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Commission des affaires étrangères

Mercredi 18 septembre 2013

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 85

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition de M. José Manuel Garcia-Margallo, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume d’Espagne

Audition de M. José Manuel Garcia-Margallo, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume d’Espagne

La séance est ouverte à dix heures.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, soyez le bienvenu, en compagnie de vos collaborateurs – au premier rang desquels l’ambassadeur d’Espagne en France, M. Carlos Bastarreche –, à l’occasion de votre visite en France. Nous serons heureux d’entendre vos analyses sur les perspectives en Espagne et en Europe pour 2014 et 2015.

La situation économique de votre pays s’améliore lentement, mais notablement : les taux d’intérêt sont revenus à des niveaux acceptables – moins de 5 %. Certes, l’Espagne est encore en récession et connaît un taux de chômage particulièrement important, de l’ordre de 27 %, et jusqu’à 50 % chez les jeunes. Vous avez entrepris des réformes d’ampleur afin de réduire les dépenses, améliorer la compétitivité du pays et assainir le secteur bancaire ; parallèlement, un plan d’aide européen est en cours. Nous savons que cet ajustement est extrêmement douloureux pour la population espagnole.

Tout comme la France, l’Espagne dispose d’un délai supplémentaire pour ramener son déficit budgétaire à moins de 3% du PIB. Comme nous, vous êtes convaincus qu’il est nécessaire de relancer la croissance et l’innovation parallèlement à la consolidation budgétaire et à la réduction des déficits publics, et je crois que nous avons la même vision de la façon de surmonter la crise de la zone euro –le pire étant, semble-t-il, derrière nous.

Deux conseils européens importants sont prévus d’ici à la fin de l’année ; nous souhaiterions que vous nous fassiez part de vos vues concernant l’avancée du projet de construction européenne, la feuille de route sur la zone euro et la politique étrangère et de défense commune. Et je vous remercie d’avoir fait distribuer à chacun des membres de la Commission un exemplaire en français de votre memorandum, Mon idée sur l’avenir de l’Europe.

Enfin, au-delà du partenariat européen, nous avons une approche similaire des relations avec notre voisinage, notamment en raison de l’importance que nous accordons aux pays de la rive sud de la Méditerranée.

M. José Manuel García-Margallo, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume d’Espagne. Madame la présidente, mesdames et messieurs, je suis particulièrement heureux d’être avec vous aujourd’hui : je suis d’abord un parlementaire, en effet, puisque je suis devenu député en 1977, dès les premières élections libres après la dictature de Franco ; j’ai eu ainsi l’honneur de participer à la transition démocratique et à la rédaction de la Constitution de 1978.

Je commencerai par vous exposer mon point de vue sur la situation et les perspectives de l’Union européenne, notamment en matière économique et monétaire. La brochure qui vous a été distribuée présente diverses propositions visant à améliorer l’union économique et monétaire ; elles ont été discutées par dix-sept ministres des affaires étrangères – dont celui de la France –, à Palma de Majorque, en juillet dernier.

C’est la crise économique qui a mis en évidence l’urgence de consolider une union européenne forte et solide dans le monde ; toutefois, bien avant la crise de 2007 et la chute de Lehman Brothers, des voix s’étaient élevées pour demander une réforme de l’Union.

Tout d’abord, les pays émergents, comme la Chine et l’Inde, inondaient déjà les marchés occidentaux de marchandises « low cost » et de produits plus sophistiqués, souvent fabriqués par des entreprises américaines ou européennes ayant délocalisé leurs unités de production afin de profiter de salaires moins élevés, de taux d’imposition plus favorables et de normes environnementales moins contraignantes.

Ensuite, bien avant la crise, les États-Unis d’Amérique étaient capables de créer 1,2 poste de travail pour chaque poste supprimé à cause de la délocalisation, quand l’Union européenne n’en créait que 0,8.

Enfin, dès cette époque, on avait remarqué qu’une union monétaire sans union économique était illusoire. L’imposition d’un taux d’intérêt unique à des pays se trouvant dans des situations différentes a provoqué une migration de l’épargne des pays centraux vers les pays périphériques, phénomène qui est à l’origine de la crise immobilière en Espagne. Le pacte de stabilité et de croissance a été oublié par presque tous les États membres – notamment par l’Allemagne et par la France en 2002 et 2003. La méthode de coordination « light » n’a pas fonctionné : nous étions ensemble à Bruxelles, madame la présidente, quand fut publié le rapport Kok, lequel, ayant pour objet d’évaluer les progrès réalisés dans le domaine de la coordination économique, aboutissait à la conclusion que les différences étaient plus importantes encore qu’avant le lancement de la stratégie de Lisbonne !

