Audition de Mme Bénédicte de Montlaur, Sous-Directrice d'Afrique du Nord (ANMO MAE), sur les relations de la France avec les pays du Maghreb
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevons aujourd’hui Mme Bénédicte de Montlaur, sous-directrice d’Afrique du Nord au ministère des affaires étrangères. Tout en vous souhaitant la bienvenue, je vous précise, madame, que pour rendre l’échange plus libre, votre audition n’est pas ouverte à la presse. Vous pourrez donc vous exprimer en toute franchise.
Nous souhaitons faire le point avec vous sur l’état des relations de la France avec le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, pays avec lesquels nous avons des liens anciens et actuels particulièrement forts. Notre intérêt à leur égard est tel que notre commission a engagé plusieurs missions d’information. Une première concerne l’Algérie et a pour rapporteur Jean-Pierre Dufau et pour président Axel Poniatowski. Un déplacement dans ce pays a été organisé, auquel ont également participé Françoise Imbert, Philippe Baumel et Jean-Luc Reitzer. Une autre mission, conduite par Jacques Myard, son président, et Jean Glavany, rapporteur, s’intéresse aux révolutions arabes. Cette mission s’est déjà rendue en Égypte et en Tunisie, et doit se rendre prochainement en Libye. Par ailleurs, le Premier ministre a effectué un voyage au Maroc à la mi-décembre et le Président de la République s’est rendu en Algérie le 20 décembre et au Maroc la semaine dernière. J’ai eu la chance d’être associée à ces deux voyages. En plus de partager avec vous les informations et les impressions que nous retenons de nos déplacements, nous serions très intéressés de connaître vos réflexions sur l’état de nos relations avec ces trois États, auxquels j’ajoute la Libye qui fait partie du groupe des cinq.
Nous avons à cœur d’entretenir avec les États du Maghreb des relations apaisées et solides. Peut-être pourriez-vous détailler les relations politiques et économiques, en particulier dans le contexte des deux visites présidentielles. Au cours de ces visites, des accords importants et nombreux ont été signés, et le Président de la République a beaucoup insisté sur la notion de colocalisation sur le plan économique. L’idée est d’adopter, vis-à-vis de ces pays, l’attitude qu’a eue l’Allemagne bien avant nous et depuis longtemps avec les pays d’Europe de l’Est en créant une sorte de zone de protection commune qui puisse bénéficier aux deux parties. Cette colocalisation exige un partenariat plus équilibré, avec des échanges technologiques et des transferts de valeur ajoutée. Au Maroc, a été consacrée par les chefs d’État et de Gouvernement l’idée que la France et le Maroc pourraient se projeter économiquement de manière conjointe vers l’Afrique subsaharienne. C’est une volonté nouvelle au Maroc, qui déploie des moyens très concrets en ce sens. Quelle est votre analyse à ce sujet ? Quant à la visite en Algérie, elle a fait repartir les relations franco-algériennes sur de nouvelles bases et réintroduit plus de confiance entre nos deux pays. En témoigne l’autorisation de survol donnée pour la première fois par l’Algérie à nos avions engagés dans la guerre au Mali.
J’ai évoqué principalement les relations politiques et économiques, mais nous sommes également très intéressés par les relations culturelles, la place du français, la question des flux migratoires. À ce sujet, les conditions de délivrance de visa ont été assouplies pour les étudiants et les professionnels en vue de favoriser la mobilité aller-retour. Quel en est l’impact sur votre action ? En tout cas, j’ai pu constater sur place que cet assouplissement était bien perçu.
Chaque pays a des problématiques qui lui sont propres. Au Maroc, ce sont la fermeture, depuis plusieurs années maintenant, de la frontière entre l’Algérie et le Maroc, et la question du Sahara occidental qui empoisonne les relations entre les deux pays et qui est dans une impasse. J’ai reçu Christopher Ross qui reprend ses tournées et adopte une nouvelle méthode de navette, allant d’un pays à l’autre pour essayer de débloquer les choses. Aux Marocains, il propose d’appliquer concrètement leur plan d’autonomie sans se préoccuper de la phase finale. Sachant que la France soutient une solution dans le cadre des Nations unies, vous nous direz ce que vous en pensez.
En Tunisie, le nouveau gouvernement de M. Larayedh imprimera-t-il un changement dans l’attitude du pays vis-à-vis de la France ? Fera-t-il cesser les accusations d’ingérence qui ont repris ? S’agissant de la révolution, quelle analyse pouvez-vous faire de son évolution, avec les chances et les risques qu’elle porte en elle ?
Voilà déjà beaucoup de questions, et mes collègues en auront beaucoup d’autres encore.
Mme Bénédicte de Montlaur, sous-directrice d’Afrique du Nord à la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères. Permettez-moi de vous brosser un panorama général de notre politique à l’égard du Maghreb avant d’aborder les questions plus particulières.
Le Maghreb est, plus que jamais, une zone d’importance stratégique pour la France, car il comporte des enjeux politiques, économiques, culturels et sécuritaires. Du point de vue politique, le printemps arabe a eu des répercussions majeures au Maghreb, avec des conséquences très spécifiques et incomparables d’un pays à l’autre. En Tunisie, qui est le véritable laboratoire du printemps arabe, la transition se poursuit. Si elle suscite parfois des inquiétudes, nous devons l’accompagner. Au Maroc, le Roi a pris les devants dès mars 2011, et il a introduit des réformes qui ont ouvert la voie vers une monarchie quasi parlementaire, avec l’adoption d’une nouvelle constitution en juillet 2011, puis des élections qui ont amené au pouvoir le PJD, le parti islamiste modéré. En Algérie, même si les autorités se défendent d’avoir réagi sous la pression, on ne peut nier que les révolutions dans les pays voisins ont pu inspirer manifestations et immolations par le feu. La Libye est un cas très différent en ce que la révolution a été suivie d’une opération militaire menée par l’OTAN. L’Afrique du Nord est donc dans une situation de fermentation politique et sociale qu’il convient d’analyser au quotidien afin d’adapter notre politique et de nouer des contacts avec les nouvelles autorités en place.
