Réunion, ouverte à la presse, sur la situation en Iran avec M. Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS et M. Thierry Coville, chercheur à l’IRIS
La séance est ouverte à seize heures.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevons M. Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS, et M. Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, pour une réunion consacrée à l’Iran après l’élection présidentielle qui s’est tenue le 14 juin dernier.
L’élection de Hassan Rohani dès le premier tour, avec un score de 50,71 % des voix et un taux de participation supérieur à 70 %, a déjoué les pronostics les plus pessimistes à l’étranger, et a manifestement été vécue comme un immense soulagement à l’intérieur du pays comme à l’extérieur.
L’image de M. Rohani, qui passe pour être un homme modéré et ouvert au dialogue, tranche singulièrement avec la personnalité de son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad, dont les deux mandats ont été vécus douloureusement par les Iraniens. Par ailleurs, malgré le tamisage très sélectif des candidatures en amont du processus électoral, son résultat donne l’impression de traduire le choix populaire, contrairement à l’élection présidentielle de 2009, qui avait été suivie d’une phase de répression violente. Les figures de proue du « mouvement vert », Hussein Moussavi et Mehdi Karoubi, sont d’ailleurs toujours assignées à résidence.
L’élection de M. Rohani donne un visage plus « respectable » à la République islamique d’Iran, aussi bien au plan intérieur que sur la scène internationale, mais il reste à savoir quels changements concrets pourraient en résulter. L’Iran est aujourd’hui un pays au ban de la communauté internationale, frappé de sanctions qui touchent durement son économie et sa population. Au plan intérieur, les attentes sont très fortes dans le domaine des réformes économiques, mais aussi des libertés publiques.
Le nouveau président a ainsi été élu sur un agenda de réforme, d’ouverture et de rassemblement, et il a reçu un soutien probablement décisif du camp des « réformateurs », mais il est généralement décrit comme étant lui-même un « conservateur modéré », issu de l’appareil d’État et appartenant au système. S’il a appelé à une « interaction constructive » avec le monde, il a annoncé que son gouvernement « ne sera pas un gouvernement de compromis ni de reddition ». Il reste également à savoir quelles seront ses propres marges de manœuvre par rapport au Guide suprême, Ali Khamenei, qui garde la haute main sur les orientations stratégiques et détient la clef de toutes les évolutions possibles. Nous serons naturellement très attentifs à ce que vous pourrez nous dire sur ces différents sujets, ainsi que sur l’attitude qu’il conviendrait d’adopter vis-à-vis des nouvelles autorités iraniennes : dans quelle mesure est-il possible et souhaitable de leur tendre la main ? Si oui, comment ?
Si vous en êtes d’accord, je vais commencer par donner la parole à M. Bernard Hourcade sur la situation intérieure de l’Iran, les rapports de force au sein du régime et les lignes directrices esquissées par le nouveau président. M. Thierry Coville pourrait ensuite traiter plus spécifiquement des aspects économiques, de la question des sanctions et des inflexions possibles en matière de politique étrangère, qu’il s’agisse du dossier nucléaire, dont M. Rohani a été le négociateur en chef de 2003 à 2005, ou de l’intervention massive de l’Iran en Syrie et des relations avec Israël.
M. Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS. Merci de nous permettre de partager avec vous l’ignorance que nous avons sur l’Iran. Ce pays est en effet assez mal connu : il n’y a guère que 2 000 ou 3 000 Occidentaux sur place et nous avons peu de relations directes avec les ingénieurs, les chercheurs ou les hommes politiques iraniens, ce qui constitue un véritable problème.
En premier lieu, il faut rappeler que l’élection présidentielle a été réussie, avec le taux de participation que vous avez rappelé, beaucoup plus important que d’habitude. Ainsi, à Téhéran, ce taux s’est élevé à 58 %, contre 30 % généralement.
Cette réussite montre la maturité du régime : après les instabilités et la répression de 2009, le gouvernement a voulu éviter toute forme d’incident et donc trié huit candidats, tous compatibles avec le Guide. Or si cette sélection est habituelle, les différences politiques et de carrière entre eux étaient assez vastes.
Il est important qu’il y ait eu un consensus. Au début, les réformateurs ne voulaient pas soutenir M. Rohani, qui n’était pas de leur camp. Mais, dans les cinq jours qui ont précédé l’élection, ils l’ont finalement soutenu face à la perspective de l’arrivée au pouvoir de M. Jalili, un apparatchik, négociateur sur le nucléaire, qui défendait une ligne dure et avait annoncé que s’il était élu, son premier voyage serait pour soutenir Bachar el-Assad en Syrie.
Les travaux que nous avons réalisés sur la géographie électorale montrent qu’il y a en Iran des rapports de force politiques assez stables. Si juridiquement le Guide a beaucoup de pouvoirs, croire qu’il peut tout et que le pays est une dictature militaire et religieuse dirigée avec les Gardiens de la Révolution est une erreur : tous les think tanks américains en conviennent aujourd’hui. Il existe en Iran – les mouvements de 2009 l’ont montré – des revendications politiques et des couches sociales différentes, avec des ambitions et des moyens différents. Il y a un équilibre entre trois forces importantes, qui ne se traduisent pas sous la forme de partis politiques – la démocratie iranienne n’étant pas arrivée jusque-là – : 10 à 20 % d’islamistes purs et durs, d’extrême droite, voulant libérer Jérusalem et rayer Israël de la carte ; des internationalistes, constitués par la nouvelle bourgeoisie citadine occidentalisée qui désire une ouverture internationale ; des nationalistes, composés d’Iraniens ordinaires souhaitant vivre dans leur pays et s’en sortir.
