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N° 2939

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 novembre 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE LOI de MM. Patrick BLOCHE, Michel FRANÇAIX, Didier MATHUS, Marcel ROGEMONT et Jean-Marc AYRAULT et les membres du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés, relative à l’indépendance des rédactions,

PAR M. Patrick BLOCHE,

Député.

——

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 2255.

INTRODUCTION 5

I.- LES PRINCIPALES ÉVOLUTIONS DU STATUT DE JOURNALISTE : VERS TOUJOURS PLUS DE PRÉCARITÉ ? 9

A. DES DROITS ACQUIS DE LONGUE DATE 9

B. UNE PROFESSION FRAGILISÉE 11

1. Des effectifs qui tendent à stagner et à vieillir 12

2. Une précarité accrue 13

a) Des pigistes de plus en plus nombreux 13

b) Des salaires en baisse 14

II.- UN PERPÉTUEL COMBAT EN FAVEUR DE L’INDÉPENDANCE DES RÉDACTIONS 16

A. RESPONSABILITÉ SOCIALE DU JOURNALISTE ET DÉONTOLOGIE 16

1. Les principes présents dans la convention collective 17

2. Les chartes déontologiques 17

a) La charte des devoirs professionnels des journalistes français de juillet 1918 17

b) La déclaration des droits et devoirs des journalistes, dite « charte de Munich » du 24 novembre 1971 18

c) Des chartes propres à certains journaux 19

d) Le code de déontologie journalistique issu des États généraux de la presse 19

B. DES SOCIÉTÉS DE JOURNALISTES DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES 20

C. DÉONTOLOGIE ET INDÉPENDANCE JOURNALISTIQUES AUJOURD’HUI GRAVEMENT MENACÉES 23

III.- L’IMPÉRATIVE NÉCESSITÉ D’INSCRIRE L’INDÉPENDANCE DES RÉDACTIONS DANS LE DROIT 29

TRAVAUX DE LA COMMISSION 31

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE 31

II.- EXAMEN DES ARTICLES 35

Article 1er : Modalités de mise en œuvre du principe de l’indépendance des rédactions 35

Article 2 : Amélioration de l’information des lecteurs 40

Article 3 : Informations relatives au changement de statut et de dirigeants ou actionnaires de l’entreprise éditrice 41

Article 4 : Sanctions 42

Article 5 : Préservation des intérêts des journalistes 42

ANNEXES 43

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 43

ANNEXE 2 : LES SOCIÉTÉS DE JOURNALISTES MEMBRES DU FORUM DES SOCIÉTÉS DE JOURNALISTES 44

ANNEXE 3 : MANIFESTE DU FORUM DES SOCIÉTÉS DE JOURNALISTES 45

INTRODUCTION

En novembre 1945, la Fédération nationale de la presse – organe de représentation des entreprises de presse – publiait cette déclaration : « la presse n’est pas un instrument de profit commercial. C’est un instrument de culture, sa mission est de donner des informations exactes, de défendre des idées, de servir la cause du progrès humain ». Soixante-quatre ans plus tard, la France se place au 44e rang du classement annuel de la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières (RSF), derrière la Papouasie-Nouvelle Guinée, alors qu’elle se situait encore à la 11e place en 2002. En France, comme en Italie d’ailleurs – 49e du classement –, RSF dénonce pêle-mêle « violation de la protection des sources, concentration des médias, mépris et même impatience du pouvoir politique envers les journalistes et leur travail, convocations de journalistes devant la justice ». Le tableau est plus que sombre…

Lors du congrès du syndicat national des journalistes le 15 octobre 2009, M. Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes, témoignait de cette évolution inquiétante du secteur et soulignait : « le journalisme est aujourd’hui attaqué de toutes parts. Il est mis au défi par les employeurs des media qui sont confrontés à l’impact de changements structurels dans l’industrie des media et des marchés en mutation qui sont en train d’imposer des coupes dramatiques en matière d’emplois et de conditions de travail des journalistes (…). Les employeurs des médias sont frappés de panique, (…) ils imposent des coupes sauvages dans les salles de rédaction, qui à leur tour affaiblissent les normes du journalisme. Ils sont engagés, semble-t-il, dans un processus de suicide de masse car restreindre les normes du journalisme ne fera qu’accroître l’ampleur du déclin. Si les médias décidaient de ne pas fournir une information fiable, utile et accessible, cela ne ferait qu’encourager les gens à regarder ailleurs. Ce processus est dommageable non seulement à notre profession et à l’industrie, mais est également une menace pour la démocratie ».

L’évolution de la pratique, au regard du droit, est donc très alarmante. En effet, le droit reconnaît depuis la révolution française l’importance de la libre communication des opinions. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen la définit comme « un des droits les plus précieux de l’homme ». Plus près de nous, l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 consacre « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées » et ce « sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques », considérant que la démocratie ne peut durablement survivre sans débat d’idées, débat d’idées aujourd’hui alimenté par des médias de plus en plus diversifiés dans leur forme – audiovisuel, presse, internet, etc.

C’est depuis la fin du XIXe siècle que s’est progressivement construite la liberté de communication : loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse autorisant toute personne à fonder librement un journal, lois n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse et n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication.

Pourtant, alors même que le Conseil constitutionnel a consacré à de nombreuses reprises ce droit, précisant que nos concitoyens doivent pouvoir disposer d’un nombre suffisant de publications et de programmes « de tendances et de caractères différents » afin d’être à même « d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché » (1), l’indépendance et le pluralisme des médias sont chaque jour un peu plus remis en cause. Ces derniers temps, les atteintes à l’indépendance des rédactions se sont multipliées : pressions, censures, conséquences le plus souvent d’une concentration excessive, mais aussi perquisitions et mises en examen abusives de journalistes.

La législation actuelle ne permet pas, comme le rapporteur le déplorait déjà l’an passé (2), d’assurer à nos concitoyens que la libre communication des pensées et des opinions soit totale ou exempte de risques d’asservissement à des intérêts privés. En effet, il est connu et établi que, dans notre pays, de nombreuses entreprises éditant des titres de presse d’information politique et générale ou des services privés de radio ou de télévision à forte audience sont économiquement contrôlées par des groupes dont une part significative des revenus est générée par des contrats avec des partenaires publics : État, collectivités locales, entreprises publiques… Ces relations économiques sont porteuses de menaces sur l’indépendance des médias puisqu’elles permettent à des intérêts privés de s’exprimer de façon plus ou moins directe et non contradictoire.

Il convient de mettre fin à une telle situation et il appartient au législateur de compléter l’actuel régime juridique applicable au secteur des médias afin de garantir l’indépendance des rédactions. La présente proposition de loi actualise pour ce faire les textes de loi régissant le secteur des médias afin de faire respecter le pluralisme et l’indépendance de l’information et de ceux qui la font : les journalistes. Comme le rappelle son exposé sommaire, l’idée est « de créer des structures juridiques permettant aux entreprises d’information de se développer à l’abri des groupes capitalistiques », en les protégeant des pressions économiques et politiques.

Par ailleurs, la proposition de loi instaure des obligations accrues de transparence pour les entreprises de presse, avec pour objectif principal de garantir aux lecteurs le droit à une information libre, plurielle et honnête.

En effet, comme le soulignait Aidan White, toujours lors du congrès du syndicat national des journalistes le 15 octobre 2009, « le journalisme engage “les autres”. Le journalisme est une forme restrictive de l’expression qui est imposée par les obligations de notre responsabilité professionnelle - en bref, nous sommes contraints à nous efforcer de dire la vérité, nous devons être impartial et équitable, nous devons avoir conscience des conséquences de nos paroles, de nos articles et de nos reportages audiovisuels ».

La représentation nationale se doit aujourd’hui d’aider les journalistes à assumer cette responsabilité sociale.

I.- LES PRINCIPALES ÉVOLUTIONS DU STATUT DE JOURNALISTE : VERS TOUJOURS PLUS DE PRÉCARITÉ ?

Lors d’un débat au Sénat en novembre 2009, M. Michel Thiollière, alors rapporteur de la commission de la culture, soulignait que « l’indépendance éditoriale des titres de presse est essentiellement l’affaire des rédactions. Elle est conditionnée par l’étendue et l’effectivité des garanties dont jouissent les journalistes dans l’exercice de leur liberté d’expression (…). À ce titre, les journalistes se sont vu reconnaître un certain nombre de droits destinés à leur permettre de rechercher dans les meilleures conditions la vérité, d’analyser les faits et d’exposer différents points de vue afin de garantir aux lecteurs le droit à une information libre, plurielle et honnête » (3). Certes, mais il y a une certaine ironie, de la part d’un sénateur de la majorité, à rappeler cet état de droit, car, au cours des dernières années la mise en œuvre de ces droits a été, de fait, quelque peu fragilisée par les attaques que subit la profession et sa précarisation accrue.

A. DES DROITS ACQUIS DE LONGUE DATE

Le statut des journalistes professionnels est aujourd’hui principalement encadré par deux lois et une convention collective.

La loi relative au statut professionnel des journalistes, dite « loi Brachard », du 29 mars 1935 institue le statut de journaliste professionnel. Selon les termes de la loi, aujourd’hui codifiée au premier alinéa de l’article L. 7111-3 du code du travail, le journaliste professionnel est « celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques et dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».

La loi n° 74-630 du 4 juillet 1974, dite « loi Cressard », aujourd’hui codifiée à l’article L. 7112-1 du code du travail, reconnaît aux journalistes pigistes le statut de journaliste professionnel en introduisant la notion de présomption de salariat, ce qui confère au journaliste pigiste un statut de salarié quels que soient le mode et le montant de la rémunération, à condition qu’il tire l’essentiel de ses ressources de cette activité.

Ces lois visaient à professionnaliser l’activité de journaliste afin de garantir aux lecteurs et aux sources d’information un minimum de protections contre les abus et de dérives des éditeurs de presse ou des journalistes amateurs.

Alors qu’initialement la profession de journaliste pouvait uniquement s’exercer dans une entreprise de presse ou une agence de presse, la législation a progressivement évoluée pour étendre les dispositions du code du travail aux journalistes travaillant dans une entreprise de communication audiovisuelle (4) ou dans une entreprise de communication au public par voie électronique (5).

Après avoir procédé à la définition du métier, la loi Brachard a également reconnu aux journalistes un certain nombre de droits censés protéger leur liberté d’expression et renforcer leur indépendance. Ces dispositions sont aujourd’hui codifiées au sein du code du travail. L’article L. 7112-5 du code du travail prévoit ainsi deux mécanismes :

– la clause de cession, permet au journaliste de démissionner tout en bénéficiant de l’assurance chômage, dans le cas où l’entreprise pour laquelle il travaille change d’actionnaires ;

– la clause de conscience prévoit le même dispositif si le journaliste apporte la preuve que la ligne éditoriale de son entreprise a significativement changé, même sans changement d’actionnaire. Il suffit d’un « changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal », si « ce changement crée pour la personne employée une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux ».

Le pôle « Métiers du journalisme » des États généraux de la presse écrite tenue en 2008-2009 a réaffirmé que la clause de conscience et la clause de cession constituent « des droits essentiels du métier de journaliste, garantissant leur indépendance et donc, aux yeux du public, leur crédibilité ».

Par ailleurs, l’article L. 7112-3 du code du travail, également issu de la loi Brachard, fixe l’indemnité due à un journaliste professionnel en cas de licenciement ou de démission par le biais d’une des deux clauses précédemment citées, en prévoyant une disposition beaucoup plus avantageuse que pour les autres salariés, c’est-à-dire le paiement d’une indemnité d’un mois de salaire par année d’ancienneté pour une ancienneté inférieure à quinze ans, une Commission arbitrale étant chargée de trancher lorsque l’ancienneté est supérieure à quinze ans, selon les termes de l’article L. 7112-4 du code du travail.

