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N
° 3314

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 avril 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 2845, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre l’exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d’intérêt patrimonial,

par Mme  Christiane TAUBIRA

Députée

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTRODUCTION 5

I – L’ORPAILLAGE CLANDESTIN EN GUYANE : UN FLÉAU MINORÉ 7

A - L’EXPLOITATION ILLÉGALE DE L’OR 7

B - LE DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE L’ORPAILLAGE ILLÉGAL 11

1. La répression 11

a) L’opération Harpie 11

b) Les procédures judiciaires 13

2. La prévention 16

3. La coopération 17

II – L’ACCORD DU 23 DÉCEMBRE 2008 : UNE AVANCÉE MODESTE ET INCERTAINE 21

A - DES DISPOSITIONS DE FAIBLE PORTÉE 21

B - UNE MISE EN œUVRE INCERTAINE 23

1. Des interrogations sur l’engagement brésilien 23

2. Des interrogations sur les moyens 25

CONCLUSION 27

EXAMEN EN COMMISSION 29

ANNEXES 35

Annexe 1 - Extrait du rapport de Mme Taubira au Premier ministre 37

Annexe 2 - Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Brésil 41

_____

ANNEXE - TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 43

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires étrangères est saisie d’un accord entre la France et le Brésil dans le domaine de la lutte contre l’exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d’intérêt patrimonial.

Cet accord, signé le 23 décembre 2008 à l’occasion d’une visite au Brésil du Président de la République, s’inscrit dans le cadre du partenariat stratégique avec ce pays au titre de la coopération transfrontalière.

L’exploitation aurifère illégale, autrement appelée « orpaillage », est un fléau qui frappe depuis longtemps la Guyane et qui continue de s’aggraver. Si l’Etat semble en avoir enfin pris la mesure, il a jusqu’à présent privilégié pour le combattre les opérations de police, délaissant la coopération pourtant indispensable avec le principal pays d’origine des travailleurs clandestins de cette activité, à savoir le Brésil.

Cet accord vise donc à combler cette lacune en instituant un dispositif de contrôle de la filière aurifère applicable en France comme au Brésil et en encourageant la coopération judiciaire en la matière.

Si cet accord constitue un premier pas, longtemps attendu mais bienvenu, il ne lève pas toutes les incertitudes sur la volonté et la capacité des deux Etats à mettre en œuvre les solutions susceptibles de débarrasser le territoire guyanais d’une activité aux conséquences désastreuses et de restaurer l’Etat de droit.

I – L’ORPAILLAGE CLANDESTIN EN GUYANE : UN FLÉAU MINORÉ

L’or en Guyane a fait l’objet, il y a bientôt dix ans, d’un rapport remis au Premier ministre par votre rapporteure (1). Celui-ci émettait 28 recommandations qui figurent en annexe de ce rapport sur la mise en œuvre desquelles les services de l’Etat interrogés n’ont pas été en mesure de faire le point.

Depuis cette date, le phénomène de l’exploitation illégale de l’or s’est aggravé tandis que l’activité légale a connu un déclin qui n’est pas enrayé. Si l’Etat semble avoir pris la mesure de ce fléau, les réponses qui lui sont apportées demeurent partielles. Les conséquences de l’orpaillage clandestin sont aussi bien sécuritaires et judiciaires qu’environnementales, sanitaires, migratoires et économiques alors que les efforts se concentrent principalement sur des opérations de police, au demeurant indispensables.

A - L’exploitation illégale de l’or

En Guyane, plusieurs milliers de chercheurs d’or clandestins provenant des régions défavorisées du Brésil – Etats de l’Amapa et du Para – viennent exploiter le riche sous-sol et provoquent des désordres environnementaux, sanitaires, sociaux et d’ordre public.

Le plus grand flou règne sur le nombre exact de ces « garimpeiros », les chiffres officiels, entre 3 000 à 15 000 travailleurs clandestins, étant largement contestés par les acteurs locaux. Plus de 500 chantiers illégaux sont répertoriés.

Une chose est certaine : le nombre d’opérateurs illégaux a très largement dépassé celui des opérateurs légaux. Le registre des redevances des mines pour 2009 fait apparaître 27 titres miniers ayant donné lieu à une production cette année-là.

Trois tonnes d’or (2) ont été produites et déclarées légalement en 2003, alors que plus de neuf tonnes ont été exportées de Guyane et déclarées aux douanes cette année-là. Environ dix tonnes d’or seraient extraites annuellement par les clandestins et cinq tonnes de mercure rejetées chaque année dans le milieu naturel. La Guyane recèle encore un potentiel aurifère important : 120 tonnes en or primaire, et encore 15 à 20 ans de gisement alluvionnaire au rythme de son exploitation actuelle.

Or primaire et or alluvial

L’or primaire provient directement de la roche mère. Il est concentré dans des filons de quartz aurifère qu’il faut extraire en creusant le sol avec des moyens industriels très lourds (galeries ou plus souvent mine à ciel ouvert). Le minerai doit être concassé pour en extraire l’or au moyen de produits chimiques.

La purification de l’or qui nécessite dans ce cas l’utilisation de grandes quantités de cyanure (toxique, très soluble dans l’eau et mal absorbé dans les sols et sédiments, et donc très biodisponible) présente un risque important de pollution environnementale, notamment en saison des pluies en raison des risques de rupture de digue et d’inondation des sites pollués. Les grandes exploitations de ce type doivent souvent stocker dans des bassins plusieurs centaines de milliers de mètres cubes, qui pollueront gravement l’environnement en cas de rupture.

L’or alluvial provient des sédiments issus de l’érosion de la roche contenant originellement l’or qui se trouve alors concentré dans le lit des rivières sous forme de pépites et de paillettes. Il est très diffus et nécessite de fouiller et traiter de grandes quantités de terre ou sédiments.

Une fois la présence d’or confirmée, les orpailleurs détournent le cours des criques (rivières) pour libérer les vallées alluviales. Les alluvions sont liquéfiées par un jet d’eau à haute pression. La boue formée est ensuite aspirée par des pompes et répandue sur des systèmes de tapis inclinés. L’or, plus lourd, se dépose alors et se trouve piégé dans les fibres, tandis que la boue est mise à décanter dans de grandes fosses. On utilisait à l’origine des tapis de paille pour cette opération, ce qui est à l’origine du terme « orpaillage ».

L’or disponible en Guyane n’étant souvent présent que de façon très diffuse et en très faible quantité, les exploitants clandestins comme légaux doivent traiter de grandes quantités de terre, avec des méthodes qui ont toutes d’importants effets sur les écosystèmes et la santé humaine. D’après la dernière estimation de 2006, environ 1 333 km de cours d’eau et 12 000 ha de forêt guyanaise subissent les ravages de l’orpaillage (3). Depuis, la pression s’est encore accentuée, même si l’on peut considérer que les opérations « Harpie I, II puis permanent » ont sinon infléchi du moins stabilisé à partir de début 2010 la courbe de progression des chantiers illégaux.

« Aucun chiffre n’est disponible sur les principaux impacts négatifs de l’orpaillage sur l’environnement qui sont liés à l’érosion des sols, au déplacement massif de boues et à la pollution au mercure ». Ce constat regrettable des services sollicités par votre rapporteure confirme le manque de données actualisées. L’étude d’impact du projet de loi fait cependant état des conséquences environnementales et sanitaires :

« Le mercure, utilisé pour amalgamer l’or – alors que cette technique est interdite en France depuis le 1er janvier 2006 – est rejeté dans le milieu et provoque un phénomène de bioaccumulation dans les poissons qui sont ensuite consommés par les populations amérindiennes. L’orpaillage illégal provoque également une très forte augmentation des matières en suspension dans les cours d’eau, qui conduit à un phénomène d’asphyxie des criques avec des conséquences importantes sur la faune et la flore aquatiques. Contrairement aux opérateurs légaux, les clandestins ne réhabilitent pas les zones orpaillées, ce qui provoque un grave problème de déforestation, et de très importantes modifications du lit des cours d’eau.

« Par ailleurs, les opérateurs illégaux se sont développés notamment au coeur du parc national, phénomène qui induit un problème pour la politique nationale des espaces protégés [..].

« Les conséquences en termes de santé publique sont inquiétantes : on décèle un taux d’imprégnation au mercure supérieur à la norme OMS chez plus de 70 % des enfants amérindiens Wayanas du Haut-Maroni (4). »

Si l’activité légale n’est pas sans conséquences sur l’environnement, celle-ci est encadrée afin de minimiser les risques. En revanche, la liste est longue des méfaits de l’orpaillage clandestin qui recourt à des méthodes peu soucieuses de l’environnement et de la santé : déboisement, rejets de mercure et de cyanure, turbidité des cours d’eau, pollution aquatique, destruction des écosystèmes, déchets divers, contamination des populations, etc.

