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No 3467

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
SUR LA PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE (no 3451)
DE Mme Catherine QUÉRÉ ET M. Serge POIGNANT ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE ET APPARENTÉS, LES MEMBRES DU GROUPE UNION POUR UN MOUVEMENT POPULAIRE ET APPARENTÉS ET LES MEMBRES DU GROUPE NOUVEAU CENTRE

relative au
régime des droits de plantation de vigne,


ET PRÉSENTÉ

PAR M. Philippe Armand MARTIN et Mme Catherine QUÉRÉ,

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, François Calvet, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Delebarre, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Marc Laffineur, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LA SUPPRESSION DES DROITS DE PLANTATION : DE MAUVAISES RAISONS POUR METTRE FIN A UN SYSTEME DE RÉGULATION EFFICIENT 9

A. LES DROITS DE PLANTATION ASSURENT LA COHÉRENCE DE L’ORGANISATION COMMUNE DE MARCHÉ VITIVINICOLE 9

1. L’encadrement du potentiel de production a été décidé dès 1976 9

2. Les droits de plantation ont permis l’amélioration de la qualité du vignoble en évitant sa fossilisation 10

3. Un bilan économique, social et environnemental positif 11

B. LES ARGUMENTS POUR LA SUPPRESSION DES DROITS DE PLANTATION NE RÉSISTENT PAS À L’ANALYSE 12

1. La suppression des droits de plantation équivaut à une liberté totale de planter 12

2. Le raisonnement de la Commission européenne est peu convaincant 13

II. LE MAINTIEN DES DROITS DE PLANTATION : UN ENJEU VITAL POUR LA VITICULTURE EUROPEENNE 17

A. DES RISQUES MAJEURS DE DÉSÉQUILIBRE 17

1. Déséquilibre des marchés et de la filière 17

2. Déséquilibre collectif 18

B. UN FRONT COMMUN CONTRE LA LIBÉRALISATION DES DROITS DE PLANTATION 19

1. Une forte mobilisation européenne 19

2. Le maintien d’une régulation communautaire de l’offre viticole 21

CONCLUSION 22

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

ANNEXES 29

ANNEXE 1 : PROPOSITION DE RESOLUTION 31

ANNEXE 2 : LETTRE COMMUNE DU 14 AVRIL 2011 DES MINISTRES DE L’AGRICULTURE D’ALLEMAGNE, FRANCE, ITALIE, CHYPRE, LUXEMBOURG, HONGRIE, AUTRICHE, PORTUGAL ET ROUMANIE A M. DACIAN CIOLOŞ, COMMISSAIRE EUROPEEN EN CHARGE DE L’AGRICULTURE ET DU DEVELOPPEMENT RURAL 33

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Produit hautement symbolique, à fort contenu de qualité et d’image portée par la spécificité géographique, le vin tient une place à part dans l’Union européenne. La réglementation européenne le considère comme un produit agricole et non comme un produit transformé(2).

L’élaboration d’un outil pour adapter la vigne- plante pérenne de cycle long- au temps de la demande a été précocement imaginée en France. En 1935, les premières appellations d’origine contrôlée ont été créées ; elles définissaient des aires d’appellation, des cépages et des modes de production. L’objectif de cette première régulation était clair : améliorer la qualité des vins et diminuer la part faite aux « vins de peine ».

La réglementation initiale des droits de plantation au sens strict est française. Un décret de 1953(3) organisait une discipline des encépagements fondée, d’une part, sur une latitude de replantations faisant suite à un arrachage et, d’autre part, sur un contrôle sur les plantations nouvelles. La Communauté européenne a repris à son compte ce régime des droits de plantation. La première organisation commune de marché (OCM) du vin reconnaît, en 1970, les spécificités du secteur et pose, en 1976, le principe de l’encadrement du potentiel de production pour faire face aux excédents structurels que connaît la filière.

A la fin des années quatre-vingt-dix, le vent de libéralisation qui conduit la Politique agricole commune sur la voie de la dérégulation et du démantèlement des outils de gestion – les quotas laitiers seront supprimés en 2015-n’épargne pas le secteur viticole. Depuis un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 13 décembre 1979 (Affaire Liselotte Hauer contre Land Rheinland Plalz), on sait que le dispositif des droits de plantation ne pouvait être que provisoire. Mais il a toujours été prorogé. En 2008, l’Union européenne décide d’une nouvelle réforme de l’OCM annonçant la disparition du régime des droits de plantation au 31 décembre 2015, ou au plus tard au 31 décembre 2018 pour les Etats qui le souhaitaient. Au 1er décembre 2019, la liberté de planter sera totale, la commission européenne justifiant cette mesure par la nécessité d’accroître la productivité des producteurs de vin européens et de reconquérir des parts de marché.

La Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale avait, dès 2007, souligné les dangers d’une telle libéralisation dans ses rapports sur la réforme de l’OCM vitivinicole(4) . La proposition de résolution présentée par votre corapporteur, M. Philippe Armand Martin, indiquait clairement qu’ « un encadrement des droits de plantation doit être maintenu ». Il avait réitéré ses mises en garde dans le rapport sur la politique de qualité des produits agricoles(5).

La disparition de tout encadrement du potentiel de production viticole aura des conséquences en chaîne : crises de surproduction, délocalisation du vignoble, concentration du secteur, baisse des cours, remise en cause des efforts qualitatifs, perte et détournement de notoriété, dévalorisation du patrimoine…

Au fur et à mesure que l’échéance se rapproche, - 2016 ou 2018, c’est demain ! - des voix de plus en plus fortes et nombreuses – tant en France que dans les autres pays producteurs - dénoncent le caractère dangereux et incohérent de l’autorisation qui serait donnée, à n’importe, qui d’implanter de la vigne n’importe où !

L’argument principal avancé par la Commission - l’Europe est la seule zone de production qui gère le volume de son potentiel de production- confirme que le modèle qu’elle veut promouvoir est celui du « nouveau monde » dont les crises, notamment en Australie, ont montré les limites et sur lequel certains pays commencent à revenir.

Fin 2012, la Commission européenne établira un premier bilan de la réforme de la dernière OCM. Il sera alors trop tard pour que la Commission revienne sur sa décision. En effet, les arbitrages sur la politique agricole commune (PAC) post-2013 auront été faits. Les négociations actuelles sur la PAC constituent donc la seule fenêtre de tir pour réaffirmer la nécessité d’une régulation, de façon générale pour l’agriculture et , plus spécifiquement, dans le secteur viticole. A ce jour, la Commission européenne a clairement affiché son objectif de ne pas inclure la réglementation vitivinicole dans le champ de négociation de la PAC. Dans la mesure où la viticulture s’inscrit pleinement dans les objectifs fixés dans sa communication de novembre 2010(6) – production viable, gestion durable des ressources naturelles et développement territorial équilibré – il serait totalement justifié d’inclure le secteur viticole dans ces négociations.

Ces analyses forment un très large consensus au sein de notre assemblée et ont motivé notre proposition de résolution commune.

I. LA SUPPRESSION DES DROITS DE PLANTATION : DE MAUVAISES RAISONS POUR METTRE FIN A UN SYSTEME DE RÉGULATION EFFICIENT

La production vitivinicole européenne porte la marque de fortes spécificités : plante pérenne de cycle long, produit à fort contenu symbolique et d’image, produit stockable et qui a été très précocement marchand, produit se définissant tant par son état final que par son processus d’élaboration(7), produit non indispensable à la nutrition, produit fortement lié au territoire.

L’OCM vitivinicole prend en compte ces particularités en alliant des mesures d’intervention sur le potentiel agricole (mesures d’arrachage, droits de plantation), des mesures de régulation des marchés (stockage, enrichissement, distillations, écoulement des alcools viticoles, restitutions à l’exportation) et des mesures d’investissement et de promotion.

A. Les droits de plantation assurent la cohérence de l’organisation commune de marché vitivinicole

Les droits de plantation constituent l’élément structurant de cet ensemble. Dans un secteur caractérisé par une forte dépendance aux aléas naturels et à la volatilité des marchés, ils ont organisé une nécessaire maîtrise de l’offre. L’instauration des droits de plantation répond en outre, dès l’origine, à une volonté d’amélioration de la qualité des vins. En effet, historiquement, le décret du 30 septembre 1953, qui a très largement inspiré le régime communautaire des droits de plantation, instaurait une discipline d’encépagement afin de diminuer le potentiel viticole et d’améliorer la qualité de la production.

Le modèle européen pour la viticulture est fondé sur un équilibre associant un encadrement qualitatif par les différents cahiers des charges à un encadrement quantitatif des volumes.

1. L’encadrement du potentiel de production a été décidé dès 1976

L’interdiction de plantations nouvelles et la limitation des droits à replantation dans le secteur du vin est une des plus anciennes mesures visant à assurer l’équilibre des marchés. Elle date de 1976 et a été introduite pour faire face à des excédents structurels. Cette mesure a d’abord été considérée comme une mesure temporaire mais leur application a été prorogée de manière continue. Le fondement juridique de cette interdiction a été contesté à plusieurs reprises, notamment dans l’affaire 44 /79 (Hauer contre Land Rhénanie-Palatinat) au motif qu’elle allait à l’encontre du droit de propriété. La Commission européenne avait à l’époque fait valoir qu’il s’agissait d’une restriction limitée dans le temps et justifiée par la situation de crise du marché du vin et la Cour lui avait donné raison au motif de ce caractère transitoire. Le dispositif fut prorogé constamment.

Lors de la réforme de 1999, le règlement (CE) no 1493/1999 du 17 mai 1999 pose le principe de leur disparition en 2010, sous réserve de certaines exceptions. L’OCM de 2008 se prononce clairement pour l’abandon de tout contrôle sur la plantation de vigne à la fin 2015, sauf pour certains Etats qui pourront le prolonger jusqu’à fin 20188.

2. Les droits de plantation ont permis l’amélioration de la qualité du vignoble en évitant sa fossilisation

Au sein de l’Union européenne, les territoires viticoles sont classés, soit en régions qualifiées pour la viticulture et définies pour leur antériorité et leur aptitude à produire des vins de qualité, soit en régions de reconversion caractérisées par la possibilité de substituer aux vignobles des cultures économiquement plus rentables. Pour chaque région, il est établi une liste des cépages recommandés, autorisés ou autorisés temporairement ainsi que les proportions de chaque cépage, le rendement maximum à l’hectare et les pratiques de culture compatibles avec le maintien de la qualité.

Dans le cadre des territoires ainsi délimités, il n’est possible de planter une vigne à raisin de cuve(9) (c’est-à-dire apte à produire du vin) qu’à condition de disposer d’un droit de plantation de vigne. Pour ce faire, les viticulteurs peuvent disposer de deux types de droits de plantation :

- les droits de replantation octroyés à la suite d’un arrachage de vigne;

- les droits ne provenant pas de l’arrachage d’une superficie équivalente de vigne, c'est-à-dire des droits de plantation nouvelle et les droits prélevés sur une réserve(10).

Il est possible de créer, dans chaque Etat membre, des réserves nationales qui reçoivent notamment les droits de plantation périmés(11). Les plantations de nouvelles vignes répondent soit à la nécessité du renouvellement du vignoble, soit au besoin de restructuration ou de reconversion, de la volonté d’agrandissement des exploitations ou à des motifs exceptionnels (remembrement, expropriation). Le renouvellement de vignoble est aussi le fait d’arrachage de parcelles de vigne qui génère un droit de replantation utilisé pour la plantation d’une superficie équivalente.

Les transferts de droits de replantation provenant de l’arrachage d’une superficie peuvent également être autorisés d’une exploitation à une autre mais seulement si ce transfert a pour effet d’assurer l’implantation de la vigne sur des terrains propres à l’obtention de produits de qualité et à l’amélioration de la structure des exploitations agricoles. Les droits de replantation peuvent aussi être transférés dans tout ou partie d’une aire délimitée d’appellation d’origine, dans la limite de contingents par appellation, en tenant compte des besoins du marché.

On voit, à la lecture de ces différentes dispositions, que le vignoble n’est pas statique : le système des droits de plantation est un outil flexible qui rend possible son évolution. Il ne s’agit pas simplement de limiter la production mais d’exploiter au mieux le potentiel de production de vin. En pratique, il y a eu une grande flexibilité puisqu’en 1996, le Conseil a autorisé la plantation de 10 000 hectares supplémentaires. Les Etats membres ont également utilisé leurs possibilités de réserve nationale, la France ayant par exemple autorisé une augmentation de 9 800 hectares en 1998.

3. Un bilan économique, social et environnemental positif

Le système a certes connu des imperfections comme l’illustrent les plantations illicites dont seulement 43,7 % avaient été régularisées fin 2007, date butoir fixée aux Etats pour leur mise en conformité avec la réglementation communautaire. Cependant, dans son rapport sur la gestion des droits de plantation au cours de la période 2000-2006(12), la Commission européenne notait que les Etats membres lui avaient transmis des communications plus rigoureuses sur la gestion de leurs droits de plantation et les informations communiquées présentaient une plus grande cohérence avec les bases de données.

En tout état de cause, les droits de plantation ont, sans que le budget communautaire n’ait eu à dépenser un euro, exercé une régulation en aval qui a évité les retournements de conjoncture, comme en ont connu certains pays producteurs dont l’Australie qui a affronté en 2010 la crise la plus grave depuis 50 ans. Les droits de plantation conditionnent l’octroi de nouveaux droits à des débouchés commerciaux dans un secteur où la demande est peu élastique.

Les droits de plantation ont par ailleurs permis, comme le souligne Mme Catherine Vautrin dans son rapport sur les droits de plantation(13), le développement d’un secteur devenu hautement concurrentiel. Elle note que « la politique de régulation actuelle du potentiel a permis aux vignobles européens de réussir leur mutation et leur adaptation à la demande des consommateurs dans des conditions économiques, sociales et environnementales dans des conditions plus que satisfaisantes. L’Union européenne, en dépit de l’irruption des producteurs des vins dits du Nouveau Monde, reste un acteur majeur sur le marché mondial des vins ». La balance commerciale du secteur est très positive et le vin est sans doute un des rares produits à afficher une telle balance en 2010. Importations en baisse et exportations en hausse en valeur comme en volume, sur la campagne 2009-2010, la balance commerciale du vin affiche un excédent de 3,64 millions d’euros.

B.  Les arguments pour la suppression des droits de plantation ne résistent pas à l’analyse

La réflexion de la Commission européenne est sous-tendue par l’idée que les droits de plantation relèvent d’une politique malthusienne qui reviendrait à constamment réduire les surfaces et à ouvrir en conséquence en grand la porte aux vins du Nouveau Monde. Une analyse objective des différents paramètres montre qu’il n’en est rien. L’abandon du contrôle des plantations est plutôt au cœur d’une politique de libéralisation du secteur.

1. La suppression des droits de plantation équivaut à une liberté totale de planter

Il s’agit d’une rupture brutale : on passe d’un système régulé à un système totalement libéralisé. Les arguments de la Commission européenne sont connus : accroître la compétitivité des producteurs européens afin de reconquérir les parts de marché perdues ; doter le secteur vitivinicole de règles plus simples, plus claires et plus efficaces. Simplification signifie, sous la plume de la Commission, « écouter les signaux du marché ». Deux autres arguments avancés sont pour le moins surprenants : le renforcement de la réputation des vins européens et la préservation des meilleures traditions de la production vitivinicole européenne et le renforcement de son rôle social et environnemental dans les zones rurales.

Certains ont dénoncé le paradoxe entre les mesures d’arrachage préconisées par la Commission et la libéralisation : d’un côté, on élimine des capacités de production, de l’autre, on ouvre en grand les vannes des capacités de production. En fait, le paradoxe n’est qu’apparent si on tient compte de la vocation essentiellement sociale que revêt aujourd’hui l’arrachage. Le paradoxe est ailleurs : la Commission veut adopter le modèle de plantation des pays producteurs du Nouveau Monde alors que les crises qu’ont connues les viticultures en Australie et en Nouvelle-Zélande ont montré les limites du système. Comme le souligne Mme Catherine Vautrin, « Beaucoup de producteurs de ces pays prennent un virage en direction d’une identification de l’origine de leurs vins, créatrice de valeur ».

2. Le raisonnement de la Commission européenne est peu convaincant

Les arguments de la Commission européenne peuvent être démontés un à un.

- les surfaces disponibles montrent que la marge de manœuvre est suffisante pour permettre au système de fonctionner sans brider la capacité des vignobles. Dans son rapport précité sur la gestion des droits de plantation, la Commission européenne notait qu’ « en partant de l’hypothèse d’un rendement communautaire moyen de 53 litres à l’hectare(14), les droits correspondent à une production potentielle d’environ 15 millions d’hectolitres ».

Droits nouveaux en ha, % d’utilisation,

répartition entre VQPRD (AOC) et Vin de Table à Indication Géographique

(vins de pays)

 

Total

% d’utilisation

VQPRD

VDT à IG

Allemagne

471 ha

31 %

71 ha

0 ha

Grèce

1 098 ha

100 %

362 ha

736 ha

Espagne

17 107 ha

99 %

16 126 ha

981 ha

Italie

3 688 ha

29 %

3 423 ha

265 ha

Portugal

3 401 ha

81 %

2 456 ha

585 ha

Tableau des surfaces disponibles en indications géographiques en France

(en hectares)

 

Aire géographique globale

Surface plantée (2008)

Surface libre

Alsace

20 000

15 500

4 500

Beaujolais

38 000

20 000

18 000

Bordeaux

222 000

120 200

101 800

Cognac

699 000

73 000

626 000

Bourgogne

59 000

28 000

31 000

Champagne

34 000

33 500

500

Jura

11 000

1 800

9 200

Savoie

4 300

2 100

2 200

Languedoc-Roussillon

342 000

60 000

282 000

Côtes du Rhône

120 000

61 000

59 000

Centre

8 900

5 200

3 700

Val de Loire

112 000

44 500

67 500

TOTAL

1 670 200

464 800

1 090 800

- la maîtrise du potentiel de production n’a pas eu d’impact négatif sur les prix pour les consommateurs. Par exemple, pour les vins de Côtes-de-Provence, le prix a augmenté de 27 % en euros constants entre 1983 et 2007 et au cours des trente dernières années, les bouteilles de champagne ont augmenté de 0,30 % par an en euros constants ;

- la gestion des volumes n’a pas eu d’effet restrictif sur la concurrence entre producteurs et a permis le maintien d’un tissu de production diversifiée. On constate, en examinant l’offre globale d’une appellation d’origine, que l’éventail des prix est très large ;

- les investissements extérieurs ont pu se faire et la libre concurrence a pu s’exercer. Comme le souligne Mme Catherine Vautrin, « le système actuel a sans doute bloqué ou retardé certains gros projets de création ex nihilo, mais n’a pas empêché les investisseurs (français ou étrangers) d’acheter un domaine puis à restructurer le vignoble. Ces investisseurs se comptent par centaine en France, mais aussi dans d’autres pays producteurs de l’Europe » ;

- s’il existe indéniablement un problème de compétitivité des vins européens par rapport aux vins du Nouveau Monde, il n’est pas lié aux droits de plantation mais tient plutôt à la tension existant entre le modèle européen du vin et les exigences du modèle international(15). En la matière, l’Europe doit jouer la carte de son antériorité tout en innovant pour répondre aux attentes des consommateurs dont la demande est principalement axée sur la marque et le cépage. Mais en tout état de cause, cela ne pourra se faire sans mettre en avant la qualité de nos produits.

II. LE MAINTIEN DES DROITS DE PLANTATION : UN ENJEU VITAL POUR LA VITICULTURE EUROPEENNE

Avant de se prononcer sur la dernière réforme de l’OCM vitivinicole, plusieurs pays dont la France(16) avaient demandé que soit réalisée préalablement une étude d’impact. Il est regrettable qu’une décision susceptible d’avoir de telles conséquences ait été prise sans qu’une telle évaluation ait été réalisée.

A. Des risques majeurs de déséquilibre

Une libéralisation des droits de plantation entraînerait une déstabilisation globale de la viticulture européenne. En France, plus d’un million d’hectares deviendraient du jour au lendemain libre à la plantation(17), pour les appellations d’origine.

1. Déséquilibre des marchés et de la filière

La conséquence immédiate de la liberté de planter sera une forte augmentation de la production due à l’extension de la zone viticole hors des bassins traditionnels, avec par voie de conséquence, un déséquilibre entre l’offre et la demande. Comme tous les produits agricoles, et plus encore, la demande de vin est peu élastique, « Les équilibres sont si fragiles que même 5 % ou 10 % de vins en plus en Europe, tous Etats membres confondus, suffirait à déstabiliser le marché »a pronostiqué M. Christian Paly, membre du conseil d’administration de la CNAOC (Confédération nationale des producteurs de vins à appellations d’origine controlées) et vice président d’EFOW (European Federation of Origins Wines)(18).

Tous les types de vins seront affectés. Les vins AOC et IGP seraient concernés en toute première ligne dans la mesure où pourraient être revendiqués en AOP et IGP tous les vins qui respecteront le cahier des charges. On assistera à des détournements de notoriété car il sera possible d’implanter un vignoble à l’intérieur d’une zone d’appellation ou en limite proche. On voit donc clairement que le cahier des charges n’a pas la même approche que les droits de plantation et n’est pas un outil de régulation comme le sont les droits de plantation.

S’agissant des vins sans indication géographique, la situation est également préoccupante, car leur production pourrait augmenter dans les zones mixtes, à proximité des zones d’appellation mais aussi dans les zones où il n’existe actuellement aucun vignoble. Certains départements non viticoles ou des pays d’Europe, notamment parmi les nouveaux Etats membres, ont déjà manifesté leur intention de créer des vignobles, avec les problèmes de compétitivité que cela pourrait créer.

Le nombre de viticulteurs serait sans doute amené à s’accroître, le secteur viticole étant attractif pour certains investisseurs. La superficie des exploitations augmentera corrélativement.

On ne pourra pas construire de la qualité et créer de la valeur ajoutée dans le contexte d’un secteur en crise. La Commission devrait être sensible à cet argument.

2. Déséquilibre collectif

Dans le sillage de ce déséquilibre des marchés et de la filière, la libéralisation des droits de plantation risque d’entraîner un bouleversement de la structuration du vignoble et de l’équilibre des territoires de production, par un glissement des vignobles de coteaux les plus difficiles à cultiver, au profit de zones de plaines, plus faciles d’accès et proches de la ressource en eau, sur lesquelles pourrait se développer une viticulture plus industrielle, éloignée du modèle culturel vinicole européen.

Outre les conséquences évidentes sur la nature des vins produits – les vins typés laisseraient la place à des vins standardisés - cette monoculture intensive aurait des dommages collatéraux majeurs sur l’aménagement du territoire, l’apport paysager et touristique et le maintien de la diversité de la faune et de la flore.

La concentration de l’offre et la disparition inévitable de petites exploitations familiales qui n’auront pas les moyens de faire face à de tels changements auraient un impact social sur l’emploi. M. Roland Courteau, sénateur, a ainsi résumé l’enjeu : « La libéralisation des droits de plantation vaut diversification dans les zones arides »(19). En Argentine, pays qui disposait d’un système d’encadrement de droits de plantation, leur suppression a entraîné le transfert de la propriété du vignoble des producteurs vers l’industrie. Le changement de structure du vignoble aurait des conséquences en cas de crise car les petites exploitations indépendantes ont une plus grande capacité de résilience. Elles font le dos rond en attendant la fin de la tempête alors que les grands groupes soumis à des impératifs de rentabilité plus immédiate hésitent moins à licencier leur personnel. Enfin, au niveau individuel, les droits détenus perdront toute valeur patrimoniale (ce qui pèsera sur les entreprises qui ont acheté les droits de plantation et qui les amortissent) et le prix du foncier et des fermages pourrait se trouver fortement affaibli par l’évolution du marché (ce qui entraînerait la réduction des revenus des retraités).

B. Un front commun contre la libéralisation des droits de plantation

1. Une forte mobilisation européenne

Il est indéniable que lors de la dernière réforme de l’OCM vitivinicole, les pays qui se sont explicitement opposés à la suppression des droits de plantation étaient minoritaires, comme le montre le tableau récapitulatif des différentes positions des Etats membres.

Pays opposés
à la suppression des droits de plantations

Pays favorables à la libération des droits de plantation

Pays souhaitant un rapport d’impact préalable

Allemagne

Italie

Chypre

Autriche

Luxembourg

Hongrie

Pour une libéralisation rapide dès 2010 :

Bulgarie

Royaume-Uni

Pour une libéralisation à partir de 2014 :

Espagne

Pays-Bas

Malte

Estonie

Suède

Finlande

Belgique (mais nécessaire d’abolir le système à terme)

République tchèque

Allemagne

Grèce

France

Luxembourg

Hongrie

Roumanie

Source : Rapport réalisé par le comité spécial agriculture au Conseil de l’Union européenne des 1er, 8 et 15 octobre 2007.

Les deux rapports de la Commission des affaires européennes précités sur la réforme s’étaient quant à eux prononcés contre la libéralisation des droits de plantation(20). Lors des déplacements dans le cadre du rapport sur la politique de qualité des produits agricoles, votre co-rapporteur s’était rendu en Espagne et en Hongrie où il avait pu constater un mouvement en faveur de leur maintien. Pour le Sénat, « l’abandon programmé des droits de plantation est une erreur »(21).

Le rapport de Mme Catherine Vautrin préconisait le maintien d’une interdiction des plantations et faisait la synthèse des positions unanimes pour le maintien de droits de plantation des professionnels de toutes les régions françaises, allemandes et espagnoles, de l’INAO (Institut de l’origine et de la qualité), de l’APCA (Assemblée permanente des chambres d’agriculture), de la CFVDP (confédération française des vins de pays) et de l’AGEV (Association générale des entreprises vinicoles).

Les syndicats agricoles se sont pour leur part mobilisés sur la même ligne, notamment la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), les Jeunes agriculteurs, la confédération paysanne et au niveau européen, le COPA-COGECA(22).

Le gouvernement allemand a été le premier à se déclarer fermement et clairement en faveur des droits de plantation. Ainsi, Mme Angela Merkel a indiqué que « nous soutenons clairement le maintien des droits de plantation », à l’occasion de l’ouverture du soixantième congrès de la viticulture à Stuttgart le 24 mars 2010.

Un colloque a réuni au Sénat le 4 avril 2011 des parlementaires français, espagnols, italiens et hongrois qui ont tous demandé le maintien de ce système de régulation.

Dans une lettre commune du 14 avril 2011 (annexe), les ministres de l’agriculture de neuf pays de l’Union européenne (Allemagne, France, Italie, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Portugal et Roumanie) ont exprimé à la Commission européenne leurs vives inquiétudes pour la filière viticole en raison de la suppression du régime des droits de plantation. Y voyant plus d’inconvénient que de bénéfices, ces pays producteurs représentant prés de 90 % de la production viticole européenne, lui demandent de réviser les mesures applicables au vin lors des prochaines échéances communautaires et, en tout état de cause, avant l’entrée en vigueur de la suppression des droits de plantation. Le 12 mai, l’Espagne a annoncé qu’elle se ralliait à cette position commune.

2. Le maintien d’une régulation communautaire de l’offre viticole

Pour autant, la partie est loin d’être gagnée. En effet, pour revenir sur la libéralisation des droits de plantation décidée lors de la dernière réforme de l’OCM vitivinicole entrée en vigueur en 2008, une proposition de la Commission est nécessaire et devrait être adoptée à une majorité qualifiée qui n’est pas acquise(23).

Sur le plan de la stratégie réglementaire, il faudrait inclure la viticulture dans les débats sur la réforme de la PAC, sur le point spécifique de la régulation des marchés, un des thèmes portés par la France. Lors de son audition, commune à la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes, le 25 mai, le commissaire chargé de l’agriculture et du développement rural, M. Dacian Cioloş, même s’il estime que « la réforme globale de la PAC ne doit pas être l’occasion de rouvrir des dossiers sectoriels », a indiqué qu’il était prêt à examiner la question des droits de plantation, «  si des éléments nouveaux justifient une nouvelle analyse ».

La priorité absolue est de maintenir le régime des droits de plantation :

- dans tous les Etats membres de l’Union européenne afin d’éviter à la fois les risques de déséquilibre et les distorsions de concurrence ;

pour tous les vignobles. En effet, ne réguler que les seuls vins sous signe de qualité- AOP ou IGP- ne serait qu’une solution partielle et à terme, intenable du fait des détournements de notoriété évoquées supra. La ligne de partage entre vins de table et vins à appellation serait en effet difficilement tenable dans la mesure où dans le secteur des appellations, l’écart est parfois important entre les superficies délimitées et les superficies plantées. La profession n’a pas les moyens de protéger les appellations car les cahiers des charges sont des instruments qualitatifs. En effet, ils portent sur les rendements et les aires délimitées ne peuvent pas être utilisés à des fins de régulation de l’offre. Le danger est d’autant plus grand qu’il existe de nombreuses exploitations mixtes, régulées pour une partie de leur production dans le cadre d’une appellation et qui pour l’autre partie, produisent des vins de table. Les plantations de vins de table à proximité immédiate des aires délimitées pourraient perturber l’économie de ces appellations à travers la commercialisation des produits au profil proche et quelquefois sous la même marque.

Sur cette base, il serait sans doute nécessaire de s’orienter vers l’octroi de nouveaux droits conditionnés à l’existence de débouchés réels et vérifiables. Dans ce contexte, les syndicats viticoles pourraient être amenés à jouer un rôle dans le pilotage de ces créations. De la même façon, une certaine flexibilité pourrait être envisagée concernant les transferts de droits entre les différentes régions.

CONCLUSION

Il faut regarder les choses en face. La rupture brutale qu’impliquerait la disparition des droits de plantation aurait des conséquences irréversibles sur la viticulture européenne. La qualité et l’excellence des vins, construite au fil des générations et qui fait aujourd’hui la renommée de nombreuses régions européennes, en pâtirait lourdement. Les crises que connaissent les pays du « Nouveau Monde » démontrent s’il en était besoin, les dangers d’une libéralisation à tout crin. Il y a trop d’enjeux- économiques, sociaux, humains, environnementaux- pour en prendre le risque. L’Europe viticole a besoin de cette lisibilité et de cette stabilité pour asseoir sa compétitivité. Rien de solide ne pourra se construire dans un secteur en crise.

Plus encore, la suppression programmée des droits de plantation pose le problème plus général de la nécessaire régulation en matière agricole, qui sera un des grands enjeux des négociations sur la PAC post-2013.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mardi 31 mai 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« M. Robert Lecou. Beaucoup de territoires européens, beaucoup de paysages français, de nombreux terroirs languedociens sont façonnés dans leur qualité par la culture de la vigne. Les vignerons, les viticulteurs depuis des siècles cultivent la vigne et produisent des vins qui agrémentent nos tables et qui participent à notre art de vivre. Comme nous devons défendre l’agriculture nourricière, nous devons être attentifs au maintien de cette viticulture européenne. Le vin est aussi pour la France une ressource majeure pour nos exportations. Six milliards d’euros d’excédent commercial pour la seule viticulture française, soit l’équivalent de 130 Airbus à l’exportation.

Ce constat, mes chers collègues, justifie donc la proposition de résolution européenne qui nous est présentée aujourd’hui afin d’empêcher le détricotage de notre viticulture.

Nous devons exprimer notre opposition totale à la libéralisation des droits de plantation en France et en Europe. Le maintien du dispositif de droits de plantation est indispensable pour favoriser une politique de qualité, de promotion des terroirs et des territoires, pour une politique de régulation indispensable à la gestion du potentiel de production, en phase avec le marché. Comme nous avons besoin d’une régulation des marchés agricoles qui ne sont pas des produits comme les autres, nous avons besoin de règles et d’ordre sur les marchés, nous avons donc besoin d’une régulation des marchés de la viticulture.

La libéralisation totale des droits de plantation entraînerait inéluctablement des délocalisations de vignobles et auraient des répercussions dramatiques sur l’activité vitivinicoles de certains territoires.

Après que dix Etats membres, à l’initiative de la France et de l’Allemagne, se sont prononcés pour le maintien des droits de plantation, il faut nécessairement passer des manifestations d’intention à des actes juridiques concrets.

M. Jean Gaubert. Je suis élu d’une région qui n’est pas productrice mais consommatrice. Je voudrais rappeler qu’en terme de processus décisionnel, la décision a été prise par un Conseil des ministres et il appartient donc au Conseil des ministres de revenir sur cette décision. Le commissaire chargé de l’agriculture ne peut que rédiger un rapport en ce sens mais la décision ne lui appartient pas.

J’adhère totalement à l’idée selon laquelle le terroir et l’organisation de nos terroirs est une question culturelle. Une large partie de ce qui fait notre différence est liée à cette relation particulière au vin et à son environnement. Le danger de la libéralisation est, non seulement l’extension des vignobles, mais le déplacement du vignoble vers des régions où la main d’œuvre est moins chère et où il est plus facile de remembrer. Ainsi, certaines grandes entreprises ont déjà entrepris la restructuration du vignoble en Bulgarie.

L’idée de demander une forme de subsidiarité me paraît être mauvaise car nous serions inondés de vins à bas prix d’autres pays.

On dit parfois, à tort, que le lobby viticole à l’Assemblée nationale ne se préoccupe pas suffisamment de santé publique. En réalité, ce déferlement de vins bon marché, qui ne sont pas forcément mauvais, mais qui ne correspondent pas à nos goûts, n’aurait pas été dans le sens de la limitation de la consommation. Le maintien de la réglementation sur les droits de plantation contribuerait donc à lutter contre la consommation excessive.

J’apporte par conséquent mon soutien total à cette proposition de résolution.

M. Gérard Voisin. Je voudrais rappeler que certains viticulteurs et exportateurs ont investi leurs capitaux dans les zones comme la Napa Valley et que cela peut se reproduire. D’autre part, dans certains vignobles, comme en Bourgogne, les vignobles sont petits et certains exploitants auraient besoin de s’agrandir, non pour faire du dumping, mais tout simplement pour ajuster leur offre à la demande et afin que leur exploitation soit viable. Beaucoup de ces viticulteurs de renom et de talent souhaiteraient obtenir des droits de plantation supplémentaires. Si je souscris à votre résolution, il me semble important de revoir, au niveau national, les droits nouveaux, au risque, sinon, de voir certaines exploitations disparaître.

Mme Marie-Line Reynaud. Je rappelle, ainsi que l’a dit Jean Gaubert, que la décision appartient bien au Conseil des ministres. Par ailleurs, la demande pour intégrer la viticulture dans les négociations sur la PAC après 2013 est très forte de la part de la profession. Dans la région de Cognac, des droits de plantation ont été accordés de façon importante et cela a entraîné la constitution de vignobles énormes. Depuis quelques années, grâce à un travail de concertation entre les viticulteurs et les négociants, qui ont pris la mesure de l’intérêt de collaborer, on est parvenu à un équilibre des ventes, des marchés et de la production. Or si on libéralise, cela sera « chacun pour soi », avec les dangers que cela représente dans une région où le négoce contrôle 97 % de la production. Les multinationales se frotteront les mains.

Mme Pascale Gruny. Je ne suis pas issue d’une région viticole mais j’apporte mon soutien total à cette proposition de résolution qui est essentielle, à la fois économiquement et en termes d’image. Il est important de souligner le souci de santé publique noté par Jean Gaubert à l’égard de vins qui n’ont pas la même traçabilité que les vins européens. Il existe au sein du Parlement européen un consensus autour de ce sujet, comme en témoigne la création d’un intergroupe vin, qui est l’équivalent de nos groupes de travail à l’Assemblée.

M. Michel Piron. Je voudrais également remercier les rapporteurs et leur apporter mon soutien. J’aurais six observations en forme d’interrogations.

Avec la disparition des droits de plantation, c’est le principe même des appellations d’origine contrôlée (AOC) qui est mis en cause. Les mots « appellation », « origine » et « contrôlée » sont lourds de sens et traduisent le lien entre le terroir, le vignoble et le vigneron. On peut imaginer qu’un vent de dérégulation toujours plus débridée souffle, mais je n’imagine pas que l’on puisse en arriver là !

La question de la qualité des vins n’est pas seulement une question de bons sentiments mais rejoint la définition même qu’en donnent les qualiticiens dans les processus de certification très élaborés type ISO. La qualité que garantit l’AOC est celle de la reconnaissance de la typicité.

Veut on promouvoir à tout prix une politique industrielle produisant des vins standards ? Et pour répondre à quelle demande ? La suppression des droits de plantation poserait un postulat en faveur des marchands – je ne suis pas contre les marchands car à chacun son métier – mais ne respecterait plus l’acte de production. Cela nous conduirait vers une consommation de masse, ce qui est un choix antithétique des aspirations qualitatives que j’évoquais. C’est en fait une lutte des cépages contre les AOC. On sait bien qu’un même cépage, planté dans le Médoc ou dans la Rioja, ne donnera pas le même vin car ce n’est ni le même terroir, ni le même climat.

Ceci étant posé, quels sont nos alliés en Europe ? Il serait bon que nous nous interrogions aussi pour savoir quels pourraient être nos alliés dans le monde. Les pays émergents comme l’Australie ou l’Afrique du Sud ont joué la carte des cépages. Ne pourrait on pas exporter dans des pays comme la Chine, ce concept d’AOC. Il s’agit de mener une bataille conceptuelle et juridique.

Enfin, comment rendre lisible l’extrême complexité de notre système d’appellations pour l’exportation : ce n’est pas parce qu’il est compliqué qu’il faut préférer la standardisation.

Mme Pascale Got. Je regrette que l’Europe n’ait vu dans le système des droits de plantation qu’un système protectionniste et une atteinte à la libre concurrence. Or, les droits de plantation sont un outil afin de maîtriser les volumes pour promouvoir la qualité. S’ils disparaissaient, l’uniformisation se ferait par le bas et cela priverait ainsi les vins européens de leur atout majeur, la qualité. La principale difficulté à laquelle se heurtent aujourd’hui les vins français est celle de leur commercialisation. L’abandon des droits de plantation conduirait à une surproduction européenne qui, alliée à la faiblesse des structures de commercialisation, viendrait à contretemps et conduirait à la faillite de petites entreprises qui ont fait un effort pour améliorer la commercialisation de leurs produits. Cette décision n’est pas non plus cohérente avec les arrachages massifs auxquels on a procédés.

Je voudrais revenir sur la question de la minorité de blocage, car celle-ci ne se pose qu’en amont des décisions et non pour inverser un processus déjà décidé. Il faudrait donc voir comment on peut infléchir la décision en étant majoritaire.

Le Président Pierre Lequiller. Je constate que cette proposition de résolution bénéficie d’un soutien unanime de notre Commission.

Mme Catherine Quéré, co-rapporteure. Je remercie les intervenants de leurs interventions pertinentes et de leur soutien à cette proposition de résolution. En effet, la réglementation actuelle est basée sur les AOC. Je ne m’explique pas qu’à partir de 1999, le régime des droits de plantation soit apparu comme provisoire dans l’OCM vin.

Je voudrais souligner l’apport non négligeable de la viticulture européenne à la balance commerciale qui représente en effet 135 Airbus et le Cognac y participe pour 35 !

Je suis d’accord avec M. Piron sur la standardisation des vins du Nouveau monde.

L’abandon des droits de plantation serait catastrophique non seulement si l’on plantait hors de France, mais aussi dans les zones délimitées qui ne sont pas toutes plantées. Ainsi, dans les années 70, 50 000 hectares de plantation ont été autorisés dans la région de Cognac qui se sont ajoutés aux 70 000 hectares existants. Il aura fallu quinze ans pour que la région se remette d’une telle mesure, et cela au prix de dépenses européennes pour l’arrachage de vignes et de dépenses de restructuration des régions. De nombreuses petites exploitations ont disparu.

Je pense qu’effectivement, le principe de subsidiarité, contenu dans la résolution du Sénat, est dangereux.

En réponse à Gérard Voisin, je rappelle que les droits de plantation sont gérés au niveau français par FranceAgrimer et qu’il existe des réserves.

Nous sommes attachés à ce que la viticulture soit incluse dans les négociations sur la PAC, de façon à ce que les droits de plantation soient inscrits comme une règle pérenne.

Enfin, je considère que la suppression des droits de plantation serait une atteinte au droit de propriété des vignerons et que c’est à eux et non aux interprofessions de décider des plantations.

M. Philippe Armand Martin, co-rapporteur. Le groupe de travail sur la politique agricole commune, commun à la commission des affaires européennes et à la commission des affaires économiques, demandera effectivement que la viticulture soit incluse dans les négociations sur la PAC après 2013. Un amendement demandant le maintien des droits de plantation a été adopté au Parlement européen. J’ai donc bon espoir que ce dossier évolue favorablement. La priorité est de maintenir le système. Il sera par la suite temps de décider, au niveau national, de savoir qui doit gérer les droits, des interprofessions ou des viticulteurs.

Libéraliser irait à l’encontre de la qualité car on plantera dans les régions, par exemple en plaines, qui ne produisent pas les meilleurs vins, et les appellations seront banalisées. Ne s’en sortiront que les marques connues à l’étranger et qui pourront exporter.

Je salue le travail de la CNAOC (Confédération nationale des producteurs de vins à appellation d’origine contrôlée) qui, avec les organismes d’autres pays, a créé l’EFOW (European federation of origin wines) qui est très active.

Si l’on doit conserver impérativement les droits de plantation, il est important de ne pas bloquer le système et de faire évoluer les droits de plantation en fonction de la demande. Ainsi dans mon rapport sur la dernière réforme de l’OCM vitivinicole, j’avais suggéré une augmentation maximale de 2 % par an, en fonction des débouchés.

Je voudrais terminer en disant que la suppression des droits de plantation signifierait la mort des petites exploitations. Les grands groupes profiteraient de cette libéralisation. On voit déjà de grands groupes planter en Chine. Cela ne correspond pas à l’image de la France et d’autres pays européens, comme la Hongrie par exemple où je me suis rendu et où la défense de leurs vignobles du Tokay est primordiale.

Ce qui est en jeu est la qualité et la typicité.

M. Gérard Voisin. Je m’associe totalement à cette proposition de résolution.

Le Président Pierre Lequiller. Je voudrais saluer le travail qu’ont fait les rapporteurs pour parvenir à un consensus, auquel je suis très attaché au sein de la commission des affaires européennes. Cela permet de peser, ensemble, plus efficacement au niveau européen.

M. Philippe Armand Martin. Le vin n’a pas de couleur politique. »

ANNEXES

ANNEXE 1 :
PROPOSITION DE RESOLUTION

(adoptée par la Commission des affaires européennes)

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE SUR LE REGIME
DES DROITS DE PLANTATION DE VIGNE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 85 septies et octies du règlement (CE) no 491/2009 du Conseil du 25 mai 2009 modifiant le Règlement (CE) no 1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole,

Vu l’article 184 § 8 du même règlement donnant mission à la Commission d’établir, avant la fin de 2012, un rapport sur le secteur vitivinicole en tenant compte de l’expérience acquise,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions en date du 18 novembre 2010 : « La PAC à l’horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire – relever les défis de l’avenir », COM (2010) 672 final,

Considère que les droits de plantation sont l’instrument indispensable d’une politique de qualité et de régulation de la production viticole,

Considère que l’abandon des droits de plantation énoncée par le règlement (CE) no 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008, constitue une atteinte grave aux intérêts de la viticulture française et européenne,

Craint que la libéralisation des droits de plantation n’entraîne des délocalisations des vignobles et n’ait des répercussions dramatiques sur l’activité vitivinicole de certains territoires,

Souligne que les droits de plantation sont au fondement d’un équilibre économique, social, environnemental et territorial au coeur de la future reconstruction de la politique agricole commune,

Demande en conséquence que le régime communautaire des droits de plantation soit inscrit comme une règle permanente dans la PAC 2013.

ANNEXE 2 :
LETTRE COMMUNE DU 14 AVRIL 2011 DES MINISTRES DE L’AGRICULTURE D’ALLEMAGNE, FRANCE, ITALIE, CHYPRE, LUXEMBOURG, HONGRIE, AUTRICHE, PORTUGAL ET ROUMANIE A M. DACIAN CIOLOŞ, COMMISSAIRE EUROPEEN EN CHARGE DE L’AGRICULTURE ET DU DEVELOPPEMENT RURAL

No 3467 – Rapport fait au nom de la Commission des affaires européennes sur la proposition de résolution européenne (no 3451) de Mme Catherine Quéré, M. Serge Poignant, les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés et les membres du groupe Nouveau Centre, relative au régime des droits de plantation de vigne (M. Philippe Armand Martin et de Mme Catherine Quéré) (31/05/2011)

Maintenir le régime des droits de plantation de vigne

© Assemblée nationale

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () Au même titre que l’huile d’olive et le sucre.

3 () Décret no 53-977 du 30 septembre 1953 relatif à l’organisation et l’assainissement du marché du vin et de la production viticole.

4 () Rapports d’information nos 3643 en février 2007 présenté par M. Philippe Armand Martin et no 404 en novembre 2007 déposés par la délégation de l’Assemblée nationale sur la réforme du secteur vitivinicole européen.

5 () Rapport d’information no 2653 déposé par la Commission des affaires européennes sur la politique de qualité des produits agricoles présenté par M. Philippe Armand Martin.

6 () Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. « La PAC à l’horizon 2020 : Alimentation, ressources naturelles et territoires – relever les défis de l’avenir ». COM (2010) 672 final.

7 () Ce qui a nécessité l’élaboration de normes internationales par le biais de l’Organisation internationale de la vigne et du vin.

8 () Règlement CE no 479/2008 du 29 avril 2008.

9 () C'est-à-dire apte à produire du vin.

10 () Ces différents types de droits ont une durée de validité limitée : huit ans pour les droits de replantation et deux ans pour les droits de plantation nouvelle ou droits prélevés sur une réserve.

11 () La France a opté pour une réserve nationale unique dont la gestion a été confiée à FranceAgrimer.

12 () COM (2007) 370 final.

13 () « Les droits de plantation : un outil éprouvé et moderne de gestion harmonieuse du potentiel viticole européen » (octobre 2010). Rapport à M. le ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche.

14 () Rendement moyen de l’Union européenne au cours de la période de référence.

15 () Voir le rapport de Georges–Pierre Malpel, membre du Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux : «  Adaptation de l’offre vinicole française aux marchés extérieurs ». Septembre 2009.

16 () Egalement : la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, la Grèce, le Luxembourg, la Hongrie et la Roumanie.

17 Le vignoble français passerait de 464 800 hectares à 1 671 200 hectares pour les appellations d’origine.

18 Intervention lors du colloque sur les droits de plantation et l’avenir de la réglementation européenne dans le secteur vitivinicole au Sénat. 4 avril 2011.

19 () Intervention lors du è organisé au Sénat le 4 avril 2011 : « Les droits de plantation et la place de la viticulture dans la PAC ».

20 () Rapports no 3699 et 404.

21 () Proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des affaires européennes sur le régime des droits de plantation de vigne par MM. Gérard César et Simon Sutour, le 10 février 2011.

22 () Comité des organisations professionnelles agricoles- Confédération générale de la coopération agricole.

23 () La majorité qualifiée représente 255 voix, 14 Etats membres et 62 % de la population.