L’élection de 1997 a également donné lieu à un raz-de-marée en faveur de M. Khatami, sauf qu’à l’époque, il était le seul candidat réformateur et qu’aujourd’hui, quelqu’un comme M. Khalibaf, le maire de Téhéran, un technocrate issu des Gardiens de la Révolution, aurait pu partager les voix progressistes.
Deuxièmement, M. Rohani est un président respectable, qui a les moyens de se faire entendre : il n’a pas de sang sur les mains et a fait partie de toutes les assemblées de la République islamique. Ayant suivi, en tant que religieux contestataire, le cursus honorum d’un député, il a fini par devenir entre 2003 et 2005 le responsable du Conseil national de sécurité et, à ce titre, le négociateur sur le nucléaire. Il a été soutenu par les clergés et a la confiance du Guide, même s’ils n’ont pas toujours le même point de vue. Ainsi, en 2003, alors que le Guide ne souhaitait pas signer l’accord sur le nucléaire, il s’est finalement laissé convaincre par lui de le faire. C’est un personnage de consensus et de compromis, mais qui a affirmé depuis son élection qu’il prendrait des décisions claires. Cela dit, malgré l’état de grâce dont il jouit, il est confronté à une opposition importante.
Troisièmement, M. Rohani a signé le 21 octobre 2003 le projet d’accord sur le nucléaire avec MM. de Villepin, Straw et Fisher. Ce fut une révolution politique : c’était la première fois que la République islamique signait un projet d’accord international sur un sujet aussi stratégique. Si cet accord n’a finalement été validé ni par les Iraniens, ni par les Occidentaux, notamment les Américains, M. Rohani a arrêté le programme nucléaire militaire iranien et obtenu, après une négociation avec l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), de fermer tous les bureaux qui travaillaient sur ce sujet. D’ailleurs, le Mossad comme la CIA disent que ce programme n’a pas repris en tant que projet industriel – ce qui ne signifie pas qu’un ingénieur en énergie atomique n’ait pas collecté des éléments permettant de fabriquer une bombe.
Les sanctions, qui devaient conduire à arrêter le programme nucléaire, n’ont eu aucun effet à cet égard puisque l’enrichissement de l’uranium s’est poursuivi. En outre, alors qu’elles visaient à faire tomber le régime, elles ont affaibli la population et renforcé le gouvernement. Les émeutes de 2009 ont obligé celui-ci à bien organiser les élections et le régime islamique est devenu plus solide et respectable.
Or M. Rohani connaît bien la réalité et veut relier les questions de sécurité nationale, d’ouverture internationale et de développement économique qui se posent aujourd’hui à l’Iran.
Dès lors, que peut-on faire avec ce pays ? Ses dirigeants ont le sentiment d’avoir fait un pas en avant en organisant des élections claires, où les perdants ont accepté leur défaite de façon démocratique. L’Iran, qui estime avoir été diabolisé pendant des années, aspire à être bien accueilli : il est donc très attentif à tous les gestes diplomatiques à son égard. Aux États-Unis comme en France, les avis sont donc partagés sur le fait de savoir s’il faut lui tendre la main ou attendre qu’il soit mis à genoux ou demande pardon – ce qui est une illusion quand on connaît la fierté nationale iranienne.
Les personnes gravitant autour de M. Rohani ou comme M. Moussavian – l’ancien négociateur sur le nucléaire, qui était présent à Paris la semaine dernière – disent qu’il serait bon que la France – dont on ne comprend pas l’hostilité si marquée depuis plusieurs années – fasse un geste. Alors que les Anglais ont autorisé la banque Saderat à exercer à nouveau en Grande-Bretagne et que les Allemands ont permis que des lettres de crédit soient ouvertes pour certaines industries travaillant avec l’Iran – ce qui est un moyen de biaiser les sanctions –, notre ministère des affaires étrangères a seulement pris acte de l’élection de M. Rohani, ce qui est un peu sec sur le plan diplomatique. Ces personnes verraient donc d’un bon œil, par exemple, que quelques parlementaires français se rendent en voyage en Iran avant la prise de fonctions de celui-ci, qui a lieu le 13 août, pour le rencontrer en tant que citoyen.
L’autre enjeu important est la Syrie : si la bombe nucléaire iranienne n’est pas sur le point d’exploser, dans ce pays, les bombardements sont quotidiens. On assiste à un duel entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui constituent les deux puissances régionales du golfe Persique, l’Égypte et l’Irak étant hors course. Elles se font déjà face en Irak et il en sera sans doute de même en Afghanistan.
Or le premier article publié par le think tank dont M. Rohani est le directeur indiquait que l’élection de celui-ci pouvait changer la donne en Syrie. La question de ce pays et des relations avec l’Arabie saoudite sont peut-être la clé tant des rapports avec les États-Unis, qui sont si importantes, qu’avec Israël. Une normalisation des relations avec Washington, qui avait été commencée par M. Rafsandjani dès la fin de la guerre avec l’Irak, serait, pour l’Iran, un moyen d’apaiser la situation et de le faire sortir du ghetto et de la crise économique dans lesquels il se trouve.
