 de Mme Martine Billard et AS 226 de Mme Marisol Touraine.
M. Dominique Tian. La création d’une nouvelle structure s’ajoutant à celles qui existent déjà paraît inutile.
Mme Martine Billard. Nous sommes, nous aussi, défavorables à la création d’un comité de pilotage des régimes de retraite à côté du COR, dont l’intérêt est d’être pluraliste et de réaliser des études à partir desquelles le Parlement et le Gouvernement peuvent prendre leurs décisions. Ce comité aurait des fonctions assez similaires à celles du COR, notamment la réflexion sur les perspectives de financement de la réforme des retraites, et pourrait de plus faire des propositions sur les mesures à prendre. Or, nous considérons qu’il ne doit pas y avoir pour cela d’intermédiaire entre le COR et les décideurs que nous sommes.
En outre, nous sommes en désaccord avec la composition proposée de ce comité, qui fait très peu de place aux syndicats.
Mme Marisol Touraine. Nous contestons nous aussi la logique de cet article. Certaines des missions assignées à ce comité sont exercées aujourd’hui par le Gouvernement, d’autres par le COR, et nous ne voyons donc pas l’utilité de créer ce nouveau « machin », comme aurait dit le Général de Gaulle.
En outre, la rédaction retenue est extraordinairement vague : on donne au Comité la mission de « veiller » à la réalisation de divers objectifs, sans même préciser les moyens dont il disposera pour cela.
Enfin, nous contestons l’horizon 2018. Nous voulons une réforme plus ambitieuse, à l’horizon de 2025. J’indique à M. Woerth que notre projet comporte des mesures démographiques à cette échéance et qu’il assure l’équilibre à court terme par des prélèvements sur les revenus du capital.
M. le rapporteur. Avis défavorable, car cet article comble un manque dans notre système de pilotage des retraites. Le comité de pilotage, qui rassemblera l’ensemble des acteurs concernés, n’est nullement superfétatoire. Le COR continuera à réaliser ses analyses, tandis que le Comité, en fonction des travaux du COR, fera des propositions au Gouvernement pour assurer l’équilibre des régimes au-delà de 2020, tout en surveillant les effets produits par la réforme de 2010.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Avis défavorable également, bien entendu. Le COR est un outil technique, mais le comité que nous proposons de créer sera très utile pour suivre l’évolution des régimes de retraite, année après année, en en parlant régulièrement avec les partenaires sociaux. C’est un moyen de faire progresser le consensus sur le sujet.
M. Pascal Terrasse. Je rappelle que, avec la Commission des comptes de la sécurité sociale, nous disposons de l’ensemble des données des trente-huit caisses de retraite, sans parler du rôle d’accompagnement et d’information joué par le GIP-Info retraite.
En ce qui concerne le COR sur la possibilité d’une réforme systémique, dont je suis membre, j’ai été surpris que le Sénat lui ait confié une mission. Le COR a, en effet, légitimité pour s’autosaisir. J’aimerais que l’on précise bien dans la loi qu’il est totalement autonome. Il ne saurait être question de s’en servir à des fins politiciennes. Et puisque vous faites souvent référence à ses travaux, monsieur le ministre, je vous saurais gré de préciser, le cas échéant, que l’un des deux rapports produits en mai dernier n’émanait pas du COR lui-même, mais de son seul secrétaire général.
M. Arnaud Robinet. Ce comité de pilotage aura-t-il pour mission de réfléchir à une réforme systémique, à plus long terme ?
M. le rapporteur. Siégeant moi-même au COR depuis qu’il existe, je tiens à préciser qu’à l’issue de l’examen de la loi de financement pour 2009, à l’occasion de la commission mixte paritaire, le Sénat avait en effet demandé une étude, portant sur la possibilité d’une réforme systémique. Le COR a accepté de la faire : cela ne lui a pas été imposé.
Monsieur Robinet, c’est en fonction de l’évolution de la situation d’ici à 2018 que nous verrons s’il faut rester dans le paramétrique ou prendre des décisions d’ordre systémique. Le comité de pilotage n’aura qu’un rôle de proposition, le Gouvernement et le Parlement conservant tout leur pouvoir de décision.
M. le ministre. L’idée des comptes notionnels peut être approfondie, mais cela ne fait pas partie des objectifs que nous voulons assigner au comité de pilotage.
Quant au COR, qui en effet peut s’autosaisir, rien ne l’empêche, s’il en est d’accord, de répondre aux questions que l’on veut lui poser. Et lorsque je fais référence aux rapports du COR, il s’agit bien de ceux qui sont produits par l’institution, non de ceux qui ont pu être produits par le secrétariat général.
La Commission rejette les trois amendements de suppression AS 36, AS 81 et AS 226.
Puis, elle examine l’amendement AS 82 de M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Nous proposons de substituer au comité de pilotage une « Maison commune des régimes de retraite ». Alors que le comité ne traiterait des retraites que sous un angle comptable et purement technique, cette maison commune permettrait de valoriser l’aspect social et solidaire du système de retraite par répartition. Elle aurait pour mission de proposer un socle commun de garanties et de droits s’appliquant à l’ensemble des régimes : taux de remplacement d’au moins 75 % du revenu d’activité pour une carrière complète, instauration d’un plancher des pensions égal au SMIC, maintien de l’âge d’ouverture des droits à 60 ans, reconnaissance des pénibilités, indexation des salaires portés au compte sur le salaire moyen, indexation de l’ensemble des pensions sur le salaire net moyen. Elle serait également chargée d’arrêter une définition de la notion de carrière complète et de la période de référence adaptée à chaque régime, de définir les règles de la compensation entre les différents régimes, enfin de définir la politique de décaissement du Fonds de réserve pour les retraites. Elle serait gérée par les représentants élus des salariés. Ce serait une institution de sécurité sociale, regroupant l’ensemble des régimes de retraite du public et du privé, mais respectant les prérogatives de chacun. Nous proposons qu’un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’organisation de cette Maison commune, ainsi que le mode d’élection des représentants des assurés.
M. le rapporteur. Cette proposition est intéressante, mais le comité de pilotage me semble une meilleure solution, notamment parce qu’il sera chargé de veiller au retour à l’équilibre des régimes de retraite le plus rapidement possible. Avis défavorable, donc.
M. le ministre. Avis défavorable également.
Mme Martine Billard. Il se trouve que cet amendement est pour nous un élément central de nos propositions. Nous sommes favorables à l’amélioration de la coordination entre les différents régimes de retraite, mais nous divergeons avec l’UMP et le Gouvernement quant à la façon d’y parvenir. On ne peut reprocher à l’opposition de ne rien proposer et, lorsqu’elle fait une proposition constructive, refuser qu’on en débatte !
La Commission rejette l’amendement AS 82.
Elle examine ensuite l’amendement AS 37 de M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Puisque ce nouveau comité Théodule sera appelé à veiller à l’équité des systèmes de retraite, allons jusqu’au bout de la sous-traitance d’une mission que, pour ma part, j’estime revenir aux députés et chargeons-le de s’assurer d’une réelle convergence entre les régimes.
M. le rapporteur. L’ordre de présentation des missions assignées au comité – « pérennité financière des régimes de retraite par répartition », puis « équité du système de retraite » – me semble bien meilleur dans le texte du projet de loi. Avis défavorable.
M. le ministre. Même avis. L’amendement laisse à penser que la convergence serait la seule mission du comité.
M. Alain Vidalies. C’est une préoccupation obsessionnelle pour Dominique Tian.
Cela dit, quelle valeur ajoutée le comité de pilotage apportera-t-il au dispositif existant – travaux du COR, débats au Parlement et discussions menées entre le Gouvernement et les partenaires sociaux ? On peut plutôt craindre un démembrement du processus politique normal. Nous aurions pu comprendre un système paritaire ou un système électif mais, en dessaisissant le Parlement, le Gouvernement prend le risque d’une dérive technocratique : chaque fois qu’un problème se présentera, on le renverra à ce comité aux contours mal définis.
La Commission rejette l’amendement AS 37.
Puis, elle examine l’amendement AS 83 de Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Monsieur le ministre, vous soutenez que le COR est un outil technique, ce qui suggère que le comité de pilotage pourrait être un outil politique. Le texte lui assigne d’ailleurs des missions stratégiques : maintien de la pérennité des régimes par répartition, de l’équité du système et du niveau de vie des retraités. Or, il appartient aux élus du peuple, et non à un comité non élu, de prendre les décisions sur ces sujets !
Comme le montre votre campagne de propagande, vous voulez faire passer des décisions politiques pour des décisions techniques, comme s’il n’y avait aucun autre choix possible. Cette façon de tuer le débat politique est la pire des choses. En empêchant nos concitoyens d’opérer des choix en connaissance de cause sur des enjeux politiques, elle fait le lit de tous les populismes. L’appareil technocratique, que vous voulez mettre en place pour éviter le débat public et politique, est ce qui peut arriver de pire à une démocratie !
M. le rapporteur. Comme l’a justement souligné Alain Vidalies, c’est au pouvoir politique, donc au Parlement, qu’il revient de décider des réformes à mener. Je donne donc un avis défavorable.
M. le ministre. Avis défavorable. Le comité de pilotage est un outil important, qui permettra de réunir régulièrement le Gouvernement et l’ensemble des responsables de régimes très différents, mais ce n’est pas un outil de décision. Il ne se substitue à personne. Le Parlement n’est nullement écarté : à preuve, l’âge de départ à la retraite, qui relevait du domaine réglementaire, est porté au niveau législatif.
La Commission rejette l’amendement AS 83.
M. le président Pierre Méhaignerie. Le Gouvernement m’a assuré que, dans le temps où il installera ce comité de pilotage, il supprimera deux autres structures.
La Commission est saisie de l’amendement AS 84 de M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Je constate que le Rapporteur partage nos inquiétudes !
En rappelant la définition même de la retraite et son sens originel, cet amendement vise à substituer à l’objectif quantitatif du Gouvernement un objectif qualitatif, afin d’éviter l’écueil d’une vision purement comptable et financière.
M. le rapporteur. Le texte prévoit que le comité doit veiller à l’équité du système de retraite. Il ne faut pas remettre en cause cette mission fondamentale. Avis défavorable.
M. le ministre. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement AS 84.
Elle examine ensuite l’amendement AS 85 de Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Aux termes du projet de loi, le comité veille au « maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités ». L’objectif est peu ambitieux. Nous sommes pour notre part favorables à une progression du niveau de vie de l’ensemble de nos concitoyens, y compris les retraités.
Mme Marisol Touraine. Qu’est-ce que le Gouvernement entend par « niveau de vie satisfaisant » ? Je doute que cette rédaction puisse aboutir à une évaluation juridiquement opposable.
M. le rapporteur. Nous employons souvent l’adjectif « décent ». La pension pour laquelle les personnes ont cotisé doit leur être versée. C’est bien pourquoi nous souhaitons conserver un système par répartition. La rédaction du Gouvernement, peu différente de celle que propose l’amendement, me semble meilleure. Avis défavorable.
M. le ministre. La rédaction actuelle est qualitative et non pas normative. Le comité de pilotage a vocation à discuter également du niveau de vie des retraités, donc de l’évolution des pensions.
M. le président Pierre Méhaignerie. Selon l’OCDE, la France est le pays où le niveau de vie des retraités est le plus proche de celui des actifs.
La Commission rejette l’amendement AS 85.
Puis, elle examine les amendements AS 86 et AS 87 de M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Ces amendements de repli visent à inscrire dans la liste des objectifs sur lesquels veille le comité de pilotage, « l’amélioration du niveau de vie » pour l’un, « la garantie d’un niveau de vie décent » – notion qui renvoie au seuil de pauvreté – pour l’autre.
M. le rapporteur. Nous sommes d’accord sur la terminologie : le problème est qualitatif. Mais, par cohérence avec ma position précédente, avis défavorable.
M. Dominique Dord. L’amendement AS 87 n’est pas de repli, il est au contraire très offensif. S’il était adopté, le comité ne devrait plus se contenter de « veiller », il serait chargé de « garantir », ce qui lui donnerait un rôle exécutif.
M. le ministre. Avis défavorable aux deux amendements.
La Commission rejette les amendements AS 86 et AS 87.
Puis, elle examine l’amendement AS 23 de Mme Marie-Jo Zimmermann.
Mme Bérengère Poletti. Par cet amendement, nous proposons que le comité de pilotage veille à la réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes.
M. le rapporteur. L’intention est excellente, mais elle est satisfaite par le 3° du II.
M. le ministre. En effet, l’amendement est satisfait.
Mme Bérengère Poletti. Je le retire.
L’amendement AS 23 est retiré.
La Commission est saisie de l’amendement AS 370 de M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Il convient d’inscrire parmi les missions du comité de pilotage la prise en compte de la pénibilité au travail, qui est une mesure phare de la réforme gouvernementale. En effet, la notion de pénibilité n’est pas figée dans le temps : elle évoluera en fonction de la recherche, de l’amélioration des conditions de travail, des nouveaux produits auxquels les salariés seront exposés.
M. le rapporteur. Si la prise en compte de la pénibilité devient incontestablement, avec ce texte, une dimension de la retraite, elle ne fait pas pour autant partie des axes que l’on peut qualifier « de pilotage » des régimes de retraite. Cet amendement risque de créer la confusion. Il est préférable de confier ces questions à une instance spécialisée. D’autres amendements visent à confier à l’Observatoire de la pénibilité le soin d’envisager la pénibilité dans sa globalité : identification, prévention, compensation, réparation, etc. Avis défavorable.
M. le ministre. Même avis.
La Commission rejette l’amendement AS 370.
La Commission examine l’amendement AS 88 de M. Roland Muzeau.
Mme Jacqueline Fraysse. Nous proposons de garantir à l’ensemble des retraités, quelle que soit leur durée de cotisation, un minimum de revenu « vital » égal à 75 % du SMIC, si tant est qu’il soit possible de vivre avec aussi peu dans notre société.
M. le rapporteur. Le Gouvernement a pris des mesures importantes en faveur de la revalorisation du minimum vieillesse, qui ont déjà permis d’augmenter son montant de 25 % en cinq ans. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement AS 88.
Elle examine ensuite l’amendement AS 368 de M. Jean-Luc Préel.
M. Jean-Luc Préel. Nous souhaitons une réforme complète et une remise à plat du système qui permette d’aller vers plus d’équité et de justice, donc vers un régime universel à points géré par les partenaires sociaux ou vers un régime en comptes notionnels, sans doute préférable, puisqu’il prend en compte l’espérance de vie, et donc indirectement la pénibilité. Un comité de pilotage a été mis en place ; cet amendement propose de lui assigner une mission supplémentaire : mettre en œuvre les conditions d’un régime universel à points ou en comptes notionnels.
M. le rapporteur. Je félicite Jean-Luc Préel pour sa constance… Mais cette réforme n’est pas une réforme systémique – choix que je soutiens – même si elle ne doit pas empêcher de multiplier les mesures de rapprochement entre les différents régimes. Le texte en propose d’ailleurs un certain nombre. 2010 est le rendez-vous de l’équilibre. Un autre rendez-vous est prévu en 2018. Nous pourrons rediscuter de votre proposition à ce moment-là. Avis défavorable, par conséquent.
M. le ministre. Je vous sais très attaché à l’idée d’un régime en comptes notionnels. Celle-ci n’est pas forcément étrangère aux préoccupations du Gouvernement, mais pas dans le cadre de cette réforme. Nous pouvons encore décider, d’ici septembre, d’y réfléchir dans les années qui viennent. Pour l’heure, notre priorité est de préserver l’équilibre financier de nos retraites. Je suis donc également défavorable à cet amendement.
Mme Marisol Touraine. Nous sommes pour notre part résolument opposés à tout ce qui s’apparenterait à un régime par points. Le régime en comptes notionnels, en revanche, a l’intérêt de permettre l’unification des régimes existants, même s’il a aussi une certaine fragilité, comme le montre l’exemple de la Suède, où il a abouti à une baisse du niveau des pensions. Pour le Parti socialiste, il faut s’inspirer de ce qui a été fait dans ce pays pour créer un compte temps qui permette de construire la carrière de chaque salarié tout au long de sa vie et d’avoir une prise en compte de l’ensemble des périodes travaillées – y compris les stages ou les périodes cotisées comme les études. Nous romprions ainsi avec la rigidité d’aujourd’hui au profit d’une allocation du temps plus moderne – on peut en effet fort bien souhaiter prendre du temps entre 30 et 40 ans et travailler au-delà de 60 ou 65 ans. Nous sommes, en revanche, hostiles à tout dispositif qui aboutirait à réguler le système par une baisse du niveau des pensions.
M. le président Pierre Méhaignerie. Très peu d’organisations – hormis la CFDT – ont défendu le système à points ou en comptes notionnels lors des auditions.
La Commission rejette l’amendement AS 368.
Elle examine ensuite l’amendement AS 416 du rapporteur.
M. Le rapporteur. Compte tenu de l’extrême fragmentation de notre système de retraite, il est indispensable que le comité de pilotage ait pour mission de veiller au rapprochement des règles et des paramètres dans les différents régimes.
M. le ministre. Favorable.
La Commission adopte l’amendement AS 416.
Puis, elle est saisie de l’amendement AS 366 de M. Jean-Luc Préel.
M. Jean-Luc Préel. Puisque M. le ministre est favorable à une réflexion sur le sujet, cet amendement devrait connaître un sort meilleur que le précédent. Il s’agit de prévoir un rapport du Gouvernement au Parlement, avant le 31 décembre 2010, sur la possibilité d’une réforme systémique, pour faire évoluer le système de retraite par annuité vers un régime par points ou en comptes notionnels. Précisons que cette transformation demande du temps : la Suède a mis douze ou quinze ans à y parvenir. Il est donc urgent de commencer à réfléchir.
M. le rapporteur. Le COR a rendu il y a peu un excellent rapport sur ce thème. Avis défavorable.
M. Pascal Terrasse. Il est surprenant qu’un membre de la majorité laisse ainsi entendre que la présente réforme ne serait qu’une réforme paramétrique… Le projet socialiste comporte une partie paramétrique, dont nous avons longuement parlé hier, mais il pose aussi la question d’une réforme d’ensemble. La CFDT elle-même nous a rappelé qu’elle était très attachée à ce que l’on arrive à terme à un système unique – ce que le Parti communiste a appelé « la maison commune des retraites » – que l’on pourrait éventuellement faire évoluer par la suite.
S’agissant du système à points, il me semble intéressant de rappeler que les deux tiers des ressources des cadres retraités proviennent de régimes complémentaires à points. Personnellement, je tire d’une année de travaux dans le cadre du COR la conclusion que le régime en comptes notionnels n’a pas que des inconvénients – même si le système suédois est aujourd’hui déficitaire - et doit être regardé de près.
M. le ministre. Cette réforme est une réforme de structure. Je ne la qualifierais pas de réforme systémique, mais elle n’est pas uniquement paramétrique : il y a bien une prise en compte globale d’un certain nombre de situations avec, par exemple, l’intégration de la pénibilité.
Nous ne fermons pas la porte à une réflexion plus large, mais je ne pense pas qu’elle doive être conduite dans le cadre d’un rapport. Je suis donc défavorable à cet amendement.
La Commission rejette l’amendement AS 366.
Elle examine ensuite l’amendement AS 367 de M. Jean-Luc Préel.
M. Jean-Luc Préel. Parce que nous sommes particulièrement attachés à l’évolution vers un régime unique géré par les partenaires sociaux, nous sommes favorables à la mise en extinction des régimes spéciaux. Cette extinction serait progressive : ceux qui bénéficient du système actuel conserveraient leurs droits et seuls les nouveaux entrants relèveraient du régime unique universel.
M. le rapporteur. Une réforme des régimes spéciaux a été engagée en 2008, et la présente réforme leur sera appliquée à compter de 2017. Avis défavorable.
M. le ministre. Même avis : les régimes spéciaux ont déjà été réformés.
La Commission rejette l’amendement AS 367.
Puis, elle adopte l’amendement rédactionnel AS 429 du rapporteur.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 89 de M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Nous avons contesté hier que confier autant de missions au comité de pilotage revenait à dessaisir le Parlement. C’est bien au législateur, non au comité, de décider des modifications à venir.
M. le rapporteur. Je me suis exprimé à ce propos hier, avis défavorable.
M. le ministre. Même avis.
La Commission rejette l’amendement AS 89.
Elle examine ensuite l’amendement AS 417 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de faire en sorte que le comité de pilotage se réunisse au moins une fois par an.
La Commission adopte l’amendement AS 417, de même que l’amendement rédactionnel AS 430 du rapporteur.
Puis, elle est saisie de l’amendement AS 227 de Mme Marisol Touraine.
M. Christophe Sirugue. Alors que l’enjeu est d’assurer la pérennité de la réforme, vous ne proposez rien de concret au-delà de l’échéance de 2018. Il faut donc se fixer un horizon plus conforme aux perspectives financières et démographiques. Nous avons besoin de mesures financières à court terme, mais aussi de mesures systémiques à long terme. C’est pourquoi le groupe socialiste propose de remplacer l’échéance de 2018 par celle de 2025.
M. le rapporteur. Je suis bien d’accord : il faut des mesures financières à court terme. Il n’est donc ni raisonnable ni responsable de repousser le retour à l’équilibre des régimes de retraite à 2025. Avis défavorable.
M. le ministre. L’objectif du Gouvernement est d’arriver à l’équilibre le plus rapidement possible. Pourquoi donc retarder l’échéance ?
M. Michel Liebgott. Vous nous présentez cette réforme comme fondamentale pour assurer l’équilibre financier de nos régimes de retraite sur le long terme, mais c’était déjà le cas en 2003 ! Il s’agit donc simplement d’une réforme comptable – et faussement comptable comme l’a dit hier notre collègue Alain Vidalies. Or, il est très important de s’inscrire dans le temps. J’ai dénoncé pour ma part l’utilisation qui a été faite du Fonds de réserve pour les retraites. Tout cela ne règle en rien la situation à long terme. Les jeunes ont de vraies raisons de s’inquiéter, car la réforme n’assure qu’un financement à très court terme, alors même qu’ils vont avoir des carrières discontinues. Il faut donc au moins aller jusqu’en 2025. Dois-je rappeler que les études du COR parlaient de 2050 ? Fixer le retour à l’équilibre à 2018 ne permet pas d’assurer une réforme de fond.
Mme Valérie Rosso-Debord. Il est étonnant de vouloir différer de sept ans le retour à l’équilibre. Les jeunes ont besoin d’un espoir, et en repoussant l’échéance, vous ne leur donnez que de la désespérance.
M. le rapporteur. Monsieur Liebgott, il y a une différence entre prévisions et projections : lorsque le COR parle de 2050, il s’agit de projections. Ce qui importe, c’est de parvenir à l’équilibre le plus rapidement possible. Je vous rappelle que nous avons atteint en 2010 les chiffres que nous attendions en 2030 ! Je maintiens donc mon avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement AS 227.
La Commission examine ensuite l’amendement AS 90 de M. Roland Muzeau.
Mme Jacqueline Fraysse. De façon à exclure du suivi de la progression du taux d’emploi des seniors les emplois précaires, en intérim ou en temps partiel, nous proposons de substituer l’indicateur de « taux d’emploi en CDI » à celui de simple « taux d’emploi ».
Remplacer les mots « l’horizon 2030 » par « 2020 », permettrait, en outre, de tenir compte de l’urgence de la situation, du caractère modeste de l’objectif fixé, et du fait que le relèvement de l’âge du droit à la retraite va conduire mécaniquement à l’abaissement du montant des pensions.
M. le rapporteur. La rédaction actuelle de l’alinéa 10 est tout à fait satisfaisante. Avis défavorable.
M. le ministre. Même avis. Nous avons inscrit un objectif en matière d’emploi des seniors, ce qui constitue une belle avancée. La nature de l’emploi est une autre question.
M. Roland Muzeau. Notre rapporteur doit faire l’effort de répondre aux questions posées !
Il a, comme le Gouvernement, le tort de minimiser l’importance de cet amendement, qui aborde la question essentielle du montant des cotisations. Alors que le Gouvernement retient la démographie pour seul critère, nous estimons nécessaire de prendre en compte le rapport entre le nombre de salariés et le montant des cotisations perçues. En effet, ces dernières sont affectées par le sous-emploi et la précarité, ce qui entraîne une réduction considérable des recettes attendues par les régimes de retraite.
La question de l’emploi est donc déterminante pour la préservation de notre système de retraite.
M. le rapporteur. Nous ne minimisons rien ! Mais à l’occasion de la discussion d’une précédente loi de financement de la sécurité sociale, ainsi que lors de nombreuses réunions de notre commission, nous avons longuement évoqué le problème de l’emploi des seniors. La France s’est dotée d’un programme destiné à lui faire suivre l’exemple de la Finlande : ce pays qui, il y a vingt ans, connaissait les mêmes chiffres que nous en matière d’emploi des plus de 60 ans, a obtenu depuis d’excellents résultats.
