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No
 3456

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 mai 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
SUR LA PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE (no 3439)

DE M. Jean-Marc AYRAULT et DES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE ET APPARENTÉE
sur
l’introduction d’une taxe sur les transactions financières en Europe,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Pierre-Alain MUET,

Député

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin, vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer, secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, François Calvet, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Delebarre, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, MM. Régis Juanico, Marc Laffineur, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Pierre-Alain Muet, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LA TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES, UNE OPPORTUNITÉ HISTORIQUE DE TIRER LES LECONS DE LA CRISE 9

A. DE LA TAXE TOBIN AUX DÉBATS ACTUELS : LE « TRIPLE DIVIDENDE » DE LA TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES 9

B. UN RENDEZ-VOUS HISTORIQUE À NE PAS MANQUER 11

II.- UN DISPOSITIF QUI RÈGLE L’ESSENTIEL DES DIFFICULTÉS PRATIQUES ET CRÉE LES CONDITIONS D’UNE IMPULSION POLITIQUE AU SERVICE DE LA CROISSANCE DURABLE ET DE L’EMPLOI 15

A. UN CHAMP D’APPLICATION TERRITORIAL DÉFINI DE MANIÈRE PRAGMATIQUE 15

B. UN TAUX ADAPTÉ 16

C. UNE ASSIETTE CENTRÉE SUR LES TRANSACTIONS UNIQUEMENT FINANCIÈRES ET DE NATURE SPÉCULATIVE, DANS UNE OPTIQUE DE COMPLÉMENT ET NON DE SUBSTITUT AU RENFORCEMENT DE LA RÉGLEMENTATION DES MARCHÉS FINANCIERS 18

D. LE CHOIX OPPORTUN D’UNE AFFECTATION PRÉFÉRENTIELLE AU BUDGET GÉNÉRAL DES ETATS MEMBRES 19

1. Une affectation au budget général qui représente en l’état le choix le plus pertinent, sans exclure la possibilité, si les conditions sont réunies, d’une participation au financement du budget européen 19

2. Financer des priorités comme le développement et la lutte contre le réchauffement climatique mais aussi favoriser le rétablissement de la situation budgétaire des Etats membres au service de la croissance et de l’emploi 21

3. La possibilité d’un autre choix pour les Etats membres qui le souhaiteraient, dans le respect du principe de subsidiarité 22

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

ANNEXE : PROPOSITION DE RESOLUTION 27

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La crise a démontré sans ambiguïté la responsabilité cardinale d’une finance dérégulée, hypertrophiée et asservie à l’obsession du profit à court terme dans la mise en péril de l’économie mondiale.

Désormais que vient l’heure d’en acquitter le coût social désastreux et le coût financier spectaculaire sous lesquels ploient aujourd’hui les Etats, et que s’affirme, mais menace de se dissiper, l’opportunité historique d’en tirer toutes les leçons, la question de la moralisation de la finance doit être au cœur des préoccupations de la Représentation nationale.

Chacun connaît les failles du système financier international : logique de court terme et arbitrages spéculatifs sourds aux évolutions de l’économie réelle ; complexité et opacité générales autorisant un recyclage périlleux de risques dissimulés sous des montages savants ; faible contribution au financement des biens publics et de la légitime protection sociale en parfaite contradiction avec la prise en charge par des Etats désormais exsangues des terribles conséquences d’une crise globale.

Or peu de solutions peuvent mieux prétendre répondre aujourd’hui à chacune de ces défaillances que la taxe sur les transactions financières, sur la table depuis près d’un demi-siècle.

L’idée féconde de James Tobin d’une taxe au taux très faible, mais à l’assiette très large englobant l’ensemble des transactions financières, porte en effet en elle la promesse d’un triple dividende.

Renchérissant mécaniquement le coût des opérations de court terme et décourageant la multiplication d’opérations purement spéculatives, dans un monde où un même instrument financier peut changer de main plus de mille fois dans la même journée, une taxe sur les activités financières produirait une incitation puissante et naturelle pour privilégier les investissements de long terme, seules fondations solides à la légitimité de la finance.

Imposant un suivi précis et détaillé de toutes les opérations, la taxe introduirait de la transparence dans un secteur encore trop éloigné de la vigilance des régulateurs et fournirait les moyens juridiques nécessaires pour sanctionner les transactions spéculatives ou nuisibles.

Par l’étendue proprement exponentielle de son assise, avec des transactions dépassant de près de vingt fois la richesse réellement produite dans le monde, elle donnerait aux Etats des moyens considérables pour faire face aux défis contemporains de la croissance, de l’environnement, de l’emploi et de la protection des citoyens, dans un contexte où les finances publiques assument seules, et brutalement, le prix de la crise.

Portée par la force de ces arguments, l’idée de la taxation des transactions financières a fait son chemin et conquis sa place dans l’agenda international.

On se souvient que la France, dans l’article 88 de sa loi de finances pour 2002, avait introduit dans l’article 235 ter de son code général des impôts une taxe sur les transactions sur devises, dont l’entrée en vigueur est toutefois subordonnée à l’instauration d’une taxe identique dans tous les Etats membres de l’Union européenne.

Au lendemain de la crise, le G20 de Pittsburgh de l’automne 2009 en a fait l’un des objets principaux de la coordination mondiale. Reprenant ce flambeau, la France l’a même promue au rang des priorités de sa présidence du G20.

L’Union européenne ne demeure pas en reste, sous l’impulsion déterminée de son Parlement européen qui, le 8 mars 2011, dans un très large consensus, a demandé sans ambiguïté que des propositions législatives concrètes soient présentées à brève échéance.

