Audition de M. Alistair Burt, ministre délégué chargé du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord, de l’Amérique du Nord et de l’Asie du Sud au ministère des affaires étrangères du Royaume-Uni
La séance est ouverte à seize heures trente.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. C’est un grand plaisir pour nous de vous accueillir, monsieur le ministre.
Le 28 novembre dernier, nous avons reçu une délégation de la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes pour un échange de vues sur la place du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne ; depuis lors, nous avons pris connaissance avec beaucoup d’attention du discours de M. David Cameron. Nous avons bien sûr des contacts réguliers avec les ministres chargés des affaires européennes et des affaires étrangères des pays membres de l’Union européenne ; en décembre dernier, nous avons ainsi reçu conjointement les ministres délégués français et allemand chargés des affaires européennes, venus traiter des conclusions du dernier Conseil européen. Je crois très important de développer le dialogue avec nos partenaires européens sur les affaires européennes et les affaires du monde ; c’est pourquoi nous sommes très heureux de vous entendre aujourd’hui.
Les efforts diplomatiques du Royaume-Uni et de la France sont étroitement liés dans de nombreux dossiers. C'est notamment le cas pour ce qui concerne l’Iran, dans le cadre des négociations menées par les « E3+3 » – la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne d'une part, les États-Unis, la Russie et la Chine d’autre part. Le Royaume-Uni fait également partie, avec la France, des pays les plus engagés dans le dossier syrien, notamment en ce qui concerne l'aide humanitaire et le soutien à la coalition nationale. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à M. l’ambassadeur Peter Ricketts mais je tiens à le redire devant vous, monsieur le ministre : nous avons été très touchés par le soutien que le Royaume-Uni a apporté à la France dans son intervention au Mali.
Pour cette audition, nous sommes convenus que vous traiteriez de deux des dossiers de votre compétence : la Syrie et l'avenir du processus de paix au Proche-Orient.
Sur la levée de l'embargo sur les armes destinées à l’opposition syrienne, nos deux gouvernements ont une position très voisine. La réunion informelle des ministres des affaires étrangères qui a eu lieu à Dublin les 22 et 23 mars a notamment porté sur cette question ; nous serons très intéressés par les précisions que vous nous donnerez sur l'évolution de la réflexion. Nous aimerions aussi connaître votre analyse du rapport des forces sur le terrain au moment où, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, les forces du régime auraient repris le quartier de Baba Amro à Homs cependant que les rebelles auraient progressé dans le Sud, vers la frontière jordanienne.
La situation au sein de l’opposition nous paraît assez confuse. La coalition nationale syrienne a beaucoup hésité avant de s’accorder sur le nom du premier ministre du gouvernement intérimaire. La nomination de M. Ghassan Hitto à cette fonction a été annoncée – et critiquée par plusieurs membres de la coalition – au moment où la Ligue arabe venait d'accorder le siège syrien à la coalition nationale. Nous avons alors appris la démission du président de la coalition nationale, M. Moaz Al-Khatib, qui a cependant siégé hier à la réunion de la Ligue arabe, occupant le siège de la coalition sans avoir retiré sa démission. Comment analysez-vous la situation actuelle au sein de la coalition nationale ?
Pour ce qui est du Proche-Orient, la récente visite en Israël du président Obama a incontestablement permis de réchauffer les relations entre les États-Unis et Israël, sans obérer les relations entre M. Obama et M. Mahmoud Abbas. Les États-Unis ont aussi joué un rôle utile pour renouer les liens entre Israël et la Turquie. Toutefois, pour le processus de paix proprement dit, il a principalement été question de renvoyer aux prochains contacts que prendrait M. John Kerry, qui aurait mentionné un plan en deux parties. Jusqu’où, selon vous, ira l’engagement américain, si réengagement il doit y avoir, au cours du second mandat de M. Obama ?
