Audition, ouverte à la presse et conjointe avec la commission des affaires européennes et la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, de M. Mario Draghi, Président de la Banque centrale européenne, sur la politique monétaire, la situation économique de la zone euro et le développement de l’Union économique et monétaire
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Nous accueillons ce matin M. Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE), que je remercie d’avoir répondu à notre invitation.
Vous êtes accompagné, monsieur le président, de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, et de M. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, que je remercie également de leur présence.
Votre prédécesseur ne s’exprimait jamais devant les parlements nationaux. Vous estimez pour votre part que les traités ne vous l’interdisent pas. Vous vous êtes déjà exprimé au Bundestag en octobre 2012 et devant les Cortès le 12 février dernier.
Nous avons besoin de renforcer la légitimité démocratique des institutions européennes et cela passe aussi par les parlements nationaux.
Le temps qui nous est imparti étant limité, nous sommes convenus de l’organiser comme suit : après moi s’exprimeront le président de la commission des finances, M. Gilles Carrez, puis la présidente de la commission des affaires européennes, Mme Danielle Auroi, et le rapporteur général de la commission des finances, M. Christian Eckert. M. Draghi fera ensuite une intervention, après quoi les députés poseront leurs questions, qui, je le précise, devront être centrées sur la politique monétaire, la situation économique de la zone euro et le développement de l’union économique et monétaire.
Monsieur le président Draghi, dès le début des négociations sur le traité de Maastricht, il a été acquis que l’indépendance de la Banque centrale européenne accompagnerait la création de la monnaie unique. Aux termes du traité, la Banque centrale européenne gère la politique monétaire, notamment les taux d’intérêt, en toute indépendance, mais inscrit aussi son action dans le cadre global de l’union économique et monétaire.
Or, si l’union monétaire s’est réalisée, les dirigeants européens ont été incapables de construire une union économique. La solution aux difficultés que nous rencontrons aujourd'hui ne réside donc pas, de mon point de vue, dans l’affaiblissement de la BCE mais bien dans la mise sur pieds de l’union économique, qui devrait inclure une union budgétaire et bancaire ainsi qu’une harmonisation fiscale et sociale.
Je veux saluer, puisque l’occasion m’en est donnée, le rôle protecteur de l’euro face à la crise financière américaine depuis 2008, puis le rôle stabilisateur que la Banque centrale européenne a joué sous votre direction, grâce à la détermination que vous avez exprimée par vos déclarations et par les interventions de la BCE sur les marchés.
L’institution que vous dirigez a enrichi ses instruments et renforcé l’usage de mesures non conventionnelles. Nous savons à cet égard que le nouveau programme de rachat d’obligations souveraines sur le marché secondaire, dit « OMT » (obligations monétaires sur titres) est contesté devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Cela appelle, je crois, une remarque : on ne saurait admettre qu’un tribunal national, fût-il constitutionnel, interprète les traités et examine leur application par une institution européenne ; cette responsabilité est celle de la Cour de justice de Luxembourg. Nous serions intéressés d’entendre vos observations à ce sujet, monsieur le président.
Après l’accord sur le mécanisme de supervision unique intervenu en décembre dernier et le compromis trouvé au sujet de la recapitalisation directe des banques par le mécanisme européen de stabilité la semaine dernière, une solution semble sur le point d’être trouvée quant au principe d’une résolution unique des défaillances bancaires, qui sera ensuite complété par un système unifié de garantie des dépôts. Ce serait évidemment une avancée remarquable. Comment envisagez-vous le rôle de la Banque centrale européenne dans cette nouvelle architecture de supervision et de résolution des crises ?
Sans doute les questions de mes collègues seront-elles nombreuses au sujet de la croissance, sans laquelle, quels que soient les efforts consentis, nous aurons beaucoup de mal à atteindre nos objectifs. Comment pensez-vous pouvoir stimuler la croissance et faciliter le financement des entreprises ?
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je vous remercie à mon tour d’avoir accepté l’invitation de notre assemblée. Il est très important que le président de la Banque centrale européenne puisse intervenir auprès des parlements nationaux.
Vous avez annoncé en septembre dernier que la Banque centrale européenne interviendrait sur le marché secondaire des dettes publiques. Quelles sont les modalités, les conditions et les limites de ces interventions ? Quelles opérations de cette nature la BCE a-t-elle d’ores et déjà entreprises ?
Par ailleurs, comment envisagez-vous la mise en œuvre de la future directive sur la régulation bancaire et l’organisation des instances de contrôle ? La Banque centrale européenne sera-t-elle l’unique instance européenne de régulation bancaire et de contrôle des règles prudentielles ? Comment articulerez-vous sa mission avec les instances nationales ?
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Je vous remercie moi aussi, monsieur le président, d’être parmi nous aujourd'hui et de bien vouloir répondre à nos questions.
Le rôle de la BCE et la question de l’union bancaire ont été au cœur des débats lors de la récente réunion, à Dublin, de la COSAC (conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires), qui rassemble des représentants du Parlement européen et de chacun des parlements nationaux de l’Union. La question du contrôle démocratique de la BCE a été souvent soulevée. Les parlements nationaux pourront-ils être associés eux aussi à cette démarche de contrôle ?
Beaucoup de PME, parmi lesquelles de nombreuses entreprises innovantes dans le secteur du développement durable, ont difficilement accès au crédit. Quelles sont les pistes pour les aider ? Ne conviendrait-il pas de mettre en place une véritable démarche commune de relance, passant peut-être par un grand plan d’investissement en faveur, notamment, de la transition énergétique, des modes de transport durables et de la lutte contre le changement climatique ? Au-delà des moyens, limités, prévus par le pacte de croissance, quels seraient selon vous les financements possibles d’un tel plan ? Je pense notamment au débat sur la mutualisation progressive de la dette et sur les euro-obligations.
M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je remercie le président Draghi de sa présence. Je voudrais lui poser cinq questions.
Premièrement, les mesures conventionnelles déjà prises, telles que le rachat de dette publique des États périphériques ou le rachat de dettes d’État, ne peuvent-elles pas être étendues, en particulier pour faciliter le financement des PME des État périphériques, dont certaines sont en situation de pénurie de crédit ?
Deuxièmement, que pensez-vous de la politique monétaire « accommodante » décidée par le Japon pour éviter la déflation ?
Troisièmement, comment envisagez-vous l’articulation entre le régulateur européen et les autorités nationales existantes, comme l’Autorité de contrôle prudentiel en France ?
Quatrièmement, comment évaluez-vous l’état du système bancaire français et européen, s’agissant en particulier de la sous-capitalisation évoquée par certains ?
Enfin, quel est votre avis sur la possibilité et sur l’opportunité non seulement de mutualiser les dettes européennes, mais aussi d’emprunter pour l’Union européenne ?
M. Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne. Je vous remercie infiniment de m'avoir invité à prendre la parole devant votre illustre assemblée.
En tant que président de la Banque centrale européenne, c'est un grand honneur pour moi de m'exprimer devant les représentants d’une nation qui a tant fait pour promouvoir la cause de l'intégration européenne.
Il y a exactement trois cents ans, en 1713, l'abbé de Saint-Pierre présentait son Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, l'une des premières visions d'une union entre les nations européennes.
Cette idée est devenue réalité, et nous le devons, pour une large part, à des générations de penseurs et de précurseurs français. Je pourrais citer Jean-Jacques Rousseau, Victor Hugo ou Aristide Briand. Le mérite en revient également aux bâtisseurs de l'Union européenne moderne que sont par exemple Robert Schuman, Jean Monnet, Jacques Delors. Je veux aussi saluer le rôle de mon prédécesseur Jean-Claude Trichet.
En d'autres termes, ce pays a joué un rôle capital dans la construction d'une Europe pacifique, ouverte et unie, celle que nous connaissons aujourd'hui.
Toutefois, comme vous le savez, l’Union européenne et la zone euro en particulier doivent trouver des réponses à des questions importantes concernant leur avenir. Elles ont besoin d'un nouveau consensus sur la manière d'aller de l'avant.
Je suis convaincu que la France jouera de nouveau un rôle essentiel dans ce processus.