Cet élan politique, cette opportunité historique, demeurent toutefois fragiles, et les forces de résistance redoutables.

La Commission européenne, à l’automne 2010, a ainsi fait preuve d’une excessive prudence, arguant d’un risque de délocalisation des activités financières dont on peut contester la nocivité réelle si ne désertent l’Union que des transactions spéculatives dont l’apport à la prospérité des citoyens est plus que contestable. Et en dépit de nombreuses déclarations de principe, rien de concret ne semble émerger.

Dans ce contexte, au terme d’un long travail préparatoire, les groupes SRC, à l’Assemblée nationale, et SPD, au Bundestag, ont décidé de mettre chacun devant ses responsabilités, en présentant une proposition de résolution conjointe demandant aux Gouvernements français et allemands de prendre l’initiative pour imposer à l’agenda européen l’instauration d’une taxe dont les contours font l’objet d’un réel consensus.

La proposition de résolution présentée par M. Jean-Marc Ayrault et les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentée, offre à l’Assemblée une nouvelle occasion de réaffirmer avec force sa volonté de moraliser, avant qu’il ne soit trop tard, la finance. Votre Rapporteur ne doute pas qu’elle soit saisie.

I. LA TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES, UNE OPPORTUNITÉ HISTORIQUE DE TIRER LES LECONS DE LA CRISE

A. De la taxe Tobin aux débats actuels : le « triple dividende » de la taxe sur les transactions financières

La taxe sur les transactions financières que la crise de 2008 a placée en haut de l’agenda politique mondial est l’héritière du prélèvement fiscal proposé en 1972 par l’économiste et prix Nobel (1981) M. James Tobin, bien que sa forme et son objectif actuel en diffèrent substantiellement.

Proposée au début des années 1970, la taxe Tobin, qui prenait la forme d’un prélèvement à taux très faible sur les transactions de change, visait, en introduisant « un grain de sable dans la mécanique bien huilée des marchés », à limiter la spéculation à court terme afin de rendre une autonomie à la politique monétaire confrontée avec l’apparition des changes flexibles au lendemain de l’abandon du système de Bretton Woods, à une brutale accélération des flux internationaux de capitaux qui déstabilisaient les cours des devises en les éloignant de leurs fondamentaux économiques.

L’explosion des transactions financières internationales a acquis un caractère exponentiel au tournant des années 2000 en doublant en une décennie pour atteindre un stock de plus de 1 600 000 milliards de dollars à la veille de la crise, dépassant très fortement le simple jeu de couverture assurantielle nécessaire à la fluidité et au financement des échanges de biens et de services. Cet emballement a donné une nouvelle légitimité à l’idée féconde de M. James Tobin, tout en élargissant son but initialement limité à la stabilisation du marché des changes.

■ En premier lieu, une telle taxe permettrait non seulement d’atténuer l’évolution erratique des changes, mais plus généralement de lutter contre l’hypertrophie des marchés financiers désormais totalement déconnectés des échanges productifs.

Les chiffres sont en effet vertigineux. 4 000 milliards de dollars s’échangent chaque jour sur le marché des changes. Le seul encours des produits dérivés, à 605 000 milliards de dollars, est dix fois plus élevé que la richesse produite par le monde entier chaque année. Au total, le volume des transactions financières a crû cinq fois plus vite que le PIB depuis 1950, pour atteindre en 2007 douze fois le stock d’actifs mondiaux, creusant un fossé entre le monde de la finance et les besoins réels de l’économie.

De toute évidence, une telle emprise de la finance dépasse les fondations économiques nécessaires à la fluidité et au financement de l’économie réelle.

La crise de 2008 a d’ailleurs révélé les dysfonctionnements majeurs d’un marché prisonnier de stratégies de profit à très court terme qui reposent sur des outils de plus en plus sophistiqués et opaques, dégageant un fort rendement de court terme sans aucun rapport avec leurs assises économiques, dont les titres complexes adossés aux subprimes constituent un paroxysme.

Dans ce contexte, une taxe à taux faible mais avec une assiette étendue frappant sans discrimination l’ensemble des transactions financières, en renchérissant mécaniquement le coût des opérations de court terme et les capitaux mobiles et récurrents par rapport aux investissements de plus long termes apparaît mieux opportune que jamais.

S’il importe de se prémunir d’un amalgame trop rapide entre capitaux placés à court terme et spéculation, il n’en demeure pas moins que privilégier les investissements « longs » constitue manifestement un choix avisé de politique économique.

En outre, les modalités pratiques d’une telle taxation peuvent même, comme il sera vu infra, être affinées de manière à approcher au mieux et endiguer efficacement les phénomènes étroitement spéculatifs.

■ En second lieu, la crise a révélé sans ambiguïté un très net déficit de régulation et de taxation de la finance par rapport aux autres secteurs productifs, sur lesquels est aujourd’hui presque exclusivement assis le financement de nos biens publics et de nos systèmes de protection sociale.

Contrairement en effet à toute autre industrie fournissant des biens et des services aux consommateurs finals, le secteur financier, qui bénéficie de l’exemption de TVA, demeure pour l’essentiel très peu taxé.

En outre, l’essor des produits financiers complexes s’est épanoui entre les mailles d’une réglementation dont tous les acteurs reconnaissent aujourd’hui l’insuffisance.

Comme tous ses partenaires, l’Union européenne s’est attachée à réduire ces « zones d’ombre », en mettant en place un dispositif prudentiel cohérent et en entreprenant un vaste chantier de transparence et d’encadrement des opérations financières, touchant à la fois les ventes à découverts, les contrats d’échange sur les risques de crédit et les produits dérivés négociés de gré à gré(2).