M. Thierry Coville, chercheur à l’IRIS. Comme il l’a dit lors de sa campagne électorale, M. Rohani lie la crise économique et le poids des sanctions.
La situation économique du pays est en effet très mauvaise : tous les hommes politiques iraniens le reconnaissent. Selon la Banque centrale d’Iran, l’inflation atteint près de 40 % pour l’indice général des prix et 50 % pour l’alimentation, contre 20 % en moyenne depuis la Révolution islamique. Cela accroît les inégalités entre les classes sociales – ce qui est un sujet sensible et a marqué l’échec de M. Ahmadinejad, qui voulait rétablir la justice sociale. Quant au taux de chômage, les chiffres officiels indiquent qu’il était autour de 14 % il y a deux ans. Compte tenu de la récession de 2012, entre 600 000 et 800 000 Iraniens arrivent chaque année sur le marché du travail ; le régime a reconnu qu’il y avait actuellement 3 millions de chômeurs, dont beaucoup de jeunes diplômés.
Les sanctions expliquent une grande partie de ces difficultés, surtout les sanctions financières – interdisant quasiment à toutes les institutions financières de travailler avec la Banque centrale d’Iran. Le pays a eu dans ces conditions beaucoup de mal à vendre son pétrole : selon l’OPEP, ses revenus pétroliers auraient diminué de 50 % en 2012. Les exportations de pétrole représentant 80 % des recettes en devises et 60 % des recettes budgétaires, cela a constitué un choc majeur pour l’économie, qui s’est traduit par un effondrement du taux de change sur le marché parallèle, qui a perdu environ 80 % de sa valeur en un an. Comme l’Iran importe beaucoup de biens d’équipement et de consommation, cela a entraîné une augmentation de l’inflation.
Dans les premiers jours qui ont suivi l’élection de M. Rohani, la bourse de Téhéran a enregistré une hausse, le prix de l’or a baissé et le taux de change du rial s’est un peu apprécié : ce sont des indicateurs de confiance. Beaucoup pensent en effet qu’il va réussir à réduire les sanctions et à améliorer la situation économique. Mais cette grande attente place une épée de Damoclès sur sa tête : si la situation ne s’améliore pas, il ne manquera pas d’adversaires pour lui rappeler ses promesses.
Cela étant, tout le monde est d’accord pour dire que les sanctions ne seront pas réduites d’un coup. De plus, il y a un problème de compétitivité de l’économie et personne ne s’attend à ce que l’on règle les problèmes économiques rapidement. Prévaut l’idée que l’on va revenir à la politique économique menée par M. Khatami, reposant sur la stabilité macro-économique, une confiance plus importante accordée aux experts et au secteur privé, la réduction des sanctions, ainsi que la transparence et l’équilibre budgétaires – sachant que M. Rohani ne veut pas mentir au peuple. Je rappelle que le déficit budgétaire, qui aurait atteint 10 % du PIB en 2012, a été financé essentiellement par la création monétaire, laquelle favorise l’inflation.
Quant à la crise du nucléaire, on ne la résoudra pas avec les sanctions : le régime n’a montré aucune volonté de réduire le rythme d’enrichissement de l’uranium, au contraire ! Il serait d’ailleurs suicidaire pour un homme politique iranien de vouloir y renoncer : il y a un consensus pour poursuivre ce programme, qui est partagé par M. Rohani. Imaginer que l’Iran va céder à cause des sanctions ou parce qu’on va les renforcer est donc une erreur.
En fait, les sanctions poussent le régime à s’intéresser à la diversification de l’économie et le gouvernement tend à soutenir les exportations non pétrolières, qui ont atteint 40 milliards de dollars en 2012 et s’élèvent à près de 10 milliards de dollars pour le premier trimestre 2013. Ses premiers marchés sont la Chine, l’Irak – avec 6 milliards de dollars de recettes – et l’Afghanistan. L’Iran n’est donc pas isolé : il réoriente son commerce extérieur vers sa région et l’Asie. Il opère également un rationnement des devises et sélectionne les importations prioritaires : cela est difficile, mais il peut tenir longtemps ainsi.
La société civile, qui en paie le prix, montre cependant sa maturité démocratique – qui est une exception dans la région, l’islam politique n’existant quasiment plus dans le pays – en réclamant un changement pacifique. Le discours consistant à dire qu’il faut poursuivre les sanctions et que c’est grâce à elles que M. Rohani est élu est insupportable pour les Iraniens, qui pensent que son élection aurait quand même eu lieu.
Il faudrait donc arrêter d’affaiblir le pays avec les sanctions et donner à la société civile les moyens d’exercer des rapports de force avec le régime – je rappelle que c’est elle qui a imposé M. Rohani au Guide.
Il ressort du premier discours de M. Rohani qu’il veut changer la méthode de M. Ahmadinejad et revenir à l’équilibre, à une véritable négociation, et prendre en compte les attentes de l’autre. Pour le nucléaire, il est prêt à faire preuve de transparence dans le cadre de ce qui est autorisé par l’AIEA – je pense qu’il fait référence à la signature du protocole permettant la réalisation rapide de visites en Iran. Mais il est un pur produit de la République islamique et un nationaliste : il ne cédera jamais sur le programme nucléaire.
Il y a donc une fenêtre d’opportunité sur les négociations sur le nucléaire, qu’il serait stupide de manquer, d’autant que M. Rohani a la confiance du Guide – alors qu’alourdir les sanctions conduirait à le faire échouer en matière de politique intérieure et à donner des arguments à ses adversaires.
Si le Guide est le premier personnage du régime, le pouvoir est multipolaire : quand M. Ahmadinejad a été élu, il a nettement fait progresser le rôle du président. En outre, alors que M. Khatami était considéré comme trop intellectuel et en dehors des réalités, M. Rohani, avec qui on le compare, connaît très bien la situation stratégique et le système politique du pays : ses paroles n’en ont que plus de poids.
Concernant la Syrie, on ne peut attendre de miracle de sa part, mais il est prêt à discuter. La ligne officielle est le soutien à Bachar el-Assad, mais la question fait débat dans la presse. D’ailleurs, M. Rohani a dit, lors de sa conférence de presse, que ce n’est pas parce que des pays qui font acte d’oppression sont des amis qu’il ne faut pas le noter. Beaucoup d’Iraniens ont peur des conséquences d’une guerre civile en Syrie sur toute la région. Ils voient bien la stratégie de l’Arabie saoudite et du Qatar, qui jouent la carte occidentale pour avancer leurs pions, mais ils savent qu’ils ne doivent pas céder face à eux. La relation avec l’Arabie saoudite est donc importante.
La France, qui avait beaucoup de cartes en main avec l’Iran, peut jouer un rôle essentiel à l’occasion de l’opportunité historique qui se présente. Il serait dommage qu’elle ne le fasse pas – sans parler des conséquences économiques des sanctions pour les entreprises françaises.
M. Jean-Philippe Mallé. Les députés sont constamment sollicités par les représentants du Conseil national de la résistance iranienne et Maryam Radjavi : quels sont la nature, la pensée, la représentativité et le financement de ce mouvement ?
M. Jacques Myard. La difficulté d’avoir des contacts avec les Iraniens m’amène à penser que les sanctions conduisent toujours à un échec à terme. Le meilleur moyen de faire évoluer l’Iran est d’engager le dialogue avec lui, ce qui pourrait lui permettre de renforcer sa démocratie et de s’ouvrir davantage sur le monde – et au régime de se déliter de l’intérieur. La multiplication des sanctions est donc une faute stratégique.
Je rappelle que même les royalistes partisans du shah à Paris sont totalement en faveur du programme nucléaire iranien.
M. Avi Assouly. Alors que les États-Unis et Israël ont estimé que l’acquisition par l’Iran de l’arme nucléaire constituait une ligne rouge, je les vois mal le laisser maintenant aller dans ce sens.
Par ailleurs, quel sera le point de vue du nouveau président Rohani sur le Hezbollah qui soutient Bachar el-Assad en Syrie ?
Enfin, le nucléaire et les relations internationales sont entre les mains du Guide, qui a confirmé que l’Iran aurait l’arme atomique : y aura-t-il un changement à cet égard ?
M. François Rochebloine. La défense de l’autonomie nucléaire de l’Iran peut-elle contribuer à consolider l’assise du pouvoir politique actuel, quelles que soient les tribulations économiques et les pratiques contestables du régime au regard des libertés publiques ?
D’autre part, comment expliquez-vous le contraste entre le niveau de connaissance, scientifique notamment, et certaines pratiques de censure ou certaines conceptions du rôle de la femme, inspirées, dit-on, de l’interprétation chiite de l’islam ?
Certaines informations font état du mécontentement de la population à l’égard de la politique économique et sociale du gouvernement et des privilèges d’une certaine bourgeoisie enrichie dans les affaires : pourrions-nous assister à des vagues de réaction, voire de révolte populaire, du type de celles qui ont secoué les pays d’Afrique du Nord, la Turquie ou l’Égypte ?
M. Jean-Pierre Dufau. Vous montrez que le manichéisme n’a pas lieu d’être : il ne faut donc pas faire siennes sans réfléchir les analyses du camp occidental.
En effet, les sanctions ont surtout pour effet de renforcer les oppositions à ce camp, même si elles restent un argument. Or on n’a jamais réussi à abattre un peuple par ce seul moyen. Si des relations ne sont pas possibles avec certains pays, il est possible d’ouvrir des brèches avec d’autres.
Quelles propositions pourrait faire la France dans le contexte que vous venez d’évoquer, sachant qu’elle ne peut se déjuger vis-à-vis de ses alliés ? Devrait-elle intervenir dans le cadre de la conférence de « Genève II » qui semble mal partie ou à une autre occasion ? Serait-ce par le truchement du conflit syrien ou par la voie diplomatique – sans pour autant se départir d’une opposition au nucléaire militaire iranien ?
