Audition de M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous accueillons ce matin M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement qui est le principal opérateur de notre politique d’aide au développement. Merci, monsieur le directeur général, de venir devant notre commission. Vous dirigez l’AFD depuis bientôt trois ans, et votre mandat prend fin dans quelques mois. Nous souhaitons vous entendre sur le bilan de votre action : la politique que vous avez conduite, les inflexions que vous avez introduites en accord avec vos tutelles, les priorités sectorielles et géographiques que vous avez définies. Nous vous interrogerons également sur la gouvernance et sur les modalités d’action, tous sujets dont nous avons déjà eu l’occasion de parler.
L’aide au développement est l’une des politiques les plus examinées par notre commission et elle fait l’objet de nombreux rapports souvent très critiques. Vous nous ferez part du regard que vous portez sur celle de la France. La Cour des comptes a rendu, en juin dernier, un rapport sévère, et l’OCDE est en train de procéder à une nouvelle revue par les pairs de notre aide publique au développement. Il y a quelques semaines, Pascal Canfin a lancé les assises du développement, qui seront clôturées par le Président de la République le 1er mars prochain, et au terme desquelles de nouvelles orientations pour l’avenir devraient être définies en fonction des enjeux et des problématiques de demain. Compte tenu de ce contexte, nous sommes très intéressés par votre analyse et votre appréciation des critiques formulées par la Cour des comptes notamment, et par la manière dont l’Agence a répondu aux recommandations de celle-ci.
Enfin, dès lors que la question de l’efficacité de l’aide au développement est en débat depuis plus d’une décennie, nous y sommes très attentifs. Ces derniers temps, nos regards sont tournés vers le Mali, pays dont je rappelle qu’il recevait en moyenne plus d’un milliard de dollars d’aides par an, ce qui ne l’a pas empêché de s’effondrer en trois semaines. Vous venez de rouvrir récemment le bureau de l’AFD à Bamako, et nous serons particulièrement intéressés par votre analyse sur ce pays.
Je vais devoir partir à dix heures et quart, après votre intervention, mais Mme la vice-présidente Odile Saugues prendra ma suite pour conduire cette audition jusqu’à son terme.
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir et de me donner l’occasion de parler de l’Agence française du développement, qui est un acteur important de notre aide publique au développement.
L’année 2012 marque une grande réussite pour l’Agence puisque nous avons parachevé notre dispositif stratégique avec l’adoption, au mois d’octobre, par notre conseil d’administration de notre plan d’orientations stratégiques pour 2012-2016, dit POS 3. Jusqu’à présent, nous fonctionnions avec deux documents stratégiques : le document cadre de coopération et de développement adopté en 2011 et le contrat d’objectifs et de moyens qui régit la relation entre l’État et l’Agence française du développement pour la période 2011-2013. Nous avions besoin d’une déclinaison spécifique à notre agence, et même si elle intervient onze mois plus tard, puisque le POS démarre en 2012, il était important que ce document soit validé par le nouveau Gouvernement.
L’un des principaux axes de notre travail, sur lequel je me permets d’appeler votre attention, s’appuie sur le concept fondamental de partenariats géographiques différenciés. Entre agence de développement ou banque d’influence, beaucoup disent ne pas comprendre la nature de l’Agence ni ce qu’elle fait dans les pays émergents, au détriment peut-être de ce qu’elle devrait faire dans les pays pauvres. L’Agence, c’est un peu tout cela. La réforme institutionnelle engagée en 1998, qui est maintenant pratiquement arrivée à son terme, a été très positive, même si quelques améliorations restent à apporter, comme certaines observations de la Cour des comptes ont pu le montrer. Cette réforme partait du constat que les administrations, confrontées aux restrictions budgétaires et d’effectifs, n’étaient plus en mesure de diriger directement le financement de projets, et qu’une agence le ferait tout aussi bien pour le compte de l’État.
À l’origine, nous intervenions en Afrique puis, progressivement, notre champ géographique s’est étendu au monde arabe, à l’Asie et à l’Amérique latine. Le concept de partenariat géographique différencié est essentiel : nous ne travaillons pas sur les mêmes secteurs ni de la même façon selon les trois priorités géographiques. La priorité des priorités, c’est l’Afrique subsaharienne, où nous travaillons sur le secteur agricole, les transports, la santé et l’éducation avec le maximum de bonifications et de subventions. Avec le monde arabo-musulman, nous travaillons principalement sur des problématiques d’employabilité, de formation professionnelle, de réduction des inégalités avec un minimum de coût pour l’État. Le troisième partenariat géographique avec l’Asie et l’Amérique latine ne coûte rien à l’État, à l’exception de quelques prêts bonifiés au Vietnam. En Chine, en Inde, au Brésil, en Colombie, nous fonctionnons avec des prêts au taux du marché et uniquement sur la problématique de la croissance verte et solidaire. Cela semble compliqué, mais notre dispositif est tout à fait adapté au volet aide au développement de notre politique étrangère avec des spécificités sectorielles et des outils spécifiques.
Conformément à notre plan d’orientations stratégiques, l’année 2012 a été consacrée au développement d’une exemplarité accrue. Cette exemplarité se déploie à la manière d’un triptyque. Tout d’abord, au mois de juin dernier, nous avons publié notre premier rapport sur la responsabilité sociale et environnementale, qui nous a valu une notation B + par le cabinet Vigeo. Nous sommes en train de finaliser une stratégie pluriannuelle sur ce sujet de la responsabilité sociale et environnementale, et nous essayons de la décliner avec tous nos collègues banques de développement, la KfW allemande, la JICA japonaise ou nos amis brésiliens. Deuxième élément du triptyque, nous avons élaboré une nouvelle charte d’éthique professionnelle qui a été signée par l’ensemble des responsables de l’Agence. Un bloc sur la sécurisation financière constitue le troisième volet du triptyque adopté par notre conseil d’administration cet automne ; il a permis de hisser l’Agence au niveau des standards les plus élevés en matière de lutte contre le blanchiment, la corruption, le financement du terrorisme, les personnalités politiquement exposées et les juridictions non coopératives. Aujourd’hui, nous sommes au top niveau des bailleurs bilatéraux. Les bailleurs multilatéraux, pour leur part, bénéficient de l’immunité diplomatique alors que nous relevons de la loi française, ce qui complique un peu notre tâche. Nous avons pris l’engagement de revenir chaque trimestre devant le conseil d’administration pour apporter les aménagements nécessaires en fonction des évolutions susceptibles d’intervenir.
