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N
° 3386

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mai 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes,

par M. Jean-Michel BOUCHERON

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros  :

Sénat : 322, 386, 387 et T.A. 104 (2010-2011).

Assemblée nationale : 3385, 3401.

INTRODUCTION 5

I – LE NUCLÉAIRE, SYMBOLE DE LA RELANCE DE L’AXE PARIS-LONDRES 7

A – LE SOMMET DU 2 NOVEMBRE 2010 ET SES MULTIPLES AVANCÉES 7

1) La relance du partenariat franco-britannique dans des domaines clés 7

2) Des partenariats utiles dans des domaines symboliques 8

B – UNE COOPÉRATION NUCLÉAIRE MILITAIRE INÉDITE 9

1) La force nucléaire britannique liée aux Etats-Unis 9

2) Un nouveau partenariat sur un pied d’égalité 10

II – PARTAGER L’EFFORT DE LA MODERNISATION DES FORCES 11

A – LE CONSTAT D’UN BESOIN COMMUN 11

1) Des moyens de simulation déjà existants 11

2) Un objectif de coopération concret 12

B – UN TRAITÉ POUR GARANTIR LE RESPECT DES ENGAGEMENTS 13

1) Des efforts partagés, des résultats adaptés à chacun 13

2) Les garanties juridiques indispensables à la pérennité du programme 14

CONCLUSION 15

EXAMEN EN COMMISSION 17

_____

ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 21

Mesdames, Messieurs,

La France et la Grande-Bretagne ont décidé, lors du sommet du 2 novembre réunissant à Londres le Président de la République française et le Premier ministre britannique, d’une coopération d’une ampleur sans précédent dans le domaine militaire. Deux accords, signés à cette occasion, ont formalisé ce « nouvel esprit de Saint-Malo », en référence au sommet historique du 4 décembre 1998 qui avait donné naissance à l’Europe de la défense.

L’un de ces deux traités est un texte général, qui fixe les grands principes de notre nouveau partenariat. Le second accord, objet du présent projet de loi, porte sur un domaine plus technique, mais d’une dimension stratégique incontestable. Il s’agit en effet de partager les efforts de recherche en matière de dissuasion nucléaire.

La portée d’une telle coopération est considérable. Aucune puissance nucléaire n’a pour le moment passé d’accord de ce type, les partenariats existants officialisant plutôt la domination technologique d’un Etat sur un autre. Une telle avancée rappelle, si besoin était, que la relation franco-britannique est aujourd’hui le seul élément structurant de la défense européenne.

Sur le plan technique, les projets arrêtés par le traité permettent aux deux pays de mettre en commun leurs efforts et leurs capacités pour accélérer leurs progrès en matière de simulation d’essais nucléaires. Membres de l’organisation du traité international d’interdiction complète des essais nucléaires, et puissances nucléaires, la France et la Grande-Bretagne ne peuvent en effet compter que sur les technologies les plus avancées pour garantir la sécurité et la fiabilité de leur outil de dissuasion.

Ainsi, un centre commun d’expérimentations, baptisé EPURE, sera construit en France, la Grande-Bretagne accueillant un site destiné à organiser certaines activités d’accompagnement du fonctionnement du centre EPURE. Le traité prévoit les garanties indispensables pour garantir la pérennité du fonctionnement d’EPURE et du site britannique TDC, ainsi que les obligations de sécurité nécessaires à toute activité à caractère militaire.

I – LE NUCLÉAIRE, SYMBOLE DE LA RELANCE DE L’AXE PARIS-LONDRES

La France et le Royaume-Uni sont les deux principales puissances militaires européennes. C’est à leur initiative, formalisée lors du sommet de Saint-Malo le 4 décembre 1998, que l’Union européenne s’est vu dotée de moyens militaires autonomes. La coopération franco-britannique dans ce domaine n’a pas cessé depuis lors, mais elle a franchi une nouvelle étape à l’occasion du sommet de Londres, le 2 novembre 2010.

En choisissant de faire porter leur partenariat de défense, parmi de nombreux autres sujets, sur le nucléaire militaire, la France et la Grande-Bretagne ont signifié leur attachement au principe d’un rapprochement des politiques de défense en Europe. Cœur de la défense de la souveraineté des Etats, l’outil de dissuasion est en effet un domaine éminemment stratégique, dans lequel le Royaume-Uni ne dispose pas aujourd’hui d’une autonomie pleine et entière.

A – Le sommet du 2 novembre 2010 et ses multiples avancées

Les coopérations lancées lors du sommet franco-britannique de Londres concernent les éléments les plus importants pour le développement des outils de défense des deux puissances. Au-delà de ces partenariats techniques, des initiatives symboliques, qui n’en ont pas moins une portée pratique indéniable, ont été avalisées.

1) La relance du partenariat franco-britannique dans des domaines clés

La déclaration commune du Président de la République française et du Premier ministre britannique publiée à l’issue du sommet du 2 novembre 2010 permet d’apprécier l’ampleur et la diversité des programmes de coopération que la France et la Grande-Bretagne conduiront à l’avenir.

Plusieurs de ces programmes visent à développer en commun les technologies les plus en pointe dans le domaine militaire. Ainsi, la France et la Grande-Bretagne ont prévu de développer un drone de moyenne altitude – longue endurance (MALE) sur le modèle du drone britannique Mantis, ainsi qu’un démonstrateur de drone de combat.

En matière de missiles et de systèmes d’armes complexes, le rapprochement des filiales française et britannique du groupe MBDA devrait permettre l’émergence d’un missilier européen unique, capable de concevoir les équipements les plus avancés. A plus court terme, un programme de missile de croisière devrait être poursuivi pour succéder au Scalp/Storm Shadow, et un missile aérien léger devrait être développé.

La Grande-Bretagne a également annoncé que son futur porte-avions, prévu pour entrer en service en 2020, serait doté de catapultes et d’aides à l’atterrissage, permettant l’utilisation d’avions français Rafale. Dans l’intervalle, des personnels britanniques devraient être formés au sein du groupe aéronaval français, coopération indispensable pour le Royaume-Uni dans la mesure où le retrait annoncé pour 2011 de son dernier porte-avions le priverait de toute capacité aéronavale jusqu’en 2020.

Des programmes communs devraient également être lancés en matière de sous-marins, de lutte anti-mines, de soutien des flottes d’avion de transport militaire et de télécommunications satellitaires. De nombreux thèmes de recherche devraient également être ouverts à la coopération, à la fois ceux concernés par des coopérations en matière d’équipements (drones, missiles, sous-marins, simulation nucléaire) mais également pour des technologies plus nouvelles, comme la guerre électronique.

2) Des partenariats utiles dans des domaines symboliques

Les coopérations lancées par la France et le Royaume-Uni à l’occasion du sommet de Londres visent à combler une partie du retard européen dans les domaines stratégiques pour l’évolution future des deux armées. Il convient de mentionner séparément deux programmes de coopération dont la portée symbolique et politique est particulière.

En premier lieu, la France et la Grande-Bretagne ont convenu de la création d’une unité interarmées projetable commune. Quoique non permanente, une telle force expéditionnaire est un symbole particulièrement fort de la volonté des deux Etats de rapprocher leurs outils de défense, pour lesquelles la capacité de projection sur des théâtres lointains est devenue une exigence première. Si le calendrier n’est pas définitivement fixé, l’année 2011 doit permettre, au travers de plusieurs exercices conjoints, de poser les premiers jalons pour la définition des missions et de la structure de cette force commune.

En second lieu, les deux pays ont souhaité lancer une coopération large dans le domaine nucléaire militaire, traditionnellement laissé en marge des partenariats de défense tant son lien avec la souveraineté des Etats est primordial. Ainsi, la France et la Grande-Bretagne devraient favoriser des programmes communs d’entretien et de maintenance de certaines composantes de leurs sous-marins nucléaires lanceurs d’engin. Surtout, leur capacité de recherche en matière de dissuasion nucléaire sera mise en commun, objectif auquel le présent projet de loi participe.

B – Une coopération nucléaire militaire inédite

La coopération nucléaire entre deux puissances militaires est, en soi, un élément rare. La plupart des partenariats de défense excluent traditionnellement cette dimension. Mais la coopération franco-britannique définie lors du sommet du 2 novembre 2010, et mise en œuvre par le présent traité, possède une autre spécificité. Dans la mesure où elle ne vise pas à imposer le choix technologique d’un Etat sur l’autre, la mise en commun des capacités des deux parties s’organise donc dans un cadre strictement égalitaire.

1) La force nucléaire britannique liée aux Etats-Unis

Pour le Royaume-Uni, la coopération dans le domaine nucléaire militaire n’est pas une nouveauté. Les forces nucléaires britanniques participent ainsi à la planification nucléaire de l’OTAN, contrairement aux forces stratégiques françaises.

Mais c’est surtout la coopération avec les Etats-Unis qui différencie l’outil de dissuasion nucléaire britannique de son homologue français. D’une dimension à peu près comparable(1), les forces nucléaires françaises ne sont pas liées à un partenaire extérieur de manière aussi étroite que les britanniques.

Le partenariat nucléaire entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis en matière nucléaire remonte à la création de l’arsenal britannique. Un premier accord secret signé le 19 août 1943 entre ces deux pays prévoyait un droit de consultation en matière d’emploi de la force atomique. Cette coopération sera reprise et approfondie par l’accord de défense mutuelle de 1958.

La formalisation du partenariat anglo-américain en matière de dissuasion nucléaire remonte à l’accord de Nassau du 21 novembre 1962. A partir de cette date, les Britanniques constituent leur outil de dissuasion en achetant des missiles Trident américains. Ils obtiennent également l’accès à un site de tests nucléaires au Nevada. Suite à cet accord, plusieurs tonnes de plutonium produites au Royaume-Uni sont envoyées aux Etats-Unis en échange de tritium et d’uranium enrichi américains.

Cette relation privilégiée a été renouvelée récemment, l’accord de 1958 ayant été reconduit pour dix ans en 2004. Si la Grande-Bretagne a choisi d’assurer seule la fabrication de ses futurs sous-marins nucléaires, elle a annoncé en 2005 son intention de renouveler son stock de vecteurs, et devrait à nouveau se tourner vers les missiles Trident américains, dans leur version la plus récente. Ces missiles devraient emporter des têtes nucléaires dont il semble que la conception et la fabrication soient assurées par les Britanniques, avec toutefois un rôle d’expertise très important des laboratoires et industries américains.

Contrairement à la Grande-Bretagne, l’ensemble des éléments de l’outil de dissuasion nucléaire de la France sont de conception et de fabrication nationales, tant les vecteurs (missile M51 pour les sous-marins, ASMP pour la composante aéroportée) que les porteurs de vecteurs (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération, Rafale F3) et les têtes nucléaires (TNA pour les missiles air/sol, future tête nucléaire océanique pour le M51).

2) Un nouveau partenariat sur un pied d’égalité

L’objet de la coopération nucléaire militaire franco-britannique n’est pas de créer une dépendance technologique entre les deux pays, mais, au contraire, de favoriser la modernisation de leurs arsenaux en réduisant les coûts individuels. A ce titre, les partenariats prévus dans le domaine nucléaire n’incluent pas certains éléments de l’outil de dissuasion nucléaire, comme la conception générale des armes ou des vecteurs.

L’effort commun de la France et du Royaume-Uni ne vise donc pas à créer une force nucléaire commune. Il est tourné vers l’avenir, notamment l’adaptation des futures armes nucléaires aux exigences de puissances nucléaires modernes, visant la fiabilité et la sécurité des équipements de demain. Pour ce faire, il est envisagé la création de deux centres communs d’expérimentation, situés dans les deux pays.

II – PARTAGER L’EFFORT DE LA MODERNISATION DES FORCES

La France et la Grande-Bretagne sont, avec la Russie, les seules puissances officiellement dotées d’armes nucléaires à avoir signé et ratifié le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) adopté le 24 septembre 1996. Les Etats-Unis n’ont pas ratifié ce texte, comme la Chine.

Le TICE interdit tout essai nucléaire, à ciel ouvert, en profondeur ou dans les océans. Il fait donc reposer la totalité des efforts de recherche pour la modernisation des armes nucléaires sur les programmes de simulation.

La France et la Grande-Bretagne disposent de certains moyens de simulation, mais souhaitaient faire progresser leur dispositif d’expérimentation concernant les réactions non thermonucléaires à l’œuvre dans une arme atomique. C’est précisément l’objet du présent projet de loi, qui vise à doter ces deux Etats d’un centre de recherches commun dans ce domaine.

A – Le constat d’un besoin commun

La simulation d’essais nucléaires implique de maîtriser trois éléments : les concepts de physique théorique permettant de programmer les futures simulations, la technologie des supercalculateurs afin de calculer les différentes étapes du fonctionnement d’une arme nucléaire et les outils de validation expérimentale de ces calculs, par laser et radiographie.

1) Des moyens de simulation déjà existants

La France possède, au sein du commissariat à l’énergie atomique, une puissance de calcul numérique considérable, multipliée par 20 000 en 15 ans, grâce aux technologies successives Tera, Tera 10 et Tera 100. La Grande-Bretagne a doté, pour sa part, l’AWE (Atomic Weapons Establishment) d’une puissance de calcul adaptée à ses ambitions.

La validation expérimentale nécessite l’utilisation de deux types d’outils. Pour la reproduction des phénomènes thermonucléaires à l’œuvre dans une tête nucléaire, la France développe, sur le site du CEA de Cestas en Gironde, le laser mégajoule. Dores et déjà, la ligne d’intégration laser, qui fonctionne depuis 2004, a permis de réaliser des expériences exploratoires. Le laser mégajoule devrait entrer en service en 2014. Le Royaume-Uni utilise, dans ce domaine, les installations américaines, notamment le laser des laboratoires Lawrence situés en Californie.

L’autre aspect de la validation expérimentale des calculs de simulation implique la reproduction des phénomènes non thermonucléaires à l’œuvre dans une arme nucléaire. Il s’agit notamment de l’utilisation d’explosifs conventionnels pour comprimer le cœur radioactif d’une tête nucléaire et déclencher la réaction thermonucléaire.

Pour réaliser les expériences indispensables à la garantie de la robustesse et de la fiabilité des têtes nucléaires futures, la France dispose de l’installation radiographique Airix, près de Reims, depuis 2001. La Grande-Bretagne s’est dotée d’une installation plus ancienne.

2) Un objectif de coopération concret

Tant la France que la Grande-Bretagne envisageaient de se doter de nouveaux moyens d’expérimentation visant à simuler la phase dite froide (non nucléaire) du fonctionnement d’une arme nucléaire. Dans le cadre de leur nouvelle coopération militaire, les deux Etats ont choisi de mettre en commun leurs efforts afin de créer une structure unique disponibles pour leurs deux programmes de simulation.

Le site retenu pour la création de cette nouvelle installation, Epure (expérimentations de physique utilisant la radiographie éclair), est celui que la France avait choisi pour la création de sa propre structure à Valduc en Bourgogne.

La station Epure permettra des avancées technologiques importantes. Elle sera dotée d’un pas de tir unique, mais de trois axes d’observation, contre seulement un pour les installations française et britannique existantes. La première machine d’observation est fournie par la France, qui déplacera celle utilisée actuellement à Airix. Le Royaume-Uni s’est engagé à fournir la deuxième machine au plus tard en 2019. Enfin, une troisième machine sera développée conjointement par la France et la Grande-Bretagne sur un autre site de recherches.

Cette deuxième structure dite TDC, également prévue par l’accord de coopération franco-britannique, sera située en Grande-Bretagne, dans le Berkshire. Elle vise à accompagner les activités de la station Epure, et notamment à poursuivre des recherches en matière de technologies d’observation des simulations d’essais froids.

Le choix de doter la France et le Royaume-Uni d’un centre commun d’expérimentation radiographique plutôt que de deux structures a un impact financier non négligeable. Le gouvernement estime l’économie pour la France à 450 millions d’euros sur l’ensemble de la durée de vie de la structure, dont 200 millions d’euros pour la période 2015-2020 et 200 à 250 millions d’euros au-delà.

B – Un traité pour garantir le respect des engagements

Intervenant dans un domaine particulièrement sensible, la coopération nucléaire militaire entre la France et le Royaume-Uni nécessitait un accord politique au plus haut niveau afin de fixer les objectifs poursuivis par chaque partie. Le présent traité rappelle donc, dans ses deux premiers articles, que son objet est la création de deux installations radiographiques et hydrodynamiques communes, Epure en France, et TDC en Grande-Bretagne. L’article 4 fixe le calendrier de construction d’Epure, prévoyant la mise en service d’une deuxième machine d’observation en 2019, et d’une troisième d’ici 2022, ainsi que la création d’un deuxième pas de tir et d’un centre de tri des déchets dans le même délai. Le centre TDC devra pour sa part entrer en service en 2014.

L’article 17 rappelle le caractère opérationnel de ce texte, en fixant sa durée de vie à 50 ans conformément à la durée d’utilisation prévue des installations Epure et TDC, sauf accord entre les parties pour les prolonger.

1) Des efforts partagés, des résultats adaptés à chacun

Les articles 5 et 6 de l’accord reprennent l’esprit général de la coopération nucléaire entre la France et le Royaume-Uni. Ainsi, l’article 6 précise que les coûts liés au programme sont partagés équitablement entre les deux parties. La France s’engage notamment à assurer la première phase de la construction d’Epure (construction d’un pas de tir et déménagement de la machine d’observation Airix), le Royaume-Uni assumant pour sa part la construction de l’ensemble de l’installation TDC. Le même article indique que les bénéfices tirés du programme sont également partagés entre les deux parties.

Au-delà de cette solidarité financière, le projet commun franco-britannique respecte les intérêts nationaux des deux parties. Ainsi, l’article 5 précise que les deux Etats ont un accès libre à l’installation Epure pour réaliser les expérimentations prévues par leurs programmes nationaux. Epure devra d’ailleurs comprendre des zones nationales réservées aux personnels de chaque Etat. Il sera également possible d’utiliser certains équipements du centre TDC pour des fins exclusivement nationales, sous réserve de l’accord des deux parties.

L’équilibre de la coopération nucléaire franco-britannique est donc bien conforme aux engagements pris lors du sommet de Londres le 2 novembre 2010. L’objectif est de mettre en commun les moyens des deux Etats non pas en fusionnant les structures, mais en se dotant d’équipements nouveaux dont chacun pourra bénéficier pour ses objectifs propres.

Toutefois, il est entendu que la collaboration quotidienne au sein de ces deux centres a vocation à susciter un rapprochement au moins intellectuel des autorités nucléaires des deux Etats, à savoir le commissariat à l’énergie atomique français et le ministère de la défense britannique, que l’article 3 désigne comme points de contact pour la mise en œuvre de l’accord. A ce titre, l’article 12 prévoie la conclusion d’arrangements techniques visant à faciliter et sécuriser l’échange d’informations exclusives entre les parties, et l’article 14 autorise les entreprises françaises comme britanniques à participer aux travaux du centre TDC ou de la seconde phase du projet Epure. Dans le même ordre d’idées, l’article 15 pose le principe du bilinguisme français – anglais pour l’ensemble des activités.

2) Les garanties juridiques indispensables à la pérennité du programme

Les articles 8 à 10, ainsi que l’article 13, fixent les éléments nécessaires au bon fonctionnement des installations Epure et TDC. L’article 8 rappelle ainsi que les installations sont soumises aux réglementations nationales de sûreté nucléaire de l’Etat d’accueil, et que les autorités nationales de sûreté nucléaires en vérifient le respect. La responsabilité de ces missions pour Epure est confiée au CEA, qui s’engage à s’assurer auprès du ministère de la défense britannique de son respect des normes françaises pour toute utilisation d’Epure.

L’article 9 précise que la coopération nucléaire franco-britannique n’affecte en rien les partenariats noués par les deux Etats dans ce domaine. L’article 10 précise que les déchets résultant des expérimentations réalisées dans Epure ou au centre TDC sont la propriété et relèvent de la responsabilité de l’Etat ayant effectué ces simulations. Il est donc prévu que les déchets soient rapportés sur le territoire de la partie responsable s’ils ont été produits sur le territoire de l’autre. L’article 11 stipule que la responsabilité du transport des matériaux envoyés d’un Etat vers une installation située sur le territoire de l’autre partie est assumée par l’Etat d’envoi jusqu’à réception par l’Etat d’accueil, qui assume alors la responsabilité de leur conservation sauf négligence de la part de l’Etat d’envoi.

L’article 13 stipule que la responsabilité de chaque Etat est engagée en cas de dommage causé par les activités qu’il mène dans les installations communes. La responsabilité des deux Etats est engagée en cas d’activité commune. En cas de faute ou négligence grave de l’un des Etats, seul celui-ci est tenu responsable de tout dommage éventuel. La responsabilité civile en cas de dommage nucléaire causé par l’installation Epure relève du commissariat à l’énergie atomique, qui dispose d’un droit de recours contre le Royaume-Uni si le dommage est dû à une faute commise par le personnel britannique.

CONCLUSION

Le sommet franco-britannique du 2 novembre 2010 a permis de relancer la coopération entre les deux principales puissances militaires européennes, dans le même esprit que le sommet de Saint-Malo de 1998. Parmi les nombreux programmes majeurs que la France et le Royaume-Uni développeront désormais en commun figure un projet particulièrement symbolique, le partenariat nucléaire militaire.

Celui-ci n’a pas vocation à créer une dépendance de l’un envers l’autre, ni de modifier les orientations politiques différentes des deux outils de dissuasion nucléaire. Tourné vers l’avenir, il vise à doter la France et la Grande-Bretagne d’un outil indispensable à la modernisation de leur arsenal nucléaire.

En prévoyant la création d’un centre commun d’expérimentation en Bourgogne, et d’un centre de recherches dans le Berkshire, le présent accord permet de combler un manque commun à ces deux Etats dans le domaine de la simulation des essais nucléaires. Une telle avancée permettra de doter les forces stratégiques françaises et britanniques de têtes nucléaires plus sûres et plus fiables.

La mise en commun des moyens permet la poursuite des programmes de simulation par les deux Etats en réduisant sensiblement les coûts. Pour la France, l’économie serait de près d’un demi milliard d’euros.

L’accord respecte l’esprit du sommet de Londres. Ainsi, il ne prévoit pas l’obligation de rapprochement entre les forces nucléaires françaises et britanniques. Plus concret, son objet est de doter les deux parties d’un instrument commun dont chacune pourra faire usage pour atteindre ses objectifs propres.

Il s’accompagne par ailleurs des éléments juridiques indispensables pour garantir l’équilibre de ce partenariat stratégique, tant en matière d’effort financier à fournir que de responsabilité engagée.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 4 mai 2011.

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a lieu.

M. Jacques Myard. Je reviens sur les dernières remarques du rapporteur et sur les retards de la Grande Bretagne en matière de recherche. Ce traité est emprunt d’une certaine solennité, il est signé entre la République française et le Royaume-Uni, mais je me demande si un passager clandestin ne risque pas d’être présent. Le Royaume-Uni est client des Etats-Unis sur de nombreux aspects militaires, nucléaires notamment, et sa force de frappe n’est pas indépendante. La coopération que nous instaurons entre nos pays ne risque-t-elle pas de nous poser problème ?

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. C’est une question très pertinente. La limite de notre coopération est précisément sur le fait que la Grande Bretagne participe aux plans nucléaires de l’OTAN et pas nous : lorsque Nicolas Sarkozy a décidé la réintégration de la France dans l’OTAN, il a bien été expressément précisé que cela portait sur tout sauf les plans nucléaires.

Cela étant, il faut préciser aussi que ce qui est concerné par les plans nucléaires de l’OTAN, ce n’est pas l’arme mais le « targeting », c’est-à-dire la liste des cibles potentielles. L’autre dépendance du Royaume-Uni vis-à-vis des Etats-Unis porte sur leur équipement et notamment sur les missiles Trident, qu’il achète très cher. Le budget du ministère de la défense britannique a deux problèmes : l’Irak et ces missiles qu’il acquiert.

Je ne pense pas qu’il y ait le moindre risque que cet accord diminue notre indépendance nucléaire et notre dissuasion. Il ne faut pas oublier non plus que nous travaillons d’ores et déjà avec les Américains, par exemple sur le laser mégajoule.

M. Jean-Pierre Dupré. Quant à la convergence des systèmes, a-t-on pris en compte nos radars de Toulon, Castelnaudary et en Bretagne ?

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. Non. Cet accord ne porte que sur des questions de simulation et non pas sur des aspects opérationnels sur lesquels il n’a donc pas d’incidence.

M. Hervé Gaymard. Je remercie notre rapporteur pour la qualité de son intervention. Comment la future coopération militaire franco-britannique s’inscrit-elle dans le cadre de l’Europe de la défense ?

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. Je dois dire que j’ai longtemps été d’un très grand scepticisme sur cette question et que je suis en train de réviser ma position, au vu de la multiplicité des accords et de ce qui se décide actuellement. Car de plus en plus, la Grande Bretagne se tourne vers nous, dans beaucoup de domaines fondamentaux, dont l’industrie et la recherche.

Plusieurs raisons à cela. Les pessimistes avancent les problèmes économiques, auxquels tout le monde est confronté et qui imposent aux uns et aux autres de faire plus ou moins la même chose : des missiles de croisière, des porte-avions qui se ressemblent. Les optimistes sentent plutôt que le Grande Bretagne a conscience du fait que les Etats-Unis se tournent de plus en plus vers le Pacifique, car la garantie de leur sécurité ne passe plus par l’Europe ; le Royaume-Uni a aujourd’hui plus de mal dans sa relation avec les Etats-Unis qui basculent vers l’ouest. Je crois que les deux analyses de ce basculement contiennent une part de vérité.

M. Jean-Paul Bacquet. Le traité nous est présenté comme garantissant à la fois économies et indépendance de notre dissuasion tout en augmentant les capacités de l’OTAN et de l’Union européenne, mais la question du passager clandestin que Jacques Myard évoquait me semble importante. Avec Hervé Gaymard, nous étions hier au Sénat où nous avons appris que, depuis 1998, la France achetait l’intégralité de ses munitions petits calibres. En conséquence, nous pouvons mobiliser 30 000 hommes sur le terrain, nous pouvons mobiliser des matériels, mais nous avons un problème de munitions.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. Effectivement, depuis une quinzaine d’années, nous ne sommes plus indépendants sur cet aspect. J’en suis d’autant plus désolé que les munitions étaient autrefois fabriquées à Rennes. Nous avons fait le choix d’être stratégiquement indépendants dans des secteurs précis. GIAT était déficitaire, nous avons alors choisi d’acheter nos munitions à l’étranger et des accords de ventes et d’achats automatiques ont été conclus en cas de crise, qui nous permettent de ne pas toucher à nos stocks stratégiques, quand nous intervenons en Libye par exemple. Mais nous sommes effectivement dépendants d’autres productions, que nos partenaires sont dans l’obligation de nous vendre. D’où l’importance de l’interopérabilité, au sein de l’OTAN par exemple.

M. Jean-Pierre Kucheida. Ce rapport est très bon et nous voyons les petits pas qui sont faits depuis plusieurs années. Une autre étape se fait ici après celle de Saint Malo et d’autres. J’avais moi-même pu constater dans le cadre de l’UEO dont je regrette la disparition, que les Britanniques étaient très proches de la France et qu’ils exprimaient une crainte quant à leur alliance avec les Etats-Unis. Cela étant, quel est le nombre des essais prévus ? Quels progrès sont attendus pour le France et le Royaume-Uni ?

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. En ce qui concerne la convergence entre la Grande Bretagne et le France, les accords se multiplient effectivement dans tous les domaines.

Quant au nombre des essais, c’est difficile à dire, car nous ne sommes pas dans le « chaud ». Quant à la partie « froide », ce sera sans doute de l’ordre de la dizaine par an. Mais l’intérêt de cette coopération réside aussi dans le fait que, non seulement, on dégagera des économies, mais aussi que l’on aura accès aux données britanniques et, par conséquent, que l’on aura une double estimation grâce aux aspects comparatifs.