La Commission arbitrale des journalistes

Créée par la loi Brachard, aujourd’hui codifiée à l’article L. 7112-4 du code du travail, elle offre une protection aux journalistes souhaitant s’investir sur le long terme dans une rédaction. Elle intervient en effet lorsque le journaliste compte plus de quinze ans d’ancienneté. Dans ce cas, elle est obligatoirement saisie pour fixer les indemnités de licenciement et est seule compétente pour fixer le montant global de cette indemnité. Sa décision n’est pas susceptible d’appel.

Elle intervient aussi en cas de licenciement pour faute grave ou pour faute lourde.

La convention collective nationale de travail des journalistes a ensuite été adoptée le 1er novembre 1976 et refondue le 27 octobre 1987. Elle a fait l’objet d’un décret d’extension ministériel en date du 2 février 1988. Elle s’applique à la totalité des journalistes titulaires de la carte de presse et décline l’ensemble des droits de la profession, mais comporte également la mention de certains principes déontologiques.

B. UNE PROFESSION FRAGILISÉE

Selon une étude publiée par l’Observatoire des métiers de la presse, « au même titre qu’il est difficile de délimiter le champ de la presse écrite, il n’est pas non plus évident de circonscrire la profession des journalistes. Des écrits sont produits chaque année sur cette profession mais rares, voire quasi inexistantes sont les études apportant des données chiffrées » (6).

Répartition des journalistes par type de support en 2008

Source : Observatoire des métiers de la presse – mai 2009

Deux études importantes ont été publiées dans les années 2000 sur la profession. Dans la première(7), datant de 2004, M. Neveu constate une féminisation de la profession liée aux recrutements massifs des années 80, l’amélioration du niveau de formation des journalistes, mais surtout leur précarisation accrue. En 2005, dans la seconde (8), M. Rieffel pointe également les mêmes évolutions et constate également l’augmentation continue du nombre de pigistes, un vieillissement de la profession ainsi que de fortes disparités en matière de rémunération. L’étude de l’Observatoire des métiers de la presse publiée en 2009 est donc la plus récente à faire un point relativement exhaustif sur les évolutions de la profession, reprenant les mêmes constats.

1. Des effectifs qui tendent à stagner et à vieillir

En 2008, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) comptabilisait 37 811 journalistes, soit 73 de plus qu’en 2007. Si, selon l’étude précitée de l’Observatoire des métiers de la presse, de 1980 à 1990, la progression du nombre de journalistes était de 60 %, entre 1990 et 1999, la progression enregistrée n’était plus que de 19,9 % et « de 2000 à 2008, le nombre de journalistes a progressé de 13,5 %, passant de 33 314 à 37 811 ». Enfin, entre 2007 et 2008, l’augmentation du nombre de journalistes n’était plus que de 0,2 %…

Les effectifs de la profession de 1975 à 2008

Source : Observatoire des métiers de la presse – mai 2009

En 2008, un journaliste était en moyenne âgé de 42,2 ans, contre 40,5 ans en 2000. 39,2 % des journalistes avaient plus de 45 ans. « Ce vieillissement général de la profession masque cependant des disparités, notamment liées au sexe et au type de contrat », la part des moins de 35 ans étant bien plus importante chez les journalistes en CDD (77,2 %) et les journalistes pigistes (40,5 %) que chez les permanents (27,6 %). Ainsi, « en 2008, la moyenne d’âge des journalistes en CDD était de 31 ans, celle des journalistes pigistes de 39,5 ans et celle des journalistes permanents de 42,5 ans ».

Répartition de journalistes par type de contrat et âge en 2008

(en %)

Source : Observatoire des métiers de la presse – mai 2009

2. Une précarité accrue

a) Des pigistes de plus en plus nombreux

Si l’on s’en tient aux statistiques exploitées à partir des données fournies par la CCIJP, on constate une stabilité du nombre de pigistes sur la période 2000-2008. On en dénombrerait 6 837 en 2008, soit 18,1 % de la profession, contre 18,8 % en 2000. Selon l’Observatoire, « cette stabilisation rompt avec l’augmentation continue du nombre de pigistes observée dans les décennies précédentes : en 1975, 8,5 % des journalistes étaient pigistes et 14,7 % en 1990 ».

Répartition des journalistes encartés par type de contrat en 2008

Source : Observatoire des métiers de la presse – mai 2009

Pour autant, certains chercheurs estiment que l’exploitation des données fournies par la CCIJP est insuffisante et qu’elle ne révèle « qu’imparfaitement la montée de la précarité dans la profession » puisque « certaines personnes réalisent des piges sans parvenir à en tirer la majorité de leurs ressources et ne sont donc pas comptabilisées ».

La caisse de retraite du secteur de la presse (AUDIENS) fournit des chiffres bien plus importants puisqu’elle comptabilisait 14 715 pigistes en 2007, soit plus du double du chiffre précédemment cité. Dans ce dernier cas, sont prises en compte toutes les personnes ayant réalisé au moins une pige dans l’année, sans pour autant avoir un statut de journaliste professionnel. La vérité se situe donc sans doute entre les deux estimations.

b) Des salaires en baisse

Selon l’étude précitée réalisée par l’Observatoire des métiers de la presse, « quel que soit le mode de rémunération, piges ou salaires mensualisés, le montant des rémunérations a légèrement diminué entre 2000 et 2008 ». Fort logiquement, « les journalistes permanents percevant un salaire régulier demeurent, cependant, mieux rémunérés que les journalistes travaillant à la pige ».

Ainsi, en 2008, 28,4 % des journalistes salariés gagnaient entre 3 000 et 4 000 euros brut par mois. Ils étaient 24,5 % en 2000. Mais, entre 2000 et 2008, en euros constants, le salaire brut mensuel moyen d’un journaliste est passé de 3 491,53 euros à 3 417,29 euros (- 2,13 %).

Répartition des journalistes selon le salaire brut mensuel moyen en 2008

Source : Observatoire des métiers de la presse – mai 2009

S’agissant des pigistes, 37,2 % des pigistes gagnaient moins de 1 500 euros en 2008, le montant brut mensuel moyen de leur rémunération ayant diminué entre 2000 et 2008 de 2 200,94 à 2 059,25 euros (- 6,44 %).

Répartition des journalistes selon le salaire brut mensuel moyen des piges en 2008

Source : Observatoire des métiers de la presse – mai 2009

Dans ce contexte, comme l’indiquait le Syndicat national des journalistes lors de son audition, l’obligation de respect de la déontologie professionnelle faite à chaque journaliste dépendant pour partie des conditions pratiques d’exercice de la profession, tout ce qui concourt à la précarisation croissante des journalistes ou à l’assujettissement des rédactions à d’autres intérêts que ceux de l’information du public, va donc à son encontre.

Ce constat est confirmé par les chercheurs : « tous ces jeunes entrants dans la profession, les précaires, les isolés (…) n’ont d’autres choix que d’accepter des conditions de production peu favorables à leur épanouissement professionnel et (…) évoluent dans des environnements où la déontologie est un luxe. Nous ne saurions, bien évidemment, leur jeter la pierre » (9). Et même ceux qui travaillent à temps plein et sous contrat le font « la peur au ventre, craignant pour la pérennité du titre ou de leur poste, redoutant les pressions de leur hiérarchie, appréhendant les mises en cause ou les désaveux de l’opinion publique » (10).

II.- UN PERPÉTUEL COMBAT EN FAVEUR
DE L’INDÉPENDANCE DES RÉDACTIONS

Les difficultés matérielles d’exercice du métier ne sont pas les seules en cause dans la fragilisation de la profession. En effet, dans le même temps, « l’explosion des nouvelles technologies de la communication, en démystifiant les techniques et les pratiques, a fait tomber le masque derrière lequel certains dissimulaient leur paresse intellectuelle ou leur honnêteté à géométrie variable ». Ainsi, « les journalistes ont dégringolé dans l’échelle de l’estime nationale, dont certains barreaux ont été sciés par la profession elle-même, incapable de faire respecter les règles déontologiques consignées dans ses chartes » (11).

Face à ces attaques dont elle est victime, la profession a, depuis longtemps, essayé de s’organiser, de se fixer une déontologie et de protéger son indépendance, parfois en créant des sociétés de journalistes. Ces outils professionnels ou interprofessionnels sont aujourd’hui insuffisants, comme on peut le constater face aux graves atteintes dont sont victimes les journalistes.

Le rapporteur plaide donc pour inscrire clairement dans la loi le principe de l’indépendance des rédactions et donner ainsi sa pleine efficacité au nouvel article 34 de la Constitution, qui dispose que la loi doit fixer les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ».

A. RESPONSABILITÉ SOCIALE DU JOURNALISTE ET DÉONTOLOGIE

Comme le souligne Alexandrine Civard-Racinais, « la déontologie relève de la sphère publique, à la différence de l’éthique – ensemble des idées de quelqu’un sur la morale – qui appartient à la seule sphère privée. Elle est l’affaire des professionnels de l’information. Pour autant, l’énonciation de règles professionnelles ne regarde pas que les seuls journalistes. Le regain d’intérêt pour la déontologie s’inscrit en effet dans l’affirmation de la « responsabilité sociale » des médias » (12).

Pourtant, en 1993, c’est une résolution relative à « l’éthique » du journalisme qu’adopte le Conseil de l’Europe (13) sous la forme de plusieurs principes déontologiques qui « devraient être appliqués par la profession à travers l’Europe ». Au-delà des querelles de sémantique, le texte constate que la responsabilité du respect de la déontologie procède de trois niveaux dans le secteur du journalisme : éditeurs, propriétaires d’entreprises de presse et journalistes. Le texte estime qu’il ne suffit pas de garantir la liberté des médias, mais aussi de sauvegarder et de protéger la liberté des journalistes. Si, d’un côté, les journalistes sont appelés à respecter la vie privée des individus et la présomption d’innocence, à n’obtenir des informations que « par des moyens légaux et moraux », à rectifier automatiquement et rapidement toutes les informations fausses ou erronées, à éviter toute connivence avec le pouvoir politique qui nuirait à l’indépendance et l’impartialité de leur profession, à ne pas avoir pour objectif principal d’« acquérir du prestige et une influence personnelle », la résolution souligne aussi qu’« il faut exiger du journaliste une formation professionnelle adéquate » et que, « pour assurer la qualité du travail du journaliste et son indépendance, il faut garantir à celui-ci un salaire digne et des conditions, des moyens et des instruments de travail appropriés ».

Cette résolution, qui ne constitue qu’une recommandation, reprend en partie le contenu des chartes déjà élaborées par la profession depuis le début du XXe siècle.

Sous le terme de « déontologie du journalisme », on regroupe en effet aujourd’hui d’une part les textes approuvés par l’ensemble des syndicats de journalistes, comme la Charte de 1918 ou celle de Munich en 1971, et d’autre part diverses chartes propres à certains organes de presse. Quelques éléments figurent par ailleurs dans la convention collective nationale de travail des journalistes.

1. Les principes présents dans la convention collective

Certains principes de déontologie de base sont mentionnés dans la convention collective nationale de travail des journalistes. L’article 5 prévoit ainsi qu’un « journaliste professionnel ne peut accepter pour la rédaction de ses articles d’autres salaires ou avantages que ceux que lui assure l’entreprise de presse à laquelle il collabore » et qu’en « aucun cas, un journaliste professionnel ne doit présenter sous la forme rédactionnelle l’éloge d’un produit, d’une entreprise, à la vente ou à la réussite desquels il est matériellement intéressé ».

Il précise aussi qu’un « employeur ne peut exiger d’un journaliste professionnel un travail de publicité rédactionnelle telle qu’elle résulte de l’article 10 de la loi du 1er août 1986 (14) – travestissement en information de la publicité financière » et que « le refus par un journaliste d’exécuter un travail de publicité ne peut être en aucun cas retenu comme faute professionnelle, un tel travail doit faire l’objet d’un accord particulier ».