Enfin, quelle appréciation portez-vous sur la démarche préconisée par le Premier ministre palestinien, M. Salam Fayyad, qui, devant le blocage des négociations sur le « statut final », propose une approche « par le bas » s'appuyant sur des mesures concrètes pour essayer dans un premier temps de rétablir la confiance?
M. Alistair Burt. Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole devant votre Commission. Je suis très heureux de participer une nouvelle fois aux travaux d’une Assemblée où je compte bien des amis. Vous avez devant vous un Européen convaincu, membre de l’aile pro-européenne du parti conservateur – oui, il en existe bien une ! Je m’honore d’être un proche de plusieurs de ces hommes politiques britanniques qui, tels Ken Clarke et David Hunt, ont contribué de manière significative à la construction de l’Union. Soyez sûrs que lorsque viendra le temps du référendum, nous serons de ceux qui expliqueront toute l’importance de l’Union européenne pour le Royaume-Uni.
Vous m’avez demandé de vous entretenir de la situation dans deux des pays à la situation compliquée dont le Premier ministre a garni mon portefeuille ministériel – des pays si nombreux que certains se demandent si M. Cameron me veut vraiment du bien… Je commencerai par la Syrie, dont la situation politique s’est modifiée à la suite des printemps arabes, avant d’en venir au Moyen-Orient où un conflit ancien appelle d’urgence une solution car une crise grave menace.
Je vous remercie pour vos aimables propos à notre endroit au sujet du Mali. Nous avons admiré la qualité et le professionnalisme de vos troupes, et les résultats qu’elles ont obtenus. Nous avons été heureux de vous apporter notre appui, un soutien à la mesure de notre détermination à monter un front commun face à des menaces qui nous concernent tous. Vous avez rappelé la similitude des points de vue de la France et du Royaume-Uni sur la Syrie. Comme vous, nous avons, au cours des deux années écoulées, observé avec une inquiétude grandissante l’évolution de la situation en Syrie à mesure que les tentatives de sortie de crise échouaient. Cet échec, qui est aussi celui de la communauté internationale, incite à une réflexion sur le fonctionnement du Conseil de sécurité des Nations-Unies, incapable de trouver un consensus quand des différences de points de vue, parfois difficilement compréhensibles, s’expriment en son sein. Pendant ce temps, sur place, les choses ne cessaient de s’aggraver : 75 000 morts ont été dénombrés et l’ONU estime à 3,5 millions le nombre de réfugiés, et entre 5 et 6 millions celui des personnes déplacées. La moitié de la population du pays est donc affectée par le conflit. L’urgence est avérée.
Nous estimons que, sur le terrain, le régime perd de son emprise. Il existe désormais des zones dont il n’a plus le contrôle et dans lesquelles le pouvoir central a été remplacé par une administration locale, exercée soit par les membres des collectivités territoriales soit par ceux qui ont pris place en ces lieux. Cela étant, le régime de Bachar Al Assad est plus résistant que ne le fut le régime libyen, et il peut compter sur la loyauté de ses troupes. Farouchement décidé à se maintenir, il cherche avant tout à préserver sa propre existence et demeure donc un fort obstacle au changement.
Les combats sont une suite d’avancées et de reculs. Les opposants au régime ne constituent pas une force militaire professionnelle traditionnelle. Ce sont dans leur très grande majorité des volontaires qui apprennent en marchant ; mais les protestataires initiaux ont été rejoints par des individus aux motivations différentes qui, en raison de la formation qu’ils ont reçue, se battent plus efficacement. Cette conjonction représente un nouveau défi pour nous. Nous ne pouvons manquer de nous interroger : que se passera-t-il quand les combats cesseront ? Quelle orientation prendra la Syrie ? Cette évolution doit-elle nous inciter à réviser la politique que nous voulions suivre et nous faire reconsidérer l’éventualité d’un engagement plus prononcé ?
