N° 3532
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juin 2011.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (N° 3452), ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs,
PAR M. Sébastien HUYGHE,
Député.
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Voir les numéros :
Sénat : 438, 489, 490 et T.A. 120 (2010-2011).
LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES AU PROJET DE LOI PAR VOTRE COMMISSION 11
INTRODUCTION 13
I. LA PARTICIPATION DES CITOYENS AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE 16
A. UNE ASSOCIATION ACCRUE DES CITOYENS AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE : UNE NÉCESSITÉ DÉMOCRATIQUE 16
1. Un cadre constitutionnel et conventionnel permettant une participation accrue des citoyens au fonctionnement de la justice pénale 16
2. L’incompréhension croissante des citoyens face au fonctionnement de la justice pénale 18
3. Les citoyens sont aujourd’hui et seront demain de bons juges 18
B. UNE ASSOCIATION SOUPLE ET PRAGMATIQUE DES CITOYENS AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE 22
1. Le choix éclairé de la démarche expérimentale 23
2. Des modalités de désignation largement inspirées du fonctionnement de la cour d’assises 24
3. Un champ de compétence limité aux décisions juridictionnelles les plus importantes 26
4. Des difficultés pratiques anticipées par le projet de loi 29
a) Assurer une participation sans discontinuité des citoyens assesseurs en cas de longs débats 29
b) Faciliter l’audiencement des affaires en précisant les règles de renvoi entre les différentes formations du tribunal correctionnel 30
c) Adapter les modalités de saisine du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne en cas de comparution immédiate 30
d) Préserver la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne en cas de contraventions ou de délits connexes 31
II. L’ADAPTATION DE LA JUSTICE CRIMINELLE 32
A. LE PROJET DE LOI ALLÈGE LE FONCTIONNEMENT DE LA COUR D’ASSISES 32
1. L’allègement de la composition de la cour d’assises et du régime des sessions 32
2. L’allègement du déroulement de l’audience 34
B. LE PROJET DE LOI INSTAURE LA MOTIVATION DES DÉCISIONS CRIMINELLES 35
III. L’ADAPTATION DE LA RÉPONSE PÉNALE AUX ÉVOLUTIONS DE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS 37
A. UNE JUSTICE QUI N’EST PLUS ADAPTÉE AUX CARACTÉRISTIQUES DE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS 38
1. Les évolutions de la délinquance des mineurs 38
a) Le nombre de mineurs mis en cause dans des faits de délinquance progresse 38
b) Les infractions commises par les mineurs s’aggravent 39
2. Un diagnostic largement partagé sur les carences de la justice des mineurs 42
B. LE CADRE CONSTITUTIONNEL ET INTERNATIONAL DE LA RÉFORME DE LA JUSTICE DES MINEURS 45
C. LES OBJECTIFS DU PROJET DE LOI 48
1. Réduire les délais de jugement 48
a) Un préalable à la réduction des délais de jugement : l’amélioration de la connaissance de la personnalité du mineur 48
b) L’adaptation des modes de poursuite 50
c) L’introduction de la césure du procès pénal des mineurs 51
2. Adapter la réponse pénale à l’évolution de la délinquance des mineurs 52
a) L’adaptation des mesures pouvant être prononcées 52
b) L’augmentation de la solennité de la réponse pénale : la création du tribunal correctionnel pour mineurs 53
3. Améliorer l’implication des parents ou représentants légaux du mineur 53
4. Des adaptations aux règles spécifiques de procédure criminelle applicables aux mineurs 55
IV. UN PROJET DE LOI COMPLÉTÉ, AU SÉNAT ET À L’ASSEMBLÉE NATIONALE, PAR DES DISPOSITIONS TENDANT À L’AMÉLIORATION DE L’EXÉCUTION DES PEINES 55
A. LA POURSUITE DE L’AMÉLIORATION DE L’ENCADREMENT DE LA LIBÉRATION DES CRIMINELS DANGEREUX 56
B. L’AMÉLIORATION DU SUIVI DES CONDAMNÉS EN MILIEU OUVERT 58
V. UN PROJET DE LOI COMPLÉTÉ À L’ASSEMBLÉE NATIONALE PAR DES DISPOSITIONS SUR LA VICTIME ET LA PARTIE CIVILE 60
A. L’AIDE AUX VICTIMES 60
B. L’INFORMATION DES VICTIMES OU DES PARTIES CIVILES 60
C. LE DROIT POUR LA PARTIE CIVILE DE FORMER APPEL OU DE SE POURVOIR EN CASSATION CONTRE UNE DÉCISION D’ACQUITTEMENT 61
AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS 63
DISCUSSION GÉNÉRALE 79
EXAMEN DES ARTICLES 97
TITRE IER – DISPOSITIONS RELATIVES À LA PARTICIPATION DES CITOYENS AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE 97
Chapitre Ier – Dispositions relatives aux citoyens assesseurs 97
Article 1er A (nouveau) (art. 2-9 du code de procédure pénale) : Conditions requises pour la constitution de partie civile d’une association assistant les victimes d’actes terroristes 97
Article 1er (art. 10-1 à 10-14 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Modalités de participation des citoyens assesseurs aux juridictions pénales 98
Article 1er bis (art. 256 du code de procédure pénale) : Conditions requises pour les fonctions de citoyens assesseurs et de jurés 121
Article 1er ter (nouveau) (art. 258-2 [nouveau] du code de procédure pénale) Limitation dans le temps de l’exercice des fonctions de juré 122
Article 1er quater (nouveau) (art. 370, 380-2, 380-3 et 380-11-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Droit de la partie civile d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation en cas d’acquittement 122
Article 1er quinquies (nouveau) (art. 380-2-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Information de la partie civile n’ayant pas interjeté appel sur ses intérêts civils en matière criminelle 127
Chapitre II – Participation des citoyens au jugement des délits 128
Article 2 (art. 399-1 à 399-14 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Compétence et modalités de saisine du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne 128
Article 3 (art. 461-1 à 461-5 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Procédure applicable aux audiences devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne 150
Après l’article 3 154
Article 4 (art. 486-1 à 486-5 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Déroulement des délibérés du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne 154
Article 5 (art. 510-1 et 512-1 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Présence des citoyens assesseurs dans la chambre des appels correctionnels 157
Chapitre III – Participation des citoyens au jugement des crimes et amélioration de la procédure devant la cour d’assises 159
Section 1 : Dispositions relatives au déroulement de l’audience et à la motivation des décisions 159
Article 6 (art. 327 du code de procédure pénale) :Substitution d’un exposé des faits à la lecture de la décision de renvoi 159
Article 6 bis (nouveau) (art. 347 du code de procédure pénale) : Documents susceptibles d’être conservés par le président de la cour d’assises en vue de la délibération 162
Article 7 (art. 353 et 365-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Motivation des arrêts de cours d’assises 162
Section 2 : Dispositions relatives à la composition de la cour d’assises 174
Avant l’article 8 174
Article 8 (art. 181-1 [nouveau], 236, 237, 245, 250, 266, 296, 297, 298, 289-1, 306, 335, 359, 362, 825 et 827 du code de procédure pénale ; art. 20 et 22 de la loi n° 83-520 du 27 juin 1983) : Composition de la cour d’assises – Déroulement de l’audience en matière criminelle 174
Article 8 bis (art. 264-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Possibilité de déroger aux dispositions relatives au calendrier d’établissement de la liste annuelle des jurés 185
Chapitre IV – Participation des citoyens aux décisions en matière d’application des peines 186
Article 9 (art. 712-13-1 [nouveau], 712-16-1, 720-4-1 [nouveau] et 730-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Participation de citoyens assesseurs à certaines décisions en matière d’application des peines – Assouplissement des conditions dans lesquelles une victime ou une partie civile peut formuler des observations auprès d’une juridiction d’application des peines 186
Après l’article 9 192
Article 9 bis (art. 730-2 [nouveau], 720-5 et 729 du code de procédure pénale) Renforcement des conditions du prononcé de la libération conditionnelle pour les personnes condamnées à de longues peines 194
Après l’article 9 bis 199
Article 9 ter (art. 731-1 du code de procédure pénale) : Assouplissement des conditions de mise en œuvre d’un placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre d’une libération conditionnelle 199
Article 9 quater A (nouveau) (art. 131-36-11 du code pénal) : Assouplissement des conditions de placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire 201
Article 9 quater (art. 474, 741-1 [nouveau], 739, 763-3 et 763-7-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Amélioration de la continuité du suivi des condamnés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation 202
Après l’article 9 quater 206
Article 9 quinquies (nouveau) (art. 712-16-2 du code de procédure pénale) : Information de la victime d’une infraction sexuelle ou violente de la libération du condamné à l’échéance de sa peine 206
Article 9 sexies (nouveau) (art. 745 [nouveau] du code de procédure pénale) : Information de la victime de la date de fin d’une mesure de mise à l’épreuve lorsque celle-ci comportait une interdiction de la rencontrer 208
TITRE II – DISPOSITIONS RELATIVES AU JUGEMENT DES MINEURS 209
Chapitre Ier – Dispositions générales 209
Avant l’article 10 209
Article 10 (art. 1er de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Coordination avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs 210
Article 11 (art. 2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Possibilité de cumuler une sanction éducative avec une peine d’amende, de travail d’intérêt général ou d’emprisonnement avec sursis 211
Article 12 (art. 3, 6 et 8 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Coordinations avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs 212
Article 13 (art. 5 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Coordinations avec les modifications apportées par le projet de loi en matière de modes de poursuites des mineurs 213
Article 14 (art. 5-1 et 5-2 [nouveaux] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Principe de la réalisation d’investigations de personnalité préalablement à toute décision concernant un mineur – Création d’un dossier unique de personnalité 215
Article 14 bis (art. 6 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Information de la victime sur la date d’audience de jugement du mineur 221
Article 15 (art. 6-1 [nouveau] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Information des parents et représentants légaux du mineur poursuivi sur toutes les décisions pénales concernant le mineur 222
Chapitre II – Procédure 224
Article 16 (art. 8 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Renvoi obligatoire par le juge des enfants devant le tribunal correctionnel du mineur poursuivi pour un délit relevant de la compétence de ce tribunal 224
Article 17 (art. 8-1, 8-2 et 8-3 [nouveau] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Suppression de la procédure de jugement en chambre du conseil sur convocation par officier de police judiciaire – Création d’une convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le tribunal pour enfants 226
Article 18 (art. 9 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Renvoi obligatoire, à l’issue d’une instruction, devant le tribunal correctionnel pour mineurs du mineur poursuivi pour un délit relevant de la compétence de ce tribunal 233
Article 19 (art. 10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Coordination avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs 234
Article 20 (art. 10-1 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Responsabilisation des parents de mineurs délinquants 234
Article 21 (art. 10-2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Élargissement des cas de placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize à seize ans 238
Article 22 (art. 10-3 [nouveau] et 11 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Possibilité de placer un mineur sous le régime de l’assignation à résidence avec surveillance électronique 241
Article 22 bis (nouveau) (art. 11-2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Coordination avec la possibilité de placer un mineur sous le régime de l’assignation à résidence avec surveillance électronique 245
Article 23 (art. 12 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Coordination avec les modifications relatives aux modes de poursuite 245
Article 24 (art. 12-2 [nouveau] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Jugement des représentants légaux du mineur absents et non excusés par jugement contradictoire à signifier s’agissant des intérêts civils 246
Article 25 (chapitre III de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Modification de l’intitulé d’un chapitre 248
Article 25 bis (nouveau) (art. 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Adaptation des sanctions applicables en cas de divulgation de l’identité d’un mineur poursuivi devant une juridiction pour mineurs 248
Article 26 (art. 14-2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Coordinations et précisions apportées aux dispositions relatives à la procédure de présentation immédiate 249
Après l’article 26 254
Article 26 bis (nouveau) (art. 20 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Possibilité pour la cour d’assises des mineurs de juger au cours d’un même procès les crimes commis par un même mineur avant et après l’âge de seize ans 254
Article 27 (art. 20-5 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Assouplissement de la condition d’âge requise pour la conversion d’une peine d’emprisonnement ferme en sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général 255
Article 27 bis (nouveau) (art. 20-7 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Coordination avec l’introduction de la possibilité d’une césure du procès pénal des mineurs 257
Article 28 (art. 20-10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Possibilité pour le juge des enfants de placer un mineur en centre éducatif fermé dans le cadre d’un aménagement de peine ou d’une peine assortie d’un sursis 258
Après l’article 28 259
Article 29 (chapitre III bis et art. 24-1 à 24-5 [nouveaux] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Jugement par le tribunal correctionnel pour mineurs des mineurs récidivistes de plus de seize ans poursuivis pour des délits punis d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à trois ans 260
Article 29 bis (nouveau) (chapitre III ter et art. 24-6 à 24-9 [nouveaux] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Introduction de la possibilité d’une césure du procès pénal des mineurs 267
Article 29 ter (nouveau) (chapitre Ier bis, art. L. 251-7 et L. 251-8 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire) : Coordination avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs 269
Après l’article 29 270
TITRE III – DISPOSITIONS FINALES 270
Article 30 : Application outre-mer du projet de loi 270
Article 31 : Entrée en vigueur de la loi – Application expérimentale des dispositions relatives à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale 271
Après l’article 31 276
TABLEAU COMPARATIF 279
ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 355
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 423
PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 459
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LE RAPPORTEUR 463
LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES
AU PROJET DE LOI PAR VOTRE COMMISSION
● Dispositions relatives à la participation des citoyens à la justice pénale
— La Commission a, à l’article 1er, renforcé les critères requis pour l’exercice des fonctions de citoyen assesseur : une personne pourra être exclue de la liste annuelle ou récusée avant une audience, dès lors que des raisons objectives permettent de contester son impartialité, son honorabilité et sa probité.
— Elle a, à ce même article et à l’initiative du rapporteur, porté de huit à dix jours la durée pendant laquelle les citoyens assesseurs seront appelés à siéger au sein des juridictions correctionnelles et de l’application des peines.
— À l’initiative du rapporteur, la Commission a interdit les fonctions de juré et de citoyen assesseur à toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation pour crime ou délit figurant à leur casier judiciaire (article 1er bis).
— À l’initiative du rapporteur, elle a substitué, à l’article 2, la dénomination de « tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne » à celle de « tribunal correctionnel citoyen » qui avait été adoptée par le Sénat, afin de souligner qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle juridiction.
— Elle a, à ce même article et toujours à l’initiative du rapporteur, exclu du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne les infractions prévues par le code de l’environnement.
● Dispositions relatives à la justice criminelle
— La Commission a, à l’initiative du rapporteur, assoupli le principe de la rédaction immédiate de la feuille de motivation des arrêts d’assises, en prévoyant la possibilité, en cas de particulière complexité de l’affaire, de différer cette rédaction de trois jours (article 7). Elle a également, à l’initiative du rapporteur, introduit un article 6 bis visant à faciliter la rédaction de la motivation des décisions criminelles, en permettant au président de la cour d’assises de conserver, en vue de la délibération, la décision de renvoi et, en cas d’appel, l’arrêt rendu en première instance ainsi que la feuille de motivation qui l’accompagne.
— La Commission a adopté à l’article 8 un amendement du rapporteur créant une formation simplifiée de la cour d’assises, composée de trois magistrats professionnels et de trois jurés, qui sera compétente pour juger les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle, sous réserve que l’accusé ou le ministère public ne s’y oppose pas.
● Dispositions relatives à l’exécution des peines
— À l’article 9, la Commission a adopté un amendement de M. Christian Estrosi facilitant l’exercice par la victime de son droit de formuler des observations auprès des juridictions de l’application des peines préalablement à la libération anticipée du condamné.
— La Commission a redéfini le champ d’application de l’article 9 bis, qui renforce les conditions de l’octroi de la libération conditionnelle pour les condamnés à de lourdes peines, afin de prévenir des difficultés d’application matérielle de ces nouvelles dispositions.
— La Commission a adopté un amendement de M. Bernard Gérard créant un nouvel article 9 quater A assouplissant les conditions de placement sous surveillance électronique mobile.
— La Commission a adopté un autre amendement de M. Bernard Gérard complétant l’article 9 quater en vue d’améliorer l’exécution des peines de sursis avec mise à l’épreuve et de suivi socio-judiciaire.
● Dispositions relatives à la justice des mineurs
— La Commission a adopté, à l’article 14 créant le dossier unique de personnalité, plusieurs amendements de votre rapporteur ayant pour objet, d’une part, de préciser que la connaissance de la personnalité du mineur a pour objet d’assurer la cohérence de la réponse pénale, et, d’autre part, de renforcer les garanties de confidentialité entourant l’accès à ce dossier.
— Aux articles 17 et 26, la Commission a, tout en maintenant le principe selon lequel les procédures de convocation par officier de police judiciaire et de présentation immédiate ne peuvent être engagées que lorsque des investigations complètes sur la personnalité du mineur ont été réalisées dans l’année précédente, permis que, par exception, ces procédures puissent être engagées sur la base d’un recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE) lorsque le mineur a fait échec aux mesures d’investigations ordonnées par le juge des enfants.
— À l’article 20, la Commission a adopté un amendement de M. Christian Estrosi, sous-amendé par le rapporteur, permettant d’ordonner un stage de responsabilité parentale à l’encontre des parents ne répondant pas à une convocation judiciaire relative à des faits commis par leur enfant.
— La Commission a adopté, à l’initiative du Président Jean-Luc Warsmann et du rapporteur, un nouvel article 29 bis introduisant une possibilité de césure de la procédure pour les mineurs délinquants : les juridictions pour mineurs pourront, dans des conditions plus souples qu’aujourd’hui, prononcer la culpabilité du mineur lors d’une première audience et ajourner le prononcé de la sanction à une audience fixée dans un délai maximal de six mois, en soumettant dans l’intervalle le mineur à des mesures d’investigations, de contrôle et de placement.
● Dispositions relatives aux droits de la victime ou de la partie civile
— La Commission a adopté deux amendements de M. Marc Le Fur créant deux nouveaux articles 9 quinquies et 9 sexies, ayant pour objet d’améliorer le droit de la victime ou de la partie civile à l’information préalablement à la fin de l’incarcération du condamné et à la fin d’un sursis avec mise à l’épreuve lorsque celui-ci comprenait l’interdiction pour le condamné de rencontrer la victime.
— À l’initiative de M. Marc Le Fur, elle a, contre l’avis du rapporteur et du Gouvernement, reconnu à la partie civile le droit d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation en cas d’acquittement (article 1er quater).
— Elle a, toujours à l’initiative de M. Marc Le Fur, prévu qu’en matière criminelle, la partie civile n’ayant pas interjeté appel sur les intérêts civils est avisée par tout moyen de la date à laquelle l’affaire sera appelée à l’audience (article 1er quinquies).
La justice est rendue au nom du peuple français. Ce principe, qui fait partie de l’héritage révolutionnaire de la France, est un principe fondamental dans une démocratie. Pourtant, parfois, nos concitoyens comprennent mal, voire ne comprennent pas, certaines décisions rendues en matière pénale. Comment comprendre, en effet, qu’une personne, déjà condamnée à plusieurs reprises pour braquages, soupçonnée d’avoir commis un vol à main armée dans des conditions particulièrement violentes et dont les garanties de représentation apparaissent faibles, ne soit pas maintenue en détention provisoire ? Comment comprendre qu’un criminel récidiviste, auteur de plusieurs viols ou agressions sexuelles, puisse bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir purgé seulement la moitié de la peine prononcée, sans prise en compte suffisante de sa dangerosité et sans suivi effectif après sa libération, et qu’il commette quelques jours à peine après sa sortie un nouveau crime ?
Pour que les décisions de justice soient mieux comprises et mieux acceptées, deux voies de réforme sont ouvertes au législateur : améliorer le fonctionnement de la justice, d’une part, et associer davantage les citoyens au fonctionnement de la justice, d’autre part.
La voie de l’amélioration du fonctionnement de la justice a déjà été largement mise en œuvre depuis 2002, par la mise en place d’un cadre juridique permettant que les décisions de justice rendues et les conditions de leur exécution puissent davantage répondre aux aspirations de nos concitoyens quant à la préservation de leur sécurité. Ainsi, la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a-t-elle permis de doter notre justice de moyens d’action efficaces pour pouvoir lutter contre la délinquance et la criminalité organisées. La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive a permis que les peines prononcées à l’encontre des délinquants récidivistes – majeurs ou mineurs – ne puissent se situer en dessous de seuils fixés par la loi, sauf décision spécialement motivée. Les lois du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle, en créant la rétention et la surveillance de sûreté, et en encadrant davantage les conditions de libération des criminels condamnés à de lourdes peines, permettront d’améliorer la prévention de la récidive de ces criminels condamnés. Cette même loi du 25 février 2008 a également, par ses dispositions relatives à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental, rendu le prononcé des décisions d’irresponsabilité plus compréhensibles et, partant, moins difficilement acceptables pour les victimes. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, à travers ses dispositions sur les modalités d’exécution des peines d’emprisonnement et celles tendant à favoriser le développement des aménagements de peine, permettra de donner plus de sens et donc d’efficacité au temps de la détention mais aussi de mieux encadrer les sortants de prison en limitant les « sorties sèches » (1).
Mais l’amélioration du fonctionnement de la justice a également été recherchée à travers un accroissement sans précédent des moyens humains et matériels consacrés à la justice : ainsi, le nombre de magistrats est-il passé de 7 005 en 2002 à 8 258 en 2010, soit une hausse de 18 % ; pour favoriser une meilleure exécution des peines, le nombre de places de détention est passé de 48 021 en 2002 à 54 988 en 2010, soit une augmentation de 14,5 %. Pour la justice des mineurs, la création des centres éducatifs fermés (CEF) – prévus par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) – a permis de limiter le recours à la détention provisoire pour les mineurs, tout en proposant un cadre à la fois contenant et réinsérant pour des mineurs déjà fortement ancrés dans la délinquance. La création des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), également prévus par la LOPJ de 2002, a quant à elle permis, lorsque le recours à l’emprisonnement devient inéluctable, que cette période de privation de liberté des mineurs se déroule dans des conditions de détention plus satisfaisantes que celles qui prévalent dans les quartiers pour mineurs (QPM) des maisons d’arrêt, avec un niveau d’encadrement et une offre d’activités propices à une véritable action d’insertion ou de réinsertion.
Le présent projet de loi, dont notre assemblée est saisie en première lecture après son adoption par le Sénat le 19 mai dernier, propose, dans ses volets concernant le fonctionnement de la justice criminelle (articles 6 à 8), la justice des mineurs (article 10 à 29) et l’exécution des peines (articles 9 bis à 9 quater) de poursuivre la réforme de la justice entreprise par le biais des réformes précédemment et succinctement présentées.
La justice criminelle française, dans laquelle la participation des citoyens est ancienne puisqu’elle constitue un acquis révolutionnaire, souffre aujourd’hui de trois travers : sa lenteur, tout d’abord ; une trop large tendance, dans certains ressorts, à la correctionnalisation de certains faits criminels, ensuite ; enfin, parfois, une insuffisante compréhension des décisions rendues, en raison de l’absence de motivation des arrêts d’assises. Afin d’accélérer le fonctionnement de la justice criminelle et de limiter le recours à la correctionnalisation, le présent projet de loi modifie la composition de la cour d’assises, en réduisant le nombre de jurés appelés à siéger. Quant à la difficulté de compréhension de certaines décisions en matière criminelle, souvent difficile à vivre pour les accusés mais aussi pour les victimes, le présent projet de loi y répond en introduisant une motivation des décisions rendues par les cours d’assises (II).
S’agissant ensuite de la justice des mineurs, celle-ci souffre de deux maux principaux : sa lenteur et son incapacité à mettre un terme à l’escalade délinquante de certains mineurs récidivistes. Pour répondre à ces maux, le projet de loi vise à favoriser une accélération du fonctionnement de la justice des mineurs, à travers la création d’un dossier unique de personnalité, qui permettra notamment de juger plus vite des mineurs dont la personnalité sera mieux connue, ainsi que par la création d’une nouvelle procédure rapide, la convocation par officier de police judiciaire à fins de jugement devant le tribunal pour enfants. Le projet de loi apporte également une réponse à la difficulté posée par les mineurs délinquants récidivistes, à travers la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, juridiction pour mineurs dont l’appellation et la solennité devront permettre au mineur de prendre conscience de la nécessité de mettre un terme à son escalade délinquante (III).
Les dispositions sur l’exécution des peines prévoient, quant à elles, d’une part, d’encadrer davantage les conditions dans lesquelles les personnes condamnées à de lourdes peines pourront bénéficier de mesures d’aménagement de peine, et, d’autre part, d’assurer un meilleur suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation des peines exécutées en milieu ouvert (IV).
Mais au-delà de ces nécessaires améliorations du cadre juridique de la justice pénale, il est aujourd’hui nécessaire, pour rapprocher nos concitoyens de leur justice, de franchir aujourd’hui une nouvelle étape, en associant davantage les citoyens au fonctionnement de la justice.
Rapprocher les Français de leur justice, c’est précisément ce à quoi s’attache le Titre premier du présent projet de loi (articles 1er à 5), en prévoyant que, lorsqu’ils seront amenés à prendre des décisions concernant des personnes poursuivies ou condamnées pour des faits particulièrement graves, les tribunaux correctionnels, les chambres correctionnelles des cours d’appel, les juridictions de l’application des peines mais aussi le tribunal correctionnel pour mineurs créé par le présent projet de loi, seront composés, outre des magistrats professionnels qui les composent habituellement, de citoyens assesseurs (I).
Enfin, votre commission a complété le projet de loi par plusieurs dispositions nouvelles relatives à la place de la victime ou de la partie civile dans le procès pénal et dans l’exécution des décisions de justice pénale (articles 1er A, 1er quater, 1er quinquies, 9 quinquies et 9 sexies). Les dispositions qui prévoient un droit renforcé des victimes à être informées de la libération à terme ou anticipée de l’auteur de l’infraction qu’elles ont subie, ainsi que celles relatives à l’aide aux victimes, méritent d’être saluées. En revanche, l’article prévoyant le droit pour la victime de former appel ou de se pourvoir en cassation contre une décision d’acquittement soulève de réelles difficultés quant à ses conséquences sur la fonction même du procès pénal (V).
I. LA PARTICIPATION DES CITOYENS
AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE
Véritable nécessité démocratique pour renforcer le lien entre nos concitoyens et la justice (A), l’accroissement de la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale est réalisé par le présent projet de loi selon des modalités prudentes et éclairées, notamment en raison du choix du recours à l’expérimentation (B).
A. UNE ASSOCIATION ACCRUE DES CITOYENS AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE : UNE NÉCESSITÉ DÉMOCRATIQUE
Comme a pu l’écrire M. Denis Salas au sujet du jury en matière criminelle, celui-ci représente « l’investissement croissant de la société démocratique dans l’institution judiciaire » (2). L’extension de la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale participe de la poursuite de cette évolution et constitue une impérieuse nécessité démocratique. Elle permettra, dans le respect du cadre constitutionnel et conventionnel entourant la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale (1), de répondre à l’incompréhension croissante de nos concitoyens face à leur justice (2). Et, pour qui en serait inquiet, il ne fait nul doute aux yeux de votre rapporteur que les citoyens seront demain, comme ils le sont déjà aujourd’hui en matière criminelle, de bons juges (3).
1. Un cadre constitutionnel et conventionnel permettant une participation accrue des citoyens au fonctionnement de la justice pénale
Si le cadre conventionnel – et au premier chef la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – n’impose aucune exigence concernant le caractère professionnel ou non des membres composant les juridictions, le cadre constitutionnel, sous réserve que certaines garanties soient respectées, permet aujourd’hui d’associer davantage des citoyens au fonctionnement de la justice pénale.
En effet, le Conseil constitutionnel a, de manière constante et abondante, affirmé que la norme fondamentale n’interdisait pas l’intégration de magistrats non professionnels au sein des formations juridictionnelles. Ainsi, il a estimé, dans sa décision n° 98-396 DC du 19 février 1998 sur la loi organique portant recrutement exceptionnel de magistrats de l’ordre judiciaire, que « la Constitution ne fait pas obstacle à ce que, pour une part limitée, des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées à titre temporaire par des personnes qui n’entendent pas pour autant embrasser une carrière judiciaire », cette possibilité étant toutefois « subordonnée à l’existence de garanties appropriées permettant de satisfaire notamment au principe d’indépendance, qui est indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires, et aux exigences qui découlent de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Sur la base de cette décision, le Conseil constitutionnel a progressivement dégagé, dans sa jurisprudence, quatre garanties qui conditionnent la participation de citoyens aux formations de jugement en matière pénale.
En premier lieu, les fonctions judiciaires exercées par des magistrats non professionnels doivent présenter un caractère limité. Ainsi, dans sa décision n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005 sur la loi relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, le Conseil constitutionnel a rappelé que les compétences du juge de proximité devaient demeurer limitées au regard de celles qu’exercent les tribunaux d’instance et les tribunaux de police.
En deuxième lieu, l’indépendance de ces magistrats non professionnels doit être garantie, faute de quoi ils ne sauraient être associés à une formation de jugement en matière pénale. Dans sa décision n° 2003-466 DC du 20 février 2003 sur la loi organique relative aux juges de proximité, le Conseil constitutionnel a estimé que l’interdiction faite à ces juges d’avoir une activité professionnelle portant atteinte à la dignité et à l’indépendance de leurs fonctions, d’exercer concomitamment une activité d’agent public (3), d’exercer une profession libérale juridique dans le ressort du tribunal de grande instance où ils ont leur domicile professionnel et, enfin, de connaître d’un litige présentant un lien avec leur activité professionnelle garantissait leur indépendance et ne méconnaissait pas, à ce titre, la Constitution.
En troisième lieu, le Conseil constitutionnel a posé, dans sa décision précitée du 20 février 2003, une « exigence de capacité ».
En quatrième et dernier lieu, le Conseil constitutionnel, dans sa décision précitée du 20 janvier 2005, a estimé que la proportion de juges non professionnels appelés à siéger dans les formations correctionnelles de droit commun devait rester minoritaire.
Si les cadres conventionnel et constitutionnel rendent aujourd’hui possible une participation accrue des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, l’incompréhension croissante que les Français nourrissent à son endroit la rend particulièrement nécessaire.
Si la justice française est rendue au nom du peuple français, elle n’en suscite pas moins une incompréhension croissante de la part des citoyens. Toutes les enquêtes d’opinion montrent, année après année, que la confiance des Français dans l’institution judiciaire se dégrade et que le fonctionnement de la justice est perçu comme défectueux. Ainsi, selon un récent sondage, la moitié des Français seulement fait confiance en l’institution judiciaire, alors qu’ils sont 83 % pour les hôpitaux, 77 % pour l’armée et 72 % pour l’école (4). Cette perte de confiance s’explique notamment par la mauvaise perception qu’ont les Français du fonctionnement de la justice. En effet, près des trois quarts des personnes interrogées estiment que la justice fonctionne assez ou très mal, quand un quart seulement considère qu’elle fonctionne assez bien.
ESTIMEZ-VOUS QU’EN FRANCE, À L’HEURE ACTUELLE, LA JUSTICE FONCTIONNE GLOBALEMENT TRÈS BIEN, ASSEZ BIEN, ASSEZ MAL OU TRÈS MAL ? (5)
Très bien |
Assez bien |
Assez mal |
Très mal |
Ne se prononcent pas |
1 % |
26 % |
54 % |
18 % |
1 % |
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la vive émotion et – il faut bien le dire – l’incompréhension que suscite la commission d’un crime ou d’un délit particulièrement grave par une personne déjà condamnée par la justice pour les mêmes faits, mais qui n’a pas, en tout ou partie, exécuté sa peine. Parmi les réponses avancées pour renouer le lien qui doit unir les Français à leur justice, la présence de citoyens dans les juridictions correctionnelles et de l’application des peines a souvent été évoquée. Une récente enquête d’opinion montre d’ailleurs que près des deux tiers des personnes interrogées sont favorables à la présence de citoyens aux côtés des juges correctionnels et de l’application des peines (6), notamment pour les décisions de libération conditionnelle. Le présent projet de loi, en organisant la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, répond donc à une vraie demande sociale.
Les citoyens sont associés à la justice pénale depuis la Révolution. Si le mode de désignation des jurés criminels a été pendant longtemps « plus censitaire que populaire » (7), ils sont aujourd’hui pleinement, depuis la loi du 28 juillet 1978 (8) qui supprima toute sélection des jurés, l’émanation directe du peuple français. Certaines voix, parfois, remettent en cause la capacité, la responsabilité ou encore l’indépendance des citoyens amenés à juger des infractions pénales. D’autres voix présupposent que les citoyens seraient nécessairement plus répressifs que les magistrats professionnels. L’expérience de la cour d’assises révèle que ces critiques sont totalement infondées, les citoyens faisant chaque jour la preuve lors des procès criminels de leur capacité à être de bons juges.
La qualité des jurés, leur capacité à prendre des décisions éclairées sur des faits parfois complexes et leur sens des responsabilités sont salués par l’ensemble des praticiens de la cour d’assises, tel ce président de cour d’assises : « Juger avec des jurés est pour moi une garantie fondamentale du justiciable. La présence des jurés dans l’acte de justice nous évite, à nous, magistrats professionnels, de tomber dans une routine. Chaque affaire est une remise en cause systématique. Il faut recommencer à zéro, relater les événements constitutifs de l’infraction, examiner toutes les composantes de l’affaire, expliciter les modalités de sanction. Cet aspect pédagogique, qui nous est imposé, me semble être une garantie essentielle d’une bonne justice. En cela, je pense que la délibération à la cour d’assises est le lieu le plus démocratique qui soit dans notre vie de citoyen » (9). Les représentants du parquet ne s’expriment pas différemment : « On sort les jurés de chez eux, on les met comme des poissons hors de l’eau face à des situations dont ils n’avaient pas idée, dans le milieu particulier, imposant, de la cour d’assises, avec des obligations d’attention et des responsabilités difficiles. Et on est toujours surpris de leur bonne volonté, de leur sérieux, des efforts qu’ils déploient » (10). La tonalité et le contenu de ces propos ont été pleinement confirmés par les représentants de l’Association nationale des praticiens de la cour d’assises, lors de leur audition par votre rapporteur.
Les avocats ne remettent pas davantage en cause la qualité des jurés d’assises. Ainsi Me Catherine Bahuchet, avocate ayant elle-même exercé les fonctions de juré lors d’une session d’assises, souligne-t-elle que les jurés sont extrêmement scrupuleux sur la manière dont ils exercent la lourde mission que la loi et le tirage au sort leur ont confiée : « Ont-ils la même attention que des magistrats professionnels et laissent-ils volontiers leurs a priori à la porte de la salle d’audience ? À toutes ces questions, la réponse est oui sans discussion. J’ai moi-même constaté que si je n’abandonnais pas mes connaissances juridiques, elles ne m’étaient que de peu d’utilité dans la compréhension des faits. En revanche, j’ai remarqué combien mes cojurés se posaient de questions sur leur rôle et combien ils le prenaient au sérieux s’inquiétant de "n’être pas à la hauteur". Cela a incité chacun d’entre nous pendant les débats, très longs et complexes pour l’une des affaires, à une attention sans faille – d’ailleurs très éprouvante physiquement et psychiquement » (11).
Ce sens des responsabilités des jurés est enfin confirmé par les témoignages des jurés eux-mêmes, comme en attestent les deux témoignages cités dans un ouvrage illustré consacré à la cour d’assises : « La lecture de l’article 353 [du code de procédure pénale], dernière étape avant que les jurés ne quittent la salle pour délibérer, est un vrai moment dramatique. Ces dix lignes restaient dans ma mémoire. Ce sont elles que j’avais dans la tête en entrant dans la salle des délibérations » (12). « J’ai été impressionné par le sérieux de tous les jurés. Tout le monde apportait une pierre au jugement. Chacun parlait à sa manière, avec ses mots, mais tout le monde disait quelque chose. Le sérieux de l’humain m’a réconforté. Des gens qui n’avaient certainement pas en toutes circonstances des réactions positives ont su réagir, faire face dignement. C’est, je pense, une situation où l’homme peut se hisser au-dessus de ce qu’il est au quotidien » (13).
Les jurés font aussi la preuve, quotidiennement dans les délibérations des cours d’assises, de leur pleine capacité d’indépendance vis-à-vis des magistrats professionnels. En effet, une autre critique souvent adressée à tort aux jurés est celle de manquer d’indépendance par rapport aux magistrats : selon certains, les jurés seraient, du fait de leur inexpérience en matière pénale, susceptibles d’être orientés voire manipulés par les magistrats professionnels. Cette critique, souvent invoquée par les détracteurs du jury populaire, ne correspond pas à la réalité décrite tant par les anciens jurés que par les praticiens de la cour d’assises. Ainsi, comme le note Me Catherine Bahuchet dans le récit qu’elle livre de son expérience de juré, si le président d’audience joue naturellement un « rôle essentiel (…) au cours du délibéré », ce rôle est trop souvent « fantasmé par les avocats qui imaginent un grand manipulateur à l’œuvre sur les pauvres cerveaux des jurés perdus devant tant de complexité. Il faut faire un sort à cette image qui n’a rien à voir avec la réalité que j’ai vécue. Ni avec celle dont d’anciens jurés, avec d’autres présidents, m’ont parlé » (14). Les magistrats présidant les cours d’assises, conscients de ces critiques et de la nécessité de pallier ce risque d’influence excessive de leur part dans la décision démocratique prise par la cour d’assises, s’efforcent le plus souvent d’adopter une attitude aussi respectueuse que possible de la liberté souveraine de chaque juré : « Les jurés sont des citoyens libres et responsables. C’est à eux d’assumer leur choix et leur vote. En tant que président, je bénéficie d’une voix comme les autres. À ce titre, je m’autorise à m’exprimer lorsque j’estime que cela est nécessaire. Si c’est le cas, je mets un point d’honneur à prendre la parole en dernier et à préciser que chacun est libre de partager ou non mon point de vue » (15).
En revanche, s’il est un domaine dans lequel les magistrats professionnels doivent exercer un véritable « devoir de conseil » vis-à-vis des jurés, c’est celui du choix de la peine : en effet, il peut être particulièrement difficile pour des jurés de choisir une peine qui soit adaptée à la personnalité du condamné, mais aussi à la gravité « relative » de l’infraction commise par comparaison avec d’autres infractions relevant ou non de la même qualification. Les magistrats professionnels doivent alors, tout en respectant la souveraineté et la liberté du jury, jouer un rôle particulièrement important d’aiguillon ou de conseil. Le témoignage d’un président de cour d’assises est à cet égard particulièrement éclairant : « Les jurés ont besoin d’éléments de réflexion concernant la peine. En tant que magistrat, j’ai plus de facilités à me repérer sur la gravité des faits. On trouve sous la qualification de meurtre ou de viol une multitude de situations très différentes. Il me semble donc nécessaire de resituer l’affaire dans la hiérarchie des affaires comparables. Le président peut également présenter des éléments concernant la personnalité de l’intéressé et ses perspectives de réinsertion dans la société. Nous avons plus l’habitude du devenir des condamnés que les jurés. Ces éléments seront pris en compte ou non par les membres du jury. Ici encore, ce sont eux qui prennent leur décision. On peut tenter de cadrer la peine, pas maîtriser un jury. Ce que je veux éviter, c’est que le verdict soit une pure loterie selon le lieu et la composition du jury. Cela ne serait plus de la justice » (16).
Enfin, le dernier préjugé relatif aux jurés consiste à penser qu’ils seraient plus « répressifs », c’est-à-dire plus enclins à condamner lourdement, que les magistrats professionnels. Tant l’histoire que la pratique actuelle révèlent qu’il n’en est rien. Historiquement, l’évolution des règles de fonctionnement de la cour d’assises a d’abord largement consisté à renforcer l’influence des magistrats professionnels dans les décisions des cours d’assises, en raison de la trop grande clémence de ceux-ci : « Dans le système prévu par la loi des 16-29 septembre 1791, le jury statue seul sur la culpabilité. En cas de déclaration de culpabilité, alors seulement les juges statuent sur la peine. Mais déjà, peu après sa création, des voix s’élèvent pour dénoncer un véritable fléau, le jury ne déclare pas assez la culpabilité, favorisant ainsi l’impunité des criminels. L’explication donnée est simple : les jurés, non maîtres de la peine et craignant qu’une sanction trop sévère ne soit décidée par les magistrats, préfèrent acquitter l’accusé que l’exposer à ce risque. Aussi, très rapidement, met-on en place certains correctifs : par exemple, en affirmant que la question intentionnelle n’a qu’un caractère facultatif ou en instituant le système des déclarations spéciales dès la fin 1791, ou encore en permettant, comme l’affirme l’article 352 du code d’instruction criminelle, aux juges unanimement convaincus que les jurés se sont trompés de surseoir au jugement et de renvoyer l’affaire à la session suivante pour être soumise à un nouveau jury dont ne pourra faire partie aucun des premiers jurés, ou enfin en octroyant au jury le pouvoir de décider qu’il existe des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé et susceptibles d’influencer le quantum de la peine en 1832. À ces mesures ponctuelles se superpose surtout une modification incessante du nombre de voix utiles pour la déclaration de culpabilité de l’accusé. Mais rien n’y fait. Le Compte général de l’administration de la justice criminelle, qui publie annuellement des statistiques relatives à la poursuite et à la répression en matière criminelle à partir de 1827, fait état de taux d’acquittement très fréquemment proches de 30 %. Et les rapports des gardes des Sceaux successifs qui accompagnent la publication de ces chiffres ne sont, sur ce point, que de longues litanies accusant le jury d’une coupable faiblesse » (17).
Aujourd’hui, les témoignages des magistrats concordent pour souligner que les jurés ne sont pas, contrairement à une idée reçue, plus sévères que ne le seraient des magistrats professionnels : « Discuter entre amis n’a rien à voir avec le fait de mettre un bulletin dans une urne et de voter une condamnation. C’est un tout autre personnage qui se manifeste là. Je suis toujours extrêmement marqué par le sens des responsabilités des jurés lors des délibérés. Les discours à l’emporte-pièce sont tout à fait exceptionnels. Les citoyens-jurés ont une parfaite conscience des enjeux et de leurs responsabilités. Ils ont pleinement conscience du fait que c’est un homme qui est en face d’eux. Je suis toujours extrêmement frappé par la capacité de certains à pouvoir appréhender les affaires les plus dramatiques avec équité et justice. Des personnes ont une façon d’aborder les situations avec une finesse, une intelligence, une humanité qui m’émerveillent. Il est arrivé que des jurés me donnent des leçons de justice » (18).
En conclusion, il n’existe, pour votre rapporteur, nulle raison de douter que les citoyens qui seront amenés à exercer de nouvelles missions juridictionnelles en application des dispositions du présent projet de loi sauront s’acquitter de leur tâche avec discernement, responsabilité et indépendance. Les jurés criminels sont aujourd’hui de bons juges, et votre rapporteur est convaincu que tel sera également le cas demain des citoyens assesseurs.
Le projet de loi accroît la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, en introduisant des « citoyens assesseurs » dans les juridictions correctionnelles et de l’application des peines. Mais, écoutant la sage recommandation de Montesquieu, qui dans ses Lettres persanes écrivait qu’« il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante » (19), le Gouvernement a fait le choix de la prudence pour la mise en œuvre de cette réforme, qui – il ne faut pas s’en cacher – constituera une réelle révolution culturelle pour le monde judiciaire ainsi soumis à un contrôle citoyen direct dont il n’avait jusqu’ici guère l’habitude.
De ce fait, compte tenu de la nouveauté que représentera cette entrée des citoyens dans des juridictions desquelles ils étaient jusqu’ici absents, le Gouvernement a fait le choix éclairé de ne rendre ces dispositions applicables qu’à titre expérimental (1). En deuxième lieu, les dispositions du projet de loi relatives aux modalités de désignation des citoyens assesseurs s’appuient sur des fondations ayant fait la preuve de leur solidité, puisque ces modalités de désignation sont largement inspirées de celles prévalant pour les jurés criminels (2). Troisièmement, le champ de compétence des juridictions qui comprendront des citoyens assesseurs a été limité aux décisions les plus sensibles (3). Enfin, les dispositions du projet de loi anticipent largement les difficultés pratiques que pourra soulever la mise en œuvre de cette réforme (4).
Le Gouvernement a fait le choix de donner aux dispositions du projet de loi introduisant des citoyens assesseurs dans les juridictions correctionnelles et de l’application des peines un caractère expérimental. Aux termes de l’article 31 du projet de loi, les dispositions relatives aux citoyens assesseurs seront « applicables à titre expérimental à compter du 1er janvier 2012 dans au moins deux cours d’appel et jusqu’au 1er janvier 2014 dans au plus dix cours d’appel », lesquelles seront déterminées par un arrêté du garde des sceaux. Le même article prévoit que « six mois au moins avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport procédant à son évaluation ». Ce rapport permettra au Parlement d’évaluer la mise en œuvre de cette réforme afin d’envisager son éventuelle généralisation, le cas échéant avec les adaptations dont la mise en œuvre expérimentale aura pu mettre en évidence la nécessité.
Votre rapporteur tient à souligner la pertinence du choix de la méthode expérimentale, tant sur le plan constitutionnel qu’en termes d’opportunité.
Sur le plan constitutionnel, tout d’abord, l’expérimentation en matière législative est une méthode déjà ancienne, à laquelle il a été recouru dans plusieurs lois depuis le début de la Cinquième République (20) et validée par la jurisprudence constitutionnelle. Toutefois, les conditions dans lesquelles il peut y être recouru ont été largement remodelées depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, qui a inséré dans notre Constitution un nouvel article 37-1 prévoyant que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». En effet, les travaux préparatoires de cette réforme constitutionnelle ont sans ambiguïté envisagé la possibilité de recourir à l’expérimentation dans des domaines intéressant les libertés individuelles, et notamment en matière pénale (21).
Dès lors, la constitutionnalité de la mise en œuvre à titre expérimental de nouvelles compositions de certaines formations juridictionnelles ne fait guère de doute, l’encadrement de l’expérimentation prévu par le projet de loi apparaissant pleinement conforme aux règles issues de la jurisprudence constitutionnelle antérieure à la révision constitutionnelle de 2003. Ainsi, l’expérimentation est limitée dans le temps, puisqu’elle sera applicable pour une durée de deux ans, entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2014. Ensuite, l’expérimentation a pour objectif, à terme, une généralisation et une pérennisation du dispositif ; le rapport d’évaluation remis par le Gouvernement au Parlement, six mois avant le terme de l’expérimentation, permettra d’apprécier l’opportunité et la faisabilité de cette généralisation. En dernier lieu, la nature et la portée de l’expérimentation sont précisément définies par le projet de loi, sans qu’il soit porté atteinte au principe d’égalité : en effet, dans les ressorts des cours d’appel dans lesquelles sera mise en œuvre l’expérimentation, celle-ci s’appliquera de plein droit, sans pouvoir d’appréciation du parquet.
En termes d’opportunité, ensuite, le choix de l’expérimentation apparaît particulièrement pertinent à votre rapporteur. Il est des réformes pour lesquelles l’adhésion vient avec la pratique. Tel fut le cas, par exemple, de la création par la LOPJ de 2002 des centres éducatifs fermés (CEF) ou des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), ou encore de la création par la loi « Perben II » de 2004 de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Ces innovations, décriées et repoussées par certains avec beaucoup d’excès lors de leur adoption, ont aujourd’hui trouvé leur place dans le paysage judiciaire et fait la preuve de leur utilité et de leur efficacité. Certains sont aujourd’hui sceptiques sur la pertinence de l’introduction de citoyens assesseurs dans la justice correctionnelle et dans l’application des peines. En retenant une application de la réforme à titre expérimental, le Gouvernement fait un choix raisonné et prudent, qui permettra, par la pratique, d’emporter demain la conviction et l’adhésion des sceptiques d’aujourd’hui.
La désignation des citoyens assesseurs est un moment important et un exercice délicat, dont dépend, outre le bon déroulement de la procédure, la qualité des décisions rendues par les juridictions correctionnelles ou de l’application des peines.
Dans la mesure où il prend place entre le juré des cours d’assises et le juge de proximité, le citoyen assesseur doit, comme le souligne le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, « émaner d’un éventail de population aussi large que celui parmi lequel se recrute le jury – d’où la désignation à partir de la liste préparatoire, tirée au sort sur les listes électorales, pour le recrutement du jury des cours d’assises – tout en répondant à des critères d’aptitude plus stricts que ceux exigés des jurés » (22).
C’est pourquoi, l’article 1er du projet de loi s’efforce d’aligner le mode de désignation des citoyens assesseurs sur celui du jury, sans toutefois se confondre avec lui, combinant ainsi tirage au sort et sélection fondée sur certains critères d’aptitude et d’impartialité.
Le tirage au sort interviendra à deux étapes de la désignation des citoyens assesseurs. Ces derniers seront tout d’abord issus des listes préparatoires actuellement dressées dans chaque commune, par tirage au sort sur la liste électorale pour permettre l’établissement de la liste annuelle des jurés. Sur la base de ces listes préparatoires et une fois établie cette liste annuelle, les dossiers seront ensuite examinés, dans un ordre de passage tiré au sort, par la commission départementale prévue par l’article 262 du code de procédure pénale.
Toutefois, le recours au tirage au sort s’arrête là et l’inscription sur la liste annuelle des citoyens assesseurs résulte par la suite d’un choix de la commission qui se fonde, pour ce faire, sur plusieurs critères. Peuvent ainsi être exclus de la liste annuelle des citoyens assesseurs les personnes qui ne remplissent pas les trois séries de conditions – aptitude, incapacités, incompatibilités – actuellement requises aux articles 225 à 257 du code de procédure pénale pour exercer la fonction de juré ainsi que celles qui ne paraissent manifestement pas être en mesure d’exercer les fonctions de citoyens assesseurs. À l’initiative de votre rapporteur, votre commission a adopté un amendement interdisant les fonctions de jurés et de citoyens assesseurs à toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation pour crime ou délit figurant à leur casier judiciaire.
Pour apprécier ces conditions d’aptitude, les citoyens assesseurs seront tenus de remplir un recueil d’informations, adressé à la commission départementale, laquelle pourra en outre consulter le bureau d’ordre national automatisé Cassiopée ainsi que les fichiers d’antécédents judiciaires (23) et, si elle l’estime nécessaire, faire procéder à l’audition des personnes concernées.
En combinant tirage au sort et vérification des aptitudes, la désignation des citoyens assesseurs tire profit de la procédure éprouvée pour les jurés d’assises, sans la dupliquer et ce, pour deux raisons. En effet, que ce soit dans les juridictions correctionnelles ou de l’application des peines, les citoyens assesseurs siégeront à deux, aux côtés de trois magistrats professionnels. Si l’équilibre retenu par le projet de loi permet de répondre à l’exigence constitutionnelle d’une nécessaire minorité de juges non professionnels au sein des formations correctionnelles, force est de reconnaître qu’une éventuelle inaptitude ne connaîtra pas les correctifs que l’effet du nombre – neuf jurés en premier ressort et douze en appel (24) – peut apporter dans le cadre du jury d’assises. En outre, la procédure devant le tribunal correctionnel présente un caractère plus contraint – notamment en termes de délais –, ce qui supposera du citoyen assesseur qu’il soit capable de se familiariser rapidement avec un dossier qui peut apparaître plus complexe.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que votre commission a adopté trois amendements de votre rapporteur différenciant davantage le mode de désignation des citoyens assesseurs de celui des jurés d’assises. Ainsi, les critères requis pour les fonctions de citoyens assesseurs (article 1er) seront plus larges que ceux exigés des jurés, puisqu’un citoyen assesseur pourra être exclu de la liste annuelle ou récusé avant une audience, dès lors que des raisons objectives permettent de contester son impartialité, son honorabilité et sa probité. En renforçant les conditions requises pour l’exercice des fonctions de citoyens assesseurs, votre commission a conforté leur indépendance, dont le Conseil constitutionnel a fait une exigence constitutionnelle.
La présence de citoyens assesseurs au sein des juridictions correctionnelles et de l’application des peines s’accompagne d’une définition rigoureuse du champ de compétence des formations juridictionnelles au sein desquelles ils seront appelés à siéger. En effet, la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale n’a de sens, notamment dans le premier temps de la réforme pendant sa phase d’application expérimentale, que si elle s’applique à un nombre limité de délits, afin de permettre aux citoyens assesseurs d’exercer pleinement leurs fonctions et de se sentir réellement associés au jugement des affaires qu’ils auront à connaître. C’est pourquoi, le projet de loi a fait le choix de limiter le champ de compétence des juridictions correctionnelles et de l’application des peines qui comprendront des citoyens assesseurs aux décisions les plus importantes.
Ce constat se vérifie tout d’abord en matière correctionnelle, dans la mesure où l’article 2, tel qu’il a été adopté par votre commission, limite le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne aux atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans. Votre commission a également retenu, à l’initiative de votre rapporteur, la dénomination de « tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne », qui vient se substituer à celle de « tribunal correctionnel citoyen » qui avait initialement été adoptée par le Sénat. En effet, cette dernière dénomination présentait l’inconvénient de suggérer que le tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs était une nouvelle juridiction, alors qu’il ne s’agit en réalité que d’une formation spécifique du tribunal correctionnel, à côté de la formation à juge unique et de la formation collégiale. Au-delà de ces seuls changements de dénomination, il convient de souligner que les infractions susceptibles de relever de cette nouvelle formation juridictionnelle ont sensiblement varié au cours de la discussion parlementaire.
En premier lieu, le projet de loi, dans sa rédaction initiale, restreignait la compétence du tribunal correctionnel citoyen, comme l’indique son exposé des motifs, « aux délits relevant actuellement de la compétence du tribunal correctionnel collégial (et non du juge unique), punis de peines de cinq, sept ou dix ans d’emprisonnement, et qui constituent des faits de violences commis contre les personnes » (25). Elle obéissait ainsi à un principe de spécialisation sur les violences aux personnes, celles-ci étant censées être d’une approche plus simple. L’étude d’impact, qui accompagne le présent texte, évaluait à 36 500 le nombre de délits qui relevaient ainsi du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne.
Or, le Sénat, à l’initiative de son rapporteur, M. Jean-René Lecerf, ne s’est pas montré convaincu par le périmètre ainsi défini des infractions relevant du tribunal correctionnel avec citoyens assesseurs, déplorant notamment qu’« un grand nombre de délits portant atteinte aux personnes échapperont à cette formation du tribunal correctionnel » (26). Par conséquent, la Haute Assemblée a élargi la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne à l’ensemble des atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans (27), ce qui permet d’inclure des formes de délinquance d’origine plus diverse que celle des seuls faits de violences aux personnes, ainsi qu’aux infractions prévues par le code de l’environnement et passibles d’une peine égale ou supérieure à cinq ans d’emprisonnement. Une telle extension n’accroissant le volume global que de 2 000 procédures environ, selon les informations communiquées à votre rapporteur par le Gouvernement, le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne était susceptible de connaître, dans ces conditions, environ 40 000 affaires chaque année.
Cependant, votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur excluant du champ de compétence de la formation citoyenne du tribunal correctionnel les infractions prévues par le code de l’environnement. Outre le fait que ces infractions sont très complexes et nécessitent, à ce titre, des semaines voire des mois d’audiences peu compatibles avec la durée d’audience prévue pour les citoyens assesseurs (voir infra), il convient, dans un souci de cohérence et de pragmatisme, de spécialiser le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne sur les seules atteintes et les violences aux personnes punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement.
Cette limitation du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne aux délits les plus sensibles revêt une grande importance, dans la mesure où, aux termes de l’article 29 du projet de loi, le tribunal correctionnel pour mineurs sera également complété par des citoyens assesseurs lorsqu’il sera saisi pour juger des infractions pour lesquelles le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne sera compétent. La présence des citoyens assesseurs au sein du tribunal correctionnel pour mineurs permettra, dans les ressorts dans lesquelles elle sera expérimentée, de combiner l’objectif d’une plus grande solennité de la justice à l’égard des mineurs récidivistes avec celui d’une participation accrue des citoyens au fonctionnement de la justice.
Ainsi défini, le champ de compétence des juridictions correctionnelles comprenant des citoyens assesseurs respecte l’exigence constitutionnelle du caractère nécessairement limité de la participation des juges non professionnels à la justice pénale.
S’agissant de l’application des peines, il importe de rappeler au préalable qu’une forme d’association des citoyens existe déjà en matière d’application des peines, mais uniquement en appel et pour certaines décisions très strictement définies que sont le relèvement de période de sûreté, la libération conditionnelle et la suspension de peine (article 712-13 du code de procédure pénale). Les citoyens complétant la formation de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel sont alors un « responsable d’une association de réinsertion des condamnés » et un « responsable d’une association d’aide aux victimes ».
Pour autant, la participation des citoyens à l’application des peines apparaît aujourd’hui insuffisante, particulièrement pour les condamnations les plus lourdes prononcées aujourd’hui par les cours d’assises et, demain, par les tribunaux correctionnels statuant avec des citoyens assesseurs. Dans ces situations, le parallélisme des formes requiert que l’œuvre de justice qui a été accomplie par des jurés ou des citoyens assesseurs ne puisse être remise en cause que par une décision associant également des citoyens.
L’article 9 prévoit donc l’association des citoyens assesseurs à la chambre de l’application des peines de la cour d’appel (CHAP) et au tribunal de l’application des peines (TAP) pour les décisions les plus lourdes que ces juridictions sont amenées à prendre :
— les décisions en appel portant sur le relèvement de la période de sûreté, la libération conditionnelle ou la suspension de peine ;
— les décisions en première instance portant sur le relèvement de la période de sûreté ;
— enfin, les décisions en première instance portant sur l’attribution de la libération conditionnelle, lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée supérieure à cinq ans et que le reliquat de peine est supérieur à deux ans. Ici, il convient de rappeler que la répartition actuelle des compétences entre le juge de l’application des peines (JAP) et le tribunal de l’application des peines (TAP) confie au premier la compétence pour accorder la libération conditionnelle aux condamnés à une peine inférieure ou égale à dix ans ainsi qu’aux condamnés à des peines d’une durée supérieure mais dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à trois ans, tandis que le second est compétent à l’égard des seuls condamnés à des peines supérieures à dix ans dont le reliquat de peine reste supérieur à trois ans. Par l’abaissement de ces seuils, l’article 9 renforce à la fois la collégialité des décisions de libération conditionnelle et la participation des citoyens à des décisions importantes d’application des peines.
La participation des citoyens au fonctionnement des juridictions correctionnelles et de l’application des peines exige enfin que certaines difficultés pratiques soient résolues et ce, à quatre niveaux.
En premier lieu, les citoyens assesseurs seront appelés à siéger pendant une durée limitée à dix jours d’audience dans l’année. Cette durée avait été fixée à huit jours par le projet de loi initial. Une telle durée, relativement brève, avait été retenue pour permettre aux citoyens assesseurs de concilier l’exercice de ce devoir civique avec, dans de très nombreux cas, une activité professionnelle. Cependant, certains procès sont susceptibles d’entraîner de longs débats, obligeant le citoyen assesseur à siéger au-delà des huit jours d’audience initialement prévus.
Consciente des difficultés susceptibles de naître à l’occasion de procès correctionnels particulièrement longs, votre commission a adopté, à l’initiative de votre rapporteur, un amendement portant le nombre de jours d’audience que doit réaliser un citoyen assesseur de huit à dix. Cette durée permettra de concilier, d’une part, respect d’un devoir civique et, d’autre part, exercice d’une activité professionnelle.
En outre, afin de permettre dans tous les cas, y compris si la durée d’audience d’une affaire excède dix jours, une participation sans discontinuité des citoyens assesseurs à de tels procès, l’article 1er du projet de loi apporte une double réponse. Il prévoit, tout d’abord, que si l’examen d’une affaire contraint les citoyens assesseurs à dépasser la durée de dix jours d’audience, ils sont tenus de siéger jusqu’au prononcé de la décision. Il ouvre ensuite au premier président de la cour d’appel ou au président du tribunal de grande instance la faculté de désigner des citoyens assesseurs supplémentaires. Une fois désignés, il leur revient, d’une part, d’être présents dès le début de l’examen de l’affaire et, d’autre part, de prendre la relève du ou des citoyens assesseurs empêchés de suivre les débats jusqu’au prononcé de la décision.
Afin de permettre aux citoyens assesseurs, titulaires ou suppléants, d’exercer pleinement leurs fonctions pendant les dix jours d’audiences auxquels ils seront appelés à siéger, l’article 1er du projet de loi prévoit, conformément à l’exigence de capacité dégagée par le Conseil constitutionnel, que les citoyens assesseurs bénéficieront, avant d’exercer leurs fonctions, d’une véritable formation – et non d’une simple information comme le prévoyait initialement le projet de loi – sur le fonctionnement de la justice pénale ainsi que sur leur rôle et leur mission. Cette dernière précision est issue de l’adoption par votre commission d’un amendement de M. Jean-Pierre Decool.
b) Faciliter l’audiencement des affaires en précisant les règles de renvoi entre les différentes formations du tribunal correctionnel
En deuxième lieu, la nouvelle formation citoyenne du tribunal correctionnel suppose que les règles de renvoi entre les différentes formations de ce tribunal – juge unique et collégialité – soient clairement définies, notamment en cas de comparution immédiate, afin de faciliter l’audiencement des affaires.
Tel est l’objet de l’article 2 du projet de loi, qui prévoit notamment que si le tribunal correctionnel statuant dans sa formation collégiale constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, il renvoie l’affaire devant ce dernier. En revanche, si le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, composé de trois magistrats professionnels et de deux citoyens assesseurs, constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève soit du tribunal correctionnel dans sa formation collégiale, soit du juge unique, l’affaire est jugée immédiatement par les seuls magistrats ou par le seul président suivant la nature de l’infraction.
c) Adapter les modalités de saisine du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne en cas de comparution immédiate
En troisième lieu, dès lors que le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne peut être saisi selon la procédure de la comparution immédiate, il convient de préciser les modalités pratiques de cette saisine, les plus petites juridictions pouvant rencontrer certaines difficultés pour réunir les deux citoyens nécessaires.
À cette fin, l’article 2 du projet de loi prévoit que les règles de procédure de droit commun (28) ont vocation à s’appliquer à la procédure de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, sous réserve de quelques adaptations. Ainsi, dès lors que le tribunal correctionnel avec citoyens assesseurs ne pourra se réunir le jour même et que le procureur de la République estimera que les éléments de l’espèce paraissent exiger une mesure de détention provisoire, ce dernier pourra traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer en chambre du conseil.
Si ce dernier se prononce en faveur de la détention provisoire, celle-ci prendra fin au moment de la comparution devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, laquelle doit intervenir à la première audience de ce tribunal et au plus tard dans un délai de huit jours. À défaut, le prévenu sera remis en liberté d’office.
d) Préserver la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne en cas de contraventions ou de délits connexes
En quatrième et dernier lieu, l’exigence d’une bonne administration de la justice exige que les contraventions ou les délits connexes à une infraction relevant du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne soient jugées par cette seule et même juridiction. En effet, dès lors qu’un individu commet plusieurs infractions ayant un lien étroit entre elles, l’une relevant du tribunal de police ou du tribunal correctionnel statuant à juge unique et l’autre du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, il est indispensable que seul ce dernier soit compétent pour juger l’ensemble de ces infractions.
À cette fin, l’article 2 du projet de loi détermine les règles de connexité qui permettront de porter devant le seul tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne les infractions, qui bien que relevant théoriquement de plusieurs juridictions, présentent un lien étroit entre elles – unité de temps ou de lieu, unité de dessein et lien de causalité entre elles.
Au titre de la connexité, le tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs sera également compétent pour connaître des contraventions et des délits – limitativement énumérés à l’article 2 – connexes aux infractions entrant dans son champ de compétence (voir supra).
À l’inverse, le tribunal correctionnel dans sa formation collégiale devra juger les délits entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, dès lors qu’ils seront connexes à d’autres délits.
Sur la base de ces règles de connexité, le justiciable ne devra pas, pour plusieurs infractions présentant un lien étroit entre elles, saisir simultanément plusieurs juridictions, la compétence de la formation citoyenne du tribunal correctionnel étant à cet égard préservée.
Au final, les dispositions ci-dessus décrites tendant à associer nos concitoyens aux décisions de justice pénale sont pour votre rapporteur tout à la fois nécessaires afin de réconcilier les Français avec leur justice, pleinement respectueuses du cadre constitutionnel, pragmatiques du fait de leur application à titre expérimental et réalistes grâce aux mécanismes juridiques qui les encadrent.
II. L’ADAPTATION DE LA JUSTICE CRIMINELLE
Notre justice criminelle, qui associe les citoyens à son fonctionnement depuis la Révolution, est une justice qui donne globalement satisfaction, notamment par le déroulement de ses audiences, où tant les faits que la personnalité de l’accusé peuvent être examinés pendant une durée et dans des conditions qui garantissent la qualité du procès. Pour autant, elle est affectée par trois difficultés : des délais d’audiencement des affaires parfois excessivement longs ; une tendance à la correctionnalisation de certaines affaires ; enfin, l’absence de motivation des décisions. Le projet de loi remédie à ces difficultés, d’une part, en allégeant le fonctionnement de la cour d’assises (A), et, d’autre part, en instaurant la motivation des décisions criminelles (B).
Bien qu’elle donne globalement satisfaction, la justice criminelle française demeure affectée d’une certaine lourdeur, imputable, d’une part, à sa composition et au régime des sessions, et, d’autre part, au déroulement de l’audience elle-même. Le projet de loi, par ses articles 6 et 8, apporte des réponses à ces différents défauts.