2. Les chartes déontologiques

a) La charte des devoirs professionnels des journalistes français de juillet 1918

Publiée en juillet 1918 à l’initiative du syndicat des journalistes, et révisée en janvier 1938, cette charte vise à « moraliser la profession et écarter les indignes » (15). La charte propose quelques principes relativement simples et dispose notamment que le journaliste doit « prendre la responsabilité de tous ses écrits », « garder le secret professionnel » et « ne pas confondre son rôle avec celui d’un policier ».

Il doit considérer la calomnie, les accusations sans preuves, la déformation des faits et le mensonge comme « les plus graves fautes professionnelles », ne jamais se faire passer pour un autre ni « user de moyens déloyaux pour obtenir une information ». Il doit refuser d’être rémunéré par un service public ou par une entreprise privée qui pourrait profiter de sa qualité de journaliste, de ses influences et de ses relations. Il ne doit d’ailleurs jamais signer de son nom des publicités ni s’abriter derrière la liberté de la presse « dans une intention intéressée ». Enfin, ses articles doivent être originaux et citer les confrères s’ils s’en inspirent.

b) La déclaration des droits et devoirs des journalistes, dite « charte de Munich » du 24 novembre 1971

La charte de 1918 a été complétée en 1971 par cette déclaration des droits et devoirs des journalistes, adoptée par les représentants des fédérations de journalistes de la Communauté économique européenne, de la Suisse et de l’Autriche, ainsi que par les organisations internationales de journalistes. L’objectif était encore une fois qu’elle devienne opposable en droit, par une annexion à la convention collective de la profession.

Ce texte précise dans son préambule que « le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain » et que « la responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics ». La charte définit ensuite dix devoirs et cinq droits fondamentaux des journalistes et de leurs employeurs. Parmi les dix devoirs, le respect de la vérité et de la vie privée, l’impératif de ne publier que des informations « dont l’origine est connue » ou accompagnées de réserves, l’obligation de « rectifier toute information qui se révèle inexacte », de « ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement » et de refuser les pressions comme « les consignes, directes ou indirectes, des annonceurs ». Parmi les cinq droits coexistent la possibilité d’avoir un « libre accès à toutes les sources d’information » et d’enquêter « librement » sans se voir opposer le « secret des affaires publiques ou privées », sauf exception clairement justifiée.

La charte prévoit également que le journaliste puisse refuser d’accomplir un acte professionnel ou d’exprimer une opinion « qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience ».

Depuis ces améliorations apportées par les syndicats à la charte en 1971, le texte n’a plus connu d’évolutions au niveau national. Pourtant, les syndicats réclament depuis cette date l’annexion de la charte de déontologie à la Convention collective nationale de travail des journalistes.

c) Des chartes propres à certains journaux

Depuis la fin des années 70, des initiatives ponctuelles ont par ailleurs vu le jour, sous la responsabilité de certaines entreprises de presse ou branches professionnelles. La presse quotidienne régionale s’est lancée en premier, notamment au sein de Ouest France, après la multiplication des procès et certaines dérives importantes constatées lors de faits divers – notamment l’affaire Grégory en 1985. Les chartes éditoriales issues de ces réflexions, fruits d’un travail commun entre direction et rédaction, servent d’ailleurs également les intérêts de la direction qui y voit une forme de garde-fou dans la production de l’information.

Parfois le travail est d’abord réalisé au sein de la rédaction puis proposé à la négociation auprès de la direction. C’est très souvent le cas au sein de la presse quotidienne nationale. Par ailleurs, comme le rappelle Bruno Verfaillie, « ces chartes et codes sont très divers dans leur ambition, leur envergure, leur structure, leur contenu ». Ainsi, à Libération, la « charte d’indépendance rédactionnelle » inscrite dans les anciens statuts de l’entreprise a été sauvegardée par le repreneur. Libération demeure, selon les termes de la charte, un quotidien dont « la qualité et la crédibilité (…) sont directement liés au respect scrupuleux de l’éthique professionnelle ». À l’Express, la charte sur l’identité et l’indépendance est l’œuvre de la société des journalistes. Ce travail, entamé en 1997, a finalement paraphé par la direction en 2000. De même, « les journalistes du Nouvel Observateur sont solidement campés sur un document qui régit la répartition des pouvoirs dans l’entreprise (une entreprise “pas comme les autres”, parce qu’elle “est aussi un journal”). Une deuxième partie énumère des principes quant à l’orientation du journal, au traitement de l’information (jusqu’à l’emploi du conditionnel dans les papiers !) et au fonctionnement de la rédaction » (16).

d) Le code de déontologie journalistique issu des États généraux de la presse

À la suite des États généraux de la presse écrite de 2008-2009, dont le pôle « Métiers du journalisme » avait conclu à l’intérêt d’annexer à la convention collective des journalistes, un code de déontologie journalistique, « ayant vocation à être signé individuellement par chaque personne sollicitant l’obtention de la carte de presse », a été élaboré par un comité réunissant une dizaine de représentants des journalistes et des éditeurs de presse et présidé par Bruno Frappat.

Un projet de code de déontologie journalistique a été présenté le 27 octobre 2009. Il comporte notamment des dispositions concernant l’indépendance du journaliste vis-à-vis du pouvoir politique et du secteur économique puisqu’il dispose que « le journaliste garde recul et distance avec toutes les sources d’information et les services de communication, publics ou privés. Il se méfie de toute démarche susceptible d’instaurer entre lui-même et ses sources un rapport de dépendance, de connivence, de séduction ou de gratitude » et que « le journaliste s’interdit toute activité lucrative, extérieure à l’exercice de son métier, pouvant porter atteinte à sa crédibilité et à son indépendance ».

Cette charte, adoubée par les chefs d’entreprise de presse, est très contestée par les syndicats et les sociétés de journalistes. Il est en effet surprenant qu’elle ne comporte qu’un listage très détaillé des devoirs des journalistes. On peut même se demander dans quelle mesure son annexion à la convention collective ne constituerait pas un moyen de pression supplémentaire des organes dirigeants des entreprises employant des journalistes sur ces derniers, cette annexion lui donnant la force juridique dont ne sont pas dotées les chartes de 1918 et de 1971.

B. DES SOCIÉTÉS DE JOURNALISTES DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES

Comme le souligne une étude comparative réalisée par le Sénat, il n’existe pas, dans notre pays, de régime général applicable aux sociétés de journalistes ou de rédacteurs dans la presse écrite (17). Aucune disposition n’impose non plus la création de comités ou de conseils de rédaction dans les journaux, quel que soit le secteur auquel ils appartiennent (presse quotidienne régionale, quotidiens nationaux, hebdomadaires, presse d’information spécialisée, etc.). En France, la dénomination de « société de journalistes » (SDJ) ou celle de « société de rédacteurs » (SDR) s’applique à des entités juridiques dotées de statuts très divers : sociétés civiles à capital variable, sociétés en nom collectif ou associations relevant de la loi de 1901 notamment. Par ailleurs, les sociétés de journalistes ne sont pas seulement présentes dans le secteur de la presse écrite. On en dénombre également dans d’autres médias (radios, télévisions et agences de presse).

En France, les compétences de chaque société de journalistes découlent d’un statut propre ou d’un accord conclu avec l’éditeur d’un titre. Elles sont donc spécifiques à chaque entreprise. Dans le secteur de la presse, une société de journalistes a principalement pour objet de préserver l’indépendance éditoriale du journal où travaillent ses membres. Elle dispose parfois, du fait d’un accord particulier avec le propriétaire du titre, d’un droit de regard sur la nomination du rédacteur en chef ou sur celle du directeur de la rédaction. Quelques sociétés possèdent une fraction du capital de la société d’édition.

Elles agissent également en matière de déontologie journalistique grâce à leur participation à l’élaboration des chartes déontologiques de leur journal.

Élus par leurs pairs, les journalistes qui représentent les sociétés de rédaction exercent leurs fonctions de manière bénévole et sont, le plus souvent, dépourvus de moyens spécifiques analogues aux heures de délégation dont bénéficient les représentants du personnel. De même ne jouissent-ils d’aucun régime de protection particulier en matière de sanction ou de licenciement.

Ces sociétés sont apparues pour défendre l’indépendance de diverses rédactions, au cas par cas, en plusieurs vagues depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. Comme le rappelle Bertrand Verfaillie, « une société (…) est un groupe organisé et permanent, institué dans un but précis. C’est bien le cas des sociétés de rédacteurs de l’après-guerre et des trente glorieuses, qui entendaient constituer les rédactions des journaux et des radios périphériques privées de l’époque en "participantes", par le biais de l’actionnariat, à la conduite de leurs entreprises. Faire exister, en toute indépendance, auprès du capital argent, le "capital plume", selon l’expression de Jean Schwoebel. Ce journaliste du Monde et président de la société des rédacteurs du quotidien a théorisé la formule dans son ouvrage "La presse, le pouvoir et l’argent" (Seuil, 1968) » (18).

Les premières sociétés de journalistes ont en effet vu le jour à la Libération. D’autres furent créées dans les années 1950 et 1960, souvent à cause de la persistance de divergences de vues entre la rédaction d’un journal et l’éditeur ou le propriétaire de celui-ci.

Car si, en novembre 1945, la Fédération nationale de la presse – fédération professionnelle regroupant les entreprises de presse – avait affirmé que la presse n’était pas « un instrument de profit commercial » mais « un instrument de culture, sa mission est de donner des informations exactes, de défendre des idées, de servir la cause du progrès humain », dès le début de la Ve République, beaucoup estiment que la concentration des journaux menace la diversité éditoriale issue de la Libération. Ainsi, comme le relate Marc Martin (19), lors de la campagne présidentielle de mai 1969 déjà, M. Prouvost, propriétaire du Figaro, tente d’établir son autorité sur la rédaction. Mais les journalistes votent la grève et occupent les locaux durant deux semaines. Par solidarité, leurs confrères du Parisien libéré, de L’Équipe et de L’Est républicain cessent aussi le travail, leurs directions refusant la publication d’un communiqué de soutien. M. Prouvost est contraint au recul. Marc Martin observe que, « pour la première fois, à l’issue d’un conflit dans un journal, les droits du propriétaire avaient plié devant ceux de la rédaction ».

En 1969, la Fédération française des sociétés de journalistes regroupe ainsi plus de deux mille adhérents – un cinquième de la profession – autour d’un triple objectif énoncé par son président, Jean Schwoebel : « Faire en sorte que l’idée de service l’emporte dans les entreprises de presse sur la préoccupation de profit, assurer un recrutement de journalistes de qualité et garantir l’indépendance de plume de ces derniers ».

Les sociétés de rédacteurs visent dans les années 60-70 à limiter le pouvoir des propriétaires de journaux d’information en acquérant une minorité de blocage dans le capital des sociétés éditrices. Fortes d’un droit de veto, elles peuvent ainsi peser collectivement sur les décisions prises au sein du journal. C’était toute l’ambition de la société des rédacteurs du Monde.

En 1969, les sociétés de rédacteurs, regroupées dans la Fédération, demandent au législateur d’imposer à toutes les entreprises d’information « la même obligation de se transformer en “société à lucrativité limitée et à participation des journalistes” ».

Mais, déjà, des voix s’élèvent au sein même de la profession, notamment au niveau des instances syndicales, qui estiment que ces sociétés privilégient les intérêts des travailleurs intellectuels aux dépens des autres catégories de personnel des entreprises de presse et qu’elles risquent de court-circuiter l’action des syndicats.

