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No  2983

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 novembre 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE MMES MARTINE BILLARD, JACQUELINE FRAYSSE, MM. MARC DOLEZ, JACQUES DESALLANGRE, ROLAND MUZEAU ET JEAN-CLAUDE SANDRIER (n° 2913), garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire,

PAR Mme Martine BILLARD,

Députée.

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INTRODUCTION 5

I. LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE SUR LE BUDGET EST UN PRINCIPE FONDAMENTAL D’UN ÉTAT DE DROIT 7

1. Une souveraineté qui trouve sa source dans la Révolution française 7

2. La crise, un prétexte à la remise en cause de la souveraineté budgétaire 8

3. Le « semestre européen », un dispositif discret de transfert de souveraineté vers des institutions non démocratiques. 9

4. Un contrôle politique a priori 11

II. UNE SOUVERAINETÉ BUDGÉTAIRE À GARANTIR 12

1. Les dérogations à la souveraineté introduites dans la Constitution 12

2. Une proposition de loi pour réaffirmer la souveraineté budgétaire 14

DISCUSSION GÉNÉRALE 16

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 21

Article unique (article 88-2 de la Constitution) : Affirmation de l’intangibilité de la souveraineté budgétaire du Parlement 21

TABLEAU COMPARATIF 25

PERSONNE ENTENDUE PAR LE RAPPORTEUR 27

MESDAMES, MESSIEURS,

Le peuple français, consulté par référendum le 29 mai 2005, a massivement rejeté le Traité constitutionnel européen. Ce rejet, il l’a exprimé en refusant notamment le principe d’une Europe libérale, d’une Europe de la concurrence libre et non faussée. Contre l’avis des peuples, notamment des Français, le traité constitutionnel européen a été ratifié sous la forme du Traité de Lisbonne. Contre l’avis des peuples, les orientations libérales de l’Union européenne sont à l’œuvre. Et ce sont ces politiques qui font subir de plein fouet aux pays de l’Union la crise économique et financière commencée en 2008 par la crise des subprimes aux États-Unis.

Les banques, largement responsables de la situation catastrophique actuelle des pays européens, ont été sauvées grâce à l’argent public et ce, sans aucune contrepartie. Ce sont les impôts des citoyens européens qui ont servi à éponger la dette contractée par les appétits financiers et la concurrence fiscale. Les établissements financiers sont pourtant les grands responsables de la spéculation à court terme, en contradiction avec les politiques à long terme des États, et donc avec l’intérêt général. Ce sont les peuples qui vont payer pour les banques et les profits, au nom de la concurrence libre et non faussée.

La concurrence fiscale, en venant réduire le produit de l’impôt et donc le budget des États par l’effet des baisses d’impôts et des exonérations fiscales et sociales, est un des principaux moteurs des déficits publics. De plus, en spéculant sur la dette des pays, les marchés aggravent l’endettement. L’absence de discussion sur les assiettes et le contrôle fiscal, une TVA qui favorise la fraude à hauteur de 10% de pertes de recettes par an et par pays (soit 14 milliards par an en France), un projet de directive sur la fiscalité sur les revenus perdu dans la nature, sont autant d’exemples qui montrent l’absurdité de demander une stabilité budgétaire sans s’occuper de fiscalité.

Nous faisons face aujourd’hui à une absence complète de volonté politique des États membres sur les besoins d’une unification et d’une coordination en matière fiscale. Cela serait pourtant possible en renforçant les pouvoirs du Parlement européen, qui n’a aujourd’hui aucune des prérogatives budgétaires nécessaires.

Or, ce qui nous est proposé n’a rien à voir et fait fi de toute coordination fiscale. La réforme en cours doit être étudiée avec la plus grande attention car elle nous semble relever d’une procédure en opposition avec les principes de souveraineté du peuple en matière budgétaire.

La Commission européenne a formulé des propositions pour élargir la surveillance économique, accroître la discipline budgétaire et mettre en place un cadre renouvelé pour la gestion des crises.

Sur sa proposition, le Conseil Ecofin du 7 septembre 2010 a d’ores et déjà modifié les lignes directrices encadrant les règles de préparation et de transmission des programmes de stabilité ou de convergence des États membres, pour instituer une procédure désignée par les termes de « semestre européen de coordination des politiques économiques ». Il s’agit, par le biais d’un calendrier modifié, d’assurer une intervention des institutions communautaires avant même la transmission par les États de leurs programmes de stabilité ou de convergence. Le Conseil émettrait des recommandations horizontales, que les États devraient prendre en compte pour élaborer leurs programmes de stabilité ou de convergence ; puis le programme transmis ferait l’objet de recommandations à prendre en compte pour l’élaboration du budget national de l’année à venir.

Plus encore, le Conseil européen des 28 et 29 octobre 2010 a avalisé le fait que la législation communautaire doit être modifiée rapidement et que le président du Conseil doit engager des consultations sur une modification limitée du traité de Lisbonne afin d’établir un mécanisme permanent de gestion de crise. En la qualifiant de limitée, le Conseil européen veut ainsi éviter l’obligation d’examen et de ratification par chaque pays membre. D’un côté le président du Conseil Herman Von Rompuy affirme qu’il s’agit « de la plus grande innovation » et de l’autre, qualifie le processus de modification de « limité ». Sans attendre cette modification prévue par la directive et qui suppose donc une transposition dans notre législation, ce contrôle a priori du budget s’exercera dès 2011.