Il n’en demeure pas moins qu’une taxation générale de l’ensemble des transactions financières, quelle qu’en soit la nature, donnerait des moyens juridiques puissants et exhaustifs pour enregistrer toutes les opérations financières et, par ce fait, sanctionner, par exemple par l’application de taux majoré, les transactions spéculatives jugées inutiles et nuisibles.

Le risque de fuite des capitaux brandi traditionnellement par les opposants à la taxe pourrait même se muer à l’inverse en une opportunité précieuse de stabilisation des économies soumises à la taxation, qui verraient ainsi disparaître des flux dont le moins que l’on puisse dire est que leur contribution à la prospérité des populations est contestable.

■ En dernier lieu, la place prise par les transactions financières dans nos économies bouleverse radicalement les perspectives de recettes que pourrait produire une taxe même de taux très limité.

En prenant l’hypothèse d’un impact modéré sur les flux d’échanges, une taxe sur les transactions financières ne dépassant pas 0,05 % dégagerait un rendement de plus de 200 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne et même de 650 milliards d’euros au niveau mondial, apportant des ressources nouvelles et durables pour financer les grands défis contemporains, qu’il s’agisse de l’aide au développement ou à la lutte contre le changement climatique.

Dans ce contexte, une taxation des transactions financières apparaît plus nécessaire que jamais, parée d’un « triple dividende ». Elle permettrait en effet de :

– freiner la spéculation et contrecarrer le « court-termisme » des marchés financiers ;

– garantir une répartition mieux équitable de la charge fiscale entre les acteurs économiques ;

– dégager des ressources décisives, dans un contexte de vigoureux assainissement budgétaire, pour répondre aux défis mondiaux.

B. Un rendez-vous historique à ne pas manquer

Les atouts manifestes de la taxe sur les transactions financières ont acquis un caractère presque irrésistible avec la crise de 2008.

■ La responsabilité du secteur financier, coupable d’un recyclage généralisé de prises de risques excessives et déconnectées des évolutions de l’économie réelle, n’est plus à démontrer. L’impact sur les finances publiques de cette crise est tout aussi connu.

Le premier impact, direct, lié aux plans d’aides directes aux établissements financiers, a été analysé par la Commission européenne dans sa communication relative aux aides d’Etat du 1er décembre 2010.

L’ensemble des aides publiques autorisées par les Etats membres en faveur du secteur financier a atteint, entre octobre 2008 et octobre 2010, 4 589 milliards d’euros (soit le PIB cumulé de l’Allemagne et de la France), essentiellement sous forme de garanties dont une majorité n’a heureusement pas été appelée à ce jour.

Les aides publiques effectivement mises en jeu ont atteint 1 107 milliards d’euros, dont 840 (76 %) sous forme de prêts et de garanties pour faciliter le maintien du crédit interbancaire.

Au total, les aides publiques concrètement versées dans l’Union se sont établies à 237 milliards d’euros en 2008 et 351 milliards d’euros en 2009, dont 132 milliards d’euros consacrés à la recapitalisation du secteur bancaire et 100 milliards d’euros au cantonnement des actifs toxiques.

A ces aides directes s’ajoute l’incidence spectaculaire sur les finances publiques de la brutale contraction des économies. La dette publique des pays développés a ainsi augmenté, en deux ans, de vingt points de PIB, les exposant à un effort nécessaire d’ajustement estimé à 300 à 370 milliards de dollars. Le secteur financier doit y prendre sa juste part, à la mesure de son évidente responsabilité.

■ Dans ce contexte, la taxe sur les transactions financières a trouvé une place logique en haut de l’agenda politique mondial.

Dès septembre 2009, le sommet du G20 de Pittsburgh a ainsi chargé le FMI de préparer « un rapport sur les différentes options selon lesquelles le secteur financier pourrait assurer une contribution juste et substantielle aux ressources nécessaires à la reprise ».

Ce rapport, remis en avril 2010, sans fermer la voie à une taxe sur les transactions financières considérée comme une taxe de « rendement » plus que de « régulation », a proposé la création de deux nouvelles taxes aux yeux du FMI mieux adaptées à la responsabilisation du secteur financier : la première, assise sur le bilan des établissements de crédits, ayant vocation à assurer la stabilité financière en cas de nouvelle crise du secteur et la seconde, portant sur le profit des banques, devant compenser pour les Etats le coût du sauvetage du secteur.

Ces deux types de taxes, usuellement dénommées prélèvement sur les banques et taxe sur les activités financières (TAF), apparaissent toutefois beaucoup plus complémentaires que concurrentes à la taxe sur les transactions financières.

Surtout, elles demeurent très éloignées des ambitions de cette dernière.

Les prélèvement sur les banques reposent en effet, quelle que soit leur forme, sur les positions du bilan de celles-ci, sans tenir compte des transaction des systèmes bancaires parallèles (shadow banking systems) dans lesquels gisent pourtant les plus grands risques d’endettement.

Les taxes sur les activités financières (TAF) quant à elles, en limitant leur emprise aux seuls profits des établissements financiers, n’exercent aucune incitation sur la nature des activités financières auxquelles se prêtent les banques.

Pour accélérer les choses, le Parlement européen, dans sa résolution du 10 mars 2010 sur la taxation des transactions financières, a demandé à la Commission européenne d’engager sans délai des études de faisabilité sur la taxation des transactions financières dans l’Union européenne.

Le Conseil européen des 16 et 17 juin 2010, constatant la responsabilité historique de l’Union européenne dans la promotion d’une stratégie à l’échelle mondiale visant à l’instauration de systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers, a à son tour recommandé d’examiner la question d’une taxe sur les transactions financières mondiales.

Cette taxe figure désormais, à la demande de la France à l’agenda du G20.

Toutefois, dès sa communication du 7 octobre 2010, la Commission européenne a exprimé une certaine réticence à l’égard de la taxation indifférenciée des transactions financières, brandissant le traditionnel épouvantail d’une délocalisation massive des produits financiers dans un contexte où les positions encore figées de nos principaux partenaires mondiaux semblent compromettre la perspective d’un accord mondial. Elle s’est toutefois engagée à présenter plusieurs options de taxation d’ici l’été et a lancé début 2011 une vaste consultation publique.

Pour rappeler avec force sa position et conjurer le risque de l’immobilisme, le Parlement européen a adopté, le 8 mars 2011, par 529 voix contre 127, le rapport d’Anni Podimata (S&D, grecque) sur les financements innovants, demandant « instamment à l’Union, en l’absence d’accord international dans les prochains mois, de présenter des propositions législatives sur l’introduction d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle européenne », soulignant « qu’un taux bas, entre 0,01 % et 0,05 %, empêcherait des déplacements majeurs des activités vers d’autres juridictions à imposition plus faible » et relevant qu’en tout état de cause, « le mouvement des transactions purement spéculatives vers d’autres juridictions n’aurait pas d’effets négatifs, mais serait à l’inverse susceptible de contribuer à accroître l’efficacité du marché ».

Dans un communiqué de presse du 9 mars 2011, le ministre des affaires étrangères et européennes a indiqué que « la France salue le vote intervenu hier à Strasbourg et se réjouit vivement du soutien important dont a bénéficié auprès des députés européens l’idée d’une taxe sur les transactions financières. C’est un projet que la France […] appuie de longue date, tant au niveau international qu’au niveau européen ».

En parallèle, l’Allemagne, très déterminée sur cette question, avait même inscrit dans ses perspectives budgétaires nationales pour 2012 le produit anticipé d’une taxe de cette nature.

Il semble bien que l’Union européenne se trouve aujourd’hui dans une situation singulièrement favorable pour avancer vers une taxation juste et efficace.

Ce rendez-vous historique ne doit pas être manqué, les modalités pratiques de la taxe sur les transactions financières ne soulevant guère de difficultés pratiques propres à résister à une volonté politique forte.

II.- UN DISPOSITIF QUI RÈGLE L’ESSENTIEL DES DIFFICULTÉS PRATIQUES ET CRÉE LES CONDITIONS D’UNE IMPULSION POLITIQUE AU SERVICE DE LA CROISSANCE DURABLE ET DE L’EMPLOI

A. Un champ d’application territorial défini de manière pragmatique

A l’origine, comme il a été vu supra, la taxe Tobin a été conçue pour éviter les flux spéculatifs déstabilisant les cours des devises. Elle avait donc pour vocation de s’appliquer à l’échelle d’une zone monétaire, c’est-à-dire dans un seul pays ou un groupe de pays ayant la même monnaie.

La taxe sur les transactions financières aujourd’hui débattue est, on l’a dit, plus large : elle ne concerne pas que les seules transactions internationales mais vise également les transactions financières purement internes à la zone monétaire. Elle répond néanmoins à la même logique.

La proposition de résolution rappelle ainsi que trois hypothèses sont envisageables pour la mise en place de la taxe, l’une étant de plus loin préférable aux deux autres.

■ Dans la configuration la meilleure, la taxe s’appliquerait à l’ensemble de l’Union européenne et serait mise en place simultanément et dans les mêmes conditions d’assiette comme de taux par chacun des Etats membres.

L’intérêt de cette solution est triple.

D’abord, elle permet d’appliquer les mêmes règles au sein de l’Union européenne et d’éviter ainsi tout risque de transfert d’activité de certains Etats membres vers d’autres.

Politiquement ensuite, elle affirme l’unité nécessaire pour permettre de défendre la taxe au niveau international, tant au G8 qu’au G20. La vocation de la lutte contre la spéculation, rétablir la « bonne finance » au détriment de la « mauvaise finance », ne peut être atteinte dans ses objectifs que si les pays européens affichent un front uni, de nature à convaincre de la pertinence de leur choix les autres grandes puissances financières mondiales, pour l’essentiel les Etats-Unis et le Japon, mais aussi les gouvernements responsables des grandes places financières asiatiques que sont Hong-Kong, Singapour et Taïpei, sans oublier la Chine et les autres grands émergents du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

Enfin, en pratique, il est préférable, comme pour toute mesure européenne de nature financière, qu’elle concerne la première place financière européenne, celle de Londres.

■ Dans une configuration également intéressante mais de deuxième choix, la taxe serait mise en place par les pays de la zone euro, à savoir dix-sept Etats membres sur vingt-sept.

Ce serait d’ailleurs cohérent sur le plan politique, économique et social : même si ce n’est pas prévu explicitement par le traité, les pays de la zone euro peuvent envisager de disposer, dans certaines matières, de leurs propres règles, pour renforcer la solidité de leurs activités financières.

■ Dans une configuration plus réduite et politiquement moins significative, après constat d’un échec à un niveau territorial plus élevé, la taxe sur les transactions financières pourrait être mise en place, dans le cadre d’une coopération renforcée, par un nombre plus réduit d’Etats membres, au moins neuf aux termes du traité, autour de l’essentiel des pays de la zone euro – notamment l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie.