M. Jean-Paul Lecoq. Jean-Michel Boucheron hier dans l’hémicycle nous a dit que la guerre serait désormais différente après la mort de Ben Laden. On a vu l’importance des services de renseignements. Cela étant la cybercriminalité peut aussi mettre gravement en péril les systèmes nucléaires et le développement du nucléaire est en ce sens totalement obsolète. Tout traité qui va dans ce sens est absurde. Ce traité est contraire au Traité de non-prolifération et on ne peut pas accepter qu’après l’avoir ratifié, on développe aujourd’hui l’arme nucléaire par ce biais. C’est en tout cas notre position et nous ne le voterons pas. J’ajoute que le président de l’association mondiale des maires pour la paix, qui est le maire d’Hiroshima, a récemment dénoncé un essai américain, avec d’autres, dont les maires de Hanovre ou de Gonfreville.

M. Alain Néri. Jean-Michel Boucheron m’a plutôt inquiété que rassuré, finalement : si nous avons des capacités performantes mais pas de munitions, nous ne serons pas bien avancés, car on peut supposer que si nous sommes en conflit avec nos fournisseurs, il arrêteront de nous vendre ! Je pense à l’embargo jadis contre Israël ; cela rappelle aussi 39-45 où nos soldats avaient la possibilité de tirer 16 coups par pièce et l’on a vu le résultat.

M. Michel Terrot. Quelle est l’incidence de l’accord en termes d’emploi ? Vous avez parlé des essais envisagés en Bourgogne, notamment.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. A Jean-Paul Lecoq, je dirai d’emblée qu’il n’y a aucun conflit avec le TNP. Il ne s’agit que de garantir la sécurité de nos armements dont le vieillissement serait difficile à apprécier sans simulation. Il ne s’agit donc pas de prolifération mais d’aller vers plus de sécurité nucléaire. Par ailleurs, la dissuasion nucléaire n’est pas obsolète. Il ne faut jamais oublier que s’il n’y a pas eu de guerre entre les grandes puissances, c’est précisément grâce à l’arme nucléaire et je suis donc en désaccord profond avec les positions inverses. On peut être assurés par exemple que, malgré la montée en puissance stratégique de la Chine, qui prépare des armes anti-satellites et anti-porte-avions, une guerre n’interviendra pas entre Pékin et Washington, car le verrou nucléaire est là, entre deux puissances qui disposent chacune de l’arme atomique. Cela n’exclut pas qu’il y ait bien sûr de nombreux conflits secondaires qui ne répondent pas aux mêmes enjeux.

A Alain Néri, je préciserai que nos fournisseurs sont européens et que nos approvisionnements sont donc sécurisés. Israël ne nous fournit que des éléments pour des drones légers et un éventuel embargo ne porterait pas à conséquence. Au demeurant, on sait aussi ce qu’il en a été de l’embargo contre Israël sous de Gaulle et je revois le général de Bénouville à la Knesset rappeler la manière dont la France avait alors agi.

En ce qui concerne les emplois, il s’agit surtout d’ingénieurs, britanniques, sans doute entre 50 et 100 qui seront en France. Il faut aussi compter sur le transfert d’Airix à Valduc. Il faudrait prendre des renseignements sur le nombre de personnes qui l’utilise et qui doit approcher la centaine. Le tout sur une période de 5 à 7 ans.

M. le président Axel Poniatowski. Je remercie le rapporteur pour son exposé et ses explications très intéressantes.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n  3385).

*

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, signé à Londres le 2 novembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte du traité figure en annexe au projet de loi (n° 3385).

© Assemblée nationale

1 () Les deux doctrines sont proches, la France évoquant le principe de « stricte suffisance » quand la Grande-Bretagne s’attache à celui de « dissuasion minimale ». Concernant la structure des forces, la France dispose de moins de 300 têtes et de deux composantes, aérienne et océanique, tandis que le Royaume-Uni devrait passer de 225 à 120 têtes et a abandonné sa composante aérienne, ne comptant plus désormais que sur ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.