Du fait de la liberté de constitution de ces entités et de la variété de leurs statuts on ne dispose pas, en France, d’un recensement national des SDJ et de leurs équivalents. Pour autant, en 2010, le Forum des sociétés de journalistes, qui remplace aujourd’hui la Fédération française des sociétés de journalistes, regroupe 33 sociétés de journalistes ou sociétés de rédacteurs (20), contre 23 en 2007 et 13 à sa création en 2005. L’activité des SDJ a été dopée par les changements d’actionnaires subis par la plupart des quotidiens nationaux et régionaux français depuis 2005. Ainsi, l’une des sociétés de journalistes la plus active est celle du quotidien économique Les Échos, qui compte 223 membres, soit la quasi-totalité des journalistes du titre. L’autre quotidien économique français, la Tribune, dispose également d’une société des journalistes, créée dans les années 1990 et qui a obtenu en 1998 la signature par l’actionnaire du journal, LVMH, d’une charte de déontologie, puis la nomination d’un médiateur après la reprise du titre par M. Alain Weill. De même, les sociétés de journalistes de L’Express et du Figaro se sont élevées contre les tentatives de reprise en main par leur propriétaire.

Rappelons par ailleurs que des sociétés de journalistes existent aussi dans le secteur audiovisuel, notamment à France Télévisions, Radio France et RFI, mais également à TF1. Dans ce dernier cas, les journalistes investis dans la structure font preuve d’une grande détermination, dénonçant régulièrement le « profond malaise » qui s’est installé entre les journalistes et la direction, après que de nombreux journalistes aient été licenciés, et alors que la direction procède d’un « management par la peur (…) nuisible à la qualité de l’information » (21).

C. DÉONTOLOGIE ET INDÉPENDANCE JOURNALISTIQUES AUJOURD’HUI GRAVEMENT MENACÉES

On ne saurait dissocier le combat pour le respect de la déontologie de celui mené pour la reconnaissance légale de l’indépendance des rédactions, leur permettant de s’opposer collectivement à toute pratique porteuse d’un risque de dérive déontologique, ou heurtant la conscience professionnelle des journalistes.

En effet, même si la jurisprudence sociale, notamment les tribunaux des prud’hommes, ont commencé à prendre en compte les chartes de 1918 et 1971 dans leurs décisions et même si la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et que « des perquisitions ayant pour objet de découvrir la source d’un journaliste constituent – même si elles restent sans résultat – un acte plus grave qu’une sommation de divulgation de l’identité de la source », les chartes déontologiques imaginées il y a près d’un siècle restent aujourd’hui largement incantatoires puisqu’elles ne sont pas opposables aux éditeurs.

Par ailleurs, comme indiqué précédemment, plusieurs phénomènes mettent aujourd’hui gravement en péril l’indépendance et la déontologie journalistiques, depuis la politique rédactionnelle imposée par la direction d’une publication jusqu’à l’exigence de productivité et de rentabilité qui peut mener les journalistes à négliger certaines précautions indispensables – vérification des sources ou respect de la vie privée par exemple.

Les relations entre décideurs publics et décideurs privés impliqués dans le secteur des médias ont en outre pour conséquence de faire peser des doutes sur le degré réel de liberté et d’indépendance de leurs titres de presse ou de leurs chaînes de radio et de télévision vis-à-vis du pouvoir politique. Le phénomène est aggravé par l’action de l’actuel pouvoir exécutif, qui ne manque pas d’exercer des pressions sur ces décideurs privés.

Au Journal du Dimanche par exemple, propriété du groupe Lagardère, le 20 mai 2007, la société des journalistes a dénoncé l’intervention du propriétaire qui a conduit la direction du journal à censurer un article révélant que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté au second tour de l’élection présidentielle, au motif, selon le directeur de la rédaction, que le vote relève de la « sphère privée », même pour le conjoint d’un candidat…

De même, un communiqué de la société des journalistes (SDJ) du Figaro contestait récemment la façon dont l’affaire Bettencourt avait été traitée par le directeur des rédactions, M. Étienne Mougeotte, dans son édition en ligne du 8 juillet dernier, reproduite dans l’édition papier du 9 juillet. L’article publié n’était pas signé et l’extrait choisi du procès-verbal de l’audition de Mme Claire Thibout, l’ex-comptable de Liliane Bettencourt, était tronqué. Un traitement « qui participait à l’évidence de la stratégie de communication élaborée à l’Élysée », selon le syndicat des journalistes (22). La société des journalistes du Figaro a donc rappelé à M. Étienne Mougeotte certaines règles déontologiques basiques : « les articles doivent être signés, c’est-à-dire assumés par leur auteur ». Par ailleurs, « l’expérience a démontré que les journalistes en charge d’un dossier sont généralement les mieux à même pour jauger la pertinence d’une information nouvelle. Dans l’affaire présente, la SDJ déplore que ni Cyril Louis, ni Mathieu Delahousse, qui suivaient ce dossier [Bettencourt], n’aient été avertis du scoop” sur lequel la direction venait de mettre la main ». Enfin, « les informations doivent d’abord être vérifiées, puis exposées dans leur globalité et replacées dans leur contexte. C’est notamment le B.a.-ba pour tout journaliste du service Informations générales” que de considérer les procès-verbaux dans leur intégralité. Sinon, le journaliste prendrait le risque d’orienter les débats et de faire dire au témoin autre chose que ce qu’il voulait dire ».

Les pressions ne sont d’ailleurs plus seulement dirigées vers les décideurs des médias privés, mais également vers les présidents des sociétés de l’audiovisuel public du fait de la réforme de 2009 – et notamment des modalités de nomination des présidents des sociétés concernées. Ainsi, trois jours après sa nomination à la tête de Radio France, le 15 mai 2009, M. Jean-Luc Hees a cru bon devoir s’inviter dans une émission de France Inter diffusée en direct dans laquelle Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart, était venu défendre son dernier livre, Combat pour une presse libre. Dans ce livre, M. Plenel expliquait sur l’antenne de France Inter qu’il dénonce le risque de voir apparaître « un rapport clientéliste des médias à l’État ». M. Jean-Luc Hees est alors intervenu : « Je comprends votre vigilance et ce combat nécessaire. Nous sommes alliés, c’est ce que je suis venu vous dire (…) On vous entend sur cette antenne de service public (...) et on va vous entendre encore Edwy Plenel, vous êtes ici chez vous, comme tout le monde. Vous êtes la preuve que ce soupçon, en ce qui concerne la nomination des présidents de l’audiovisuel public est infondé »… Immédiatement, les journalistes et les syndicats de Radio France ont dénoncé cette prise directe d’antenne, « de même nature que la nomination directe (...) Cette nouveauté n’est pas anecdotique. Elle crée un précédent. Ce précédent créera mécaniquement un climat d’inquiétude, qui poussera à l’autocensure». Une telle situation, qui a constitué une première regrettable à Radio France ne devrait jamais se reproduire.

Par ailleurs, alors que l’article 4 de notre Constitution dispose que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions », les vagues successives de concentration dans le secteur ont peu à peu vidé de son sens cette disposition (23). L’évolution n’est d’ailleurs pas récente puisque dès le début de la Ve République, des voix s’élèvent pour s’inquiéter de la situation. En effet, des 203 quotidiens d’information publiés en France en 1946, moins d’une centaine subsistent en 1968. D’aucuns prophétisent l’agonie d’une information imprimée, à l’instar de Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde : « il y a quelques années, l’homme-clé d’un journal était le rédacteur en chef ; l’homme-clé aujourd’hui est celui qui s’occupe principalement de l’aspect commercial de son fonctionnement » (24).

Pendant les années 60, des rapprochements se font au niveau des groupes régionaux dont les principaux sont Ouest France, La Montagne, Le Provencal, Le Dauphiné libéré. Au milieu des années 70, c’est Robert Hersant qui entre dans la presse avec l’Auto journal, une réussite spectaculaire. Puis il rachètera Paris Normandie, Le Figaro, France Soir et L’Aurore. Au début des années 80, le groupe Hersant rachète également Le Dauphiné Libéré et Le Progrès.

Face à ce phénomène – le groupe Hersant contrôlant 30 % du tirage des quotidiens de Paris et 20 % de celui des quotidiens régionaux –, la nouvelle majorité de gauche vote dès 1984 la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse. Le texte prévoit des quotas de parts de marché contrôlées par un même groupe et institue une Commission pour l’indépendance et la transparence de la presse chargée de surveiller l’application de la loi.

La décision rendue le 11 octobre 1984 par le Conseil constitutionnel reconnaît d’ailleurs le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale comme étant « en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ».

Les lois n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse et n° 86-1210 du 27 novembre 1986, destinée aux seuls quotidiens d’information générale et politique, complètent le paysage tout en abrogeant un certain nombre de dispositions de la loi de 1984, et n’empêchent pas les concentrations de se poursuivre, comme le rapporteur l’a dénoncé l’an passé. Parmi les trois plus grands groupes de médias en France, les deux premiers sont aujourd’hui sous la coupe de puissants industriels dont les secteurs d’activités sont liés à l’État (aviation, armement, bâtiment et travaux publics). Socpresse et Hachette Filipacchi Médias sont en effet contrôlés par des groupes industriels d’armement, tandis que seul le troisième, Ouest-France, est un vrai groupe de presse. Comme le rapporteur le soulignait déjà l’an passé, les intérêts politico-médiatico-financiers font donc en France bon ménage…

Le groupe Arnault, constitué de Christian Dior et LVMH, est propriétaire des journaux Investir et Les Échos, ainsi que de la société Radio Classique. Bernard Arnault, son président, est également membre du conseil de surveillance de la société de télévision M6 (RTL Group). Le groupe Bolloré, présidé par M. Vincent Bolloré et concentré sur des activités liées aux films plastiques ainsi qu’au transport, à la gestion des ports et à la logistique en Afrique, se constitue progressivement un pôle communication comprenant notamment Euromédia Group (Société française de production), l’agence Havas, les éditions de presse Direct Matin Plus, Direct Soir, et les chaînes de télévision Direct 8 et Direct Star sur la TNT.

Le groupe Bouygues, présidé par M. Martin Bouygues, outre ses activités de BTP, de maintenance des équipements routiers et de télécommunications, détient le groupe TF1 (Revue Métro France, chaînes de télévision TF1, LCI, Eurosport, Histoire, TV Breizh, NT1, TMC…).

Le groupe Dassault, présidé par M. Serge Dassault, est présent dans l’aéronautique civile et militaire et l’électronique de défense (Thalès). Il contrôle la société Socpresse (Groupe Figaro) et participe au capital de Valeurs actuelles. Il a été tenté par un rachat du Parisien-Aujourd’hui en France.

Le groupe Lagardère est centré sur des activités aéronautiques et a constitué un empire médiatique dans la presse (Disney Hachette Presse et Hachette Filipacchi distribution : Auto Moto, Elle, Journal du dimanche, Paris-Match…), la télévision (Canal J, Virgin, MCM…) et la radio (Europe 1, RFM…). Il possède des participations au sein du groupe Le Monde et du groupe Amaury (Le Parisien, L’Équipe…).

Le groupe Pinault (Gucci et Puma, FNAC, Conforama, etc.) gère le magazine Le Point.

Dans ce cadre, les atteintes portées à l’indépendance des rédactions se multiplient. Ainsi, par exemple, dans un article publié le 7 octobre dernier, le Monde rend compte du témoignage d’un journaliste du Figaro concernant les pressions exercées indirectement par le groupe Dassault lorsque des articles critiques doivent être publiés sur des pays où l’industriel aurait des contrats en cours de négociation ou avec lesquels le groupe serait déjà en affaire – Brésil, Libye ou Suisse, par exemple.