Avant même les révolutions arabes, la relation avec ces pays était déjà hautement politique en raison de spécificités historiques propres à chacun de ces États. Avec l’Algérie, la question lancinante de la mémoire est toujours au cœur de notre relation. Il faut la traiter en essayant de la dépasser pour orienter notre partenariat vers l’avenir. Le Maroc a fait du Sahara occidental une question d’intérêt national, sur laquelle leur dialogue avec la France est constant.. En Tunisie, depuis la révolution, la relation est très sensible.
L’Afrique du Nord représente également des enjeux économiques très importants. Nous sommes le premier partenaire commercial des trois pays. Les exportations françaises représentent en moyenne sur les dernières années à peu près 6 milliards d’euros avec l’Algérie, 5 milliards avec le Maroc et 4,5 milliards avec la Tunisie.. Pour autant, cette position dominante n’est pas acquise. Au cours des dernières années, nous avons perdu des parts de marché : 10 points avec le Maroc, 6 points avec l’Algérie, 5 points avec la Tunisie. Bien sûr, cela est dû à la croissance du commerce et des échanges de ces pays, mais aussi à la présence de partenaires internationaux plus agressifs tels la Chine ou l’Espagne. Nos échanges sont encore très importants, aussi devons-nous garder l’initiative et trouver des moyens, notamment pour nos petites et moyennes entreprises, de continuer à investir dans ces pays de façon à enrayer la dégradation progressive de notre part de marché.
Les enjeux culturels et humains constituent sans doute les aspects les plus importants de la relation bilatérale. Derrière les relations d’État à État, il y a de nombreuses personnes : environ 100 000 Français sont inscrits dans nos consulats au Maghreb – autant dire qu’ils y sont beaucoup plus nombreux ; près d’1 million de touristes par an se rendent au Maroc, autant en Tunisie ; 4 millions de personnes d’origine maghrébine vivent en France. À la différence des relations bilatérales avec d’autres pays, notre travail au quotidien consiste à traiter des dossiers très concrets, concernant par exemple des étudiants maghrébins, qui représentent 25 % des étudiants étrangers en France, des retraités des pays d’Afrique du Nord ayant travaillé en France, des problèmes d’hôpitaux, tous aspects très techniques attachés à cette dimension humaine particulière. Traiter ces questions de personnes nécessite d’avoir des relations de travail satisfaisantes, voilà pourquoi cette relation avec les pays d’Afrique du Nord est indispensable. Elle l’est notamment dans les dossiers d’enfants déplacés, toujours très douloureux. La visite d’État au Maroc en a donné une bonne illustration. Les interventions qui l’ont précédée ont, en effet, permis de retrouver l’enfant Enzo Taïbi, disparu depuis quatre ans, qui a pu être remis à sa mère à la veille de la visite du Président de la République.
Le Maghreb comporte, enfin, des enjeux sécuritaires et migratoires. Les événements au Mali l’ont montré, la clé de certaines problématiques sahariennes se trouve au Maghreb. Rappelons que plusieurs mouvements ont une origine maghrébine, notamment algérienne, et qu’un certain nombre de combattants sont maghrébins. Nous avons besoin de coopérer avec ces pays pour assurer le succès de l’opération Serval.
En conséquence de ces enjeux et du caractère stratégique de la relation entre la France et les pays du Maghreb, nous déployons une politique bilatérale dense et dynamique. D’abord, nous avons un dialogue politique de haut niveau, une relation bilatérale très suivie avec l’exercice régulier de réunions de haut niveau. Au Maroc, depuis 1997, les Premiers ministres se réunissent tous les ans, parfois tous les deux ans, la dernière fois étant en décembre dernier. Les visites du Président de la République font partie de cette relation. Au cours des dix dernières années, trois visites d’État de Président français ont eu lieu en Algérie. Le Président François Hollande a décidé de consacrer à l’Afrique du Nord ses premières visites d’État : la première s’est déroulée en Algérie, la deuxième au Maroc, une autre s’effectuera sans doute très prochainement en Tunisie. Le premier chef d’État qu’il a reçu était le roi du Maroc. Le dialogue bilatéral se nourrit aussi des échanges parlementaires, que nous suivons. C’est ainsi que notre ambassadeur en Algérie a reçu, entre le Sénat et l’Assemblée nationale, six missions parlementaires en deux mois.
Notre dispositif diplomatique est conséquent. Avec près de 800 agents, dont quelque 400 agents expatriés, nos trois postes à mission élargie constituent l’un des plus gros dispositifs au monde. Parmi nos ambassades, celle du Maroc est la plus grande au monde après celle des États-Unis. Notre maillage très important du territoire est assuré par six consulats généraux au Maroc, trois consulats généraux en Algérie et un en Tunisie.
Les crédits de coopération sont également très importants, les plus importants au monde, puisqu’ils atteignent près de 20 millions d’euros. Encore avons-nous été touchés par la contrainte budgétaire. Depuis 1996, les crédits de coopération pour les pays du Maghreb ont diminué de 40 à 50 % selon les pays. Aujourd’hui, avec des enveloppes deux fois moindres, on ne peut plus engager les mêmes actions qu’il y a dix ans, et cela nous incite à développer une logique de partenariat et à recourir davantage aux crédits européens.
Je passe sur notre dispositif scolaire et l’Institut français pour consacrer la dernière partie de mon intervention à nos actions aujourd’hui et à la façon dont nous nous adaptons à la nouvelle donne. Cette nouvelle donne est tout autant politique, avec l’arrivée au pouvoir des islamistes modérés en Tunisie et au Maroc, qu’économique, avec l’érosion de nos parts de marché, et sociale, avec ces sociétés en fermentation. Nous sommes dans une phase d’ajustement. Tout le monde a été surpris par les révolutions arabes. Ces processus en cours impliquent de notre part des ajustements de notre politique.