Il reste que c’est bien la crise de 2007 qui a déclenché l’alarme. Pour tenter de la surmonter, la politique monétaire de la Banque centrale européenne n’a pas été aussi audacieuse que celles de la Réserve fédérale américaine et de la Banque d’Angleterre. Les taux d’intérêt restaient certes bas, mais les courroies de transmission étaient complètement bloquées ; il existait en outre des disparités importantes dans les conditions de financement d’entreprises travaillant pourtant sur le même marché intérieur : une entreprise allemande bénéficiait d’un taux d’intérêt d’un peu plus de 1 %, quand des entreprises italiennes ou espagnoles devaient payer des taux de presque 5 % ! Le pacte de stabilité et de croissance n’a pas fonctionné ; aujourd’hui, douze des dix-sept États membres de la zone euro dépassent les limites fixées par le pacte et les différences de primes de risque atteignent 2 000 points de base – phénomène inédit dans une union économique et monétaire ! Et que sont devenues les trois clauses : no bail out, no default, no exit ? Des bail out, on en a déjà vu beaucoup, on a constaté un défaut de paiement de la Grèce et l’on a commencé à envisager l’exclusion de certains pays de l’union monétaire : rien n’a fonctionné !

Alors, que faut-il faire ? C’était une grave erreur que de vouloir faire une union monétaire sans travailler en parallèle à une union économique. Il faut désormais instaurer un gouvernement économique fondé sur quatre piliers : une union bancaire, une union budgétaire, une union économique, une union politique.

S’agissant de l’union bancaire, nous avions réfléchi en 2010 à la supervision des banques, des assurances, des fonds de pension, des marchés, des actions et aux risques systémiques. Nos conclusions n’ont pas été suivies par le Conseil : nous en sommes toujours au même point.

Notre idée est pourtant simple : les banques de dimension européenne devraient être soumises à une réglementation unique – c’est à l’Autorité bancaire européenne, qui est à Londres, de l’établir – et à un mécanisme de supervision unique. Il faudrait aussi mettre en place des mécanismes communs de restructuration des banques, ainsi qu’un système de garantie des dépôts et un fonds de résolution bancaire préfinancés afin que le coût d’une éventuelle crise ne soit pas supporté par le contribuable. Ces mécanismes devraient être complétés par un « pare-feu » commun, qui devrait être le Mécanisme européen de stabilité. La Banque centrale européenne devrait en outre se transformer pour assumer le rôle de prêteur en dernier ressort, à l’instar de la Réserve fédérale américaine ou de la Banque d’Angleterre.

S’agissant de l’union budgétaire, le « six-pack » et le « two-pack » ont permis des avancées importantes en matière de contrôle des budgets nationaux par les autorités européennes. Désormais, tous les États faisant l’objet d’une procédure pour déficit excessif ont l’obligation de présenter leur budget à Bruxelles avant de le soumettre à la discussion de leur Parlement ; en matière de souveraineté nationale, cela représente un saut considérable, puisque les Parlements étaient nés pour approuver les budgets nationaux.

Ces mesures doivent être complétées par de nouveaux mécanismes de solidarité, car les mécanismes de bail out n’ont pas fonctionné, que ce soit dans le cas de la Grèce ou dans celui de Chypre ; les difficultés de la Grèce, pays qui représente 2 % du PIB de la zone euro, ont provoqué un tsunami dans toute l’Union européenne et, ce qui est encore plus curieux, celles de Chypre – 0,2 % du PIB de la zone euro ! – ont abouti à une situation tout aussi grave. Il faut dire qu’avec des moyens aussi limités pour contrer la spéculation et de telles procédures de décision, cela ne pouvait pas marcher ! Il faudrait créer un véritable fonds européen, qui soit soumis à des règles plus souples en matière de prise de décision, et qui ait le droit d’aller se financer sur les marchés.

On rejoint là le problème, délicat, des obligations européennes : les « eurobonds ». Certains pensent qu’ils permettraient aux pays les moins vertueux de profiter des efforts des autres. Ce ne sera pas le cas si on limite la mutualisation de la dette de chaque pays à 60 % de son PIB, le reste devant être financé par des obligations nationales payables après les obligations européennes. En outre, même au-dessous de cette limite, les taux d’intérêt, les conditions et les garanties devraient varier en fonction du degré de respect des contraintes communautaires en matière de budget, de dette, de compétitivité et de réformes. La création des eurobonds n’est pas qu’une décision économique : chacun sait que les États-Unis d’Amérique sont nés lorsque les treize colonies ont décidé de mutualiser leurs dettes. Cela permettrait donc de faire un pas fondamental en direction des États-Unis d’Europe.

L’union économique semble plus lointaine, mais il faudrait également avancer dans cette voie, par exemple en prévoyant dans quelques années une coordination ex ante des grandes réformes économiques, qui se traduirait par la signature de contrats de convergence et de compétitivité entre les États membres et les institutions européennes. Ces contrats seraient assortis du versement d’une aide financière complémentaire.

Quant à l’union politique, elle passe d’abord par la mise en place d’un gouvernement économique. Je dirai tout à l’heure quelques mots sur les réformes institutionnelles.

J’en viens à mon deuxième point : améliorer la capacité d’action à l’intérieur et à l’extérieur.

Sur le plan intérieur, il conviendrait de consolider le marché unique, comme l’ont demandé plusieurs rapports, dont le rapport Monti ; on sait ce que l’on doit faire, mais on ne le fait pas.

La relance de la croissance me semble un nécessaire complément de la politique d’austérité : celle-ci ne fera pas le boulot toute seule ! Il faut donc accroître le soutien aux PME et faciliter leur accès à la Banque européenne d’investissement, dont le rôle devrait être renforcé. Il faut aussi stimuler la création d’emploi, en particulier pour les jeunes, et créer un marché intérieur de l’énergie interconnecté.

Sur le plan extérieur, des réformes sont également à conduire. La Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité devrait voir son rôle accru et sa coopération avec les commissaires ayant des compétences en matière d’action extérieure améliorée ; elle devrait aussi pouvoir veiller à la bonne coordination de ces commissaires chargés de domaines connexes : politique de voisinage, coopération internationale, migrations, etc., par exemple via la création de postes de commissaires « juniors ». L’Union européenne doit parler d’une seule voix dans les institutions internationales.

Troisième volet, les réformes institutionnelles. Il faudrait accroître la prééminence du président de la Commission dans l’organisation interne et réduire le nombre de commissaires ; ceux-ci sont aujourd’hui 28, ce qui oblige à diviser artificiellement les dossiers. Le président de la Commission devrait être élu au suffrage universel indirect – par le Parlement européen. Et il conviendrait de fusionner le poste de vice-président, commissaire aux affaires économiques et monétaires, avec celui de président de l’Eurogroupe.

Il faudrait enfin améliorer la préparation des Conseils européens grâce à des réunions du conseil des affaires étrangères et du conseil des affaires générales, étendre le champ de la procédure législative ordinaire, avec une seule lecture, et renforcer les matières où une coopération renforcée serait possible.

À la demande de la présidente, je dirai enfin quelques mots sur l’économie espagnole. Le présent Gouvernement a hérité d’une situation particulièrement difficile : l’Espagne ressentait les effets de la crise générale, mais avec des spécificités : poids particulièrement lourd de la dette, en particulier dans le secteur privé, crise du marché de l’immobilier, forte perte de compétitivité. Cela a eu quatre conséquences : une dégradation du PIB et de l’emploi plus importante qu’ailleurs, une forte dégradation de notre balance extérieure – avec un déficit de 10 % en 2008 –, un effondrement des finances publiques – on est passé d’un excédent de 2 % en 2008 à un déficit de 11 % deux ans plus tard – et une crise du système financier.

Un programme d’austérité et de stabilité budgétaire a été mis en place. D’importantes économies ont été réalisées : le budget de la coopération ne représente aujourd’hui que 20 % de celui de mon prédécesseur. Il a fallu remettre à flot le système financier – avec l’aide des institutions européennes –, réformer le marché du travail, les services publics, le marché de l’énergie ; des réformes des pensions et de la fiscalité sont en cours.

Cet effort commence à porter ses fruits. Nous avons réduit très fortement la dette des compagnies et des entreprises non financières, les déficits publics, la dette publique et nous commençons à enregistrer des signes encourageants dans le secteur extérieur : la balance courante et la balance des paiements sont devenues excédentaires, pour la première fois depuis vingt ans, ce qui nous permet de commencer à rembourser notre dette extérieure ; notre taux de couverture est le plus élevé depuis vingt ans, les exportations ont augmenté et les compagnies espagnoles sont performantes, notamment dans des secteurs modernes comme les énergies renouvelables ou la gestion de l’air.

Il est vrai que la situation reste difficile : cette année, la croissance sera encore négative, le taux de chômage est de 25 % – y compris, madame la présidente, chez les jeunes entre 16 et 24 ans, car la moitié poursuivent des études –, et il existe des risques externes : les conséquences des élections en Allemagne sur l’euro, celles de la crise au Moyen-Orient sur le pétrole. Nous commençons néanmoins à sortir du tunnel, et j’espère que, l’année prochaine, l’économie espagnole va redémarrer, sur des bases plus solides qu’avant la crise.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, monsieur le ministre, de nous avoir fait part de votre analyse de la situation économique de l’Espagne et de vos vues fort intéressantes sur l’union monétaire et économique européenne – dont vous êtes un spécialiste, puisque vous avez été pendant plus de dix ans vice-président de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.

Pourriez-vous nous dire encore ce que vous attendez du Conseil européen de décembre, qui sera consacré à politique européenne de sécurité et de défense ?

M. François Asensi. Le tribunal suprême de justice de Madrid a prononcé la nullité de l’édification, sur le campus de l’université de Madrid, du monument en hommage aux brigades internationales, qui avait été décidée sous le gouvernement de M. Zapatero. Pourrait-on trouver une solution ? À défaut, il s’agirait d’un mauvais signal envoyé à l’Europe à un moment où progressent un peu partout la xénophobie, l’intolérance, voire, comme en Grèce, les pulsions néonazies.

M. José Manuel García-Margallo. Je n’ai pas suivi ce dossier. M. l’ambassadeur me dit que c’est un problème de procédure administrative ; n’y voyez en tout cas aucune décision politique. Beaucoup d’Espagnols éprouvent de la reconnaissance envers les brigades internationales, auxquelles de nombreux Français ont participé – je connais bien L’espoir d’André Malraux. Il existe d’ailleurs d’autres monuments qui leur sont consacrés.

Mme Chantal Guittet. Quelle est votre position sur le Kosovo ? L’Espagne est un des cinq pays de l’Union européenne à ne l’avoir toujours pas reconnu.

Il y a eu ces derniers temps quelques tensions au sujet de Gibraltar. Une enquête de l’Union européenne sur la validation des frontières est en cours. Où en sont les négociations ? Y a-t-il un espoir de règlement de ce différend ?

Le Maroc est actuellement en négociation avec la Russie pour se doter d’un sous-marin de type « Amour ». La France ayant déjà livré des frégates, la flotte marocaine semble se renforcer sérieusement ces derniers temps. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, quid d’un éventuel référendum sur l’indépendance de la Catalogne ?

M. François Rochebloine. Monsieur le ministre, vous êtes, comme moi, un Européen convaincu. On ne peut que déplorer l’absence d’une position commune européenne sur la question syrienne. Quel est l’avis de l’Espagne en la matière ?

Votre pays est un passage obligé pour le transport de la drogue entre le Maroc et la France. Quelles actions conduisez-vous pour lutter contre ce trafic ?

Mme Danielle Auroi. Présidente de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, je ne peux que saluer vos propos. J’ai moi-même rendu en juin dernier un rapport d’information sur l’approfondissement démocratique de l’Union européenne, qui est actuellement soumis à la sagacité des groupes politiques de l’Assemblée. Je suis satisfaite de voir qu’il existe entre nous des convergences de vues.

S’agissant des aspects économiques, nous nous rejoignons en particulier sur l’impératif d’une gouvernance plus claire de la zone euro, qui pourrait être symbolisée par la création d’un poste de « ministre de la zone euro ». Nous avons pour notre part considéré que l’exécutif européen incluait la Commission et le Conseil, qui sont tous deux responsables devant les Parlements ; sans doute faudra-t-il que la Commission soit resserrée et que sa composition réponde à une logique différente : on ne peut pas créer un poste de commissaire supplémentaire chaque fois qu’un nouvel État rejoint l’Union ! En revanche, nous proposons de créer, à côté du Parlement européen, dont les pouvoirs doivent être renforcés, une deuxième chambre, que nous proposons d’appeler « Assemblée des peuples européens », qui serait constituée de représentants des parlements nationaux. Ce bicamérisme permettrait d’associer les parlements nationaux, à travers leurs représentants, aux progrès de la construction européenne. Qu’en pensez-vous ?

Ne pourrait-on pas reconnaître l’existence de « biens publics européens », comme la défense ou les transports ?

Nous avons également proposé la constitution d’un service public européen de la transition énergétique ; cela rejoint la position du Président de la République française, qui estime que la question de l’énergie doit être traitée à l’échelon européen, mais aussi, me semble-t-il, la vôtre. Ne faudrait-il pas envisager la création d’une contribution aux frontières de l’Europe – une « taxe carbone » ?

M. Philippe Cochet. Votre document se conclut par un « appel à tous les citoyens d’Europe » à participer aux élections européennes de 2014, mais je crains que les arguments que vous utilisez ne soient guère mobilisateurs ! J’en prendrai pour preuve un aspect qui touche le quotidien des Français : la politique migratoire de l’Espagne.

Votre pays est aujourd’hui une porte d’entrée importante dans l’espace Schengen, et nous retrouvons beaucoup de ces immigrants en France. Vos arguments en faveur du développement de la future Europe auront d’autant plus de crédibilité qu’il y aura une meilleure lisibilité en la matière, au niveau tant de l’Espagne que de l’espace Schengen. Quelle est votre opinion sur l’autre Europe nécessaire de ce point de vue ?

M. José Manuel García-Margallo. L’Espagne fait en effet partie des cinq pays européens qui ne reconnaissent pas le Kosovo, car ce dernier est issu d’une déclaration unilatérale d’indépendance. Or, au cours de l’histoire, seules trois constitutions ont reconnu le droit à la sécession unilatérale : celle de l’Éthiopie, celle de l’Union soviétique et celle de l’ex-Yougoslavie. L’Union soviétique reconnaissait le droit de sécession depuis 1919, mais de façon tellement compliquée que, lorsque les États baltes ont décidé de prendre leur indépendance, ils ont suivi un autre chemin, à savoir la dénonciation du traité Molotov-Ribbentrop. En ex-Yougoslavie, le droit de sécession a été reconnu aux six Républiques, mais pas aux provinces autonomes du Kosovo et de Voïvodine. Selon nous, la loi internationale doit respecter les voies constitutionnelles et l’article 4 du traité sur l’Union européenne précise bien que l’organisation territoriale est du ressort de chaque État membre – j’y reviendrai à propos de la Catalogne.

Le cas de Gibraltar pose plusieurs problèmes. Celui de la souveraineté, tout d’abord : la cité, la forteresse et le port de Gibraltar ont été cédés à la Grande-Bretagne en vertu de l’article 10 du traité d’Utrecht de 1713, qui mettait fin à la guerre de succession d’Espagne ; les Britanniques en ont profité pour s’emparer aussi de l’isthme de Gibraltar. De ce point de vue, les résolutions des Nations unies sont très claires : Gibraltar doit être décolonisé, suivant le principe de l’intégrité territoriale, et non pas celui de l’autodétermination – les Nations Unies ont condamné le referendum qui a été organisé –, à l’issue de négociations directes. Ces exigences ont été reprises dans la déclaration de Lisbonne en 1980 et dans celle de Bruxelles en 1984, qui incitaient les deux parties à engager des négociations ; elles ne l’ont pas fait.

À cela s’ajoute le problème des eaux : l’article 10 du traité ne mentionne que les eaux intérieures du port en accordant un droit de passage pacifique, mais les Britanniques se réclament de la Convention sur le droit de la mer de 1982 pour revendiquer le droit de disposer, comme tout État, de dix milles marins d’eaux territoriales. Or, non seulement Gibraltar n’est pas un État, mais la Convention sur le droit de la mer subordonne cette clause au respect des traités et conventions préalables.

Et puis il y a l’isthme, sur lequel la Grande-Bretagne ne dispose d’aucun titre de souveraineté.

Aujourd’hui, aucune discussion n’a été engagée à ce sujet ; cela se fera, si l’occasion se présente, aux Nations unies, à La Haye ou devant un tribunal ad hoc. Pour l’heure, le principal problème concerne l’application de la loi européenne sur les eaux : la Commission européenne a confié au Royaume-Uni et à l’Espagne la responsabilité de la protection de l’environnement dans les mêmes eaux ; il y a donc des compétences juridictionnelles concurrentes.

Il existe en outre des problèmes relatifs à l’application du droit international, aux trafics illicites, aux paradis fiscaux et aux sociétés offshore : la contrebande de tabac a bondi de 213 % en deux ans ; l’impôt sur les sociétés, qui est de 10 %, ne s’applique qu’aux revenus générés par des activités exercées à Gibraltar – les autres n’étant pas imposables ; enfin, plus de 100 milliards d’euros ont été dépensés dans les jeux en ligne, ces derniers n’étant taxés qu’à hauteur de 1 %, contre 15 % en Grande-Bretagne !

J’ignorais que le Maroc était intéressé par un sous-marin russe et avait acquis des frégates françaises, mais c’est un État souverain et il est dans son droit. Quoi qu’il en soit, nos relations sont très bonnes.

Le point de vue du Gouvernement espagnol sur la Catalogne a été exprimé par M. Mariano Rajoy dans la lettre qu’il a adressée à M. Artur Mas ; il se résume par ces deux mots : dialogue et Constitution. La Constitution espagnole, comme presque toutes les constitutions du monde – dont la vôtre –, ne reconnaît pas le droit à une partie de son territoire de déclarer unilatéralement son indépendance : la décision appartient au peuple espagnol dans son ensemble, non à une partie. De même, vous ne reconnaissez pas le droit à la sécession de la Corse, de l’Occitanie ou de la Bretagne. Des problèmes semblables, il y en a partout : il ne faudrait pas créer un précédent. Par contre, tous les sujets – finances, infrastructures, langue, culture – doivent pouvoir être abordés dans le respect de la Constitution et des lois.

Depuis des années, le Moyen-Orient pose les problèmes les plus importants auxquels nous ayons à faire face. Il y a tout d’abord le conflit israélo-palestinien, qui dure depuis 1948 ; il paraît que M. John Kerry a relancé les conversations entre Palestiniens et Israéliens et j’ai eu de mon côté des entretiens avec les deux parties.

Ensuite, il y a la révolution islamique en Iran. L’Iran a toujours voulu être une puissance régionale, mais cette ambition se heurte à deux obstacles : les Iraniens ne sont pas des Arabes, mais des Perses, et ils ne sont pas sunnites, mais chiites. Il leur faut donc trouver un « mantra », et c’est Israël. Le programme nucléaire iranien est un danger pour toute la région.

Il y a l’Afghanistan, d’où les troupes de la coalition internationale se retirent ; avec le risque que le pays soit occupé à nouveau par les Talibans.

Et puis, il y a le problème irakien : on compte en ce moment plus de morts en Irak qu’en Syrie.

Sur cette toile de fond s’est déroulé ce qu’on a appelé le « printemps arabe ». On peut distinguer trois catégories de régimes : ceux qui ont essayé de se réformer, comme l’Algérie et le Maroc ; ceux qui ont connu une révolution, comme la Tunisie, la Libye et l’Égypte ; enfin, la Syrie, où la famille Assad bloque toute tentative de réforme ou de révolution. Dans la guerre civile en Syrie, tout est mêlé : les problèmes ethniques, religieux et politiques, les intérêts divergents des pays voisins, et aussi l’action des grandes puissances. Aujourd’hui, plus personne ne croit à la « fin de l’histoire » : c’était un rêve ! Même les États-Unis ne peuvent pas résoudre un problème tout seuls, et il faut à nouveau compter avec la Russie, qui rêve de redevenir ce qu’elle a toujours été : un pouvoir impérial.

L’Espagne ne croit pas à une solution militaire ; nous pensons qu’il faut se diriger vers une solution politique, avec Genève II. Peut-être faudrait-il s’inspirer de ce qui s’est passé en Espagne, il y a quarante ans : d’abord, on a engagé une réconciliation nationale complète, avec deux lois d’amnistie ; lorsque la Constitution a été approuvée, il n’y avait plus, pour la première fois depuis la guerre d’indépendance, de prisonnier politique en Espagne. Ensuite, un dialogue national a été mis en place, en s’appuyant, du côté du régime, sur les personnalités favorables au changement et, du côté de l’opposition, sur les forces modérées. Enfin, on a progressivement rétabli les libertés publiques et les droits fondamentaux, de manière à habituer les Espagnols à dialoguer entre eux et à leur donner le temps de créer des partis politiques et des associations. Ce n’est que lorsqu’un climat démocratique eut été établi que l’on a organisé des élections générales et qu’une constitution approuvée par tous les partis politiques a été adoptée. Il faudrait faire de même en Syrie.

Mais pour aboutir à ce résultat, il faut imposer le dialogue de l’extérieur, comme au Liban : si l’on laisse les Syriens s’entendre entre eux, on n’aboutira à rien. Il faut que les Russes trouvent, parmi les membres du régime, ceux qui sont les plus ouverts et que les Occidentaux fassent comprendre à l’opposition la nécessité d’être raisonnable. C’est pourquoi nous sommes partisans d’attendre les conclusions de la mission des Nations Unies sur l’utilisation des armes chimiques, de demander une décision du Conseil de sécurité et de préparer le terrain pour une conférence de Genève II.

Plusieurs questions restent en suspens. Que faire de M. Assad ? Les Russes disent qu’à Genève, on avait décidé qu’il resterait en place, même s’il devait céder le pouvoir exécutif à un gouvernement de transition nationale chargé de préparer les élections générales ; mais si l’on décide que c’est au gouvernement syrien de transmettre les armes chimiques aux inspecteurs, cela signifie que M. Assad restera en place au moins jusqu’au deuxième semestre de 2014 ! Et que faire avec l’Iran ? À mon avis, il faut compter avec lui si l’on veut trouver une solution durable.

Le conflit syrien est en train de déstabiliser le Liban et la Jordanie, et de créer des problèmes sérieux en Turquie ; il risque d’avoir des répercussions sur toute la région. Il faut donc avoir une vision d’ensemble, en essayant de régler la question palestinienne, qui fournit un prétexte idéal aux forces extrémistes. Les djihadistes représenteraient une part importante des effectifs de l’armée syrienne libre : leur victoire serait pire que la solution intérieure ! C’est pourquoi l’Espagne a invité l’opposition modérée à venir discuter à Cordoue – où se trouve la mosquée des Omeyyades –, de manière à favoriser le dialogue politique.

S’agissant des réformes institutionnelles en Europe, il faut distinguer celles qui peuvent être faites sans révision des traités, et celles qui en nécessitent une.

À court terme, pour progresser dans la voie d’un gouvernement économique européen, le commissaire chargé des affaires économiques, vice-président de la Commission – poste occupé en ce moment par M. Olli Rehn –, devrait devenir le président de l’Eurogroupe.

À long terme, je crois que c’est à la Commission de devenir le gouvernement de l’Europe ; le Conseil devrait quant à lui être transformé en deuxième chambre, chargée de représenter les États membres. Il faudrait en outre renforcer la coordination entre les Parlements nationaux et le Parlement européen, notamment entre les commissions chargées des mêmes dossiers.

L’énergie est un vrai problème, actuellement en discussion ; nous ne savons pas trop quoi faire, car ces questions ont un effet notable sur la politique de voisinage.

Pour reprendre l’exemple du Maroc, il convient de développer son économie si l’on veut régler le problème de l’immigration. Tel est l’objet du projet Desertec, qui vise à développer un réseau de transport de l’énergie solaire allant jusqu’en Europe. Le problème, c’est que nous avons aujourd’hui une capacité de production excédentaire, et que l’interconnexion avec la France et le reste de l’Europe n’est que de 8 %. Si l’on arrive à renforcer cette interconnexion, le projet pourra être économiquement viable ; dans le cas contraire, cela ne vaudra pas la peine de le concrétiser.

À terme, les enjeux énergiques vont probablement modifier la géostratégie mondiale. Dès lors que les États-Unis deviendront autosuffisants – ce qui sera le cas d’ici vingt ans –, l’intérêt qu’ils accordent au Moyen-Orient diminuera fortement, et ce sera à nous, Européens, de résoudre les problèmes.

Autre question très importante : l’immigration. La quasi-totalité de notre budget de coopération sert à financer des actions dans les pays d’origine – Mauritanie, Sénégal – pour qu’ils contrôlent sur place l’émigration. Nous coopérons également avec les pays de transit, comme le Maroc. Mais nous ne pouvons pas tout faire seuls ; il faut que la question soit traitée à l’échelle européenne, notamment via Frontex.

Le problème concerne tous les pays de la Méditerranée, et en particulier Malte, Chypre et l’Italie ; c’est pourquoi nous nous efforçons de relancer la coopération entre pays méditerranéens. Même si l’immigration tend à diminuer actuellement, en raison de la crise économique, cela ne durera pas, si le PIB par habitant est 40 fois plus important de ce côté-ci de la Méditerranée ! Tant qu’il existera une telle différence, et tant qu’il y aura des services sociaux gratuits pour les immigrés, l’incitation à émigrer sera forte.

Il faut enfin veiller à la bonne intégration des migrants, afin de ne pas créer de ghettos.

M. Carlos Bastarreche, ambassadeur du Royaume d’Espagne en France. Pour ce qui est de la lutte contre la drogue, un accord-cadre en vue d’une coopération policière entre la France et l’Espagne, sur le modèle de ce qui avait été fait pour le terrorisme et qui a donné de si bons résultats, a été signé lors du dernier sommet européen. Il y a donc des policiers français en Espagne. Les résultats sont déjà là : on a enregistré cette année des chiffres record en matière de saisies et de démantèlements de réseaux.

M. José Manuel García-Margallo. Le trafic de drogue est un vrai problème – en particulier entre l’Algérie et le Maroc. Des avions militaires provenant de certains pays d’Amérique latine vont jusqu’au Mali pour faire entrer la drogue en Europe ! Là aussi, une action uniquement nationale serait insuffisante – de même qu’en matière de lutte contre le terrorisme, d’immigration, de changement climatique ou de compétitivité.

M. Avi Assouly. La crise semble accroître le rejet du projet européen et provoquer des replis nationalistes dans plusieurs États membres. Observe-t-on en Espagne une montée de l’euroscepticisme ?

M. Jean-Paul Dupré. Les flux migratoires sont-ils toujours aussi importants ? Qu’en est-il du respect des droits de l’homme dans le cadre de l’immigration illégale ?

M. Pierre Lequiller. Je veux féliciter le Gouvernement espagnol, car il a engagé des réformes extrêmement courageuses, qui portent déjà leurs fruits.

Vous souhaitez que les postes de vice-président chargé des affaires économiques et de président de la zone euro soient fusionnés. C’est une bonne idée, mais quelle est la possibilité de la réaliser à court terme ?

Une diminution du nombre de commissaires européens serait effectivement nécessaire, car cela donne une très mauvaise image de l’Europe. Mais comment y arriver ?

M. Jean-Pierre Dufau. Les projets de liaisons TGV entre la France et l’Espagne semblent repoussés ; or, il ne s’agit pas d’un dossier national, mais européen. L’Europe ne pourrait-elle pas prendre des initiatives afin d’améliorer le fret et la circulation des voyageurs ?

M. André Schneider. Étant député de Strasbourg, je souhaiterais connaître votre position quant au siège du Parlement européen.

Mme Françoise Imbert. La France se classe au deuxième rang des pays d’accueil des étudiants espagnols ; les universités toulousaines en accueillent beaucoup. La langue espagnole est de plus en plus enseignée en France, où de nombreuses classes européennes se développent. Qu’en est-il de l’enseignement du français en Espagne, où l’apprentissage d’une seconde langue vivante est optionnel ?

M. Jacques Myard. Je rends hommage à votre sens des réalités, s’agissant du Kosovo et du Proche-Orient, mais je suis étonné par votre utopie en matière européenne ! L’euro ne fonctionne pas – et je ne suis pas le seul à le dire : même un ancien commissaire, M. Bolkestein, a déclaré que la zone euro était un échec. Je crois que vous faites une grave erreur en proposant un logiciel fédéral aujourd’hui rejeté par les peuples. Une union monétaire ne pourrait fonctionner que sous la forme d’une union de transferts, c’est-à-dire qu’il faudrait que l’Allemagne paie ; elle ne le fera pas !

M. Jean-Luc Bleunven. Le 16 septembre, à Brest, M. Le Drian, ministre français de la défense, et son homologue espagnol, M. Morenés y Álvarez de Eulate, ont signé une déclaration conjointe visant à relancer l’Europe de la défense. L’idée est de mettre en commun les investissements et de mutualiser les ressources pour réaliser des économies de l’ordre de 3 à 9 milliards, selon les estimations. Que pensez-vous de cette idée ? Avez-vous eu des retours de la part des autres États membres ?

M. Pierre-Yves Le Borgn. Avec des sociétés comme Iberdrola, Gamesa, Union Fenosa ou Isofoton, l’Espagne est un des principaux acteurs du marché des énergies renouvelables. Ne pensez-vous pas que le moment serait venu de prendre une initiative en faveur, non seulement d’une communauté européenne de l’énergie, mais d’une industrie européenne de l’énergie, sorte d’EADS de la transition énergétique, au sein de laquelle votre pays pourrait jouer un rôle moteur ?

M. Pierre Lellouche. Comme mon collègue Cochet, je suis un peu sceptique à la lecture de votre document ! Je ne crois pas que vos propositions soient de nature à réveiller les opinions publiques pour les élections européennes. Par exemple, le service européen pour l’action extérieure – idée que nous avons tous soutenue en son temps –, c’est un budget énorme et zéro résultat. À mes yeux, l’enjeu n’est pas d’accroître son rôle, mais de faire des économies !

Un point d’histoire, ensuite, à propos des « eurobonds » – sujet cher à l’actuel Président de la République française, bien qu’il ait été un peu enterré : même si cela a été une conséquence implicite de la création du dollar, ce n’est pas pour mutualiser leur dette que les colonies américaines se sont unies ! D’autre part, si vous voulez créer des eurobonds, il faudra bien, comme l’a dit M. Myard, que quelqu’un les paie ; aujourd’hui, ce ne peut être que l’Allemagne. Pensez-vous vraiment qu’après le 22 septembre, Mme Merkel ouvrira son carnet de chèques pour alimenter l’Europe du Sud, France incluse ? Personnellement, j’en doute !

M. José Manuel García-Margallo. « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! », disait Danton ; si l’on veut avancer en matière de construction européenne, il vaut mieux en avoir…

Le problème que posent les eurobonds, c’est « l’aléa moral » ; pour ma part, je crois qu’il n’y a aucun risque si, d’une part, on contrôle au préalable les finances publiques – tel est l’objectif du « two pack » et du « six pack », et je serais quant à moi favorable à ce que les recommandations de la Commission soient contraignantes – et si d’autre part, on fixe à 60 % du PIB la limite au-dessus de laquelle la dette d’un État membre ne pourrait plus être mutualisée, à charge pour lui d’émettre des obligations nationales, payables après les obligations européennes : cela fonctionnera comme un couperet.

