Table ronde, ouverte à la presse, sur le traité sur le commerce des armes, avec M. Jean-Hugues Simon-Michel, Ambassadeur auprès de la Conférence du désarmement, M. Aymeric Elluin, coordinateur TCA - Amnesty International France, et M. Benoît Muracciole, président d’Action Sécurité Ethique Républicaines
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers collègues, dans la perspective de la prochaine conférence internationale de négociation d’un traité sur le commerce des armes qui aura lieu à New York du 18 au 28 mars, nous organisons aujourd’hui une table ronde à laquelle participent M. Jean-Hugues Simon-Michel, ambassadeur, représentant de la France auprès de la Conférence du désarmement à Genève, M. Aymeric Elluin, coordinateur TCA-Amnesty International France, et M. Benoît Muracciole, président d’Action sécurité éthique républicaines. Je vous remercie, messieurs, d’avoir accepté notre invitation.
Le processus de négociation d’un traité sur le commerce des armes a été lancé aux Nations Unies en 2006, sous l’impulsion de quelques États, dont la France et le Royaume-Uni. Une première conférence a eu lieu en juillet dernier mais n’a pu aboutir. Un projet de texte a été présenté aux États participants, mais certains d’entre eux ont demandé plus de temps pour l’examiner. La conférence qui s’ouvrira la semaine prochaine vise donc à achever le travail engagé il y a quelques mois.
Monsieur l’ambassadeur, vous allez représenter la France à cette conférence. Nous aimerions que vous nous éclairiez sur les enjeux de la négociation et sur le contenu du texte qui a été débattu en juillet 2012. Nous souhaitons connaître la position de la France sur ce projet, mais aussi comprendre les points de blocage qui ont rendu nécessaire la tenue d’une nouvelle conférence. Nous attendons également de MM. Elluin et Muracciole qu’ils nous présentent leurs observations et leurs critiques. En effet, on a pu relever les limites de ce texte, parmi lesquelles son champ d’application insuffisamment large, lequel n’inclurait qu’indirectement les munitions, qu’il semble à première vue difficile de dissocier des armes. De même, la notion de commerce des armes, qui exclut les formes non lucratives de transferts d’armes, n’est-elle pas trop étroite ? Qu’en sera-t-il enfin de l’application du futur traité ? Ses violations pourront-elles être efficacement sanctionnées ?
La Commission nationale consultative des droits de l’homme a rendu un avis très documenté sur le projet de traité dans sa rédaction arrêtée en juillet dernier, avis dont elle a souhaité nous faire part. Je remercie Mme Noémie Bienvenu, conseillère juridique à la CNCDH qui assistera à l’audition, de sa présence et de l’excellent document qu’elle nous a communiqué.
Je vous laisse la parole, monsieur l’ambassadeur, pour une dizaine de minutes, avant de la donner à MM. Elluin et Muracciole ; après quoi nous aurons de nombreuses questions à vous poser.
M. Jean-Hugues Simon-Michel, ambassadeur auprès de la Conférence du désarmement. Vous avez rappelé, madame la présidente, les principaux éléments de la procédure.
J’ajouterai que ce traité arrive sur une table rase juridique : à l’échelle mondiale, aucune règle universelle ne régit le commerce des armes. Il n’existe que des embargos décidés au cas par cas pour résoudre un problème particulier posé par le commerce des armes depuis ou vers certains pays. L’interdiction de l’importation et de l’exportation d’armes fait ainsi partie du régime de sanctions visant l’Iran. Quelques engagements politiques, et non juridiques, à faire preuve de transparence ont été pris depuis le début des années 1990 et un dispositif – également politique – d’incitation à coopérer à la lutte contre la dissémination des armes légères et de petit calibre a été mis en place. Si nous parvenons à conclure ce traité, la communauté internationale aura donc fait œuvre novatrice : quand on part de zéro, toute avancée est un pas de géant. Il nous faudra nous en souvenir au moment d’apprécier le texte qui sera adopté.
Par ailleurs, aucun traité universel n’a été conclu dans le domaine du désarmement et de la maîtrise des armements depuis 1996, date du traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires. Les traités sur l’interdiction des mines antipersonnel, en 1997, et des armes à sous-munitions, en 2008, n’ont pas été conclus dans le cadre des Nations Unies et plusieurs pays ont refusé de participer aux négociations et, pour le moment, de signer le texte, dont les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde et le Pakistan. De ce point de vue également, un succès constituerait une avancée considérable.
Au niveau international, en revanche, certaines régions ont adopté un régime de contrôle du désarmement comportant des règles communes. La CEDEAO l’a fait en Afrique de l’Ouest pour les armes légères. Mais l’Union européenne se distingue par l’existence de règles portant sur tous les armements conventionnels et communes à tous ses Etats membres, qui forment un code de conduite devenue position commune – ce qui lui confère une valeur juridique – en 2008, sous la présidence française.
Voici quelle est, dans ses grandes lignes, la position de la France. Nous voulons un traité, et non, à la différence d’autres pays, un texte politique. Nous voulons que ce traité aborde clairement les deux dimensions du sujet : premièrement, la régulation du commerce légitime, d’État à État ; deuxièmement, la prévention du trafic illicite. Si la seconde est relativement consensuelle parmi les États membres, qui ne souhaitent pas prendre le risque d’armer des groupes rebelles ou terroristes, la première est plus sensible car elle engage la souveraineté des États ainsi que la paix et la sécurité au niveau interétatique.
Nous voulons que le champ d’application du traité soit le plus large possible. Un traité qui n’aurait pas inclus les armes légères et de petit calibre n’aurait pas eu de sens puisque ce sont ces armes qui font le plus de victimes dans le monde. Cette inclusion, désormais acquise, ne l’était pas avant la conférence de juillet et a représenté une concession majeure de la part de certains pays, dont la Chine. Nous estimons également que le traité doit porter sur les munitions. Des armes sans munitions ne sont pas utilisables ; en outre, s’il faudra beaucoup de temps pour éliminer le stock d’armes légères et de petit calibre qui circule hors de tout contrôle, notamment en Afrique, celui des munitions s’épuise et se périme s’il n’est pas alimenté. En somme, le texte doit couvrir tout le champ des armes non conventionnelles – mais aussi toute la chaîne des transferts, de l’exportation à l’importation. Naturellement, l’on n’attendra pas des importateurs qu’ils se contraignent mais qu’ils soient responsables de ce qui entre sur leur territoire. Il convient également de tenir compte des étapes intermédiaires dans les pays de transit et du problème du courtage.
Nous souhaitons enfin des critères exigeants, qu’il s’agisse du respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, de l’effet sur la paix et la sécurité internationales, du respect des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies ou de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.
Cela étant, c’est aux États qu’il incombera d’appliquer le traité et de prendre les décisions relatives aux exportations. En effet, le texte ne sera pas d’exécution directe : chaque État devra le ratifier puis adopter une législation nationale détaillée afin de le mettre en œuvre.
Nous pourrons revenir, si vous le souhaitez, sur plusieurs aspects plus techniques mais importants, dont la transparence et le processus de suivi, lequel inclut des réunions régulières entre les États parties. Car loin de se réduire à un instrument juridique qui crée des règles, un traité est un mécanisme vivant dont l’application peut être améliorée.
Dans le même ordre d’idées, n’oublions pas que la plupart des grands traités sont courts. Le traité de non-prolifération nucléaire ne dépasse pas une à deux pages, selon la police de caractères utilisée, et ne comporte que dix articles. Sur ce modèle, nous devons parvenir à un traité incluant d’emblée tous les grands principes – dont il serait difficile de compléter la liste après coup –, plutôt que des stipulations trop détaillées, à propos desquelles il serait excessivement ambitieux et illusoire d’espérer parvenir à un consensus entre les 193 États membres de l’ONU.
Que s’est-il passé en juillet dernier et à quel stade de la procédure en sommes-nous aujourd’hui ? L’idée était d’aboutir à un traité lors de la conférence de juillet, et nous y étions presque : nous étions parvenus à un texte certes imparfait, mais qui convenait à la plupart des pays. S’il n’a pu être adopté, c’est officiellement parce qu’un pays, le premier exportateur d’armes, a dit avoir besoin de temps, non parce que la substance du traité lui posait un problème particulier mais afin d’en améliorer la rédaction du point de vue juridique. Tel est le sens de la déclaration écrite à laquelle il est parvenu à rallier de nombreux pays, dont la Russie et l’Inde. Selon les commentateurs, ce blocage de la négociation le dernier jour s’explique par le contexte politique que connaissait alors ce pays, qui s’apprêtait à vivre des élections générales – élection présidentielle et au Congrès – et qui a probablement craint que ce dossier n’interfère avec la campagne électorale. En effet, certaines associations se sont efforcées d’entretenir une forme d’amalgame entre le sujet qui nous occupe et la question, pourtant totalement différente, d’une éventuelle réglementation interne sur la détention des armes à l’intérieur du pays.
La résolution adoptée fin 2012 par l’Assemblée générale afin de convoquer la conférence finale n’a pas pour objet de rouvrir le dossier, mais bien de reprendre le travail là où il a été interrompu en juillet, avec le même texte et les mêmes règles de procédure.
Rien n’a changé concernant la position française sur les questions de fond. Il convient cependant de préciser que nous ne souhaitons pas rouvrir la boîte de Pandore, d’autant que quelques pays, certes peu nombreux, restent sceptiques et ne souhaitent pas nécessairement le succès de la conférence. Toutefois, nous sommes forts d’un soutien très majoritaire et qui s’étend à toutes les zones géographiques : l’on ne constate pas de clivage entre les Occidentaux et les non-alignés sur cette question.
M. Benoît Muracciole, président d’Action sécurité éthique républicaines. C’est un plaisir pour moi d’être auditionné par la commission des affaires étrangères, devant laquelle je n’étais pas revenu depuis février 2002.
J’aimerais tout d’abord présenter un bref historique de la campagne pour un traité international sur le commerce des armes, lancée en 2003 par les ONG et qui a débouché sur une dynamique vertueuse au sein de l’ONU.
L’idée de régulation des armes est apparue à la fin du xixe et au début du xxe siècle, avec la conférence de Bruxelles, puis le traité de Saint-Germain et le projet de la SDN. Il s’agissait alors de protéger les colonies. Ce rappel peut nous éclairer sur les problèmes de compréhension qui peuvent se poser aux ONG comme aux États. Car, aujourd’hui, le sujet n’oppose pas les ONG aux gouvernements, mais certaines ONG et certains gouvernements à d’autres.
C’est en 1982 que l’on a commencé à réfléchir au contrôle des armes. Chez Amnesty International, dont je faisais partie à l’époque, nous nous interrogions sur l’outil le plus adapté pour protéger et faire respecter le droit international humanitaire et les droits de l’homme. Constatant que les armes étaient impliquées dans plus de 90 % des cas de violation des droits de l’homme, nous avons donc jugé opportun de privilégier la prévention. Tel est le sens de notre travail : parvenir à un traité préventif, et non punitif ou d’interdiction. Le principe est donc à la fois très simple – pas d’armes pour commettre des atrocités – et très complexe : comment organiser la régulation de manière à susciter l’accord de la majorité des États ? Il s’agit de prévenir les trafics illicites et les graves violations des droits de l’homme. La colonne vertébrale du traité, qui demeure dans le texte adopté en juillet, est le principe suivant : les États ne doivent pas exporter d’armes s’il existe un risque prédominant que celles-ci servent à de graves violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire.
Jusqu’en 2006, on pensait, au sein de la grande coalition internationale des ONG dont ASER est membre, que les États n’étaient pas prêts à accepter une telle proposition et qu’il en résulterait une convention du type de celle d’Ottawa. Mais, en 2006 – moment historique –, quelque 150 États ont voté pour le traité et nous avons obtenu le coparrainage de 116 pays, ce qui était inédit dans l’histoire de l’ONU s’agissant de cette question. Autre précédent : les ONG étaient dans la salle ; j’y étais avec Didier Destremau, qui représentait Caritas. Depuis 2004, nous avons réussi à convaincre le gouvernement français de l’intérêt que présentait pour lui le fait de s’investir dans ce projet et, surtout à partir de l’Assemblée générale de 2006, nous l’avons aidé à en être l’un des moteurs.
À l’époque, la situation était simple : il s’agissait d’être pour ou contre un traité sur le commerce des armes. Aujourd’hui, l’on s’oppose sur le type de traité à adopter. Plusieurs États continuent de penser en termes d’interdiction, ainsi que certaines ONG même si elles parlent de régulation. Je suis tout à fait d’accord avec M. l’ambassadeur : du 18 au 28 mars, il ne sera pas question de négocier – comment le faire en neuf jours ? – mais de finaliser les négociations du mois de juillet. À cette fin, il faut aller à l’essentiel pour ne pas laisser aux États sceptiques ou opposés l’occasion de bloquer le processus. Nous avons besoin d’un texte qui soit une première pierre. Au rugby, quand il y a un temps fort, il faut marquer l’essai ; nous vivons aujourd’hui un temps fort que nous ne devons pas manquer. L’ONU obéit à des cycles de vingt ans. Si aucun traité n’est obtenu le 28 mars, nous risquons de repartir pour vingt ans.
Un second point essentiel est la vie du traité. Je songe tout d’abord à la liste des armes, qui n’est pas complète, qui n’est pas celle que nous, ONG, voulions, notamment s’agissant des munitions. Rappelons toutefois que les quarante plus gros exportateurs dans le monde – à l’exception de la Chine –, dont la France, la Russie et les États-Unis, sont parties à l’arrangement de Wassenaar, qui se fonde sur une liste beaucoup plus complète ; il leur serait difficile de faire varier leurs pratiques en la matière d’un traité à l’autre. Tel est aussi le sens du texte, sur le modèle de la position commune de l’Union européenne : peu à peu, en tissant des liens de confiance, en débattant, les États en viennent à une évaluation plus précise des risques d’usage.
En 2001, j’ai fait partie d’une mission d’Amnesty International en République démocratique du Congo, où cinq millions de personnes ont péri dans un silence assourdissant – et ce n’est pas terminé. Nous nous sommes rendus à Kisangani, théâtre de la guerre dite des six jours qui avait opposé l’Ouganda et le Rwanda l’année précédente ; parmi les armes et munitions que nous y avons récupéré, nous avons trouvé un obus de 104 millimètres fabriqué en 1975 par les Poudreries réunies de Belgique et utilisé en 2000 contre les populations civiles. Nous sommes alors parvenus à appeler l’attention des États sur le fait que les armes qu’ils vendaient de bonne foi – ce qui n’est pas toujours le cas –, ou sans en avoir suffisamment évalué les risques d’usage, peuvent être utilisées de cette façon cinq ou dix ans plus tard. C’est cette responsabilité des États que le traité consacre. C’est historique, et cela ne pourra qu’influencer les traités à venir. Aucun État ne pourra plus dire, comme l’a fait l’Italie au sujet de l’Algérie : « Je ne savais pas. » Sur ce point, nous ne céderons pas. Tous les États l’ont compris.
En ce qui concerne le processus à l’œuvre à l’ONU, je rejoins l’analyse de M. l’ambassadeur. J’ajoute que, depuis 2001, date à laquelle j’ai commencé à intervenir à l’ONU, je constate une importante redistribution des rapports de force qui régissent les relations internationales. « Autrefois », m’ont confié les délégués africains, « nous courions après les États-Unis et la Chine pour tenter de les rencontrer ; la dernière semaine, ce sont eux qui nous couraient après ! ».
M. Aymeric Elluin. Merci de votre invitation, qui témoigne de l’intérêt du Parlement pour le contrôle des exportations d’armes et la défense des droits humains.
Le chemin qui nous a mené à la situation présente a été long. L’idée de régulation du commerce des armes a été lancée au début des années 1990 par Amnesty International et trois autres ONG. Le dernier essai de convention sur le commerce des armes remonte au projet avorté de la SDN en 1925. Aujourd’hui, on avance, on y est. Lors de l’adoption de la résolution de novembre 2012 convoquant la conférence qui va s’ouvrir, Amnesty International a défendu l’idée d’une conférence finale : nous travaillons sur ce traité depuis vingt ans, il est temps d’aboutir.
En 2006, les Nations Unies ont étudié la faisabilité d’un traité, puis le processus de négociation officiel a été lancé ; cinq comités préparatoires y ont travaillé pendant près de deux ans, ce qui est extrêmement long compte tenu des pertes que subissent chaque jour les populations civiles – dont font partie 80 % des victimes – au Mali, en Syrie, en RDC, en Côte d’Ivoire, en Colombie. C’est un massacre permanent, perpétuel.
Il nous faut aujourd’hui un traité qui soit solide. Pour Amnesty International, le projet du 26 juillet constitue une base solide de négociation, mais mérite d’être amélioré afin d’atteindre les buts et objectifs du traité. Quels sont-ils pour l’essentiel ? Le texte a vocation à encadrer la vente d’armes, les transferts d’armes dans le monde – puisqu’il existe un vide juridique –, mais aussi et surtout à les rendre plus responsables. Aujourd’hui encore, de nombreux transferts sont irresponsables, irrespectueux des règles du droit international humanitaire et des droits humains. Nous avons publié hier un nouveau rapport qui le montre à propos des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.
Le projet existe et nous sommes à quelques jours de l’ouverture de la conférence. Comme l’a dit M. l’ambassadeur, celle-ci n’a pas vocation à rouvrir le débat sur l’ensemble du traité, ce qui est inconcevable en neuf jours et reviendrait à condamner le texte. En revanche, il faut tout mettre en œuvre pour tenter d’améliorer celui-ci sur plusieurs points.
Tout d’abord, son champ d’application, qui ne s’étend pas à l’ensemble des armes au sens d’Amnesty International. En particulier, les munitions et les parties composantes sont prises en considération de façon dégradée : elles ne font pas l’objet d’un contrôle exhaustif au titre de l’article 2.
En ce qui concerne les interdictions expresses et le processus d’évaluation nationale – articles 3 et 4 –, nous demandons un renforcement, voire une réécriture, des dispositions du traité afin de rendre plus rigoureux le contrôle effectué par les États. Ainsi, le problème des violences sexuelles et celui des enfants soldats font l’objet d’un traitement tout à fait insuffisant.
Amnesty International est bien conscient du fait qu’il s’agit d’une négociation internationale entre 193 États aussi différents que le Zimbabwe, la Syrie, la France, les États-Unis, la Corée du Nord, le Venezuela et l’Argentine. Le projet actuel de traité est le fruit de compromis que nous ne remettons pas en cause. Mais nous espérons convaincre la France et plusieurs autres pays, en particulier les membres permanents du Conseil de sécurité, d’aller de l’avant et de tenter d’améliorer le texte.
Amnesty International souhaiterait que la transparence y soit renforcée, notamment en faisant en sorte que les rapports publics sur les transferts d’armes soient réellement diffusés à l’ensemble de la société civile et aux parlements nationaux.
Aux termes de l’article 5.2, les accords de coopération en matière de défense ne seraient pas soumis au traité. Cela pose un véritable problème : cet article remet manifestement en cause les buts et objectifs du traité. Amnesty International souhaite donc sa suppression. En effet, comment un traité sur les transferts d’armes peut-il inclure un article soustrayant aux dispositions du texte tous les transferts d’armes effectués au titre d’accords de coopération en matière de défense ? C’est inimaginable. La Syrie reçoit aujourd’hui des armes au titre d’accords de coopération et de contrats avec la Russie.
Nul n’ignore que la France fait partie des pays qui soutiennent le traité. Ses représentants – les ministères, M. l’ambassadeur – ont souvent repris les positions d’Amnesty International, qu’ils connaissent très bien. Nous en discutons et nous étudions ce qui est possible compte tenu des lignes rouges de la France. Amnesty International n’est pas là pour casser la négociation, mais pour encourager l’adoption du meilleur traité possible, parce que nous nous préoccupons du sort des populations civiles sur le terrain. Au cours de mon intervention, plusieurs personnes auront perdu la vie à cause du problème dont nous discutons : on considère qu’il en fait mourir une par minute. Au-delà des intérêts des États, il nous faut nous soucier de ceux des populations civiles, qui, on l’a vu en Syrie et au Mali, paient aujourd’hui le prix fort.
M. Michel Destot. Vous souhaitez tous les trois un traité qui puisse constituer une base solide. À vos yeux, la Chine fait-elle partie des pays sceptiques ou de ceux avec lesquels nous pouvons contractualiser tout de suite ? Le précédent de l’OMC a montré combien il est difficile d’établir une régulation mondiale sur un fondement solide lorsque les choses ne sont pas claires dès le départ. Le budget militaire de la Chine, fixé le 4 mars dernier, progressera de 11,2 % en 2013 pour atteindre 662 milliards de yuans, soit 80,5 milliards d’euros – on dit même que ce montant serait sous-estimé –, afin de rattraper le retard technologique du pays sur Washington et Moscou notamment. Cette décision de développer le nombre et la qualité des armes produites vous paraît-elle de nature à consolider le traité en préparation ?
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je précise que Michel Destot est rapporteur d’une mission de la Commission des affaires étrangères sur la Chine.
J’aimerais pour ma part quelques précisions sur les positions respectives des différents pays.
M. Jean-Louis Christ. L’hypocrisie qui domine le commerce des armes fait apparaître le traité comme un peu utopique même s’il possède, comme l’a dit M. Muracciole, une dynamique vertueuse.
Pourriez-vous nous éclairer sur l’architecture normative et administrative du futur traité ? Quelles seraient les sanctions en cas de non-respect de ses dispositions ?
Mme Danielle Auroi. M. Le Drian, ministre de la défense, a souligné en décembre, en réponse à une question que je lui avais posée, que la France était très en pointe s’agissant du traité sur le commerce des armes. Vous l’avez également rappelé, en particulier au sujet de la transparence. À ce propos, peut-être faudrait-il s’interroger sur le contrôle parlementaire des exportations d’armes par la France. La responsabilité des marchands d’armes intéresse le cercle de réflexion parlementaire sur la responsabilité sociétale des multinationales, leurs filières et leurs sous-traitants, que j’anime avec mon collègue Dominique Potier et avec le précieux concours d’ONG, dont Amnesty International. Notre pays, qui est l’un des principaux exportateurs d’armes, doit être vigilant sur ce point, sauf à contredire les principes qu’il a lui-même édictés ou qui ont été définis par l’Union européenne. N’oublions pas l’exemple récent de la Libye. Comment, en s’appuyant sur le futur traité, mieux contrôler les exportations et éviter les détournements qui ont profité non seulement au terrorisme, mais aussi à des régimes coupables de graves violations des droits humains ?
M. Michel Terrot. Je m’en tiendrai à la philosophie du traité, sans entrer dans ses détails. Vaut-il mieux aboutir à un traité ratifié par le plus grand nombre possible d’États, y compris les plus réticents, au risque de le réduire à un texte a minima, faiblement charpenté et qui sera donc peu suivi, ou au contraire camper sur ses positions au risque de rallier moins d’États ? Ma préférence va à la seconde éventualité, qui permettrait d’affirmer une volonté politique ferme et de préparer l’avenir.
M. Jean-Hugues Simon-Michel. La Chine a évolué dans le bon sens. Elle s’était abstenue lors du vote de la résolution qui a lancé le processus en 2009 ; aujourd’hui, elle soutient le projet du 26 juillet en l’état, même s’il existe des lignes rouges qu’elle ne franchira pas. Cette évolution résulte de la pression de plusieurs pays non alignés qui sont devenus pour elle d’importants partenaires : le soutien appuyé que l’Afrique a apporté au traité y a contribué.
Je connais très peu de traités qui prévoient un régime de sanctions : ce n’est pas un dispositif que les États négocient volontiers. On aurait en revanche pu aller plus loin en matière de transparence. Rappelons toutefois que de nombreux États parties n’ont aujourd’hui, contrairement à la France, aucun mécanisme quelconque de transparence. Désormais, il existera un dispositif, certes minimal, mais qui a le mérite d’être inclus dans un texte juridique et de prévoir un système de suivi, des réunions des États parties, des conférences d’examen. En outre, dans les relations internationales, c’est par le regard de la société civile, de la presse, des élus que passe la sanction. Elle existera au moins en ce sens, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans la plupart des pays.
Faut-il ou non un traité largement soutenu ? Un traité de régulation – car c’est bien de cela qu’il s’agit – qui ne serait approuvé que par quelques États vertueux à l’exclusion des principaux acteurs du commerce des armes n’aurait aucun effet sur les conflits en Afrique, sur les crises qui entraînent de graves violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
M. Benoît Muracciole. Au sujet de la Chine, il convient de rappeler que si son budget militaire est d’environ 80 milliards d’euros pour 2013, celui des États-Unis dépasse les 2 milliards par jour.
Qu’en est-il des cinq membres permanents du Conseil de sécurité ? Le projet de traité a été soutenu à l’origine par deux d’entre eux : la Grande-Bretagne, puis la France en 2006. Les Russes ont reçu les ONG, ce qu’ils ne faisaient jamais auparavant : cela montre qu’ils se soucient désormais de leur image en la matière. En réalité, les Russes craignent de signer un traité dont ils n’auraient pas tout compris et qui les pénalise par rapport aux autres États. À notre sens, si la Chine, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis signent le traité, la Russie fera de même. Quant aux États-Unis, si on laisse de côté l’épisode malheureux de juillet 2012, leur président a été invité en 1999 à entamer des discussions sur un code de conduite international et les critères actuels sont presque tous déjà inclus dans leur législation. Leur seul problème est intérieur. La National Rifle Association, qui revendique plus de quatre millions de membres, en compte en réalité plutôt trois : sa communication est efficace et la confusion qu’elle a entretenue entre la détention intérieure et le contrôle du commerce des armes lui a permis de récolter de grosses sommes, mais elle perd beaucoup de terrain. De plus, ses adeptes gêneront d’autant moins les négociations à New York qu’ils sont focalisés sur la dimension intérieure depuis le massacre de Newtown. En somme, le contexte historique est plutôt favorable.
Des sanctions seront prévues pour les individus. Au niveau des États, la pression des pairs est efficace, même si elle l’est moins que l’on ne le voudrait. J’étais en Afrique du Sud lorsque la mobilisation de la société civile sud-africaine a permis, sans traité, de faire rebrousser chemin au bateau chinois chargé d’armes destinées à Robert Mugabe. Mais la ratification ne fera pas surgir du jour au lendemain un justicier héroïque : le processus dont nous parlons sera long.
En ce qui concerne la transparence, nous, ONG, avons suscité en 2006 la création à l’Assemblée nationale d’un groupe d’études que nous aimerions faire renaître. Nous comptons sur votre aide, car le dialogue entre parlements et gouvernements est essentiel. Au regard des outils analogues existant à l’étranger, la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre – la CIEEMG – fonctionne de manière satisfaisante ; mais, une fois son travail accompli, vient le moment de la décision politique, qui nous paraît parfois contestable. De ce point de vue, le Parlement pourrait contribuer à redresser la barre.
Vaut-il mieux un traité universel mais faible, ou un traité ferme mais peu fédérateur ? Nous en discutions il y a plus de vingt ans avec des ONG qui prônaient l’arrêt de la production, dont nous ne voyions pas bien l’intérêt. Car l’esprit, ici, n’est pas celui des conventions d’Ottawa ou d’Oslo : notre logique est inclusive. Nous avons besoin des principaux exportateurs d’armes au monde. Et comme le disait Barbara Frey, rapporteuse spéciale de l’ONU chargée de la question de la prévention des violations des droits de l’homme commises à l’aide d’armes de petit calibre et d’armes légères, un accord modeste au niveau onusien a un effet très important sur le terrain. L’un des chefs coutumiers de l’Ituri, au nord-est de la RDC, me confiait que la présence des armes donnait aux jeunes un sentiment de toute-puissance, de sorte que les problèmes de violence envers les femmes ou les enfants ne pouvaient plus être résolus comme ils l’étaient auparavant. A contrario, lorsque les armes se taisent, la parole émerge et il devient possible de résoudre les conflits. La position radicale qui consiste à réclamer l’arrêt de la production, ou à refuser le traité sous prétexte qu’il n’est pas parfait, peut faire plaisir à certaines ONG mais sera sans effet sur le respect des droits de l’homme et la protection des populations civiles sur le terrain.
M. Aymeric Elluin. En ce qui concerne la Chine, Amnesty International s’inquiète plutôt de ses transferts irresponsables d’armes, connus et documentés depuis près de dix ans, vers des pays où l’on sait pertinemment que ces armes vont permettre des violations des droits de l’homme, dont des pays soumis à embargo. Nous avons récemment publié deux rapports à ce sujet, sur le Soudan, en février 2012, et sur la RDC, en juin.
Le traité est-il utopique ? Loin de là. Il y a dix ans, les fonctionnaires des ministères des affaires étrangères, de la défense et d’autres structures nationales de par le monde nous regardaient avec amusement. Aujourd’hui, les ONG dialoguent avec la communauté internationale et nous sommes parvenus à réunir les 193 États membres dans une salle à l’ONU : opposants, supporteurs, sceptiques, pires violateurs des droits de l’homme, producteurs, importateurs, ils sont tous là.
En ce qui concerne l’architecture administrative et normative du traité, celui-ci sera, comme l’a dit M. l’ambassadeur, assez simple et sans doute moins complet que le dispositif français de contrôle. Il devrait donc entraîner peu de modifications de notre ordre juridique et administratif interne.
Un traité assorti de sanctions serait idéal, mais il n’est pas possible. En revanche, il faudra prévoir un dispositif de sanctions nationales. Aujourd’hui, le traité n’est pas assez clair s’agissant de l’obligation faite aux États d’instaurer des sanctions pénales ou administratives applicables à tous les acteurs de la chaîne de transfert au niveau national. Je songe notamment aux courtiers en armes sur lesquels plusieurs affaires récentes ont attiré l’attention, de Carlos Menem à Viktor Bout en passant par Robert Montoya, ressortissant français établi au Togo qui fournissait la Côte d’Ivoire.
La transparence est essentielle : c’est elle qui permet de contrôler la politique d’un État à l’exportation. Le rapport français publié chaque année par le ministère de la défense depuis 1998 représente certes une avancée, mais ne nous paraît pas suffisamment détaillé ni complet. Nous nous sommes donc réjouis que M. Le Drian déclare, lors de son audition devant vous en novembre dernier, que ce rapport vous serait désormais remis plus tôt et qu’il entrerait davantage dans les détails. La transparence est également indispensable au niveau international : puisque aucun dispositif de sanction n’est prévu, elle garantira un contrôle par les pairs, par la société civile et par les parlements.
Faut-il un traité consensuel mais faible, ou un traité exigeant mais moins fédérateur ? Notre ambition est de parvenir au meilleur traité pour rassembler le plus grand nombre d’États. Cela paraît contradictoire, mais cette contradiction, inhérente au processus, doit nous servir de ligne de conduite. Ni la Chine, ni la Russie, ni les États-Unis n’ont signé le statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, et pourtant, la CPI vit : même si son fonctionnement quotidien n’est pas sans difficultés, elle a rendu son premier jugement l’année dernière, dans une affaire qui concerne la RDC. La Russie, la Chine, les États-Unis ne sont pas non plus parties aux traités d’Ottawa et d’Oslo ; l’interdiction des mines antipersonnel et des armes à sous-munitions est-elle pour autant remise en cause ? Celle des armes à sous-munitions l’est essentiellement par la Syrie, qui en use dans le conflit intérieur qu’elle connaît ; mais les États-Unis, par exemple, n’utilisent pas de mines antipersonnel. La convention d’Ottawa a créé une norme morale qui l’emporte sur la norme juridique : elle a contribué à disqualifier les États non parties au traité et à compliquer l’utilisation des équipements qu’elle a interdits.
M. Pouria Amirshahi. Il y a quelque hypocrisie à parler d’encadrer le commerce des armes alors que l’article 4 du traité contient des dispositions préventives selon lesquelles ce commerce ne devrait pas porter atteinte aux droits de l’homme, aux conventions internationales ni à la dignité des personnes, ce qui paraît contradictoire. Toutefois, des progrès ont été accomplis et d’autres devraient l’être grâce à la feuille de route que vous défendez.
Indépendamment des dispositions nouvelles qu’il serait possible d’obtenir, je m’interroge sur plusieurs points. Premièrement, les conditions de modification du traité : le texte pose problème en raison de son champ d’application, de la nature des armes concernées, des dispositifs de contrôle, des sanctions, mais il ne peut être amendé que par consensus, ce qui nous lie durablement les mains. Cela pose un problème juridique et politique majeur. Ensuite, la disposition pour le moins paradoxale de l’article 5, qui exclut du champ du traité tout ce qui relève des accords de coopération en matière de défense, c’est-à-dire une grande part du commerce licite, alors que celui-ci constitue, comme l’a dit M. l’ambassadeur, l’une des deux dimensions du problème. Troisièmement, le fait que la Chine, mais aussi les États-Unis et l’Inde, n’aient donné aucune garantie de leur volonté de ratifier et d’appliquer le traité, bien qu’ils aient été interpellés à ce sujet. En d’autres termes, on attend de ces États qu’ils consentent à des améliorations substantielles sans savoir s’ils les ratifieront. Je m’interroge enfin sur la recherche d’un consensus à tout prix, sur lequel il risque d’être très difficile de revenir : ne vaut-il pas mieux jouer un rôle moteur et entraîner d’autres pays dans un combat politique et juridique au niveau international au cours des années et des décennies à venir ?
M. Pierre Lellouche. L’industrie française de l’armement est un élément clé de notre souveraineté nationale, de notre politique étrangère et de notre industrie de défense. Elle représente 300 000 emplois. Tout ce qui vient limiter nos exportations d’armes remet en question notre capacité à construire nos propres armements et à mener des opérations dont nous sommes bien contents d’être capables aujourd’hui.
Ensuite, lorsque la France accepte des normes de contrôle comme la convention de l’OCDE, il faut que tous les appliquent. C’est ce que j’avais dit à l’époque – j’étais alors député. Or, si nous les appliquons, les autres ne le font pas ; et si la France a chuté au cinquième rang des pays exportateurs d’armes, c’est en grande partie à cause de cette convention. Nous ne payons plus de commissions tandis que de nombreux fournisseurs d’armes occupent des marchés émergents où chacun sait que la vente d’armement implique d’acquitter des commissions occultes. Si transparence il y a, elle doit être également partagée par tous.
En l’état, ce traité me rappelle une formule américaine bien connue : « Motherhood and apple pie ». Tout le monde aime la tarte aux pommes et personne n’est contre la maternité. Tout le monde est d’accord pour que les États adoptent de telles mesures. La France le fait d’ailleurs déjà, avec sa législation sur la CIEEMG et la publication annuelle du rapport du ministère de la défense. Ces dispositions sont transcrites à peu de choses près dans le traité. Les modifications que celui-ci impliquera en droit interne français seront donc minimes. En revanche, l’idée d’un registre international des ventes d’armes, que je défends depuis des années, avec d’autres, au Stockholm International Peace Research Institute n’y figure même pas, non plus que le principe d’une régulation un tant soit peu sérieuse des armes légères, qui, elles, tuent – ce ne sont pas les Rafale et les hélicoptères Tigre que l’on déclare utiliser dans la lutte antiguérilla ! Ce trafic d’armes en parallèle perdurera.
Le problème économique n’est pas résolu : plusieurs pays, dont des producteurs émergents – l’Inde, le Brésil, Israël –, vendent des armes à travers le monde, souvent en coopération, parfois au moyen d’une coopération baroque entre des pays qui n’ont guère d’affinités politiques, et conquièrent des marchés à l’exportation dans le monde émergent. Ce traité fait plaisir aux ONG, c’est certain ; il satisfera les tenants du politiquement correct, c’est évident ; il donnera lieu à quelques articles bien-pensants dans les médias ; mais il va contribuer à compromettre la compétitivité de notre industrie, essentielle à notre souveraineté et à notre politique étrangère.
Je suis désolé d’être aussi direct, mais nous sommes à l’Assemblée nationale, pas dans une assemblée générale d’étudiants ! Soyons sérieux. Il y va de notre capacité à préserver notre politique de défense, dont les outils ont été forgés par une politique industrielle nationale qu’il n’est pas question d’abandonner. Une partie de cette politique industrielle n’est justifiée que si nous sommes capables d’exporter : c’est ainsi que nous continuons de figurer parmi les pays qui mènent des travaux de recherche-développement. Nous couper nous-mêmes les bras alors que d’autres se gardent de le faire, cela revient à un marché de dupes ! Ce traité ne contraint nullement nos principaux compétiteurs, ni les émergents, et ne mettra pas fin aux livraisons d’armes légères et autres équipements qui sont envoyés sur les théâtres d’opérations et utilisés contre les populations civiles.
Au total, je ne trouve pas que ce traité soit une très grande affaire, ni pour la communauté internationale, ni pour notre pays.
M. Jean-Pierre Dufau. L’interdiction des mines antipersonnel et des armes à sous-munitions par les conventions d’Ottawa et d’Oslo est le fruit du combat de plusieurs ONG, dont Amnesty International et Handicap International. En faisant progresser le débat public sur ces questions, ces traités ont permis des avancées par la voie non juridique. Sans abandonner nos politiques de défense, auxquelles nous sommes tous attachés, nous pouvons nous accorder sur un minimum de moralité ; cette question en fait partie. Le traité pourrait d’ailleurs aborder une question qui ne sera finalement pas retenue, afin de témoigner d’un accord politique sur la moralisation du traitement des populations civiles, victimes de dégâts que je ne qualifierai pas de collatéraux.
Mme Chantal Guittet. Comme Pouria Amirshahi, je regrette que le texte ne puisse être amendé que par consensus et non à la majorité qualifiée. L’article 4 est bien léger, comme l’article 10.2 relatif aux rapports, où « doivent » aurait été préférable à « peuvent » dans l’expression « peuvent comporter ». Enfin, la Russie vous a reçus : fort bien, mais elle a aussi dénoncé récemment le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe. Quel contrôle peut-on exercer sur un traité dont les parties peuvent sortir dès que quelque chose ne leur plaît pas ?
Mme Nicole Ameline. Je félicite M. l’ambassadeur pour l’avoir vu à l’œuvre au cours d’une négociation dans laquelle la France a été en première ligne, avec les ONG, et que j’approuve sans réserve. Vous êtes monté au créneau, monsieur l’ambassadeur, au sujet des droits de l’homme et des droits des femmes. Il n’y a à mes yeux aucune contradiction entre notre capacité industrielle et le fait d’être producteur de normes à l’échelle internationale. Quand on connaît le fonctionnement de l’ONU, on perçoit qu’il y a là, malgré la première impression, une avancée considérable. Si nous parvenons à mener cette démarche à terme, nous pourrons tous nous en féliciter.
N’oublions pas les armes de petit calibre, qui représentent des menaces directes. En outre, la prévention des conflits est essentielle : le commerce illégal des armes est l’un des facteurs déterminants de déclenchement des conflits.
M. Jacques Myard. Un monde sans armes est une utopie. Le déséquilibre est marqué entre ceux qui se sont ralliés à ce traité et les autres. Une résolution de l’Assemblée générale posant le problème n’aurait-elle pas été préférable ?
J’ai été frappé du fait que lors de la tragédie du Rwanda, ce ne sont pas des armes importées qui ont été utilisées mais des machettes, des coupe-coupe, des outils agraires. L’interdiction totale ne paraît donc pas justifiée dans la mesure où lorsque les hommes veulent se massacrer, ils se servent malheureusement de tout et n’importe quoi.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Avons-nous intérêt à nous doter de ce traité ? Nous disposons déjà d’une législation nationale et européenne très contraignante. Nous pourrions mettre à profit le traité, fût-il imparfait, pour entraîner les autres pays avec nous, exercer sur eux des pressions supplémentaires.
Le lobbying des fabricants et des marchands d’armes s’est-il exercé sur les négociateurs ? De quelle manière ? La France a-t-elle été concernée ? Vous avez beaucoup parlé de transparence ; nous aimerions que vous vous montriez plus concrets.
Enfin, pour entrer en vigueur, le traité doit être ratifié par 65 États. Est-ce possible ? Probable ? Cela paraît beaucoup – peut-être trop.
M. Aymeric Elluin. En ce qui concerne l’industrie de la défense, sujet épineux, les industriels français soutiennent le projet. Ainsi, Thales, qui n’est pas, vous en conviendrez, une petite entreprise d’armement, le défend publiquement, comme, au sein de l’ASD – association européenne regroupant les entreprises aéronautiques et aérospatiales –, EADS, Sagem, Eurocopter et d’autres grosses multinationales. De deux choses l’une : soit la communication publique de ces entreprises est éhontée, soit elles sont sincères. Je préfère la seconde hypothèse.
Ce soutien n’est évidemment pas général. Récemment encore, certaines entreprises dénonçaient dans des articles le complot des ONG visant à annihiler l’industrie européenne de la défense. Je rappelle qu’Amnesty International n’a jamais eu cette ambition. Nous avons toujours été très clairs : il ne s’agit pas d’interdire le commerce des armes mais de prévenir les atrocités permises par des transferts d’armes irresponsables. Nous ne travaillons pas contre l’industrie de la défense, mais avec elle : nous en avons besoin pour préparer le traité dans ses différents aspects.
Le traité remettra-t-il en cause le rang industriel de la France ? Je ne le crois pas. Comme l’a expliqué Jean-Yves Le Drian en différentes occasions, il a vocation à permettre aux industriels de mieux exporter : il offre un mécanisme et des règles communes et universelles qui instaurent une forme de concurrence loyale. Cela peut paraître utopique, mais c’est élémentaire, et c’est possible.
Il existe indéniablement un lobbying des industriels ou d’organisations comme la NRA ou l’Union française des amateurs d’armes, qui dénoncent l’inclusion de certains types d’armes dans le traité. Mais d’autres industriels viennent assister aux négociations. Nous travaillons chacun dans notre camp, nous nous rejoignons parfois.
J’en viens aux possibilités d’amélioration du traité compte tenu du régime d’amendement par consensus. Amnesty International a toujours souhaité que le texte prévoie une conférence des États parties permettant une révision annuelle de ses dispositions afin d’assurer sa pérennité et son efficacité au service des populations civiles. C’est aujourd’hui le cas. En revanche, la question des amendements est problématique. Amnesty International est donc plutôt favorable à une modification de l’article concerné afin de prévoir un vote à la majorité des deux tiers lorsque le consensus est hors de portée. Dans l’un de ses derniers documents de position en date du 26 février dernier, l’organisation a évoqué la possibilité d’adjoindre des protocoles au traité.
En ce qui concerne le Rwanda, je n’entrerai pas dans un débat qui pourrait se révéler très délicat. Mais en Syrie, en Libye, en Tunisie, en RDC, en Côte d’Ivoire, la plupart des atrocités sont commises à l’arme à feu légère et de petit calibre ainsi qu’à l’arme lourde. En Syrie, il s’agit de MI24, de MI25, de Sukhoi. Certes, dans tous les conflits, on commet des atrocités par des moyens rudimentaires – nous publions le 14 mars un rapport sur la Syrie incluant le témoignage d’un enfant que l’on a forcé à tuer à coups de machette –, mais l’essentiel des atrocités sont perpétrées à l’arme à feu et à l’arme lourde, qui bombardent, qui déchiquettent les populations civiles.
M. Pierre Lellouche. Cela n’a rien à voir avec le commerce des armes : ce qui est en cause, c’est l’usage qu’en font les gouvernements !
M. Aymeric Elluin. Monsieur Lellouche, comment la Syrie a-t-elle obtenu ces armes ?
M. Pierre Lellouche. Parce que c’est un État souverain allié à la Russie depuis quarante ans.
M. Aymeric Elluin. Donc il s’agit bien d’un transfert d’armes !
M. Pierre Lellouche. La question, aujourd’hui, n’est pas de savoir si l’on interdit ou non les armes mais si nous, Européens, en livrons ou non !
M. Benoît Muracciole. Au Rwanda, c’est à l’aide d’armes légères et de petit calibre que les Interahamwe rassemblaient les populations qui allaient être massacrées à la machette. De nombreux témoignages attestent d’une large utilisation d’armes légères et de petit calibre, mais surtout de cette façon, pour menacer. Cet usage n’est pas rare. « Ils viennent parfois sans armes », me confiaient des habitants de RDC, « et disent que s’ils doivent revenir armés, alors ils violeront, tortureront, tueront ». Monsieur Lellouche, les armes légères et de petit calibre sont incluses dans le champ d’application du traité, car ce sont elles qui sont le plus utilisées non seulement dans les conflits, mais aussi lors des déplacements de population sous la menace de la violence des gangs et faute de régulation nationale, au Guatemala, au Salvador, au Mexique, en Afrique du Sud ou en Asie.
La convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel a compté pour les ONG car elle leur a montré qu’il était possible de progresser sur ce sujet, ce qui est inestimable. Mais elle n’a rien à voir avec le traité dont nous discutons, qui est, je le répète, un texte de régulation et non d’interdiction. Nous avons besoin d’y associer les principaux exportateurs car ce sont eux que nous devons rappeler au respect d’une norme internationale. La France et l’Union européenne y ont intérêt car le traité pose des principes analogues à ceux de la position commune, norme juridique solide.
S’agissant des protocoles, c’est ASER qui a convaincu Amnesty International. Comment faire vivre le traité ? Qu’en sera-t-il dans dix ans ? Au-delà même de l’évolution technologique qui conduira à compléter la liste des armes, des droits politiques, des libertés fondamentales vont apparaître que les États devront prendre en considération dans leur appréciation du « risque prédominant ». L’adoption d’amendements par consensus laissant peu de chances aux États de s’entendre, le recours aux protocoles permet d’éviter le blocage.
Les neuf jours qui s’annoncent ne doivent pas être des moments d’affrontement, sans quoi nous aurons perdu notre pari. Nous avons besoin de trouver un terrain d’entente avec le plus grand nombre possible d’États. Monsieur Myard, ce domaine est bardé de résolutions onusiennes qui tournent en rond. C’est lorsque nous, ONG, intervenons que l’issue se profile. Par ce traité, nous n’avons pas introduit un nouveau texte dans le droit international : nous nous sommes fondés sur le droit international existant qu’une majorité d’États s’est déjà engagée à respecter, pour l’étendre au commerce des armes.
L’article 5, demandé par les Indiens, ne tient pas. Une grande majorité d’États est disposée à négocier pour obtenir d’écarter cette disposition relative à la coopération militaire. Les industriels en seront d’accord. L’un d’eux, américain, m’a assuré que la norme ne leur posait aucun problème à condition qu’elle soit claire. Des normes claires, voilà ce que nous souhaitons et que nous allons obtenir. Le fait que le traité ne soit pas parfait du point de vue juridique nous donne une marge de manœuvre pour progresser sur ces points, notamment grâce aux pays africains. J’en fais le pari devant vous. Il le faut : la vie de millions de personnes est en jeu.
M. Jean-Hugues Simon-Michel. J’insisterai une nouvelle fois en conclusion sur le fait que ce traité est un traité de régulation du commerce international des armes, et non d’interdiction. Il n’est pas question d’aboutir à un « monde sans armes ». Le modèle de la convention d’Ottawa n’est donc pas pertinent : il s’agissait alors d’interdire une catégorie d’armes très réduite dont les conséquences humanitaires sont désastreuses mais l’utilité militaire extrêmement limitée.
Deuxièmement, nous suivons ce dossier en liaison étroite avec l’industrie – dont il serait intéressant d’entendre les représentants. Les industries françaises, qui seront associées à la conférence, soutiennent le traité. Leurs porte-parole seraient mieux placés que moi pour vous expliquer où passent selon elles la ligne rouge. Quoi qu’il en soit, étant déjà soumises en France et en Europe à une norme de même nature mais plus exigeante, elles ont tout intérêt à ce que l’on progresse vers une égalisation du terrain de jeu, si vous me pardonnez cet anglicisme, notamment avec les pays émergents dont la part dans l’industrie et l’exportation d’armement va croissant. C’est le cas, comme le rappelait M. Lellouche, de l’Inde, du Brésil ou d’Israël, lequel est en train de nous dépasser dans ce domaine.
L’article relatif aux procédures de modification du traité va évoluer mais devra tenir compte des règles constitutionnelles de certains pays et des modèles existants, et éviter de compromettre les perspectives de ratification du traité.
L’article 3 porte sur les situations où l’interdiction d’un transfert d’armes s’impose aux États sans que ceux-ci aient à effectuer une évaluation, alors que l’article 4 concerne celles où une évaluation nationale est requise. On peut dès lors comprendre la logique de leur rédaction respective ; néanmoins les termes « dans le but de [for the purpose of] » employés dans l’article 3 n’ont pas de sens puisqu’ils impliquent que l’on exporterait des armes exprès pour commettre un génocide. Ces articles font partie des dispositions très durement négociées en juillet et sur lesquelles il serait difficile de revenir, mais, sur ce point précis (trouver une formulation moins restrictive que « for the purpose of »), je suis assez optimiste quant aux perspectives d’amélioration du texte.
Le nombre de ratifications requis ne devrait pas poser de problème, car le texte bénéficie d’un très large soutien, malgré les résistances de quelques pays. Nous devrions obtenir sans difficulté 65 ratifications au moins en deux ans, compte tenu des délais nécessaires au bon déroulement de la procédure parlementaire. À titre de comparaison, la convention d’Oslo, texte beaucoup plus polémique à la négociation duquel les États-Unis, la Chine, la Russie, le Pakistan, le Brésil et d’autres ont refusé de participer, est entrée en vigueur très rapidement . Elle est ratifiée à ce jour par 80 États environ, quatre ans après la signature.
Quant aux garanties que certains États pourraient donner sur le fait qu’ils ratifieront le traité, il n’est jamais possible d’en obtenir. Je ne me permettrais pas moi-même d’empiéter sur vos prérogatives en la matière, mesdames et messieurs les députés. Dans la plupart des pays, c’est le législateur qui autorise la ratification des traités et certains – dont la France, heureusement, ne fait pas partie – sont connus pour apporter un soutien politique actif à la négociation de traités qu’ils ne ratifient pas par la suite... Je songe en particulier à un très grand pays qui n’a jamais ratifié le pacte fondateur de la SDN dont il avait voulu la création, ni le traité d’interdiction complète des essais nucléaires pour lequel il a tant œuvré, ni la convention onusienne sur le handicap… Certains pays ne peuvent donc rien promettre, pour des raisons constitutionnelles et parce que leur parlement est parfois imprévisible.
Nous pensons que nous pourrons entraîner l’Inde et la Chine. S’il est des pays que nous devons nous efforcer d’amener à reconnaître de grands principes, ce sont bien ceux dont la part dans les exportations internationales d’armes va croissant. S’ils acceptent de signer le traité, nous espérons qu’ils le ratifieront. Le progrès que l’on peut en escompter pour le droit international, mais aussi pour la pratique, est essentiel à la sécurité et à la protection des populations.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, messieurs. J’espère pour ma part que vous pourrez parvenir à un accord à la fin du mois.
La séance est levée à onze heures dix.
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mercredi 13 mars 2013 à 9 h 30
Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Pascale Boistard, M. Gwenegan Bui, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Michel Destot, M. Jean-Luc Drapeau, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Laurent Kalinowski, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot
Excusés. - M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, M. Édouard Courtial, M. Jacques Cresta, M. Jean-Paul Dupré, M. Paul Giacobbi, M. Jean-Claude Guibal, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. Lionnel Luca, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. René Rouquet, M. André Santini, M. François Scellier