Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mercredi 17 avril 2013

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 52

co-présidence de M. Axel Poniatowski, vice-président et de M. Jérôme Lambert, vice-président de la commission des affaires européennes

– Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Borut Pahor, président de la République de Slovénie

Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Borut Pahor, président de la République de Slovénie

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons le grand plaisir et l’honneur de recevoir aujourd’hui M. Borut Pahor, président de la République de Slovénie, accompagné de M. Karl Erjavec, ministre des affaires étrangères. Je salue également l’ambassadrice de Slovénie en France, Mme Veronika Stabej, et notre ambassadeur en Slovénie, M. Pierre-François Mourier.

Je vous prie, monsieur le Président, d’excuser notre présidente, Elisabeth Guigou, qui représente le Président de la République aux obsèques de Margaret Thatcher.

Vous avez été élu Président de la République en novembre 2012, après avoir été premier ministre de 2008 à 2011. Vous avez notamment permis la reprise des négociations d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne en soumettant le différend transfrontalier sur la baie de Piran à arbitrage. Nous nous félicitons à cet égard de ce que le parlement slovène a ratifié le 2 avril, à l’unanimité des présents, le traité d’adhésion, après quelques incertitudes liées à un autre différend portant sur la Ljubjanska Banka, que vous avez accepté de régler isolément, en le soumettant à la Banque des règlements internationaux.

Votre visite en France revêt une importance particulière à un double titre. Tout d’abord, elle doit nous permettre de conforter le partenariat stratégique signé en mars 2011 et de l’inscrire dans une approche commune des défis que l’Union européenne doit relever. Par ailleurs, la Slovénie doit faire face à la dégradation de sa situation économique et financière, que les marchés observent sans concession. Certains jouent avec le feu en évoquant la Slovénie comme le prochain domino de la crise de la zone euro ; les propos très volontaristes de votre premier ministre à Bruxelles n’ont pas encore ramené le calme, les taux d’intérêt à dix ans flirtant avec les 7 %. Vous nous direz où vous en êtes du programme de réformes et la manière dont vous comptez assainir le secteur bancaire, gangrené par 7 milliards de créances douteuses, soit près de 20 % du PIB. Par ailleurs, l’OCDE vous a engagé à lancer un vaste programme de privatisations ; vous nous direz si vous entendez suivre ces recommandations.

M. le président Jérôme Lambert. Je vous remercie également, monsieur le Président, de venir vous exprimer aujourd'hui devant la Commission des affaires étrangères et devant la Commission des affaires européennes, dont je suis vice-président. Je vous prie de bien vouloir excuser la Présidente, Mme Danielle Auroi, empêchée.

Nous sommes d'autant plus heureux de vous accueillir que la Slovénie joue un rôle très positif dans le processus d'intégration des Balkans à l'Union européenne. Vous êtes en effet le premier État des Balkans occidentaux à avoir intégré l'Union européenne, dès 2004, et la Slovénie est un « pont » entre ces États et notre Union. Avant de devenir Président de la République, vous étiez Premier ministre et, en cette qualité, avez à diverses reprises encouragé le processus d'élargissement à cette région.

La Slovénie a également été le premier des nouveaux États membres intégrés en 2004 à adopter l'euro, dès le 1er janvier 2007. Par ailleurs, tout jeune membre de l'Europe à Vingt-Sept, votre pays a exercé la présidence de l'Union européenne au 1er semestre 2008, avant de passer le relais à la France. Vous avez exercé cette tâche, lourde pour un État de 2 millions d'habitants, avec une grande compétence.

Dans le domaine de vos relations avec vos voisins, vous avez d'abord su apaiser le contentieux frontalier qui vous opposait à la Croatie, ce qui a facilité le processus d'adhésion croate. Ensuite, vous avez réussi à surmonter votre différend bancaire et, levant sa précédente menace de veto, le parlement slovène a finalement accepté de ratifier début avril 2013, à l'unanimité, le traité d'adhésion qui fera de la Croatie le 28ème État membre de l'Union, en juillet 2013.

Très bon élève de l'Union européenne, la Slovénie n'en rencontre pas moins aujourd'hui certaines difficultés économiques et sociales. Elles ont d'ailleurs provoqué, fin février, l'avènement d'un nouveau gouvernement de centre-gauche, avec à sa tête, pour la première fois dans l'histoire de la Slovénie, une femme, Mme Alenka Bratušek.

Je souhaite, monsieur le Président, que vous nous fassiez part de la façon dont votre pays envisage, avec ce nouveau gouvernement, de faire face aux difficultés économiques, et notamment bancaires, qu'il doit surmonter. En visite à Bruxelles il y a quelques jours, Mme Bratušek s'est voulue rassurante et a essayé de faire passer le message que la Slovénie ne serait pas la prochaine Chypre. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les mesures envisagées ? En tout état de cause, je voudrais vous assurer, monsieur le Président, de toute l'attention que nous portons, dans la situation complexe que vous traversez actuellement, à vos difficultés.

Enfin, la Slovénie et la France ont signé en mars 2011 un accord de partenariat stratégique : quelles en sont selon vous, dans la conjoncture actuelle, les implications et possibilités d'évolution ?

M. Borut Pahor, président de la République de Slovénie. Si je n’ai aucun mal à comprendre votre merveilleuse langue, je lui rendrai un bien mauvais service en la parlant ; aussi m’exprimerai-je en slovène.

En mars 2011, j’ai eu l’honneur de signer avec M. Nicolas Sarkozy le partenariat stratégique franco-slovène ; l’exposition Les Impressionnistes slovènes et leur temps 1890-1920 qui s’ouvre aujourd’hui à Paris illustre l’approfondissement des relations entre nos deux pays, dans tous les domaines.

Deux décennies se sont écoulées depuis la fondation du nouvel État slovène, qui offrait au monde l’histoire d’un succès éclatant. Ensuite sont venues l’adhésion à l’Union européenne puis la récession, et nous nous sommes rendu compte que lors du passage à l’économie de marché, bien des décisions avaient été prises à la hâte. Il en est résulté que lorsque je suis devenu premier ministre, en 2009, la Slovénie était l’un des pays européens les moins bien préparés à affronter la crise. Alors qu’en 2008 notre PIB croissait de près de 1 % par trimestre, il s’est effondré de quelque 9 % en 2009.

Cette chute de la croissance a eu des conséquences dramatiques dans le domaine social, et la baisse de niveau de vie a elle-même entraîné des effets psychologiques au sein de la population. Le gouvernement se devait de prendre des mesures. Il l’a fait en se donnant pour priorité, en dépit des difficultés économiques internes, de régler le contentieux qui empoisonnait depuis dix-huit ans les relations entre la Slovénie et la Croatie voisine. Ne serions-nous pas parvenus à faire accepter à la population le principe de soumettre le litige à la Cour permanente d’arbitrage que nos relations avec la Croatie se seraient envenimées à nouveau ; l’éventuel succès des mesures d’ordre économique que nous aurions prises dans l’intervalle, aussi radicales eussent-elles été, en aurait pâti. C’est pourquoi j’ai donné la priorité au règlement de ces tensions. Étant donné la défiance croissante envers le politique, c’est un miracle d’être parvenu, avec le soutien du Parlement, à convaincre les électeurs slovènes du bien-fondé du recours à l’arbitrage – et je considère le 6 juin 2010, jour du référendum sur ce point, comme l’un des moments les plus lumineux de mon mandat de premier ministre.

Une fois réglée la question des relations avec la Croatie, nous avons entrepris de trouver des solutions à nos problèmes économiques et sociaux, ce qui nous a conduits à définir des mesures radicales et courageuses de stabilisation du secteur bancaire et du secteur privé : réforme des retraites, dispositif de lutte contre l’économie « grise » et réforme du marché du travail. Mais ces réformes, soumises à référendum, n’ont pas abouti.

Permettez-moi une incise : en ma qualité d’ancien premier ministre, je sais que l’une des priorités du Gouvernement est la révision des articles de notre Constitution relatifs au référendum. Le droit de pétition est actuellement si étendu en Slovénie qu’il est très facile de bloquer les décisions gouvernementales, et donc de freiner toute réforme, par des recours incessants au référendum. Cela complique sérieusement la conduite des affaires de l’État. Au cours d’une réunion qui s’est tenue le 14 février dernier, les dirigeants des partis politiques se sont mis d'accord à la fois pour ratifier le Traité d'adhésion de la Croatie à l’Union européenne et pour procéder à l’indispensable réforme du marché du travail. Il leur reste à limiter les critères constitutionnels permettant l’organisation d’un référendum.

Le Gouvernement de Mme Alenka Bratušek a commencé son ouvrage et notre Constitution ne me permet de commenter ni son action ni ses projets. Je serai néanmoins aussi direct que possible en vous disant pour commencer que le nouveau Gouvernement n’a d’autre choix que de réussir et que l’opinion publique est assez mûre pour comprendre que cela signifie une période de changement dramatique et brutal, caractérisée, je l’ai dit, par une révision constitutionnelle relative au champ du référendum, mais aussi par une réforme fiscale. Nous entendons aussi rétablir la santé de notre secteur bancaire en créant une structure de défaisance cantonnant les actifs douteux pour préserver les actifs sains ; c’est la seule solution permettant de sortir de la crise.

Cela étant, la Slovénie n’est pas Chypre, dont elle se distingue objectivement par des critères économiques majeurs. Ainsi, la part du secteur bancaire slovène dans le PIB du pays est incomparablement inférieure à celle de Chypre ; quant à notre dette publique, elle est inférieure à 60 % de notre PIB.

Il est vrai, pour autant, que nos trois banques publiques connaissent des difficultés. Si une partie des entreprises slovènes sont très dynamiques, d’autres sont largement endettées et les banques sont incapables de les financer, si bien que notre économie souffre de la raréfaction du crédit. Le gouvernement a décidé, je vous l’ai dit, de créer une structure de défaisance et d’utiliser différents instruments financiers propres à relancer le développement momentanément freiné par la constriction du crédit. Mme Alenka Bratušek a aussi annoncé la privatisation de certaines entreprises publiques, dont une banque. C’est une bonne décision.

Je souhaite dire devant vous ce que je dirai aussi, tout à l’heure, au président François Hollande : l’opinion publique slovène perçoit la France comme un partenaire sérieux, très apprécié et fiable. La France est considérée comme une grande amie de notre pays. Si vos commissions envisagent d’encourager des investissements français directs à l’étranger, la Slovénie serait heureuse de les accueillir, aussi bien dans le secteur bancaire que dans le secteur privé en général.

Pour en revenir un instant à la comparaison qui a pu être faite entre la situation de Chypre et celle de la Slovénie, je tiens à souligner que la Slovénie n’a pas besoin d’une assistance extérieure. Nous souhaitons que cessent les spéculations incessantes des marchés internationaux sur l’état de notre économie, mais il semble que ce soit un mal endémique ! Nous entendons venir à bout de nos difficultés en adoptant des mesures radicales à un rythme soutenu ; ce sera difficile sur le plan politique, mais nous n’avons pas d’alternative et, en ma qualité de Président de la République, je soutiendrai ces décisions. La Slovénie est capable de s’en sortir seule et elle le fera. À qui profitent les élucubrations de la presse mondiale, si prompte à demander, quand un État de la zone euro traverse une crise, quel sera le suivant ? Ce mécanisme aveugle s’auto-entretient. Sauf événement rigoureusement imprévu à ce jour, la Slovénie n’aura besoin ni de l’aide de la Troïka, ni de celle du mécanisme européen de solidarité, ni de celle du FMI. Des mesures difficiles seront prises et nous traverserons un moment politiquement difficile, mais très bientôt la Slovénie retrouvera sa solide réputation économique. Bien des raisons le permettent : les trois quarts de notre PIB proviennent de nos exportations ; nous venons de mener à bien la réforme des retraites ; le niveau de vie en Slovénie est plus élevé que dans d’autres pays de l’Union européenne. Ces facteurs économiques et sociaux permettront la reprise.

Voilà ce que je tenais à vous dire, en toute sincérité.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, monsieur le Président, pour cette présentation détaillée de la situation économique de votre pays. Vous avez aimablement accepté de répondre à nos questions. Voici la première : la situation dans les Balkans, où contentieux et litiges persistent, demeure compliquée. Quelle est en particulier votre vision de l’évolution des relations entre la Serbie et le Kosovo ?

M. René Rouquet. Monsieur le Président, vous avez été membre puis président de la délégation slovène à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, où vous avez démontré votre fort attachement au respect des droits de l’homme. Mais, alors que vous n’étiez pas encore président de la République, la Slovénie s’est opposée à l’application de sanctions économiques supplémentaires à l’encontre de personnalités biélorusses impliquées dans des violations des droits de l’homme, opposition dont le Conseil de l’Europe s’est ému. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

M. Lionnel Luca. C’est un honneur pour nous de vous recevoir, monsieur le Président d’une république amie de la France, membre de l’espace francophone, dont la capitale, Ljubljana, aime à rendre hommage à Napoléon pour avoir reconnu le slovène comme langue officielle, et dont le sol abrite la dépouille de l’un de nos rois.

On entend dire que l’extrême libéralisation intervenue dans certains pays au moment du passage à l’économie de marché a aggravé leur situation lors du déclenchement de la crise. Le fait que votre économie ait été moins privatisée que d’autres a-t-il constitué une protection au moment de la crise, ou au contraire une charge supplémentaire ? Considérez-vous par ailleurs que l’entrée de la Slovénie dans la zone euro a eu lieu au juste moment ? N’a-t-elle pas été précipitée au regard de la situation économique de votre pays à l’époque ? Est-ce maintenant un facteur d’aggravation de la crise ?

M. Avi Assouly. Maribor a connu des manifestations de caractère insurrectionnel dues à la politique d’austérité mais aussi au rejet de la corruption et du clientélisme ; quelles mesures calmeront cette colère ? Votre beau pays ne va-t-il pas être atteint par le « syndrome grec » ?

M. Michel Terrot. Soyez remercié, monsieur le Président, pour la franchise de vos propos. On sait que l’un des problèmes dont souffre Chypre est l’hypertrophie de son secteur bancaire, qui représente 800% de son PIB. Quelle est la part du secteur bancaire dans l’économie slovène ?

M. François Rochebloine. Je suis d’autant plus heureux de vous accueillir, monsieur le Président, que dans mon département, la Loire, réside le consul honoraire de Slovénie, mon amie Tatiana Dumas. Le défenseur du projet européen que je suis s’est réjoui de l’entrée au sein de l’Union européenne d’un pays qui, en raison de sa situation géographique et sa tradition politique, a joué et continue de jouer un grand rôle dans la consolidation européenne. Pensez-vous qu’une fois admise la Croatie, l’intégration des pays de la région au sein de l’Union européenne devra se poursuivre ? Si oui, à quelles conditions et selon quel rythme ? D’autre part, la situation du secteur bancaire slovène est préoccupante ; nous prenons acte de vos intentions réformatrices, mais quelles ont les causes de cette vulnérabilité ?

M. Philippe Cochet. Vous avez lancé un appel à l’investissement français en Slovénie, pays qui a toujours un secteur industriel dynamique, notamment en mécanique et en métallurgie. Quels seront les axes de votre développement industriel futur ?

M. Jacques Myard. Pour une économie qui dépend aux trois quarts des exportations, l’euro est un handicap certain. Compte tenu de l’entrée imminente de la Croatie dans l’Union européenne et de vos liens anciens avec l’Allemagne et l’Autriche, quelle est votre conception de l’Union européenne future ? Pensez-vous que, pour réussir, elle doive être moins intégrée, ou jugez-vous au contraire nécessaire une intégration européenne plus poussée ?

M. Jean-Louis Christ. Vous considérez, monsieur le Président, que la Slovénie n’a pas besoin d’aide extérieure. Le FMI évalue pourtant à 7 milliards d’euros le montant des créances douteuses détenues par les banques slovènes. Faites-vous vôtre cette estimation ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour éviter la récession en Slovénie ?

M. Pierre Lellouche. Je suis heureux de vous retrouver, monsieur le Président, vous dont le parcours politique, du communisme au socialisme blairiste, devrait en inspirer plus d’un en ces murs… Je rends hommage au rôle que vous avez joué pour permettre le difficile assainissement des relations entre la Slovénie et la Croatie. L’Union européenne vous en sait gré.

Les incertitudes de la situation économique de votre pays suscitent une très vive inquiétude. Rétrospectivement, pensez-vous que l’entrée dans la zone euro a été une bonne chose pour la Slovénie ? Jugez-vous par ailleurs que le maintien dans la zone euro à tout prix soit une solution viable pour tout pays, dont le vôtre ?

Mme Françoise Imbert. La France et la Slovénie entretiennent des relations politiques fortes, qui remontent à l’époque napoléonienne. Elles ont notamment permis que la France participe au développement de l’instruction publique dans votre pays et elles se caractérisent par un intérêt commun pour la francophonie. Nous coopérons dans les domaines culturel, cinématographique, scientifique et de la recherche. Encouragerez-vous ces coopérations et notamment les échanges d’étudiants entre nos pays ? Quelle place donnerez-vous au français dans le système éducatif slovène ?

M. Borut Pahor. Votre question relative à la situation politique dans les Balkans, monsieur le président Poniatowski, rejoint celles de plusieurs de vos collègues. La convention d’arbitrage que, alors Premier ministre, j’ai signée le 4 novembre 2009 à Stockholm avec mon homologue croate, concluait une négociation très dure qui avait duré six mois ; il fallait mettre un terme définitif à des litiges nés de la disparition de la Yougoslavie, de manière qu’ils ne freinent plus l’intégration européenne. Ensuite, au début 2010, plusieurs pays de l’ancienne Yougoslavie ont lancé le « processus de Brdo ». Cette suite de rencontres informelles des chefs d’État et de gouvernement, ou des ministres, de l’Europe du Sud-Est – de la Slovénie jusqu’à l’Albanie – tend à faire progresser la réconciliation, gage de paix. Il ne faut pas croire que les ruines accumulées par cinq années de guerre sont oubliées ; à ce jour, les Balkans connaissent la paix, mais la stabilité n’est que relative, et le bien-être des populations est encore loin d’être acquis. Nous devons trouver les solutions politiques qui permettront d’empêcher la résurgence des tensions que pourraient provoquer la persistance de problèmes politiques et sociaux – des tensions dont les pays des Balkans n’ont vraiment pas besoin.

Une des raisons de ma visite en France, pays ami, est aussi d’appeler votre attention sur cette partie de l’Europe. En juin prochain, la Croatie deviendra le 28ème État de l’Union européenne, ce qui est très bien. Mais, pour parler honnêtement, ni la France ni les autres pays de l’Union européenne ne sont prêts à un élargissement ultérieur. Pourtant, si nous voulons maintenir la paix dans les Balkans il faut rétablir la confiance entre la Serbie et le Kosovo, trouver un avenir à la Bosnie-Herzégovine, donner un nom à l’État de Macédoine. Imaginez que, dans les Balkans, les frontières ne sont toujours pas définitivement tracées… Je souhaite donc l’appui de la France à la relance du processus de Brdo. Sans l’accord d’un chef d’État important, prêt à jouer de son autorité pour résoudre les problèmes en suspens au Sud-Est de l’Europe, comment trouver une solution ? Je me félicite que la Serbie revienne à la table des négociations avec le Kosovo, mais le processus ne sera pas simple, car les relations entre Belgrade et Pristina emportent des conséquences très délicates pour l’avenir des Balkans. Le processus de réconciliation doit se poursuivre, avec pour perspective l’intégration à l’Union européenne, même si elle n’a pas lieu tout de suite. Il va sans dire que si les pays concernés ne souhaitaient pas que nous participions à la résolution de leurs difficultés, je n’en parlerais pas – mais ils nous le demandent instamment et nous devons les entendre.

Pour commencer de répondre aux questions d’ordre économique, je souhaite vous donner des chiffres qui permettent de mesurer ce qui distingue la situation de la Slovénie de celle de Chypre : le secteur bancaire représente 140 % du PIB slovène, mais 800 % du PIB chypriote.

Comme cela a été souligné, notre secteur bancaire connaît des problèmes certains. C’est pourquoi mon gouvernement avait envisagé, en 2009 déjà, la création d’une structure de défaisance. Comme, à l’époque, les actifs toxiques représentaient 3 % du portefeuille des banques, nous avons considéré qu’il revenait aux établissements bancaires eux-mêmes de créer une structure de ce type, ce qu’ils n’ont pas fait. Les principales banques slovènes sont des banques publiques. Autant dire que, lorsqu’elles sont en difficulté, elles représentent une charge terrible pour l’État – et la Nova Ljubljanska Banka va mal. Les politiques comptaient sur les banques et les banques sur les politiques ; il fallait casser cette dynamique, et c’est pourquoi nous avons rédigé un projet de loi créant une structure de défaisance appelée à reprendre les créances douteuses des banques publiques. La discussion n’est plus de savoir s’il faut ou non vendre les bijoux de famille : nous avons un capital, il est sur le marché. Peu importe qui a la propriété d’une entreprise ; ce qui compte, c’est qu’elle soit viable, et je préfère une banque fonctionnant bien aux mains d’étrangers à une banque marchant mal entre des mains slovènes. Cela étant, il ne nous est pas indifférent de savoir qui deviendra le propriétaire d’une de nos banques publiques. Entendez cela pour ce que c’est : une invite aux investisseurs français ! La France est le cinquième investisseur étranger en Slovénie. Comme ailleurs, quelques entreprises, telles Lafarge, peuvent avoir des problèmes avec la société civile, mais c’est le cours normal des choses et nous sommes fiers du travail des entreprises françaises en Slovénie.

J’ai dirigé le parti social-démocrate slovène pendant quinze ans et je n’ai aucune propension idéologique à m’opposer à une décision que je considère comme inévitable : si nous ne privatisons pas, la recapitalisation des banques se fera aux frais des contribuables, ce qui n’est pas correct. Nous avons déjà injecté 750 millions d’euros dans nos banques au cours des trois dernières années, une somme très importante pour un pays de la taille de la Slovénie. À présent, nous allons vendre la participation de l’État dans ces établissements, et l’intérêt que pourrait manifester un repreneur français serait apprécié.

J’en viens à l’euro. Rappelez-vous dans quel contexte nous avons, en 2007, rejoint la zone euro : une époque de croissance qui semblait infinie, la bulle immobilière, Wall Street à son apogée… Tout semblait merveilleux. Je ne regrette aucunement cette décision, et si c’était à refaire, je la prendrais à nouveau, en toute connaissance de cause – mais je sais que certains, dans cette salle et en Slovénie, ne partagent pas ce point de vue. Je pense pour ma part que si l’euro ne se maintient pas, l’Union européenne ne s’en relèvera pas.

L’avenir de l’Europe passe par l’approfondissement de la coopération ; des interrogations se font entendre sur la voie choisie mais, quoi qu’il en soit, je reste un Européen convaincu. À cet égard, des divergences entre la France et l’Allemagne sur les moyens de résoudre la crise et le déficit public – l’union bancaire par exemple, ou encore l’union fiscale, qui tient, il faut le dire, de la quadrature du cercle puisqu’il s’agit d’harmoniser 17 politiques fiscales différentes – donneraient un mauvais signal. L’ambassadeur de France en Slovénie sait toute l’importance que j’attache à un partenariat étroit entre la France et l’Allemagne.

Il reste à déterminer si la crise que nous traversons est une crise conjoncturelle qui prendra fin quand nous aurons trouvé les solutions appropriées, après quoi le ciel économique s’éclaircira à nouveau. Je ne le pense pas vraiment, et je ne crois pas qu’une plus grande régulation du secteur bancaire suffirait à stabiliser l’économie. Force est de constater la fragilité intrinsèque de la zone euro, beaucoup plus exposée à la crise que ne le sont les États-Unis, la Russie, l’Inde ou la Chine. En l’an 2000, l’Union a adopté la stratégie de Lisbonne, qui devait faire de l’économie européenne, en 2010, la plus solide et la plus dynamique du monde. Il n’en est rien : au contraire, l’économie européenne est la plus fragile du monde.

C’est pourquoi, à mon sens, la construction européenne ne peut en rester à l’étape où elle est parvenue. Le social-démocrate que je suis ne pense pas qu’un plus fort endettement permettrait une relance économique : pour remplir un sac troué, on commence par le recoudre ! S’endetter davantage, c’est invoquer l’aide de dieux mauvais. Mais les institutions européennes nous permettront-elles de progresser, ou seulement de piétiner, au risque d’un futur très douloureux pour tous les peuples de l’Union ? L’influence que peut avoir la France sur l’avenir de l’Union européenne est beaucoup plus grande que celle de la Slovénie. Je suis de ceux qui attachent une extrême importance au partenariat franco-slovène, et je souhaite qu’il contribue à un nouvel enthousiasme en faveur de l’approfondissement institutionnel de l’Union européenne, en vue d’une union politique.

Avec votre autorisation, M. Karl Erjavec, qui a participé à la décision, répondra à la question relative aux sanctions économiques à l’encontre du Belarus.

M. Karl Erjavec, ministre des affaires étrangères de la République de Slovénie. Je partage le point de vue exprimé par le Président de la République sur la situation économique et financière de la Slovénie, que le nouveau Gouvernement va régler en prenant des mesures immédiates. Le gouvernement slovène est parfaitement capable de réussir, à condition de disposer de la stabilité politique nécessaire. Aussi la révision constitutionnelle tendant à modifier les critères d’organisation d’un référendum sera-t-elle examinée au cours de la prochaine session parlementaire, car si le dialogue entre l’exécutif, les syndicats et la société civile est chose naturelle, le recours constant au référendum empêche toute réforme.

Nous privatiserons une banque et les meilleures entreprises publiques – société pétrolière, société de télécommunications, société d’assurances… Le président Pahor l’a dit, la France est le cinquième investisseur en Slovénie et ce partenariat doit se poursuivre. Ainsi, notre secteur bancaire public est en grande difficulté, mais la Société générale travaille très bien en Slovénie. Voilà pourquoi nous devons privatiser les banques publiques.

J’étais déjà ministre des affaires étrangères lorsqu’il a été question de renforcer les sanctions économiques à l’encontre du Belarus, accusé de violations des droits de l’homme. L’un des fondements de notre politique étrangère est bien sûr le respect des droits de l’homme et de l’État de droit ; cependant, la question qui s’est posée n’était pas celle-là, mais celle des critères retenus pour établir une nouvelle « liste noire ». Pourquoi n’y inclure qu’une seule entreprise biélorusse alors que bien d’autres, j’en suis sûr, ont des liens avec M. Loukachenko ? D’ailleurs, après que cette observation a été formulée, une nouvelle liste a été présentée aux ministres des affaires étrangères, qui comprenait dix entreprises. D’autre part, le principe même de sanctions économiques pose problème : sont-elles réellement efficaces ? Les critères choisis sont-ils les bons ? Il va sans dire que dans cette affaire la Slovénie ne remettait nullement en cause le respect des droits de l’homme – j’ai moi-même passé cinq ans auprès du Médiateur slovène en qualité de responsable de la protection des droits fondamentaux – mais les critères retenus pour appliquer de nouvelles sanctions.

Vous avez évoqué les manifestations. Le gouvernement précédent ne dialoguait pas avec les manifestants ; depuis qu’un nouveau gouvernement est au pouvoir, la situation se calme, notamment à Maribor, qui a maintenant un nouveau maire.

Nous respecterons les recommandations de l’OCDE car nous n’avons pas d’alternative. À condition qu’il dispose de la stabilité politique nécessaire, le gouvernement dont je suis membre fera son devoir. Les chiffres ne sont pas mauvais : le problème de fond, ce sont les blocages politiques. Maintenant que les réformes nécessaires sont engagées, notre travail sera plus fructueux et nous trouverons les bonnes solutions qui nous permettront de surmonter la crise.

M. Borut Pahor. J’ai omis de répondre à la question relative à la culture et je ne voudrais en aucun cas donner l’impression de sous-estimer ce volet. Mon expérience en politique, désormais longue de vingt ans, m’a convaincu que nous, hommes politiques, surestimons les questions économiques et politiques et sous-estimons les questions culturelles ou la dimension humaine de la coopération internationale. Nous nous efforçons de renforcer les relations culturelles, et je vous invite de tout cœur à visiter l’exposition qui s’ouvre au Petit Palais, au cours de laquelle le très gâté public parisien aura l’occasion d’admirer de remarquables peintures impressionnistes slovènes.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, monsieur le Président, d’avoir accepté notre invitation et de nous avoir parlé en toute franchise.

L’audition prend fin à dix heures cinquante-cinq.

_____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 17 avril 2013 à 9 h 45

Présents. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, M. Christian Bataille, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Jacques Cresta, M. Jean-Luc Drapeau, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Laurent Kalinowski, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, Mme Danielle Auroi, M. Patrick Balkany, M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, Mme Pascale Boistard, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. François Fillon, M. Paul Giacobbi, M. Philippe Gomes, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. Noël Mamère, M. Jean-Claude Mignon, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle, M. Michel Zumkeller

Assistaient également à la réunion. - M. William Dumas, M. Jérôme Lambert, M. Joaquim Pueyo