Mes remarques introductives porteront sur trois thèmes : la politique monétaire de la BCE, la croissance et l'ajustement dans la zone euro, et les progrès accomplis dans la voie du renforcement de l'union économique et monétaire.
Je m'exprime ici aujourd'hui pour exposer le point de vue de la BCE, mais aussi pour écouter et pour apprendre. J'attends avec intérêt vos opinions ainsi que vos questions.
Je commence donc par évoquer l'action de la BCE dans le domaine de la politique monétaire.
Le mandat de la BCE consiste à maintenir la stabilité des prix, qui est essentielle pour conforter la croissance à long terme, préserver le pouvoir d'achat des citoyens de la zone euro et maintenir durablement un niveau d'emploi élevé. Afin d'accomplir notre mission, la BCE a fait beaucoup pour soutenir l'économie de la zone euro.
Premièrement, nous avons réduit notre principal taux d'intérêt pour le ramener au niveau historiquement bas de 0,5 %.
Deuxièmement, nous avons mis en œuvre une série de mesures visant à ce que les banques puissent répercuter ces faibles taux d'intérêt sur le crédit au sein de l'économie réelle.
Dans le cadre de ces mesures, nous permettons aux banques d'emprunter auprès de la BCE toute la liquidité dont elles ont besoin, nous avons élargi la gamme des garanties qu'elles peuvent mobiliser pour accéder à cette liquidité, nous sommes intervenus sur les marchés obligataires pour remédier à leur dysfonctionnement, par exemple celui de la dette souveraine ou celui des obligations sécurisées, et nous avons lancé deux opérations de refinancement à plus long terme d'une durée de trois ans, qui ont permis d'injecter plus de 1 000 milliards d'euros dans le système bancaire de la zone euro.
Au total, notre bilan est passé d'un peu moins de 1 500 milliards d'euros avant la crise à plus de 3 000 milliards d'euros à son plus haut.
Notre action est ciblée essentiellement sur les banques, car les prêts bancaires constituent, dans la zone euro, le canal principal par lequel les entreprises et les ménages accèdent aux financements.
Environ les trois quarts du financement externe des entreprises sont fournis par le secteur bancaire, contre seulement un quart à peu près aux États-Unis. Dès lors, il est essentiel de soutenir le système bancaire pour conforter la croissance dans la zone euro – et pour remplir notre mandat, qui consiste à maintenir la stabilité des prix.
Plus récemment, la BCE a agi pour dissiper les craintes infondées concernant l'intégrité future de notre union monétaire. Ces craintes engendraient de graves turbulences sur les marchés financiers et empêchaient les pays qui en avaient le plus besoin de bénéficier de nos taux d'intérêt bas.
Nous avons observé dans ces pays un risque de rationnement généralisé du crédit. Les questions qui se posaient concernant la soutenabilité budgétaire et la défiance croissante des marchés commençaient à avoir un effet de contagion sur les secteurs bancaires nationaux. Cette évolution aurait eu de graves répercussions sur la croissance et l'emploi.
En effet, les investisseurs ont soudainement douté que la zone euro puisse continuer à exister dans la composition qu'elle avait alors. La perspective du non-remboursement en euros des créances détenues sur les gouvernements et sociétés privées de plusieurs pays gagnait du terrain.
Nous avons réagi en mettant en place le programme des opérations monétaires sur titres (OMT), qui prévoyait a priori des interventions illimitées sur les marchés de la dette souveraine. L'annonce du programme des OMT a permis de rétablir le bon fonctionnement du marché et de restaurer la confiance dans la zone euro.
C'est ainsi que, depuis cette annonce, les marchés obligataires sont plus stables, apportant la discipline sans avoir d'effets destructeurs. Les écarts de rendement souverain à long terme de l'Espagne, de l'Italie et de l'Irlande ont enregistré un recul compris entre 150 et 250 points de base, le repli ayant même atteint près de 500 points de base pour le Portugal.
Cette diminution a permis de réduire la fragmentation des marchés financiers au sein de la zone euro, comme en témoigne le meilleur indicateur dont nous disposons, à savoir le niveau des soldes TARGET (système de transfert express automatisé transeuropéen à règlement brut en temps réel), qui ont baissé de 285 milliards d'euros, soit 25 %, par rapport au point le plus haut atteint l'année dernière. La France, à l'instar des autres pays de la zone euro, a largement profité de cette stabilisation.
En bref, la BCE a été très active dans sa réponse à la crise. Nous avons mis en place une ligne de défense solide pour préserver la stabilité de notre union monétaire et, par conséquent, de notre monnaie. Et nous sommes prêts à agir de nouveau en cas de nécessité.
Toutefois, il est important d’avoir conscience que les résultats que peut obtenir la politique monétaire ne sont pas sans limites. Ce n'est pas dans l'étendue de notre mandat qu'il faut en chercher la raison. Fondamentalement, il recouvre les mêmes missions que celles qui sont confiées à d'autres institutions.
Cette situation est parfaitement illustrée par la pénurie actuelle de crédit affectant de nombreux ménages et petites et moyennes entreprises. La fourniture de crédit présuppose des financements, des capitaux et une évaluation positive du risque. La banque centrale peut contribuer à assurer les financements et à éliminer le risque macroéconomique. Mais elle ne peut fournir les capitaux ni influencer l'évaluation par les banques de la solvabilité des emprunteurs.
De même, la politique monétaire ne peut créer de la croissance au sein de l'économie réelle. Lorsque la croissance se tasse du fait d'une production insuffisante ou d'une érosion de la compétitivité des entreprises, la banque centrale n'a pas la capacité de résoudre le problème.
Pourtant, la zone euro a besoin d'une croissance durable.
À l'heure actuelle, plus de 19 millions de personnes sont au chômage dans la zone euro. Presque un quart des jeunes se trouvent actuellement sans emploi. Des niveaux de chômage aussi élevés sont une tragédie.
En outre, lorsque l'activité économique est faible, le nombre de contribuables diminue et les recettes fiscales baissent. Cette évolution pèse sur les finances publiques et, en fin de compte, sur notre modèle social.
Comment l'Europe peut-elle obtenir la croissance dont elle a besoin ?
Par le passé, certains pays de la zone euro ont recouru à l'endettement pour soutenir la croissance et financer leur modèle social. Mais cette orientation les place dans une situation difficile aujourd'hui. Ils doivent faire face à une dette publique élevée, alors que la croissance n'a cessé de diminuer.
Par exemple, dans ce pays, la dette publique est passée de quelque 20 % du PIB en 1980 à plus de 90 % à l'heure actuelle. Dans le même temps, la croissance annuelle du PIB s’est élevée en moyenne à 2,3 % dans les années 1980, à 1,9 % dans les années 1990 et à 1,8 % dans les années 2000 jusqu'à la crise. Depuis cette crise, elle est à peu près nulle.
Ce constat conduit à penser que les pays de la zone euro doivent adopter une nouvelle stratégie susceptible de créer de la croissance et des emplois, de soutenir les modèles sociaux, sans faire peser une charge de la dette insoutenable sur les générations futures.
À mon avis, il convient d'apporter deux réponses complémentaires.
La première consiste à faire en sorte que l'assainissement budgétaire, qui est nécessaire pour maîtriser les niveaux d'endettement, soit autant que possible propice à la croissance.
À titre d'exemple, une stratégie d'assainissement budgétaire moins largement fondée sur des relèvements de la fiscalité permettrait de conforter le revenu disponible des citoyens. Accorder la priorité à l'investissement en capital de préférence à certaines dépenses courantes favoriserait la mise en place des fondements de la croissance future.
Des réformes budgétaires structurelles, portant par exemple sur les systèmes de retraite, permettraient également de conforter la soutenabilité budgétaire, sans exercer à présent d'effets négatifs sur l'économie.
La deuxième réponse consiste à accroître la compétitivité et la capacité productive structurelle de nos économies.
Dans ce domaine, il convient de mettre en œuvre des réformes ciblées sur la structure de l'économie. Il s'agit notamment de réduire les barrières à l'entrée pour les nouvelles entreprises et les jeunes, et de lever les obstacles entravant l'activité économique, tels que la complexité des lois fiscales et du droit du travail ou les réglementations qui sont source de distorsions.
Réformer le marché du travail est aussi essentiel pour créer le plus possible d'opportunités d'emploi.
Nous observons déjà des progrès en ce qui concerne le rééquilibrage de la zone euro. Les coûts unitaires de main-d'œuvre baissent dans les pays où ils avaient enregistré une hausse excessive, les déficits des balances des paiements courants se réduisent dans les économies où les déséquilibres avaient été importants dans le passé, et la croissance des exportations s'accélère généralement dans les pays en difficulté.
Toutefois, dans bon nombre de pays de la zone euro, l'écart entre les salaires et la productivité demeure incompatible avec la compétitivité. Afin d'accroître l'emploi, il convient de réduire cet écart et de recourir aux nombreux leviers de la politique économique qui peuvent y contribuer. La réforme des systèmes d'emploi à deux niveaux protégeant les salariés pourvus d'un emploi stable et nuisant aux salariés précaires et aux demandeurs d'emploi est l'un de ces leviers.
N'oublions pas que ce sont souvent les jeunes qui pâtissent le plus du manque de réformes sur les marchés du travail, comme en témoigne le niveau très élevé du chômage qui les touche actuellement. À cet égard, je me félicite de l'initiative prise conjointement par les ministres français et allemand du travail pour apporter des solutions dans ce domaine.
Cette constatation met en évidence un aspect important des réformes : en restaurant la compétitivité et en créant des opportunités pour un plus grand nombre de personnes, elles profitent à la majorité, pas à quelques-uns. Elles sont l'expression de la solidarité entre les citoyens. La solidarité entre les pays est également importante, mais elle n'aurait aucun sens en l'absence de solidarité au sein des pays.
Quel peut être le rôle de la zone euro en tant que telle en faveur de la croissance et de la stabilité en Europe ?
Cette question est aujourd'hui au cœur de la réflexion des gouvernements. Ils s'interrogent sur les failles que contenait l'architecture originelle de l'Union économique et monétaire. Quelles responsabilités convient-il de partager au niveau européen et quels sont les enjeux devant rester du ressort national pour que cette union fonctionne ?
À mes yeux, ce débat doit être guidé par une seule préoccupation : comment protéger au mieux les intérêts fondamentaux des citoyens de la zone euro ? Et lorsque la réponse appelle des transferts de souveraineté, il faut y consentir sans hésitation.
L'union bancaire est un exemple patent.
L'union bancaire est essentielle pour trois raisons au moins. D’abord pour pérenniser les progrès accomplis dans la voie du retour vers l'intégration des marchés financiers. Ensuite pour stabiliser les conditions financières tant dans les pays clés que dans les pays de la périphérie de la zone euro. Enfin pour restaurer l'unicité de notre union monétaire.
Elle comporte deux éléments indispensables : un mécanisme de surveillance unique (MSU) robuste et un mécanisme de résolution unique (MRU) solide.
Un système robuste de surveillance commune est crucial pour renforcer la confiance dans la solidité des banques de la zone euro, qui a pâti des défaillances de la surveillance par le passé. Des progrès ont déjà été accomplis dans ce domaine, et les missions de supervision seront confiées à l'autorité de surveillance unique un an après l'adoption de la législation.
Mais pour que la surveillance commune soit crédible, elle doit être complétée par un dispositif permettant d'assurer la liquidation des banques défaillantes sans engendrer d'instabilité financière. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin d'un mécanisme de résolution unique. Et il est nécessaire de lui donner une puissante dimension européenne afin qu'il puisse s'occuper efficacement des grandes banques internationales.
Une union plus forte est toutefois indispensable au-delà de l'union bancaire. À terme, un rapprochement doit s'opérer entre les pays de la zone euro dans tous les domaines de la politique économique.
L'appel lancé récemment par le Président français et la Chancelière allemande en faveur d'une union économique plus étroite témoigne que ce message a bien été entendu. Mais il est important de mettre la forme en plein accord avec le fond. Je considère qu'une véritable union économique a une triple signification.
Premièrement, chaque pays veille à ce que son économie nationale fonctionne correctement, sans déséquilibres externes et sans chômage élevé. Une union économique forte passe par des économies nationales fortes.
Deuxièmement, elle implique certains transferts de souveraineté au niveau européen, les pays acceptant les décisions prises pour le bien de la zone euro dans son ensemble, même si, parfois, un ou plusieurs d'entre eux peuvent être en désaccord.
Troisièmement, les mêmes règles s'appliquent à l'ensemble des membres de l'union monétaire. Ce n'est pas seulement une question de justice entre les pays, il s'agit aussi d'une condition préalable à l'approfondissement de l'intégration. Une union fondée sur une solidarité mutuelle peut être envisagée seulement s'il est certain que chaque membre respecte les règles.
Pour toutes ces raisons, une union économique plus étroite présuppose un renforcement concomitant de l'union politique. Une extension des pouvoirs au niveau européen doit être contrebalancée par une plus grande légitimité démocratique. À cet égard, tant le Parlement européen que les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer.
Comme Herman van Rompuy l'a rappelé, les parlements nationaux sont devenus des institutions de l'Union européenne.
J’en viens à ma conclusion.
La zone euro a réalisé de grandes avancées ces dernières années, mais elle doit encore relever de nombreux défis. Pour ce faire, il appartient aux gouvernements nationaux et aux institutions européennes de travailler de concert.
La BCE fait tout ce qui est en son pouvoir pour stabiliser les marchés et soutenir l'économie. À présent, c'est aux gouvernements et aux parlements de tout mettre en œuvre pour rehausser la croissance potentielle, renforcer la compétitivité et construire une union économique et monétaire plus forte et plus stable.
En 1871, Victor Hugo lançait, devant cette Assemblée, un appel en faveur de la création d'États-Unis d'Europe. La France peut, aujourd'hui, montrer la même ambition et contribuer à ce que la zone euro franchisse un nouveau cap.
M. le président Gilles Carrez. Dans un premier temps, je vais donner la parole à un orateur de chaque groupe.
M. Jean Glavany. L’indépendance de la BCE est issue, on le sait, d’un compromis. Nous sommes quelques-uns ici à pouvoir témoigner des dialogues entre François Mitterrand et Helmut Kohl dans les années 1980. La création volontariste de la monnaie unique soutenue par François Mitterrand n’a été obtenue qu’à la condition de l’indépendance de la banque centrale fixée par Helmut Kohl.
À l’heure de l’émergence souhaitable d’une gouvernance économique renforcée, comment envisagez-vous cette indépendance ? S’agira-t-il d’une indépendance-dialogue, d’une indépendance-coopération, d’une indépendance-partenariat ? C’est un sujet majeur : comme vous l’indiquiez dans votre propos liminaire, l’indépendance à l’égard des institutions politiques est une question de légitimité démocratique.
Les missions de la BCE sont définies sur une base purement monétaire et financière. Elles ne comprennent pas, sur le papier du moins, la croissance et l’emploi, objectifs que de dangereux révolutionnaires comme Clinton ou Stiglitz avaient inscrits dans les missions de la Réserve fédérale. Dans cette période de crise économique et de chômage massif, comment vivez-vous ce « corset » statutaire ? Vous semble-t-il envisageable et souhaitable de le transformer ?
M. Axel Poniatowski. Vous l’avez dit, la relance des économies de la zone euro est un objectif fondamental. Depuis six ou sept ans maintenant, la Réserve fédérale et la BCE n’ont pas ménagé leurs efforts de créativité et d’imagination en faveur de cette relance. Mais il existe une différence fondamentale : alors que la Réserve fédérale a acheté des quantités considérables d’obligations du Trésor et de créances hypothécaires et a peu prêté aux banques, la BCE a fait exactement le contraire puisqu’elle a essentiellement prêté aux banques. Vous l’avez vous-même déploré : ces injections considérables de liquidités n’ont pas produit d’effets sur l’économie réelle puisque les banques européennes ont pour l’essentiel augmenté leurs réserves et peu accordé de crédit. Que comptez-vous faire pour mieux alimenter l’économie réelle de la zone euro ?
M. Michel Piron. Pourriez-vous faire le point sur les accords et les désaccords au sein de l’Union européenne concernant le degré de précision de la surveillance qu’exercera le mécanisme de supervision unique ? Je pense en particulier aux réticences des Allemands quant à la supervision de leurs caisses d’épargne.
Par ailleurs, estimez-vous que les parlements nationaux doivent jouer un rôle – et, le cas échéant, lequel – vis-à-vis de la Banque centrale européenne lorsque celle-ci exerce sa mission de superviseur ?
Le mécanisme de résolution bancaire donne également lieu à des blocages, parfois institutionnels. Où en est-on sur ce point ?
M. Éric Alauzet. Je tiens à vous féliciter pour votre initiative de l’automne dernier : en décidant de couvrir les dettes souveraines, la BCE a sans doute sonné la fin du désordre.
Cependant, pour de nombreux Français, la politique de la BCE semble trop centrée sur le seul critère de l’inflation, ce qui n’est pas le cas des banques centrales des continents nord-américain et asiatique, pour lesquelles la question cruciale de l’emploi joue un rôle important. Quelle analyse comparée faites-vous des politiques des différentes banques centrales ?
Par ailleurs, quelle doit être, selon vous, la contribution respective des contribuables, des petits déposants et des déposants de rang supérieur – notamment les créanciers seniors – en cas de crise dans l’Union européenne ?
M. Alain Bocquet. Que pense la BCE de l’immense problème de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux, qui se traduit en Europe par une perte de 1 000 milliards d’euros, soit l’équivalent d’une année budgétaire ? Quelles actions mène-t-elle dans ce domaine ?
Ma deuxième remarque a trait à l’harmonisation fiscale. L’Union européenne et la BCE ont volé au secours des banques irlandaises sans obtenir aucune contrepartie, puisque le taux d’imposition des sociétés dans ce pays est resté à 12 %, contribuant à cette distorsion que vous évoquiez entre les pays de l’Union.
M. Gérard Charasse. Les politiques que vous avez entreprises à la tête de la BCE pour retrouver la confiance des marchés semblent porter leurs fruits : fonds d’intervention et union bancaire ont été les figures de proue d’une Europe plus solidaire et plus forte. Hier encore, à Berlin, vous avez soutenu que, grâce à votre programme d’opérations monétaires sur titres, la zone euro était un lieu d’investissement plus stable et flexible.
Néanmoins, ces mesures, jumelées avec la cure d’austérité voulue par Bruxelles, ne laissent entrevoir aucune croissance potentielle de nos pays. Dans son rapport annuel, l’OCDE a revu à la baisse les prévisions de réduction du PIB européen, de 0,1 % en novembre 2012 à -0,6 % en mai 2013. L’inflation, maintenue à 1,4 % à la fin de ce semestre, ne garantit pas la hausse escomptée des salaires, tandis que le taux de chômage de la zone euro atteint le niveau historique de 12,2 %.
La quête inexorable de gains de productivité sans politique conjoncturelle accommodante pour les investissements et l’accès au crédit des PME ne peut qu’engendrer des coûts sociaux considérables qui pourraient se traduire par une crise morale et politique.
Dans le reste du monde, les politiques monétaires volontaristes menées par la Banque du Japon ou par la Réserve fédérale américaine en faveur de l’emploi permettent à ces pays un réel redémarrage de leur activité.
Au regard de la situation économique de la zone euros, quelles mesures concrètes s’imposent pour retrouver des perspectives de croissance positive ?
M. Mario Draghi. De nombreuses questions portent sur l’atonie de la croissance. Sans aucun doute, la faiblesse constatée l’année dernière s’est prolongée en 2013. Dans son scénario, la BCE envisage une reprise graduelle pour la fin de l’année. Cette reprise viendra de nos exportations, d’une politique monétaire accommodante, de la baisse des prix de l’énergie et de la faible inflation que nous prévoyons pour 2013 et 2014. Dans certains cas, elle sera liée aux premiers bénéfices de la mise en œuvre de différentes réformes. L’année prochaine, le ralentissement du rythme de la consolidation fiscale devrait également la favoriser.
La politique de la BCE a été accommodante par le passé, elle l’est aujourd'hui et elle le restera dans l’avenir prévisible. Comme l’a dit également Benoît Cœuré il y a quelques jours, la sortie de cette orientation de politique monétaire est encore lointaine. Nous sommes ouverts à l’utilisation de tous les instruments que nous considérons comme appropriés car les flux de crédit demeurent faibles.
Nous constatons néanmoins que la « fragmentation » – c'est-à-dire l’écart entre les conditions financières des différents pays – s’est atténuée par rapport à l’année dernière. Le programme OMT y est sans aucun doute pour quelque chose.
La fragmentation concerne le financement d’une part, le crédit d’autre part.
À un moment de l’année dernière, certaines banques ne pouvaient pas s’autofinancer. Les conditions de financement étaient très différentes en coût et en quantité selon les pays de la zone euro. À bien des égards, cette situation a trouvé une résolution. Les coûts de financement ont convergé, particulièrement en ce qui concerne les dépôts – sachant que plus les dépôts divergent selon les pays, plus la fragmentation pose de problèmes –, si bien que la divergence a presque disparu.
En matière de crédit, en revanche, nous n’observons pas les mêmes évolutions positives. Le flux de crédit reste faible en direction des ménages et plus encore en direction des PME.
En l’espèce, quelle peut être l’action de la BCE ?
Il peut y avoir trois raisons pour lesquelles les banques ne prêtent pas.
D’abord un manque de fonds. C’était une menace sérieuse en 2011 et 2012. Nous avons relevé le défi et surmonté ce risque.
Ensuite un manque de capitaux. Concernant ce risque, il y a relativement peu de choses que nous puissions faire : la solution dépend des banques elles-mêmes, de leurs actionnaires et des États. Il faut pouvoir établir de façon transparente quel est l’état de santé réel des banques au travers de leurs bilans.
Enfin l’aversion au risque. Les banques peuvent craindre le risque macroéconomique. L’année dernière, par exemple, certains ont pensé que l’euro pourrait éclater. Nous avons répondu à cette menace par notre politique monétaire, comme il nous incombe de le faire. Les banques peuvent également craindre que le client ne rembourse pas son crédit. Nous ne pouvons remédier à ce risque microéconomique : cela n’est pas de notre ressort.
Certains intervenants ont établi des comparaisons entre la BCE et la Réserve fédérale ou la Banque du Japon. Je n’ai pas de commentaires à faire sur d’autres banques centrales mais il est clair que l’objectif principal de notre mandat tel qu’il a été défini par le traité est le maintien de la stabilité des prix, en contrecarrant les pressions à la hausse comme les pressions à la baisse.
Mais nous avons d’autres caractéristiques qui nous différencient des États-Unis en particulier. Dans la zone euro, par exemple, les trois quarts de l’intermédiation de crédit passent par les banques, alors qu’aux États-Unis les trois quarts de cette intermédiation passent par les marchés de capitaux. C’est pourquoi nous devons travailler avec les banques alors que la Réserve fédérale travaille essentiellement via les marchés de capitaux.
Quant au programme OMT, il a permis d’obtenir les résultats escomptés sans que nous ayons à dépenser un euro en rachat d’obligations d’État. Le succès de cette politique montre aussi à quel point les peurs quant à l’explosion potentielle de l’euro étaient injustifiées et spéculatives. Cela étant, la bulle que nous avons fait éclater à l’époque faisait peser de lourdes menaces sur l’économie et la croissance de la zone euro.
Le programme OMT est précisément conçu pour la partie de l’écart de crédit que provoque la crainte infondée d’un risque systémique de l’euro. Il a montré son efficacité pour bloquer la spéculation et peut être activé dès que le besoin s’en fait sentir. En contrepartie, les pays qui demandent son activation signent un programme avec le Mécanisme européen de stabilité et le Fonds monétaire international.
Le programme concerne les émissions obligataires de court terme – jusqu’à trois ans – et sa mise en œuvre doit respecter une transparence totale. Toutes les données relatives à l’identité des détenteurs, à la nature de ce qui est acheté et à la maturité des crédits doivent être communiquées aux marchés.
Pour le reste, il est évident que la BCE relève de la juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne. J’ai toute confiance dans la capacité des juges de la Cour constitutionnelle allemande d’examiner avec indépendance et équité tous les arguments qui lui ont été soumis au sujet du programme OMT et de la BCE.
J’en viens à la question de l’union bancaire.
Il est important pour la reprise que le flux de crédit s’accentue. Et, pour que le crédit circule, nous devons être certains que nos banques fonctionnent correctement. À cet effet, et avant de devenir le superviseur de la zone euro, la BCE va entreprendre une revue de la qualité des actifs, c'est-à-dire une revue des bilans des principales banques qui seront soumises au mécanisme unique de supervision. Cet examen concernera quelque 130 établissements représentant 80 à 85 % du crédit dans la zone euro. Pour qu’il soit crédible, il faut y associer non seulement la BCE et les superviseurs nationaux, mais aussi des superviseurs de pays hors zone euro et certains acteurs du secteur privé.
À titre personnel, je pense que, dans l’ensemble, il ne révélera pas de faille fondamentale, tant les superviseurs de la zone euro – particulièrement en France – ont démontré leur exceptionnelle qualité pendant la crise. N’oublions pas que la crise n’est pas née dans la zone euro. Dans la grande majorité des cas, ce ne sont pas nos banques qui ont fabriqué les produits toxiques. La détérioration du crédit et, partant, celle de la qualité des bilans des clients des banques est due en grande partie à la une récession particulièrement longue.
Concernant le mécanisme de supervision unique (MSU), la BCE travaille activement à différents chantiers. Je préside un groupe de haut niveau de contrôleurs nationaux. Un manuel de contrôle et de supervision est en cours d’achèvement. Les superviseurs nationaux font preuve d’un désir de travailler ensemble qui me réconforte. Au lieu d’être sur la défensive et de tenter de protéger leurs savoir-faire et leurs traditions, ils ont la volonté de les partager, ce qui est essentiel au fonctionnement de la nouvelle structure. La supervision n’est pas un gâteau que l’on couperait en tranches, les trois quarts revenant à Francfort et quelques miettes étant laissées aux superviseurs nationaux : nous travaillerons avec ces derniers pour la bonne et simple raison que ce sont eux qui détiennent le savoir-faire. La BCE accédera à ce savoir-faire à travers eux et avec eux.
Le MSU fait encore l’objet d’un échange de vues avec le Parlement européen, notamment au sujet de la redevabilité démocratique. Je répète que la BCE est disposée à adopter les règles les plus exigeantes en la matière. J’espère que le vote final du Parlement interviendra dans les meilleurs délais car, tant que le processus politique n’est pas arrivé à son terme, nous ne pouvons mettre en place ce dispositif extrêmement important. À cet égard, nous attendons avec impatience le résultat des discussions du Conseil pour les affaires économiques et financières qui se réunit actuellement.
Il faut garder à l’esprit une distinction fondamentale s’agissant de ce mécanisme.
Pour les banques en liquidation – gone concern –, la seule action que nous souhaitons est la résolution. Dans ce cas, la question qui se pose est celle du pecking order : dans quel ordre les actionnaires et les créanciers seront-ils payés ? Les États-Unis disposent dans ce domaine d’un système qui a fait ses preuves, le mécanisme de résolution unique de la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation). Il n’est donc nul besoin, selon moi, de réinventer la roue : je crois possible de reprendre certaines parties du dispositif en les adaptant aux spécificités de la zone euro. C’est la voie que la Commission et le conseil ECOFIN semblent privilégier. Il faut ensuite déterminer à partir de quand on décide d’utiliser de l’argent public dans le processus de résolution. Enfin, les juridictions nationales doivent-elles avoir une certaine latitude pour décider de la façon dont chaque catégorie de créancier doit être payée et de l’emploi de l’argent public ? Je crois que, dans ces cas de gone concern, cette flexibilité doit être réduite au minimum. Il n’y en a aucune aux États-Unis et l’on n’a recours à l’argent public qu’en cas de risque systémique, lorsque l’on craint que la résolution d’une banque ne produise une réaction en chaîne. Ce cas de figure nécessite une majorité qualifiée.
Il en va tout autrement pour les banques dont le capital est insuffisant mais qui, pour le reste, sont viables – going concern. Peut-être en identifierons-nous au cours de notre revue de la qualité des actifs. Pour ces banques, la procédure ne différera pas de ce qui se pratique aujourd'hui : les superviseurs nationaux et la BCE examineront les solutions possibles – appel aux actionnaires, vente d’une partie de l’établissement, fusion, etc. Mais contrairement à aujourd'hui, la réaction des superviseurs, souvent complexe et délicate, se déroulera dans un environnement financier bien ordonné.
Je terminerai par l’évasion fiscale. À un moment où nous demandons des sacrifices à tous, en particulier aux plus faibles, à un moment où nous demandons des changements de mode de vie au nom de la flexibilité, à un moment où nous révisons en profondeur un modèle social dont nous nous apercevons qu’il ne peut être éternellement fondé sur la création de dettes, c’est une lutte qu’il faut mener à tout prix et gagner. Aucune complaisance n’est possible sur ce terrain-là.
M. Christophe Caresche. Le programme OMT, que beaucoup ici ont salué, fait l’objet d’une contestation devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Une décision négative de la Cour pourrait-elle le remettre en cause ?
S’agissant de l’union bancaire et de la supervision, l’« opération vérité » que la BCE conduira dans les mois à venir est utile et nécessaire. Cela étant, l’éventualité de la recapitalisation des banques par le Mécanisme européen de stabilité met-elle les États européens dans une bonne situation pour faire face à cette échéance ?
Où en est la coopération entre la Banque centrale européenne et la Banque européenne d’investissement pour apporter des financements aux PME qui ne trouvent plus de crédit ?
Ma dernière question est un peu provocatrice : le cours de l’euro est-il trop élevé ?
M. Pierre Lellouche. À l’heure où les taux d’intérêt remontent, notamment aux États-Unis, et où la récession et le chômage de masse s’installent en Europe, voyez-vous une lumière au bout du tunnel ?
Vous avez souligné avec franchise que la BCE a fait le maximum mais que la question de la croissance relève des gouvernements : la consolidation fiscale, c'est-à-dire la remise en ordre des dettes publiques, doit se faire sans trop compromettre la croissance, et il faut travailler à l’amélioration de la compétitivité. Or c’est sur ces deux sujets de politique économique que la fragmentation dont vous avez parlé ne cesse de s’aggraver entre les pays européens. Il y a ceux qui, grâce aux réformes qu’ils ont accomplies, sont en équilibre budgétaire et en excédent commercial et retrouvent le plein-emploi. Au contraire, ceux qui ne font pas les réformes voient la récession s'aggraver en même temps que le chômage et les déficits. Jusqu'où un tel divorce entre les politiques économiques pourra-t-il se poursuivre sans remettre en question l'unité de la politique monétaire ? N'assistons-nous pas à une fragmentation de facto de la zone euro et à la recréation, au nord de l'Europe, d'une sorte de zone deutschemark qui ne dirait pas son nom ?
Mme Valérie Rabault. Vous avez rappelé que la BCE ne rachetait pas d'actifs, contrairement à la banque centrale américaine, et que vous alliez prêter aux banques. En ce moment, on assiste à des remboursements d’opérations de refinancement à long terme (LTRO). Dans quelles proportions ces remboursements se font-il ? Est-ce un signe d'amélioration du marché interbancaire ?
Par ailleurs, quel serait l'effet d'une renégociation de la dette grecque sur le bilan de la BCE, étant donné que celui-ci comprend des obligations de ce pays ?
S'agissant du système TARGET 2, on a assisté à une divergence entre les pays au cours de l'année 2011 puis à une convergence. Craignez-vous une nouvelle divergence ?
Quelles conséquences globales aura la diminution, voire l'arrêt, des rachats de la banque centrale américaine ?
En ce qui concerne enfin le repo, comment voyez-vous le partage de cet outil entre les hedge funds et les banques centrales, qui en sont tous deux utilisateurs ?
M. Xavier Bertrand. Ce sont d'abord les réformes structurelles qui favorisent la croissance et l'emploi, avez-vous dit, et nous sommes nombreux à partager cette idée. Vous avez rappelé la nature de votre mandat, on peut aussi mentionner la déclaration ad article 126 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : « L'Union vise à parvenir à une croissance économique équilibrée et à la stabilité des prix. » Compte tenu de son mandat actuel, la BCE peut-elle faire davantage pour la croissance et l'emploi ?
D'autre part, le taux d'inflation actuel dans la zone euro n'est-il pas en dessous de ce que vous pouvez accepter ? Une autre politique n'est-elle pas possible dans le cadre de votre mandat ?
Ne conviendrait-il pas d'envisager, si d'aventure les politiques des autres banques centrales étaient couronnées de succès – notamment la politique monétaire japonaise –, de changer le mandat de la BCE ? Force est de constater que la croissance et le plein-emploi qui, selon ce que l'on pensait en 1991-1992, devaient résulter de la stabilité des prix ne sont pas au rendez-vous !
Le mandat de stabilisation des prix est aujourd'hui soumis à l'épreuve des faits. Vous l'avez d'ailleurs souligné vous-même en employant des mots très durs à propos du niveau de chômage. Le mandat actuel permet-il d'agir ou faut-il le modifier ?
M. Gaby Charroux. Pour la quatrième fois depuis votre entrée en fonctions, la Banque centrale européenne a abaissé son taux directeur, atteignant le mois dernier un plancher historique de 0,5 %. Mais elle a beau réduire ses taux et abreuver les banques en liquidités, cet argent ne parvient pas aux entreprises – aux PME en particulier – et aux ménages, qui continuent d'assumer des charges exorbitantes sur les emprunts qu'ils contractent.
Pour remédier à l'assèchement du crédit, la BCE pourrait refinancer directement les crédits pour les investissements matériels et de recherche des PME à des taux très bas lorsqu'ils sont créateurs d'emploi. Nous suggérons également le rachat de titres de dette publique qu'émettraient les États en vue de créer un fonds social, solidaire et écologique pour le développement des services publics et le soutien à la transition écologique, un fonds dont la répartition entre les pays se ferait démocratiquement, après examen de leurs besoins respectifs. Que pensez-vous de ces deux suggestions ?
M. Nicolas Dupont-Aignan. La zone euro, dites-vous, a permis de grandes avancées. Sans doute est-ce de l’humour, tant le bilan est accablant : notre croissance est la plus faible du monde ; le nombre des chômeurs de la zone euro s’est accru de 3 millions depuis 2009 tandis qu’aux États-Unis il reculait de 3 millions ; pis, la divergence des économies en vient à poser un problème grave entre la France et l’Allemagne.
La raison de ces difficultés, c’est bien sûr la valeur trop élevée de l’euro – les politiques américaine ou japonaise réussissent bien mieux – mais aussi un problème structurel que personne ne veut reconnaître : on a plaqué une monnaie unique sur des économies aux compétitivités et aux démographies différentes.
D’une certaine manière, vous avez reconnu l’impasse en indiquant que vous avez résolu le problème de liquidité mais que vous n’avez pas réglé – parce que vous ne le pouvez pas – le problème de solvabilité et de différence de compétitivité. Vous proposez une fuite en avant qui a déjà échoué. Les réformes structurelles se révèlent catastrophiques dans les pays du Sud, elles nourrissent des mouvements protestataires forts et aboutissent à une impasse que reconnaît le FMI.
Ce furent la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, c’est maintenant la France. Dans votre incroyable fuite en avant supranationale et autoritaire, vous rendez-vous compte à quel point l’échec économique et social de la zone euro est en train de faire détester l’idée même de l’Union européenne, qui devait reposer sur le progrès et le respect des peuples ?
Cette politique n’est pas le seul fait de la Banque centrale, qui a, pour ainsi dire, sauvé les meubles et repoussé le délai. Aussi n’ai-je qu’une seule question à vous poser : avez-vous prévu un scénario alternatif de « démontage » de l’euro ? Les troubles sociaux et politiques seront très forts – mais en avez-vous conscience ? Vous citiez Victor Hugo. Le peuple français n’est ni le peuple grec ni le peuple espagnol. Vous devez vous attendre à une crise sociale et politique de grande ampleur qui aboutira à la sortie de l’euro.
M. Dominique Baert. En 2012, la BCE a perçu 1,1 milliard de produits d’intérêts sur la dette souveraine, dont 555 millions pour la seule Grèce. Ces produits seront rétrocédés en dividendes aux banques centrales nationales, et les États verseront ensuite de l’argent pour venir en aide à l’État grec. Ne serait-il pas plus simple, plus efficace économiquement et peut-être plus moral de faire payer moins cher le soutien que l’Europe accorde à ce pays ?
Pour donner de la stabilité et de la sérénité aux banques européennes, on a évoqué à un moment une opération de refinancement à long terme (LTRO) à échéance plus longue – cinq ans au lieu de trois – et moins chère que le prêt consenti fin 2011. Où en êtes-vous dans votre réflexion à ce sujet ?
Vous avez évoqué la mise en place d’asset-backed securities (ABS) visant à titriser les paquets de crédit aux PME et susceptibles d’être déposés ensuite à la BCE comme « collatéraux » afin d’améliorer le financement de cette catégorie d’entreprises. Où en êtes-vous dans cette réflexion ?
M. Hervé Mariton. Vous avez eu tendance à éviter la question du périmètre de votre mandat. Quelles sont les considérations de la BCE sur une éventuelle évolution de son mandat ? Quels éléments positifs et négatifs retenez-vous du débat qui se tient à ce sujet ?
Concernant l’union bancaire et l’union économique, vous avez parlé de transferts de souveraineté bénéfiques. À quoi faisiez-vous allusion ?
Mme Seybah Dagoma. On parle de plus en plus d’une guerre entre les monnaies – dollar vs euro, dollar vs yuan, euro vs yuan, etc. –, le dernier épisode de cette guerre étant la nouvelle stratégie monétaire mise en place par le Premier ministre japonais Shinzō Abe, les abenomics, présentés comme un soutien à la croissance. À l’inverse, l’euro est souvent considéré comme surévalué.
Pour nous, une zone monétaire doit avoir une politique de change, faute de quoi elle se voit imposer une parité qui ne correspond pas à l’état réel de son économie. De quels outils l’Europe dispose-t-elle pour contrer les stratégies qui créent des distorsions de concurrence manifestes ? Vous paraît-il souhaitable de modifier le traité afin d’élever l’objectif de croissance et d’emploi au même niveau que l’objectif de stabilité des prix ?
M. Jacques Myard. Vous avez mené une politique très accommodante en matière de taux directeurs et mis en place le programme LTRO. Or, comme vous l’avez souligné, les banques ne jouent peut-être pas totalement le jeu dans le système européen.
On peut donc se demander si votre politique est efficace : elle ne sert pas l’économie réelle mais les banques, ce que les peuples ne peuvent comprendre.
On peut aussi se demander s’il n’est pas préférable d’aider directement les États en matière d’investissement par une politique de quantitative easing.
Mais je veux saluer le courage du président du Titanic ! Chacun le sait, la zone euro est condamnée. Je l’ai dit depuis le début : l’absence de zone économique optimale conduit à l’échec. Hans-Olaf Henkel, ancien président d’IBM Europe et ancien président du Bundesverband der deutschen Industrie, l’équivalent du MEDEF, et Heiner Flassbeck, chef économiste à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), partagent cette opinion. M. Frits Bolkestein lui-même vient de conclure à l’échec et de recommander que les Pays-Bas sortent de l’euro !
Toute union monétaire plaquée sur des économies divergentes aboutit à une « union de transfert » où les riches doivent payer pour les pauvres, comme, en France, Paris paie pour la Creuse ou la Corrèze.
Je veux préciser enfin que les déficits ne sont pas la cause mais la conséquence de la perte de compétitivité.
Dès lors, quel est le scénario ? Devons-nous risquer un choc systémique avec la sortie d’un État, ou essayons-nous de nous mettre autour de la table pour mener une autre politique monétaire et bâtir une autre structure économique ?
Mme Marietta Karamanli. On dit souvent que, malgré leur niveau d’endettement, les États-Unis et le Japon sont solvables. Pensez-vous que ces dettes soient soutenables et quels pourraient être, à terme, les risques pour l’économie européenne dans un contexte de globalisation ?
Dans un avis du 27 novembre dernier, la BCE indiquait que « l’obligation de rendre compte est l'indispensable contrepoids à l’indépendance en démocratie ». Depuis la survenue de la crise de l’endettement public et privé qui menace nos économies, l’Union a décidé de mettre de l’ordre dans chacun des États membres connaissant un endettement public approchant ou dépassant 90 % du PIB. La Commission et la BCE, notamment, ont mis en œuvre cette politique. Or aucune de ces deux institutions n’est démocratiquement responsable : leurs dirigeants ne sont pas tenus de partir s’ils n’ont pas la confiance des citoyens et de leurs mandants. Que vous inspire le fonctionnement de cette démocratie particulière ?
M. Yves Censi. Vous avez décidé en mai dernier de porter le taux directeur de la BCE de 0,75 à 0,5 %, soit le taux historiquement le plus bas. Par ailleurs, deux règlements visant à améliorer la gouvernance économique et à renforcer la surveillance budgétaire sont entrés en vigueur. Ce fameux two-pack impose aux États membres de la zone euro un calendrier et des règles communs en matière budgétaire, et renforce le contrôle des États faisant l’objet d’une procédure de déficit excessif.
Dans ce contexte, que pensez-vous de l’évolution de la situation de la France d’ici à la fin de 2014 ?
Vous avez légèrement relevé les prévisions d’évolution du PIB de la zone euro pour 2014 en chiffrant la hausse attendue à 1,1 %. Seriez-vous prêt à baisser à nouveau le taux directeur ?
L’euro fort fait l’objet de critiques. À la différence de la BCE, la Réserve fédérale ou la Banque populaire de Chine interviennent massivement pour déprécier leur devise. Envisagez-vous de mener à votre tour une action en ce sens afin de rendre les pays de la zone euro plus compétitifs ?
Le chômage dans la zone euro atteint 12,2 % de la population active, soit environ 20 millions de personnes. Le taux de chômage des jeunes dépasse les 55 % en Espagne et les 62 % en Grèce. En France, le Gouvernement vise à une inversion de la progression du chômage d’ici à la fin de 2013. Pensez-vous que ce scénario est réaliste et l’intégrez-vous dans vos analyses ? Plus généralement, comment la BCE peut-elle soutenir davantage l’emploi dans la zone euro ?
M. Thomas Thévenoud. Je reviens la question provocatrice de M. Christophe Caresche, souvent posée dans nos circonscriptions : l’euro est-il trop fort ? Le retour de la croissance dépend beaucoup de la capacité à exporter de nos PME. Le commissaire européen à l’industrie et à l’entrepreneuriat, M. Antonio Tajani, a lui aussi posé le débat sur le handicap que l’euro fort ferait peser sur cette capacité. Comme de nombreux collègues de diverses sensibilités, je vous demande à mon tour si vous ne considérez pas que l’euro est trop fort pour nos entreprises ?
M. Mario Draghi. Je vous remercie pour ces questions nombreuses, variées et complexes.
Je commencerai par le scénario macroéconomique. Pour l’année prochaine, nous prévoyons une reprise graduelle qui commencerait à la fin de 2013. J’ai déjà mentionné quels peuvent être les facteurs de cette reprise. Mais la situation est compliquée. Des incertitudes demeurent tandis que l’on assiste, dans le même temps, à des progrès. Nous devons tout faire pour consolider ces progrès et pour nous assurer qu’ils seront suivis de nouveaux progrès.
Les risques continuent d’être vers le bas et l’amélioration que nous envisageons est progressive et fragile. Le risque principal, comme beaucoup l’ont souligné, est le taux de chômage élevé, qui maintiendra la consommation, la demande domestique et l’investissement fixe à un niveau bas.
Notre réponse à cette situation est la poursuite d’une politique monétaire accommodante aussi longtemps que nécessaire. Le Conseil des gouverneurs a décidé de maintenir ce que l’on appelle la fixed rate full allotment policy jusqu’en juillet 2014. Les banques pourront se financer à un taux fixe et à la hauteur dont elles auront besoin. Nous serons ainsi en mesure de répondre à tout problème de financement pouvant survenir dans les prochains mois.
Notre politique ne se limite cependant pas à cela. Comme je l’ai dit, la sortie de crise reste éloignée.
De nombreux intervenants ont soulevé la question des taux de change.
Revenons un an en arrière. La méfiance était alors généralisée et le taux de change était plus bas. Les flux s’orientaient, au mieux, vers l’Allemagne mais, pour la plupart, en dehors de la zone euro. L’euro était plus faible mais les taux d’intérêt de nombreux pays de la zone euro étaient bien plus élevés qu’aujourd'hui. D’un certain point de vue, la force actuelle de l’euro est due au retour de la confiance dans la devise de l’union monétaire. D’un autre point de vue, elle est également due aux conséquences indirectes de politiques menées ailleurs dans le monde.
Le taux de change n’est pas, en soi, un but pour la BCE. Notre mandat précise que la Banque doit assurer la stabilité des prix à moyen terme. Un intervenant se demandait d’ailleurs si l’inflation n’était pas désormais trop basse. En effet, la projection de l’inflation pour 2013 et 2014 est bien en deçà de 2 %. Nous devons néanmoins être prudents. La situation actuelle s’explique en grande partie par la baisse des prix du pétrole et de l’énergie en général. Il y a donc une volatilité sous-jacente que nous devons prendre en compte.
Fondamentalement, il nous faut veiller aux prévisions d’inflation à moyen terme. Celles-ci restent solidement ancrées à 2 % – précisément à 1,97 % en quinze ans d’existence de la BCE, ce qui témoigne de la capacité de notre institution à remplir son mandat originel. C’est un point à prendre en considération dans nos décisions de politique monétaire.
Le taux de change, j’y reviens, n’est pas un but de notre politique, mais c’est un élément important de la stabilité des prix que nous connaissons aujourd'hui et c’est un élément important de la croissance. À cet égard, nous observerons avec attention les effets possibles de la volatilité que les marchés financiers ont connue dans les dernières semaines.
J’en viens aux questions sur le programme OMT.
Comme je l’ai indiqué, il s’agit d’un dispositif opérationnel qui peut être activé à tout moment si les conditions l’exigent. Il va sans dire que la BCE relève de la juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est comme expert, et non comme partie en cause, qu’elle a été entendue par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Cette dernière adressera sa décision au Gouvernement et au Parlement allemands. Cela étant, je ne suis ni juriste ni constitutionnaliste. Ce que je puis dire, c’est que j’ai pleinement confiance dans l’indépendance, la rigueur et l’impartialité des juges constitutionnels allemands.
Le système TARGET 2 est un exemple des améliorations que j’ai évoquées puisque les divergences se sont réduites de 20 % par rapport à leur maximum. Plus généralement, ce dispositif permet de mesurer à la fois les déséquilibres entre les pays et l’incertitude environnante.
S’agissant du premier aspect, nous sommes tous bien conscients, je crois, qu’il ne peut y avoir d’union monétaire avec des pays créditeurs en permanence et des pays débiteurs en permanence. Les États ne peuvent être créditeurs ou débiteurs que pendant un certain temps. Les gouvernements et les institutions européennes travaillent activement pour parvenir à une situation où les déséquilibres de cette ampleur seraient exclus.
S’agissant du deuxième aspect, il faut bien comprendre que l’objectif de réduire l’incertitude environnante a un effet sur les soldes de TARGET 2.
Pour ce qui est des opérations de refinancement à long terme (LTRO) à trois ans que nous avions lancées, je me rappelle les questions concernant le risque considérable auquel nous nous exposions en injectant une telle masse de liquidités dans le système. Deux ans après, 60 % des sommes ont été remboursées, ce qui est à la fois bon signe et mauvais signe. Bon signe, parce que les banques peuvent se financer un peu plus entre elles et recourent moins à la Banque centrale – sachant que, dans un monde normal, elles devraient se financer elles-mêmes –, ce qui montre le retour d’une certaine confiance dans le marché interbancaire. Mauvais signe, parce que cet argent ne se fraie pas suffisamment un chemin vers l’économie, qui est pourtant sa destination naturelle. Nous devons donc en revenir au scénario principal, en persévérant dans notre politique monétaire jusqu’à ce que ce retour de confiance trouve une traduction dans l’économie.