D’abord, nous nous sommes attachés à réaffirmer la solidité du partenariat avec ces pays. Pour toutes les raisons que j’ai mentionnées plus haut, il est très important pour la France d’avoir un dialogue confiant avec leurs autorités quelles qu’elles soient. D’où les visites d’État que le Président de la République a souhaité accomplir dès la première année de son mandat, l’idée étant vraiment de nouer des relations personnelles. Au Maroc, la réunion de haut niveau (RHN), où le Premier ministre était accompagné de neuf ministres, la visite d’État et la multiplication des visites ministérielles ont permis de confirmer la solidité de notre partenariat. Il en est de même avec les autorités algériennes. Nous constatons, dans notre travail au quotidien, sur des dossiers plus ou moins importants qui vont des biens immobiliers que nous souhaitons vendre à Alger au remboursement de la dette vis-à-vis de nos hôpitaux, que la visite d’État a vraiment permis d’apaiser et de relancer la relation, même si celle-ci reste complexe. Nous espérons conforter aussi nos liens avec les forces politiques tunisiennes. Nous encourageons les visites ministérielles, là aussi, pour tisser des liens humains et apprendre à travailler avec l’islam modéré. Je pense que les Tunisiens attendent de nous que nous réaffirmions notre confiance vis-à-vis de leur pays.
Nous nous sommes efforcés, ensuite, de développer de nouveaux thèmes dans les relations bilatérales. Le premier est celui de la jeunesse, qui a porté les révolutions arabes et qu’on ne peut pas laisser de côté. Les accords qui ont été signés lors des visites d’État en Algérie et au Maroc reflètent cette priorité. En Algérie, la mise en place d’instituts d’enseignement supérieur et technologique, l’équivalent de nos IUT, a été décidée. Les quatre établissements qui vont ouvrir à la rentrée seront les premiers d’un réseau qui comptera, à terme, quarante IUT dans toute l’Algérie. Au Maroc, huit accords ont été signés concernant l’enseignement supérieur, dans une logique un peu différente consistant à ouvrir des institutions françaises sur place en coopération avec des établissements d’enseignement supérieur marocains. C’est ainsi qu’une école centrale sera créée à Casablanca, qu’une faculté de médecine sera implantée à Agadir et que le CNAM sera également présent sur le territoire. En cherchant à développer la possibilité pour les jeunes Marocains de recevoir des diplômes français en étudiant dans leur pays, nous faisons un effort significatif et adressons un message très fort à la jeunesse.
L’économie est le deuxième thème que nous cherchons à développer. Des pactes de coproduction ont été signés à la fois avec l’Algérie et le Maroc, en vue de définir des filières qui permettraient de développer des activités en même temps en France et dans les pays d’Afrique du Nord. Un pôle aéronautique près de Casablanca fonctionne déjà avec succès sur ce mode. Le ministère des finances a lancé une mission pour trouver des filières industrielles partagées entre les pays d’Afrique du Nord et la France, qui devrait bientôt rendre ses conclusions. Le secteur agroalimentaire pourrait offrir de tels partages de valeur ajoutée. L’idée est vraiment d’avoir un partenariat gagnant-gagnant, de développer les activités en même temps dans les pays d’Afrique du Nord et en France.
Nous avons encore souhaité développer des projets en matière de développement durable. Ce thème d’avenir a été au cœur de la visite d’État au Maroc, et des contrats ont été signés dans le secteur éolien. Le Maroc développe un plan solaire très ambitieux pionnier pour la Méditerranée. Nous espérons que des entreprises françaises vont participer.
Nous cherchons à développer des coopérations triangulaires. Nous souhaitons faire du Maroc une plate-forme pour les activités de nos entreprises en direction de l’Afrique. Des accords bancaires ont été signés, mais aussi un accord entre Casablanca Finance City et Paris Europklace pour permettre le financement des activités de nos entreprises et des entreprises marocaines qui pourraient travailler conjointement en Afrique. Nous allons essayer de faire de même avec la Tunisie, cette fois en direction de la Libye, pour le marché de la reconstruction. Les problématiques de ce pays sont assez différentes, car en Libye il s’agit non seulement de reconstruction, mais de la construction même d’un État.
Enfin, malgré la question du Sahara occidental et la fermeture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc, nous avons vraiment pour ambition de développer l’intégration maghrébine. Depuis le début de son mandat, le Président de la République a lancé l’idée de « Méditerranée de projets » qui s’est traduite, d’abord, par le maintien de notre soutien à l’Union pour la Méditerranée, ensuite, par une relance du dialogue 5+5. Cette instance de dialogue informel entre les cinq pays de la rive nord de la Méditerranée et les cinq pays de la rive sud remplit plutôt bien son office de promotion des rencontres ministérielles puisque, après avoir organisé, en décembre, la rencontre des ministres de la défense, elle a réuni cette semaine les ministres de l’intérieur et réunira la semaine prochaine, à Nouakchott, les ministres des affaires étrangères. Pour nous, le 5+5 doit être le laboratoire des idées élaborées conjointement avec nos plus proches partenaires de l’UPM.
Nous faisons de notre mieux pour répondre aux défis au quotidien. Or l’histoire en Afrique du Nord, et plus généralement dans le monde arabe, continuant de s’écrire, il nous faut sans cesse adapter notre politique. La priorité politique au Maghreb est bien là, et elle a été réaffirmée avec force au cours des derniers mois.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci pour ce panorama très complet et très précis qui m’inspire, pour commencer, une remarque. Les actions en faveur de la jeunesse, c’est-à-dire les formations dispensées sur place à des étudiants marocains et sanctionnées par des diplômes français de valeur égale, me paraissent très importantes dans une nouvelle optique de migration.
La demande de santé dans les pays du Maghreb est de plus en plus importante, notamment de la part des Français qui vont y habiter la moitié de l’année. C’est aussi une source de revenus très importante pour nos hôpitaux. Or les coopérations se font de façon bilatérale entre hôpitaux sans qu’on en ait une vue générale. Avez-vous plus d’informations sur ce sujet ?
Il y a quelques années, l’idée de création d’une banque de la Méditerranée avait été rejetée par les Allemands. Aujourd’hui, compte tenu des investissements dans ces pays, du Qatar en particulier et des fonds du Moyen-Orient, qui ont tendance aussi à grignoter nos parts d’influence, peut-être aurions-nous intérêt à la relancer. Qu’en pensez-vous ?
Mme Chantal Guittet. Votre exposé a répondu en partie à mes interrogations. Je crois savoir que c’est la première fois qu’un président commence ses voyages présidentiels par l’Algérie, cette primeur étant traditionnellement plutôt réservée au Maroc. L’intérêt de la France est que des relations apaisées et fortes s’installent entre les deux pays. Que l’Algérie vende du gaz au Maroc, est-ce un signe de réchauffement durable, qui peut aboutir à une résolution de la question du Sahara occidental ?
Les réformes démocratiques engagées au Maroc récemment auront-elles, selon vous, des conséquences importantes ?
Il est effectivement intéressant de former les étudiants sur place. Tout comme 25 % d’étudiants en France viennent du Maghreb, est-il possible d’envisager que des étudiants français suivent une partie de leur formation dans ces pays ? Pour l’instant, la réciprocité ne me semble pas très vraie.
M. Jean-Luc Reitzer. Notre commission des affaires étrangères a créé, il y a quelques mois, une mission d’information sur l’Algérie. Ce pays n’a pas encore de nouveaux dirigeants puisqu’une élection présidentielle sera organisée l’année prochaine. À cet égard, l’ensemble de la classe politique se préoccupe de savoir si Abdelaziz Bouteflika se représentera. Pensez-vous qu’il soit en mesure, physiquement et politiquement, de le faire ? S’il devait ne pas se représenter, quels pourraient être les candidats potentiels ? On connaît l’influence de la nomenklatura algérienne et celle de l’armée. Quelle vision avez-vous de cette future élection présidentielle ?
Dans le cadre des relations franco-algériennes, nous avons noté que le Président s’était rendu en Algérie avant d’aller au Maroc, comme c’était jadis la tradition. Alors qu’en 2003, la déclaration d’Alger évoquait un traité d’amitié entre la France et l’Algérie, aujourd’hui, on ne parle plus que d’un accord stratégique, selon les termes employés par le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius en octobre 2012. Voyez-vous, dans le choix de ces termes, une évolution des relations entre la France et l’Algérie ? Montre-t-il qu’elles ne sont pas encore au niveau espéré ?
Enfin, la montée de l’islam est visible dans l’ensemble du Maghreb. En Algérie, la société a connu une phase d’arabisation. D’après vous, quel est l’avenir de la pratique de la langue française dans les pays du Maghreb, notamment en Tunisie où la montée de l’islam pourrait aussi entraîner une arabisation de la société ?
M. Pouria Amirshahi. Le tableau que vous avez dressé de nos ambitions stratégiques doit avoir une traduction concrète sur la mobilité des personnes, sujet sur lequel nous sommes très en retard. Nos procédures et dispositifs sont assez rigides et nos pratiques consulaires, même si elles sont mises en cause à tort parce qu’on délivre beaucoup plus de visas qu’on ne le dit, gagneraient à être beaucoup plus souples, en particulier envers celles et ceux qui feront le lien solide et durable entre les deux rives de la Méditerranée. Les artistes, les scientifiques, les chefs d’entreprise, les étudiants, les chercheurs ont déjà fait l’objet d’annonces, mais il faudrait sans doute aller un peu plus loin. Quelle est notre stratégie concrète en la matière ?
Souvent, nous ne pouvons pas tirer parti de la bonne connaissance que nous avons de la région en raison d’attitudes quelque peu velléitaires. En Libye, par exemple, après avoir assuré notre présence par notre engagement dans la guerre, nous sommes le seul pays important d’Europe à ne pas avoir rouvert de ligne aérienne directe entre sa capitale et Tripoli. Quoi qu’on pense de ces opérations et de la façon dont elles ont été menées, la France a consenti un investissement lourd. Pourtant, elle laisse la reconstruction de la quasi-totalité des relations économiques avec la rive nord de la Méditerranée se faire sans elle. Tout cela parce qu’Air France n’a pas daigné rouvrir de liaison aérienne directe, contrairement à l’Allemagne, à l’Angleterre, à l’Italie, à l’Espagne et à la Turquie, qui l’avaient aussi fermée un temps. Comment inciter nos outils, quand bien même sont-ils privés, à participer à une stratégie globale ? Si cette dichotomie entre, d’un côté, une vision stratégique et, d’un autre côté, les agissements complètement déconnectés des acteurs, devait durer, je crains que cette tendance velléitaire ne fasse que se confirmer.
M. Thierry Mariani. La visite du Président en Algérie a permis d’avancer sur le dossier de la créance des hôpitaux, ce dont je me félicite. Quel est le montant de la dette de l’État algérien envers les hôpitaux français ? Quelle somme a été remboursée ?
Je rentre d’un colloque du Conseil de l’Europe au Maroc sur l’immigration. J’ai été très frappé d’entendre tous les parlementaires marocains s’exprimer en arabe alors qu’ils avaient la possibilité de le faire en français. Le français connaît-il un recul même au Maroc ?
M. Jacques Myard. J’ai commencé ma carrière au Quai d’Orsay, à la sous-direction d’Afrique du Nord. Les problèmes que vous avez évoqués aujourd’hui, nous les avions déjà. C’était les mêmes ! Incompréhension politique, déplacements d’enfants douloureux… Avons-nous vraiment un impact politique sur les évolutions de ces pays ? Pour ma part, je crois que non. Je ne suis pas le seul à le dire : ce sont exactement les propos que nous a tenus dans cette commission un ancien ministre des affaires étrangères qui n’est pas de mon bord. Il faut tenir compte de cette réalité.
Qu’il faille faire du commerce, qu’il faille former des élites, j’en suis tout à fait d’accord. Nous avions déjà commencé en créant un certain nombre d’instituts, qui ont fonctionné ou pas. C’est la même histoire depuis quarante ans. Reste que je ne peux admettre qu’on se berce d’illusions. Cette histoire d’UPM et de 5+5 ne peut pas marcher. Arrêtons de rêver à l’intégration maghrébine ! Ce qu’il faut faire, c’est une politique du multi-bi, c’est-à-dire avoir un dialogue très actif avec chacun des états. Comme ce n’est pas avec simplement 20 millions d’euros qu’on y arrivera, il faut rapatrier les fonds européens et les utiliser nous-mêmes. Il est illusoire de penser pouvoir créer une entente à 5+5 avec les pays du Maghreb, car ils sont en tension permanente les uns avec les autres.
Enfin, dans le contexte des révolutions arabes, l’évolution interne de l’Algérie ne la place-t-elle pas aujourd’hui dans une position extrêmement fragile et instable ?
M. René Rouquet. Depuis maintenant quelques années, le Conseil de l’Europe s’intéresse beaucoup au Maroc et en a même fait un partenaire privilégié de la démocratie. Sur le dossier du Sahara occidental, les Marocains attendent de nous un soutien dans un cadre bilatéral. Toutefois, il ne faudrait pas que cela envenime les rapports entre l’Algérie et le Maroc.
Un deuxième dossier important pour le Maroc est le problème migratoire. Aujourd’hui, ce pays reçoit une immigration très importante qui suscite nombre d’inquiétudes. Il ressort des travaux du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme, les problèmes de migration, l’accueil des migrants que, aujourd’hui, le couvercle de la marmite est à deux doigts de sauter. Comment voyez-vous ces problèmes ?
M. Hervé Gaymard. Dans quelle mesure pensez-vous que la position française, réelle ou supposée, sur la question du Sahara occidental peut interférer sur les relations entre la France et l’Algérie ? Il est frappant de constater comme les Algériens prêtent à la France une position très pro-marocaine. Ce sentiment est-il de nature à altérer l’évolution des relations entre la France et l’Algérie ?
M. Gérard Charasse. On parle d’islamisme radical et modéré. Le radical que je suis ne peut qu’être choqué du choix de cet adjectif dans ce contexte. Existe-t-il une définition de l’islamisme modéré ?
M. Jean-Louis Christ. Vous avez évoqué la question lancinante de la mémoire entre la France et l’Algérie, qui est effectivement un serpent de mer. Nous avons quand même, en France, un antécédent très fort avec l’Allemagne. La relation franco-allemande a pu s’établir grâce à un travail de mémoire conduit par des historiens, des acteurs de la paix, et qui a abouti au traité de l’Élysée. Existe-t-il aujourd’hui un groupe de travail qui œuvre dans ce sens ?
M. Guy Teissier. Tout au long de vos propos, nous avons bien noté la convergence de points de vue entre la France et le Maroc, tant sur les problèmes internationaux que sur le terrorisme. À la suite du déplacement du chef de l’État ces derniers jours, le président de la chambre des représentants s’est félicité de l’excellence de nos relations, fondées sur des coopérations stratégiques entre nos deux pays et sur des principes et des valeurs communes. En cette période très tendue, le Maroc se présente-t-il en locomotive dans cette partie du monde dans la lutte contre le terrorisme ?
Mme Françoise Imbert. Avec plusieurs collègues, nous nous sommes rendus récemment en Algérie où nous avons rencontré la commission des affaires étrangères, de la coopération et de l’immigration de l’Assemblée populaire nationale. Nous avons eu des contacts avec des associations, notamment celle des familles de disparus et de victimes du terrorisme. Nous avons aussi évoqué de nombreux sujets, dont les enfants déplacés, et nous avons constaté que les besoins sont grands. Les échanges avec la France et le soutien de celle-ci sont vraiment souhaités et attendus. Pourriez-vous évoquer plus précisément les initiatives prises dans le domaine de l’éducation et dans celui de l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Mme Marie-Louise Fort. Nous étions récemment en mission en Tunisie, où nous avons été reçus par l’Assemblée constituante et par les députés de la commission des affaires étrangères notamment. Nous avons pu constater que, parmi les députés, un certain nombre étaient des binationaux franco-tunisiens. L’une d’entre eux m’a indiqué que pratiquement toute sa famille, notamment ses enfants, sont restés sur notre territoire. Suivez-vous ces particularités et avez-vous une idée de l’incidence qu’elles pourraient avoir sur les relations entre nos deux pays ou sur notre territoire ?
M. Jean-Claude Guibal. Dans une optique de dialogue 5+5, comment analysez-vous les relations entre les trois pays de la rive nord de la Méditerranée de l’Union européenne ? Vous semble-t-il qu’ils mènent les mêmes politiques à l’égard des pays de la rive sud et sont-ils en mesure de se coordonner pour les conduire ?
Vous avez dit combien le Maroc pouvait être en phase avec certaines de nos positions. Pour autant, il semble que les attitudes vis-à-vis de la France et du monde arabe obéissent à des critères générationnels, différant selon qu’elles sont adoptées par des adultes ayant eu un parcours universitaire français ou de jeunes étudiants qui semblent beaucoup plus radicaux sans pour autant être islamistes.
Mme Bénédicte de Montlaur, sous-directrice d’Afrique du Nord à la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères. Nous constatons effectivement qu’un intérêt de plus en plus grand se manifeste pour une coopération en matière de santé. Chargés d’assurer la coordination des visites présidentielles, nous organisons au Quai d’Orsay des réunions interministérielles afin de savoir ce que fait chaque ministère. Nos relations bilatérales avec ces pays sont, en effet, tellement denses que chaque ministère développe sa propre coopération. Dans le cadre de cet exercice, nous voyons bien que des opportunités existent pour le développement de la coopération en matière de santé. Pour l’instant, ces coopérations se font de manière bilatérale entre hôpitaux.
La question des créances hospitalières avec certains pays du Maghreb, en particulier l’Algérie, freine aussi cette coopération. Il s’agissait d’un des dossiers très important dans la préparation de la visite présidentielle. Il existe plusieurs types de créance : les créances de la Caisse nationale de sécurité sociale algérienne et les créances d’État qui datent de plus longtemps. Au total, une discussion se poursuit avec les Algériens sur le montant de cette dette, c’est le ministère des affaires sociales qui traite cette question. Des négociations sont en cours, qui résultent de notre travail pré-visite présidentielle visant à créer un dialogue sur ce sujet très délicat. D’ailleurs, à l’issue de la visite présidentielle, les Algériens ont versé plus de 10 millions. Nous nous réjouissons de cette première évolution positive alors que la question était bloquée depuis très longtemps.
Toujours en matière de santé, nous avons développé une coopération très importante en Libye – c’est d’ailleurs l’une de nos principales coopérations dans ce pays –avec le Benghazi Medical Center, dans lequel nous avons investi beaucoup d’argent et qui est vraiment le fleuron des hôpitaux libyens. Il s’agit là d’un secteur très intéressant, notamment pour nos intérêts commerciaux. C’est vraiment une piste à creuser.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je n’en ai pas l’habitude, mais je vous interromps sur ce point. Quand j’ai accompagné le ministre des affaires étrangères en Libye, j’ai été frappée par cette demande insistante. Or le ministère de la santé n’est pas outillé et n’a pas non plus le savoir-faire pour suivre la coopération des hôpitaux. Il y a une dizaine d’années, j’avais créé un GIE, présidé par le syndicaliste Jean-Marie Spaeth, qui pourrait faire davantage. Encore faudrait-il stimuler de l’extérieur le ministère de la santé qui ne s’intéresse pas beaucoup à ces choses-là. Je compte d’ailleurs saisir le cabinet du Premier ministre à ce sujet. Il n’est pas possible que nous ne profitions pas davantage de notre rente de situation : alors que tout le monde vient se faire soigner chez nous, nous n’arrivons pas à développer suffisamment de coopération. Ce n’est pas la faute du Quai d’Orsay, les hôpitaux font ce qu’ils peuvent mais le ministère de la santé n’a pas d’outil.
Mme Bénédicte de Montlaur, sous-directrice d’Afrique du Nord à la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères. Nous avons des clusters d’entreprises très dynamiques sur ce sujet. De notre côté, nous nous efforçons de régler les problèmes de créances qui bloquent.
M. Jean-Marie Le Guen. Nous ne détenons pas seulement des créances auprès des pays du Maghreb ou de pays pauvres ; le Koweït et les États-Unis d’Amérique aussi nous sont redevables. C’est dire si le recouvrement des dettes hospitalières est une difficulté pour nous. Notre problème est d’ordre systémique : nous considérons l’offre de santé dans les limites de l’hexagone, alors que notre médecine pourrait trouver son bonheur à la fois dans les possibilités de rayonnement que peut lui offrir le monde ouvert d’aujourd’hui et dans sa capacité de développer de l’activité sur le territoire national. C’est pourquoi il est fondamental de mieux facturer toutes nos activités. Les hôpitaux et l’administration de la santé ont, certes, leur part de responsabilité dans ce constat, mais convenons que certaines conventions signées avec d’autres pays sont assez indigentes en termes de tarification et de prise en charge. En outre, vous avez raison, madame la présidente, le ministère de la santé n’a jamais été très dynamique. Et je ne parle pas de nos conceptions diplomatico-humanitaires, qui étaient très sympathiques mais peu compatibles avec une approche médico-économique.
Il faut réviser nos procédés à tous les niveaux, du ministère de la santé aux hôpitaux, mais aussi revoir toutes les conventions que nous avons passées dans lesquelles la prise en charge réelle du coût du malade n’est pas assurée. La création, au sein de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, d’une direction des relations internationales participe de cette démarche. Nous devons placer nos relations dans un cadre plus médico-économique en gardant toutefois sa part à l’humanitaire, car cet aspect n’est pas le plus problématique. La difficulté majeure, c’est vraiment cette approche médico-économique que nous ne savons pas très bien gérer.
Mme Bénédicte de Montlaur, sous-directrice d’Afrique du Nord à la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères. Je suis d’accord avec la nécessité de développer cette problématique. C’est un sujet qui monte dans nos relations bilatérales et qui présente un fort potentiel.
J’en viens à nos relations bilatérales avec l’Algérie et le Maroc. Le choix du Président de faire sa première visite d’État au Maghreb en Algérie, avait, il est vrai, fait craindre à certains qu’un rapprochement avec l’Algérie puisse s’opérer au détriment du Maroc. Tout notre travail a consisté à expliquer qu’une bonne relation entre nous et l’Algérie ne signifiait pas que notre relation avec le Maroc devenait moins bonne, qu’il n’y avait pas de phénomène de vases communicants : nous voulons une bonne relation avec ces deux pays parce qu’ils sont très importants pour nous. Au-delà des mots, ce travail de persuasion s’est traduit, une semaine avant la visite du Président en Algérie, par la visite au Maroc du Premier ministre pour la RHN. Ces messages ont bien porté et la qualité de notre relation avec le Maroc n’est mise en doute par personne.
Quant au rapprochement entre l’Algérie et le Maroc, il est bloqué surtout à cause de deux dossiers. Le premier est la fermeture, depuis 1994, de la frontière entre les deux pays. Le deuxième dossier concerne le Sahara occidental, problème non résolu depuis le départ des Espagnols. Ce sont les Nations unies qui sont chargées de cette question en la personne de Christopher Ross, envoyé personnel du secrétaire général. M. Ross se livre actuellement à une diplomatie de navette. C’est un engagement politique fort de leur part qui permettra de trouver une solution. De son côté, le Maroc a proposé, en 2007, un plan d’autonomie qui donnerait certaines prérogatives aux autorités locales tout en restant sous souveraineté marocaine. Notre politique est claire : nous soutenons les négociations menées par les Nations Unies et comme l’a redit le Président de la République lors de sa visite d’Etat au Maroc, nous considérons le plan marocain comme une base réaliste et crédible d’une solution négociée.
S’agissant des échanges d’étudiants dans les deux sens, le Président a proposé que soit mis en place un système Erasmus entre les deux rives de la Méditerranée, ce qui permettrait à davantage d’étudiants français de se rendre dans les pays maghrébins.
Les réformes engagées au Maroc ont permis d’éviter une instabilité dans le pays. C’est à la faveur de ce processus que le PJD, le principal parti d’opposition islamiste, est arrivé au pouvoir. Pour autant, des progrès restent à accomplir, notamment en matière de droits de l’homme et de libertés. Nous continuons notre dialogue avec les autorités marocaines, dialogue qui a permis notamment la création de la Commission nationale des droits de l’homme, qui a été intégrée dans la Constitution. Nous souhaitons accompagner le pays, car nous n’oublions pas que les difficultés économiques et sociales, qui ont été les principaux facteurs des révolutions arabes sont aussi présentes au Maroc.
Le Président Bouteflika se représentera-t-il à l’élection présidentielle en Algérie ? Lui seul peut répondre à cette question. Pour l’instant, la seule candidature déclarée est celle de l’ancien Premier ministre, M. Benbitour.
La mobilité des personnes entre les deux rives de la Méditerranée est une question très importante. Les pays d’Afrique du Nord peuvent apporter beaucoup à la France et vice-versa. Ce sujet de mobilité est soumis à deux contraintes : la contrainte migratoire et la contrainte européenne, les visas étant très largement traités dans l’espace Schengen. Il y a un certain nombre de choses que nous ne pouvons tout simplement plus faire. Nous avons cherché des solutions innovantes, et des instructions ont été annoncées et mises en place, au Maroc comme en Algérie, pour favoriser la mobilité des personnes qui participent à la vitalité de nos relations bilatérales – étudiants, entrepreneurs, artistes, journalistes. Ces instructions se traduisent concrètement par un allégement des formalités paperassières. Au-delà de ces premiers gestes, une réflexion est toujours en cours entre le Quai d’Orsay et le ministère de l’intérieur sur les moyens d’améliorer les mobilités.
L’absence d’une liaison aérienne directe avec la Libye est considérée par toutes les entreprises comme nuisible au développement des relations commerciales avec ce pays. Contacté à la fois par nos soins, par notre ambassadeur en Libye, par la nouvelle coordinatrice interministérielle, Air France a opposé une fin de non-recevoir : sa situation difficile ne lui permettrait pas de prendre le risque d’ouvrir cette liaison aérienne. Pourtant, beaucoup de compagnies aériennes l’ont fait et de nombreuses entreprises effectuent des déplacements très réguliers. Nous avons essayé de trouver des solutions via les compagnies libyennes, mais celles-ci ne répondent pas aux critères exigés par la sécurité aérienne pour être autorisées à voler dans notre espace aérien. Aussi, continuons-nous à travailler à aplanir les deux principaux obstacles auxquels se heurtent nos entreprises pour travailler en Libye : la liaison aérienne et les conditions de sécurité, qui ne vont pas en s’améliorant. Aux entreprises, nous conseillons d’être vigilantes, de mettre en place certaines conditions de sécurité. Nous pensons que la Libye est un pays dans lequel il faut investir à long terme compte tenu de ses potentialités importantes.
Qu’entend-on par intégration maghrébine ? Pour ma part, je parlais simplement de développement des échanges, ce qui sera tout à fait possible quand la frontière entre l’Algérie et le Maroc sera ouverte. En tout cas, il pourra avoir lieu entre la Tunisie, la Libye et le Maroc, sans compter la Mauritanie. Selon tous les rapports des organisations internationales, cela pourrait représenter un à deux points de PIB en plus pour ces pays, ce qui n’est pas négligeable. Par ailleurs, la revitalisation du dialogue 5+5 a permis davantage de rencontres des ministres de l’intérieur et des ministres de la défense. Dans une optique de coopération en matière de lutte contre le terrorisme, cela favorise des discussions très concrètes, par exemple, sur le terrorisme sahélien. Que nos ministres se rencontrent et parlent des coopérations possibles entre notre armée qui est juste à leurs frontières et les pays d’Afrique du Nord est très important.
M. Jacques Myard. Ce n’est pas à 5+5 que cela se fait, mais en bilatéral.
Mme Bénédicte de Montlaur, sous-directrice d’Afrique du Nord à la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères. Les pays d’Afrique du Nord le font d’eux-mêmes. Il y a deux mois, une réunion s’est tenue à Ghadamès entre la Libye, la Tunisie et l’Algérie précisément pour parler de ces questions-là. Effectivement, beaucoup se fait en bilatéral, mais le dialogue à cinq peut ajouter quelque chose.
Peut-on considérer le Maroc comme locomotive dans la lutte contre le terrorisme ? En tout cas, ses positions sont très proches des nôtres. Le Maroc a très bien coopéré avec nous dans le cadre de l’opération Serval.
M. Guy Teissier. Ne faudrait-il pas, pourtant, établir une différence entre les terrorismes ? On parle bien de terrorisme corse, de terrorisme basque. Pourquoi ne pas parler de terrorisme islamiste ? Pourquoi tous les rassembler sous un même terme générique ?
Mme Bénédicte de Montlaur, sous-directrice d’Afrique du Nord à la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères. Pour l’instant, c’est le seul terme dont nous disposons pour désigner les actions violentes contre des civils notamment. Après, les réponses à apporter à chaque situation sont effectivement différentes. Pour notre intervention au Mali, il nous importait que les pays d’Afrique du Nord nous apportent leur soutien. Nous l’avons obtenu grâce à un dialogue très intense. Nous avons envoyé de nombreux responsables discuter avec ces pays, si bien qu’il n’a fallu que quelques semaines pour que les premières déclarations publiques de soutien se fassent entendre.
Le travail de mémoire est l’un des aspects les plus délicats de notre relation bilatérale. Nous essayons de travailler dans le calme. À la faveur de la visite présidentielle, un groupe de travail sur les archives a été mis en place. Ce groupe de travail, qui s’est déjà réuni à deux reprises, va étudier les modalités de coopération avec les Algériens sur ces questions d’archives. Travailler sur des dossiers concrets est un moyen de traiter ce travail de mémoire de manière apaisée.
Sur l’égalité entre hommes et femmes, le travail est délicat. Alors que la Tunisie et la Syrie étaient les pays les plus avant-gardistes en matière de droits des femmes, aujourd’hui, les révolutions arabes suscitent des inquiétudes quant à leur respect. Sur ce sujet, nous entretenons un dialogue fort. Au Maroc, un accord vient d’être signé entre Najat Vallaud-Belkacem et la ministre des droits des femmes.
Il n’existe pas de définition officielle de l’islamisme modéré et de l’islamisme radical, même si des dizaines d’ouvrages traitent du sujet. Pour ma part, je considère comme islamistes modérés ceux qui acceptent les règles du jeu démocratique ; à l’inverse, les islamistes radicaux n’acceptent pas les règles du jeu démocratique. Plus radicaux encore, les djihadistes ont recours à l’action violente. Telles sont les grandes distinctions que l’on peut établir, même si elles peuvent être nuancées de multiples façons.
Les autorités locales et beaucoup de nos contacts dans les pays du Maghreb s’inquiètent du recul du français, qui est considéré comme la langue ouvrant l’accès au marché de l’emploi. Nous mettons tout en œuvre pour favoriser l’apprentissage du français dont le niveau a pâti des politiques d’arabisation. Il faut voir le succès des écoles françaises dans les pays du Maghreb. Nous scolarisons 30 000 élèves au Maroc, 20 000 de plus entre l’Algérie et la Tunisie, et les listes d’attente sont considérables. Reste qu’on ne peut pas se substituer au système d’éducation local. Tout en maintenant notre réseau d’écoles françaises au Maghreb, nous développons parallèlement nos coopérations avec le système d’enseignement local. Par exemple, nous venons de signer un fonds de solidarité prioritaire de 800 000 euros au Maroc pour améliorer la formation des formateurs en français. En Algérie, nous en ouvrirons sans doute deux nouvelles écoles, une à Oran et l’autre à Annaba. Nous sommes dans une phase de redéploiement. Au Maroc, nous voulons coopérer avec les autorités pour le développement des filières bilingues. La visite d’État a été l’occasion de nouer des premiers contacts à cet égard. Dans ce cadre, des établissements marocains dispenseraient l’enseignement du français comme langue étrangère et certaines disciplines seraient enseignées en français. L’effort à accomplir est énorme, du point de vue financier également. Or nous gérons la pénurie, nos crédits de coopération ont diminué de près de 40 % pour les pays du Maghreb.
Nous avons constaté avec intérêt que beaucoup de députés parmi les nouvelles élites de ces pays avaient la double nationalité. Bien sûr, notre ambassade est en contact avec eux. La relation bilatérale ne peut que profiter de la présence de tels responsables politiques.
N’étant pas en charge des pays européens de la rive nord de la Méditerranée, c’est un peu à dessein que je n’ai pas répondu à la question qui s’y rapporte. Je pense que ces pays sont tous intéressés par une coopération. Par exemple, à l’occasion de l’organisation, au mois de février, d’une réunion intergouvernementale de soutien à la Libye, nous avons beaucoup travaillé avec les Italiens. Ces derniers vont organiser ensuite la prochaine conférence internationale sur la sécurité de la Libye. Nous travaillons sur des secteurs précis, sans oublier le travail au sein des instances déjà mentionnées : le 5+5 au sein duquel les pays de la rive nord sont très dynamiques, et l’Union pour la Méditerranée. Il y a donc des coopérations de fait qui s’établissent au quotidien et des cadres de coopération.
M. Jean-Claude Guibal. On a parfois l’impression que les relations entre les pays méditerranéens de l’Union européenne sont aussi tendues que les relations des pays du Maghreb entre eux quand il s’agit de problèmes méditerranéens. C’est réellement mimétique.
Mme Bénédicte de Montlaur, sous-directrice d’Afrique du Nord à la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères. Il ne me revient pas vraiment d’en parler, mais je n’ai pas l’impression que ce soit à ce point.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Une remarque sur la fracture générationnelle dans l’apprentissage du français. Il est vrai que, compte tenu de l’explosion démographique, de plus en plus de jeunes Marocains n’apprennent pas le français, d’autant que nous n’augmentons pas à proportion nos établissements et nos enseignements là-bas. Un autre phénomène, social celui-là, a été souligné à deux reprises par des dirigeants d’associations que j’avais rencontrés avant que le Premier ministre ne les reçoive au cours de son voyage, et qui a été répété au Président de la République lorsqu’il a reçu des membres de la société civile : de plus en plus, ceux et celles qui passent par l’enseignement du français sont ceux et celles qui ont des emplois, de bons emplois. Nous déplorions depuis longtemps la perte relative de l’influence du français dans ces pays, aujourd’hui, il y a une prise de conscience. Je l’ai particulièrement entendue au Maroc, mais il en est de même en Algérie. L’arabisation a été un échec flagrant, la perte de niveau, même de l’enseignement en langue arabe, est ressentie comme très stigmatisante. De plus en plus, des jeunes de ces pays cherchent à réduire la coupure entre les deux systèmes d’enseignement parce que le fait d’être passé dans le système d’enseignement français est un plus et marque un clivage social extrêmement net.
Merci beaucoup, madame, pour toutes ces précisions et la qualité de votre intervention.
La séance est levée à onze heures.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mercredi 10 avril 2013 à 9 h 30
Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. Avi Assouly, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, Mme Pascale Boistard, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Philip Cordery, M. Édouard Courtial, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Luc Drapeau, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Paul Giacobbi, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Laurent Kalinowski, M. Jean-Marie Le Guen, M. Patrick Lemasle, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Boinali Said, M. André Santini, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot, M. Michel Zumkeller
Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Danielle Auroi, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean Glavany, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Alain Marsaud, M. Jean-Claude Mignon, M. François Scellier