Aujourd’hui composée, d’une part, de trois magistrats professionnels formant la cour, et, d’autre part, d’un jury comprenant neuf jurés en première instance et douze jurés en appel, la cour d’assises est une juridiction faisant intervenir un nombre de « juges » – largo sensu – inhabituel pour une juridiction française, mais justifiée par la gravité des décisions qu’elle est amenée à prendre. Cette composition est aujourd’hui source de lenteurs dans la réunion des cours d’assises, qui aboutissent à un délai moyen d’audiencement – délai séparant la fin de l’instruction close par la mise en accusation et l’ouverture de l’audience – de près de dix mois en 2008 (29). Venant s’ajouter à un délai moyen d’instruction de plus de deux ans (24,2 mois en 2008), ce délai d’audiencement est source d’un inutile allongement des procédures et, parfois, du maintien en détention provisoire, même si l’article 181 du code de procédure pénale prévoit fort justement des délais butoir pour l’ouverture des audiences criminelles concernant des accusés détenus.
Ces lenteurs ont un autre impact, plus difficilement quantifiable, sur la qualification des faits : certains crimes, au prix de l’omission volontaire de certaines circonstances aggravantes, sont « correctionnalisés » par les parquets, qui, connaissant la lenteur de l’instruction et de l’audiencement des affaires criminelles, préfèrent obtenir une condamnation potentiellement moins lourde mais plus rapide. Dans certains cas, notamment dans le cas des viols requalifiés en agression sexuelle, cette minoration de la qualification pénale peut s’avérer extrêmement douloureuse pour les victimes.
Pour répondre à ces deux maux – lenteur et correctionnalisation –, l’article 8 du projet de loi dans son texte initial prévoyait la création, à titre expérimental, d’une composition simplifiée de la cour d’assises, dans laquelle le jury aurait été remplacé par deux citoyens assesseurs. Cette formation simplifiée de la cour d’assises aurait été compétente pour le jugement des crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle, sauf dans les cas où l’accusé s’y serait opposé ou lorsque le parquet aurait requis le renvoi devant une cour d’assises pour un crime puni d’une peine de réclusion criminelle supérieure à vingt ans.
La commission des Lois du Sénat, après avoir certes relevé que le texte proposé par le Gouvernement visait à répondre à « deux difficultés réelles de la justice criminelle » que sont l’engorgement du rôle des cours d’assises et la correctionnalisation des affaires, a toutefois estimé que la réponse apportée n’était pas satisfaisante, au triple motif qu’elle complexifierait la procédure de jugement en matière criminelle, que le bénéfice qui pouvait en être attendu n’apparaissait pas évident et qu’elle aurait eu pour effet d’aligner la composition de la nouvelle formation sur celle du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs (30).
Le Sénat a donc, à l’initiative de son rapporteur lors de l’examen en commission, intégralement réécrit l’article 8, pour remplacer la formule proposée par le Gouvernement par une réduction du nombre des jurés d’assises à six en première instance et neuf en appel.
Les dispositions adoptées par la commission des Lois du Sénat réduisant le nombre de jurés ont été complétées par un amendement de cette même commission adopté en séance publique, destiné d’une part, à simplifier les modalités selon lesquelles sont fixées les sessions d’assises, en supprimant la distinction entre les sessions trimestrielles et les sessions supplémentaires, et, d’autre part, à abaisser le nombre des jurés tirés au sort en début de session d’assises pour composer les listes – principale et spéciale – de session.
Toutefois, votre commission a considéré que le texte adopté par le Sénat, bien qu’il comporte des avancées pertinentes dans l’optique d’alléger le fonctionnement de la cour d’assises et de donner à l’audiencement des affaires un léger gain de fluidité, ne permettrait pas de lutter efficacement contre le phénomène de la correctionnalisation. Pour apporter une véritable réponse à ce phénomène, votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur visant – comme le projet de loi initial – à alléger significativement la composition de la cour d’assises pour les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion, sous réserve que l’accusé ou le ministère public ne s’y opposent pas. Mais, alors que le projet de loi prévoyait, dans le cadre de l’expérimentation des citoyens assesseurs, de remplacer le jury par deux citoyens assesseurs, l’article adopté par la commission maintient le recours au jury, dont la composition sera réduite à trois jurés.
Les dispositions du projet de loi initial qui prévoyaient une réduction de moitié de la durée maximale de détention provisoire que peut subir la personne renvoyée devant la formation simplifiée ont été reprises dans le texte adopté par votre commission.
La création de cette formation simplifiée de la cour d’assises se conjuguera avec la réduction du nombre de jurés à six en première instance pour les affaires qui ne relèveront pas de la formation simplifiée, et à neuf en appel. Ce double allègement permettra un réel gain de temps en termes d’audiencement et une véritable fluidification que, à elle seule, la réduction du nombre de jurés prévue par le Sénat n’aurait pas permis.
Outre la composition de la cour d’assises, le présent projet de loi s’efforce également d’alléger le déroulement de l’audience. À cette fin, l’article 6 remplace la lecture intégrale et systématique de la décision de renvoi par le greffier par la présentation d’un rapport oral et synthétique du président de la juridiction sur les faits reprochés à l’accusé, les principaux éléments à charge et à décharge « figurant dans le dossier, tels qu’ils résultent de la décision de renvoi ». En appel, ce rapport oral introductif du président est complété par le sens de la décision rendue en premier ressort, de sa motivation et, le cas échéant, de la condamnation prononcée.
Aujourd’hui, lorsque s’ouvrent les débats devant la cour d’assises, le président, aux termes de l’article 327 du code de procédure pénale, « invite l’accusé et les jurés à écouter avec attention la lecture » par le greffier « de la décision de renvoi, ainsi que, lorsque la cour d’assises statue en appel, des questions posées à la cour d’assises ayant statué en premier ressort, des réponses faites aux questions, de la décision et de la condamnation prononcée ». Or, comme l’ont indiqué à votre rapporteur des magistrats comme des avocats, cette lecture est une formalité souvent très lourde, qui ne contribue pas nécessairement à éclairer les jurés.
Dans certaines affaires, particulièrement complexes en raison du nombre d’accusés ou des crimes qui leurs sont reprochés, il n’est pas rare d’avoir des décisions de renvoi de trois cents pages, dont la lecture intégrale peut ainsi s’étaler sur une, deux, voire trois journées. Les délais d’audiencement particulièrement longs en matière criminelle justifient que l’on s’attache à alléger certaines formalités – comme la suppression de la lecture de l’arrêt de renvoi –, sans mettre en cause la qualité des débats devant la cour d’assises.
L’institution, à l’ouverture des débats, d’un exposé oral des faits, en lieu et place de la lecture de l’arrêt de renvoi, allégera le formalisme de la procédure devant la cour d’assises, tout en permettant aux jurés de mieux commencer l’examen de l’affaire en comprenant mieux les enjeux du procès. Cet exposé, à l’issue duquel le magistrat donnera lecture de la qualification légale des faits objets de l’accusation, ne devra naturellement pas donner lieu à l’expression d’une quelconque opinion sur la culpabilité de l’accusé, conformément au principe posé par l’article 328 du code de procédure pénale et selon lequel, durant l’interrogatoire, le président « a le devoir de ne pas manifester son opinion sur la culpabilité » lorsqu’il interroge l’accusé et qu’il reçoit ses déclarations.
Si le projet de loi tend à alléger la procédure en matière criminelle, il s’efforce également de l’enrichir, en introduisant l’obligation de motivation des décisions de cours d’assises.
Certes, l’absence de motivation de ces décisions est ancrée dans l’histoire de notre justice criminelle. En effet, depuis la Révolution française, les décisions criminelles n’ont jamais donné lieu à motivation, ce qui constitue une dérogation à la motivation des décisions de justice, telle qu’elle a été consacrée par l’article 15 de la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, aux termes duquel les jugements doivent désormais comporter « les motifs qui ont déterminé le juge ». L’origine de cette dérogation, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, « repose en premier lieu sur la suppression du régime de preuves légales en vigueur sous l’Ancien Régime, remplacé par le régime de la preuve morale, c’est-à-dire l’intime conviction et la liberté de la preuve » (31).
L’absence de motivation des arrêts de cours d’assises, qui s’est continûment imposée au-delà des réformes de la cour d’assises, a été très largement discutée et examinée par les juges constitutionnel, judiciaire et européen, qui ont tous constaté la conformité de ce dispositif aux exigences constitutionnelles, légales et conventionnelles du droit à un procès équitable. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autre, a estimé que la procédure criminelle apportait des garanties légales suffisantes pour exclure tout risque d’arbitraire : les principes d’oralité et de continuité des débats, la saisine de la cour d’assises par un acte juridictionnel motivé, la codification du processus de délibération, l’obligation de poser des questions claires, précises et individualisées, le principe de l’intime conviction, dont la décision rendue est l’expression directe. La Cour européenne des droits de l’homme a, pour sa part, jugé, dans plusieurs arrêts (32), que les réponses données par la cour d’assises compensent adéquatement l’absence de motivation.
Arguant du fait que la motivation n’est commandée par aucune décision du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l’homme, certaines personnes ont estimé, lors de leur audition par votre rapporteur, qu’il n’était pas nécessaire d’introduire une telle réforme. Cependant, le législateur ne saurait être condamné à légiférer exclusivement sous la contrainte de décisions juridictionnelles. Par ailleurs, la motivation des arrêts de cours d’assises apparaît souhaitable à votre rapporteur pour trois raisons.
En premier lieu, il est quelque peu paradoxal qu’en application des articles 485 et 543 du code de procédure pénale, un jugement correctionnel ou contraventionnel soit motivé, alors qu’un arrêt criminel, dont le retentissement est souvent bien plus grand et les conséquences plus lourdes, ne l’est pas.
En deuxième lieu, la motivation de première instance conditionne l’exercice du droit d’appel, dans le mesure où elle permet au condamné de connaître les raisons qui ont fondé la décision des juges et de décider en connaissance de cause s’il doit ou non exercer une voie de recours. Elle offre également à la juridiction du second degré un cadre de référence en permettant de centrer les débats sur les questions importantes. Dans tous les cas, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-René Lecerf, la motivation introduirait une certaine rationalité dans un processus qui fait parfois une trop large part à l’émotivité.
En troisième et dernier lieu, la motivation des décisions criminelles est parfaitement compatible avec la composition et le mode de fonctionnement de la cour d’assises. En effet, l’argument de l’absence supposée de compétence juridique de la part des jurés d’assises, qui interdirait de formaliser les motifs de la décision, sauf à vouloir renforcer excessivement la place des magistrats professionnels dans la délibération, ne tient pas au regard des expériences étrangères qui montrent que les jurés et les magistrats professionnels siégeant ensemble peuvent motiver leurs décisions. Ainsi, en Italie, en Allemagne ou encore en Espagne, où le jugement des infractions pénales les plus graves est le fait de juges professionnels et de jurés ou d’échevins, un magistrat de la cour d’assises est désigné pour rédiger la motivation.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que l’article 7 du projet de loi instaure de manière inédite dans l’histoire de notre justice criminelle, une motivation expresse des arrêts de cours d’assises, distincte de la feuille des questions et formalisée sur un document annexe, intitulé « feuille de motivation ».
Rédigée par le président de la cour d’assises ou par l’un des magistrats assesseurs désigné par lui, cette motivation sera obligatoire aussi bien en cas d’acquittement que de condamnation de l’accusé, auquel cas elle devra alors énoncer les « principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises ». Toutefois, seuls les éléments qui auront été exposés et débattus au cours des délibérations par la cour et le jury et ce, avant que n’interviennent les votes sur les questions, c’est-à-dire avant que la culpabilité de l’accusé ne soit établie, pourront fonder une motivation en matière criminelle.
Votre commission a toutefois amélioré ce dispositif à trois égards.
Elle a tout d’abord, à l’initiative de votre rapporteur, prévu l’hypothèse, soulevée par de nombreux praticiens, dans laquelle la complexité de l’affaire ne permettrait pas la rédaction immédiate de la feuille de motivation. Dans ce cas, elle pourra être rédigée dans les trois jours suivant le prononcé de la décision, comme cela est actuellement le cas, en application de l’article 486 du code de procédure pénale, pour les jugements correctionnels.
Elle a ensuite, compte tenu de la possibilité de différer de trois jours la rédaction de la feuille motivation, limité la signature de cette dernière au seul président, quand le texte adopté par le Sénat prévoyait une double signature du président et du premier juré. Dès lors que la rédaction de la motivation peut être différée de trois jours, il peut s’avérer très difficile, sur un plan pratique, de faire signer le premier juré, qui ne sera plus présent dans les locaux de la juridiction. Par ailleurs, sur un plan juridique, le premier juré pourrait refuser de signer la feuille de motivation qui lui serait présentée, au motif qu’elle ne correspondrait pas aux motivations qui ont pu être exprimées par les jurés au cours du délibéré ou à son intime conviction.
Elle a enfin entendu faciliter la rédaction de la motivation des décisions criminelles, en permettant au président de la cour d’assises de conserver, en vue de la délibération, la décision de renvoi et, en cas d’appel, l’arrêt rendu par la cour d’assises ayant statué en premier ressort ainsi que la feuille de motivation qui l’accompagne.
L’ensemble des dispositions ci-dessus présentées relatives à la procédure criminelle sont pour votre rapporteur de très heureuses améliorations de notre justice criminelle, dont le fonctionnement sera allégé et les décisions seront rendues plus compréhensibles.
III. L’ADAPTATION DE LA RÉPONSE PÉNALE
AUX ÉVOLUTIONS DE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS
Lors de la présentation du projet de loi en séance publique au Sénat, le garde des Sceaux M. Michel Mercier a souligné que « l’esprit dans lequel ce projet de loi a[vait] été élaboré », s’agissant de ses dispositions concernant les mineurs, était de « pouvoir juger les mineurs délinquants dans les meilleures conditions, notamment avec une connaissance plus aiguë de leur personnalité, tout en respectant l’exigence de célérité qui permet de donner pleinement son sens à la sanction » (33).
Car, en effet, notre justice des mineurs n’est plus aujourd’hui adaptée aux caractéristiques de la délinquance des mineurs (A). Le présent projet de loi permet, dans le respect du cadre constitutionnel et conventionnel (B), d’apporter des réponses aux insuffisances de la réponse judiciaire à la délinquance des mineurs (C).
Face à une délinquance des mineurs qui a beaucoup évolué au cours des dernières années (1), la justice des mineurs présente de sévères carences auxquelles il est indispensable et urgent de remédier (2).
L’évolution de la délinquance des mineurs, au cours des années écoulées, est doublement préoccupante : parce que le nombre de mineurs mis en en cause dans les faits de délinquance tend à progresser, d’une part ; et parce que les faits commis par les mineurs, qui sont de plus en plus souvent des atteintes aux personnes, s’aggravent, d’autre part.
Si la délinquance des mineurs préoccupe tant nos concitoyens, et donc fort logiquement leurs élus, c’est d’abord parce que le nombre de mineurs délinquants mis en cause pour des faits de délinquance a connu une progression importante au cours des dernières années, comme le révèlent les données fournies par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) dans son rapport annuel pour 2010.
PART DES MINEURS MIS EN CAUSE PAR LES SERVICES DE POLICE ET DE GENDARMERIE
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 | ||
Nombre de mis en cause |
Majeurs |
833 249 |
873 239 |
898 736 |
925 172 |
964 572 |
960 225 |
Mineurs |
184 699 |
193 663 |
201 662 |
203 699 |
207 821 |
214 612 | |
Total |
1 017 948 |
1 066 902 |
1 100 398 |
1 128 871 |
1 172 393 |
1 174 837 | |
Part des mineurs parmi les mis en cause |
18,1 % |
18,2 % |
18,3 % |
18,0 % |
17,7 % |
18,3 % |
Source : rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales pour 2010
Comme le montre ce tableau, la part des mineurs dans la délinquance est restée globalement stable au cours des cinq dernières années, mais le nombre de mineurs mis en cause a progressé de 16 % : en cinq ans, près de 30 000 faits supplémentaires ont donc conduit à la mise en cause de mineurs. Certes, comme le relève le rapport remis par notre collègue Yvan Lachaud au Président de la République sur le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, « ces données peuvent traduire à la fois une augmentation réelle de la délinquance, une plus grande efficacité des services de la police et de la gendarmerie nationales, ou encore un plus grand nombre d’actes qualifiables pénalement. Il est donc nécessaire de les interpréter avec précaution » (34).
Pour autant, et malgré toutes les réserves qui doivent accompagner l’interprétation de ces données, cette évolution quantitative – incontestable s’agissant de sa tendance – est d’autant plus préoccupante que la nature des infractions commises par les mineurs tend à s’aggraver.
Le rapport annuel de l’ONRDP pour 2010 met en évidence la part croissante que prennent les mineurs dans la délinquance violente. Le tableau ci-après, réalisé à partir des données fournies par ce rapport, montre la « surreprésentation » des mineurs pour les infractions de violences ou commises avec une circonstance aggravante de violence. Il montre aussi la tendance à l’aggravation de cette surreprésentation pour les infractions dont le nombre a augmenté au cours des cinq dernières années. Au contraire, lorsque le nombre de mises en cause pour une catégorie d’infractions diminue, soit ce recul est moins fort pour les mineurs que pour les majeurs (c’est le cas des violences sexuelles), soit même le nombre de mineurs mis en cause continue pour sa part à augmenter (c’est le cas des vols avec violences).
ÉVOLUTION DE LA PART DES MINEURS MIS EN CAUSE EN FONCTION
DE LA NATURE DE L’INFRACTION
Nature de l’infraction |
2004 |
2009 |
Évolution 2004/2009 | ||
Atteintes aux biens |
Ensemble des atteintes aux biens |
Total |
312 547 |
315 649 |
+ 1,0 % |
Nombre de mineurs mis en cause |
98 347 |
106 178 |
+ 8,0 % | ||
Nombre de majeurs mis en cause |
214 200 |
209 471 |
-2,2 % | ||
Part des mineurs |
31,5 % |
33,6 % |
--- | ||
Vols sans violences |
Total |
211 970 |
215 105 |
+ 1,5 % | |
Nombre de mineurs mis en cause |
65 037 |
67 965 |
+ 4,5 % | ||
Nombre de majeurs mis en cause |
146 933 |
147 140 |
+ 0,1 % | ||
Part des mineurs |
30,7 % |
31,6 % |
--- | ||
Vols avec violences |
Total |
22 484 |
21 390 |
- 4,9 % | |
Nombre de mineurs mis en cause |
8 729 |
9 283 |
+ 6,3% | ||
Nombre de majeurs mis en cause |
13 755 |
12 107 |
- 12,0 % | ||
Part des mineurs |
38,8 % |
43,4 % |
--- | ||
Destructions et dégradations |
Total |
78 093 |
79 154 |
+ 1,4 % | |
Nombre de mineurs mis en cause |
24 581 |
28 930 |
+ 17,7 % | ||
Nombre de majeurs mis en cause |
53 512 |
50 224 |
- 6,1 % | ||
Part des mineurs |
31,5 % |
36,5 % |
--- | ||
Violences aux personnes et menaces |
Ensemble des violences aux personnes et menaces |
Total |
185 995 |
245 236 |
+ 31,9 % |
Nombre de mineurs mis en cause |
30 837 |
46 713 |
+ 51,5 % | ||
Nombre de majeurs mis en cause |
155 158 |
198 523 |
+ 27,9 % | ||
Part des mineurs |
16,6 % |
19,0 % |
--- | ||
Violences non crapuleuses |
Total |
132 949 |
188 378 |
+ 41,7 % | |
Nombre de mineurs mis en cause |
21 427 |
36 554 |
+ 70,6 % | ||
Nombre de majeurs mis en cause |
111 522 |
151 824 |
+ 36,1 % | ||
Part des mineurs |
16,1 % |
19,4 % |
--- | ||
Violences sexuelles |
Total |
16 097 |
14 848 |
- 7,8 % | |
Nombre de mineurs mis en cause |
3 853 |
3 721 |
- 3,4 % | ||
Nombre de majeurs mis en cause |
12 244 |
11 127 |
- 9,1 % | ||
Part des mineurs |
23,9 % |
25,1 % |
--- | ||
Menaces ou chantages |
Total |
36 791 |
41 873 |
+ 13,8 % | |
Nombre de mineurs mis en cause |
5 540 |
6 433 |
+ 16,1 % | ||
Nombre de majeurs mis en cause |
31 251 |
35 440 |
+ 13,4 % | ||
Part des mineurs |
15,1 % |
15,4 % |
--- |
En examinant en détail les plus significatifs de ces chiffres, on peut ainsi constater les évolutions suivantes :
— s’agissant des vols avec violences, dont le nombre total a reculé de 4,9 % entre 2004 et 2009, le nombre de mises en cause de mineurs a progressé de 6,3 %, faisant passer la part des mineurs mis en cause pour cette catégorie d’infractions de 38,8 à 43,4 % ;
— s’agissant des destructions et dégradations, dont le nombre total est resté globalement stable sur la période (+ 1,4 %), le nombre de faits dans lesquels sont mis en cause des mineurs a progressé de 17,7 % et leur part dans cette délinquance est passée de 31,5 à 36,5 % ;
— l’augmentation du nombre total de violences aux personnes et de menaces est plus forte pour les mineurs que pour les majeurs : le nombre de majeurs mis en cause pour ce type d’infractions a augmenté de 27,9 % en cinq ans, contre + 51,5 % pour les mineurs ;
— cette augmentation des mises en cause de mineurs pour des faits de violence est particulièrement sensible pour les faits de violences non crapuleuses, pour lesquels l’augmentation est de 36,1 % pour les majeurs et de 70,6 % pour les mineurs ;
— enfin, pour les violences sexuelles pour lesquelles le nombre total de mises en cause a baissé entre 2004 et 2009 (- 7,8 %), la décrue est moins forte pour les mineurs (- 3,4 %) que pour les majeurs (- 9,1 %).
Ce développement de la délinquance juvénile de type violent se double, en outre, du développement d’un phénomène de bandes, auxquelles appartiennent de plus en plus souvent des mineurs de moins de seize ans, comme le relève l’étude d’impact accompagnant le projet de loi : « Certains ressorts sont marqués par une hausse plus significative encore des faits de violence commis dans le contexte d’affrontements de "bandes" impliquant des mineurs de cette tranche d’âge, aux conséquences parfois fatales. Si le phénomène n’est pas nouveau, la violence qu’il génère s’est fortement aggravée ces dernières années et implique des mineurs de plus en plus jeunes, et notamment de moins de seize ans » (35).
Enfin, la dernière évolution de la délinquance des mineurs méritant d’être soulignée est la tendance au développement des violences contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, qu’avait relevée notre collègue Christian Estrosi au cours de la discussion de la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes (36) : « Notre pays est confronté à l’apparition de formes nouvelles de violence, notamment orientées contre les forces de l’ordre. (…) Auparavant, les confrontations étaient imprévues, liées à l’intervention des forces de l’ordre en réaction aux faits commis par les bandes (interpellations, perquisitions…). Désormais, elles sont voulues et organisées par les bandes qui tendent des guets-apens aux forces de l’ordre, et de plus en plus, aux autres personnels, en tenue ou non, chargés d’un service public (pompiers, personnels de santé, postiers, agents EDF, enseignants…) » (37). Or, parmi les auteurs de ces violences envers les forces de l’ordre, les mineurs sont également surreprésentés par rapport à leur part dans la délinquance générale : 3 568 des 17 009 agressions relevées en 2009 contre des personnes dépositaires de l’autorité publique l’ont été par des mineurs, soit 21 % du total, alors que la part des mineurs dans la délinquance générale était pour cette année de 18,3 % (38).
Pour affronter ces évolutions de la délinquance des mineurs, une réponse judiciaire rapide et cohérente serait indispensable. Or, notre justice des mineurs souffre de son excessive lenteur et du défaut de cohérence des réponses qu’elle apporte.
Le constat de la lenteur de la justice des mineurs est un constat largement partagé depuis plusieurs années, bien que, en raison de certaines insuffisances de l’appareil statistique du ministère de la justice, les différents délais séparant la commission des faits, le renvoi devant une juridiction, le prononcé de la décision et l’exécution de celle-ci ne soient pas toujours connus avec une précision satisfaisante (39). L’étude d’impact accompagnant le projet de loi évalue, en 2009, à 9,4 mois le délai entre la saisine du juge des enfants et le jugement en chambre du conseil et à 18,8 mois le délai moyen de réponse pénale pour les condamnations prononcées par les tribunaux pour enfants (40). Ces deux délais révèlent une réalité inquiétante : plus les faits sont graves, plus la réponse judiciaire est lente.
Ce délai anormalement long nuit à l’efficacité et à la portée de la réponse judiciaire apportée à l’acte commis par le mineur : en 2008, Mme Michèle Tabarot, rapporteure de la mission d’information de la commission des Lois de notre assemblée sur l’exécution des décisions de justice pénale concernant les mineurs estimait fort justement que « la justice des mineurs se doit d’être diligente. Si elle arrive trop tardivement, la réponse pénale n’a plus de sens pour le mineur : la machine judiciaire a tourné à vide, l’institution judiciaire est décrédibilisée, et la mesure, quelle que soit sa nature, ne portera pas ses fruits » (41).
Quant à la commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, elle avait, après avoir relevé que « le délai moyen écoulé entre les faits et la condamnation s’était accru, passant de 11,4 mois en 1999 à 15,1 mois en 2006, soit une augmentation de 32,46 %, alors même que le nombre de juges des enfants avait lui-même augmenté de 31,45 %, et que le nombre de condamnations par magistrat n’avait cru que de 16,02 % », estimé qu’« accepter l’idée que le temps de l’éducatif soit nécessairement assez long ce n’est pas accepter qu’un mineur soit jugé plusieurs années après les faits ». Et de conclure : « La cohérence de la réponse pénale, c’est aussi rapprocher le temps de l’infraction et le temps du jugement » (42).
Depuis ces deux rapports, tous deux présentés en 2008, la situation ne s’est – malheureusement – guère améliorée, comme n’a pu que le déplorer notre collègue Michel Zumkeller dans le troisième rapport de la mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale concernant les personnes mineures présenté en juin 2011 : « Selon le ressort de la cour d’appel, les délais de réponse varient de 7 à 22 mois pour les condamnations prononcées par le juge des enfants et de 16 à 22 mois pour celles prononcées par les tribunaux pour enfants. La moyenne pondérée des délais de jugements oscille ainsi de 12 à 20 mois » (43)
C’est en se fondant sur le même constat que notre collègue Yvan Lachaud, dans le rapport qu’il a remis en avril 2011 au Président de la République sur le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, a plaidé pour une accélération de la réponse pénale aux actes commis par les mineurs : « La crédibilité des institutions judiciaires repose sur leur capacité à mettre en œuvre leurs décisions dans un délai compréhensible pour le mineur. Or, le temps des adolescents n’est pas celui propre aux institutions. Un délai excessif entre la commission d’un acte (délit ou incivilité) et la réponse apportée à l’adolescent auteur peut lui laisser penser que son acte est resté sans conséquence et contribue ainsi à développer chez lui un sentiment d’impunité. L’adolescent ayant commis un délit (ou des incivilités) doit être confronté aux conséquences de son acte aussi vite que possible afin que le lien entre l’acte et la réponse apportée soit clairement établi » (44).
La pratique enseigne que les mineurs délinquants peuvent être poursuivis, simultanément ou successivement, pour de très nombreuses infractions, de gravité parfois très variable. Or, il arrive très fréquemment que, faute d’une coordination suffisante entre les différents acteurs concernés et d’une connaissance suffisamment fine de la personnalité du mineur, les réponses apportées se révèlent parfaitement inadaptées à sa trajectoire et à ses besoins éducatifs. Tel est le cas, en particulier des placements en établissement, dont « l’enchaînement » ne répond trop souvent qu’à une logique d’occupation des places vacantes.
Ainsi, lors de sa présentation devant notre commission de son rapport annuel pour l’année 2010, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, a dressé le constat d’une désolante incohérence des réponses pénales concernant les mineurs, lesquels « passent souvent d’un établissement à un autre : ils séjournent dans un centre éducatif fermé, d’abord, pendant un an au maximum, puis dans un établissement pénitentiaire pour mineurs, pour une durée moyenne de trois mois, et ensuite dans un quartier pour mineurs d’un établissement pénitentiaire, à la suite de mauvais comportements. Or, il n’y a aucun lien entre ces différentes séquences : chacune d’entre elles a ses propres projets, ses propres objectifs, ses propres éducateurs et ses propres manières de faire. Comment les mineurs peuvent-ils s’y retrouver ? (…)
« Nous devons désormais réfléchir aux coopérations entre les différents types d’établissements et aux liens de partenariat qu’ils doivent nouer pour que les mineurs comprennent ce qu’on entend faire d’eux. Nous sommes, pour le moment, très loin du compte : les directeurs des établissements ignorent tout de ce qu’il advient des mineurs dont ils ont eu la charge, et ils ne sentent absolument pas responsables de leur devenir. On a l’impression qu’ils sont placés ici ou là pendant une période de parenthèse dont personne ne sait à quoi elle doit conduire » (45).
Dans le même ordre d’idées, lors des déplacements que votre rapporteur a effectués dans des CEF, les personnels ont à plusieurs reprises estimé que certaines réponses – ou plutôt certaines absences de réponses – judiciaires se révélaient incohérentes. Ainsi, ont été cités en exemple à votre rapporteur des cas de refus d’incarcération d’un mineur ayant fugué pendant une longue durée, alors même que la menace d’une incarcération en cas de fugue avait été brandie par le magistrat.
Or, comme l’a relevé M. Yvan Lachaud dans son rapport sur le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, « sur le plan éducatif, rien n’est pire que de prendre un engagement vis-à-vis d’un adolescent et de ne pas le tenir. La personne et l’institution qu’elle représente qui agissent ainsi s’en trouvent totalement décrédibilisées » (46).
Toute réforme de la justice pénale des mineurs doit naturellement respecter les règles constitutionnelles (1) et conventionnelles (2) qui l’encadrent, qu’il convient donc de rappeler ici brièvement.
Le principe de spécialisation de la justice des mineurs et d’adaptation des règles pénales qui leur sont applicables est ancien, puisque, bien avant l’ordonnance du 2 février 1945, existait déjà un droit pénal particulier pour les mineurs. Ainsi, le droit révolutionnaire et le code pénal de 1810 – qui avait fixé la majorité pénale à 16 ans – distinguaient les situations selon que le mineur avait agi avec ou sans discernement (article 66 de l’ancien code pénal). Mais c’est au début du XXe siècle, avec des lois du 12 avril 1906 et du 22 juillet 1912 (47), puis surtout avec l’ordonnance n° 45-74 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, que le droit pénal des mineurs a véritablement pris son autonomie.
Comme le relève le rapport de la commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, le modèle français issu de ce texte est, « dès l’origine, (…) conçu comme un modèle mixte alliant protection, assistance, surveillance éducation mais aussi, répression. Si la préférence éducative est clairement exprimée le système laisse place à la sanction pénale "lorsque les circonstances et la personnalité du délinquant paraîtraient l’exiger" pour tous les mineurs de plus de 13 ans ». Ainsi, le système français de justice pénale des mineurs « est traditionnellement classé dans la catégorie des systèmes dits mixtes, en ce qu’il assure un équilibre entre éducation et répression, et qu’il garde en permanence le souci de préserver la rééducation des mineurs à tous les niveaux de la procédure sans pour autant en sacrifier l’efficacité » (48).
Mais si le principe de spécialité de la justice des mineurs est ancien, ce n’est que récemment, en 2002, qu’il a acquis une valeur constitutionnelle. En effet, c’est la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002 sur la loi d’orientation et de programmation pour la justice qui a, dans les termes suivants, affirmé, ce principe : « Considérant que l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante ; que toutefois, la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu’en particulier, les dispositions originelles de l’ordonnance du 2 février 1945 n’écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n’excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ».
Pour autant, comme l’ensemble des principes dont le Conseil constitutionnel assure la protection, ce principe doit être concilié avec d’autres impératifs ayant également valeur constitutionnelle. S’agissant du principe de spécialité de la justice des mineurs, le Conseil constitutionnel a, dès sa décision de 2002, considéré qu’il devait être concilié avec la préservation de l’ordre public et de la sécurité des personnes et des biens : « Considérant, enfin, que, lorsqu’il fixe les règles relatives au droit pénal des mineurs, le législateur doit veiller à concilier les exigences constitutionnelles énoncées ci-dessus avec la nécessité de rechercher les auteurs d’infractions et de prévenir les atteintes à l’ordre public, et notamment à la sécurité des personnes et des biens, qui sont nécessaires à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle » (49).
Plusieurs instruments internationaux – de portées juridiques différentes – concernent la justice des mineurs. Ils sont ci-après présentés dans un ordre chronologique :
— Les règles de Beijing de l’Organisation des nations unies
Dans une résolution n° 40/33 du 29 novembre 1985, l’Assemblée générale de l’Organisation des nations unies (ONU) a adopté des règles relatives à l’administration de la justice pour mineurs, dites Règles de Beijing. Ces règles, dépourvues d’effet contraignant en droit international et ne constituant pas un traité au sens de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, comportent les éléments suivants :
● tout d’abord, une prise en compte du fait qu’« un mineur est un enfant ou un jeune qui, au regard du système juridique considéré, peut avoir à répondre d’un délit selon des modalités différentes de celles qui sont appliquées dans le cas d’un adulte » ;
● ensuite, l’affirmation des principes selon lesquels « Le droit du mineur à la protection de sa vie privée doit être respecté à tous les stades afin d’éviter qu’il ne lui soit causé du tort par une publicité inutile et par la qualification pénale » et qu’« aucune information pouvant conduire à l’identification d’un délinquant juvénile ne doit être publiée » ;
● en troisième lieu, l’affirmation du principe de protection des intérêts de l’enfant : « La procédure suivie doit tendre à protéger au mieux les intérêts du jeune délinquant et se déroulera dans un climat de compréhension, permettant ainsi à celui-ci d’y participer et de s’exprimer librement » ;
● enfin, l’affirmation de la nécessaire connaissance de la personnalité du mineur : « Dans tous les cas, sauf pour les petites infractions, avant que l’autorité compétente ne prenne une décision définitive préalable à la condamnation, les antécédents du mineur, les conditions dans lesquelles il vit et les circonstances dans lesquelles le délit a été commis font l’objet d’une enquête approfondie de façon à faciliter le jugement de l’affaire par l’autorité compétente ».
— La Convention internationale relative aux droits de l’enfant
La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), en date du 20 novembre 1989, comporte entre autres dispositions l’affirmation de droits et la formulation de recommandations spécifiques à la matière pénale. L’article 1er de la CIDE définit l’enfant comme « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable ».
Le Conseil d’État et la Cour de Cassation reconnaissent un effet direct aux dispositions de la CIDE qui paraissent suffisamment claires et précises pour être appliquées directement sans qu’il soit nécessaire de mettre en place une législation nationale spécifique. Ainsi, sont considérées comme ayant un effet direct les dispositions de l’article 3, dont le paragraphe 1 affirme le principe de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions qui les concernent : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
À l’opposé, les dispositions invitant les États parties à la Convention à adopter des règles conformes aux objectifs visés n’ont pas d’effet direct et ne peuvent être invoquées par un particulier.
— Les lignes directrices du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants
Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté le 17 novembre 2010 de nouvelles lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants. Ce texte, dépourvu de valeur contraignante tout comme, notamment, les Règles pénitentiaires européennes de 2006 (50), a pour objet de formuler des recommandations à destination des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe. Les recommandations formulées portent sur l’adaptation des systèmes judiciaires aux droits, intérêts et besoins spécifiques des enfants face aux différents obstacles rencontrés par eux au sein du système judiciaire.
Comme la CIDE, ces recommandations définissent l’« enfant » comme « toute personne de moins de dix-huit ans ». La notion de « justice adaptée aux enfants » est définie comme un système judiciaire « garantissant le respect et la mise en œuvre effective de tous les droits de l’enfant au niveau le plus élevé possible ». Cette justice adaptée aux enfants doit respecter les principes de participation aux décisions qui les concernent, de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de dignité, de protection contre la discrimination et de primauté du droit.
Le projet de loi vise à répondre aux carences de la justice des mineurs relevées précédemment, dans le respect du cadre constitutionnel et conventionnel entourant la justice des mineurs. Reprenant ou s’inspirant de propositions formulées par la commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, le projet de loi poursuit trois objectifs : premièrement, réduire les délais de jugement (1) ; deuxièmement, adapter les réponses apportées aux actes de délinquance commis par les mineurs (2) ; troisièmement, impliquer pleinement les parents du mineur (3). Votre commission a complété ces dispositions par des adaptations aux règles spécifiques de procédure criminelle applicables aux mineurs (4).
La réduction des délais de jugement des mineurs auteurs d’infractions passe par un préalable, l’amélioration de la connaissance de la personnalité du mineur (a), mais aussi par une adaptation des modes de poursuite (b). Votre commission a complété les dispositions qui figuraient dans le projet de loi adopté par le Sénat par un article introduisant une « césure » du procès pénal des mineurs (c).
a) Un préalable à la réduction des délais de jugement : l’amélioration de la connaissance de la personnalité du mineur
Le constat des professionnels de la justice des mineurs est unanime sur le fait que la connaissance de la personnalité du mineur n’est pas toujours suffisante au moment de son renvoi devant une juridiction et empêche le jugement selon des procédures rapides, alors que des investigations ont pourtant parfois été accomplies dans des délais proches mais ne sont pas connues du magistrat ou de la juridiction devant laquelle comparaît le mineur.
C’est pour remédier à cette carence et rendre possible la nécessaire accélération des délais de jugement que l’article 14 crée dans l’ordonnance du 2 février 1945 deux nouveaux articles relatifs à la connaissance de la personnalité du mineur.
Le premier, le nouvel article 5-1, inscrit dans la loi le principe de la nécessité de la connaissance de la personnalité du mineur avant toute décision pénale le concernant. Dans le texte adopté par le Sénat, cet article prévoyait qu’« avant toute décision prononçant des mesures de surveillance et d’éducation ou, le cas échéant, une sanction éducative ou une peine à l’encontre d’un mineur pénalement responsable d’un crime ou d’un délit doivent être réalisées les investigations nécessaires pour avoir une connaissance suffisante de sa personnalité et de sa situation sociale et familiale ».
Votre commission a, à l’initiative de votre rapporteur, complété cet article pour prévoir que la réalisation des investigations sur la personnalité du mineur avait aussi pour objectif d’« assurer la cohérence des décisions pénales dont il fait l’objet ».
Se trouvent ainsi consacrés dans cet article deux principes fondamentaux de la justice des mineurs que la commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante avait préconisé d’inscrire dans la loi : le principe de connaissance suffisante de la personnalité du mineur, d’une part, et le principe de cohérence de la réponse pénale, d’autre part.
Le second, le nouvel article 5-2, crée le dossier unique de personnalité qui aura vocation à recueillir l’ensemble des éléments relatifs à la personnalité d’un mineur recueillis au cours des enquêtes dont il fait l’objet, y compris dans le ressort de juridictions différentes, ainsi que, le cas échéant, les investigations relatives à sa personnalité et à son environnement social et familial accomplies lors des procédures d’assistance éducative dont il a pu faire l’objet. Placé sous le double contrôle du juge des enfants suivant habituellement le mineur et du procureur de la République territorialement compétent, il pourra être utilisé uniquement dans les procédures suivies devant les juridictions pour mineurs.
Son accès sera réservé aux avocats, aux professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse et aux magistrats saisis de la procédure, ainsi que, sur autorisation du juge des enfants, aux personnels du service ou de l’établissement du secteur associatif habilité saisi d’une mesure judiciaire concernant le mineur. À la suite de plusieurs compléments apportés au projet de loi initial par le Sénat, principalement à l’initiative de son rapporteur M. Jean-René Lecerf, de strictes garanties de confidentialité des informations contenues dans le dossier unique de personnalité sont prévues par le texte adopté par le Sénat.
Votre commission a complété le texte adopté par le Sénat pour renforcer encore les garanties de confidentialité entourant l’accès au dossier unique de personnalité, notamment pour protéger le droit de la famille au respect de sa vie privée et ce que les professionnels de l’enfance désignent sous le terme de « secrets de famille ». Ainsi, le texte adopté par votre commission prévoit-il que les avocats de la partie civile ne pourront avoir accès aux informations issues d’investigations accomplies lors des procédures d’assistance éducative dont le mineur a fait l’objet. Cette modification tient compte du fait qu’il pourrait être inopportun que des informations relatives à des « secrets de famille » puissent être connues de la partie civile, qui est parfois un proche ou un voisin du mineur poursuivi.
En outre, le droit pour les avocats et les parties de disposer de reproductions de pièces du dossier a été mieux encadré par un autre amendement de votre rapporteur, inspiré du dispositif prévu en matière d’assistance éducative par l’article 1187 du code de procédure civile. Ainsi, il ne pourra être délivré de copie de tout ou partie des pièces qu’il comprend qu’aux seuls avocats, pour leur usage exclusif. Le texte adopté permet aux avocats des parties de « transmettre une reproduction des copies ainsi obtenues exclusivement au mineur capable de discernement, à ses père et mère, tuteur ou représentant légal du mineur », qui devront toutefois attester au préalable et par écrit avoir pris connaissance des sanctions encourues en cas de divulgation des informations. L’avocat devra, avant cette transmission, aviser le magistrat saisi de la procédure. Celui-ci pourra, par décision motivée, s’opposer à la remise de tout ou partie de ces reproductions « lorsque cette remise ferait courir un danger physique ou moral grave au mineur, à une partie ou à un tiers ».
Le dispositif adopté par votre commission permettra ainsi de limiter le risque d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’ensemble des membres de la famille.
La délinquance des mineurs appelle une réponse rapide pour être efficace et crédible, dans le respect des principes propres à la justice des mineurs. Pour ce faire, un recours élargi aux modes rapides de justice est une nécessité pour les mineurs ayant déjà fait l’objet de poursuites pénales et poursuivis pour des délits d’une certaine gravité.
La création par l’article 17 du projet de loi d’une procédure de convocation par officier de police judiciaire (COPJ) devant le tribunal pour enfants permettra de répondre à cette nécessité d’une poursuite à la fois rapide et efficace. Le projet de loi assortit cette nouvelle procédure de l’ensemble des garanties nécessaires pour respecter les exigences constitutionnelles issues de la décision précitée du 29 août 2002 sur la loi d’orientation et de programmation pour la justice et rappelées par la décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Ainsi le champ d’application de cette nouvelle modalité de poursuite est-il strictement défini et son recours est-il exclu pour les mineurs n’ayant jamais été poursuivis pénalement. Ensuite, les droits de la défense et les prérogatives des représentants légaux du mineur seront pleinement respectés.
Enfin, les conditions prévues par le texte s’agissant de la connaissance de la personnalité du mineur sont également très strictement et précisément définies, puisque le recours à cette COPJ ne sera possible que si « des investigations sur la personnalité du mineur [ont] été accomplies au cours des douze mois précédents sur le fondement de l’article 8 » de l’ordonnance. Toutefois, à la suite de l’adoption par votre commission d’un amendement de votre rapporteur, le recours à cette procédure sera également possible lorsque, en raison de l’absence du mineur au cours des mesures d’investigation, des éléments plus approfondis n’ont pu être recueillis sur sa personnalité, dès lors que des investigations auront pu être réalisées en application de l’article 12 de l’ordonnance. Une enquête de personnalité complète datant de moins d’un an, sera donc en principe exigée, sauf dans les cas où l’absence du mineur lors de mesures d’investigations ordonnées par le juge des enfants aura eu pour conséquence que ne figurent au dossier que des informations issues du recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE) établi par les personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse à l’occasion du défèrement du mineur au parquet.
Votre commission a adopté un amendement de son président M. Jean-Luc Warsmann et de votre rapporteur créant dans l’ordonnance de 1945 un nouveau chapitre intitulé « De la césure du procès pénal des mineurs » (article 29 bis). Cet article, qui répond à une demande forte de la part des professionnels de la justice des mineurs, figurait parmi les préconisations de la commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 présidée par le Recteur André Varinard.
Les dispositions de ce nouveau chapitre permettront aux juridictions pour mineurs de se prononcer sans délai, dès lors que les faits sont établis, sur la culpabilité et les intérêts civils, tout en reportant la décision sur la peine dans un délai maximal de six mois et en soumettant le mineur condamné à des mesures de contrôle judiciaire ou à un placement dans l’attente du prononcé de la peine. Cette nouvelle disposition procédurale favorisera l’accélération et le renforcement de la cohérence de la réponse pénale apportée aux actes de délinquance commis par les mineurs.
Le projet de loi adapte la réponse pénale à l’évolution de la délinquance des mineurs à un double titre : d’une part, en adaptant les mesures pouvant être prononcées à l’encontre des mineurs (a), et, d’autre part, en apportant, au travers de la création du tribunal correctionnel pour mineurs, un surcroît de solennité à une justice des mineurs qui parfois en manque (b).
La délinquance des mineurs appelle une réponse non seulement rapide, mais aussi adaptée. Or, les évolutions de la délinquance des mineurs, de plus en plus marquée par un recours accru et systématique à la violence et par une incapacité à intégrer les règles de la vie en société, appellent la mise en place d’une gamme de réponses variées, qui puissent à la fois être suffisamment contenantes pour les mineurs mais aussi avoir un fort caractère éducatif.
Tel est le cas des centres éducatifs fermés (CEF), créés par la LOPJ de 2002, qui constituent des structures proposant un équilibre pertinent entre contrainte et éducation. C’est en raison de l’efficacité – avérée et reconnue par nombre de professionnels de l’enfance – des CEF, que l’article 21 prévoit d’étendre les cas de placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize à seize ans afin de développer leur placement en CEF. Le droit actuel limite le placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize à seize ans à deux cas : d’une part, aux mineurs poursuivis pour un délit puni de cinq ans ou plus d’emprisonnement, à condition que le mineur ait déjà fait l’objet d’une ou plusieurs mesures éducatives ou d’une condamnation à une sanction éducative ou à une peine ; d’autre part, aux mineurs poursuivis pour un délit puni de sept ans ou plus d’emprisonnement. Le projet de loi permettra désormais de placer sous contrôle judiciaire, et donc, le cas échéant, en CEF, des mineurs de treize à seize ans encourant une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans pour un délit de violences volontaires, d’agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences, sans qu’il soit nécessaire qu’ils aient déjà été pénalement poursuivis ou condamnés.
L’article 28 poursuit le même objectif d’élargissement des possibilités de placement en CEF, en donnant au juge des enfants la possibilité de décider le placement en CEF d’un mineur dans le cadre d’un aménagement de peine ou d’une peine assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve ou assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général.
Dans le même ordre d’idées, l’article 22 permettra de placer un mineur sous assignation à résidence avec surveillance électronique, ce qui présentera un double intérêt : d’une part, limiter le recours à l’incarcération par une mesure de contrôle appropriée dont la durée s’impute sur la durée de la peine qui peut être ultérieurement prononcée ; d’autre part, permettre la mise en place d’un suivi du mineur qui peut, pendant la durée du placement, être astreint aux mêmes obligations que celles du contrôle judiciaire.
Enfin, dans l’optique de développer la gamme des réponses pouvant être apportées à la délinquance des mineurs, l’article 27 prévoit de permettre la conversion d’une peine d’emprisonnement ferme prononcée à l’encontre d’un mineur en sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général (TIG) dès que le mineur a atteint l’âge de seize ans, y compris lorsque les faits ont été commis alors qu’il était âgé de moins de seize ans.
b) L’augmentation de la solennité de la réponse pénale : la création du tribunal correctionnel pour mineurs
La réponse pénale à la délinquance des mineurs doit être adaptée, cohérente et progressive. Or, la cohérence et la progressivité font aujourd’hui trop souvent défaut, par exemple lorsqu’un mineur est jugé à plusieurs reprises par le juge des enfants en chambre du conseil alors que les faits qu’il commet s’aggravent et que son évolution personnelle marque une dégradation et un ancrage dans la délinquance. Pour que la justice soit crédible aux yeux des mineurs, il est nécessaire qu’une persistance ou un approfondissement dans la voie de la délinquance se traduisent pour le mineur par une réponse judiciaire plus ferme et plus solennelle. Lors de la visite du centre éducatif fermé de Saint-Venant que votre rapporteur a effectuée, les personnels du centre ont confirmé l’importance que revêtait la solennité de la justice, en insistant sur le fait que les mineurs étaient bien plus impressionnés et dissuadés de réitérer par une audience « à la barre » que par une audience « de cabinet ».
C’est précisément pour accroître la solennité et la progressivité de la réponse pénale que l’article 29 institue le tribunal correctionnel pour mineurs, qui sera compétent pour juger les mineurs récidivistes de plus de seize ans poursuivis pour des délits punis d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à trois ans. Ce tribunal sera présidé par un juge des enfants et complété, pour les délits entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne tel que défini à l’article 2 du projet de loi, par deux citoyens assesseurs.
Même s’il convient de ne pas tomber dans le cliché des « parents démissionnaires », dès lors que l’on sait que les parents qui semblent se désintéresser des infractions commises par leur enfant sont souvent des parents dépassés, voire des parents effrayés par leur enfant, il n’en demeure pas moins que certains parents profitent de la faiblesse du droit actuel pour échapper à leurs responsabilités de parents et de civilement responsables. Une implication pleine et entière des parents des mineurs délinquants dans le processus judiciaire est indispensable, et c’est à la loi qu’il incombe de créer les conditions juridiques de cette implication.
C’est dans cet objectif de responsabilisation des parents que le projet de loi prévoit, à l’article 15, que les parents et représentants légaux du mineur poursuivi devront désormais être informés, par tout moyen, des décisions de l’autorité judiciaire condamnant le mineur ou le soumettant à des obligations ou des interdictions.
Aux mêmes fins, l’article 24 prévoit que le jugement concernant les intérêts civils, rendu à l’encontre des représentants légaux d’un mineur absents et non excusés, sera désormais un jugement contradictoire à signifier. En effet, actuellement, lorsque les parents ou représentants légaux d’un mineur sont, en tant que civilement responsables des dommages causés par leur enfant mineur, régulièrement cités à comparaître devant la juridiction devant laquelle leur enfant est poursuivi, mais qu’ils ne comparaissent pas sans fournir une excuse valable, le jugement civil qui est rendu à leur encontre est un jugement par défaut. Un tel jugement présente l’inconvénient d’ouvrir le droit de former opposition au jugement rendu, c’est-à-dire de bénéficier d’une nouvelle audience et d’un nouvel examen au fond en première instance. Outre le temps perdu pour l’institution judiciaire, cette règle permet à des parents pourtant informés de leur citation à comparaître de se désintéresser de façon manifeste non seulement des faits qui sont reprochés à leur enfant mineur mais aussi de leur obligation d’indemniser la victime. La modification prévue par l’article 24 permettra que les personnes civilement responsables, ainsi jugées par jugement contradictoire à signifier, ne puissent plus former opposition au jugement rendu, ce qui ne pourra que les inciter à se présenter à l’audience.
Enfin, pour répondre aux situations les plus extrêmes des parents dont le désintérêt pour les infractions commises par leur enfant apparaît manifeste, l’article 20 institue la possibilité de contraindre à comparaître, par la force publique, les parents ou représentants légaux d’un mineur qui ne défèrent pas à une convocation devant une juridiction pour mineurs. Cette disposition, à visée principalement incitative et à laquelle il ne devra être recouru qu’avec prudence et que dans les cas extrêmes, transpose aux parents – premiers intéressés, après le mineur lui-même, à son devenir et à son sort pénal – une règle qui existe aujourd’hui pour les simples témoins d’une infraction.
Votre commission a complété le texte adopté par le Sénat, en adoptant un amendement de M. Christian Estrosi sous-amendé par votre rapporteur, pour, d’une part, transformer en amende pénale l’amende civile jusqu’ici encourue par les parents qui ne comparaissent pas à l’audience à laquelle ils sont convoqués, et, d’autre part, prévoir la possibilité de contraindre ces parents à suivre un stage de responsabilité parentale, peine complémentaire créée par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et prévue à l’article 131-35-1 du code pénal.
Votre commission a, à l’initiative de votre rapporteur, complété les dispositions du projet de loi concernant le jugement des mineurs par deux dispositions tendant à adapter les règles spécifiques de procédure criminelle applicables aux mineurs.
Tout d’abord, a été adopté un nouvel article 26 bis qui, reprenant une préconisation de la commission Varinard, permet de juger au cours d’un même procès les crimes commis par un même mineur avant l’âge de seize ans et ceux commis après l’âge de seize ans.
En second lieu, ont été adoptés deux amendements de votre rapporteur, l’un ajoutant dans l’article 8 du projet de loi un nouveau paragraphe IV ter, l’autre insérant dans le projet de loi un nouvel article 25 bis, ayant pour objet de redéfinir les règles de publicité applicables aux audiences des cours d’assises des mineurs, lorsque l’accusé mineur au moment des faits est devenu majeur. Reprenant la proposition de loi (n° 1816) déposée par MM. François Baroin et Jack Lang en juillet 2009, adoptée en première lecture par notre assemblée le 16 février 2010, mais qui n’a pas été inscrite à l’ordre du jour du Sénat, ces dispositions, tout en maintenant le principe de la publicité restreinte pour les audiences des cours d’assises des mineurs, y compris lorsque sont jugés des mineurs devenus majeurs, permettent à toutes les parties de demander l’application du régime de la publicité de l’article 306 du code de procédure pénale. Le texte adopté garantit que seront pris en considération par la cour dans la décision qu’elle rendra les intérêts de la société, de l’accusé et de la partie civile.
Au bénéfice des observations qui précèdent, les dispositions du projet de loi relatives au jugement des mineurs sont pleinement approuvées par votre rapporteur, en ce qu’elles permettront de réduire les délais de jugement, d’adapter la réponse pénale aux évolutions de la délinquance des mineurs et d’améliorer l’implication des parents des mineurs auteurs d’infractions.
IV. UN PROJET DE LOI COMPLÉTÉ, AU SÉNAT ET À L’ASSEMBLÉE NATIONALE, PAR DES DISPOSITIONS TENDANT À L’AMÉLIORATION DE L’EXÉCUTION DES PEINES
En dépit d’évolutions positives au cours des dernières années, tant sur le plan législatif que sur le plan budgétaire, la célérité et la qualité de l’exécution des décisions de justice pénale doivent demeurer une préoccupation constante du Gouvernement, du Parlement et de l’ensemble des acteurs de la justice. C’est pour assurer un suivi parlementaire permanent sur cette question que notre Commission a décidé, dès le début de la présente législature et pour toute sa durée, de créer une mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale, dont les constats et les propositions ont d’ores et déjà permis d’amorcer une évolution positive. Ainsi, par exemple, la généralisation des bureaux de l’exécution des peines (BEX) dans les tribunaux, a permis de réaliser certains progrès dans l’exécution de certaines peines, principalement de travail d’intérêt général et d’amende. En revanche, la mise à exécution des peines d’emprisonnement ferme reste trop lente, voire dans certains cas extrêmement aléatoire (51).
Afin de poursuivre l’amélioration de l’exécution des peines, décisive pour la crédibilité et l’efficacité de la justice, le Sénat a introduit dans le projet de loi de nouvelles dispositions tendant, d’une part, à améliorer l’encadrement de la libération conditionnelle des criminels dangereux, et, d’autre part, à améliorer le suivi des condamnés à des peines exécutées en milieu ouvert. Votre commission, partageant le souci du Sénat de l’effectivité de l’exécution des décisions de justice, a apporté au texte qui lui était soumis des aménagements et des compléments.
Les articles 9 bis et 9 ter, ajoutés par la commission des Lois du Sénat à l’initiative – respectivement – de son rapporteur M. Jean-René Lecerf et du Gouvernement, renforcent les conditions du prononcé de la libération conditionnelle pour les personnes condamnées à de lourdes peines. Le champ d’application de ces nouvelles dispositions comprenait, dans le texte adopté par le Sénat, les personnes condamnées à une peine privative de liberté d’une durée supérieure ou égale à dix ans pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru. Cependant, le seuil de peine retenu par le Sénat aurait privé d’efficacité le nouvel encadrement de la libération conditionnelle, qui aurait concerné un nombre de personnes trop important : ainsi, près de 1 200 personnes auraient été obligatoirement soumises à une évaluation de leur dangerosité préalablement à l’octroi d’une libération conditionnelle, pratiquée pendant une durée de six semaines au sein du Centre national d’évaluation (CNE) de Fresnes, alors que ce centre n’a réalisé en moyenne au cours des trois dernières années que cinquante évaluations de dangerosité relevant de ce cadre procédural. C’est pour cette raison que votre commission a, à l’initiative de votre rapporteur, remonté le seuil de peine prononcée requis pour ces nouvelles conditions à quinze ans, sauf pour les infractions susceptibles de donner lieu à un placement en rétention de sûreté (52), pour lesquelles le seuil d’évaluation a été maintenu à dix ans.
Le renforcement des conditions de la libération conditionnelle pour les condamnés entrant dans le champ de l’article 9 bis ainsi défini est réalisé par quatre modifications des règles aujourd’hui applicables.
● Premièrement, l’article 9 bis modifie la répartition des compétences entre juge et tribunal de l’application des peines (TAP) en matière de libération conditionnelle, pour donner au TAP une compétence exclusive pour l’octroi d’une libération conditionnelle aux condamnés entrant dans son champ d’application, quelle que soit la durée de la détention restant à subir. Cette modification permettra de renforcer la collégialité des décisions en matière de libération conditionnelle, par parallélisme avec la collégialité des décisions de condamnation elles-mêmes : ce qu’une juridiction collégiale a décidé doit, dans le plus grand nombre de situations, être aménagé par une juridiction collégiale. Précisons que, dans le ressort des cours d’appel dans lesquelles la participation des citoyens assesseurs sera mise en œuvre à titre expérimental à compter du 1er janvier 2012, cet élargissement de la compétence du TAP se combinera avec la participation des citoyens à sa composition.
● Deuxièmement, l’article 9 bis étend le champ d’application de l’évaluation de dangerosité préalable à une libération conditionnelle, ainsi que de l’appréciation de l’opportunité de mettre en place un traitement inhibiteur de la libido :
— actuellement préalable à la libération conditionnelle uniquement pour les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, l’évaluation de la dangerosité sera dorénavant nécessaire préalablement à la libération conditionnelle de tout condamné à une peine d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ou à une peine d’une durée égale ou supérieure à dix ans pour une infraction pour laquelle le placement en rétention de sûreté serait possible ;
— s’agissant de l’appréciation de l’opportunité de la mise en place d’un traitement anti-libido, l’article prévoit qu’elle sera obligatoire lorsque la personne a été condamnée pour un crime mentionné à l’article 706-53-13, c’est-à-dire d’un crime pour lequel un placement en rétention de sûreté à l’issue de la peine serait possible.
Soulignons ici que l’existence de condamnations pour lesquelles la loi prévoit une évaluation de dangerosité obligatoire préalablement à une libération conditionnelle n’exclut évidemment pas, pour les condamnés pour lesquels l’évaluation n’est pas rendue obligatoire, la possibilité pour l’autorité judiciaire d’ordonner une telle évaluation : l’article 712-16-1 du code de procédure pénale prévoit en effet que « Dans l’exercice de leurs attributions, les juridictions de l’application des peines peuvent procéder ou faire procéder, sur l’ensemble du territoire national, à tous examens, auditions, enquêtes, expertises, réquisitions, (…) permettant de rendre une décision d’individualisation de la peine ».
● En troisième lieu, l’article 9 bis renforce la progressivité de la mesure de libération conditionnelle, en étendant le champ d’application du « sas » obligatoire de placement sous le régime de la semi-liberté ou sous surveillance électronique fixe ou mobile, préalablement à une libération conditionnelle. Actuellement applicable aux personnes dont la condamnation est « assortie d’une période de sûreté d’une durée supérieure à quinze ans », ce sas intermédiaire avant l’octroi d’une libération conditionnelle sera dorénavant obligatoire aux condamnés à une peine d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ou à une peine d’une durée égale ou supérieure à dix ans pour une infraction pour laquelle le placement en rétention de sûreté serait possible.
● Parallèlement, l’article 9 ter assouplit les conditions dans lesquelles une mesure de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) peut être mise en œuvre dans le cadre d’une libération conditionnelle, en supprimant la condition d’un examen de dangerosité préalable au prononcé d’un PSEM dans le cadre d’une libération conditionnelle. Il s’agit là d’un assouplissement répondant « à une demande des praticiens » (53). Toutefois, l’effet de cette suppression de l’évaluation de dangerosité préalable à un placement sous PSEM dans le cadre d’une libération conditionnelle sera très largement atténué par l’extension du champ de cette évaluation préalable à toute mesure de libération conditionnelle que prévoit l’article 9 bis. Ainsi, l’évaluation de la dangerosité tendra donc, par l’effet des dispositions combinées des deux articles 9 bis et 9 ter, à se généraliser préalablement à la libération conditionnelle des personnes condamnées à de lourdes peines.
Un nouvel article 9 quater A, introduit par votre commission à l’initiative de M. Bernard Gérard, apporte une autre mesure d’assouplissement du placement sous PSEM, en supprimant l’article 131-36-11 du code pénal qui prévoyait que ce placement devait, lorsqu’il était prononcé en tant que mesure de sûreté dans le cadre d’une peine de suivi socio-judiciaire, soit faire l’objet d’une motivation spéciale en matière correctionnelle, soit être décidé à la majorité qualifiée des deux tiers des voix en matière criminelle.
Le suivi des condamnés en milieu ouvert souffre parfois d’un certain manque de célérité dans sa mise en place et de continuité dans son exécution, auquel l’article 9 quater, issu de l’adoption par le Sénat, en séance publique, d’un amendement de la commission des Lois avant d’être modifié et complété par deux amendements adoptés par votre commission, apporte trois éléments de réponse.
D’une part, l’article modifie l’article 474 du code de procédure pénale pour préciser que la convocation devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) d’un condamné à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis ou à une peine de TIG, vaut saisine de ce service. Cette disposition permet de lever toute ambiguïté sur le moment de la saisine du SPIP et accélérera la mise en place du suivi et l’exécution de la peine.
D’autre part, il crée dans le code de procédure pénale un nouvel article 741-1 prévoyant la remise aux personnes condamnées à une peine assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME) partiel d’une convocation devant le SPIP. Le texte adopté par le Sénat prévoyait que cette convocation devait intervenir dans un délai maximal de trente jours suivant la libération ; votre commission a abaissé ce délai maximal à huit jours, délai à la fois suffisamment bref pour garantir la continuité du suivi entre le milieu fermé et le milieu ouvert et suffisamment long pour pouvoir effectivement être mis en œuvre par les SPIP avec une anticipation suffisante des libérations. Pourra ainsi être évité le phénomène encore trop souvent constaté de la discontinuité dans l’exécution d’une peine pourtant unique assortie d’un sursis partiel : la personne sortant de prison à l’issue de la partie ferme de sa peine devra désormais être convoquée devant le SPIP dans un délai bref de huit jours au plus pour se voir notifier ses obligations dans le cadre de la partie avec sursis de sa peine.
Enfin, l’article 9 quater a été complété par un amendement de M. Bernard Gérard relatif à l’exécution des peines de SME et de suivi socio-judiciaire et comportant un double objet. D’une part, l’amendement adopté permet au juge de l’application des peines, lorsqu’une personne condamnée à un SME ou à un suivi socio-judiciaire doit exécuter cette mesure à la suite d’une peine privative de liberté, de modifier les obligations qui lui sont imposées pendant son incarcération, c’est-à-dire avant le début de la mesure. Cette possibilité permettra notamment, dans le cas où figure parmi les obligations du condamné une interdiction de rencontrer la victime, que soit pris en compte un changement de résidence de celle-ci dans la définition des zones géographiques que le condamné n’est pas autorisé à fréquenter. D’autre part, il prévoit – à l’instar du dispositif adopté par le Sénat pour les condamnés à un SME partiel – la remise au condamné à une peine de suivi socio-judiciaire, avant sa libération, d’une convocation à comparaître devant le JAP ou le SPIP dans un délai maximal de huit jours. Cette disposition permettra ainsi une prise en charge rapide du condamné à un suivi socio-judiciaire lorsque cette mesure s’exécute après une peine privative de liberté.
L’ensemble des dispositions relatives à l’exécution des peines va dans le bon sens aux yeux de votre rapporteur, qui considère qu’elles seront de nature à favoriser une meilleure compréhension par nos concitoyens des décisions d’application des peines.
V. UN PROJET DE LOI COMPLÉTÉ À L’ASSEMBLÉE NATIONALE PAR DES DISPOSITIONS SUR LA VICTIME ET LA PARTIE CIVILE
À l’issue d’un long et riche débat, votre commission a adopté plusieurs nouveaux articles prévoyant de nouvelles règles relatives aux prérogatives des victimes ou parties civiles dans le procès pénal et dans l’exécution des peines. Si la disposition adoptée en matière d’aide aux victimes (A) et les dispositions renforçant le droit de la victime ou de la partie civile à l’information (B) méritent d’être saluées, en revanche, la disposition prévoyant le droit pour la partie civile de former appel ou de se pourvoir en cassation contre une décision d’acquittement (C) soulève de sérieuses interrogations sur sa compatibilité avec la conception française traditionnelle du procès pénal.
Votre commission a adopté un nouvel article 1er A, issu d’un amendement de M. Jean-Paul Garraud, assouplissant les conditions dans lesquelles une association, se proposant dans ses statuts d’assister les victimes d’actes terroristes, peut exercer les droits reconnus à la partie civile. En effet, l’article 2-9 du code de procédure pénale prévoit, dans sa rédaction actuelle, qu’une telle association doit être « régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits ».
Cette condition ayant pu apparaître trop restrictive, l’amendement adopté par votre commission reconnaît ce droit à toute association ayant au moins cinq ans d’existence, cette ancienneté n’étant plus appréciée par rapport à la date à laquelle les faits ont été commis mais par rapport à la date de la constitution de partie civile.
Votre commission a adopté, avec des avis favorables de votre rapporteur, trois amendements de M. Marc Le Fur insérant dans le projet de loi de nouveaux articles renforçant le droit à l’information des victimes ou parties civiles.
Le premier, l’article 1er quinquies prévoit qu’en matière criminelle, la partie civile qui n’a pas interjeté appel sur ses intérêts civils est tout de même avisée par tout moyen de la date à laquelle l’affaire sera appelée à l’audience. Il s’agit là d’une précision importante qui permettra à la partie civile d’être mieux associée tout au long du procès criminel et d’exercer pleinement les droits que le code de procédure pénale lui reconnaît, notamment à son article 380-6, qui prévoit que « même lorsqu’il n’a pas été fait appel de la décision sur l’action civile, la victime constituée partie civile en premier ressort peut exercer devant la cour d’assises statuant en appel les droits reconnus à la partie civile jusqu’à la clôture des débats ».
Le deuxième, l’article 9 quinquies, fait obligation au juge de l’application des peines ou au service pénitentiaire d’insertion et de probation d’informer la victime ou la partie civile préalablement à la libération de l’auteur de l’infraction qu’elle a subie, dès lors qu’elle en a fait la demande et que cette libération intervient à la date d’échéance de la peine. Cette information sera délivrée pour les infractions visées à l’article 706-47 du code de procédure pénale, à savoir les crimes de meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, les agressions ou atteintes sexuelles, le proxénétisme à l’égard d’un mineur et le recours à la prostitution d’un mineur.
Le troisième, l’article 9 sexies, fait également obligation au juge de l’application des peines ou au service pénitentiaire d’insertion et de probation d’informer la victime ou la partie civile de la date de fin d’une mesure de mise à l’épreuve qui, assortissant une peine d’emprisonnement avec sursis, interdisait à l’auteur de l’infraction de paraître dans un lieu ou une zone spécialement désignée ou d’entrer en relation avec la victime ou la partie civile.
Signalons ici également, dans le même ordre d’idées, l’adoption à l’article 9 d’un amendement de M. Christian Estrosi, visant à faciliter l’exercice par la victime ou la partie civile de la faculté qui peut lui être donnée par les juridictions de l’application des peines de présenter des observations préalablement à la cessation anticipée de l’incarcération de l’auteur de l’infraction. L’article 712-16-1 du code de procédure pénale prévoit aujourd’hui que ces observations peuvent être adressées par la victime « directement ou par l’intermédiaire de son avocat ». L’article adopté précise que la victime ou la partie civile aura la possibilité d’adresser ses observations à la juridiction « par tous moyens à [sa] convenance ».
C. LE DROIT POUR LA PARTIE CIVILE DE FORMER APPEL OU DE SE POURVOIR EN CASSATION CONTRE UNE DÉCISION D’ACQUITTEMENT
Enfin, votre commission a adopté, contre l’avis de votre rapporteur et du Gouvernement, un amendement de M. Marc Le Fur instituant le droit pour la partie civile devant la cour d’assises d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation en cas d’acquittement de l’accusé (article 1er quater). À l’appui de cet amendement, ses auteurs ont fait valoir qu’il leur paraissait nécessaire d’élargir, en matière criminelle, le droit d’appel de la partie civile, aujourd’hui possible sur les seuls intérêts civils, aux cas d’acquittement, afin de lui permettre de concourir à la reconnaissance de l’éventuelle culpabilité pénale du mis en cause.
L’adoption de cet article dans le présent projet de loi soulève deux questions. Premièrement, votre rapporteur ne peut que s’interroger sur sa place dans un projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, dont l’objet premier n’est pas de redéfinir les prérogatives respectives des différentes parties à l’instance pénale. Le risque que cette disposition puisse faire l’objet d’une censure en raison de l’absence de lien avec le texte en discussion ne lui paraît pas devoir être négligé.
Secondement, votre rapporteur estime nécessaire d’attirer fortement l’attention sur les implications que l’introduction d’un droit d’appel de la partie civile contre une décision d’acquittement aurait sur la nature même de notre procédure pénale.
En effet, l’introduction de cette mesure dans notre droit processuel soulève plusieurs incertitudes. Avec une telle disposition, le risque que la partie civile ne devienne un second accusateur, placé quasiment sur le même plan que le ministère public, serait réel. Une telle évolution ne reviendrait-elle pas alors à faire de la procédure pénale l’instrument d’une justice privée, dont le développement des règles de vie en société nous a progressivement – et heureusement – éloignés ? Par ailleurs, le risque de donner à la victime de faux espoirs, en lui permettant de faire appel contre l’avis du ministère public, n’est pas mince. Enfin, la motivation des jugements criminels, avancée qui est prévue à l’article 7 du projet de loi (voir supra), permettra désormais aux victimes et aux parties civiles de comprendre les raisons qui ont mené à la condamnation ou à l’acquittement de leur agresseur. Elles seront ainsi mieux en mesure d’accepter la décision du parquet général de faire ou non appel de la décision.
Pour ces raisons, votre rapporteur estime nécessaire qu’un débat approfondi, mais serein, ait lieu à nouveau lors de l’examen du projet de loi en séance publique sur la pertinence de l’adoption par notre assemblée de l’article 1er quater adopté par votre commission.
AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS
Au cours de sa séance du mercredi 8 juin 2011, la Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (n° 3452).
M. Sébastien Huyghe, président, rapporteur. Soyez le bienvenu, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter ce projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs.
La première partie de ce texte, relative aux citoyens assesseurs, fera l’objet d’une expérimentation. La seconde vise à modifier l’ordonnance de 1945 sur les mineurs.
M. Bernard Roman. Ce ne sera que la cinquième ou sixième fois !
M. Dominique Raimbourg. Puisque la Commission des lois doit examiner, à la fois, ce projet de loi et le rapport d’information de M. Zumkeller sur l’exécution des peines et la mise en place des bureaux d’exécution des peines pour les mineurs placés sous main de justice, ne pourrions-nous pas commencer par l’examen du rapport afin d’en tirer des conclusions pour le projet de loi ?
M. Sébastien Huyghe, président, rapporteur. Compte tenu des obligations de chacun, je m’en tiendrai à l’ordre du jour.
M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. Ce projet de loi, qui a été adopté par le Sénat, vise trois objectifs : accroître la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, améliorer le fonctionnement des assises et adapter la justice pénale des mineurs.
Comme s’y était engagé le président de la République dans son programme électoral de 2007, le projet accroît la participation des citoyens à la justice pénale. Ce volet, sans doute le plus emblématique du texte, permet d’ouvrir les formations de jugement aux citoyens assesseurs, en correctionnelle et en matière de suivi de l’application des peines.
Accroître la participation des citoyens au fonctionnement de la justice, c’est leur permettre de se rapprocher de cette institution et de mieux appréhender l’office du juge, grâce à un engagement civique fort. C’est également modifier les pratiques des magistrats professionnels, dans le sens d’une justice plus intelligible et plus accessible.
Pour nos compatriotes, ce sera le moyen d’expérimenter directement la démocratie et d’exercer un acte civique.
Ce sera en outre pour la victime une forme de reconnaissance du préjudice qu’elle a subi. Les citoyens participeront désormais, dès la première instance, au jugement des délits les plus graves, qui portent quotidiennement atteinte à la sécurité et à la tranquillité.
La discussion au Sénat a permis d’élargir le champ des délits concernés et d’améliorer sa cohérence : les citoyens assesseurs participeront au jugement de tous les délits portant atteinte aux personnes, à leur intégrité physique ou morale, à leur identité ou à leur environnement, dès lors que la peine encourue est supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement et que ces délits ne relèvent pas de la compétence du juge unique ou d’une juridiction spécialisée. Par exemple, l’abus de faiblesse, le délaissement de mineurs aggravé, les violences volontaires, les vols avec violence ou l’usurpation d’identité relèveront de ces formations de jugement.
Les contentieux les plus complexes, qui supposent un haut niveau de technicité, tels que les contentieux économiques et financiers ou de délinquance organisée, resteront de la compétence de magistrats et de pôles spécialisés. Le Gouvernement poursuit dans ce domaine le mouvement indispensable de spécialisation que requièrent ces contentieux très techniques.
La composition des nouvelles formations de jugement a été définie conformément à la décision du 20 janvier 2005 du Conseil constitutionnel, qui impose une majorité de magistrats professionnels. Le collège sera composé de cinq personnes, trois magistrats professionnels et deux citoyens assesseurs.
L’unicité de la formation de jugement est préservée : magistrats et citoyens seront amenés à juger ensemble toute une série d’affaires. Ils auront le même poids lors du délibéré.
Les citoyens assesseurs participeront également au suivi de l’application des peines : ils siégeront aux côtés des magistrats du tribunal d’application des peines et des chambres d’application des peines pour toutes les décisions relatives notamment à la libération conditionnelle ou au relèvement de la période de sûreté, dès lors que la peine est supérieure à cinq ans d’emprisonnement.
Associer les citoyens à ce stade de la procédure renforce la cohérence de notre système pénal et garantit la continuité de notre chaîne pénale, puisque ces décisions modifient ou aménagent des peines qui, à 80 %, ont été prononcées aux assises.
Les débats au Sénat ont permis d’enrichir le texte pour mieux évaluer la dangerosité des détenus et ne pas procéder à des sorties sèches de criminels dangereux condamnés à de lourdes peines. Le projet étend ainsi les évaluations pluridisciplinaires réalisées dans les centres nationaux d’évaluation et prévoit, avant toute libération conditionnelle, un placement à titre probatoire sous surveillance électronique mobile. Le texte renforce, par ailleurs, le suivi des personnes condamnées, qui recevront leur convocation par les services pénitentiaires d’insertion et de probation avant même leur sortie de prison ; ces services seront immédiatement saisis de leur dossier, sans attendre leur désignation formelle par le juge d’application des peines.
Les citoyens assesseurs seront sélectionnés par tirage au sort, à partir des listes préparatoires aux jurys d’assises. Les citoyens retenus ne pourront se soustraire à leur devoir civique, sous peine d’amende. Je précise que leur participation sera de courte durée, huit jours dans l’année, et qu’elle sera indemnisée.
Le Sénat a simplifié le système de sélection tout en supprimant les critères qui permettaient de garantir l’impartialité, la moralité et l’aptitude des jurés tirés au sort. Tel qu’il vous est soumis aujourd’hui, le dispositif présente moins de garanties que le projet de loi initial et apparaît fragile au regard des exigences posées par le Conseil constitutionnel. Il serait intéressant que votre commission se penche sur cette question.
La réforme sera accompagnée de moyens supplémentaires. Nous évaluons à quelque 40 000 par an le nombre d’affaires auxquelles pourraient participer les citoyens assesseurs, et nous envisageons le recrutement de 155 magistrats et de 108 greffiers : deux concours exceptionnels sont organisés, cette année, à cet effet.
L’intervention des citoyens assesseurs modifiera les pratiques actuelles : cette réforme suppose un effort de pédagogie de la part des magistrats, qui liront un exposé de l’affaire au début de l’audience.
Cependant, il ne faut pas que la réforme entraîne un surcroît inutile de travail. En matière de comparution immédiate, le Sénat a réduit le délai de présentation devant le tribunal correctionnel d’un mois à huit jours, délai plus conforme aux exigences constitutionnelles que celui que prévoyait le texte initial.
Nous avons également prévu une mise en œuvre progressive de la réforme, pour évaluer son impact sur l’organisation judiciaire. Comme le permet l’article 37-1 de la Constitution, le texte s’appliquera dès le 1er janvier 2012 dans deux cours d’appel, puis sera étendu à un tiers du territoire au début de 2013, pour être généralisé au 1er janvier 2014.
Le deuxième volet du projet vise à simplifier le fonctionnement des assises en vue de lutter contre la pratique de la correctionnalisation. Aujourd’hui, la nature du jugement diffère selon le point du territoire où l’affaire est examinée. Un viol est jugé comme un crime, ce qu’il est au regard de la loi, dans un département peu dense et comme une agression sexuelle, c’est-à-dire comme un délit, dans un gros département. Pour répondre à l’exigence d’égalité, il convient donc d’alléger la formation des assises.
Actuellement, seules 2 400 affaires sont jugées chaque année aux assises et 200 en appel. Pour faire face à l’encombrement de certaines cours, et pour juger les auteurs des faits dans des délais raisonnables, certaines affaires sont renvoyées en correctionnelle. Il faut lutter contre cette tendance – sauf à revoir la qualification des infractions.
Le Gouvernement proposait de remplacer les jurés par des citoyens assesseurs, dans une formation composée de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs pour l’ensemble des crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle. Ces assises simplifiées n’ont pas rencontré l’accord du Sénat, qui a préféré une réduction du nombre de jurés, sans distinction des catégories de crimes. Aux termes de l’accord trouvé à la Haute assemblée, trois magistrats et six jurés siégeront en première instance et trois magistrats et neuf jurés en appel. Pour alléger la procédure, le Sénat a par ailleurs remplacé la lecture de l’arrêt de renvoi, longue et fastidieuse, par un rapport oral du président en début d’audience.
De même, le texte prévoit l’obligation, pour les cours d’assises, de motiver leurs décisions.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 1er avril dernier, considère que la procédure actuelle, qui consiste à répondre à une série de questions, est conforme à la Constitution. Cependant, il m’apparaît essentiel de permettre aux parties de mieux comprendre le sens de la décision, ce qui leur permettra, en outre, de former leur appel en connaissance de cause.
Le Sénat a souscrit à ces avancées et amélioré le dispositif, en prévoyant notamment la lecture de la feuille de motivation au moment du prononcé du verdict.
Le projet de loi améliore, en troisième lieu, le fonctionnement de la justice des mineurs. Comme vous le savez, le Gouvernement y réfléchit depuis plusieurs années. En 2008, il avait chargé le recteur Varinard de faire des propositions pour améliorer l’ordonnance de 1945.
Je tiens à saluer également la qualité du travail mené par votre commission en vue d’enrichir la réflexion. Sur l’exécution des décisions de justice concernant les mineurs, je sais que M. Zumkeller vous présentera tout à l’heure son rapport : votre constat rejoint très largement celui qui motive le projet soumis à votre examen, c’est-à-dire la nécessité d’obtenir une réponse judiciaire rapide et de développer des mesures mieux adaptées.
Le projet de code de la justice des mineurs est quasiment achevé, à la Chancellerie, mais le terme très proche de la législature ne nous permet pas d’envisager sa discussion dans l’immédiat. Le Gouvernement a donc souhaité présenter d’abord une série de modifications pour améliorer dès à présent la célérité et l’efficacité de la réponse pénale à l’égard des mineurs. Le délai moyen de jugement des mineurs, 18 mois entre la commission des faits et la décision de justice, est trop long pour que la réponse pénale puisse avoir une dimension pédagogique. Ce n’est pas non plus satisfaisant pour la victime.
Les évolutions de l’ordonnance de 1945 qui vous sont proposées reposent sur trois piliers : la priorité donnée à l’éducatif ; la spécialisation des structures et les garanties de procédure ; l’excuse de minorité. Ces propositions respectent les principes de l’ordonnance de 1945, tels que le Conseil constitutionnel les a validés.
Le projet de loi vise en premier lieu à améliorer la lutte contre la récidive et à prévenir tout ancrage des jeunes dans la délinquance. Il propose d’abord d’élargir les conditions de placement en centre éducatif fermé : tous les jeunes qui encourent une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement pourront bénéficier d’un placement dans ces centres. Cette prise en charge pluridisciplinaire, très renforcée, sera ainsi facilitée pour les mineurs, même primo-délinquants, qui commettent des faits graves.
Ces centres doivent bénéficier à un plus grand nombre. Ils ont montré leur efficacité en matière de prévention de la récidive et de réinsertion des jeunes : plus des deux tiers des mineurs, souvent difficiles, qui en sortent, ne récidivent pas. Nous travaillons à améliorer l’offre en ce domaine.
Lutter contre la récidive, c’est également apporter une réponse pénale progressive et adaptée. C’est dans cette perspective que le texte crée le tribunal correctionnel pour mineurs, qui jugera les mineurs délinquants de plus de seize ans, en état de récidive légale, qui encourent une peine supérieure à trois ans d’emprisonnement.
Cette juridiction offrira une solennité plus grande dans la comparution des mineurs. Il s’agit bien cependant d’une juridiction spécialisée, « spécialement composée » pour reprendre les mots du Conseil constitutionnel : la formation de jugement comprendra trois juges, dont un juge des enfants, qui, selon le texte du Sénat, la présiderait. La juridiction pourra prononcer des sanctions éducatives et la procédure suivie sera celle du tribunal pour enfants.
Le projet de loi prévoit que le parquet pourra convoquer directement le mineur devant le tribunal pour enfants, par voie de convocation par officier de police judiciaire. En introduisant cette procédure, le Gouvernement a veillé au strict respect des conditions posées par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 11 mars.
Pour améliorer le fonctionnement de la justice des mineurs, il faut que les acteurs disposent d’informations approfondies et cohérentes sur la personnalité et le parcours du mineur. C’est ce que permettra le dossier unique de personnalité que le projet vous propose de créer.
Enfin, le texte responsabilisera les parents, en permettant à la juridiction d’émettre un ordre de comparaître pour les contraindre à assister à l’audience de leur enfant.
Telles sont les grandes lignes de ce projet.
M. Sébastien Huyghe, président, rapporteur. Trois questions, Monsieur le garde des Sceaux.
La réduction du nombre des jurés, telle que le Sénat l’a votée, sera-t-elle suffisante pour enrayer le phénomène de correctionnalisation de certains crimes ?
Le Sénat a augmenté le nombre des infractions qui relèveront du tribunal correctionnel comportant des citoyens assesseurs : cela ne risque-t-il pas de tuer le dispositif lui-même ?
Enfin, le texte prévoit l’extension des centres éducatifs fermés aux primo-délinquants pour les délits les plus graves, ce qui implique l’augmentation du nombre de ces centres – selon l’étude d’impact, il faudrait vingt nouveaux centres. Ne conviendrait-il pas de s’orienter vers une spécialisation des centres afin de ne pas mélanger les multirécidivistes avec les autres mineurs ?
M. le garde des Sceaux. Un centre éducatif fermé a été construit sur mon canton. On peut en construire ailleurs.
M. Bernard Derosier. Les ministres ont un canton…
M. le garde des Sceaux. Monsieur Derosier, vous connaissez parfaitement les règles cantonales.
En raison de leur petit nombre, les premiers centres ont été généralistes. Rien n’interdit, demain, leur spécialisation, par exemple par le biais des formations professionnelles dispensées. Ces centres réalisent, entre l’activité sportive et la formation, un véritable travail de reconstruction des jeunes, le but poursuivi étant de leur éviter la prison.
Le texte adopté par le Sénat sera moins efficace que le texte initial du Gouvernement dans la lutte contre la correctionnalisation des crimes. Toutefois, il permettra théoriquement, au regard de la disponibilité des magistrats et des salles d’audience, de tenir 50 % d’audiences criminelles supplémentaires.
Enfin, l’augmentation, adoptée par le Sénat, du nombre des infractions entrant dans le champ des tribunaux correctionnels avec citoyens assesseurs fera passer de 38 000 à 40 000 les affaires traitées : l’impact n’est donc pas considérable.
M. Marc Dolez. Monsieur le garde des sceaux, comment justifiez-vous le recours à la procédure accélérée, s’agissant des mineurs, alors que vous annoncez dans l’exposé des motifs qu’un code de la justice pénale des mineurs est en préparation ?
L’article 31 du projet prévoit la mise en œuvre progressive des dispositions relatives aux citoyens assesseurs. Peut-on encore parler d’expérimentation, et donc évoquer un objet limité, alors que, selon l’étude d’impact, cette expérimentation touchera 40 000 affaires ? De plus, comment l’égalité des citoyens devant la justice sera-t-elle garantie si, à quelques kilomètres de distance, pour des faits identiques, les justiciables ont affaire à des formations de jugement différentes ?
S’agissant des critères permettant de recourir aux citoyens assesseurs, est-il conforme au principe d’égalité des citoyens devant la loi de faire juger des délits par des formations différentes selon la nature des faits et non selon le montant de la peine encourue ?
La création d’un tribunal correctionnel pour mineurs ne risque-t-elle pas, d’autre part, de discréditer le tribunal pour enfants, qui sera dessaisi des situations les plus complexes ?
Enfin, comme M. Raimbourg l’a évoqué, notre commission examinera, à la suite de votre audition, le rapport d’information sur l’exécution des peines et la mise en place des bureaux d’exécution des peines pour les mineurs placés sous main de justice. En dépit de sa diversité politique, la commission est unanime à reconnaître l’intérêt de ce rapport. Or, on ne peut qu’être frappé des contradictions existant entre les propositions du rapport et le projet de loi que vous nous présentez.
Ainsi, alors que la quatrième proposition du rapport souligne la nécessité d’« évaluer les résultats en termes de réinsertion, des aménagements de peine sous la forme du placement sous surveillance électronique », le projet de loi élargit le recours à la surveillance électronique mobile pour les mineurs de treize ans.
De même, la banalisation du placement en centre éducatif fermé va à l’encontre de la première des propositions du rapport qui vise à « diligenter dans les meilleurs délais une évaluation des résultats des établissements pénitentiaires pour mineurs en matière de réinsertion, pour en améliorer les performances », tant la continuité de la prise en charge éducative pose actuellement problème.
Si vous aviez vraiment voulu être à l’écoute du Parlement, la logique aurait voulu, monsieur le garde des Sceaux, que vous preniez connaissance des préconisations du rapport, dont la commission va probablement autoriser la publication à la suite de votre audition, avant de nous présenter le volet du texte consacré aux mineurs.
M. Dominique Raimbourg. Quelle est la logique d’un projet de loi qui vise, sous le prétexte d’associer les citoyens à la justice, à supprimer des jurés d’un côté pour instaurer des assesseurs de l’autre – d’autant que, s’agissant de la justice des mineurs, on constate la disparition des assesseurs spécialisés ?
Quel est, de plus, le coût de la réforme ? L’étude d’impact évalue le coût de fonctionnement – postes de travail et indemnités des jurés – sans intégrer la création des 155 postes de magistrats et des 108 postes de greffiers. N’aurait-il pas été plus utile de dépenser autrement cet argent, alors que la justice manque cruellement de moyens ?
Par ailleurs, comment un projet de loi peut-il aller à l’encontre de la totalité des rapports rendus, notamment par les députés de la majorité parlementaire ? Selon le rapport de M. Yves Lachaud, il n’est pas nécessaire de toucher à l’ordonnance de 1945 ; quant à M. Michel Zumkeller, il s’inquiète d’un état des lieux insatisfaisant de la justice des mineurs. Dans ces conditions, pourquoi mettre en avant ce projet de loi ?
Quant à la correctionnalisation, c’est un phénomène massif et injuste : massif puisque, chaque année, la police recense quelque 17 000 crimes et que les cours d’assises ne rendent que 2 500 arrêts ; injuste puisqu’il ne revêt pas la même ampleur selon les départements. Une augmentation de 50 % des audiences criminelles ne permettra pas de lutter efficacement contre la correctionnalisation des crimes.
En outre, selon l’étude d’impact, 635 mineurs seraient justiciables des nouveaux tribunaux correctionnels pour mineurs prévus par le texte et créés, pour certains, avec jurés et, pour d’autres, sans jurés. Aujourd’hui, il existe déjà 156 tribunaux pour enfants : à quelle rationalité ou à quelle urgence répond la création de 156 tribunaux correctionnels supplémentaires pour juger 635 mineurs, au prix d’une véritable désorganisation de la justice des mineurs ?
Du reste, comment affirmer que la complexification de la procédure accélérera le jugement des mineurs ? Il conviendra en effet d’opérer un tri entre les affaires relevant du tribunal pour enfants et celles relevant du tribunal correctionnel pour mineurs avec ou sans jurés, ce qui retardera d’autant le jugement des mineurs récidivistes.
Enfin, en quoi la présence d’un unique juge des enfants au sein du tribunal correctionnel pour mineurs garantira-t-elle la constitutionnalité du dispositif, alors que les deux assesseurs étant des juges pour enfants, ceux-ci sont majoritaires à la cour d’assises des mineurs statuant sur les mineurs de seize à dix-huit ans ? Le fait, pour le juge des enfants, d’être minoritaire au sein du tribunal correctionnel pour mineurs n’est-il pas un motif d’inconstitutionnalité ?
Mme George Pau-Langevin. Nous sommes très surpris de cette réforme, qui ne figurait pas dans l’avant-projet de code pénal de l’an dernier et n’est manifestement demandée par aucun rapport ni aucune organisation professionnelle.
Sur quelles données, d’abord, se base votre étude d’impact ? Nous n’avons trouvé dans les Chiffres clefs de la justice de la Chancellerie, aucun élément permettant de fonder vos statistiques. Et quel sera, en termes de moyens, l’impact de l’élargissement considérable effectué par le Sénat ?
S’agissant des délais de jugement, notre justice correctionnelle est déjà très embouteillée. Les magistrats sont obligés de tenir des audiences tard le soir et n’ont qu’un temps assez limité à consacrer à l’examen des affaires. Quelle amélioration attendre lorsqu’ils devront en plus expliquer des notions de droit élémentaire aux citoyens assesseurs ? Cette réforme va plutôt allonger les délais.
Par ailleurs, juger est un acte grave. Les magistrats sont astreints à une formation longue, précise et exigeante. Comment faire exercer la même activité à des personnes certes armées de bonne volonté, mais n’ayant reçu qu’une formation d’une journée et un petit fascicule ? Où les juges pourront-ils trouver le temps de former ces gens qui seront à la fois des stagiaires et observateurs, et leurs collègues ? En outre, on pourra être juré si l’on n’a pas été condamné à plus de six mois d’emprisonnement. Verra-t-on des gens condamnés à la prison avec sursis pour conduite en état d’ivresse juger, aux côtés des magistrats qui les auront condamnés, des personnes poursuivies pour homicide en état d’ivresse ?
Rien n’est prévu non plus sur la protection de ces personnes appelées à participer à l’œuvre de justice. Dans les quartiers, certains citoyens hésitent déjà à porter plainte par crainte de se retrouver face à celui qu’ils auront mis en cause. Qu’avez-vous prévu pour ceux qui seront appelés à juger les petits voyous de leur quartier, lorsqu’ils retourneront chez eux après l’audience ?
Par ailleurs, vous n’avez soumis qu’un certain nombre de délits au jugement par les citoyens, prétendument ceux qui touchent à la sécurité quotidienne. Mais pourquoi d’autres, qui nous semblent tout aussi importants pour la sécurité des particuliers, notamment des délits économiques et financiers, n’ont-ils pas été pris en compte ? On répondra peut-être que c’est une délinquance plus élaborée, qui demande plus de connaissances techniques. Mais les affaires qui touchent à l’environnement ou à la santé – songeons au sang contaminé par exemple – demandent aussi une grande expertise, et vous n’en avez pas moins prévu la présence des citoyens ! Selon quels critères avez-vous opéré votre sélection ?
Pour toutes ces raisons, nous pensons que ce projet de loi va plutôt accroître les difficultés de la justice, qui n’en avait pas besoin, que régler quelque problème que ce soit.
M. Olivier Dussopt. Nombreux sont les parlementaires à avoir constaté dans les juridictions, malgré les annonces sur l’augmentation du budget de la justice, une véritable crise de moyens – en personnel, en temps ou en matériel. Cela se traduit par une accumulation de dossiers en souffrance et par des retards dans l’aide juridictionnelle. Cette crise matérielle s’ajoute à une crise morale, les magistrats ayant le sentiment d’avoir perdu la considération des plus hautes autorités de l’État. Les dégâts de ces dernières années ne seront certainement pas compensés par ce texte.
Un grand nombre de dispositions concernant la justice des mineurs ne sont pas acceptables. Elles tendent à un alignement sur la justice des adultes. Au contraire, la justice des mineurs doit conserver un caractère particulier. Les mineurs qui ont commis un crime ou un délit ne doivent pas être punis comme des majeurs, mais remis dans le droit chemin. Le rôle de la justice et de la société est de leur permettre de devenir des citoyens respectueux des lois. La justice des mineurs doit avant tout être éducative, pédagogique et préventive pour leur vie d’adulte. Les dispositions que vous nous présentez sont-elles le signe d’un renoncement au projet de code des mineurs ou d’une réforme assumée de l’ordonnance de 1945, ou une avancée vers l’alignement de la justice des mineurs sur celle des adultes ?
Par ailleurs, dans la cour d’assises des mineurs, les juges pour enfants étaient majoritaires. Dans le tribunal correctionnel pour mineurs, il y aura un juge pour enfants et deux juges pour adultes, et les assesseurs spécialisés dans les questions de l’enfance seront remplacés par des citoyens assesseurs non spécialisés – ce qui renvoie d’ailleurs aux problèmes de formation soulevés par George Pau-Langevin. En quoi la justice des mineurs va-t-elle être améliorée par la diminution du nombre de juges pour enfants et de spécialistes ?
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président de la Commission.
M. Jean-Paul Garraud. Faire participer davantage les citoyens à la justice pénale est une très bonne chose. On sait que l’expérience de juré apporte beaucoup, à la justice comme à l’intéressé. Mais on sait aussi les difficultés matérielles que connaissent les cours d’assises. J’ai entendu que certaines sessions n’avaient pas été réunies faute de pouvoir payer les indemnités de juré, qui avoisinent au total 200 euros par jour…
Le projet aborde aussi le renforcement du suivi individualisé des personnes dangereuses, ce qui soulève la question du centre national d’évaluation. Il serait très positif de créer des centres régionaux d’évaluation.
Troisième sujet, essentiel : la simplification de la procédure de cour d’assises. Je l’appelle de mes vœux depuis des années. En effet, alors qu’il appartient au législateur de déterminer quels faits sont des crimes, en pratique, huit à neuf crimes sur dix sont jugés par le tribunal correctionnel afin d’éviter la procédure trop lourde de la cour d’assises. La vraie question est donc de faire passer tous les crimes devant des juridictions criminelles, où siègent des jurés. De deux choses l’une : soit l’on simplifie véritablement la procédure de cour d’assises, soit le législateur déclasse de nombreux crimes ! Mais on ne peut tolérer la situation actuelle. Or, je crains que la volonté de simplification du texte initial n’ait été complètement gommée lors de son passage devant le Sénat. Il faut y revenir – et encore n’était-il pas suffisant. La meilleure solution serait de créer un tribunal d’assises départemental permanent, composé de magistrats professionnels et de citoyens assesseurs.
Dès lors qu’il y a des jurés dans des tribunaux correctionnels cela pose également la question de l’oralité des débats, qui demande du temps. Il faut exposer l’affaire dans tous ses détails – et il y a de nombreuses affaires à exposer ! Le tribunal correctionnel va de pair avec un certain rythme de procédure. Les individus qui ont commis des crimes doivent être jugés rapidement, mais l’oralité des débats ne pourra que ralentir le cours de la justice. Les délais entre la fin des enquêtes et le jugement des prévenus vont augmenter. Bref, au lieu de passer trente ou quarante affaires dans la journée, on risque d’en rester à deux ou trois ! Cela aura aussi des répercussions sur les enquêtes de police et de gendarmerie.
Enfin, il y a toute la question de l’application des peines, qui est essentielle. Le projet de loi en traite aussi, nous y reviendrons.
M. Jacques Valax. Le lien entre correctionnalisation des affaires relevant des assises et manque de moyens me semble évident. Il faut en revenir à des principes essentiels.
Ce texte est une nouvelle diversion, un nuage de fumée pour masquer les problèmes matériels de la justice. Il vise à amuser le peuple – pour le faire participer, dit-on par démagogie, alors que le peuple a bien d’autres préoccupations. En outre, il est susceptible d’entrer en vigueur dès le 1er janvier prochain… alors que le projet de loi relatif au référendum d’initiative partagée n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée, bien que ce droit figure dans la Constitution, à l’article 11, depuis 2008 ! On se targue de participation, mais dès qu’il s’agit de questions institutionnelles essentielles, on rechigne !
Ce texte est dangereux parce qu’il remet en cause le fonctionnement même de la justice – il contribue à la désacralisation de l’acte de justice. Car juger est un acte grave. Vouloir le faire accomplir par des citoyens, c’est dévaloriser la fonction de magistrat. En outre, ce texte est l’occasion de porter une fois de plus atteinte à l’ordonnance de 1945, de remettre en cause le statut spécifique du droit des mineurs. Ces deux points sont extrêmement graves. Le travail des magistrats est très difficile, ils l’accomplissent avec rigueur, sérieux, équilibre, réflexion et maturité. La contribution des citoyens n’améliorera en rien le fonctionnement de la justice : tout est question de moyens. Comme l’a dit Jean-Paul Garraud, le problème essentiel, c’est l’exécution, et ce texte n’apportera rien en la matière.
Mme Marietta Karamanli. Il existe au niveau européen de nombreuses analyses et propositions, ou des recommandations du Conseil de l’Europe et du Conseil des ministres, relatives par exemple à la privation de liberté, qui ne doit intervenir qu’en dernier recours, ou à la justice des mineurs. Votre projet ne les prend pas en compte. Vous ne vous interrogez pas non plus sur le fait que plusieurs États membres du Conseil de l’Europe privilégient depuis deux décennies la répression et enferment les mineurs de plus en plus jeunes sans en avoir obtenu aucun résultat jusqu’à présent.
En outre, il est regrettable de ne pas avoir examiné d’abord le rapport sur l’exécution des décisions de justice pénale concernant les mineurs. Sans compter qu’un autre rapport, commandé par le Président de la République, fait au même moment des propositions contradictoires avec votre projet. Bravo pour le respect du travail du Parlement !
Par ailleurs, on ne trouve dans ce projet aucun aspect de justice réparatrice, qui permette de prendre en compte la victime et qui donne un sens à la peine.
Enfin, il faudra revoir de près sa compatibilité avec les normes constitutionnelles, communiquer les chiffres manquants concernant la délinquance des mineurs et les centres éducatifs fermés, qui jouent un rôle central, et se préoccuper un peu de mesures de prévention qui permettraient d’éviter la récidive. Bref, vous n’avez pas pris le temps de la réflexion. Encore un projet bâclé, alors qu’il n’y avait pas urgence.
M. André Vallini. Après l’intervention de Jean-Paul Garraud, la mienne vous paraîtra d’autant plus modérée que j’ai toujours été partisan d’une plus grande participation des citoyens à l’œuvre de justice. Mais votre texte souffre de nombreux défauts. Il est bâclé et précipité. Son idée de base a été inspirée au Président de la République par l’affaire de la petite Laëtitia, à Pornic – car depuis plusieurs années, la politique pénale est menée au gré des faits divers les plus horribles de l’actualité. Et il n’est pas financé – comment justifier une réforme si coûteuse alors que vous n’avez même pas les moyens de financer la réforme de la garde à vue, notamment en matière d’aide juridictionnelle ? Voilà les raisons qui nous conduisent à nous y opposer.
Par ailleurs, la participation des citoyens me paraît souhaitable pour des raisons strictement opposées à celles du Président de la République. Dans son esprit, il s’agit de stigmatiser une fois de plus le pseudo-laxisme des juges, qui n’existe que dans ses fantasmes. Pour moi, il s’agira, après avoir fait calmement évoluer la situation, de faire comprendre aux citoyens que rendre la justice est chose compliquée, et de les rapprocher des magistrats.
Mme Sandrine Mazetier. Nous partageons tous l’objectif vertueux de ce texte : rapprocher les citoyens de l’œuvre de justice. Pour être constructifs, nous vous faisons donc une proposition d’application immédiate : retirez l’article 20 du projet de loi de finances rectificative qui est en cours d’examen, qui aura pour effet d’éloigner prodigieusement les citoyens de la justice puisqu’il crée une taxe de 35 euros à l’encontre des justiciables ! Faites faire des économies à nos concitoyens et vous contribuerez grandement à les rapprocher de la justice – ou au moins à ne pas les dissuader d’y faire appel. D’ailleurs, après l’analyse de Dominique Raimbourg sur le chiffrage de l’étude d’impact, faut-il craindre que cette taxe soit doublée dès la fin de l’année, afin de financer la présente réforme ?
Et qu’en est-il de la protection des assesseurs ? Si vous n’avez rien prévu, c’est coupable. Sinon, cela aura un coût. Enfin, pourquoi limiter le périmètre de ce projet, sans prendre en compte des délits qui pèsent sur la sécurité et le bien-être au quotidien – en particulier la délinquance économique et financière ? Pourquoi exclure le travail dissimulé, qui porte largement atteinte à notre économie et à notre système de protection sociale ?
Mme Delphine Batho. Nous vivons une crise majeure de l’institution judiciaire, qui est une des causes du durcissement de la délinquance. On pourrait accuser l’opposition de partialité, mais il suffirait de donner lecture intégrale des rapports d’Etienne Blanc et d’Eric Ciotti pour ce qui est des délais de jugement ou de l’exécution des peines par exemple, pour comprendre la situation. Je vous ai écrit le 22 avril à propos du tribunal de grande instance de Niort, et je n’ai reçu aucune réponse sur le fond. Votre texte passe complètement à côté des vrais problèmes et, comme l’a dit Jean-Paul Garraud, il va aggraver la situation en matière de délais de jugement et d’exécution des peines.
On assiste actuellement à une multiplication préoccupante d’incidents dans les établissements pénitentiaires pour mineurs – à Lavaur, à Marseille, à Meyzieu. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté s’est exprimé sur le sujet, et le rapport Zumkeller y revient. Allez-vous, oui ou non, revoir le projet de ces établissements ?
Par ailleurs, toujours en matière de délinquance des mineurs, il faut aujourd’hui sortir de la double impasse entre impunité et incarcération menant à la récidive. Le rapport d’Eric Ciotti reprend une de nos propositions de la campagne présidentielle sur les nouvelles alternatives à l’incarcération, notamment sur l’encadrement militaire des délinquants. Quelle est la position du Gouvernement ? Que répond-il à la proposition de la ville de La Rochelle et de la région Poitou-Charentes de l’expérimenter dès maintenant sur les sites qui sont abandonnés par le ministère de la défense ?
M. Claude Goasguen. Ce texte est la conséquence de ce que nous n’ayons pas su faire une réforme globale de la procédure pénale. Je regrette franchement que ces questions soient traitées comme des problèmes d’urbanisme ou de tarif de l’électricité. On sait bien qu’il existe des lois de circonstance mais en matière juridique, et en particulier de juridictions pénales, c’est extrêmement grave. Ce défaut d’analyse en temps utile nous mène à multiplier les textes de circonstance qui ne procèdent d’ailleurs pas tous de la même philosophie, ce qui posera à terme des problèmes considérables lorsque nous voudrons tout remettre à plat.
Ce projet repose sur deux idées fausses. La première, c’est cette tendance à considérer que les magistrats sont laxistes.
M. le garde des Sceaux. J’ai toujours soutenu le contraire !
M. Claude Goasguen. Certes, mais d’autres personnalités ont dit le contraire. Or, les études comparatives montrent que les sentences rendues en France sont beaucoup plus dures que dans les autres pays.
Deuxième idée complètement fausse : que les assesseurs vont tout arranger. Au contraire, les jurys populaires sont en général moins sévères que les magistrats ! Ce sont d’ailleurs les éléments qui permettent d’adoucir les peines qui sont les plus faciles à expliquer, tant en ce qui concerne l’application des peines que le délibéré… Ce texte aura donc un effet inverse de celui souhaité, et le garde des Sceaux, qui, lui, est un juriste, le savait déjà.
Il se pose aussi une question de constitutionnalité. Certes, le droit d’expérimentation est un droit constitutionnel dans un certain nombre de domaines d’organisation. Mais faire juger les mêmes délits par une juridiction dans une circonscription et par une autre dans celle d’à côté, cela pose un problème constitutionnel évident, et d’ailleurs très complexe. Il ne s’agit pas d’organisation, mais de sanction, et il m’étonnerait fort que le milieu judiciaire ne dépose pas des questions prioritaires de constitutionnalité à tour de bras sur cette question.
Enfin, le texte tel qu’il est issu du Sénat n’est absolument pas acceptable en ce qui concerne la justice pour enfants – j’insiste sur ce terme : le mot « mineur », qui est purement mathématique, ne correspond pas à l’ordonnance de 1945. Je ne suis pas un fan de cette ordonnance, et j’ai voté plusieurs modifications, mais vous êtes aujourd’hui en train de noyer dans la justice ordinaire des juridictions qui devraient être de plus en plus spécifiques. Ce qu’il nous faut, c’est un véritable code de l’enfance, avec une réflexion sur l’enfance en général, au lieu d’une justice des mineurs qui considère mécaniquement que selon son âge, on est complètement coupable ou pas du tout. Cette notion totalement obsolète ne rend pas compte de la difficulté des choses, et nous amène à des catastrophes. Je m’étonne que le garde des Sceaux soit allé dans ce sens – mais je sais qu’en tant que tel, il est obligé de porter d’autres sujets que les siens… Quoi qu’il en soit, et en particulier sur ce sujet, le projet ne sera pas acceptable sans des amendements très importants.
M. le garde des Sceaux. Il me reste peu de temps pour répondre aux nombreuses questions, et je suis à la disposition de la Commission pour revenir donner des réponses plus détaillées, ainsi que pour faire le point sur l’exécution des peines, qui est en effet un sujet essentiel.
Ce projet de loi n’est pas un texte de circonstance, il répond à un engagement pris par le Président de la République lors de la campagne de 2007.
Ensuite, dire que notre objectif, en renforçant la participation des citoyens à la formation correctionnelle, serait d’obtenir des sentences plus dures est une contrevérité : toute notre histoire pénale montre le contraire. En 1932, si nous avons réintroduit les magistrats professionnels dans le délibéré des assises, c’est parce que les jurés prononçaient 40 % d’acquittements ! Par ailleurs, nos magistrats n’ont rien de laxiste – sans quoi d’ailleurs, le débat sur l’inexécution des peines serait moins vif. Ce sont des magistrats républicains qui appliquent la loi pénale telle que le Parlement l’a votée. Non, cette participation doit être entendue comme un acte civique qui permette de mieux comprendre la justice – une justice constamment et injustement critiquée alors que sur le terrain, on voit que les magistrats, greffiers ou agents de la pénitentiaire croulent sous le travail.
En ce qui concerne les assises, j’espérais pour ma part aller plus loin. Le contexte juridique est marqué par cette décision du Conseil constitutionnel de 2005 disant que, dans un tribunal correctionnel de droit commun, les magistrats professionnels doivent être majoritaires. Il n’y a aucune raison qu’il change d’avis à propos d’un tribunal d’assises départemental. La solution serait une configuration à deux jurés et trois magistrats – la solution proposée par le texte initial du Gouvernement, et que MM. Garraud et Goasguen soutiennent.
Enfin, concernant la justice pour mineurs, je ne peux pas accepter ce qui a été dit. J’ai veillé, c’était essentiel pour moi, au respect de l’ordonnance de 1945 et surtout de la loi de 1912, qu’on oublie trop souvent et qui pose tous les principes qui fondent l’ordonnance. Ces textes imposent une juridiction spécialement composée pour les mineurs et une procédure spéciale. Ce sont deux conditions essentielles.
M. Claude Goasguen. Mais il n’y a plus de juge des enfants, il est noyé au sein du tribunal !
M. le ministre. Non seulement il y en a un, mais il préside la formation !
Mme Sandrine Mazetier. Il est seul !
M. le ministre. Exactement comme au tribunal des enfants ! Je me tiens à votre disposition pour revenir en discuter.
M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le ministre, je vous remercie.
Au cours de sa séance du mercredi 15 juin 2011, la Commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (n° 3452).
Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale s’engage.
Mme George Pau-Langevin. Autant nous sommes favorables à l’entrée des citoyens dans le processus de la justice pénale autant, pour nous, ce projet de loi gâche cette bonne idée.
De plus, il ne répond pas à la question très grave de la réintégration dans le droit chemin des mineurs qui ont pu commettre un écart. Si, de façon générale, les propositions du rapporteur améliorent le texte, elles ne semblent pas aller dans le bon sens sur ce point. Je pense notamment à la reprise de la très mauvaise idée de la publicité des débats en cour d’assises des mineurs, à laquelle le Sénat n’avait pas donné suite.
Peut-être le garde des Sceaux sera-t-il en mesure aujourd’hui de développer les réponses aux questions que je lui ai posées la semaine dernière.
Les propositions du rapporteur nous permettent de progresser sur certains points. J’avais notamment signalé l’anomalie qui pouvait amener une personne condamnée à se retrouver associée à son juge pour juger une autre personne. Les propositions du rapporteur permettent de remédier à ce dysfonctionnement. Cependant, beaucoup des questions que nous avons posées demeurent sans réponse. Il en est ainsi de celle des moyens ; en l’absence de réponse, nous avons l’impression que la modification proposée allongera les procédures ; une audience où étaient traitées vingt ou trente affaires ne permettra d’en traiter tout au plus que cinq ou six. Que deviendront celles qui n’auront pu être inscrites à l’ordre du jour ?
Il nous est aussi exposé que les motivations de la cour d’assises devront davantage être explicitées et qu’il est envisageable qu’elles soient rédigées dans un délai de trois jours. Mais comment le magistrat pourra-t-il coordonner son action avec des citoyens pris par leurs obligations professionnelles ?
Les propositions du rapporteur de porter à dix jours les périodes pendant lesquelles les citoyens assesseurs pourront siéger et celles de les protéger du licenciement ne règlent pas, pour nous, la question de savoir comment ils pourront s’absenter de leur travail en toute sérénité. Elles ne répondent pas non plus à notre préoccupation que les jurys ne soient pas principalement composés de chômeurs et de retraités, constituant alors une représentation qui ne pourrait pas être pleinement fidèle de la position du peuple français au regard des délits qu’ils seront amenés à juger.
Eu égard à la durée des procédures qui les concernent, le rapporteur nous propose aussi d’écarter du champ de la juridiction populaire les délits relatifs à l’environnement.
Cependant, il ne répond pas à d’autres de nos préoccupations. Certaines procédures d’homicides involontaires peuvent impliquer des réflexions extrêmement complexes sur des responsabilités en cascade au sein de l’entreprise. Les procédures dont nous serons sûrs qu’elles auront abouti en une ou deux semaines ne constituent pas la totalité de celles qui entrent dans le champ d’application de la réforme qui nous est proposée.
Nous n’avons pas non plus obtenu de réponse sur le dégagement de moyens pour la gestion de la réforme. Alors qu’aujourd’hui la justice en manque cruellement, quels sont les moyens supplémentaires prévus pour répondre à l’aggravation des charges des magistrats et à l’allongement de la durée des audiences ?
À notre connaissance, il n’existait pas beaucoup de statistiques sur les procédures concernées par la réforme. Alors que nous vous avons interrogé sur les conditions de la réalisation de l’étude d’impact, monsieur le garde des sceaux, force nous est de reconnaître que nous ne disposons aujourd’hui de guère d’éléments.
Nous vous avons aussi interrogé sur la formation des citoyens assesseurs. Traditionnellement, les citoyens associés à la justice des mineurs l’étaient du fait de leur connaissance du sujet ou de leur intérêt pour lui. Le projet prévoit au contraire un dispositif de tirage au sort. Nous ne savons pas comment les citoyens ainsi désignés pourront acquérir un minimum de compétences sur les sujets sur lesquels ils seront amenés à se prononcer.
Nous n’avons pas non plus obtenu de réponse à notre question sur les raisons pour lesquelles les délits économiques étaient exclus du champ du projet de loi.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous proposez que le serment proposé aux citoyens assesseurs prévoit qu’ils aient un comportement qui convienne « à un homme probe et libre ». Cette formule ne devrait-elle pas être modifiée pour tenir compte de ce que les jurys et assesseurs citoyens des tribunaux comportent aussi des femmes ? De plus, ne faudrait-il pas remplacer le terme de « probe », dont je ne suis pas sûre que la majorité de nos concitoyens le comprenne spontanément, par celui d’« honnête » ?
En conclusion, sans améliorations substantielles, ce texte ne me paraît guère de nature à améliorer les conditions dans lesquelles la justice sera rendue.
M. Dominique Raimbourg. Monsieur le garde des sceaux, je suis au regret de devoir être désagréable. Alors qu’en général, même dans le cas où nous sommes opposés à un projet, nous essayons d’en repérer les éléments positifs, nous ne trouvons pas grand chose à sauver dans celui-ci.
Un seul point est positif : nous sommes tous favorables à ce que les citoyens soient associés à l’œuvre de justice.
En revanche, pour satisfaire ce souhait, nous étions favorables à la généralisation des échevins. L’échevinage fonctionne de façon satisfaisante, qu’il s’agisse des assesseurs auprès des tribunaux pour enfants, des membres d’associations de défense des victimes siégeant à la chambre d’application des peines (CHAP) ou à la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), ou encore des membres d’associations de réinsertion des détenus siégeant eux aussi à la CHAP. Ce modèle, fondé sur les personnes qui se dévouaient et participaient régulièrement à ces institutions, et qui fonctionnait, nous paraissait devoir être développé.
À l’inverse, la solution proposée est celle de citoyens tirés au sort, sans que soient prévus les moyens nécessaires pour les former.
De plus, l’ensemble du dispositif est élaboré sur un fond de défiance envers la magistrature à la fois néfaste, puisqu’il déconsidère l’institution, et faux car, traditionnellement, les juges professionnels sont plus sévères que les juges occasionnels : on trouve parmi les jurés une indulgence absente chez les magistrats professionnels.
Le projet risque aussi d’affaiblir considérablement le fonctionnement de la justice. L’étude d’impact ne le cache pas, il faudra allonger les audiences pour expliquer aux jurés de quoi il s’agit. Une cour d’assises prend le temps de convoquer les témoins et d’entendre experts et directeur d’enquête. Tel n’est pas le cas d’un tribunal correctionnel : il tranche sur un dossier, grâce aux professionnels membres du tribunal, qui jugent vite. Autant la justice est critiquable dans sa lenteur à traiter les dossiers, ou encore dans l’exécution des peines, autant le fonctionnement des audiences est ce qu’elle sait faire de mieux. Le texte touche donc à ce point d’excellence.
De plus, au-delà de l’allongement des audiences, le projet de loi rend plus complexe le fonctionnement de la justice. Celle-ci devra en effet faire le tri entre les affaires selon qu’elles seront soumises à un tribunal correctionnel avec citoyens assesseurs ou à un tribunal correctionnel sans citoyens assesseurs. Aussi simple qu’il puisse paraître sur le papier, ce tri sera en réalité très compliqué.
Le projet de loi ne traite pas de la question extrêmement difficile de la correctionnalisation des affaires criminelles et ce, tout simplement parce qu’aujourd’hui, nous ne connaissons pas le nombre d’affaires a priori criminelles qui sont correctionnalisées. Nous savons que la police transmet chaque année à la justice entre 17 000 et 20 000 dossiers qu’elle qualifie de criminels, et que la justice rend chaque année 2 500 arrêts criminels. Autrement dit, la proportion des affaires considérées comme criminelles par la police et correctionnalisées par la justice est de l’ordre de 80 % à 85 %. Aucune des réponses esquissées, soit par le Sénat soit par les efforts de notre rapporteur, ne répond à la question de la correctionnalisation.
Par ailleurs, le projet de loi est coûteux. Il implique 30 millions d’euros d’investissements pour créer des salles d’audience. En matière de fonctionnement, le rapporteur évoque la somme de 1 million d’euros pour l’aménagement des postes de travail, de presque 8 millions d’euros d’indemnités pour les citoyens assesseurs, et la création de 155 postes de magistrat et de 109 postes de greffier. L’étude d’impact ne chiffre pas le coût de ces emplois. Pourtant, un magistrat coûte environ 100 000 euros par an et un greffier 50 000. Cela aboutit à un total d’environ 17 millions d’euros pour les magistrats et de 6 millions d’euros pour les greffiers. Le coût prévisible de la réforme, uniquement en termes de fonctionnement, peut donc être évalué à 30 millions d’euros environ. Divisé par les 9 000 citoyens assesseurs qui seront mobilisés chaque année, il représente le total considérable de 3 300 euros par citoyen assesseur. Il faut y ajouter le retentissement de la réforme sur le fonctionnement de la justice, qui risque d’être calamiteux.
De plus, si la constitutionnalité du projet de loi est douteuse en ce qui concerne les majeurs, son inconstitutionnalité pour les mineurs est sans doute avérée.
D’abord, il aboutira à faire juger les personnes majeures accusées d’avoir commis des délits devant des tribunaux à la composition différente, avec ou sans jurés.
Ensuite, pour le jugement des mineurs, le Conseil constitutionnel exige un juge, une procédure et un droit spécifiques. Le renvoi des mineurs devant le même tribunal que celui destiné à juger les majeurs, même présidé par le juge des enfants, signifie la disparition de la juridiction spécifique. Pour moi, l’anticonstitutionnalité est ainsi acquise. En effet, si le président de la cour d’assises des mineurs, qui statue pour les mineurs de seize à dix-huit ans, n’est pas un juge des enfants, il est assisté de deux assesseurs juges des enfants. Ainsi, le poids des juges des enfants au sein de la cour fait bien de celle-ci une juridiction spécifique. L’absence de juridiction spécifique pour les mineurs en correctionnelle marque une régression très dommageable.
Toujours en ce qui concerne les mineurs, le projet de loi comporte aussi des caractéristiques dérisoires. Il existe 156 tribunaux pour enfants ; dans chacun de ces tribunaux, il va falloir créer une chambre correctionnelle avec jurés et une autre sans jurés. Or, selon l’étude d’impact, cet effort immense a pour objet le jugement de 635 mineurs par an, dont 348 devant le tribunal correctionnel classique et 285 devant le tribunal avec citoyens assesseurs ! Au regard de l’enjeu, il est tout à fait disproportionné !
Par ailleurs, le projet entraînera de nouvelles lenteurs. Il va falloir créer des chambres spéciales. Les mineurs qui sont considérés comme devant être jugés le plus rapidement parce qu’accusés d’être récidivistes ne le seront qu’une fois que le rôle du tribunal sera complet, ce qui est tout à faire contraire à l’effet recherché.
Enfin, le projet se caractérise envers le Parlement par une désinvolture qui confine au mépris.
D’une part, une procédure d’urgence a été déclarée pour un projet qui, du fait même qu’il prévoit une période d’expérimentation, n’est pas du tout urgent, et dont l’examen pouvait de ce fait s’effectuer en toute tranquillité.
Ensuite, cette désinvolture confine au mépris à l’égard des parlementaires de la majorité : le projet de loi ne tient compte d’aucun des rapports de ceux d’entre eux qui se sont penchés sur la justice des mineurs ; je pense aux rapports du sénateur Jean-Pierre Schosteck, de nos collègues députés Michèle Tabarot, Jacques-Alain Bénisti, Yvan Lachaud – sur la violence des mineurs –, Michel Zumkeller – sur l’exécution des peines par ceux-ci – : aucun de ces rapporteurs n’avait souhaité la création de tribunaux correctionnels pour les mineurs de seize à dix-huit ans récidivistes.
Enfin, si jamais, par extraordinaire, le projet visait à essayer de capter, en vue des élections à venir, les voix tentées de se porter sur l’extrême droite – ce qui n’est pas illégitime –, il n’atteindra pas son objectif. En effet, il est prévu une période d’expérimentation. Pendant celle-ci, rien ne changera. De ce fait, les extrémistes de droite auront beau jeu de poursuivre leurs imprécations en expliquant que la fermeté affichée ne correspond à aucune réalité !
Telles sont les raisons pour lesquelles, à mon sens, ce projet de loi devrait être rejeté par notre Commission.
M. Yvan Lachaud. Saluant les efforts du Gouvernement pour rapprocher la justice de nos concitoyens, je souscris pleinement à la philosophie de ce texte.
J’ai travaillé pendant quelque six mois à élaborer un rapport sur le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs. Je viens de le remettre au Président de la République. Cette expérience m’amène à considérer que le projet de loi qui nous est soumis va dans le bon sens. S’il reprend plusieurs des propositions que j’ai formulées, il traite surtout, sur le fond, du besoin que nous avons aujourd’hui de transformer un certain nombre de réalités. Les parlementaires des régions fortement touchées par la délinquance des mineurs en seront, je pense, satisfaits.
Si les partis démocratiques avaient pris des dispositions pour répondre à ce qui est au moins, de la part de nos concitoyens, un sentiment d’insécurité, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Nous devons donc battre notre coulpe et améliorer le traitement de la justice des mineurs. Ayant tous été adolescents, nous savons que ceux-ci ont besoin d’une réponse rapide, effective et lisible. Aujourd’hui, lorsqu’une réponse à un mineur n’est apportée que six mois après les faits, celui-ci n’a pas commis un ou deux délits supplémentaires pendant ce laps de temps, mais des dizaines, tout cela parce qu’il n’a pas été arrêté après le premier.
Le recours plus facile aux centres éducatifs fermés que permet ce texte me semble une bonne solution. J’ai visité moi-même une dizaine de ces centres. Trois mineurs sur quatre qui en sortent se réinsèrent dans des conditions normales. Au contraire de la prison, qui est un échec tant pour le jeune que pour la société – qui n’a pas su le réinsérer –, le centre éducatif fermé est certainement une bonne solution. Certes, le coût journalier en est élevé. Mais c’est bien notre société qui fabrique tous ces jeunes « cabossés de la société » ; il lui appartient donc de tout mettre en œuvre pour les réinsérer.
Les dispositions du projet de loi relatives à la surveillance électronique me paraissent également satisfaisantes. Il est insupportable et anti-éducatif qu’un mineur consigné à son domicile de dix-huit heures à huit heures du matin puisse être interpellé par la police ou la gendarmerie à trois heures du matin, et que ce ne soit qu’à ce moment que l’une ou l’autre se rende compte qu’il était sous contrôle judiciaire ! Ce jeune a besoin de savoir qu’il est sous ce régime ! Le bracelet électronique peut très facilement permettre à la justice de vérifier qu’il est chez lui et, s’il enfreint la règle, de prendre une sanction plus sévère. Nous avons besoin de remettre ces jeunes dans le droit chemin. S’ils ne sont pas sanctionnés, tous leurs camarades se mettront à les imiter. En matière de surveillance électronique, je propose d’aller plus loin que le projet de loi.
Nous savons aussi pertinemment que, dans notre société, trop souvent, et pour des raisons de précarité ou de difficultés, les parents renoncent à leur rôle éducatif. Pour cette raison, la présentation obligatoire des parents me semble aller dans le bon sens, alors même que je proposerai des amendements pour aller un peu plus loin. Si, faute de capacités, certaines familles ne peuvent pas répondre aux situations auxquelles elles sont confrontées, nous devons imposer aux autres de prendre leur enfant en charge. La société ne peut pas tout faire !
Je suis également favorable à la généralisation du dossier unique de personnalité. Monsieur le rapporteur, vous avez tout à fait raison : tout en protégeant l’aspect privé et secret de la famille, des éléments de ce DUP devraient pouvoir être transmis à la police ou à la gendarmerie.
Lors de visites dans des établissements de réinsertion scolaire, j’ai rencontré des membres de l’éducation nationale extraordinaires. Ils donnent de leur temps pour réinsérer les jeunes qui leur sont confiés. Mais à aucun moment ils n’ont la possibilité de connaître leur parcours. Il me paraît déloyal de demander à des adultes de consacrer autant de temps à un tel travail de réinsertion sans leur donner un minimum d’information sur le passé des jeunes dont ils s’occupent. Il faut un minimum de reconnaissance du travail accompli !
Alors même que je ferai des propositions pour aller plus loin, je pense que ce texte va dans le bon sens en matière de reconnaissance de délinquance des mineurs. Notre société en a besoin.
M. Éric Ciotti. Dans le même esprit qu’Yvan Lachaud, je voudrais apporter mon soutien au projet de loi qui nous est présenté. Je félicite aussi le garde des sceaux de l’avoir préparé dans des délais rapides. Au contraire de notre collègue Dominique Raimbourg, je considère qu’il y a urgence à renouer le lien distendu entre les citoyens de notre pays et leur justice.
Voilà quelques semaines, un sondage a révélé que, pour 72 % des Français, la justice fonctionne mal en France. Nous pouvons, je crois, quel que soit le banc sur lequel nous siégeons, nous inquiéter de cette appréciation qui, de plus, ne traduit pas la réalité du fonctionnement de la justice. À la demande du Président de la République, j’ai réalisé une mission qui m’a plongé pendant plusieurs semaines dans le fonctionnement de celle-ci. J’y ai trouvé des magistrats totalement impliqués par leur mission, habités par son sens et celui de l’État et qui, contrairement à certaines images réductrices, ne prononcent pas de peines manquant de sévérité ou péchant par laxisme.
Chers collègues socialistes, M. André Vallini, l’un des vôtres, pour qui j’ai beaucoup de respect, a invité à voter ce texte en considérant que ce n’est pas parce qu’il était proposé par Nicolas Sarkozy qu’il n’était pas bon. Nous sommes bien là dans le pragmatisme qui doit, je crois, nous mobiliser.
Je salue pour ma part un texte qui va permettre une justice plus proche du citoyen, plus réactive, et qui permettra de mieux prendre en compte les attentes des Français à l’égard de leur justice.
Je n’ignore pas la problématique récurrente des moyens et les difficultés d’application qu’on peut en déduire. Je l’ai même décrite dans le rapport que j’ai rédigé. Il reste que soumettre la politique pénale voulue par le législateur à l’arbitrage de contingences matérielles revient à inverser les problématiques.
La fonction du Parlement est d’élaborer la loi. Nous ne devons pas en préalable à cette mission première considérer qu’elle restera lettre morte du fait des difficultés d’exécution qui pourraient se présenter. À l’exécutif de faire en sorte d’exécuter la loi. Le garde des sceaux le fait avec beaucoup d’efficacité : ainsi, grâce aux mesures qu’il a prises, l’exécution des peines connaît une très nette amélioration depuis le début de l’année.
Ce texte va donc participer à la mise en place d’une justice plus proche, plus réactive, mieux comprise par nos concitoyens.
Il va aussi accroître la personnalisation de la justice pénale des mineurs. Nous mesurons tous aujourd’hui, malgré certains dénis de réalités, que la délinquance des mineurs est en augmentation et qu’il s’agit d’une affaire cruciale. La réitération est au cœur des enjeux de notre justice, et la société prise dans sa globalité – aussi bien sous les gouvernements de notre majorité que sous ceux de l’actuelle opposition – n’a pas apporté de réponse très efficace ou pertinente à cette situation.
Ce projet de loi est une étape supplémentaire dans la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945. Le moment approche où nous devrons mettre l’ensemble des dispositions sur la table. Je voudrais saluer les dispositions du projet de loi sur la responsabilisation des parents. Les propositions que j’ai effectuées l’été dernier ont été caricaturées : il a été dit que je proposais la prison pour les parents. C’était absolument faux ! Je proposais, comme le présent texte, une responsabilisation plus forte des parents. Je me réjouis des dispositions que de dernier comporte sur ce point car je suis en effet convaincu qu’il n’est pas possible de lutter contre la délinquance des mineurs sans mieux associer les parents et leur rappeler à la fois leurs droits et leurs devoirs, dans l’équilibre qui est à la base de l’harmonie de notre société.
Je relève aussi avec satisfaction que ce texte rétablit la convocation par officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants, prévue par la LOPPSI, dont j’ai été le rapporteur, mais annulée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme, en tenant compte, bien sûr, des considérants de sa décision.
Le groupe UMP soutiendra ce texte avec détermination.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ce projet de loi, qui réforme en profondeur notre système judiciaire, s’articule autour de trois axes majeurs : la participation des citoyens assesseurs aux jugements de certains délits et aux décisions relatives à la libération conditionnelle, ainsi que le relèvement de la période de sûreté ; une nouvelle formation de la cour d’assises, laquelle serait composée de trois magistrats et, en lieu et place du jury, de deux citoyens assesseurs compétents pour les crimes passibles de quinze et vingt ans de réclusion criminelle commis sans récidive ; enfin, une modification de plusieurs dispositions importantes de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur Sébastien Huyghe sur ce texte modifié par le Sénat. Pour être plus aboutie, la réforme devrait davantage prendre en compte la place des victimes, en particulier quant à leur association au stade de l’application des peines. La victime doit être présente, ou à tout le moins représentée, lors des débats précédant les jugements de première instance des juridictions d’application des peines relatifs aux mesures de placement à l’extérieur et de semi-liberté. Les aménagements de peine connaissent actuellement une croissance importante ; je crois nécessaire de faire valoir le point de vue de la victime dans ce processus. C’est le sens des amendements que j’ai cosignés avec Jean-Paul Garraud et Étienne Blanc.
M. Noël Mamère. Je suis heureusement étonné par les propos de M. Ciotti sur la qualité des magistrats, alors qu’il appartient à une majorité et soutient un Gouvernement qui passent leur temps à dénigrer la magistrature et la justice, à telle enseigne que, au mépris de tous les principes, ce texte si important est examiné selon la procédure accélérée.
Comme l’a fort bien montré Dominique Raimbourg, les citoyens sont déjà étroitement associés au fonctionnement de notre justice. Le projet de loi poursuit des visées électoralistes, ce qui explique d’ailleurs le recours à la procédure accélérée ; de surcroît, il cautionne l’idée selon laquelle les magistrats sont toujours trop laxistes avec les auteurs et trop durs avec des victimes, dont il faudrait rétablir les droits. Nul n’entend négliger les victimes, mais on ne saurait rendre la justice exclusivement en leur nom ! Si la justice a une finalité répressive, elle doit aussi préparer la réinsertion et être rendue de façon personnalisée. En ce sens, l’actuelle majorité a voté des textes contraires au principe d’individualisation des peines.
Par ses critiques de l’ordonnance de 1945, M. Ciotti a ouvert le pot de confiture. Rappelons que cette ordonnance a été réformée trente-quatre fois, dont douze fois au cours des dix dernières années – c’est-à-dire sous des gouvernements de droite –, et qu’elle fait primer l’éducatif sur le répressif. Au nom de la rapidité de la justice, vous entendez lui porter un coup terrible puisque le mineur serait directement traduit devant les tribunaux, par un ordre de police judiciaire, sans que le juge ait pu donner son avis.
Un mineur n’est pas un adulte moins âgé, mais un individu en construction. Malgré les amendements du rapporteur, le dossier unique de personnalité reste très dangereux, car il permettrait de livrer – y compris à l’avocat de la victime – des données préjudiciables au bon équilibre de la justice. Le texte remet donc en cause l’équilibre fragile qui existait entre le répressif et l’éducatif.
Non contents de donner de si faibles moyens à la justice – ce dont témoigne l’état de délabrement de la protection judiciaire de la jeunesse –, vous créez toutes les conditions de la récidive, répondant ainsi aux injonctions de partis non démocratiques en faveur d’une justice plus brutale à l’encontre des plus vulnérables.
Enfin, vous vous acharnez à faire rentrer par la fenêtre ce que le Conseil constitutionnel, devant lequel l’opposition déposera un recours, a rejeté par la porte – M. Ciotti s’en est d’ailleurs explicitement réjoui.
M. Garraud, fort de son expérience d’ancien magistrat, a lui-même observé que l’introduction de jurys populaires dans les tribunaux correctionnels retarderait l’exercice de la justice. Nous y voyons un argument supplémentaire pour voter contre le texte.
M. Jacques Valax. L’argumentaire de M. Raimbourg était précis, lucide et objectif.
Le texte manque de réalisme, il souffre de nombreuses insuffisances et n’améliorera en rien le fonctionnement de la justice. S’il en fallait une preuve, jamais un rapporteur n’a déposé autant d’amendements !
Un premier titre du rapport suggère qu’il faudrait « améliorer la qualité des décisions judiciaires », laissant entendre que cette qualité leur fait aujourd’hui défaut. C’est d’ailleurs ce que soutient habituellement Éric Ciotti, dont l’hommage doucereux aux magistrats n’a pas laissé de m’étonner. Oui, les magistrats font bien leur travail : nous l’avons toujours dit, et pas seulement aujourd’hui car nous ne pratiquons pas le double langage.
Il s’agirait aussi, selon un autre titre, de rapprocher les citoyens de l’« œuvre de justice ». La justice n’est pas une « œuvre », une création de l’esprit, mais un métier qui suppose de vraies compétences. Ancien avocat, j’ai souvent critiqué la sévérité des décisions de justice ; mais elles doivent être respectées, au même titre que le travail des magistrats, qui mérite mieux qu’un texte bassement politique !
Enfin, puisque vous souhaitez associer les citoyens, pourquoi ne pas le faire en inscrivant rapidement à l’ordre du jour le projet de loi relatif au référendum d’initiative populaire ?
La justice fonctionne bien si on lui en donne les moyens, et si on ne l’entrave pas par une logorrhée législative !
M. Marc Dolez. Le texte est inacceptable, sur la forme – puisqu’il est examiné selon la procédure accélérée, sans avoir fait l’objet de la moindre concertation – comme sur le fond.
Si la participation des citoyens à la justice pénale peut être un objectif louable, les modalités d’application ne sont pas satisfaisantes : comme le montrent les déclarations du Président de la République, elles traduisent une défiance supplémentaire de l’exécutif à l’égard des juges. De surcroît, la réforme serait inégalitaire puisqu’elle créerait deux catégories de juridiction : celles comportant des citoyens assesseurs et celles exclusivement composées de magistrats. J’ai d’ailleurs demandé à M. le garde des sceaux, la semaine dernière, selon quels critères avait été établie cette répartition.
Non seulement la réforme alourdira la procédure correctionnelle, dégradant ainsi les conditions du jugement, mais elle n’est pas financée.
Nous nous opposons tout aussi résolument à la remise en cause de la spécialisation de la justice des mineurs telle que la définit l’ordonnance de 1945.
Pour toutes ces raisons, nous avons déposé une série d’amendements de suppression.
M. Jean-Paul Garraud. Autant je regrette les caricatures de MM. Mamère et Valax, autant je partage certaines analyses de M. Raimbourg.
Il n’est nullement dans mes intentions de mettre en difficulté le Gouvernement, mais je suis réservé sur plusieurs points.
Le premier et le principal, dont découlent tous les autres, est la correctionnalisation judiciaire, contre laquelle il faut lutter. Les crimes, je le répète depuis des années, doivent être jugés comme tels. Or, si la correctionnalisation a tendance à s’imposer, c’est parce que la procédure en cour d’assises est trop compliquée. Il est donc impératif de la simplifier ; j’avais d’ailleurs déposé des propositions de loi en ce sens. Dès lors que les crimes seront jugés en assises, les jurés rempliront pleinement leur office et il ne sera plus nécessaire de les faire siéger dans les tribunaux correctionnels.
Depuis la loi du 15 juin 2000, il est possible d’interjeter appel des décisions de cours d’assises. C’est une bonne mesure mais, faute d’une simplification de la procédure de première instance, elle a dédoublé les pesanteurs du système judiciaire, de sorte que les affaires sont de plus en plus souvent orientées vers les tribunaux correctionnels, car leurs décisions sont plus rapides.
Dans mon rapport L’appel au peuple, le peuple en appel, j’ai moi-même défendu l’idée d’une plus grande participation des citoyens aux décisions de justice pénale, mais, précisément, au niveau de l’appel, c’est-à-dire à celui de la décision définitive.
Sans une simplification de la procédure en assises, on ne pourra lutter contre la correctionnalisation. Qui plus est, faire siéger des jurés dans les tribunaux de première instance correctionnelle risque de ralentir la justice pénale : c’est une mauvaise réponse à une bonne question. Les crimes doivent être jugés par les cours d’assises et les délits par les tribunaux correctionnels ; or le texte, par la complexité supplémentaire qu’il engendrera, ne permettra pas d’atteindre cet objectif.
Enfin, j’ai déposé plusieurs amendements tendant à faire progresser le contradictoire pour mieux prendre en compte les droits des victimes. La réforme de la garde à vue a permis d’améliorer les droits des suspects, dont on ne sait s’ils sont coupables ; on est toujours sûr, en revanche, du statut des victimes.
M. Christian Estrosi. Le texte poursuit des objectifs louables, qu’il s’agisse de rapprocher la justice des citoyens ou d’adapter l’ordonnance de 1945 aux réalités contemporaines.
Je suis favorable à la création des jurys populaires dans les tribunaux correctionnels, mais, pour y parvenir vraiment, deux conditions me semblent nécessaires. La première est d’éviter l’asphyxie en luttant contre la correctionnalisation. Cette pratique est en effet contraire au droit et au principe d’égalité des citoyens devant la justice, puisqu’elle est plus courante là où les cours d’assises sont le plus encombrées. Les dispositions du texte, et a fortiori les modifications apportées par le Sénat, ne permettront pas de lutter efficacement contre ce phénomène, qui toucherait, selon certaines estimations, 80 % des crimes. Il est urgent que la représentation nationale se penche sur le problème : nous aimerions donc, monsieur le garde des sceaux, avoir des indications précises. Il n’est en effet pas acceptable que certains dysfonctionnements de notre système judiciaire obligent des victimes à amoindrir leur préjudice. Par ailleurs, la création de jurys populaires risque de ralentir la procédure et de la rendre plus coûteuse, alors que le système est déjà au bord de l’asphyxie.
Selon une décision du Conseil constitutionnel que je déplore, les citoyens ne peuvent être majoritaires en correctionnelle ; aussi le texte prévoit-il une formation composée de deux citoyens assesseurs et de trois magistrats professionnels. Les citoyens auront le sentiment de servir d’alibis, alors que la logique voudrait qu’ils prennent eux-mêmes toutes les décisions, notamment celles qui visent les peines complémentaires et ce, en parfaite connaissance de cause. Il est à cet égard nécessaire que les magistrats leur indiquent toutes les sanctions possibles. Je défendrai donc un amendement en ce sens.
Je souscris aux propos de Jean-Paul Garraud sur le droit des victimes et soutiendrai ses propositions : il est important d’envoyer un message fort sur le sujet.
Au cours des trente dernières années, la délinquance des mineurs a triplé. Reconnaissons donc que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Je me réjouis que le texte s’inspire, sur ce point, d’une proposition de loi que j’avais cosignée avec cent vingt collègues.
Un ancien ministre de l’Intérieur avait parlé de « sauvageons ». Aujourd’hui, des territoires entiers de la République sont mis en coupe réglée par de véritables caïds, au comportement parfois barbare, qui n’ont plus rien à voir avec les sauvageons de 1945. Si je me réjouis de la possibilité de cumuler sanction éducative et peine ou travaux d’intérêt général, je regrette que les conditions de jugement en correctionnelle des délits commis en état de récidive par des mineurs de plus de seize ans et punis de plus de trois ans d’emprisonnement soient trop restrictives. En Belgique et aux Pays-Bas, les mineurs de plus de seize ans peuvent être jugés par un tribunal de droit commun. Notre proposition de loi prévoyait qu’au terme de l’instruction, le juge pour enfants décide lui-même d’un éventuel renvoi du mineur devant un tribunal correctionnel ; le présent texte propose de lui confier la présidence de ce dernier. Je souhaite que soit supprimée cette disposition introduite par le Sénat, car le tribunal correctionnel doit être pleinement différencié du tribunal pour enfants.
Je proposerai par ailleurs de réformer l’excuse de minorité pour les mineurs de plus de seize ans, afin de changer ce principe en exception en cas de circonstances particulières liées à la personnalité de l’auteur.
En 2008, seuls 355 mineurs ont été condamnés en état de récidive légale, contre 7 537 en état de réitération. Je souhaite étendre les compétences du tribunal pour mieux prendre en compte les notions de réitération et de récidive l’une par rapport à l’autre.
Je soutiens bien entendu le texte dans son esprit, mais souhaite, monsieur le garde des sceaux, que vous soyez attentif à ces propositions.
M. Jean Tiberi. Il s’agit d’un bon texte, et je le voterai.
On entend parfois dire que les réformes de l’ordonnance de 1945 veulent remettre en cause ses principes mêmes. Ancien juge pour enfants, j’ai pu apprécier toute la qualité de cette ordonnance, qui a marqué une évolution considérable du droit : elle permet de donner des avertissements, de tenir compte de la personnalité, de prendre des mesures éducatives et d’adapter les sanctions. Il est donc tout à fait possible de la modifier sans remettre en cause son esprit.
Le projet de loi tient compte de différentes évolutions touchant la famille ou l’augmentation du nombre de délinquants, lesquels sont toujours plus jeunes et commettent des actes de plus en plus graves.
Nous aurons également à définir la place du juge des enfants, dont le Sénat a souhaité qu’il puisse présider le tribunal correctionnel. Je suis plutôt favorable à cette solution.
M. Jacques Alain Bénisti. Le texte aurait dû tenir compte des rapports parlementaires, qui évoquent les problèmes auxquels sont confrontés magistrats et tribunaux – j’en parle d’ailleurs dans mon propre rapport. Néanmoins, il comporte trois points positifs.
En premier lieu, la participation de citoyens non professionnels permettra aux magistrats d’échapper aux critiques – souvent infondées, d’ailleurs – dont ils peuvent être l’objet.
Le deuxième point positif est l’expérimentation : les textes que nous votons n’y ont pas suffisamment recours. Même si elle retarde l’application de la future loi, elle permettra de déceler d’éventuels dysfonctionnements et d’y remédier.
Troisièmement, la création des jurys citoyens favorisera, je pense, les solutions alternatives à la prison : cet objectif peut nous réunir. Envoyer un mineur plus de dix fois en prison ne sert strictement à rien : la seule manière de le sortir de la spirale de la récidive est de l’éloigner de son milieu délictuel.
Les centres éducatifs fermés fonctionnent plus ou moins bien, mais tous les acteurs s’accordent à dire qu’il faut les réformer, par exemple en envoyant les multirécidivistes vers des plateformes spéciales, non pour une période de six mois ou d’un an, mais de deux ans, afin de préparer au mieux leur réinsertion tout en les éloignant de leur milieu délictuel. Aujourd’hui, je le rappelle, les deux tiers des jeunes qui sortent des CEF récidivent.
S’agissant de la réinsertion, les établissements publics d’insertion de la défense (EPIDE) ont 100 % de réussite, mais ils sont réservés aux jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans ; c’est pourquoi mon rapport préconisait d’en créer d’autres, réservés aux jeunes de seize à dix-huit ans. Cela permettrait de les encadrer lorsqu’ils quittent l’école. Servons-nous, pour une fois, des solutions qui marchent ! Le coût de la délinquance, je le rappelle, est de 115 milliards d’euros ; si l’on y ajoute les personnels de justice et de police, le chiffre atteint 205 milliards. On est très loin des quelques millions d’euros des CEF et des EPIDE.
M. Guy Geoffroy. Dominique Raimbourg, Jean-Pierre Schosteck et moi-même avons siégé à la commission Varinard, qui a longuement travaillé, dans une atmosphère plutôt consensuelle, sur la justice pénale des mineurs. Plusieurs dispositions du projet de loi s’inspirent manifestement de ses conclusions. Faire le procès des tribunaux correctionnels pour mineurs me semble d’autant plus excessif que cette idée a été adoptée à l’unanimité des membres de cette commission, après des débats plutôt âpres, il est vrai. Chacun a en effet estimé que les nouvelles formes de délinquance, qui touchent certains profils de jeunes proches de l’âge adulte, méritent un traitement spécifique, non seulement dans l’intérêt de la société, mais aussi du jeune lui-même, afin d’assurer la continuité de sa prise en charge lorsqu’il devient majeur. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain !
Je crains en revanche un saucissonnage des conclusions du rapport Varinard, qui aurait pu servir de base, non pour remettre en cause l’ordonnance de 1945, mais pour la réécrire afin d’en assurer une meilleure cohérence. M. Mamère a tenu des propos inacceptables sur le dossier unique de personnalité, qui correspond à une demande forte et unanime de la commission Varinard, qu’il s’agisse des magistrats du siège et du parquet, des avocats, des représentants de la protection judiciaire de la jeunesse ou des élus – quitte, d’ailleurs, à ce que ce dossier soit épuré, voire effacé, à l’âge adulte. Cette mesure est dans l’intérêt même des jeunes.
Le jugement de notre collègue Jacques-Alain Bénisti sur les centres éducatifs fermés est honorable mais il me semble un peu loin de la réalité. La moitié des jeunes qui en sortent après un an n’ont plus affaire à la justice : c’est donc un peu plus qu’un tiers. En 2002, les deux principaux candidats à l’élection présidentielle défendaient d’ailleurs les CEF, avant que la gauche ne s’y oppose lors du vote du projet de loi d’orientation et de programmation pour la justice. Depuis, chacun s’accorde à dire que leur bilan est positif : on peut les adapter, mais gardons-nous de les supprimer !
Les droits des victimes doivent être mieux considérés : je suis tout à fait d’accord avec M. Garraud. Cependant, leur donner la possibilité d’un appel au pénal – pour peu que le Conseil constitutionnel ne s’y oppose pas – ferait courir un risque majeur et constituerait une révolution sans précédent, à moins d’accepter l’idée qu’il existe une partie supplémentaire, celle de la victime. J’alerte donc les auteurs des amendements sur ce point, même si je partage leurs préoccupations.
M. Jean-Christophe Lagarde. Le groupe Nouveau Centre souhaite depuis longtemps l’ouverture de la justice aux citoyens de façon raisonnable. C’est ce qu’entend faire ce texte pour les délits les plus graves, à l’image de ce qui existe déjà dans le cadre des cours d’assises. Il est sans doute difficile, pour des questions de moyens, d’étendre la participation des citoyens à l’ensemble des juridictions correctionnelles, mais c’est un objectif que nous pouvons nous fixer à moyen terme.
Ce projet maintient heureusement la séparation entre la justice des adultes et celle des mineurs : une telle distinction est une nécessité absolue, même si la justice des mineurs peut, elle aussi, évoluer. Mais il prend en compte l’existence de différences entre les mineurs. Il existe en effet quelques multirécidivistes, qui faussent la vision que l’on peut avoir des jeunes en général, et des jeunes délinquants en particulier, et qui sont absolument ingérables dans certains quartiers.
J’en viens aux centres éducatifs fermés : très décriés par l’opposition lors de leur adoption, ils produisent de bons résultats, en particulier quand on considère la situation des mineurs un an après leur sortie. Reste que leur nombre est insuffisant : faute de place disponible, on ne sait pas quoi faire de certains jeunes, qui finissent dans des prisons, alors que ce n’est certes pas le lieu le plus propice pour améliorer leur situation. Je crois savoir que le nombre de places en centres éducatifs fermés est appelé à augmenter, mais il faudra poursuivre l’effort pendant plusieurs années pour éviter à certains jeunes de passer par la « case » prison.
Je voudrais, enfin, appeler votre attention sur l’absence d’équité en matière d’incrimination selon les régions. Des actes normalement qualifiés de viols sont requalifiés en agressions sexuelles en Seine-Saint-Denis. L’édiction de directives et la simplification des procédures pourraient contribuer à améliorer la situation, mais la meilleure garantie pour que la victime ne soit pas dépossédée de son droit par le parquet, qui décide de la qualification des faits, est de conférer un droit nouveau aux victimes. Pour l’instant, elles ont certes droit à une indemnisation en tant que parties civiles, mais elles ne peuvent exercer aucun droit de regard sur la qualification des faits.
Mme George Pau-Langevin. Elles peuvent la contester.
M. Jean-Christophe Lagarde. Pas du tout. Quand on a porté plainte pour agression et que le procureur décide de saisir le tribunal correctionnel, il est impossible de contester cette décision. Je vous proposerai donc que la partie civile puisse demander la saisine d’un juge d’instruction afin d’éviter que le parquet décide seul. Nous pourrons ainsi éviter une certaine gestion des flux qui conduit à saisir les tribunaux correctionnels quand les cours d’assises sont débordées, ce qui est inacceptable.
M. Michel Mercier, ministre de la justice et des libertés, garde des Sceaux. Si tant de membres de la Commission ont souhaité s’exprimer, c’est sans doute que le projet est plus riche que certains ont pu le prétendre.
Qu’il soit bien clair qu’il n’est pas dirigé contre les magistrats. Pas une seule fois, depuis que je suis ministre de la Justice, vous ne m’avez d’ailleurs entendu dire quoi que ce soit contre les magistrats.
Mme George Pau-Langevin. Vous n’êtes pas seul au Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Je suis le seul responsable de la justice au sein du Gouvernement.
Les magistrats font leur travail dans des conditions très difficiles, et ils appliquent la loi pénale telle que vous la votez. J’en veux pour preuve que le quantum des peines correctionnelles a augmenté d’environ 50 % au cours des six dernières années. S’il y a, par ailleurs, près de 80 000 personnes définitivement condamnées en attente d’exécution de leur peine, c’est bien que la justice condamne. On compte aujourd’hui 65 471 personnes incarcérées, ce qui est un record – alors que le nombre de places est limité à 56 000.
Comme Eric Ciotti l’a indiqué à juste titre, ce texte ne remet pas en cause le travail des magistrats : il tend, dans ses deux premiers volets, à faire participer les citoyens à la justice par un acte de civisme – ils n’ont plus tant d’occasions de faire acte de civisme !
La création de tribunaux correctionnels comportant des citoyens assesseurs ralentirait-elle la procédure ? On n’examinera peut-être que 5 à 12 affaires par audience, au lieu de 20 actuellement, mais j’ai obtenu des moyens supplémentaires. Faudrait-il renoncer à associer les citoyens à la justice au motif que cela coûte cher ? Pour ma part, je ne le crois pas. J’ajoute qu’environ 40 000 affaires relèveront de ces nouvelles formations correctionnelles – c’est beaucoup, mais ce n’est pas l’ensemble de la matière correctionnelle.
S’agissant de la désignation des citoyens assesseurs, nous avons fait le choix de nous inspirer du système de tirage au sort en vigueur pour les cours d’assises. Comme ces citoyens assesseurs ne seront pas des jurés, ils ne pourront pas être récusés, ce qui nécessitera des garanties supplémentaires. Sur ce point, je suis tout à fait d’accord avec le rapporteur.
La correctionnalisation des crimes, dénoncée par nombre d’entre vous, pose un vrai problème. Alors que le Parlement a décidé que certains faits constituaient des crimes, ils sont jugés comme s’il s’agissait de délits. Une solution serait que le Parlement décide que les actes concernés ne sont plus des crimes, mais c’est à lui seul de le faire. Il faudra sans doute revoir un jour l’ensemble des qualifications ; en attendant, la loi est la loi et il faut l’appliquer.
Je ne dispose pas de statistiques exactes pour mesurer la « correctionnalisation », mais on peut estimer que 70 % des crimes ne sont pas jugés comme tels. Un moindre mal serait que tous les faits criminels soient correctionnalisés de la même façon sur l’ensemble du territoire, mais ce n’est même pas le cas : certains faits sont jugés comme des crimes dans certains départements, et comme des délits ailleurs. Ainsi que Jean-Christophe Lagarde l’a rappelé, un viol est un viol en Mayenne, mais c’est une agression sexuelle en Seine-Saint-Denis.
Le Gouvernement avait proposé une solution qui n’a pas été retenue par le Sénat. La voie choisie par ce dernier permettra d’avancer, mais il n’est pas certain qu’elle soit suffisante. Le rapporteur propose donc de constituer des cours d’assises spéciales pour les crimes passibles de 15 à 20 ans de prison, composées de trois magistrats professionnels et trois jurés.
Une difficulté technique, et peut-être constitutionnelle, est que ces « jurés » ne pourront pas former une majorité, contrairement à ceux des cours d’assises classiques. Ce ne seront donc pas des « jurés » au sens strict du terme. Bien que rien n’interdise au Parlement de créer de nouveaux types de juridictions, il faut être conscient que le Conseil constitutionnel a retenu en 2005 des critères précis pour les cours d’assises. Il faudra donc s’entourer de toutes les précautions pour éviter une censure et trouver une solution satisfaisant les deux assemblées.
Je ne reviens pas sur la proposition du rapporteur concernant l’exécution des peines, car elle me convient.
S’agissant de la justice des mineurs, je suis attaché moi aussi à l’ordonnance de 1945, ainsi qu’à la loi de 1912 qui – il faut le rappeler – a posé les premiers principes du droit des mineurs. Le projet du Gouvernement s’appuie sur les principes de l’ordonnance, qui ont été consacrés au plan constitutionnel : je mets quiconque au défi de démontrer le contraire.
Nous nous sommes notamment appuyés sur les décisions rendues par le Conseil constitutionnel en 2002 et 2011 : l’excuse de minorité doit conduire à prononcer en priorité des peines éducatives ; le tribunal doit être spécialement composé ou suivre une procédure spéciale – en l’occurrence, nous proposons les deux ; le tribunal correctionnel pour mineurs comportera un juge pour enfants, et il appliquera la procédure du tribunal pour enfants. Nous nous sommes inspirés des travaux de la commission présidée par le recteur André Varinard, que je connais bien pour avoir travaillé longtemps avec lui au sein de la même université.
Quant au dossier unique de personnalité, c’est une avancée fondamentale, réclamée par tous les acteurs : cela évitera que l’on doive refaire sans cesse le même travail.
Comme plusieurs orateurs l’ont rappelé, les centres éducatifs fermés sont un succès : ils ont permis d’éviter la prison « sèche » à des mineurs. Or, il ne sert à rien de se réclamer de l’ordonnance de 1945 tant que des mineurs finissent en prison : c’est chaque fois un échec des mesures éducatives. Les centres étant fermés, les mineurs ne sont pas libres de sortir, mais ils sont éduqués et formés. C’est d’ailleurs pour cette raison que ces structures coûtent cher : elles emploient de nombreux éducateurs et formateurs.
Cela dit, je suis ouvert à tout : nous avons besoin, pour les mineurs, d’un large panel de solutions pour répondre au mieux à la situation de chacun.
S’agissant des victimes, l’appel des parties civiles contre la correctionnalisation des affaires est déjà possible en application de l’article 186-3 du code de procédure pénale, tel qu’il a été modifié par la loi Perben II de mars 2004. Je rappelle, en outre, que 21 textes ont été adoptés depuis 2002 pour améliorer la situation des victimes. Depuis la loi Perben I, elles peuvent être présentes dans l’ensemble de la procédure judiciaire.
La Commission en vient à l’examen des articles.
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA PARTICIPATION DES CITOYENS AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux citoyens assesseurs
Article 1er A (nouveau)
(art. 2-9 du code de procédure pénale)
Conditions requises pour la constitution de partie civile d’une association assistant les victimes d’actes terroristes
Issu d’un amendement de M. Jean-Paul Garraud adopté avec un avis favorable de votre rapporteur, le présent article assouplit les conditions dans lesquelles une association, se proposant par ses statuts d’assister les victimes d’actes terroristes, peut exercer les droits reconnus à la partie civile.
En effet, l’article 2-9 du code de procédure pénale prévoit, dans sa rédaction actuelle, qu’une telle association doit être « régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits ».
Cette condition ayant pu apparaître trop restrictive, le présent article reconnaît ce droit à toute association ayant au moins cinq ans d’existence, cette ancienneté n’étant plus appréciée par rapport à la date à laquelle les faits ont été commis mais par rapport à la date de la constitution de partie civile.
*
* *
La Commission examine l’amendement CL 110 de M. Jean-Paul Garraud.
M. Jean-Paul Garraud. C’est un amendement important pour les victimes d’actes terroristes.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.
Article 1er
(art. 10-1 à 10-14 [nouveaux] du code de procédure pénale)
Modalités de participation des citoyens assesseurs aux juridictions pénales
Le présent article complète le titre préliminaire du code de procédure pénale par quatorze nouveaux articles 10-1 à 10-14 réunis dans un sous-titre II intitulé « De la participation des citoyens au jugement des affaires pénales ». En conséquence, les actuels articles premier à 10, dont la rédaction demeure inchangée, sont rassemblés dans un sous-titre premier « De l’action publique et de l’action civile » et le titre préliminaire du code de procédure pénale s’intitule désormais « Dispositions générales ».
Les articles 10-1 à 10-14 introduits par le présent article dans le code de procédure pénale tendent à préciser les modalités de participation des citoyens assesseurs aux juridictions pénales sous quatre aspects, à savoir : la détermination des juridictions pénales concernées par la participation de citoyens assesseurs, la définition des conditions requises pour l’exercice de cette fonction, la fixation du mode de désignation des citoyens assesseurs et, enfin, la détermination des modalités pratiques de leur participation au jugement des affaires pénales.
Il convient, à ce stade, de souligner qu’en inscrivant symboliquement ces règles dans le titre préliminaire du code de procédure pénale qui en fixe les grands principes, le présent article consacre l’importance que revêt la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale.
Les juridictions pénales au sein desquelles les citoyens assesseurs seront amenés à siéger, sont définies par le nouvel article 10-1 du code de procédure pénale, qui distingue deux formes de participation des citoyens :
— « comme jurés » pour composer le jury de la cour d’assises dans les conditions prévues aux articles 254 à 267 et 288 à 205-4 du code de procédure pénale ;
— « comme citoyens assesseurs » pour siéger au sein de trois types de juridictions pénales, à savoir :
Ÿ le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels lorsque ces juridictions se prononcent sur certains délits passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans et limitativement énumérés au nouvel article 399-2 du code de procédure pénale introduit par l’article 2 du présent projet de loi (voir infra) ;
Ÿ le tribunal correctionnel pour mineurs lorsque cette juridiction se prononce sur certains délits commis par des mineurs de plus de seize ans en état de récidive légale et passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans et limitativement énumérés au nouvel article 399-2 du code de procédure pénale introduit par l’article 2 du présent projet de loi (voir infra) ;
Ÿ le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel lorsque ces juridictions se prononcent, aux termes des nouveaux articles 712-13-1, 720-4-1 et 730-1 du code de procédure pénale introduits par l’article 9 du présent projet de loi, sur le relèvement de la période de sûreté, les libérations conditionnelles ou les suspensions de peines concernant des peines privatives de liberté supérieures ou égales à cinq ans (voir infra).
Afin de permettre aux citoyens assesseurs de siéger dans ces juridictions, le nouvel article 10-2 du code de procédure pénale prévoit que, pour chaque tribunal de grande instance, une liste de citoyens assesseurs, dont le nombre sera fixé par arrêté du ministre de la justice, sera établie chaque année.
Il convient enfin de souligner que les citoyens assesseurs ne siégeront pas au sein de la cour d’assises. En effet, alors que l’article 8 du projet de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, la possibilité de remplacer le jury de la cour d’assises par deux citoyens assesseurs pour les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle et commis sans récidive légale, la commission des Lois du Sénat, à l’initiative de son rapporteur, a adopté un amendement excluant l’intervention des citoyens assesseurs au profit d’une réduction de l’effectif du jury de neuf à six en première instance et de douze à neuf en appel.
Par coordination avec cette modification faite à l’article 8 du projet de loi, la commission des Lois du Sénat, toujours à l’initiative de son rapporteur, a adopté un amendement supprimant à l’article 10-1 du code de procédure pénale la référence à la présence de citoyens assesseurs au sein de la cour d’assises dite « simplifiée » (voir infra).
Les conditions requises pour exercer la fonction de citoyen assesseur sont déterminées par le nouvel article 10-3 du code de procédure pénale qui :
— d’une part, reprend les trois séries de conditions d’aptitude – aptitude, moralité, indépendance – requises aux articles 225 à 257 du code de procédure pénale pour exercer la fonction de juré ;
— d’autre part, énonce des exigences complémentaires spécifiques pour la fonction de citoyen assesseur.
En premier lieu, les conditions ont trait à l’aptitude intellectuelle du citoyen assesseur, qui doit être en mesure de suivre les débats judiciaires. À cette fin, le citoyen assesseur doit être âgé de vingt-trois ans au moins (54) ainsi que savoir lire et écrire en français (55). Ses facultés mentales ne doivent pas être présumées altérées. Aussi ne devra-t-il pas être sous sauvegarde de justice, en tutelle, en curatelle ou encore placé dans un établissement d’aliénés (56). S’ajoute à ces conditions liées à l’aptitude intellectuelle du citoyen assesseur, ce que M. Serge Guinchard appelle « une sorte d’aptitude sociale » (57) destinée à s’assurer « d’une certaine insertion dans la société » du citoyen assesseur. À cette fin, il doit être de nationalité française et jouir de ses droits politiques, civiques et de famille (58).
En deuxième lieu, les conditions requises pour être citoyen assesseur ont trait à sa moralité garantie par une série d’incapacités énumérées à l’article 256 du code de procédure pénale. Sont ainsi exclues de la fonction de citoyen assesseur :
— les personnes pour lesquelles le bulletin n° 1 du casier judiciaire mentionne une condamnation pour crime ou une condamnation pour délit supérieure ou égale, aux termes du deuxième alinéa de l’actuel article 256 du code de procédure pénale, à six mois d’emprisonnement. La commission des Lois du Sénat, à l’initiative de son rapporteur, avait adopté un amendement supprimant le seuil de peine à partir duquel une condamnation pour crime ou délit inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire emporte interdiction de l’exercice de la fonction de juré. La haute assemblée a toutefois adopté, en séance publique, un amendement de M. Jacques Mézard rétablissant le seuil d’une condamnation à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement (59) ;
— les personnes en état d’accusation ou de contumace, sous mandat d’arrêt ou de dépôt ;
— les fonctionnaires et agents de l’État, des départements et des communes révoqués de leurs fonctions ;
— les officiers ministériels destitués, les membres des ordres professionnels frappés d’une interdiction définitive d’exercer par une décision juridictionnelle ;
— les personnes en état de faillite non réhabilitées ;
— les personnes auxquelles les fonctions de juré sont interdites en vertu de l’article 131-26 du code pénal, qui dispose que « l’interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur […] le droit d’exercer une fonction juridictionnelle » ;
— les personnes condamnées en vertu de l’article 288 du code de procédure pénale, c’est-à-dire celles qui n’ont pas déféré à une précédente convocation comme juré ou se sont retirées avant l’expiration des fonctions.
En troisième lieu, les conditions requises pour exercer la fonction de citoyen assesseur ont trait à son indépendance garantie par une série d’incompatibilités énumérées à l’article 257 du code de procédure pénale. Sont ainsi incompatibles avec la fonction de citoyen assesseur celles de membre du Gouvernement, du Parlement, du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique, social et environnemental, de membre du Conseil d’État ou de la Cour des comptes, de magistrat de l’ordre judiciaire, de membre des tribunaux administratifs, de magistrat des tribunaux de commerce, d’assesseur des tribunaux paritaires des baux ruraux et de conseiller prud’homme, de secrétaire général du Gouvernement ou d’un ministère, de directeur de ministère, de membre du corps préfectoral, de fonctionnaire des services de police ou de l’administration pénitentiaire et, enfin, de militaire de la gendarmerie en activité.
À ces conditions qui sont identiques à celles requises pour la fonction de juré, s’ajoutent deux séries d’exigences complémentaires pour l’exercice de la fonction de citoyen assesseur.
Il s’agit, en premier lieu, d’exigences temporelles. Ainsi, ne peuvent « être inscrites sur la liste annuelle des citoyens assesseurs » les personnes qui :
— au cours des cinq années précédant l’année en cours, ont assuré les fonctions de citoyen assesseur ou de juré. Cette exigence est analogue à celle actuellement requise pour la seule fonction de juré à l’article 258-1 du code de procédure pénale qui prévoit que « sont exclus ou rayés de la liste annuelle des jurés et de la liste spéciale des jurés suppléants ceux qui ont rempli les fonctions de juré dans le département depuis moins de cinq ans » ;
— au cours de l’année précédente, ont été inscrites sur la liste annuelle du jury ou sur la liste annuelle des citoyens assesseurs ;
— au cours de la même année, ont été inscrites sur la liste annuelle du jury d’assises.
Il s’agit, en second lieu, d’une exigence liée au domicile. En effet, pour exercer ses fonctions, le citoyen assesseur doit résider dans le ressort du tribunal de grande instance. Une telle exigence de domicile s’inspire directement de celle qui est requise pour la fonction de juré. En effet, le premier alinéa de l’article 258 du code de procédure pénale permet aux personnes n’ayant pas leur résidence principale dans le département siège de la cour d’assises d’être dispensées à leur demande des fonctions de juré.
Le projet de loi prévoyait enfin, dans sa rédaction initiale, que le citoyen assesseur devait « présenter des garanties d’impartialité et de moralité » et « ne pas être inapte à l’exercice des fonctions de citoyen assesseur ». À l’initiative de son rapporteur, la commission des Lois du Sénat a adopté des amendements supprimant ces deux exigences qui « ont suscité sa perplexité » (60). En effet, en renvoyant aux articles 255 à 257 du code de procédure pénale, le nouvel article 10-3 détermine l’ensemble des critères objectifs permettant d’apprécier l’aptitude, l’indépendance et la moralité du citoyen assesseur (voir supra). L’énoncé de ces deux nouvelles exigences était donc redondant avec les dispositions du code de procédure pénale auxquelles l’article 10-3 renvoie et pouvait, de surcroît, compte tenu l’imprécision entourant la rédaction, faire référence « à d’autres éléments susceptibles de donner lieu à une appréciation subjective et donc contestable » (61).
Les modalités de désignation des citoyens assesseurs sont définies par les articles 10-4 à 10-6 du code de procédure pénale et recouvrent trois grandes étapes successives :
— la désignation des citoyens assesseurs parmi les personnes tirées au sort par les maires pour figurer sur les listes préparatoires des jurés de cours d’assises ;
— l’établissement de la liste annuelle des citoyens assesseurs de chaque tribunal de grande instance après l’élaboration de la liste annuelle du jury d’assises ;
— la faculté de retirer un citoyen assesseur de la liste annuelle définitive.
Si le présent projet de loi s’efforce d’aligner la procédure de désignation des citoyens assesseurs sur celle éprouvée de désignation des jurés d’assises, il ne l’adapte pas moins afin de tenir compte des spécificités nées de la participation des citoyens assesseurs au jugement des affaires pénales. L’étude d’impact résume en ces termes la singularité du mode de désignation des citoyens assesseurs : une procédure de « désignation combinant tirage au sort et vérification des aptitudes » (62).
LA DÉSIGNATION DES JURÉS DE COURS D’ASSISES
Afin de parvenir à une liste de jugement de neuf jurés lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et de douze jurés lorsqu’elle statue en appel (art. 296, al. 1er du code de procédure pénale), trois étapes successives sont nécessaires.
Ÿ La liste annuelle préparatoire
Depuis la loi n° 78-788 du 28 juillet 1978 portant réforme de la procédure pénale sur la police judiciaire et le jury d’assises, entrée en application le 1er janvier 1980, une liste annuelle préparatoire, comprenant 1 800 jurés à Paris et un juré pour 1 300 habitants en province, sans toutefois pouvoir être inférieure à 200, est élaborée dans chaque commune par tirage au sort sur les listes électorales des communes (art. 260 du code de procédure pénale).
À cette fin, au mois d’avril de chaque année, le préfet répartit, par voie d’arrêté, le nombre des jurés suivant l’importance de la population des communes. Il revient ensuite au maire de tirer au sort en public un nombre de noms trois fois supérieur à celui initialement prévu. Ne sont toutefois pas retenus pour constituer cette liste préparatoire les personnes qui n’auront pas atteint l’âge de vingt-trois ans au cours de l’année civile qui suit (art. 261 du code de procédure pénale). Une fois le tirage au sort effectué, la liste préparatoire est transmise avant le 15 juillet au greffe de la juridiction, siège de la cour d’assises (art. 262-1 du code de procédure pénale). Environ 165 000 personnes sont ainsi tirées au sort chaque année par les maires.
À ce stade de la procédure, il revient au maire ;
— d’avertir les personnes tirées au sort, de leur demander leur profession et de les informer de la faculté qui leur est reconnue de solliciter, avant le 1er septembre, une dispense dans les conditions prévues par l’article 258 du code de procédure pénale (être âgé de plus de soixante-dix ans, ne pas avoir sa résidence principale dans le département siège de la cour d’assises, invoquer un motif grave, comme une maladie ou une infirmité) ;
— le cas échéant, d’informer le greffier en chef du siège de la cour d’assises de toutes les causes d’inaptitude légale résultant des articles 255 à 257 du code de procédure pénale – aptitude intellectuelle et sociale, moralité, indépendance – qui pourraient concerner les personnes tirées au sort sur la liste préparatoire. Le maire a également la possibilité d’ajouter des observations sur les personnes qui, pour des motifs graves, ne paraissent pas en mesure d’exercer les fonctions de juré.
Ÿ La liste annuelle définitive
L’élaboration de la liste annuelle définitive est la deuxième étape conduisant à la désignation des jurés. Elle est réalisée au siège de la cour d’assises par une commission visée à l’article 262 du code de procédure pénale. Présidée par le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance, selon le siège de la cour d’assises, elle comprend trois magistrats du siège, le procureur général ou le procureur de la République ainsi que le bâtonnier de l’ordre des avocats et cinq conseillers généraux.
Ainsi composée, cette commission se réunit dans le courant du mois de septembre et élabore dans ce cadre la liste annuelle définitive en deux temps :
— elle statue, en premier lieu, sur l’exclusion de la liste préparatoire de toutes les personnes qui ne remplissent pas les conditions d’aptitude, de moralité et d’indépendance fixées par les articles 255 à 257 du code de procédure pénale, de celles qui ont exercé les fonctions de juré dans le département depuis moins de cinq ans, de celles qui ont été signalées par les maires comme ne paraissant pas pouvoir exercer les fonctions de juré et de celles qui ont demandé à être dispensées. Toutes les décisions sont prises à la majorité des membres de la commission ;
— elle tire au sort, dans un second temps, les noms des jurés parmi ceux restant sur la liste préparatoire (art. 263 du code de procédure pénale). Une fois la liste annuelle définitive des jurés ainsi arrêtée, la commission établit une liste spéciale de jurés suppléants – de cinquante à sept cents jurés selon les départements – résidant dans la ville où siège la cour d’assises (art. 264 du code de procédure pénale).
Ÿ La liste de session
L’élaboration de la liste de session est la troisième et dernière étape qui mène à la constitution du jury de jugement. Dressée trente jours au moins avant l’ouverture des assises, elle comprend quarante jurés titulaires et douze jurés suppléants tirés au sort en audience publique par le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance, selon le lieu où siège la cour d’assises, parmi les noms figurant sur la liste annuelle – pour les jurés titulaires – et sur la liste spéciale – pour les jurés suppléants.
Une nouvelle fois, sont exclus de la liste de session les noms des personnes décédées, de celles qui ne remplissent pas les conditions d’aptitude, de moralité et d’indépendance fixées par les articles 255 à 257 du code de procédure pénale, de celles qui ont exercé les fonctions de juré dans le département depuis moins de cinq ans et de celles qui ont déjà exercé les fonctions de juré dans l’année. Elles sont immédiatement remplacées.
Les personnes tirées au sort et figurant sur la liste de session sont prévenues officiellement par le greffier de la cour d’assises quinze jours au moins avant l’ouverture de la session par courrier. Les jurés ainsi convoqués doivent accuser réception de leur convocation, qui rappelle l’obligation pour tout citoyen requis de se présenter sous peine de sanctions à l’ouverture de la session des assises (art. 267 du code de procédure pénale).
C’est au jour de l’ouverture de la session des assises qu’est définitivement arrêtée la liste de session après appel par le greffier des jurés inscrits sur la liste. Sont à ce titre rayées par la cour d’assises de la liste de session les personnes qui ne remplissent pas les conditions d’aptitude, de moralité et d’indépendance fixées par les articles 255 à 257 du code de procédure pénale, les personnes décédées et celles qui « se révéleraient être conjoints, parents ou alliés jusqu’au degré d’oncle ou de neveu inclusivement d’un membre de la cour ou de l’un des jurés présents inscrits avant lui sur ladite liste » (art. 289 du code de procédure pénale).
Si, en raison de ces radiations ou des éventuelles absences, le nombre des jurés est inférieur à vingt-trois en premier ressort ou à vingt-six en appel, la cour d’assises complète la liste de session par des suppléants pris dans l’ordre de leur inscription (art. 289-1 du code de procédure pénale). Dans ce dernier cas, la liste de session ainsi complétée et modifiée est portée à la connaissance de l’accusé (art. 292 du code de procédure pénale).
Enfin, en vue de composer la liste de jugement, le greffier fait l’appel des jurés et une carte portant leur nom est déposée dans une urne (art. 295 du code de procédure pénale). Il est ensuite procédé au tirage au sort des jurés de jugement ainsi que d’un ou plusieurs jurés supplémentaires qui assistent aux débats et qui peuvent être appelés, dans l’ordre dans lequel ils ont été tirés au sort, à remplacer un ou plusieurs jurés de jugement qui seraient empêchés de suivre les débats jusqu’au prononcé de l’arrêt de la cour d’assises (art. 296 du code de procédure pénale).
Il existe un droit de récusation au profit tant du ministère public que de l’accusé et de son conseil (art. 298 du code de procédure pénale). Cette prérogative permet ainsi de rejeter, en premier ressort, neuf jurés – quatre pour le ministère public, cinq pour l’accusé – et, en appel, onze d’entre eux – cinq pour le ministère public, six pour l’accusé en appel –, sans avoir à fournir la moindre justification. C’est après cette dernière des formalités que le jury est définitivement constitué, acquis à la défense selon la formule utilisée.
Source : Serge Guinchard et al., Institutions juridictionnelles, Dalloz, 10e édition, 2009, pages 598 à 600.
a) La désignation des citoyens assesseurs parmi les personnes tirées au sort pour figurer sur les listes préparatoires des jurés d’assises
S’agissant en premier lieu de la désignation des citoyens assesseurs, ils sont, aux termes du nouvel article 10-4 du code de procédure pénale, désignés parmi les personnes tirées au sort par les maires sur les listes électorales en vue d’être inscrites sur les listes préparatoires des jurys d’assises.
Selon l’étude d’impact qui accompagne le présent projet de loi, le nombre total d’électeurs figurant sur les listes préparatoires des jurés de cours d’assises s’élève, au niveau national, à environ 165 000 personnes. Sur ce nombre, 55 000 personnes seront, comme cela est le cas actuellement, tirées au sort (63) pour être inscrites sur la liste annuelle définitive des jurés d’assises et, de la même manière, environ 16 000 personnes seront tirées au sort (64) pour figurer sur la liste spéciale des jurés suppléants. C’est dans le nombre de personnes restant – soit 77 500 – que seront désignés les 9 000 citoyens assesseurs.
Dans cette perspective, le nouvel article 10-4 du code de procédure pénale confie au maire une double mission, qui va au-delà de celle qui lui incombe dans le cadre de la procédure de désignation des jurés d’assises.
En premier lieu, à l’issue de l’élaboration de la liste préparatoire, le maire doit informer les personnes qui y figurent :
— d’une part, qu’elles sont susceptibles d’être désignées, soit comme juré, soit comme citoyen assesseur ;
— d’autre part, qu’elles peuvent demander au président de la commission départementale prévue à l’article 262 du code de procédure pénale à être dispensées de ces fonctions juridictionnelles pour l’un des motifs mentionnés à l’article 258 du même code : être âgé de plus de soixante-dix ans, ne pas avoir sa résidence principale dans le département siège de la cour d’assises ou tout autre motif grave reconnu valable par la commission (par exemple, une maladie ou une infirmité). Cette possibilité de solliciter une dispense est cohérente avec l’article 261-1 du code de procédure pénale qui, dans sa rédaction actuelle, reconnaît d’ores et déjà aux personnes inscrites sur la liste préparatoire et susceptibles d’être désignées comme juré d’assises le bénéfice des dispositions de l’article 258. Votre commission a adopté un amendement de précision de votre rapporteur prévoyant que les personnes inscrites sur les listes préparatoires pourront par simple lettre demander à être dispensées des fonctions de juré ou de citoyen assesseur.
En second lieu, toujours à l’issue de l’élaboration de la liste préparatoire, le maire est tenu d’adresser aux personnes qui y sont inscrites un recueil d’informations, dont le contenu sera fixé par un décret en Conseil d’État. Les personnes concernées adressent directement leurs réponses au président de la commission prévue à l’article 262 du code de procédure pénale.
Selon le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, le recueil d’informations que devront compléter les personnes concernées est destiné à recueillir « des données […] présentant la plus grande objectivité (éléments d’identité, profession, etc.) » (65). Il s’agit là d’une précision très importante, dans la mesure où le projet de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, non pas un simple recueil d’informations, mais un questionnaire ayant pour objet de vérifier « les garanties d’impartialité et de moralité » de la personne ainsi que son aptitude à exercer mes fonctions de citoyen assesseur.
Or, le rapporteur de la commission des Lois du Sénat « s’est interrogé sur le contenu des questions susceptibles d’être posées aux personnes tirées au sort » (66). En vue de dissiper l’équivoque entretenue par la notion de « questionnaire », la commission, à son initiative, a adopté à bon droit un amendement substituant à la notion de « questionnaire » celle de « recueil d’informations ».
S’agissant plus particulièrement du contenu de ce recueil d’informations, celui-ci comportera, selon les informations transmises à votre rapporteur par le Gouvernement, une première partie dont les réponses seront obligatoires et une seconde partie dont les réponses seront seulement facultatives.
La première partie contiendra des informations permettant de s’assurer que la personne concernée ne présente aucune incompatibilité avec la fonction de citoyen assesseur (profession, mandats électifs, placement sous tutelle, etc.).
La seconde partie comportera, pour sa part, des informations destinées à faciliter l’exercice des fonctions de citoyen assesseur. Il pourra ainsi être demandé à la personne tirée au sort les périodes de l’année, du mois ou de la semaine pendant lesquelles sa participation à des audiences pénales lui poserait le moins de difficultés, si elle était désignée. Il pourra également lui être demandé si elle fait partie d’une association d’aide aux détenus ou aux victimes ou si elle a récemment été partie civile dans une procédure pénale. Le ministère de la Justice considère que, dans ces différents cas, les exigences conventionnelles sur la composition d’une juridiction impartiale interdisent de la désigner comme citoyen assesseur.
b) L’élaboration de la liste annuelle des citoyens assesseurs pour chaque tribunal de grande instance
Une fois que les personnes inscrites sur la liste préparatoire ont été informées par le maire, il s’agit en second lieu d’établir pour chaque tribunal de grande instance la liste annuelle des citoyens assesseurs dans les conditions définies par le nouvel article 10-5 du code de procédure pénale. Cette liste sera élaborée après l’élaboration de la liste annuelle du jury d’assises par la commission prévue à l’article 262 du code de procédure pénale. La composition de cette dernière diffère à deux égards de celle prévue pour l’élaboration de la liste annuelle des jurés.
D’une part, la présidence de la dite commission est confiée au seul président du tribunal de grande instance, alors qu’en vue de l’établissement de la liste annuelle des jurés, elle revient, selon le siège de la cour d’assises, soit au premier président de la cour d’appel, soit au président du tribunal de grande instance.
D’autre part, le bâtonnier de l’ordre des avocats membre de cette commission est celui du tribunal de grande instance et non, comme pour l’élaboration de la liste annuelle des jurés, celui de la juridiction, siège de la cour d’assises.
Ainsi composée, la commission dresse la liste annuelle des citoyens assesseurs en deux temps, qui donnent à la procédure sa véritable singularité : un tirage au sort combiné à une sélection des citoyens assesseurs afin de garantir l’aptitude de ces derniers au jugement des affaires pénales qui leur seront soumises. Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 263 du code de procédure pénale, la liste annuelle pour la désignation des jurés est élaborée exclusivement sur la base d’un tirage au sort.
Ainsi, sur le fondement du nouvel article 10-5 du code de procédure pénale, la commission, dans un premier temps, détermine par tirage au sort l’ordre d’examen des personnes figurant sur la liste préparatoire et susceptibles d’exercer les fonctions de citoyens assesseurs. Une fois cet ordre d’examen défini par tirage au sort, la commission désigne les citoyens assesseurs, en excluant les personnes qui :
— ne remplissent pas aux exigences fixées par le nouvel article 10-3 du code de procédure pénale (voir supra) ;
— se sont vues accorder une dispense par la même commission en application de l’article 258 du code de procédure pénale (voir supra) ;
— qui, au vu des éléments figurant dans le recueil d’informations ou de ceux résultant de la consultation du bureau d’ordre national automatisé Cassiopée prévu à l’article 48-1 du code de procédure pénale et des fichiers d’antécédents judiciaires prévus à l’article 230-6 du code de procédure pénale (67), ne lui paraissent manifestement pas être en mesure d’exercer les fonctions de citoyens assesseurs. La consultation de ces différents traitements de données a été introduite par la commission des Lois du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement de son rapporteur destiné à « tenir compte notamment des retards dans l’inscription des condamnations au casier judiciaire » (68).
Compte tenu des spécificités des fonctions de citoyens assesseurs, qui ne sauraient être pleinement assimilées à celles de jurés, votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur renforçant les conditions requises pour l’exercice de telles fonctions : la commission pourra ainsi exclure de la liste annuelle les personnes pour lesquelles il existe, sur la base de la consultation de Cassiopée et des fichiers d’antécédents judiciaires des raisons objectives de contester leur impartialité, leur honorabilité ou leur probité, ces conditions étant indissociables du droit à un procès équitable. En renforçant les conditions requises pour l’exercice des fonctions de citoyens assesseurs, votre commission a conforté leur indépendance, dont le Conseil constitutionnel a fait une exigence constitutionnelle.
Si, dans le cadre de l’examen de la situation des personnes susceptibles d’être inscrites sur la liste annuelle des citoyens assesseurs, la commission peut procéder ou faire procéder à leur audition préalable, elle n’est pas tenue – contrairement à ce que prévoyait initialement le projet de loi – de faire réaliser au préalable une enquête (69) destinée à « vérifier que l’intéressé présente les conditions de moralité et d’impartialité requises ». En effet, cette exigence d’une enquête préalable a été supprimée par la commission des Lois du Sénat, à l’initiative de son rapporteur, afin de simplifier la procédure d’établissement de la liste annuelle des citoyens assesseurs.
Lorsqu’elle délibère sur les personnes susceptibles d’être inscrites sur la liste annuelle des citoyens assesseurs, la commission se prononce suivant les mêmes règles que celles aujourd’hui prévues par l’article 263 du code de procédure pénale pour les décisions préparatoires au tirage au sort de la liste annuelle des jurés d’assises : les décisions sont prises à la majorité simple et, en cas de partage des voix, celle du président est prépondérante.
La liste annuelle des citoyens assesseurs est arrêtée lorsque le nombre des personnes inscrites correspond à celui fixé, en application du nouvel article 10-2 du code de procédure pénale, par arrêté du ministre de la justice pour chaque tribunal de grande instance. Elle est alors adressée aux maires des communes du ressort du tribunal de grande instance et au premier président de la cour d’appel, auquel il revient, d’une part, de vérifier que la liste a été établie conformément aux exigences légales et, d’autre part, d’aviser de leur inscription les personnes concernées.
c) Le retrait des citoyens assesseurs ne remplissant plus les conditions légales d’aptitude de la liste annuelle
Une fois la liste annuelle des citoyens assesseurs définitivement arrêtée, la troisième et dernière étape de la procédure consiste à réserver au bénéfice du premier président de la cour d’appel la faculté de retirer de la liste les personnes ne remplissant plus les conditions pour exercer la fonction de citoyen assesseur. Tel est l’objet du nouvel article 10-6 du code de procédure pénale qui reconnaît au premier président de la cour d’appel la possibilité de prononcer le retrait de la liste annuelle définitive des citoyens assesseurs qui :
— ne remplissent plus les exigences légales de moralité et d’indépendance, parce que se trouvant dans l’un des cas d’incapacité ou d’incompatibilité prévus par les articles 256 et 257 du code de procédure pénale (voir supra) ;
— se sont abstenus, sans motif légitime, à plusieurs reprises de répondre aux convocations les invitant à assurer leur service juridictionnel. Cette disposition s’inspire de celle applicable aux assesseurs du tribunal correctionnel de Nouméa aux termes de l’article L. 562-16 du code de l’organisation judiciaire (70) ;
— ont commis un manquement aux devoirs de leur fonction, à l’honorabilité (71) et à la probité. Cette disposition s’inspire, pour sa part, de celles applicables aux assesseurs du tribunal correctionnel de Nouméa aux termes de l’article L. 562-16 précité et aux magistrats en application de l’article 43 du statut de la magistrature (72).
Alors que le texte adopté par le Sénat prévoyait que le premier président de la cour d’appel ne pouvait retirer de la liste un citoyen assesseur sans l’avoir au préalable convoqué et mis en mesure de présenter ses observations, votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur supprimant cette procédure contradictoire en raison de son caractère réglementaire.
De manière générale, les conditions dans lesquelles les citoyens assesseurs peuvent être retirés de la liste annuelle s’inspirent directement de l’actuel article 265 du code de procédure pénale qui habilite le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance, siège de la cour d’assises, à retirer de la liste annuelle des jurés d’assises le nom des seules personnes décédées ou frappées par l’un des cas d’incapacité ou d’incompatibilité prévus par la loi. Deux différences notables avec le nouvel article 10-6 du code de procédure pénale doivent être signalées :
— d’une part, le nouvel article 10-6 confie au premier président de la cour d’appel un pouvoir de retrait plus important que celui que lui reconnaît l’article 265 : les hypothèses pouvant conduire au retrait de citoyens assesseurs de la liste annuelle sont en effet plus larges que celles justifiant un retrait de jurés d’assises de la liste annuelle ;
— d’autre part, le nouvel article 10-6 prévoit que le premier président de la cour d’appel peut retirer un citoyen assesseur de la liste annuelle, sans que soient précisées les autorités qui le saisissent à cette fin, alors qu’aux termes de l’article 265, le maire est tenu d’informer, dès qu’il en a connaissance, le premier président de la cour d’appel des décès, incapacités ou incompatibilités légales qui frapperaient les personnes inscrites sur la liste annuelle des jurés en vue de leur retrait. Le projet de loi confiait au maire, dans sa rédaction initiale, la même fonction d’information du président de la cour d’appel en vue de retirer de la liste annuelle les citoyens assesseurs décédés ou sous le coup d’une incapacité ou d’une incompatibilité. N’étant pas « convaincue de l’intérêt de cette disposition susceptible de représenter une lourde charge pour le maire alors même qu’il détient rarement les informations mentionnées » (73), la commission des Lois du Sénat l’a supprimé par un amendement de son rapporteur au profit d’une intervention du premier président de la cour d’appel à l’initiative du président du tribunal de grande instance ou du procureur de la République. À l’initiative de votre rapporteur, votre commission a simplifié les conditions dans lesquelles le premier président de la cour d’appel peut retirer un citoyen assesseur de la liste annuelle. En effet, les précisions selon lesquelles la décision du premier président intervient à la demande du président ou du procureur relèvent du seul pouvoir réglementaire. Il convient en outre de préserver la souplesse du dispositif : le premier président de la cour d’appel pouvant être informé concurremment par plusieurs autorités – maire, président du tribunal de grande instance, procureur de la République, etc. – des décès, incapacités ou incompatibilités légales qui frapperaient les personnes inscrites sur la liste annuelle des citoyens assesseurs, il convient de ne pas en restreindre le nombre dans la loi.
Si les différents retraits prononcés par le premier président de la cour ou les décès constatés compromettent le bon fonctionnement de la justice, en raison d’une insuffisance de citoyens assesseurs disponibles, le même premier président convoque la commission prévue à l’article 10-5 et 262 du code de procédure pénale en vue de compléter la liste annuelle des citoyens assesseurs. La prise en compte des éventuels décès, qui ne figurait pas dans le projet de loi initiale, a été ajoutée par la commission des Lois du Sénat, à l’initiative de son rapporteur.
Les modalités de la participation des citoyens assesseurs au jugement des affaires pénales – au nombre de huit – sont définies par les nouveaux articles 10-7 à 10-13 du code de procédure pénale.
Il s’agit en premier lieu de définir les règles de répartition des citoyens assesseurs entre les différentes audiences des juridictions au sein desquelles ils seront appelés à siéger.
Tel est l’objet du nouvel article 10-7 du code de procédure pénale, qui confie le soin au :
— premier président de la cour d’appel de répartir entre les citoyens assesseurs le service des audiences de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de l’application des peines ;
— président du tribunal de grande instance de répartir entre les citoyens assesseurs le service des audiences du tribunal correctionnel et du tribunal de l’application des peines.
Cette répartition est ainsi réalisée pour chaque trimestre, les citoyens assesseurs devant être informés quinze jours au moins avant le début du trimestre de la date et de l’heure des audiences auxquelles ils sont appelés à siéger soit comme titulaires, soit comme suppléants.
À côté de cette procédure de droit commun d’affectation des citoyens assesseurs au service des audiences des différentes juridictions concernées, le même article 10-7 envisage trois cas exceptionnels dans lesquels les citoyens assesseurs peuvent être appelés par le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance, à siéger sans délai, mais avec leur accord. Une telle participation sans préavis des citoyens assesseurs aux audiences peut être exigée :
— soit en cas d’absence ou d’empêchement du titulaire et de ses suppléants ;
— soit lorsque la désignation d’un citoyen assesseur supplémentaire apparaît nécessaire au regard de la longueur des débats (voir infra) ;
— soit en cas de modification du calendrier des audiences imposée par les nécessités du service.
Il convient de souligner que le projet de loi ne prévoyait pas, dans sa rédaction initiale, l’accord de l’intéressé dans ces trois hypothèses. Afin d’entourer cette absence de préavis, la commission des Lois du Sénat, à l’initiative de son rapporteur, a adopté un amendement exigeant l’accord de l’intéressé dès lors que sa participation est requise sans délai.
b) La désignation de citoyens assesseurs supplémentaires au cours d’un procès entraînant de longs débats
Afin de permettre une participation sans discontinue des citoyens assesseurs à des procès susceptibles d’entraîner des longs débats, le nouvel article 10-8 du code de procédure pénale permet au premier président de la cour d’appel ou au président du tribunal de grande instance la faculté de désigner des citoyens assesseurs supplémentaires. Une fois désignés, il leur revient, d’une part, d’être présents dès le début de l’examen de l’affaire et, d’autre part, de prendre la relève du ou des citoyens assesseurs empêchés de suivre les débats jusqu’au prononcé de la décision.
c) Les règles d’affectation des citoyens assesseurs à une juridiction en principe située dans leur département
Les règles d’affectation des citoyens assesseurs à une juridiction déterminée sont définies par le nouvel article 10-9 du code de procédure pénale.
Le principe de droit commun est que les citoyens assesseurs siègent dans une juridiction située dans leur département. Dans cette perspective, les citoyens assesseurs appelés à siéger au sein de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de l’application des peines sont désignés parmi les personnes inscrites sur les listes annuelles des tribunaux de grande instance du département où la cour d’appel a son siège. De la même manière, les citoyens assesseurs appelés à siéger au sein du tribunal correctionnel ou du tribunal de l’application des peines sont choisis parmi les personnes figurant sur la liste annuelle du tribunal de grande instance, siège de la juridiction.
Deux dérogations à cette règle d’affectation sont toutefois prévues au nouvel article 10-9. En cas de nécessité et avec leur accord :
— les citoyens assesseurs appelés à siéger au sein de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de l’application des peines peuvent être désignés parmi les citoyens assesseurs inscrits sur les listes annuelles des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel autres que ceux du département où cette cour a son siège. Il revient alors au premier président de la cour d’appel d’en informer les présidents du tribunal de grande instance de son ressort ;
— les citoyens assesseurs appelés à siéger au sein du tribunal correctionnel ou du tribunal de l’application des peines peuvent être désignés sur la liste annuelle de l’un des tribunaux de grande instance limitrophes de celui où ils ont été appelés à siéger, appartenant au ressort de la même cour d’appel. Votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur précisant que le président de ce tribunal en est alors informé par le premier président de la cour d’appel.
La durée de participation des citoyens assesseurs au jugement des affaires pénales, y compris en qualité d’assesseur supplémentaire désigné dans les conditions prévues à l’article 10-7, est fixée, aux termes du nouvel article 10-10 du code de procédure pénale, à dix jours d’audience dans l’année.
Cette durée avait été fixée à huit jours par le projet de loi initial. Une telle durée, relativement brève, avait été retenue pour permettre aux citoyens assesseurs de concilier l’exercice de ce devoir civique avec, dans de très nombreux cas, une activité professionnelle. Cependant, certains procès sont susceptibles d’entraîner de longs débats, obligeant le citoyen assesseur à siéger au-delà des huit jours d’audience initialement prévus. Consciente des difficultés susceptibles de naître à cette occasion, votre commission a adopté, à l’initiative de votre rapporteur, un amendement portant le nombre de jours d’audience que doit réaliser un citoyen assesseur de huit à dix. Cette durée permettra de concilier, d’une part, respect d’un devoir civique et, d’autre part, exercice d’une activité professionnelle.
En outre, si l’examen d’une affaire contraint les citoyens assesseurs à dépasser la durée de dix jours d’audiences, ils sont tenus de siéger jusqu’au prononcé de la décision. Comme l’a très justement souligné le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, « il va de soi que l’obligation ainsi fixée au citoyen assesseur ne vaut que pour une affaire dont l’examen aurait été engagé avant l’expiration du délai » de dix jours (74).
Ainsi, le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance ne pourra exiger du citoyen assesseur d’aller au-delà du délai légal pour l’examen de nouvelles affaires, même si ces dernières sont inscrites au cours de la même audience que celle où s’achève l’exercice des fonctions de l’intéressé.
Enfin, afin de tenir compte de la durée – dix jours d’audiences – pendant laquelle les citoyens assesseurs sont appelés à siéger dans l’année au sein des juridictions pénales visées à l’article 10-1 du code de procédure pénale, le Sénat a adopté, en séance publique, un amendement de M. Hervé Maurey et plusieurs de ses collègues prévoyant qu’au cours de cette période de dix jours, un même citoyen assesseur pouvait être appelé à siéger exclusivement :
— soit au sein du tribunal correctionnel et de la chambre des appels correctionnels ;
— soit au sein du tribunal de l’application des peines et de la chambre de l’application des peines ;
— soit au sein du tribunal correctionnel pour mineurs.
Estimant que cette « compartimentation » introduisait une rigidité trop importante, votre commission a adopté, à l’initiative de votre rapporteur, un amendement précisant que « sauf exception justifiée par les nécessités de la bonne administration de la justice », les citoyens assesseurs siègent, en premier ressort et en appel, soit au sein des juridictions correctionnelles – tribunal correctionnel pour mineurs compris – soit au sein des juridictions de l’application des peines. Il sera donc possible, dès lors que les nécessités d’une bonne administration de la justice le justifient, de déroger à ce principe général et ce, afin que la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale conserve une certaine souplesse, indispensable à la réussite de la réforme.
Le nouvel article 10-11, dans sa rédaction issue du Sénat, prévoyait qu’avant d’exercer leurs fonctions juridictionnelles, l’ensemble des citoyens assesseurs figurant sur la liste annuelle étaient tenus de prêter serment, devant le tribunal de grande instance, de « bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations ».
La formulation de ce serment prêté par les citoyens assesseurs s’inspirait directement – à une différence près – de celles aujourd’hui prévues :
— à l’article L. 251-5 du code de l’organisation judiciaire pour les assesseurs du tribunal pour enfants, qui doivent, pour leur part, prêter serment de « bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de garder religieusement le secret des délibérations » ;
— à l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature pour les magistrats, qui doivent également prêter serment en ces termes : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
Le serment des citoyens assesseurs ne prévoyait pas – contrairement aux assesseurs du tribunal pour enfants et des magistrats – l’obligation de conserver « religieusement » le secret des délibérations.
À l’initiative de votre rapporteur, votre commission a adopté un amendement simplifiant la procédure de serment prêté par les citoyens assesseurs.
En effet, outre le serment prévu à l’article 10-11 et prêté par les citoyens assesseurs devant le tribunal de grande instance avant d’exercer leurs fonctions, l’article 3 du présent projet de loi insérait dans le code de procédure pénale un nouvel l’article 461-2 qui prévoyait, pour sa part, qu’avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire inscrite au rôle de l’audience, les assesseurs citoyens prêtaient de nouveau serment, ce dernier étant similaire à celui des jurés d’assises prévu à l’article 304 du code de procédure pénale (voir infra).
À ces prestations de serments multiples, votre rapporteur a estimé nécessaire de substituer un serment unique, proche de celui des jurés d’assises, qui sera prêté par les citoyens assesseurs une seule fois, à l’ouverture de la première audience à laquelle ils sont appelés à siéger. Ce serment sera valable à la fois pour les juridictions de jugement et celles de l’application des peines.
Les règles de récusation et de déport des citoyens assesseurs sont définies par le nouvel article 10-12 du code de procédure pénale.
S’agissant des règles de récusation, elles s’inspirent de celles actuellement prévues pour les magistrats à l’article 668 du code de procédure pénale. Un citoyen assesseur pourra donc être récusé pour l’un des neufs motifs actuellement prévus à l’article 668, à savoir :
— si le citoyen assesseur ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin sont parents ou alliés de l’une des parties ou de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin jusqu’au degré de cousin issu de germain inclusivement. La récusation peut être exercée contre le citoyen assesseur, même au cas de divorce ou de décès de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin, s’il a été allié d’une des parties jusqu’au deuxième degré inclusivement ;
— si le citoyen assesseur ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, si les personnes dont il est tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire, si les sociétés ou associations à l’administration ou à la surveillance desquelles il participe ont intérêt dans la contestation ;
— si le citoyen assesseur ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, est parent ou allié, jusqu’au deuxième degré, du tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire d’une des parties ou d’un administrateur, directeur ou gérant d’une société, partie en cause ;
— si le citoyen assesseur ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, se trouve dans une situation de dépendance vis-à-vis d’une des parties ;
— si le citoyen assesseur a connu du procès comme magistrat, arbitre ou conseil, ou s’il a déposé comme témoin sur les faits du procès ;
— s’il y a eu procès entre le citoyen assesseur, son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin leurs parents ou alliés en ligne directe, et l’une des parties, son conjoint, ou ses parents ou alliés dans la même ligne ;
— si le citoyen assesseur ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ont un procès devant un tribunal où l’une des parties est juge ;
— si le citoyen assesseur ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, leurs parents ou alliés en ligne directe ont un différend sur pareille question que celle débattue entre les parties ;
— s’il y a eu entre le citoyen assesseur ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin et une des parties, toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son impartialité.
La décision récusant pour l’un de ces motifs un citoyen assesseur sera prise, avant l’examen au fond, par les trois magistrats de la juridiction, à la demande soit du ministère public, soit des parties. Il convient de souligner une différence importante avec les demandes de récusation d’un magistrat qui sont, pour leur part, prises par le premier président de la cour d’appel.
Si, compte tenu de leur nombre et de leur mode de désignation, il n’est ni possible ni justifié de prévoir un mécanisme systématique et non motivé de récusation des citoyens assesseurs similaire à celui des jurés, il convient de ne pas limiter les possibilités de récusation des citoyens assesseurs à celles prévues pour les magistrats par l’article 668, car elles impliquent nécessairement des liens directs entre le juge ou sa famille avec une des parties au procès, ce qui semble trop restrictif.
Au regard des exigences du procès équitable, qui suppose une impartialité objective et une probité non contestable des membres de la juridiction, il peut en effet arriver que l’impartialité ou la probité d’un citoyen assesseur, parce qu’il ne s’agit pas d’un juge professionnel, soit mise en cause dans des hypothèses autres que celles visées par l’article 668 précité. Il en va ainsi d’un citoyen assesseur qui habite dans le quartier où résidait la victime ou qui est membre d’une association luttant précisément contre des infractions similaires à celle qu’il sera appelé à juger. De la même manière, un citoyen assesseur qui, quelques jours avant l’audience, est mis en cause et poursuivi pour la commission d’une infraction doit pouvoir être récusé.
C’est pourquoi, à l’initiative de votre rapporteur, votre commission a adopté un amendement élargissant les possibilités de récusation aux cas dans lesquels il existe une raison objective de contester l’impartialité, l’honorabilité ou la probité du citoyen assesseur.
S’agissant ensuite des règles de déport d’un citoyen assesseur, elles s’inspirent des dispositions prévues pour les magistrats à l’article L. 111-7 du code de l’organisation judiciaire, qui dispose que « le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer par un autre juge spécialement désigné ». De la même manière, le nouvel article 10-12 prévoit qu’un citoyen assesseur « qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir le fait connaître avant l’examen au fond ».
Il revient alors au président de la juridiction de le remplacer par un citoyen assesseur supplémentaire désigné sans délai, mais avec son accord, par le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance en application du nouvel article 10-7.
L’article 10-12 prévoit enfin que les règles relatives à la récusation et au déport font l’objet, en début d’audience, d’un rappel par le président de la juridiction.
g) La sanction pénale du non-respect par le citoyen assesseur de ses obligations inhérentes à sa fonction
Le nouvel article 10-13 du code de procédure pénale rappelle enfin que « l’exercice des fonctions de citoyen assesseur constitue un devoir civique ». La faible portée normative de cette disposition qui, dans le texte issu de la haute assemblée, figurait seule à l’article 10-13, s’explique en partie par la suppression opérée par la commission des Lois du Sénat, à l’initiative de son rapporteur, de la peine d’amende de 1 500 € prévue pour les contraventions de cinquième classe qui était encourue dès lors que :
— une personne inscrite sur la liste préparatoire de la liste annuelle du jury d’assises refuse sans motif légitime de se prêter aux opérations permettant de vérifier qu’elle remplit les conditions pour exercer les fonctions de citoyen assesseur ;
— une personne désignée comme citoyen assesseur ne se présente pas, sans motif légitime, à l’audience à laquelle elle doit participer.
Si le rapporteur de la commission des Lois du Sénat a estimé que « le choix d’une amende contraventionnelle – et non délictuelle comme pour les jurés défaillants – se justifie dans la perspective de forfaitisation des contraventions de cinquième classe permise par le projet de loi relatif à la répartition des contentieux en cours d’examen devant le Parlement » (75), il a constaté dans le même temps que « l’institution d’une contravention présente en principe un caractère réglementaire et n’a pas sa place dans la loi » (76).
C’est pourquoi la commission des Lois du Sénat a adopté un amendement de son rapporteur, M. Jean-René Lecerf, supprimant cette peine d’amende contraventionnelle sanctionnant le non-respect par tout citoyen assesseur des obligations inhérentes à sa fonction. Il convient, à cet égard, de rappeler qu’en l’état actuel, tout juré qui, aux termes l’article 288 du code de procédure pénale, n’a pas déféré sans motif légitime à la convocation qu’il a reçue peut être condamné par la cour à une amende de 3 750 €.
Cependant, dans la mesure où l’exercice des fonctions de citoyen assesseur constitue un devoir civique, au même titre que l’exercice des fonctions de juré, il est nécessaire de prévoir, dans la loi, une peine d’amende délictuelle, comme celle déjà prévue pour les jurés à l’article 288 du code de procédure pénale. Votre commission a ainsi adopté, à l’initiative de votre rapporteur, un amendement réintroduisant à l’article 10-13 une amende délictuelle de 3 750 € que le citoyen assesseur encourra s’il refuse, sans motif légitime, de se prêter aux opérations permettant de vérifier qu’il remplit les conditions pour exercer ces fonctions ou s’il ne se présente pas, sans motif légitime, à l’audience à laquelle il doit participer.
5. Le renvoi à un décret en Conseil d’État le soin de fixer les modalités d’application du présent article
En dernier lieu, le présent article introduit dans le code de procédure pénale, un nouvel article 10-14, qui confie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les modalités d’application des nouveaux articles 10-1 à 10-13 et de définir en particulier :
— les modalités selon lesquelles les citoyens assesseurs doivent bénéficier, avant d’exercer leurs fonctions, d’une « formation » sur le fonctionnement de la justice pénale et, à la suite de l’adoption par votre commission d’un amendement de M. Jean-Pierre Decool, sur leur rôle et leur mission. Il convient d’indiquer que le projet de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, une simple « information » des citoyens assesseurs sur le fonctionnement de la justice pénale. Le Sénat a adopté, en séance publique, un amendement de M. Hervé Maurey et plusieurs de ses collègues en vue de permettre aux citoyens assesseurs appelés à siéger de disposer d’une véritable formation ;
— les modalités et le calendrier des opérations nécessaires à l’établissement de la liste annuelle des citoyens assesseurs ;
— les modalités de l’indemnisation des citoyens assesseurs. L’étude d’impact qui accompagne le présent projet de loi apporte un premier éclairage les conditions de cette indemnisation, puisqu’elle indique que l’indemnité versée aux citoyens assesseurs « devrait être composée d’une indemnité de repas (30,50 €) et d’une vacation variable selon qu’elle compense (150 €) ou non (75 €) une perte de salaire » (77).
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Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL 116 de Mme George Pau-Langevin, tendant à supprimer l’article.
Puis elle adopte l’amendement de précision CL 185 du rapporteur.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL 117 de Mme George Pau-Langevin.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL 109 de M. Jean-Paul Garraud.
M. Jean-Paul Garraud. L’amendement vise à restreindre la participation des citoyens assesseurs aux seules juridictions d’appel.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
M. le garde des Sceaux. Même avis.
La Commission rejette l’amendement.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL 118 et CL 119 de Mme George Pau-Langevin.
Puis la Commission examine l’amendement CL 186 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de supprimer l’alinéa 12, qui est sans objet.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de coordination CL 187 du rapporteur.
Elle examine ensuite l’amendement CL 3 de M. Jean-Pierre Decool.
M. le rapporteur. Je souhaiterais que cet amendement soit retiré : il serait préférable de l’insérer dans le code du travail.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’amendement de précision CL 210 du rapporteur.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement CL 120 de Mme George Pau-Langevin.
Puis elle examine l’amendement CL 211 du rapporteur.
M. le rapporteur. L’amendement précise que les citoyens assesseurs doivent respecter des conditions d’impartialité, d’honorabilité et de probité.
La Commission adopte l’amendement.
Par conséquent, les amendements CL 121 de Mme George Pau-Langevin et CL 161 de Mme Delphine Batho deviennent sans objet.
La Commission adopte successivement les amendements de coordination ou de précision CL 188, CL 212, CL 189, CL 190 et CL 191 du rapporteur.
Puis elle est saisie de l’amendement CL 213 du rapporteur.
M. le rapporteur. Le Sénat a souhaité spécialiser les citoyens assesseurs en les faisant siéger soit dans une juridiction correctionnelle soit dans une juridiction de l’application des peines. Je propose d’introduire un peu plus de souplesse.
La Commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL 214 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de porter à dix le nombre de jours d’audience pendant lesquels le citoyen assesseur est appelé à siéger.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL 192 du rapporteur.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL 215 du rapporteur.
M. le rapporteur. L’amendement adapte le serment prêté par les citoyens assesseurs en s’inspirant de celui des jurés d’assises. Il précise, en outre, que le serment sera prêté à l’ouverture de la première audience à laquelle les citoyens assesseurs sont appelés à siéger.
La Commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL 216 du rapporteur.
M. le rapporteur. L’amendement élargit la possibilité de récusation au-delà des cas prévus pour les magistrats : les citoyens assesseurs pourront être récusés s’il existe une raison objective de contester leur impartialité, leur honorabilité ou leur probité.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle est saisie de l’amendement CL 217 du rapporteur
M. le rapporteur. Je vous propose d’aligner l’amende infligée en cas de refus d’exercer les fonctions de citoyen assesseur sans motif légitime sur la peine déjà prévue pour les jurés.
La Commission adopte l’amendement.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte ensuite l’amendement CL 4 de M. Jean-Pierre Decool.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Article 1er bis
(art. 256 du code de procédure pénale)
Conditions requises pour les fonctions de citoyens assesseurs et de jurés
Le présent article, qui a été introduit dans le projet de loi par la commission des Lois du Sénat, à l’initiative de son rapporteur, puis supprimé en séance publique par la haute assemblée à la suite de l’adoption d’un amendement de M. Jean-Pierre Michel, avait un double objectif.
Il modifiait, en premier lieu, l’article 255 du code de procédure pénale afin d’abaisser la condition d’âge requise pour exercer la fonction de juré à dix-huit ans contre vingt-trois actuellement. Par extension, le citoyen assesseur ne devait pouvoir exercer sa fonction qu’à la seule condition d’être âgé d’au moins dix-huit ans.
Il supprimait, en second lieu, à l’article 256 du code de procédure pénale, le seuil de peine – égale ou supérieure à six moins d’emprisonnement – à partir duquel une condamnation pour crime ou délit inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire emporte interdiction de l’exercice des fonctions de juré et de citoyen assesseur.
À l’initiative de votre rapporteur, votre commission a adopté un amendement rétablissant cet article dans sa seconde partie, à savoir conditionner l’exercice des fonctions de juré et de citoyen assesseur à l’absence de condamnation pour crime ou délit figurant au bulletin n° 1 du casier judiciaire. Dans ces conditions, les personnes condamnées à des peines inférieures à six mois d’emprisonnement ne pourront exercer de telles fonctions.
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La Commission examine l’amendement CL 218 du rapporteur.
M. le rapporteur. Je propose de rétablir cet article supprimé par le Sénat. Les jurés assesseurs doivent avoir un casier judiciaire vierge.
La Commission adopte l’amendement.
L’article 1er bis est ainsi rétabli.
Article 1er ter (nouveau)
(art. 258-2 [nouveau] du code de procédure pénale)
Limitation dans le temps de l’exercice des fonctions de juré
Issu d’un amendement de votre rapporteur, le présent article limite dans le temps l’exercice des fonctions de juré, par coordination avec le nouvel article 10-3 du code de procédure pénale introduit par l’article 1er du projet de loi, qui limite également dans le temps les fonctions de citoyen assesseur.
En effet, cet article prévoit que ne peuvent « être inscrites sur la liste annuelle des citoyens assesseurs » les personnes qui, au cours des cinq années précédant l’année en cours, ont assuré les fonctions de citoyen assesseur ou de juré ou qui, au cours de l’année précédente, ont été inscrites sur une liste annuelle du jury ou sur une liste annuelle des citoyens assesseurs.
Par souci de cohérence, le présent article insère dans le code de procédure pénale un nouvel article 258-2 qui pose la même exigence pour la fonction de juré, à savoir ne pas avoir exercé au cours des cinq dernières années la fonction de juré ou de citoyen assesseur dans le département et ne pas avoir été inscrit, au cours de l’année précédente, sur une liste annuelle du jury ou sur une liste annuelle des citoyens assesseurs. Compte tenu de la participation expérimentale des citoyens assesseurs au fonctionnement des juridictions correctionnelles et de l’application des peines, ce nouvel article 258-2, qui limite dans le temps le cumul de cette fonction avec celle de juré, a également vocation à s’appliquer, dans un premier temps, de manière expérimentale (voir infra).
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La Commission adopte l’amendement de coordination CL 219 du rapporteur.
Article 1er quater (nouveau)
(art. 370, 380-2, 380-3 et 380-11-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Droit de la partie civile d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation
en cas d’acquittement
Issu d’un amendement de M. Marc Le Fur adopté avec un avis défavorable de votre rapporteur et du Gouvernement, le présent article prévoit le droit pour la partie civile devant la cour d’assises d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation en cas d’acquittement de l’accusé. À l’appui de cet amendement, ses auteurs ont fait valoir qu’il leur paraissait nécessaire d’élargir, en matière criminelle, le droit d’appel de la partie civile, aujourd’hui possible sur les seuls intérêts civils, aux cas d’acquittement, afin de lui permettre de concourir à la reconnaissance de l’éventuelle culpabilité pénale du mis en cause.
En l’état actuel, l’article 380-2 du code de procédure pénale reconnaît à la partie civile la seule faculté d’interjeter appel quant à ses intérêts civils. Le présent article élargit cette faculté d’appel de la partie civile aux cas d’acquittement.
Afin que la partie civile puisse exercer ce droit, il revient au président de la cour d’assises, aux termes de l’article 370 du code de procédure pénale tel que réécrit par le présent article, de l’avertir, après le prononcé de l’arrêt acquittant l’accusé, de son droit d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation et de lui indiquer, dans cette perspective, le délai d’appel ou de pourvoi.
Lorsque la cour d’assises statue en appel en application de l’article 380-3 du code de procédure pénale tel que modifié par le présent article, l’action publique peut, sur le seul appel de la partie civile soit confirmer l’acquittement, soit l’infirmer en tout ou partie dans un sens défavorable à l’accusé.
Enfin, le nouvel article 380-11-1 du code de procédure pénale, inséré par le présent article, reconnaît à la partie civile le droit de se désister de son appel jusqu’à l’interrogatoire de l’accusé que le président de la cour d’assises, en application de l’article 272 du même code, est tenu de réaliser « dans le plus bref délai, après l’arrivée de ce dernier à la maison d’arrêt et la remise des pièces au greffe », dès lors que l’arrêt de désignation de la cour d’assises d’appel lui a été signifié.
Comme votre rapporteur l’a précédemment évoqué, l’introduction de cette mesure dans notre droit processuel soulève plusieurs incertitudes. Avec une telle disposition, le risque que la partie civile ne devienne un second accusateur, placé quasiment sur le même plan que le ministère public, est réel. Par ailleurs, le risque de donner à la victime de faux espoirs, en lui permettant de faire appel contre l’avis du ministère public, n’est pas mince. Enfin, la motivation des jugements criminels, avancée prévue à l’article 7 du projet de loi (voir supra), permettra désormais aux victimes et aux parties civiles de comprendre les raisons qui ont mené à la condamnation ou à l’acquittement de leur agresseur et ainsi de mieux accepter la décision du parquet général de faire ou non appel de la décision.
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La Commission est ensuite saisie de l’amendement CL 169 de M. Marc Le Fur.
M. Jean-Paul Garraud. Nous proposons de permettre aux victimes de faire appel en cas de relaxe ou d’acquittement de la personne mise en cause. Il arrive, en effet, assez fréquemment que le parquet ne fasse pas appel alors qu’il a poursuivi l’infraction, soutenu l’accusation pendant le procès et requis une peine. Or, la victime n’a pas le droit d’interjeter appel. Pourquoi le lui interdire ? Elle peut déjà faire appel d’une ordonnance de non-lieu du juge d’instruction. N’oublions pas non plus l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales !
M. Étienne Blanc. Le garde des Sceaux a déclaré tout à l’heure que notre justice pénale risquait de changer de nature si cet important amendement était adopté : selon lui, une sorte de vengeance privée verrait le jour si la victime peut faire appel d’une relaxe ou d’un acquittement.
Pourtant, dans l’état actuel du droit, une victime peut se constituer partie civile par une lettre envoyée au doyen des juges d’instruction si elle conteste le choix du parquet de ne pas donner suite à sa plainte. L’institution judiciaire doit alors enquêter et poursuivre les faits le cas échéant. En l’espèce, c’est bien la victime qui déclenche l’action publique. Pourquoi le lui interdire devant une juridiction en cas de relaxe ou d’acquittement ?
J’entends bien que la justice pénale ne doit pas redevenir l’exercice d’une vengeance, reposant sur une opposition entre la victime et l’auteur des faits. Une place prépondérante doit revenir au parquet et au tribunal. Il n’en reste pas moins que le droit d’appel répondrait ici au même principe que le déclenchement de l’action publique par constitution de partie civile. L’argument qui nous est opposé ne tient pas.
En second lieu, il faut se mettre à la place d’une victime qui aura participé pendant trois ou quatre ans à la constitution du dossier, dans le cadre de l’instruction, et qui tente de démontrer qu’elle a été victime d’une infraction. On va lui signifier, au terme de la procédure, que l’infraction n’était pas constituée. Pourquoi n’aurait-elle pas la possibilité d’interjeter appel, elle aussi, pour faire reconnaître ses droits ? L’accusé ou l’inculpé a le droit de bénéficier d’un deuxième procès, mais la procédure actuelle fait de la victime une sorte de minus habens. Je ne vois pas pourquoi elle devrait être écartée de la procédure d’appel alors que toute une série de réformes a permis depuis une vingtaine d’années, de renforcer sa place dans le procès pénal.
Mme George Pau-Langevin. Cet amendement est effectivement de nature à changer notre conception de la justice pénale. Nous sommes tous prêts à soutenir les victimes afin que le préjudice résultant des infractions qu’elles ont subies soit réparé, mais c’est le procureur qui a la responsabilité d’exercer les poursuites. Si une juridiction considère que l’infraction n’est pas constituée, et si le parquet estime qu’il n’y a pas lieu de faire appel, il serait étrange que la partie civile puisse poursuivre la procédure au plan pénal. Elle peut continuer à chercher réparation du préjudice au plan civil ; en revanche, on ne saurait l’autoriser à devenir entièrement une partie « poursuivante ». On se rapprocherait alors du système américain, mais il faut être conscient qu’on changerait la nature du procès pénal.
M. Jean-Christophe Lagarde. Cette argumentation ne me convainc pas. La victime est certes reconnue dans ses intérêts civils, mais il peut arriver qu’elle soit deux fois victime : victime du crime qui a été commis et victime du parquet, censé la représenter au nom de la société. Je ne verrais rien de choquant, pour ma part, à ce qu’une victime puisse interjeter appel.
Au nom de quoi le parquet serait-il mieux placé qu’elle pour estimer que le jugement a bien été rendu en droit et en équité ? Du reste, l’amendement ne révolutionnerait en rien le système judiciaire français. Comme l’a rappelé Étienne Blanc, il est déjà possible de se constituer partie civile si le parquet ne veut pas poursuivre une infraction. Mais la victime est impuissante une fois qu’une juridiction s’est prononcée, quand bien même le parquet aurait préalablement estimé qu’il y avait matière à poursuite.
Je précise que je suis plus réservé sur la possibilité, prévue par l’amendement, de se pourvoir en cassation : la cassation porte sur des motifs de forme ; or, il n’appartient pas à la victime d’entrer dans cette logique.
M. Guy Geoffroy. Certes, je fais mien le souhait que les droits de la victime soient mieux reconnus, en particulier lorsqu’elle est confrontée à la situation un peu surprenante qui a été décrite : le parquet fait des réquisitions, n’obtient pas satisfaction, mais ne fait pas appel.
Cela étant, nos collègues passent un peu vite sur la différence entre ce qui précède le procès et le procès lui-même. Si l’on reconnaît que sont parties au procès pénal non seulement le ministère public et les personnes mises en cause, mais aussi les victimes, il n’y aura plus deux, mais trois parties. On pourra alors admettre que les victimes interjettent appel ou se pourvoient en cassation – je ne vois pas pourquoi il faudrait séparer ces deux aspects. Mais c’est précisément dans la mesure où la société accepte de prendre à son compte les poursuites et d’être partie au procès pénal que s’opère un passage de la vengeance à la justice. La victime, elle, est partie « civile », et non partie pénale.
J’ajoute qu’il faudrait assumer de façon cohérente ce qui nous est proposé, en revisitant l’ensemble du code pénal. Je ne voudrais pas que le Conseil constitutionnel censure cette partie de la loi, de sorte que tout cela aurait été finalement beaucoup de bruit pour rien. Si l’on s’engage dans cette voie, il faut aller jusqu’au bout.
Oui à tout ce qui peut faire que les victimes soient mieux écoutées, mieux considérées et mieux prises en compte dans notre société. Mais cet amendement n’apporte pas la bonne réponse.
M. Jean-Paul Garraud. D’accord : faisons du droit, et cela jusqu’au bout. Il ne s’agit en aucune façon de conférer des droits égaux au procureur et à la victime, mais d’accorder un droit d’appel à cette dernière en cas de relaxe ou d’acquittement.
Cela n’a rien à voir avec une quelconque vengeance : il n’est pas question de permettre à la victime de faire appel parce que la peine prononcée ne lui paraîtrait pas suffisante. L’appel ne portera que sur la position de principe du tribunal correctionnel ou de la cour d’assises en cas de relaxe ou d’acquittement. Dans le cas tout à fait anormal où le procureur ne ferait pas appel alors qu’il avait requis une peine, la victime doit bénéficier d’un droit d’appel.
M. Dominique Raimbourg. Je rappelle que la partie civile a le statut de partie associée : la victime est intéressée à la déclaration de culpabilité. Afin de concilier les deux points de vue qui se sont exprimés, et qui me paraissent tout aussi respectables l’un que l’autre, on pourrait essayer d’élaborer une rédaction limitant le droit d’interjeter appel à la seule déclaration de culpabilité sans ouvrir la porte à une discussion portant sur la peine.
Mme Delphine Batho. Nous allons dans le sens de l’histoire : la possibilité de faire appel aux assises a été reconnue par la loi du 15 juin 2000, puis nous avons donné au parquet le droit de faire appel en cas d’acquittement. Il paraît assez logique d’accorder la même possibilité aux victimes, sous réserve que l’appel ne concerne pas la peine, mais seulement la reconnaissance de culpabilité.
M. le rapporteur. L’adoption de cet amendement remettrait en cause un principe fondamental de notre procédure pénale. Or, ce projet de loi ne concerne que la création des citoyens assesseurs et le jugement des mineurs.
L’amendement fait l’objet d’un débat de fond, avec des arguments forts d’un côté comme de l’autre. Or, une importante réforme de la procédure pénale est en gestation : des groupes de travail ont été constitués et un avant-projet, comptant 700 articles, a été élaboré. Comme il est peu probable qu’une telle réforme puisse être adoptée moins d’un an avant les échéances électorales qui nous attendent, cette tâche devrait revenir à la prochaine majorité, quelle qu’elle soit. Ce sera l’occasion de mener à son terme le débat que nous venons d’ouvrir.
Je voudrais remercier les cosignataires de l’amendement : leur nombre prouve que ce sujet est important. Toutefois, dans l’intérêt du texte qui nous est proposé comme dans l’intérêt de l’amendement lui-même, il me semblerait opportun de le retirer. Sinon, avis défavorable.
M. le garde des Sceaux. Je comprends la volonté de renforcer la place de la victime, qui ne doit pas être l’oubliée du procès pénal, mais cela ne conduit pas nécessairement à suivre les auteurs de l’amendement.
Il existe déjà une solution en ce qui concerne les intérêts civils : un appel est possible même en cas de relaxe ou d’acquittement. Vous voulez maintenant permettre à la victime, qui est « partie civile » dans le cadre du procès pénal, de reprendre à son compte l’action publique à l’issue du procès, ce qui est très différent.
Durant tout le procès, la victime aura été une partie civile demandant à être indemnisée. Et dès la fin, elle changerait de nature – tout en continuant à s’appeler partie civile – et deviendrait partie poursuivante ? M. Raimbourg suggère que l’appel se limite à une sorte de déclaration de culpabilité – mais un arrêt de cour d’assises peut-il se borner à affirmer que quelqu’un est coupable, sans aucune conséquence pénale ? On voit les difficultés que cela soulève. Toutefois, je comprends votre souci et je suis prêt à accepter un début de solution. Ainsi, de la même façon que, depuis la loi Perben II, on peut demander au parquet pourquoi il a classé une affaire sans suite, la victime pourrait lui demander de justifier sa décision de ne pas faire appel. Mais pour le reste, je ne peux que donner un avis défavorable.
M. Marcel Bonnot. En matière de citation directe, la victime provoque l’action pénale et la joint à l’action civile !
M. le garde des Sceaux. La victime a le droit de déclencher l’action publique – depuis le début du XXe siècle ! – mais c’est le procureur qui la mène. Si ce dernier ne fait pas appel, il ne soutiendra évidemment pas l’accusation en appel ! La victime aura fait appel mais ne pourra pas soutenir l’accusation. Elle demandera non une peine mais une déclaration de culpabilité… Vous voyez où cela nous conduit. Prenons le temps de retravailler la question.
M. Jean-Paul Garraud. Nous avons déjà beaucoup travaillé sur le sujet. Nous avons déposé une proposition de loi. Le moment est arrivé de se prononcer.
La Commission adopte l’amendement CL 169.
Article 1er quinquies (nouveau)
(art. 380-2-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Information de la partie civile n’ayant pas interjeté appel
sur ses intérêts civils en matière criminelle
Issu d’un amendement de M. Marc Le Fur adopté avec un avis favorable de votre rapporteur et du Gouvernement, le présent article renforce l’information des parties civiles devant la cour d’assises et insère à cette fin, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 380-2-1.
Ce nouvel article prévoit qu’en matière criminelle, la partie civile qui n’a pas interjeté appel sur ses intérêts civils est tout de même avisée par tout moyen de la date à laquelle l’affaire sera appelée à l’audience. Il s’agit là d’une précision importante qui permettra à la partie civile d’être mieux associée tout au long du procès criminel et d’exercer pleinement les droits que le code de procédure pénale lui reconnaît, notamment à son article 380-6, qui prévoit que « même lorsqu’il n’a pas été fait appel de la décision sur l’action civile, la victime constituée partie civile en premier ressort peut exercer devant la cour d’assises statuant en appel les droits reconnus à la partie civile jusqu’à la clôture des débats ».
*
* *
Après avis favorable du rapporteur, elle adopte aussi l’amendement CL 168 du même M. Marc Le Fur.
Chapitre II
Participation des citoyens au jugement des délits
Article 2
(art. 399-1 à 399-14 [nouveaux] du code de procédure pénale)
Compétence et modalités de saisine du tribunal correctionnel
dans sa formation citoyenne
Le présent article définit la compétence et les modalités de saisine du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, en insérant à cette fin, après l’article 399 du code de procédure pénale, un paragraphe 2 intitulé « Du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne » comprenant les articles 399-1 à 399-14. Les articles 398 à 399 sont, quant à eux, réunis dans un paragraphe 1 intitulé « Dispositions générales » qui forme, avec le paragraphe 2 précité, la section II « De la composition du tribunal et de la tenue des audiences » du titre II « Du jugement des délits » du livre II « Des juridictions du jugement du code de procédure pénale ».
S’agissant de cette nouvelle formation juridictionnelle, comprenant, outre trois magistrats professionnels, deux citoyens assesseurs, votre commission a choisi, à l’initiative de votre rapporteur, de retenir la dénomination de « tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne », qui vient se substituer à celle de « tribunal correctionnel citoyen » qui avait été initialement adoptée par le Sénat. En effet, cette dernière dénomination présentait l’inconvénient de suggérer que le tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs était une nouvelle juridiction, alors qu’il ne s’agit en réalité que d’une formation spécifique du tribunal correctionnel, à côté de la formation à juge unique et de la formation collégiale.
Le nouvel article 399-1 du code de procédure pénale prévoit que, pour les délits énumérés à l’article 399-2 (voir infra), le tribunal correctionnel siège dans une formation spécifique comprenant, outre trois magistrats professionnels, deux citoyens assesseurs désignés selon la procédure prévue par les articles 10-1 à 10-3 que l’article premier du présent projet de loi à insérer dans le titre préliminaire du code de procédure pénale (voir supra).
Cette formation juridictionnelle prend alors le nom de « tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne », dénomination que la commission des Lois du Sénat, à la suite de l’adoption d’un amendement de son rapporteur, a substitué à celle de « tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs » initialement prévue dans le projet de loi. L’article 399-1 précise qu’ainsi composé, le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne « ne peut […] comprendre aucun autre juge non professionnel », excluant ainsi la présence d’un juge de proximité.
La composition du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne – trois magistrats et deux citoyens assesseurs – vient ainsi compléter :
— la formation collégiale de droit commun du tribunal correctionnel, prévue à l’article 398 du code de procédure pénale, aux termes duquel : « Le tribunal correctionnel est composé d’un président et de deux juges », soit trois magistrats. Le cinquième alinéa de l’article 398 (78), prévoit toutefois que l’un des deux assesseurs peut être un juge de proximité désigné par le président du tribunal de grande instance ;
— la formation du tribunal correctionnel siégeant à juge unique, créée par la loi n° 72-1226 du 29 décembre 1972 simplifiant et complétant certaines dispositions relatives à la procédure pénale, aux peines et à leur exécution. Le magistrat désigné à cette fin par le président du tribunal de grande instance doit alors juger seul les délits énumérés à l’article 398-1 du code de procédure pénale.
Le nouvel article 399-2 du code de procédure pénale énumère l’ensemble des délits pour lesquels le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, composé de trois magistrats professionnels et de deux citoyens assesseurs, est compétent.
Le présent projet de loi, dans sa rédaction initiale, restreignait la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, comme l’indique son exposé des motifs, « aux délits relevant actuellement de la compétence du tribunal correctionnel collégial (et non du juge unique), punis de peines de cinq, sept ou dix ans d’emprisonnement, et qui constituent des faits de violences commis contre les personnes » (79).
Comme le montre le tableau ci-dessous, la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne obéissait, dans la version initiale du projet de loi, à un principe de spécialisation sur les violences aux personnes, celles-ci étant censées être d’une approche plus simple. Cependant, étaient exclues du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne les violences commises contre les personnes passibles d’une peine supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement, dès lors qu’elles relevaient de la compétence du tribunal correctionnel statuant à juge unique, dont le projet de loi entend préserver les compétences. L’étude d’impact, qui accompagne le présent texte, évaluait à 36 500 le nombre de délits qui relevaient ainsi du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne.
Or, le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-René Lecerf, ne s’est pas montré convaincu par le périmètre ainsi défini des infractions relevant du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. Il a en effet estimé qu’une telle spécialisation sur les violences aux personnes conduisait « à « cibler » une catégorie de délinquants qui, le plus souvent, se recrutent au sein d’une frange particulièrement démunie de la population », regrettant que, « d’autres formes de délinquance moins sociologiquement « marquées » [continuant] de relever des seuls magistrats professionnels », « il n’est pas sûr que ce traitement différencié contribue à rapprocher les citoyens de l’œuvre de justice » (80). Il a également déploré que de la sorte « un grand nombre de délits portant atteinte aux personnes échapperont à cette formation du tribunal correctionnel » (81).
C’est pourquoi, à l’initiative de son rapporteur, la commission des Lois du Sénat a adopté un amendement élargissant, comme le montre le tableau ci-dessous, la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne :
— en premier lieu, à l’ensemble des atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans prévues par le titre II du livre II du code pénal, ce qui permet d’inclure des formes de délinquance d’origine plus diverse que celle des faits de violences aux personnes ;
— en deuxième lieu, au délit d’usurpation d’identité prévu par l’article 434-23 du code pénal ;
— enfin, aux infractions prévues par le code de l’environnement et passibles d’une peine égale ou supérieure à cinq ans d’emprisonnement.
Le tableau ci-après rend compte de l’évolution du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne entre le projet de loi initial et le texte résultant des délibérations du Sénat.
CHAMP DE COMPÉTENCE DU TRIBUNAL CORRECTIONNEL DANS SA FORMATION CITOYENNE DANS LE PROJET DE LOI INITIAL ET LE TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT
Catégorie de l’infraction |
Champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne dans le texte… | |
… initial du projet de loi |
… adopté par le Sénat | |
Atteintes à la personne |
— |
Fait de faire à une personne des offres et des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconque afin qu’elle commette un assassinat ou un empoisonnement, mais que ce crime n’a été ni commis, ni tenté – 10 ans d’emprisonnement (art. 221-5-1) |
— |
Homicide involontaire à la suite de la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement – 5 ans d’emprisonnement (art. 221-6) ; | |
Homicide involontaire commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur à la suite d’une maladresse, d’une imprudence, d’une inattention, d’une négligence ou d’un manquement à une obligation légale ou réglementaire de sécurité – 5 ans d’emprisonnement (art. 221-6-1) ; |
Homicide involontaire commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur à la suite d’une maladresse, d’une imprudence, d’une inattention, d’une négligence ou d’un manquement à une obligation légale ou réglementaire de sécurité – 5 ans d’emprisonnement (art. 221-6-1) ; | |
Homicide involontaire aggravé commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 221-6-1) ; |
Homicide involontaire aggravé commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 221-6-1) ; | |
Homicide involontaire résultant de l’agression commise par un chien – 5 ans d’emprisonnement (article 221-6-2) ; |
Homicide involontaire résultant de l’agression commise par un chien – 5 ans d’emprisonnement (article 221-6-2) ; | |
Homicide involontaire aggravé résultant de l’agression commise par un chien - 7 ou 10 ans d’emprisonnement (article 221-6-2) ; |
Homicide involontaire aggravé résultant de l’agression commise par un chien – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (article 221-6-2) ; | |
Violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente – 10 ans d’emprisonnement (art. 222-9) ; |
Violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente – 10 ans d’emprisonnement (art. 222-9) ; | |
— |
Violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-12) ; | |
Violences volontaires aggravées ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours – 7 ou 10 d’emprisonnement (art. 222-12) ; |
Violences volontaires aggravées ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours – 7 ou 10 d’emprisonnement (art. 222-12) ; | |
Violences volontaires aggravées ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à 8 jours ou n’ayant entraîné aucune ITT – 5 ou 7 ans d’emprisonnement (art. 222-13) ; |
Violences volontaires aggravées ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à 8 jours ou n’ayant entraîné aucune ITT – 5 ou 7 ans d’emprisonnement (art. 222-13) ; | |
Violences habituelles sur un mineur de 15 ans ou sur une personne vulnérable n’ayant pas entraîné une ITT pendant plus de 8 jours – 5 ans d’emprisonnement (art.222-14) ; |
Violences habituelles sur un mineur de 15 ans ou sur une personne vulnérable n’ayant pas entraîné une ITT pendant plus de 8 jours – 5 ans d’emprisonnement (art.222-14) ; | |
Violences habituelles sur un mineur de 15 ans ou sur une personne vulnérable ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours – 10 ans d’emprisonnement (art. 222-14) ; |
Violences habituelles sur un mineur de 15 ans ou sur une personne vulnérable ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours – 10 ans d’emprisonnement (art. 222-14) ; | |
Violences commises en bande organisée ou avec guet-apens sur une personne dépositaire de l’autorité publique et n’ayant pas entraîné une ITT pendant plus de huit jours – 10 ans d’emprisonnement (art. 222-14-1) ; |
Violences commises en bande organisée ou avec guet-apens sur une personne dépositaire de l’autorité publique et n’ayant pas entraîné une ITT pendant plus de huit jours – 10 ans d’emprisonnement (art. 222-14-1) ; | |
Violences commises en embuscade – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-15-1) ; |
Violences commises en embuscade – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-15-1) ; | |
Violences aggravées commises en embuscade – 7 ans d’emprisonnement (art. 222-15-1) ; |
Violences aggravées commises en embuscade – 7 ans d’emprisonnement (art. 222-15-1) ; | |
— |
Menace de mort contre une personne – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-18) ; | |
Menace aggravée de commettre un crime ou un délit contre une personne – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-18-1) ; |
Menace aggravée de commettre un crime ou un délit contre une personne – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-18-1) ; | |
Atteintes à la personne (suite) |
Menace de mort aggravée contre une personne – 7 ans d’emprisonnement (art. 222-18-1) ; |
Menace de mort aggravée contre une personne – 7 ans d’emprisonnement (art. 222-18-1) ; |
— |
Atteintes involontaires à l’intégrité de la personne commises par un conducteur avec circonstances aggravantes et ayant entraîné une ITT de plus de 3 mois – 5 ou 7 ans d’emprisonnement (art. 222-19-1) ; | |
— |
Atteintes involontaires à l’intégrité de la personne commises par un chien avec circonstances aggravantes et ayant entraîné une ITT de plus de 3 mois – 5 ou 7 ans d’emprisonnement (222-19-2) ; | |
— |
Atteintes involontaires à l’intégrité de la personne commises par un conducteur avec circonstances aggravantes et ayant entraîné une ITT de moins de 3 mois – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-20-1) ; | |
— |
Atteintes involontaires à l’intégrité de la personne commises par un chien avec circonstances aggravantes et ayant entraîné une ITT de moins de 3 mois – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-20-2) ; | |
Agressions sexuelles autres que le viol – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-27) ; |
Agressions sexuelles autres que le viol – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-27) ; | |
Agressions sexuelles aggravées autres que le viol – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 222-28 à 222-30) ; |
Agressions sexuelles aggravées autres que le viol – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 222-28 à 222-30) ; | |
Tentative d’agressions sexuelles aggravées ou non et autres que le viol – 5, 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 222-31) ; |
Tentative d’agressions sexuelles aggravées ou non et autres que le viol – 5, 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 222-31) ; | |
Enregistrement ou diffusion d’images de violence commises contre les personnes – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-33-3) ; |
Enregistrement ou diffusion d’images de violence commises contre les personnes – 5 ans d’emprisonnement (art. 222-33-3) ; | |
— |
Délaissement d’une personne hors d’état de se protéger – 5 ans d’emprisonnement (art. 223-3) ; | |
— |
Entrave volontaire aux mesures d’assistance des secours – 7 ans d’emprisonnement (art. 223-5) ; | |
— |
Omission volontaire d’empêcher une infraction ou de porter secours – 5 ans d’emprisonnement (art. 223-6) ; | |
— |
Interruption illégale de la grossesse – 5 ans d’emprisonnement (art. 223-10) ; | |
— |
Provocation au suicide sur mineur de 15 ans – 5 ans d’emprisonnement (art. 223-13) ; | |
— |
Abus frauduleux aggravé de l’état d’ignorance et de faiblesse – 5 ans d’emprisonnement (art. 223-15-2) ; | |
— |
Enlèvement et séquestration suivis d’une libération volontaire dans les 7 jours – 5 ans d’emprisonnement (art. 224-1) ; | |
— |
Enlèvement et séquestration commis à l’égard de plusieurs personnes et suivis d’une libération volontaire dans les 7 jours – 10 ans d’emprisonnement (art. 224-3) ; | |
— |
Enlèvement et séquestration aux fins de prise d’otage et suivis d’une libération volontaire dans les 7 jours – 10 ans d’emprisonnement (art. 224-4) ; | |
— |
Mise en cause de la sécurité d’un aéronef en vol ou d’un navire par la communication d’une fausse information – 5 ans d’emprisonnement (art. 224-8) ; | |
— |
Discrimination commise dans un lieu public ou aux fins d’en interdire l’accès – 5 ans d’emprisonnement (art. 225-2) ; | |
Traite des êtres humains – 7 ans d’emprisonnement (art. 225-4-1) ; | ||
— |
Recours aggravé à la prostitution de mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables – 5 ans d’emprisonnement (art. 225-12-2) ; | |
Atteintes à la personne (suite) |
— |
Exploitation aggravée de la mendicité – 5 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 225-12-6 et 225-12-7) ; |
— |
Conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne – 5 ans d’emprisonnement (art. 225-13 et 225-14) ; | |
— |
Conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne avec circonstances aggravantes – 7 ans d’emprisonnement (art. 225-15) ; | |
— |
Atteintes au respect dû aux morts avec circonstances aggravantes – 5 ans d’emprisonnement (art. 225-18) ; | |
— |
Dénonciation calomnieuse – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-10) ; | |
— |
Procéder ou faire procéder à des traitements de données à caractère personnel sans respecter les formalités préalables prévues par la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-16) ; | |
— |
Non-respect des normes simplifiées ou d’exonération de déclaration d’un traitement de données à caractère personnel établies par la Cnil – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-16-1 A) ; | |
— |
Procéder ou faire procéder à des traitements de données à caractère personnel incluant le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques sans y être autorisé – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-16-1) ; | |
— |
Procéder ou faire procéder à des traitements de données à caractère personnel sans respecter les mesures prescrites en matière de sécurité des données – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-17) ; | |
— |
Collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-18) ; | |
— |
Procéder ou faire procéder à des traitements de données à caractère personnel concernant une personne physique, malgré son opposition, à des fins de prospection, notamment commerciale – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-18-1) ; | |
— |
Mettre ou de conserver en mémoire informatisée, hors les cas prévus par la loi et sans le consentement exprès de l’intéressé, des données personnelles « sensibles » au sens de l’article 8 de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 ou des données personnelles concernant des infractions ou des condamnations – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-19) ; | |
— |
Procéder à un traitement de données personnelles ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé sans avoir préalablement informé les personnes concernées de leur droit d’accès, de rectification et d’opposition, de la nature des données transmises et des destinataires de celles-ci ou malgré l’opposition de la personne concernée – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-19-1) ; | |
— |
Conserver des données à caractère personnel au-delà de la durée prévue par la loi ou le règlement – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-20) ; | |
— |
Détournement de données à caractère personnel de leurs finalités – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-21) ; | |
— |
Divulgation à un tiers sans y être autorisé de données à caractère personnel portant atteinte à la considération de l’intéressé ou à l’intimité de sa vie privée – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-22) ; | |
Atteintes à la personne (fin) |
— |
Procéder ou faire procéder, hors les cas prévus par la loi, à un transfert de données à caractère personnel vers un État n’appartenant pas à la Communauté européenne en violation des mesures prises par la Commission européenne ou par la Cnil – 5 ans d’emprisonnement (art. 226-22-1) ; |
— |
Délaissement d’un mineur de quinze ans – 7 ans d’emprisonnement (art. 227-1) ; | |
— |
Enlèvement sans fraude, ni violence d’un mineur par une personne autre que les ascendants – 5 ans d’emprisonnement (art. 227-8) ; | |
— |
Mise en péril des mineurs par un ascendant ou toute autre personne exerçant l’autorité parentale ou ayant autorité sur un mineur de quinze ans – 7 ans d’emprisonnement (art. 227-15) ; | |
— |
Incitation d’un mineur à l’usage illicite de stupéfiants – 5 ans d’emprisonnement (art. 227-18) ; | |
— |
Incitation d’un mineur à l’usage illicite de stupéfiants avec circonstances aggravantes – 7 ans d’emprisonnement (art. 227-18) ; | |
— |
Incitation d’un mineur à transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants – 7 ans d’emprisonnement (art. 227-18-1) ; | |
— |
Incitation d’un mineur à commettre un crime ou un délit – 5 ans d’emprisonnement (art. 227-21) ; | |
— |
Incitation d’un mineur à commettre un crime ou un délit avec circonstances aggravantes – 7 ans d’emprisonnement (art. 227-21) ; | |
— |
Favoriser ou tenter de favoriser la corruption d’un mineur – 5 ans d’emprisonnement (art. 227-22) ; | |
— |
Favoriser ou tenter de favoriser la corruption d’un mineur avec circonstances aggravantes – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 227-22) ; | |
— |
Propositions sexuelles faites par un majeur à un mineur en utilisant un moyen de communication électronique et suivie d’une rencontre – 5 ans d’emprisonnement (art. 227-22-1) ; | |
— |
Enregistrement en vue de sa diffusion, transmission et diffusion d’une représentation à caractère pornographique d’un mineur – 5 ans d’emprisonnement (art. 227-23) ; | |
— |
Enregistrement en vue de sa diffusion, transmission et diffusion d’une représentation à caractère pornographique d’un mineur avec circonstances aggravantes – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art.227-23) ; | |
Atteinte sexuelle exercée par un majeur sans violence, contrainte, menace ni surprise sur la personne d’un mineur de 15 ans – 5 ans d’emprisonnement (art. 227-25) ; |
Atteinte sexuelle exercée par un majeur sans violence, contrainte, menace ni surprise sur la personne d’un mineur de 15 ans – 5 ans d’emprisonnement (art. 227-25) ; | |
Atteinte sexuelle aggravée exercée par un majeur sans violence, contrainte, menace ni surprise sur la personne d’un mineur de 15 ans – 5 ans d’emprisonnement - 10 ans d’emprisonnement (art. 227-26) ; |
Atteinte sexuelle aggravée exercée par un majeur sans violence, contrainte, menace ni surprise sur la personne d’un mineur de 15 ans – 5 ans d’emprisonnement - 10 ans d’emprisonnement (art. 227-26) ; | |
Atteintes aux biens |
Vol avec violence commis avec des circonstances aggravantes – 5, 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 311-4) ; |
Vols avec violence commis avec des circonstances aggravantes – 5, 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 311-4) ; |
— |
Vols commis par un majeur avec l’aide d’un ou plusieurs mineurs, agissant comme auteurs ou complices – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 311-4-1) | |
Atteintes aux biens (fin) |
— |
Vols commis portant sur un objet mobilier classé, une découverte archéologique ou un bien culturel relevant du domaine public mobilier – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 311-4-2) |
Vol avec violences sur autrui ayant entraîné une ITT de 8 jours au plus ou ayant été facilité par l’état d’une personne particulièrement vulnérable ou ayant été commis par ruse, effraction ou escalade dans un lieu utilisé ou destiné à l’entrepôt de fonds, valeurs, ou marchandises – 7 ans d’emprisonnement (art. 311-5) ; |
Vol avec violences sur autrui ayant entraîné une ITT de 8 jours au plus ou ayant été facilité par l’état d’une personne particulièrement vulnérable ou ayant été commis par ruse, effraction ou escalade dans un lieu utilisé ou destiné à l’entrepôt de fonds, valeurs ou marchandises – 7 ans d’emprisonnement (art. 311-5) ; | |
Vol aggravé avec violences sur autrui ayant entraîné une ITT de 8 jours au plus ou ayant été facilité par l’état d’une personne particulièrement vulnérable ou ayant été commis par ruse, effraction ou escalade dans un lieu utilisé ou destiné à l’entrepôt de fonds, valeurs, ou marchandises – 10 ans d’emprisonnement (art. 311-5) ; |
Vol aggravé avec violences sur autrui ayant entraîné une ITT de 8 jours au plus ou ayant été facilité par l’état d’une personne particulièrement vulnérable ou ayant été commis par ruse, effraction ou escalade dans un lieu utilisé ou destiné à l’entrepôt de fonds, valeurs, ou marchandises – 10 ans d’emprisonnement (art. 311-5) ; | |
Vol avec violence sur autrui ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours – 10 ans d’emprisonnement (art. 311-6) ; |
Vol avec violence sur autrui ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours – 10 ans d’emprisonnement (art. 311-6) ; | |
Délit d’extorsion – 7 ans d’emprisonnement (art. 312-1) ; |
Le délit d’extorsion – 7 ans d’emprisonnement (art. 312-1) | |
Délit d’extorsion aggravée – 10 ans d’emprisonnement (art. 312-2) ; |
Extorsion aggravée – 10 ans d’emprisonnement (art. 312-2) ; | |
— |
Incendie involontaire de bois, forêts, landes, maquis, plantations ou reboisements d’autrui à la suite de la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement de nature à exposer les personnes à un dommage corporel ou à créer un dommage irréversible à l’environnement – 5 ans d’emprisonnement (art. 322-5) ; | |
— |
Incendie involontaire de bois, forêts, landes, maquis, plantations ou reboisements d’autrui par manquement ou violation délibérée d’une obligation légale ou réglementaire de sécurité et de prudence ayant provoqué pour autrui une ITT de plus de 8 jours – 5 ou 7 ans d’emprisonnement (art. 322-5) ; | |
— |
Incendie involontaire de bois, forêts, landes, maquis, plantations ou reboisements d’autrui par manquement ou violation délibérée d’une obligation légale ou réglementaire de sécurité et de prudence ayant provoqué la mort d’une ou plusieurs personnes – 7 ou 10 ans d’emprisonnement (art. 322-5) ; | |
Destructions, dégradations et détériorations volontaires d’un bien par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour autrui – 5 ans d’emprisonnement (art. 322-6) ; |
Destructions, dégradations et détériorations volontaires d’un bien par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour autrui – 5 ans d’emprisonnement (art. 322-6) ; | |
— |
Détention, transport de substances ou de produits incendiaires ou explosifs, de substances entrant dans la composition de produits ou engins incendiaires aux fins de destruction, dégradation ou détérioration volontaires d’un bien appartenant à autrui ou d’atteintes aux personnes – 5 ans d’emprisonnement (art. 322-11-1) ; | |
— |
Détention et transport commis en bande organisée de substances ou de produits incendiaires ou explosifs, de substances entrant dans la composition de produits ou engins incendiaires aux fins de destruction, dégradation ou détérioration volontaires d’un bien appartenant à autrui ou d’atteintes aux personnes – 10 ans d’emprisonnement (art. 322-11-1) ; | |
Atteintes à l’autorité de l’État |
Menace aggravée commise contre une personne exerçant une fonction publique – 5 ou 7 ans d’emprisonnement (art. 433-3) ; |
|
— |
Délit d’usurpation d’identité – 5 ans d’emprisonnement (art. 434-23) ; | |
Infractions prévues par le code de l’environnement |
— |
Rejet de substances polluantes par le capitaine d’un navire avec circonstances aggravantes – 10 ans d’emprisonnement (art. L. 218-12 et L. 218-13 du code de l’environnement) ; |
— |
Rejet à la mer par le capitaine d’un navire de substances nuisibles transportées en colis – 7 ans (art. L. 218-14 du code de l’environnement) ; | |
— |
Provocation avec circonstances aggravantes d’un accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures – 5 ou 7 ans d’emprisonnement (art. L. 218-19 du code de l’environnement) ; | |
— |
Infraction aggravée aux règles de traitement des déchets – 7 ans d’emprisonnement (art. L. 543-46 code de l’environnement). |
Selon les données transmises à votre rapporteur par le Gouvernement, l’extension, à l’article 399-2 du code de procédure pénale, des délits entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel associant des citoyens assesseurs ne remet pas en cause le nombre de 40 000 affaires concernées chaque année, dans la mesure où une telle extension n’accroît le volume global que de 2000 procédures environ.
Le tableau ci-dessous présente le nombre de condamnations concernées par le périmètre du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne tel qu’il a été élargi par le Sénat. Il propose, pour deux catégories d’infractions, une simple estimation. Il s’agit :
— des violences « habituelles » au sein du couple, dont le caractère « habituel » constitue, aux termes de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 sur les violences faites aux femmes, une nouvelle circonstance aggravante. Actuellement, on recense 17 500 condamnations par an pour violences délictuelles commises au sein du couple. Une partie d’entre elles, non précisément quantifiable, sera désormais considérée comme des violences « habituelles ». Le ministère de la Justice propose, dans cette perspective, deux hypothèses : la première – hypothèse basse – avec 6 000 condamnations par an pour violences « habituelles » commises au sein du couple et la seconde – hypothèse haute – avec 12 000 ;
— les vols violents, qui sont comptabilisés sans qu’il soit possible d’isoler, au sein de cette catégorie d’infraction, ceux pour lesquels l’une des circonstances aggravantes est la violence. Les vols avec deux ou trois circonstances aggravantes représentaient, en 2009, 12 468 condamnations. Le ministère de la Justice estime entre 3 000 – moyenne basse – et 6 000 – moyenne haute – le nombre de condamnations dans lesquelles l’une des circonstances aggravantes serait la violence.
Sur la base de ces hypothèses, le ministère de la Justice estime entre 31 000 et 40 000 le nombre de procédures qui entreraient chaque année dans le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, tel qu’il a été adopté par le Sénat.
NOMBRE DE CONDAMNATIONS DÉLICTUELLES EN 2009 ENTRANT
DANS LE CHAMP DE COMPÉTENCE DU TRIBUNAL CORRECTIONNEL DANS SA FORMATION CITOYENNE DANS LE TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT (82)
5 ans de prison |
7 ans de prison |
10 ans de prison |
Total (hypothèse basse) |
Total (hypothèse haute) | |
Livre II du code pénal (hors infractions relevant de la criminalité organisée – art. 706-73 et 706-74 CPP) |
9 317 |
4 858 |
1 969 |
16 144 |
16 144 |
Violences habituelles conjugales (estimation) |
— |
— |
— |
6 000 |
12 000 |
Art. 399-1 3° (vols violents) |
323 |
1 249 |
409 |
1 981 |
1 981 |
Vols avec 2 ou 3 circonstances aggravantes (estimation) |
— |
— |
— |
3 000 |
6 000 |
Art. 399-1 4° (extorsions) |
— |
1 162 |
264 |
1 426 |
1 426 |
Art. 399-1 5° (destruction et dégradations) |
— |
— |
2 077 |
2 077 |
2 077 |
Art. 434-23 6° (usurpation d’identité) |
601 |
— |
— |
601 |
601 |
Code de l’environnement |
0 |
0 |
2 |
2 |
2 |
Total |
10 241 |
7 269 |
4 721 |
31 231 |
40 231 |
Source : ministère de la Justice
Cependant, votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur excluant du champ de compétence de la formation citoyenne du tribunal correctionnel les infractions prévues par le code de l’environnement. Outre le fait que ces infractions sont très complexes et nécessitent, à ce titre, des semaines voire des mois d’audiences peu compatibles avec la durée d’audience prévue pour les citoyens assesseurs (voir supra), il convient, dans un souci de cohérence et de pragmatisme, de spécialiser le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne sur les seules atteintes et les violences aux personnes punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement.
Si le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne a été ainsi redéfini par votre commission, le nouvel article 399-2 du code de procédure pénale en exclut en outre, comme le montre le tableau figurant ci-dessous :
— les délits qui, aux termes de l’article 398-1 du code de procédure pénale et sous réserve des règles de connexité fixées à l’article 399-3 du même code (voir infra), relèvent de la compétence du juge unique ;
— les délits commis en bande organisée prévus par les articles 706-73 et 706-74 du code de procédure pénale.
DÉLITS EXCLUS DU CHAMP DE COMPÉTENCE DU TRIBUNAL CORRECTIONNEL DANS SA FORMATION CITOYENNE (ARTICLE 399-2 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE)
Catégorie |
Articles concernés |
Délits exclus du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne dans le projet de loi adopté par le sénat |
Compétence du juge unique |
Art. 398-1 du code de procédure pénale |
Exclusion des délits qui sont de la compétence du juge unique : • Délits en matière de chèques et de cartes de paiement prévus par les articles L. 163-2 et L. 163-7 du code monétaire et financier (art. 398-1 1°du code de procédure pénale) ; • Délits en matière de chasse, pêche et protection de la faune et de la flore prévus par le code de l’environnement (art. 398-1 6° du code de procédure pénale) ; • Délits prévus par le code forestier et par le code de l’urbanisme pour la protection des bois et forêts (art. 398-1 7° du code de procédure pénale) ; • Délits pour lesquels une peine d’emprisonnement n’est pas encourue, à l’exception des délits de presse (art. 398-1 8° du code de procédure pénale) ; • Délits prévus par le code rural et de la pêche maritime en matière de garde et de circulation des animaux (art. 398-1 9° du code de procédure pénale) ; • Délits de contrefaçon commis au moyen d’un service de communication au public en ligne prévus par les articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle (art. 398-1 10° du code de procédure pénale) ; • Infractions de non-respect des dispositions prévues par le code de la construction et de l’habitation en matière de caractéristiques et de performances techniques et environnementales des constructions nouvelles prévues par les articles L. 152-1 (2e alinéa) du code de la construction et de l’habitation (398-1 11° du code de procédure pénale). |
Délinquance organisée |
Art. 706-73 du code de procédure pénale |
Exclusion des délits lorsqu’ils se déroulent en bande organisée : • Délits de production ou de fabrication illicite de stupéfiants (art. 222-35 al.2 du code pénal) ; • Délits d’importation ou d’exportation illicite de stupéfiants (art. 222-36 al.2) ; • Délits d’enlèvement et de séquestration (art.224-4-2 du code pénal) ; • Délits aggravés de traite des êtres humains (art. 225-4-3 du code pénal) ; • Délits aggravés de proxénétisme (art.225-8 du code pénal) ; • Délits d’escroquerie en bande organisée (art. 313-2 dernier al. du code pénal) ; • Délits constituant un acte de terrorisme (art. 421-1 à 421-6 du code pénal) ; • Délits en matière d’armes et de produits explosifs commis en bande organisée (art. L. 2339-2, L. 2339-8, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense) ; • Délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France commis en bande organisée (quatrième al. du I de l’article 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France) ; • Délits de blanchiment prévus (art. 324-1 et 324-2 du code pénal) ou de recel (art. 321-1 et 321-2 du même code) du produit, des revenus, des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° à 13° de l’article 706-73 du code de procédure pénale ; • Délits d’association de malfaiteurs prévus par l’article 450-1 du code pénal, lorsqu’ils ont pour objet la préparation de l’une des infractions mentionnées aux 1° à 14° et 17° de l’article 706-73 du code de procédure pénale ; • Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie (art. 321-6-1 du code pénal), lorsqu’il est en relation avec l’une des infractions mentionnées aux 1° à 15° et 17 de l’article 706-73 du code de procédure pénale ; • Délits punis de dix ans d’emprisonnement, contribuant à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs entrant dans le champ d’application de l’article 706-167 du code de procédure pénale. |
Délinquance organisée (suite) |
Art. 706-74 du code de procédure pénale |
1° Exclusion des délits lorsqu’ils se déroulent en bande organisée prévus par la loi, autres que ceux relevant de l’article 706-73 : • Exploitation de la mendicité (art. 225-12-7 du code pénal) ; • Corruption de mineur (art.227-22 al. 3 du code pénal) ; • Enregistrement ou transmission d’image pornographique d’un mineur (art. 227-23 al. 5 du code pénal) ; • Escroquerie (art. 313-2 du code pénal) ; • Évasion (art.434-30 du code pénal) ; • Recel (art. 321-2 du code pénal) ; • Blanchiment (art. 324-2 du code pénal) ; • Paris clandestins sur les courses de chevaux (art. 4 de la loi du 2 juin 1891) ; • Organisation des jeux de hasard (art. 1er de la loi du 12 juillet 1983) ; • Contrebande, importation ou exportation de marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publique (art. 414 du code des douanes). 2° Exclusion des délits d’association de malfaiteurs prévus par le deuxième alinéa de l’article 450-1 du code pénal autres que ceux relevant du 15° de l’article 706-73 du code pénal. |
Ainsi délimité, le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne est également élargi, par le nouvel article 399-3 du code de procédure pénale, aux contraventions et délits connexes aux infractions prévues à l’article 399-2.
La connexité est définie, aux termes de l’article 203 du code de procédure pénale et de la jurisprudence de la Cour de cassation, comme un lien étroit existant entre deux ou plusieurs infractions à raison :
— de l’unité du temps ou du lieu de leur commission : « Les infractions sont connexes […] lorsqu’elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies », sans qu’existe nécessairement entre elles une concertation préalable ou une unité de dessein (83) ;
— de l’unité de dessein de leurs auteurs, alors même qu’elles ont été commises dans des temps et lieux différents : « Les infractions sont connexes […] lorsqu’elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d’un concert formé à l’avance entre elles » ;
— du lien de causalité entre elles (84) : « Les infractions sont connexes […] lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l’exécution ou pour en assurer l’impunité » ;
— du lien créé par le recel de tout ou partie des objets provenant d’une infraction, sans qu’il soit nécessaire de constater l’existence préalable d’un concert entre auteur et receleur (85) : « Les infractions sont connexes […] lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit ont été, en tout ou partie, recelées ».
L’appliquant pour toutes les juridictions, la Cour de cassation a considéré que la liste des cas entrant dans la définition légale de la connexité des infractions, prévue à l’article 203 du code de procédure pénale, n’était qu’énumérative et non limitative, estimant que « les dispositions de cet article s’étendent au cas où […] il existe entre les faits des rapports étroits, analogues à ceux que la loi a spécialement prévus » (86).
Au titre de la connexité ainsi entendue par l’article 203 du code de procédure pénale et la jurisprudence de la Cour de cassation, le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne est compétent, aux termes du nouvel article 399-3 du même code, pour connaître :
— des contraventions connexes aux délits prévus à l’article 399-2 du code de procédure pénale (voir supra) ;
— des délits connexes à ceux prévus à l’article 399-2 précité et limitativement énumérés au deuxième alinéa de l’article 399-3 (voir tableau figurant ci-dessous) :
DÉLITS CONNEXES QUE LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL DANS SA FORMATION CITOYENNE POURRA CONNAÎTRE (ARTICLE 399-3 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE)
Référence |
Nature du délit | |
2° de l’article 398-1 du code de procédure pénale |
Délits prévus par le code de la route | |
Délit de blessures involontaires commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule (art. 222-19-1, 222-20-1, 223-1 du code pénal) | ||
Délit de fuite commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule (art. 434-10 du code pénal) | ||
3° de l’article 398-1 du code de procédure pénale |
Délits en matière de réglementations relatives aux transports terrestres | |
4° de l’article 398-1 du code de procédure pénale |
Délits de port ou transport d’armes de 6e catégorie (art. L. 2339-9 du code de la défense) | |
5° de l’article 398-1 du code de procédure pénale |
Atteintes volontaires à l’intégrité de la personne (art. 222-11, 222-12 (1° à 15°), 222-13 (1° à 15°), 222-16, 222-17, 222-18 du code pénal) | |
Exhibition sexuelle (art. 222-32 du code pénal) | ||
Racolage (art. 225-10-1 du code pénal) | ||
Abandon de famille et atteintes à l’exercice de l’autorité parentale | ||
Vol simple (art. 311-3 du code pénal) | ||
Vol aggravé par une seule circonstance aggravante (art. 311-4 (1° à 11°) du code pénal) | ||
Filouterie (art. 313-5 du code pénal) | ||
Détournement de gage ou d’objet saisi (art. 314-5 et 314-6 du code pénal) | ||
Recel (art. 321-1 du code pénal) | ||
Destructions ou dégradations de biens sans danger pour les personnes |
Destruction ou dégradation simple (art. 322-1 du code pénal) | |
Destruction ou dégradation de registre, minute ou acte original de l’autorité publique (art. 322-2 (premier alinéa et 2°) du code pénal) | ||
Destruction pour motif raciste | ||
Autres destructions ou dégradations (art. 322-3 à 322-4-1) | ||
Menaces de destruction et fausses alertes | ||
Intrusion dans un établissement scolaire (art. 431-22 à 431-24 du code pénal) | ||
Menaces contre personnes dépositaires de l’autorité publique, outrage, rébellion (art. 433-3 (1er et 2e alinéas), 433-5, 433-6 à 433-8 (1er alinéa) et 433-10 (1er alinéa) du code pénal) | ||
Vente à la sauvette (art. 446-1 et 446-2 du code pénal) | ||
Actes de cruauté envers les animaux ou abandon d’animal domestique | ||
Usage de stupéfiants (art. L. 3421-1 du code de la santé publique) | ||
7° bis de l’article 398-1 du code de procédure pénale |
Occupation de hall d’immeuble (art. L. 126-3 du code de la construction et de l’habitation) | |
Délits relatifs aux appropriations frauduleuses par vol (art. 311-1 et s. du code pénal) |
Délit de vol simple (art. 311-3 du code pénal) | |
Délit de vol aggravé (art. 311-4, 311-4-1, 311-4-2, 311-5, 311-6, 311-11 du code pénal) | ||
Tentative de délit de vol simple ou aggravé (art. 311-13 du code pénal) | ||
Délits de recel et autres infractions assimilées ou voisines (art. 321-1 et s. du code pénal) |
Délit de recel (art. 321-1 du code pénal) | |
Délit de recel aggravé (art. 321-2 du code pénal) | ||
Non-justification des ressources correspondant à son train de vie ou de l’origine d’un bien détenu (1er al. art. 321-6 du code pénal) | ||
Facilitation de la justification de ressources fictives pour des personnes se livrant à la commission de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect (2nd al. art. 321-6 du code pénal) | ||
Non-justification avec circonstances aggravantes des ressources correspondant à son train de vie ou de l’origine d’un bien détenu (art. 321-6-1 du code pénal) | ||
Défaut de tenue à jour du registre d’objets mobiliers (art. 321-7 du code pénal) | ||
Apposition de mentions inexactes sur le registre d’objets mobiliers | ||
Refus de présentation du registre d’objets mobiliers à l’autorité compétente | ||
Délits relatifs aux destructions, dégradations et détériorations (art. 322-1 à 322-18 du code pénal) |
Destruction, dégradation et détérioration d’un bien appartenant à autrui (art. 322-1 du code pénal) | |
Destruction, dégradation et détérioration aggravées d’un bien appartenant à autrui (art. 322-2, 322-3 et 322-3-1 du code pénal) | ||
Tentative de destruction, dégradation et détérioration d’un bien appartenant à autrui | ||
Destruction, dégradation ou détérioration involontaire d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une explosion ou d’un incendie provoqués par un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement (1er al. art. 322-5 du code pénal) | ||
Destruction, dégradation ou détérioration involontaire d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une explosion ou d’un incendie provoqués par une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement (2nd al. art. 322-5 du code pénal) | ||
Incendie involontaire de bois, forêts, landes, maquis, plantations ou reboisements d’autrui (3e au 6e al. art. 322-5 du code pénal) | ||
Destruction, dégradation ou détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une explosion ou d’un incendie de nature à créer un danger pour les personnes (1er al. art. 322-6 du code pénal) | ||
Diffusion de méthode de fabrication d’engins explosifs (art.322-6-1 du code pénal) | ||
Tentative de destruction, de dégradation ou de détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une explosion ou d’un incendie de nature à créer un danger pour les personnes (art. 322-11 du code pénal) | ||
Détention ou transport de substances ou produits incendiaires ou explosifs | ||
Menaces de destruction, de dégradation ou de détérioration | ||
Fausses alertes (art. 322-14 du code pénal) |
À l’inverse, le tribunal correctionnel dans sa formation collégiale jugera les délits prévus au nouvel article 399-2 du code de procédure pénale, dès lors qu’ils sont connexes à d’autres délits.
L’étude d’impact, qui accompagne le projet de loi, évalue à 1 500 le nombre de délits connexes aux infractions entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. Il convient, à cet égard, de souligner que la commission des Lois du Sénat a adopté un amendement du Gouvernement définissant de manière positive – et non plus en creux – la liste des délits connexes que pourra connaître le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne.
Les décisions rendues par le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne ne sont pas toutes prises par la formation élargie de ce tribunal, composée de trois magistrats professionnels et de deux citoyens assesseurs.
En effet, le nouvel article 399-4 du code de procédure pénale distingue :
— d’une part, la décision sur la qualification des faits, la culpabilité du prévenu et la peine, qui est prise par les magistrats professionnels et les citoyens assesseurs. Cette solution est conforme aux dispositions applicables à la cour d’assises (87) ;
— d’autre part, la décision sur toutes les autres questions qui relèvent exclusivement des magistrats professionnels (exception juridique de procédure, octroi de dommages et intérêts, prononcé des mesures de sûreté).
Relèvent également des seuls magistrats professionnels :
— en application du nouvel article 399-5, le jugement par défaut du prévenu lorsque les co-prévenus sont également absents. Cette règle s’applique également aujourd’hui, aux termes de l’article 379-3 du code de procédure pénale (88), devant la cour d’assises. Votre commission a adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteur réécrivant ces dispositions sans les modifier sur le fond ;
— en application du nouvel article 399-5-1 du code de procédure pénale, inséré par la commission des Lois du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement du Gouvernement, la fixation de la consignation de la partie civile, lorsque les poursuites sont engagées sur citation directe de la victime.
Afin de déterminer si le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne est compétent sur telle ou telle affaire, le nouvel article 399-6 du code de procédure pénale prévoit enfin que le juge d’instruction, dans son ordonnance de renvoi prévue à l’article 179 du même code, indique si les faits relèvent du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne et si l’affaire doit être renvoyée devant lui.
4. Les modalités de saisine du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne en cas de comparution immédiate
Les modalités de saisine du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne selon la procédure de la comparution immédiate étaient, dans le texte issu du Sénat, définies par les articles 399-7 à 399-11 insérés par le présent article dans le code de procédure pénale.
Aux termes de l’article 399-7, le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne est compétent pour connaître des affaires dont il est saisi selon la procédure de la comparution immédiate qui, sous réserve de quelques adaptations (voir infra), s’applique de plein droit devant cette juridiction.
Comme son nom l’indique, la comparution immédiate est la voie procédurale de poursuite consistant à saisir un tribunal correctionnel en faisant comparaître immédiatement devant lui une personne impliquée à laquelle le procureur de la République vient de notifier la prévention ou « l’accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce mode de saisine est issu de la procédure dite des « flagrants délits » qui, créée par la loi du 20 mai 1863 sur le flagrant délit, était réservée aux seuls cas où la ou les personnes impliquées avaient été interpellées dans le cadre d’une enquête de flagrance. Les lois du 10 juin 1983 (89), du 9 septembre 1986 (90) et du 9 septembre 2002 (91) ont permis la saisine du tribunal correctionnel par voie de comparution immédiate dans deux cas :
— dans le cadre d’une enquête préliminaire : lorsque le procureur de la République estime que les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en l’état d’être jugée, si le maximum de la peine d’emprisonnement prévue par la loi est au moins égal à deux ans (premier alinéa de l’article 395) ;
— dans le cadre d’une enquête de flagrance : en cas de délit flagrant, si le maximum de l’emprisonnement prévu par la loi est au moins égal à six mois (deuxième alinéa de l’article 395).
Le principe de la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne en matière de comparution immédiate entraîne de facto l’application des règles de procédure prévues par les articles 395 à 397-3 du code de procédure pénale, sous réserve de quelques adaptations (voir infra).
Après avoir été amenée « sous escorte » au palais de justice sur instruction du procureur de la République ou de l’un de ses substituts (troisième alinéa de l’article 395), la personne impliquée est présentée à ce magistrat. L’ayant interrogée sur son identité, le procureur de la République ou son substitut lui notifie les faits, objets de la prévention, les textes d’incrimination et de répression applicables, recueille ses déclarations si elle le souhaite, lui indique que, sous cette prévention, elle va être traduite le jour même devant le tribunal correctionnel et qu’elle a le droit à l’assistance d’un avocat, choisi par elle ou commis d’office (article 393 du code de procédure pénale). Une fois cette notification effectuée, la suite de la procédure est différente selon que le tribunal correctionnel compétent peut ou non se réunir immédiatement.
Si, aux termes de l’article 396 du code de procédure pénale le tribunal correctionnel compétent ne peut pas se réunir le jour même (par exemple, hypothèse d’un dimanche ou d’un jour férié), et qu’une mesure de détention provisoire paraît s’imposer, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer en chambre du conseil. Si le juge des libertés et de la détention se prononce en faveur de la détention provisoire, la durée de celle-ci prendra fin au moment de la comparution devant le tribunal, laquelle doit avoir lieu au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. À défaut, l’intéressé est remis en liberté d’office, mais peut toutefois être soumis, jusqu’à sa comparution devant le tribunal, à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou le placer sous assignation à résidence avec surveillance électronique.
Si, aux termes de l’article 397 du code de procédure pénale, le tribunal peut se réunir le jour même et que le prévenu accepte, en présence de son avocat, d’être jugé séance tenante, le tribunal continue l’audience et juge le prévenu si l’affaire est en état d’être jugée, étant précisé que les nullités doivent être soulevées avant toute défense au fond, sauf en matière de compétence. La décision est alors normalement rendue à la fin de cette audience. Si le tribunal prononce une condamnation à une peine d’emprisonnement ferme, quelle qu’en soit la durée, il peut délivrer à l’encontre du condamné un mandat de dépôt par une décision spécialement motivée et déclarer exécutoires par provision les peines privatives ou restrictives de droits (premier alinéa de l’article 397-4) ou un mandat d’arrêt (troisième alinéa de l’article 397-4).
Si, aux termes de l’article 397-1 du code de procédure pénale, le tribunal correctionnel compétent peut se réunir le jour même, mais que le prévenu refuse d’être jugé immédiatement ou que l’affaire ne paraît pas en état d’être jugée, le tribunal a l’obligation de renvoyer l’affaire à une prochaine audience, après avoir recueilli les observations des parties et de leur avocat. Cette audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à deux semaines sauf renonciation expresse du prévenu, ni supérieur à six semaines.
Dans une telle hypothèse et dans l’attente de sa comparution, le tribunal correctionnel doit se prononcer sur le point de savoir s’il convient de placer le prévenu en détention provisoire ou son contrôle judiciaire (article 397-3). Le tribunal peut également mettre à profit le délai qui lui est légalement octroyé pour décider d’une mesure d’instruction complémentaire. Les prévenus ont également le droit, depuis la loi du 9 mars 2004 (92), de solliciter l’exécution de tout acte d’information qu’il estime nécessaire à la manifestation de la vérité relatif aux faits reprochés ou à la personnalité de l’intéressé. À cette demande, le tribunal doit répondre par un jugement motivé (troisième alinéa de l’article 397-1).
Les investigations complémentaires peuvent obliger à plusieurs renvois à des audiences ultérieures. À chaque renvoi, le tribunal a le pouvoir de maintenir le placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire. Lorsque le prévenu a été placé en détention provisoire, le jugement au fond doit être rendu dans les deux mois suivant le jour de sa première comparution devant le tribunal. À défaut, il est remis d’office en liberté (troisième alinéa de l’article 397-3). Le délai est porté à quatre mois lorsque, usant de ses droits, le prévenu d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure à sept ans a demandé que la cause soit renvoyée (quatrième alinéa de l’article 397-3).
Si, aux termes de l’article 397-2 du code de procédure pénale le tribunal correctionnel compétent peut se réunir le jour même, mais que l’affaire est si peu en état d’être jugée à raison de sa complexité qui implique des investigations supplémentaires, le tribunal peut renvoyer le dossier au procureur de la République. Dans cette hypothèse, le tribunal doit statuer préalablement sur le maintien du prévenu en détention provisoire jusqu’à la comparution de celui-ci devant un juge d’instruction, comparution qui doit avoir lieu le jour même. Le maintien en détention ne saurait ainsi excéder quelques heures.
Ainsi, les règles de procédure prévues aux articles 395 à 397-3 du code de procédure pénale qui viennent d’être décrites ont vocation à s’appliquer à la procédure de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne sous réserve d’adaptations prévues par les nouveaux articles 399-8 à 399-11 du même code.
Au nombre de ces adaptations, figure, en premier lieu, à l’article 399-8, l’hypothèse où le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne ne peut se réunir le jour même, alors que le procureur de la République estime que les éléments de l’espèce paraissent exiger une mesure de détention provisoire. Dans ce cas, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer en chambre du conseil dans les conditions prévues à l’article 396 du code de procédure pénale (voir supra).
Si le juge des libertés et de la détention se prononce en faveur de la détention provisoire, la durée de celle-ci prendra fin au moment de la comparution devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, laquelle doit intervenir à la première audience de ce tribunal et au plus tard dans un délai de huit jours. À défaut, le prévenu est remis en liberté d’office. Dans sa rédaction initiale, le projet de loi fixait à un mois le délai de comparution devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne du prévenu placé en détention provisoire à la suite de l’impossibilité de réunir le jour même ce tribunal. La commission des Lois du Sénat a adopté un amendement présenté par M. François Zocchetto afin de ramener ce délai d’un mois à huit jours, ce qui semble « beaucoup plus respectueux des libertés » (93).
La deuxième adaptation, prévue au nouvel article 399-10, porte sur la demande de mise en liberté faite par le prévenu placé en détention provisoire à la suite de l’impossibilité de réunir le jour même le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. Cette demande est alors examinée par le tribunal correctionnel statuant en formation collégiale, composée uniquement de trois magistrats professionnels.
La troisième et dernière adaptation porte sur la computation de la durée de détention provisoire réalisée, en application de l’article 399-8, par le prévenu placé en détention provisoire à la suite de l’impossibilité de réunir le jour même le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. Le nouvel article 399-11 prévoit, à cette fin, que la durée de la détention provisoire ainsi exécutée s’impute sur le délai de :
— deux mois suivant le jour de la première comparution devant le tribunal correctionnel et dans lequel le jugement au fond doit être rendu (troisième alinéa de l’article 397-3) ;
— quatre mois suivant le jour de la première comparution devant le tribunal et dans lequel le jugement au fond doit être rendu, lorsque, usant de ses droits, le prévenu d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure à sept ans a demandé que la cause soit renvoyée (quatrième alinéa de l’article 397-3).
À l’initiative de votre rapporteur, votre commission a adopté un amendement simplifiant la rédaction des articles 399-7 à 399-11. Ainsi, les règles applicables en cas de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne figurent dans un article 399-7 unique, sans cependant être modifiées sur le fond.
Les règles de renvoi entre les différentes formations du tribunal correctionnel – juge unique, formation collégiale, formation « citoyenne » – sont définies par les articles 399-12 à 399-14 que le présent article insère dans le code de procédure pénale. Trois cas de figure sont envisagés.
En premier lieu, l’article 399-12 prévoit que si le tribunal correctionnel statuant en formation collégiale, composée uniquement de trois magistrats professionnels, constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève, en application de l’article 399-2 du code de procédure pénale (voir supra), du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, il renvoie l’affaire devant ce dernier.
Toutefois, si le tribunal correctionnel composé exclusivement de magistrats professionnels a été saisi selon la procédure de comparution immédiate, il peut ordonner le placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire jusqu’à la date de l’audience de renvoi. Il peut dans tous les cas, indépendamment de la procédure par laquelle il a été saisi, ordonner le maintien de ces mesures de sûreté jusqu’à l’audience de renvoi, dès lors que le prévenu en faisait l’objet lors de sa comparution.
Le prononcé ou le maintien de ces mesures de sûreté obéit alors aux règles définies par l’article 399-7 du code de procédure pénale (voir supra), qui prévoit que :
— si la présentation devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne n’est pas possible le jour même et si les éléments de l’espèce lui paraissent exiger une mesure de détention provisoire, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention ;
— lorsque le prévenu est placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention, sa comparution devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne doit intervenir à la première audience de ce tribunal et au plus tard dans le délai de huit jours. À défaut, le prévenu est mis d’office en liberté ;
— lorsque le prévenu placé en détention provisoire en application de l’article 399-8 demande sa mise en liberté conformément à l’article 148-1, sa demande est portée devant le tribunal correctionnel statuant en formation collégiale, composée exclusivement de trois magistrats professionnels ;
— la durée de la détention provisoire exécutée s’impute sur la durée prévue aux deux derniers alinéas de l’article 397-3 (94).
En deuxième lieu, l’article 399-13 prévoit que si le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, composé de trois magistrats professionnels et de deux citoyens assesseurs, constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève :
— en application du premier alinéa de l’article 398 du code de procédure pénale, du champ de compétence du tribunal correctionnel statuant dans sa formation collégiale, composé exclusivement de trois magistrats professionnels, l’affaire est immédiatement jugée par les seuls magistrats ;
— en application du troisième alinéa de l’article 398 du code de procédure pénale, du champ de compétence du tribunal correctionnel statuant à juge unique, l’affaire peut être soit jugée immédiatement par le seul président, soit renvoyée devant le tribunal correctionnel statuant à juge unique.
En troisième et dernier lieu, l’article 399-14 prévoit que si le tribunal correctionnel statuant à juge unique constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève, en application de l’article 399-2 du code de procédure pénale (voir supra), du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, il renvoie l’affaire devant ce dernier.
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette les amendements de suppression CL 111 de M. Jean-Paul Garraud et CL 122 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte successivement les amendements CL 193 à 196 rédactionnels, le CL 220 et les CL 197 à 201 rectifié rédactionnels du rapporteur.
Les amendements CL 91, CL 92 et CL 93 de M. Christian Estrosi et l’amendement CL 202 rédactionnel du rapporteur tombent.
La Commission adopte successivement les amendements CL 203 de précision et CL 204 rédactionnel du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
Article 3
(art. 461-1 à 461-5 [nouveaux] du code de procédure pénale)
Procédure applicable aux audiences
devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne
Le présent article définit la procédure applicable aux audiences devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. Il introduit à cette fin, dans le code de procédure pénale, cinq nouveaux articles 461-1 à 461-5 réunis au sein d’un paragraphe 5 intitulé « Dispositions applicables devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne », qui vient, pour sa part, compléter la section 4 « Des débats » du titre II « Du jugement des délits » du livre II « Des juridictions de jugement » du même code.
Les adaptations procédurales prévues au présent article pour les audiences se déroulant devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne ont pour objet, comme le rappelle l’exposé des motifs du projet de loi, « de s’assurer que les citoyens assesseurs seront en mesure de participer de façon éclairée au jugement des affaires » (95). Dans cette perspective, le présent article cherche à rapprocher les règles applicables aux audiences devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne de celles en vigueur devant la cour d’assises.
Le principe reste, toutefois, aux termes du nouvel article 461-1 du code de procédure pénale, que les règles de droit commun relatives au déroulement des débats devant le tribunal correctionnel (96) ont vocation à s’appliquer aux audiences devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, au sein duquel siègent des citoyens assesseurs, sous réserve de trois adaptations inspirées du fonctionnement de la cour d’assises.
1. À l’ouverture des débats, le président expose les faits reprochés ainsi que les éléments à charge et à décharge
La deuxième adaptation des règles applicables aux débats devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne repose, aux termes du nouvel article 461-3 du code de procédure pénale, sur l’exposé concis des faits reprochés au prévenu ainsi que des éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier, que le président du tribunal correctionnel ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné sera tenu de faire oralement à l’ouverture des débats.
Cet exposé, qui ne devra pas donner lieu à l’expression d’une quelconque opinion sur la culpabilité du prévenu et à l’issue duquel le magistrat donnera lecture de la qualification légale des faits objets de la poursuite, viendra, au sein des tribunaux correctionnels citoyens, compléter les formalités actuellement requises à l’ouverture des débats relatifs au jugement des délits.
À cette fin, l’article 461-3 prévoit que ce rapport oral n’interviendra qu’une fois achevées les formalités prévues aux articles 406 et 436 du code de procédure pénale, aux termes desquels le président ou l’un de ses assesseurs par lui désigné :
— vérifie l’identité du prévenu, donne connaissance de l’acte par lequel le tribunal a été saisi et constate, s’il y a lieu, la présence ou l’absence de la personne civilement responsable, de la partie civile, des témoins, des experts et des interprètes ;
— puis, une fois ces formalités réalisées, ordonne aux témoins de se retirer dans la chambre prévue à cet effet et « prend, s’il en est besoin, toutes mesures utiles pour empêcher les témoins de conférer entre eux avant leur déposition ».
Si le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-René Lecerf, s’est « demandé s’il n’y aurait pas redondance, d’une part, entre l’obligation de donner connaissance de l’acte de saisine actuellement prévue par l’article 406 et, d’autre part, le rapport oral demandé au président de la juridiction et la lecture de la qualification des faits » (97), il a constaté que l’introduction de cet exposé oral revenait, en réalité, à tenir compte dans notre droit processuel d’une pratique répandue dans les tribunaux correctionnels : en effet, la formalité prescrite à l’article 406 donne davantage lieu à une présentation détaillée des faits qu’à une simple indication sur le type d’acte ayant saisi le tribunal (98), comme l’exigerait pourtant une lecture stricte de l’article 406. Il a ainsi estimé que loin de conduire à l’accomplissement de formalités redondantes, cette disposition du projet de loi constitue en définitive une garantie pour le prévenu d’être précisément informé de la nature et de la cause de l’accusation.
Les règles applicables aux débats devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne font l’objet d’une troisième adaptation destinée à renforcer et à garantir l’information des citoyens assesseurs. Le nouvel article 461-4 du code de procédure pénale prévoit à cette fin :
— la lecture intégrale ou par extraits par le président des déclarations de témoins à charge ou décharge entendus au cours de l’enquête ou de l’instruction, dont il est fait état au cours des débats, mais qui sont absents à l’audience, parce que n’ayant pas été convoqués ou n’ayant pas comparu ;
— la lecture par le président des conclusions des expertises ;
— l’obligation qui est faite au président de veiller à ce que les citoyens assesseurs puissent prendre utilement connaissance de « tous les éléments du dossier », cette dernière précision étant issue d’un amendement de M. Christian Estrosi.
3. Au cours des débats, les citoyens assesseurs peuvent poser des questions, prendre des notes, mais pas manifester leur opinion
La quatrième et dernière adaptation de la procédure applicable aux débats devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne s’inspire de celle prévue à l’article 311 du code de procédure pénale pour les jurés d’assises. En effet, aux termes de cet article, les assesseurs et les jurés devant la cour d’assises « peuvent poser des questions aux accusés et aux témoins en demandant la parole au président ».
De la même manière, le nouvel article 461-5 du code de procédure pénale reconnaît aux citoyens assesseurs la faculté, après avoir demandé la parole au président, de poser des questions, comme pour les jurés, au prévenu et aux témoins, mais également à la partie civile et aux experts, ce qu’en revanche ne permet pas devant la cour d’assises l’article 311 du code de procédure pénale.
Si le droit de poser des questions ainsi reconnu aux citoyens assesseurs est plus large que celui actuellement reconnu aux jurés d’assises, interdiction est faite aux uns comme aux autres de manifester leur opinion.
Afin de compléter utilement ce droit de poser des questions, votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur autorisant les citoyens assesseurs à prendre des notes, au cours de l’audience, « de ce qui leur paraît important, soit dans les dépositions des témoins, soit dans la défense du prévenu ».
4. Votre commission a supprimé le serment prêté par les citoyens assesseurs à l’ouverture des débats
Votre commission ayant prévu à l’article 10-11 du code de procédure pénale un serment unique et similaire à celui des jurés, prêté par chaque citoyen assesseur à l’ouverture de la première audience à laquelle il est appelé à siéger (voir supra), elle a adopté un amendement supprimant l’article 461-2, en application duquel les citoyens assesseurs devaient prêter serment avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire inscrite au rôle de l’audience.
Il convient de rappeler que le nouvel article 461-2 du code de procédure pénale ne prévoyait pas, dans sa rédaction initiale, d’appliquer aux citoyens assesseurs une procédure du serment aussi solennelle et formelle que celle existant devant les cours d’assises. En effet, seul était prévu le rappel fait par le président aux citoyens assesseurs de l’obligation de respecter les prescriptions figurant à l’article 304 du code de procédure pénale : concilier les intérêts de la personne poursuivie, de la société et des victimes, le principe de l’intime conviction, la règle selon laquelle le doute doit profiter à la personne poursuivie et présumée innocente.
Lors de l’examen du présent projet de loi par la commission des Lois du Sénat, son rapporteur avait souligné que « la lecture des dispositions d’un serment que les citoyens assesseurs n’auront pas à prêter a suscité la perplexité de plusieurs des interlocuteurs » (99) qu’il avait rencontrés. Afin de remédier à cette difficulté, la Sénat a adopté, en séance publique, un amendement de M. Jacques Mézard ayant reçu un avis favorable de la commission comme du Gouvernement et destiné à « renforcer la portée du serment que devront prêter les citoyens assesseurs ». La formulation de ce serment reprenait les termes du serment des jurés d’assises avec toutefois trois différences notables. En effet, le serment des citoyens assesseurs :
— faisait référence au « prévenu » et non à « l’accusé » ;
— ne mentionnait pas la règle selon laquelle le doute doit profiter à la personne poursuivie ;
— ne reprenait pas le principe de l’intime conviction, qui figure dans le serment que doivent prêter les jurés d’assises.
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette les amendements de suppression CL 112 de M. Jean-Paul Garraud et CL 127 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte successivement les amendements CL 205 rédactionnel et CL 221 de coordination du rapporteur.
Les amendements CL 5 de M. Jean-Pierre Decool et CL 128 de Mme George Pau-Langevin tombent.
Après avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL 94 de M. Christian Estrosi.
Puis elle adopte l’amendement CL 222 de coordination du rapporteur.
La Commission adopte l’article 3 modifié.
Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL 167 de M. Marc Le Fur.
Article 4
(art. 486-1 à 486-5 [nouveaux] du code de procédure pénale)
Déroulement des délibérés du tribunal correctionnel
dans sa formation citoyenne
Le présent article définit la procédure applicable aux délibérés du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. Il introduit à cette fin, dans le code de procédure pénale, cinq nouveaux articles 486-1 à 486-5 réunis au sein d’un paragraphe 2 intitulé « Dispositions applicables devant le tribunal correctionnel », qui vient, pour sa part, compléter la section 5 « Du jugement » du titre II « Du jugement des délits » du livre II « Des juridictions de jugement » du même code.
Si, comme pour le déroulement des audiences (voir supra), des ajustements au déroulement des délibérés du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne sont nécessaires afin que les citoyens assesseurs puissent être en mesure de participer de façon éclairée au jugement des affaires qui leur sont soumises, le principe reste, toutefois, aux termes du nouvel article 486-1 du code de procédure pénale, que les règles de droit commun relatives au déroulement des délibérés du tribunal correctionnel (100) ont vocation à s’appliquer aux délibérés du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, sous réserve toutefois de trois adaptations prévues aux articles 486-2 à 486-5.
1. À l’issue des débats, les trois magistrats et les citoyens assesseurs délibèrent sur la qualification des faits, la culpabilité et la peine
Aux termes de l’article 486-2, « les trois magistrats délibèrent avec les citoyens assesseurs sur la qualification des faits, la culpabilité et la peine » à l’issue des débats et avant l’examen de tout autre affaire, « sauf lorsque le président en décide autrement dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice ».
Comme l’a très justement indiqué le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, cette dérogation au principe d’un délibéré se tenant à l’issue des débats et avant l’examen d’une nouvelle affaire se justifie « par l’exigence de cohérence dans le prononcé de la peine lorsque le tribunal est saisi, au cours de la même audience, d’affaires présentant une certaine proximité » (101).
En l’état actuel, le tribunal correctionnel ne se voit imposer aucune contrainte temporelle entre l’examen de l’affaire qui lui est soumise et le moment du délibéré. Seul l’article 462 du code de procédure pénale, qui a vocation à s’appliquer aux jugements du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, dispose que « le jugement est rendu soit à l’audience même à laquelle ont eu lieu les débats, soit à une date ultérieure », auquel cas « le président informe les parties présentes du jour où le jugement sera prononcé ».
2. Avant de délibérer, le président rappelle chacun des éléments constitutifs et les circonstances aggravantes de l’infraction
Avant que la formation de jugement ne délibère sur la culpabilité du prévenu, le nouvel article 486-3 du code de procédure pénale fait obligation au président de rappeler les éléments constitutifs de l’infraction et, le cas échéant, les circonstances aggravantes.
De surcroît, le président devra compléter ce rappel par la lecture :
— des dispositions de l’article 121-5 du code pénal (102) en cas de tentative de délit ;
— des dispositions de l’article 121-7 du code pénal (103) en cas de complicité de délit ;
— des dispositions des articles 122-1 (104) et suivants du code pénal si le tribunal est amené à statuer sur l’existence d’une cause d’irresponsabilité.
3. En cas de culpabilité, le président rappelle les peines encourues, compte tenu, le cas échéant, de l’état de récidive légale
Dès lors que le prévenu a été déclaré coupable par la formation de jugement, le nouvel article 486-4 du code de procédure pénale prévoit, qu’avant de délibérer sur la peine, le président rappelle les peines encourues compte tenu, le cas échéant, de l’état de récidive légale. Au cours de ce rappel, l’attention des citoyens assesseurs est appelée par le président sur le fait que :
— si une infraction est punie soit d’une peine d’amende, soit d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut toujours prononcer une peine inférieure à celle qui est encourue (1er alinéa de l’article 132-19 et article 132-20 du code pénal) ;
— en matière correctionnelle, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée par la juridiction uniquement si cette dernière a préalablement et spécialement motivé le choix de cette peine. Une telle motivation n’est toutefois pas requise lorsque la personne est en état de récidive légale (2e alinéa de l’article 132-19 du code pénal) ;
— la juridiction, dans les limites fixées par la loi, se prononce à la lumière des principes de l’individualisation de la peine tels qu’ils ont été consacrés à l’article 132-24 du code pénal par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : circonstances de l’infraction, personnalité, ressources et charges de son auteur, conciliation entre, d’une part, la protection effective de la société, la sanction du condamné ainsi que les intérêts de la victime et, d’autre part, la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions (1er et 2e alinéas de l’article 132-24 du code pénal) ;
— en application de ces principes, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut, en matière correctionnelle et en dehors des condamnations en récidive légale (105), être prononcée qu’en dernier recours si deux conditions cumulatives sont remplies : d’une part, la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et, d’autre part, toute autre sanction est manifestement inadéquate. Si la peine d’emprisonnement est prononcée, elle doit, « si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une mesure d’aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal (106) » (3e alinéa de l’article 132-24 du code pénal).
Une fois les citoyens assesseurs informés de ces dispositions du code pénal par le président, ce dernier est tenu de procéder à un ultime rappel concernant les différents modes de personnalisation des peines prévus par la section 2 « Des modes de personnalisation des peines » du chapitre II « Du régime des peines » du titre III « Des peines » du livre Ier « Dispositions générales » du code pénal. Il s’agit en l’occurrence de la semi-liberté, du placement à l’extérieur, du placement sous surveillance électronique, du fractionnement des peines, du sursis simple ou avec mise à l’épreuve, du sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général, de la dispense et de l’ajournement de peine.
Le nouvel article 486-5 du code de procédure pénale, issu d’un amendement de votre rapporteur, prévoit que si les faits peuvent recevoir une qualification différente de celle retenue par la prévention et si, à l’issue de cette nouvelle qualification, ils ne relèvent pas du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, seuls les trois magistrats professionnels statuent.
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette les amendements de suppression CL 113 de M. Jean-Paul Garraud et CL 129 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL 206 et CL 207 du rapporteur.
Après avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL 130 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte l’amendement CL 223 rédactionnel du rapporteur.
Les amendements CL 6, CL 7 et CL 8 de M. Jean-Pierre Decool et CL 96 de M. Christian Estrosi tombent.
La Commission adopte l’article 4 modifié.
Article 5
(art. 510-1 et 512-1 [nouveaux] du code de procédure pénale)
Présence des citoyens assesseurs dans la chambre des appels correctionnels
Le présent article définit les règles applicables à la chambre des appels correctionnels lorsqu’elle statue sur des décisions portant sur les infractions entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne (voir supra). Elle introduit à cette fin et à titre expérimental deux articles 510-1 et 512-1 dans le code de procédure pénale.
En premier lieu, le nouvel article 510-1 adapte la composition de la chambre des appels correctionnels appelée à se prononcer en appel sur une infraction entrant, en application des articles 399-2 et 399-3 du code de procédure pénale, dans le champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne : outre son président et deux conseillers, elle comprend alors deux citoyens assesseurs désignés dans les conditions prévues par les nouveaux articles 10-1 à 10-3 du code de procédure pénale (voir supra).
La commission des Lois du Sénat a adopté un amendement du Gouvernement permettant à la chambre des appels correctionnels comprenant des citoyens assesseurs de connaître des décisions portant sur les infractions relevant du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, mais prises avant l’entrée en vigueur expérimentale de la loi par un tribunal correctionnel de droit commun.
En effet, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, la rédaction initiale du premier alinéa de l’article 510-1 (107) présentait l’inconvénient d’interdire la compétence de la chambre des appels correctionnels siégeant avec des citoyens assesseurs tant qu’elle n’était pas appelée à statuer sur des appels portant sur des décisions déjà rendues en première instance par des tribunaux correctionnels comprenant des citoyens assesseurs. Ainsi, la chambre des appels correctionnels n’aurait pu, dans ces conditions, connaître d’une infraction relevant certes du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, mais qui aurait fait l’objet, avant l’entrée en vigueur expérimentale de loi d’une décision, d’un tribunal correctionnel de droit commun.
Cet article prévoit enfin que les citoyens assesseurs qui ont eu à connaître d’une affaire en première instance devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne ne peuvent siéger au sein de la chambre des appels correctionnels sur la même affaire.
En second lieu, le nouvel article 512-1 du code de procédure pénale fait application aux audiences et aux délibérés de la chambre des appels correctionnels comprenant des citoyens assesseurs des mêmes règles particulières que celles définies aux articles 3 et 4 du présent projet de loi (voir supra) pour le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne.
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La Commission rejette successivement, sur l’avis défavorable du rapporteur, l’amendement de suppression CL 131 de Mme George Pau-Langevin et l’amendement CL 114 de M. Jean-Paul Garraud.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL 208 du rapporteur.
Elle adopte l’article 5 modifié.
Chapitre III
Participation des citoyens au jugement des crimes et amélioration de la procédure devant la cour d’assises
Section 1
Dispositions relatives au déroulement de l’audience et à la motivation des décisions
Article 6
(art. 327 du code de procédure pénale)
Substitution d’un exposé des faits à la lecture de la décision de renvoi
Le présent article, qui a vocation à s’appliquer à partir du 1er janvier 2012 sur l’ensemble du territoire, substitue, au moment de l’ouverture des débats devant la cour d’assises, la présentation d’un rapport oral et synthétique du président de la juridiction à la lecture par le greffier de la décision de renvoi.
Il modifie à cette fin l’article 327 du code de procédure pénale, qui, dans sa rédaction actuelle, prévoit que « le président invite l’accusé et les jurés à écouter avec attention la lecture » par le greffier « de la décision de renvoi, ainsi que, lorsque la cour d’assises statue en appel, des questions posées à la cour d’assises ayant statué en premier ressort, des réponses faites aux questions, de la décision et de la condamnation prononcée. Il invite le greffier à procéder à cette lecture ».
Le principe de cette lecture est obligatoire comme l’a rappelé la Cour de cassation dans plusieurs de ses arrêts. Ainsi, elle a jugé que cette lecture constitue une formalité indispensable pour que les parties et la cour d’assises aient connaissance de l’accusation qui doit être oralement exposée et discutée (108), son omission étant une cause de nullité de la procédure (109).
L’article 327 du code de procédure pénale substitue, dans sa nouvelle rédaction, à cette lecture de l’arrêt de renvoi un rapport oral du président de la cour d’assises, dans lequel il expose de manière concise les faits reprochés à l’accusé ainsi que les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier, tels qu’ils résultent de la décision de renvoi.
Cette nouvelle formalité s’appliquera en premier ressort et en appel. Dans ce cas, l’exposé oral du président de la cour d’assises sera enrichi par le rappel, outre du sens de la décision rendue en premier ressort, de sa motivation (110) et éventuellement de la condamnation prononcée. Comme l’a indiqué le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-René Lecerf, « la lecture exhaustive des réponses faites aux différentes questions » posées à la cour d’assises ayant statué en premier ressort « ne serait donc plus imposée » (111) en appel.
Cet exposé oral de synthèse réalisé par le président de la cour d’assises reprend les règles applicables aux débats devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. En effet, comme votre rapporteur l’a indiqué auparavant, le nouvel article 461-3 du code de procédure pénale fait obligation au président du tribunal correctionnel ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné de faire oralement à l’ouverture des débats un exposé concis des faits reprochés au prévenu ainsi que des éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier.
Devant la cour d’assises, comme d’ailleurs devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, cet exposé, à l’issue duquel le magistrat donnera lecture de la qualification légale des faits objets de l’accusation, ne devra pas donner lieu à l’expression d’une quelconque opinion sur la culpabilité de l’accusé, conformément au principe posé par l’article 328 du code de procédure pénale et selon lequel, durant l’interrogatoire, le président « a le devoir de ne pas manifester son opinion sur la culpabilité » lorsqu’il interroge l’accusé et qu’il reçoit ses déclarations.
L’institution, à l’ouverture des débats, d’un exposé oral des faits, en lieu et place de la lecture de l’arrêt de renvoi, permettra d’alléger le formalisme de la procédure devant la cour d’assises. Comme l’a souligné le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, « la lecture de la décision de renvoi, formalité parfois lourde, ne contribue pas nécessairement à éclairer les jurés » (112). Ainsi, il n’est pas rare que la lecture d’arrêts de renvoi de trois cents pages prenne une ou deux journées.
Cependant, la disparition d’une telle formalité n’est pas sans inconvénient, notamment sur le plan de la sécurité juridique des procédures. En effet, l’exposé oral du président de la cour d’assises risque d’être un exercice difficile, exigeant de rappeler les faits ainsi que les éléments à charge et à décharge sans toutefois manifester aucun présupposé sur la culpabilité de l’accusé. Cet équilibre sera d’autant plus difficile à atteindre que, selon le syndicat de la magistrature, « le rapport du président donnera prise immédiatement à incident, chaque partie pouvant considérer qu’on y a exposé insuffisamment les éléments qui favorisent sa thèse et exagérément ceux qui s’y opposent » (113).
Le soupçon de partialité que le dispositif proposé est susceptible d’instiller, si les éléments à décharge n’étaient pas suffisamment pris en compte ou inversement, ne manquerait pas, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, « de donner lieu à des incidents contentieux, au risque d’allonger la procédure à rebours de l’objectif recherché » (114).
Cependant, comme l’a rappelé le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-René Lecerf, « le président de la cour d’assises – un président de chambre ou un conseiller de cour d’appel – possède l’expérience requise pour exposer l’affaire de manière équilibrée » (115). L’association des avocats pénalistes, lors de son audition par votre rapporteur, a partagé ce constat, soulignant que le président qui, aux termes de l’article 328 du code de procédure pénale « a le devoir de ne pas manifester son opinion sur la culpabilité », intervient sous le regard et le contrôle des parties. Il convient enfin de rappeler qu’un tel exposé oral est d’ores et déjà réalisé devant la chambre des appels correctionnels, sans soulever la moindre difficulté ou contestation. En effet, l’article 513 du même code dispose que « l’appel est jugé sur le rapport oral d’un conseiller ».
Toutefois, afin d’éliminer tout risque de partialité, votre commission a adopté, à l’initiative de votre rapporteur, un amendement clarifiant les éléments sur lesquels se fonde le rapport oral introductif du président de la cour d’assises. Ainsi, le président devra exposer les éléments à charge et à décharge concernant l’accusé tels qu’ils sont mentionnés dans la décision de renvoi. En effet, depuis la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale la décision de renvoi doit, en application de la dernière phrase de l’article 184 du code de procédure pénale (116), expressément préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.
Cette décision de renvoi étant prise, depuis cette même loi, à l’issue d’une procédure contradictoire – et pouvant même faire l’objet d’un appel, entraînant un nouveau débat contradictoire devant la chambre de l’instruction –, l’exposé oral par le président de cette partie de la décision en début d’audience ne pourra ainsi donner lieu à aucune accusation de partialité à son encontre.
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La Commission rejette, sur l’avis défavorable du rapporteur, l’amendement de suppression CL 132 de Mme George Pau-Langevin.
Puis elle adopte l’amendement CL 224 de précision du rapporteur.
L’amendement CL 179 de M. Philippe Houillon tombe.
La Commission adopte l’article 6 modifié.
Article 6 bis (nouveau)
(art. 347 du code de procédure pénale)
Documents susceptibles d’être conservés par le président de la cour d’assises en vue de la délibération
Issu d’un amendement de votre rapporteur, le présent article entend faciliter la rédaction de la motivation des décisions criminelles, en permettant au président de la cour d’assises de conserver, en vue de la délibération, la décision de renvoi et, en cas d’appel, l’arrêt rendu par la cour d’assises ayant statué en premier ressort ainsi que la feuille de motivation qui l’accompagne.
Dans sa rédaction actuelle, le troisième alinéa de l’article 347 du code de procédure pénale prévoit que le président de la cour d’assises peut seulement conserver, en vue de la délibération, « l’arrêt de la chambre de l’instruction ». Or, il convient depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes de parler de « décision de renvoi ». Par ailleurs, la motivation des arrêts criminels suppose qu’en appel, le président puisse, en vue de la délibération, conserver l’arrêt rendu par la cour d’assises ayant statué en premier ressort ainsi que la feuille de motivation qui l’accompagne.
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La Commission est saisie de l’amendement CL 225 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement permet au président de conserver la décision de renvoi, afin de faciliter la rédaction de la feuille de motivation.
La Commission adopte l’amendement.
Article 7
(art. 353 et 365-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Motivation des arrêts de cours d’assises
Le présent article, qui a vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire à partir du 1er janvier 2012, consacre dans un nouvel article 365-1 du code de procédure pénale la motivation des arrêts de cours d’assises
Actuellement, la délibération de la cour d’assises ne donne pas lieu à la rédaction d’une motivation. En effet, à l’issue des débats, le président, aux termes de l’article 348 du code de procédure pénale, « donne lecture des questions auxquelles la cour et le jury ont à répondre » (117). Cette liste de questions comporte :
— premièrement, les questions principales prévues à l’article 349 du code de procédure pénale que le président de la cour d’assises pose de manière distincte pour « chaque fait spécifié dans le dispositif de la mise en accusation », « chaque circonstance aggravante » et « chaque cause légale d’exemption ou de diminution de la peine ». Chaque question est alors posée de la manière suivante : « L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel fait ? » ;
— deuxièmement, les questions spéciales prévues à l’article 350 du code de procédure pénale et posées par le président de la cour d’assises « s’il résulte des débats une ou plusieurs circonstances aggravantes non mentionnées dans l’arrêt de renvoi » ;
— troisièmement, les questions subsidiaires prévues à l’article 351 du code de procédure pénale que le président de la cour d’assises est tenu de poser « s’il résulte des débats que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par la décision de mise en accusation ».
Après la lecture de l’ensemble de ces questions par le président de la cour d’assises, mais avant que les magistrats de la cour et les jurés ne se retirent dans la chambre des délibérations, le président donne lecture aux jurés de l’instruction prévue à l’article 353 du code de procédure pénale et selon la laquelle les jurés sont notamment invités à se déterminer selon leur « intime conviction » : la loi leur prescrit à ce titre de « s’interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense », sans leur demander compte « des moyens par lesquels ils se sont convaincus ». Ce texte est également affiché « dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations ».
Une fois que le président a lu aux jurés l’instruction prévue à l’article 353 du code de procédure pénale, qu’il a fait retirer l’accusé et qu’il a déclaré l’audience suspendue, les magistrats de la cour et le jury, aux termes de l’article 355 du même code, « se retirent » pour délibérer.
La délibération de la cour d’assises peut se définir comme la discussion qui s’instaure entre ses membres – magistrats et jurés – en vue de la décision, qui sera prise au moyen de votes successifs, d’abord sur la culpabilité de l’accusé et, si celle-ci est reconnue, sur la peine. Ainsi, à chacune des questions dont le président a donné lecture à l’issue des débats, les magistrats et les jurés, dans le secret de la délibération, doivent répondre par « oui » ou « non » par autant de votes distincts, exprimés à bulletin secret.
Lorsque la cour et le jury répondent aux questions sur la culpabilité de l’accusé, ils votent, aux termes de l’article 356 du code de procédure pénale « sur le fait principal d’abord, et s’il y a lieu, sur les causes d’irresponsabilité pénale, sur chacune des circonstances aggravantes, sur les questions subsidiaires et sur chacun des faits constituant une cause légale d’exemption ou de diminution de la peine ». Les décisions défavorables à l’accusé ne peuvent être acquises, aux termes de l’article 359 du code de procédure pénale, qu’à la majorité qualifiée de huit voix au moins en premier ressort et de dix voix au moins en appel.
Dès lors que la culpabilité de l’accusé est établie et que celui-ci ne bénéficie ni d’une exemption de peine, ni d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental, la cour et le jury statuent, aux termes de l’article 362 du code de procédure pénale, sur l’application de la peine. La cour d’assises ne peut alors prononcer le maximum de la peine privative de liberté encourue qu’à la majorité qualifiée de huit voix au moins en premier ressort et de dix voix au moins en appel. Les autres votes sur la peine nécessitent la majorité absolue.
À l’issue de la délibération, toutes les décisions prises par la cour et le jury au cours de la délibération doivent être consignées, aux termes de l’article 364 du code de procédure pénale, sur la feuille de questions, laquelle doit être signée par le président et par le premier juré.
Aucune des décisions prises par les magistrats et les jurés ne donne lieu à motivation, ce qui constitue, depuis la Révolution française, une dérogation à la motivation des décisions de justice. En effet, alors que sous l’Ancien Régime, une telle motivation n’était pas requise, elle a été consacrée et imposée par l’article 15 de la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, aux termes duquel les jugements doivent désormais comporter « les motifs qui ont déterminé le juge ». Ce principe s’applique actuellement au jugement des délits en application de l’article 485 du code de procédure pénale ainsi qu’à celui des contraventions en application de l’article 543 du même code.
L’origine de cette dérogation, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, « repose en premier lieu sur la suppression du régime de preuves légales en vigueur sous l’Ancien Régime, remplacé par le régime de la preuve morale, c’est-à-dire l’intime conviction et la liberté de la preuve » (118). Le principe de l’intime conviction, comme seul fondement de la décision du jury, a ainsi été consacré pour la première fois à l’article 24 du titre VI de la loi des 16 et 29 septembre 1791. Il n’a, depuis cette date, jamais disparu de notre droit processuel, puisqu’il a été successivement repris dans l’instruction criminelle du 29 septembre 1791 concernant la police de sûreté, la justice criminelle et l’établissement des jurés, à l’article 372 du code du 3 brumaire an IV, à l’article 342 du code d’instruction criminelle et, enfin, à l’article 353 précité du code de procédure pénale.
L’absence de motivation des arrêts de cours d’assises s’est continûment imposée au-delà des réformes de la cour d’assises. Une telle motivation ne se justifiait pas lorsque les jurés siégeaient seuls : ne disposant pas a priori de connaissances juridiques précises et étendues, ils n’étaient pas en mesure de motiver avec la rigueur que requiert le formalisme de la procédure pénale leurs décisions sans courir un risque important de cassation. Une telle motivation ne semble non plus davantage se justifier depuis novembre 1941, date à laquelle les jurés d’assises siègent avec des magistrats professionnels : l’obligation de formaliser les motifs de la décision aurait ainsi accru la place des magistrats au détriment de celle du jury dans la délibération.
2. Une absence de motivation des arrêts de cour d’assises conforme aux jurisprudences nationale et européenne
La question de l’absence de motivation des arrêts de cour d’assises a été très largement discutée et examinée par les juges constitutionnel, judiciaire et européen, qui ont tous constaté la conformité de ce dispositif aux exigences constitutionnelles, légales et conventionnelles du droit à un procès équitable.
a) Pour la Cour de cassation, l’absence de motivation des arrêts de cour d’assises est conforme aux exigences conventionnelles du droit à un procès équitable
La Cour de cassation a jugé de manière constante et abondante que l’ensemble des réponses, reprises dans l’arrêt de condamnation, qu’en leur intime conviction, magistrats et jurés ont données aux questions posées conformément à l’arrêt de renvoi, tient lieu de motivation aux arrêts de la cour d’assises statuant sur l’action publique (119).
Cette jurisprudence a été précisée par la Cour de cassation à trois égards.
En premier lieu, la Cour a cassé des arrêts qui, pour éclairer le sens de la décision, comportaient des énonciations relatives à la culpabilité autres que celles constituées par l’ensemble des réponses données par les magistrats et les jurés aux questions posées conformément à l’arrêt de renvoi et qui tiennent lieu de motivation (120).
En deuxième lieu, la Cour de cassation rejette les pourvois fondés sur l’absence de motivation des arrêts de la cour d’assises dès lors qu’il a été répondu aux questions (121). Dans ces conditions, l’absence de motivation, ainsi compensée par les réponses aux questions, satisfait les exigences conventionnelles du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme. En effet, puisque, d’une part, « sont reprises dans l’arrêt de condamnation les réponses qu’en leur intime conviction, magistrats et jurés […], statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée des deux tiers, ont donné aux questions sur la culpabilité » et que, d’autre part, sont « assurés l’information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l’arrêt satisfait aux exigences légales et conventionnelles invoquées » (122).
En troisième et dernier lieu, la Cour de cassation contrôle la précision, par rapport aux faits et au dispositif de l’accusation, des questions posées à la cour et aux jurés ainsi que leur individualisation en cas de pluralité d’accusés. Elle prohibe, à ce titre, de manière constante et abondante les questions complexes ou alternatives (123).
b) Pour le Conseil constitutionnel, l’absence de motivation ne méconnaît pas le droit à une procédure juste et équitable
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la non-motivation des arrêts de cour d’assises, le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC n° 2011-113/115 du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autre, a écarté le grief tiré de ce que le mode de délibération de la cour d’assises et l’absence de motivation de ses arrêts méconnaîtraient le principe selon lequel les règles de procédure pénale doivent exclure l’arbitraire.
En effet, si le Conseil a estimé que l’obligation faite au juge de motiver sa décision en matière pénale constitue une garantie légale de l’exigence constitutionnelle faite au législateur d’empêcher tout pouvoir arbitraire des juridictions en vertu du principe de légalité des délits et des peines, il a, dans le même temps, rappelé que cette obligation ne présente pas un caractère général et absolu : « l’absence de motivation en la forme ne peut trouver de justification qu’à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l’arbitraire ».
Pour le Conseil constitutionnel, la procédure devant la cour d’assises apporte ces garanties :
— en premier lieu, les principes d’oralité et de continuité des débats obligent, d’une part, la cour d’assises à ne prendre en compte dans son délibéré que les éléments de preuve produits oralement et débattus contradictoirement devant l’accusé et, d’autre part, les magistrats et les jurés à délibérer ensemble immédiatement après la fin des débats ;
— en deuxième lieu, la cour d’assises est saisie par un acte juridictionnel motivé (ordonnance de renvoi du juge d’instruction ou arrêt de renvoi de la chambre de l’instruction). Cette décision est lue par le greffier au début des débats et détermine les questions sur lesquelles les jurés statueront ;
— en troisième lieu, le processus de délibération de la cour d’assises est codifié s’agissant tant du mode de scrutin que de l’ordre d’examen des questions posées et du processus par lequel il est statué sur la culpabilité et, le cas échéant, sur la peine. Comme le souligne le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, « aucune décision juridictionnelle ne résulte d’un processus de décision aussi précisément encadré et organisé que celui de la cour d’assises » (124) ;
— en quatrième lieu, le président de la cour d’assises et la cour d’assises sont tenus, selon la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, de veiller « à ce que les questions posées à la cour d’assises soient claires, précises et individualisées » ;
— en dernier lieu, la décision rendue est l’expression directe de l’intime conviction des jurés, puisque toute décision défavorable à l’accusé ne peut être adoptée sans un vote d’au moins la majorité d’entre eux.
Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 1er avril 2011, a jugé que les dispositions applicables à la délibération devant la cour d’assises ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte aux droits de la défense.
c) Pour la Cour de Strasbourg, les réponses données par la cour d’assises compensent adéquatement l’absence de motivation
Si la motivation des décisions de justice n’est pas expressément prévue par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de Strasbourg l’a déduite, dans sa jurisprudence, de l’article 6, paragraphe 1, relatif au droit à un procès équitable. Ainsi, dans son arrêt Papon contre France du 15 novembre 2001, elle a jugé que si, « selon sa jurisprudence constante reflétant un principe lié à la bonne administration de la justice, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent », cette exigence de motivation doit également, dans le même temps, « s’accommoder de particularités de la procédure, notamment devant les cours d’assises où les jurés ne doivent pas motiver leur intime conviction ».
Ainsi, dans la même affaire, la Cour avait rejeté le recours présenté sur ce point par M. Maurice Papon, au motif que les questions posées par le président « formaient une trame sur laquelle s’est fondée sa décision » et que la précision de ces mêmes questions permettaient de « compenser adéquatement l’absence de motivation ».
Cependant, dans un arrêt Taxquet contre Belgique du 13 janvier 2009, la deuxième section de la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que « la motivation est indispensable à la qualité même de la justice et constitue un rempart contre l’arbitraire ». Aussi a-t-elle sur ce fondement condamné l’insuffisance de la motivation d’un arrêt d’assises belge, considérant que « des réponses laconiques à des questions formulées de manière vague et générale ont pu donner au requérant l’impression d’une justice arbitraire et peu transparente ».
Si cet arrêt laissait entrevoir une possible non-conformité de l’absence de motivation des arrêts d’assises avec les exigences européennes liées au droit à un procès équitable, la grande chambre de la Cour de Strasbourg, dans un arrêt du 16 novembre 2010, a réitéré sa jurisprudence Papon, en affirmant :
— d’une part, que « la convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et (…) l’article 6 [de la CEDH] ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé » ;
— d’autre part, que « l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation », ces garanties procédurales pouvant être « des questions précises, non équivoques, soumises au jury par [le président de la cour d’assises] de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury » (125).
Ainsi, comme le note le Conseil constitutionnel, dans son Commentaire aux cahiers sur la décision n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autre, « la jurisprudence de la CEDH ne met pas en cause le principe selon lequel une décision de justice peut être rendue par les réponses affirmatives ou négatives à une série de questions ». Le respect des exigences conventionnelles exige seulement que, dans chaque cas d’espèce, les questions soient posées de manière suffisamment simple, précise et individualisée, « en ce que cette précision constitue une garantie contre l’arbitraire ».
3. Une motivation expresse des arrêts de cours d’assises : l’énoncé des principaux éléments à charge ayant convaincu les magistrats et les jurés
Si les différents juges ont reconnu la conformité de l’absence de motivation des arrêts de cour d’assises aux exigences constitutionnelles, légales et conventionnelles du droit à un procès équitable, il n’en demeure pas moins nécessaire d’introduire, dans notre droit processuel, une telle motivation. Tel est l’objet de l’article 7 du présent projet de loi, qui modifie à cette fin les articles 353 et 366 du code de procédure pénale et qui insère, dans ce même code, un nouvel article 365-1.
Trois séries de raisons peuvent être invoquées pour justifier la motivation des arrêts en matière criminelle.
En premier lieu, l’absence de motivation n’est pas une nécessité inhérente à la composition et au mode de fonctionnement de la cour d’assises. En d’autres termes, comme le souligne le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, « le principe de la motivation des décisions d’assises est compatible avec le mode de délibération de la cour » (126) et ce, à trois égards :
— les principes de l’oralité des débats et de l’intime conviction du juge ne peuvent faire obstacle à la motivation des décisions en matière criminelle. En effet, ces principes s’appliquent également devant le tribunal correctionnel et le tribunal de police, qui motivent respectivement, en application des articles 485 et 543 du code de procédure pénale, leurs décisions ;
— si le fait que la cour d’assises délibère à bulletin secret implique, dans certains cas, que l’opinion de certains jurés ne soit pas connue ou que certains jurés votent dans un sens différent de celui exprimé publiquement, cela n’interdit nullement la motivation, comme en atteste l’exemple de la Cour de justice de la République, qui délibère par vote à bulletin secret et motive cependant toutes ses décisions (127) ;
— l’argument de l’absence supposée de compétence juridique de la part des jurés d’assises, qui interdirait de formaliser les motifs de la décision, sauf à vouloir renforcer excessivement la place des magistrats professionnels dans la délibération, ne tient pas davantage au regard des expériences étrangères qui montrent « qu’il est possible que la cour d’assises rende des décisions motivées alors que les jurés et les magistrats professionnels siègent ensemble » (128). Ainsi, en Italie (129), en Allemagne ou encore en Espagne, un magistrat de la cour d’assises est désigné pour rédiger la motivation.
En deuxième lieu, la motivation des arrêts de cour d’assises est nécessaire pour des raisons de principe. En effet, elle est une garantie contre l’arbitraire du juge et est, à ce titre, indispensable à la qualité de la justice, comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Taxquet contre Belgique du 13 janvier 2009 (voir supra). Chacun doit ainsi pouvoir connaître les raisons de sa condamnation pour mieux préparer ses recours, comme l’avait souligné, en 1996, M. Jean-François Deniau, président du Haut comité consultatif sur la procédure de jugement : « la motivation de première instance est inhérente au droit d’appel. Elle permet au condamné de savoir pourquoi il l’a été et de décider, en connaissance de cause, s’il doit ou non exercer une voie de recours. Elle fournit également à la juridiction du second degré un cadre de référence, en permettant de centrer les débats sur les questions importantes ».
Enfin, depuis quelques années, certaines cours d’assises s’efforcent de motiver leurs décisions, comme en atteste la reproduction ci-dessous d’un arrêt motivé de la cour d’assises du Val-de-Marne du 5 mai 1999, qui comporte, à cette fin, des éléments additionnels aux réponses aux questions prévues par la loi, notamment des énonciations relatives aux circonstances de fait et aux éléments de personnalité.
REPRODUCTION D’UN ARRÊT DE COUR D’ASSISES MOTIVÉ :
COUR D’ASSISES DU VAL-DE-MARNE, CRÉTEIL, 5 MAI 1999
Vu l’arrêt de la Chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, en date du 6 mai 1998 ordonnant la mise en accusation et le renvoi devant ladite cour d’assises du Val-de-Marne, siégeant à Créteil de X…détenu à Fresnes (mandat de dépôt du 6 décembre 1996).
Vu l’exploit en date du 19 mai 1998 fait à une personne portant signification de l’arrêt de renvoi à l’accusé.
Vu le procès-verbal en date du 1er avril 1999 portant communication audit accusé de la liste des jurés de la présente session.
Vu le procès-verbal de communication en date du 4 mai 1999, à 9 h 25, fait par le Greffier à l’accusé portant à la connaissance de celui-ci l’arrêt modifiant la composition de la liste des jurés de la session.
Vu le procès-verbal d’où il résulte que la première audience consacrée à l’examen de l’affaire s’est ouverte le 4 mai 1999, à 10 h 15.
La cour d’assises, constituée conformément aux dispositions des articles 240 à 267, 296 et 303 du Code de procédure pénale, après avoir entendu, en audience publique, Maître Louis, avocat des consorts Y… parties civiles, en sa plaidoirie, Monsieur de Maupeaou d’Ableiges, avocat général, en ses réquisitions, pour l’application de la loi pénale, Maître Esquerre et Maître Herzog, avocats de l’accusé X… en leur plaidoirie et l’accusé lui-même qui a eu la parole en dernier.
Après en avoir délibéré, en chambre du conseil, sur la culpabilité de l’accusé et, sans désemparer, sur l’application de la peine conformément aux dispositions des articles 355 à 365 du Code de procédure pénale.
Vu les questions posées par le président.
Vu la déclaration de la cour et du jury.
Considérant qu’il en résulte à la majorité de huit voix au moins que X… est coupable d’avoir à Créteil (94) le 9 novembre 1996 volontairement exercé des violences avec arme, ayant entraîné la mort de Z… sans intention de la donner.
Considérant qu’il en résulte ce qui suit : X…a sorti un couteau dont il a déplié la lame, et qu’il a dirigé vers Monsieur Z. Le couteau a pénétré l’abdomen de la victime, décédée des suites de cette blessure. Lors des débats Monsieur X…a mimé l’avancée de son bras vers le corps de la victime au moment des faits. Son geste correspond à une impulsion sous l’emprise de l’alcool, qui a eu des conséquences mortelles non recherchées par l’accusé.
Il n’est pas apparu au cours des débats qu’il existait un contentieux entre l’accusé et la victime ni d’éléments laissant penser que la mort a été donnée intentionnellement.
Il convient de tenir compte de la personnalité de Monsieur X… qui s’est montré par le passé un homme sensible, s’étant notamment occupé de familles de toxicomanes et ayant présenté des gages d’insertion.
Cependant les faits jugés ont eu des conséquences dramatiques, un homme étant mort et son enfant restant désormais orphelin. Une sanction prenant en compte ces éléments est nécessaire.
Par ces motifs. Déclare X…coupable de violences mortelles avec arme, fait prévus et réprimés par les articles 222-7, 222-8 du Code pénal, dont il a été donné lecture.
Vu l’article 131-1 du Code pénal.
Condamne X…à la peine de six ans d’emprisonnement.
Dit que la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d’un montant de 2 000 F dont est redevable le condamné.
Et ordonne que le présent arrêt sera exécuté à la diligence de Monsieur le procureur de la République.
Source : Serge Guinchard et Jacques Buisson, Procédure pénale, Litec, 6e édition, septembre 2010, pages 248 et 249.
Si cet arrêt a été cassé par la chambre criminelle de la Cour de cassation (130), au motif que les arrêts d’assises ne peuvent comporter des énonciations relatives à la culpabilité autres que celles constituées par l’ensemble des réponses données par les magistrats et les jurés aux questions posées conformément à l’arrêt de renvoi et qui tiennent lieu de motivation, certaines cours d’assises ont cherché à motiver leurs décisions d’une autre manière. Elles ont, pour ce faire, compléter la liste des questions prévues par le code de procédure pénale, afin de les rattacher aux faits de l’espèce sans prévoir une motivation formalisée et distincte. Le présent projet de loi n’a toutefois pas retenu cette solution, le Gouvernement estimant, dans l’étude d’impact, qu’elle « aurait conduit, si les questions étaient orientées, à biaiser la réponse, qui ne peut dès lors être qu’affirmative ou négative et interdit toute nuance » (131).
L’article 7 du présent projet de loi a fait le choix d’instaurer, au nouvel article 365-1 du code de procédure pénale, une motivation expresse des arrêts de cour d’assises, distincte de la feuille des questions et formalisée sur un document annexe, intitulé « feuille de motivation ».
Cette feuille de motivation sera rédigée par le président de la cour d’assises ou par l’un des magistrats assesseurs désigné par lui. Comme le rappelle le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, « seul un magistrat professionnel semble en mesure d’assumer cette fonction. Cette disposition est appliquée en Allemagne, en Italie et en Espagne où un magistrat de la cour d’assises est désigné pour rédiger la motivation. En Angleterre ou au Pays de Galles, où les jurés délibèrent seuls, le principe même d’une motivation a, en revanche, été écarté » (132).
La motivation des arrêts de cour d’assises sera obligatoire aussi bien en cas de condamnation que d’acquittement de l’accusé. En effet, le projet de loi, dans sa rédaction initiale, réservait la motivation de la décision aux seuls cas de condamnation. La commission des Lois du Sénat a adopté un amendement de son rapporteur visant à l’étendre aux cas d’acquittement.
Le nouvel article 365-1 du code de procédure pénale dispose également qu’en cas de condamnation, la motivation énoncerait les « principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises ». Les seuls éléments à charge pouvant motiver une décision en matière criminelle seront ceux qui auront été exposés et débattus au cours des délibérations par la cour et le jury et ce, avant que n’interviennent les votes sur les questions, c’est-à-dire avant que la culpabilité de l’accusé ne soit établie. Comme le souligne le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, la notion de « principaux » éléments à charge implique que « la motivation ne saurait présenter un caractère général sans pour autant revêtir un caractère exhaustif » (133). Il convient, à cet égard, de noter que le projet de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, que la motivation consistait dans l’énoncé des « principales raisons » ayant convaincu la cour et le jury. La commission des Lois du Sénat a adopté un amendement de son rapporteur substituant à ces « principales raisons » la notion de « principaux éléments à charge », qui figure d’ores et déjà dans le code de procédure pénale.
Cet amendement de M. Jean-René Lecerf a également prévu que la feuille de motivation serait, d’une part, signée par le président et le premier juré, afin de garantir le contrôle du jury sur la motivation retenue par le magistrat (article 365-1) et, d’autre part, lue par le président immédiatement après le prononcé de l’arrêt dans la salle d’audience (article 366). Cet amendement tient enfin compte de l’introduction de la motivation des arrêts en matière criminelle et modifie, à cette fin, à l’article 353 du code de procédure pénale, l’instruction dont le président donne lecture avant que la cour ne se retire pour délibérer : si « la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus », ce sera désormais « sous réserve de l’exigence de motivation de la décision ».
Le dispositif envisagé par le présent projet de loi s’inspire ainsi très largement de celui qui figurait dans le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle présenté par le Garde des sceaux et déposé le 26 juin 1996 sur le bureau de l’Assemblée nationale (134). Ce dernier rendait obligatoire la motivation des jugements du tribunal criminel et des arrêts de cour d’assises statuant en appel. Le projet d’article 375-3 du CPP prévoyait, à cette fin, la mise en forme des « raisons de l’arrêt », rédigées sur une feuille annexée à la feuille des questions qui devaient reprendre « pour chacun des faits reprochés à l’accusé, le résumé des principaux arguments par lesquels la cour d’assises s’est convaincue et qui ont été dégagés au cours de la délibération, ainsi que, en cas de condamnation, les principaux éléments de fait et de personnalité ayant justifié le choix de la peine ». Ce projet n’a jamais été adopté définitivement.
À l’initiative de votre rapporteur, votre commission a entendu améliorer ce dispositif à deux égards.
Elle a tout d’abord envisagé l’hypothèse, soulevée par de nombreux praticiens, dans laquelle la complexité de l’affaire ne permettrait pas la rédaction immédiate de la feuille de motivation. Dans ce cas, elle pourra être rédigée dans les trois jours suivant le prononcé de la décision, comme cela est actuellement le cas, en application de l’article 486 du code de procédure pénale (135), pour les jugements correctionnels.
Elle a ensuite, compte tenu de cette possibilité de différer de trois jours la rédaction de la feuille motivation, limité la signature de cette dernière au seul président, quand le texte adopté par le Sénat prévoyait, en application de l’article 364 du code de procédure pénale, une double signature du président et du premier juré. Dès lors que la rédaction de la motivation peut être différée de trois jours, il peut s’avérer très difficile, sur un plan pratique, de faire signer le premier juré, qui ne sera plus présent dans les locaux de la juridiction. Par ailleurs, sur un plan juridique, le premier juré pourrait refuser de signer la feuille de motivation qui lui serait présentée, au motif qu’elle ne correspondrait pas aux motivations qui ont pu être exprimées par les jurés au cours du délibéré ou à son intime conviction.
*
* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL 209 du rapporteur.
Après avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL 133 de Mme George Pau-Langevin.
Elle examine l’amendement CL 226 du rapporteur.
M. le rapporteur. Je souhaite préciser que la feuille de motivation ne doit être signée que par le président de la cour d’assises. En effet, si l’amendement suivant est adopté, la motivation pourra être rédigée après le prononcé de la décision, dans un délai de trois jours.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement CL 227 du rapporteur.
Enfin, elle adopte l’article 7 modifié.
Section 2
Dispositions relatives à la composition de la cour d’assises
La Commission examine l’amendement CL 97 de M. Christian Estrosi.
M. Christian Estrosi. La correctionnalisation d’un crime doit demeurer un fait exceptionnel.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Ce n’est qu’une pétition de principe, sans aucun mécanisme qui permette d’éviter la correctionnalisation.
L’amendement est retiré.
Article 8
(art. 181-1 [nouveau], 236, 237, 245, 250, 266, 296, 297, 298, 289-1, 306, 335, 359, 362, 825 et 827 du code de procédure pénale ; art. 20 et 22 de la loi n° 83-520 du 27 juin 1983)
Composition de la cour d’assises –
Déroulement de l’audience en matière criminelle
Le présent article a pour objet principal de réformer la composition de la cour d’assises, afin d’en simplifier et d’en alléger le fonctionnement (1). Votre commission a complété cet article par deux mesures relatives au déroulement de l’audience du procès criminel (2).
Le texte initial du projet de loi ayant été intégralement modifié par le Sénat, le présent commentaire présentera successivement le texte qu’avait proposé le Gouvernement, qui consistait à créer à titre expérimental une formation simplifiée de la cour d’assises (a), puis le texte adopté par le Sénat, qui procède à une réduction du nombre de jurés à six en première instance et à neuf en appel (b). Votre commission a complété le dispositif adopté par le Sénat par l’introduction d’une formation simplifiée de la cour d’assises, selon des modalités différentes de celles qui étaient prévues dans le projet de loi initial (c).
a) Le projet de loi initial : une formation simplifiée de la cour d’assises composée de citoyens assesseurs créée à titre expérimental
— Le texte et les objectifs du projet de loi initial
Le texte initial du Gouvernement prévoyait la création, à titre expérimental, d’une composition simplifiée de la cour d’assises, dans laquelle le jury aurait été remplacé par deux citoyens assesseurs. Cette formation simplifiée de la cour d’assises aurait été compétente pour le jugement des crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle, sauf dans les cas où l’accusé s’y serait opposé ou lorsque le parquet aurait requis – mais sans être suivi par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction – le renvoi devant une cour d’assises pour un crime puni d’une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle. Les décisions sur la culpabilité et sur la peine auraient été prises à la majorité. Par ailleurs, le délai maximal dans lequel l’accusé placé en détention provisoire doit effectivement comparaître devant la cour d’assises, qui est fixé par l’article 181 du code de procédure pénale à un an, exceptionnellement prolongeable une fois pour six mois, aurait été abaissé à six mois, exceptionnellement renouvelable une fois pour trois mois.
Comme l’ensemble des dispositions du projet de loi prévoyant l’intervention de citoyens assesseurs, ces dispositions auraient été applicables à titre expérimental dans le ressort de deux à dix cours d’appel entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2014.
Pour le Gouvernement, l’objectif de cette disposition tel que présenté dans l’étude d’impact accompagnant le projet de loi était de « réduire les délais d’audiencement en permettant un jugement des crimes en première instance par une formation simplifiée comprenant trois magistrats professionnels et deux citoyens assesseurs. La réduction des délais devait, en conséquence, mettre fin à la correctionnalisation de certains crimes ».
Au vu des statistiques relatives à l’activité des cours d’assises des dernières années, le Gouvernement avait estimé à 1 395 le nombre des affaires devant entrer dans le champ de compétence de cette formation simplifiée et à 10 % (soit 139 affaires) la part des cas où l’accusé aurait demandé son jugement par la cour d’assises composée de neuf jurés. Dans les 1 246 affaires qui, en application du texte proposé par le Gouvernement, auraient été jugées avec deux citoyens assesseurs remplaçant le jury, « le temps d’audience des affaires passant devant la cour d’assises simplifiée devrait être réduit (une journée contre deux jours en moyenne pour un procès d’assises avec un jury complet) ». Sur un plan financier, l’étude d’impact évaluait à deux millions d’euros le gain en indemnités non versées aux sept jurés que la composition simplifiée de la cour d’assises aurait amenés à ne pas faire siéger.
Toutefois, le Gouvernement estimait que ce gain en temps d’audience et en indemnisation des jurés dans les affaires d’ores et déjà qualifiées de crimes aurait été compensé par la criminalisation d’affaires aujourd’hui correctionnalisées : « Dans le même temps, la réforme a pour objet de permettre de juger devant cette cour d’assises simplifiée un certain nombre d’affaires de vol ou extorsion avec arme contre auteurs connus et d’affaires de viols qui son actuellement correctionnalisées. Il est difficile d’établir la proportion de dossiers qui seront ainsi décorrectionnalisés. On estime qu’entre 1 000 et 1 900 affaires supplémentaires pourraient ainsi être réorientées vers la cour d’assises simplifiée » (136).
— Des modifications refusées par le Sénat
Le Sénat a, à l’initiative de son rapporteur M. Jean-René Lecerf, intégralement réécrit l’article 8 lors de l’examen du projet de loi en commission. Après avoir relevé que le texte proposé par le Gouvernement visait à répondre à « deux difficultés réelles de la justice criminelle » que sont l’engorgement du rôle des cours d’assises et la correctionnalisation des affaires, il a toutefois estimé que « la réponse apportée par le projet de loi ne peut être acceptée en l’état », pour plusieurs raisons :
— Tout d’abord, la réforme proposée, en « instituant une nouvelle formation compétente seulement pour une catégorie d’affaires au premier degré
– compétence dont l’accusé (mais non la partie civile) pourra s’affranchir en demandant à être jugé par la cour d’assises avec jurés... », complexifierait la procédure de jugement en matière criminelle ;
— Ensuite, le rapporteur de la commission des Lois du Sénat a considéré que « le bénéfice attendu de la réforme n’apparaît pas évident. Selon l’étude d’impact, la formation simplifiée devrait permettre de réduire de moitié le temps d’audience (une journée contre deux en moyenne actuellement). Toutefois, si le dispositif devrait permettre un gain de temps sur la phase de constitution du jury et, de manière moins certaine, sur la phase du délibéré, le déroulement du procès, conforme à la procédure actuelle devant la cour d’assises, devrait occuper une durée identique » ;
— Enfin, le système proposé aurait eu pour effet d’aligner la composition de la nouvelle formation sur celle du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs. Le rapporteur de la commission des Lois du Sénat a estimé que cette identité de composition serait « source de confusion entre juridictions correctionnelles et criminelles », mais aussi qu’elle remettrait en cause la « prépondérance des représentants du peuple dans le pouvoir de décision, à rebours de l’esprit qui anime le projet de loi ».
La commission des Lois du Sénat a estimé ces différents défauts rédhibitoires, d’autant plus que « l’étendue de son champ d’attribution devrait conduire la nouvelle cour d’assises simplifiée à traiter de l’essentiel des affaires actuellement jugées par les cours d’assises du premier degré », et conclu « qu’une réorganisation de notre justice criminelle doit reposer sur des orientations différentes » (137).
b) Le texte adopté le Sénat : une réduction du nombre de jurés à six en première instance et à neuf en appel
Le texte de l’article 8 résulte de l’adoption par la commission des Lois du Sénat d’un amendement de son rapporteur M. Jean-René Lecerf, complété lors de l’examen en séance publique par un amendement de la commission des Lois visant à tirer les conséquences de cette réécriture.
Le II du texte adopté par le Sénat – qui constitue le cœur de cet article – modifie le premier alinéa de l’article 296 du code de procédure pénale, qui fixe aujourd’hui à neuf en première instance et douze en appel le nombre des jurés composant le jury de la cour d’assises, pour prévoir que « le jury de jugement est composé de six jurés lorsque la cour statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu’elle statue en appel ». Le III opère une modification de coordination dans l’article 297.
Le IV de l’article réécrit l’article 298, relatif à la faculté de récusation de jurés par l’accusé et le ministère public. Actuellement, l’accusé a la faculté de récuser cinq jurés en première instance et six en appel ; le ministère public peut récuser quatre jurés en première instance et cinq en appel. Par cohérence avec la diminution du nombre de jurés, l’article 298 dans le texte adopté par le Sénat prévoit que « Lorsque la cour d’assises statue en premier ressort, l’accusé ne peut récuser plus de quatre jurés et le ministère public plus de trois. Lorsqu’elle statue en appel, l’accusé ne peut récuser plus de cinq jurés et le ministère public plus de quatre ». Le tableau ci-dessous illustre cette évolution.
FACULTÉ DE RÉCUSATION DES JURÉS DANS LE DROIT ACTUEL
ET DANS LE TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT
Droit actuel |
Texte adopté par le Sénat | |||
En première instance |
En appel |
En première instance |
En appel | |
Nombre de jurés |
9 |
12 |
6 |
9 |
Nombre de jurés pouvant être récusés par l’accusé |
5 |
6 |
4 |
5 |
Nombre de jurés pouvant être récusés par le ministère public |
4 |
5 |
3 |
4 |
Les V et VI modifient, par cohérence avec la diminution du nombre de jurés, les règles de majorité qualifiée requises pour certaines décisions. Actuellement, les décisions relatives à la culpabilité, dès lors qu’elles sont « défavorables à l’accusé » (article 359 du code de procédure pénale), et les décisions prononçant le « maximum de la peine privative de liberté encourue » (article 362 du même code), ne peuvent être prises qu’à la majorité de huit voix au moins en première instance, et de dix voix au moins en appel. Dans les deux cas, ces majorités qualifiées équivalent à deux tiers des voix (66,67 %).
Ces dispositions sont modifiées pour abaisser le nombre de voix requises pour ces décisions, qui désormais ne pourront être prises que par une majorité de six voix au moins en première instance, et de huit voix au moins en appel. La même proportion de deux tiers des voix est conservée, comme l’illustre le tableau ci-dessous.
MAJORITÉS QUALIFIÉES REQUISES DANS LE DROIT ACTUEL
ET DANS LE TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT
Droit actuel |
Texte adopté par le Sénat | ||||
En première instance |
En appel |
En première instance |
En appel | ||
Nombre de magistrats composant la cour |
3 |
3 |
3 |
3 | |
Nombre de jurés composant le jury |
9 |
12 |
6 |
9 | |
Majorité requise pour une décision défavorable à l’accusé (art. 359) ou pour le prononcé du maximum de la peine privative de liberté (art. 362) |
En nombre de voix |
8 |
10 |
6 |
8 |
En pourcentage des voix |
66,67 % |
66,67 % |
66,67 % |
66,67 % |
Ces dispositions ont été complétées par un amendement de la commission des Lois du Sénat adopté en séance publique, destiné :
— d’une part, à modifier différents articles du code de procédure pénale relatifs à l’organisation des assises, afin de simplifier les modalités selon lesquelles sont fixées les sessions d’assises, en supprimant la distinction entre les sessions trimestrielles et les sessions supplémentaires. Ainsi, le I réécrit l’article 236, tandis que le I bis abroge l’article 237, pour remplacer la règle de tenue trimestrielle des assises et la possibilité de tenue de sessions supplémentaires par une règle selon laquelle « La date de l’ouverture des sessions de la cour d’assises est fixée chaque fois qu’il est nécessaire, sur proposition du procureur général, par le premier président de la cour d’appel ou, dans le cas prévu par l’article 235, par l’arrêt de la cour d’appel » (138). Les I ter et I quater réécrivent les articles 245 et 250 pour supprimer la limitation de la désignation du président et des assesseurs à la durée de la session ;
— d’autre part, à procéder à des coordinations rendues nécessaires par la réduction du nombre de jurés de la cour d’assises à six en première instance et à neuf en appel. Du fait de la diminution du nombre de jurés, le I quinquies modifie l’article 266 du code de procédure pénale, pour abaisser de quarante à trente-cinq le nombre de jurés tirés au sort en début de session d’assises pour composer la liste de session, et de douze à dix le nombre de jurés composant la liste spéciale. Le IV bis modifie l’article 289-1 du code de procédure pénale, qui fixe le nombre minimal de jurés devant figurer sur la liste de session révisée, pour abaisser ce nombre de vingt-trois à vingt en première instance et de vingt-six à vingt-trois en appel.
Le rapporteur de la commission des Lois du Sénat a fait valoir que « De même que la diminution du nombre des jurés, ces modifications faciliteront la tenue des assises et l’adaptation du nombre de sessions aux affaires devant être jugées. Elles permettront ainsi de diminuer les correctionnalisations » (139).
c) Un texte complété par votre commission : la création d’une formation simplifiée de la cour d’assises composée de trois jurés
Votre commission a considéré que si le texte adopté par le Sénat constituait un premier pas pertinent dans l’optique d’alléger le fonctionnement de la cour d’assises et de donner à l’audiencement des affaires un léger gain de fluidité, il ne permettrait toutefois pas de lutter efficacement contre le phénomène de la correctionnalisation. Pour autant, le dispositif initial du Gouvernement présentait l’inconvénient de n’être prévu qu’à titre expérimental, ce qui aurait inutilement différé son effet positif. En outre, il avait pour effet de rendre les citoyens minoritaires par rapport aux magistrats professionnels, ce qui était un paradoxe dans un projet de loi tendant à développer la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale.
Afin de rechercher une réponse efficace au problème de la correctionnalisation qui ne présenterait pas les défauts qui affectaient le texte initial du Gouvernement, votre commission a adopté, à l’initiative de votre rapporteur, un amendement reprenant l’inspiration du texte initial du projet de loi visant à alléger significativement la composition de la cour d’assises pour les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion, sous réserve que l’accusé ou le ministère public ne s’y opposent pas (article 181-1 nouveau du code de procédure pénale). Mais, alors que le projet de loi prévoyait, dans le cadre de l’expérimentation des citoyens assesseurs, de remplacer le jury par deux citoyens assesseurs, l’article adopté par votre commission maintient le recours au jury, dont la composition est cependant réduite à trois jurés. Ceux-ci, à défaut d’être plus nombreux que les magistrats professionnels, ce qui limiterait la portée de l’allègement souhaité et poserait des difficultés pour la définition des majorités qualifiées aujourd’hui fixées à deux tiers des voix, seront au nombre de trois, c’est-à-dire aussi nombreux que les jurés.
Les décisions prises par la cour d’assises dans sa formation simplifiée devront toutes être prises à la majorité de quatre voix contre deux, la majorité qualifiée de deux tiers des voix exigée pour les décisions de condamnation et de prononcé de la peine maximale équivalant à la majorité simple. L’on ne peut nier que cette réduction du nombre de jurés entraîne mathématiquement une perte d’influence des jurés, puisque des décisions pourront être prises contre la majorité des jurés, dans le cas où les trois magistrats professionnels voteraient dans le même sens que le juré minoritaire. Pour autant, le même reproche d’affaiblissement de l’influence du jury pourrait être adressé au texte adopté par le Sénat qui, en abaissant à six le nombre de jurés en première instance, rend possible une condamnation en cas de partage des voix au sein du jury : une décision de condamnation pourra être prise par les trois magistrats professionnels et la moitié du jury, alors que l’autre moitié du jury avait voté en sens inverse. En outre, dès lors que la compétence de cette cour d’assises en formation simplifiée n’est que facultative, l’on ne saurait faire valoir que cette perte de souveraineté du jury préjudicie aux intérêts de l’accusé, qui aura toujours la faculté de demander à comparaître devant une cour d’assises en composition ordinaire.
Les dispositions du projet de loi initial qui prévoyaient une réduction de moitié de la durée maximale de la détention provisoire que peut subir la personne renvoyée devant la formation simplifiée sont reprises dans l’article adopté par votre commission (dernier alinéa du nouvel article 181-1).
Enfin, l’article 298 du code de procédure pénale est complété pour adapter les règles de récusation à la composition simplifiée de la cour d’assises : l’accusé pourra récuser deux jurés au plus, et le ministère public un juré au plus.
La création de cette formation simplifiée de la cour d’assises se conjuguera avec la réduction, pour les affaires qui ne relèveront pas de la formation simplifiée, du nombre de jurés à six en première instance et à neuf en appel. Ce double allègement permettra un réel gain de temps en termes d’audiencement et une véritable fluidification que, à lui seul, l’abaissement du nombre de jurés figurant dans le texte adopté par le Sénat n’aurait pas permis.
Votre commission a, à l’initiative de votre rapporteur, complété l’article 8 par deux mesures relatives au déroulement de l’audience du procès criminel : la première adapte les règles de publicité applicables dans le cas où un accusé mineur au moment des faits est devenu majeur au moment de sa comparution devant la cour d’assises des mineurs (a) ; la seconde dispense de serment la personne qui, ayant été poursuivie ou condamnée pour des faits liés à une affaire jugée par une cour d’assises, est amenée à témoigner devant elle (b).
a) Adaptation des règles de publicité applicables dans le cas où un accusé mineur au moment des faits est devenu majeur au moment de sa comparution devant la cour d’assises des mineurs
Votre commission a ajouté au présent article un paragraphe IV ter complétant l’article 306 du code de procédure pénale afin de redéfinir les règles de publicité applicables aux audiences des cours d’assises des mineurs, lorsque l’accusé mineur au moment des faits est devenu majeur. Cette modification reprend la proposition de loi (n° 1816) déposée par François Baroin et Jack Lang en juillet 2009, adoptée en première lecture par notre assemblée le 16 février 2010, mais qui n’a pas été inscrite à l’ordre du jour du Sénat.
Aujourd’hui, l’article 306 du code de procédure pénale prévoit que, dans cette hypothèse, les dispositions « de droit commun » prévoyant le principe de la publicité des débats et la possibilité, par exception, de décider le huis clos, sont applicables au mineur, à une double condition. Premièrement, le mineur devenu majeur doit demander que le procès se déroule publiquement. Deuxièmement, il faut qu’il n’y ait pas dans la cause un autre accusé ou prévenu toujours mineur ou, si celui-ci est lui-même devenu majeur, qu’il ne s’oppose pas à la demande.
Tout en maintenant le principe de l’application de la publicité restreinte pour les audiences des cours d’assises des mineurs, y compris lorsque sont jugés des mineurs devenus majeurs, la modification adoptée – reprenant l’article 1er de la proposition de loi que notre assemblée avait adoptée – permet à toutes les parties de demander l’application du régime de la publicité de l’article 306 du code de procédure pénale, la décision étant alors prise par la cour qui devra statuer par décision spéciale et motivée insusceptible de recours et en prenant en considération les intérêts de la société, de l’accusé et de la partie civile.
Afin d’aboutir à un nouvel équilibre entre les intérêts en présence, il est prévu que les audiences des procès des mineurs devenus majeurs au jour de l’ouverture des débats seront publiques « si le ministère public, la personne poursuivie, un autre accusé ou la partie civile en fait la demande, sauf s’il existe un autre accusé toujours mineur ». En cas d’opposition de l’une des parties à la publicité des débats, la cour devra statuer « en prenant en considération les intérêts de la société, de l’accusé et de la partie civile, après un débat au cours duquel sont entendus le ministère public et les avocats des parties, par décision spéciale et motivée qui n’est pas susceptible de recours ».
Par ailleurs, l’article prévoit également que, « si la personnalité de l’accusé qui était mineur au moment des faits rend indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics », la cour devra ordonner que l’audience sera soumise au régime de la publicité restreinte. Cette disposition donne ainsi à l’intérêt du mineur – même après que celui-ci fut devenu majeur – une force particulière parmi les intérêts que la cour devra prendre en compte dans sa décision relative au régime de publicité.
Enfin, la publicité des débats ne devant pas conduire à ce que l’identité du mineur soit publiée dans la presse sans son accord, l’article 306 est complété par un nouvel alinéa prévoyant que, lorsque les débats devant la cour d’assises des mineurs seront publics, les comptes rendus de ces débats faisant l’objet d’une diffusion écrite ou audiovisuelle ne devront pas mentionner l’identité de l’accusé mineur au moment des faits, sous peine d’une amende de 15 000 €. Cette peine ne sera toutefois pas encourue si le mineur a donné son accord à la publication de son identité.
b) Dispense de serment pour la personne qui, ayant été poursuivie ou condamnée pour des faits liés à une affaire jugée par une cour d’assises, est amenée à témoigner devant elle
Votre commission a également ajouté à l’article un nouveau paragraphe IV quater complétant l’article 335 du code de procédure pénale. Cet article énumère la liste des personnes qui, lorsqu’elles sont appelées à témoigner lors d’un procès criminel, sont dispensées de prestation de serment. Aujourd’hui, lorsque tous les accusés d’un même crime ne sont pas jugés ensemble (par exemple parce que certains sont en fuite), ou lorsque seuls certains accusés condamnés en première instance interjettent appel de la décision, il arrive que des personnes poursuivies ou condamnées pour le même crime que celui dont est saisie la cour d’assises soient appelées à témoigner après avoir été elles-mêmes jugées pour ces faits. Or, l’article 335 ne dispense pas de l’obligation de témoigner sous serment les personnes se trouvant dans cette situation. Cela les place de fait dans une situation complexe, susceptible de les contraindre soit à mentir sous serment, soit, le cas échéant, à s’auto-incriminer.
Le complément apporté à l’article 335 du code de procédure pénale remédie à cette situation, en excluant de l’obligation de prêter serment toute personne qui a été accusée, prévenue ou condamnée soit pour le crime dont est saisie la cour d’assises en qualité de coauteur ou de complice, soit pour un crime ou un délit connexe ou formant un ensemble indivisible avec le crime dont est saisie la cour d’assises.
Indiquons enfin que votre commission a également complété l’article par deux nouveaux paragraphes VII et VIII, dont l’objet est d’assurer une coordination pour l’application outre-mer des dispositions de l’article relatives au fonctionnement des sessions de la cour d’assises : la distinction entre sessions trimestrielles et supplémentaires étant supprimée, les dérogations ou adaptations qui étaient jusqu’ici prévues dans certaines collectivités d’outre-mer n’ont plus lieu d’être.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement de suppression CL 134 de Mme George Pau-Langevin.
M. Dominique Raimbourg. Diminuer le nombre de jurés d’assises est incompatible avec l’esprit même du texte.
La Commission rejette l’amendement.
Elle est saisie de l’amendement CL 229 du rapporteur.
M. le rapporteur. Pour lutter contre la correctionnalisation des crimes, il faut une formation simplifiée de cour d’assises. Le texte initial, refusé par le Sénat, prévoyait trois magistrats professionnels et deux citoyens assesseurs. Je vous propose trois magistrats et trois jurés, ce qui permet de faire la différence avec le tribunal correctionnel en formation citoyenne. Cette disposition serait d’application immédiate sur l’ensemble du territoire.
M. Dominique Raimbourg. Il y a là une dimension symbolique bien trop importante pour qu’on s’en tienne à une solution technique. Nous avons des jurés depuis deux siècles. On ne peut y toucher par le biais d’un simple amendement.
Mme Delphine Batho. Les deux derniers amendements du rapporteur montrent la véritable finalité de ce projet de loi qui, sous couvert de participation des citoyens à la justice, détricote en catimini le dispositif de la justice en matière criminelle. C’est une régression manifeste.
M. le rapporteur. Je ne fais qu’améliorer le texte initial en remplaçant deux citoyens assesseurs par trois jurés.
M. Jean-Paul Garraud. L’important est tout de même de juger les crimes comme tels. Actuellement, des criminels sont jugés comme des auteurs de délits. Voilà la véritable injustice, d’autant plus que les mêmes faits sont jugés comme crimes à certains endroits et comme délits ailleurs. La seule solution, c’est de transformer le tribunal correctionnel qui juge ces crimes en un tribunal d’assises permanent, éventuellement départemental. C’était l’objet de ma proposition de loi du 1er avril 2010. Il n’est pas question de supprimer des jurés en catimini, mais de rendre la justice selon la volonté du législateur, qui détermine seul ce qu’est un crime.
Mme George Pau-Langevin. La correctionnalisation est un réel problème mais ce n’est pas en redéfinissant la juridiction qu’on y changera quoi que ce soit. De toute façon, le parquet conserve la faculté de qualifier l’affaire et de décider des poursuites. Si vous voulez que tous les crimes passent devant une cour d’assises, vous devez limiter rigoureusement la marge d’appréciation du parquet – selon qu’il retient ou non des circonstances aggravantes par exemple, ce sera un crime ou un délit. À défaut, on en reste à une pétition de principe.
M. le rapporteur. Pourquoi les procureurs optent-ils pour le correctionnel ? Parce qu’il est très compliqué d’aller en cour d’assises. La cour d’assises simplifiée doit permettre d’accélérer la procédure et de juger les crimes comme tels. Sinon, il faut que le législateur déqualifie un certain nombre de crimes en délits. Je doute que ce soit votre souhait.
M. le garde des Sceaux. Je ne reviendrai pas sur les réserves techniques que soulève cet amendement. La question est ancienne. Tous les projets de réforme de la cour d’assises depuis trente ans, visent à permettre que les crimes soient jugés comme tels. C’est bien le moins qu’on doive aux victimes. Or, ce n’est pas le cas pour 70 à 80 % des affaires… La proposition du Gouvernement n’avait rien de bien original. Comme les précédentes, refusées par le Parlement depuis 1981, elle a échoué devant le Sénat. Or, il va falloir trouver un accord entre les deux assemblées ! Par ailleurs, et quoi qu’en dise le rapporteur, son dispositif me semble soulever un problème de constitutionnalité. Si jurés il doit y avoir, ils doivent pouvoir décider seuls, en théorie du moins.
M. le rapporteur. Selon vous, ma proposition serait inconstitutionnelle parce que les trois jurés ne seraient pas majoritaires. Mais au moins seraient-ils à égalité avec les magistrats professionnels alors que vos deux citoyens assesseurs étaient en minorité ! Je ne vois donc pas pourquoi mon dispositif encourrait davantage l’inconstitutionnalité que le vôtre.
M. Christian Estrosi. En cas d’égalité, la voix du président n’est-elle pas prépondérante ?
M. le rapporteur. Il faut une majorité qualifiée.
M. le président Jean-Luc Warsmann. De toute façon avec trois magistrats et trois jurés, le jury ne peut obtenir la majorité à lui tout seul. C’est cela qui risque de poser un problème de constitutionnalité.
M. le rapporteur. L’accusé pourra toujours demander à être jugé par une formation classique. En acceptant d’être jugé par la formation simplifiée, il accepte le fait que les citoyens seuls ne puissent pas emporter la décision. De toute façon, en appel, il reviendra dans le système classique et sera jugé par une majorité de citoyens.
La Commission adopte l’amendement CL 229.
Elle est saisie de l’amendement CL 230 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit d’intégrer la proposition de loi Baroin-Lang, adoptée par l’Assemblée en première lecture le 16 février 2010, et qui n’a pas été inscrite à l’ordre du jour du Sénat. Elle est tout à fait connexe au texte.
Mme George Pau-Langevin. La publicité restreinte des procès des mineurs est un principe fondamental. En outre, réintroduire par voie d’amendement un texte que le Sénat renâcle à inscrire à son ordre du jour n’est pas une bonne idée.
La Commission adopte l’amendement.
Elle est saisie de l’amendement CL 231 du rapporteur.
M. le rapporteur. Lorsque tous les accusés d’un crime ne sont pas jugés ensemble, il arrive que ceux qui ne sont pas jugés soient appelés à témoigner. Cet amendement lève l’obligation pour eux de prêter serment, qui paraît quelque peu incongrue.
La Commission adopte l’amendement.
Elle adopte aussi l’amendement de coordination CL 9 du rapporteur.
Elle adopte enfin l’article 8 modifié.
Article 8 bis
(art. 264-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Possibilité de déroger aux dispositions relatives au calendrier
d’établissement de la liste annuelle des jurés
Issu de l’adoption en séance publique d’un amendement de la commission des Lois du Sénat, cet article a pour objet d’insérer, dans un article spécifique du projet de loi, les dispositions expérimentales permettant de déroger aux dispositions existantes du code de procédure pénale relatives à la fixation du calendrier des opérations d’établissement de la liste annuelle des jurés.
Le code de procédure pénale prévoit, pour l’établissement de la liste annuelle des jurés, la période de l’année, le mois ou la date limite à laquelle certaines opérations doivent se dérouler : le mois d’avril pour la répartition par le préfet du nombre de jurés par commune, le mois de juin pour cette même répartition par arrondissement à Paris (dernier alinéa de l’article 260), le 15 juillet pour la transmission de la liste préparatoire au secrétariat-greffe de juridiction siège de la cour d’assises, le 1er septembre pour la formulation d’une demande de dispense de l’exercice des fonctions de juré (premier et deuxième alinéas de l’article 261-1), le « courant du mois de septembre » pour la tenue de la réunion de la commission en vue de l’établissement de la liste définitive de session (premier alinéa de l’article 263).
Les personnes qui seront amenées à exercer les fonctions de citoyen assesseur seront, aux termes de l’article 10-4 du code de procédure pénale inséré par l’article 1er du présent projet de loi, désignées « parmi les personnes ayant été inscrites par le maire sur la liste préparatoire de la liste annuelle du jury d’assises ». Or, les dispositions de la présente loi instituant les fonctions de citoyen assesseur ne pourront être définitivement votées qu’après le déroulement de certaines des opérations d’établissement des listes annuelles de jurés pour l’année 2012. Il est donc nécessaire, pour permettre la mise en œuvre des dispositions de la loi relatives à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale dès le 1er janvier 2012, conformément à l’article 31 du projet de loi (140), de prévoir des dérogations au calendrier habituel d’établissement des listes annuelles de jurés.
Tel était précisément l’objet de l’article 264-1 du code de procédure pénale qu’insérait, en ses alinéas 13 et 14, l’article 8 du projet de loi initial, mais que la réécriture par la commission des Lois du Sénat de l’article 8 a conduit à supprimer. Le présent article réintroduit donc cette possibilité de dérogation au calendrier des opérations d’établissement de la liste annuelle des jurés, dans un nouvel article 8 bis créant dans le code de procédure pénale un article 264-1 ainsi rédigé : « Par dérogation au dernier alinéa de l’article 260, aux premier et deuxième alinéas de l’article 261-1 et au premier alinéa de l’article 263, le calendrier des opérations nécessaires à l’établissement de la liste annuelle des jurés est fixé par décret en Conseil d’État ».
La Commission adopte l’article sans modification.
Chapitre IV
Participation des citoyens aux décisions en matière d’application des peines
Article 9
(art. 712-13-1 [nouveau], 712-16-1, 720-4-1 [nouveau]
et 730-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Participation de citoyens assesseurs à certaines décisions
en matière d’application des peines – Assouplissement des conditions
dans lesquelles une victime ou une partie civile peut formuler
des observations auprès d’une juridiction d’application des peines
Le présent article a pour objet de prévoir la participation des citoyens assesseurs à certaines décisions en matière d’application des peines (1). Il a été complété par votre commission par une disposition visant à assouplir les conditions dans lesquelles une victime ou partie civile peut formuler des observations auprès d’une juridiction d’application des peines (2).
Le présent commentaire abordera successivement les raisons (a), les modalités (b) et le champ d’application (c) de la participation des citoyens à l’application des peines.
Une forme d’association des citoyens existe déjà en matière d’application des peines, mais uniquement en appel et pour certaines décisions très strictement définies. En effet, l’article 712-13 du code de procédure pénale (141) prévoit que, pour le jugement en appel des décisions du tribunal de l’application des peines concernant le relèvement de période de sûreté, la libération conditionnelle et la suspension de peine, « la chambre de l’application des peines de la cour d’appel est composée, outre le président et les deux conseillers assesseurs, d’un responsable d’une association de réinsertion des condamnés et d’un responsable d’une association d’aide aux victimes ». Aux termes de l’article D. 49-9 du même code, ces deux responsables d’associations « sont désignés par le premier président, après avis de l’assemblée générale des magistrats du siège, pour une durée de trois ans. Deux suppléants sont désignés dans les mêmes formes pour une même durée ». Ce même article prévoit que, « avant d’entrer en fonction, [ces personnes] prêtent devant la cour d’appel le serment de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations ».
En droit comparé, si l’association des citoyens à la justice pénale est fréquente dans la phase de jugement, elle est en revanche quasiment inexistante pour l’application des peines. L’étude d’impact accompagnant le projet de loi relève ainsi qu’« au stade de l’application des peines, les décisions d’aménagements de peine ne sont pas soumises à des jurés populaires. Si deux pays (Belgique et Italie) admettent une forme d’échevinage en matière d’application des peines, cet assessorat du juge reste toutefois professionnalisé puisque ces échevins restent des experts spécialistes du milieu carcéral (travailleurs sociaux, psychiatres). Les décisions simples sont prises en principe par un juge professionnel unique. Les échevins interviennent dans la prise de décision lorsque la peine d’emprisonnement est importante ou en cas de recours contre une décision du juge unique en Italie » (142).
Pour autant, l’absence de modèle dans d’autres pays d’une association des citoyens à l’application des peines ne saurait remettre en cause le fait que, en France, la participation des citoyens à l’application des peines apparaît aujourd’hui clairement insuffisante. Cela est particulièrement vrai pour les condamnations les plus lourdes prononcées aujourd’hui par les cours d’assises et, demain, par les tribunaux correctionnels statuant avec des citoyens assesseurs. Dans ces hypothèses, le parallélisme des formes justifie que l’œuvre de justice qui a été accomplie par des jurés ou des citoyens assesseurs ne puisse être remise en cause que par une décision associant des citoyens.
En outre, comme l’a fort justement relevé le rapport de la commission des Lois du Sénat M. Jean-René Lecerf, « La présence de citoyens assesseurs contribuera (…) à éviter la stigmatisation dont les décisions des juges de l’application des peines sont trop souvent l’objet de manière injustifiée » (143).
Une solution imaginable pour mettre en place une association accrue des citoyens à l’application des peines eût été d’étendre le système d’échevinage existant aujourd’hui en appel de certaines décisions d’application des peines. Toutefois, cette voie apparaissait délicate au regard des difficultés posées en pratique par l’application de l’article 712-13, soulignées par l’étude d’impact accompagnant le projet de loi : « La pratique de la chambre d’application des peines (CHAP) élargie suscite deux types de réserves récurrentes de la part des juridictions :
« - la disponibilité des assesseurs : en effet il y a seulement un titulaire et un suppléant pour chaque représentant, de sorte que la fixation des audiences peut s’avérer délicate ;
« - la question de l’impartialité de l’association lorsque, par exemple, l’association de réinsertion représentée à l’audience est précisément celle avec laquelle est envisagé le projet de sortie. Or dans de nombreux ressorts les associations qui sont prêtes à participer à la CHAP élargie sont celles qui sont actives sur le terrain » (144).
Dans ces conditions, si le maintien de la présence des représentants d’associations peut se justifier au niveau de l’appel dans cette matière de l’application des peines – particulièrement complexe et demandant un réel investissement pour en maîtriser toutes les subtilités juridiques –, en revanche son extension en première instance eût posé de réelles difficultés. C’est pourquoi la solution retenue par le projet de loi consiste à prévoir l’association des citoyens assesseurs, dont les articles 1er à 5 et 29 prévoient la participation au jugement de certains délits au sein du tribunal correctionnel, du tribunal correctionnel pour mineurs et de la cour d’appel, à la chambre de l’application des peines de la cour d’appel (CHAP) et au tribunal de l’application des peines (TAP) pour les décisions les plus lourdes que ces juridictions sont amenées à prendre.
Comme pour la participation des citoyens assesseurs au jugement des délits, les dispositions prévues par le projet de loi seront applicables à titre expérimental dans le ressort de deux cours d’appel au moins et de dix cours d’appel au plus entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2014 (article 31 du projet de loi). Si ces dispositions devaient donner satisfaction et devenir d’application permanente, elles devraient être substituées aux dispositions de droit commun auxquelles elles auront dérogé pendant la durée de l’expérimentation.
Le présent article crée dans le code de procédure pénale trois nouveaux articles prévoyant l’adjonction de citoyens assesseurs à la chambre et au tribunal de l’application des peines pour trois catégories de décisions :
— l’article 712-13-1 prévoit que « pour l’examen de l’appel des jugements mentionnés à l’article 712-7 » – c’est-à-dire pour les décisions portant sur le relèvement de la période de sûreté, la libération conditionnelle ou la suspension de peine – « la chambre de l’application des peines de la cour d’appel est composée, outre du président et des deux conseillers assesseurs, de deux citoyens assesseurs ». Cette disposition étant applicable « par dérogation au deuxième alinéa de l’article 712-13 » – ainsi que, rappelons-le, à titre expérimental –, les citoyens assesseurs se substitueront aux deux représentants d’association qui complètent aujourd’hui la CHAP pour ces mêmes décisions ;
— l’article 720-4-1 dispose que « pour l’application de l’article 720-4 » – c’est-à-dire pour les décisions portant sur le relèvement de la période de sûreté – « le tribunal de l’application des peines est composé, outre du président et des deux juges assesseurs, de deux citoyens assesseurs » ;
— l’article 730-1 prévoit que « par dérogation aux deux premiers alinéas de l’article 730 » – relatif à l’attribution de la libération conditionnelle – « lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée supérieure à cinq ans, la libération conditionnelle est accordée, selon les modalités prévues par l’article 712-7, par le tribunal de l’application des peines composé, outre du président et des deux juges assesseurs, de deux citoyens assesseurs » et que « le tribunal de l’application des peines ainsi composé est seul compétent pour ordonner que la peine s’exécutera sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou du placement sous surveillance électronique, lorsque ces mesures sont décidées à titre probatoire préalablement à une libération conditionnelle ».
En sus de la modification consistant à prévoir la présence de citoyens assesseurs au sein du tribunal de l’application des peines pour certaines décisions de libération conditionnelle, l’article 730-1 – dont votre commission a légèrement modifié la formulation en adoptant un amendement rédactionnel de votre rapporteur – modifie les seuils de compétence respective du juge de l’application des peines (JAP) et du TAP dans ce domaine. Aujourd’hui, l’article 730 du code de procédure pénale répartit ainsi les rôles entre le JAP et le TAP : lorsque la peine d’emprisonnement prononcée était inférieure ou égale à dix ans ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, c’est le JAP qui est compétent pour statuer sur les demandes de libération conditionnelle, selon les formes prévues à l’article 712-6 (par jugement faisant suite à un débat contradictoire) ; dans les autres cas, c’est-à-dire lorsque la peine prononcée était supérieure à dix ans et que la durée de détention restant à subir est supérieure à trois ans, c’est le TAP qui est compétent.
L’article adopté par le Sénat modifie ces deux seuils de dix ans de peine prononcée et trois ans de peine restant à subir. L’article 730-1, dont votre rapporteur rappelle qu’il sera applicable à titre expérimental, limite la compétence du JAP aux peines prononcées d’une durée inférieure ou égale à cinq ans ou, quelle que soit la durée de la peine qui avait été prononcée, aux durées de peine restant à subir inférieures ou égales à deux ans. Le TAP deviendrait ainsi compétent pour toutes les peines d’une durée supérieure à cinq ans, jusqu’à ce que la durée de détention restant à subir atteigne deux ans.
Dans le texte initialement déposé par le Gouvernement, la compétence du JAP était encore plus limitée, puisqu’il n’aurait connu des demandes de libération conditionnelle que pour les peines d’une durée inférieure à cinq ans, tandis que le TAP aurait été compétent pour les peines d’une durée de cinq ans ou plus. Mais, à l’initiative de son rapporteur, la commission des Lois du Sénat a réélargi la compétence du JAP, en prévoyant qu’il serait compétent non seulement pour les peines d’une durée inférieure à cinq ans mais aussi pour les peines d’une durée égale à cinq ans. À l’appui de cette modification, le rapporteur de la commission des Lois du Sénat a fait valoir que « L’abaissement du seuil du quantum de peine, pour lequel le juge de l’application des peines serait compétent, au-dessous de cinq ans n’apparaît pas cohérent avec la compétence reconnue au directeur des services pénitentiaires d’insertion et de probation d’initier, voire de mettre en œuvre des libérations conditionnelles pour des personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans » (145). En effet, les articles 723-19 à 723-27 du code de procédure pénale, issus de la loi n° 2009-1436 pénitentiaire du 24 novembre 2009, confient au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) le rôle de proposer des aménagements de peine – y compris des libérations conditionnelles –pour tous les condamnés à des peines dont le cumul est inférieur ou égal à deux ans, ainsi que pour les condamnés à des peines dont le cumul est inférieur ou égal à cinq ans mais dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à deux ans. Ces propositions sont transmises par le procureur de la République au juge de l’application des peines pour homologation. À défaut d’homologation dans un délai de trois semaines, l’aménagement peut être ramené à exécution par le directeur du SPIP sur instruction du procureur de la République (article 723-24).
Par ailleurs, chacun de ces trois nouveaux articles prévoit que les citoyens assesseurs qui siégeront au sein des juridictions d’application des peines seront « désignés conformément aux dispositions des articles 10-1 à 10-13 ». L’ensemble des conditions requises des citoyens assesseurs appelés à siéger dans des formations correctionnelles sera donc naturellement également applicable aux citoyens assesseurs qui participeront aux juridictions de l’application des peines.
Les droits et obligations des citoyens assesseurs des citoyens participant aux juridictions de l’application des peines sont définis aux trois derniers alinéas de l’article 712-13-1. Tout d’abord, il est prévu que les citoyens assesseurs « peuvent, comme les conseillers assesseurs, poser des questions au condamné en demandant la parole au président ». Comme le prévoit l’article 461-5 du code de procédure pénale, créé par l’article 3 du projet de loi, pour le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, il est également prévu que les citoyens assesseurs « ont le devoir de ne pas manifester leur opinion ». Enfin, l’article dispose qu’« Avant de délibérer, le président donne lecture des deuxième et troisième alinéas de l’article 707 », qui résument la « philosophie » générale des dispositions applicables en matière d’application des peines : « L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive » ; « À cette fin, les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d’exécution si la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ou leur évolution le permettent. L’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ».
Prévus dans l’article 712-13-1, le droit de poser des questions, l’interdiction de manifestation d’une opinion et la lecture des dispositions de l’article 707 du code de procédure pénale sont, par renvoi dans l’article 720-4-1, rendus applicables à cet article : « Les trois derniers alinéas de l’article 712-13-1 sont applicables ».
En revanche, les dispositions encadrant le rôle des citoyens assesseurs au sein des juridictions de l’application des peines n’étaient pas, dans le texte adopté par le Sénat, rendues applicables à l’article 730-1 relatif aux décisions de libération conditionnelle prises par le TAP. Votre commission a, en adoptant un amendement de votre rapporteur, réparé cette omission.
2. L’assouplissement des conditions dans lesquelles la victime ou la partie civile peut adresser des observations aux juridictions de l’application des peines
Votre commission a, avec l’avis favorable de votre rapporteur, adopté un amendement de M. Christian Estrosi visant à assouplir les conditions dans lesquelles la victime ou la partie civile peut adresser des observations aux juridictions de l’application des peines.
L’article 712-16-1 du code de procédure pénale prévoit que « préalablement à toute décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l’incarcération d’une personne condamnée à une peine privative de liberté avant la date d’échéance de cette peine, les juridictions de l’application des peines prennent en considération les intérêts de la victime ou de la partie civile au regard des conséquences pour celle-ci de cette décision ». Le dernier alinéa de cet article donne la possibilité à ces juridictions, « si elles l’estiment opportun », d’« informer la victime ou la partie civile, directement ou par l’intermédiaire de son avocat, qu’elle peut présenter ses observations par écrit dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette information ».
L’article 9 du projet de loi a été complété par un paragraphe I bis modifiant cet article 712-16-1 du code de procédure pénale, afin de prévoir que la victime ou la partie civile aura la possibilité d’adresser ses observations à la juridiction « par tous moyens à [sa] convenance ». Selon l’auteur de cet amendement, cette précision permettra que la victime ou la partie civile soit dispensée d’avocat lorsqu’elle sera amenée à faire part de ses observations devant les juridictions de l’application des peines. Lui seront ainsi évités des frais d’avocat susceptibles de représenter pour elle un coût important.
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* *
Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement de suppression CL 135 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL 10 du rapporteur.
Après avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement CL 98 de M. Christian Estrosi.
Elle adopte les amendements CL 11 de coordination et CL 12 d’harmonisation rédactionnelle du rapporteur.
Enfin elle adopte l’article 9 modifié.
La Commission examine l’amendement CL 170 de M. Marc Le Fur.
M. Jean-Paul Garraud. L’amendement CL 167 après l’article 3 est passé si vite tout à l’heure que personne n’a pu réagir. C’était la suite logique de celui qui a autorisé les victimes à faire appel d’une décision d’acquittement, mais s’agissant cette fois d’une décision de relaxe. Les deux doivent être adoptés ensemble.
L’amendement CL 170 veut donner à la victime une place plus importante au stade de l’application des peines. Il permet à la partie civile de participer au débat contradictoire qui précède les jugements de première instance des juridictions d’application des peines relatives aux mesures de placement à l’extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension de peine, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle, ainsi que de relèvement de la période de sûreté. On en revient ainsi aux dispositions de la loi Clément du 12 décembre 2005, supprimées en 2009, qui permettaient à l’avocat de la victime de faire valoir son point de vue sur les décisions d’allègement et d’aménagement de peine relevant du tribunal d’application des peines. Seules les victimes qui se seront constituées partie civile pourront présenter leurs observations ; les autres pourront être informées des décisions et faire valoir des observations écrites. Il y aura en outre un droit de retrait au bénéfice de la victime qui ne souhaiterait plus être informée.
L’information des victimes est parfaitement naturelle, leur participation aussi. En effet, dès lors que le projet de loi introduit des citoyens assesseurs dans le tribunal d’application des peines, il ne s’agit plus d’un débat de spécialistes. La victime doit donc pouvoir faire entendre sa voix.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Le droit des victimes n’est pas l’objet du présent texte. Cet amendement remettrait en cause un certain nombre de principes de notre procédure pénale. Informer la victime de toutes les mesures d’aménagement de peines demandées et l’associer au débat serait reconnaître qu’elle a un intérêt à la peine et à son exécution intégrale. Or, dans notre droit, la victime est une partie civile présente dans le procès pénal pour obtenir réparation de son préjudice. Elle a un intérêt à la déclaration de culpabilité, puisque celle-ci conditionne son droit à réparation, mais notre droit ne lui a jamais reconnu d’intérêt ni au prononcé, ni à l’exécution de la peine. Franchir ce pas serait reconnaître à la peine une fonction vindicative, de compensation de la souffrance de la victime. Ce serait un changement de nature radical de la justice pénale, qui excède largement le cadre de notre discussion.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement va un peu loin. En effet, depuis la loi Perben II de mars 2004, améliorée par la loi pénitentiaire de 2009, la place de la victime est reconnue de façon satisfaisante en matière d’application des peines. L’article 707 du code de procédure pénale pose le principe que l’exécution des peines respecte les droits des victimes. Les articles 712-16-1 et suivants prévoient qu’avant toute cessation de peine, le juge prend en compte les intérêts de la victime et recueille s’il y a lieu ses observations. Enfin, pour les libérations conditionnelles des peines supérieures à cinq ans, l’article 730 prévoit que l’avocat de la victime plaide devant la juridiction. La mise en œuvre de ces dispositions peut être améliorée, mais je ne pense pas qu’il faille modifier la loi.
M. Jean-Paul Garraud. J’étais le rapporteur de la loi pénitentiaire et fervent défenseur de ses dispositions en faveur des victimes. Depuis, j’ai encore évolué, comme nous tous – à commencer par la Cour européenne des droits de l’homme. Cet amendement ne donne aucun rôle vindicatif à la victime : il ne fait qu’assurer un débat contradictoire au niveau de l’application des peines.
La Commission rejette l’amendement CL 170.
Après avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL 180 de M. Bernard Gérard.
Article 9 bis
(art. 730-2 [nouveau], 720-5 et 729 du code de procédure pénale)
Renforcement des conditions du prononcé de la libération conditionnelle
pour les personnes condamnées à de longues peines
L’article 9 bis, ajouté par la commission des Lois du Sénat à l’initiative de son rapporteur M. Jean-René Lecerf, a pour objet de renforcer les conditions du prononcé de la libération conditionnelle pour les personnes condamnées à de longues peines. Pour ce faire, il crée dans le code de procédure pénale un nouvel article 730-2 qui procède à trois modifications des règles aujourd’hui applicables en matière de libération conditionnelle. Précisons, avant de présenter ces différentes modifications, que l’article 9 bis n’est pas introduit à titre expérimental et que l’article 31 du projet de loi prévoit qu’il sera applicable sur l’ensemble du territoire national à compter du 1er janvier 2012.
Préalablement à la présentation des modifications apportées aux règles d’octroi de la libération conditionnelle (2), il convient de présenter le champ d’application retenu par votre commission pour l’article 9 bis et les raisons qui ont conduit à retenir ce champ d’application (1).
Issu d’un amendement du rapporteur de la commission des Lois du Sénat M. Jean-René Lecerf adopté lors de l’examen en commission, l’article 9 bis dans le texte initialement adopté avait un champ d’application extrêmement large, puisqu’il devait s’appliquer à tout condamné à une peine d’une durée égale ou supérieure à dix ans.
L’adoption par le Sénat en séance publique d’un amendement du Gouvernement a ensuite réduit ce champ d’application aux personnes condamnées à une peine d’une durée égale ou supérieure à dix ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru. À l’appui de cette modification, le Gouvernement avait fait valoir que le renforcement des conditions de la libération conditionnelle – incluant l’évaluation de dangerosité (146) – était nécessaire pour « les personnes condamnées pour des infractions sexuelles ou violentes qu’il convient d’évaluer de manière renforcée avant leur éventuelle remise en liberté », mais qu’« une telle évaluation n’est pas indispensable pour tous les condamnés et sa généralisation risquerait d’entraîner un engorgement des structures actuelles ainsi que de celles que nous envisageons d’ouvrir » (147). En effet, la principale modification apportée par le présent article consiste dans l’extension du champ d’application de l’évaluation de dangerosité obligatoire préalablement à une libération conditionnelle. Or, si le développement de ces évaluations est évidemment souhaitable et nécessaire, il paraît toutefois opportun d’en limiter le caractère obligatoire à un niveau réaliste, afin de les réserver aux personnes présentant le risque de récidive le plus élevé.
Le champ d’application retenu par le Sénat, même après qu’il eut été ainsi réduit par l’amendement adopté en séance publique, aurait eu un impact considérable sur le nombre d’évaluations préalables qui auraient dû être accomplies chaque année, et donc sur le fonctionnement du Centre national d’évaluation (CNE) de Fresnes et du futur CNE de Réau dont l’ouverture est prévue à la fin de l’année 2011. Selon les informations communiquées à votre rapporteur par le Gouvernement, l’évaluation de dangerosité préalable à une libération conditionnelle a concerné 48 condamnés en 2008, 67 en 2009 et 36 en 2010, dont la durée de séjour au centre national d’évaluation (CNE) de Fresnes a été de six semaines. Au 1er janvier 2010, 7 248 condamnés pour une infraction susceptible de donner lieu au prononcé d’un suivi socio-judiciaire étaient écroués pour purger une peine d’une durée égale ou supérieure à dix ans. Au cours de l’année 2010, parmi ces 7 248 condamnés écroués, 560 ont bénéficié d’une libération conditionnelle. Bien que le nombre précis de demandes de libération conditionnelle déposées par cette catégorie de détenus ne soit pas connu, le Gouvernement estime à 50 % le taux d’obtention de libération conditionnelle : le nombre de demandes de libération conditionnelle formées peut donc être évalué, pour 2010, à 1 120. Ce sont donc plus de 1 000 personnes qui auraient dû, en 2010, faire l’objet d’une évaluation de dangerosité préalable à la libération conditionnelle, si le texte adopté par le Sénat pour l’article 9 bis avait été applicable – à rapporter aux 36 condamnés que le CNE a évalués en 2010.
Votre commission a donc estimé nécessaire de resserrer davantage le champ d’application de cet article, pour tenir compte du risque considérable de blocage des décisions de libération conditionnelle qu’aurait induit le seuil de peine prononcée retenu dans le texte adopté par le Sénat. Elle a donc adopté un amendement de votre rapporteur prévoyant que les dispositions de l’article 9 bis seront applicables aux personnes condamnées à une peine d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru. Toutefois, le seuil de peine prononcée a été maintenu à dix ans pour les personnes condamnées pour une infraction pour laquelle le placement en rétention de sûreté serait possible en application de l’article 706-53-13 (assassinat, meurtre, tortures ou actes de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration, lorsqu’ils ont été commis soit sur une victime mineure, soit avec une circonstance aggravante, soit en récidive).
La modification apportée par votre commission appelle deux précisions. Tout d’abord, ce « relèvement » du seuil de peine prononcée requis pour l’évaluation de dangerosité n’est un relèvement que par rapport au texte du Sénat, puisqu’il convient de ne pas oublier que le présent article étend le champ d’application de cette évaluation par rapport au droit positif.
En second lieu, cette remontée du seuil n’exclura évidemment pas, pour les condamnés pour lesquels l’évaluation ne sera pas rendue obligatoire, la possibilité pour l’autorité judiciaire d’ordonner une telle évaluation si elle l’estime nécessaire : l’article 712-16-1 du code de procédure pénale prévoit en effet que « Dans l’exercice de leurs attributions, les juridictions de l’application des peines peuvent procéder ou faire procéder, sur l’ensemble du territoire national, à tous examens, auditions, enquêtes, expertises, réquisitions, (…) permettant de rendre une décision d’individualisation de la peine ».
L’article adopté par votre commission permet donc de maintenir le champ d’application de l’évaluation obligatoire de dangerosité à un niveau réaliste, d’environ 500 à 600 détenus par an, selon informations communiquées par le Gouvernement, sans naturellement interdire aux autorités judiciaires d’ordonner une évaluation de dangerosité dans les cas où elle serait nécessaire même si la loi ne la prévoit pas à titre obligatoire.
Premièrement, l’article modifie la répartition des compétences entre juge et tribunal de l’application des peines en matière de libération conditionnelle, pour donner au TAP une compétence exclusive pour l’octroi d’une libération conditionnelle aux condamnés à de longues peines (a). Deuxièmement, il étend le champ d’application de l’évaluation de dangerosité préalable à une libération conditionnelle (b). Troisièmement, il renforce la progressivité de la mesure de libération conditionnelle (c).
a) Modification de la répartition des compétences entre juge et tribunal de l’application des peines pour l’octroi des mesures de libération conditionnelle
Aujourd’hui, aux termes de l’article 730 du code de procédure pénale, la libération conditionnelle des condamnés à des peines d’une durée inférieure ou égale à dix ans relève exclusivement de la compétence du juge de l’application des peines ; la libération conditionnelle des condamnés à une peine d’une durée supérieure à dix ans relève également de ce juge lorsque la durée de détention restant à subir est égale ou inférieure à trois ans. Dans les autres cas, c’est-à-dire lorsque la peine prononcée était d’une durée supérieure à dix ans et que le reliquat de peine est supérieur à trois ans, la compétence revient au TAP.
L’article adopté par le Sénat modifie cette répartition de compétences pour prévoir la compétence du TAP pour l’octroi de la libération conditionnelle lorsque, quelle que soit la durée de la détention restant à subir, la personne a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ou à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure soit à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, soit à dix ans pour une infraction pour laquelle le placement en rétention de sûreté serait possible.
Comme l’a souligné le rapport de la commission des Lois du Sénat, cette mesure « renforce la collégialité des décisions de libération conditionnelle » (148).
b) Extension du champ d’application de l’évaluation de dangerosité préalable à une libération conditionnelle
Actuellement, l’article 729 (dixième alinéa) du code de procédure pénale subordonne le bénéfice d’une libération conditionnelle, pour les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, à un « avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, rendu à la suite d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité réalisée dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues et assortie d’une expertise médicale » (149). En outre, lorsque le crime pour lequel la personne avait été condamnée est un crime « pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru », ce même article prévoit que l’expertise doit être « réalisée par deux experts et se prononce sur l’opportunité, dans le cadre d’une injonction de soins, du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido, mentionné à l’article L. 3711-3 du code de la santé publique » (150).
Le I du présent article étend le champ d’application de l’évaluation de la dangerosité et de l’appréciation de l’opportunité de mettre en place un traitement inhibiteur de la libido :
— actuellement préalable à la libération conditionnelle uniquement pour les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, la condition d’évaluation de la dangerosité sera dorénavant requise pour la libération conditionnelle de tout condamné à une peine d’une durée égale ou supérieure soit à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, soit à dix ans pour une infraction pour laquelle le placement en rétention de sûreté serait possible ;
— quant à l’appréciation de l’opportunité d’un traitement anti-libido, l’article adopté par le Sénat prévoit qu’elle sera obligatoire lorsque la personne a été condamnée pour un crime mentionné à l’article 706-53-13, c’est-à-dire un crime pour lequel un placement en rétention de sûreté à l’issue de la peine serait possible ; l’expertise médicale devra alors être « réalisée par deux experts et se prononce[r] sur l’opportunité, dans le cadre d’une injonction de soins, du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido, mentionné à l’article L. 3711-3 du code de la santé publique ».
Par coordination avec l’intégration de cette règle dans le nouvel article 730-2, le II de l’article 9 bis du projet de loi supprime la dernière phrase du dixième alinéa de l’article 729, devenue sans objet.
Enfin, le présent article renforce la progressivité de la libération conditionnelle en étendant le champ d’application du « sas » obligatoire, sous le régime de la semi-liberté ou du placement sous surveillance électronique fixe (PSE) ou mobile (PSEM), préalable à toute libération conditionnelle d’une personne entrant dans le champ du nouvel article 730-2.
Aujourd’hui, l’article 720-5 du code de procédure pénale subordonne la libération conditionnelle des personnes dont la condamnation est « assortie d’une période de sûreté d’une durée supérieure à quinze ans » à une période de placement préalable sous le régime de la semi-liberté ou de la surveillance électronique (PSE), pour une durée comprise entre un et trois ans. Cette disposition est actuellement applicable aux personnes condamnées à une peine de réclusion d’au moins vingt-trois ans : en effet, l’article 132-23 du code pénal limitant la durée maximale de la période de sûreté que peut expressément prononcer une cour d’assises par décision spéciale aux deux tiers de la peine ou à vingt-deux ans en cas de condamnation à la réclusion à perpétuité, la durée de la peine de réclusion des personnes dont la condamnation est « assortie d’une période de sûreté d’une durée supérieure à quinze ans » est, au minimum, de vingt-trois ans. Ces personnes peuvent également être placées sous surveillance électronique mobile, conformément à l’article 731-1 du code de procédure pénale (151).
Le présent article abaisse le seuil de peine requis pour l’application de ce sas obligatoire de placement en semi-liberté, sous PSE ou sous PSEM préalablement à la libération conditionnelle de tout condamné à une peine d’une durée égale ou supérieure soit à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, soit à dix ans pour une infraction pour laquelle le placement en rétention de sûreté serait possible.
Par coordination avec l’intégration de cette règle dans le nouvel article 730-2, le II de l’article 9 bis du projet de loi supprime l’article 720-5, devenu sans objet.
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement de suppression CL 136 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte l’amendement CL 233 du rapporteur.
Elle adopte enfin l’article 9 bis modifié.
La Commission rejette successivement, sur avis défavorable du rapporteur, les amendements CL 181 rectifié et CL 182 rectifié de M. Bernard Gérard.
Article 9 ter
(art. 731-1 du code de procédure pénale)
Assouplissement des conditions de mise en œuvre d’un placement sous
surveillance électronique mobile dans le cadre d’une libération conditionnelle
Le présent article, issu d’un amendement du Gouvernement adopté par la commission des Lois du Sénat, a pour objet d’assouplir les conditions dans lesquelles une mesure de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) peut être mise en œuvre dans le cadre d’une libération conditionnelle.
Actuellement, en application du deuxième alinéa de l’article 731-1 du code de procédure pénale, une personne qui avait été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru peut, lorsqu’elle fait l’objet d’une libération conditionnelle, « être également placée sous surveillance électronique mobile dans les conditions et selon les modalités prévues par les articles 763-10 à 763-14 ». Par le jeu du renvoi à l’ensemble des articles du titre du code de procédure pénale régissant le placement sous PSEM à titre de mesure de sûreté, le placement sous ce régime doit obligatoirement être précédé d’une évaluation de la dangerosité (prévu par l’article 763-10).
Or, comme l’a fort justement relevé le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, si « cette condition est nécessaire lorsque le PSEM est prononcé dans le cadre d’une surveillance judiciaire ou d’un suivi socio-judiciaire, mesures qui s’ajoutent à la peine, car il s’agit alors d’une garantie pour le condamné », il n’est en revanche « pas cohérent de prévoir une telle obligation lorsque le PSEM accompagne une mesure favorable au condamné telle que la libération conditionnelle ». C’est pour cette raison que le présent article, en réponse « à une demande des praticiens » selon le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, supprime la condition d’un examen de dangerosité préalable au prononcé d’un PSEM dans le cadre d’une libération conditionnelle (152).
Par ailleurs, par cohérence avec l’article 131-36-10 du code pénal (153), la nouvelle rédaction de l’article 731-1 prévue au présent article limite le champ d’application du PSEM prononcé dans le cadre d’une libération conditionnelle aux personnes condamnées à une peine d’au moins sept ans d’emprisonnement. La condition que l’infraction pour laquelle la condamnation a été prononcée doit être une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, prévue par l’article 731-1, est quant à elle conservée, en cohérence avec l’article 131-36-9 du code pénal qui définit le PSEM comme une mesure de sûreté pouvant être prononcée dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire (154).
Toutefois, l’effet de cette suppression de l’évaluation de dangerosité préalable à un placement sous PSEM dans le cadre d’une libération conditionnelle sera très largement atténué par l’extension du champ de cette évaluation préalable à toute mesure de libération conditionnelle que prévoit l’article 9 bis : en application de cet article, la libération conditionnelle d’une personne condamnée à une peine égale ou supérieure à dix ans sera obligatoirement précédée d’une évaluation de sa dangerosité. La combinaison des dispositions des articles 9 bis et 9 ter fera donc disparaître l’exigence d’une évaluation de dangerosité préalable pour les personnes condamnées à une peine comprise entre sept et neuf ans placées sous PSEM dans le cadre d’une libération conditionnelle, mais rendra cette évaluation obligatoire pour toute libération conditionnelle d’une personne condamnée à une peine de dix ans ou plus, que celle-ci soit ou non accompagnée d’un PSEM.
Par l’effet des dispositions du présent projet de loi, le recours à l’évaluation de dangerosité sera donc étendu préalablement à la libération conditionnelle des personnes condamnées à de lourdes peines de dix ans ou plus de privation de liberté.
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL 137 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL 13 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 9 ter modifié.
Article 9 quater A (nouveau)
(art. 131-36-11 du code pénal)
Assouplissement des conditions de placement sous surveillance
électronique mobile dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire
Issu d’un amendement de M. Bernard Gérard adopté par votre commission, l’article 9 quater A a pour objet d’assouplir les conditions du placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire.
Créée par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la possibilité d’ordonner un PSEM dans le cadre de la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire est encadrée par de très strictes conditions prévues aux articles 131-36-9 à 131-36-13 du code pénal. Ainsi, aux termes de l’article 131-36-10, le placement sous surveillance électronique mobile ne peut être ordonné qu’à l’encontre d’une personne majeure. Celle-ci doit avoir été condamnée à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à sept ans ou, lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit commis une nouvelle fois en état de récidive légale, d’une durée égale ou supérieure à cinq ans. Ensuite, une expertise médicale doit avoir constaté la dangerosité du condamné. Enfin, la mesure doit apparaître « indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend fin ».
L’article 131-36-11 prévoit une condition supplémentaire : le PSEM doit soit faire l’objet d’une motivation spéciale en matière correctionnelle, soit être décidé à la majorité qualifiée des deux tiers des voix en matière criminelle.
L’ensemble de ces conditions – extrêmement restrictives – qui entourent la décision de placement sous surveillance électronique mobile s’expliquent par des raisons historiques, liées à certaines réticences ou craintes qui avaient pu être exprimées lors de l’introduction dans notre arsenal juridique du PSEM. Cependant, après plusieurs années de pratique du PSEM, il apparaît que cette mesure, certes attentatoire à la liberté d’aller et venir, est une mesure proportionnée pour prévenir la récidive de personnes condamnées à de lourdes peines pour des infractions violentes. Dès lors, un certain assouplissement des conditions du placement sous PSEM dans le cadre du suivi socio-judiciaire apparaît aujourd’hui possible et souhaitable.
Tel est l’objet poursuivi par l’article adopté par votre commission qui, en abrogeant l’article 131-36-11, desserre de façon utile mais raisonnable les contraintes procédurales entourant le PSEM.
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Après avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL 183 de M. Bernard Gérard.
Article 9 quater
(art. 474, 741-1 [nouveau], 739, 763-3 et 763-7-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Amélioration de la continuité du suivi des condamnés
par les services pénitentiaires d’insertion et de probation
Issu de l’adoption par le Sénat, en séance publique, d’un amendement de la commission des Lois, le présent article a pour objet d’améliorer la continuité du suivi des condamnés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, par deux mesures. D’une part, il modifie l’article 474 du code de procédure pénale pour préciser que la convocation devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) d’un condamné à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis ou à une peine de TIG, vaut saisine de ce service (1). D’autre part, il crée dans le code de procédure pénale un nouvel article 741-1 prévoyant la remise aux personnes condamnées à une peine assortie d’un sursis partiel d’une convocation devant le SPIP dans un délai maximal de trente jours suivant leur libération (2). L’article a en outre été complété par votre commission par un amendement de M. Bernard Gérard, relatif aux modalités d’exécution des peines de sursis avec mise à l’épreuve (SME) et de suivi socio-judiciaire (3).
L’article 474 du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, prévoit que, en cas de condamnation d’une personne non incarcérée à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à deux ans ou pour laquelle la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à deux ans (155), un avis de convocation à comparaître devant le juge de l’application des peines en vue de déterminer les modalités d’exécution de la peine doit être remis au condamné présent à l’issue de l’audience. Le délai de cette convocation ne doit pas excéder trente jours (156).
Le dernier alinéa de l’article 474 rend ces dispositions également applicables « lorsque la personne est condamnée à une peine d’emprisonnement assortie du sursis avec mise à l’épreuve, à une peine d’emprisonnement avec sursis assortie de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général ou bien à une peine de travail d’intérêt général », mais prévoit que « Toutefois, dans ces hypothèses, le condamné n’est convoqué que devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation ».
L’objectif de cette disposition avait été présenté en ces termes par M. Jean-Luc Warsmann, alors rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et auteur de l’amendement par lequel elle avait été introduite : « [l’objectif est] de lutter contre les inexécutions de peine, en posant le principe que, dès lors qu’un tribunal a prononcé une peine de prison ferme de moins d’un an, le condamné sera convoqué dans les trente jours qui suivent devant le juge de l’application des peines. Nous pourrons ainsi limiter l’ensablement lié aux retards, parfois dus à la seule frappe, dans la mise à exécution des jugements et aux aléas de leur transmission par les parquets au juge de l’application des peines. La question de l’exécution des peines doit être posée dans la foulée du jugement » (157).
La mise en œuvre des dispositions de l’article 474, rendue possible par la généralisation des bureaux de l’exécution des peines (BEX) dans les tribunaux, a permis de réaliser certains progrès dans la mise à exécution de certaines peines, principalement pour les peines de TIG, même si la mise à exécution des peines d’emprisonnement ferme reste trop lente, voire dans certains cas aléatoire (158).
Toutefois, l’application sur le terrain du dernier alinéa de l’article 474 continue de poser un certain nombre de difficultés, en raison d’une interprétation erronée de sa signification qu’avait déjà relevée, en 2007, la mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale : « L’application de cette disposition a donné lieu, à ses débuts, à deux interprétations divergentes de la part des JAP. En effet, certains JAP ont estimé que les SPIP n’étaient pas effectivement saisis par cette convocation et qu’ils ne pouvaient commencer la mise à exécution de la peine prononcée avant d’avoir reçu l’ordonnance de saisine du magistrat. En revanche, d’autres JAP ont considéré que les SPIP étaient valablement saisis de l’exécution de la mesure par la convocation remise à la personne condamnée en application de l’article 474, alinéa 3 du code de procédure pénale.
« C’est bien cette dernière interprétation, conforme à l’intention du législateur, qui doit être retenue. Elle a été confirmée par le « Guide des bonnes pratiques entre le bureau de l’exécution des peines, le service de l’application des peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation », réalisé en concertation entre les services de la direction des affaires criminelles et des grâces, de la direction des services judiciaires et de la direction de l’Administration pénitentiaire, qui a été diffusé auprès des services intéressés en août 2007 : "L’article 474 du code de procédure pénale a modifié les modalités de saisine du SPIP en ce qui concerne les mesures alternatives à l’incarcération. Depuis le 1er janvier 2007, (…) la remise d’une convocation devant le SPIP permet de débuter sans délai et pleinement l’exécution de la mesure, ce qui est l’esprit même de la loi, visant une prise en charge rapide des condamnés à l’issue de l’audience" » (159).
Pourtant, malgré ce rappel par le ministère de la justice de la portée du dernier alinéa de l’article 474 du code de procédure pénale, certains JAP ont continué de considérer que le SPIP devant lequel était convoqué le condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis ou à une peine de TIG n’était pas valablement saisi, tant qu’ils n’avaient pas officiellement adressé d’ordonnance de saisine au service. Corollairement, certains SPIP ont continué d’estimer qu’ils ne pouvaient pas commencer la mise en œuvre de la mesure avant saisine par le JAP.
C’est pour mettre un terme définitif à cette mauvaise interprétation de la loi que le 1° du présent article complète le dernier alinéa de l’article 474 du code de procédure pénale pour prévoir que la convocation devant le SPIP d’un condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis ou à une peine de TIG a pour effet de saisir ce service de la mesure.
2. Remise aux personnes condamnées à une peine assortie d’un sursis partiel d’une convocation à comparaître devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation dans un délai maximal de huit jours
La continuité du suivi des personnes condamnées est un facteur essentiel dans la protection de la sécurité de nos concitoyens et la prévention de la récidive. Or, il arrive encore trop souvent qu’une personne condamnée à une peine assortie d’un sursis partiel avec mise à l’épreuve ne soit convoquée ni devant le JAP ni devant le SPIP pendant plusieurs semaines après sa libération. Comme l’a relevé le rapporteur de la commission des Lois du Sénat dans l’exposé des motifs de l’amendement adopté par le Sénat, « en cas de peines d’emprisonnement assorties en partie du sursis avec mise à l’épreuve, il est important qu’il n’y ait pas d’interruption dans le suivi du condamné au moment de sa libération » (160).
Toutes les ruptures dans le suivi des personnes placées sous main de justice sont extrêmement préjudiciables et doivent être, autant que faire se peut, combattues, dans le but de garantir une exécution pleinement effective des peines exécutées en milieu ouvert. En effet, si les peines alternatives à l’emprisonnement et les peines d’emprisonnement aménagées sont des outils efficaces et nécessaires pour prévenir la récidive, ce n’est qu’à la condition que le suivi et le contrôle qu’elles supposent soient effectivement et rapidement assurés par les services de l’application des peines des tribunaux et par les SPIP.
C’est pour lutter contre ces interruptions de suivi que le 2° du présent article insère dans le code de procédure pénale un nouvel article 741-1, prévoyant que tout condamné à une peine d’emprisonnement assortie pour partie du sursis avec mise à l’épreuve devra se voir remettre avant sa libération un avis de convocation à comparaître devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation.
Le Sénat avait fixé le délai maximal de cette convocation à trente jours. Votre commission a adopté un amendement de Mme George Pau-Langevin abaissant ce délai maximal de convocation à huit jours. Ce délai apparaît suffisamment bref pour garantir la continuité du suivi, mais réaliste, la remise de la convocation pouvant être anticipée par l’antenne de milieu fermé du SPIP avant la libération du condamné.
Comme le prévoira désormais le dernier alinéa de l’article 474, ce nouvel article 741-1 prévoira également expressément, afin de prévenir tout risque de mésinterprétation, que « Le service d’insertion et de probation est alors saisi de la mesure de sursis avec mise à l’épreuve ».
Votre commission a adopté un amendement de M. Bernard Gérard complétant l’article 9 quater comportant un double objet.
D’une part, les nouveaux 3° et 4° modifient les articles 739 et 763-3 du code de procédure pénale afin de permettre au juge de l’application des peines, lorsqu’une personne condamnée à un SME ou à un suivi socio-judiciaire doit exécuter cette mesure à la suite d’une peine privative de liberté, de modifier les obligations qui lui sont imposées pendant son incarcération, c’est-à-dire avant le début de la mesure. Cette possibilité permettra notamment, dans le cas où figure parmi les obligations du condamné une interdiction de rencontrer la victime, que soit pris en compte un changement de résidence de celle-ci dans la définition des zones géographiques que le condamné n’est pas autorisé à fréquenter.
D’autre part, le 5° crée dans le code de procédure pénale un nouvel article 763-7-1 prévoyant – à l’instar du dispositif prévu au 2° du présent article pour les condamnés à un SME partiel – la remise au condamné à une peine de suivi socio-judiciaire, avant sa libération, d’une convocation à comparaître devant le JAP ou le SPIP dans un délai maximal de huit jours. Cette disposition permettra ainsi une prise en charge rapide du condamné à un suivi socio-judiciaire lorsque cette mesure s’exécute après une peine privative de liberté.
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La Commission est saisie de l’amendement CL 138 de Mme George Pau-Langevin.
M. le rapporteur. L’amendement a pour objet de ramener le délai de convocation devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation du condamné bénéficiant d’une mesure de sursis avec mise à l’épreuve de trente à deux jours. Ce délai de deux jours serait vraiment trop court. Si vous pouviez le porter à huit jours, je pourrais y être favorable.
Mme George Pau-Langevin. D’accord. Je le rectifie en ce sens.
M. le garde des Sceaux. Même huit jours, cela sera difficile.
M. le rapporteur. Le SPIP peut anticiper, puisqu’il connaît la date de sortie du condamné.
La Commission adopte l’amendement CL 138 rectifié.
Elle adopte aussi l’amendement CL 184 de M. Bernard Gérard.
Elle adopte enfin l’article 9 quater modifié.
Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL 173 de M. Marc Le Fur.
Article 9 quinquies (nouveau)
(art. 712-16-2 du code de procédure pénale)
Information de la victime d’une infraction sexuelle ou violente
de la libération du condamné à l’échéance de sa peine
Issu de l’adoption par votre commission d’un amendement de M. Marc Le Fur, le présent article prévoit le droit pour la victime d’une infraction sexuelle ou violente qui en a formé la demande d’être informée de la libération du condamné à l’échéance de sa peine.
Depuis la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale, le code de procédure pénale comprend un article 712-16-2 prévoyant l’obligation pour les juridictions de l’application des peines d’assortir toute décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l’incarcération d’une interdiction d’entrer en relation avec la victime ou la partie civile et, le cas échéant, de paraître à proximité de son domicile et de son lieu de travail s’il existe un « risque que le condamné puisse se trouver en présence de la victime ou de la partie civile et qu’au regard de la nature des faits ou de la personnalité de l’intéressé il apparaît qu’une telle rencontre paraît devoir être évitée ».
L’article donne au prononcé de cette interdiction un caractère obligatoire, sauf décision contraire spécialement motivée, lorsque la personne a été condamnée pour l’une des infractions sexuelles ou violentes visées à l’article 706-47 (161).
La juridiction doit informer la victime de cette interdiction et lui indiquer les conséquences susceptibles de résulter pour le condamné du non-respect de cette interdiction. Toutefois, le texte prévoit la possibilité pour la juridiction de ne pas adresser cet avis « lorsque la personnalité de la victime ou de la partie civile le justifie, lorsque la victime ou la partie civile a fait connaître qu’elle ne souhaitait pas être avisée des modalités d’exécution de la peine ou dans le cas d’une cessation provisoire de l’incarcération du condamné d’une durée ne pouvant excéder la durée maximale autorisée pour les permissions de sortie ».
L’article 9 quinquies adopté par votre commission complète ces dispositions afin de faire obligation au JAP ou au SPIP d’informer la victime ou la partie civile préalablement à la libération de l’auteur de d’une infraction sexuelle ou violente visée à l’article 706-47, dès lors qu’elle en a fait la demande, lorsque cette libération intervient à la date d’échéance de la peine. Ce ne sera donc plus uniquement lorsque sera prise une décision de libération anticipée dans le cadre d’un aménagement de peine que la victime sera informée de la sortie de prison du condamné, mais également préalablement à sa sortie définitive à l’échéance de sa peine si ce condamné n’a pas bénéficié d’une mesure d’aménagement. Cette disposition améliorera la protection accordée aux victimes d’infractions sexuelles ou violentes, en leur évitant le désagrément de rencontrer inopinément leur agresseur.
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Après avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL 175 de M. Marc le Fur.
Article 9 sexies (nouveau)
(art. 745 [nouveau] du code de procédure pénale)
Information de la victime de la date de fin d’une mesure de mise à l’épreuve lorsque celle-ci comportait une interdiction de la rencontrer
Issu – comme l’article 9 quinquies – de l’adoption par votre commission d’un amendement de M. Marc Le Fur, l’article 9 sexies crée le droit pour la victime ou la partie civile d’être informée de la date de la fin d’une mesure de mise à l’épreuve lorsque celle-ci comportait une interdiction faite au condamné de la rencontrer.
L’article crée dans le code de procédure pénale un nouvel article 745 prévoyant que lorsque le condamné à une peine d’emprisonnement assortie du sursis avec mise à l’épreuve doit satisfaire à l’obligation de s’abstenir de paraître dans en un lieu ou une zone spécialement désignée, afin d’éviter un contact avec la victime ou la partie civile, ou à l’obligation de s’abstenir d’entrer en relation avec la victime ou la partie civile, le juge de l’application des peines ou le service pénitentiaire d’insertion ou de probation doit aviser celle-ci, directement ou par l’intermédiaire de son avocat, de la date de fin de la mise à l’épreuve.
Toutefois, le texte prévoit que cet avis ne sera pas adressé lorsque la victime ou la partie civile aura fait connaître qu’elle ne souhaitait pas être avisée des modalités d’exécution de la peine.
Comme l’article 9 quinquies, cette disposition améliorera la protection accordée aux victimes d’infractions sexuelles ou violentes, en leur évitant le désagrément de rencontrer inopinément leur agresseur.
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Après avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL 174 de M. Marc le Fur.
TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AU JUGEMENT DES MINEURS
Chapitre Ier
Dispositions générales
La Commission examine l’amendement CL 164 de Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Cet amendement, déjà déposé lors de la loi Dati, vise à remédier aux manques actuels en matière de prévention et de sanction précoces pour les mineurs.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Cela relèverait de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.
La Commission rejette l’amendement.
Elle est saisie de l’amendement CL 162 de Mme Delphine Batho.
M. le rapporteur. Il s’agit de fixer un délai maximal pour le prononcé du jugement à trois mois après l’audience. Il faudrait trouver une meilleure rédaction d’ici la séance, en prévoyant des exceptions pour les affaires complexes.
M. le président Jean-Luc Warsmann. Trois mois, cela peut être très long pour une affaire simple, mais trop court dans quelques cas.
L’amendement est retiré.
Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL 163 de Mme Delphine Batho.
Puis elle est saisie de l’amendement CL 166 de Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. C’est une demande de rapport qui me permet de réitérer ma question de la semaine dernière sur l’encadrement militaire des mineurs délinquants. On sait le travail fait par l’EPIDE, l’établissement public d’insertion de la défense, dans le cadre du dispositif « Défense deuxième chance », qui a fait pleinement apparaître le savoir-faire de l’armée en matière de pédagogie et de transmission de repères structurants. La commune de La Rochelle a proposé une expérimentation sur les sites de la ville abandonnés par l’armée. Qu’en pensez-vous, monsieur le garde des Sceaux ?
M. le garde des Sceaux. J’ai un a priori plutôt favorable, et après votre question de la semaine dernière, j’ai demandé à la protection judiciaire de la jeunesse de m’indiquer le nombre d’éducateurs nécessaires. Je connais bien le travail de l’EPIDE, mais je rappelle qu’il ne concerne que des volontaires. Le système que vous proposez est tout à fait différent. Il n’est d’ailleurs pas sûr que nous disposions des moyens militaires suffisants. Vous aurez une réponse pour la séance.
Mme George Pau-Langevin. Le service militaire adapté, outre-mer, obtient aussi des résultats remarquables. Il prend en charge des jeunes en échec grave, les encadre et les aide à acquérir des compétences, voire des qualifications qui auraient été inenvisageables autrement. Il pourrait être intéressant de réfléchir sur ce modèle.
M. le président Jean-Luc Warsmann. Et ces qualifications sont très appréciées dans le monde professionnel.
M. le rapporteur. Ce que vous proposez est une mesure de placement sous main de justice, qui porte atteinte aux libertés. L’expérimentation devrait donc être plus encadrée par la loi. En outre, pour être conforme à la Constitution, elle devrait être limitée dans le temps, et sa nature et sa portée devraient être définies plus précisément.
La Commission rejette l’amendement CL 166.
Article 10
(art. 1er de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Coordination avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs
Le présent article opère, dans l’article 1er de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante qui énumère les juridictions pour mineurs dont relèvent les mineurs auteurs de crimes ou de délits, une coordination avec la création, par l’article 29 du présent projet de loi, d’une nouvelle juridiction : le tribunal correctionnel pour mineurs (162).
Le Sénat n’avait pas modifié cet article.
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement de suppression CL 141 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte l’article 10 sans modification.
Article 11
(art. 2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Possibilité de cumuler une sanction éducative avec une peine d’amende,
de travail d’intérêt général ou d’emprisonnement avec sursis
Le présent article a pour objet principal de permettre de prononcer cumulativement une sanction éducative et une peine d’amende, de travail d’intérêt général et d’emprisonnement avec sursis (2° de l’article). Il procède en outre, comme l’article 10, à une coordination avec la création par l’article 29 du présent projet de loi du tribunal correctionnel pour mineurs (1° et 3° de l’article).
La possibilité de prononcer cumulativement une sanction éducative avec certaines peines s’inspire de la proposition n° 34 formulée par la commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Comme l’avait relevé la commission présidée par le Recteur André Varinard, « l’article 2 de l’ordonnance de 1945 ne pose pas clairement une interdiction de cumul entre une mesure éducative et une peine », mais cet article a été interprété comme interdisant ce cumul en raison « de ce que les lois postérieures [ont] clairement affirmé les cas de cumul possibles » (163). Ainsi, trois lois de 1974, 2002 et 2004 ont successivement prévu la possibilité que la liberté surveillée soit prononcée par le tribunal pour enfants comme mesure accessoire à une peine (article 19 de l’ordonnance du 2 février 1945), puis la possibilité qu’une mesure éducative de remise à parent, de liberté surveillée ou de placement se cumule avec une peine d’emprisonnement assortie du sursis avec mise à l’épreuve ou du sursis assorti de l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général (article 20-10 de cette même ordonnance) (164).
Après avoir rappelé que le débat sur la possibilité de cumuler peine et sanction éducative ne devait pas remettre en cause « le caractère subsidiaire de la peine », ce qui « présenterait l’inconvénient de mettre à mal le principe de primauté de l’éducatif et d’entraver la déclinaison du principe de progressivité, sinon de la cohérence, de la réponse pénale », la commission Varinard avait estimé nécessaire de « permettre à une juridiction pour mineurs à qui il a semblé nécessaire de prononcer une peine, d’y joindre une sanction éducative, ce qui n’est pas actuellement toujours possible ». La proposition n° 34 formulée par la commission consistait donc à instituer la « possibilité de cumuler, dans toutes les hypothèses, les sanctions éducatives et les peines » (165).
La mesure retenue par le Gouvernement dans le présent projet de loi va toutefois moins loin que la proposition qu’avait formulée la commission Varinard, puisque le cumul des sanctions éducatives et des peines ne serait possible qu’avec les peines « d’amende, de travail d’intérêt général ou d’emprisonnement avec sursis ». Le cumul de la sanction éducative et de la peine serait donc exclu en cas de peine de stage de citoyenneté (prévue à l’article 20-4-1 de l’ordonnance) (166), mais aussi et surtout en cas de peine d’emprisonnement sans sursis.
Comme l’a relevé l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, cette mesure permettra de « mieux concilier la nécessité d’une réponse judiciaire à l’acte commis et le souci d’une démarche éducative adaptée à la personnalité du mineur », en offrant « une plus grande souplesse et diversité dans la réponse pénale à disposition des juridictions des mineurs et [en permettant] ainsi de mieux adapter la décision à la personnalité du mineur et à la gravité de l’infraction » (167).
Le Sénat n’avait pas modifié cet article.
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement de suppression CL 142 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte l’article 11 sans modification.
Article 12
(art. 3, 6 et 8 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Coordinations avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs
Le présent article procède, dans les articles 3, 6 et 8 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, à des coordinations avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs par l’article 29 du présent projet de loi.
Le Sénat n’avait pas modifié cet article.
La Commission adopte l’article sans modification.
Article 13
(art. 5 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Coordinations avec les modifications apportées par le projet de loi
en matière de modes de poursuites des mineurs
Le présent article a pour objet d’apporter, à l’article 5 de l’ordonnance du 2 février 1945 qui définit les différents modes de poursuites à la disposition du parquet concernant les mineurs, des coordinations avec les modifications apportées par le projet de loi en matière de modes de poursuites.
LES DIFFÉRENTES MODALITÉS DE POURSUITES APPLICABLES AUX MINEURS
L’article 5 de l’ordonnance énumère les différentes modalités procédurales selon lesquelles un mineur peut aujourd’hui être poursuivi pour une infraction qu’il est suspecté d’avoir commise :
— en matière criminelle, comme pour les majeurs, le premier alinéa prévoit qu’« Aucune poursuite ne pourra être exercée en matière de crime contre les mineurs sans information préalable » ;
— en matière délictuelle, le ministère public dispose d’un choix entre plusieurs alternatives, selon la nature et la gravité des faits et la nécessité d’investigations supplémentaires sur les faits et la personnalité du mineur :
● saisir soit le juge d’instruction, soit par voie de requête le juge des enfants, à fin d’ouverture d’une information (première phrase du deuxième alinéa) ;
● saisir le tribunal pour enfants en vue d’une procédure de présentation immédiate devant la juridiction pour mineurs (seconde phrase du deuxième alinéa) ; prévue par l’article 14-2 de l’ordonnance, cette procédure n’est applicable qu’aux mineurs de seize à dix-huit ans, qui encourent une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à un an en cas de flagrance, ou supérieure ou égale à trois ans dans les autres cas, et ne peut être engagée « que si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et que si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies, le cas échéant, à l’occasion d’une procédure antérieure de moins d’un an » ;
● faire remettre au mineur « contre lequel il existe des charges suffisantes d’avoir commis un délit », par l’officier de police judiciaire, une convocation à comparaître devant le juge des enfants aux fins de jugement en application de l’article 8-1 de l’ordonnance : c’est la procédure dite de COPJ aux fins de jugement par le juge des enfants (troisième alinéa de l’article 5). Cet alinéa précise que cette convocation vaut « citation à personne » et entraîne « l’application des délais prévus à l’article 552 du code de procédure pénale », qui fixe un délai minimal de dix jours entre le jour où la citation est délivrée et le jour fixé pour la comparution (168). Toutefois, dans ce cadre, le juge des enfants ne peut que relaxer le mineur, le dispenser de peine, prononcer une mesure éducative ou renvoyer l’affaire à une prochaine audience dans un délai maximal de six mois si les investigations sur la personnalité du mineur ne sont pas suffisantes. L’avant-dernier alinéa de l’article 5 prévoit que, dans le cadre de cette procédure, la victime doit être « avisée par tout moyen de la date de comparution du mineur devant le juge des enfants », ce afin de pouvoir faire valoir son droit à indemnisation en temps utile ;
● faire convoquer, également par le biais d’une convocation remise par officier de police judiciaire, le mineur devant le juge des enfants en vue de sa mise en examen (dernier alinéa) ;
● enfin, bien que cette possibilité ne soit pas expressément visée à l’article 5, mettre en œuvre la procédure de comparution à délai rapproché prévue à l’article 8-2. Le suivi de cette procédure, qui requiert que des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur aient été effectuées, le cas échéant à l’occasion d’une précédente procédure, et que des investigations sur les faits ne soient pas ou plus nécessaires, permet au parquet de « requérir du juge des enfants qu’il ordonne la comparution de mineurs soit devant le tribunal pour enfants, soit devant la chambre du conseil, dans un délai compris entre un et trois mois ».
Le projet de loi poursuivant un objectif d’« adaptation de la réponse pénale à la délinquance des mineurs » et de « simplification des nombreux modes de poursuites prévues par l’ordonnance du 2 février 1945 » (169), il contient à l’article 17 deux mesures consistant, d’une part, à supprimer l’article 8-1 relatif à la convocation par OPJ aux fins de jugement, et, d’autre part, à créer un nouvel article 8-3 instituant une procédure de convocation par OPJ devant le tribunal pour enfants (170).
Le présent article opère, dans l’article 5 de l’ordonnance du 2 février 1945, les coordinations rendues nécessaires par la suppression de l’article 8-1 et par la création d’une nouvelle voie de poursuite prévue dans le nouvel article 8-3 :
— le 1° de l’article complète le deuxième alinéa, qui jusqu’ici visait la saisine du juge d’instruction ou du juge des enfants et la procédure de présentation immédiate, pour mentionner la nouvelle modalité de convocation prévue à l’article 8-3 ;
— le 2° supprime, dans le troisième alinéa, la référence à l’article 8-1, supprimé par l’article 17, et la remplace par une référence à la convocation par OPJ devant le juge des enfants à fin de mise en examen. En conséquence, le dernier alinéa de l’article 8-1, qui visait cette convocation à fin de mise en examen, est supprimé par le 3°.
En outre, le 3° supprime également le huitième alinéa de l’article 5 qui prévoit l’information de la victime sur la date de comparution du mineur devant le juge des enfants. Toutefois, estimant que cette disposition était utile mais qu’elle devrait s’appliquer à l’ensemble des juridictions pour mineurs et qu’elle trouverait mieux sa place dans l’article 6 de l’ordonnance, qui traite de l’exercice de l’action civile devant les juridictions pour mineurs, la commission des Lois du Sénat a adopté, à l’initiative de son rapporteur, un nouvel article 14 bis réintroduisant cette information de la victime (171).
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La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL 14 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article modifié.
Article 14
(art. 5-1 et 5-2 [nouveaux] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Principe de la réalisation d’investigations de personnalité
préalablement à toute décision concernant un mineur –
Création d’un dossier unique de personnalité
Dans l’objectif de « réduire les délais de jugement tout en préservant le principe de la connaissance de la personnalité du mineur par la juridiction de jugement » (172), le présent article crée deux nouveaux articles 5-1 et 5-2 dans l’ordonnance du 2 février 1945 : l’article 5-1 affirme le principe de la réalisation d’investigations de personnalité préalablement à toute décision concernant un mineur, tandis que l’article 5-2 institue le dossier unique de personnalité.
1. Principe de la réalisation d’investigations de personnalité préalablement à toute décision concernant un mineur
Outre qu’elle est une exigence de bon sens, la connaissance de la personnalité d’un mineur préalablement au prononcé à son encontre d’une décision pénale est aussi une exigence constitutionnelle. Dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 sur la loi d’orientation et de programmation pour la justice, le Conseil constitutionnel avait considéré que « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées » constituaient un principe fondamental reconnu par les lois de la République (173). Or, plus récemment, le Conseil a considéré qu’une connaissance suffisante de la personnalité du mineur est une condition nécessaire à la recherche de son relèvement éducatif et moral. En effet, dans sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 relative à la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de ce texte qui permettait au procureur de la République de poursuivre directement un mineur devant le tribunal pour enfants, en considérant qu’elle « ne garantiss[ait] pas que le tribunal disposera d’informations récentes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral », et que, par suite, elle « méconnaiss[ait] les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs » (174).
Le nouvel article 5-1, dans le texte adopté par le Sénat, transcrit dans la loi cette exigence constitutionnelle de connaissance de la personnalité du mineur. Ainsi, cette nouvelle disposition insérée dans le chapitre « Dispositions générales » de l’ordonnance du 2 février 1945 dispose-t-elle que, « avant toute décision prononçant des mesures de surveillance et d’éducation ou, le cas échéant, une sanction éducative ou une peine à l’encontre d’un mineur pénalement responsable d’un crime ou d’un délit doivent être réalisées les investigations nécessaires pour avoir une connaissance suffisante de sa personnalité et de sa situation sociale et familiale ».
Votre commission a, à l’initiative de votre rapporteur, complété cet article pour prévoir que la réalisation des investigations sur la personnalité du mineur avait aussi pour objectif d’« assurer la cohérence des décisions pénales dont il fait l’objet ».
Se trouvent ainsi consacrés dans cet article deux principes fondamentaux de la justice des mineurs que la commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante avait préconisé d’inscrire dans la loi : le principe de connaissance suffisante la personnalité du mineur, d’une part, et le principe de cohérence de la réponse pénale, d’autre part.
— Origine et objectif du dossier unique de personnalité
Si la connaissance de la personnalité du mineur est une exigence constitutionnelle qui s’applique aux dispositions régissant la justice des mineurs, force est cependant de constater que, en pratique aujourd’hui, la connaissance de la personnalité du mineur préalablement à la prise d’une décision pénale le concernant n’est pas toujours suffisante. La commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante décrivait ainsi la situation : « Actuellement, un mineur peut faire l’objet de plusieurs mesures d’investigations sur la personnalité ordonnées dans des procédures pénales différentes, voire dans des procédures d’assistance éducatives. Ces mesures concurrentes et quelque fois contradictoires sont mal comprises par le mineur et sa famille, perturbent le travail des services éducatifs et nuisent à la cohérence de la réponse pénale. En outre, les éléments de personnalité se limitent dans de très nombreuses hypothèses, et surtout dans le cas de présentation immédiate ou des convocations par officier de police judiciaire, au simple recueil de renseignements socio-éducatifs réalisés dans l’urgence par le service éducatif auprès du tribunal ou la permanence éducative. » (175).
C’est afin de remédier à ces lacunes que la commission présidée par le Recteur André Varinard avait proposé de créer un dossier unique de personnalité (DUP) : « Ce dossier sera ouvert lors de la première saisine du juge des mineurs au pénal ou du juge d’instruction pour chaque mineur. Il sera tenu par le greffe du tribunal des mineurs du domicile habituel du mineur. Seront versés à ce dossier les éléments des procédures alternatives aux poursuites, les mesures ordonnées dans le cadre des diverses procédures pénales ainsi que les expertises, les mesures d’investigations et toutes autres pièces du dossier d’assistance éducative que le juge estimerait nécessaire. Ce dossier sera supprimé lorsque le mineur atteindra sa majorité ou à l’échéance des mesures ou des peines si elles dépassent la majorité » (176).
Le présent article met en œuvre cette proposition, en créant dans l’ordonnance du 2 février 1945 un nouvel article 5-2 instituant ce dossier de personnalité.
— Contenu du dossier unique de personnalité
Le contenu du DUP est défini par les deux premiers alinéas du nouvel article 5-2, aux termes desquels ce dossier aura vocation à recueillir « l’ensemble des éléments relatifs à la personnalité d’un mineur recueillis au cours des enquêtes dont il fait l’objet, y compris dans le ressort de juridictions différentes », ainsi que, « le cas échéant, les investigations relatives à sa personnalité et à son environnement social et familial accomplies lors des procédures d’assistance éducative dont il a pu faire l’objet ».
Le dossier sera « actualisé par les investigations menées dans la procédure pénale en cours et par les éléments de procédures d’assistance éducative et pénales postérieures ».
— Ouverture, contrôle et utilisation du dossier unique de personnalité
Le dossier, qui sera « placé sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants qui connaissent habituellement de la situation du mineur », devra être « ouvert dès qu’une mesure d’investigation sur la personnalité est ordonnée ou si le mineur fait l’objet d’une liberté surveillée préjudicielle, d’un placement sous contrôle judiciaire, d’une assignation à résidence avec surveillance électronique ou d’un placement en détention provisoire ». En effet, comme l’a fort justement souligné le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, « environ 70 % des mineurs commettant une infraction ne réitér[ent] pas. Il n’est donc pas utile, pour ces mineurs, de prévoir l’ouverture obligatoire d’un DUP ». C’est la raison pour laquelle l’article a prévu que le DUP ne serait « pas ouvert systématiquement à l’encontre de tout mineur faisant l’objet d’une mise en cause par les services de police ou de gendarmerie : serait en effet exclue l’ouverture obligatoire d’un dossier unique de personnalité lorsque l’infraction, de faible gravité, donne lieu à une simple mesure alternative aux poursuites ou à une admonestation par le juge des enfants » (177).
Le texte adopté par le Sénat prévoit que le dossier, qui sera actualisé par les éléments de procédures d’assistance éducative et pénales, sera « versé au dossier de chacune de ces procédures ». Cette dernière précision résulte de l’adoption par la commission des Lois du Sénat d’un amendement de son rapporteur, visant à ce que « le DUP puisse être utilisé, non seulement au soutien des éventuelles procédures pénales ouvertes postérieurement, mais également en appui des procédures d’assistance éducative ordonnées par le juge des enfants statuant au civil » (178).
Par ailleurs, le dernier alinéa du nouvel article 5-2 limite l’utilisation du dossier aux « procédures suivies devant les juridictions pour mineurs ». Le DUP, qui sera alimenté par l’ensemble des informations recueillies au sujet du mineur que ce soit dans un cadre pénal ou dans un cadre civil, pourra donc apporter des éléments d’information tant dans les procédures pénales que civiles, mais uniquement devant les juridictions pour mineurs. Il pourra être utilisé par le juge des enfants, le tribunal pour enfants, le nouveau tribunal correctionnel pour mineurs et la cour d’assises des mineurs pour les infractions commises par le mineur, y compris s’il est jugé après sa majorité, mais il ne pourra pas être utilisé par les juridictions pour majeurs pour les faits commis après la majorité.
— Accès au dossier unique de personnalité
Le texte adopté par le Sénat prévoyait que l’accès au DUP serait réservé « aux avocats, aux professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse et aux magistrats saisis de la procédure ». Votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur visant à prévoir expressément que l’accès aux informations contenues dans le dossier unique de personnalité est ouvert aux avocats de l’ensemble des parties, c’est-à-dire à ceux « du mineur, de ses père et mère, tuteur ou représentant légal, et de la partie civile ». Cette définition de la liste des personnes pouvant accéder de plein droit au dossier permet, selon les termes du rapporteur de la commission des Lois du Sénat M. Jean-René Lecerf, de « définir un équilibre entre, d’une part, son accessibilité à l’ensemble des professionnels intervenant dans la procédure, et, d’autre part, le principe de confidentialité qui irrigue le droit pénal des mineurs » (179).
Par ailleurs, le Sénat a adopté en séance publique un amendement de la commission des Lois ayant pour objet d’élargir les possibilités d’accès au DUP, en prévoyant que « le juge des enfants peut également autoriser sa consultation par les personnels du service ou de l’établissement du secteur associatif habilité saisi d’une mesure judiciaire concernant le mineur ». À l’appui de cette modification, le rapporteur de la commission des Lois du Sénat M. Jean-René Lecerf a fait valoir qu’il était nécessaire « d’autoriser également les personnels du service associatif habilité auquel aurait été confié le mineur à prendre directement connaissance des informations contenues dans le dossier, sans avoir à passer par l’intermédiaire de la PJJ. Ces personnels seront en effet d’autant mieux à même de prendre en charge le mineur qu’ils auront connaissance de l’ensemble des informations utiles sur sa personnalité et sur son environnement social et familial » (180).
— Confidentialité et conservation des informations contenues dans le dossier unique de personnalité
Estimant que les garanties de confidentialité entourant l’accès au dossier devaient être renforcées, le Sénat a apporté plusieurs modifications au dispositif initial :
● Premièrement, a été ajouté par la commission des Lois du Sénat, à l’initiative de son rapporteur, un alinéa prévoyant que « Les informations contenues dans le dossier unique de personnalité sont confidentielles » et qu’« Il ne peut être délivré de copie de tout ou partie des pièces qu’il comprend ». Le rapporteur a justifié cet ajout en faisant valoir que « cette restriction – somme toute limitée – au droit des parties à accéder à l’ensemble des pièces de la procédure était justifiée par la nature éminemment sensible des informations contenues dans le DUP ainsi que par la nécessité de protéger la vie privée du mineur » (181).
● Deuxièmement, afin de garantir le respect de la confidentialité des informations contenues dans le DUP par les personnels du secteur associatif habilité qui y auront accès sur autorisation du juge des enfants, le texte adopté par le Sénat prévoit expressément que « Tout personnel du secteur associatif habilité ayant pris connaissance du dossier unique de personnalité est tenu au secret professionnel sous les peines et dans les conditions prévues par les articles 226-13 et 226-14 du code pénal ».
● Troisièmement, le Sénat a adopté en séance publique un amendement de M. Jacques Mézard prévoyant qu’« Un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés fixe les conditions dans lesquelles [le dossier] est conservé après la majorité du mineur ». À l’appui de cette modification, qui avait reçu des avis favorables de la commission des Lois du Sénat et du Gouvernement, M. Mézard a fait valoir que « l’archivage du dossier peut (…) être utile, car il peut servir à éclairer une autre juridiction sur la personnalité de l’ancien mineur, si celui-ci est poursuivi ou même victime dans une procédure ultérieure. Comme pour le dossier d’assistance éducative, il nous paraît utile de prévoir une procédure de conservation qui soit strictement encadrée, par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés » (182).
● Enfin, la commission des Lois du Sénat a, à l’initiative de son rapporteur, prévu de sanctionner d’une amende de 3 750 € « le fait, pour une partie à la procédure, de faire état auprès d’un tiers des informations contenues dans le dossier unique de personnalité ». Cette peine d’amende, de nature délictuelle (183), est la même que celle prévue à l’article 114-1 du code de procédure pénale en cas de diffusion par une partie auprès d’un tiers à de pièces ou d’actes d’une procédure d’instruction dont elle a obtenu une reproduction en application de l’article 114 du même code.
Votre commission a estimé que les garanties de confidentialité entourant l’accès au dossier unique de personnalité devaient encore être renforcées, notamment pour protéger le droit de la famille au respect de sa vie privée et ce que les professionnels de l’enfance désignent sous le terme de « secrets de famille ». Ainsi, votre commission a-t-elle adopté deux amendements de votre rapporteur prévoyant :
— d’une part, que les avocats de la partie civile ne pourront avoir accès aux informations issues d’investigations accomplies lors des procédures d’assistance éducative dont le mineur a fait l’objet. Cette modification tient compte du fait qu’il pourrait être inopportun que des informations relatives à des « secrets de famille » puissent être connues de la partie civile, qui est parfois un proche ou un voisin du mineur poursuivi ;
— d’autre part, que la faculté pour les avocats et les parties de disposer de reproductions de pièces du dossier serait soumise à des conditions particulières définies à l’article 5-2 de l’ordonnance. Le texte adopté par votre commission s’inspire des règles prévues en matière d’assistance éducative par l’article 1187 du code de procédure civile. Ainsi, il ne pourra être délivré de copie de tout ou partie des pièces qu’il comprend qu’aux seuls avocats, pour leur usage exclusif. Le texte adopté permet aux avocats des parties de « transmettre une reproduction des copies ainsi obtenues exclusivement au mineur capable de discernement, à ses père et mère, tuteur ou représentant légal du mineur », qui devront toutefois attester au préalable et par écrit avoir pris connaissance des sanctions encourues en cas de divulgation des informations. L’avocat devra, avant cette transmission, aviser le magistrat saisi de la procédure. Celui-ci pourra, par décision motivée, s’opposer à la remise de tout ou partie de ces reproductions « lorsque cette remise ferait courir un danger physique ou moral grave au mineur, à une partie ou à un tiers ».
Le dispositif adopté par votre commission permettra ainsi de limiter le risque d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’ensemble des membres de la famille.
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La Commission adopte l’amendement CL 235 du rapporteur.
Après avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL 144 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL 15 du rapporteur.
Après avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL 143 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CL 16 du rapporteur puis les amendements CL 236, CL 237 et CL 238 du même auteur.
Elle est saisie de l’amendement CL 99 de M. Christian Estrosi.
M. le rapporteur. Avis défavorable : cet amendement soulève la question du droit à l’oubli.
La Commission rejette l’amendement.
Elle adopte enfin l’article 14 modifié.
Article 14 bis
(art. 6 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Information de la victime sur la date d’audience de jugement du mineur
Le présent article, issu de l’adoption par la commission des Lois du Sénat d’un amendement de son rapporteur, a pour objet de prévoir expressément le droit de la victime à être avisée de la date d’audience de jugement d’un mineur devant toute juridiction pour mineurs, afin de pouvoir se constituer partie civile en temps utile.
Actuellement, l’avant-dernier alinéa de l’article 5 de l’ordonnance du 2 février 1945 dispose que, dans le cadre de la convocation par OPJ devant le juge des enfants aux fins de jugement prévue à l’article 8-1 de l’ordonnance, « La victime sera avisée par tout moyen de la date de comparution du mineur devant le juge des enfants ». La procédure de convocation de l’article 8-1 étant supprimée par l’article 17 du présent projet de loi, l’article 13 (3°) supprime, par coordination, la disposition relative à l’information de la victime sur la date d’audience qui figurait à l’article 5.
Toutefois, une disposition prévoyant expressément l’information de la victime sur la date d’audience est utile, afin de garantir que la victime pourra faire valoir son droit à l’indemnisation de façon effective. Mais une telle disposition doit être applicable à l’ensemble des juridictions pour mineurs devant lesquelles un mineur auteur d’infraction est susceptible d’être convoqué à fin de jugement, à l’exception toutefois de la cour d’assises des mineurs, puisque le juge d’instruction est d’ores et déjà tenu d’informer la victime de son droit de se constituer partie civile (184). En outre, sur un plan formel, cette disposition a vocation à être intégrée à l’article 6 de l’ordonnance, qui traite de l’exercice de l’action civile devant les juridictions pour mineurs, et non à l’article 5 relatif aux modes de poursuites possibles pour les mineurs.
En conséquence, le texte adopté par le Sénat complète l’article 6 de l’ordonnance du 2 février 1945 pour prévoir que « La victime est avisée par tout moyen de la date de l’audience de jugement devant le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs, afin de pouvoir se constituer partie civile selon les modalités prévues par le code de procédure pénale ».
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL 100 de M. Christian Estrosi.
Elle adopte l’article 14 bis sans modification.
Article 15
(art. 6-1 [nouveau] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Information des parents et représentants légaux du mineur poursuivi
sur toutes les décisions pénales concernant le mineur
Cette mesure, s’inscrivant dans l’objectif d’« impliquer pleinement les parents du mineur dans le processus judiciaire » que poursuit le projet de loi, a pour objet de prévoir que les parents et représentants légaux du mineur poursuivi doivent être informés, par tout moyen, des décisions de l’autorité judiciaire condamnant le mineur ou le soumettant à des obligations ou des interdictions.
Actuellement, un certain nombre de dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945 prévoient déjà l’information ou la présence obligatoire des parents ou représentants légaux d’un mineur poursuivi : c’est le cas de l’article 7-1 relatif aux mesures alternatives aux poursuites, de l’article 7-2 relatif à la composition pénale, de l’article 10 relatif à la mise en examen, de l’article 10-2 relatif au placement sous contrôle judiciaire ou encore de l’article 14-2 relatif à la procédure de présentation immédiate (à la mise en œuvre de laquelle ils peuvent s’opposer). Le fait pour des parents ou représentants légaux de ne pas déférer à une convocation de l’autorité judiciaire dans une procédure pénale concernant leur enfant mineur peut être sanctionné par « une amende civile dont le montant ne peut excéder 3 750 € » (article 10-1 de l’ordonnance).
En outre, dans la pratique, les parents du mineur sont, en tant que civilement responsables des dommages causés par leur enfant mineur aux termes de l’article 1384 du code civil (185), informés des décisions pénales prises à l’encontre du mineur, sauf lorsqu’ils ne se rendent pas à l’audience de jugement et que le jugement n’emporte pas de condamnation à réparation du dommage causé.
L’étude d’impact accompagnant le projet de loi relève que « le souci d’apporter la réponse la plus adaptée à la délinquance des mineurs s’accompagne nécessairement de l’ambition d’impliquer pleinement les parents du mineur dans le processus judiciaire » (186). Au regard de cette nécessité et de la situation précédemment décrite, il apparaît que fait défaut dans notre droit une disposition de caractère général prévoyant un principe d’information systématique et obligatoire des parents ou représentants légaux sur toute décision pénale concernant leur enfant mineur.
C’est pour combler ce manque que le présent article crée dans l’ordonnance du 2 février 1945 un nouvel article 6-1, aux termes duquel « Les parents et les représentants légaux du mineur poursuivi sont informés, par tout moyen, des décisions de l’autorité judiciaire prises en application de la présente ordonnance et condamnant le mineur ou le soumettant à des obligations ou des interdictions ».
Le Sénat avait adopté cet article en y apportant, à l’initiative du rapporteur de la commission des Lois du Sénat M. Jean-René Lecerf, une amélioration rédactionnelle.
La Commission adopte l’article sans modification.
Article 16
(art. 8 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Renvoi obligatoire par le juge des enfants devant le tribunal correctionnel
du mineur poursuivi pour un délit relevant de la compétence de ce tribunal
Le présent article a pour objet de rendre obligatoire, pour le juge des enfants saisi en application de l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945, le renvoi devant le tribunal correctionnel pour mineurs, lorsque le délit pour lequel le mineur est poursuivi relève de la compétence de ce tribunal, en excluant la possibilité que ce mineur soit jugé en chambre du conseil.
Actuellement, aux termes de l’article 8 de l’ordonnance, le juge des enfants a pour mission d’effectuer « toutes diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation ». Lorsque les diligences et investigations nécessaires ont été accomplies, l’article prévoit les différentes voies procédurales à la disposition du juge des enfants :
— il peut « soit d’office, soit à la requête du ministère public, communiquer le dossier à ce dernier » ;
— il peut également par ordonnance « déclarer n’y avoir lieu à suivre et procéder comme il est dit à l’article 177 du code de procédure pénale » ;
— il peut « renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants ou, s’il y a lieu, devant le juge d’instruction » ;
— il peut enfin rendre lui-même une décision au fond, « par jugement rendu en chambre du conseil », mais uniquement pour prononcer l’une des mesures énumérées aux 1° à 7° de l’article 8 : relaxe (1°), dispense de peine (2°), admonestation (3°), remise à parents ou à personne digne de confiance (4°), mise sous protection judiciaire pour une durée maximale de cinq ans (5°), placement dans l’un des établissements mentionnés aux articles 15 et 16 (187), en fonction de l’âge du mineur (6°) ou mesure d’activité de jour (7°). En revanche, le juge des enfants ne peut pas prononcer de peine en chambre du conseil.
Le dernier alinéa de l’article 8 exclut que le juge des enfants puisse statuer par jugement en chambre du conseil « lorsque la peine encourue est supérieure ou égale à sept ans et que le mineur est âgé de seize ans révolus ». Issu de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ), cette disposition a pour objet, « en prévoyant une audience en présence du président et de ses assesseurs, de donner au jugement une solennité à la mesure de la gravité des faits qui sont reprochés, le tribunal pour enfants pouvant toujours prononcer une mesure éducative » (188).
Le présent article, que le Sénat a modifié par deux fois en commission puis en séance publique, à l’initiative du rapporteur de sa commission des Lois M. Jean-René Lecerf, mais uniquement pour des raisons de clarification rédactionnelle, complète l’article 8 de l’ordonnance, pour exclure la possibilité de recourir au jugement en chambre du conseil et prévoir l’obligation pour le juge des enfants de renvoyer le mineur devant le tribunal correctionnel pour mineurs pour les délits qui entreront dans la compétence ce tribunal, telle qu’elle est définie à l’article 29 du présent projet de loi, à savoir les délits punis d’une peine égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement commis en état de récidive légale par un mineur âgé de plus de seize ans.
Ce faisant, l’article poursuit strictement le même objectif que la disposition adoptée lors de la LOPJ de 2002 : garantir que les délits graves commis par des mineurs récidivistes et relevant de la compétence du tribunal correctionnel pour mineurs soient effectivement jugés avec la solennité accrue qui caractérisera cette juridiction.
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement de suppression CL 145 de Mme George Pau-Langevin.
Puis elle rejette successivement les amendements CL 101 et CL 102 de M. Christian Estrosi.
Elle adopte l’article 16 sans modification.
Article 17
(art. 8-1, 8-2 et 8-3 [nouveau] de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Suppression de la procédure de jugement en chambre du conseil
sur convocation par officier de police judiciaire –
Création d’une convocation par officier de police judiciaire
à comparaître devant le tribunal pour enfants
Cet article, s’inscrivant dans l’objectif d’adaptation de la réponse pénale à la délinquance des mineurs, vise à améliorer les procédures utilisables pour juger les infractions commises par les mineurs, par deux mesures : d’une part, il supprime l’article 8-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 relatif à la convocation par OPJ aux fins de jugement (I de l’article) ; d’autre part, il crée un nouvel article 8-3 instituant une procédure de convocation par OPJ devant le tribunal pour enfants (III). Par ailleurs, le II procède à une coordination, dans l’article 8-2 de l’ordonnance, avec la création par l’article 29 du projet de loi du tribunal correctionnel pour mineurs.
1. Suppression de la procédure de jugement en chambre du conseil sur convocation par officier de police judiciaire
Issu de la loi n° 96-585 du 1er juillet 1996 (189), l’article 8-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 a créé la possibilité pour le parquet de faire délivrer à un mineur, par un officier de police judiciaire (OPJ), une convocation à comparaître devant le juge des enfants aux fins de jugement. Dans le cadre de cette procédure, les mesures que le juge des enfants peut prononcer sont strictement limitées : la relaxe, la dispense de peine, l’admonestation, la remise à parents ou à personne digne de confiance, ou une mesure de réparation. Le juge des enfants peut en outre, s’il estime que les investigations sur la personnalité du mineur ne sont pas suffisantes, décider de renvoyer l’affaire à une prochaine audience de la chambre du conseil. En revanche, il ne peut prononcer immédiatement ni une mise sous protection judiciaire, ni un placement dans l’un des établissements mentionnés aux articles 15 et 16 : s’il envisage le prononcé de l’une de ces mesures, il est tenu de renvoyer l’affaire à une prochaine audience, qui doit toutefois avoir lieu dans un délai maximal de six mois. En tout état de cause, le juge des enfants ne peut pas prononcer de peine dans le cadre de cette procédure.
Lors de sa création en 1996, cette procédure de convocation par OPJ (COPJ) était une innovation visant à donner rapidement une réponse pénale à des infractions simples et de faible gravité. Cependant, elle est aujourd’hui en concurrence avec la procédure de convocation par OPJ aux fins de mise en examen, prévue à l’article 8 de l’ordonnance, qui permet également au juge des enfants de juger immédiatement le mineur en chambre du conseil, tout en lui offrant un éventail de mesures immédiatement prononçables plus étendu. Ainsi, alors que la mise sous protection judiciaire et le placement dans un établissement mentionné à l’article 15 ou 16 peuvent être prononcés immédiatement dans le cadre de l’article 8 de l’ordonnance, leur prononcé n’est possible qu’à une audience de renvoi dans le cadre de l’article 8-1 de l’ordonnance.
Cette moindre souplesse de la COPJ aux fins de jugement, comparativement à la COPJ aux fins de mise en examen, explique sa faible utilisation relevée par l’étude d’impact accompagnant le projet de loi : « la convocation par officier de police judiciaire aux fins de mise en examen [permet] au juge des enfants de mettre le mineur en examen et prononcer les mesures provisoires qu’il estime utiles mais également de le juger immédiatement en chambre du conseil si les faits et la personnalité du mineur le justifient » (190).
C’est la raison pour laquelle, dans le double souci de simplifier les procédures applicables aux mineurs et de permettre aux magistrats d’apporter avec célérité et souplesse la réponse la plus adaptée à chaque mineur auteur d’une infraction, le I du présent article supprime l’article 8-1 de l’ordonnance du 2 février 1945.
2. Création d’une convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le tribunal pour enfants
— Origine et objectif de la nouvelle procédure de convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le tribunal pour enfants
Même si des progrès ont été récemment accomplis grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – et particulièrement des parquets des mineurs – et au recours accru à des procédures accélérées, il n’en demeure pas moins que la justice des mineurs continue de pâtir de sa lenteur. Ainsi, en 2009, le délai moyen de réponse pénale était de 18,8 mois pour les 30 064 condamnations prononcées par les tribunaux pour enfants (191).
Cette lenteur porte une atteinte considérable à la crédibilité de la justice des mineurs, non seulement pour le mineur dont la personnalité évolue rapidement à l’âge de l’adolescence et pour lequel le sentiment d’impunité peut être perçu comme une invitation à réitérer, mais aussi pour la victime qui peut ressentir comme une injustice le fait de ne pas voir sanctionnée l’auteur de l’infraction dont elle a souffert. Comme l’avait relevé en 2008 Mme Michèle Tabarot dans son rapport sur l’exécution des décisions de justice pénale concernant les mineurs, la « réalité de terrain est incontestable » : « Les délais d’audiencement, de jugement et d’exécution sont encore trop longs pour préserver la vertu pédagogique de la mesure pénale » (192).
Partant du constat que « La cohérence de la réponse pénale, c’est aussi rapprocher le temps de l’infraction et le temps du jugement » (193), la commission chargée de formuler des propositions de réforme de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante avait proposé la « création de saisines directes des différentes formations de jugement » : « Dès lors que le mineur a déjà fait l’objet d’un précédent jugement et que son dossier unique de personnalité en permet la connaissance suffisante, le parquet peut délivrer des COPJ aux fins de jugement devant la chambre du conseil, le tribunal des mineurs statuant à juge unique et le tribunal des mineurs collégial » (194). Toutefois, la commission avait considéré l’amélioration de la connaissance de la personnalité du mineur comme une condition préalable à la mise en œuvre et au bon fonctionnement de cette nouvelle procédure : « en s’assurant de la connaissance suffisante de la personnalité du mineur à l’aide d’instruments renouvelés, il est possible de juger les mineurs dans un cadre procédural clarifié et plus rapide » (195). La création par l’article 14 du projet de loi du dossier unique de personnalité favorisera la réalisation de cet objectif d’amélioration de la connaissance de la personnalité du mineur et d’accélération du fonctionnement de la justice des mineurs.
— Exigences constitutionnelles entourant la création de la nouvelle procédure de convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le tribunal pour enfants
Le présent article est inspiré de la proposition formulée la commission Varinard. Tel était déjà le cas, du reste, de l’article 41 de la LOPPSI, que le Conseil constitutionnel a censuré dans sa décision du 10 mars 2011, en considérant que les garanties encadrant la disposition adoptée n’étaient pas suffisantes pour respecter le principe fondamental reconnu par les lois de la République s’agissant de la justice des mineurs :
« Considérant que les dispositions contestées autorisent le procureur de la République à faire convoquer directement un mineur par un officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants sans instruction préparatoire par le juge des enfants ; que ces dispositions sont applicables à tout mineur quels que soient son âge, l’état de son casier judiciaire et la gravité des infractions poursuivies ; qu’elles ne garantissent pas que le tribunal disposera d’informations récentes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ; que, par suite, elles méconnaissent les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs ; que l’article 41 doit être déclaré contraire à la Constitution » (196).
Tirant les conséquences de cette décision, le présent article insère dans l’ordonnance du 2 février 1945 un nouvel article 8-3 créant une procédure de convocation par OPJ devant le tribunal pour enfants, assortie d’un encadrement visant à répondre aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel, qu’il s’agisse du champ d’application de la nouvelle procédure, des conditions tenant à la connaissance de la personnalité du mineur, du respect des droits de la défense et du respect des prérogatives des représentants légaux du mineur.
— Champ d’application de la procédure
Conformément aux exigences résultant de la décision du Conseil constitutionnel précitée, le premier alinéa de cet article définit très strictement le champ d’application de cette procédure, s’agissant tant de l’âge des mineurs poursuivis que des infractions pour lesquelles cette procédure pourra être utilisée. La convocation par OPJ aux fins de jugement devant le tribunal pour enfants pourra être utilisée par le procureur de la République pour poursuivre :
● « soit un mineur âgé d’au moins treize ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement » ;
● « soit un mineur d’au moins seize ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ».
En outre, le Sénat a, en adoptant en séance publique un amendement de M. Yves Détraigne, encadré davantage encore le recours à cette procédure, en prévoyant qu’elle « ne peut être mise en œuvre que si le mineur a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs procédures en application des dispositions de la présente ordonnance ». Le recours à cette procédure sera donc exclu pour un mineur primo-délinquant, sans pour autant qu’il soit nécessaire que le mineur ait déjà été condamné à une peine.
— Condition de connaissance suffisante de la personnalité du mineur
Le Conseil constitutionnel a fait de l’existence d’informations suffisantes sur la personnalité du mineur une condition de la constitutionnalité du dispositif. Dans le texte initial du projet de loi, le deuxième alinéa de l’article prévoyait que la COPJ à comparaître devant le tribunal pour enfants ne pouvait être délivrée que « si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies, le cas échéant en application de l’article 12, à l’occasion de la procédure en cours ou d’une procédure antérieure de moins d’un an ». L’article 12 de l’ordonnance du 2 février 1945 est la disposition qui prévoit l’établissement par le service de la protection judiciaire de la jeunesse compétent d’un « rapport écrit contenant tous renseignements utiles sur la situation du mineur », appelé recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE). Ce RRSE est obligatoire préalablement à toute réquisition ou décision de placement en détention provisoire et de prolongation de cette détention, à toute décision prise par le juge des enfants au titre de l’article 8-1, à l’engagement des procédures de composition pénale (article 7-2), de comparution à délai rapproché (article 8-2) ou de présentation immédiate (article 14-2), ainsi qu’avant toute décision ou réquisition d’assignation à résidence avec surveillance électronique (article 142-5 du code de procédure pénale).
Dans son rapport, M. Jean-René Lecerf a estimé qu’« un RRSE ne pouvait, à lui seul, tenir lieu "d’informations récentes sur la personnalité du mineur [...] permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral" exigées par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée » : « un RRSE est un document, parfois manuscrit, établi souvent en urgence à l’occasion de la comparution du mineur devant le juge des enfants pour une mise en examen. Il reprend les déclarations du mineur lui-même, de ses parents lorsqu’ils sont présents et quelques éléments que le service éducatif a pu vérifier. S’il est établi à l’occasion d’une première convocation pour des faits qui peuvent ne pas paraître particulièrement graves, il peut s’avérer très succinct ». En conséquence, la commission des Lois du Sénat a estimé que les dispositions du projet de loi initial « ne respectaient pas entièrement les exigences posées par le Conseil constitutionnel » (197).
La commission des Lois du Sénat a donc adopté un amendement de son rapporteur visant à mieux garantir que la procédure ne pourra être engagée que si sont disponibles des « informations récentes sur la personnalité du mineur (...) permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ». Le texte adopté par la commission des Lois du Sénat prévoyait ainsi de ne permettre le recours à cette nouvelle procédure « que si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois précédents sur le fondement de l’article 8 ou, le cas échéant, à la demande du juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative ». Cependant, le Sénat a adopté, avec des avis favorables du Gouvernement et de la commission des Lois, un amendement de M. Yves Détraigne supprimant la possibilité que les informations proviennent d’investigations réalisées dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative.
Le texte adopté par le Sénat, après ces différentes modifications, prévoit donc que « des investigations sur la personnalité du mineur [devront avoir] été accomplies au cours des douze mois précédents sur le fondement de l’article 8 ». Ainsi, les investigations devront avoir été réalisées au cours des douze mois précédents, et non uniquement à l’occasion d’une procédure antérieure de moins d’un an. Surtout, les renseignements sur la personnalité devront résulter, non d’un simple RRSE, mais d’une enquête de personnalité complète, laquelle ne pourra avoir été réalisée que dans un cadre pénal, à l’exclusion d’une enquête d’assistance éducative.
Votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur prévoyant une exception à la règle selon laquelle les informations permettant d’engager la procédure de COPJ devant le tribunal pour enfants doivent provenir d’une enquête de personnalité complète. Ainsi, le texte adopté par votre commission a complété le texte adopté par le Sénat pour prévoir que, « lorsqu’en raison de l’absence du mineur au cours des mesures d’investigation précédentes, des éléments plus approfondis n’ont pu être recueillis sur sa personnalité à l’occasion d’une procédure antérieure en application de l’article 8, peuvent être prises en compte des investigations réalisées en application de l’article 12 ».
Certes, le RRSE est établi plus rapidement et se présente sous une forme plus sommaire que les investigations de l’article 8 de l’ordonnance. Pour autant, réalisé par un professionnel de la protection judiciaire de la jeunesse, le RRSE constitue indéniablement une mesure d’aide à la décision du magistrat ou de la juridiction. Il porte sur des données personnelles, familiales et sociales et comporte toujours une proposition éducative ou une demande d’investigation supplémentaire.
Il est dans ces conditions apparu nécessaire à votre commission de permettre la saisine du tribunal pour enfants par voie de COPJ sur la base du seul RRSE, lorsque c’est en raison de l’absence du mineur que les mesures d’investigations ordonnées par le juge des enfants, lors des précédentes procédures diligentées à son encontre, n’ont pu être mises en œuvre. Cette absence lors des mesures d’investigations est fréquente parmi les mineurs dits « isolés », qui commettent des infractions à répétition et ne pourraient, aux termes du texte adopté par le Sénat, faire l’objet d’une convocation par OPJ dès lors qu’ils mettent en échec les mesures d’investigations ordonnées à leur encontre en fuguant après chaque interpellation.
Le texte adopté par votre commission maintient donc le principe selon lequel des investigations réalisées sur le fondement de l’article 8 sont nécessaires pour engager la procédure de COPJ, mais prévoit par exception la possibilité d’engager cette procédure sur la base du RRSE dans des situations exceptionnelles et strictement encadrées par la loi.
— Respect des droits de la défense et des prérogatives des représentants légaux du mineur
Le nouvel article 8-3 prévoit, en outre, des garanties destinées à assurer l’effectivité des droits de la défense du mineur : « La convocation précise que le mineur doit être assisté d’un avocat et qu’à défaut de choix d’un avocat par le mineur ou ses représentants légaux, le procureur de la République ou le juge des enfants font désigner par le bâtonnier un avocat d’office ».
Les délais d’audiencement devant le tribunal pour enfants sont fixés par le dernier alinéa de l’article, aux termes duquel « L’audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois ». Ce délai, légèrement plus long que celui prévu à l’article 14-2 pour la procédure de présentation immédiate (entre dix jours et un mois), permet ainsi de concilier le respect des droits de la défense et la nécessité d’une réponse rapide.
Enfin, dans le but de garantir l’implication des parents ou représentants légaux du mineur, l’article prévoit que « La convocation est également notifiée dans les meilleurs délais aux parents, au tuteur, à la personne ou au service auquel le mineur est confié » et qu’« Elle est constatée par procès-verbal signé par le mineur et la personne à laquelle elle a été notifiée, qui en reçoivent copie ».
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Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement de suppression CL 146 de Mme George Pau-Langevin.
Elle est saisie de l’amendement CL 148 de Mme George Pau-Langevin.
M. Dominique Raimbourg. Il rejoint une proposition du Président et du rapporteur elle-même préconisée par la commission Varinard.
M. le rapporteur. Je souhaite que vous le retiriez, au profit de l’amendement après l’article 29.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL 17 du rapporteur, puis l’amendement CL 240 du même auteur.
Après avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL 147 de Mme George Pau-Langevin.
Elle adopte l’amendement CL 241 du rapporteur.
La Commission adopte enfin l’article 17 modifié.
Article 18
(art. 9 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)
Renvoi obligatoire, à l’