La Commission rejette l’amendement AS 90.
Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS 431 du rapporteur.
Puis, elle est saisie de l’amendement AS 228 de Mme Marisol Touraine.
M. Michel Issindou. En matière d’emploi des seniors, nous sommes beaucoup plus ambitieux que vous : nous souhaitons atteindre la moyenne des pays européens dès 2020, et non en 2030. Pour ce faire, le programme du Parti socialiste – que vous ne pouvez avoir lu, puisque vous niez son existence –, propose quatre mesures : accompagner les salariés en leur donnant rendez-vous tous les deux ou trois ans à partir de 45 ans ; rendre obligatoire la négociation triennale de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les entreprises de plus de 300 salariés ; généraliser le tutorat ou les binômes en entreprises et améliorer les conditions de travail des plus de 55 ans – par exemple en limitant, voire en supprimant le travail de nuit et les tâches physiques. Ces changements impliquent que des mesures draconiennes soient prises, sous la forme d’un mécanisme de bonus-malus. Un tel programme permettrait d’amener le taux d’emploi des seniors bien au-delà de 38 %.
M. le rapporteur. Le Gouvernement a déjà pris de nombreuses mesures en faveur de l’emploi des seniors : suppression des dispenses de recherche d’emploi et des préretraites, dispositions sur le cumul entre emploi et retraite, etc. Vous faites des propositions à ce sujet, mais celles du projet de loi me paraissent meilleures : avis défavorable.
M. le ministre. Tout le monde est d’accord pour augmenter le taux d’emploi des seniors. Nous avons déjà pris des mesures en ce sens et le projet de loi en contient de nouvelles. Je ne vois pas l’intérêt de changer la date de 2030.
M. Dominique Dord. Les auditions auxquelles nous avons procédé ont montré que le taux d’emploi des seniors était corrélé au niveau de l’âge légal de départ à la retraite. On peut se donner pour objectif d’atteindre la moyenne européenne en 2020 ou en 2030, mais cela sera difficile si les autres pays européens modifient l’âge légal. C’est pourquoi les deux rédactions me paraissent hasardeuses.
Mme Marisol Touraine. Le Rapporteur a indiqué que notre pays se donnait pour objectif le taux d’emploi des seniors observé en Finlande, mais à lire le texte, ce n’est pas le cas. Vous préconisez le relèvement de ce taux de seulement 10 points en vingt ans, quand la Suède l’a augmenté de 20 points en seulement dix ans ! Or, il est inimaginable que l’on parvienne à régler le problème des retraites sans apporter une réponse forte à la question de l’emploi des seniors. Si nous voulons mobiliser tous les acteurs concernés, nous devons fixer une échéance plus rapprochée, soit 2020. Sans chercher à faire aussi bien que la Finlande – où les habitudes culturelles sont différentes –, il me paraîtrait nécessaire de parvenir à relever le taux d’emploi des seniors de 10 points en dix ans.
M. Arnaud Robinet. Lorsque l’on compare le taux d’emploi des seniors en France et dans les autres pays européens, il n’est pas justifié de prendre pour référence le taux de 38 %, qui est calculé sur la tranche d’âge allant de 55 à 65 ans. En effet, si nous prenons en compte la tranche de 55 à 59 ans, nous nous situons dans la moyenne européenne – un résultat certes perfectible, mais dont nous n’avons pas à rougir. Le mauvais chiffre dans la tranche d’âge 55-65 ans s’explique par le fait qu’en France, l’âge légal de départ à la retraite est le plus bas d’Europe. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il tombe à 18 % dans la tranche 60-65 ans. Ainsi, l’élévation de l’âge légal, mesure phare du projet de loi, est le meilleur moyen d’augmenter le taux d’emploi des seniors.
La Commission rejette l’amendement AS 228.
Elle examine ensuite l’amendement AS 232 de Mme Marisol Touraine.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Nous proposons de rédiger ainsi le 3° du II de l’article 1er : « La réduction des écarts de pensions, d’âge moyen de fin d’activité et d’âge moyen de départ à la retraite entre les hommes et les femmes ; ». En effet, s’il est légitime que le comité de pilotage s’attache à réduire les écarts de pensions entre les hommes et les femmes, ce seul critère ne saurait suffire. Alors que plus d’une salariée sur trois est aujourd’hui amenée à attendre l’âge de départ à taux plein, afin de ne pas subir les effets de la décote liés à une carrière incomplète, il semble important de s’assurer que le report à 67 ans de l’âge du taux plein ne conduise pas à accroître l’écart entre les âges de départ en retraite des hommes et des femmes.
De même, il convient de ne pas ignorer la dimension du genre dans l’objectif de progression du taux d’emploi des seniors, donc de recul de l’âge moyen de fin d’activité, afin de rapprocher les périodes pendant lesquelles ces derniers sont pris en charge par l’assurance chômage.
M. le rapporteur. La rédaction actuelle de l’alinéa 11 me semble suffisante. L’objectif de réduction de l’écart des pensions est prioritaire. Avis défavorable.
Mme Catherine Génisson. C’est l’inégalité de traitement entre hommes et femmes, tant dans l’activité professionnelle qu’en matière de retraite, qui est le sujet primordial. N’oublions pas qu’il y a environ 40 % de différence entre les niveaux de pension des hommes et des femmes, ni que le recul de l’âge légal de la retraite sera extrêmement pénalisant pour ces dernières. Aujourd’hui, déjà, pour bénéficier du taux plein, les femmes prennent leur retraite à 65 ans ; elles devront donc la prendre à 67 ans si le projet de loi est adopté.
J’ajoute qu’un membre de la majorité propose de maintenir à 60 ans l’âge légal pour les femmes.
M. le rapporteur. Le sujet est, en effet, primordial. Nous en reparlerons au moment de l’examen de l’article 31, qui fait l’objet d’un amendement que vous devriez pouvoir adopter.
M. le ministre. La rédaction du projet est très claire. La vraie question est celle de l’écart entre les pensions.
La Commission rejette l’amendement AS 232.
Puis, elle est saisie de l’amendement AS 91 de Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Le projet fixe comme objectif « la réduction des écarts de pensions entre hommes et femmes ». Nous demandons pour notre part leur annulation, ce qui semble la moindre des ambitions. Notre législation ne vise-t-elle pas à l’égalité entre femmes et hommes ? Il convient de se donner un objectif clair, or se contenter de réduire les écarts revient à vouloir les maintenir.
M. le rapporteur. L’exposé des motifs de l’amendement qualifie de « préoccupation secondaire du Gouvernement » l’exigence d’égalité des pensions entre hommes et femmes, ce qui est tout à fait faux et excessif. Cela étant, je suis favorable à l’amendement.
M. le ministre. Il est vrai que parler d’une réduction des écarts peut laisser croire que l’on accepterait de les voir subsister. Avis favorable.
M. Pascal Terrasse. Une étude de l’Institut national des études démographiques montre que la loi de 2003 a eu un impact très négatif sur les pensions perçues par les femmes. Même si l’évolution de la sphère familiale, notamment du taux de divorce, a joué un rôle dans le phénomène, le système de décote a fortement contribué à la dégradation de leur montant. Mais, il ne faudrait pas que la question de l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de retraite ne conduise à mettre au second plan le problème de l’égalité des salaires et des carrières professionnelles.
Quant à l’amendement, je me réjouis qu’il reçoive un avis favorable. Nous verrons dans la suite du débat quelle est la volonté du Gouvernement d’atteindre l’objectif fixé.
La Commission adopte l’amendement AS 91.
Elle examine ensuite l’amendement AS 92 de M. Roland Muzeau.
Mme Jacqueline Fraysse. Selon l’alinéa 12, le comité de pilotage « propose » l’ensemble des mesures correctrices justifiées par la situation des régimes de retraite. Le comité se voit ainsi confier des missions et des responsabilités qui sont en réalité celles du législateur.
Je rappelle, en outre, qu’il existe déjà une commission de garantie des retraites, créée par la loi de 2003 et chargée de rendre des avis sur les évolutions nécessaires en matière de retraite. De son côté, le COR dispose d’attributions du même ordre.
Enfin, dans la mesure où le comité de pilotage comprend parmi ses membres les ministres de la sécurité sociale, du budget et de la fonction publique, on peut juger qu’avec une telle structure le Gouvernement se donnera des conseils à lui-même.
Pour toutes ces raisons, cette disposition nous apparaît non seulement inutile, mais même dangereuse.
M. le rapporteur. Afin de garantir le retour à l’équilibre en 2018, il est essentiel que, chaque année, le comité de pilotage puisse proposer – j’insiste sur le mot – les mesures correctrices nécessaires en cas de dérapage financier. Avis défavorable.
M. le ministre. Même avis.
M. Dominique Dord. Les mêmes collègues nous ont proposé hier d’élargir les compétences du comité de pilotage en lui confiant le soin de faire des propositions au Parlement, je ne comprends pas bien.
Mme Catherine Génisson. Cet amendement illustre une fois de plus à quel point la mise en place de ce comité de pilotage serait dangereuse, parce qu’elle constituerait un déni de l’action politique et une méconnaissance des pouvoirs exécutif et législatif.
Mme Martine Billard. L’amendement auquel notre collègue a fait allusion correspondait à notre véritable souhait, mais il n’a pas été adopté. L’amendement AS 92 est donc de repli. Ce que nous refusons, c’est que le comité de pilotage ait un pouvoir de décision et cela vaut aussi pour le comité destiné à surveiller l’ONDAM : nous sommes opposés à ce type de structures. Il est d’ailleurs surprenant, à l’heure où la révision générale des politiques publiques conduit à la suppression de nombreuses instances, d’en créer une nouvelle. Mais, à défaut d’obtenir la suppression du comité, nous voulons que le Parlement ait toujours le dernier mot. C’est le sens de nos amendements de repli.
M. le ministre. Même s’il me paraît important de continuer à travailler sur les retraites avec les partenaires sociaux qui siégeront au sein du comité, il ne faut pas donner à ce dernier plus d’importance qu’il n’en a : il est destiné à coordonner les politiques et à faire des propositions à destination de l’exécutif comme du Parlement. Chacun est dans son rôle, et il ne s’agit pas d’ôter à quiconque une partie de ses prérogatives. En outre, il n’existe pas aujourd’hui d’instance de coordination des régimes de retraite.
La Commission rejette l’amendement AS 92.
Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS 432 du rapporteur.
Puis, elle est saisie de l’amendement AS 93 de Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. J’observe, monsieur le ministre, que le comité de pilotage pourra proposer des mesures de nature réglementaire, ce qui reviendrait à court-circuiter le Parlement.
Nouvel amendement de repli, l’amendement AS 93 porte sur la composition du comité de pilotage, car la seule présence des représentants des régimes de retraite ne nous satisfait pas. Nous proposons donc une composition proche de celle du COR, à la différence que les personnalités qualifiées seraient remplacées par des représentants des centrales syndicales non représentées aujourd’hui au COR, afin de donner une voix à des syndicats écartés par les nouvelles règles de représentativité.
Nous nous inquiétons de savoir si l’ensemble des syndicats de salariés ou d’employeurs seront représentés au sein du comité de pilotage, dont nous ignorons pour le moment le nombre de membres. Dans son état actuel, le texte du projet de loi donne au Gouvernement un blanc-seing pour déterminer la composition du comité. Au moins le ministre pourrait-il nous apporter plus de précisions.
M. le rapporteur. La définition détaillée de la composition du comité de pilotage est de nature réglementaire. Avis défavorable.
M. le ministre. Le comité sera composé, de façon classique, de représentants du Gouvernement, de représentants des régimes de retraite obligatoires et de personnalités qualifiées.
M. Roland Muzeau. Une fois de plus, le Rapporteur ne veut pas répondre. Quant au ministre, il vient de nous donner des indications sur la composition du comité, mais peut-il, a contrario, nous préciser quelles organisations ou institutions citées par notre amendement ne sauraient à ses yeux y être représentées ?
M. le ministre. Les syndicats qui siégeront au comité sont ceux représentés au niveau interprofessionnel, notamment ceux qui participent à la gestion des caisses de retraite. Mais, je ne suis pas hostile à ce que des parlementaires puissent par ailleurs y siéger.
La Commission rejette l’amendement AS 93.
Elle examine ensuite les amendements AS 229 et AS 230 de Mme Marisol Touraine.
M. Alain Vidalies. La question posée par cet amendement et par l’amendement AS 230 est celle de l’horizon de la réforme. Sur ce point, le débat politique et médiatique n’a pas eu lieu de façon acceptable : on se souvient des gros titres sur les perspectives en 2050, sur les milliards d’euros de déficit et sur la faillite généralisée du système. Pourtant, monsieur le ministre, lors de votre rencontre avec les responsables du Parti socialiste, vous n’étiez pas en mesure de préciser l’horizon de la réforme, tout en admettant que son contenu ne pourrait être le même selon que l’échéance serait 2050, 2030 ou un terme plus court. Nous avons donc été surpris qu’un projet de loi, comprenant des mesures systémiques comme l’allongement de la durée de cotisation, limite son horizon à l’année 2018.
Comparons avec ce que disait, en 2003, M. Fillon à la tribune de l’Assemblée : « Nous proposons d’assurer l’équilibre du régime général par une augmentation des cotisations à partir de 2008 et jusqu’en 2020. » Il ajoutait que les recettes disponibles étaient largement supérieures aux milliards nécessaires, avant de conclure que la réforme permettrait de couvrir l’intégralité des déficits de nos régimes tels qu’ils étaient alors prévus, et ce jusqu’en 2020. Quelques années plus tard, on comprend que, loin de proposer une réforme sur les retraites, on nous fait payer le prix de la crise.
Il y a deux sortes de Français : ceux qui se sentent concernés par la réforme en cours, et les plus jeunes, ceux de 20 ou 30 ans, pour qui la retraite n’est pas une préoccupation immédiate. Or on peut craindre une crise de confiance dans cette dernière catégorie si le système de retraite est de nature à subir, dans une période aussi courte – six ans –, des changements aussi importants que l’allongement de la durée de cotisation. Il en résulte une incertitude, non seulement sur la sincérité du discours politique, mais aussi sur la viabilité du système, de nature à perturber les jeunes générations.
À lire certaines propositions, nous en venons à douter que tous les membres de la majorité soient aussi attachés qu’ils le prétendent au système par répartition. Or, le fait d’annoncer en permanence des réformes portant sur des paramètres fondamentaux est justement une façon de le fragiliser – avant de prendre prétexte de cette fragilité pour préconiser la capitalisation.
M. le rapporteur. Avis défavorable aux deux amendements. Dans notre dispositif, le rendez-vous de 2018 est essentiel. Une fois que l’équilibre financier sera établi, il reviendra au pouvoir politique, c’est-à-dire au Gouvernement et au Parlement, éclairés par le COR et le comité de pilotage, de prendre les décisions nécessaires pour assurer la pérennité du système par répartition.
M. le ministre. Monsieur Vidalies, nous ne définissons pas de la même manière l’horizon de la réforme. Le Gouvernement aurait pu fixer un rendez-vous en 2030, mais cette date paraît trop éloignée pour permettre de tester l’équilibre financier du système, qui est au cœur de notre projet. On pouvait aussi fixer un terme plus proche et prévoir ensuite la manière de maintenir l’équilibre pendant les vingt années suivantes. Mais, là encore, la prévision restait fragile.
Notre objectif est plus pragmatique : nous prévoyons un équilibre pendant huit à dix ans, pendant lesquels la réforme monte progressivement en puissance. Et nous prenons rendez-vous pour 2018, date à laquelle elle s’appliquera. Il faudra faire le point à ce moment-là, car nul ne peut savoir aujourd’hui ce que sera l’économie à cette date. Ce rendez-vous dans dix ans – que les Allemands, les Anglais et les Espagnols ont pris, eux aussi – sera préparé par des rendez-vous annuels. Vous n’êtes pas obligés d’approuver la réforme, mais contester cet horizon ne me semble pas pertinent.
M. Arnaud Robinet. Proposer un rendez-vous plus éloigné ne pourrait qu’inquiéter davantage les jeunes générations. La réforme proposée va dans le bon sens, puisqu’elle vise à sauver le système par répartition auquel nous sommes tous attachés. Il y a un an et demi, comme beaucoup de jeunes actifs, je pensais moi-même que je risquais de ne jamais percevoir de retraite, alors même que je cotisais… La date de 2018 rassurera pleinement la jeune génération, puisqu’elle lui permettra de croire en l’avenir du système par répartition.
Mme Marisol Touraine. Nous sommes évidemment convaincus de la nécessité de prévoir des rendez-vous réguliers, afin de faire le point de l’évolution du financement des régimes de retraite ou de l’assurance maladie. Les travaux du COR visent à préparer ces rendez-vous, de même que les projets de loi de financement de la sécurité sociale permettent aux parlementaires de reconsidérer régulièrement la situation.
Reste à savoir quelle place vous assignez à ce rendez-vous dans votre projet. Si, pour atteindre l’équilibre en 2018, vous ponctionnez le Fonds de réserve pour les retraites, vous ne disposerez plus d’aucune ressource après cette date. Dès lors, comment financerez-vous les régimes de retraite ? Cette inconnue peut créer une inquiétude dans les jeunes générations. La seule perspective dont vous disposerez sera de relever encore l’âge légal de départ en retraite.
D’autre part, quoi que laisse entendre l’exposé sommaire de l’amendement AS 230, nous nous fixons la date de 2025 non pour assurer le financement des régimes, mais pour vérifier si, étant parvenus à l’assurer, nous pouvons poursuivre dans la même voie. Le projet socialiste prévoit un financement à beaucoup plus court terme en faisant appel à des ressources nouvelles. Il prévoit aussi des mesures démographiques structurelles, sur lesquelles nous reviendrons. Pour nous, 2025 sera un point d’étape à mi-parcours par rapport à l’échéance de 2050. Mais, nous serons parvenus à l’équilibre beaucoup plus tôt.
J’insiste pour savoir comment vous considérez la date de 2018 : prévoyez-vous d’aller plus loin à cette occasion, par exemple en retardant l’âge légal de départ en retraite de 62 à 65 ans ?
M. le ministre. Nous n’avons pas dit cela. Pour nous, 2018 sera l’occasion de faire le point au moment où le régime s’autofinancera. L’utilisation du fonds de réserve, que vous contestez, permettra de ne pas aggraver l’endettement avant cette date. En 2018, lorsque le dispositif sera peu à peu monté en puissance, l’enjeu sera de maintenir l’équilibre pour les années suivantes. Puisque l’univers dans lequel nous vivons n’est pas stable, et que la situation économique peut changer, nous regarderons comment prolonger l’équilibre des régimes de retraite, compte tenu des circonstances. Tous les gouvernements agissent ainsi. La date de 2018 n’a pas été choisie en fonction de l’épuisement du fonds de réserve.
La Commission rejette successivement les amendements AS 229 et AS 230.
Puis, elle examine l’amendement AS 415 du rapporteur
M. le rapporteur. Il s’agit de préciser le champ du rapport du COR prévu à l’alinéa 13.
La Commission adopte l’amendement AS 415.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 94 de M. Roland Muzeau.
Mme Jacqueline Fraysse. L’amendement propose de supprimer l’alinéa 14, qui, de manière scandaleuse, assigne au comité de pilotage un rôle qui incombe au législateur. En outre, ce rôle est déjà assumé par le COR, plus représentatif et pluraliste que ne l’est le comité, dont nous ignorons toujours la composition. Nous savons seulement que le Gouvernement aura tout loisir d’y nommer qui il veut !
M. le rapporteur. Ce sera de toute façon au Parlement de prendre les décisions nécessaires.
M. le ministre. Même avis que le Rapporteur.
La Commission rejette l’amendement AS 94.
Puis, elle adopte l’amendement rédactionnel AS 433 du rapporteur.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 231 de Mme Marisol Touraine.
Mme Marisol Touraine. En 2003, M François Fillon annonçait déjà un financement à 100 % à l’horizon de 2020, objectif qu’il n’a pas tenu. Comment ceux qui ont entre 30 et 45 ans auraient-ils confiance dans le système, quand ils ont le sentiment que l’on change constamment les règles du jeu et ignorent quelles mesures le Gouvernement envisage encore de prendre. Au cas où il faudrait reconsidérer la situation en 2018, quels paramètres modifierez-vous ? Pour notre part, si la situation l’exige en 2025, nous n’excluons pas d’allonger encore la durée de cotisation. Il faut répondre honnêtement à cette question, si l’on veut gagner la confiance des jeunes générations.
M. le rapporteur. Avis défavorable. J’ai déjà répondu sur ce point.
M. le ministre. Avis défavorable. Pour 2018, nous n’écartons, par définition, aucun paramètre. Pourquoi ne pas envisager des recettes nouvelles ? Il faut laisser la porte ouverte. Au reste, s’il est toujours angoissant de prévoir le financement des retraites avec dix ans d’avance, on peut aussi avoir de bonnes nouvelles : reprise de la croissance, augmentation de la masse salariale, meilleures rentrées de cotisations…
M. Alain Vidalies. Le 10 juin 2003, M. Fillon déclarait que son objectif était de consolider la répartition pour les deux décennies suivantes. C’est dire que sa conviction n’était pas moins forte que la vôtre. Voyez pourtant où l’on en est. Je n’ignore rien des modifications induites par la crise, mais nous sommes face à un problème de fond. Une situation conjoncturelle peut créer un problème de financement, mais à crise conjoncturelle, solutions conjoncturelles. Vous auriez pu prévoir des mesures transitoires, sans remettre en cause l’évolution globale ni les objectifs du système. Ce que vous faites est d’une autre nature, puisque vous tirez des conséquences structurelles d’une crise conjoncturelle. C’est ce qui explique notre inquiétude pour les rendez-vous à venir. À chaque nouvelle échéance, vous réglez la facture par des mesures structurelles : en 2003, vous avez allongé la durée de cotisation ; aujourd’hui, vous retardez la date légale de départ et celle de l’accession à la retraite à taux plein.
M. le président Pierre Méhaignerie. En novembre 2007, quand nous avons examiné le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le débat sur la branche vieillesse n’était pas à l’ordre du jour, puisque nous pensions transférer vers elle un point et demi de cotisation UNEDIC. Quant à la branche maladie, je rappelle que l’ONDAM avait augmenté moins vite que la richesse nationale. Il est nécessaire d’adapter de manière permanente le financement à la conjoncture.
M. Alain Vidalies. Je ne dis rien d’autre !
M. le ministre. Dans le domaine social – à la différence du domaine économique –, le conjoncturel est durable. Quand on perd de la masse salariale, parce que le chômage augmente, on met du temps, sept ou huit ans parfois, à remonter la pente. En outre, les dépenses sont très importantes, alors qu’elles sont plus faciles à maîtriser ou à piloter dans le domaine budgétaire. Sur une période de dix ans, le conjoncturel s’associe donc nécessairement au structurel.
La Commission rejette l’amendement AS 231.
Elle examine ensuite l’amendement AS 67 de M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Il me paraît indispensable que les partenaires sociaux fassent partie du comité de pilotage, surtout s’il est créé pour leur faire plaisir…
M. le rapporteur. Avis favorable. Il sera très utile que les organisations représentatives des employeurs et des salariés participent au comité de pilotage. La précision étant générale, elle a sa place dans le texte.
M. le ministre. Avis favorable à ce très bon amendement.
M. Roland Muzeau. J’appelle votre attention sur le fait que l’adoption de l’amendement ferait tomber nos amendements AS 95 et AS 96 qui prévoient la présence au sein du comité de pilotage de représentants de chacun des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat.
M. le rapporteur. En effet.
M. le président Pierre Méhaignerie. Je vous propose donc de modifier la rédaction de l’amendement AS 67 afin d’y faire figurer les mots : « des parlementaires ».
M. Jean-Luc Préel. En tant que membre d’un groupe minoritaire, je préférerais que l’on fasse référence à la présence « de parlementaires représentant chacun des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat ». Je crains, par ailleurs, que le comité de pilotage et le COR ne deviennent très proches, puisqu’ils auront les mêmes représentants et quasiment les mêmes missions.
M. le rapporteur. Nous avons rappelé hier que les missions de ces organismes seront très différentes. Par ailleurs, je suis très favorable à ce que des représentants de tous les groupes parlementaires siègent au comité.
M. le président Pierre Méhaignerie. Faut-il retenir cette rédaction ou le Gouvernement est-il disposé à prendre un engagement qui nous permettrait d’alléger le texte, ce qui, à mon sens, serait préférable ?
M. le ministre. Je m’engage à ce que des membres de tous les groupes parlementaires siègent dans le comité de pilotage. J’ajoute, pour répondre à M. Préel, que le Gouvernement y sera représenté, alors qu’il ne l’est pas dans le COR. Par ailleurs, les missions des deux organismes sont différentes.
M. Roland Muzeau. Nous aimerions disposer des projets de décrets lorsque l’examen du texte commencera en séance publique. Faute de quoi, nous risquons de parler dans le vide. En outre, nous pourrons ainsi vérifier que le ministre a tenu ses engagements.