Le troisième axe de notre action est l’inscription de l’Agence au cœur d’un partenariat. Dans notre monde globalisé, il est essentiel d’appartenir à des réseaux pour participer à des réunions, pour influencer. L’Agence est, certes, banque de développement, mais elle est aussi banque d’influence en même temps qu’une sorte de think tank. Nous consacrons 38 millions d’euros par an à une production intellectuelle qui nous permet de participer à de multiples débats, d’accompagner l’élaboration des positions par nos autorités de tutelle et d’être présents à Rio de Janeiro, à Doha ou à Durban. Ce réseau de partenariat est tout aussi important pour nos relations avec les ONG, dont nous sommes chargés de doubler les crédits comme s’y était engagé le Président de la République, ainsi qu’avec les collectivités locales. Nos relations et partenariats de plus en plus nombreux avec ces dernières nous ont conduits à nous organiser en conséquence : depuis trois mois, l’Agence abrite une structure qui leur est dédiée.
L’assistance technique est la quatrième orientation importante du POS3. Lors de ma première audition par votre commission, j’avais indiqué que les lacunes de notre dispositif d’aide au développement en la matière étaient, pour moi, une source de préoccupation. Au mois d’octobre dernier, le ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici a annoncé que la mise en place d’un fonds d’expertise technique nous permettrait de retrouver une place dans le circuit. L’aide au développement, c’est certes pour partie des dons, des prêts et des financements, mais c’est plus encore de l’expertise, du savoir-faire, de la connaissance, du réseautage qui permet d’imprimer les problématiques de l’aide au développement au niveau international.
Dernière orientation, le POS 3 rappelle la nécessité de poursuivre la consolidation de l’Agence. Dans le cadre de l’évolution institutionnelle engagée en 1998, l’Agence a connu une explosion de son activité qui a doublé de 2005 à 2009. Il fallait donc consolider son modèle, qui est bon. La mission que l’Autorité de contrôle prudentiel a conduite l’an dernier a salué la consolidation entreprise, notamment la mise en place d’une véritable filière « risques » au niveau de l’Agence, avec une direction de contrôle des risques. Jusqu’à présent, en l’absence d’une telle direction, nous ne fonctionnions pas en conformité avec la réglementation bancaire. L’ACP avait également mis en évidence les faiblesses de notre système de délégation de signature, qui n’était pas fiable juridiquement. Nous lui en avons substitué un autre qui a été salué par cette même autorité.
Au total, notre activité, après avoir crû énormément entre 2005 et 2009, est en train de se stabiliser autour de 7,5 à 8 milliards. Dans ce montant, l’Afrique subsaharienne détient une part prioritaire. Je vous invite à distinguer les montants en valeur absolue et le coût pour l’État. En valeur absolue, sur les 7,3 milliards au titre de l’année 2012, 38 % vont à l’Afrique subsaharienne,mais les moyens publics consacrés en subventions ou en bonifications pour l’Afrique subsaharienne représentent 77 % des subventions et les deux tiers des bonifications d’intérêts. De ce fait, en Asie ou en Amérique latine, nous fonctionnons sans coût pour l’État.
Le ministre des affaires étrangères M. Laurent Fabius a demandé une nouvelle analyse sur notre présence dans les pays émergents. Nous avons lancé un nouveau travail sur la base de trois critères fixés par le ministre. Premièrement, ne pas entraîner de coûts pour l’État. C’est le cas. J’avais corrigé le tir dès octobre 2010, après avoir entendu certaines remarques. Ça n’a pas été facile, mais nous l’avons fait. Deuxièmement, cibler des thématiques environnementales. Dans ces pays, nous ne sommes que sur des problématiques de croissance verte et solidaire. Troisièmement, contribuer au développement d’un réel partenariat économique, participer à ce mouvement souhaité par le ministre de diplomatie économique et de capacité d’influence. En la matière, nous avons des progrès à faire, car l’Agence n’est pas une banque de financement du commerce extérieur. Ayant pour mission la solidarité internationale, son objet est de promouvoir et d’aider les entreprises locales, pas d’accompagner des projets d’entreprises françaises. Néanmoins, nous sommes en train de nous mettre en ordre de marche pour essayer de répondre positivement à nos autorités de tutelle sur cette problématique de la capacité d’influence.
Nous devons rester en Chine, en Inde, au Brésil. Quand, juste avant les Jeux Olympiques, nous avons eu quelques difficultés avec la Chine et que nos relations étaient sérieusement rafraîchies, qui a permis de reprendre la coopération avec ce pays ? A l’occasion du terrible tremblement de terre dans le Sichuan, en prêtant à la Chine, qui a 3 000 milliards de dollars de réserve, 150 millions d’euros. Grâce à ces 150 millions d’euros et à des opérations exceptionnelles sur le terrain, notamment le financement de 140 000 biodigesteurs, nous avons renoué les relations entre nos deux pays. Devons-nous nous retirer parce qu’il est difficile d’expliquer pourquoi nous finançons un pays qui ne semble pas avoir besoin de financement ? Ce pays a besoin non seulement de financement mais, plus encore de notre expertise et de notre savoir-faire, en particulier en matière d’économie verte. De notre côté, en participant à certains de leurs projets, nous apprenons. Comme à Rio ou à Doha, pour faire émerger un consensus, en 2015, quand le Président de la République accueillera la conférence mondiale sur le changement climatique, il faudra parler aux Chinois. Nous, nous savons le faire ! Nous sommes en contact permanent avec des interlocuteurs chinois. Nous finissons par les connaître, nous établissons une connivence avec eux. Pour 150 ou 200 millions d’euros de prêts par an, on voudrait se priver d’un outil de proximité qui nous permet, dans de nombreux sommets, de parler ?
Dans la perspective de notre futur contrat d’objectifs et de moyens 2014-2016 avec l’État seront soulevés des problèmes d’effectifs et de fonds propres. J’y reviendrai si vous le souhaitez.
Malgré de très fortes évolutions, l’AFD reste fidèle à sa vocation et à ses missions originelles. Les personnels de l’Agence sont arc-boutés sur la mission de solidarité internationale, de lutte contre la pauvreté et sur notre tropisme africain, que l’extension de notre mandat et l’augmentation de notre activité n’ont pas contribué à remettre en question.
Notre modèle est bon, même s’il prête toujours à débat entre prêts et dons. Ce débat nous dépasse tous, et il me semble que seule la situation budgétaire peut le trancher. Au-delà, que coûtons-nous à l’État ? Depuis sept ans, nous avons versé 1,2 milliard de dividendes. Cette année encore, nous verserons environ 60 millions d’euros. Nous n’avons pas de subvention de fonctionnement, mais nous recevons 600 millions de crédits d’intervention, grosso modo 300 millions de subventions et 300 millions de bonifications, de la part du quai d’Orsay ou du Trésor. Avec 600 millions, nous faisons 7 à 7,5 milliards de prêts parce que nous empruntons sans garantie de l’État. Notre dette n’est pas incluse dans la dette maastrichtienne. Avec cela, nous arrivons à faire un tiers de notre aide publique au développement. Ce modèle est bon, il faut le consolider, il faut le préserver.