De même, aux Echos, depuis 2007, le groupe LVMH s’immisce dans les organes de direction du titre. Ainsi, en 2008, déjà, la société des journalistes du titre dénonçait la nomination par l’actionnaire, M. Bernard Arnault, de son propre fils, Antoine Arnault, alors directeur de la communication de Louis Vuitton, au comité d’indépendance éditoriale du groupe. Parallèlement, Delphine Arnault, fille de l’actionnaire, faisait également son entrée au conseil de surveillance des Échos… D’ailleurs, deux ans après le rachat des Echos par LVMH, près d'un quart des salariés, dont 62 journalistes, ont fait jouer la clause de cession et s'apprêtent à quitter le groupe (25), traduisant une atmosphère qui ne s’est pas améliorée au sein de la rédaction.

Auparavant propriétaire de La Tribune, M. Arnault utilisait déjà des méthodes peu conformes à la déontologie de la profession. Le quotidien a d’ailleurs connu de nombreuses grèves et motions de défiance des journalistes durant les quinze ans où il était propriété de LVMH. Ainsi, à cette époque, « même s’il décrochait rarement lui-même son téléphone, ses collaborateurs n’hésitaient pas à faire pression sur des journalistes ou à sucrer des budgets publicitaires. Voire à caviarder ou trapper des articles » (26). Pour ne prendre qu’un exemple, « les répercussions de la crise asiatique de 1997 sur LVMH sont l’occasion de quelques réécritures d’articles, aux titres et contenus modifiéspar la rédaction en chef » (27). À cette époque, M. Philippe Mudry, directeur de la rédaction, estime en effet que « l’intérêt de l’actionnaire ne doit pas être remis en cause par un journal qu’il contrôle ». L’actionnaire a « le droit d’intervenir sur le traitement de l’information (…), même au détriment du lecteur » (28).

Ce n’est par un hasard si la direction de la rédaction a vu se succéder six directeurs… Autre exemple criant, « le 21 avril 2002, le rédacteur en chef du service politique signe le papier sur les adieux de Lionel Jospin. « J’ai écrit qu’il se retirait de la vie politique, et la direction de la rédaction a rajouté “mais sans grandeur”. C’est paru comme ça » » (29)

Par ailleurs, aujourd’hui, même les groupes de presse auparavant indépendants comme Le Monde et Libération sont entrés dans une logique capitaliste et ont dû faire appel à des capitaux extérieurs pour se renflouer.

Les journalistes eux-mêmes ont dénoncé cette situation lors d’une réunion au Théâtre de la Colline à Paris, le 24 novembre 2008, et ont lancé un Appel qui comporte notamment « le refus impératif du mélange des intérêts industriels et médiatiques, afin de garantir que les opérateurs économiques n’aient pas d’autre objectif que l’information ». La création des Assises internationales du journalisme par l’association « Journalisme et Citoyenneté », à l’initiative de M. Jérôme Bouvier, ancien directeur de la rédaction de France Culture et de RFI, médiateur de Radio France depuis novembre 2009, procède de la même volonté de refuser le mélange des genres et de l’impératif de réaffirmer clairement le cloisonnement entre l’éditorial et l’économique. Depuis 2007, la manifestation vise à définir les conditions de production d’une information de qualité dans la France du XXIe siècle. Il s’agit d’un lieu d’échange et de réflexion sur le journalisme et sa pratique, absolument indépendant de toute tutelle, où journalistes, éditeurs, étudiants et chercheurs, mais aussi citoyens peuvent débattre librement. En 2009, les Assises ont rassemblé près de 1 000 professionnels au Conseil de l’Europe et environ 1 500 autres participants dans le cadre des débats organisés un peu partout dans Strasbourg.

La situation actuelle est fort bien résumée par Bertrand Verfaillie dans une note publiée en mars 2008 (30) : « “Avant, quand il se heurtait à un problème, le journaliste prenait ses cliques et ses claques et partait dans la maison d’en face, bougonne François Malye, président de la SdJ du Point. Maintenant, il n’y a plus d’en face”. Le phénomène de concentration, grand mot et grand mal des années soixante-dix et quatre-vingts, s’est stabilisé. Mais les groupes multimédias qui se sont ainsi formés s’achètent et se revendent désormais (…). Les patrons de presse ont cédé la place à des industriels ; les rédacteurs en chef à des directeurs de départements. Le responsable des activités médias du groupe Lagardère, ancien PDG d’Orange, ne parle pas de titres de journaux mais de marques, destinées à des clients plutôt qu’à des lecteurs. C’est la nouvelle tendance, cautionnée et alimentée par le pouvoir politique au plus haut niveau. L’heure n’est plus aux purges, façon Charles De Gaulle ou même Valéry Giscard d’Estaing. Nous vivons à l’époque de l’ingérence décomplexée ; c’est le titre qu’avait choisi Libération le 28 juin 2007, en écho au cri d’alarme lancé par le Forum des sociétés de journalistes. La liberté de la presse, le pluralisme d’expression, l’indépendance rédactionnelle sont en jeu dans notre pays ».

Les intérêts privés puissants et actuellement très proches du pouvoir politique nuisent donc aujourd’hui gravement à l’exercice de la profession de journaliste. Les affaires récentes, comme les perquisitions de différentes rédactions en France, l’écoute des communications téléphoniques ou les vols d’ordinateurs, montrent que la tentation est grande d’utiliser les journalistes comme auxiliaires de police ou de justice.

En tout état de cause, ces multiples interventions du politique et du monde des affaires, ainsi que la dépendance politique et financière dans laquelle le pouvoir exécutif tient l’audiovisuel public depuis l’adoption de la loi de 2009, doivent conduire à réagir. À cet égard, la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources de journalistes, censée mieux protéger les sources des journalistes et réglementer les atteintes pouvant y être portées, est régulièrement contournée par ceux qui l’ont pourtant fait voter. La profession ne s’y est pas trompée, qui a dénoncé le 25 octobre dernier les « manœuvres » du procureur Philippe Courroye, qui a fait rechercher les communications téléphoniques de journalistes pour connaître leurs sources dans l’affaire dite Woerth-Bettencourt. L’association des journalistes judiciaires, qui représente environ 150 journalistes chargés de l’actualité judiciaire, estime qu’il est « intolérable, dans une démocratie qui prétend protéger le secret des sources des journalistes, de constater que les moyens de l’État sont mis en œuvre à l’encontre de l’esprit de la loi votée en ce sens par les parlementaires ».

Le rapporteur partage ce point de vue.

III.- L’IMPÉRATIVE NÉCESSITÉ D’INSCRIRE L’INDÉPENDANCE DES RÉDACTIONS DANS LE DROIT

La question de la reconnaissance juridique des rédactions afin de garantir, dans le droit positif, leur autonomie vis-à-vis des propriétaires d’un titre de presse n’est pas neuve puisque, dès 1984, l’article 14 de la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, prévoyait déjà que toute publication quotidienne d’information politique et générale devait disposer de sa propre équipe rédactionnelle permanente, composée de journalistes professionnels au sens de l’article L. 716-2 du code de travail, cette équipe devant être « suffisante pour garantir l’autonomie de conception de cette publication ». Mais, selon le sénateur Thiollière, la disposition adoptée en 1984 « comportait un certain nombre d’effets pervers qui ont conduit le législateur à l’abroger dans le cadre de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse »… Effets pervers sans doute particulièrement ressentis par les propriétaires de journaux.

Organisations étrangères

En Italie, la création des « comités de rédaction » est régie par l’équivalent de la convention collective française.

En Suisse romande également, la convention collective des journalistes prescrit « chartes rédactionnelles » et « organes de dialogue » ; selon la taille de la rédaction, « la réunion de l’ensemble des journalistes fait office d’organe de dialogue » ou les journalistes « désignent librement dans leurs rangs les délégués chargés de les représenter ».

En Belgique, un décret de la communauté française de 2004 lie l’octroi des aides directes à la presse quotidienne à un certain nombre de critères « qualitatifs ». Parmi ceux-ci : la consultation des sociétés de journalistes (à condition qu’elles représentent au moins deux tiers des journalistes) sur la nomination du rédacteur en chef, les modifications de ligne éditoriale, l’organisation des rédactions. La mesure est imparfaite car les pouvoirs publics ne peuvent moduler leur position ; ils ne disposent que d’une « arme nucléaire » - la suppression totale des aides aux journaux - qu’ils n’utilisent jamais. Le décret n’en constitue pas moins une forme de reconnaissance des rédactions ; les éditeurs sont obligés d’accepter la création de sociétés de journalistes et tous les journalistes, incités à y adhérer. De même, dans le secteur audiovisuel public et privé, l’autorisation d’émettre est soumise à « la reconnaissance d’une société de journalistes ».

Source : B. Verfaillie, réf. précitées.

Dans sa résolution précitée (31), le Conseil de l’Europe invite également les médias à « s’engager à se soumettre à des principes déontologiques rigoureux » et suggère de « créer des organismes ou des mécanismes d’autocontrôle » pour garantir l’indépendance de la profession.

En effet, si la reconnaissance juridique des rédactions a de nouveau été écartée par la profession à l’issue des débats des États généraux de la presse écrite, c’est encore une fois sous la pression des éditeurs de presse. D’ailleurs, à l’occasion de son discours de clôture des États généraux de janvier 2009, le Président de la République y est revenu en indiquant qu’une telle disposition risquait de décourager a priori d’éventuels investisseurs. Une fois encore, la presse était considérée comme une activité économique identique à toutes les autres…

La présente proposition de loi propose à l’inverse d’explorer cette possibilité, les outils juridiques, contractuels et professionnels, jusqu’à présent développés, étant devenus insuffisants pour protéger la liberté d’expression.

Depuis les origines de la législation sur le secteur de la presse, la spécificité et la responsabilité sociale de la fonction de journaliste ont toujours été défendues avec force. L’équilibre et le cloisonnement entre fonctions éditoriales et fonctions économiques instaurés par la loi de 1881 et les lois qui ont suivie étant aujourd’hui largement rompus, la proposition de loi vise à les rétablir. Ainsi « rééquilibré », le secteur pourra plus sereinement envisager son avenir et regagner en crédibilité.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation examine la présente proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 10 novembre 2010.

Un débat suit l’exposé du rapporteur.

M. Christian Kert. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Si nous sommes certains de celles de M. Bloche, son texte risque de produire le contraire de ce qu’il souhaite. La proposition de loi comporte deux grandes mesures. La première tend à garantir l’indépendance des rédactions par la constitution d’un comité veillant au respect de la déontologie. La seconde vise à renforcer les obligations d’information sur l’actionnariat, à la charge des entreprises éditrices et des actionnaires.

La proposition de loi aurait été servie par l’actualité si le groupe Amaury avait persisté dans l’idée de vendre Le Parisien-Aujourd’hui en France, mais nous savons que ce n’est pas le cas. Pour avoir auditionné des patrons de presse, M. Bloche sait que la première mesure suscite l’opposition de tous les responsables d’entreprises de presse, qui y voient une grave limitation de leur pouvoir. Ils ne souhaitent pas être contraints par la loi, ce qu’on peut comprendre, ni voir créer une nouvelle structure, autonome, qui réduirait manifestement leur liberté d’action. Au reste, loin de renforcer le respect de règles déontologiques, le dispositif ne ferait que paralyser les entreprises de presse. Comment ferait-on coexister, au sein d’une même rédaction, deux équipes composées des mêmes journalistes, mais dotées de pouvoirs et de statuts différents ? Les membres de l’équipe rédactionnelle chargés du respect de la déontologie bénéficieraient en effet, en matière de droit du travail, de la même protection que les représentants du personnel. Ainsi, il faudrait une autorisation préalable de l’inspecteur du travail pour les licencier. En outre, comment envisager que, par le biais du droit de veto, ils puissent peser sur la nomination du responsable de la rédaction, c’est-à-dire de leur propre supérieur hiérarchique ? Enfin, la notion de déontologie étant vaste et relative, il faut réfléchir à l’étendue des compétences de l’équipe rédactionnelle, qui disposerait d’un droit de regard sur la politique éditoriale et rédactionnelle de l’entreprise. Comment imaginer que les journalistes aient le même niveau de responsabilité sur le contenu que le responsable de leur équipe ?