M. Jean-Jacques Guillet. En 2009, l’effet des sanctions sur l’économie était nettement moins important qu’en 2013, mais il y avait quand même une formidable aspiration à la liberté, notamment de la part de la population urbaine de loin la plus importante aujourd’hui dans les villes. Celle-ci contraste avec le sentiment des dirigeants, selon lequel le régime est menacé et qu’il faut le sauver – une situation qui fait penser à la fin de l’époque Brejnev en URSS. Ne sommes-nous pas entrés dans une période de glasnost ? C’est une question ardue
Que le programme nucléaire fasse consensus est une manifestation du nationalisme iranien ; ce programme n’est donc pas un but en soit. Mais le fait qu’il ait donné lieu à des débats pendant la brève campagne, y compris entre MM. Rohani et Jalili, ne montre-t-il pas qu’il pourrait un jour prendre fin ? Le consensus sur le nucléaire s’est donc effrité : certains se demandent en effet si le prix n’est pas trop lourd à payer pour l’économie et la société.
Je ne suis pas a priori favorable aux sanctions, mais celles-ci ont eu un impact, surtout celles touchant les instruments financiers et l’énergie, et le complexe militaro-financier des gardiens de la révolution a été directement atteint. Or les Gardiens de la Révolution ont été un peu absents à cet égard au cours de la campagne : quelle sera leur attitude ?
Par ailleurs, lorsque M. Ahmadinejad a supprimé les subventions aux produits de consommation courante, la société iranienne s’est demandé si cela servirait à alimenter la corruption des Gardiens de la Révolution ou les soutiens du régime à l’extérieur, notamment le Hezbollah et la Syrie. Les dirigeants du pays ne vont-ils pas se poser la question de savoir si le coût du soutien à la Syrie n’est pas trop important ?
Enfin, la présidence de M. Khatami a beaucoup déçu : un scénario comparable est-il envisageable, même si la situation est différente aujourd’hui ?
M. François Loncle. Comment expliquez-vous que les gouvernements français – de droite et de gauche confondus – aient manifesté en France depuis une dizaine d’années une espèce d’entêtement à se présenter comme le meilleur ennemi occidental de l’Iran ?
M. Axel Poniatowski. Je fais partie de ceux qui sont partisans des sanctions, même si je suis très attaché à la civilisation iranienne, car je ne vois pas d’alternative et celles que vous esquissez me paraissent très utopiques.
D’ailleurs, la volonté de l’Iran d’avoir l’arme atomique n’est pas propre à ce régime – le shah l’avait déjà. En outre, tous les pays arabes riverains nous disent qu’il ne faut pas céder d’un pouce.
De plus, si l’Iran était dotée de l’arme nucléaire, toute la région l’aurait – la Turquie, l’Égypte et l’Arabie saoudite notamment.
La question n’est pas la détention de l’arme mais de son utilisation : s’il ne s’agissait pas du régime des mollahs, je pense que nous aurions laissé ce pays l’acquérir, comme on l’a fait pour Israël, le Pakistan ou l’Inde. Mais ce régime pose un problème de confiance et personne ne peut assurer que la bombe ne sera pas utilisée.
Quelles que soient les garanties qui seront données, je ne crois pas qu’elles puissent fonctionner. En même temps, on sait que le régime ne pourra changer que de l’intérieur : les sanctions devraient pouvoir conduire à un changement politique, sans qu’il ne soit pour autant affiché. Quelle pourrait être, dans ces conditions, l’alternative possible ?
M. Gérard Charasse. La victoire de M. Rohani a été une surprise : qu’est-ce qui le sépare sur le plan idéologique de M. Rafsandjani ?
M. Meyer Habib. M. Rohani paraît « politiquement » correct et j’en suis d’autant plus inquiet : l’Iran poursuivra son programme nucléaire, car les sanctions sont inefficaces. Or Israël ne laissera jamais ce pays acquérir l’arme atomique.
La France est un des pays les plus vigilants à cet égard. M. Netanyahou a expliqué à M. Sarkozy, dans un entretien qu’il a eu il y cinq semaines avec lui et auquel j’ai assisté, que l’Iran est passé de 110 à 190 kilos d’uranium enrichi en quelques mois, sachant que pour fabriquer une bombe nucléaire, il faut 240 kilos. Cela est un danger, non seulement pour Israël, mais aussi pour la France, l’Europe et le monde.
Dans ces conditions, soit le monde, les Etats-Unis, la France et l’Europe prennent leurs responsabilités et arrêtent le programme iranien par la force, soit Israël prendra les siennes et essayera de frapper l’Iran – ce qui serait la plus mauvaise voie. Quelles seraient alors les conséquences pour ce pays dans chacune des deux hypothèses ?
Mme Chantal Guittet. Pendant longtemps, l’Iran a essayé d’être une puissance géoéconomique par le biais de la mer Caspienne pour être le passage obligé du commerce vers l’Asie et le Caucase : ce potentiel peut-il être remis en avant ? Quelles sont les relations de la Russie avec ce pays ?
M. Bernard Hourcade. La probabilité est plus forte de voir le comte de Paris renverser la République française que de voir les moudjahidins faire de même avec la République islamique ! Une des conséquences des élections est que la République islamique est stabilisée et que les oppositions situées à l’extérieur du pays ont échoué.
S’agissant de la question de la confiance, je pense qu’en politique, il n’y a que des rapports de force. L’Iran n’a pris des décisions que parce qu’il était contraint de le faire pour sauver le régime. Or les sanctions nous ont enlevé tout moyen de pression sur lui : Peugeot ne peut se retirer du pays puisqu’il n’est plus sur place et Renault est en train de partir car les Américains ont ciblé des sanctions sur cette entreprise. Par ailleurs, depuis l’arrestation de Clotilde Reiss, il est interdit aux fonctionnaires français de se rendre dans ce pays et, en tant qu’universitaires, nous n’échangeons plus que par voie électronique.
