Audition, ouverte à la presse et conjointe avec la commission des finances et la commission des affaires européennes, de M. Olli Rehn, Commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires
La séance est ouverte à seize heures quinze.
La Présidente Élisabeth Guigou. Le Conseil européen des 27 et 28 juin prochains sera consacré à la politique économique et monétaire, avec trois questions à l’ordre du jour : l’adoption des recommandations de la Commission au terme du semestre européen, les progrès de l’union économique et monétaire et enfin, l’évaluation du pacte européen pour la croissance et l’emploi. Cet ordre du jour reflète le besoin pour l’Union européenne de construire une nouvelle gouvernance économique ; à ce sujet, la France et l’Allemagne ont formulé des propositions le 30 mai dernier.
Afin que cette nouvelle gouvernance soit à la fois efficace et légitime, il conviendra de faire en sorte que les compétences respectives des institutions européennes et nationales soient respectées. Certes, la Commission européenne est parfaitement fondée à évaluer les programmes nationaux, à proposer ses analyses – que l’on peut ou non partager – et à adresser des recommandations au Conseil et à chaque État membre sur la coordination des politiques budgétaires, structurelles et macro-économiques. Dans sa recommandation adressée à l’ensemble de la zone euro, elle a d’ailleurs développé une vision globale et équilibrée et insisté sur les responsabilités respectives des États en déficit et en excédent pour assurer la cohérence d’ensemble de la zone.
Cependant, la recommandation qu’elle a adressée à la France a suscité des réactions. Notre pays se conformera bien entendu à ses engagements en matière de redressement de ses comptes publics et, à cet égard, le délai supplémentaire qui lui a été accordé par la Commission est fort bienvenu, compte tenu de la faiblesse du taux de croissance. Mais quant aux réformes structurelles, à un pays comme la France qui n’est pas « sous programme », l’Union européenne peut tout à fait recommander mais non commander. Je pense en particulier à la réforme des retraites dont les modalités doivent être définies avec les partenaires sociaux et votée par notre Parlement. Et l’on sait à quel point la question de la légitimité démocratique du gouvernement économique de la zone euro est sensible.
Ma seconde question porte sur l’impérieuse nécessité de la croissance : qu’en est-il de l’application des mesures annoncées en faveur de la croissance et de l’emploi, en particulier pour les jeunes ? Quelles sont les préconisations de la Commission en la matière ?
Le Président Gilles Carrez. Notre programme de stabilité a été transmis aux autorités européennes après avoir été débattu au Parlement, à la suite de quoi la Commission a accepté de nous accorder deux années supplémentaires pour nous permettre de ramener notre économie en deçà du fameux ratio de 3 % de déficit public par rapport au PIB. Or, dans les conclusions qu’elle a formulées il y a quelques jours, une mission du Fonds monétaire international (FMI) préconise la poursuite en France de l’évolution des mécanismes du marché du travail, un accroissement de la concurrence sur le marché des biens, un assainissement budgétaire fondé à la fois sur une meilleure maîtrise des transferts sociaux et une diminution de la masse salariale publique. La Commission reprendra-t-elle à son compte ces préconisations ?
Quels États bénéficient-ils des mécanismes de soutien à la zone euro, pour quel montant et à quelle échéance ? Quels versements ont-ils été et doivent-ils encore être effectués par les différents pays contributeurs dans le cadre du mécanisme européen de stabilité ?
La Présidente Danielle Auroi. Nous nous situons à un moment important du semestre européen, dont nous suivons le cours avec attention. À la veille de l’ouverture de la discussion du projet de loi de finances, en octobre dernier, nous déjà organisé une table ronde pour examiner le budget de la France à la lumière de nos engagements européens. Et le 26 juin prochain, nous recevrons également votre collègue Maroš Šefčovič, pour débattre notamment du semestre européen.
La voix des parlements nationaux pourra d’ailleurs se faire entendre lors de la première réunion, sous présidence lituanienne, de la conférence budgétaire dont l’existence découle de l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), à la suite d’une initiative de notre assemblée.
L’avis de la Commission européenne dont nous avons pris connaissance le 29 mai dernier a provoqué en France des réactions négatives largement partagées. Il semble en effet que cet avis ait été exprimé de façon beaucoup plus directive que les années précédentes. Certes, le rappel des objectifs de maîtrise des déficits découle de principes de bonne gestion, mais faut-il tant insister sur les moyens préconisés, en particulier sur la question des retraites, au moment même où s’engage en France une négociation importante et sensible à cet égard ? Toucher au cœur du pacte social français ne fera certes pas aimer l’Europe – bien au contraire – au moment même où les démagogues trouvent dans la crise une occasion rêvée de dresser les opinions contre le projet européen et alors que nous avons de plus en plus besoin d’Europe.
Il nous faut en effet refonder ce projet européen à la lumière des aspirations réelles de nos concitoyens en l’appuyant sur les priorités écologiques et sociales. Comment les investissements favorisant la transition énergétique peuvent-ils apporter un nouveau souffle à la politique économique européenne et à l’emploi – en faveur de la jeunesse et de l’innovation – ainsi qu’une réponse à la crise climatique ?
M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des Finances. Jusqu’il y a peu, la Commission européenne estimait qu’une réduction du déficit public était de nature à soutenir la croissance, y compris à court terme. Or, les événements que nous avons récemment observés dans plusieurs pays lui ont plutôt donné tort. Aussi nous réjouissons-nous qu’elle ait assoupli sa position sur le sujet et proposé des recommandations au Conseil en vue de prolonger les délais de correction du déficit excessif de certains pays.
En deux ans, la France a réduit son déficit structurel de 2 points de PIB. Les propositions de la Commission européenne doivent-elles bel et bien être comprises comme allant dans le sens d’un rééquilibrage entre la préservation de la croissance et la réduction du déficit public ?
D’autre part, la Commission européenne semble désormais accorder la priorité au solde structurel sur le solde effectif – une évolution que nous avons d’ailleurs retranscrite dans l’esprit et dans la lettre au sein d’une loi organique que nous avons adoptée récemment. Comment la Commission européenne conçoit-elle l’articulation des priorités entre ces deux objectifs du TSCG ?
Enfin, l’emprunt vous paraît-il un outil adapté et opportun pour maintenir nos objectifs de croissance en Europe ?
M. Olli Rehn, vice-président de la Commission européenne et commissaire chargé des affaires économiques et monétaires et de l’euro. Je vous remercie de m’avoir invité à l’Assemblée nationale : ces échanges réguliers ne peuvent en effet qu’enrichir la nouvelle gouvernance économique de la zone euro – concept cher à la France depuis fort longtemps.
Les recommandations spécifiques aux 27 pays de l’Union européenne adoptées par la Commission le 29 mai dernier doivent être comprises comme faisant partie de la stratégie globale de l’Union européenne pour sortir l’Europe de la crise. Elles sont fondées sur une analyse détaillée de la situation de chaque pays et donnent des orientations pour stimuler le potentiel de croissance, renforcer la compétitivité et créer des emplois. Considérées dans leur ensemble, elles sont porteuses de réformes ambitieuses pour chaque État membre de l’Union européenne ainsi que pour la zone euro.
L’analyse de la Commission montre qu’un rééquilibrage est en cours dans l’Union européenne puisque la plupart des pays progressent en matière d’assainissement budgétaire et appliquent des réformes visant à renforcer leur compétitivité. La Commission salue les réformes difficiles mais néanmoins nécessaires qu’a entreprises la France afin d’assainir ses comptes publics, de reprendre le contrôle sur une dette grandissante, de lutter contre le chômage et de mettre un frein à la baisse de sa compétitivité. Et il n’existe en réalité aucune contradiction entre les objectifs d’assainissement des comptes publics et de croissance ambitieuse portée par les réformes structurelles – le tout au service de l’emploi qui reste notre préoccupation majeure.
Quant à la consolidation budgétaire, je prône une application intelligente du Pacte de stabilité et de croissance qui prenne en compte les efforts entrepris par les États membres pour réduire leurs déficits structurels. Cette remarque se veut d’ailleurs aussi une réponse à la question posée par M. Christian Eckert concernant le rééquilibrage entre la croissance et la consolidation : dans un contexte économique adverse, la France a en effet fourni un effort de réduction de son déficit structurel conforme aux recommandations du Conseil européen. C’est pourquoi il nous a paru raisonnable de lui accorder deux années supplémentaires pour lui permettre de ramener son déficit à moins de 3 % du PIB, d’ici à 2015. Selon notre analyse, n’étendre ce délai que d’une seule année aurait en revanche eu comme conséquence de prolonger la stagnation de l’économie française, c’est-à-dire de lui faire subir trois années de croissance nulle, entre 2012 et 2014. Ce délai supplémentaire de deux ans constitue donc un nouvel appui à la croissance française à court terme mais doit néanmoins être mis à profit par la France lui permettant de restaurer la viabilité à long terme de ses comptes publics, d’adopter un certain nombre de réformes et, par conséquent, d’enrayer l’érosion persistante de sa compétitivité.
Nous avons ainsi recommandé à la France de réduire davantage le coût du travail – en particulier en réduisant le montant des cotisations sociales –, d’améliorer les facilités accordées aux entreprises, en particulier aux petites et moyennes entreprises (PME), et de favoriser leur capacité d’innovation et d’exportation. Il est en outre possible d’accroître la concurrence, en particulier dans les professions réglementées, le commerce de détail et les industries de réseau. Le fonctionnement du marché du travail français pourrait, lui aussi, être rendu plus propice à la croissance et à la création d’emploi. Les mesures visant à réformer votre système de retraite devraient quant à elles être précisées d’ici à la fin de cette année dans le but de ramener durablement ce système à l’équilibre d’ici à 2020. Je sais que le Gouvernement partage ces objectifs et a déjà pris des initiatives importantes en la matière, tels le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi de novembre dernier ou l’accord conclu avec les partenaires sociaux en vue de réformer le marché du travail. Nous encourageons le Gouvernement et l’Assemblée nationale à poursuivre cet élan.
Vous m’avez interrogé sur le détail des propositions formulées par la Commission européenne sur le fondement desquelles le Conseil européen décidera des recommandations à prendre. Je souhaite me montrer rassurant quant à la réforme du système de retraite : si nous avons présenté des propositions de recommandations, il revient en effet à présent aux États membres du Conseil de les discuter. Et notre but n’est autre que d’assurer la soutenabilité de votre système de retraite à moyen-long terme, but que le Gouvernement français partage et, je l’espère, le peuple français également. Le rapport Moreau dressant un diagnostic et présentant des options de réforme, il appartient désormais au Gouvernement de dialoguer avec le Parlement et les partenaires sociaux, d’en tirer les conséquences et de formuler des propositions. La Commission européenne respecte pleinement ce processus tout en présentant ses propres suggestions, sachant d’ailleurs que cette question n’est récente ni dans le débat français ni parmi les recommandations européennes : nous avons en effet formulé quasiment les mêmes propositions au cours des trois dernières années, même si ce n’était peut-être pas de manière aussi précise que cette fois-ci. Peu de choses s’étant passées au cours de cette période, il importe d’agir pour assurer la soutenabilité des finances publiques françaises à moyen-long terme.
Le concept de gouvernement économique de la zone euro est souvent présent dans le débat français mais reste malheureusement aussi souvent au stade du concept. Mon propos sera donc très clair à ce sujet : la viabilité et la crédibilité de l’Union économique et monétaire de la zone euro dépendent en grande partie de la solidité de ses institutions. Si le long chemin parcouru depuis le début de la crise nous a permis de renforcer la gouvernance de cette union, le processus de réforme de celle-ci doit se poursuivre et ne peut se faire dans la légitimité qu’avec l’appui des citoyens et dans le cadre d’un débat démocratique. La Commission européenne a présenté en novembre dernier sa vision d’une Union économique et monétaire plus intégrée et poursuit son travail de construction d’une union politique dotée de mécanismes de contrôle démocratique renforcé. Or, pour assurer, selon nous, la reconstruction efficace et inclusive de l’Union économique et monétaire, il est nécessaire que nous nous appuyions sur la méthode communautaire sans céder au réflexe intergouvernemental.
Quant à l’union bancaire, elle constitue un objectif très important pour l’Union européenne, pour la France et pour la Commission européenne.
Enfin, le Parlement européen et les parlements nationaux ont un rôle spécifique et complémentaire à jouer en matière de responsabilité démocratique. Dans le contexte de renforcement de l’intégration des politiques budgétaires et économiques nationales qui est le nôtre, il convient donc d’explorer de nouveaux mécanismes permettant d’accroître le niveau de coopération entre les parlements européen et nationaux – à qui il reviendra ensuite d’évaluer les modalités précises de cette coopération. Les parlements nationaux, et notamment l’Assemblée nationale, jouent en effet un rôle clef en conférant une légitimité à l’action des États membres au sein du Conseil Écofin. Ils sont et resteront donc des acteurs centraux dans la conduite des politiques budgétaires et économiques nationales.
M. Christophe Caresche. Je précise à titre liminaire que la Commission des affaires européennes de notre assemblée adoptera la semaine prochaine une proposition de résolution relative aux recommandations de la Commission européenne.
Comme l’a souligné la présidente de la Commission des affaires étrangères, « recommander n’est pas commander ». Nous nous trouvons, il est vrai, à un moment particulier du semestre européen et il est clair que le Parlement français – et notamment l’Assemblée nationale – revendique toutes ses prérogatives en matière de définition des politiques publiques. Ce que nous comprenons du traité et de notre dialogue avec la Commission européenne, c’est que si la France est soumise à une obligation de résultat, elle n’a en revanche aucune obligation de moyens – qu’il lui revient donc de définir par elle-même. Il importe en outre d’instituer une structure parlementaire au niveau de la zone euro pour débattre de ces enjeux et conférer une plus grande légitimité aux décisions prises.
Je ne récuse pas le moins du monde la nécessité de procéder à des réformes structurelles – compte tenu du problème de compétitivité dont souffre la France. Le Gouvernement a d’ailleurs adopté un certain nombre de mesures en la matière. Nous avons néanmoins l’impression que le rythme d’ajustement exigé par la Commission européenne après la crise a eu de lourdes conséquences, entraînant un ralentissement économique et une récession. La Commission ne s’est-elle pas trompée à cet égard, comme l’affirme d’ailleurs le FMI ?
M. Hervé Gaymard. Je tiens tout d’abord à vous remercier, monsieur le commissaire, de vous exprimer dans notre langue.
Pensez-vous que les projets d’union bancaire puissent se concrétiser à législation constante c’est-à-dire sans révision préalable des traités ? Lorsque l’on parle de superviseur unique et de recapitalisation, quels transferts budgétaires et quels transferts d’équilibre de pouvoirs cela implique-t-il dans le cadre des institutions européennes ?
L’idée de gouvernement économique de l’Europe est apparue il y a une vingtaine d’années et fut notamment exprimée par Jacques Delors ainsi que par d’autres acteurs, tels que Michel Albert en France. Or, à l’époque du traité de Maastricht, il s’agissait simplement de rééquilibrer une vision strictement monétaire en instaurant une gouvernance politique. Nous nous trouvons cependant aujourd’hui dans une autre configuration puisqu’il reviendrait désormais à la Commission européenne d’adresser des instructions aux États-membres en matière de réforme structurelle – ce qui nous pose problème.
Enfin, nous parlons d’économie financière, mais quant à l’économie réelle, deux sujets majeurs de politique industrielle me paraissent mal traités par la Commission européenne : la politique de l’énergie et la politique de concurrence qui, très souvent, empêchent la constitution de champions européens en mesure de peser dans notre monde globalisé.
M. François Rochebloine. Fervent partisan de la construction européenne, je déplore comme d’autres que ce grand projet suscite aujourd’hui des réserves croissantes dans de trop larges secteurs de l’opinion. Cela étant, le relatif désamour voire la prise de distance vis-à-vis de l’Europe pourront être surmontés à condition que la Commission européenne explique clairement l’intérêt pour la collectivité des choix qu’elle propose. Compte tenu de vos compétences très larges, le risque que vos propos soient mal compris est particulièrement grand, alors que le sentiment d’insécurité voire de précarité économiques ne cesse de croître de jour en jour, face à une globalisation que les institutions politiques paraissent avoir du mal à maîtriser. En êtes-vous réellement conscient ?
Vous estimez en effet nécessaire de renforcer la compétitivité des services : que signifie concrètement cette jolie formule technocratique, appliquée aux médecins ? Comment pensez-vous qu’elle puisse être reçue dans un pays souffrant cruellement d’une présence médicale déséquilibrée sur son territoire – situation à laquelle la solution libérale ne paraît pas a priori apporter la réponse la plus adéquate ?
Enfin, vous, monsieur le Commissaire, qui avez présidé de nombreux clubs de football, et notamment la Ligue de football de Finlande, que pensez-vous de l’arrivée en France et en Europe de capitaux importants dans nos clubs, en provenance de pays situés hors de l’Union européenne, tels que le Qatar, l’Azerbaïdjan ou encore la Russie ?
M. Paul Giacobbi. Nous sommes très sensibles à la qualité et au réalisme de vos propos, très éloignés de la caricature qui en a été faite parfois. Je reviendrai cependant sur le déclarations que vous avez faites quant à la fameuse règle des 90 % – énoncée par les professeurs Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff. Il me paraît en effet exister trois objections majeures à cette règle. La première consiste à rappeler que pendant le siècle d’or de l’économie britannique, soit entre 1750 et 1850, la dette publique de la Grande Bretagne n’a jamais été inférieure à 100 % de son PIB et a même atteint 250 %. Si l’on avait par conséquent appliqué cette règle à l’époque, sans doute la révolution industrielle britannique n’aurait-elle pas eu lieu. La deuxième objection a été formulée par trois chercheurs de l’Université du Massachusetts à Amherst qui ont souligné les erreurs méthodologiques commises dans l’élaboration de cette règle. Enfin, la troisième est qu’elle est fondée sur une confusion classique en économie – et souvent répétée – entre corrélation et causalité.
John Kenneth Galbraith affirmait que « Milton Friedman’s misfortune is that his economic policies have been tried. » Ne pourrait-on en dire autant de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ? Plutôt que d’entretenir une forme d’obsession normative portant sur des seuils et des ratios qui ne présentent pas véritablement de sens, ne devrions-nous pas plutôt nous attacher à promouvoir ce qui compte, c’est-à-dire la compétitivité et la flexibilité, au-delà de tous les dogmatismes – seul moyen d’assurer le retour à l’équilibre de nos finances publiques ainsi qu’une croissance durable ?
M. Jean-Louis Roumegas. L’Assemblée nationale débattra prochainement de la question des paradis fiscaux et de la fraude. Mais certains enjeux doivent impérativement être traités au niveau européen sans quoi nous ne serons pas efficaces. La Commission européenne a formulé des propositions à ce sujet et évoque l’instauration d’un système d’échange automatique des données bancaires en 2015. Pourquoi cette décision est-elle à nouveau repoussée ? Quand peut-on espérer assister à la création d’un véritable Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) européen ? L’échange de données et la transparence s’étendront-ils aux trusts et aux fondations ?
D’autre part, nous avons trouvé relativement floue la position de la Commission européenne sur la fiscalité écologique : vous n’avez en effet formulé de recommandations que sur le transfert de la fiscalité pesant sur le travail vers les taxes environnementales. En revanche, vous n’avez pas mentionné la taxe carbone : quels sont les obstacles à l’instauration de cette taxe au niveau européen ?
Mme Estelle Grelier. Dans un courrier adressé aux ministres européens des finances datant de février dernier, vous avez fortement critiqué le Fonds monétaire international, dont les responsables s’inquiétaient d’avoir sous-évalué l’effet récessif sur l’activité économique des politiques budgétaires restrictives.
Deux mois plus tard, la Commission procédait de facto à une suspension du Pacte de stabilité en accordant à plusieurs États, dont la France, un délai supplémentaire pour atteindre le taux de 3 % de déficit public.
À quel niveau la Commission européenne estime-t-elle le multiplicateur budgétaire pour l’Union européenne et pour la zone euro, et persiste-t-elle encore à nier l’impact des politiques de consolidation budgétaire sur les niveaux d’activité économique et d’emploi ?
En outre, dans ses recommandations, la Commission européenne semble uniquement viser l’amélioration de la compétitivité prix par une flexibilisation du marché de l’emploi et la diminution du coût du travail. Une telle stratégie se traduit notamment par une baisse des rémunérations et des salaires, et par l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres. La réduction des déséquilibres macroéconomiques ne devrait-elle pas devenir l’objectif prioritaire de la Commission européenne ? Cette dernière est-elle prête – avec la force des recommandations qu’on lui connaît – à enjoindre les États-membres qui dégagent des excédents excessifs de leur balance courante à adopter des mesures de soutien à la stimulation de la consommation et de la demande intérieure, notamment en adoptant des mesures telles que l’instauration d’un salaire minimum ?
Enfin, êtes-vous favorable à la communautarisation de la gouvernance de la troïka et à la sortie de cette dernière du FMI ?
Ce n’est pas par esprit réactionnaire que je vous pose ces questions. Nous avons d’ailleurs assez peu apprécié que ce qualificatif soit utilisé à notre égard par M. Barroso, qui fut parfois mieux inspiré !
M. Hervé Mariton. S’il vous fallait définir une échelle de réforme structurelle située entre zéro et cent – zéro : rien n’est fait, cent : tout est fait –, à quel niveau de cette échelle situeriez-vous l’effort actuel de réforme structurelle de la France ? Vous avez souligné à quel point il était important de réduire le niveau de nos cotisations sociales : que pensez-vous du mix actuel français qui allie la mobilisation d’économies budgétaires à des augmentations d’impôts, afin d’assurer le rétablissement de nos finances publiques ? Paraît-il envisageable aux yeux de la Commission européenne qu’une partie du financement de la réforme des retraites soit assurée par une augmentation de nos cotisations sociales ?
Quant à la gouvernance économique, s’agissant aussi bien de l’union monétaire que de l’union bancaire, vous avez tout à l’heure assumé la dimension fédérale de cette gouvernance : quels mécanismes pourriez-vous proposer ?
Pourriez-vous commenter les résistances – peut-être plus fortes qu’on ne les avait anticipées – à la mise en place, dans le cadre d’une coopération renforcée, d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle de certains pays européens ? Cette initiative de la Commission européenne rencontre en effet de fortes objections.
Quelle est enfin la position de la Commission européenne dans le débat relatif à la politique menée par la Banque centrale européenne – en particulier quant à sa volonté de couvrir un champ assez vaste d’hypothèses économiques et d’apporter une garantie absolue ?
M. le vice-président de la Commission européenne et commissaire chargé des affaires économiques et monétaires et de l’euro. Initiative très importante actuellement en cours d’élaboration, l’union bancaire est, grâce à un travail considérable et au soutien de la France, sur le point de devenir une réalité. Elle reposera sur deux piliers : la supervision unique et la résolution bancaire. Nous avons ainsi franchi une étape essentielle avec l’accord prévoyant un mécanisme unique de supervision – qui contribuera à rétablir la solidité et la confiance dans les banques de la zone euro, à renforcer le Marché unique et à garantir la stabilité financière de la zone, là où l’on n’observe aujourd’hui que fragmentation du crédit et incertitude. Nous présenterons au début du mois de juillet notre proposition de mécanisme unique pour la résolution des banques de la zone euro, doté d’un fonds commun de résolution préfinancé par les banques et qui deviendra autorité de résolution. C’est d’ailleurs mon collègue et ami Michel Barnier qui travaille désormais sur ce projet. La supervision unique et le mécanisme de résolution bancaire assorti d’un fonds propre nous permettront enfin de supprimer le lien entre les difficultés des banques et la dette des États, problème important dans la zone euro pendant la crise.
Quant à la différence entre obligations de moyens et de résultat, il importe que la France soit en mesure d’atteindre le résultat escompté. Sur la base d’un dialogue avec le Parlement et les partenaires sociaux, et à condition qu’elle se fixe des ambitions élevées, la France pourra parvenir à réformer son système de retraite – ce qui est capital pour la soutenabilité des finances publiques françaises à moyen-long terme.
Vous avez fait référence au multiplicateur budgétaire et à la célèbre étude de M. Rogoff établissant une relation entre le niveau de la dette publique et son impact sur la croissance économique. Je répondrai de manière groupée à ces deux questions importantes pour la France, pays dans lequel il convient de travailler sur une base cartésienne, c’est-à-dire de commencer par tirer des conclusions de notre analyse économique des politiques-clefs pour ensuite essayer d’appliquer ces conclusions de façon sensée et efficace à nos politiques économiques et budgétaires. Nous ne sommes en effet pas doctrinaires à la Commission européenne puisque nous suivons différents types d’études économiques et écoles de pensée afin d’en tirer le meilleur profit et d’appliquer ces idées à nos analyses des circonstances économiques européennes actuelles. Il existe selon moi une convergence de vues entre les économistes et les politiques sur plusieurs points – le dialogue se poursuivant d’ailleurs continuellement entre la Banque centrale européenne et le FMI. Olivier Blanchard, économiste très respecté du FMI, y participe notamment, de même que d’autres économistes.
Premièrement, ces multiplicateurs budgétaires produisent des effets plus importants en période de crise qu’en période normale, phénomène qui s’explique essentiellement par le fait que les politiques monétaires sont très accommodantes à l’heure actuelle et qu’elles ne peuvent donc compenser facilement les effets de la consolidation budgétaire sur la croissance économique à court terme. En période de crise, il importe donc de tenir compte de ces multiplicateurs. En France, cet effet multiplicateur est relativement élevé du fait que le secteur public y occupe une place importante. Il existe toutefois des différences entre les États membres, c’est pourquoi nous ne disposons pas d’un multiplicateur fiscal spécifique et unique pour tous les pays à tout moment. Nos économistes, lorsqu’ils présentent leurs études, essaient d’ailleurs de prendre ces éléments en compte avant que nous ne formulions nos recommandations politiques. J’en conclus donc qu’il est sensé, si possible, de proposer aux États un rythme d’ajustement fiscal plus lent afin de leur assurer une soutenabilité de leur économie à moyen terme au lieu de les voir appliquer des mesures budgétaires et fiscales drastiques à court terme. Il est en effet préférable d’adopter une stratégie fiscale à moyen terme que des baisses d’impôt et des mesures fiscales aléatoires à court terme.
Deuxièmement, M. Rogoff et sa collègue ont peut-être omis certains éléments dans leur analyse mais il reste que la profession dans son ensemble reconnaît l’existence effective d’une corrélation entre un niveau élevé de dette publique et son impact négatif sur la croissance économique, du fait du coût plus élevé du service de la dette. Il ne s’agit pas nécessairement d’un pic drastique – comme celui de 90 % décrit par Kenneth Rogoff –, le graphique pouvant s’avérer plus linéaire ou plus recourbé, en forme de parabole. Il reste que la corrélation existe. Ainsi, même si, dans certaines circonstances, le rythme de consolidation fiscale et budgétaire d’un État peut être plus lent, il convient également qu’il évite d’augmenter son endettement à court ou à moyen terme, afin de ne pas handicaper sa politique à long terme. C’est pourquoi nous avons accordé à la France un délai de deux ans pour revenir à l’équilibre tout en espérant qu’elle mettra cet oxygène supplémentaire à profit pour adopter des réformes économiques favorables à la compétitivité, à la croissance et la création d’emplois – dont elle a extrêmement besoin.
Pourquoi avoir fait cela maintenant et non il y a deux ans ? L’ancien président américain John Quincy Adams a affirmé un jour que les changements politiques ne surviennent que lorsque les circonstances le permettent. Or, en 2010-2011, lorsque la crise de la dette frappa très durement l’Europe, nous ne bénéficiions pas de la même crédibilité budgétaire qu’aujourd’hui. Son amélioration dans les États membres ainsi que dans d’autres pays a permis à la Banque centrale européenne de prendre des mesures décisives, en particulier depuis le début de l’année 2012, afin de stabiliser les marchés financiers et les marchés obligataires. Cela a diminué les coûts d’emprunt dans tous les États européens, et a en retour créé un espace favorable à un ajustement fiscal.
Troisièmement, la crédibilité des finances publiques des États membres à moyen terme ainsi que l’avancement des réformes structurelles dans ces pays nous ont conduit l’été dernier – avant même qu’Olivier Blanchard et Daniel Leigh ne présentent leur célèbre article sur le budget en octobre 2012 – à accorder un délai supplémentaire à l’Espagne, au Portugal et à la Grèce. Cette année, nous l’avons également proposé à sept ou huit pays, y compris à la France.
La construction de la zone euro revêtant une grande importance, la relation entre l’enjeu monétaire et l’union politique est tout à fait fascinante, tant sur le plan intellectuel que sur le plan concret. C’est pourquoi il nous faut commencer dans les mois à venir, et avant les élections européennes, à traiter ce sujet dans le dur. Il conviendrait que la Commission européenne consacre davantage de son temps à la reconstruction d’une union politique et monétaire afin d’évaluer quels progrès nous pourrions accomplir ensemble en ces domaines. Si je ne suis pas orthodoxe sur quelque question que ce soit, je pense cependant que la méthodologie que nous avons adoptée, qui implique toute la communauté, est beaucoup plus efficace et performante car elle nous assure que l’Union européenne atteindra ses objectifs et que tous les États, y compris les moins importants par leur taille pourront profiter des bienfaits de cette politique. C’est pourquoi nous poursuivrons dans la voie de la méthodologie communautaire, au détriment de la méthode intergouvernementale franco-allemande, souvent jugée moins efficace et moins performante par les observateurs. Comment d’ailleurs améliorer notre image à l’extérieur de l’Europe lorsque l’on utilise cette méthode ? Le travail que nous effectuons avec le FMI relève de ces domaines et est primordial pour notre efficacité sur le plan international.
Je souhaiterais aussi vous exposer le raisonnement que nous avons tenu lorsque nous avons rédigé nos recommandations à l’attention de la France. Nous savons que les déficits de la sécurité sociale demeureront importants jusqu’en 2020 – représentant 1 % du PIB français – malgré les résultats que permettront d’obtenir les différentes réformes qui ont été appliquées. Dans d’autres pays membres de l’Union européenne, et en particulier dans celui que je connais le mieux, nous avons poursuivi le dialogue social afin d’atteindre nos objectifs en matière de sécurité sociale et de pensions de retraite.
Les marges d’interprétation de nos recommandations sont assez larges, la Commission n’ayant pas adressé d’instructions ni imposé de mesures particulières, laissant au lieu de cela le choix entre plusieurs voies de développement. Je suis tout à fait conscient que les partenaires sociaux doivent partager pleinement ce débat qui relève de la responsabilité du Gouvernement et de son Parlement national. Nos propositions sont d’ailleurs tout à fait sur la même ligne que celles du rapport de Yannick Moreau qui vient d’être publié.
Quant aux cotisations sociales, la Commission européenne estime que dans la mesure où il convient de réduire le coût du travail, surtout en France où il pose des problèmes de compétitivité, un accroissement de leur niveau pour financer le déficit des retraites serait susceptible d’avoir un impact négatif sur la compétitivité et le marché du travail du pays: il doit donc être évité si possible.
Concernant le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), même si nous l’avons pris en compte parmi les mesures fiscales ayant un impact sur les entreprises, nous avons constaté depuis 2010 que l’accroissement du niveau des impôts pesant sur celles-ci en a annihilé les effets. Une telle situation nous paraît relativement inquiétante car c’est cet alourdissement qui explique que, depuis 2000, les entreprises aient perdu de leurs marges et donc réduit leurs investissements en faveur de la compétitivité et de la recherche et le développement.
S’agissant des flux de capitaux servant au financement du football, s’il est vrai que j’ai pris part à la gestion de certaines équipes, je ne suis plus un expert en ces domaines. Il me semble néanmoins que l’UEFA et la FIFA prennent les mesures nécessaires pour assurer que ce type d’investissements ne crée pas de déséquilibres parmi les membres de la famille du football européen. Nous souhaiterions d’ailleurs que cette activité demeure davantage un sport qu’un spectacle. C’est pourquoi j’espère que ce parfum de sport et cet esprit d’équipe seront soutenus à l’avenir. M’étant trouvé en France en juillet 1998 lorsque M. Zinédine Zidane a marqué deux fois contre le Brésil au Stade de France, je ne puis qu’espérer que ce grand événement que je garde en mémoire se répétera dans l’avenir.
Enfin, je pense que les propos de M. le président Barroso ont été mal interprétés et suis témoin de son attachement à la culture française. La Commission européenne travaillera sur la base – et dans le respect – du mandat défini par le Conseil européen la semaine dernière concernant la négociation de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Ces négociations pourraient en effet apporter beaucoup de potentiel économique à l’Europe et à la France, qui disposent d’un grand potentiel culturel et audiovisuel.
La Présidente Danielle Auroi. Nous vous remercions de nous avoir répondu très largement en français car nous ne serions sans doute pas en mesure d’en faire autant dans votre langue maternelle. Nous vous remercions aussi de nous avoir répondu sans langue de bois. Nous aurons l’occasion de vous inviter à nouveau, notamment dans la perspective de notre prochaine table ronde sur le budget de la France, d’autant que vous n’avez pas disposé de suffisamment de temps pour répondre aux questions relatives aux paradis fiscaux et à l’énergie.
La séance est levée à dix-sept heures quinze.
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mardi 18 juin 2013 à 16 h 15
Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Hervé Gaymard, M. Paul Giacobbi, Mme Estelle Grelier, Mme Élisabeth Guigou, M. François Loncle, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. Michel Terrot
Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Laurent Kalinowski, M. Pierre Lellouche, M. Jean-Claude Mignon, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier
Assistaient également à la réunion :
Commission des affaires européennes
Présents. –M. Jean-Jacques Bridey, M. Christophe Caresche, Mme Sandrine Doucet, M. Michel Herbillon, M. Arnaud Leroy, M. Michel Piron, M. Joaquim Pueyo, M. Jean-Louis Roumegas
Commission des finances
M. Dominique Baert, M. Gilles Carrez, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Christian Eckert, M. Alain Fauré, M. Marc Francina, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Dominique Lefebvre, M. Hervé Mariton, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre-Alain Muet, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Thierry Robert, M. Thomas Thévenoud, M. Éric Woerth