Beaucoup de questions portaient sur le mandat, dont je dois rappeler qu’il est fixé par le traité. Si je me réfère à mes expériences successives de gouverneur de la Banque d’Italie et de président de la BCE, je dirais que l’exigence clairement énoncée de veiller à la stabilité des prix n’est jamais entrée en contradiction avec le travail pour soutenir la croissance. Elle n’a jamais constitué un obstacle à une politique monétaire qui, tout en poursuivant son objectif principal de stabilité des prix, pouvait également produire de la croissance.
J’ai déjà expliqué pourquoi, étant donné la structure de nos institutions financières, il serait difficile de mener une action semblable à celle de la Réserve fédérale ou à celle de la Banque du Japon – dont le succès doit encore être soumis à l’épreuve des faits, du reste. Notre business n’est pas de financer les gouvernements : je vous renvoie à l’article 123 du traité. Aussi, tout en restant à l’intérieur de notre mandat, je crois que nous avons été très actifs.
Pourquoi est-il si important de se référer à notre mandat ? Les banques centrales sont des institutions puissantes, non élues et, dans le cas de la BCE, elles défendent âprement leur indépendance. Ces trois caractéristiques ne sont pas forcément compatibles. La seule façon de faire qu’elles le soient, pour la BCE, est d’agir dans le cadre du mandat que vous, législateurs, avez établi. Voilà pourquoi nous sommes si soucieux et si fiers de respecter notre mandat.
Cela dit, la discussion sur la respiration de ce mandat est principalement entre vos mains, pas entre les nôtres.
Pour en revenir au financement de l’économie réelle, notamment des PME, le Conseil des gouverneurs examine différentes pistes et a constitué un groupe de travail à ce sujet. Aux États-Unis, les capitaux échangés sur les marchés sont appréciés, vendus et notés de manière transparente, si bien que leur circulation est relativement aisée. Dans nos pays, les prêts aux PME passent généralement par les banques. N’ayant pas de prix de marché, ils doivent être, pour ainsi dire, réaménagés avant d’être accordés, de manière à pouvoir être appréciés et échangés. La BEI, la BCE et la Commission européenne travaillent en commun à la façon dont on pourrait intégrer des ABS (valeurs mobilières adossées à des actifs) dans le dispositif de garanties de la BCE.
La BCE est prête à garantir les prêts que les banques font à leurs clients. Elle a commencé à le faire depuis près de deux ans. Mais ce n’est pas forcément facile d’un point de vue opérationnel. Le pays qui y parvient le mieux dans la zone euro est la France.
En matière de supervision, peut-être M. Christian Noyer pourra-t-il me relayer pour décrire la coopération entre les superviseurs nationaux et la BCE.
M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. Sous la direction de M. Draghi et de la BCE, nous construisons un système qui reprend largement les tâches confiées à l’origine à la BCE, à savoir la politique monétaire et ce qui l’entoure – surveillance des systèmes de paiement, circulation fiduciaire, etc. –, et comprend un centre de commande fort pourvu des moyens nécessaires en préparation et en exécution.
En pratique, le conseil de supervision prévu par le texte européen sera présidé par la BCE et fonctionnera avec l’ensemble des superviseurs nationaux, à l’instar du Conseil des gouverneurs. Nous aurons également une équipe de supervision par banque, dont le centre de commandement sera à la BCE et dont les effectifs seront répartis dans les États membres concernés. Dans le cas d’une grande banque française, une bonne partie de la supervision se fera en France mais cela n’exclut pas que l’on déploie quelques moyens en Italie et en Belgique, par exemple.
Nous mènerons des inspections en commun et certaines tâches horizontales seront exercées sous l’autorité de la BCE. Il est important de s’assurer que les modèles de contrôle interne et les politiques de provisionnement et de valorisation d’actifs sont cohérents et convergents entre les différents pays.
Au-delà des 130 groupes bancaires qui font l’objet de cette mise en œuvre, la BCE se verra conférer le pouvoir de donner des instructions générales en matière de supervision sur la totalité des systèmes bancaires. Cela se traduira par un manuel de supervision et par différentes décisions concrètes. Aujourd'hui, le fait que des superviseurs placent des obstacles à la circulation de la liquidité au sein même de la zone euro contribue à la fragmentation. Parmi ses premières mesures, la BCE aura probablement à cœur de donner instruction à tous les superviseurs de laisser circuler la monnaie sans restriction à l’intérieur de la zone euro. Elle sera en capacité de prendre beaucoup d’autres décisions de ce type, qui s’appliqueront à l’ensemble des banques.
M. Mario Draghi. Une question portait sur les revenus d’intérêt de la dette grecque et sur de possibles ajustements des prêts à ce pays. Je crois qu’il faut l’adresser d’abord aux ministres de l’Eurogroupe. Nous n’avons pas de rôle en la matière.
Il a aussi été question des transferts de souveraineté. On pourrait citer différentes situations où ces transferts ont apporté des améliorations. Mais ce que je voudrais dire, c’est que l’UEM, l’union économique et monétaire, possède un « M » très fort et un « E » inachevé. C’est à vous qu’il appartient de définir la meilleure voie, ce qui n’est pas une tâche simple car elle varie selon les pays et leurs racines historiques. Il ne fait pas de doute qu’il faudra renforcer le « E » pour parvenir à une authentique UEM. Cela étant, toute avancée dans cette direction sera la bienvenue, même venant du « M ».
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je tiens à vous dire combien j’ai été impressionnée par la clarté de vos réponses et par votre volonté d’aller au bout du mandat de la BCE pour faciliter la reprise de la croissance et la circulation des financements dans la zone euro.
M. le président Gilles Carrez. Je m’associe à ces propos. Vous avez cherché à aller sans détour au fond des choses, ce que nous avons beaucoup apprécié.
Mme la présidente Danielle Auroi. Je salue moi aussi la franchise de vos réponses et la logique de transparence que vous mettez en œuvre dans votre mandat.
En filigrane de nos discussions, on retrouve la question de la gouvernance de la zone euro. Les réponses claires que vous attendez tant du Parlement européen que des parlements nationaux au sujet de la supervision sont en bonne voie. Nous aurons sans doute l’occasion de vous interroger une autre fois au sujet de la gouvernance de la zone euro, sur l’avenir de laquelle vous nous avez plutôt rassurés.
M. Mario Draghi. Je vous remercie pour ces paroles chaleureuses. Je repars avec beaucoup de matière pour alimenter ma réflexion !
La séance est levée à onze heures vingt-cinq
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mercredi 26 juin 2013 à 9 h 30
Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Pierre Dufau, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Laurent Kalinowski, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Jean-Marie Le Guen, M. Pierre Lellouche, M. Patrick Lemasle, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Boinali Said, M. André Santini, M. François Scellier, M. Michel Terrot, M. Michel Zumkeller
Excusés. - M. Christian Bataille, Mme Pascale Boistard, M. Philip Cordery, M. Jean-Paul Dupré, M. Paul Giacobbi, M. Philippe Gomes, Mme Thérèse Guilbert, M. Lionnel Luca, M. Thierry Mariani, M. Jean-Claude Mignon, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle
Commission des finances
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Alexis Bachelay, M. Dominique Baert, M. François Baroin, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Gaby Charroux, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, Mme Carole Delga, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Alain Fauré, M. Olivier Faure, M. Marc Francina, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Louis Gagnaire, Mme Annick Girardin, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Patrick Lebreton, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, M. Patrick Ollier, Mme Valérie Pécresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, Mme Eva Sas, M. Thomas Thévenoud, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier
Commission des affaires européennes
Présents. - M. Jean-Jacques Bridey, M. Yves Daniel, M. William Dumas, Mme Marietta Karamanli, M. Arnaud Leroy, M. Michel Piron,
Assistaient également à la réunion. – Mme Sylvie Goulard, M. Lionel Tardy