Concernant particulièrement la santé publique des habitants de l’hinterland, principalement des Amérindiens directement exposés aux méfaits de l’orpaillage clandestin, selon les dernières données disponibles, le niveau de pollution par le mercure s’est accentué depuis 2004. Le taux d’imprégnation relevé sur certains enfants amérindiens Wayana de moins de trois ans est cinq fois supérieur aux normes de l’European Food Safety Authority (EFSA) et dix fois supérieur à la moyenne mondiale.

Cette pollution provient de la mobilisation du mercure naturellement contenu dans le sol amazonien et de l’injection de mercure pour amalgamer l’or tel qu’il se pratique encore dans les activités d’orpaillage illégal ou clandestin, en amont du village amérindien de Kayodé sur la rivière Tampoc. C’est de source officielle, du ministère des affaires étrangères et européennes, que provient l’estimation de 5 tonnes de mercure rejetées chaque année dans le milieu naturel, pour 10 tonnes d’or extraites chaque année par les clandestins.

Des travaux effectués par des experts japonais, dont ceux du National Institute for Minamata Disease (NIMD), semblent valider l’hypothèse d’une accumulation constituant un stock de méthylmercure de génération en génération, détectable dès la naissance, et celle d’un processus analogue au syndrome de Minamata (5). Jusqu’ici les chercheurs ont distingué les effets des contaminations chroniques par rapport aux contaminations brutales et massives. Le sujet est trop important, la population concernée trop fragile, l’urgence trop évidente, la responsabilité d’Etat trop flagrante pour que la puissance publique ne prenne pas au plus vite les dispositions les plus pertinentes, d’abord pour mesurer les effets sur la santé de cette ingestion chronique de methylmercure par un réel suivi sanitaire des trois générations de population exposées, ensuite pour les en protéger, et pas seulement en les invitant à ne plus consommer de poisson carnivore. C’est toute la chaîne trophique qui se trouve contaminée, et comme indiqué supra, l’asphyxie provoquée par les matières en suspension met en péril la biodiversité des cours d’eau, donc autant la survie des poissons herbivores que du phytoplancton. Par ailleurs, aux termes du décret n° 87-267 du 14 avril 1987 (6), l’Etat a reconnu à ces populations des droits issus de leur mode de vie traditionnel tirant leur subsistance de la forêt.  

Il est établi que la neurotoxicité du méthylmercure a de graves conséquences sur la santé, particulièrement chez les jeunes enfants et les femmes enceintes. Chez ces enfants, des lésions importantes peuvent provoquer des retards de développement, des affections ophtalmiques et des troubles de comportement. Le méthylmercure est foetotoxique, il traverse le placenta et il est également conduit par le lait maternel. Sans que nous disposions de statistiques tirées d’observations qui ne semblent pas réalisées de façon systématique, des données empiriques permettent d’évoquer un nombre anormalement élevé de malformations néonatales et de grossesses non abouties dans les villages les plus touchés par le mercure.

L’orpaillage clandestin pose aussi des problèmes sociaux et favorise une insécurité multiforme. Les conditions de travail et d’hygiène sont déplorables. L’activité donne lieu à la constitution sur le territoire guyanais d’enclaves communément appelées « villages brésiliens », où circulent aussi bien les vivres que le carburant et les équipements divers. Il s’est installé une économie interlope croisant de multiples trafics, stupéfiants, armes, alcools, médicaments, destinés à approvisionner les sites d’orpaillage en matériel et en personnel et à assurer le blanchiment de l’or illégalement extrait. Des hélicoptères y contribuent, parfois en déposant des plans de vol erronés, d’où la nécessité de remonter les filières d’approvisionnement en provenance de l’économie légale. En outre, les sites d’orpaillage attirent la convoitise de groupes de voleurs armés qui agissent avec une grande violence, organisant parfois l’assassinat d’artisans exerçant licitement cette activité.

Pour combattre ce fléau, l’Etat dispose de plusieurs leviers qui correspondent aux différents paliers de l’activité.

B - Le dispositif de lutte contre l’orpaillage illégal

A ce jour, la lutte contre l’orpaillage illégal s’articule principalement autour de la répression. La politique minière et la coopération avec les Etats voisins, pourtant essentielles à l’appréhension et à la solution du problème, n’ont pas donné lieu, à ce jour, à des initiatives volontaristes.

1. La répression

La répression repose largement sur des opérations de sécurité, baptisées « Harpie », visant à démanteler les chantiers illégaux et la logistique qui les soutient. Ces opérations donnent lieu à des procédures judiciaires, pour certaines spécifiques puisqu’elles relèvent du code minier et non du code pénal.

a) L’opération Harpie

L’opération « Harpie » est l’instrument le plus visible de l’action de l’Etat contre l’orpaillage clandestin. Elle fait suite aux opérations Anaconda initiées en 2002. D’ampleur plus importante, une première opération s’est déroulée à partir de février 2008. Une seconde opération, dénommée « Harpie renforcée » a eu lieu à partir d’avril 2009. Le président de la République a annoncé en février 2010 que l’opération « Harpie » serait désormais permanente.

Les opérations « Harpie », menées conjointement par les forces de gendarmerie et les forces armées en Guyane (FAG) (7), obéissent à une conception plus qualitative de la lutte contre le phénomène de l’orpaillage illégal. En effet, ces missions opérationnelles reposent sur une stratégie d’étouffement de l’activité économique de l’orpaillage clandestin. Le but est d’assécher les flux logistiques des orpailleurs clandestins, détruire les chantiers illégaux et démanteler les filières d’économie souterraine tout en protégeant la population amérindienne et en préservant les écosystèmes de la forêt guyanaise.

Les sites illégaux d’orpaillage sont identifiés par le recoupement des observations aériennes cartographiées lors des missions des forces de l’ordre et des missions de surveillance de l’Office national des forêts (ONF) et du Parc amazonien de Guyane (PAG) – mission très inhabituelle dans une telle structure – qui a signé une convention de coopération avec les forces de gendarmerie. Afin d’empêcher l’approvisionnement, le dispositif comprend des postes de contrôle fixes dont il est avéré qu’ils ne présentent malheureusement pas toutes les garanties d’étanchéité.

On dénombre cinq postes fluviaux, deux postes routiers, un poste mixte ainsi que deux postes provisoires à Saint-Elie et Saül. Ce dispositif fixe est complété par des patrouilles conjointes mobiles et des opérations associant plusieurs administrations. Parallèlement, des opérations de destruction de sites clandestins sont menées dans les différents bassins aurifères. Elles se prolongent parfois par des missions d’occupation de terrain qui permettent de traiter en profondeur les différentes poches de repli des « garimpeiros » et empêchent toute réinstallation immédiate, entraînant parfois leur découragement et l’abandon du site.

Les services interrogés se félicitent des résultats obtenus qui confortent la pertinence d’un dispositif pérenne :

Bilan judiciaire des opérations « Harpie » entre le 1er janvier et octobre 2010

Les saisies

• 51.712 litres de carburant

• 408 corps de pompes

• 222 pirogues

• 12 barges

• 371 motopompes

• 19.329 mètres de tuyaux

• 54 galeries et puits détruits

• 12.342 litres d’alcool

• 144 armes à feu

• 2057 carbets détruits

• 61 véhicules saisis

• 84 quads saisis

• 91.258,4 grammes de mercure

• 9.186 grammes d’or

Deux chiffres sont particulièrement intéressants, en l’occurrence les saisies d’or et de mercure en nette augmentation.

Les évènements

• 106 franchissements en force

• 8 agressions à l’encontre des forces de l’ordre

• 1027 personnes mises en cause

• 997 gardes à vue

• 723 reconduites à la frontière

Selon les mêmes sources, en l’espace d’une année entre les mois de septembre 2009 et 2010, le nombre de chantiers illégaux actifs sur le territoire du parc amazonien de Guyane est passé de 105 à 64 soit une baisse de près de 40 % en un an. Or, l’étude d’impact présentée par le ministère des affaires étrangères et européennes en annexe de l’accord fait état de 500 chantiers illégaux, soit cinq fois plus. Par conséquent, soit les distorsions sont considérables dans les estimations de l’activité clandestine selon les sources, toutes administrations d’Etat, soit seuls 20% de ces chantiers sont localisés sur le territoire du parc amazonien qui représente l’essentiel de la zone géographique visée par la coopération au titre de cet accord. Quant aux 9 kilos d’or saisis, ils sont à comparer aux 10 tonnes de production estimées pour la seule activité clandestine. La production cumulée des 27 chantiers légaux s’élevait en 2009 à 1,22 tonne pour un effectif de personnel de 360 personnes et un chiffre d’affaires global de 36 millions d’euros. Le ministère indique pour sa part l’existence de 90 titres miniers !