Le seul moyen de pression qui reste repose sur les bombardements, qui sont utopiques à court terme.
Encore une fois, les sanctions ont permis à l’Iran de renforcer son programme nucléaire, sans aucun contrôle, alors que M. Rohani avait accepté l’essentiel le 21 octobre 2003 : enrichir l’uranium de façon limitée, à 3,5 %, sous contrôle complet de l’AIEA dans le cadre du protocole additionnel – que l’Iran a signé et appliqué pendant deux ans. En outre, le Guide a été le premier à dire que la bombe était anti-islamique et que son pays ne voulait pas de l’arme atomique. Le gouvernement de M. Ahmadinejad, qui a confirmé cette position, a seulement souhaité que l’État ait, en tant que pays industriel moderne, une technologie d’enrichissement de l’uranium. Et s’il y a eu au départ des raisons militaires à cela, M. Rohani a obtenu en décembre 2003 l’arrêt du programme militaire contrôlé par l’AIEA.
Aujourd’hui, les rapports de force imposent à l’Iran de ne plus faire peur avec la perspective d’une bombe atomique en enrichissant l’uranium – cette option s’étant révélée contre-productive, non pour le régime qui peut se bunkériser, mais pour la nation. Ils conduisent les autorités du pays à dire que celui-ci doit avoir la capacité industrielle, technologique et scientifique d’enrichir l’uranium, comme le Japon, l’Allemagne, la Suisse, la Suède et beaucoup d’États dans le monde, et d’être un producteur en la matière, sous contrôle total de l’AIEA – sachant que le protocole additionnel permet de contrôler beaucoup de choses.
Par ailleurs, pour contrôler la situation, il faut que les expatriés occidentaux – qui ne sont plus que 3 000 - soient plus nombreux, alors qu’aujourd’hui, aucun service de renseignement n’est en mesure de savoir ce qui s’y passe vraiment. Autrement dit, le rapport de force ne doit pas passer par des sanctions, qui conduisent l’Iran à faire ce qu’il veut en matière de droits de l’homme, de nucléaire ou d’économie, mais par une présence plus importante de notre part. Quand Peugeot et Renault ont un projet industriel dans ce pays, si on les oblige à repartir, on se prive d’armes à son égard.
Rien n’est donc joué sur le nucléaire et on peut aboutir rapidement à un accord technique, en appliquant le protocole additionnel. On pourrait à cet égard raser les sites nucléaires iraniens, mais il faudrait aussi tuer tous les professeurs de mathématiques et de physique ! Quel que soit le régime en place, la nation iranienne est en effet capable aujourd’hui d’enrichir l’uranium à 90 % et de fabriquer une arme atomique. En revanche, la militarisation, c’est autre chose : le fait d’avoir 240 kilos d’uranium enrichi à 90 % ne suffit pas à soi seul pour produire une bombe.
S’agissant de la guerre en Syrie, elle devait permettre, pour certains, de libérer Jérusalem grâce au Hezbollah et aux Gardiens de la Révolution. Mais le fait important est que dès que les rebelles démocrates sont partis de ce pays, ils ont été immédiatement soutenus par les djihadistes. L’arrivée des Saoudiens et des Qataris a permis d’aider massivement ceux-ci. Or si Damas tombait entre les mains d’un pouvoir sunnite radical, Bagdad serait déstabilisé – ce qui est déjà le cas depuis six mois à un an. Cela serait inacceptable politiquement pour l’Iran, qui ne veut pas être encerclé : il a, d’un côté, les talibans, qui vont retourner au pouvoir dans quelques mois à l’est et, de l’autre, les sunnites, déjà présents au sud, qui pourraient revenir à l’ouest.
Autrement dit, si les ultra-islamistes se battent en Syrie, ce qui compte pour l’Iran c’est la sécurité de son territoire. C’est la raison pour laquelle tout le gouvernement iranien dit qu’il ne laissera pas tomber Bachar el-Assad, que l’on déteste par ailleurs.
Concernant le rapport avec l’Arabie saoudite, la France, qui a dans la péninsule arabique des relations privilégiées, a un rôle à jouer. Or, sur la rive sud du golfe Persique, les pays n’existaient pas il y a trente-cinq ans – Bahrein, Qatar, les Émirats arabes unis ont acquis leur indépendance en 1971. Quand la République islamique est mise en place, ni Abou Dabi ni Dubaï n’existent réellement : l’Arabie saoudite est alors une principauté monarchique féodale. Aujourd’hui, les choses ont changé : la capitale économique de l’Iran est Dubaï. La question n’est pas tant l’opposition entre chiites et sunnites que son instrumentalisation dans un but national : les États saoudien, qatari, émirati, koweiti et de Bahrein, notamment, en tant qu’États nouveaux ayant émergé depuis trente ans, ne veulent pas à être mis de côté, ni que la France abandonne ses relations avec eux au profit de l’Iran.
Les Israéliens disent justement à cet égard qu’ils ne sont pas contre un accord, à condition qu’ils n’en fassent pas les frais.
La France et l’Europe doivent donc rassurer les monarchies du golfe Persique et Israël en les convainquant que l’Iran ne peut rester isolé et doit trouver une place normale dans l’équilibre régional. On ne peut se prononcer en faveur de la démocratie iranienne et, en même temps, anéantir la bourgeoisie moyenne de ce pays qui essaie de s’en sortir.
D’ailleurs, l’Iran – qui a le sentiment d’avoir écrasé les Occidentaux sur le nucléaire, dans la mesure où il peut enrichir l’uranium à 90 % – est prêt à céder et à signer un accord limité à un enrichissement à 5 %, avec une production commençant six mois plus tard. À nous, ensuite, d’élaborer une stratégie d’intégration économique, politique et culturelle d’un pays qui a été longtemps un adversaire.
L’Iran est gouverné et sera encore gouverné pendant vingt ans par les anciens combattants de la guerre contre l’Irak, que ce soit des Gardiens de la Révolution ou des généraux faisant des affaires, ou bien de petites gens ayant des postes réservés que la République islamique leur a également donnés. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils crachent dans la soupe ! Il faut faire avec eux, sachant qu’ils ont évolué et que les rapports de force ont changé.
Il convient donc de prendre les Iraniens au mot lorsqu’ils disent qu’ils ne veulent pas de la bombe, en leur donnant l’occasion de ne pas l’avoir tout en restant un pays victorieux sur le plan de la technologie nucléaire. Pour le reste, seule l’entrée en Iran par l’économie ou par les relations universitaires peut permettre de l’accompagner comme pays émergent. On peut à cet égard davantage faire confiance à M. Rohani, qui connaît bien les secteurs de l’économie et les questions de sécurité, qu’à M. Khatami.
M. Thierry Coville. Si l’on essaie d’écarter l’Iran, il fera tout pour perturber le jeu afin de montrer qu’il est indispensable. La politique globale consistant à couper les relations avec ce pays, qui a été suivie par tous les gouvernements de droite et de gauche aux États-Unis notamment, ainsi que par Israël – qui pense ainsi pouvoir « casser » le régime – est une erreur totale. Cela donne une légitimité nationale au régime iranien, qui s’est bâti depuis longtemps sur la résistance à l’étranger – Saddam Hussein a d’ailleurs permis au régime de s’installer.
À cet égard, l’ancien négociateur sur le nucléaire Hossein Moussavian considère que si le programme nucléaire iranien trouve son origine dans la guerre Iran-Irak et la nécessité de construire une force de dissuasion, il est devenu un enjeu de négociation avec les pays occidentaux notamment, sachant, encore une fois, que l’Iran n’a jamais dit qu’il voulait avoir la bombe atomique.
On ne pourra dès lors sortir de cette crise par le haut qu’en donnant à ce pays ses chances en tant qu’acteur régional majeur. Ses dirigeants ont d’ailleurs joué un rôle important dans la mise en place du gouvernement Karzai en Afghanistan ; ils ont aussi communiqué les bases des talibans aux Américains et se sont entendus avec eux pour préparer leur sortie de l’Irak. Par conséquent, quand leurs intérêts nationaux sont en jeu, ils peuvent être pragmatiques et négocier. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement pour le nucléaire ou la Syrie.
S’il est impossible pour eux politiquement de renoncer à leur programme nucléaire, cela fait un an qu’ils donnent des signaux clairs montrant qu’ils sont prêts à un compromis. On peut trouver une barrière aussi solide que possible entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire.
S’agissant de la confiance, elle doit jouer dans les deux sens : les pays occidentaux n’ont-ils pas soutenu Saddam Hussein ? Or qui a attaqué l’Iran en 1981 ? Les Iraniens n’ont-ils pas été classés dans l’axe du mal, alors qu’ils avaient préparé l’arrivée d’un pouvoir anti-taliban en 2002 en Afghanistan ? Quelles contreparties ont-ils reçu après avoir arrêté l’enrichissement de l’uranium en 2003 ?
Les Iraniens raisonnent beaucoup en réaction par rapport aux Occidentaux, du fait de leur histoire. Or ils ont eu le sentiment que négocier avec eux ne marchait pas et que ceux-ci ne leur donnaient que des « sucettes ».
Ils n’ont donc pas beaucoup de raisons de faire d’emblée confiance à la France, même s’ils l’estiment en tant que force morale et politique et pour sa résistance aux États-Unis. Cela dit, nous pourrions jouer un rôle très important dans la région et bâtir cette confiance.
Il faut donner leur chance aux Iraniens en enclenchant un processus positif de négociation – sachant que tous les dossiers sont liés – et en respectant leur sensibilité nationaliste – les discours de M. Rohani montrent qu’ils y sont disposés à cette condition. Les Américains leur avaient d’ailleurs dit d’attendre pour cela l’élection présidentielle, mais on ne leur fait toujours pas confiance !
La force du régime iranien est de savoir que sa société est en pleine transformation. Elle est à la fois pacifique, moderne et a des valeurs proches des nôtres : le nombre d’enfants par femme est tombé de sept avant la Révolution à deux aujourd’hui, l’âge de mariage des femmes est toujours plus élevé, les filles représentent 60 à 70 % des étudiants des universités, dans toutes les branches, et on voit des femmes dans tous les secteurs de la société – où elles exercent comme chirurgiennes, directrices d’entreprise ou chauffeurs de taxi. Cette évolution, qui fait de cette société l’antithèse de l’Arabie saoudite, est peut-être l’élément géopolitique le plus important.
Il est anormal, dans ces conditions, que, du point de vue de nos valeurs, nous soutenions celle-ci et non l’Iran. De fait, si la charia qui régit le système pénitentiaire iranien est une subsistance de la Révolution, il existe des tensions permanentes entre les principes islamistes, que l’on peut juger archaïques et qui sont le fait d’une minorité, et la société : le film La Séparation illustre bien à cet égard ce que vit la classe moyenne iranienne tous les jours. En empêchant les Iraniens de voyager ou d’étudier en Occident et en aggravant leur situation économique, on ne favorise pas l’évolution de cette société.
Or, alors que j’ai été invité il y a trois ans à une conférence organisée par un ami iranien, l’ambassade de France a découragé les Français de s’y rendre : on marche sur la tête !
En majorité, les Iraniens détestent le régime et sont contre l’islam politique. D’ailleurs, alors qu’à l’occasion de la sortie d’un film anti-musulman, le régime a voulu organiser des manifestations contre la France et les pays occidentaux, il n’a trouvé qu’une centaine de personnes pour y participer dans une ville de 12 millions d’habitants. Plus personne dans le pays n’est prêt à se mobiliser pour l’islam politique.
En aidant des pays comme le Qatar ou l’Arabie saoudite, qui défendent une conception complètement différente des relations entre société et religion, on n’offre pas beaucoup d’avenir à l’Iran dans la région. Même les plus durs défenseurs du régime font valoir cet argument.
L’Arabie saoudite est en train d’alimenter, pour des raisons géostratégiques, la rivalité entre les chiites et les sunnites, ce qui est une catastrophe pour la région et constitue un problème beaucoup plus grave que la bombe nucléaire iranienne, qui n’existe pas.
Quand on négocie avec l’Iran, il faut garder présent à l’esprit son passé nationaliste, le fait qu’il a le sentiment d’être l’acteur géostratégique majeur de la région et qu’il souhaite pouvoir exercer cette responsabilité.
L’élection présidentielle n’est en réalité pas une surprise : depuis vingt ans, c’est toujours un candidat plutôt modéré qui gagne les élections en raison de l’évolution de la société. M. Rohani insiste beaucoup sur son opposition à l’égard des extrêmes et a déclaré vouloir rassembler les conservateurs et les réformateurs modérés en tenant compte de l’expertise. 250 députés viennent d’ailleurs de lui signifier leur allégeance. De plus, certains conservateurs du camp de MM Rafsandjani et Khamenei sont contre la répression qui s’est produite en 2009 et suivent cette voie anti-extrémiste.
Par ailleurs, il faut mettre fin au fantasme selon lequel le régime repose sur les Gardiens de la Révolution. L’économie iranienne est rentière : chaque groupe ayant un poids politique cherche à accroître celui-ci pour élargir son pouvoir économique. Les Pasdarans ont eu l’opportunité de développer des activités de construction après la fin de la guerre avec l’Irak et ont bâti petit à petit un empire économique en achetant, par l’intermédiaire de la bourse iranienne, un certain nombre d’entreprises, mais il est difficile de savoir combien ils représentent dans l’économie. Si M. Ahmadinejad a demandé qu’ils paient des impôts et s’il semble y avoir un consensus au sommet du régime pour réduire leurs activités économiques, il ne faut pas en faire un deux ex machina.
Cela dit, ils ont une légitimité tirée de leur rôle de défenseur du pays lors de la guerre Iran-Irak – qui est d’ailleurs la base de la légitimité du régime. Mais il y a un débat en leur sein et certains députés conservateurs refusent de donner l’image d’un pays fermé. M. Motahari, qui est un conservateur modéré très influent, leur a d’ailleurs déclaré que s’ils voulaient se présenter comme défenseurs de la nation, ils ne pouvaient continuer à accumuler ainsi les activités économiques.
En fait, si l’on veut que l’Iran ait envie d’avoir la bombe nucléaire, il suffit de l’attaquer. On ne détruira pas le programme nucléaire iranien : il s’agit d’un savoir-faire acquis. Par ailleurs, une telle attaque serait compliquée car les sites ont été diversifiés. Enfin, on n’est pas sûr que les dirigeants du pays aient décidé d’avoir un tel programme – qui semble avoir été arrêté il y a quelques années. En outre, cette attaque entraînerait une déstabilisation de la région, des attentats, la mort de civils, sans parler des conséquences des frappes sur les usines d’enrichissement de l’uranium sur les populations civiles.
Reste que les Iraniens ont peut-être l’objectif d’atteindre le seuil technologique d’avoir la capacité de construire cette bombe – ce en quoi ils ne sont pas les seuls dans le monde.
C’est donc en bâtissant des relations constructives avec l’Iran et en donnant à la société iranienne sa chance d’exercer de plus en plus son pouvoir sur le régime que la crise actuelle pourra être résolue
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie.
La séance est levée à dix-sept heures trente.
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mardi 2 juillet 2013 à 16 heures
Présents. - M. Avi Assouly, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, M. Meyer Habib, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. François Scellier, M. Michel Terrot
Excusés. - M. Pouria Amirshahi, Mme Danielle Auroi, M. Alain Bocquet, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Claude Guibal, M. Lionnel Luca, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier