Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense
La séance est ouverte à huit heures trente.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevons ce matin M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, pour une audition essentiellement consacrée au Mali.
Nous souhaitons tout d’abord que vous nous exposiez, monsieur le ministre, la situation sur place. Nous savons que nos troupes évoluent sur un terrain difficile, d’autant que les menaces climatiques se précisent. Pouvez-vous faire le point sur ce qui a déjà été fait et sur ce qui reste à faire ?
Qu’en est-il des autres forces en présence ? Quel est l’état de préparation et d’équipement de l’armée malienne ? Quel rôle joue aujourd’hui le capitaine Sanogo, dont on ne parle plus dans la presse française et peu dans la presse européenne ? Et quelles sont ses capacités de nuisance ?
Nous souhaitons savoir également où en est la mise en place de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), qu’il s’agisse de ses effectifs, de son équipement, de son état de préparation ou de son financement – qui est assez laborieux malgré les promesses qui ont été faites au départ.
Au niveau européen, la mission EUTM Mali de soutien et de formation de l’armée malienne est lancée. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les protecteurs des formateurs arrivent-ils en nombre suffisant ?
Enfin, nous avons entendu ce matin à la radio qu’un communiqué d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) revendiquait l’exécution d’un de nos otages : que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Au-delà du Mali, pouvez-vous esquisser les perspectives concernant le Livre blanc sur la défense, qui suscite des inquiétudes – la principale question étant de savoir comment le budget du ministère de la défense peut contribuer à l’effort nécessaire de maîtrise des dépenses tout en continuant à permettre de mener le type d’opérations que nous conduisons au Mali ?
J’espère aussi que nous aurons l’occasion de vous revoir au sujet du Conseil Affaires étrangères de l’Union européenne : comment l’abordez-vous, sachant que, dans ce domaine, quand la France ne propose rien, il ne se passe pas grand-chose ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Mon intervention portera principalement sur le Mali.
Je ne puis à ce stade confirmer ni infirmer le communiqué d’AQMI aux médias mauritaniens que vous évoquez.
Cette semaine a été marquée par la mort d’un cinquième soldat français, le caporal Van Dooren, auquel il sera rendu hommage samedi matin en ma présence.
S’agissant de la situation au Mali, je tiens un point hebdomadaire devant la Commission de la défense. Je rappelle les trois objectifs ayant motivé notre intervention : stopper l’offensive des terroristes, qui s’étaient engagés au début de janvier dans une opération visant à descendre vers Mopti et Bamako – ce qui a été fait – ; contribuer à la restauration de l’intégrité du Mali et à sa préservation – ce qui est en cours – ; enfin, permettre l’application des décisions internationales, le déploiement de la force africaine et l’opération européenne de formation de l’armée malienne – qui sont également à l’œuvre.
Sur la partie strictement militaire, après la libération des villes occupées par les djihadistes – notamment Tombouctou et Gao –, qui s’est effectuée sans trop de difficultés en raison de la stratégie d’évitement de la part des groupes terroristes, en particulier d’AQMI et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) – le groupe Ansar Eddine semblant s’être dilué ou reconverti dans d’autres groupes –, nous menons depuis plus d’un mois contre ceux-ci des opérations difficiles, mais qui progressent de jour en jour dans l’Adrar des Ifoghas comme dans la zone de Gao.
Dans l’Adrar des Ifoghas, nous avons organisé un dispositif solide autour de la zone, avec la présence des forces françaises à Tessalit et à Kidal ainsi qu’un soutien des forces tchadiennes à l’est. Cette action s’est traduite par des combats très significatifs dans la vallée d’Amettetai, qui ont permis de neutraliser un nombre important de djihadistes. Je me suis rendu sur place : nous reprenons ainsi l’ensemble des vallées de l’Adrar. C’est dans la vallée de Terz, par laquelle nous pénétrons notamment, qu’est intervenue la mort du caporal Van Dooren après l’explosion d’un engin explosif improvisé ou IED.