Le Président François Hollande et notre Premier ministre jugent tous deux qu’il faut faire peser une plus forte pression sur Bachar Al Assad et lui signifier clairement qu’ayant modifié une fois la nature de l’embargo sur les armes, nous pourrions le faire à nouveau. Cette approche nous permettrait de soutenir la coalition nationale de l’opposition, dont nous aimerions voir la légitimité renforcée plutôt que celle des djihadistes présents sur le terrain. Je pense que c’est l’orientation que nous suivrons au cours des mois à venir car les choses ne peuvent continuer de la sorte. Nous devons faire davantage pour soutenir l’opposition légitime et, pour cela, nous délier les mains. Nous pouvons décider de ne pas fournir d’armes létales aux combattants – à ce jour, le Royaume-Uni n’a pas pris de décision à ce sujet - mais nous devons pouvoir dire au régime syrien et à ceux qui le soutiennent, la Russie principalement, que ce qui se passe ne peut plus durer.
Pour être honnête, avoir affaire à une opposition moins chaotique simplifierait les choses. Nous avons tous passé énormément de temps, au cours des deux années écoulées, à tenter de convaincre l’opposition syrienne de se rassembler et de s’organiser. Outre qu’il est source de frustrations, l’échec à ce sujet a eu des conséquences dommageables. Ni les chrétiens ni les Kurdes de Syrie ne savent encore quelle serait l’attitude de la coalition à leur égard une fois qu’elle serait au pouvoir. Nous incitons la coalition à se prononcer clairement à ce sujet mais nous avons souvent le sentiment que chaque pas en avant est suivi d’un recul équivalent : à chaque réunion des Amis de la Syrie, la coalition dit ce que l’on attend d’elle puis, quelques jours plus tard, un événement se produit qui montre que ce n’est pas si simple.
Ainsi, M. Moaz Al Khatib est un dirigeant crédible que nous soutenions tous. L’annonce de sa démission, la semaine dernière, nous a tous pris par surprise – mais le président démissionnaire de la coalition nationale syrienne a pourtant participé à la réunion de Doha hier, dans ce que l’on peut interpréter comme une démonstration d’unité avec le nouveau premier ministre du gouvernement transitoire. Comme vous, nous pensons l’opposition syrienne chaotique, mais ce sont nos interlocuteurs et nous devons continuer de travailler avec eux. Ils ont un message à faire passer à la population syrienne et nous devons leur donner davantage de moyens pour qu’ils y parviennent. Nous avons l’habitude de forces politiques organisées, dotées de ressources et d’autorité. En Syrie, il n’y a rien de tout cela : l’opposition est désorganisée et elle n’a pas de moyens de communication. S’attendre à ce que des gens qui luttent pour leur vie réagissent comme le ferait un parti politique d’opposition traditionnel, c’est beaucoup leur demander. Notre rôle doit donc être de leur donner les moyens de devenir une opposition plus efficace.
J’en viens au Proche-Orient, où l’on aperçoit, me semble-t-il, une lueur d’espoir moins vacillante que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre. Comme vous, nous nous interrogions depuis longtemps sur les points de vue respectifs de la Maison-Blanche et du Département d’État sur la colonisation. Dans un premier temps, le Président Obama a fait de l’arrêt de la colonisation l’élément clef de la négociation, maisquand cet essai a échoué, il n’y avait plus rien à négocier. En revanche, avoir nommé M. John Kerry au Secrétariat d’État est une bonne idée ; outre qu’il connaît parfaitement la région, il est très impliqué, à titre personnel, dans le processus de paix. Il restait à connaître le degré de soutien qu’il peut attendre de la Maison-Blanche : est-elle disposée à faire davantage que de fournir le stylo qui servira à signer un éventuel accord ? À cette question, je pense que nous avons eu la réponse la semaine dernière, et qu’elle est positive.
J’ai été impressionné par le discours que le Président des États-Unis a tenu à la jeunesse israélienne. Il était formulé de telle manière que l’on ne pouvait douter de l’engagement américain en faveur de la sécurité d’Israël mais, en même temps, le Président Obama, rappelant la solution des deux États coexistant dans la paix et la sécurité, a souligné l’urgence de voir les négociations aboutir. Il a mis l’accent sur le péril actuel en insistant sur le fait que, étant donné l’ampleur des tensions sur la rive gauche du Jourdain, un problème majeur de sécurité se produira tôt ou tard. La nouveauté, c’est qu’un président américain a abordé la question sous l’angle de la justice, en demandant aux jeunes Israéliens de se mettre dans la peau des jeunes Palestiniens habitants d’un territoire occupé par une armée étrangère, soumis à des arrestations et spectateurs de démolitions arbitraires. Vous comme nous avons souvent tenu ce langage, publiquement et en privé, à nos amis israéliens, et nous sommes tous fermement opposés à la colonisation. Mais les choses prennent un tout autre tour quand elles sont dites par le président des Etats-Unis qui, tout en soulignant de la manière la plus forte son engagement en faveur de la sécurité d’Israël, met le pays en garde contre le risque qu’il court s’il ne change pas d’attitude, une attitude néfaste non tant pour des considérations stratégiques que parce qu’elle est injuste. Ce changement de perspective est d’une grande importance.
Ensuite, le Président Obama n’a pas pris d’initiative : il a passé la main au Secrétaire d’État, laissant à M. Kerry la liberté d’avancer lentement, prudemment et discrètement, ce qui est une bonne chose dans le contexte. Nous verrons comment MM. Laurent Fabius, William Hague et leurs homologues européens pourront soutenir les progrès vers accord de coexistence de deux États ; chacun le sait, diverses incitations sont possibles, et aussi différentes sanctions, et nous avons un rôle à jouer dans ce scénario.
Vous avez souligné à juste titre, madame la présidente, qu’il convient de restaurer une confiance très durement ébranlée - si durement que, selon moi, les parties doivent décider de prendre un risque chacune en même temps, de manière à se trouver dépendantes l’une de l’autre et non plus de ceux qui, dans leur camp respectif, feront tout pour empêcher la progression du processus de paix.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie, monsieur le ministre. Vous avez confirmé la proximité de nos analyses. J’espère que votre optimisme raisonné à propos du Proche-Orient se vérifiera ; je pense que le Premier ministre Salam Fayyad, qui a déjà fait beaucoup pour la Cisjordanie, sera très précieux pour les Palestiniens au cours de la période à venir.
La parole est aux commissaires, aux questions desquels vous avez aimablement accepté de répondre
M. Jacques Myard. De graves interrogations se posent sur ce que sera l’« après Assad » en Syrie si la résistance l’emporte. Le régime actuel est horrible mais nul ne sait ce qu’il adviendra s’il chute. Cela doit conduire à envisager avec la plus grande prudence la livraison d’armes aux insurgés. La France a déjà eu des expériences difficiles à ce sujet, et chat échaudé devrait craindre l’eau froide.
S’agissant de la crise israélo-palestinienne, vous nous avez fait part de votre optimisme retrouvé. La rumeur dit pourtant que M. Kerry, partant pour sa tournée au Proche-Orient, se serait vu salué d’un « Bonne chance ! » par le président Obama… De fait, l’ampleur des blocages, avérés du côté israélien et sans doute aussi du côté palestinien, ne rend-elle pas un règlement du conflit difficile à trouver ?
Enfin, comment envisagez-vous l’évolution politique en Tunisie, en Libye et en Egypte, tous pays qui cherchent leur voie ? Y a-t-il, selon les mots de Pierre Teilhard de Chardin, un mouvement vers le progrès, ou doit-on craindre un recul ?
M. Jean-Claude Guibal. Comment, en cas de levée de l’embargo sur les armes, empêcher qu’elles ne tombent entre les mains des djihadistes ? Quels sont les opposants à Bachar Al Assad les mieux en mesure de gouverner la Syrie dans l’hypothèse où il partirait ?
Le Royaume-Uni, qui a une excellente connaissance du Moyen-Orient, sait peut-être aussi mieux que d’autres les intentions des États-Unis dans la région. Il est arrivé que les Américains, après avoir soutenu des pouvoirs forts, les abandonnent, misant sur autre chose. Selon vous, quelle est leur vision du Moyen-Orient pour la décennie à venir ? Enfin, quel impact a la situation en Syrie sur l’avenir d’Israël ?
M. Alistair Burt. Les mêmes questions m’ont été posées hier, lors d’une réunion avec mes collègues de la Chambre des Lords et de la Chambre des Communes visant, comme ici, à faire le point sur la situation en Syrie. « Pouvons-nous continuer de rester les bras croisés ? » demandaient les uns. « Qu’en sera-t-il ensuite ? » demandaient les autres. J’ai été contraint de répondre qu’il n’y a pas de bonne solution. Toute décision que nous prendrons - intervention ou non-intervention – aura de mauvaises conséquences, et l’Histoire jugera si l’action entreprise a causé moins de dommages que n’en aurait causés l’abstention. L’hypothèse de la livraison d’armes rend vos interrogations légitimes – comment être sûr qu’elles ne finiront pas entre de mauvaise mains ? Doit-on craindre, au lendemain de ce conflit, des luttes interconfessionnelles ? Mais rester les bras ballants, c’est laisser le nombre de morts passer de 75 000 à 80 000, puis 100 000, puis 120 000… et cela, après Srebrenica et le Ruanda ?
Les gouvernements cherchent à définir l’option la moins mauvaise, celle qui fondera le meilleur avenir pour la Syrie. Dans ce contexte difficile, nous avons une ligne de conduite. Nos contacts avec la coalition de l’opposition ont augmenté à mesure qu’elle se renforçait, de même que notre soutien, qui s’est traduit par l’envoi de moyens de communication, de blindés et de matériel de protection individuelle dont nous savons où ils aboutissent car ils sont en nombre limité. Ce qui est inquiétant, ce sont les livraisons d’armes faites par d’autres pays, qui pourraient être détournées. À ce jour le Royaume-Uni n’a pas pris de décision au sujet des livraisons d’armes ; l’éventualité de détournements fait partie de notre réflexion et nous procédons avec la plus grande prudence, mais le dilemme demeure.
Vous m’avez jugé optimiste à propos des négociations de paix au Proche-Orient. Jeffrey Feltman, ancien Secrétaire d’État adjoint chargé de ces questions, avait coutume de dire à ce sujet qu’à chaque fois que l’on pensait avoir atteint le fond, on se leurrait. Cela étant, ne pas se bercer de faux espoirs aide à progresser. Nous sommes réalistes, et nous savons que nous avons fort à faire pour démontrer un engagement plus ferme dans ce processus. Cependant, le Président Obama aurait pu décider de s’en remettre entièrement à M. John Kerry, et je ne pense pas qu’il en sera ainsi. La nouvelle coalition gouvernementale israélienne présente beaucoup d’inconnues, mais nous sommes en droit de dire à toutes les parties qu’il est temps de prendre le risque d’une paix qu’elles ont jusqu’à présent refusée de cent manières. Si rien ne change, le moment est proche où, étant donné l’évolution démographique, Israël sera soit un État juif, soit un État démocratique ; que ce pays devienne un État non-démocratique serait tragique. L’urgence du changement est donc absolue, et il faut saisir la nouvelle occasion d’y travailler. Sans l’être exagérément, les politiques se doivent d’être optimistes – sinon, ils ne se présenteraient pas aux élections.
Vous vous interrogez sur la vision que se font les États-Unis du Moyen-Orient. Je les pense revenus à plus de réalisme, et je n’entends plus les néoconservateurs expliquer qu’il faut imposer la démocratie, ce que je juge bienvenu. Mais les États-Unis maintiennent que les populations sont en droit de consentir à une forme de gouvernement, et ils continuent d’user d’une formulation assez abrupte quand ils parlent de la protection des droits de l’homme et des attentes des peuples.
Cela me conduit à évoquer l’évolution de la situation en Tunisie, en Égypte et en Libye. Le Royaume-Uni n’a jamais imaginé que puisse se dérouler, dans ces pays, un processus linéaire vers une démocratie à l’occidentale. Après l’optimisme initial, une deuxième page est en train de s’écrire, la plus difficile, et nous ignorons quel consensus politique sera trouvé. Mais, même si les symptômes sont identiques, les différences sont manifestes entre les pays du Maghreb et les autres. La Tunisie est un pays structuré, qui a une administration ; la coalition au pouvoir fait face à de nombreuses difficultés, et notamment à un problème sécuritaire, mais il existe une base sur laquelle travailler, et elle s’y efforce même si l’étape en cours est compliquée.
En Libye, il n’y a pas de réel gouvernement. De nouvelles élections se profilent sans cesse ; cela a pour effet que les autorités évitent, de manière chronique, de prendre aucune décision. Je n’ai aucun doute sur les bonnes intentions des personnalités au pouvoir, mais aussi longtemps que la sécurité nationale n’aura pas été rétablie, elles seront confrontées à de grandes difficultés. Nous devons, de concert, les encourager à progresser en matière de sécurité et de respect des droits de l’homme.
L’Égypte est à la peine. Ce qui s’y passe découle-t-il d’un plan prévu de longue date par les Frères musulmans, ou le Gouvernement et l’opposition tâtonnent-ils ? Les chefs de l’opposition doivent se rassembler et travailler avec la majorité au pouvoir, laquelle doit admettre que ce n’est pas parce qu’elle a gagné les élections que la minorité n’a pas son mot à dire. Par ailleurs, l’économie égyptienne ne laisse pas d’inquiéter.
Nos relations avec les trois pays sont bonnes. Nous croyons aux vertus du dialogue, que nous poursuivons avec eux, et nous sommes un membre actif du partenariat de Deauville, conçu pour accompagner l’enracinement de la démocratie. Que ces pays soient confrontés à de très grands défis n’est pas surprenant outre mesure. Après l’exubérance du changement vient le temps de l’approfondissement de structures politiques dont ces pays ont une faible expérience. Notre rôle est de veiller à ce qu’ils continuent de se fixer pour objectifs certains principes : respect des droits des minorités, liberté de réunion, liberté de culte et – très important – respect du droit des femmes.
M. Michel Terrot. En quoi consiste exactement le nouveau partenariat antiterroriste algéro-britannique ?
M. Alistair Burt. Nos relations avec l’Algérie se sont resserrées au fil du temps. J’entretiens de bonnes relations avec mon homologue, M. Abdelkader Messahel, et nous étions convenus de les renforcer encore sur le plan politique et sur le plan commercial. Mais la prise d’otages qui a eu lieu sur le site gazier d’In Amenas a révélé que notre coopération sur le plan sécuritaire n’était pas celle que nous espérions et qu’il nous fallait absolument parvenir à un accord relatif au partage des renseignements dans le Sahel. Aussi avons-nous décidé, après cet événement, de compléter notre dialogue régulier par un volet « sécurité ». La première réunion entre responsables de la sécurité algériens et britanniques est prévue en avril à Londres. Ils seront appelés à échanger les informations dont ils disposent sur la menace commune à laquelle nous sommes confrontés au Sahel. Les Algériens sont très soucieux de leur souveraineté, vous le savez mieux que moi, mais nous souhaitons leur faire admettre que mais le partage des renseignements est d’une importance cruciale pour tous. Le constat que l’on est confronté à une menace extrémiste commune à laquelle il faut faire face ensemble contribue d’ailleurs à apaiser les relations, comme on l’a vu au Mali.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. S’agissant du Mali, la coopération avec l’Algérie, sérieusement engagée dans la lutte contre le terrorisme sur son territoire après y avoir été confrontée pendant une décennie, est maintenant aussi bonne qu’elle peut l’être. Je suis convaincue que la visite du Président de la République a facilité les choses et j’ai bon espoir que les relations entre Alger et la France - et les pays européens en général - continueront de se renforcer.
En Israël, le résultat des élections a surpris et nous nous interrogeons sur les engagements que pourrait prendre le nouveau gouvernement. Outre qu’une large place y a été faite à des personnalités très proches des colons, on a eu le sentiment que, pendant la campagne électorale, la priorité était donnée à des sujets de politique intérieure – l’éducation, le coût du logement, le pouvoir d'achat, la conscription des jeunes ultra-orthodoxes. Mais on note la présence au gouvernement de Mme Tzipi Livni, dont on connaît l'engagement en faveur de la solution à deux États, et de M. Yaïr Lapid, qui a fait de la relance des discussions avec les Palestiniens une de ses priorités affichées. Cela peut laisser penser que le nouvel exécutif sera très impliqué dans ces discussions. Qu’en pensez-vous ?
À propos de la Syrie, vous avez observé à juste titre qu’il y seulement des solutions moins mauvaises que d’autres. La question de fond a été posée par notre collègue Jean-Claude Guibal : à supposer que des armes soient livrées à l’opposition, comment s’assurer qu’elles tomberont dans de bonnes mains ? Vous l’avez souligné, des armes sont déjà livrées dont nous ne pouvons contrôler la destination. Certains experts jugent toutefois que le général Selim Idriss, chef d’état-major de l’armée de libération syrienne (ALS), est à même d’exercer ce contrôle, au moins pour partie, ce qui renforce son influence et son autorité. Si nous décidons de livrer des armes à l’opposition – que la décision soit celle du Conseil européen ou celle de la France et du Royaume-Uni seuls – nous prendrons garde à ce que le général Idriss en soit le destinataire, à condition qu’il soit capable de les répertorier, de les stocker et d’en contrôler l’utilisation. Partagez-vous l’opinion, monsieur le ministre, qu’en dépit de la confusion qui règne au sein de l’opposition, certaines composantes de l’état-major de l’ALS sont crédibles ?
M. Alistair Burt. Pour ce qui concerne Israël, nous en sommes encore à tenter de comprendre comment la nouvelle coalition gouvernementale surmontera ses contradictions internes. Le résultat des élections a effectivement surpris, à la fois parce que le premier ministre sortant n’a pas eu tout le soutien qu’il escomptait et en raison de la percée des centristes de M. Yaïr Lapid et du parti de M. Naftali Bennett. Mais il ne faut pas se méprendre : ces derniers sont favorables au plan de colonisation d’Uri Ariel. Toute la question est de savoir comment transformer le désir de paix qui, selon tous les sondages, parcourt la société israélienne, en mesures tangibles. Comme vous l’avez souligné, la campagne électorale a été largement axée sur les questions d’ordre social. Cependant, un fort désir de paix s’exprime en Israël. À chacun de mes voyages là-bas, je constate que la population n’en peut plus de voir sa jeunesse contrainte à un service militaire interminable sur la rive gauche du Jourdain. La situation n’affecte pas seulement les Palestiniens ; elle a aussi un impact durable sur la jeunesse israélienne, et les séquelles s’aggravent pour tous ces jeunes gens auxquels on enseigne, de part et d’autre, à ne pas se considérer comme des semblables mais comme des ennemis implacables.
Notre rôle est de contribuer à concrétiser ce désir de paix. Des défis majeurs s’annoncent, et toutes les parties devront trouver des compromis. Pour ce qui est du processus de paix, il est très peu probable que la coalition gouvernementale israélienne tienne ; le premier ministre devra tôt ou tard chercher de nouveaux alliés. À cet égard, j’interprète la nomination de Mme Tzipi Livni comme le signal donné par M. Netanyahou que son engagement est sérieux. Personne n’aurait été surpris qu’il ne fasse pas entrer Mme Livni au gouvernement, et il n’ignore pas l’impact de cette nomination. Certes, le négociateur précédent est toujours là, mais il n’empêche : le geste, politiquement significatif, montre que premier ministre d’Israël est conscient que les choses doivent changer. Il sera prudent, et avancera à petits pas.
Je considère le général Selim Idriss comme un bon interlocuteur, en qui nous avons confiance. Notre rôle est de contribuer à renforcer la légitimité d’une coalition de l’opposition désormais reconnue par une large majorité d’États en l’aidant à assurer un contrôle réel sur les zones dans lesquelles elle est établie et à dispenser des services à la population. C’est le sens des contacts que nous entretenons.
M. Boinali Said. Peut-on imaginer la mobilisation d’une force régionale pour aider à la résolution du conflit en Syrie, sur le modèle de ce qui a été fait au Mali ?
M. Jacques Myard. D’Israël ou des États-Unis, lequel des deux pays a, selon vous, la plus grande influence sur l’autre?
M. Alistair Burt. Permettez-moi, avant de vous répondre, de saluer l’arrivée de M. Pierre Lequiller, avec lequel j’ai travaillé en parfaite amitié au fil des ans.
Si une force de stabilisation ou de maintien de la paix doit être envoyée en Syrie, je pense qu’il devra s’agir d’une force régionale. À la différence de ce qui s’est passé en Irak, les Libyens ont tenu à mener eux-mêmes le processus de stabilisation. Au Mali, la décision a été prise, dans le cadre de la charte de l’ONU, que les troupes françaises viendraient soutenir le gouvernement malien, et que leur succèderaient d’autres forces armées des Nations Unies – des forces régionales. Je suis convaincu qu’à terme des forces placées sous l’égide des Nations Unies interviendront aussi en Syrie, et nous savons tous qu’après la chute de Bachar Al Assad les difficultés ne manqueront pas. Dans un pays où les destructions sont déjà d’une ampleur telle que la situation rappelle celle de Berlin en 1945, la stabilisation sera un moment crucial ; la logique commande qu’elle soit l’œuvre de forces régionales.
À mon sens, l’influence qu’a Israël aux États-Unis s’exerce principalement sur le Congrès, nettement moins sur la Maison-Blanche et le Département d’État. Cela étant, je suis parlementaire depuis trente ans, j’ai été membre du groupe d’amitié Royaume-Uni - Israël à peu près aussi longtemps, je me rends régulièrement aux États-Unis, et je constate que les gens qui, représentant l’opinion des juifs américains, soutenaient inconditionnellement Israël quoi que fasse son gouvernement, sont aujourd’hui beaucoup plus nuancés et plus ouverts ; plusieurs de mes interlocuteurs m’ont dit leurs préoccupations relatives à certaines décisions israéliennes. Une évolution réelle est en cours, qui permettra de faire comprendre que l’on peut être un ami sincère d’Israël sans penser que son gouvernement est par nature infaillible. Quant à l’influence des États-Unis sur Israël, l’attention portée au discours prononcé par le président Obama en Israël montre qu’elle est très importante. C’est ce qui me fait penser qu’il y a une lueur d’espoir.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, je me félicite de la convergence de nos analyses. Je pense que la nomination de M. John Kerry, qui connaît très bien l’Europe et l’Afrique, sera un atout pour l’évolution des relations entre l’Union européenne et les États-Unis. Nous espérons que son arrivée signale un engagement plus fort des États-Unis dans les deux dossiers que nous avons évoqués, car leur influence est décisive. Je vous remercie, et je souhaite que votre visite se répète.
M. Alistair Burt. Permettez-moi de vous remercier à mon tour ; c’est un honneur pour moi d’avoir été convié à prendre la parole devant votre Commission.
La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mercredi 27 mars 2013 à 16 h 30
Présents. - Mme Sylvie Andrieux, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Michel Destot, M. Jean-Luc Drapeau, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Pierre Lequiller, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. François Rochebloine, M. Boinali Said, M. Michel Terrot
Excusés. - M. Pouria Amirshahi, Mme Danielle Auroi, M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Philip Cordery, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. François Loncle, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. André Santini