Mme Odile Saugues, vice-présidente, remplace Mme la présidente.
Mme Odile Saugues, vice-présidente. L’explosion d’activité dont vous avez parlé n’entraîne-t-elle pas un risque de dispersion ?
M. Jean-Luc Drapeau. J’ai lu avec attention le rapport 2012 qui fait état de nombreux objectifs, notamment l’action en faveur du développement humain. Selon un sondage de novembre dernier, 72 % des Français estiment que l’aide au développement n’est pas de l’argent gaspillé et 56 % pensent que la France doit intervenir en priorité dans les pays d’Afrique du sud du Sahara en raison de leur extrême pauvreté. L’Afrique subsaharienne restant le premier bénéficiaire des concours de l’AFD, quelles sont les priorités de l’Agence pour en assurer la sécurité alimentaire dans les années à venir ?
Vous avez parlé d’éthique professionnelle, de lutte contre la corruption. Au nom du développement humain, votre action s’accompagne-t-elle de règles d’inclusion éthique en matière de droits de l’homme en général et de droits de la femme en particulier ? La mise en œuvre en est-elle prévue ou en cours, et en contrepartie de quels critères décidez-vous d’accorder des aides, qui ne doivent pas conforter des systèmes indignes ?
M. André Schneider. J’ai l’honneur d’être le président du groupe d’amitié France-Cameroun et membre du comité de révision de la dette. Vous avez mis en place pas mal de choses. Quelle est la suite du programme, pour le Cameroun et les pays limitrophes ? L’aide au développement économique passe aussi par le développement culturel. Que fait l’Agence dans le développement et le soutien à la langue française, qui fait aussi partie de ses objectifs ?
Mme Danielle Auroi. Le ministre délégué en charge du développement a à cœur de s’assurer que l’aide permette un réel accompagnement vers la transition énergétique et écologique des pays du Sud. Comment l’AFD peut-elle concrètement mettre en œuvre cette orientation politique ? Si les mots de croissance verte et solidaire que vous avez employés me vont bien, je voudrais savoir quelle réalité se cache derrière.
Il faut être vigilant à ce que la France ne soutienne pas, directement ou indirectement, des comportements délictueux de certaines multinationales, qu’il s’agisse de violations des droits humains ou d’atteintes à l’environnement. Une réflexion s’est ouverte en ces murs sur une meilleure prise en compte de la responsabilité sociétale des multinationales, notamment au travers de l’application du principe directeur de l’OCDE. Or ONG et juristes constatent qu’il est très difficile, en cas de violation avérée des droits dans un pays en développement, de remonter la chaîne de responsabilité d’une filiale ou d’un sous-traitant vers la société mère en France. Nous avons un bon exemple avec la firme Michelin qui est liée à certaines pratiques en Inde. Comment avance la réflexion au sein de l’Agence en vue de la mise en place d’instruments et de clauses environnementales et sociales permettant de pallier ce genre de contradiction ?
M. Hervé Gaymard. Je vous remercie d’avoir répondu, avant que je ne la pose, à ma question sur le rôle de l’Agence en Chine. Pouvez-vous le détailler dans les autres pays émergents, notamment au Brésil et en Inde ? Enfin, quel est le rôle de l’Agence dans l’outre-mer français ?
M. Jean-Pierre Dufau. Qui trop embrasse mal étreint, c’est ce que m’inspire votre volonté indéniable de bien faire. Il y a tant de priorités qu’on a du mal à distinguer celle qui est prioritaire. L’objectif du millénaire de lutte contre la pauvreté semble la priorité à privilégier, avec la santé et l’éducation. Est-ce vraiment la vôtre et comment la distinguez-vous d’autres objectifs tout aussi respectables ?
Vous tâchez de mettre en œuvre la volonté du Président de la République de doubler l’aide aux ONG. À cet égard, très concrètement, quelle est la progression dans ce domaine ?
Le Gouvernement a choisi de faire un ministère du développement et non plus de la coopération et du développement. Or je n’ai pas l’impression que cela soit encore traduit dans les faits.
Mme Nicole Ameline. Dans un rapport que nous avions produit il y a quelque temps, nous avions mis en exergue le fait qu’il ne fallait pas nécessairement opposer le bilatéral et le multilatéral, mais plutôt trouver une articulation intelligente qui intégrerait aussi le communautaire. L’Europe est, en effet, le premier bailleur de fonds mondial avec 55 % de l’aide publique au développement. Aujourd’hui, les contraintes budgétaires nous forcent à créer, au-delà du réseau, une articulation beaucoup plus forte non seulement avec le DFID et la GTZ, mais aussi avec l’Europe. Où en sont, toujours au-delà du réseau, les articulations les plus efficaces ?
Nous avions également suggéré que la logique des partenariats l’emporte sur la logique d’aide. Aujourd’hui, ces partenariats sont plutôt en direction de l’Inde ou plus généralement des BRIC. On voit bien que nous sommes en concurrence auprès d’eux. Ces partenariats me semblent devoir intégrer aujourd’hui des questions éthiques. Les pays scandinaves viennent de demander le remboursement de l’aide au développement à l’Ouganda, considérant qu’il y avait eu un détournement total de fonds. Sur les droits de la personne, notamment des femmes, sans parler de conditionnalité, n’y aurait-il pas une redevabilité à exiger des pays, dont certains démontrent parfois qu’il y a de la croissance sans développement et surtout sans respect des droits de l’homme ?
M. Noël Mamère. Vous n’avez pas évoqué la question du Mali. Depuis le coup d’État qui a renversé Amadou Toumani Touré, l’AFD à décidé, sur injonction du Gouvernement, de suspendre son aide. Selon les chiffres communiqués par l’Agence, il y aurait sur le Mali, au total, quarante-huit projets actuellement en cours d’exécution pour des engagements de l’ordre de 218 millions d’euros, dont 143 millions restent à verser. Dans quelles conditions les projets déjà engagés au Mali reprendront-ils leur cours ? Je pense qu’il vous sera difficile de définir ces conditions parce que cela dépend sans doute du ministère des affaires étrangères et de celui de la défense.
Un certain nombre des engagements de l’AFD au Mali concernent le nord du pays. L’Agence s’y était engagée en 2010, dans le cadre de la contribution au programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement dans le Nord-Mali, avec l’aide de l’Union européenne. Qu’en est-il pour 2013 ?
Depuis 2007, l’AFD soutient deux filières principalement d’exportation : le coton et le riz maliens. Or un rapport de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, qui jusqu’à maintenant n’était pas le plus grand défenseur des agricultures vivrières, explique que pour vraiment aider les peuples, mieux vaut favoriser les cultures vivrières que les cultures d’exportation. Quelle va être notre politique d’aide au développement et comment allons-nous la changer ?
On pare le régime malien de toutes les vertus démocratiques. Le Gouvernement malien est doté d’un office agricole dit Office Niger, en raison de la localisation très importante des cultures le long du Niger. Celles-ci font l’objet de beaucoup de convoitise. Pouvez-nous confirmer que le Gouvernement malien a participé à ce qu’on appelle l’accaparement des terres en ayant libéré 700 000 hectares de terres pour des sociétés privées ? Si l’on veut imposer une rupture dans notre mode d’aide, comment, avec l’AFD et nos outils de développement, peut-on empêcher les autorités maliennes de dilapider des terres volées aux paysans pour des productions non-agricoles ? Le problème ne concerne pas seulement le Mali mais toute la région du Sahel, où de grandes sociétés vendent des terres considérées pour l’instant comme infertiles dans cette région supposée désertique afin d’assurer la nourriture de pays riches.
M. Thierry Mariani. S’il est entendu que l’AFD n’est pas une banque de financement du commerce extérieur, évitons tout de même de pécher par angélisme face à la concurrence ! Vous connaissez le reproche récurrent des entreprises françaises : l’AFD finance et d’autres entreprises réalisent les travaux. En cette période où la diplomatie économique est très à la mode, que pourriez-vous faire pour orienter les choix vers des entreprises françaises ?
La somme dont vous avez fait état pour vos productions intellectuelles me semble importante. À quoi correspondent exactement ces 38 millions ?
S’agissant de votre présence en Asie, je reçois des retours selon lesquels elle est tout à fait appréciée. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut y rester.
M. François Asensi. Je suis radicalement opposé à la stratégie de l’AFD, et je pense que vous ne remplissez pas les vraies missions de l’Agence, notamment pour ce qui est d’aider les pays les plus pauvres en voie de développement. Vous n’avez pas à avoir de stratégie commerciale, ce n’est pas votre rôle, même si c’est la feuille de route que vous avait donnée l’ancien Gouvernement. J’espère que vos ministres de tutelle d’aujourd’hui vous donneront une autre mission.
Vous dites recevoir 600 millions de l’État et lui donner, en retour 1,2 milliard de dividendes. Bravo ! Mais ce n’est pas le rôle de l’AFD. Que l’État ne perde pas d’argent, c’est une chose, qu’il fasse des bénéfices et des rentrées financières sur la politique d’aide au développement, ce n’est pas normal.
S’agissant des pays émergents, de la Chine en particulier, ce n’est pas à vous d’avoir une stratégie commerciale. Pour cela, il y a l’État, le Président de la République, le Premier ministre.
Vous dites donner la priorité aux quatorze pays les plus pauvres au Sahel. Avec 167 millions d’euros de subventions, soit 9,8 millions par pays en moyenne, c’est une plaisanterie ! Au Mali, qui occupe le 178e rang mondial au regard du PIB, vous accordez 57 millions de prêts – les agios, c’est bon pour l’Agence – et seulement 8,3 millions de subventions. Clairement, votre priorité n’est pas aujourd’hui l’aide aux pays les plus pauvres de la planète, et singulièrement aux pays du Sahel, envers lesquels nous avons une responsabilité morale en tant qu’ancienne puissance coloniale.
M. Michel Destot. S’agissant de la diplomatie économique voulue par Laurent Fabius, je me demande s’il ne faudrait pas avoir une analyse plus fine. Au sein des pays émergents, la Chine ne peut pas être confondue avec l’Afrique du Sud, l’Inde ou le Brésil. Ne faudrait-il pas distinguer, pays par pays, le type d’intervention à mettre en œuvre ?
L’action extérieure de la France n’est pas seulement l’affaire du Gouvernement ou de l’AFD. Les collectivités locales, les ONG concourent également à cette action pour 20 à 25 %, ce qui est un niveau extrêmement important. N’aurait-on pas intérêt à mieux coordonner nos actions ? Très souvent, on voit intervenir, notamment dans les pays du Sahel, ici une collectivité locale, là une ONG, sans que l’AFD soit toujours impliquée dans le dossier. Il s’en dégage l’impression que l’action de la France est terriblement désordonnée, ce qui n’est pas positif pour son image en termes d’organisation et d’influence. C’est aussi une source de désorganisation pour les pays dans lesquels nous intervenons.
M. Jean-Paul Bacquet. Les objectifs du millénaire ne seront pas tenus, non plus que les 0,7 % du PIB. Pourtant, les Français aiment et soutiennent l’aide au développement. Ils préfèrent aussi être riches et bien portants que pauvres et malades.
Je reviens sur le rapport mentionné par Nicole Ameline, qui faisait état de la contradiction qu’il y avait à favoriser les prêts plutôt que les dons, donc les pays solvables au détriment des plus pauvres qui restent sur la touche. Nous disions aussi ce que nous pensions de la non-maîtrise du bilatéral, qui n’est pas acceptable, comme nous dénoncions l’hypocrisie des aides déliées, qui servent surtout les intérêts des autres pays.
Nous évoquions aussi le problème des prêts à la Chine. Si nous lui prêtons aux taux du marché, quel est l’intérêt pour elle d’emprunter chez nous quand elle peut avoir les mêmes prêts ailleurs ? L’année dernière, nous avions démontré que nous prêtions à la Chine à un taux inférieur à celui que la Chine elle-même pratique quand elle prête aux États-Unis, ce qui est pour le moins paradoxal dans le cadre de l’aide au développement.
Je suis d’accord avec M. Asensi, il est scandaleux que l’État récupère de l’argent sur l’aide au développement. Si l’on passe néanmoins de 200 millions l’année précédente à 60 millions cette année, j’espère que la tendance ira en se confirmant jusqu’à plus grand-chose.
L’AFD n’a pas vocation à être une banque de commerce extérieur, avez-vous dit. Quand même, les pays en voie de développement, eux, ont besoin d’exporter. Pour cela, il leur manque l’expertise sur leurs capacités à exporter, sur leurs productions, sur les marchés. En la matière, des appels d’offres sont lancés pour répondre à leur demande. J’ai l’honneur de présider l’agence Ubifrance, qui a obtenu des résultats en Algérie dans le cadre de TAIEX, des contrats de courte et de longue durée. Le Centre du commerce international, basé à Genève, a la charge de renforcer les capacités de ces pays en matière d’aide au développement. Or on sait pertinemment que c’est à travers des financements multilatéraux et bilatéraux. Aujourd’hui, l’AFD est sans doute le meilleur bailleur de fonds pour financer ces actions avec un programme de renforcement des capacités commerciales. Or on remarque que la totalité des crédits de ce programme n’a pas été utilisée. Ubifrance est intervenue en Algérie, elle aurait pu le faire en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal mais elle n’a pas eu les moyens de le faire.
Vous prenez comme postulat que l’aide de l’AFD est dédiée, que l’Agence n’a pas vocation à financer d’autres agences françaises. Je vous rétorque que lorsque vous ne faites pas travailler Ubifrance, vous n’êtes pas obligé de prendre un intervenant qui coûte plus cher – je sais que cela a été le cas à plusieurs reprises. En Chine, par exemple, d’autres se posent moins de problèmes avec les aides liées. Du reste, un appel d’offres n’est pas une aide liée. Que peut faire l’AFD pour que nos expertises, lorsqu’elles sont moins chères, puissent être prises en considération ? Nous avons un savoir-faire qui est reconnu dans le monde et parfois bien supérieur à celui de ceux qui interviennent.
M. Jacques Myard. Que vos interventions vis-à-vis de la Chine ne coûtent rien à l’État, je n’en suis pas convaincu. La crédibilité sur les marchés est un tout, et si vous pouvez consentir des prêts à la Chine en empruntant sur les marchés, c’est en raison d’une certaine notation. Pourquoi n’invite-t-on pas, avant toute chose, un pays qui manipule à ce point sa monnaie et qui dispose de 3 000 milliards de dollars de réserve à procéder à un ajustement monétaire ?
Quelle est la part du multi et du bilatéral dans votre action ? Comment sont définies les stratégies d’intervention au niveau français ? Quant aux ONG, ce qu’elles font est bien beau, mais c’est une source de gabegie. Comment les contrôlez-vous ? Si certaines sont très efficaces et font un excellent travail, d’autres, énormes, ne sont pas transparentes et posent des problèmes à tous égards, y compris de manipulation de la part des services secrets étrangers.
M. Guy-Michel Chauveau. Ma première remarque rejoint celle de Michel Destot sur les collectivités locales. Ensemble, nous avons participé au sommet Africités au mois de décembre dernier ; ensemble aussi, depuis dix ans, nous suivons l’implication des collectivités locales en Afrique à travers les associations dont elles se sont dotées. Il revient invariablement que la définition des politiques contractuelles ne donne pas lieu à un dialogue permettant de prendre en compte leurs projets. Sur le terrain, elles ont le sentiment que nous sommes un peu trop directifs, soit pour les secteurs dans lesquels intervenir, soit pour la régulation budgétaire des appels à projet, qui peut atteindre des niveaux excessifs. Au Mali, par exemple, on est arrivé à plus de 300 000 euros en prévoyant un poste eau et assainissement alors que l’eau n’est arrivée que dans peu de communes. De fait, les élus de l’Afrique subsaharienne se posent des questions.
La crise au Mali doit susciter de la réactivité. Le Parlement malien a voté, hier, la feuille de route, l’Association des municipalités maliennes a rencontré les bailleurs de fonds – France, Pays-Bas, Allemagne – pour leur donner, à eux aussi, une feuille de route. Les conditions vont être réunies pour que le volet politique de la résolution 2085 du Conseil de sécurité se mette en place. Nos collègues élus maliens soulignent l’urgence du retour des déplacés et des réfugiés, de la mise en place d’administrations locales, du retour des élus pour que les élections puissent avoir lieu avant le mois de juillet. Dans cette réactivité, quelle est la position de l’AFD ?
M. Alain Marsaud. Ma question a déjà été posée par Thierry Mariani.
M. Jean-Paul Dupré. L’AFD banque de développement a une mission de solidarité internationale, avez-vous dit. Malgré des efforts financiers conséquents, les résultats sur le terrain sont pour le moins décevants, les populations, surtout en Afrique, semblant ne retirer aucun bénéfice. Si 77 % des subventions vont à l’Afrique subsaharienne, on peut vraiment se demander qui en profite.
M. Jean-Louis Christ. Chaque année, lors des débats budgétaires, nous voyons que les résultats de l’AFD sont récupérés en partie par Bercy alors qu’ils devraient être directement affectés au renforcement des fonds propres de l’Agence. Le Parlement devrait davantage se mobiliser sur cette question récurrente. De même, il devrait avoir un rôle dans les choix stratégiques et les orientations de l’Agence, et non pas se contenter d’en voter le budget. Non pas que je mette en cause ce qui a été fait jusqu’à présent, mais il me semble relever du rôle du Parlement de se prononcer sur les choix stratégiques. Qu’en pensez-vous ?
Mme Françoise Imbert. Dans les politiques de développement, je remarque que les femmes, dont le rôle est pourtant essentiel, sont souvent oubliées. Les sensibiliser est important, notamment en Afrique. La question du genre et de l’égalité hommes-femmes peut avoir des implications fortes dans la croissance démographique et celle des populations urbaines, tout comme dans la lutte contre la pauvreté. Quelles sont les actions spécifiques de l’Agence française du développement en la matière ?
M. Jean-Claude Guibal. Je reviens sur l’objectif de doublement de l’aide aux ONG. Avez-vous une connaissance suffisante des fonds qui financent ces ONG et sur quels critères les retenez-vous ? Par ailleurs, n’y a-t-il pas un paradoxe, si l’un des objets principaux de l’AFD est l’aide au développement, à aider le développement de pays émergents dont on sait que la croissance est et sera durablement supérieure à la nôtre ?
M. Boinali Said. Vous parlez de plan de développement, par exemple pour le Mali, en même temps que de diplomatie économique. Je n’arrive pas à comprendre comment l’aide peut apporter, selon vos appréciations, des espoirs de réussite à des pays qui sont toujours structurellement fragiles. Vous dites que vos objectifs ont été atteints alors que, visiblement, les zones concernées souffrent de fragilité structurelle. Votre approche semble pour le moins paradoxale.
Mme Odile Saugues, vice-présidente. À la fin de cette série de questions, permettez-moi de compléter celle de Guy-Michel Chauveau à propos du Mali. L’AFD a été très vivement critiquée pour avoir déserté le terrain, contrairement à d’autres opérateurs internationaux. Que répondez-vous ?
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. La politique française d’aide au développement depuis quatre siècles a été analysée. On a ainsi appris que l’acquisition par la France de la Louisiane, qui représentait, à l’époque, la moitié des États-Unis, avait suscité un débat à la cour avec le roi. C’est la politique publique la plus décriée, celle qui a toujours besoin de se justifier, d’expliquer. Je souhaite défendre l’action de l’Agence et le travail de ses agents.
M. Jean Glavany. Personne n’a mis en cause vos agents.
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. Vous êtes des faiseurs d’opinion, aidez-nous à défendre l’Agence ! J’ai quand même entendu que nos actions au Mali et en Afrique subsaharienne étaient sans effet, mais nous ne sommes pas en charge du développement de toute l’Afrique sahélienne. Nous avons des succès. Ainsi, le centre de maternité de Nouakchott, auquel nous avons consacré 3 millions d’euros, traite aujourd’hui le tiers des naissances mauritaniennes. Avec peu de moyens, l’action a été très efficace. C’est là-dessus qu’il faut véritablement juger l’Agence, je le dis pour les agents.
Les agents rentrent dans l’AFD entre vingt-cinq et trente ans pour en ressortir à l’âge de la retraite. Ils y sont attachés, il y a une culture d’entreprise dans cette maison. On fait tout pour éviter les détournements à droite et à gauche, et je peux vous donner des exemples.
M. Jean-Paul Bacquet. Personne ne conteste que ce que fait l’Agence, l’État n’en est pas capable.
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. Avant 1998, le système fonctionnait avec quatre opérateurs : la caisse, qui était limitée à ce qu’on appelait le champ et qui intervenait essentiellement en matière économique et financière ; la direction du trésor, dont le domaine était la matière économique et financière hors champ ; la direction du développement, qui intervenait pour tout ce qui était culturel, scientifique et technique dans le champ ; la direction générale du ministère des Affaires étrangères. À l’époque, il était très difficile de comprendre ce fonctionnement. La réforme engagée en 1998 a permis de clarifier le système en ne conservant qu’un seul opérateur, même si un seul opérateur qui cumule des objectifs différents, cela reste un peu compliqué.
L’Agence ne détermine rien, nous sommes en discussion permanente avec nos tutelles, que j’ai d’ailleurs l’habitude de comparer à Shiva et ses douze bras. Nous passons notre temps à essayer de coordonner les instructions du ministère des affaires étrangères, de la direction du trésor. Nous sommes tributaires des arbitrages interministériels. Il n’y a rien là de choquant ou de gênant, même si cela complique la gestion au quotidien. Ce qu’il faut, c’est prendre de la distance par rapport à certaines crispations. Heureusement, notre POS 3 a été adopté au mois d’octobre et totalement validé par les nouveaux ministres. L’Agence ne décide pas toute seule, au point que nous sommes parfois dans un micro-management. D’ailleurs, la diversité de vos questions montre combien tout cela est compliqué.
Au Mali, nous n’avons pas déserté le terrain. Les événements sont survenus le 22 mars. Notre directeur d’agence, dont l’épouse travaillait au lycée français, a pris des vacances de printemps pour se familiariser avec sa nouvelle affectation en Martinique. Ce n’était pas une désertion. Puis la situation s’est compliquée, l’Élysée nous a donné instruction d’attendre. Pendant cette période, l’Agence a fonctionné avec des personnels locaux. Par la suite, à l’issue d’un appel à candidature, un nouveau directeur d’agence a été choisi qui, pour cause de maladie, a malheureusement été obligé de décliner l’offre. Après quoi est intervenue une instruction du quai d’Orsay recommandant de faire appel à un « géographique célibataire ». Or le deuxième candidat pressenti a refusé de partir sans son épouse. Aujourd’hui, nous avons enfin un nouveau directeur d’agence, qui sera autorisé à partir le 17 février.
Pour répondre à M. Mamère sur les différentes cultures, celles qui sont destinées à l’exportation sont indispensables pour avoir des cultures vivrières. Dans le schéma paysan africain, le cotonculteur a un champ pour moitié dédié à l’exportation et pour moitié réservé aux cultures vivrières. C’est grâce aux engrais que la société cotonnière lui donne pour la culture d’exportation qu’il fait son vivrier. Les deux sont intimement liés, on ne peut pas, il ne faut pas les opposer. C’est en aidant la culture du coton, tout en surveillant l’utilisation des engrais, qu’on aidera les cultures vivrières. Par ailleurs, je n’ai rien à dire s’agissant de votre remarque sur l’accaparement des terres sinon que c’est un véritable problème.
Le Mali n’est pas la seule problématique africaine, il y a aussi toute l’Afrique sahélienne et même l’Afrique francophone. Cette dernière va moins bien que l’Afrique anglophone où, d’ailleurs, nous intervenons plus en raison du plus grand nombre d’opportunités. Une véritable réflexion doit être menée sur l’Afrique francophone, et nous l’avons engagée avec nos autorités de tutelle à la lumière de l’élément particulier qu’est le Mali.
Nous ne sommes pas habilités à financer des projets culturels, c’est le domaine des SCAC. Néanmoins, nous veillons à la défense de la langue française, qui est l’un des axes principaux fixés à l’Agence depuis bien longtemps, à travers le financement de centres de formation professionnelle, par le biais desquels on améliore l’employabilité des populations. En finançant ces centres, nous permettons l’utilisation du français pour les normes techniques françaises. Là se trouve ce que j’appelle la capacité d’influence.
Comment, tout en maintenant notre mission de solidarité internationale, accompagner les entreprises ? Vous me dites recevoir de la part des entreprises à la fois des retours positifs et des plaintes. Je veux essayer de purger le sujet : une seule entreprise se plaint à propos de deux projets. Le premier est le barrage de Lom Pangar, au Cameroun, pour lequel nous finançons le déplacement des populations et le respect de la biodiversité afin que cela soit fait dans des conditions correctes. Nous ne finançons pas le génie civil qui a fait, du reste, l’objet d’une proposition plus chère de 70 % difficile à justifier. Le second projet concerne l’aéroport de Nairobi, avec la construction d’une troisième piste et d’une troisième aérogare. Pour ce projet qui n’implique rien que de très classique – bitume, bâtiment, ciment –, le maître d’ouvrage s’est fait assister de l’entreprise française Aéroports de Paris International : résultat, un surcoût de 95 % ! N’oublions pas que l’absence de déliement a été à l’origine de beaucoup de problèmes. Du reste, il est intéressant de constater que le CIAN, qui regroupe 1 300 entreprises impliquées en Afrique subsaharienne, ne demande surtout pas le reliement de l’aide, car ses entreprises bénéficient considérablement des financements des autres. C’est donc là un sujet sur lequel il faut savoir raison garder, en sachant que nous faisons le maximum pour que des entreprises françaises puissent participer à nos projets. À cet égard, le fonds d’expertise technique annoncé par le ministre de l’Economie et des Finances M. Pierre Moscovici est essentiel, car, quand nous finançons une expertise pour le plan de financement ou l’étude de faisabilité, nous structurons le travail avec le maître d’ouvrage dès le début. C’est de cette manière que nous allons essayer de ne pas perdre notre vocation de solidarité internationale.
L’Agence est impliquée depuis 2007 dans la croissance verte et solidaire. Le Gouvernement nous demande d’en faire plus ; ce n’est pas un problème, d’autant que cette démarche s’inscrit parfaitement dans notre approche des pays émergents. Nous avons été les premiers, en partenariat avec les Japonais, à financer un plan de lutte contre le changement climatique en Indonésie et à développer des outils sur ces problématiques, si bien que la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement ont demandé à nous rejoindre. Toujours avec nos partenaires japonais, nous avons fait la même chose au Vietnam et une opération est en cours aux Philippines. Au Mexique, nous menons une action similaire mais seuls. Grâce à notre plan d’orientations stratégiques, qui commande différents cadres d’intervention, nous allons encore plus loin. Avec nos tutelles, nous avons arrêté un document sur l’énergie qui fait de l’efficacité énergétique un élément essentiel.
Nous intervenons en Inde et au Brésil principalement à travers le financement des transports urbains, ainsi qu’à Medellin où se développe un projet extraordinaire.
L’outre-mer est une zone très importante pour nous, puisque notre activité y est en croissance : nous avons atteint 1,4 milliard cette année, la tendance historique étant d’un milliard. Nous avons fait des offres de service à la BPI et à nos autorités de tutelle pour le secteur de l’habitat avec un plan habitat fondé sur les sociétés immobilières. Notre activité se développe aussi en outre-mer parce que les entreprises y sont confrontées à un vrai problème de financement.
Conformément à l’un de ses engagements de campagne, le Président de la République a décidé de doubler les subventions aux ONG. Nous sommes service instructeur du ministère des affaires étrangères et les crédits seront augmentés de 45 à 90 millions, à raison d’une augmentation d’un cinquième par an. Cela devrait nous permettre de répondre à une demande de projets par les ONG que nous n’étions pas en mesure de satisfaire. Nos critères, aussi bien pour les collectivités locales que pour les ONG, sont définis dans nos cadres d’intervention stratégiques arrêtés avec les tutelles. Si les projets proposés par ces collectivités locales et ces ONG rentrent dans ces cadres, nous les accompagnons. Les ONG sont très jalouses de leur indépendance, tout comme les collectivités locales qui l’ont réaffirmé hier, à la commission nationale de la coopération décentralisée. Notre participation financière repose donc sur un travail de dialogue. Dans ces conditions, il peut certes se poser un problème de coordination, mais c’est le corollaire de la liberté et de l’absence d’encadrement que réclament ces partenaires.
En matière de bilatéralisme et de multilatéralisme, l’important est que nous développions de plus en plus de partenariats. Nous sommes aujourd’hui, avec les Allemands, les plus grands bénéficiaires de l’aide européenne. Grâce à notre réseau, notre présence sur le terrain est reconnue par Bruxelles, au point qu’on nous confie des crédits. C’est ainsi que nous avons conduit notre action de développement de périmètres irrigués sur les fleuves Niger et Sénégal, au Mali, au Sénégal ou en Guinée-Conakry sur des crédits européens, et que notre intervention sur la troisième ligne de métro du Caire s’appuie également en partie sur des financements de même origine. Nous avons aussi des accords de coopération avec la BEI et la KfW.
Pour ce qui est de l’ajustement monétaire de la Chine, l’Agence ne peut pas porter toutes les problématiques de la gouvernance internationale.
Nous travaillons étroitement avec Ubifrance.
M. Jean-Paul Bacquet. Pas assez ! La liste est très longue des opérations qu’Ubifrance aurait pu mener alors que l’AFD ne l’a pas sollicitée et que l’argent est encore disponible. Votre complexe de l’aide liée, ceux d’en face ne s’en embarrassent pas.
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. Avec l’orientation de notre ministre des affaires étrangères, une prise de conscience est en train de s’opérer au sein de notre maison. Laissez-nous un peu de temps pour nous adapter tout en trouvant les moyens de sauvegarder le déliement, qui est une orientation internationale. Au niveau de l’OCDE, il serait difficile de revenir sur cette règle.
Quand nous faisons à la Chine un prêt aux taux du marché, compte tenu de notre niveau de taux d’intérêt, il est déclarable en APD et sans bourse délier pour l’État. Comment, sans cela, pourrions-nous atteindre l’objectif de 0,7 % du PIB alors que nous ne sommes même pas aux 0,50 % d’il y a deux ans ? Nous sommes à peine à 0,46 %. Ou alors, il faut suivre le conseil de la Cour des comptes et assumer de ne pas être capable de tenir un pourcentage. Aujourd’hui, même si on nous reproche de consacrer peu de dons à l’Afrique subsaharienne, notre modèle permet encore de le faire. Compte tenu de nos contraintes budgétaires, le Gouvernement a accompli un tour de force extraordinaire pour sanctuariser les dons du programme 209.
M. Jean-Paul Bacquet. J’avais déploré que l’État récupère des dividendes, mais je me réjouis qu’ils soient aujourd’hui en diminution. C’est le principe qui n’est pas tolérable.
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. Sur ce point, je dis « Joker ! » en même temps que je réponds à M. Christ. Le Parlement est intervenu. Vous avez été consultés sur le document cadre de coopération et de développement et sur notre contrat d’objectifs et de moyens. À l’occasion de cette consultation, vous avez fait la même observation et vous nous avez aidés. Avant le contrat d’objectifs et de moyens, nous reversions 100 % de notre résultat.
Nous avons constitué un groupe de travail interne et j’ai missionné une personne en vue de nous mettre, d’ici à deux mois, en ordre de bataille pour augmenter notre capacité d’influence. J’ai pour intime conviction que, dans notre monde, on ne peut avoir de stratégie de rupture avec aucun pays, même si certaines politiques conduites par quelques grands émergents interpellent. Ce sont des problèmes de gouvernance mondiale qu’il faut aborder au même niveau. Nous, nous ne pouvons pas prendre le risque d’une rupture, il n’y a que des stratégies de coopération qui vaillent. Dans cette démarche de coopération, l’Agence est un outil à la disposition du Gouvernement. Tout, de nos cadres d’intervention à nos projets mêmes, tout est discuté avec les tutelles. Nous sommes dans une gestion collective.
M. Jean-Paul Bacquet. Rien ne nous oblige à être naïfs. Avec Nicole Ameline, nous avons rencontré le représentant de la Chine en RDC. Il ne nous a pas parlé d’aide liée ou d’aide déliée ; il nous a parlé des affaires qu’il était en train de faire là-bas. Il ne nous a pas parlé de taux monétaire ; il nous a parlé de ce que je traduis comme un pillage de ressources naturelles. À côté de lui, nous faisions figure de rigolos. Je veux bien qu’on cherche à éviter les problèmes avec les uns ou les autres, mais, à un moment, il faut savoir ce que l’on veut. L’Afrique francophone, vous avez raison, est bien moins puissante que l’Afrique anglophone, avec des taux de croissance plus faibles. Si, demain, ils se retrouvaient à niveau, encore faudrait-il que nous soyons suffisamment agressifs pour défendre nos savoir-faire et pour continuer à aider sans laisser les autres récupérer à notre place les matières premières et les richesses.