Pour accéder au financement par les eurobonds, il faudra donc avoir rempli ses devoirs en matière de déficit, de dette et d’équilibres macroéconomiques. Cela n’est pas immatériel ! Comme dit Shakespeare : « Le bien et le mal ne sont pas dans les étoiles, mais au-dessous ».

Une crise comme celle que nous avons connue coûterait en réalité bien plus cher, y compris à l’Allemagne. Les mécanismes actuels ne marchent pas : nous sommes arrivés en retard en Grèce, à Chypre, au Portugal – et vous verrez qu’après les élections allemandes, il y aura un troisième paquet d’aides pour la Grèce !

Il faut donc mettre en place un cadre complet, comprenant des mécanismes de contrôle, une limitation de la dette susceptible d’être mutualisée, ainsi que des taux, des garanties et des conditions variables suivant la situation économique et financière du pays.

Bien sûr que les États-Unis sont nés d’abord parce qu’ils en avaient assez des Britanniques ! Mais si l’on fait les eurobonds, il faudra un Trésor, et si l’on a un Trésor, il faudra un responsable et c’est ainsi que l’on aboutira à un gouvernement économique.

J’ai bien conscience que mes propositions concernant le service extérieur ne sont pas porteuses électoralement, mais si nous ne faisons rien, nous resterons impuissants au plan international. Aujourd’hui, l’Europe ne compte pas : les Israéliens et les Palestiniens se tournent avant tout vers M. Kerry, et, en Syrie, on nous raconte des histoires. Pourtant, l’Europe aura besoin de contrôler les zones que les Américains délaisseront. Au Mali, ceux-ci n’ont pas participé à la coalition, non plus qu’en Libye. S’ils quittent le Moyen-Orient ou l’Afrique, ce sera à nous de décider ce qu’il faudra faire.

Si l’on veut un service extérieur, il faut être capable de définir une véritable politique extérieure commune. Pour l’instant, nous n’arrivons même pas à nous mettre d’accord à propos de l’embargo sur les armes pour l’opposition syrienne ! Il faut donc aussi une politique de défense commune, et donc une industrie d’armement : autant de pas vers un État fédéral ; à défaut, nous resterions impuissants, et nous risquerions de le devenir également sur le plan économique, car le monde bascule vers le Pacifique. À un moment donné, il faut bien décider d’avancer – peu importe à quelle vitesse !

Pour le siège du Parlement, j’ai toujours voté en faveur de Strasbourg.

Aujourd’hui, 500 millions de personnes parlent l’espagnol ; il s’agit de la deuxième langue apprise dans le monde et, avec 50 millions de locuteurs, de la deuxième langue parlée aux États-Unis. Nous avons déjà un pape qui parle espagnol ; nous aurons probablement bientôt un président des États-Unis qui parlera espagnol.

Le problème, c’est la puissance de la langue. Le français est devenu une langue optionnelle. Moi, je l’ai appris à neuf ans, quand j’étais à Lorient, en Bretagne. Aujourd’hui, c’est l’anglais qui s’impose. Quand nous sommes arrivés à Bruxelles en 1994, on parlait français et anglais ; depuis l’intégration des pays du nord et de l’est, on ne parle plus qu’anglais.

Quant aux interconnexions, je crois qu’en ce moment les difficultés viennent surtout du côté français. Le corridor central, au milieu des Pyrénées, soulève des difficultés financières – il faut creuser un tunnel long de 40 kilomètres – et environnementales. Le corridor méditerranéen est très important pour nous : 40 % des exportations espagnoles transitent par cette voie. Il faudrait le faire.

Nous sommes leader mondial pour l’énergie solaire et numéro deux pour l’énergie éolienne. Que faudrait-il faire pour avoir une vraie politique industrielle européenne, pour éviter les délocalisations et pour conserver une industrie importante en Europe – car je suis convaincu qu’on ne peut pas vivre avec seulement une économie de services ? La seule solution, c’est l’intégration européenne. Il faut nous protéger contre les pratiques déloyales : cela n’a aucun sens d’importer des marchandises qui ne sont pas produites dans des conditions raisonnables du point de vue de l’environnement. Et puis il faut revoir nos systèmes fiscaux pour ne pas favoriser le dumping. Bref, décidons d’être européens !

Je suis un européiste convaincu, je le reconnais. Je suis fédéraliste, car je crois que, dans le monde de demain, même les grands pays européens pèseront un poids négligeable face aux États-Unis, à l’Inde, à la Chine ou à la Russie. Nous n’avons pas assez de surface, de population, de ressources naturelles ; nous n’avons que de l’intelligence et, je l’espère, de la volonté.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, monsieur le ministre, d’avoir répondu à nos questions – qui plus est en parlant aussi admirablement notre langue !

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 18 septembre 2013 à 10 heures

Présents. - M. François Asensi, M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Édouard Courtial, M. Jacques Cresta, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Laurent Kalinowski, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Boinali Said, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Christian Bataille, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Paul Giacobbi, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé

Assistait également à la réunion. - M. François Cornut-Gentille