M. Jean-Luc Préel. J’ai toute confiance dans la parole du ministre, mais son engagement devant la commission n’a pas valeur législative. Pourquoi ne pas reprendre dans l’amendement AS 67 la formule de l’amendement AS 95 ?
M. le président Pierre Méhaignerie. Compte tenu de cette intervention et de l’avis favorable du Rapporteur, je vous propose de rédiger ainsi le quinzième alinéa de l’article : « Le comité de pilotage de régimes de retraite est composé de représentants de l’État, de représentants de chacun des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat, de représentants des régimes de retraite légalement obligatoires, etc. »
La Commission adopte l’amendement AS 67 ainsi rectifié.
Les amendements AS 95 de Mme Martine Billard et AS 96 de M. Roland Muzeau deviennent ainsi sans objet.
La Commission examine l’amendement AS 97 de Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Nous souhaitons que la composition du comité figure dans le texte, même si l’amendement AS 67 rectifié l’a un peu précisée. Toutes les confédérations syndicales ne siègent pas au COR. En outre, puisque les critères de représentativité ont été modifiés, le texte doit en tenir compte. À quoi bon avoir prévu une nouvelle forme de représentativité syndicale au niveau des branches et de l’interprofessionnel si nous n’en tirons pas les conséquences dans les nouveaux textes de loi ?
M. le rapporteur. Avis défavorable. La mesure relève du domaine réglementaire.
M. le ministre. Même avis.
La Commission rejette l’amendement AS 97.
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 434 et AS 435 du rapporteur.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 371 de M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Je propose que le comité de pilotage s’appuie non seulement sur les travaux du COR mais aussi sur ceux de l’observatoire de la pénibilité du Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT), créé par décret dans le cadre du plan santé au travail 2005-2009. Le problème de la pénibilité concerne certes les retraites mais surtout les conditions de travail, le Gouvernement en a convenu.
Je suppose que cette proposition recevra un avis favorable du Rapporteur, car le dernier amendement examiné hier par notre commission a été rejeté au motif qu’une référence à l’observatoire de la pénibilité serait ajoutée au projet de loi.
Enfin, le Conseil d’orientation sur les conditions de travail étant présidé par le ministre, il n’y a pas lieu de craindre de dérive de ce côté.
M. le rapporteur. Je confirme les propos de notre collègue Francis Vercamer et je suis extrêmement favorable à son amendement.
M. le ministre. Le Gouvernement y est également favorable. Il conviendra cependant que l’observatoire de la pénibilité soit reconnu au niveau législatif ; jusqu’à présent, il ne l’était qu’au niveau réglementaire.
La Commission adopte l’amendement AS 379.
Puis, elle examine l’amendement AS 372 de M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Dans la même logique, il importe de préciser par décret les missions de l’observatoire de la pénibilité.
M. le rapporteur. Avis favorable, en dépit d’un petit problème rédactionnel.
M. le ministre. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement AS 372.
Elle adopte ensuite l’article 1er modifié.
La Commission est saisie de l’amendement AS 369 de M. Jean-Luc Préel.
M. Jean-Luc Préel. Même si j’ai cru comprendre que le ministre serait favorable à une avancée concernant le régime unique universel, je crains que cet amendement, qui prévoit qu’un rapport parlementaire prévoyant un système unique de retraite par points ou en comptes notionnels soit déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale avant le 30 septembre 2011, n’emporte pas le même succès que les deux précédents.
Marisol Touraine, notamment, s’est dite défavorable à tel système. Les régimes complémentaires fonctionnent pourtant déjà par points et les partenaires sociaux, copilotes de ces régimes, savent définir chaque année la valeur d’achat et de liquidation du point, ce qui permet d’atteindre l’équilibre financier. La retraite étant liée au travail, il conviendrait que la gestion de ce régime unique incombe aux partenaires sociaux.
M. le rapporteur. Le diagnostic du docteur Préel est excellent : le sujet a déjà été abordé et j’avais donné un avis défavorable.
M. le ministre. Même avis.
Mme Martine Billard. Je tiens à réaffirmer l’opposition du Parti communiste français et du Parti de gauche à cette tentative de modification du régime de retraite. C’est un vieux débat, qui, je l’imagine, va se poursuivre.
D’abord, le COR a rendu un rapport relatif aux systèmes en comptes notionnels. Un système par points ou en comptes notionnels ne saurait être plus équitable, car les pensions seraient alors complètement individualisées, ce qui casserait le système par répartition, solidaire et intergénérationnel. Le principe de notre système de retraite, c’est que les actifs d’aujourd’hui paient les pensions de ceux qui sont déjà en retraite. Un système par points ou en comptes notionnels signifierait, au contraire, que la pension de chacun serait fonction de ses propres cotisations. De surcroît, les systèmes de ce type sont fragiles, nous l’avons vu dans les pays qui les ont mis en œuvre : au moment de la crise, ils n’ont pas davantage garanti les pensions de retraite que nous ; nous les avons même mieux garanties, et surtout de manière plus solidaire et équitable.
Le seul système solidaire et équitable est le système actuel, à condition que nous le renforcions. Pour notre part, nous pensons que les richesses existent, en France, à cet effet. Il faut simplement cesser de réduire les impôts de ceux qui gagnent le plus, cesser de pratiquer des exonérations de cotisations sociales. Ce sont les orientations que nous avons défendues dans notre proposition de loi.
M. Arnaud Robinet. Martine Billard confond tout : un système par points ou en comptes notionnels n’équivaut pas à un système par capitalisation, cela reste de la répartition.
M. Gaëtan Gorce. Je regrette vivement la confusion qui prévaut en permanence entre points et comptes notionnels. Si ces deux systèmes s’inspirent de philosophies proches, ils sont distincts, notamment dans leurs effets. Le système par points soulève le problème de la valeur du point et de sa revalorisation régulière. Quant au système en comptes notionnels, c’est un système par répartition, jouant pour l’essentiel sur l’espérance de vie.
À l’instar de Pascal Terrasse, je considère que le système en comptes notionnels présente un intérêt réel et mérite réflexion. Nous gagnerions à distinguer clairement les deux systèmes. Je regrette que le Rapporteur, en les mélangeant, hypothèque un peu la qualité du débat.
M. Jean-Luc Préel. Une réforme systémique retenant la formule des points ou des comptes notionnels me paraît indispensable et porteuse d’équité. Le système par points reste un système par répartition. Si j’ai un peu mélangé les deux notions, c’est qu’il est très compliqué d’expliquer au public ce qu’est un compte notionnel. Je suis plutôt favorable à cette dernière formule, car elle prend en compte l’espérance de vie, ce qui permet de régler en partie le problème de la pénibilité. Cette réforme est difficile et longue à mettre en œuvre, mais elle est inévitable. C’est pourquoi, il serait souhaitable de ne pas perdre trop de temps.
M. le rapporteur. Le COR, aux travaux duquel je participe en compagnie de Pascal Terrasse et de Jean-Luc Préel, a rendu un rapport décrivant les différences énoncées à l’instant. Votre rapporteur est donc très à l’aise sur la question.
La Commission rejette l’amendement AS 369.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 1 de M. Gérard Charasse.
M. Gérard Charasse. Il convient que le Conseil économique, social et environnemental remette, tous les cinq ans, au Parlement et au Gouvernement un rapport relatif aux perspectives et à l’évolution du système de retraite. Face à la précipitation dans laquelle ce projet de loi est examiné et à l’insuffisance des consultations, il est essentiel, pour les futures échéances, de créer les conditions d’une concertation élargie à l’ensemble des partenaires, notamment les institutions de retraite et les mutuelles, et planifiée de façon à aboutir à un consensus.
M. le rapporteur. Avis défavorable. D’après le texte portant création du COR, celui-ci a pour mission « de décrire les évolutions et les perspectives à moyen et long termes des régimes de retraite légalement obligatoires, au regard des évolutions économiques, sociales et démographiques, et d’élaborer, au moins tous les cinq ans, des projections de leur situation financière ». Le COR joue donc déjà ce rôle d’éclairage et d’expertise.
M. le ministre. Défavorable.
La Commission rejette l’amendement AS 1.
Article 2
(article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale)
Indexation des pensions
L’article 2 du projet de loi modifie l’article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale, qui fixe les conditions de revalorisation des pensions de vieillesse.
Depuis la loi d’août 2003, le coefficient de revalorisation des pensions est égal à l’évolution prévisionnelle des prix hors tabac pour l’année n, corrigé, le cas échéant, de la révision de la prévision d’inflation de l’année n-1, telle que figurant dans le rapport économique et financier annexé au projet de loi de finances de l’année n.
Par ailleurs, depuis l’article 79 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, la revalorisation de l’ensemble des pensions intervient au 1er avril de chaque année et non plus au 1er janvier. La revalorisation pour l’année n est dorénavant égale à la prévision d’inflation, pour cette année, établie par la Commission économique de la Nation et ajustée sur la base de l’inflation définitive constatée pour n-1 (qui est connue en avril n de manière définitive).
Ainsi, l’hypothèse de revalorisation de 1,2 % en 2010 correspond à la dernière hypothèse d’inflation retenue pour 2010 (1,2 %). Il n’y a pas lieu pour le moment de prendre en compte de révision au titre de 2009, puisque la prévision actuelle de l’inflation pour 2009 (0,4 %) correspond à celle qui a été retenue pour la revalorisation du 1er avril 2009.
Le troisième alinéa de l’article L. 161-23-1 permet au Gouvernement de proposer au Parlement, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, une correction au taux de revalorisation de l’année suivante sur proposition d’une conférence nationale. L’article D. 161-2-23 du code de la sécurité sociale, créé par le décret n° 2007-647 du 30 avril 2007, a fixé la composition de cette conférence présidée par le ministre chargé de la sécurité sociale : 15 représentants des syndicats de salariés et 15 représentants des employeurs. Cette conférence est censée se réunir au moins une fois tous les trois ans. Elle n’a jusqu’à présent jamais été réunie…
Aussi, l’article 2 du projet de loi propose-t-il de substituer à cette commission le Comité de pilotage des régimes de retraite créé par l’article 1er et dont les missions (« veiller à la pérennité des régimes de retraite, (…) au maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités ») le rendent totalement légitime pour exercer ce rôle de proposition.
Une difficulté néanmoins pourrait apparaître : la commission prévue jusque là réunissait de droit les partenaires sociaux alors que, dans le comité de pilotage, ces derniers ne sont, dans l’état actuel du texte, présents que dans le mesure où ils gèrent des régimes de retraite légalement obligatoires.
*
La Commission examine les amendements identiques AS 98 de Mme Martine Billard et AS 233 de Mme Martine Carrillon-Couvreur, visant à supprimer l’article 2.
M. Roland Muzeau. Nous souhaitons la suppression de l’article 2, qui transfère au comité de pilotage la mission de la commission tripartite. La Commission de garantie des retraites, créée par l’article 5 de la loi du 21 août 2003 et dont les règles de fonctionnement ont été fixées par décret, est chargée de rendre des avis à propos de l’évolution nécessaire des durées d’assurance ou de service et bonifications. Elle n’a d’ailleurs rendu qu’un avis public, en octobre 2007. Nous ne voyons pas pourquoi le comité de pilotage serait surchargé d’une mission, qui, au demeurant, ne semble pas nécessiter beaucoup de travail.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Aux termes de l’article L 161-23-1 du code de la sécurité sociale, le coefficient annuel de revalorisation des pensions de vieillesse est fixé, au 1er avril de chaque année, conformément à l’évolution prévisionnelle en moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac, puis ajusté le 1er avril suivant si cette évolution n’est pas conforme aux prévisions. Une correction peut également être proposée au Parlement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, sur proposition d’une conférence présidée par les ministres chargés de la sécurité sociale, de la fonction publique et du budget et réunissant les organisations syndicales et professionnelles représentatives au plan national.
Or, l’article 2 du projet de loi prévoit que la correction du taux de revalorisation s’effectuera désormais sur proposition du comité de pilotage. Notre amendement de suppression vise à maintenir les modalités de revalorisation en vigueur.
M. le rapporteur. Avis défavorable. L’article 2 remplace un organisme qui ne s’est jamais réuni, par le comité de pilotage, qui, lui, sera opérationnel, et dans lequel siégeront les partenaires sociaux.
M. le ministre. Même avis.
La Commission rejette les amendements AS 98 et 233.
Puis, elle adopte l’article 2 sans modification.
Article 3
(article L. 161-17 du code de la sécurité sociale)
Amélioration du droit à l’information des assurés
Après sa consécration par la loi du 21 août 2003, le droit à l’information des assurés en matière de retraite franchit ici une nouvelle étape.
L’article 3 du projet de loi vise en effet à renforcer l’information des assurés par l’envoi d’une information générale dès la constitution des premiers droits à la retraite ; la mise en ligne du relevé de situation individuelle créé en 2003 et la mise en place d’un entretien personnalisé à 45 ans.
La loi du 21 août 2003 a consacré un nouveau droit pour tous les assurés : le droit d’être informé sur l’état de leurs droits individuels. Pour cela, deux dispositifs ont été mis en place, codifiés à l’article L. 161-17 du code de la sécurité sociale :
– la fourniture, à la demande de l’assuré, d’un relevé de situation individuelle l’informant des droits acquis et trimestres cotisés auprès des régimes de retraite légalement obligatoires. Ce relevé est automatiquement envoyé dès l’âge de 35 ans et tous les cinq ans par la suite.
Il est conçu comme un relevé de la carrière professionnelle et un état de la situation personnelle et familiale de l’assuré, déterminant les conditions de liquidation de sa future retraite, et lui permettant de prendre à temps les décisions nécessaires pour s’y préparer au mieux. L’article L. 161-17 précise bien que le relevé de situation individuelle est adressé à « titre de renseignement » et n’engage pas les caisses sur le montant des droits accordés lors de la liquidation.
Chaque régime reste maître des données envoyées, mais l’organisme expéditeur récupère des informations auprès des autres régimes pour fournir une photographie globale de ses droits à l’assuré ;
– la fourniture à l’assuré, à partir de 55 ans, c’est-à-dire à l’approche de l’âge de liquidation de la retraite, d’une estimation indicative globale du montant de la pension qu’il sera susceptible d’obtenir à son départ à la retraite, tous droits réunis dans les régimes de base et complémentaires. Après 55 ans, ce document est envoyé tous les cinq ans à l’assuré jusqu’à l’âge de son départ à la retraite.
Contrairement au relevé de situation individuelle, il s’agit d’un véritable document de « préliquidation », très complet, dont le contenu est précisément déterminé par l’article D. 161-2-1-7 du code de la sécurité sociale. Cette estimation ne peut donc être fiable que si elle intervient peu de temps avant la liquidation des droits à pension.
La mise en œuvre du droit à l’information est coordonnée par le GIP Info retraite, organisme doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière composé de l’ensemble des organismes et services chargés de la liquidation des pensions de retraites soumises au droit à l’information.
Depuis sa création par l’article 10 de la loi du 21 août 2003, le GIP Info retraite a fait la preuve de son efficacité. Votre Rapporteur estime qu’il est donc essentiel que le droit à l’information continue d’être mis en œuvre sous son égide.
2. Une montée en charge progressive du droit à l’information qui satisfait les assurés et contribue au rapprochement des régimes
Le droit à l’information a connu sa première campagne en 2007. La montée en charge des envois est progressive. En 2010, tous les assurés de 35, 40, 45, 50, 55 et 60 ans ont reçu un relevé de situation individuelle ou une estimation indicative globale du montant de la pension.
En 2009, plus de 4,2 millions d’assurés de cinq générations ont reçu un courrier d’information. Ce sont en tout 1 459 792 estimations globales et 2 732 097 relevés de situation individuelle qui ont été expédiés par les régimes de retraite réunis au sein du GIP Info Retraite.
L’enquête de satisfaction, menée par le GIP Info retraite auprès des bénéficiaires de la campagne d’information de 2009, confirme les résultats des enquêtes précédentes : 94 % des personnes ayant reçu leur document sont satisfaites de la démarche.
L’augmentation du nombre de générations servies s’est accompagnée d’une amélioration des traitements : en 2009, 91,4 % des assurés de ces générations se sont vu envoyer un courrier par leurs régimes, alors qu’ils étaient respectivement 87 % en 2008 et 82,6 % en 2007.
Cette progression aurait été impossible sans un travail commun des trente-six régimes de retraite qui fonctionnent par ailleurs, à l’exception des régimes alignés sur le régime général, en relative autonomie. Le droit à l’information, par l’échange d’informations qu’il implique et grâce à la coordination assurée par le GIP Info retraite, œuvre donc indirectement au rapprochement des régimes.
3. Le droit général à l’information doit encore être développé
Le droit à l’information est une composante majeure de la confiance des assurés dans notre système de retraite et une véritable mission de service public devant se développer dans les années à venir, et ce pour plusieurs raisons.
Un nombre croissant d’assurés connaît une forte mobilité professionnelle, ce qui entraîne des changements de régime d’affiliation fréquents et complexifie le calcul des droits à pension. Selon les données recueillies par le GIP Info retraite, les assurés servis durant la campagne d’envoi de 2009 étaient 42 % à être rattachés à deux régimes de retraite, 31 % à trois régimes, 15 % à quatre régimes, et 9 % à cinq régimes. Le morcellement des régimes nécessite donc le renforcement du droit à l’information.
La généralisation des régimes de retraite complémentaire obligatoires accroît également la complexité de la fixation des droits globaux, d’autant que les règles de calcul sont souvent très différentes de celles du régime de base.
Les possibilités pour l’assuré de choisir un départ à la retraite avancé ou retardé, de valider certaines périodes d’assurance, de racheter des années d’études, de cumuler un emploi et une pension ou encore de surcotiser en période de temps partiel, sont des variables importantes agissant sur les droits à pension, et difficilement mesurables pour un particulier.
Enfin, les assurés sont souvent peu au fait des dispositifs d’épargne retraite prévus par la loi, alors même qu’ils constituent un complément utile à la pension.
Il est donc impératif d’améliorer encore le droit à l’information des assurés, pour leur permettre de mieux connaître leurs droits, de mesurer l’impact sur leur pension de certains choix de carrière, de préparer au mieux leur retraite et de garder confiance dans le système actuel.
B. LES AMÉLIORATIONS PROPOSÉES PAR LE TEXTE
L’article 3 du projet de loi complète l’article L. 161-17 du code de la sécurité sociale afin de prévoir que dans un délai déterminé suivant la première année au cours de laquelle il a validé au moins une période d’assurance dans un des régimes de retraite légalement obligatoires, l’assuré bénéficie d’une information générale sur le système de retraite par répartition, notamment sur les règles d’acquisition de droits à pension et l’incidence sur ces derniers des événements susceptibles d’affecter sa carrière. Il est précisé que les conditions d’application de cette mesure seront définies par décret.
Selon le Gouvernement, la diffusion d’une information générale sur le système de retraite devrait concerner, chaque année, 900 000 personnes. Il s’agit d’une mesure consensuelle, qui ne pose pas de problème particulier de mise en œuvre, dans la mesure où le GIP Info retraite coordonne déjà l’envoi de documents à 4,2 millions de cotisants.
À l’initiative de votre Rapporteur, la Commission a précisé que cette information générale devait également porter sur l’incidence de l’exercice d’une activité à temps partiel sur la constitution des droits à pension.
2. Un entretien personnalisé à 45 ans : une avancée considérable dont la mise en œuvre mobilisera des moyens importants pour les caisses
L’article 3 du projet de loi prévoit que les assurés bénéficient, à leur demande, à un âge et dans des conditions fixés par décret, d’un entretien sur les droits qu’ils se sont constitués dans les régimes de retraite légalement obligatoires et sur les perspectives d’évolution de ces droits.
Votre Rapporteur soutient tout à fait cette démarche. Cet entretien permettra aux assurés de mieux préparer leur retraite et de faire des choix professionnels en connaissant leur impact sur leur future pension.
Cependant, un certain nombre d’incertitudes quant à la mise en œuvre de ce nouveau droit doivent être levées par le Gouvernement.
Concernant le contenu de l’entretien, le Gouvernement indique dans l’exposé des motifs du projet de loi, que ce « point d’étape », qui aura lieu à 45 ans, devra permette aux assurés de recevoir, outre un relevé de leurs droits à retraite, toute information sur les perspectives d’évolution de ces droits en fonction notamment de leurs choix de carrière.
Votre Rapporteur estime qu’il faut choisir entre une logique de conseil et une logique de simple information. Dans la première hypothèse, le rôle des caisses et leur responsabilité changent considérablement. L’activité de conseil, pour être pertinente, doit prendre en compte des informations dont ne disposent pas aujourd’hui les régimes et suppose la maîtrise par le personnel de nouvelles connaissances relatives par exemple à l’épargne retraite, aux possibilités de surcotisation ou de rachat d’années d’études, aux conséquences d’un temps partiel sur les droits à pension. Enfin, la mise en place de l’entretien suppose une maîtrise minimale des règles des autres régimes de retraite obligatoires.
Autre incertitude qu’il conviendra de lever : l’entretien doit-il être l’occasion de fournir une première estimation indicative des droits à pension de l’assuré, dans ce cas l’âge de 45 ans n’est-il pas prématuré ? Ou bien doit-il être l’occasion de mesurer l’impact des choix de carrière à venir de l’assuré sur ses futurs droits, et dans ce cas, ne faut-il pas pratiquer ce point d’étape beaucoup plus tôt, notamment pour les femmes ? L’entretien pourrait avoir lieu à l’âge de 40 ans, au moment où le deuxième relevé de situation individuelle est envoyé à l’assuré. Celui-ci pourrait d’ailleurs inviter l’assuré à prendre contact avec sa caisse pour passer cet entretien. Votre Rapporteur estime que la question doit être rapidement tranchée.
Selon la CNAV, le point d’étape à 45 ans doit pouvoir être multiforme : une partie du public peut être reçue de façon individuelle dans les 300 agences de proximité de la branche retraite, mais une partie peut également bénéficier d’une démarche semi collective dans le cadre d’une offre de conseil à destination des entreprises.
Le point d’étape peut être l’occasion d’analyser, avec l’assuré et régime par régime, toute sa carrière pour la valider à ce stade. Les enfants peuvent également être pris en compte pour le calcul de la majoration de durée d’assurance. De même, les mesures favorisant le maintien dans l’emploi des seniors peuvent être expliquées avec différentes variantes.
En revanche, à 45 ans, il est peu pertinent de réaliser une estimation du montant de la retraite. Selon la CNAV, il est possible d’expliquer les modalités de calcul de la retraite du régime général et des retraites complémentaires, mais il n’est pas envisageable de proposer un calcul estimatif, d’autant que la législation peut être amenée à évoluer.
Concernant les moyens à mettre en œuvre pour assurer l’effectivité de ce nouveau droit pour tous les assurés, un certain nombre de caisses ont fait part de leurs inquiétudes, dont votre Rapporteur se fait l’écho.
Selon l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, au total, public et privé confondus, dans l’hypothèse où 30 % des assurés d’une même classe d’âge demanderaient à bénéficier du point d’étape retraite à 45 ans, environ 170 équivalents temps plein devraient être mobilisés par les organismes gestionnaires pour mener 270 000 entretiens d’une heure.
Le régime général couvre plus de 70 % des actifs. Il devra à lui seul assurer environ 190 000 entretiens, ce qui correspond à 118 équivalents temps plein.
L’étude d’impact note que le dispositif d’entretien individuel veillera à « s’appuyer sur les compétences déjà en place dans les caisses de retraite, et d’autre part, à coordonner les actions de celles-ci afin d’éviter les doublons. Les moyens consacrés à l’information des personnes très proches de la retraite seront partiellement réorientés vers ce point d’étape. »
C’est le cas de la CNAV, dont la convention d’objectifs et de gestion 2009-2013 prévoit la mise en place d’un diagnostic conseil personnalisé à 55 ans. Cette opération, qui porte en 2010 sur 15 000 cas, offre à l’assuré un entretien d’une heure trente avec un conseiller retraite, en accompagnement de l’estimation globale adressée au même age.
Le directeur de la CNAV a indiqué à votre Rapporteur que le point d’étape à 45 ans ne devrait pas remettre en cause ces orientations, mais les compléter. Une partie du diagnostic conseil personnalisé qui, selon le calendrier prévu par la CNAV, doit être proposé à 250 000 personnes dès 2013, peut être, en effet, proposé à des assurés plus jeunes.
En revanche, cette évolution aura un impact sur la charge de travail et nécessitera une réflexion inter régimes pour adapter l’offre à une population encore loin de l’âge de la retraite et ouverte aux nouvelles technologies.
Selon les informations fournies à votre Rapporteur par la direction de la sécurité sociale, la fonction publique, qui emploie 17 % des actifs, devrait assurer environ 46 000 entretiens, nécessitant 30 équivalents temps plein.