La deuxième mesure, contenue dans les articles 2 et 3, consiste en une obligation de déclarer les noms des actionnaires détenant plus de 10 % du capital et, en cas de changement, l’identité des nouveaux dirigeants et des actionnaires. Mais l’article 5 de la loi de 1986 sur la presse oblige déjà les entreprises de presse personnes morales à indiquer le nom de leur représentant légal et de leurs trois principaux associés, et à porter à la connaissance des lecteurs le nom du directeur de la publication. Il suffit d’ouvrir n’importe quel quotidien pour le vérifier. À cet égard, la proposition de loi est donc en grande partie satisfaite.

Enfin, puisque ces mesures visent, ce qui est louable, une plus grande transparence quant à la détention du capital, elles devraient s’inscrire dans une réflexion plus globale sur l’ensemble des sociétés par actions. En la matière, il n’est pas souhaitable de prévoir un régime spécifique pour les entreprises de presse.

Pour toutes ces raisons, et malgré la bienveillance avec laquelle nous avons accueilli ce rapport, nous ne voterons pas la proposition de loi.

M. Michel Françaix. M. Kert a suggéré que le texte serait devenu moins utile à présent que la vente du Parisien-Aujourd’hui en France n’est plus d’actualité. Même si l’on a tendance à l’oublier depuis la dernière élection présidentielle, il ne faut pas perdre de vue que nous ne votons pas la loi en fonction des faits divers : nous obéissons à un souci non de mise en scène, mais de mise en perspective, qui justifie la position du rapporteur.

Le texte ne fait qu’appliquer le principe de la séparation des pouvoirs, que tous s’accordent à louer, aux entreprises de presse, en séparant biens matériels et immatériels. Ces entreprises ne sont pas des entreprises comme les autres : on n’achète pas un journal comme on achète un chapeau, observait Hubert Beuve-Méry. Si nul ne remet en cause la gestion des biens matériels par les actionnaires, auxquels il incombe de développer l’entreprise et de lui garantir le meilleur rendement, il faut faire leur part aux biens immatériels. J’ai souvent taquiné les journalistes en leur reprochant de trop vouloir s’occuper des biens matériels, alors que les patrons de presse intervenaient à tort dans le domaine immatériel. Séparons davantage les deux aspects. Nul ne défendra mieux que les journalistes les biens immatériels, dont l’existence justifie les aides à la presse, versées par les contribuables afin de garantir le pluralisme. Et comment le feront-ils mieux qu’avec l’appui d’une charte ? Toute personne qui achète un journal doit pouvoir connaître non seulement ses actionnaires principaux, mais aussi les thèmes retenus dans la charte. La proposition de loi ne vise pas à bouleverser l’entreprise ni même à assurer un pourcentage du capital aux journalistes. Elle rappelle seulement que ceux-ci sont les seuls à pouvoir veiller sur l’existence et la préservation de biens immatériels.

À l’heure où le métier est en difficulté – la profession vieillit et son statut n’est pas à la hauteur de nos ambitions démocratiques –, il faut assurer l’indépendance des rédactions, sauf à mettre les entreprises de presse sur le même plan que les autres, ce qui suppose de supprimer les aides qui leur sont versées à hauteur d’un milliard d’euros.

M. le rapporteur. Plusieurs arguments devraient nous dissuader de banaliser les entreprises de presse : le montant des aides qu’elles perçoivent, que nous avons examinées la semaine dernière, et auxquelles M. Cardoso a consacré récemment un rapport ; le fait qu’elles soient régies par un droit du travail spécifique ; enfin, l’enjeu majeur que constitue la liberté d’information et de communication.

D’autre part, le texte propose non de bonnes intentions, mais un dispositif opérationnel qui, sans priver les actionnaires de leur pouvoir, les amènera à négocier, à discuter, et introduira davantage de médiation dans leurs rapports avec les rédactions, ce qui constitue un objectif d’intérêt général. D’ailleurs, le droit de veto des journalistes sur la nomination d’un directeur ne peut être considéré comme une pure création du législateur, puisqu’il existe déjà dans de nombreux journaux : Le Nouvel Observateur, La Vie, Télérama, Libération et Le Monde. À ce titre, la société des rédacteurs du Monde a joué un rôle essentiel lors du changement d’actionnaires intervenu récemment. Nous ne cherchons pas à introduire de nouvelles structures, puisque équipes rédactionnelles et sociétés de journalistes existent déjà. Nous voulons seulement leur donner un pouvoir de droit, ce qui suppose d’accorder à ceux qui les composent le statut de salariés protégés que le code du travail assure aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux. Je ne veux pas ouvrir de polémique en citant tel journal ou tel grand média audiovisuel, mais on sait combien une telle protection est nécessaire dans certaines entreprises de presse. Notre démarche ne vise pas à mettre les journalistes au même niveau que le directeur de la rédaction, mais obéit à un souci de rééquilibrage : les actionnaires doivent prendre en compte le souhait des équipes rédactionnelles de pouvoir travailler en toute indépendance.

Or, s’il vrai que l’on peut toujours donner du temps au temps, il ne l’est pas moins que, après la clôture d’états généraux de la presse qui ont été l’occasion, pour le Gouvernement notamment, de beaucoup communiquer, a été confié à M. Bruno Frappat le soin d’élaborer un code de déontologie journalistique dont j’ai cru comprendre que les entreprises de presse se satisferaient grandement s’il était annexé à leurs conventions collectives. Les sociétés et les syndicats de journalistes, quant à eux, rejettent d’autant plus une telle perspective que ce code vise surtout à établir les devoirs qui leur incombent en méconnaissant quelque peu ceux des actionnaires à leur endroit.

Enfin, monsieur Kert, comment prétendre que la transparence serait déjà acquise alors que les structures capitalistiques de ces entreprises sont on ne peut plus complexes ?

M. Jacques Grosperrin. Outre que j’aurais été plus enclin à signer une proposition de loi relative à la neutralité politique des journalistes, je considère en l’occurrence que trop de loi tue la loi.

Par ailleurs, si l’indépendance des rédactions était menacée, je puis vous assurer, en tant que membre de la majorité et au vu de la façon dont nous traitent les médias, que cela se saurait.

Enfin, l’instauration d’un scrutin de défiance ne serait pas sans effet pervers, la « cogestion » de fait des journaux risquant d’éloigner de la presse de grands groupes capitalistiques soucieux de s’engager dans un véritable projet rédactionnel, et pas seulement d’engranger des profits. Le récent remerciement de la directrice de la rédaction d’un quotidien atteste déjà d’une situation difficile, que l’adoption de cette proposition de loi ne ferait qu’aggraver en faisant fuir d’éventuels repreneurs et en affectant aussi bien la composition des rédactions que l’éthique journalistique.

Mme Monique Boulestin. Nous nous soucions tous de la précarité de l’emploi chez les jeunes. Or, comme le rappelle opportunément le rapport de M. Bloche, 77 % des journalistes en contrat à durée déterminée et 40 % des pigistes – lesquels sont 37 % à gagner moins de 1 500 euros par mois – ont moins de 35 ans, alors que cette tranche d’âge ne compte que pour 27 % chez les permanents. Cette situation est d’autant plus préoccupante que nous avons affaire à de jeunes diplômés.

M. le rapporteur. Je remercie Mme Boulestin pour ce rappel en effet important, un jeune souhaitant aujourd’hui embrasser cette profession devant se préparer à un véritable parcours du combattant, à une longue période de précarité et à de faibles rémunérations.

Monsieur Grosperrin, ma proposition de loi est en tout cas politiquement neutre puisqu’elle ne concerne en rien les relations entre le « quatrième pouvoir » et les trois autres.

En outre, j’ai invité les patrons de presse – que nous avons tous auditionnés – à s’interroger sur les réponses faites par les Français aux sondages relatifs au degré de confiance qu’ils accordent aux médias : ils y verront qu’à partir du milieu des années 90, la défiance a crû. Le vote de cette proposition, en garantissant l’indépendance des rédactions, contribuerait à restaurer la confiance dans la presse, rendant ainsi service à des entreprises qui se lamentent souvent de l’érosion de leur lectorat – ce indépendamment de la concurrence d’internet et de la crise structurelle dont M. Françaix nous a souvent entretenus fort à propos.

Cette proposition vise donc à faire en sorte que les journalistes puissent faire leur travail en toute indépendance mais, également, à mettre en place une manière de « label » quant à la qualité de l’information, dont profiteraient l’ensemble des entreprises de presse. Il s’agit par conséquent d’une démarche qu’on peut qualifier d’intérêt général.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous remercie.

II.- EXAMEN DES ARTICLES

La Commission examine la présente proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 10 novembre 2010.

Article 1er

Modalités de mise en
œuvre du principe de l’indépendance des rédactions

L’article 1er de la proposition de loi crée un nouvel article 6 bis au sein de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, afin de prévoir les modalités de mise en œuvre du principe d’indépendance des rédactions au sein de toute structure employant des journalistes professionnels.

Ce nouvel article 6 bis est composé de deux paragraphes et dispose que toute entité juridique employant des journalistes professionnels doit se doter d’un organe rédactionnel autonome, qu’il s’agisse d’une équipe rédactionnelle permanente et autonome (I) ou d’une association de journalistes (II). Le premier paragraphe regroupe les alinéas 3 à 9 et le second regroupe les alinéas 10 à 15.

L’alinéa 2 fixe le périmètre de l’obligation en prévoyant qu’elle s’applique à toute entité juridique employant des journalistes professionnels et qui produit ou diffuse de l’information. Il peut donc s’agir d’agences de presse, de journaux ou de sociétés audiovisuelles ou multimédia, qu’elles soient constituées sous la forme d’entreprise ou sous toute autre forme – association, fondation, etc. –, puisque toutes les entités juridiques sont visées.

Rappelons qu’au sens du premier alinéa de l’article L. 7111-3 du code du travail, on entend par journaliste professionnel « toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».

Au sein du paragraphe I, l’alinéa 3 prévoit une première option : pour répondre à l’obligation fixée, l’entreprise ou l’entité juridique peut se doter d’une équipe rédactionnelle « permanente et autonome ». Une équipe permanente est une équipe de journalistes dédiée à un titre, une radio, une chaîne de télévision, un site internet ou une agence. Cela signifie clairement que le contenu de la publication ne peut pas être sous-traité.

Cette équipe rédactionnelle doit être composée de tous les journalistes professionnels qui y travaillent.

Ainsi constituée, l’équipe doit participer à l’élaboration d’une charte éditoriale et déontologique. Selon les journalistes auditionnés par le rapporteur, la charte éditoriale définit le positionnement de la publication par rapport au public : ainsi, par exemple, Paris-Match est un magazine grand public et Elle un magazine en direction des femmes actives qui voyagent. La charte éditoriale de Elle définit ainsi la ou les « cibles » et les façons de s’adresser à elle (ou elles) : centres d’intérêt, rubriques, etc. Elle peut « mordre » sur la charte déontologique. La « charte éditoriale » de Ouest-France définit quant à elle la façon dont le journaliste devra traiter les faits divers.

La charte déontologique est, en revanche, encadre plus spécifiquement le traitement de l’information par les journalistes, en déclinant les « principes professionnels » élaborés par les journalistes, comme le respect du public, l’interdiction de rechercher l’information par des procédés illicites, etc.

L’équipe rédactionnelle doit également veiller au respect des chartes de déontologie de la profession, c’est-à-dire les chartes précitées adoptées en 1918 et 1971. Chaque équipe étant reconnue comme indépendante, elle déterminera ses propres moyens d’intervention : recours au comité d’entreprise, à l’intervention dans la publication pour dénoncer les dérives éventuelles, etc.

L’alinéa 4 prévoit les modalités de désignation des représentants de l’équipe rédactionnelle, chargés de faire le lien avec la direction de la structure concernée. Ces représentants ne remplacent en aucun cas ceux élus pour représenter les salariés lors des élections professionnelles mais leur désignation s’effectue selon les mêmes modalités que celles qui régissent les élections professionnelles dans les entreprises.

Pour asseoir leur autorité, les représentants devront avoir été élus dans les mêmes conditions que les délégués du personnel et devront bénéficier de la même protection sociale. L’entité rédactionnelle devra ainsi se voir accorder le droit de se réunir sur le lieu de travail et pendant les heures de travail pour débattre des questions auxquelles elle est confrontée.

L’alinéa 5 prévoit que ces représentants ont un rôle de porte-parole et organisent les consultations de l’équipe rédactionnelle.

L’alinéa 6 organise leur protection en disposant qu’ils bénéficient de la même protection que celle dont bénéficient les délégués du personnel, c’est-à-dire que leur licenciement ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail, durant leur mandat mais également durant les six premiers mois suivant l’expiration de ce mandat, selon les termes de l’article L. 2411-5 du code du travail.

En effet, en l’état actuel du droit, comme le rappelle Bertrand Verfaillie, « aucun président de société de journalistes ne dispose de la moindre heure de délégation, comparable à celles conquises par les syndicats. (…) Une expression revient dans plusieurs bouches : celle d’un "magistère moral" ».

L’alinéa 7 prévoit que l’équipe rédactionnelle sera consultée par sa direction avant tout changement de politique éditoriale ou rédactionnelle. Par ailleurs, les projets éditoriaux doivent lui être soumis tous les ans. Elle peut s’y opposer.

La charte éditoriale doit en effet être vivante, remise en chantier de façon permanente. L’instance de représentation de l’équipe de rédaction définira elle-même ses principes de relation avec la société éditrice pour ce faire.

L’alinéa 8 organise une consultation obligatoire de l’équipe rédactionnelle en cas de nomination d’un responsable de la rédaction – directeur de l’information, directeur de la rédaction ou rédacteur en chef. L’équipe rédactionnelle peut s’opposer à cette nomination.

Rappelons que les termes de « directeur de l’information » ou de « directeur de la rédaction » sont deux qualifications relativement récentes qui ne figurent par exemple pas dans les grilles de classification. Le premier terme est plutôt employé dans l’audiovisuel et le second dans la presse. Cet échelon hiérarchique supplémentaire, créé par les éditeurs, se situe au-dessus des rédacteurs en chef.

À l’heure actuelle, une telle disposition existe déjà dans certains journaux mais relève d’accords passés entre les représentants du personnel et la direction. Ainsi, à Libération, aux termes du dernier accord signé avec Édouard de Rothschild, c’est un collège unique composé de tout le personnel du journal qui se prononce (aux deux tiers) sur le candidat proposé par la direction. À Télérama, c’est la totalité de la rédaction qui compose le corps électoral.

De même, en cas de changements importants dans la composition du capital ou dans l’équipe de direction « affectant de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise », l’alinéa 9 prévoit que l’équipe rédactionnelle peut prendre l’initiative d’un scrutin de défiance. La reconnaissance de ce droit de veto permettra que l’éditeur engage une négociation avec l’équipe rédactionnelle pour trouver une solution, qui sera à nouveau soumise au vote de l’équipe rédactionnelle par ses représentants.

L’équipe rédactionnelle a aussi la faculté de saisir le comité d’entreprise pour faire jouer le droit d’alerte. Selon les termes de l’article L. 2323-78 du code du travail, le droit d’alerte est exercé par le comité d’entreprise lorsqu’il a connaissance de faits « de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise ». Le comité d’entreprise met alors en œuvre la procédure suivante :

– il demande à l’employeur de lui fournir des explications sur ses préoccupations. Cette demande est inscrite de droit à l’ordre du jour de la prochaine séance du comité d’entreprise ;

– la direction doit ensuite s’expliquer ;

– si les explications sont jugées insuffisantes par le comité d’entreprise, il peut établir un rapport avec l’assistance éventuelle d’un expert-comptable, qui sera envoyé aux commissaires aux comptes et aux administrateurs de l’entreprise. Ces derniers disposent d’un délai d’un mois pour apporter une réponse aux préoccupations du comité d’entreprise.

Avec le paragraphe II de l’article, l’alinéa 10 prévoit une seconde option : pour répondre à l’obligation d’indépendance rédactionnelle, l’entreprise ou l’entité juridique peut également se doter d’une association de journalistes dont les titulaires de la carte de presse sont membres de droit.

Rappelons que la carte de presse est une carte d’identité professionnelle délivrée par la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), dans laquelle siègent huit représentants des employeurs et huit élus de salariés. Cette carte permet au journaliste de prouver son activité, d’accéder plus facilement à certains lieux – salles de presse, bureaux officiels, etc. – et de faire valoir son droit à la protection sociale.

Les statuts de l’association de journalistes devront être conformes à ceux prévus par le décret du 16 août 1901 pris pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

L’alinéa 11 dispose que ce regroupement de journalistes, qui est le plus souvent une association de journalistes peut également être une société des rédacteurs, « dont les parts sociales sont détenues par les salariés titulaires de la carte de presse ».

En effet, Bertrand Verfaillie précise dans son étude que l’expression « sociétés de journalistes » qui s’est « généralisée à partir des années soixante-dix, recouvre quelques variantes et extensions. Quand la carte de presse est un sésame indispensable en bon nombre d’associations, des documentalistes sont membres des SdJ de l’Expansion ou des Echos, car considérés comme appartenant à la rédaction au sens large. Des différences autrement plus profondes se trouvent dans les statuts des SdJ et, partant, dans leurs moyens et leurs modes opératoires. On peut retenir quatre grandes et néanmoins fluctuantes catégories : les sociétés de participation, les sociétés de personnels (ou SdJ juxtaposées à des sociétés de personnels), les SdJ ordinaires, les SdJ du service public de l’audiovisuel » (32). Les sociétés de participation détiennent une part de capital de leur entreprise. C’est le cas de la société du Monde ou de celle du Nouvel Observateur par exemple. Les sociétés de personnels sont les « cousines » des sociétés de participation. « Elles ont les mêmes statuts, siègent dans les mêmes instances et bénéficient des ressources correspondantes. Elles sont partie prenante du capital mais elles représentent la totalité du personnel des entreprises concernées ». C’est le cas de L’Humanité ou de Libération, bien que le personnel ne détienne plus depuis l’entrée de M. de Rotschild dans le capital que 1 % du capital. Les sociétés de journalistes « ordinaires » sont des associations de défense de l’indépendance rédactionnelle du titre, sans prise de participation au capital de l’entreprise. Elles n’acceptent en général en leur sein que les journalistes « de base » encartés. Enfin, les sociétés du service public de France 2, France 3, Radio France et RFI « sont des associations relevant de la loi de 1901 ou des collectifs dépourvus de statuts (comme à France 2). Une de leurs difficultés particulières réside dans l’éclatement des rédactions considérées ». Elles n’apparaissent par ailleurs pas dans les organigrammes des chaînes et n’ont donc pas d’existence reconnue.

L’alinéa 12 prévoit une disposition particulière pour les publications d’information politique et générale. Dans ce cas, l’association de journalistes ou la société de rédacteurs désigne également un représentant qui siège de droit, avec voix consultative, au conseil d’administration ou de surveillance.

À l’heure actuelle, une disposition de ce type existe à L’Express où la société de journalistes siège au conseil de surveillance de l’entreprise « tout en ne détenant pas d’actions. Elle le doit au combat mené par les journalistes en 1997, lors d’une tentative de rachat de l’hebdo par le groupe Le Monde. À la même occasion, elle a décroché le droit de présenter des administrateurs indépendants, parmi lesquels le président du conseil devait être choisi. Ces droits ont été sauvegardés lors de l’arrivée de Serge Dassault en 2005, au prix d’une demi-journée de grève. Seule restriction : le président du conseil ne doit plus être l’un des administrateurs indépendants » (33).

L’alinéa 13 dispose que la désignation du responsable de la rédaction doit donner lieu à un vote à bulletin secret de tous les membres de l’association ou de la société.

Des dispositions de ce type existent déjà dans certains médias. Rappelons par exemple qu’en 2007, la société des rédacteurs du Monde qui détenait alors près de 22 % du capital du groupe, a exigé et obtenu le départ de Jean-Marie Colombani, qui n’avait plus sa confiance.

De même, la société des rédacteurs de La Vie et la société des journalistes de Télérama ont également un droit de regard sur « les changements de personnes ou de responsabilité à la direction et à la rédaction en chef », selon les termes de l’accord signé en 1977 à La Vie. Au Nouvel Observateur, un directeur de rédaction ne sera pas nommé si plus des deux tiers des membres de la rédaction s’opposent à sa candidature (34). Le responsable de la rédaction peut par ailleurs être destitué à la majorité des deux tiers, « si deux ans de suite, Le Nouvel Observateur perd des lecteurs de façon sensible ou si le conseil d’administration juge qu’il ne suit plus la ligne éditoriale », toujours selon les termes de l’accord.

La proposition de loi va plus loin puisque l’alinéa 14 prévoit que, si la désignation est malgré tout opérée, alors qu’elle a été rejetée à la majorité des trois-cinquièmes des suffrages exprimés par les membres de l’association ou de la société, elle est considérée de droit comme opérant un « changement notable » tel prévu au 3° de l’article L. 7112-5 du code du travail dans le cadre de la clause dite « de conscience ».

Rappelons que le 3° de l’article L. 7112-5 du code du travail dispose qu’en cas de changement notable « dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux », le salarié peut rompre son contrat et n’est pas tenu d’observer de préavis.

L’alinéa 15 prévoit que l’association ou la société de journalistes participe à l’élaboration d’une charte éditoriale et déontologique avec la société éditrice.

La charte éditoriale et déontologique ainsi élaborée énonce les engagements souscrits à l’égard des lecteurs par tous ceux qui concourent à la publication. Cette charte doit être reproduite dans la publication au moins une fois par an.

*

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2

Amélioration de l’information des lecteurs

L’article 2 de la proposition de loi complète l’article 5 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse par un alinéa afin de porter à la connaissance des lecteurs d’une publication de presse le nom des actionnaires détenant plus de 10 % du capital.

En l’état actuel du droit, l’article 5 de la loi du 1er août 1986 dispose que, dans chaque numéro d’une publication de presse, doivent obligatoirement être portés à la connaissance des lecteurs :

– les nom et prénom du propriétaire ou du principal copropriétaire, si l’entreprise éditrice n’est pas dotée de la personnalité morale ;

– la dénomination ou la raison sociale de l’entreprise éditrice si c’est une personne morale, son siège social, sa forme et le nom de son représentant légal et de ses trois principaux associés ;

– Le nom du directeur de la publication et celui du responsable de la rédaction.

Dans un objectif de transparence, l’article 2 de la proposition de loi prévoit d’ajouter à cette liste le nom des actionnaires détenant plus de 10 % du capital.

*

La Commission rejette l’article 2.

Article 3

Informations relatives au changement de statut et de dirigeants ou actionnaires de l’entreprise éditrice

L’article 3 de la proposition de loi complète l’article 6 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse par trois alinéas qui visent à mieux informer les lecteurs en cas de modification du statut de l’entreprise éditrice ou de changement dans les dirigeants ou actionnaires de l’entreprise.

En l’état actuel du droit, l’article 6 de la loi du 1er août 1986 dispose que l’entreprise éditrice d’un titre de presse doit obligatoirement porter à la connaissance de ses lecteurs :

– toute vente ou promesse de vente de droits sociaux ayant pour effet de transférer à l’entreprise qui réalise l’achat au moins un tiers du capital social ou des droits de vote de l’entreprise éditrice ;

– tout transfert ou promesse de transfert de la propriété ou de l’exploitation d’un titre de presse.