La crise financière que l’Europe a traversée sert ainsi de prétexte facile pour instaurer de manière subreptice un contrôle a priori sur l’élaboration des budgets nationaux. Aussi, la présente proposition de loi constitutionnelle a pour objet de réaffirmer, dans le titre de la Constitution consacré à l’Union européenne, le fait que les transferts de compétences consentis au profit de l’Union européenne ne doivent pas mettre en cause l’exercice de la souveraineté budgétaire par le Parlement français, principe constitutionnel dont l’origine remonte à la Révolution française.

I. LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE SUR LE BUDGET EST UN PRINCIPE FONDAMENTAL D’UN ÉTAT DE DROIT

1. Une souveraineté qui trouve sa source dans la Révolution française

Les origines de la Révolution française sont multiples, et les historiens qui se sont penchés sur cette période ont tantôt mis en lumière l’influence des facteurs économiques (1), tantôt celle des facteurs culturels (2).

Quoi qu’il en soit, le consentement à l’impôt est un principe au cœur de la naissance des États démocratiques. Il stipule que l’impôt ne peut être prélevé sans le consentement du redevable. Les Rois s’octroyaient le pouvoir fiscal, les révolutions les ont renversés en proclamant la souveraineté budgétaire du peuple.

C’est ce consentement à l’impôt qui est, par exemple, la source de la naissance du système Parlementaire anglais et aboutit à la proclamation du Bill Of Rights le 13 février 1689 dont l’article 4 consacre ce principe.

En France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée le 26 août 1789, comporte un article XIV en vertu duquel « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

La Constitution de 1791 reconnaît au corps législatif le pouvoir de fixer les dépenses publiques et d’établir les contributions publiques en en déterminant la nature, la quotité, la durée et le mode de perception (3), et elle exonère les lois concernant les contributions publiques du mécanisme du veto royal (4). Cette dernière disposition manifeste clairement le fait que les révolutionnaires n’ont jamais souhaité faire peser une quelconque forme de restriction à la décision du Parlement sur le budget.

Par la suite, les Constitutions des Républiques successives n’ont jamais remis en cause le vote du budget par le Parlement. C’est aujourd’hui encore une prérogative dont le Parlement ne saurait être dépossédé. Avec les projets de loi organique et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, les projets de loi de finances sont les seuls projets de loi qui ne peuvent être adoptés par voie d’ordonnance, sur le fondement d’une habilitation qui serait accordée au Gouvernement en vertu de l’article 38 de la Constitution. Le vote du budget n’est pas délégable.

2. La crise, un prétexte à la remise en cause de la souveraineté budgétaire

Aujourd’hui, dans le cadre de la surveillance multilatérale prévue par le pacte de stabilité et de croissance (article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), les États membres de l’Union européenne soumettent à la Commission et au Conseil chaque année, avant le 1er décembre, un programme de stabilité (5), qui établit notamment les objectifs budgétaires et les perspectives économiques de l’État pour l’année en cours et, au moins, les trois années à venir (6).

Le Conseil examine chaque programme et donne une opinion, en prenant en compte les considérations émises par la Commission européenne ainsi que par le Comité économique et financier.

À cette surveillance relativement souple peut succéder, en cas d’engagement d’une procédure pour déficit excessif, prévue par l’article 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, un volet correctif, pouvant conduire, le cas échéant, à des sanctions financières à l’encontre d’un État membre.

Or bien avant la crise, la grande majorité des États membres de l’Union européenne, y compris l’Allemagne et la France, ne respectait pas les critères de convergence. Tant que les pays appliquaient la baisse des impôts recommandée par la Commission, le Conseil européen et la Commission européenne fermaient les yeux. Par ailleurs, l’obsession, dans tous les documents européens, de casse du système de retraite solidaire au profit du développement des fonds de pension, explique mieux l’introduction de la mise en route de l’étude d’un passage à un système par points ou par comptes notionnels dans le récent texte de loi sur les retraites.

Qui nous fera croire que la situation des finances grecques était inconnue ? L’Irlande était montrée en exemple à tous les pays de l’Union. On voit bien aujourd’hui le résultat des politiques du crédit à outrance et des baisses d’impôts sans limites.

Dans le cadre de la réponse à la crise économique et financière et aux déstabilisations qu’elle a fait subir à certains États de l’Union européenne, les institutions communautaires ont engagé une réflexion sur le renforcement de la gouvernance économique de l’Union, tant dans son volet préventif que dans son volet correctif, conformément à ce qui était annoncé par les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro dans leur déclaration de Bruxelles, le 25 mars 2010 : « Nous considérons que le Conseil européen doit renforcer le gouvernement économique de l’Union européenne et nous proposons de renforcer son rôle dans la coordination macroéconomique et la définition d’une stratégie de croissance européenne. […] Pour le futur, la surveillance des risques économiques et budgétaires et les instruments de leur prévention, y compris la procédure pour déficit excessif, doivent être renforcés. En outre, nous devons disposer d’un cadre robuste pour la résolution des crises, respectant le principe de la responsabilité budgétaire de chaque État membre. » Cette déclaration fixait aux institutions européennes le soin de présenter au Conseil, avant la fin de l’année, les mesures permettant d’atteindre ces objectifs.