Il convient cependant de souligner que cette procédure est extrêmement délicate à mettre en œuvre politiquement et juridiquement, au point que, depuis son introduction dans le droit européen, en 1997, elle n’a été employée qu’une fois, à propos de la détermination de la juridiction nationale compétente en matière matrimoniale, une deuxième mise en application étant en cours sur le sujet du brevet unitaire communautaire.

La rédaction de la proposition de résolution reprend cette gradation.

B. Un taux adapté

Dès l’origine, pour cette taxe sur les transactions financières, James Tobin recommandait un taux d’un niveau très faible, de l’ordre de 0,05 %. Les économistes situent communément le taux applicable à ce prélèvement sur une échelle de 0,01 % à 2 %. Cette fourchette est définie sur une base largement plus intuitive et pragmatique que théorique. Pour sa part, le rapport précité de la députée grecque au Parlement européen, Mme Anni Podimata, préconise une taxe de 0,01 % à 0,05 %.

■ L’enjeu essentiel consiste en effet à éviter deux écueils.

Le premier est de nature économique. Le niveau de la taxe ne doit pas constituer un obstacle à la totalité des transactions financières, ce qui conduirait à une réduction de la souplesse de l’économie, mais uniquement dissuader la réalisation de transactions spéculatives, dénuées d’utilité économique réelle.

Comme nous le verrons infra, l’essentiel de la cible est constitué par les transactions spéculatives de « mauvaise finance », notamment celles qui sont réalisées par les banques et autres établissements financiers pour compte propre, en utilisant ainsi leurs ressources monétaires à des fins autres que le financement de l’économie (investissement industriel, infrastructures et logement, notamment), auquel elles sont normalement destinées.

D’un autre côté, sur le plan budgétaire, comme le montre l’expérience de la Suède dans les années 1980, le taux de la taxe doit être placé à un niveau suffisant pour ne pas tarir la ressource. En 1985, le taux de la taxe sur les valeurs était de 0,5 % sur l’achat et sur la vente (soit un taux global de 1 %). Par la suite, le taux de la taxe a été doublé en 1986, mais il a fallu y renoncer pour un taux beaucoup plus faible, en 1989, de 0,002 %. Au final, les recettes ont été inférieures aux prévisions.

■ En définitive, à ce stade, sans le recul de l’expérience, plutôt que de fixer un taux définitif, il est préférable d’avancer, comme le fait la proposition de résolution, un taux de référence de 0,05 %, à charge ensuite pour le législateur, une fois la taxe créée, de l’adapter de manière pragmatique à la réalité du fonctionnement de la sphère financière.

Avec ce niveau de prélèvement, le produit de la taxe sur les transactions financières dégagerait une recette de l’ordre de 200 milliards d’euros pour l’Union européenne, dont plus de douze milliards pour la France.

Un tel taux paraît conforme à l’approche généralement admise pour la fixation du niveau des commissions sur les opérations de montants élevés effectuées par les banques et établissements financiers : un taux très faible produisant toutefois des ressources substantielles grâce à l’importance des volumes concernés.

Un tel niveau est loin d’être négligeable.

Dans le contexte actuel de taux d’intérêt extrêmement bas – le taux directeur de la Banque centrale européenne est de 1,25 % – ce n’est pas une aberration. Sur le plan économique, le niveau de la taxe sur les transactions financières est en effet pertinent dès lors qu’il représente une fraction suffisamment significative du coût de l’argent et la contrepartie du rendement de l’immobilisation des capitaux pendant un temps donné. En l’occurrence, en se fondant sur une année financière de 360 jours, un taux de 0,01 % avec un taux directeur de 1,25 % par an représente une durée d’immobilisation de l’ordre de trois jours, suffisante, en l’état, pour inciter les opérateurs à davantage de prudence dans les opérations les plus spéculatives intra-quotidiennes ou à très court terme sur un ou deux jours.

Serait en particulier impacté le trading haute fréquence, ces opérations électroniques jouant sur les fluctuations à la milliseconde de la valeur des actifs – il arrive par exemple qu’un seul opérateur prenne plus de mille positions successives, dans la même journée, sur la même valeur mobilière. Sa rentabilité serait en effet fortement rognée, voire, dans certains cas, réduite à néant.

L’on peut d’ailleurs observer que la taxe pourrait ne pas être totalement répercutée par les banques et établissements financiers sur les opérateurs, provoquant, ce qui ne serait pas fondamentalement malsain, une réduction du niveau de leurs marges et in fine un transfert de ressources du secteur privé spéculatif vers les Etats.

A ce stade, le taux de 0,05 % proposé pour cette taxe serait par conséquent parfaitement adapté et répondrait aux règles de prudence qui s’imposent en la matière.

C. Une assiette centrée sur les transactions uniquement financières et de nature spéculative, dans une optique de complément et non de substitut au renforcement de la réglementation des marchés financiers

L’objectif de la taxe est de rétablir un fonctionnement normal de la sphère financière, de manière que son activité serve au financement de l’économie réelle, c’est-à-dire à l’investissement, qu’il s’agisse, entre autres, de l’innovation industrielle, des nouvelles technologies, des infrastructures ou du logement, et non à l’alimentation des activités d’arbitrage purement financier sans lien avec l’économie réelle.

Aussi, le dispositif de la proposition de résolution vise-t-il les transactions boursières et non boursières, les titres, les obligations, les produits dérivés de même que les transactions sur le marché des changes.

C’est une première approche, qui mérite d’être affinée afin de viser par une surtaxe et de manière spécifique les transactions les plus nocives.

Pour dégager une formule suffisamment générale susceptible de donner toutes les chances d’atteindre un consensus rapide, le dispositif de la proposition de résolution ne les mentionne pas. Toutefois, l’exposé des motifs les cite explicitement en indiquant qu’une telle inclusion dans l’assiette de la taxe ne pourra intervenir qu’après des études d’impact et de faisabilité.

Deux études sont prévues : l’une sur la taxation spécifique des opérations spéculatives des banques pour leur compte propre ; l’autre pour la taxation des transactions financières effectuées en dehors des marchés réglementés à l’extérieur du champ d’intervention et de contrôle des autorités publiques.

– La première mesure relève de la même logique que la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires, telles qu’elle était naguère prévue dans des réglementations nationales, notamment le Glass-Steagall Act américain, adopté pendant le New Deal sous l’impulsion du Président Roosevelt.

L’objectif consiste à distinguer les opérations réalisées par les banques et établissements financiers pour compte propre – par nature contestables, car l’octroi du statut n’est pas destiné à leur donner une capacité d’exercice autonome – des activités pour comptes tiers, qui correspondent à leur vocation.

De ce point de vue, les Etats-Unis ont, en quelque sorte, montré la voie à l’Europe avec le Dodd-Frank Act, adopté aux Etats-Unis en juillet 2010 : parmi beaucoup d’autres dispositions, il prévoit l’interdiction de ces opérations dites « de trading propriétaire » à compter de la fin 2012 et certaines institutions financières majeures, comme Goldman Sachs, ont déjà pris leurs dispositions pour s’adapter à ce changement de législation.

– Le deuxième sujet concerne la lutte contre le développement des transactions hors marché réglementé et des plateformes de compensation (dark pools). Il s’agit de créer une taxation supplémentaire pour ces compartiments des marchés financiers qui présentent un risque spécifique important.

Une telle taxation n’est naturellement pas destinée à se substituer à la future réglementation de ces marchés, notamment celle prévue par la proposition de règlement dite « EMIR » sur les produits dérivés négociés de gré à gré. En aucun cas et dans aucun domaine, la taxation et la réglementation ne remplissent la même fonction, même si elles ont toutes deux pour objectif convergent et commun de renforcer la sécurité financière.

D. Le choix opportun d’une affectation préférentielle au budget général des Etats membres

1. Une affectation au budget général qui représente en l’état le choix le plus pertinent, sans exclure la possibilité, si les conditions sont réunies, d’une participation au financement du budget européen

■ La proposition de résolution prévoit que les recettes procurées par la taxation financière seront affectées au budget des Etats membres. C’est indéniablement le choix le plus opportun par rapport aux différentes possibilités.

L’affectation au budget général des Etats membres de l’Union répond en effet clairement à un impératif. La crise financière a creusé des déficits qui n’atteignent pas un niveau identique dans tous les pays et ne suivent pas la voie de la résorption au même rythme, loin s’en faut. Il est par conséquent indispensable d’affecter au budget général l’intégralité des ressources fiscales nouvelles.

C’est d’ailleurs, nous l’avons vu, cohérent avec l’un des fondamentaux sous-jacents à la création de la taxe : la nécessité d’établir de nouvelles recettes fiscales assise sur une assiette financière, en raison du développement considérable des activités de la sphère financière au cours des trois dernières décennies et de la diminution corrélative du poids de l’économie réelle, celle des biens et services traditionnels, sur la base de laquelle sont actuellement établis nos systèmes fiscaux.

■ Une affectation prioritaire de ce type n’est naturellement exclusive d’autres hypothèses complémentaires, à terme, dans le cadre d’une affectation partielle ou totale de la ressource à d’autres fins.

– Dans le cas de ces autres hypothèses, l’affectation la plus naturelle serait le budget de l’Union européenne. Elle irait dans le sens du rapport précité de Mme Annni Podimata (S&D, grecque) comme dans celui des déclarations du Président Barroso. Elle répondrait aussi à la préoccupation de remise à niveau du budget européen, pour satisfaire les grands enjeux de notre temps, souhaité notamment par le Président de la Commission des budgets, M. Alain Lamassoure.

Une telle hypothèse n’apparaît pas en l’état envisageable car elle se heurte aux réticences des Etats membres de l’Union européenne, notamment des principaux contributeurs que sont le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, sur le territoire desquels, d’ailleurs, l’essentiel de la ressource nouvelle serait prélevé.

– Une autre hypothèse alternative, régulièrement citée elle aussi, est celle de l’affectation à un fonds dédié à la stabilité financière et à la mise en jeu de garanties en cas de défaillance des banques et des établissements financiers. Cette une hypothèse présente l’avantage d’offrir un élément de sécurité financière auquel tant les professionnels que les opinions publiques peuvent être sensibles.

Néanmoins, comme l’a montré l’ampleur des besoins de financement de secteur financier au plus fort de la crise financière, il est illusoire de penser qu’un instrument de ce type serait suffisant pour faire face aux difficultés, au cas où une nouvelle crise majeure se produirait.

Dans de telles circonstances, en effet, seuls les Etats sont en mesure d’intervenir ; dans le contexte actuel d’assainissement des déficits budgétaires des Etats membres, il n’est pas illogique que le secteur financier concoure directement au financement budgétaire, cette réduction étant la condition sine qua non de leur capacité à intervenir dans le futur en cas de nouvelle crise majeure.

2. Financer des priorités comme le développement et la lutte contre le réchauffement climatique mais aussi favoriser le rétablissement de la situation budgétaire des Etats membres au service de la croissance et de l’emploi

Au-delà de son enjeu purement budgétaire, la taxe sur les transactions financières est également porteuse d’importants enjeux politiques car c’est elle qui peut financer ou du moins contribuer à financer les priorités du moment.

■ Sur le plan international, l’un des enjeux essentiels est le financement du développement. L’effort actuel reste insuffisant, en tout cas inférieur aux engagements conclus en 2005 lors sommet du G8 de Gleneagles : le Comité d’aide au développement de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et les organisations non gouvernementales viennent d’estimer que, sur les 50 milliards supplémentaires d’aide annuels promis à l’époque, 19 milliards manquent à l’appel. Les attentes sont fortes et d’autant plus légitimes que le tiers-monde est en train de disparaître en tant que tel et de se diviser entre pays émergents et pays restant « à l’écart du développement », selon une terminologie qui, faute d’être consacrée, est très parlante.

Le deuxième des grands enjeux internationaux est celui de la lutte contre le réchauffement climatique, qui exige d’engager des moyens substantiels, tant au niveau des Etats qu’au niveau international, notamment pour aider les pays les plus pauvres à franchir la transition à moindre difficulté et au bénéfice de tous. Il serait parfaitement légitime que le produit du prélèvement opéré sur les transactions financières, pour l’essentiel transnationales, soit affecté à une destination d’intérêt global.

■ Plus directement, dès lors qu’elle permet de dégager des ressources significatives, la taxe sur les transactions financières doit permettre aux Etats membres, après rétablissement de leur situation budgétaire, de financer les efforts nécessaires à la réalisation des objectifs de la stratégie UE 2020, qui repose sur des investissements substantiels, notamment dans les domaines de la recherche et du développement, de l’éducation et de la formation.

Ce sont in fine les conditions nécessaires à un rétablissement durable de la situation de l’emploi, ainsi qu’à la définition du modèle économique durable auquel nos sociétés n’échapperont pas dans le futur et pour lequel, plus tôt la transition sera envisagée, moins importants seront les à-coups qu’elle est susceptible d’engendrer.

3. La possibilité d’un autre choix pour les Etats membres qui le souhaiteraient, dans le respect du principe de subsidiarité

Les traités européens conservent aux Etats membres l’essentiel de leur souveraineté en matière budgétaire et fiscale.

Sauf à outrepasser leurs termes et à heurter le principe de subsidiarité, un dispositif européen ne peut prévoir d’autorité l’affectation précise d’un nouvel impôt à un budget général déterminé, qu’il s’agisse de celui de l’Etat, de la sécurité sociale ou de tout autre organisme public.

Le cas de figure d’un fonds de stabilisation financière serait différent puisque l’intervention européenne revêtirait une légitimité évidente, en raison des impératifs de la libre circulation des capitaux et de la sécurité financière qui en découle directement.

Par conséquent, la proposition de résolution prévoit implicitement de laisser le libre choix aux Etats membres pour ce qui concerne la destination des produits de la taxe.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 24 mai 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« Le Président Pierre Lequiller. Il serait souhaitable que la commission des affaires européennes s'accorde sur une solution soutenue par l'ensemble des commissaires. Cela a, par exemple, été le cas pour la résolution sur les droits de plantation de vigne, avec le dépôt d'une proposition commune. Pour la question présente, la majorité est sur une ligne parallèle à celle présentée par le rapporteur. Je souhaite insister sur le fait que cette idée de taxe est une préoccupation de la France. Le Président de la République a imposé ce débat à l'ordre du jour du G20 et en a fait, en étroite concertation avec la Chancelière Angela Merkel, une priorité de la présidence française. Il convient donc de rappeler à cet égard la cohérence de notre engagement. Je propose, dans cet esprit, d'indiquer en point 1 de la proposition de résolution :

« 1. Appuie résolument la démarche, engagée de longue date, du président de la République et du gouvernement français, au sein des institutions européennes et dans le cadre du G20, en faveur d’une taxe sur les transactions financières au service des financements innovants, notamment pour le développement et la lutte contre le changement climatique, qui est l’une des priorités de la présidence française du G20 ».

Cette proposition d’amendement vous satisfait-elle ?

M. Guy Geoffroy. Il conviendrait également de modifier, par coordination, le neuvième alinéa actuel en indiquant que l'Assemblée nationale recommande « en conséquence » au gouvernement de présenter une proposition législative visant à introduire cette taxe sur les transactions financières.

M. Bernard Deflesselles. Cet ajout en point 1 est fondamental. En effet, la taxation sur les produits financiers est considérée comme un financement innovant. Il apparaît que l'Allemagne est sur notre ligne, à la différence de l'Angleterre et d’un certain nombre de pays de la zone euro. Il faut donc faire en sorte de pouvoir emporter la décision et, à tout le moins, de mettre cette question en discussion. Il faut clairement différencier les ambitions du G20 et les ambitions en matière de lutte contre le réchauffement climatique, d'où l'importance de ce paragraphe sur le financement innovant. C'est ainsi que l'on pourra faire accepter le principe d'une taxe sur les transactions financières. Il convient de faire référence au sommet mondial sur le climat qui se tiendra en Afrique du Sud fin 2011. Pensons également aux autres pays non membres du G20 qui prennent actuellement part aux négociations internationales en matière de lutte contre le réchauffement climatique et observent le débat sur la taxation sur les transactions financières.

M. André Schneider. J'apporte mon plein soutien à la proposition du Président. Chaque fois que nous marchons unis, nous obtenons d'être écoutés attentivement et suivis. Ce compromis est donc tout à fait souhaitable.

M. Bernard Deflesselles. Il apparaît donc nécessaire de compléter le premier paragraphe car les partenaires du G20 essaient de réduire le champ des ses travaux. Tel est notamment le cas de la Chine.

M. Michel Delebarre. Il me semble, si l'on souhaite mettre en oeuvre une démarche franco-allemande intelligente, la chancelière pouvant ici se sentir oubliée, qu'il vaudrait mieux être inclusif. Si je devais souligner un regret passager, je rappellerais que, pour une fois que l'Union européenne fait montre de courage, elle n'aura pas le bénéfice de ce courage car le produit de la taxe demeurera au niveau national. Faire de la lutte contre le réchauffement climatique une priorité supposerait que l'Union européenne reçoive le bénéfice de la taxe et puisse en orienter l'utilisation. C'est pourquoi il me semble que ce paragraphe est quelque peu porteur d’illusions.

M. Bernard Deflesselles. En vue de la lutte contre le réchauffement climatique, le fonds vert devra être doté de 100 milliards de dollars ici 2020. Il serait alimenté à la fois par des fonds publics et privés et par les financements innovants. Chaque pays aura à abonder le fonds vert.

Le Président Pierre Lequiller. Nous nous accordons donc sur l’ajout du terme « en conséquence » ainsi que sur l'association avec la chancelière allemande et sur la référence au sommet sur le climat.

M. Bernard Deflesselles. On ne sait effectivement pas si le réchauffement climatique pourra en définitive bien être maintenu au calendrier du G20, au vu notamment de l'opposition des Chinois.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Je ne suis pas d'accord avec cet amendement car nous avons choisi à dessein un texte large qui puisse recevoir l'appui de la gauche et de la droite ainsi que de la France et de l’Allemagne. Nous avons ainsi choisi de ne pas faire référence à la taxe Tobin votée en 2002 par le gouvernement de M. Lionel Jospin, ni à l'Allemagne qui avait inscrit le produit d’une taxe de cette nature dans ses perspectives budgétaires pour 2012. Nous avons également choisi de ne pas procéder à une affectation spécifique. De notre esprit, cette proposition est faite conjointement avec un parti allemand et je pense que cet amendement nous en écarte. En matière de changement climatique, nous n'avons pas inscrit d'orientation spécifique afin que le texte demeure général pour que cette taxe puisse être mise en oeuvre. Nous sommes bien entendu très favorables au renforcement de la lutte contre le changement climatique.

M. Guy Geoffroy. Il convient de noter que ce qui est proposé en point 1 est antérieur au reste de la résolution qui demeure dans l'esprit souhaité par le rapporteur et est tout à fait respecté. Cela devrait entraîner une adhésion à cet esprit de synthèse.

La Commission a ensuite adopté, contre l'avis du rapporteur, l'amendement présenté par le Président, ainsi rectifié.

Puis la Commission a adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

ANNEXE :
PROPOSITION DE RESOLUTION

(adoptée par la Commission des affaires européennes)

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE RELATIVE
À L’INTRODUCTION D’UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES EN EUROPE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la résolution du Parlement européen du 8 mars 2011 sur les financements innovants à l'échelon mondial et à l'échelon européen ;

Vu les conclusions du Conseil européen du 17 juin 2010 et du Conseil européen du 11 décembre 2009 ;

Vu le procès-verbal de la réunion du Conseil ECOFIN du 19 octobre 2010 et le rapport au Conseil européen cité dans ledit procès-verbal ;

Vu la déclaration du G20 adoptée le 15 novembre 2008 à Washington, la déclaration du G20 adoptée le 2 avril 2009 à Londres et la déclaration des dirigeants du sommet du G20 adoptée le 25 septembre 2009 à Pittsburgh ;

Vu le rapport 2010 du FMI à l'intention du G20 sur la taxation du secteur financier ;

Vu le quatorzième alinéa des conclusions du Conseil européen du 25 mars 2011 qui dispose qu’« il convient de réfléchir à l’instauration d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle mondiale » ;

1. Appuie résolument la démarche, engagée de longue date, du président de la République et du gouvernement français, conjointement avec la Chancelière et le gouvernement fédéral allemand, au sein des institutions européennes et dans le cadre du G20, en faveur d’une taxe sur les transactions financières au service des financements innovants, notamment pour le développement et la lutte contre le changement climatique, qui est l’une des priorités de la présidence française du G20 et l’une des conditions de la réussite du prochain Sommet mondial sur le climat en Afrique du Sud ;

2. Recommande en conséquence au gouvernement de présenter de manière conjointe avec nos partenaires européens, au plus tard lors du premier Conseil européen de l’automne 2011, une proposition législative visant à introduire une taxe sur les transactions financières qui contiendrait les éléments suivants :

– Une taxe sur toutes les transactions financières de 0,05 % ;

– Une assiette de cette taxe sur les transactions financières englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations, et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes ;

– L’affectation des recettes de la taxe sur les transactions financières à chacun des budgets nationaux ;

– Une telle proposition législative devra être introduite au niveau de l’Union européenne, ou à défaut d’abord au niveau de la zone euro ou d’un groupe de plusieurs Etats membres de l’Union ;

3. Demande au gouvernement d’informer l’Assemblée et ses organes compétents de manière complète et sans tarder concernant le calendrier, le contenu et les progrès des négociations pour parvenir à cette proposition législative visant à introduire une taxe européenne sur les transactions financières.

No 3456 – Rapport fait au nom de la Commission des affaires européennes sur la proposition de résolution européenne (no 3439) de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés sur l’introduction d’une taxe sur les transactions financières en Europe (M. Pierre-Alain Muet) (25/05/2011)

Introduction d’une taxe sur les transactions financières

© Assemblée nationale

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () Voir notamment la communication de MM. Michel Diefenbacher et Pierre Bourguignon sur les services bancaires et financiers au cours de la réunion de la Commission des affaires européennes du 2 mai 2011.