S’agissant du Service des retraites de l’État, la gestion d’une cohorte d’environ 60 000 personnes suppose la création d’un nouveau pôle de conseillers spécialisés. En l’absence de relais au niveau local, les entretiens individuels seraient téléphoniques.
Selon les estimations de la CNRACL, la mise en place par le régime d’un entretien d’une heure pour ses assurés, supposant deux heures de préparation et de suivi, nécessite la mobilisation de 130 équivalents temps plein pour 70 000 entretiens par an. Il convient d’y ajouter l’ensemble des frais de fonctionnement liés à la mise en place d’un réseau territorialisé, ou les frais de déplacements vers les lieux de rencontres. Une solution alternative consisterait à mobiliser les employeurs pour assurer l’entretien individuel à 45 ans. Les entretiens seraient répartis entre les 47 000 employeurs, soit, au maximum, 1 à 2 entretiens par an en moyenne. Bien entendu, les plus gros employeurs seraient davantage mobilisés. Un employeur disposant de 1 000 agents pourrait avoir à assurer 30 entretiens, si tous les actifs concernés par la mesure le demandaient. Le régime apporterait un soutien technique et fournirait toutes les informations nécessaires à la préparation de l’entretien.
Le RSI, qui a proposé, en 2009, 10 500 « entretiens retraite » à ses assurés, dont 6 181 rendez-vous physiques, a également insisté sur l’importance des frais de gestion liés à cette mesure. La mise en place du point d’étape à 45 ans concernerait 90 000 personnes environ, ce qui suppose en moyenne la mise en place de 3 000 entretiens par an dans les trente caisses du régime. Une entrée en vigueur du nouveau droit à l’information au 1er juillet 2011, soit dans à peine plus de six mois, suppose donc des investissements considérables.
L’article 3 du projet de loi prévoit enfin qu’à la demande de l’assuré, les régimes de retraite communiquent le relevé de situation individuelle par voie électronique.
Les services du GIP Info retraite travaillent sur ce projet depuis un an. Il devrait être généralisé en mai-juin 2011. Un délai est en effet nécessaire, car il s’agit de faire communiquer tous les systèmes d’information des régimes.
Par coordination avec la mise en place du point d’étape à 45 ans, le relevé de situation en ligne pourrait également être utilisé comme un élément d’incitation pour les générations concernées à prendre contact avec leur caisse pour solliciter un entretien. De plus, selon la CNAV, en 2012, le relevé de situation individuelle devrait être enrichi par des signalements sur les périodes incomplètes ou incohérentes et servir ainsi de fil conducteur à un futur entretien. Le relevé de situation individuelle de 45 ans deviendrait alors le relevé individuel « pivot » de la carrière.
À terme, il serait souhaitable que tout assuré puisse consulter en ligne, tous les ans à partir de 35 ans, un relevé de situation individuelle actualisé. Cela suppose une nette amélioration des échanges d’information entre les régimes et la création d’un portail commun consultable en ligne. Votre Rapporteur estime que le droit à l’information des assurés doit tendre vers ce modèle.
*
La Commission est saisie de l’amendement AS 234 de Mme Marisol Touraine.
Mme Michèle Delaunay. Les carrières, de nos jours, sont mouvementées, aléatoires, incertaines et risquent de le devenir davantage encore. Il est important que les salariés se sentent soutenus et informés. C’est pourquoi, à la formule « dans un délai déterminé », qui n’est guère rassurante, nous préférerions les mots « dans un délai de deux ans » après le premier emploi.
M. le rapporteur. Avis favorable à cette précision utile.
M. le ministre. Même avis.
La Commission adopte l’amendement AS 243.
Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS 459 du rapporteur.
Puis, elle examine l’amendement AS 418 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il est nécessaire d’informer les salariés des conséquences sur la constitution de leurs droits à la retraite de l’exercice d’une activité à temps partiel et de la possibilité de surcotiser à l’assurance vieillesse pour le régime général et les régimes complémentaires.
M. le ministre. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement AS 418.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 235 de Mme Marisol Touraine.
M. Christophe Sirugue. Sur la question des retraites, les évolutions sont relativement fréquentes, avec des incidences importantes pour nos concitoyens. Par cet amendement, nous proposons que soit dispensée une information publique à chaque modification législative, réglementaire ou conventionnelle, portant notamment sur les conditions de constitution des droits à la retraite. Chacun se sent concerné et a besoin d’évaluer par lui-même le montant de sa future retraite. Ce souci d’information devrait tous nous rassembler.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Une information générale est d’ores et déjà assurée par le site internet du GIP Info Retraite. De plus, les personnels de tous les régimes sont à la disposition des assurés pour répondre à leurs questions. La proposition contenue dans cet amendement est impossible à mettre en œuvre du point de vue logistique et de surcroît inutile, car le relevé de situation individuelle et l’estimation du montant de la retraite prennent déjà en compte les évolutions législatives les plus récentes. Mieux vaut une information individualisée efficace qu’une information générale coûteuse et inutile. Je fais partie d’ailleurs de ceux qui ont poussé à la création du GIP Info Retraite et je tiens à dire qu’il fonctionne bien, avec peu de personnel et des moyens budgétaires faibles.
M. le ministre. Même avis. Une information très individualisée est préférable à une avalanche d’informations très difficiles à comprendre. Chacun est intéressé par son propre niveau de retraite.
La Commission rejette l’amendement AS 235.
Puis, elle est saisie de l’amendement AS 236 de Mme Marisol Touraine.
M. Michel Issindou. Dans le même esprit, nous souhaitons donner un caractère obligatoire à l’entretien avec les salariés à propos de leurs droits. Les jeunes sont peu préoccupés par leur retraite et il est à craindre qu’ils ne s’informent pas si nous ne faisons par cet entretien un passage obligatoire, d’autant que nous n’y voyons pas très clair au-delà de 2018, le ministre l’a répété plusieurs fois. Des entretiens d’évaluation sont bien organisés dans les entreprises et l’administration, pourquoi pas dans notre système de retraite?
M. le rapporteur. Avis défavorable. L’entretien individuel doit rester une liberté accordée à chaque assuré. Le relevé de situation individuelle envoyé aux assurés dès l’âge de 35 ans pourra tout au plus, si nécessaire, les inviter à prendre contact avec leur régime pour organiser un entretien.
M. le ministre. Défavorable. Il faut tout faire pour que nos concitoyens se rendent à un entretien individuel, mais nous ne pouvons pas les y obliger. Tout dépendra de la qualité de ces rendez-vous.
La Commission rejette l’amendement AS 236.
Elle examine ensuite l’amendement AS 238 de Mme Marisol Touraine.
M. Michel Liebgott. En matière d’information, nous ne sommes visiblement pas tout à fait sur la même longueur d’onde. Nous avons le sentiment que la population est dans une situation d’angoisse et d’incertitude, et pas seulement à propos des retraites.
Vous avez contraint les demandeurs d’emploi à être régulièrement entendus, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours possible compte tenu des effectifs de Pôle emploi. Ce que vous exigez des demandeurs d’emploi, nous l’exigeons pour les salariés en activité.
Rien ne dit que tous les salariés de France iront chercher l’information les concernant, car ils ne disposeront pas de la même information générale. Il existe, en effet, une grande différence entre celui qui a un plan de carrière et celui qui va de petit boulot en petit boulot. Il est absolument indispensable de ne pas laisser dans la nature les salariés les plus fragiles, en leur permettant d’accéder à un entretien tous les cinq ans. Il s’agit d’un amendement de bon sens, car, comme l’a dit le ministre, nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve, si la crise va s’aggraver ou se résorber.
M. le rapporteur. Je vous rassure, monsieur Liebgott, nous sommes sur la même longueur d’onde, mais la loi prévoit d’ores et déjà, à 35 ans, puis tous les cinq ans, l’envoi à chaque assuré d’un relevé de situation individuelle faisant le point sur la constitution de ses droits. S’y ajoutent, à partir de 55 ans et tous les cinq ans, une estimation globale du montant de sa future retraite, et, maintenant, un entretien à 45 ans. Enfin, tout assuré peut contacter son régime pour obtenir des informations sur l’état de ses droits à pension. Des sondages effectués par les différents régimes font apparaître un taux de satisfaction de 85 %. Le droit à l’information me semble suffisamment complet pour que nous n’ayons pas à ajouter un entretien tous les cinq ans. La plupart des régimes seraient au demeurant incapables de l’assurer et il transformerait le personnel des caisses en conseillers, ce pour quoi ils ne sont pas formés et, surtout, ce qu’ils ne souhaitent pas. J’émets par conséquent un avis défavorable.
M. le ministre. La fixation de l’âge ressort d’une mesure réglementaire. Avis défavorable.
M. Régis Juanico. Je décèle une contradiction de la part du Rapporteur et du ministre. Sur les retraites, il n’y a pas seulement un droit à l’information mais un devoir d’information de la part des pouvoirs publics. Dans l’entreprise, il existe déjà des entretiens obligatoires entre l’employeur et les salariés de l’entreprise, notamment pour la formation professionnelle, les secondes carrières et les bilans professionnels. Pourquoi un tel dispositif obligatoire ne serait-il pas mis en place pour les retraites, sujet au moins aussi importante ?
M. le ministre. Je vous entends, mais nous ne souhaitons pas que cet entretien soit obligatoire. Je serais prêt à donner un avis favorable à un amendement prévoyant la possibilité d’un entretien à partir de 45 ans – jouons la transparence – puis tous les cinq ans. Mais je ne souhaite pas que cet entretien soit obligatoire. Comment pourrait-il l’être d’ailleurs ? Comment obliger les gens à s’y rendre ? Il faut que le texte précise que l’entretien a lieu « à leur demande ».
Mme Marisol Touraine. Nous pouvons nous rallier à votre proposition, même si elle ne répond pas à notre préoccupation de sécurisation des salariés les plus fragiles, qui ne solliciteront pas l’entretien. Qu’adviendra-t-il de ceux qui ont des carrières hachées et qui travaillent à temps partiel ? Si vous imaginez d’autres solutions, nous sommes évidemment prêts à les entendre.
M. le rapporteur. Compte tenu de la rectification proposée par le ministre, j’émets un avis favorable.
M. le président Pierre Méhaignerie. L’alinéa 4 se lirait ainsi : « les assurés bénéficient à leur demande, à partir de 45 ans, puis tous les cinq ans et dans des conditions fixées par décret, d’un entretien… ».
La Commission adopte l’amendement AS 238 rectifié.
La Commission examine ensuite l’amendement AS 100 de Mme Martine Billard.
Mme Jacqueline Fraysse. Cet amendement tend à mieux informer les assurés en précisant que les droits sur lesquels portera l’entretien sont notamment ceux acquis au titre des périodes d’études et de formation, de chômage, de travail pénible, d’emploi à temps partiel et de congé maternité. Ces différents aspects, qui suscitent de graves inquiétudes chez de nombreux assurés, car ils sont très pénalisants, méritent d’être abordés de façon spécifique dans chaque cas individuel.
M. le rapporteur. Avis favorable à cet excellent amendement.
M. le ministre. Même avis.
M. Christian Hutin. Ne pourrait-on pas faire référence non seulement au travail pénible, mais aussi au travail exposé ? Certaines victimes de l’amiante, par exemple, ne sont pas encore complètement informées de leurs droits. Sans l’action menée par les associations de défense des victimes de l’amiante, certains de nos concitoyens n’auraient jamais pu se faire connaître et les faire valoir.
M. Francis Vercamer. Je trouve délicat de faire référence au travail pénible sans définir précisément ce qu’est la pénibilité. Le ministre a indiqué hier qu’on ne pouvait le faire au plan législatif, ce qui pose un problème de fond.
M. le rapporteur. Je préférerais qu’on en reste à la rédaction actuelle de l’amendement.
La Commission adopte l’amendement AS 100.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 237 de Mme Marisol Touraine.
Mme Michèle Delaunay. Par cet amendement, nous demandons que les assurés bénéficient également d’une information sur les dispositifs d’incitation à la prolongation d’activité ainsi que sur les dispositifs qui leur permettraient d’améliorer le montant futur de leur retraite. Cette précision serait tout à fait conforme à l’esprit général du projet de loi.
M. le rapporteur. Avis favorable
M. le ministre. Même avis.
La Commission adopte l’amendement AS 237.
La Commission examine ensuite l’amendement AS 239 de Mme Marisol Touraine.
M. Christophe Sirugue. Dans la rédaction actuelle du texte, seuls les assurés appartenant à une certaine catégorie d’âge et remplissant des conditions fixées par décret peuvent bénéficier de l’entretien. Nous demandons que tous puissent y accéder s’ils en font la demande
M. le rapporteur. Le code de la sécurité sociale permet déjà à chaque assuré de demander au régime dont il relève des informations générales sur ses droits à pension ainsi que des informatives relatives à sa propre situation à tout moment.
L’amendement AS 237 est retiré.
La Commission est saisie de l’amendement AS 240 de Mme Marisol Touraine.
Mme Danièle Hoffman-Rispal. À l’image de ce qui existe déjà en Suède, nous proposons que les salariés reçoivent, chaque année, un courrier leur permettant de connaître leurs droits à la retraite, et que tous les régimes leur fournissent une estimation indicative globale du montant des pensions auxquelles leur durée d’assurance et de service ou leur nombre de points ouvriront droit, lorsque leur retraite pourra être liquidée. Cela devrait faciliter les choix de carrière, conformément à l’objectif formulé dans l’exposé des motifs de ce texte.
M. le rapporteur. Je suis d’accord avec vous sur le fond. Comme je l’indiquais dans un rapport de 2008, nous pourrions utilement nous inspirer du modèle allemand, qui fournit très tôt aux assurés une estimation indicative de leurs pensions futures, et qui leur transmet des informations actualisées chaque année. Il reste qu’une telle solution sera sans doute difficile à appliquer en France, car nous avons des régimes plus complexes et plus fragmentés.
En ce qui concerne l’information annuelle des assurés, je rappelle que le relevé de situation mis en ligne a vocation à se transformer en un récapitulatif actualisé tous les ans, et que le GIP Info retraite prépare un portail commun grâce auquel nos concitoyens pourront prendre connaissance, chaque année, d’une estimation de leur pension – il faudra pour cela réaliser une véritable prouesse technique.
Je rappelle, en outre, que les régimes de retraite travaillent à la réalisation d’une estimation globale qui serait communiquée aux assurés dès l’âge de 45 ans. La CNAV nous a indiqué qu’elle ne pouvait pas produire de calculs fiables à l’heure actuelle, et il faut être conscient que l’évolution de la législation ne facilite pas la tâche. Pour toutes ces raisons, l’amendement me semble en avance de quelques années. Avis défavorable.
M. le ministre. Même position. Le système français de retraite étant ce qu’il est, il serait très compliqué de fournir une estimation fiable à l’âge de 45 ans. Il ne faudrait pas tromper les assurés. Nous devons veiller à ce que seules soient communiquées des informations solides, qui leur permettent de faire évoluer leur carrière – on est loin, aujourd’hui, d’avoir terminé son parcours professionnel à 45 ans. L’amendement sert une belle ambition, mais il risquerait de fausser la donne dans les conditions actuelles.
Mme Catherine Génisson. Par cet amendement, nous souhaitons améliorer l’information des assurés qui en ont le moins, c’est-à-dire ceux qui se trouvent dans les situations les plus précaires. Il s’agit également de faire en sorte que chacun puisse être maître de sa carrière professionnelle et de l’ouverture de ses droits à pension, afin d’être en mesure de bénéficier éventuellement de congés sabbatiques ou, au contraire, de prolonger sa carrière au-delà de 62 ou 65 ans – c’est, en effet, le cœur du projet alternatif que nous défendons : un système de retraite universelle, mais choisie. Pour cela, il faut que chacun puisse bénéficier d’une information très régulière sur les droits qu’il se constitue.
La Commission rejette l’amendement AS 240.
L’amendement AS 101 de M. Roland Muzeau est retiré.
La Commission examine ensuite l’amendement AS 102 de Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Le code de la sécurité sociale fait obligation aux régimes de retraite d’envoyer à chaque assuré un relevé de situation. Aux termes du projet de loi, ils « communiquent ce relevé, à la demande de l’assuré, par voie électronique ». Notre amendement ajoute : « ou par courrier postal ».
Il y a, en effet, de plus en plus souvent une pression pour que les relations avec les administrés passent par la voie électronique. Or, tous nos concitoyens ne sont pas connectés à internet. Une fracture se creuse entre ceux qui y ont accès, soit à leur domicile, soit au travail – sachant que de nombreuses entreprises limitent fortement l’utilisation personnelle de l’accès professionnel à Internet. Dans certaines villes, comme Paris, on peut bénéficier d’un accès public à Internet, mais cette possibilité est encore assez limitée. C’est pourquoi, il nous semble important de préciser que les informations relatives aux retraites peuvent être obtenues par courrier postal. Sans cette précision, les assurés risquent de ne pouvoir les obtenir par courrier postal qu’en dernier ressort et après réclamation.
M. le rapporteur. Il est évident que la mise en ligne du relevé de situation individuelle ne remplacera pas un envoi par courrier. À mon sens, cet amendement est sans objet. Avis défavorable.
M. le ministre. Même avis. L’assuré ne recevra le relevé par voie électronique qu’à sa demande. Sinon, il lui sera adressé par courrier.
La Commission rejette l’amendement AS 102.
La Commission examine ensuite l’amendement AS 373 de M. Jean-Luc Préel.
M. Jean-Luc Préel. Je vais présenter ensemble les amendements AS 373, AS 374 et AS 375. Nous souhaitons la mise en place d’un véritable dossier informatisé unique, qui permettrait à chacun de s’informer, de façon très simple, à chaque fois qu’il le souhaite.
Le GIP Info retraite fonctionne assez bien aujourd’hui, mais il faudrait aller plus loin. Nous proposons que les régimes de base, obligatoires, complémentaires et supplémentaires, ainsi que les gestionnaires de produits d’épargne fournissent régulièrement des informations au GIP Info retraite, de façon à ce que chacun puisse consulter un dossier « retraite » informatisé.
M. le rapporteur. C’est une bonne idée, mais l’information délivrée en matière de retraite est déjà très complète : elle regroupe les régimes de base et les régimes complémentaires. À titre personnel, il me paraît difficile que le calcul réalisé prenne en compte la retraite supplémentaire : le GIP Info retraite ne dispose pas des informations nécessaires, et il serait hasardeux d’évaluer les pensions avant le déblocage des fonds. Par conséquent, avis défavorable.
M. le ministre. Même avis. Il faut certainement aller dans ce sens, mais il est beaucoup trop tôt pour légiférer.
M. Alain Vidalies. L’amendement n’a rien d’anodin, car il vise les produits de l’épargne – c’est une première ! Si le GIP Info retraite regroupait des informations relatives à la retraite par répartition, à la retraite complémentaire, à la retraite supplémentaire et aux produits de l’épargne, on changerait de monde. Je tiens à exprimer notre hostilité absolue à ce mélange des genres.
La Commission rejette successivement les amendements AS 373 à AS 375.
Puis, elle adopte l’amendement rédactionnel AS 460 du rapporteur.
La Commission adopte ensuite l’article 3 modifié.
Article additionnel après l’article 3
Périmètre du répertoire national commun de la protection sociale
La Commission examine l’amendement AS 490 de la Commission des finances.
M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la Commission des finances. Le répertoire national commun de la protection sociale, instauré par les lois de financement de la sécurité sociale pour 2007 et 2008, ne concerne que les régimes de base. L’amendement a pour objet de l’ouvrir aux régimes complémentaires, ce qui permettra de sécuriser l’échange des données, d’améliorer leur qualité et d’éviter les fraudes.
M. le rapporteur. Il s’agit d’une demande formulée par l’AGIRC-ARRCO pour sécuriser sa participation au répertoire commun au regard des exigences de la CNIL. Avis favorable à cet excellent amendement.
M. le ministre. Même avis.
La Commission adopte l’amendement AS 490.
Article additionnel après l’article 3
Échanges entre régimes concernant les pensions de réversion
Puis, elle examine ensuite l’amendement AS 408 du rapporteur.
M. le rapporteur. Dans la continuité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, l’amendement vise à multiplier les échanges entre les différents régimes, afin de faciliter la liquidation des pensions de réversion. Cet amendement, de nature technique, favorisera la convergence des régimes et simplifiera la vie des assurés.
M. le ministre. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement AS 408.
Article additionnel après l’article 3
Création d’un répertoire de gestion des carrières unique
Elle examine ensuite l’amendement AS 409 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement, en apparence très technique, prévoit une innovation très importante qui consiste à instaurer un répertoire unique de gestion des carrières, confié à la CNAV. Cette mesure facilitera en particulier la liquidation des retraites des polypensionnés.
M. le ministre. Avis favorable.
M. Pascal Terrasse. Le président du conseil de surveillance de la CNAV soutient cet amendement relatif aux polypensionnés, dont nous devrons examiner la situation de très près : la proratisation du temps passé dans chaque régime est une véritable catastrophe pour de nombreux bénéficiaires, qui tombent des nues, lorsqu’ils découvrent le montant de leur pension. La proratisation n’a pas de sens, car elle pénalise considérablement ceux qui relèvent de régimes différents, en particulier les régimes alignés. Nous avons déposé des amendements à destination des futurs polypensionnés, mais il faudra aussi s’intéresser à ceux qui ont déjà subi les effets de la réforme de 2003 – il pourrait être nécessaire d’opérer un retour en arrière.
La Commission adopte l’amendement AS 409.
Puis elle examine l’amendement AS 491 de la Commission des finances.
M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Dans un but de simplification et de sécurisation, l’amendement propose de modifier la base de référence utilisée pour les pensions de réversion. Sur proposition de la CNAV, il s’agirait de reprendre les mêmes nomenclatures que celles des caisses d’allocations familiales.
M. le rapporteur. Cette solution permettrait sans doute de simplifier les processus, mais je vois mal comment elle pourrait s’appliquer aux pensions de réversion. On se heurte, dans ce domaine, à de sérieux obstacles techniques. Le ministre pourrait-il nous indiquer où en sont les travaux engagés sur cette question ?
M. le ministre. L’idée est bonne, mais il y a un problème de décalage dans le temps de l’information transmise à l’administration en matière fiscale ; en outre, on ne connaît pas nécessairement les ressources des foyers non imposables. Je suggère de retirer l’amendement pour continuer le travail sur ce sujet.
M. Alain Vidalies. Cette proposition est peut-être sympathique, mais elle manque de réalisme. Par ailleurs, elle n’est pas à la hauteur des problèmes qu’a provoqués la loi de 2003. Vous disiez hier, monsieur le président, que la majorité avait amélioré les pensions de réversion. Or, elle a surtout changé leur nature : elles ne constituent plus un droit, mais une allocation différentielle, ce qui change tout.
Au plan technique, la référence à des données fiscales ne correspond pas nécessairement au champ du décret nécessaire : le calcul du montant de la pension de réversion impose de prendre en compte un certain nombre de données qui n’entrent pas toutes dans le champ fiscal. Les sommes à déduire ont d’ailleurs fait l’objet de vifs débats : le champ très large du décret initialement prévu a suscité une telle mobilisation qu’il a fallu adopter un autre texte.
En tout cas, ce que vous proposez n’est pas compatible avec le système instauré en 2003.
M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Je retire l’amendement, quitte à ce qu’il soit redéposé dans le cadre de l’article 88 si nous parvenons à trouver une solution adaptée.
L’amendement AS 491 est retiré.
Article additionnel après l’article 3
Mensualisation des pensions
La Commission examine ensuite l’amendement AS 492 rectifié de la Commission des finances.
M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à mensualiser les pensions aujourd’hui versées par certains régimes de façon trimestrielle, ce qui permettra notamment de prévenir le surendettement. Pour éviter les problèmes de trésorerie, il faut mensualiser aussi bien les dépenses que les recettes. Afin de passer le cap de l’article 40, l’amendement ne porte que sur les pensions à échoir, mais on pourrait utilement aller plus loin en le retravaillant avec le Gouvernement.
M. le rapporteur. Avis très favorable. Cet amendement faciliterait la vie de nombreuses personnes.
M. le ministre. Avis favorable, étant entendu que seules les pensions à échoir sont concernées.
La Commission adopte l’amendement AS 492 rectifié.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 493 de la Commission des finances.
M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Pour faire suite au rapport présenté en janvier dernier par le COR, la Commission des finances a adopté à l’unanimité cet amendement, qui demande au Gouvernement de présenter un rapport sur un passage éventuel d’un système de répartition à un système en comptes notionnels ou par points. Je crois savoir que d’autres amendements de même nature ont été déposés.
M. le rapporteur. Il me semble que le rapport du COR était suffisamment précis et approfondi. Nous disposons aujourd’hui de tous les éléments techniques nécessaires pour prendre éventuellement une décision politique dans ce domaine. Pour le moment, la majorité a préféré se concentrer sur le rétablissement de l’équilibre financier. Avis défavorable.
M. le ministre. Nous avons déjà abordé cette question, lorsque nous avons examiné les amendements déposés par M. Préel. Avis défavorable.
M. Jean-Marie Le Guen. Ce n’est pas une simple question de détail. Le passage à un système en comptes notionnels ou par points ne pourra pas se décider en un jour. C’est un processus très compliqué et très long qui nécessitera une véritable volonté politique.
On ne cesse de nous expliquer que les parcours professionnels sont de plus en plus changeants et les statuts de plus en plus divers. Nous avons, par ailleurs, adopté des amendements tendant à améliorer l’information des assurés. Or, il n’y aura pas d’information vraiment claire et lisible en l’absence d’un système par points ou en comptes notionnels. Il faut donc ouvrir le débat. Ce projet de loi ne propose malheureusement pas d’orientations à moyen et à long termes : il se concentre sur un prétendu équilibrage qu’il faudrait réaliser, alors que nous ne disposons même pas des comptes financiers. C’est une non-réforme et un cache-misère !
La Commission rejette l’amendement AS 493.
La Commission examine l’amendement AS 39 de M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Cet amendement de bon sens précise que pour siéger au conseil d’administration d’un régime, il faut y être affilié.
M. le rapporteur. La présence des organisations syndicales au sein des conseils d’administration est non seulement légitime, elle est indispensable. Avis défavorable.
M. le ministre. Il revient aux partenaires sociaux de désigner, comme ils l’entendent, leurs représentants.
M. Dominique Tian. Certes, mais il est préférable qu’ils appartiennent au régime.
La Commission rejette l’amendement AS 39.
Elle examine ensuite l’amendement AS 68 de M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Cet amendement vise à instituer un « rendez-vous Assurance maladie 2013 », à l’instar des « rendez-vous Retraite ».
M. le rapporteur. Nul ne conteste la nécessité de rétablir les comptes de l’assurance maladie parallèlement à ceux de l’assurance vieillesse, mais cet amendement n’entre pas dans le cadre du projet de loi que nous étudions. En outre, on ne peut comparer le pilotage de la branche maladie avec celui de la branche vieillesse, dont les paramètres sont de nature très différente. Enfin, il existe déjà plusieurs dispositifs permettant de faire le point chaque année de la situation de l’assurance maladie et de prendre, le cas échéant, des mesures correctrices, dispositifs que le Gouvernement entend renforcer, conformément aux recommandations du récent rapport de M. Raoul Briet.
M. le ministre. Ce rendez-vous n’est pas le sujet du projet de loi.
M. Roland Muzeau. Nous avons rendez-vous en 2012 avec les Français !
M. Jean-Marie Le Guen. On nous explique que le sujet du projet de loi est essentiellement l’équilibre des comptes sociaux, en l’occurrence des retraites. J’ai déjà indiqué qu’il ne contenait pas les éléments d’une réforme globale. Si nous allons vers un équilibre des comptes sociaux, l’amendement de Dominique Tian est recevable. Pour ma part, je pense qu’il n’y a pas de raison particulière d’attendre 2013 et je propose de fixer ce rendez-vous à 2011.
La Commission rejette l’amendement AS 68.
L’amendement AS 209 n’est pas soutenu.
Elle examine ensuite l’amendement AS 214 de M. Lionel Luca.
Mme Gabrielle Louis-Carabin. La complexité et la multitude des régimes de retraite créent chez nos concitoyens un sentiment d’incompréhension, d’inquiétude et d’inégalité. Pour y remédier, il convient d’uniformiser de façon progressive les durées de cotisation, les taux et l’âge des départs en retraite dans les régimes du secteur privé et de la fonction publique, en créant un consortium de gestion unique.
M. le rapporteur. L’article 1er crée un comité de pilotage qui répond parfaitement aux préoccupations exprimées par cet amendement. Celui-ci est donc satisfait.
M. le ministre. Nous avons en effet adopté un amendement visant à rapprocher les règles et des paramètres cités.
L’amendement AS 214 est retiré.
Chapitre II
Durée d’assurance ou de services et bonifications
Article 4
(article 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites)
Modalité d’allongement de la durée d’assurance jusqu’en 2020
L’article 4 du projet de loi modifie l’article 5 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites sur deux points : d’une part, la simplification du dispositif d’allongement automatique de la durée d’assurance (32) en fonction de l’allongement de l’espérance de vie ; d’autre part, l’aménagement du principe de garantie générationnelle compte tenu du décalage à 62 ans de l’âge d’ouverture des droits.
L’article 5 de la loi de 2003 en constitue l’une des pièces maîtresses, dans la mesure où elle a posé le principe, jusqu’en 2020, d’un allongement de la durée d’assurance parallèle à l’allongement de la durée moyenne de retraite.
Ce principe est explicité au I de l’article 5, qui indique que « la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une pension de retraite au taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d’une pension civile ou militaire de retraite (…) évoluent de manière à maintenir constant, jusqu’en 2020, le rapport constaté, à la date de publication de la présente loi, entre ces durées et la durée moyenne de retraite ». En 2003, le rapport entre durée d’assurance et durée moyenne de retraite était en l’occurrence de 1,79.
Après la convergence des durées de référence du secteur privé et de la fonction publique à quarante annuités en 2008, la loi prévoyait au III de l’article 5 de majorer la durée d’assurance d’un trimestre par an entre 2009 et 2012 pour atteindre quarante et une annuités en 2012. Cette majoration a été confirmée lors du rendez-vous de 2008, après l’avis rendu par la Commission de garantie des retraites en octobre 2007 qui a pu vérifier, au vu des données de l’INSEE sur l’espérance de vie disponibles en octobre 2007, que le rapport entre durée d’assurance et durée moyenne de retraite atteignait bien une valeur proche de 1,79 pour l’année 2012 avec une durée d’assurance portée à quarante et une annuités
À partir de 2012, l’objectif reste de maintenir constant le rapport entre durée d’assurance et durée moyenne de retraite à sa valeur de 2003. Un trimestre supplémentaire serait donc requis chaque fois que le rapport descendrait au-dessous de sa valeur cible du fait de l’allongement de l’espérance de vie. A cet effet, le IV de l’article 5 prévoyait des rendez-vous quadriennaux qui acteraient les allongements ultérieurs de la durée d’assurance.
Ainsi, un rendez-vous était prévu en 2012, sur la base d’un rapport du Gouvernement faisant « apparaître, selon des modalités de calcul précisées par décret en Conseil d’État, l’évolution prévisible, pour les cinq années à venir, du rapport entre la durée d’assurance ou la durée de services et bonifications et la durée moyenne de retraite », au cours duquel aurait été fixé la durée d’assurance pour les années 2013, 2014, 2015 et 2016. Des avis, publics, du COR et de la Commission de garantie des retraites étaient également prévus.
Un rendez-vous identique était planifié en 2016, au cours duquel auraient été fixées les durées d’assurance et de services pour les années 2017, 2018, 2019 et 2020.
Ce dispositif, s’il avait le mérite de prévoir une mise en œuvre transparente du principe posé par l’article 5, avait néanmoins deux défauts.
D’une part, il était potentiellement anxiogène car il obligeait à des rendez-vous quelque peu solennels alors même qu’il ne s’agissait que de l’application mathématique d’une règle posée par le législateur. Les Français sont aujourd’hui suffisamment inquiets pour le système de retraite pour ne pas créer, artificiellement, des rendez-vous sans véritable enjeux.
D’autre part, le système de rendez-vous quadriennaux était peu satisfaisant en termes de prévisibilité pour les assurés : les personnes atteignant 60 ans en 2013 ou 2017 n’auraient su qu’en 2012 ou 2016 s’ils devraient ou non cotiser un trimestre de plus pour bénéficier d’une pension au taux plein.
Le 1° de l’article 4 réécrit donc complètement le IV de l’article 5 de la loi de 2003. Le principe posé est que les assurés devront savoir dès 56 ans le nombre de trimestres qu’il leur faudra accumuler pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein.
Ainsi, chaque année, un décret sera pris fixant pour l’année n+4 la durée d’assurance nécessaire. Par exemple, pour les assurés nés en 1957 et atteignant donc 60 ans en 2017, le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite au taux plein sera fixé par un décret pris avant le 31 décembre 2013, c’est-à-dire avant la fin de leur 56ème année.
Un dispositif transitoire est prévu pour les générations nées en 1953 et 1954 qui ont, bien sûr, déjà dépassé leur 56ème année. Pour celles-ci, un décret fixant la durée d’assurance ou de services nécessaire sera pris avant le 31 décembre 2010.
Concernant le dispositif pérenne, il est prévu que le décret soit pris après avis du COR. L’objectif est de rendre la procédure absolument irréprochable en demandant à une instance indépendante du Gouvernement de valider ses calculs. La commission a souhaité préciser que cet avis serait purement technique, comme l’était celui de la commission de garantie des retraites.
Par ailleurs, la réécriture du IV de l’article 5 rend caduc le IX de ce même article qui prévoyait, avant les rendez-vous quadriennaux supprimés, l’organisation d’« une conférence tripartite rassemblant l’État, les représentants des salariés et les représentants des employeurs pour examiner les problématiques liées à l’emploi des personnes de plus de cinquante ans. » Dans la mesure où le nouveau Comité de pilotage des régimes de retraite a notamment pour mission de suivre la progression du taux d’emploi des seniors, ces conférences semblent inutiles, et la commission a décidé de les supprimer.
Au-delà du principe posé par la loi de 2003 et rappelé ci-dessus, les modalités concrètes de calcul de la durée d’assurance sont relativement complexes. Elles sont rappelées dans l’encadré ci-dessous.
Modalités de calcul de la durée d’assurance
Plusieurs étapes sont nécessaires pour calculer le rapport entre durée d’assurance et durée moyenne de retraite pour une année n donnée, lequel sert à déterminer la durée d’assurance exigée pour les personnes qui atteignent l’âge minimum de liquidation des droits (60 ans en général) durant l’année n.
La première étape est de déterminer l’espérance de vie à 60 ans retenue pour l’année n : Bien que la durée d’assurance s’applique à la génération qui atteint 60 ans l’année n, l’espérance de vie retenue pour estimer la durée espérée de retraite ne correspond pas à une prévision de l’espérance de vie de cette génération, mais à une espérance de vie instantanée au moment où cette génération atteint l’âge de la retraite. La loi de 2003 instaure en outre un décalage temporel : l’espérance de vie retenue correspond, selon les termes de la loi, à « l’espérance de vie à l’âge de 60 ans telle qu’estimée cinq ans auparavant ». Le législateur a souhaité se fonder sur des données observées sur l’espérance de vie plutôt que sur des données projetées, susceptibles d’être révisées.
En pratique, le décalage temporel excède cinq ans. En effet, pour calculer le rapport « durée d’assurance » sur « durée de retraite » pour l’année n, la loi conduit à utiliser les dernières données définitives sur l’espérance de vie publiées par l’INSEE en n-5. Or, compte tenu du délai de production des données statistiques, l’INSEE publie en général durant l’année n-5 les données définitives sur l’espérance de vie portant sur les années n-9 à n-7 (l’INSEE recourt à une moyenne mobile sur trois ans afin de lisser les aléas). Au total, le décalage temporel atteint environ huit ans.
L’étape suivante consiste à déterminer la durée moyenne de retraite : celle-ci est déduite de l’espérance de vie à 60 ans en considérant une personne qui débuterait son activité à 20 ans et qui travaillerait continûment jusqu’à atteindre la durée exigée pour le taux plein. En effet, selon les termes de la loi de 2003, « la durée moyenne de retraite s’entend (…) de l’espérance de vie à l’âge de 60 ans telle qu’estimée cinq ans auparavant, dont est retranché l’écart existant » entre la nouvelle durée d’assurance applicable cette année-là et 40 ans (durée d’assurance de référence en 2003).
La durée moyenne de retraite est égale à l’espérance de vie à 60 ans applicable à l’année considérée (notée y) dont on retranche l’écart (x-40) entre la durée d’assurance (notée x) et la durée d’assurance de référence (40 ans), écart qui est interprété ici comme la prolongation d’activité au-delà de 60 ans : soit une durée moyenne de retraite égale à (y-x+40). Le rapport entre la durée d’assurance requise pour le taux plein et la durée moyenne de retraite vaut ainsi x/(y-x+40).
Pour l’année de référence 2003, le calcul repose sur le cas d’une personne travaillant de 20 à 60 ans, de sorte que la durée moyenne de retraite correspond à l’espérance de vie retenue pour l’année 2003 (compte tenu du décalage temporel, il s’agit de l’espérance de vie des années 1994 à 1996, qui était de 22,39 ans).
La valeur cible du ratio, à savoir 1,79 pour l’année 2003, correspond ainsi au ratio entre la durée d’assurance exigée en 2003 (40 ans) et l’espérance de vie retenue pour 2003
Le COR s’est livré à un exercice de projection tenant compte des dernières projections INSEE 2005-2050. Ainsi, la durée d’assurance requise pour le taux plein serait relevée d’un trimestre tous les trois ou quatre ans pour atteindre 41,5 annuités en 2020 et 43,5 annuités en 2050, comme le montre le graphique ci-dessous :
Les 2° et 3° de l’article 4 aménagent le principe de garantie générationnelle posé aux V et VI de l’article 5 la loi de 2003 et réaffirmé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, principe simple puisqu’il revient à donner à l’assuré la certitude que, s’il retarde son départ en retraite pour telle ou telle raison, les règles ne changeront pas en sa défaveur. Le 2° concerne le régime général et les régimes alignés, le 3° les régimes de la fonction publique.
La perspective d’un allongement de la durée d’assurance requise pour percevoir une retraite à taux plein peut inciter des assurés à liquider dès que possible leur pension alors même qu’ils étaient disposés à poursuivre leur activité professionnelle.
Pour écarter ce risque, le législateur, dès 2003, a prévu que cette durée d’assurance ne serait plus susceptible de varier dès lors que l’assuré atteindrait l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite prévu par le premier alinéa de l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, soit 60 ans en l’état du droit.
Par exemple, pour un assuré né en 1948 liquidant sa pension à 64 ans en 2012, on lui appliquera la durée d’assurance applicable à 60 ans à sa génération (durée d’assurance requise de 160 trimestres) ; il ne sera donc pas concerné par l’allongement de la durée d’assurance entre 2008 et 2012 de 160 à 164 trimestres.
Ce principe a été étendu par l’article 109 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 à la durée d’assurance maximale susceptible d’être validée auprès de chaque régime et au nombre d’années retenu pour déterminer le revenu annuel moyen sur lequel la pension est calculée dans les régimes de salariés et des artisans – commerçants.
Aujourd’hui donc, la durée d’assurance requise et le nombre d’années de salaires retenu pour calculer la pension sont ceux en vigueur l’année durant laquelle l’assuré atteint l’âge d’ouverture du droit à une pension. Mais, en raison des modalités retenues pour l’évolution de cet âge, tous les assurés d’une même génération n’atteindront pas cet âge la même année civile, avec à la clef le risque de se voir appliquer des paramètres différents en terme de durée d’assurance et / ou de revenu annuel moyen.
Par ailleurs, le maintien de cette référence à l’âge d’ouverture des droits aurait obligé à prévoir un mécanisme transitoire particulièrement complexe entre 2011 et 2016.
C’est pourquoi le 2° de l’article 4 propos de remplacer la référence à l’âge d’ouverture du droit à pension par la référence à l’âge de 60 ans (c’est-à-dire « l’âge mentionné au troisième alinéa du I »). Non seulement la garantie générationnelle n’est donc pas remise en cause par le projet de loi mais elle est même renforcée puisque ce n’est plus une fois qu’ils atteignent l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite que les assurés auront la garantie que les paramètres susmentionnés deviendront définitifs, mais dès 60 ans même si l’âge auquel ils peuvent partir est supérieur.
Cette évolution est positive pour les assurés car elle les protège d’une évolution « potentielle » du nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une retraite au taux plein. Ainsi, pour un assuré né en 1956, ne pouvant donc partir à la retraite qu’en 2018 compte tenu de la remontée de l’âge d’ouverture des droits, on prendra la durée d’assurance fixée pour la génération atteignant soixante ans en 2016, quand bien même cette durée d’assurance serait rallongée en 2017 ou 2018.
Pour les assurés relevant des régimes de la fonction publique, le VI de l’article 5 met en œuvre un dispositif de garantie qui fonctionne par référence à l’année d’ouverture des droits et non par référence à la génération de l’assuré : la durée de service exigée pour obtenir le pourcentage maximum de pension est celle en vigueur l’année au cours de laquelle le fonctionnaire remplit les conditions d’ouverture des droits à pension en application des articles L. 24 et L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite.
Ce dispositif met en œuvre un mécanisme de garantie adapté aux différentes possibilités de départ avant 60 ans existant dans la fonction publique :
– pour un fonctionnaire sédentaire, dont les droits sont ouverts à 60 ans, la durée d’assurance applicable est celle en vigueur l’année des 60 ans : ainsi un fonctionnaire sédentaire né en 1948 se voit appliquer la durée applicable en 2008, soit 160 trimestres ; s’il liquide sa pension après 2008, la durée d’assurance retenue reste celle applicable en 2008 ;
– pour un fonctionnaire en catégorie active, la durée d’assurance applicable est celle en vigueur l’année au cours de laquelle il atteint les conditions d’âge et de durée pour liquider sa pension, en fonction de sa catégorie : par exemple, un gardien de la paix qui remplit les conditions de départ en retraite à 50 ans en 2010, se voit appliquer la durée d’assurance applicable en 2010 (162 trimestres), même s’il prolonge son activité au-delà ;
– enfin, pour un fonctionnaire remplissant les conditions de départ sans condition d’âge pour motif familial (par ex. départ anticipé des parents de trois enfants), la durée d’assurance est celle applicable l’année au cours de laquelle il remplit ces conditions : par exemple, un fonctionnaire parent de trois enfants en 2002, ayant accompli à cette date quinze ans de service, se verra appliquer les paramètres applicables en 2002, quelle que soit la date effective de départ en retraite.
Comme on l’a vu, le projet de loi maintient dans le régime général le mécanisme de garantie générationnelle à 60 ans : la durée d’assurance applicable est celle applicable à 60 ans à sa génération, même si l’âge d’ouverture des droits est supérieur à 60 ans.
Pour les fonctionnaires, cette mesure suppose, en équité, de leur appliquer aussi le mécanisme de garantie générationnelle à 60 ans : c’est l’objet du a) du 3° de l’article 4 qui prévoit qu’on applique aux fonctionnaires la durée applicable l’année de leur soixante ans.
Dans le cas contraire, les fonctionnaires seraient pénalisés par rapport aux assurés du régime général dans la mesure où, pour eux, le relèvement de l’âge d’ouverture se doublerait d’un relèvement plus important de la durée d’assurance.
Par exemple, un assuré du régime général et un fonctionnaire nés tous les deux le 1er octobre 1951 ne pourront pas liquider leur pension avant 60 ans et quatre mois, c’est-à-dire pas avant le 1er février 2012. En l’absence de modification du VI de l’article 5 en cohérence avec celle proposée pour le V, le fonctionnaire se verrait appliquer la durée d’assurance requise l’année à compter de laquelle il remplit les conditions d’ouverture du droit, c’est-à-dire 2012 (soit 164 trimestres) alors que l’assuré du régime général se verrait appliquer la durée d’assurance requise l’année de ses 60 ans, c’est-à-dire 2011 (soit 163 trimestres).
Pour les fonctionnaires qui peuvent liquider leur pension avant 60 ans, il n’est néanmoins pas possible d’appliquer la durée d’assurance applicable l’année de leurs 60 ans car cette durée d’assurance ne sera pas toujours connue au moment où le fonctionnaire liquidera sa pension.
En effet, le 1° de l’article 4 prévoit que pour chaque génération, la durée d’assurance applicable à 60 ans est fixée l’année où cette génération atteint 56 ans. Or pour certains fonctionnaires, l’âge d’ouverture peut être inférieur à 56 ans : c’est le cas par exemple des agents des réseaux souterrains des égouts, de la plupart des services actifs de la police nationale et des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire dont l’âge d’ouverture est fixé aujourd’hui à 50 ans et qui sera progressivement porté à 52 ans.
Pour ces fonctionnaires l’application de la règle générationnelle ne peut pas, en pratique, leur être rendue applicable car l’année où ils prendront leur retraite, la durée d’assurance applicable à leur 60 ans ne sera pas encore fixée.
Par exemple, pour un agent des réseaux souterrains des égouts né le 1er janvier 1962, la liquidation de la pension pourra intervenir à partir de 50 ans et 8 mois, soit à partir du 1er août 2012. Or à cette date, la durée d’assurance qui sera applicable à ses 60 ans ne sera pas encore fixée : elle ne sera fixée qu’en 2018.
Il convient donc, pour ces personnels, de maintenir une garantie fonctionnant par référence à l’année d’ouverture : c’est l’objet du b) du 3° qui prévoit que lorsqu’un fonctionnaire peut liquider sa pension avant 60 ans, la durée d’assurance qui lui est applicable est celle retenue pour les fonctionnaires qui atteignent 60 ans cette année là.
Ainsi, pour l’agent des réseaux souterrains des égouts né le 1er janvier 1962 et dont la liquidation de la pension pourra intervenir à partir du 1er août 2012 (à 50 ans et 8 mois), la durée d’assurance applicable sera celle applicable aux assurés qui atteignent 60 ans en 2012 c’est-à-dire 164 trimestres.
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M. Roland Muzeau. Je rappelle que l’effort prévu par la réforme reposera à 85 % sur les épaules des salariés. Cet article est particulièrement discriminant pour les personnes nées en 1953 et 1954, dans la mesure où il permet de déroger aux dispositions qui imposent de prévoir quatre ans à l’avance la durée d’assurance ou de services et les bonifications qui fixent les conditions du départ en retraite, ainsi qu’à l’information des agents concernés. Nous proposons donc de le supprimer.
M. le rapporteur. L’article 4 simplifie le dispositif d’allongement de la durée de cotisation prévu par la loi Fillon pour le rendre plus lisible et permettre aux assurés de connaître leurs droits le plus tôt possible. Avis défavorable.
M. le ministre. Même avis.
La Commission rejette l’amendement AS 103.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 69 de M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Je regrette que l’application stricte de l’article 40 nous prive d’un beau débat sur les régimes spéciaux, les départs à la retraite anticipée, l’équilibre entre les sédentaires et les actifs, débat qui nous aurait permis d’apporter de l’équité à notre système de retraite.
M. Roland Muzeau. Comme le bouclier fiscal !
M. Dominique Tian. Il convient de s’assurer que l’avis du COR n’est qu’un avis technique. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le rapporteur. Je partage l’esprit de cet amendement, mais je suggère à Dominique Tian de le retirer, car il est satisfait par l’amendement AS 419 que nous examinerons dans quelques instants et dont il pourrait être cosignataire.
L’amendement AS 69 est retiré.
La Commission adopte l’amendement rédactionnel AS 436 du rapporteur.
Puis, elle examine l’amendement AS 419 du rapporteur.
M. le rapporteur. L’article 5 de la loi du 21 août 2003 pose le principe d’un allongement de la durée d’assurance en fonction des gains d’espérance de vie à 60 ans.
Le projet de loi prévoit de simplifier la procédure. Pour les générations nées à compter du 1er janvier 1955, la durée d’assurance permettant de maintenir constant le rapport entre le temps de travail et le temps de retraite est fixée par décret « pris après avis du Conseil d’orientation des retraites ».
Pour éviter toute ambiguïté, il faut s’assurer que l’avis du COR ne soit qu’un avis technique portant sur l’évolution des durées d’assurance et de la durée moyenne de retraite calculée, aux termes du 3ème alinéa du I de l’article 5 de la loi de 2003, à partir de l’espérance de vie.
M. le ministre. Avis favorable.
Mme Martine Billard. Je suis impressionnée par une telle innovation ! Qu’est-ce qu’un avis « technique » s’agissant de « durée d’assurance ou de services et bonifications » ? En clair, vous privez le COR du droit d’émettre des avis.
M. le rapporteur. Non, il n’y a aucun changement.
Mme Martine Billard. Si vous ajoutez « technique », ce n’est pas un hasard !
M. le rapporteur. Son rôle consiste à poser une question.
Mme Martine Billard. Hier, M. Woerth nous expliquait que le COR n’était qu’un conseil technique, ce qui suppose que le comité de pilotage, lui, peut être politique. En bref, vous interdisez au COR de faire de la politique.
M. le rapporteur. Le COR n’a pas vocation à faire de la politique !
Mme Martine Billard. Tout est politique, monsieur le Rapporteur ! Quand le COR remet un avis sur l’évolution des systèmes de retraite, cela ne peut être uniquement technique, même si ses avis s’appuient sur des supports techniques émanant de l’INSEE, de l’INED ou des différents régimes. Si ses conclusions sont uniquement techniques, il n’est pas en mesure de présenter au Parlement et au Gouvernement des estimations contradictoires. Vous voulez corseter le COR, et sur ce point, nous sommes en désaccord… Il y a bien une volonté politique derrière cet amendement, sans laquelle il ne présente aucun intérêt.
Mme Marisol Touraine. Je ne comprends pas la portée de cet amendement. Qu’entend-il clarifier ? Existe-t-il une ambiguïté quant au rôle du COR ? Il n’a jamais été dit que le Gouvernement était tenu de suivre ses avis. Le COR réalise des études dont le Gouvernement se sert pour faire des propositions. Si nous adoptons cet amendement, qu’est-ce qui était possible hier et ne le sera plus demain ?
M. le rapporteur. Le COR assumera désormais les tâches de la Commission de garantie des retraites, qui est supprimée. Cet amendement a pour objet de protéger le COR, qui n’a pas pour mission de valider des éléments comme la durée de cotisation, mais de donner un avis technique sur l’évolution des durées d’assurance et de retraite.
M. Roland Muzeau. Ne soyons pas naïfs, ces amendements ne sont pas anodins. N’y a-t-il pas un lien de cause à effet entre eux et ce qui s’est passé il y a quelques mois, lorsque le MEDEF a commandé au COR une étude avec des objectifs précis – demande qui n’a pas été couronnée de succès ? Je pense sincèrement que la modification que vous proposez n’est pas anodine et qu’elle vise à rendre possible ce qui ne l’était pas hier.
M. le rapporteur. La suppression de la Commission de garantie des retraites donne de nouvelles missions au COR. Loin de nous l’idée de le corseter. Nous sommes trois ici à siéger au COR : Jean-Luc Préel, Pascal Terrasse et moi-même. Tout membre constituant le COR peut l’autosaisir sur une question qu’il souhaite voir examiner, mais toutes les demandes ne peuvent être satisfaites. J’ajoute que le COR fait un excellent travail de fond. Je rappelle que son renouvellement, en 2003, fut la seule disposition votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.
La Commission adopte l’amendement AS 419.
Puis, elle adopte l’amendement rédactionnel AS 437 du rapporteur.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 104 de Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Cet amendement vise à supprimer la dérogation pour les personnes nées en 1953 et 1954. Il n’y a pas de raison de déroger d’emblée à des règles que nous venons d’adopter.
M. le rapporteur. Les personnes nées en 1953 et 1954 ne pourront connaître la durée d’assurance qui leur est nécessaire que fin 2012. La réforme leur permettra de la connaître dès la fin de cette année. Avis défavorable.
M. le ministre. Même avis.
La Commission rejette l’amendement AS 104.
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 438, AS 439 et AS 440 du rapporteur, ainsi que l’amendement AS 420 de cohérence rédactionnelle.
Puis, elle adopte l’article 4 ainsi modifié.
La Commission examine l’amendement AS 242 de Mme Marisol Touraine.
Mme Marisol Touraine. Contrairement à ce qu’affirment le Gouvernement et la majorité, les socialistes préconisent des mesures démographiques, car nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de l’allongement de l’espérance de vie. Cet amendement illustre l’esprit dans lequel nous avons choisi ces mesures.
Mme Valérie Rosso-Debord. Quel virage !
Mme Marisol Touraine. Votre remarque prouve que vous n’avez pas lu le document que nous avons diffusé. Je vais donc vous expliquer notre position.
L’allongement de la durée de cotisation n’est pas la seule mesure démographique que nous proposons. D’ailleurs, elle ne nous paraît pas suffisante et atteindra vite ses limites – on ne peut pas allonger à l’infini une durée de cotisation. Nous acceptons l’allongement de la durée de cotisation jusqu’en 2020 à partir du moment où il s’inscrit dans le cadre d’une réforme globale comprenant la recherche de ressources nouvelles et la mise à contribution des revenus du capital. Nous ne donnons pas pour autant un blanc-seing à la réforme de 2003.
La réforme que nous proposons est équilibrée jusqu’en 2025, mais nous n’excluons pas la possibilité de poursuivre au-delà l’allongement de la durée de cotisation. C’est la raison pour laquelle, par cet amendement, nous proposons de prévoir un rendez-vous en 2025.
Considérant que la règle de répartition « deux tiers/un tiers » – deux tiers consacrés à la vie active, un tiers à la retraite – est trop stricte, nous préconisons de la porter à 50/50 – la moitié du temps gagné par l’espérance de vie consacré au travail, la moitié à la retraite.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Cet amendement est cohérent avec le souhait du groupe SRC de reporter le retour à l’équilibre de 2018 à 2025. Nous refusons ce report.
M. le ministre. Nous sommes tout aussi cohérents, préférant l’année 2018.
Mme Valérie Rosso-Debord. Avec sept années de retard, le groupe socialiste donne raison à François Fillon et admet qu’il ne faut pas revenir sur la réforme de 2003 !
La Commission rejette l’amendement AS 242.
Puis, elle examine les amendements AS 243 et AS 363 de Mme Marisol Touraine.
Mme Marisol Touraine. Nous avons déposé une série d’amendements visant à inscrire dans la loi un nouveau titre : « Droit à la retraite choisie », dont beaucoup ont été écartés au titre de l’article 40. Il en reste toutefois quelques-uns, que je vais vous présenter. Contrairement à ce que pense la majorité, nous ne préconisons pas que tous les Français cessent de travailler à 60 ans, et nous ne nions pas la valeur du travail. Nous le considérons au contraire comme l’un des éléments constitutifs de l’utilité sociale de chacun.
Il va de soi que nos concitoyens devront travailler plus longtemps, et il est souhaitable qu’un nombre important d’entre eux travaille au-delà de l’âge légal de départ. Mais nous préférons proposer, et non pas imposer. Tel est le sens de la « retraite choisie » que nous déclinons par une série de mécanismes – surcotes, incitations…
Vous dites que notre seul horizon en matière de retraite est l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans. C’est faux, nous disons simplement que le maintien de l’âge légal est une protection et une liberté. Nous souhaitons que tous ceux qui peuvent ou qui souhaitent travailler plus longtemps, parce qu’ils n’ont pas effectué de travaux pénibles, puissent poursuivre leur activité.
Vous affirmez que les socialistes ne proposent pas de mesures démographiques. C’est faux, mais elles reposent sur le libre choix et l’arbitrage. Et je n’accepte pas les critiques d’un groupe politique qui n’a que le mot « liberté » à la bouche et qui accuse les socialistes de faire de l’égalitarisme systématique !
M. le rapporteur. J’avoue que je comprends mal l’expression « retraite choisie ». Dans le système actuel, les assurés peuvent choisir de partir à 60 ans – 62 ans en 2016. Dans l’attente de quelques éclaircissements, j’émets un avis défavorable.
M. le ministre. La « retraite choisie » existe déjà dans le système français. Chacun a le droit de partir à la retraite à 60 ans, à partir du moment où il en remplit les conditions, ou, plus tard, si son parcours personnel le lui permet.
Instaurer la retraite choisie mettrait fin aux retraites d’office, auxquelles d’ailleurs vous n’étiez pas favorables. La surcote est également une forme de retraite choisie.
Quant à la décote, elle accompagne inévitablement la possibilité de partir plus tôt. Dans les pays qui l’ont instaurée, elle atteint parfois des niveaux très importants. Le Gouvernement considère que ce dispositif augmenterait le nombre des petites pensions. Il ne saurait faire un tel choix. Même si le terme de « retraite choisie » nous convient, nous ne sommes pas favorables à vos amendements.
M. Arnaud Robinet. J’ai du mal à comprendre cette notion de « retraite choisie », ou retraite « à la carte », qui met à mal notre système par répartition et la notion de solidarité intergénérationnelle. Ce que vous proposez, chère collègue, c’est purement et simplement un système individuel, par capitalisation, dans lequel chacun prend sa retraite quand il le souhaite.
M. Roland Muzeau. Votre majorité a déjà beaucoup contribué à faire sauter tous les verrous. Dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, vous nous avez imposé le report de 65 à 70 ans de la mise à la retraite d’office.
M. le ministre. Dans le secteur privé !
M. Roland Muzeau. Je me souviens fort bien des arguments que vous aviez avancés, en particulier ceux de notre collègue Yves Bur, qui n’est pas innocent en la matière. Ce sont les mêmes qui justifient la surcote, la décote et le fait de gagner plus à partir d’un certain âge. Cela n’a rien à voir avec un système solidaire et intergénérationnel ! C’est une avancée résolue vers un système totalement individualisé, dans lequel chacun perçoit selon ce qu’il a payé. Cette réforme aboutira à une individualisation totale, sous le vocable de solidarité, de notre système de retraite.
M. Jean Leonetti. J’écoute toujours avec un grand intérêt ce que dit Marisol Touraine. J’ai compris deux choses : d’une part, elle découvre ce qui existe et elle y est favorable ; d’autre part, si jusqu’à présent le Parti socialiste était attaché à la retraite à 60 ans pour tous et à taux plein, il semble qu’il soit passé à autre chose…
Marisol Touraine constate que la retraite choisie existe déjà dans notre pays. Elle interpelle Arnaud Robinet, qui défend pourtant notre système par répartition, donc solidaire. En prônant la retraite choisie, le groupe socialiste accepte l’idée selon laquelle on peut travailler au-delà de 60 ans, considérant que c’est la meilleure façon d’allier souplesse et solidarité. J’en prends acte. Le groupe UMP est très satisfait de cette évolution.
M. Michel Issindou. Nous ne demandons pas la retraite à 60 ans à taux plein. La retraite choisie est beaucoup plus moderne que votre système. Elle permet, en effet, à ceux qui ont cotisé quarante-deux annuités de s’arrêter de travailler à 60 ans, ce qui représente une compensation pour les carrières longues. Elle est ainsi une garantie contre un système que vous refusez de faire évoluer. En outre, elle laisse un choix et permet d’estimer qu’il y a, à 60 ans, un temps pour autre chose. Nous avons accepté le principe de quarante-et-une annuités en 2012 posé par la réforme Fillon. Ainsi, ceux qui auront commencé tard leur carrière continueront de travailler au-delà de 60 ans. Cependant, si cela semble possible pour les cadres, les salariés qui effectuent des travaux pénibles et les ouvriers devraient pouvoir partir à 60 ans. Par ailleurs, nous considérons que l’emploi des seniors est important et nous voulons améliorer le taux d’emploi entre 60 et 65 ans. Notre système est plus souple et, je le répète, plus moderne que le vôtre.
M. Alain Vidalies. Ne nous laissons pas enfermer dans un débat caricatural qui opposerait avancées sociales et liberté individuelle. Nous aborderons la vraie question de la solidarité intergénérationnelle, lorsque nous évoquerons le cumul emploi-retraite. Vous avez commis en la matière des erreurs très importantes, même si votre système présente une certaine cohérence.
Nous ne sommes pas favorables à un système qui fait payer le prix de la réforme par ceux qui sont le plus en difficulté – ceux qui n’ont pas de travail à 57-58 ans et ceux qui n’ont pas de travail à 63-64 ans, dont vous voulez repousser l’âge du départ à 62 ans pour les premiers et à 67 ans pour les seconds. Rien n’exclut qu’il y ait des formes de choix individuel dans ces parcours.
Il faudra trouver une solution équitable pour la valorisation des années d’études. Ceux qui entrent dans la vie active à 18 ans doivent pouvoir continuer à partir à 60 ans et ceux qui étudient tard doivent pouvoir opter pour des surcotisations volontaires durant leurs années d’activité. Il s’agit là d’un système souple, qui résulte d’une décision individuelle et peut s’étaler sur quinze ou vingt ans. Il s’inscrit dans le cadre de la retraite à la carte et ne s’oppose aucunement à la solidarité qu’incarne un système par répartition prévoyant le maintien de la retraite à 60 ans et l’absence de décote à 65 ans.
M. Francis Vercamer. C’est un monde renversé ! La retraite à la carte revient à permettre à ceux qui en ont les moyens de partir plus tôt, tandis que les autres doivent cotiser le plus longtemps possible. Il est curieux que ce soit une proposition du Parti socialiste…
Je ne suis certes pas opposé à la prise en compte de la pénibilité du travail, mais il est très antisocial de dire que chacun peut partir quand il veut.
Mme Marisol Touraine. À l’extérieur de cette salle, certains députés UMP déclarent que nous renonçons à l’âge légal de départ en retraite à 60 ans. C’est travestir la réalité. Sur les retraites comme sur l’ensemble des sujets sociaux, compte tenu de l’évolution de la société, de l’évolution du rapport au travail et de la diversification des modes d’exercice des carrières professionnelles, l’articulation entre le socle des droits collectifs et les droits individuels doit être redéfinie. Il n’est cependant pas question de renoncer au socle des droits collectifs. Nous restons donc fortement attachés à l’âge légal de départ en retraite à 60 ans, qui est une protection et une liberté. Nous n’avons pas dit pour autant que tout le monde doit partir en retraite à 60 ans. L’articulation que nous défendons est porteuse d’une véritable modernité.
Lorsque nous nous exprimons, vous faites preuve d’un spectaculaire manque de respect. Nous pourrons au moins dire que, lorsque les socialistes proposent, la majorité n’écoute pas.
M. Guy Lefrand. La majorité dispose !
Mme Marisol Touraine. Belle formule, monsieur Lefrand, qui illustre bien l’état d’esprit de la majorité actuelle.
M. le président Pierre Méhaignerie. Madame Touraine, vous ne pouvez pas dire que la majorité n’a pas écouté les arguments exposés ce matin.
Mme Marisol Touraine. La formule de Guy Lefrand est scandaleuse.
M. le ministre. Il faudrait entrer dans le détail de vos propositions. La surcote que vous proposez à partir de 60 ans devrait s’accompagner d’une décote, autour d’un âge pivot. Pour financer ce dispositif, vous prévoyez de lever massivement une fiscalité supplémentaire, ce qui ne nous semble pas une bonne idée. À l’inverse, le système par répartition est financé, non par la fiscalité, mais par les cotisations. Ce n’est pas du tout le même projet.
M. le président Pierre Méhaignerie. Certains de nos voisins européens ont mis en place des systèmes de décotes très lourdes, qui ne vont pas dans le sens de l’égalité des retraités. Yves Bur et moi-même avons vu, notamment avec le président SPD de la Commission des affaires sociales du Bundestag, le poids de ces décotes. La dégressivité qui accompagne le départ après trente-cinq ans de cotisation est telle qu’elle est loin de garantir un minimum de sécurité. Les courbes de la classification internationale montrent que la France est le pays où le taux de remplacement est le plus proche du pouvoir d’achat des actifs.
La Commission rejette les amendements AS 243 et AS 363.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 245 de Mme Marisol Touraine.
M. Pascal Terrasse. Cet amendement s’inscrit lui aussi dans la perspective d’une retraite à la carte. Vous avez décidé à la fois d’allonger la durée de cotisation et de reculer l’âge de départ à la retraite – c’est, pour faire écho à Arnaud Robinet, « fromage et dessert ».
D’abord, la retraite à taux plein à 60 ans n’a jamais existé – et il n’est pas question pour les socialistes de la réclamer. Par ailleurs, le nouveau dispositif conduira des femmes qui ont connu des interruptions de carrière à reculer leur départ à 67 ans. En outre, certains assurés sociaux qui auront commencé tôt seront obligés de cotiser quarante-quatre annuités, ce qui aura un impact sur le travail des salariés, notamment de ceux dont les carrières ont été interrompues. Il importe donc de donner à tout salarié qui le souhaite la possibilité de partir à l’âge de 60 ans. Pour ceux qui souhaitent aller au-delà, il conviendrait de créer des surcotes.
En revanche, les personnes souhaitant partir à 60 ans doivent pouvoir le faire avec des retraites pro rata temporis, mais sans décote. Nous ne voulons pas ajouter, comme vous le préconisez, de la misère à la misère. Le départ à 60 ans est pour les socialistes un marqueur très fort, sur lequel nous insisterons lors des débats en séance publique.
M. le rapporteur. La surcote a déjà été augmentée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, ce qui semble suffisant. Avis défavorable.
M. le ministre. Avis défavorable. La surcote de 5 % est équilibrée, car elle incite à continuer à travailler sans se traduire pour autant par des coûts trop élevés. De fait, cette mesure, qui s’inscrit dans la durée, aura des répercussions sur les régimes. Contrairement à ce qu’indique le texte proposé par les socialistes, une année de prolongation dans le cadre d’un mécanisme incitatif ne rapporterait pas une dizaine de milliards d’euros, compte tenu du niveau auquel il faudrait fixer la surcote. Le mécanisme doit être compatible avec l’équilibre général des retraites.
La Commission rejette l’amendement AS 245.
Elle examine ensuite l’amendement AS 246 de Mme Marisol Touraine.
M. Gaëtan Gorce. L’attitude de nos collègues de la majorité vis-à-vis des interventions de Marisol Touraine m’amène à rappeler les usages de respect mutuel qui devraient présider à nos travaux. Il est inadmissible de se comporter de cette façon, en faisant des remarques incessantes lorsque notre collègue s’exprime, et, lorsqu’elle quitte la salle pour s’exprimer à l’extérieur, des remarques directes pour caricaturer la position du groupe socialiste. Je compte sur vous, monsieur le président, pour faire assurer à l’avenir le respect dû à la porte-parole de notre groupe.
M. le président Pierre Méhaignerie. Un respect réciproque…
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement AS 246.
Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 248 de Mme Marisol Touraine.
M. Alain Vidalies. L’objectif de cet amendement est de revenir au dispositif relatif aux carrières longues qui figurait dans la loi de 2003. D’une manière presque clandestine, en plein été, vous avez modifié ce dispositif et porté de quarante-deux à quarante-trois ans la durée de cotisation nécessaire, faisant chuter le nombre potentiel de bénéficiaires. Pour une fois que vous auriez pu revendiquer la paternité d’une avancée, vous vous êtes fait peur et êtes revenus en arrière, sans débat et sans négociation. Vous avez raboté le dispositif, au point que le nombre de bénéficiaires potentiels se limitait à 25 000 au début de l’année 2010.
Ayant voté pour les articles relatifs à ce dispositif dans la loi de 2003, nous souhaitons revenir à ce texte qui avait fait l’objet d’un consensus.
Le Gouvernement devrait peut-être nous indiquer les difficultés qui ont motivé cette modification. Il semble que les bénéficiaires se soient révélés beaucoup plus nombreux que prévu, et ce non pas uniquement à cause d’erreurs de calcul, mais aussi du fait des conditions d’application de la loi dans certains contextes. Selon la presse, en effet, ces conditions ont été interprétées si largement que des détournements ont pu avoir lieu et que des enquêtes ont donné lieu à des rectifications. Un tel débat ne doit pas se tenir seulement dans la presse et notre commission doit pouvoir s’en saisir. De fait, la validation de trimestres acquise, voilà quelques années, sur la base d’attestations évoquant des activités agricoles a probablement privé de ce droit ceux qui en avaient véritablement besoin.
Je ne confonds pas pénibilité et carrières longues. Nous souhaitons revenir au texte d’origine. Le passage à quarante-trois ans de cotisation a réduit la portée de ce qui était une démarche commune. Nous attendons du Gouvernement qu’il nous indique quels sont les dispositifs mis en œuvre pour éviter les interprétations larges, voire les détournements, dont la presse se fait régulièrement l’écho.
M. le rapporteur. Le dispositif applicable aux carrières longues, créé par la loi de 2003, a permis à près de 700 000 personnes, souvent des ouvriers, de partir avant 60 ans, certains même à 56 ans. Il s’agit d’une avancée sociale considérable que, si ma mémoire est bonne, le Gouvernement Jospin avait refusée en 2001, malgré le souhait de certains membres éminents de la majorité d’alors. Le Gouvernement a aujourd’hui la ferme intention de proroger ce dispositif et de l’étendre : désormais, les personnes ayant commencé à travailler avant 18 ans pourront en bénéficier. Les modalités d’application de ce dispositif vont évoluer, pour tenir compte du relèvement de l’âgé légal et de l’augmentation de la durée d’assurance. À l’horizon 2015, près de 90 000 personnes pourront ainsi partir avant l’âge légal.
Le dispositif proposé par l’amendement étant moins favorable que celui qui est proposé par le Gouvernement, j’émets un avis défavorable.
M. le ministre. Il ne s’agit pas d’un durcissement du dispositif, mais de l’application aux carrières longues de la prolongation de la durée d’assurance, qui s’applique à tous.
Le texte du Gouvernement prévoit l’extension d’une année de ce dispositif, qui sera désormais ouvert aux personnes ayant commencé à travailler à 17 ans, et non plus seulement à 18 ans. Je ne suis donc pas favorable à votre amendement.
M. Pascal Terrasse. En 2003, nous avons voté l’article relatif au dispositif « carrières longues », auquel nous ne reprochons – comme d’ailleurs l’ensemble des organisations syndicales et le COR – que de n’être pas financé.
Le déficit de la CNAV est certes dû pour partie à la crise économique, mais aussi à ce non-financement du dispositif des carrières longues. Je rappelle, par ailleurs, que nous avons créé en 2000 l’allocation équivalent retraite qui, si elle s’adressait à d’autres types de salariés, permettait de faire bénéficier ces retraités d’une pension supérieure au minimum contributif.
L’allongement à quarante-trois ans de la durée de cotisation est un véritable sujet de désaccord et les organisations syndicales vous attendent sur ce point. Nous acceptons, je le rappelle, que la durée de cotisation soit portée à quarante-et-une annuités en 2012 et 41,5 annuités en 2020. Or, les carrières longues ne bénéficieraient pas de ce dispositif. Pourquoi un salarié, quel que soit l’âge de son entrée dans la vie active, ne pourrait-il pas partir à la retraite, lorsqu’il a atteint le nombre d’annuités de cotisation nécessaires ?
Monsieur le ministre, pour pouvoir affirmer que les dispositions de votre circulaire ne sont pas un recul, vous ne recevez sans doute pas les courriers de salariés qui pensent qu’après avoir cotisé quarante ou quarante-et-une annuités, ils peuvent bénéficier du dispositif des carrières longues – ce qui n’est pas le cas.
La Commission rejette l’amendement AS 248.
M. le président Pierre Méhaignerie. On peut réfléchir à l’âge légal du départ en retraite, mais le rabaisser suppose soit une décote très élevée, soit des prélèvements obligatoires en forte augmentation. Je suis ouvert sur le recours à l’impôt sur le revenu, mais, dans le contexte de la mondialisation, l’augmentation des prélèvements obligatoires serait suicidaire pour l’emploi. La fixation de l’âge légal de départ à 62 ans était le moins mauvais des systèmes.
La Commission examine l’amendement AS 249 de Mme Marisol Touraine.
M. Alain Vidalies. Cet amendement a été défendu ce matin.
M. le rapporteur. Il empêcherait tout simplement le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite. Je ne puis en conséquence qu’y être défavorable.
M. le ministre. Avis également défavorable.
La Commission rejette l’amendement AS 249.
Elle examine ensuite l’amendement AS 250 de Mme Marisol Touraine.
Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous demandons au Gouvernement de déposer devant le Parlement un rapport sur les conséquences de l’allongement de la durée d’assurance de 42 à 43 ans pour les carrières longues. De notre point de vue, il s’agit d’une véritable « double peine ». Ceux qui auront commencé à travailler à l’âge de 22 ou 24 ans devront réunir quarante et un ans de cotisation, et 41,5 en 2018, mais ceux qui auront commencé à travailler à l’âge de 17 ans devront cotiser quarante-trois ans ! Autrement dit, ceux qui seront dans une situation difficile, dont les parents ne pourront pas payer les études, qui n’auront pas eu de bons résultats scolaires car issus d’un milieu défavorisé seront doublement pénalisés. Nous demandons que l’on en revienne aux quarante-deux ans d’assurance.
M. le ministre. Mais le droit de partir plus tôt existe ! Si vous avez commencé à travailler plus jeune, vous justifiez d’un plus grand nombre de trimestres et vous avez le droit de partir avant les autres – lesquels, d’ailleurs, construisent certes un autre parcours, mais ne sont pas pour autant assurés de trouver du travail ni immunisés contre la précarité. Bref, ceux qui auront commencé plus jeunes auront cotisé plus longtemps et partiront bien plus tôt. Il n’y a pas de « double peine ».
M. le rapporteur. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement AS 250.
Elle est saisie de l’amendement AS 251 rectifié de Mme Marisol Touraine.
Mme Marisol Touraine. Nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les périodes prises en compte pour calculer la durée d’assurance. Le dispositif carrières longues reposant sur une durée d’assurance supérieure à la durée de droit commun, il faut savoir précisément quelles sont les périodes qui seront comptabilisées. Or, beaucoup d’éléments du dispositif, dont vous vous prévalez d’ailleurs largement, seront précisés par décret, notamment pour ce qui est du secteur privé. Je ne conteste pas la nature du pouvoir réglementaire, mais dans ce cas le Parlement n’aura pas de droit de regard sur les périodes que vous entendez prendre en compte pour appliquer le dispositif carrières longues.
M. le rapporteur. La différence entre durée d’assurance et durée de cotisation a toujours existé dans le dispositif carrières longues, depuis sa création en 2003.
M. le ministre. La durée cotisée est une notion large, qui recouvre, outre le temps travaillé, d’autres systèmes de solidarité. Je ne suis pas favorable à un rapport supplémentaire.
M. Gaëtan Gorce. Quel est le nombre de personnes susceptibles de bénéficier du dispositif carrières longues avec les modifications que vous envisagez ?
M. le ministre. Environ 90 000 personnes par an à l’horizon 2015, plus les 10 000 concernés par les dispositions sur la pénibilité.
La Commission rejette l’amendement AS 251 rectifié.
En conséquence, l’amendement AS 247 de Mme Marisol Touraine n’a plus d’objet.
TITRE II
DISPOSITIONS APPLICABLES À L’ENSEMBLE DES RÉGIMES
Chapitre Ier
Âge d’ouverture du droit
La Commission examine l’amendement AS 252 de Mme Marisol Touraine.
M. Alain Vidalies. Le Gouvernement se targue d’une grande avancée permise par le texte qui nous est soumis : l’ouverture du dispositif carrières longues aux personnes qui auront commencé à travailler à 17 ans, après quarante-trois ans de cotisation. La vérité est que cela ne change rien, puisqu’elles pouvaient déjà partir à la retraite à 60 ans. Ce n’est donc pas une avancée : disons plutôt que les personnes concernées sont exonérées des conséquences de la réforme.
M. le ministre. C’est en effet le cas.
M. Alain Vidalies. Le dispositif connaît d’ailleurs des difficultés d’application, et la presse fait régulièrement état de détournements. Où en êtes-vous sur ce dossier ? L’existence de ce dispositif est positive, et il ne faut pas que de telles pratiques occasionnent un durcissement. Par ailleurs, sur les 90 000 personnes qui bénéficieront du dispositif, combien auront commencé à travailler entre 17 et 18 ans ?
M. le ministre. Environ 30 000 personnes. Le dispositif « carrières longues » bénéficie aujourd’hui à 40 000 ou 50 000 personnes. Le passage aux 90 000, que j’ai évoquées à l’horizon 2015, s’explique par l’assouplissement des conditions, en particulier concernant le nombre de trimestres, et par l’élargissement du dispositif aux personnes qui auront commencé à travailler à 17 ans.
Les caisses ont beaucoup travaillé sur la fraude, rendue possible notamment par le fait que les validations reposaient sur des témoignages, et les conditions requises ont été resserrées dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.
Avis défavorable.
M. le rapporteur. Avis défavorable : un rapport supplémentaire est inutile. Le Parlement, la Cour des comptes et la Commission des comptes de la sécurité sociale disposent de tous les outils pour dresser un bilan détaillé du dispositif.
La Commission rejette l’amendement AS 252.
M. le président Pierre Méhaignerie. Connaît-on le nombre de ceux qui, dans le cadre d’une rupture conventionnelle, sont pris en charge par l’UNEDIC à 58 ans, ou même 56 s’ils ont commencé à travailler à 14 ou 15 ans ? C’est une forme importante de contournement, qui ne disparaît pas avec le présent projet de loi.
M. Alain Vidalies. Vous avez raison de le signaler, et ce sera d’ailleurs un des problèmes d’application de la réforme. Certaines personnes sont parties à 57 ans, dans le cadre d’une rupture conventionnelle – surtout pour les cadres – ou d’un licenciement économique, avec, il faut bien le dire, une garantie de prise en charge par les ASSEDIC pendant trois ans. Pour elles, la réforme se traduira par une impasse. Un amendement a été déposé, mais qui ne couvre pas toutes les situations. Au final, des dizaines de milliers de personnes pourront se trouver en grande difficulté pour une durée allant de quatre à seize mois.
Mme Valérie Rosso-Debord. Un amendement réglera le problème.
M. le président Pierre Méhaignerie. Les ruptures conventionnelles servent effectivement parfois à partir plus tôt.
M. Roland Muzeau. Le groupe GDR a été à l’origine d’un débat sur la question à l’Assemblée, qui a fait apparaître toute la gravité de la situation. Les études de la DARES montrent que la rupture conventionnelle est beaucoup plus utilisée pour les tranches d’âge dont nous parlons. Cette possibilité de départ avec accès aux ASSEDIC a eu un effet d’entraînement que l’opposition avait dénoncé à l’époque, et elle est abusivement utilisée pour contourner les plans de suppression d’emplois et les procédures afférentes.
La Commission est saisie de l’amendement AS 253 de Mme Marisol Touraine.
Mme Marisol Touraine. Nous entendons nous opposer au relèvement systématique de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, qui est une véritable injustice puisqu’il va surtout peser sur ceux qui ont commencé à travailler jeunes ou qui ont eu les carrières les plus difficiles. Actuellement, 300 000 personnes par an partent à la retraite à 60 ans en ayant cotisé deux années de plus que ce qui est nécessaire pour valider leurs droits. Elles se retrouveront avec quarante deux annuités de cotisations et ne seront pas toutes repêchées par le dispositif carrières longues.
En outre, cette mesure uniforme est incroyablement peu moderne, au moment où l’on aurait plutôt besoin de s’adapter à des situations diverses.
Nous récusons l’idée de faire payer la réforme, certes nécessaire, par les plus modestes. Nous sommes d’accord pour appeler à l’effort collectif, mais à condition que les plus modestes en soient exonérés.
M. le rapporteur. Je suis totalement défavorable à cet amendement.
Le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans est une mesure phare de la réforme. Il est démographiquement logique, compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie, et responsable au vu de la situation financière de nos régimes de retraite. Il aura, au surplus, un effet très positif sur l’emploi des seniors, en élargissant l’horizon des salariés et des entreprises.
M. le ministre. Même avis défavorable. Je me suis expliqué à de multiples reprises sur le sujet.
M. Arnaud Robinet. J’avoue avoir du mal à saisir la position du Parti socialiste. À entendre Marisol Touraine, celui-ci ne serait pas favorable à un recul systématique de l’âge légal. Mais, à la lecture de l’amendement, le maintien des 60 ans serait une exigence.
M. Dominique Dord. Nous sommes bien entendu favorables à cette mesure de report, même si cela ne nous réjouit pas.
Je vois moi aussi des paradoxes dans les positions socialistes. Ce matin, nous avons constaté l’embarras de Marisol Touraine essayant d’exposer un système de retraite à la carte, qui montre qu’elle est au fond prête à transgresser le principe des 60 ans. Surtout, les socialistes font de l’emploi des seniors après l’âge de 60 ans une perspective essentielle de leur propre projet. Or, il existe une corrélation incontestable entre le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite et le niveau d’emploi des seniors. On ne peut pas vouloir améliorer celui-ci sans relever celui-là !
M. Gaëtan Gorce. Le mécanisme que vous proposez est grossier et mal élaboré. C’est une « herse », avec une situation de blocage en amont et une obligation en aval. Chacun doit pouvoir conserver le droit de partir à la retraite à 60 ans – ce n’est pas une obligation – compte tenu de son parcours professionnel, de sa durée de cotisation et des droits qui lui auront été reconnus par ailleurs, au titre notamment de la pénibilité.
On pourrait peut-être comprendre le relèvement de l’âge légal, s’il s’accompagnait d’un véritable effort sur la pénibilité ou les carrières longues. En le faisant coïncider avec l’allongement de la durée de cotisation et un dispositif sur la pénibilité particulièrement restrictif, vous faites porter le poids de votre réforme surtout sur les catégories concernées par ces dispositifs.
On aurait pu maintenir l’âge légal de départ à 60 ans, tout en le faisant varier en fonction de l’espérance de vie par catégorie socioprofessionnelle. Cette solution, plus juste que la vôtre, aurait permis la mise en place d’un système en comptes notionnels. L’âge de départ de chaque cotisant, dès lors que celui-ci aurait fait le plein de droits, serait calculé en fonction de sa durée de vie espérée. Vous préférez imposer un âge qui ne tiendra pas compte des situations personnelles. Une autre option aurait été d’en revenir à la loi votée alors que M. Jacques Chirac était Premier ministre et qui avait créé, outre l’autorisation administrative de licenciement, un dispositif particulier pour toute une série de métiers pénibles, permettant de partir avant l’âge légal – 65 ans à l’époque – dès lors que certaines conditions d’activité étaient remplies. Voilà un correctif légitime et juste au dispositif de l’âge légal.
Votre système, lui, s’applique avec brutalité sans prendre ces différentes réalités en compte. L’explication en est que votre seule préoccupation, de bien court terme, est financière. Or, c’est une préoccupation de justice qui devrait primer, et c’est sur cette base qu’il faudrait trouver les aménagements financiers nécessaires, ce qui nous paraît possible sous réserve d’une vision globale du financement de nos comptes sociaux.
On ne nous parle que du déséquilibre des comptes des retraites. Mais comment se mettre d’accord sur un niveau de prélèvements obligatoires acceptable pour financer les retraites sans considérer aussi le besoin de financement des autres volets de notre système de protection sociale, à commencer par la santé, puisqu’on sait bien que les réformes de ces dernières années n’ont pas produit les effets attendus ?
Ainsi, le débat est entièrement biaisé. Il convient en conséquence de revenir au fond : il faut clarifier les conditions de départ à la retraite, l’âge de 60 ans étant la meilleure protection dont on dispose aujourd’hui, faute de précision sur les mécanismes de pénibilité et de carrières longues.
M. Alain Vidalies. On peut parfaitement être favorable au maintien du droit au départ à l’âge de 60 ans et conscient qu’il faut développer l’emploi des seniors pour l’équilibre du système. Je ne vois pas où est la contradiction. D’ailleurs, vous avez vous-mêmes mené une politique d’encouragement à l’emploi des seniors, alors même que l’âge légal de départ était à 60 ans ! Ce qu’il faut garder en tête, c’est la situation du marché du travail. Selon la DARES, la hausse globale du chômage, de 7,8 % sur un an pour les demandeurs de catégorie A, recouvre des réalités très différentes : si les chiffres stagnent pour les moins de 25 ans et augmentent de 7,3 % pour la tranche entre 25 et 49 ans, cette augmentation est de 19,4 % pour les chômeurs de plus de 50 ans ! C’est terrifiant ! Et je précise que ce sont les hommes qui sont le plus touchés, ce qui traduit l’importance des sinistres industriels.
Les gens de plus de 50 ans sont donc durement frappés par la crise, et c’est le moment que vous choisissez pour reculer l’âge légal à 62 ans. Pour eux, c’est la double ou la triple peine. Ils ont perdu leur travail et, s’ils sont indemnisés jusqu’à la retraite, ils subiront une rupture à ce moment-là, ou alors ils se trouveront en fin de droits, avec les interrogations qui pèsent sur l’allocation équivalent retraite. Bref, vous présentez la facture à des gens qui se trouvent dans une situation de très grande difficulté pour des raisons objectives.
En outre, vous ne faites aucun cas de la notion de liberté. Nous sommes tous dans des situations totalement différentes, même à parcours professionnel équivalent, compte tenu de nos carrières, de notre rapport au travail, de nos choix de vie. Certains peuvent avoir des projets professionnels, d’autres des contraintes familiales. Certains attendent de partir à 60 ans pour pouvoir s’occuper d’un enfant handicapé, d’autres pour mener des actions humanitaires ou changer d’activité. Du point de vue social comme de celui de cette liberté, vous ne pouvez pas nous reprocher d’exiger le maintien de l’âge légal de départ à 60 ans : c’est un droit, et la suppression de ce droit est une des pierres angulaires de votre réforme !
M. le ministre. Une partie non négligeable des Français conserveront la retraite à soixante ans au titre d’une carrière longue ou de la pénibilité : 100 000 personnes, soit 15 % des retraités chaque année, ce qui n’est pas rien. S’ils étaient beaucoup plus nombreux, on pourrait s’interroger sur la justice de la mesure ! Ce taux de 15 % me semble une juste proportion pour prendre en compte les situations particulières.
Par ailleurs, vous opposez la notion de justice à une réforme que vous dénoncez comme étant purement comptable. Mais, une justice qui n’est pas financée me semble condamnée à rester assez illusoire. Une réforme ne fonctionne que si elle est financée. Nous devons assumer cette charge pour faire fonctionner nos dispositifs de solidarité.
Enfin, l’âge de 60 ans n’est pas inscrit dans la biologie ! Le Parlement a simplement décidé à une époque de passer de 65 à 60 ans, sans plus de symbole qu’un chiffre rond. Ce n’est pas un dogme, contrairement au régime par répartition, qu’il soit en comptes notionnels ou non, et qui doit à mon sens relever du dogme. Parce que nous vivons plus longtemps, les personnes âgées de 62 ans paraîtront moins âgées que celles de 60 ans il y a quelques années.
Quant au chômage, particulièrement préoccupant, c’est un problème économique. La réponse ne se trouvera en aucune façon dans la réforme des retraites. On ne va pas attendre que plus aucun Français n’ait de difficulté à trouver du travail après 55 ans pour changer le régime des retraites ! Il faut certainement agir pour l’emploi des seniors et mettre en place des mesures transitoires entre la fin de droits et le début de la retraite, mais ce n’est pas une raison pour ne pas réformer les retraites.
La Commission rejette l’amendement AS 253.
Article 5
(articles L. 161-17-2 [nouveau] du code de la sécurité sociale)
Relèvement de l’âge légal d’ouverture du droit à une pension
L’article 5 constitue la mesure-phare du projet de loi, puisqu’il relève l’âge d’ouverture des droits à la retraite de 60 à 62 ans à compter de la génération née en 1956. D’ici là, un relèvement progressif de quatre mois par an sera opéré, ce à compter du 1er juillet 2011.
Ce relèvement de l’âge légal prend acte à la fois de l’allongement de l’espérance de vie constaté depuis trente ans et de la situation financière particulièrement périlleuse dans laquelle se trouve notre système de retraite.
1. Le droit existant : une majorité de départs à 60 ans
Depuis l’ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982 relative à l’abaissement de l’âge de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles, l’âge légal à compter duquel tout assuré peut prétendre bénéficier d’une pension de retraite est fixé à 60 ans. Cet âge n’a pas bougé depuis, alors même que l’espérance de vie s’allongeait décennie après décennie.
De fait, en 2009, la grande majorité des nouveaux retraités de droit propre à la CNAV ont liquidé à l’âge de 60 ans (60,5 %). Moins de 3,8 % étaient âgés de moins de 60 ans, 14,7 % étaient âgés de 61 à 64 ans et près de 17,6 % avaient 65 ans.
Répartition par âge au moment de la liquidation de la retraite
des 642 000 prestataires entrés dans le dispositif de retraite en 2009
Source : CNAV, flux exhaustif de nouveaux prestataires de 2009.
Cette répartition est moins marquée dans les autres régimes, comme le montre le graphique suivant. Par exemple, dans la fonction publique, plus du tiers des départs s’effectue avant l’âge de soixante ans alors qu’au RSI, s’agissant des commerçants, près de la moitié des départs s’effectue après 60 ans.
Répartition des âges de liquidation par caisse principale en 2007
Source : DREES ; d’après l’enquête annuelle auprès des caisses de retraites ; extrait de Deloffre (2009). Champ : Nouveaux pensionnés présents au 31 décembre 2007.
Au régime général, les départs à 60 ans s’effectuaient en 2009 dans les conditions suivantes : 85,4 % des pensions normales (hors ex-invalides et inaptitude) étaient au taux plein et 14,6 % étaient assorties d’une décote, faute pour leurs bénéficiaires de disposer de la durée d’assurance nécessaire.
Sur ces 85,4 %, soit un peu plus de 250 000 personnes, 58,4 % sont partis avec huit trimestres de plus que nécessaire et 71,3 % avec quatre trimestres supplémentaires.
Départs à 60 ans (hommes et femmes)
Condition remplie |
Condition non remplie |
Ensemble | ||||
Effectif |
% |
Effectif |
% |
Effectif |
% | |
Pensions normales |
252 164 |
85,4 |
43 102 |
14,6 |
295 266 |
100 |
Pensions d’ex-invalides |
33 540 |
70,2 |
14 234 |
29,8 |
47 774 |
100 |
Pensions d’inaptitude |
9 460 |
16,5 |
47 824 |
83,5 |
57 284 |
100 |
Total |
295 164 |
73,7 |
105 160 |
26,3 |
400 324 |
100 |
Source : CNAV
Les âges et la durée
Assurés partis à 60 ans ou avant en retraite normale (flux 2009)(*)
Source :CNAV
(*) : Départs hors invalides et inaptes
2. Le dispositif proposé : un relèvement progressif
Compte tenu de l’allongement de la durée de la vie et de la situation financière, le choix est donc fait de relever l’âge légal de 60 à 62 ans, à compter de la génération 1956.
a) Le choix d’une norme législative
Les bornes d’âge sont actuellement fixées à des niveaux de norme différents entre les régimes de la fonction publique, pour lesquels elles figurent dans la loi, et les régimes du secteur privé, dans lesquels l’âge est fixé au niveau réglementaire.
Dans un souci d’harmonisation des règles entre régimes, le projet de loi porte au niveau législatif dans l’ensemble des régimes la borne d’âge de 62 ans, dans un article commun à l’ensemble des régimes de retraite de base (à l’exception des régimes spéciaux autres que ceux de la fonction publique).
Il est donc créé un nouvel article L. 161-17-2 dans le paragraphe 2 de la sous-section 4 du chapitre Ier du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire le paragraphe relatif à l’ouverture du droit et à la liquidation. Cet article vient donc s’insérer au sein des dispositions communes à l’ensemble des régimes.
b) Les régimes concernés
Seront concernés les assurés, nés à compter du 1er janvier 1956, relevant :
– du régime général ;
– du régime des salariés agricoles (qui sont soumis aux mêmes règles que les assurés du régime général, en application de l’article L. 742-3 du code rural) ;
– du régime des exploitants agricoles ;
– du régime d’assurance vieillesse des professions artisanales, industrielles et commerciales (aligné sur le régime général en matière d’âge d’ouverture en application des dispositions des articles L. 634-1 et L. 634-2 du code de la sécurité sociale) ;
– du régime des professions libérales et du régime des avocats (qui appliquent le même âge d’ouverture que le régime général en application respectivement des articles L. 643-3 et L. 723-10-1 du code de la sécurité sociale) ;
– du régime des ministres du culte (en application de l’article L. 382-27 du code de la sécurité sociale).
– du service des retraites de l’État (conformément aux articles L. 24 et L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite) ;
– de la CNRACL (qui est alignée sur les règles du code des pensions civiles et militaires de retraite en matière d’âge d’ouverture des droits en application de l’article 25 du décret n° 2003-1 306 du 26 décembre 2003).
Le relèvement de l’âge d’ouverture ne sera, en revanche, pas directement applicable dans les régimes complémentaires de retraite qui obéissent à des règles propres :
– en ce qui concerne les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO, l’accord de l’Association pour la gestion du fonds de financement de l’AGIRC et de l’ARRCO (AGFF) a permis, depuis 1983, de déroger à l’âge d’ouverture des droits à taux plein des régimes, fixés à 65 ans, via une possibilité de liquider sans décote à partir de 60 ans lorsque la pension servie par le régime de base a été liquidée sans décote. Il est vraisemblable que la négociation prévue à l’automne, l’accord arrivant à échéance à la fin de cette année, conduise à un alignement sur les nouvelles règles du régime général ;
– en ce qui concerne les régimes complémentaires des travailleurs non salariés non agricoles, les conditions d’ouverture de droits sont fixées par les règlements de ces régimes, adoptés par leur conseil d’administration et approuvés par arrêtés ministériels. Ces règlements fixent à 60 ans l’âge d’ouverture du droit, mais la plupart conditionnent cependant l’ouverture du droit à la liquidation de la pension vieillesse de base. En tout état de cause, ces règles seront adaptées ;
– s’agissant enfin de l’IRCANTEC, un arrêté, pris après avis de son conseil d’administration, sera nécessaire pour relever l’âge d’ouverture actuellement fixé à 60 ans.
c) Le rythme d’augmentation
Ainsi, à compter de la génération 1956, l’âge légal sera porté à 62 ans. D’ici là, une montée en charge progressive du dispositif est prévue, selon un calendrier encadré par le second alinéa de l’article L. 161-17-2.
Un décret fixera donc les conditions de relèvement de l’âge d’ouverture de 60 à 62 ans pour les assurés nés avant le 1er janvier 1956. Ce décret fixera une montée en charge croissante, au rythme de quatre mois par génération :
– pour les assurés nés avant le 1er juillet 1951, l’âge d’ouverture sera maintenu à 60 ans ;
– pour les assurés nés à compter du 1er juillet 1951 et jusqu’au 31 décembre 1951, l’âge sera porté à 60 ans et 4 mois ;
– pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1952 et jusqu’au 31 décembre 1952, l’âge sera porté à 60 ans et 8 mois ;
– pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1953 et jusqu’au 31 décembre 1953, l’âge sera porté à 61 ans ;
– pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1954 et jusqu’au 31 décembre 1954, l’âge sera porté à 61 ans et 4 mois ;
– pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1955 et jusqu’au 31 décembre 1955, l’âge sera porté à 61 ans et 8 mois.
Le tableau ci-dessous récapitule ce calendrier :
Génération à compter de |
Âge de départ |
Date d’effet possible à compter de |
Juillet 1951 |
60 ans et 4 mois |
novembre 2011 |
Janvier 1952 |
60 ans et 8 mois |
Septembre 2012 |
Janvier 1953 |
61 ans |
Janvier 2014 |
Janvier 1954 |
61 ans et 4 mois |
Mai 2015 |
Janvier 1955 |
61 ans et 8 mois |
Septembre 2016 |
Janvier 1956 |
62 ans |
Janvier 2018 |
Selon l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, pour l’ensemble des régimes, le report de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans (à raison de 4 mois par an à compter du 1er juillet 2011), le décalage au même rythme de l’âge automatique d’obtention d’une pension complète de 65 à 67 ans et la poursuite de l’allongement de la durée de cotisation selon le principe fixé par la loi du 21 août 2003 jusqu’en 2020, se traduirait par une économie de près de 2 milliards d’euros en 2011 et d’environ 20 milliards d’euros en 2020. Cette mesure comblerait ainsi près de la moitié du besoin de financement, tous régimes de retraite confondus, en 2020.
Sur le seul champ du régime général de retraite, la mesure aurait un impact positif sur le solde de la CNAV de plus de 1 milliard d’euros dès 2012 et de près de 10 milliards d’euros en 2020. Les projections réalisées par la CNAV ont permis d’estimer que le nombre de retraités au régime général serait minoré de 423 000 environ en 2015, de 900 000 en 2020, et de plus d’1 million à compter de 2030.
À l’horizon 2020, l’incidence du relèvement de l’âge d’ouverture de droit et de celui d’obtention du taux plein correspond pour 80 % à des économies sur les prestations (départs plus tardifs) et pour 20 % à des ressources supplémentaires (cotisations liées aux poursuites d’activité).
Pour la fonction publique, le report de l’âge légal, cumulé avec les autres mesures d’âge (limites d’âge, durées de services minimales) aurait l’impact financier détaillé dans le tableau ci-dessous :
(en milliards d’euros)
2015 |
2018 |
2020 | |
Fonction publique d’État |
1 |
1,9 |
2,6 |
CNRACL |
0,6 |
1,2 |
1,6 |
Pour les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO, l’économie procurée par l’augmentation de la durée d’assurance et le report de l’âge légal serait en partie compensée par une augmentation du nombre de points acquis par les assurés et par une amélioration de la retraite complémentaire qui leur est servie. Les effets de la réforme ont été mesurés par les gestionnaires des régimes complémentaires AGIRC ARRCO, et à l’horizon 2020, la réforme permet, néanmoins, le retour à l’équilibre des régimes, avec un solde créditeur d’environ 0,5 milliard d’euros, alors qu’en l’absence de réforme, le déficit à cette date serait de plus de 5 milliards d’euros.
L’on ne dispose pas pour l’instant de données plus détaillées sur l’impact financier du relèvement, régime par régime, année après année. Le Gouvernement est en train d’y travailler et ces données devraient donc être rapidement disponibles.
*
La Commission est saisie des amendements AS 105 de M. Roland Muzeau et AS 254 de Mme Marisol Touraine, tendant à supprimer l’article 5.
Mme Martine Billard. Nous proposons de supprimer cet article qui porte l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans.
Pendant longtemps, le Gouvernement s’est justifié en se basant sur l’argument démographique. Depuis que l’INSEE a établi notre indice de descendance finale à 2,14 enfants par femme, l’argument ne tient plus. Mais ce qui compte surtout, c’est le rapport entre actifs et cotisants, car de lui dépendent les recettes des régimes de retraite. Notre principal problème de financement est donc causé par la crise. Vous avez choisi d’en faire payer les conséquences aux salariés et retraités. Nous considérons, au contraire, que ce sont les responsables de la crise qui doivent payer, notamment le secteur de la finance.
En outre, la modification que vous proposez est trop brutale. Jusqu’à présent, ce genre de réforme se faisait à coup d’un trimestre par an. Cette fois, vous montez à quatre mois. Ce n’est pas un hasard si l’on considère que toutes les études, notamment celles du COR, font apparaître que, de toutes les possibilités de financement, c’est celle qui rapporterait le plus et le plus rapidement. C’est donc bien un choix comptable qui est proposé : faire payer les salariés et les retraités au lieu du monde de la finance, pourtant responsable de la crise.
Enfin, pouvoir partir à l’âge de 60 ans est une avancée sociale : c’est pouvoir partir en retraite en pleine santé et en profiter pendant des années. Plus on repousse l’âge de départ, moins les salariés pourront profiter de leur retraite, et cela au moment même où le nombre des cancers explose, souvent déclarés entre 40 et 55 ans.
Voilà autant d’arguments pour contester le report : rien ne sert de supprimer le départ à la retraite à 60 ans si l’on allonge la durée de cotisation, car très peu de gens pourront en profiter.
M. le rapporteur. Avis défavorable, pour des raisons que j’ai longuement exposées auparavant.
M. le ministre. Nous avons choisi de ne pas dépasser l’âge de 62 ans, mais d’atteindre plus vite cet objectif – d’autres pays font l’inverse –, parce que nous devons garantir le financement des retraites. Nous assumons d’assurer une bonne part du financement par le biais de l’âge.
Je conteste l’idée que l’état de santé des retraités soit de moins en moins bon : l’espérance de vie progresse, c’est incontestable, et l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite ira de pair avec l’augmentation du temps passé en retraite. C’est ce qui ressort des statistiques sur la santé globale de la population. Si ce n’était pas vrai, comment feraient les Anglais et les Allemands, qui baignent dans le même type de culture, d’économie et de contraintes que nous ?
Dans un système par répartition, il est logique que ce soient les salariés qui payent : ce sont eux qui payent la retraite de leurs prédécesseurs, avant d’en profiter à leur tour. Nous avons simplement accepté d’y ajouter un peu de fiscalité, parce qu’il est nécessaire de financer les régimes de solidarité.
M. Jean Mallot. L’âge de départ à 60 ans n’est pas un dogme mais Martine Billard a eu raison d’évoquer l’espérance de vie en bonne santé qui, je le rappelle, est aujourd’hui de 61,3 ans pour les hommes et de 62,4 ans pour les femmes. Si donc on repousse à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite, la moitié de la population prendra celle-ci en étant malade. Le droit à la retraite à 60 ans permet à la majorité de nos concitoyens de vivre une part de leur retraite en bonne santé.
Quand on considère l’âge réel de départ, qui est de 61,5 ans, on comprend que vous fixiez un nouveau seuil qui soit un peu supérieur.
Au cours du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, notre Rapporteur, soutenu par le ministre du travail de l’époque, M. Xavier Bertrand, a combattu les amendements visant à reporter l’âge légal de départ en retraite. Il indiquait alors qu’il fallait, avant d’envisager ce report, que les Français puissent déjà travailler jusqu’à 60 ans. Pourquoi avez-vous changé d’avis ? L’argument de la survenance de la crise n’est qu’un alignement sur la position dogmatique du Président de la République et du Gouvernement. Mais, la position que vous aviez ainsi prise au cours de l’hiver 2008-2009 était déjà postérieure à la crise : ce n’est donc pas le bon argument, et vous n’en fournissez aucun autre !
M. Jean-Luc Préel. Je suis sidéré par l’argumentation de Martine Billard. Certes, nous défendons la retraite par répartition, mais le taux de fécondité n’a rien à voir avec la retraite, car celle-ci dépend essentiellement de la durée de la cotisation.
Arrivent aujourd’hui à la retraite les enfants du baby boom, ce qui fait passer de 450 000 à 800 000 le nombre de départs annuels. Le deuxième élément fondamental réside dans l’augmentation de la durée de vie, d’un trimestre par an. De plus, l’espérance de vie en bonne santé s’accroît plus vite que l’espérance de vie globale. Soutenir que le report de deux ans aura pour conséquence de parvenir à la retraite en mauvaise santé est tout à fait faux du point de vue médical.
M. le rapporteur. Jean Mallot s’est référé aux déclarations de M. Xavier Bertrand et de moi-même : il a d’excellentes lectures !
Depuis la loi de financement pour 2009, est survenue la crise. De ce fait, en 2010, nous avons eu les chiffres que nous n’attendions qu’en 2030.
M. Jean-Marc Ayrault. Il s’agit d’une question essentielle sur laquelle vous devriez clarifier votre discours. Vous alternez en permanence l’évocation du problème démographique, qui est réel, et celle de la crise. Nous ne nions pas le premier problème : c’est pour y faire face que nous avions mis en place le Fonds de réserve pour les retraites, que vous voulez détruire. Mais, il vous faut choisir entre deux argumentations : soit le débat se fonde sur le problème démographique, pour lequel il existe des solutions, dont celles que nous proposons, soit vous vous référez à la crise. À cet égard, je me souviens d’une réponse du ministre du travail, à qui on rappelait l’engagement du Président de la République de ne pas toucher à la retraite à 60 ans et qui faisait valoir que, depuis lors, la crise était intervenue.
S’agit-il donc d’un problème démographique ou bien de la crise ? Dans la seconde hypothèse, il faut chercher d’autres sources de financement que les seuls revenus salariaux. En faisant peser 90 % de l’effort sur ceux-ci et seulement 10 % sur les revenus financiers, vous créez un déséquilibre fondamental. Comme vous ne voulez pas trancher la question qui est aujourd’hui au cœur du débat politique, celle du système fiscal que vous avez mis en place et qui prive l’État de ressources considérables, dont le bouclier fiscal, le paquet fiscal et les niches fiscales, vous faites payer le coût de la crise aux salariés et aux futurs retraités. D’où notre divergence fondamentale ! Il y a une réalité à laquelle vous ne pouvez échapper, et c’est pourquoi vous évoquez en alternance les deux justifications que j’ai indiquées, afin d’introduire une confusion supplémentaire.
Je vous demande d’avoir le courage de revenir sur les erreurs que vous avez commises, particulièrement depuis 2007, certaines d’entre elles remontant à 2002. Vous devriez, par exemple, avoir le courage, et la dignité, de reconnaître le scandale que représente le bouclier fiscal et de le supprimer…
Est-il vrai que Mme Bettencourt a reçu 100 millions d’euros au titre du bouclier fiscal ?
M. le président Pierre Méhaignerie. Ne reprenons pas le débat qui s’est déjà tenu ce matin.
La facilité médiatique consiste à soutenir le principe de la retraite à 60 ans. Mais, la Confédération française des retraités a elle-même reconnu devant notre commission que le Gouvernement avait eu le courage de soulever la question. Elle a clairement indiqué que, si l’on maintenait l’âge de départ à la retraite à 60 ans, le seul choix résiderait dans la diminution des taux de pension ou dans l’augmentation des prélèvements obligatoires. Or, en France, ceux-ci sont déjà supérieurs de 5 points à la moyenne européenne. Si on les accroît encore, que restera-t-il de l’emploi dans les dix ans qui viennent ?
M. le ministre. Nous avons déjà eu le débat, relancé par M. Jean-Marc Ayrault, sur l’alternative entre démographie et conjoncture économique.
Vous nous reprochez d’apporter une réponse structurelle à un problème conjoncturel. Pour démêler les deux, nous nous fondons notamment sur les prévisions du COR qui, analysant une situation à un moment donné, la projette dans l’avenir en intégrant un certain nombre d’hypothèses, comportant des éléments de démographie et d’autres relatifs aux circonstances économiques. Même si celles-ci s’avèrent plutôt favorables, la situation financière des retraites n’est pas tenable. Nous y répondons par des mesures démographiques, à hauteur de 45 % ou 50 % et, pour le reste, par des dispositions d’une autre nature. Nous ne nous limitons pas à un seul dispositif, n’étant pas des monomaniaques de la démographie.
L’opposition propose une solution fiscale pour 70 % ou 80 %. Quant à nous, nous proposons une réponse démographique pour 45 % ou 50 %.
Est-il injuste de repousser l’âge de la retraite compte tenu de la santé des personnes ? L’espérance de vie en bonne santé est conforme à ce que vous avez indiqué. Les données en la matière proviennent d’Eurostat. La même définition normée s’applique dans tous les pays. Sur une base déclarative, elle qualifie une espérance de vie dans laquelle on ne ressent aucune gêne. Or, qui ne ressent une petite gêne à 60 ans ? Il existe une autre définition, fournie par l’INSEE et fondée médicalement : une espérance de vie sans incapacité, laquelle progresse au rythme de l’espérance de vie globale et se situe un an avant celle-ci. On ne peut donc dire aujourd’hui qu’à 61 ans, ou plus, on est en mauvaise santé, même si l’on est évidemment en moins bonne forme qu’à 25 ans.
Les amendements AS 105 et AS 254 sont rejetés.
Puis, la Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 441, AS 442 et AS 443 du rapporteur.
L’amendement AS 4 n’est pas défendu.
Elle en vient à l’amendement AS 16 de Mme Valérie Rosso-Debord.
Mme Valérie Rosso-Debord. Cet amendement tend à ce que les dispositions de l’article 5 ne soient pas applicables aux assurés qui atteignent l’âge de 60 ans au cours du second semestre de 2011. En effet, le recul de l’âge légal de départ à la retraite pour les assurés nés entre le 1er juillet et le 31 décembre 2011 entraîne pour ceux-ci une modification de leurs anticipations particulièrement dommageable pour ceux qui, chômeurs de longue durée, épuiseront leurs droits à l’assurance chômage au cours de l’année 2011. Ils risquent, si nous ne faisons rien, de se trouver sans ressources pendant quatre mois.
M. le rapporteur. Notre collègue pose une vraie question. Je sais que le Gouvernement travaille sur le sujet. Peut-il nous indiquer les pistes qu’il explore – je pense en particulier au prolongement de l’allocation équivalent retraite.
M. le ministre. Nous allons, en effet, prolonger et adapter le dispositif existant de l’allocation équivalent retraite, ce qui répondra à cette légitime question.
M. Alain Vidalies. L’amendement est justifié. La réponse du Gouvernement va dans le bon sens en traitant l’ensemble du problème et non celui posé aux seules personnes nées en 1951. Car, il sera encore plus grave pour celles nées en 1952, qui connaîtront une impasse de huit mois, et ainsi de suite. Le nombre des personnes concernées est difficile à établir, mais il pourrait être important.
Je suis donc heureux de constater que, dans la même réforme, le Gouvernement va utiliser le Fonds de réserve pour les retraites, que nous avions créé, et l’allocation équivalent retraite, que nous avions imaginée : ce sera notre contribution pour réparer les dégâts de votre réforme.
Mme Valérie Rosso-Debord. Je retire l’amendement.
L’amendement AS 16 est retiré.
La Commission est saisie de l’amendement AS 99 de M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Nous proposons de compléter l’article 5 par un alinéa indiquant que ses dispositions ne sont pas applicables aux agents ayant débuté antérieurement au 31 décembre 2010 une cessation progressive d’activité (CPA) en application de l’ordonnance du 31 mars 1982.
En effet, le projet de loi ne traite pas des agents de la fonction publique en cessation progressive d’activité, qui ont fait ainsi le choix irréversible d’un départ en retraite à 60 ans. Un certain nombre d’entre eux se trouvent donc dans une situation dramatique à laquelle cet amendement se propose de remédier.
M. le rapporteur. Le problème nous a été signalé par certaines organisations syndicales. Je souhaiterais connaître l’analyse qu’en fait le Gouvernement, étant précisé qu’environ 4 000 personnes seraient concernées au niveau national.
M. le secrétaire d’État. La cessation progressive d’activité constitue un dispositif de préretraite qui permet de travailler à temps partiel avec une sur-rémunération, et dont les conditions ont été durcies, selon la logique qui nous guide, depuis la loi de 2003. Ce sont 4 000 personnes qui sont effectivement concernées. Nous n’opérons pas de distinction pour le relèvement d’âge selon que l’emploi est à temps plein ou à temps partiel. Sans qu’il soit besoin d’adopter cet amendement, les dispositions nécessaires seront prises pour qu’il n’y ait aucune interruption de rémunération ni d’activité entre la cessation progressive d’activité et la retraite. On décale la limite d’âge, mais la rémunération demeure conforme au dispositif actuel.
Mme Martine Billard. Il faut être précis. À l’heure actuelle, quand un fonctionnaire entre en cessation progressive d’activité, une date limite, et irréversible, lui est opposable. Un fonctionnaire qui, par exemple, perdrait quatre mois, sera-t-il, pour la période correspondante, rémunéré dans le cadre de la cessation progressive d’activité ou dans celui de la retraite ?
M. le secrétaire d’État. Il s’agira de quatre mois de plus en cessation progressive d’activité.
M. Roland Muzeau. Dans ces conditions, je retire l’amendement.
L’amendement AS 99 est retiré.
La Commission adopte l’article 5 modifié.
La Commission examine l’amendement AS 255 de Mme Marisol Touraine.
Mme Danièle Hoffman-Rispal. La première borne d’âge, sur le droit à la retraite à 60 ou à 62 ans, a fait l’objet d’un dialogue de sourds. La deuxième borne d’âge concerne le relèvement de 65 à 67 ans du droit à bénéficier d’une retraite à taux plein.
Le Gouvernement a reconnu que, pour un certain nombre de femmes ayant souvent occupé des emplois précaires, connu des carrières morcelées et pâti de salaires inférieurs à ceux des hommes – de 20 % en moyenne, ce qui constitue toujours un problème non résolu –, on se trouvait confronté à une inégalité de traitement. Le passage de 65 à 67 ans donnant droit au taux plein les défavorise une fois de plus. Nous proposons donc de maintenir le seuil de 65 ans, sans décote.
Nous avons eu un débat sur l’état de santé des personnes partant à la retraite. À 67 ans, on est beaucoup moins en forme qu’à 62 ans, surtout lorsqu’on a exercé certains petits boulots tels que celui de caissière. Il suffit aussi d’avoir un compagnon un peu plus âgé, pour que l’espérance de vie paraisse plus courte. On a beau savoir que celle-ci est de 84 ans pour les femmes et de 82 ans pour les hommes, en réalité, dans de nombreux couples, l’un des deux faiblit vers les 74 ou 75 ans, réduisant ainsi le temps de retraite heureuse.
M. le rapporteur. Avis défavorable : le décalage de l’âge donnant droit au taux plein est la conséquence logique du relèvement de l’âge légal. Il est, en outre, très progressif : il ne concernera qu’en 2016 les personnes nées en 1951 et s’achèvera en 2023 avec la génération née en 1956.
M. le ministre. Les deux bornes existent depuis 1982, lorsque le droit au départ à la retraite fut abaissé à 60 ans. Elles ne constituent pas un dogme, mais signifient qu’on plafonne à cinq ans la durée de la décote. Le plafond pourrait ne pas exister : dans ce cas la décote perdurerait dès lors qu’on n’a pas le nombre de trimestres de cotisation requis. On maintient donc la règle actuelle, sinon la décote ne servira plus à grand-chose.
Aujourd’hui, environ 18 % d’une classe d’âge part en retraite à 65 ans. Le taux d’activité des seniors ayant atteint 65 ans est très faible, de l’ordre de 16 à 17 %. Mais, parmi les 18 %, la part des femmes est la plus importante – environ 63 % – et 80 % ne sont pas en activité. Enfin, 20 % de cette population a validé au moins un trimestre au cours de l’année précédente.
Nous avons absolument besoin de conserver les deux bornes, car elles sont attachées à la gestion même de notre système de retraite. La durée de cinq ans paraît bien adaptée au nécessaire délai d’annulation de la décote.
On peut toujours décrire des situations individuelles qui paraissent injustes, mais la CNAV confirme les chiffres que j’ai donnés concernant le nombre de personnes partant en retraite à la deuxième borne d’âge. C’est pourquoi nous ne sommes pas favorables à la remise en cause de celle-ci. Enfin, les 67 ans d’aujourd’hui pèsent moins que les 65 ans d’hier.
M. Patrick Lebreton. Au-delà de ce qui a été dit sur la retraite des femmes, et que j’approuve, je voudrais souligner, en tant que député de la Réunion, que le relèvement de 65 à 67 ans de l’âge donnant droit à une retraite à taux plein, va pénaliser fortement les Français d’outre-mer. La plupart connaissent, en effet, des carrières très morcelées, comportant souvent de longues périodes de RMI et de minima sociaux, dans des territoires où le chômage affecte durablement plus de 25 % de la population active.
M. Michel Issindou. Les lois sont souvent écrites par des personnes dont le travail n’est pas trop pénible. Il suffit d’entrer dans nos usines et nos ateliers pour se rendre compte qu’il est difficile d’expliquer aux travailleurs que 60 et 62 ans ne font pas grande différence quand on est en forme et qu’on peut encore occuper son emploi, comme entre 65 et 67 ans même si, selon le ministre, seule une infime minorité part à la retraite si tardivement. Mais, l’observation du terrain donne souvent une impression différente. Deux ans de travail supplémentaires, dans cette tranche d’âge, ne sont pas négligeables.
Nous sommes ici nombreux à approcher de la soixantaine et nous pouvons certainement travailler largement au-delà. Mais, regarder honnêtement la réalité du terrain nous ferait assurément changer d’avis sur la pénibilité du travail.
M. le ministre. Je rappelle que le nouveau dispositif ne prendra effet qu’en 2023.
L’amendement AS 255 est rejeté.
Article 6
(articles L. 351-1 et L. 351-8 du code de la sécurité sociale)
Relèvement de l’âge d’annulation de la décote
L’article 6 du projet de loi modifie les dispositions du code de la sécurité sociale relatives au régime général afin, d’une part de clarifier la rédaction de l’article L. 351-1 et, d’autre part, de relever l’âge du taux plein en modifiant l’article L. 351-8.
Le I de l’article rerédige donc le premier alinéa de l’article L. 351-1, afin de faire directement référence au nouvel article L. 161-17-2 créé par l’article 5 du projet.
Le II est beaucoup plus important, puisqu’il prévoit de relever l’âge d’annulation de la décote de 65 à 67 ans.
1. L’analyse des départs à 65 ans
Si, en 2009, la grande majorité des nouveaux retraités de droit propre ont liquidé leur pension à l’âge de 60 ans (60,5 %), près de 18 % avaient néanmoins 65 ans. Et en terme de genre, les femmes étaient davantage concernées par la liquidation à 65 ans, puisque cela concernait 22 % d’entre elles contre 12,6 % des hommes.
Parmi les liquidations à 65 ans, 13 % ont obtenu le taux plein au titre de la durée. Les 87 % autres ont donc bénéficié du taux plein en raison de leur âge. C’est davantage le cas des femmes que celui des hommes : respectivement 92,6 % contre 75,8 %. Il reste que, parmi les hommes qui liquident leur pension à 65 ans, une part relativement conséquente (24,2 %) la liquide au titre de la durée. Les liquidations à 65 ans ne renvoient donc pas à une population homogène, particulièrement pour les hommes.
Dans l’ensemble, c’est près de 15,3 % de l’ensemble des nouveaux retraités de 2009 qui ont donc liquidé à 65 ans au titre de l’âge (9,6 % des hommes et 20,3 % des femmes).
Répartition des nouveaux retraités de 2009 ayant liquidé à 65 ans
selon le motif de liquidation et le genre
Âge |
Durée | |
Homme |
75,8 % |
24,2 % |
Femme |
92,6 % |
7,4 % |
Ensemble |
87,0 % |
13,0 % |
Source : CNAV.
Au sein de l’ensemble des liquidants à 65 ans, ceux qui liquident au titre de l’âge se différencient nettement de ceux qui liquident à taux plein au titre de la durée. Dans le tableau joint, les deux catégories sont distinguées. Les assurés qui attendent 65 ans pour prendre leur retraite, et qui ont une durée d’assurance inférieure au taux plein, reçoivent des pensions plus faibles relativement aux autres retraités et bénéficient fréquemment du minimum contributif. Parmi ces assurés, les femmes en représentent les deux tiers.
À titre de comparaison, ces données sont également indiquées pour l’ensemble du flux de nouveaux retraités de l’année 2009 (les femmes représentent 53 % de ce flux).
Nombre de trimestres validés |
Montant moyen de la pension du régime général |
% des bénéficiaires du minimum contributif | |
HOMMES |
Retraités partis à 65 ans en 2009 | ||
Liquidation au titre de l’âge |
115 |
388 |
63 % |
Liquidation avec la durée taux plein |
175 |
678 |
29 % |
Ensemble |
129 |
459 |
38 % |
Ensemble du flux 2009 | |||
Ensemble |
153 |
695 |
31 % |
FEMMES |
Retraités partis à 65 ans en 2009 | ||
Liquidation au titre de l’âge |
96 |
344 |
87 % |
Liquidation avec la durée taux plein |
176 |
677 |
48 % |
Ensemble |
102 |
369 |
75 % |
Ensemble du flux 2009 | |||
Ensemble |
146 |
548 |
56 % |
HOMMES + FEMMES |
Retraités partis à 65 ans en 2009 | ||
Liquidation au titre de l’âge |
102 |
357 |
80 % |
Liquidation avec la durée taux plein |
175 |
677 |
37 % |
Ensemble |
111 |
399 |
63 % |
Ensemble du flux | |||
Ensemble |
150 |
621 |
44 % |
Source : CNAV, flux exhaustif 2009 (SNSP).
Une précision néanmoins : il est largement faux de dire que reporter l’âge du taux plein de 65 à 67 ans va obliger de nombreuses femmes à prolonger leur activité de deux ans. En moyenne, les femmes liquidant à 65 ans au titre de l’âge sont sans emploi depuis vingt ans. Il s’agit donc de femmes qui ont interrompu leur activité depuis de très nombreuses années et qui attendent l’âge d’annulation de la décote pour liquider leur retraite au taux plein.
2. Le dispositif proposé
Le II de l’article 6 modifie donc le 1° de l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale : il précise désormais que bénéficient du taux plein les assurés qui atteignent l’âge légal fixé à l’article L. 161-17-2 majoré de cinq ans.
Comme pour l’âge légal, ce relèvement sera progressif et son calendrier fixé par décret. Il sera par ailleurs décalé par rapport à l’âge légal. En effet, on ne peut décaler l’âge du taux plein qu’à compter de la génération 1951, c’est-à-dire à compter de juillet 2016. Pour les assurés nés avant le 1er juillet 1951, l’âge d’obtention du taux plein est donc maintenu à 65 ans et il évolue ensuite pour les assurés nés à compter de cette date en proportion de l’évolution de l’âge légal de départ soit :
Génération |
Âge taux plein |
Date d’effet taux plein à compter de |
Juillet 1951 |
65 ans et 4 mois |
Novembre 2016 |
Janvier 1952 |
65 ans et 8 mois |
Septembre 2017 |
Janvier 1953 |
66 ans |
Janvier 2019 |
Janvier 1954 |
66 ans et 4 mois |
Mai 2020 |
Janvier 1955 |
66 ans et 8 mois |
Septembre 2021 |
Janvier 1956 |
67 ans |
Janvier 2023 |
*
La Commission examine deux amendements, AS 106 de Mme Martine Billard et AS 258 de Mme Marisol Touraine, tendant à supprimer l’article 6.
M. Roland Muzeau. La suppression de cet article est largement motivée, notamment au vu des échanges précédents. Les inégalités existantes vont encore être aggravées par le recul du taux plein à 67 ans, une injustice supplémentaire au détriment des salariés les plus modestes qui vivent déjà souvent avec des moyens insuffisants. Les femmes en seront bien sûr les premières victimes, de même que les ouvriers et les salariés exposées à la pénibilité ou aux risques durant de longues carrières. La situation du monde du travail, qui a déjà souffert d’emplois discontinus et qui ne touche déjà que de faibles pensions, appelle la suppression de cet article. C’est une question de justice sociale !
Mme Michèle Delaunay. Le double report de deux ans obéit à une fausse logique.
Monsieur le ministre, vous êtes encore un homme jeune et dynamique, et je ne saurais trop vous en féliciter, mais les années ne pèsent pas du même poids au fur et à mesure que l’on avance en âge. Deux années, entre 60 et 62 ans, comptent médicalement, mais elles sont moins pourvoyeuses en troubles que celles entre 65 et 67 ans.
Notre collègue Jean Leonetti s’est lui-même dit choqué par le relèvement à 67 ans. Après 65 ans, de nombreuses personnes s’impliquent dans des activités associatives utiles à notre cohésion sociale : il est important d’en tenir compte.
On l’a déjà dit : les femmes sont le plus souvent concernées, après avoir connu des carrières difficiles et occupé des emplois exigeants par leurs conditions de travail et leurs horaires, en particulier dans les hôpitaux et les