Il est pourtant paradoxal de vouloir instaurer un contrôle budgétaire alors qu’il n’y a pas de volonté politique de convergence fiscale. Il ne peut y avoir de débat budgétaire sans débat sur la fiscalité. Or, les politiques fiscales menées depuis la mise en place du marché européen ont eu pour objectif dans tous les pays de réduire les taux nominaux sur les sociétés (baisse de 37,5 % en Irlande, 30 % en Allemagne...). Faute d’harmonisation des bases et d’instauration de taux planchers, les États engagés dans cette concurrence fiscale n’ont d’autre choix que d’accélérer les baisses d’impôts, aggravant ainsi encore plus les déficits publics. De même, l’imposition des revenus des ménages a suivi un double mouvement : recul notamment par la baisse des taux et « proportionnalisation » par la réduction du nombre de tranches. Au contraire, la TVA est devenue l’impôt central en Europe et c’est le seul type de fiscalité dont la convergence est notable, convergence qui s’effectue à la hausse. La Commission juge dans ses travaux les plus récents que la fraude à la TVA est plus que préoccupante et que dans ce domaine la coopération entre les États est insuffisante.

3. Le « semestre européen », un dispositif discret de transfert de souveraineté vers des institutions non démocratiques.

Dans sa communication du 12 mai 2010, la Commission européenne a ainsi proposé, au titre du volet préventif, la mise en place d’un « semestre européen », « afin que les États membres mettent en œuvre une coordination [des politiques économiques] en amont au niveau européen lors de la préparation de leurs programmes nationaux de stabilité et de convergence, y compris leurs budgets et leurs programmes nationaux de réforme ».

Le semestre européen permettrait, selon les mots de la Commission européenne, « de synchroniser l’évaluation des politiques budgétaires et structurelles des États membres de l’UE. […] En particulier, si des déséquilibres macroéconomiques importants apparaissent, il peut être nécessaire de fixer des objectifs budgétaires plus ambitieux. »

Pour faire valoir cette solution, la Commission a avancé l’argument selon lequel la prévention est préférable à la correction : « Une surveillance budgétaire et économique en amont, qui fait défaut pour le moment, permettrait de formuler de véritables orientations qui tiennent compte de la dimension européenne et qui se traduiraient par des décisions politiques nationales. » La Commission affirmait par là même, sans s’en cacher, qu’il est souhaitable d’exercer une influence directe sur les choix budgétaires nationaux.

Ces orientations ont ensuite été confirmées par la Commission européenne dans sa communication du 30 juin 2010, après que le Conseil européen du 17 juin 2010 a invité la Commission à affiner ses orientations et à les rendre opérationnelles.

Enfin, le Conseil Ecofin du 7 septembre 2010 a adopté cette proposition de la Commission, sous la forme juridique d’une modification du code de conduite régissant la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance (7).

Dès l’année 2011, le calendrier de surveillance devrait être le suivant :

―  en début d’année (a priori fin février ou début mars), sur la base d’un rapport de la Commission, le Conseil Ecofin émettrait des recommandations « horizontales » (par groupes de pays) sur des grandes orientations de politique budgétaire, qui devraient être suivies par les États membres dans la confection de leurs programmes de stabilité ;

―  de préférence à la mi-avril et dans tous les cas au plus tard à la fin avril, les États enverraient les programmes de stabilité ainsi que les programmes nationaux de réforme aux institutions communautaires ;

―  dans la première quinzaine de juin, la Commission rendrait un avis public sur les programmes de stabilité nationaux. Sur la base de cet avis, des négociations informelles seraient menées entre États pour préparer l’avis du Conseil ;

―  au plus tard fin juillet, le Conseil rendrait son avis sur les programmes de stabilité.

La finalisation de l’élaboration des budgets nationaux interviendrait, au cours du second semestre, et serait donc forcée de prendre en compte les observations et recommandations émises par les institutions européennes.

Outre cette instauration du semestre européen, la réforme de la « gouvernance » économique européenne devrait se poursuivre par l’adoption d’une série d’actes communautaires de droit dérivé : au premier chef la modification des règlements du Conseil n° 1466/97 et 1467/97 relatifs à la mise en œuvre respectivement du volet préventif et du volet correctif du pacte de stabilité et de croissance, mais également l’adoption de règlements du Parlement européen et du Conseil sur la mise en œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro ainsi que sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques, et enfin l’adoption d’une directive du Conseil sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres. Si certains de ces actes pourront faire l’objet d’une procédure législative ordinaire, associant pleinement le Parlement européen, tel ne sera pas le cas des modifications des deux règlements de 1997 non plus que de l’adoption de la directive, qui n’exigent qu’une simple consultation du Parlement européen.

Enfin, le Conseil européen des 28-29 octobre 2010 a invité le président du Conseil européen à engager des consultations sur une modification limitée du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour instaurer un mécanisme permanent de gestion de crise, en envisageant d’ores et déjà un calendrier de ratification d’une telle modification d’ici la mi-2013.

Un premier projet de directive (E 5695), a même déjà été transmis à l’Assemblée Nationale et étudié par la commission des Affaires européennes du Sénat le 29 septembre 2010. Il présente la réforme de la gouvernance économique : révision du pacte de stabilité par le renforcement de la surveillance budgétaire et contrôle a priori des budgets.

Si les dispositions du pacte de stabilité et de croissance constituaient déjà une forme de subordination des États membres à des exigences et des contraintes extérieures, le renforcement de la coordination des politiques économiques qui est désormais proposée, en prenant prétexte de la crise économique et financière, vise clairement à une mise sous tutelle budgétaire des États membres.

4. Un contrôle politique a priori

Les modifications d’ores et déjà apportées au « code de conduite » sur l’application du pacte de stabilité indiquent dorénavant que «  la Commission et le Conseil vont pouvoir évaluer les Programmes avant que ne soient prises les décisions majeures sur les budgets nationaux pour les années suivantes, afin d’émettre un avis politique sur les intentions de politique fiscale » et que, sur la base d’informations fournies par la Commission et le Conseil, le Conseil européen « identifie les principaux défis économiques auxquels sont confrontés l’Union européenne et la zone euro et formule des orientations stratégiques pour les politiques économiques [nationales]».