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. Depuis la rentrée de septembre, avec Pascal Canfin, nous avons développé, à un double niveau, une initiative visant à mettre en place des règles de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise très strictes relatives aux termes de référence dans les appels d’offre. À son niveau, le ministre s’est engagé avec le commissaire européen et ses homologues ; à mon niveau, je travaille avec mes collègues de la KfW, de la JICA japonaise et d’autres banques de développement qui forment un petit club. Nous sommes sur une position commune, avec même des documents écrits, et nous allons essayer de la faire aboutir. Si cela s’avérait insuffisant, l’Organisation internationale du travail aurait peut-être un rôle à jouer.
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l’enseignement principal à tirer de la situation de l’entre-deux-guerres était que la crise de 1929 avait entraîné des dévaluations compétitives et la mise en place des protectionnismes qui avaient contribué au conflit. Pour éviter que cela ne se reproduise, des institutions ont été créées : Fonds monétaire international, Banque mondiale, Accords du GATT. Le rôle du FMI était d’éviter les dévaluations compétitives mais, en 1976, les accords de la Jamaïque ont complètement occulté cet objectif. Or le Fonds doit quand même pouvoir se pencher sur les déséquilibres de balances de paiement. Pour notre part, nous ne pouvons travailler que dans le contexte qui nous environne. Il existe beaucoup d’autres exemples où nous sommes confrontés à des partenaires qui ont moins de scrupules que nous. Nous nous mettons en ordre de marche pour résister.
La préoccupation du genre remonte à vingt-cinq ans dans l’Agence ; elle a été accentuée depuis le contrat d’objectifs et de moyens. L’Afrique est confrontée à un problème de croissance démographique et à un risque de marginalisation que l’on tente d’atténuer en mettant en avant les taux de croissance. Or ces derniers ne sont-ils pas simplement le résultat de l’augmentation du prix des matières premières et des ventes plus importantes de celles-ci compte tenu des besoins des pays émergents ? Y a-t-il un véritable développement endogène en Afrique ? C’est le cas dans certains pays comme le Ghana, le Kenya, le Zimbabwe, mais pas dans toute l’Afrique. En tout état de cause, le problème démographique est important. Compte tenu d’un certain nombre de pratiques, le ralentissement de la croissance démographique ne peut passer que par l’aide aux femmes. Même si elles contribuent à la croissance économique, nous avons concentré les subventions sur les secteurs sociaux et sur l’éducation des femmes, deux éléments qui permettent de faire avancer plus rapidement la transition démographique. Les femmes sont donc présentes au niveau de nos interventions en matière sanitaire et d’éducation et elles sont plus que présentes dans nos interventions en matière de microfinance.
Mme Nicole Ameline. Notre question n’était pas celle-là. Aujourd’hui, dans le monde, nous apportons des financements considérables à des pays qui violent les droits fondamentaux. Cela pourrait créer une rupture chez nos propres citoyens, donc sur le vote des budgets, notamment le vôtre. À un moment, ils exprimeront le refus de voir la France apporter des fonds à des pays qui ne respectent pas les droits de l’homme. Puisque la conditionnalité n’est pas politiquement correcte, pourquoi ne pas adopter la redevabilité dont le socle basique, accepté par tous, serait le respect des droits de l’homme et l’arrêt des violences, notamment envers les femmes qui sont les premières actrices du développement ? L’aide au développement souffre d’un problème éthique, que je constate en tant qu’experte de l’Afrique dans une autre instance. Il est très difficile de voir des pays qui bénéficient aujourd’hui de l’aide internationale et ne respectent pas les droits fondamentaux. C’est une problématique qui dépasse de très loin l’aide à projets. Comment, indépendamment de certains autres pays bailleurs de fonds, l’Europe et la France pourraient-elles s’ériger en modèles en développant des partenariats éthiques reposant sur l’irréductible humain, un socle universel de droits ?
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. Je n’ai pas encore rencontré un seul pays du Sud où il n’y ait pas de corruption. Ces problèmes sont, du reste, beaucoup plus importants en Amérique latine et en Asie qu’en Afrique subsaharienne.
C’est seulement par le dialogue, en affirmant notre laïcité et notre souci de défendre les droits de la femme, que nous ferons passer ces principes. Nous sommes rentrés dans un dialogue très structuré avec la Banque islamique de développement, nous sommes en train de finaliser un dialogue très important avec l’université al-Azhar et nous organiserons, en avril, un colloque au Caire, avec la même université sur le rôle de la femme dans le développement.
Mme Nicole Ameline. Emmenez-y quelques députées femmes !
M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement. Elles seront les bienvenues !
Je ne dis pas que le dialogue est une voie facile. Au sein même de l’Agence, nous avons eu un débat. Je dis souvent que le développeur doit écouter celui qu’il cherche à aider. J’ai dirigé, au début des années 2000, l’entreprise publique qui portait la filière du coton, la Compagnie française de développement des fibres textiles. Il faut savoir que la culture du coton a été imposée par la force. Au début des années cinquante, au Tchad, le préfet prenait des arrêtés régissant la journée de travail et les travaux des paysans. Fort heureusement, aujourd’hui, nous ne sommes plus dans ce type de rapport ; nous devons être à l’écoute des demandes de nos pays partenaires. C’est là que le capital humain de l’Agence est important. Les personnels sont au clair sur les problématiques de laïcité et de défense des droits élémentaires, qui ont été affinées au cours des soixante-dix ans d’existence de l’AFD. Les origines de celle-ci remontant à 1941, on peut dire que la résistance à la pauvreté fait également partie de la culture de l’entreprise. Forts de ce bagage, les agents savent se montrer ouverts au dialogue tout en restant fermes sur nos principes. Je ne vous cache pas, cependant, que nous avons parfois l’impression d’être des Sisyphe.
Mme Odile Saugues, vice-présidente. Merci, monsieur le directeur, pour les réponses que vous avez apportées. Le débat a été aussi musclé qu’étaient fortes les interrogations des députés, d’un côté, et vos convictions, de l’autre.
La séance est levée à onze heures vingt-cinq.
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mercredi 30 janvier 2013 à 9 h 45
Présents. - Mme Nicole Ameline, M. François Asensi, M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Luc Drapeau, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Laurent Kalinowski, M. Patrick Lemasle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Vauzelle
Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Gérard Charasse, M. Philip Cordery, M. Édouard Courtial, M. François Fillon, M. Paul Giacobbi, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Axel Poniatowski, M. Michel Terrot