2057 carbets détruits et 9 tonnes de mercure saisies (5 tonnes estimées en rejet annuel par le ministère des affaires étrangères), en sachant que ces chiffres ne signifient pas une éradication des chantiers, cela témoigne au moins de la vitalité de ce secteur parallèle. Trois homicides sont directement liés à l’orpaillage illégal sur les 20 survenus en 2010. Mais il faut également, en prenant le temps de la saluer, signaler l’intense activité conduite par les forces engagées dans les opérations Harpie, et qui font face à des ripostes de plus en plus violentes de la part des clandestins, ayant déjà provoqué la mort de deux gendarmes. Deux piroguiers employés par le ministère de la défense, un Amérindien et un Bushinengue ont également trouvé la mort lors de ces missions périlleuses.

Le coût prévisionnel de la mission « Harpie renforcée » correspondant à la projection des renforts sur une période de six mois est estimé à 3,9 millions d’euros. Comparé au déploiement d’un tel dispositif en France hexagonale, le surcoût est évalué à 2,3 millions d’euros.

En dépit des opérations, il semble qu’une sédentarisation des orpailleurs soit désormais à l’œuvre. L’augmentation des saisies de tables de levées confirme, en outre, que l’orpaillage clandestin s’oriente vers une activité de type éluvionnaire, à flanc de colline et primaire – pourtant plus difficile et plus coûteuse à mettre en œuvre compte tenu des équipements et installations nécessaires (puits et galeries) – et non plus seulement alluvionnaire. C’est ce que vient corroborer la découverte de 67 puits sur le territoire en 2010 soit 14 puits supplémentaires par rapport à 2009.

Il est donc permis de s’interroger sur l’adéquation des suites judiciaires à de tels actes et procédés.

b) Les procédures judiciaires

Les infractions liées à l’orpaillage illégal relèvent du code minier et non du code pénal. Le commerce de l’or, qui est une valeur fiduciaire, est également réglementé de façon spécifique (code des douanes notamment et article L. 426-1 du code monétaire et financier). En revanche, des crimes et délits de blanchiment, association de malfaiteurs, vol commis en bande organisée, extorsion aggravée, proxénétisme aggravé, trafic de stupéfiants et aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour d’un étranger en situation irrégulière commis en bande organisée sont susceptibles d’être connexes à l’activité d’orpaillage illégal.

Parallèlement à la pérennisation de l’opération « Harpie », une réforme du code minier a été récemment mise en œuvre pour aggraver les peines encourues et adapter la procédure de garde à vue aux conditions particulières d’intervention en Guyane.

Ces dispositions procédurales et pénales relatives à l’orpaillage illégal ont été introduites par l’article 59 de la loi pour le développement économique des outre-mer (8) :

– l’article 141-1 du code minier réprime plus sévèrement (cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) le délit d’extraction aurifère illégale lorsque les faits s’accompagnent d’atteintes graves à l’environnement matérialisée par la pollution des eaux, la pollution atmosphérique ou la déforestation. En outre, la peine est portée à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée ;

– l’article 141-4 du code minier prévoit que « lorsque l’infraction mentionnée à l’article 141-1 est commise en Guyane et que le transfert des personnes interpellées dans le délai légal de la garde à vue soulève des difficultés matérielles insurmontables, le point de départ de la garde à vue peut exceptionnellement être retardé à l’arrivée dans les locaux du siège où cette mesure doit se dérouler et pour une durée ne pouvant excéder vingt heures. Ce report est autorisé par le procureur de la République ou la juridiction d’instruction. Mention des circonstances particulières justifiant la mesure est portée au procès-verbal. »  (9)

Ce dispositif, dérogatoire aux règles du code de procédure pénale, vise à permettre l’acheminement des personnes interpellées dans le cadre des opérations de lutte contre l’orpaillage dans les zones reculées de Guyane jusqu’à des locaux où les conditions légales de la garde à vue peuvent être respectées avant que ne débute la computation du délai de garde à vue. Le procureur de la République de Cayenne indique qu’il a jusqu’à présent fait droit à toutes les demandes qui avaient été présentées par les officiers de police judiciaire.

En 2010, le nombre de comparutions immédiates en matière d’orpaillage – 53 – représente 7,37 % du total des comparutions immédiates du tribunal de grande instance de Cayenne ; le nombre de déférés est de 93 soit 9,32 % du total. Par ailleurs, 129 procédures d’orpaillage clandestin de toute nature ont été jugées en 2010 par le tribunal correctionnel de Cayenne.

En réponse à une interrogation de votre rapporteure sur le faible nombre des condamnations et sur la distorsion entre le nombre d’interpellations et le nombre de personnes écrouées (10), il lui a été indiqué que « c’est une décision qui relève de l’appréciation souveraine des juges. Beaucoup de gardes à vue concernent des étrangers en situation irrégulière « simples » c’est-à-dire sans qu’il soit au final possible de retenir d’autres infractions que celle à la législation sur les étrangers. La politique pénale adoptée est de privilégier la voie administrative (reconduite à la frontière) en alternative à une poursuite judiciaire (et donc à un déferrement). […] Il est impossible de juger les simples « garimpeiros » pour des raisons évidentes de moyens humains et matériels, à supposer même que les gendarmes et les militaires puissent les extraire tous de la forêt. En raison des effectifs restreints du parquet de Cayenne (5 ETPT pénal dont un magistrat placé par le parquet général) et du nombre de déferrements annuels (1465 personnes pour 720 CI), les instructions de politique pénale sont très claires : sauf exception, pas de déferrements pour les simples « garimpeiros », interpellés sur les sites, sans or et sans mercure sur eux et hors trafic organisé et infractions connexes. »

Cette réponse témoigne de l’engorgement des juridictions de Cayenne et de la faiblesse de leurs moyens que les élus de Guyane ne cessent de rappeler au Gouvernement. Elle ressemble à un aveu d’impuissance. Les reconduites à la frontière sont certainement plus aisées à ordonner, cependant on ne peut passer sous silence la forte proportion de reconduits qui reviennent très rapidement sur le territoire guyanais. Cette mesure a donc un effet dissuasif quasi nul.

S’y ajoute l’explication fournie par la préfecture aux faibles quantités d’or saisies sur les chantiers illégaux : « les saisies d’or sur chantiers représentent des quantités minimes, cet or sert avant tout de moyen de paiement sur les lieux de vie. D’autres saisies, plus importantes, sont opérées en Guyane par les douanes ou la gendarmerie sur des individus loin des chantiers clandestins, et la difficulté en l’état actuel de la réglementation est de faire le lien avec l’activité illégale, pénalement poursuivie ». Bien qu’à notre connaissance, l’or ne s’attrape pas au marché aux légumes. Ces saisies sont de 8,16 kilos en 2010 et de 2,36 kilos pour le premier trimestre 2011. Dérisoire, au regard des 10 tonnes de production annuelle imputables à l’activité clandestine. 1134 personnes ont été mises en cause en 2010 contre 787 en 2009.

Ces explications éclairent particulièrement les déclarations de la préfecture et de la chambre de commerce et d’industrie sur des programmes de formation ou d’aide au retour pour les « garimpeiros » et celles de la région Guyane sur leur régularisation. Ces mesures constitueraient incontestablement une prime à la prédation malgré les faits graves imputables aux auteurs de ces activités sur la santé des personnes, sur la dégradation de l’environnement, sur le pillage de la ressource, sur les désordres généraux liés aux trafics de toutes sortes de marchandises prohibées ou commercialisées en contrebande, sur des faits criminels entre « garimpeiros » et à l’encontre d’opérateurs ou de salariés réguliers. La préfecture de Guyane déclare tirer des données judiciaires l’affirmation que la hausse des interpellations ne signifie pas une augmentation de l’activité : « l’évolution des statistiques suivies par l’État major de zone de défense révèle une augmentation du nombre d’interpellations d’étrangers en situation irrégulière sur les sites d’orpaillage illégal alors que le nombre d’orpailleurs clandestins a considérablement diminué : depuis le 1er janvier 2011, 325 personnes ont ainsi été interpellées (229 à la même période en 2010). »

Les difficultés constatées dans la recherche d’une réponse pénale adaptée et efficace confirment la nécessité d’accentuer les efforts sur deux autres dimensions de la lutte contre l’exploitation illégale : la prévention et la coopération.

2. La prévention

Le développement de la traçabilité de l’or ainsi que la mise en œuvre d’une politique minière susceptible d’encourager et de consolider une activité légale rigoureusement encadrée sont deux éléments clés de la lutte contre l’orpaillage clandestin, aujourd’hui négligés par le Gouvernement.

A l’initiative de votre rapporteure, l’Assemblée nationale a adopté lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011 un amendement permettant l’application de la loi sur la garantie de l’or en Guyane.

En effet, la réglementation de la garantie des métaux précieux, qui oblige notamment à ce que les ouvrages d’or soient soumis au poinçon de garantie permettant leur traçabilité, est applicable sur le territoire métropolitain, ainsi que dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion. Elle ne l’était pas en Guyane, le département le plus riche en ressources aurifères.

L’application de la loi de garantie de l’or en Guyane permettra que l’or produit en Guyane et exporté à partir de la Guyane soit « tracé », contribuant ainsi à assécher les réseaux et filières, en empêchant la vente légale de l’or provenant de l’orpaillage illégal, une part importante de cette production clandestine étant ‘blanchie’ par glissement rapide dans les circuits légaux par mélange avec l’or légal.

La mise en œuvre concrète de la traçabilité de l’or suppose désormais la création en Guyane d’un bureau de garantie des métaux précieux dont l’imminence n’a pas été indiquée à votre rapporteure, à son grand regret, et qui en a à nouveau saisi le ministre de l’industrie ainsi que le Garde des Sceaux.

Par ailleurs, dans d’un discours devant la chambre de commerce et d’industrie de la Guyane (11), le président de la République avait appelé de ses vœux la construction d’une filière aurifère exemplaire. Cet objectif ambitieux devait se traduire par la définition d’un schéma départemental d’orientation minière et d’aménagement. Le projet soumis aux deux collectivités territoriales de Guyane a fait l’objet d’un rejet des deux assemblées. Les services interrogés n’ont pas été en mesure d’indiquer l’état actuel de la procédure.

Entretemps, la redevance sur l’or a été revalorisée par la loi de finances rectificative pour 2008 (12), précisée par le décret n° 2010-152 du 17 février 2010 (13) et ses taux ont été fixés par l’arrêté du 29 juillet 2010 (14).

Le Président de la République s’était également engagé lors de ce discours à Cayenne sur la création d’un Conservatoire écologique. A ce jour, ses missions ne sont pas encore déterminées et l’étude de préfiguration qui a été confiée à un cabinet privé (EMC2I) est attendue pour fin 2011.

3. La coopération

La coopération avec les Etats voisins devrait être le pilier de la lutte contre l’orpaillage clandestin puisqu’il est démontré que cette activité est principalement organisée depuis le Brésil et le Suriname. Quelque que soit le succès des opérations « Harpie », elles seront un éternel recommencement sans une action coordonnée et une coopération étroite avec les autorités brésiliennes ou surinamaises. A titre d’exemple, si les installations en territoire brésilien, dans le parc Tumucumaque sur lequel ce pays a pris des engagements internationaux, comme la France sur son parc national amazonien, et qui servent de base arrière aux chantiers illégaux ne sont pas interdites, les orpailleurs peuvent très rapidement reprendre leur activité en Guyane. C’est ce qu’ils ont prouvé au terme des quatre mois de « Harpie I » où les bases-vie sur la rive brésilienne de l’Oyapock sont demeurées en sommeil le temps que l’opération prenne fin. Le cours international de l’or, dont la courbe ne fléchit pas depuis cinq ans et a connu de nouvelles hausses depuis la crise financière qui en a fait de nouveau une valeur-refuge, constitue le plus puissant des moteurs de l’activité clandestine, y compris contre les pertes infligées au matériel saisi. Les comptoirs brésiliens achète aux vendeurs l’or au cours international. Lorsque le cours international était moins incitatif, les comptoirs surfixaient leur prix d’achat au-dessus du cours, sans vérification de l’origine de l’or.

Avec le Suriname, la signature d’un accord de coopération policière transfrontalière le 29 juin 2006 semblait une avancée encourageante. Hélas, en l’absence de ratification de la partie surinamaise pour des raisons de politique intérieure (15), l’accord n’est toujours pas entré en vigueur. Cela n’a cependant pas empêché une mise en œuvre concrète de cet accord : un projet du fonds de solidarité prioritaire (FSP) avait permis de fournir un appui matériel et de formation à la police du Suriname ; un nouveau projet du FSP a été élaboré et approuvé en 2009. Le ministre de la justice et de la police du Suriname a signé la convention de financement de ce projet et approuvé personnellement la fiche de description de poste et la nomination de l’assistant technique responsable de la mise en œuvre de ce projet.

Suite à l’élection de M. Desi Bouterse à la présidence de la Ré-publique, le gouvernement français a rappelé que l’approfondissement de la relation bilatérale entre les deux pays supposait que les deux gouvernements puissent se fier aux engagements pris par l’autre, et donc que le Suriname ratifie les accords signés. La France poursuit donc ses démarches diplomatiques.

Un séminaire intergouvernemental Brésil-France-Suriname-Guyana, avec la participation de délégations des états brésiliens de l’Amapa et du Parà, a été organisé sur la lutte contre l’orpaillage clandestin à Belém en mai 2010. Une soixantaine de participants y ont échangé informations et expériences.

Avec le Brésil, si les relations bilatérales ont connu une embellie symbolisée par la signature d’un partenariat stratégique en 2008, la coopération transfrontalière fait figure de parent pauvre de celui-ci.

Depuis sa première réunion à Brasilia en septembre 1997, en vertu de l’accord-cadre de coopération du 29 mai 1996, la commission mixte transfrontalière franco-brésilienne s’est réunie à six reprises sans qu’il en ressorte des décisions effectives.

Lors de la commission de septembre 2010, la France et le Brésil se sont entendus pour renforcer la coopération judiciaire, point qui avait déjà été abordé en 2009, et pour examiner la situation juridique exacte de l’Oyapock en vue de faciliter les contrôles sur le fleuve. Il est significatif que l’ordre du jour de cette réunion ne mentionne pas en tant que telle la lutte contre l’orpaillage clandestin.

Vers un conseil du fleuve Oyapock ?

La France a proposé au Brésil la création d’un Conseil du fleuve Oyapock sur le modèle du conseil créé par la France et le Suriname pour le fleuve Maroni, qui s’inscrirait dans la stratégie franco-brésilienne de développement concerté des régions de l’Amapa et de la Guyane.

Ce Conseil aurait vocation à tenir un rôle de gouvernance notamment pour les initiatives de développement régional et d’intégration transfrontalière entre l’Amapa et la Guyane, qui font l’objet d’un programme fédéral brésilien en place (Programme de développement de la zone de frontière – PDFF), consacré au développement des zones de frontière du Brésil, et d’un accord de coopération technique conclu entre le Brésil et l’Union européenne, dans le cadre duquel prend place un projet-pilote de développement régional et d’intégration transfrontalière centré sur la région Guyane-Amapa.

Le Conseil du fleuve Oyapock n’a pas encore été réuni, la partie brésilienne (le Ministère brésilien des relations extérieures et l’Etat d’Amapa) poursuivant sa réflexion sur ses modalités de mise en œuvre.

Jusqu’ à présent la coopération franco-brésilienne en matière de sécurité était régie par l’accord de partenariat et de coopération en matière de sécurité publique signée le 12 mars 1997. Or, l’article premier de cet accord qui définit les domaines dans lesquelles la coopération s’exerce ne mentionne pas la lutte contre l’exploitation aurifère illégale.

La coopération s’organise cependant de manière formelle puisque deux officiers de la police fédérale brésilienne sont en poste à Cayenne et Saint Georges, et communiquent toutes les données utiles notamment sur l’identité des mis en cause. La coopération s’effectue également de manière informelle sur le fleuve. En l’absence d’accord, les contacts sont réguliers entre les militaires brésiliens sur le fleuve et les militaires français. Les autorités brésiliennes informent leurs homologues françaises qu’elles vont procéder à des opérations contre l’orpaillage ou le trafic d’or, sans pour autant que les services de police français y soient associés.

L’accord que nous examinons vise donc à combler ces lacunes.

II – L’ACCORD DU 23 DÉCEMBRE 2008 : UNE AVANCÉE MODESTE ET INCERTAINE

L’accord du 23 décembre 2008 institue un dispositif de contrôle juridique et financier ainsi qu’un système de prévention et de répression de toute la filière, éléments que les deux parties s’engagent à mettre en place. Il prévoit également la mise en œuvre d’une coopération judiciaire dédiée.

En proposant un cadre, ce texte aux ambitions modestes vise à encourager une coopération jusqu’à présente insuffisante. Il constitue un pari sur la résolution des parties à le mettre en œuvre pleinement et sur leur capacité à l’inscrire dans une réflexion plus large sur les moyens d’un développement partagé et respectueux du droit sur chacun des territoires français et brésiliens.

A - Des dispositions de faible portée

Le premier article définit plusieurs termes employés dans l’accord. L’article 2 en rappelle l’objectif : renforcer la coopération en matière de prévention et de répression de l’exploitation aurifère illégale. Il convient d’insister sur le fait que l’accord ne concerne que les zones protégées ou d’intérêt patrimonial. Les observations faites précédemment au sujet des opérations « Harpie » rappellent que cette délimitation géographique laisse en suspens des questions sur l’efficacité du dispositif, voire sur ses effets au-delà de l’affichage au regard des engagements internationaux des deux parties sur le plan environnemental.

L’article 3 prescrit l’institution d’un régime complet de réglementation et de contrôle des activités de recherche et d’exploitation aurifères. Ce régime repose sur :

– des autorisations administratives préalables pour les activités de recherche et d’exploitation. Leur octroi est subordonné à des garanties matérielles, financières et professionnelles qui portent notamment sur une exploitation techniquement correcte et respectueuse de l’environnement. Les entreprises exerçant cette activité doivent tenir un registre de suivi des entrées et sorties d’or et de matériels utilisés pour les activités techniques ;

– des autorisations administratives pour le négoce d’or ;

– une obligation de déclaration des activités de commercialisation des tables de granulométrie et du mercure ;

Les entreprises qui exercent les activités précitées doivent tenir un registre des transactions ;

– des autorisations administratives préalables pour l’exercice de la profession de transporteur fluvial. Les embarcations utilisées doivent par ailleurs être immatriculées. Notez qu’à l’initiative de votre rapporteure, l’Assemblée a adopté un amendement prévoyant un décret du Conseil d’Etat qui définisse les conditions de navigation sur les fleuves Maroni et Oyapock de Guyane : ces fleuves n’étant pas répertoriés dans la nomenclature nationale des fleuves et cours d’eau, ils ne sont pas formellement dédiés à la navigation, et les transporteurs, y compris ceux qui exécutent des marchés publics (transport scolaire assuré par le Conseil général), ne disposent pas d’embarcations immatriculées et ne bénéficient pas de couverture assurantielle.

L’article 4 concerne les infractions et sanctions liées à l’orpaillage clandestin. Il s’agit en premier lieu de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer les activités suivantes : exploitation illégale ; transport, détention, négoce d’or non transformé sans autorisation, vente ou cession de mercure sans autorisation ou en violation de la législation nationale (ce métal étant interdit de vente et d’usage en Guyane par la législation française depuis janvier 2006 et son commerce étant autorisé mais fortement encadré au Brésil ; le Conseil national du ministère de l’environnement brésilien est tenu d’appliquer la réglementation de l’utilisation de ce métal dans l’extraction aurifère depuis 2007. Le Brésil a adhéré aux règles internationales stipulées par le PNUD sur l’utilisation du mercure et définies par le « Global Mercury Project » qui encadre strictement celle-ci. Au plan local, les autorités brésiliennes ont lancé des actions de formation à destination des petites entreprises d’extraction aurifère, aux fins de diffuser les bonnes pratiques d’utilisation du métal, sans préjudice pour l’environnement). En deuxième lieu, les parties doivent veiller à sanctionner les infractions précitées. En troisième lieu, les parties doivent mettre en œuvre les mesures permettant la saisie et la confiscation du produit des infractions et des biens, matériels et instruments utilisés sur les lieux d’exploitation ou lors de leur transport pour commettre ces infractions. Pour ces derniers, la destruction est envisagée « en dernière instance ». En dernier lieu, les parties doivent se doter des outils procéduraux permettant de « combattre efficacement les infractions ». Il conviendra de s’inquiéter de l’existence ou de l’élaboration de ces outils procéduraux.

« Les dispositions du code pénal, du code de procédure pénale, du code minier sont suffisantes pour assurer une mise en œuvre des stipulations de l’accord en matière de prévention et de répression, et vont même au-delà avec notamment les nouvelles dispositions du code minier » ; « les dispositions juridiques internes actuelles, que ce soit en France ou au Brésil, contiennent déjà les régimes d’autorisation prévus par l’accord ». Ces deux assertions qui figurent dans l’étude d’impact laissent perplexe quant à la perception que peuvent avoir les autorités françaises de l’utilité réelle de cet accord.

L’article 5 prévoit une coopération, d’une part, pour définir les méthodes admissibles et les standards communs exigés en matière de recherche et d’exploitation aurifères et, d’autre part, pour mettre en place et développer des formations professionnelles communes au profit des entreprises impliquées. Cette article laisse supposer que, contrairement aux dispositions actuelles et aux procédures en cours sur des titres miniers attribués dans la zone de libre adhésion du parc, l’activité aurifère serait appelée à se développer dans les zones protégées ou d’intérêt patrimonial. Formations qui, manifestement, seraient moins utiles dans les autres zones !

En vertu de l’article 6, les parties s’accordent la coopération judiciaire « la plus large possible » dans les procédures se rapportant aux infractions mentionnées dans l’article 4. Cette coopération s’appuie sur la convention d’entraide judiciaire en matière pénale franco-brésilienne, signée à Paris le 28 mai 1996 (16). En outre, il est précisé que les dispositions de l’accord de partenariat et de coopération en matière de sécurité publique précité s’appliquent à la coopération concernant les infractions mentionnées dans l’article 4. Cela devrait notamment permettre d’institutionnaliser l’échange d’informations entre les deux parties.

Il est toutefois permis de s’interroger sur la mise en œuvre de l’accord précité de 1997 en vertu duquel les parties s’engagent à prendre des mesures pour prévenir et combattre l’immigration irrégulière. Force est de constater que de telles mesures, si elles existent, n’ont pas eu beaucoup d’effets sur l’immigration brésilienne en Guyane.

Les articles 7 à 9 prévoient les modalités d’application de l’accord : l’entrée en vigueur interviendra 30 jours après la seconde notification des formalités requises ; le règlement des différends se fera par la voie diplomatique directement entre les deux parties ; la dénonciation s’effectue par notification à l’autre partie et prend effet six mois après la réception de cette dernière.

B - Une mise en œuvre incertaine

La mise en œuvre de cet accord suscite des questions qui tiennent à la fois à la volonté brésilienne et à l’absence de certaines mesures qui lui auraient conféré plus d’autorité.

1. Des interrogations sur l’engagement brésilien

Des interrogations pèsent tant sur les chances de ratification de cet accord que sur la fermeté de l’engagement brésilien sur ce dossier.

Le pouvoir exécutif a présenté l’accord au Congrès le 27 août 2009. La commission des relations extérieures de la Chambre des Députés a reçu l’accord le 10 septembre 2009. Le 16 septembre 2009, un premier rapporteur a été désigné : le deputé Gladson Cameli de l’état de l’Acre, remplacé depuis par le député Sebastião Bala Rocha de l’état de l’Amapa le 11 mars 2010. La campagne électorale a ensuite ralenti les travaux sur ce dossier. Son examen, prioritaire, doit se poursuivre lors de la nouvelle session, commencée le 1er février 2011. La composition des commissions devrait être définie prochainement et un nouveau rapporteur est susceptible d’être nommé.

Les informations recueillies par votre rapporteure laissent penser que la lutte contre l’orpaillage clandestin ne constitue pas une priorité pour le gouvernement brésilien. Le gouvernement français résume ainsi la situation : « Au final, cette coopération reste délicate dans la mesure où il n’y a pas de cadre juridique, et où objectivement, les intérêts des uns et des autres ne sont pas les mêmes. ». La formulation demeure élégante.

Si la question des moyens se pose, l’Etat de l’Amapa qui est l’un des plus pauvres du Brésil est au cœur des préoccupations.

L’or guyanais est une grande source de richesse pour cet état. Il semble que certains acteurs de la société brésilienne locale s’accommodent du développement de ces activités, considérées comme une « soupape » de sécurité utile, au plan économique et social, voire politique, dans une des régions les moins développées du pays. En outre, les liens de certaines forces de sécurité locales avec les orpailleurs font l’objet d’interrogations récurrentes.

Le Gouvernement fédéral n’est pas exempt de tout reproche : aucune action n’est prévue du côté brésilien pour démanteler les villages illégaux d’orpailleurs (construits en zone protégée) situés sur les rives brésiliennes du fleuve Oyapock, abritant des « garimpeiros » agissant en Guyane ; les comptoirs d’or illégaux installés dans la ville brésilienne d’Oyapock introduisent dans le circuit officiel l’or provenant, selon toute vraisemblance et pour une grande partie, de Guyane ; les accusations réitérées de corruption à divers niveaux de responsabilité ne semblent pas provoquer de réactions majeures, aucune action d’envergure n’a été entreprise pour y mettre un terme.

Après l’avoir envisagée, le ministère brésilien des mines et de l’énergie a infirmé une fermeture générale des mines dans le Nord du pays même si certaines unités ont cessé leurs activités dans le Pará du fait de l’épuisement des filons, et pour cause de non respect des normes. En revanche, le gouvernement a confirmé l’existence d’obligations contraignantes auxquelles sont soumises les grandes entreprises en matière d’environnement, notamment la réhabilitation des sites après utilisation, sous peine de retrait des licences. Il demeure que cette législation plus contraignante envers les grandes entreprises ne couvre pas toute la question des circuits empruntés par l’or illégal. Les ventes effectuées par les « garimpeiros » ou les revendeurs ne sauraient se confondre avec les dispositifs commerciaux relevant normalement de ces « grandes entreprises ».

En outre, la législation brésilienne paraît moins contraignante et les peines moins sévères que pour la partie française :

Le code minier brésilien régit, depuis le décret-loi 227 du 28 février 1967, l’ensemble des activités d’extraction, en particulier celle de l’orpaillage, défini dans l’article 70 comme « le travail individuel de celui qui utilise des instruments rudimentaires, des appareils manuels ou des machines simples et portatives, dans l’extraction des pierres précieuses, semi-précieuses et des minerais métalliques ou non… ».

La loi 9314 du 14 novembre 1996 régit plusieurs régimes d’autorisation, accordés par le département national de production minière du ministère des mines et de l’énergie (autorisation, licences), du directeur général du département (extraction) et le ministre (concession et monopole).

Le crime d’extraction de ressources minières sans autorisation (article 55 de la Loi nº 9.605/98) est puni d’une peine de six mois à un an et d’une amende. L’exploitation de matières premières appartenant à l’Etat (l’Union), sans autorisation légale (article 2º de la Loi 8.176/91) est punie d’une peine de un à cinq ans et d’une amende.

En comparaison, le code minier français est d’une plus grande sévérité, notamment depuis les modifications introduites par la loi sur le développement économique des outre-mer.

Les services du quai d’Orsay considèrent cependant que « la ratification de l’accord permettra d’opposer aux acteurs brésiliens concernés, en concertation avec la police et la justice locales, un cadre juridique contraignant. »

2. Des interrogations sur les moyens

Interrogé sur ce point, le gouvernement a indiqué à votre rapporteure que « la principale plus-value de l’accord résidera dans la formalisation de la coopération susvisée. Il sera en effet donné un cadre, sinon réellement contraignant, du moins formel à cette coopération, qui pour le moment se fait sans texte précis. »

On peut donc en déduire que la coopération opérationnelle sera la principale bénéficiaire de l’accord. Mais l’accord ne formalise pas l’existence de patrouilles conjointes – à distinguer des patouilles communes qui posent des difficultés juridiques – contrairement à l’accord signé avec le Suriname précité (article 3). L’absence dans l’accord de ces patrouilles affaiblit considérablement le potentiel d’efficacité de cette coopération.

Si les autorités françaises reconnaissent qu’une vraie coopération opérationnelle structurée entre les deux Etats dans ce domaine n’existe pas encore, faute d’une volonté réelle et affichée des autorités brésiliennes, elles estiment que la mise en place du centre de coopération policière, dès que la participation brésilienne sera effective, pourra permettre de traiter cet aspect de la délinquance transfrontalière.

Le centre de coopération policière franco-brésilien

Le protocole additionnel de partenariat et de coopération du 7 septembre 2009 en vue de la création d’un centre de coopération policière propose de mettre en place, sur un lieu unique, à la frontière franco-brésilienne, une structure mixte composée de gendarmes et de policiers français avec leurs homologues de la police fédérale brésilienne aux fins de rendre plus efficace, par des échanges d’informations opérationnelles et des consultations de bases de données réciproques en temps réels, la lutte contre les différents aspects de la délinquance transfrontalière de cette région. Ce centre est installé depuis septembre 2010 dans la commune de Saint-Georges de l’Oyapock, avec une participation française effective, en attente de la désignation officielle des membres brésiliens (la ratification parlementaire du texte est en cours, comme en France). Il a pour mission d’apporter une réponse policière et judiciaire aux problèmes sécuritaires de délinquance spécifiques rencontrés à la frontière (pour une meilleure connaissance de ceux-ci) grâce également à une connaissance personnelle et une présence permanente entre collègues des deux Etats.

Enfin, votre rapporteure regrette que l’accord n’aille pas plus loin en prévoyant un alignement des législations tant sur le commerce de l’or que sur les transports fluviaux, afin de faciliter les contrôles mais aussi les poursuites quel que soit l’Etat poursuivant. Cette autolimitation indique clairement la modestie des ambitions qui sous-tendent cette démarche.

CONCLUSION

Cet accord nous offre l’opportunité d’un point d’étape sur l’action de l’Etat pour la préservation de la biodiversité amazonienne en conformité avec ses engagements internationaux, sur la préservation d’une ressource naturelle non renouvelable, sur la protection des populations dans leur santé et leur sécurité et sur les ressources fiscales susceptibles de contribuer au financement des besoins considérables d’une population dont la moitié des habitants recensés a moins de vingt ans.

Force est de constater que sur des sujets qui relèvent de l’autorité nationale, il reste soit à consolider un cadre juridique (c’est le cas du décret du Conseil d’Etat relatif au statut des fleuves de Guyane et aux règles et conditions de navigation) soit à mettre en place des mesures d’exécution (création du bureau de garantie des métaux précieux pour la traçabilité de l’or) ou de politique publique (urgence du suivi sanitaire et des mesures de protection des Amérindiens dont les villages se trouvent en aval des chantiers pollués au mercure).

Les distorsions de données fournies par des administrations différentes incitent par ailleurs, sans sous-estimer la difficulté de mesurer une activité qui, par nature, se soustrait à toute emprise, à la mise en place de dispositifs ou procédés de confrontation plus fluides.

D’autre part, le schéma minier, encore en suspens, doit constituer la pièce maîtresse d’une politique économique qui substitue à la prédation une activité rationalisée, contrôlée, limitée à des zones où auront été tranchés les conflits d’usage des territoires (en faveur des habitants ou des écosystèmes fragiles).

Enfin, pour rendre efficaces les actions prévues de coopération entre la France et le Brésil et la France et le Surinam, il importe que soient entreprises toutes les démarches utiles pour faire valoir la nécessité de ratification des conventions et accords en souffrance. Il est assez aisé de concevoir que la problématique de l’orpaillage clandestin à la frontière de l’état le moins prospère du Brésil, si loin au nord de Brasilia, ne s’impose pas comme une urgence tant qu’elle n’est pas portée avec détermination par une commission parlementaire ou un ministère. Il peut y avoir quelque condescendance dans la patience dont le Gouvernement français fait preuve envers les autorités brésiliennes. Le Brésil est défini comme un pays émergent, c’est surtout une puissance régionale (40% de la superficie de la sud-Amérique et 192 millions d’habitants) qui, sous la double mandature du Président Luiz Inacio Lula da Silva a amélioré sensiblement ses indicateurs économiques et sociaux (de croissance et de bien-être) et développé un réseau de relations bien au-delà des Amériques pour en faire le support d’une diplomatie qui lui a assuré un réel rayonnement dans le monde et une reconnaissance attestée par son admission au sein du G20. Il s’agit d’une République aux institutions solides, capables d’assurer l’Etat de droit sur la totalité du territoire relevant de sa souveraineté.

En dépit de ses insuffisances au regard de la complexité de la lutte contre l’orpaillage clandestin et de la gravité de la situation en Guyane, la ratification de cet accord constitue une signal adressé au Brésil de la détermination française à combattre ce fléau et une incitation à se saisir pleinement de ce dossier.

Sous la réserve que nous prenions clairement la mesure de notre propre responsabilité quant à la nécessité d’inviter l’Exécutif à adopter au plus tôt toutes dispositions pour pallier, au moins au niveau national, les manquements dans toutes ces matières qui relèvent des obligations régaliennes de l’Etat, votre rapporteure propose d’approuver la ratification de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre l’exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d’intérêt patrimonial.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 6 avril à 9h30.

Après l’exposé de la Rapporteure, un débat a lieu.

Le président Axel Poniatowski. Je vous félicite Madame la rapporteure pour votre remarquable connaissance du dossier.

M. Jean-Marc Nesme. Pourriez-vous préciser les raisons pour lesquelles le Brésil semble réticent à l’application de cet accord, outre les raisons de calendrier que vous avez mentionnées.

M. Jacques Remiller. Avec plusieurs collègues, dont M. Alain Cousin, nous nous sommes rendus à Kourou la semaine dernière et avons pu nous entretenir avec les autorités au sujet de l’orpaillage. Je souhaiterais disposer de précisions complémentaires d’abord sur la coopération avec le Guyana et le Surinam. Ensuite, qu’en est-il pour les zones protégées et d’intérêt patrimonial qui sont visées par l’accord et cette zone de 150 kilomètres que vous avez évoquée. Enfin, le pont sur l’Oyapock, qui fait l’objet d’un accord pour la ratification duquel j’étais rapporteur en 2006, aura-t-il des conséquences en matière d’orpaillage ?

M. Jean-Paul Dupré. Nous avons pu percevoir votre grande connaissance du sujet. En matière d’orpaillage illégal, le pire serait de ne rien faire. Compte tenu du contexte que vous avez rappelé, que peut-on réellement attendre de l’accord ? Derrière l’exploitation illicite, qui si je le comprends bien représente les deux tiers de la production d’or, quelle est la situation humaine des orpailleurs clandestins ? Subissent-ils des exactions de la part des exploitants ? Enfin, je souhaiterais moi aussi des précisions sur la position du Brésil.

M. Philippe Cochet. Les orpailleurs clandestins parviennent à écouler l’or. Ils trouvent des débouchés. Que sait-on de la chaîne du commerce et du négoce ? Par ailleurs, lorsque l’on sait les quantités de mercure nécessaires, il n’existe pas des milliers de fournisseurs possibles. Y a-t-il eu des actions conduites à l’encontre de ces deux types d’intermédiaires ?

M. Serge Janquin. Madame la Rapporteure, je vous remercie pour la qualité de votre intervention. Votre avis fait autorité. Je souhaiterais disposer de précisions concernant les populations victimes du phénomène. Toutes les dépenses faites en matière de prévention, de police et de justice sont toujours à recommencer. Il y a sans doute d’autres façons de s’y prendre. Existe-t-il des projets locaux constituant de véritables alternatives qui permettraient aux populations de vivre dignement tout en étant plus conformes aux intérêts collectifs ? En tant qu’élu d’un ancien bassin minier, je souhaiterais également dire que la redevance minière est plus favorable aux exploitants qu’aux collectivités territoriales et qu’il conviendrait plutôt de la transformer en prélèvement de type taxe professionnelle.

Mme Christiane Taubira, rapporteure. Concernant la position du Brésil, il faut savoir que les orpailleurs n’ont qu’à traverser l’Oyapock pour passer en territoire brésilien. L’Etat d’Amapa est le plus pauvre du Brésil. Très peu d’activités y sont implantées. L’exploitation minière, au dire de certains, sert de soupape sociale à cet Etat. Le Brésil a donc toutes les raisons de fermer les yeux sur les activités illégales. Il faut rappeler qu’il n’a pas fermé toutes ses mines dans le Nord comme annoncé mais que néanmoins très peu d’or est produit au Brésil. En revanche, le Brésil a surcoté l’or lorsque son cours était bas. Son économie est donc prête à accueillir et blanchir l’or extrait en Guyane. Je signalerai aussi la grande corruption qui sévit au Brésil. Une affaire judiciaire est en cours. De nombreux acteurs sont corrompus, y compris des forces de l’ordre. Toutes ces raisons matérielles objectives expliquent que le Brésil ne fasse pas preuve de précipitation. Avant l’arrivée de Luiz Inacio Lula Da Silva, le contexte était pire. La Guyane figurait encore sur les cartes en territoire brésilien. Le Président Lula Da Silva a montré une sensibilité au sujet et je pense que nous avons manqué l’occasion de son deuxième mandat. Il nous faudra attendre que Dilma Roussef inscrive le sujet à son agenda.

Concernant les Etats voisins, le Guyana, le Surinam, mais aussi le Venezuela, comme je l’ai indiqué, il existe un accord de 2008 avec le Surinam qui prévoit des patrouilles conjointes et un mécanisme financier sous la forme d’un fonds de solidarité financière. J’ai demandé au représentant de l’Etat de transmettre des rapports d’étapes sur la mise en œuvre de l’accord. Ses réponses sont toujours enthousiastes mais sur le terrain les effets concrets ne sont pas visibles. Il y a peu à dire sur la coopération avec la Guyana. Le Venezuela a en revanche adopté une position intéressante. En 1995, décision a été prise d’abattre un avion de ravitaillement brésilien. Le Brésil a été obligé de prendre langue avec le Venezuela et de durcir sa législation. En peu de temps, cent mille garimpeiros ont été chassés du territoire vénézuélien.

Concernant la bande de 150 kilomètres, je ne peux pas apporter plus de précisions que celles que j’ai données. Je n’ai pas les réponses aux questions que j’ai posées au gouvernement. En revanche, il existe des espaces protégés en plusieurs points du territoire guyanais qui ne sont donc pas tous couverts par l’accord.

Concernant le pont sur l’Oyapock, le projet a pris du retard. Le Président de la République souhaitait l’inaugurer sous la Présidence de Lula Da Silva, mais l’inauguration n’interviendra finalement qu’au mois de novembre prochain. Ce pont aura bien sûr des effets, surtout pour le Brésil en matière d’or et de flux migratoires. Pour la France, il dégradera la compétitivité du secteur des transports guyanais puisque les règles du transport routier sont beaucoup plus dures qu’au Brésil. Il existe un accord en la matière mais il n’est pas en vigueur du fait du peu d’empressement du Brésil à le ratifier. Encore une fois, chaque fois que le Brésil tarde à ratifier un accord, il ne faut pas que la France fasse preuve de condescendance voire de complaisance à l’égard de cette puissance régionale qui occupe 40 % du territoire sud-américain.

S’agissant des observations de M. Dupré, je suis d’accord sur le fait que le pire serait de ne rien faire. Je n’ai pas explicitement proposé à la fin de mon intervention la ratification du projet de loi mais j’y suis évidemment favorable. Cet accord est le minimum acceptable. C’est la raison pour laquelle il faut faire pression sur le Brésil pour qu’il procède à sa ratification.

Sur les situations humaines des orpailleurs, elles sont en réalité très diverses. Des surexploitations sont avérées. Il se dit que parmi les exploitants on trouve des Français, mais c’est peut-être moins évident aujourd’hui que par le passé. Mais l’on trouve également des artisans garimpeiros. Ce que je pense c’est que le secteur est de plus en plus organisé et que les méthodes d’exploitation se modifient. La gendarmerie refuse de valider cette hypothèse, notamment quant à la sédentarisation des orpailleurs. Pourtant des éléments attestent d’une plus grande organisation. Ainsi, les bases sont restées côté brésilien pendant les quatre mois qu’a duré l’opération « Harpie ». On notera d’ailleurs que le Brésil ne s’empresse pas de démanteler les bases. Il faut disposer de ressources suffisantes pour attendre quatre mois. Les méthodes d’exploitation impliquent aussi la présence de géologues.

Concernant les intermédiaires dans le négoce de l’or, c’est une activité clandestine mais on les devine ou on les connaît. Les comptoirs achètent de l’or sans la moindre contrainte d’origine. C’est ainsi que l’or clandestin rentre très facilement dans les circuits légaux. Les intermédiaires ont pignon sur rue. La traçabilité devrait permettre d’améliorer la situation. Mais il faut aussi assurer l’harmonisation des règles avec le Brésil. Par ailleurs je plaide aussi depuis 2000 pour un dispositif permettant de remonter la filière pour le mercure, en s’appuyant notamment sur les numéros des matériels.

Je ne sais pas si la taxe professionnelle pourrait être rétablie pour la seule Guyane, mais à titre personnel j’y serais favorable.

Concernant les alternatives pour les populations, ces dernières sont peu concernées. Je proposais en 2000 des activités artisanales de substitution, cela n’a pas été retenu, mais la reconversion concerne surtout des garimpeiros Le Conseil régional et la préfecture de Guyane sont favorables à la régularisation des garimpeiros. A mes yeux, moralement, politiquement et éthiquement, c’est inacceptable. Les dégâts sur l’environnement, sur la santé et sur l’ordre public sont majeurs. Les effets du mercure sont évidemment préoccupants et nécessitent de mettre en place un suivi sanitaire.

M. Jean-Paul Lecoq. Vous nous avez parlé de l’évolution des métiers, des orpailleurs qui autrefois travaillaient dans les criques, coupaient les arbres et qui désormais, savent se cacher sous la canopée. On a l’impression que les moyens techniques de lutte n’ont pas suivi et n’ont pas intégré ces mutations. Il faut dire que cela nécessite une augmentation des moyens. Quant à l’impact de ces activités sur les populations locales de Guyane, je ne partage pas tout à fait le sentiment de notre rapporteure : il y a une vie économique autour de cette exploitation clandestine. Cela n’est pas chiffrable, mais il faut aussi penser à la réponse économique que l’on apporte en substitution. Par ailleurs, la question du Brésil est effectivement fondamentale. Enfin, il ne faut sans doute pas négliger l’impact de l’évolution des sciences et techniques qui a rendu service, indirectement, aux exploitations clandestines : la précision des cartes du BRGM rend inutile la recherche sur le terrain. La question de la publication des cartographies se pose peut-être.

Mme Nicole Ameline. Le Brésil revendique un rôle mondial sur beaucoup de sujets et de valeurs. Une pression politique s’impose. L’opinion publique a-t-elle conscience des effets pervers de l’exploitation clandestine ? Quant à la traçabilité, il faut travailler à la fois sur la production et le commerce. Quelle est la nature des réseaux ? Sont-ils identifiés, comme c’est le cas pour les trafics de drogue ou d’êtres humains ?

M. Jean-Michel Boucheron. Cette présentation est passionnante. Quant aux moyens techniques de détection, les drones qui donneraient une information en temps réel seraient peu coûteux et efficaces. A-t-on envisagé d’en équiper la gendarmerie ou les douanes ? Ils permettraient un suivi 24 heures sur 24. Si cela n’a pas encore été utilisé, sait-on pourquoi ? Par ailleurs, quelle est la réalité des relations entre les chercheurs d’or et les populations traditionnelles : conflictuelles ? Commerciales ?

M. Jean-Paul Bacquet. Je suis perplexe sur l’idée d’accords de gendarmerie entre la France et le Suriname quand le préfet dénonce les bases de repli dans ce pays. Les pirogues ne cessent de circuler sur le Maroni pour alimenter pour des semaines les bases vie des orpailleurs. Les moyens satellitaires ne sont pas nécessaires, il suffit de suivre les ravitailleurs !

Mme Christiane Taubira, rapporteure. Très rapidement, il y a effectivement un impact sur les populations locales, mais elles ne sont pas concernées par des programmes de reconversion vers des activités alternatives. Cela étant, les populations sont évidemment concernées parce que ce sont des activités très lucratives qui dévorent toutes les autres : un maire d’une commune de la vallée de l’Oyapock qui luttait précédemment contre les trafics s’est finalement lui-même converti en orpailleur et transporteur ! Il faut avoir bien conscience que la pression matérielle et financière est très forte. Les populations sont aussi touchées, par exemple par le fait que la navigation sur le fleuve est très difficile, exige des connaissances qui se transmettent de génération en génération, au sein de certaines tribus amérindiennes. L’armée utilise aussi ces piroguiers. Les chasseurs agissent pour leur propre compte et aussi pour alimenter les chercheurs d’or. Tout est lié. L’opinion publique est sensibilisée mais écrasée par la fatalité. Le potentiel d’or primaire est estimé à 120 tonnes. Il y en a encore pour 12 à 15 ans de gisement alluvionnaire, en fonction des techniques actuelles, qui ne cessent de s’améliorer : on peut désormais revenir sur des chantiers autrefois considérés comme épuisés. La revente se fait essentiellement au Brésil, en Guyane, où l’on a eu une pénurie ces derniers mois compte tenu de la demande, car c’est plus intéressant de revendre au Brésil. Je n’ai pas d’éléments d’information sur les drones, mais je vais poser la question. Quant au problème de la mise à disposition des nouvelles techniques, en fait, on n’a pas trouvé de nouveaux sites depuis très longtemps, ce n’est donc peut-être pas un véritable problème.

Suivant les conclusions de la Rapporteure, la Commission adopte sans modification le projet de loi (no 2845).

*

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXES

Annexe 1

Extrait du rapport de Mme Taubira au Premier ministre
« L’or en Guyane, éclats et artifices »

Annexe 2

Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Brésil

Les stipulations de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale de 1996 entre la France et le Brésil s'inspirent très largement de celles de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, ratifiée par la France le 23 mai 1967.

Les principales stipulations sont les suivantes :

Les deux Etats s'engagent à s'accorder mutuellement l'aide judiciaire la plus large possible dans toute procédure visant des infractions dont la répression est de la compétence des autorités judiciaires de la partie requérante.

Le principe d'entraide est assorti de deux exceptions et de quatre possibilités de refus. Les exceptions au principe de l'entraide judiciaire concernent l'exécution des décisions d'arrestation et les infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun.

Les possibilités de refus sont de deux types. Les possibilités de refus classiques s'inspirent de la convention européenne et se rapportent aux infractions politiques et aux demandes d'entraide de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de l'Etat requis.

Les possibilités de refus spécifiques à la convention concernent les demandes d'entraide qui se rapportent à des infractions qui ne sont pas punissables à la fois par la loi de l'Etat requérant et celle de l'Etat requis. Elles concernent également les demandes d'entraide dont il existe des raisons sérieuses de croire qu'elles ont été présentées aux fins de poursuivre ou de punir une personne en raison de sa race, de son sexe, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques ou que la situation de cette personne risque d'être aggravée par l'une ou l'autre de ces raisons. Cette dernière stipulation est empruntée aux conventions d'extradition récemment conclues par la France.

L'Etat requis fait exécuter, dans les formes prévues par sa législation, les demandes d'entraide qui ont pour objet d'accomplir des actes d'enquête ou d'instruction ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents.

La Convention précise que l'Etat requis ne donne suite aux demandes de perquisition ou de saisie que si l'infraction est punissable aux termes de sa législation.

La Convention prévoit les formalités relatives à la remise des actes judiciaires et les conditions de comparution des témoins, experts et personnes poursuivies, assorties des restrictions et des garanties habituelles. Une particularité peut néanmoins être relevée : le délai d'envoi d'une citation à comparaître à l'Etat requis avant la date fixée pour la comparution passe de 50 jours, dans la convention européenne, à trois mois dans la convention franco-brésilienne. Ce délai spécifique résulte d'une demande du Brésil qui a fait état des difficultés de surveillance liées à l'étendue de son territoire.

La Convention organise également la communication des extraits de casier judiciaire. Les demandes relatives au casier judiciaire peuvent être adressées directement par l'autorité judiciaire requérante au service compétent de l'Etat requis.

Les demandes d'entraide sont adressées de ministère de la justice à ministère de la justice. La transmission diplomatique qui, pour le Brésil, constitue une garantie d'authenticité, est également possible.

La Convention fixe les règles concernant le contenu de ces demandes ainsi que la traduction des demandes et des pièces les accompagnant.

L'exécution des demandes d'entraide ne donne lieu au remboursement d'aucuns frais, à l'exception de ceux résultant d'expertises et de transfèrement des personnes détenues.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre l’exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d’intérêt patrimonial, signé à Rio de Janeiro le 23 décembre 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 2845).

© Assemblée nationale

1 () « L’or en Guyane : Eclats et artifices ». http://www.christiane-taubira.net/OrEclatsArtifices.pdf

2 () Le cours de l’once d’or (autour de 30 grammes) s’établit environ à 1035 euros en mars 2011.

3 () Source : Office national des forêts 2006.

4 () Inserm, 1998.

5 () Maladie neurologique grave et permanente par intoxication aux composés de mercure.

6 () Décret modifiant le code du domaine de l’Etat et relatif aux concessions domaniales et autres actes passes par l’Etat en Guyane en vue de l’exploitation ou de la concession de ses immeubles domaniaux.

7 () La gendarmerie participe à l’opération Harpie à hauteur de 345 gendarmes par jour ce qui représente 35 % de l’effectif du Comgend Guyane, renforcé des forces mobiles. De leur côté, les forces armées guyanaises (FAG) participent à l’opération Harpie à concurrence de 320 militaires par jour.

8 () Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009.

9 () Ces deux articles deviendront respectivement les nouveaux articles L. 512-2 et L. 621-8 du code minier re-numéroté (en vertu du projet d’ordonnance portant codification de la partie législative du code minier).

10 () A titre d’exemple, pour les mois de juillet, août et septembre 2008, 443 étrangers en situation irrégulières ont été contrôlés et 322 reconduits à la frontière. 339 gardes à vue ont été effectuées. 4 personnes déférées, 2 écrouées.

11 () Le 11 février 2008.

12 () Loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 (article 1599 quinquies B II).

13 () Décret n° 2010-152 pris pour l'application de l'article 1599 quinquies B du code général des impôts instaurant une redevance minière en Guyane.

14 () Arrêté du 29 juillet 2010 fixant les tarifs de la taxe minière sur l'or en Guyane pour l'année 2010, publié au J.O le 1er septembre 2010.

15 () Cet accord a été ratifié par la France par la loi n° 2008-73 du 24 janvier 2008 autorisant l’approbation d’un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname relatif à la coopération transfrontalière en matière policière.

16 () Cf. annexe.