Nous sommes donc bien au delà d’une simple coordination budgétaire. Il s’agit au contraire d’une ingérence dans les politiques structurelles nationales que s’octroie le Conseil européen, la Commission et le Conseil. Les informations sur lesquelles vont s’appuyer les institutions européennes pour établir leurs avis sont en elles-mêmes des partis pris politiques et idéologiques : coûts salariaux unitaires, productivité, évolution de l’assiette d’imposition, prix des actifs financiers, réforme systémique des systèmes de retraite mise en œuvre ou non, etc.

Enfin, comme nous le notions précédemment, ce semestre européen fait partie d’un dispositif global de surveillance budgétaire qui comprend cinq règlements et une directive. Ce n’est pas un élément isolé mais bien un processus cohérent dont les propositions sont issues d’un groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy et dont les conclusions ont été adoptées par le Conseil européen des 28 et 29 octobre 2010.

Ce processus comporte un certain nombre de risques importants et même contre-productifs :

―  en maintenant la concurrence fiscale en place plutôt que la coopération, les États vont être amenés à diminuer les rentrées fiscales et donc les recettes publiques, venant mécaniquement aggraver le problème que l’on cherchait à résoudre ;

―  en réduisant les recettes publiques, les États n’auront plus d’autres choix que de diminuer les dépenses, creusant ainsi les inégalités et organisant l’austérité ;

―  par le renforcement du pouvoir d’institutions non démocratiques, où les Parlements nationaux et le Parlement européen ne sont plus que des chambres d’enregistrement, c’est le principe même du consentement à l’impôt qui est fragilisé.

II. UNE SOUVERAINETÉ BUDGÉTAIRE À GARANTIR

1. Les dérogations à la souveraineté introduites dans la Constitution

En vertu de l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » Cette disposition constitutionnelle semble poser un principe absolu d’exercice de la souveraineté nationale par le peuple ou par ses représentants. Toutefois, dans le cadre de la participation de la France aux Communautés européennes et à l’Union européenne, ce principe s’est vu apporter des dérogations.

Saisi par le Président de la République de la question de la conformité du traité signé à Maastricht le 7 février 1992 à la Constitution, le Conseil constitutionnel avait notamment considéré que la troisième phase de l’union économique et monétaire « se traduira par la mise en œuvre d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques suivant des modalités telles qu’un État membre se trouvera privé de compétences propres dans un domaine où sont en cause les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » (8), et que les dispositions de la Constitution faisaient sur ce point obstacle à ce que la France intègre l’Union économique et monétaire.

Aussi, dans le cadre de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, un article 88-2 avait été introduit dans la Constitution, en vertu duquel « sous réserve de réciprocité, et selon les modalités prévues par le traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l’établissement de l’union économique et monétaire européenne ».

Le Conseil constitutionnel, à nouveau saisi au titre de l’article 54 de la Constitution par des Parlementaires, pour apprécier la conformité du traité à la Constitution ainsi révisée, avait alors considéré que les dispositions de l’article 88-2 « ont pour effet de lever les obstacles d’ordre constitutionnel à l’intégration de la France au sein de l’union économique et monétaire instituée par le traité, que relève du pouvoir d’appréciation du constituant le fait de choisir d’ajouter à la Constitution une disposition nouvelle, plutôt que d’apporter des modifications ou compléments à ses articles 3 et 34 relatifs aux compétences des représentants du peuple » (9).

De même, pour permettre d’accorder aux étrangers communautaires le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales, l’article 88-3 de la Constitution, introduit par la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, autorisait explicitement cette dérogation à la condition de nationalité pour l’exercice des droits politiques.

Selon la même logique, les transferts de compétences qui étaient imposés par le traité signé à Amsterdam le 2 octobre 1997 ont dû être prévus explicitement par la révision constitutionnelle du 25 janvier 1999, qui a introduit un nouvel alinéa dans l’article 88-2 de la Constitution.

Enfin, selon une logique similaire à celle qui a présidé à l’intégration des traités de Maastricht et d’Amsterdam, la révision constitutionnelle du 4 février 2008 a rendu possible la ratification du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, en permettant les transferts de compétence et les changements effectifs ou potentiels des modalités de prise de décision prévus par ce traité.

La rédaction retenue par le Constituant en 2008 a toutefois différé de celles précédemment retenues, car il a été fait agrégation, au sein de l’article 88-1 de la Constitution, de l’autorisation de participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité à ratifier (qui figurait déjà à l’article 88-1) et de l’autorisation de consentir aux transferts de compétences nécessaires (qui figurait jusqu’alors à l’article 88-2). Le nouvel article 88-1 de la Constitution, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, est ainsi rédigé : « La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

2. Une proposition de loi pour réaffirmer la souveraineté budgétaire

L’objet de la présente proposition de loi est d’éviter que par le biais de règles nouvelles, et en apparence relativement anodines, la France voie l’élaboration annuelle de son budget soumise à une supervision trop étroite ainsi qu’à des orientations contraignantes dictées par une Commission européenne et un Conseil ultra-libéraux.

Il faut ici rappeler que le Royaume-Uni bénéficie d’un régime dérogatoire en vertu de l’article 15 du Traité et ne sera donc pas concerné par ce contrôle à priori. En ce qui concerne l’Allemagne, la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a régulièrement refusé de reconnaître la supériorité des normes communautaires sur la constitution allemande et considère que le peuple allemand ne saurait accepter de compromis sur des valeurs qui lui paraissent fondamentales comme la souveraineté des États. Or toute décision visant à renforcer la solidarité budgétaire entre États membres pourra être attaquée devant cette cour constitutionnelle.

Même si la Commission, lorsqu’elle a proposé le mécanisme du « semestre européen », a souhaité préciser que « l’intention n’est pas d’exiger des États membres qu’ils soumettent des budgets complets à l’Union pour “ validation ” avant qu’ils soient présentés aux Parlements nationaux », il n’en demeure pas moins que le calendrier prévu pour le « semestre européen » est un calendrier qui place les institutions européennes en amont de l’intervention du Parlement.

Du fait du calendrier proposé, le Parlement français risque en réalité de ne pouvoir réagir aux injonctions de la Commission. Effectivement, compte tenu :

―  de la date de transmission par le Conseil Ecofin des recommandations pour la confection des programmes de stabilité et de convergences (fin février-début mars) ;

―  des dates des conférences de répartition au sein des ministères (courant juillet) ;

―  et de l’obligation pour les États d’envoyer leurs programmes de stabilité au plus tard fin avril ;

il devient difficile pour le Parlement français d’adopter une résolution en application de l’article 88-4 de la Constitution. En effet, pour cela et compte tenu du règlement de l’Assemblée Nationale, un mois minimum est en pratique nécessaire entre l’examen en commission et l’adoption d’une résolution au titre de l’article 88-4 en séance.

De même, pour des raisons de délais, le Parlement aura des difficultés à adopter des résolutions en application de l’article 88-4 de la Constitution, concernant l’avis public rendu par la Commission européenne (mi-juin). Cela suppose qu’il y ait systématiquement une session extraordinaire qui se prolonge au delà de la mi-juillet. Quant à l’avis du Conseil rendu fin juillet, le Parlement français est totalement dans l’impossibilité de s’exprimer à son sujet. Or cet avis du Conseil devra maintenant être obligatoirement pris en compte.

Enfin, le débat d’orientation budgétaire va être profondément affecté, si ce n’est sacrifié par ce nouveau calendrier.

Les Parlements nationaux sont donc réduits à une chambre d’enregistrement budgétaire des choix européens guidés, à l’heure actuelle, par l’omniprésence des politiques libérales.

Les président et rapporteur général de la commission des Finances et le président de la commission des Affaires européennes de notre Assemblée ont proposé récemment des modalités d’association du Parlement français à la procédure nouvelle d’examen des programmes de stabilité.

Ces propositions ont été exposées en séance publique, lundi 25 octobre 2010, à l’occasion du débat sur le prélèvement européen, par M. Gilles Carrez : « il conviendrait que le Parlement soit saisi, vers la mi-avril, d’un projet de programme de stabilité de notre pays, avant que celui-ci ne soit transmis à Bruxelles fin avril. Nous pourrions utiliser la même procédure que celle que nous avons employée en juin dernier pour le débat d’orientation budgétaire, avec une déclaration solennelle du Gouvernement suivie d’un vote, sur la base de l’article 50-1 de la Constitution. / Si une telle procédure est nécessaire, elle n’est pas pour autant suffisante. Il faudrait que le Parlement français intervienne à nouveau vers la fin du mois de juin, au moment où la Commission remet son rapport sur les différents programmes de stabilité qui lui ont été transmis et avant que le Conseil Écofin de juillet ne les entérine. Dans ce cas, nous pourrions imaginer que le Parlement émette, comme il le fait chaque année sur les perspectives financières pluriannuelles du budget européen à l’initiative de la commission des affaires européennes et de la commission des finances, un projet de résolution qui vienne en discussion dans l’hémicycle. » (10)

Mais ces propositions ne sauraient cacher le fait que l’association du Parlement français demeurera purement facultative dépendant du choix du Gouvernement chaque année de soumettre ou non le projet de programme de stabilité à un vote au titre de l’article 50-1 de la Constitution avant sa transmission aux institutions communautaires. Il nous paraît indispensable que le Parlement puisse avoir la possibilité de débattre et de voter une résolution en vertu de l’article 88-4 de la Constitution. Il s’agit effectivement d’une procédure qui permet un réel débat dans l’hémicycle et ne se contente pas de déclarations de principes.

En outre, dans le cadre d’un rapport d’information de nos collègues Christophe Caresche et Michel Herbillon sur le gouvernement économique européen, la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale a appelé « les institutions européennes et les gouvernements nationaux à prévoir et mettre en œuvre un ensemble de mesures d’information des citoyens, afin de renforcer la légitimité démocratique du nouveau système et d’empêcher qu’il soit perçu comme une ingérence excessive de l’Europe dans les budgets nationaux ou comme une contrainte supplémentaire exercée au nom de celle-ci » (11). Ces conclusions ne tirent toutefois pas toutes les conséquences de l’analyse des nouveaux mécanismes de surveillance budgétaire qui sont proposés.

Aussi, la présente proposition de loi constitutionnelle propose d’affirmer explicitement dans notre Constitution le fait que les transferts de compétence acceptés par la France ne doivent pas pour autant avoir pour conséquence de priver le Parlement de sa souveraineté en matière budgétaire. Elle introduit également dans la Constitution une disposition interdisant aux institutions européennes de se prononcer sur le budget de la France avant que les assemblées parlementaires aient délibéré sur ce budget.

*

* *

La Commission examine, au cours de la réunion du mercredi 24 novembre 2010, la proposition de loi constitutionnelle de Mmes Martine Billard, Jacqueline Fraysse, MM. Marc Dolez, Jacques Desallangre, Roland Museau et Jean-Claude Sandrier garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire.

Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale s’engage.

M. Michel Hunault. Je ne comprends pas très bien cette proposition de loi. Que l’Union européenne s’emploie à coordonner les politiques budgétaires des États membres, alors qu’il existe une monnaie commune et que certains de nos partenaires sont dans la situation économique et financière que l’on sait, me paraît naturel.

Hier dans l’hémicycle, notre collègue Dupont-Aignan préconisait quant à lui la sortie de l’euro. Mme Lagarde lui a répondu en expliquant les vertus de la monnaie commune.

Certes nous sommes tous libres de déposer des propositions de loi, mais j’ai du mal à comprendre que l’on s’oppose à la coordination des politiques budgétaires. Au contraire, nous avons besoin d’harmonisation et de régulation. Si, à l’initiative du Président Sarkozy, l’Union européenne n’avait pas eu les bons réflexes permettant de coordonner la riposte face à la crise et si, au niveau national, 238 députés de la majorité n’avaient pas voté au mois de septembre 2008 un plan de sauvetage du système financier, nous nous serions dirigés tout droit vers la catastrophe. Dans le contexte actuel, le vote de cette proposition de loi constituerait un bien mauvais signal.

M. Jérôme Lambert. Étant membre de la commission des affaires européennes, j’ai eu connaissance du rapport de nos collègues Caresche et Herbillon, dont je ne retiendrai pas les seules phrases critiques qui viennent d’être citées.

« En matière budgétaire cependant, le Parlement reste souverain » : telle est la première des deux phrases que cette proposition de loi vise à insérer dans la Constitution. Or cela va sans dire. Les récentes décisions prises au niveau européen n’y changent rien. Qu’a dit le Conseil Ecofin le 7 septembre 2010 ? « Le nouveau cycle semestriel débutera chaque année en mars sur la base d’un rapport de la Commission. Le Conseil européen recensera les principaux défis économiques et formulera des conseils stratégiques sur les politiques budgétaires à moyen terme. Dans le même temps, les États membres élaboreront des programmes nationaux de réforme décrivant les mesures qu’ils prendront dans des domaines tels que l’emploi et l’inclusion sociale. En juin et en juillet, le Conseil européen et le Conseil Ecofin formuleront des conseils sur les politiques à suivre avant que les États membres ne mettent au point leurs budgets pour l’année suivante. »

Le Conseil européen, donc, ne formulera que des conseils. Je ne vois pas en quoi notre budget national serait mis sous tutelle. Notre Parlement demeurera souverain. Le fait de recueillir des avis et des conseils me semble, d’une façon générale, utile et nécessaire. Libre à nous, ensuite, de les suivre ou non – éventuellement au risque de s’exposer à une procédure de sanction.

M. François de Rugy. La question de la souveraineté dans l’Union européenne, y compris en matière économique et financière, ne peut plus être éludée, mais elle est à nos yeux indissociable de celle de la solidarité au sein de l’Union. Alors qu’aujourd’hui cette solidarité se manifeste de façon concrète à l’égard d’États membres en difficulté, on voit bien que la souveraineté, dans un système solidaire, ne peut être étroitement nationale : elle doit être partagée.

Comment concevoir la coordination des politiques économiques et budgétaires si on en refuse le principe même ? Quelle peut être la solidarité dans ces conditions ? Hier, lors des questions au Gouvernement, les réponses de la ministre de l’économie au sujet de l’Irlande ne m’ont pas convaincu. La fortune économique de l’Irlande au sein de l’Union européenne a été notamment liée au fait que son taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés était beaucoup plus faible que celui de ses partenaires ; les écologistes, que ce soit en France, dans d’autres pays ou au Parlement européen, expriment le souhait que la solidarité s’exerce à l’égard de l’Irlande mais demandent une réciprocité : ce pays doit modifier sa fiscalité. On ne peut jouer sur les deux tableaux : un jour la mise en concurrence des systèmes fiscaux, un autre la solidarité financière...

S’agit-il pour autant d’une atteinte à la souveraineté du Parlement irlandais ? Si, a posteriori – c’est-à-dire après nous être engagés à la soutenir financièrement –, nous laissons l’Irlande voter un budget qui laisse inchangés les taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés, nous maintenons l’ambiguïté et l’hypocrisie. Il ne faut pas, selon ce qui arrange, brandir alternativement la souveraineté nationale et la solidarité européenne.

Le débat est assurément difficile. Tout le monde est attaché à la souveraineté des peuples et le système européen n’est pas satisfaisant d’un point de vue démocratique. Ce n’est pas une raison, selon nous, pour s’interdire de pratiquer au sein de l’Union la solidarité et la coordination économique et financière. On remettrait alors en cause le projet même d’Union européenne – qui n’est pas celui d’une zone de libre-échange entre États souverains, conception dont je doute qu’elle soit celle des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle.

M. Pascal Terrasse. François de Rugy a dit l’essentiel.

Nous nous inscrivons tous, je pense, dans la logique de souveraineté budgétaire des États. Mais cela ne vaut que dans la mesure où l’État est dans une situation financière saine. Quand une famille est surendettée, un service se charge de l’accompagner et d’essayer de lui donner les clés de son désendettement : il est bon qu’il en aille de même pour un État.

Que l’on fasse fonctionner la solidarité au sein de l’Union européenne me paraît être un minimum. Demain, il faudra aussi que le rôle du FMI soit renforcé. Son directeur général lui-même estime que l’on ne peut s’en tenir à des organisations régionales – Europe, Asie, Amérique – et qu’il faut penser une régulation à l’échelle mondiale. Dans un contexte de compétition entre les monnaies, il faudra inévitablement mettre en place des arbitres. Restreindre nos politiques monétaires et budgétaires à l’État-nation est un contresens historique.

Nous sommes néanmoins sensibles à la question soulevée par cette proposition de loi constitutionnelle. Le débat méritait d’être ouvert. Nous ne pouvons pas voter ce texte en l’état, mais voter contre serait une erreur. Nous allons donc nous abstenir, en attendant le débat en séance.

M. Étienne Blanc. Ce texte, si on le lit avec attention, paraît assez extraordinaire…

L’exposé des motifs voue aux gémonies le Fonds monétaire international. Il est assez plaisant de voir présenter M. Strauss-Kahn comme un thuriféraire du libéralisme le plus avancé. En revanche, il est un peu inquiétant de lire une apologie de Robespierre, même à propos du veto royal : il est rarement cité dans les textes officiels…

On nous propose une sorte d’Europe à la carte, ce que nos engagements internationaux et les traités que nous avons ratifiés nous interdisent. Ce texte serait à coup sûr censuré par le Conseil constitutionnel. Bien entendu, nous voterons contre.

Mme Sandrine Mazetier. L’exposé des motifs est une ode magnifique. J’ai beaucoup de respect pour Martine Billard, et l’exercice auquel elle s’est livrée éveille toute ma sympathie.

Cela étant, l’erreur centrale de l’exposé des motifs, qui se retrouve dans la proposition de loi constitutionnelle, est de ne pas chercher les responsabilités là où elles sont. On parle des institutions internationales, de l’Union européenne, mais on ne pointe pas les partis pris politiques. Cela revient à tromper nos concitoyens en dédouanant la droite de ses responsabilités.

On en appelle à la souveraineté du peuple mais quand, à l’issue de la crise grave qu’il a dû affronter, le peuple grec décide souverainement de reconduire le PASOK, et même de faire basculer à gauche la ville d’Athènes, on trouve qu’il n’est plus tout à fait souverain !

Bref, j’estime que cette proposition est une erreur stratégique et tactique. Nous ne prendrons pas part au vote.

Mme Maryse Joissains-Masini. Étant très attachée à la souveraineté nationale, je voterai en faveur de ce texte.

Mme la rapporteure. Évitons les faux débats : les signataires de cette proposition de loi constitutionnelle ne sont pas pour la sortie de l’euro, et ils sont pour une coordination.

Il reste que le dumping fiscal encouragé par l’Union européenne a provoqué la crise grecque puis celle de l’Irlande. Les pays de l’Union ont été poussés à réduire leurs impôts ; et c’est bien la baisse des recettes, et non l’augmentation des dépenses, qui explique les déficits constatés. Comment, avec cette politique libérale menée au niveau de l’Union, construire une Europe orientée vers la justice sociale, l’écologie et la démocratie ?

Dans la proposition de directive relative aux exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres, il est prévu des tableaux d’indicateurs concernant notamment le coût du travail – l’exigence étant de toujours abaisser les salaires et les cotisations – et les réformes structurelles en matière de retraites et de santé. Il s’agit bien de sujets politiques. Voilà pourquoi nous ne voulons pas d’un contrôle a priori des budgets, qui interdirait de mener une politique différente.

La Commission examine l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle.

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

Article unique

(article 88-2 de la Constitution)


Affirmation de l’intangibilité de la souveraineté budgétaire du Parlement

La participation française à l’Union et aux Communautés européennes a eu pour conséquence le transfert à l’échelon communautaire de certaines compétences qui relèvent à l’origine de l’exercice de la souveraineté nationale. Aussi, de tels transferts ont dû, à chaque fois, être expressément autorisés par le Constituant. C’est ainsi que la Constitution a été révisée :

―  le 25 juin 1992, pour permettre la ratification du traité de Maastricht du 7 février 1992 ;

―  le 25 novembre 1993, pour permettre la conclusion avec d’autres États membres de l’Union européenne des accords déterminant leurs compétences respectives pour l’examen des demandes d’asile ;

―  le 25 janvier 1999, pour permettre la ratification du traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 ;

―  le 23 mars 1999, pour permettre la participation française au mécanisme du mandat d’arrêt européen ;

―  le 1er mars 2005, pour permettre la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe du 29 octobre 2004 (12) ;

―  le 4 février 2008, pour permettra la ratification du traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.

En l’état actuel de la rédaction de l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

Cette rédaction, qui rend possible les transferts de compétence prévus par le traité de Lisbonne ou par les traités antérieurs, n’autorise pas les éventuels transferts de compétences ultérieurs qui porteraient atteinte aux conditions essentielles d’exercice de notre souveraineté.

Pourtant, de manière subreptice, dans le cadre du renforcement de la coordination des politiques économiques, laquelle est prévue par l’article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Commission européenne a formulé des propositions puis le Conseil a introduit des modifications dans les règles relatives à l’élaboration et à la transmission des programmes de stabilité des États membres (13). Ces règles nouvelles conduisent à soumettre les procédures budgétaires nationales à une surveillance communautaire injustifiable.

En effet, à compter de 2011, le Conseil européen sera chargé de formuler des orientations stratégiques, en début d’année, ces orientations devant être prises en compte par les États membres lors de l’élaboration de leurs programmes de stabilité et de convergence. Si ces orientations ne sont pas respectées, les États devront le motiver. La transmission devrait ensuite intervenir avant la fin du mois d’avril, afin que la Commission puisse formuler ses recommandations puis le Conseil adopter ses avis relatifs à chaque programme national avant la fin du mois de juillet, de telle sorte que les États puissent les prendre en compte lors de la préparation de leur budget pour l’année à venir.

L’article 6 du Traité de Rome prévoyait déjà que « les États membres en étroite collaboration avec les institutions de la Communauté, coordonnent leurs politiques économiques respectives dans la mesure nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité », l’article 155 permettant à la Commission européenne d’adresser des recommandations et l’article 103 confiant au Conseil un pouvoir de décision en matière de politique économique ou budgétaire. Cette question a pris une importance nouvelle dans le cadre de la construction de l’Union économique et monétaire (UEM), à compter du traité de Maastricht. Désormais, les traités prévoient explicitement une « surveillance multilatérale » des États membres par les institutions communautaires (article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) et posent des exigences relatives à la situation budgétaire de chaque État (article 126 du traité précité).

Le pacte de stabilité et de croissance, qui est pleinement entré en vigueur le 1er janvier 1999, est fondé sur le respect de critères de position budgétaire communs aux différents États membres, afin d’assurer des finances publiques saines. Il comprend à la fois un volet préventif, correspondant à la surveillance des États membres par les institutions communautaires (14) et un volet correctif, correspondant à la faculté de mettre en œuvre une procédure pour déficit excessif (15). C’est dans le cadre du volet préventif du pacte de stabilité que sont aujourd’hui transmis chaque année des programmes de stabilité ou de convergence par les États membres au Conseil et à la Commission.

Mais un pas supplémentaire est franchi par le biais du mécanisme nouveau du « semestre européen de coordination des politiques économiques ». Le fait d’introduire des recommandations, même horizontales, en amont de la transmission des programmes de stabilité ou de convergence, de même que le fait de prévoir un calendrier des recommandations susceptible d’avoir des conséquences sur la préparation du budget national, posent un problème au regard du respect de la souveraineté budgétaire.

Il est donc proposé de compléter l’article 88-2 de la Constitution, qui est l’un des articles du titre XV de la Constitution, consacré à l’Union européenne, afin d’introduire deux exceptions aux transferts de compétence autorisés par le Constituant au profit de l’Union européenne :

―  l’affirmation de la souveraineté du Parlement français en matière budgétaire, conformément à l’article 47 de la Constitution et à l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, cette souveraineté ne pouvant souffrir aucune exception ;

―  l’exigence d’une délibération du Parlement français préalable à toute prise de position des institutions européennes sur des questions relevant du budget national.

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La Commission rejette l’article unique et, partant, la proposition de loi constitutionnelle.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte en vigueur

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Texte de la proposition de loi constitutionnelle

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Conclusions de la Commission

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Proposition de loi constitutionnelle garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire

Proposition de loi constitutionnelle garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire

 

Article unique

Article unique

Constitution du 4 octobre 1958

Le premier alinéa de l’article 88-2 de la Constitution est complété par deux phrases ainsi rédigées :

Rejeté

Art. 88-2. – La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l’Union européenne.

« En matière budgétaire cependant, le Parlement reste souverain. Les institutions européennes ne pourront se prononcer qu’après la délibération des assemblées parlementaires. »

 

PERSONNE ENTENDUE PAR LE RAPPORTEUR

Syndicat national unifié des impôts (SNUI)

- M. Vincent DREZET, secrétaire général

© Assemblée nationale

1 () Au premier chef Ernest Labrousse, avec son analyse de la Crise de l’économie française à la fin de l’Ancien Régime et au début de la Révolution française.

2 () On peut citer à ce titre Roger Chartier, avec ses Origines culturelles de la Révolution française, mais également Dale Kenneth Van Kley, qui insiste sur le facteur religieux.

3 () Article 1er de la section I du chapitre III.

4 () Article 8 de la section III du chapitre III : « Les décrets du Corps législatif concernant l’établissement, la prorogation et la perception des contributions publiques, porteront le nom et l’intitulé de lois. Ils seront promulgués et exécutés sans être sujets à la sanction, si ce n’est pour les dispositions qui établiraient des peines autres que des amendes et contraintes pécuniaires. »

5 () Dans le cas des États non membres de la zone euro, le programme communiqué est un programme de convergence.

6 () En vertu du Règlement n° 1466/97 CE du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques.

7 () Ce code de conduite est intitulé : Spécifications relatives à la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance et Lignes directrices concernant le contenu et la présentation des programmes de stabilité et de convergence.

8 () Décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992, considérant 43.

9 () Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, considérant 35.

10 () Compte rendu des débats de la séance unique du lundi 25 octobre 2010 (J.O. Débats, Assemblée nationale).

11 () MM. Michel Herbillon et Christophe Caresche, Rapport d’information déposé par la commission des Affaires européennes sur le gouvernement économique européen, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 2922, 27 octobre 2010.

12 () Cette révision constitutionnelle n’est jamais entrée en vigueur, faute pour le traité du 29 octobre 2004 d’être ratifié par l’ensemble des États membres..

13 () Ces règles figurent dans le document intitulé Spécifications relatives à la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance et Lignes directrices concernant le contenu et la présentation des programmes de stabilité et de convergence, qui a été modifié par le Conseil Ecofin le 7 septembre 2010.

14 () Ce volet préventif est organisé par le règlement n° 1466/97 CE du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques.

15 () Ce volet correctif est organisé par le règlement n° 1467/97 CE du Conseil du 7 juillet 1997 visant à accélérer et clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs.