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Commission des affaires étrangères

Mercredi 5 juin 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 69

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition de son Exc. M. Blaise Compaoré, Président de la République du Burkina

Audition de son Exc. M. Blaise Compaoré, Président de la République du Burkina.

La séance est ouverte à onze heures.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevons aujourd'hui M. Blaise Compaoré, président de la République du Burkina, qui revient du Japon où il a participé à la cinquième conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique. Je précise que cette audition se terminera à midi, car notre invité sera ensuite reçu à déjeuner à l’Élysée par le Président de la République, avant de participer à la cérémonie de remise du prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix qui a précisément été attribué cette année à François Hollande « pour sa haute contribution à la paix et à la stabilité en Afrique », selon les termes du communiqué de la directrice générale de l’UNESCO.

Monsieur le Président de la République, le sommet extraordinaire des chefs d'État et de gouvernement de la Cédéao d’Abidjan du 27 mars 2012 vous a nommé médiateur de la crise malienne et c’est bien sûr ce dossier qui sera au cœur de notre échange. Vous êtes accompagné par M. Djibril Bassolé, ministre des affaires étrangères, qui joue un rôle très important dans votre médiation, et par M. Joseph Paré, ambassadeur du Burkina Faso en France.

La position officielle de la Cédéao sur la crise malienne a toujours été favorable à la primauté au dialogue politique inter-malien, sans que l’option militaire soit pour autant écartée, si nécessaire. Les événements de janvier dernier ont bouleversé la donne lorsque le Président François Hollande a répondu à l’appel au secours du Président Dioncounda Traoré.

Aujourd'hui, le Mali fait face à de nombreux défis et échéances majeurs : défis de la paix, qu’il faut consolider, de la réconciliation nationale, du développement économique et social, de la construction de l'État, de la gouvernance, de la démocratie.

En tant que médiateur, vous avez mené durant plusieurs mois des consultations avec les différentes parties prenantes pour restaurer la paix et, tout dernièrement, vous avez porté votre attention sur un aspect particulier du dossier, celui du blocage de la situation à Kidal, toujours occupée par le MNLA et le Mouvement islamique de l’Azawad, qui refusent le retour de l’administration et de l’armée maliennes. Or, il est très important que les élections puissent se dérouler, et ce, sur tout le territoire malien. J’espère donc que vous nous parlerez de ce que vous avez fait pour convaincre le MNLA que cela soit possible, car nous sommes très préoccupés, d’autant que nous avons appris que l’armée malienne se dirigeait vers Kidal. Il est essentiel de parvenir à un accord politique au sein de la réconciliation nationale et à une bonne coordination. Il faut aussi que le MNLA accepte d’être désarmé et de devenir un parti politique.

Après votre intervention liminaire, nous aurons certainement beaucoup de questions à vous poser, notamment François Loncle qui est rentré ce matin même, avec Pierre Lellouche, d’un déplacement au Niger et au Mali dans le cadre de la mission d’information qu’ils conduisent pour le compte de la commission.

M. Blaise Compaoré, président de la République du Burkina. Je vous remercie de votre invitation. C’est une marque d’estime qui traduit la qualité des relations entre nos pays et l’attachement de votre assemblée à l’édification d’un monde épanoui et solidaire. Je rends également hommage à l’action déterminée du président François Hollande et de la France pour réaliser cet objectif.

La situation difficile de la zone sahélienne appelle les États africains et la communauté internationale à développer des initiatives fortes pour y restaurer la paix et la sécurité. En ma qualité de médiateur de la Cédéao, j’exprime ma reconnaissance à la France pour son intervention décisive au Mali, qui a mis fin à l’escalade de la violence terroriste et a permis de créer un contexte favorable à la reprise du dialogue politique, ainsi qu’à la tenue d’une élection présidentielle libre et transparente le 28 juillet. L’action du Burkina-Faso est déterminée car nos peuples aspirent à la paix et à la sécurité et nous sommes convaincus que le dialogue doit être l’option privilégiée pour le règlement pacifique des différends. Les résultats obtenus montrent la pertinence de cette médiation.

J’ai été désigné comme médiateur par mes pairs pour résoudre les problèmes du Mali : insécurité, absence d’un pouvoir constitutionnel légitime, extrémisme, actions terroristes. Nous avons travaillé à installer à Bamako un ordre légal : les putschistes ont dû accepter que le pouvoir intérimaire soit assuré pour un an par le président de l’Assemblée. Face à la volonté guerrière de certaines forces du nord, la France a dû intervenir à la demande des autorités légitimes du Mali ; elle l’a fait de manière héroïque et efficace, permettant que la MISMA se mette en place.

La relance du dialogue politique étant la condition d’une paix durable, j’ai réuni ces derniers jours à Ouagadougou les représentants du gouvernement malien de la transition, du MNLA et du Haut conseil de l’Azawad, à l’exclusion des groupes terroristes. Ce processus doit déboucher incessamment sur la signature d’un plan de sortie de crise en deux phases : trouver un accord-cadre créant les conditions sécuritaires permettant la tenue de l’élection présidentielle sur tout le territoire – y compris à Kidal ; ensuite, poursuivre la mise en place des nouvelles institutions, avec des pourparlers aboutissant à une paix définitive et au développement intégré.

La question majeure qui se pose souvent en situation de post-conflit est celle qui semble opposer recherche de la paix et rétablissement de la justice. A ce sujet, nous avons toujours privilégié une démarche globale qui allie ces deux impératifs d’importance égale que sont les solutions politiques et les objectifs judiciaires. A partir de nos expériences de médiation, nous pouvons affirmer que la paix et la cohésion sociale supposent l’établissement d’une culture solide d’acceptation durable des différences et du respect des droits individuels et collectifs, ce qui passe par une éducation appropriée. C’est une exigence majeure pour la promotion de la paix, de la justice et d’un bien-être partagé. Dans cette optique, l’intégration harmonieuse des valeurs traditionnelles et fondamentales d’amitié, de fraternité et de solidarité aux principes de gouvernance des Etats modernes, tels que la transparence des élections, apparaît comme une voie d’espoir pour la construction d’une Afrique stable et apte à poursuivre efficacement sa transformation économique et sociale. La situation de précarité et de grande pauvreté vécue par les populations de plusieurs régions de notre planète constitue un terreau favorable à l’émergence de troubles socio-politiques pouvant déboucher sur des crises aux conséquences dramatiques. C’est pourquoi je salue les efforts accomplis par les Nations unies, l’Union européenne, le Japon et l’ensemble des partenaires au développement dans le cadre de la TICAD (Tokyo International Conference on African Development) pour accompagner l’Afrique dans la construction d’une croissance de qualité, inclusive et génératrice de meilleurs accès aux services sociaux de base tels que l’éducation et la santé. Cette croissance doit également permettre la création d’emplois adéquats et décents pour les Africains, notamment les jeunes et les femmes.

S’agissant plus précisément du Mali, nous avions, en prenant ce dossier, trois objectifs en tête. Premièrement, il s’agissait, après le putsch, d’installer à Bamako un gouvernement légitime, ce que nous avons pu faire à travers des dialogues avec la junte pour amener le président de l’Assemblée à assumer cet intérim. Deuxièmement, après avoir traité la question constitutionnelle, il s’est ensuite agi pour nous d’aller vers un travail de réconciliation entre les Maliens, notamment entre les divers mouvements maliens que sont le MNLA et Ansar Dine, qui revendique l’indépendance et la charia. Troisièmement, il s’agissait de traiter la question d’AQMI, c'est-à-dire des mouvements de l’étranger venus s’installer au Mali. Si AQMI est entré au Mali, c’est parce que la nation malienne s’est effritée. La reprise du dialogue national est donc un moyen de lutter contre AQMI.

Le 4 décembre 2012, nous avons obtenu à Ouagadougou l’accord du MNLA et d’Ansar Dine pour arrêter les hostilités, reconnaître l’intégrité territoriale du Mali, lutter contre le terrorisme et rejeter l’extrémisme religieux. Par la suite, Ansar Dine s’est allié à AQMI pour lancer début janvier l’attaque de Konna, qui a conduit à l’intervention de la France pour bloquer cette escalade.

Nous sommes aujourd’hui revenus à un dialogue entre le MNLA et la fraction majoritaire d’Ansar Dine, qui s’est reconstituée en Haut Conseil de l’Azawad. Nous sommes en train de converger vers un accord de paix, qui engagera les parties à reconnaître la laïcité de l’Etat malien, à cesser les hostilités avec la mise en place d’un comité de cessez-le-feu, ainsi qu’à appuyer l’organisation d’élections et à y participer. Une fois le président légitime et son gouvernement installés, nous engagerons une deuxième phase de discussion entre le nouveau gouvernement et les mouvements du MNLA et du Haut conseil, qui portera sur les causes réelles du conflit. Il s’agira donc de réfléchir à la manière de réorganiser les structures politiques et administratives au nord du Mali en relation avec le gouvernement. Nous espérons que cela permettra de consolider la capacité du Mali à résister aux ingérences extérieures d’AQMI. Si les Maliens sont divisés, cela laisse des fissures permettant aux étrangers de s’infiltrer.

Le 7 juin, une rencontre sera organisée entre les parties, en présence de la communauté internationale, de certains pays, dont la France, pour accompagner cet accord qui, nous l’espérons, sera adopté d’ici le 10 juin. Cet accord permettra de déployer à la fois l’administration et l’armée maliennes au nord du pays. Tout cela doit également tenir compte des craintes des mouvements maliens, qui redoutent des exactions de l’armée malienne – il est vrai que nous en avons notées - qui n’est pas toujours très bien encadrée. Le Mali est un terrain complexe, mais nous sommes persuadés que c’est en isolant les extrémistes étrangers des Maliens que nous pourrons stabiliser durablement le Mali et la région.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour votre analyse qui nous est très précieuse.

M. François Loncle. Je vous remercie également. Nous sommes très honorés de vous recevoir. Il est exact que nous revenons avec Pierre Lellouche d’un déplacement au Mali et au Niger effectué dans le cadre du groupe de travail sur la sécurité au Sahel qui avait été initié sous l’ancienne législature. La prise de conscience des pays africains sur la situation et ses dangers est totale et amène en conséquence la CEDEAO, vous-même en qualité de médiateur et tous les pays de la zone à se mettre en capacité de trouver des solutions sans que d’autres pays, y compris le nôtre, n’ait une sorte d’exclusivité pour régler les problèmes. C’est un progrès important. La montée en puissance d’organisations comme la vôtre permet aux Africains de régler leurs problèmes par eux-mêmes. Je tenais à le dire au moment crucial où se tiendra après-demain, vendredi 8 juin, la négociation de Ouagadougou qui nous permettra de savoir s’il est possible de tenir la date des élections dans tout le pays et je crois que nous pouvons espérer une issue positive.

M. Axel Poniatowski. Je souhaite également, au nom du groupe UMP, vous faire part du grand plaisir que nous avons de vous recevoir. Je vous poserai deux questions. Tout d’abord concernant l’organisation des élections au Mali, quelle est votre analyse sur la possibilité de tenir ces élections le 28 juillet, où en est-on de la constitution des listes électorales sans lesquelles il ne peut y avoir d’élections sincères et fiables et savez-vous s’il y aura des observateurs ? Ensuite, je souhaite vous interroger sur les relations avec la Côte d’Ivoire, qui sont anciennes. Les évènements qui ont agité ce pays ces dernières années ont vu le Burkina Faso jouer un rôle important. Où en sont donc vos relations aujourd’hui, du fait notamment d’une présence historiquement importante dans le nord notamment de la Cote d’Ivoire ?

M. Jean-Luc Drapeau. J’exprime aussi tout le plaisir de pouvoir vous recevoir. Ma question porte sur le flux important de personnes déplacées qui ont fui les violences. Le Burkina Faso notamment accueille de nouveaux réfugiés. Eu égard à votre autorité reconnue de tous, comment pensez-vous que l’on puisse permettre un retour durable de ces personnes et quel est l’impact de ces déplacements sur la tenue des élections ?

M. Michel Destot. Je veux dire d’abord que je me réjouis que nous puissions vous accueillir M. le Président de la République. Je vous interroge moi aussi sur les élections au Mali, notamment sur leur tenue dans tout le pays, dans de bonnes conditions démocratiques. Par ailleurs, j’étais il y a quelques jours à Grenoble avec le maire de Ouagadougou, dans le cadre de la coopération décentralisée car la ville de Grenoble est jumelée à celle de Ouagadougou, et il apparaît que le Burkina Faso connaît une croissance élevée, surtout au niveau des investissements. Avez-vous, en direction des Burkinabés, une politique d’accompagnement de la relance de la consommation et d’augmentation du pouvoir d’achat ?

M. André Schneider. Monsieur le président, j’exerce la fonction de président de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, en succession de Roch-Marc Christian Kaboré et dont un des grands rapporteurs en matière de résolution des crises est le Dr Bongnessan Arsène Yé. Votre pays a toujours joué un grand rôle dans toutes les situations de crise. Vous avez-vous-même une vision d’ensemble et je souhaiterais savoir quel est votre pronostic, seulement sur la zone sahélienne, mais aussi quant à l’espoir d’une unité africaine en Afrique centrale et de l’ouest.

M. Avi Assouly. Vous avez mené une médiation pour le compte de la Cédéao. Vous connaissez parfaitement la situation malienne qui est particulièrement complexe. Tout le monde partage l’avis selon lequel les élections à venir sont extrêmement importantes et prioritaires et l’on ne peut s’empêcher de craindre qu’un grain de sable ne vienne bloquer le processus, essentiel pour l’avenir du Mali. Que pouvez-vous nous dire pour nous rassurer ?

M. Michel Terrot. Je me joins au concert de félicitations qui vous a été fait. Je vous souhaite bonne chance dans cette mission très contrainte en termes de calendrier, puisque les élections sont prévues pour la fin juillet. Sera-t-il possible de les organiser à Kidal compte tenu de la situation sur le terrain. Malgré toute votre énergie, ce ne sera pas facile. Mais cela étant, qu’en sera-t-il après ? Je suis d’accord avec vous quant au fait qu’il n’y aura pas de paix durable sans développement socioéconomique dans la région. Les bailleurs internationaux récemment réunis ont-ils fait des gestes suffisants pour que ce territoire du Mali rattrape son retard ? Par ailleurs, lorsque je questionne le ministre des affaires étrangères, il ne me répond pas, et je comprends sa discrétion, mais vous-même avez-vous des informations que vous pourriez nous donner concernant nos otages, sur leur localisation, sur des négociations en cours pour leur libération, s’il y en a ?

Mme Chantal Guittet. Je reviens sur les propos de notre collègue Jean-Luc Drapeau sur les réfugiés. On a parlé d’arrestations et d’exactions sur des personnes de diverses communautés, des populations songhaï, peules et d’autres pour leur couleur de peau. Qu’en est-il exactement ? Y a-t-il des enquêtes pour juger les responsables ? La restauration de la sécurité doit être au bénéfice de tous sans que quiconque ait à craindre de représailles et actuellement quelque 26 000 Maliens d’origine touareg, craignant d’être assimilés aux terroristes islamistes, sont réfugiés à l’extérieur par peur des représailles de la part de l’armée malienne.

M. Guy-Michel Chauveau. Le temps est compté et la date du 28 juillet est un impératif à respecter. Si l’on ne respecte pas l’accord cadre, il y aura un risque de détérioration de la situation. Par ailleurs, vous avez abordé, Monsieur le Président, la question des nouvelles institutions. La constitution actuelle, et les lois de décentralisation de 1994-1995, permet-elle des avancées et comment voyez-vous l’aboutissement du processus ?

M. François Rochebloine. Je salue à mon tour votre rôle de médiateur. Vous semblez particulièrement optimiste sur l’avenir, mais qu’en est-il réellement sur les élections de juillet ? Par ailleurs, y a-t-il au Burkina Faso des infiltrés de cette guerre ? Quelles sont les conséquences pour votre pays de la guerre malienne, notamment sur le plan économique ?

Mme Seybah Dagoma. Merci de nous faire l’honneur de votre présence. Vous jouez un rôle de premier plan dans le dialogue interafricain ; la crise actuelle met en lumière la nécessité d’une force militaire interafricaine capable de protéger la souveraineté des Etats. Quel est le premier bilan de la participation africaine à la MISMA et quel regard portez-vous sur le projet de de l'Union africaine d’une Force d’intervention rapide africaine ? Comment la France peut-elle vous aider ?

M. Jean-Claude Guibal. Dans le processus de restauration de la paix durable et stable, comment analysez-vous le rôle des pays au nord du Sahel, l’Algérie et la Libye notamment, et qu’attendez-vous de leur part ?

Mme Françoise Imbert. L’amitié franco-burkinabé est forte et de nombreux partenariats ont notamment été noués avec des collectivités locales qui mènent de nombreuses actions de coopération décentralisée, c’est le cas de la Haute Garonne. Comment comptez-vous développer cette coopération ?

M. Boinali Said. Vous avez évoqué la deuxième phase et des chances de stabilité grâce à la gouvernance à mettre en place ; pouvez-vous développer un peu ? Quelles chances et quelles possibilités donnez-vous à cette deuxième phase ?

Mme Elisabeth Guigou, Présidente. Vous voyez, Monsieur le Président de la République, l’intérêt que les députés de la Commission attachent à votre action dans la région.

Son Excellence M. Blaise Compaoré. Je vous remercie de votre intérêt pour la crise au Mali et pour la région. Au sujet des élections au Mali, le problème que nous rencontrons avant tout est l’absence à Bamako d’une autorité légitime capable de penser et de décider pour l’après-transition. Dans le passé, en 1992, on a pu voir que la signature d’accords rencontrait des difficultés d’application. C’est pourquoi nous voulons absolument accroître la confiance au sein de la société malienne en vue de parler de l’avenir. Le gouvernement de transition, quant à lui, doit pouvoir parler avec l’ensemble des acteurs politiques des sujets d’avenir, y compris avec des groupes qui lui sont rivaux, voire hostiles. Un autre problème est qu’un certain nombre de pays, à commencer par les Etats-Unis, disent ne pas soutenir les démarches d’un gouvernement malien issu d’un putsch. Le Président du Mali a, lui, assuré lors de son voyage au Japon que les préparatifs pour les élections ainsi que les listes sont prêts. Après, c’est une question de financement, d’accompagnement et d’observation. Si nous n’avons pas d’élections, nous allons naviguer à vue avec un gouvernement de transition malien incapable de fixer l’avenir.

Au Burkina Faso, nous avons quarante mille réfugiés originaires du Mali. Ils attendent le retour de la stabilité et le déploiement des douze mille hommes prévus de la MINUSMA. Ils veulent voir la fin des hostilités.

Pour résoudre à l’avenir les enjeux du Nord-Mali, il faudra aborder la question de sa marginalisation et de son sous-développement. Tout le défi pour cette région sera le degré de décentralisation et la réalisation d’un développement inclusif.

Le Burkina Faso, situé juste à côté du Mali et partageant avec ce pays 1200 kilomètres de frontières, compte 800 soldats engagés aujourd’hui à Tombouctou. Il compte par ailleurs 1000 hommes engagés au Soudan.

Sur la question des otages français, je n’ai pas eu d’indications permettant de savoir s’ils sont vivants ou morts. Ceci dit, le Sahel est un endroit où il y a peu de secrets ; on le saurait, s’ils étaient décédés… Cette région est très vaste : nous avons l’habitude de dire que l’Azawad s’étend jusqu’à la Méditerranée car il contient des Touaregs ainsi que des Arabes. En tout état de cause, nous sommes engagés dans les recherches.

L’Algérie, la Libye, la Tunisie ou encore l’Egypte sont des espaces naturels pour ces populations. Lorsque j’ai reçu des représentants d’Ansar Dine, deux d’entre eux m’ont dit qu’ils étaient à moitié burkinabés lorsqu’ils se sont présentés.

Ce qui s’est passé au Mali a montré que les armées africaines avaient encore beaucoup de retard. Toutefois, ce n’est pas l’armée qui compte le plus en matière de sécurité, mais l’état du tissu social. Nous devons d’abord consolider les nations. Je rappelle que certains Touaregs qui se battent contre l’armée en faisaient partie auparavant. C’est le délitement de la société malienne, surtout dans le Nord, qui a permis des infiltrations, avec un laxisme qui a empêché de prendre les mesures nécessaires il y a une dizaine d’années, lorsqu’il n’y avait encore que peu d’éléments islamistes algériens dans la zone.

Nous travaillons à la création de capacités d’intervention rapide au plan régional – 1 500 ou 2 000 hommes projetables rapidement pour aider les Etats en difficulté –, mais ce sont avant tout des sociétés ouvertes et démocratiques que nous devons bâtir. Les crises en Afrique résultent soit d’élections ratées, soit de transitions manquées, soit d’une marginalisation de certaines ethnies ou de certaines zones. Tant qu’il y aura de telles fragilités, il n’y aura pas d’armée qui vaille, sauf des armées ethniques qui ne jouent pas en faveur de la stabilité et de la paix. Le rôle de la France est bien sûr de nous aider dans ce cadre. Même avec une force d’interposition, nous manquerons toujours de capacités de renseignement. Or, elles sont importantes pour la sécurité de la région.

Nous avons une histoire assez partagée avec la Côte d’Ivoire. De 1932 et 1947, le Burkina n’existait pas : une grande partie du territoire, allant de la capitale, et même au-delà, jusqu’à la Côte d’Ivoire, s’appelait alors la « Haute Côte d’Ivoire » et appartenait à la colonie du même nom. Ce territoire comptait 2,4 millions de personnes, dont une partie a été déplacée pour construire des plantations, des chemins de fer et des ports. Le Burkina et la Côte d’Ivoire sont naturellement appelés à vivre ensemble. Dès 2009, nous avons signé un accord d’amitié et de coopération. Un conseil des ministres conjoint devrait se réunir à la fin du mois de juillet pour la troisième fois. Nous travaillons ensemble au renforcement de la coopération et des liens humains.

Le Burkina est le pays africain avec lequel la France a tissé la coopération décentralisée la plus avancée. Il y a plus d’une centaine de jumelages et de coopérations, ce qui nous apporte beaucoup. La France a une longue expérience de la gestion locale, et la coopération décentralisée est une stimulation pour la coopération d’Etat à Etat, en parallèle.

Nous essayons d’avoir une croissance de qualité, inclusive, faisant participer autant que possible la population à la production économique. Un pays ne peut pas être organisé comme la Croix-Rouge. Nous devons faire participer la population au maximum et nous mettons l’accent sur l’agriculture, car 80 % de la population appartiennent au monde rural. Notre croissance est d’ailleurs exemplaire dans les différentes filières agricoles : cette année encore, le Burkina est le premier producteur de coton en Afrique, nous avons un excédent d’au moins cinq millions de tonnes pour les céréales, nous produisons beaucoup de fruits et de légumes, et nous faisons beaucoup d’élevage.

Pour renforcer la capacité des Burkinabés à participer à la croissance, nous mettons l’accent sur la sécurité humaine. C’est la seule manière de partager vraiment les richesses du pays. Alors que le taux de scolarisation était de moins de 10 % il y a vingt ans, il dépasse 80 % aujourd’hui, et nous atteindrons un taux de 100 % en 2015. J’ajoute que le taux est presque identique pour les filles et les garçons jusqu’au collège. Nous avons aussi fait des efforts en matière de santé.

Pour ce qui est de la francophonie, nous sommes bien sûr présents et nous pensons que la France doit accompagner l’Afrique : c’est l’espace du futur pour la francophonie. Nous sommes un réservoir de potentialités, d’énergie et de disponibilité dont il faut tenir compte. (Applaudissements).

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Monsieur le Président de la République, merci. Ces applaudissements, qui ne sont pas systématiques dans notre Commission, témoignent de notre gratitude pour le rôle que vous jouez et pour la vision que vous avez du développement de votre pays et du continent africain.

La séance est levée à douze heures.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 5 juin 2013 à 11 heures

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. François Asensi, M. Avi Assouly, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Luc Drapeau, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Patrick Lemasle, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Boinali Said, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Alain Bocquet, Mme Pascale Boistard, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Thierry Robert, Mme Odile Saugues, M. Michel Vauzelle