Cette information doit être apportée dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’éditeur en acquiert lui-même la connaissance, ou lors de la prochaine parution de la publication. En cas de vente d’un titre, cette obligation incombe à l’entreprise vendeuse.

L’article 3 de la proposition de loi complète cette obligation de porter à connaissance des lecteurs par deux autres cas :

– la modification du statut de l’entreprise éditrice (alinéa 2) ;

– le changement de dirigeants ou d’actionnaires de l’entreprise (alinéa 3).

L’alinéa 4 précise par ailleurs que l’entreprise doit porter annuellement à la connaissance du public toutes les informations relatives à la composition de son capital et de ses organes dirigeants et mentionner l’identité et la proportion d’actions possédée par chacun des actionnaires, personne physique ou personne morale.

*

La Commission rejette l’article 3.

Article 4

Sanctions

L’article 4 de la proposition de loi prévoit la mise en œuvre de sanctions en cas de non-respect des obligations prévues aux articles 1er, 2 et 3 de la présente proposition de loi. La sanction encourue consiste en une suspension des aides publiques directes et indirectes dont bénéficie l’entreprise de presse. Par ailleurs, si elle est sanctionnée, l’entreprise de presse devra publier les sanctions dont elle fait l’objet.

*

La Commission rejette l’article 4.

Article 5

Préservation des intérêts des journalistes

L’article 5 de la proposition de loi pose le principe de la contribution de la présente proposition de loi à la préservation des intérêts moraux, tant collectifs qu’individuels, de la profession de journaliste.

*

La Commission rejette l’article 5.

La Commission rejette l’ensemble de la proposition de loi n° 2255. En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

ANNEXES

ANNEXE 1

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

Ø Société des rédacteurs du monde – M. Gilles Van Kote, président

Ø Syndicat national des journalistes (SNJ) – Mme Dominique Pradalié, secrétaire générale

Ø Syndicat national des journalistes CGT (SNJ–CGT) – M. Patrick Kamenka, membre du comité national, membre du comité directeur de la Fédération européenne des journalistes, et M. Michel Diard, ancien secrétaire général, membre du conseil d'administration de Médiafor

Ø Union syndicale des journalistes CFDT (USJ-CFDT) – Mme Dominique Préhu, membre du conseil national, ancienne secrétaire générale adjointe

Ø Forum des sociétés de journalistes – M. François Malye, président

Ø Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS) – Mme Marianne Bérard-Quélin, secrétaire générale, et M. Charles-Henry Dubail, président de la commission juridique

Ø Groupement des éditeurs de services en ligne (GESTE) – M. Guillaume Monnet, juriste

Ø Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) – M. Maurice Botbol, président

Ø Syndicat de la presse magazine (SPM) – Mme Pascale Marie, directrice générale

Ø Syndicat professionnel de la presse magazine et d’opinion (SPPMO) – M. François d’Orcival, président, et M. Paul Miguel, directeur

Ø Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) – M. Denis Bouchez, directeur

Ø Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) – M. Vincent de Bernardi, directeur général, et Mme Haude d’Harcourt, conseillère chargée des relations avec les pouvoirs publics

Ø Observatoire des médias – M. Gilles Bruno, fondateur

ANNEXE 2

LES SOCIÉTÉS DE JOURNALISTES MEMBRES
DU FORUM DES SOCIÉTÉS DE JOURNALISTES

– AFP

– Capital

– Courrier Cadres

– Elle

– France 24

– L'Alsace

– L'Équipe

– L'Étudiant

– L'Express

– L'Humanité

– La Tribune

– La Vie

– Le Figaro

– Le Journal du Dimanche

– Le Monde

– Le Monde interactif

– Le Nouvel Observateur

– Le Point

– Le Progrès de Lyon

– Le Quotidien du médecin et du Pharmacien

– Les Échos

– Libération

– Livres Hebdo

– Marianne

– Midi libre

– Paris Match

– Première

– Radio France

– Radio France internationale

– Sciences et Avenir

– Télé 7 Jours

– Télérama

– TF1

ANNEXE 3

MANIFESTE DU FORUM DES SOCIÉTÉS DE JOURNALISTES

Paris, le 28 septembre 2005

Le Forum permanent des sociétés de journalistes vient d’être créé. Cette association rassemble les sociétés de journalistes de treize titres de presse nationaux. Pour les quotidiens : Le Figaro, Libération, Le Monde, La Tribune, L’Équipe ; pour les hebdomadaires : L’Express, Le Journal du Dimanche, Le Nouvel Observateur, Le Point, Marianne, Télérama et deux mensuels, L’Expansion et Sciences et Avenir.

Au total, le forum représente près de 2 000 journalistes et il est ouvert à toutes les autres sociétés de journalistes qui souhaiteront le rejoindre. À la fois organe de coordination, de solidarité et de propositions entre des représentants élus des rédactions, l’objet de l’association est le suivant : « Le Forum des Sociétés de journalistes a pour objet de permettre la réflexion et la concertation des Sociétés de journalistes ou de rédacteurs légalement constituées afin de défendre l’indépendance des rédactions, le pluralisme de la presse d’information, le respect des règles déontologiques et de prendre toutes initiatives rentrant dans son objet. »

La création du Forum des Sociétés de journalistes intervient à une période où la presse d’opinion et d’information va mal : érosion lente mais continue du lectorat, régression sévère et durable des recettes publicitaires, essor d’internet et des gratuits, difficultés récurrentes de diffusion qui amplifient le mouvement de concentration capitalistique dans ce secteur.

L’avenir de la presse repose sur sa crédibilité et son aptitude à préserver et à renforcer son indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs. C’est la première exigence d’un lectorat adulte. Au sein des journaux, ce sont les sociétés de journalistes – là où elles existent – qui remplissent cette mission et garantissent la diffusion d’une information indépendante. D’où la nécessité d’organiser et de fédérer leurs efforts.

Alors que se multiplient les commissions de réflexion et les rapports d’experts, il est préoccupant de constater que la voix des rédactions est absente dans un débat souvent confisqué par les responsables politiques et les patrons d’entreprises de presse. Ce déséquilibre exige une réaction rapide et appropriée de la part des journalistes afin que les lecteurs disposent d’une information pluraliste essentielle au bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques. L’entreprise de presse n’est pas une entreprise comme les autres. Le Conseil constitutionnel a lui-même reconnu au pluralisme de la presse d’information politique et générale, le rang d’objectif de valeur constitutionnelle.

Dans ce contexte, le Forum permanent des sociétés de journalistes entend concentrer son action sur deux terrains privilégiés :

– Aux pouvoirs publics français, nous demandons la création d’un cadre juridique garantissant aux sociétés de journalistes la présence des représentants élus des rédactions au sein des instances de décision et de contrôle (conseils d’administration et de surveillance).

– Les sociétés de journalistes doivent disposer d’un droit de veto sur le choix de leurs directeurs.

– Elles doivent aussi pouvoir s’appuyer sur des chartes déontologiques librement établies et auxquelles les actionnaires sont instamment priés de souscrire. Les sociétés de journalistes sont les garants naturels de ces dispositifs qui renforceront demain à la fois l’indépendance et la crédibilité de nos titres tout en renforçant leur vitalité économique. La première mission du forum sera de rédiger une charte de déontologie que chaque SDJ pourra faire adopter.

– Aux responsables européens, nous demandons l’adoption de mesures afin de préserver, au niveau de l’Union, une exception européenne et encadrer un marché fortement concurrentiel, soumis aux pressions d’une société mondialisée. À l’instar de la résolution adoptée le 22 avril 2004 par le Parlement européen, nous demandons ainsi à la Commission de présenter, dans le respect de ses compétences, une proposition de directive sur la sauvegarde du pluralisme des médias en Europe.

Le bureau du Forum des sociétés de journalistes est composé de :

– M. François Malye (Le Point), président,

– Mme Armelle Héliot (Le Figaro), secrétaire générale,

– M. François Bazin (Le Nouvel Observateur), trésorier,

– Mme Marie Béatrice Baudet (Le Monde),

– M. Vittorio de Filippis (Libération).

© Assemblée nationale

1 () Décisions n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 (Rec. p. 141) et n° 93-333 DC du 21 janvier 1994 (Rec. p. 32).

2 () Rapport n° 2066 de M. Patrick Bloche, au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, 10 novembre 2009.

3 () Rapport n° 89 (2009-2010) de M. Michel Thiollière au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat sur la proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, 4 novembre 2009.

4 () L’article 93 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle dispose que « le recrutement des journalistes [dans les entreprises de communication audiovisuelle] s’effectue selon les règles de la convention collective nationale de la presse et ses avenants ».

5 () Article L. 7111-5 du code du travail.

6 () Étude sur les journalistes détenteurs de la carte de journaliste professionnel de 2000 à 2008, Observatoire des métiers de la presse, mai 2009.

7 () Erik Neveu, Sociologie du journalisme, La Découverte, 2004.

8 () Rémy Rieffel, Sociologie des médias, Ellipses, 2005.

9 () Alexandrine Civard-Racinais, La déontologie des journalistes, principes et pratiques, Ellipses, 2003.

10 () Bertrand Verfaillie, Sociétés de rédacteurs, sociétés de journalistes, Les rédactions ont-elles une âme ?, Collection Journalisme responsable, École supérieure de journalisme de Lille, Alliance internationale des journalistes, Fondation Charles Léopold Mayer, mars 2008.

11 () Bertrand Verfaillie, réf. précitées.

12 () La déontologie des journalistes, principes et pratiques, Ellipses, 2003.

13 () Résolution n° 1003 du 1er juillet 1993.

14 () Loi n° 86-897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

15 () Alexandrine Civard-Racinais, La déontologie des journalistes, principes et pratiques, Ellipses, 2003.

16 () B. Verfaillie, réf. précitées.

17 () Les sociétés de journalistes dans la presse écrite, Étude de législation comparée n° LC 205, février 2010.

18 () Bertrand Verfaillie, Sociétés de rédacteurs, sociétés de journalistes, Les rédactions ont-elles une âme ?, Collection Journalisme responsable, École supérieure de journalisme de Lille, Alliance internationale des journalistes, Fondation Charles Léopold Mayer, mars 2008.

19 () Histoire et médias, Journalisme et journalistes français, 1950-1990, Albin Michel, 1991.

20 () Liste des membres et manifeste en annexe.

21 () Communiqué de la SDJ cité par une dépêche AFP du 18 juin 2009.

22 () Source : Julie Saulnier, L’Express, 26 juillet 2010.

23 () Voir également le rapport n° 2066 de M. Patrick Bloche, au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, 10 novembre 2009.

24 () Cité par Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou, Histoire générale de la presse française, Presses universitaires de France, 1976.

25 () Source : Régis Soubrouillard, Marianne, Vendredi 8 Janvier 2010.

26 () Cité par Augustin Scalbert, Rue89, 9 novembre 2007.

27 () Augustin Scalbert, réf. précitées.

28 () Fabrice Tassel et Laurent Juglans, Libération, 6 mai 1998.

29 () Cité par Augustin Scalbert, réf. précitées.

30 () Sociétés de rédacteurs, sociétés de journalistes, Les rédactions ont-elles une âme ?, Collection Journalisme responsable, École supérieure de journalisme de Lille, Alliance internationale des journalistes, Fondation Charles Léopold Mayer, mars 2008.

31 () Résolution n° 1003 du 1er juillet 1993.

32 () Réf. précitées.

33 () B. Verfaillie, réf. précitées.

34 () Selon les termes de l’accord de 2004 passé avec M. Perdriel : « Estimez-vous que la nomination de ce directeur est susceptible de modifier l’orientation rédactionnelle et éditoriale de l’Observateur ? »..