Les conditions de travail de nos forces – auxquelles je souhaite rendre hommage – sont, en raison de la chaleur – de l’ordre de cinquante degrés –, extrêmement difficiles, à la fois physiquement et pour l’approvisionnement et la logistique. Cette « neutralisation » ne s’en poursuit pas moins jour après jour, essentiellement à pied.
Nous avons parallèlement poursuivi nos opérations de sécurisation sur la frontière algérienne. De même, nous avons mené des actions dans le Timétrine, à l’ouest de l’Adrar des Ifoghas, qui sont bien avancées.
Dans cette zone, ce sont les terroristes d’AQMI, très organisés, armés et déterminés, qui ont combattu.
Nous avons recueilli sur place énormément de matériel militaire, par dizaines de tonnes, qu’il s’agisse de matériel sophistiqué, d’ordinateurs ou de dispositifs de déclenchement d’IED. Hier encore, nous avons découvert d’autres caches.
Nous devrions aboutir assez rapidement à la neutralisation de l’Adrar des Ifoghas. Les opérations se déroulent à peu près conformément au calendrier prévu par l’état-major des armées.
Dans la région de Gao, nous sommes accompagnés par les forces nigériennes et des forces maliennes. C’est la zone des groupes du MUJAO, qui recouvre un réseau à la fois djihadiste et mafieux. Nous avons dû intervenir plusieurs fois autour de Gao où ils sont mêlés à la population, ce qui explique beaucoup de trafics depuis de nombreuses années, qu’il s’agisse des trafics de drogue, d’armes, voire d’otages. Grâce à l’argent dont il dispose, le MUJAO paye des mercenaires ou des complices. Nous rencontrons de sa part une résistance significative, avec des actions asymétriques, ce qui nous amène à faire des patrouilles régulières pour sécuriser l’ensemble de la zone. Nous y avons également découvert d’importants dépôts d’armes et de munitions.
Mais nos actions nous permettent de neutraliser régulièrement un nombre important de terroristes.
La forêt de Ouagadou constitue le troisième lieu de notre intervention actuelle. La nouveauté, dont nous nous réjouissons, est que les actions y sont menées par la MISMA et les forces maliennes, sans les forces françaises – hormis le soutien médical et de renseignement. Je rappelle qu’au début de notre intervention, c’était là que se trouvaient les principaux chefs d’AQMI.
La Mauritanie a fermé ses frontières, ce qui empêche concrètement de prendre les pistes. L’Algérie, avec laquelle nous entretenons des relations de bonne intelligence a fait de même.
Nous avons récemment mis en place une directive de coordination opérationnelle entre les trois composantes militaires présentes sur le territoire malien, que sont celles du général de Saint-Quentin, commandant l’opération Serval, du général Abdulkadir, qui dirige la MISMA, et du chef d’état-major de l’armée malienne, le général Dembélé. Ils se sont mis d’accord sur des stratégies et des objectifs.
Quant à la MISMA, elle compte aujourd’hui 6 300 soldats et le Tchad y est désormais intégré. Notre souci est que non seulement elle se positionne au sud, mais aussi progresse vers le nord afin d’alléger les forces françaises. Tout nous laisse penser que ce sera le cas la semaine prochaine, les forces du Burkina Faso devant se positionner sur Tombouctou et celles du Niger sur Ménaka.
Quand un État membre de la MISMA met à disposition des forces, il en assure normalement financièrement le coût pendant les trois premiers mois – même s’il nous est arrivé de pallier parfois certains manques en alimentation et en carburant –, à la suite desquels un financement international doit prendre le relais. À la conférence des donateurs, un chiffre de 455 millions de dollars a été annoncé et des sommes commencent à arriver à l’agence spécialisée de l’ONU à cet effet. L’Union africaine a annoncé par ailleurs la mobilisation de 50 millions d’euros pour permettre à la MISMA d’assurer la phase de transition qui lui incombe.
Celle-ci va se transformer en opération de maintien de la paix des Nations unies ou MINUMA, selon un calendrier inchangé : une résolution sera proposée à cette fin au Conseil de sécurité à la mi-avril pour une mise en œuvre effective environ trois mois plus tard.
Le mandat de la MINUMA visera à stabiliser les zones libérées et à accompagner la transition militaire et politique. La France, qui a pris cette initiative, est soutenue. La MINUMA reprendra les forces de la MISMA, auxquelles pourront s’ajouter d’autres forces dans un nouveau contexte et avec un nouvel état-major. La France y contribuera de manière modeste mais réelle, à la fois pour l’organisation générale de la mission et en support de la force, dans des conditions qui restent à déterminer.
Concernant la mission européenne EUTM Mali, elle a pour but d’assurer la formation, voire la reconstitution, de l’armée malienne. Les sessions de formation commenceront la semaine prochaine : elles se dérouleront pendant plusieurs mois et bénéficieront à plusieurs unités.
Il n’y a pas eu de difficulté pour mobiliser des instructeurs de la part de nos collègues européens – le seul problème qui s’est posé étant d’ordre linguistique, les instructeurs ayant vocation à parler français.
La position du chef d’état-major de l’armée malienne a été que l’on forme de nouveaux soldats : a ainsi été lancée une nouvelle opération de recrutement de 3 500 soldats, qui seront intégrés dans le processus de formation de la mission européenne. Le pré-recrutement doit être surveillé de manière à avoir une armée malienne nouvelle à la fin du processus. Le chantier est immense.
Nous avons un souhait : que l’élection présidentielle ait lieu au mois de juillet – ce qui a été dit et répété par le Président de la République du Mali ainsi que son premier ministre. Il est important que ce processus électoral soit engagé car la seule légitimité politique viendra de là : il y a plusieurs candidats – parmi lesquels ne figure pas le président Traoré, qui n’a pas le droit de se présenter.
Deux points restent préoccupants. D’abord, le processus de réconciliation, qui avait été adopté par l’Assemblée nationale malienne – laquelle avait établi une feuille de route –, avance lentement. Lors de ma visite, il y a dix jours, le lancement de la commission à ce sujet venait à peine de se faire la veille, alors qu’il avait été annoncé haut et fort quelque temps auparavant par le Président Traoré. Cette commission sera composée d’un président, de deux vice-présidents et de trente-trois membres, mais ceux-ci n’ont pas encore été nommés – ce qui peut entraîner des désagréments, perturbations ou irritations, voire plus, du côté de ceux qui sont de bonne foi et souhaitent que le processus se mette en œuvre. Cela peut accentuer par ailleurs des réactions plus vives de ceux qui sont de mauvaise foi. Nous avons donc demandé à plusieurs reprises que se mette en place le processus : on nous dit qu’il est en cours.
Deuxièmement, la présence de l’État dans les zones libérées se fait attendre. Je l’ai fait savoir au Président Claude Bartolone, qui va se rendre au Mali dans les prochains jours, pour qu’il le redise aux autorités maliennes. Aujourd’hui, la scolarité, l’électricité ou les soins sont assurés par la Croix Rouge internationale ou diverses ONG.
S’est tenue hier à Lyon, sous l’autorité de Laurent Fabius, une conférence réunissant les collectivités locales maliennes et françaises pour relancer le processus de coopération et de développement. De plus, aura lieu à la mi-mai à Bruxelles, une conférence européenne coprésidée par l’Union européenne et la France pour renforcer l’aide au développement au profit du Mali.
Je précise que lorsque nous disons que nous allons commencer à nous retirer du pays au courant du mois d’avril, c’est pour faire comprendre que nous n’avons pas vocation à rester sur place dans la durée et que la position de confort sous la protection des forces françaises est provisoire.
Notre retrait sera le signe que le processus de libération, qui correspondait à la mission pour laquelle nous étions engagés, est en voie d’achèvement. Nous allons l’opérer de manière progressive et tactiquement réfléchie.
Globalement, le processus militaire se déroule normalement, dans des conditions météorologiques extrêmement difficiles. Sauf événement particulier, nous aurons bientôt achevé la mission confiée à nos forces. Mais la transition militaire n’a de sens que s’il y a une transition politique, en faveur de laquelle une pression de la France, mais aussi européenne et internationale, sera nécessaire. Le débat aux Nations unies devrait être utile à cet effet, de manière à ce que nous puissions aboutir à une pacification durable de ce pays, qui est pauvre et sur lequel nous devons beaucoup investir à l’avenir pour qu’il connaisse un nouveau développement.
M. Jean Glavany. Merci, monsieur le ministre, de votre disponibilité et de votre respect du Parlement.
Qu’en est-il de la traque des preneurs d’otages ?
Le travail d’analyse de l’origine du matériel militaire que vous découvrez servira-t-il à éclairer d’autres décisions prises en matière de livraisons d’armes ?
M. Pierre Lellouche. Je rends hommage au sérieux du travail accompli par vous-même ainsi que nos soldats.
Mais si on « nettoie » et on libère, à qui donnera-t-on les clés, sachant qu’il n’y a guère d’État malien : à la MISMA transformée en MINUMA ? Combien de temps resteront les forces africaines sur place et qui va financer leur intervention ? La sortie de crise n’est pas évidente, à supposer même que le « nettoyage » soit efficace dans la durée.
Par ailleurs, avez-vous trouvé trace de nos otages dans l’Adrar des Ifoghas ? Où pourraient-ils être ?
Enfin, combien cette intervention nous coûte-t-elle, comparée à l’aide civile accordée au Mali ?
Mme Danielle Auroi. Vous avez rappelé que le processus de réconciliation avançait lentement. Or je suis très inquiète vis-à-vis des risques d’exactions à l’égard des populations civiles lorsque l’armée française va se retirer : des mesures sont-elles mises en place pour les protéger ? On voit bien qu’au Congo, qui est en proie à une guerre interne, les populations civiles, les femmes notamment, sont extrêmement violentées.
Par ailleurs, les 4 et 5 mars derniers, s’est tenue à Oslo une conférence intergouvernementale sur les armements nucléaires, pour évaluer les risques d’impact humanitaire d’une explosion nucléaire et les conséquences économiques et gouvernementales qui pourraient s’ensuivre : pourquoi la France n’a-t-elle pas souhaité y participer ?
M. Jean-Louis Christ. Quelle est l’articulation entre les forces françaises et celles de la MISMA ? Quel pourrait être le mandat de l’ONU au Mali ?
M. François Rochebloine. Les terrains sur lesquels évoluent nos forces sont-ils beaucoup minés ?
Concernant l’otage dont on vient d’annoncer la mort, l’informateur à l’origine de la nouvelle serait décédé depuis quelques mois : avez-vous des précisions à cet égard ?
M. Jacques Myard. L’origine des armements saisis nous intéresse.
Par ailleurs, on a souvent dit que nos blindés n’étaient pas suffisamment solides pour résister à des explosions telles que celle qui a tué le caporal Van Dooren, à la différence par exemple des blindés britanniques : qu’en est-il ?
S’agissant du « nettoyage » de l’Adrar des Ifoghas, n’y a-t-il pas un risque de fuite des djihadistes en Libye ?
En ce qui concerne la qualité des combattants, les Tchadiens ne sont-ils pas les seuls à avoir véritablement une valeur opérationnelle ?
Enfin, vos convictions européennes ont-elles été renforcées après l’expérience de notre intervention au Mali ?
M. René Rouquet. De quels pays proviendront ces 8 000 à 9 000 hommes qui composeront la MINUMA ? Quel sera l’engagement des Européens ?
M. Guy-Michel Chauveau. Un des problèmes actuels pour mettre en place la transition politique est la sécurisation des territoires, qui est nécessaire pour permettre un retour des administrations de l’État et établir un état civil et des cartes d’électeur biométriques.
Par ailleurs, les conditions de vie à Koulikoro ne sont pas bonnes pour les formateurs de l’Union européenne, et encore plus désastreuses pour les Maliens.
M. Michel Terrot. On ne parle que rarement des pertes du côté djihadiste : pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
La presse s’est fait l’écho du cas d’un prisonnier français djihadiste : y en a-t-il d’autres ? Si oui, que donnent les interrogatoires auxquels ils ont pu donner lieu ?
M. Alain Marsaud. On dit qu’une bonne part des armes découvertes dans l’Adrar des Ifoghas proviendrait de l’armée malienne, qui les aurait vendues à la rébellion : qu’en est-il et quelle est la répartition entre celles-ci et celles venant de Libye ?
M. François Loncle. Quelle est l’attitude de l’Algérie ? Est-elle maintenant une alliée dans le difficile combat contre le terrorisme ? On m’a signalé en effet que des ravitaillements continuent à s’effectuer du côté de Tamanrasset…
M. le ministre. Sur les otages, je reste d’une grande discrétion. Dans l’Adrar des Ifoghas, qui est grand comme un petit Massif central, nous prenons les précautions nécessaires pour éviter les risques, mais dès que nous avons une information particulière, nous l’exploitons au maximum.
S’agissant du communiqué d’AQMI de ce matin, je ne peux rien vous dire de plus. En ce qui concerne la nouvelle concernant l’informateur, elle peut être vraie comme fausse, et mérite un examen approfondi.
En tout cas, nous avons neutralisé plusieurs centaines de terroristes, que ce soit dans l’Adrar des Ifoghas ou dans la région de Gao. Et cela continue tous les jours.
M. Jacques Myard. Cela veut dire qu’ils sont nombreux !
M. le ministre. Cela veut dire qu’ils sont moins nombreux qu’avant !
Nous avions évalué leur nombre au départ à au maximum 2 500 ou 3 000.
M. Jacques Myard. De quelle ethnie sont-ils ?
M. le ministre. La situation est différente dans l’Adrar des Ifoghas, où prévaut le djihadisme international, et à Gao, où l’on trouve un mélange de djihadisme et de mafia, avec une importante quantité d’argent servant à acheter des armes et des combattants.
Nous avons relativement peu de prisonniers dans la mesure où les djihadistes combattent jusqu’au bout. Aujourd’hui au nombre de neuf, ils ont été transférés aux autorités maliennes. À cet égard, j’ai signé un accord avec le gouvernement malien la semaine dernière pour avoir toutes les garanties juridiques sur le traitement des prisonniers – auquel nous veillons particulièrement.
Quant au Français prisonnier dans l’Adrar, il a été transféré à la justice française par les autorités maliennes.
Les armements découverts ont trois origines principales : certains ont été pris aux Maliens lors de l’offensive des djihadistes sur Tombouctou et Gao ; d’autres sont provenus par différents canaux de la Libye de Khadafi ; d’autres, enfin, ont été acquis sur le marché noir – il y a une zone de trafics allant de la Guinée-Bissau jusqu’à la Somalie, qui longe le Nord du Mali, le Niger et la Libye, avec une place de Gao particulièrement active. Certains, dans cette ville, qu’ils soient Touaregs, arabes ou autres, vivent depuis longtemps de ces trafics et le fait de les interrompre réduit les liquidités et les financements d’une partie de la population, ce qui explique certaines complicités. L’ensemble du matériel récupéré fait en tout cas l’objet d’un travail d’identification de notre part.
En ce qui concerne les blindés, monsieur Myard, l’AMX 10 auquel vous faites allusion a pris feu et ses quatre occupants ont été brûlés : il ne s’agit donc pas d’une question de blindage. C’est d’ailleurs la première fois que nous enregistrons une perte importante au Mali liée à un IED, dont la technique provient d’Afghanistan.
S’agissant des forces africaines, celles du Tchad sont remarquables, aguerries et organisées, même si la gestion tactique de leur mouvement au départ peut être discutée : cela les a conduits dans les premiers combats à des pertes substantielles – ils ont connu 22 morts dans la seule journée du 23 février. Depuis, leur organisation s’est améliorée et leur intervention est mieux coordonnée avec la nôtre. Les forces du Burkina Faso ne sont pas non plus négligeables, à la fois dans leur composition et leur structure. Quant aux autres forces de la MISMA, elles sont de qualité variable. Mais, lorsque la MINUMA sera constituée, je souhaite que nous ayons d’autres partenaires, qu’ils soient africains ou européens : les Mauritaniens ont ainsi fait part de leur intention de nous rejoindre.
En ce qui concerne les exactions, nos forces ont un mandat précis. D’abord, elles ont pour mission de s’interposer lorsqu’elles en constatent – à condition que la situation militaire le permette : nous n’avons pas à prendre des risques excessifs. Deuxièmement, elles doivent immédiatement faire rapport de tout constat en la matière aux autorités maliennes et à la Croix rouge internationale – cela est déjà arrivé. Enfin, nous coopérons pleinement avec la Cour pénale internationale, qui a placé le Mali sous observation.
Nous avons d’ailleurs régulièrement fait connaître notre volonté aux autorités maliennes dans ce domaine, que ce soit par la voix du Président de la République ou du Premier ministre, mais, dans la pratique, la situation est plus compliquée. Nous avons aussi demandé le déploiement d’observateurs des droits de l’homme de l’Union africaine et de l’ONU : il y en a déjà une dizaine sur place.
Cela étant, le meilleur moyen d’éviter les exactions est d’engager le processus de pacification et de réconciliation. La MINUMA devrait pouvoir sécuriser le territoire, mais il faudra disposer d’une autorité politique malienne. Tout ce qui peut y contribuer sera positif, y compris la réunion de Lyon avec les collectivités locales que j’évoquais. L’élection présidentielle constitue à cet égard un point incontournable, avant le renouvellement de l’Assemblée nationale.
En ce qui concerne les financements, le nôtre s’élève à l’heure actuelle à 140 millions d’euros, dont 83 millions portent sur la logistique. Je rappelle que la ligne budgétaire du ministère de la défense sur les opérations extérieures (OPEX) est de 630 millions d’euros, qui doivent financer à la fois l’intervention au Mali et le retrait d’Afghanistan, qui se poursuit.
Quant au financement de la MINUMA, il sera assuré par les Nations unies – la MISMA bénéficiant du financement transitoire indiqué par la conférence des donateurs d’Addis-Abeba.
Monsieur Chauveau, les normes de logement des formateurs européens à Koulikoro ne sont évidemment pas conformes à celles qu’ils connaissent généralement sur notre continent, notamment en Europe du Nord, mais des travaux de rénovation sont en cours.
S’agissant de la conférence d’Oslo, les membres permanents du Conseil de sécurité ont décidé de ne pas s’y rendre : la France a donc suivi cette position.
Monsieur Rochebloine, nous sommes avant tout confrontés à des IED.
À Gao, la veille de ma venue, il y a eu un combat important, mettant une de nos unités en prise avec un groupe de membres du MUJAO très organisé et armé : 52 d’entre eux ont été neutralisés contre aucune perte du côté français. Cela donne une idée de l’ampleur des affrontements.
J’ai cru entendre que des médias avaient émis des réserves sur la communication des armées : nous avons décidé que l’état-major des armées ferait un point de communication tous les deux jours sur la situation des opérations et que nous accompagnerions sur place, par rotation, dans des conditions de sécurité, deux ou trois d’entre eux sur la zone d’intervention. Il n’est pas possible d’en emmener davantage dans la mesure où il faut les transporter – ce qui se fait au détriment de l’eau – et les sécuriser : or on ne peut demander à nos soldats à la fois de combattre et de protéger des journalistes. D’autant que les groupes djihadistes cherchent à enlever ceux-ci pour disposer d’otages supplémentaires.
Quant aux relations avec l’Algérie, elles sont confiantes : les échanges se poursuivent et nos intérêts, dans l’état actuel des choses, sont communs.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, monsieur le ministre, pour votre disponibilité et la précision de vos réponses.
La séance est levée à neuf heures trente-cinq.
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mercredi 20 mars 2013 à 8 h 30
Présents. - Mme Nicole Ameline, M. François Asensi, M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, Mme Pascale Boistard, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Luc Drapeau, M. Jean-Pierre Dufau, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Françoise Imbert, M. Pierre Lellouche, M. Patrick Lemasle, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot
Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Michel Destot, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon, M. André Schneider
Assistait également à la réunion. - M. Jean Launay