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Commission des affaires étrangères

Mercredi 11 décembre 2013

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 27

co-présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente, de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, de Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense et des forces armées et de M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

– Audition, commune avec la commission des affaires européennes, la commission de la défense et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur les enjeux du Conseil européen de décembre 2013 consacré aux questions de défense et de sécurité (ouverte à la presse) 2

Audition, commune avec la commission des affaires européennes, la commission de la défense et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur les enjeux du Conseil européen de décembre 2013 consacré aux questions de défense et de sécurité

La séance est ouverte à onze heures.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Madame la présidente de la commission de la Défense, madame la présidente de la commission des Affaires européennes, monsieur le président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, mes chers collègues, je remercie M. Le Drian d’avoir accepté de venir s’exprimer sur les enjeux du prochain Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, qui sera en partie consacré aux questions de défense et de sécurité.

Le format de cette audition est exceptionnel, dans la mesure où nous avons le plaisir d’accueillir nos collègues de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Jean-Louis Carrère.

Hier, un débat sur la République centrafricaine s’est tenu en séance publique, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Mardi prochain, les commissions des Affaires étrangères et de la Défense auditionneront conjointement M. Le Drian et M. Fabius sur le même sujet. Je vous demande donc, mes chers collègues, de concentrer vos interventions sur l’Europe de la défense.

Ce prochain Conseil européen est très attendu. Nous espérons qu’il donnera une impulsion politique et qu’il permettra de relancer l’Europe de la défense, qui est en panne. La tâche est difficile, mais absolument nécessaire. La France a une responsabilité particulière dans ce domaine puisque, sans initiative française au plus haut niveau, l’Europe de la défense ne peut pas avancer.

Vous nous direz, monsieur le ministre, les propositions que la France portera lors de ce Conseil, quelles sont les chances qu’elles soient retenues dans les trois domaines qui seront traités, à savoir : la capacité de gestion des crises de l’Union européenne dans ses dimensions civile et militaire ; les capacités militaires européennes et la question de la mutualisation ; l’industrie de défense européenne.

Je rappelle que la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale a adopté mercredi dernier mon rapport d’information consacré à l’Europe de la défense, auquel ont été jointes les contributions de quatre groupes politiques. Parmi les propositions contenues dans ce rapport, celle qui porte sur le partage du fardeau financier des opérations militaires a recueilli une large adhésion. Actuellement, les opérations conduites par un État membre sont entièrement à sa charge, même lorsqu’elles bénéficient du soutien politique des membres de l’Union. Ne pourrait-on pas imaginer des mécanismes pour mutualiser certaines dépenses ? Je pense, notamment, à la création d’un pôle européen permettant de financer des opérations extérieures d’intérêt commun.

M. Pierre Lellouche. Merci de reprendre les bonnes idées de l’opposition !

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, peut-être aurez-vous l’occasion de nous donner votre avis sur cette question – que le Président de la République a évoquée lors du sommet franco-africain. Mais avant de passer la parole à Mme la présidente de la commission de la Défense, je tiens à saluer personnellement votre implication pour faire progresser l’Europe de la défense.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le ministre, nous sommes ravis de vous accueillir et nous vous remercions de vous être rendu disponible, malgré un emploi du temps bien chargé.

Je tiens à préciser que la commission de la Défense a travaillé étroitement avec la commission des Affaires européennes grâce à nos rapporteurs, MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion, dont le rapport contenait de nombreuses propositions, certaines ayant été reprises dans les discussions que vous avez menées au niveau européen. Par ailleurs, grâce à un amendement déposé par le même Joaquim Pueyo et soutenu par le Gouvernement, la loi de programmation militaire – dont je salue le vote définitif intervenu hier au Sénat – s’est prononcée en faveur de l’extension du dispositif Athena, qui permet de financer des opérations militaires validées au niveau européen. Cela corrobore les propos tenus le 7 décembre par le président du Conseil européen, selon lesquels la France se pose souvent en précurseur et en leader de l’action européenne en matière de défense. Ainsi, le prochain Conseil européen se saisira peut-être de l’occasion pour faire évoluer le dispositif Athena afin de financer et d’accompagner les pays qui, comme le nôtre, s’engagent véritablement sur le terrain.

Je relève aussi que, dans le cadre de ce prochain Conseil, on attend des avancées importantes en matière de « cyber » et de sécurité maritime européenne. Sera également évoquée une question souvent débattue au sein des commissions de la Défense, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée : celle des drones MALE européens. Enfin, on peut espérer que progressera la question de l’évolution des normes européennes, sujet moins médiatique mais pourtant fondamental pour la construction européenne.

La Présidente Danielle Auroi. Monsieur le ministre, je suis ravie de vous accueillir avec mes collègues présidentes de la commission des Affaires étrangères et de la commission de la Défense et des forces armées, et avec le président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, pour parler de cette Europe de la défense. Comme vient de le préciser Mme Patricia Adam, nous avons travaillé ensemble sur le rapport de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion, qui a été présenté à notre commission des Affaires européennes. Ce rapport a débouché sur une résolution européenne, qui a été adoptée par la commission de la Défense et des forces armées. Celle-ci est devenue définitive le 4 mai dernier.

Cette résolution comporte 23 propositions, qui s’articulent autour des trois grands axes de réflexion suggérés par le Conseil : augmenter l’efficacité, la visibilité et l’impact de la politique de sécurité et de défense commune ; renforcer le développement des capacités en matière de défense ; renforcer l’industrie européenne de la défense.

Sur le fond, monsieur le ministre, nous sommes très sérieusement préoccupés par les difficultés durables rencontrées dans ce domaine pour dépasser les approches nationales et faire émerger une volonté européenne commune. L’Europe de la défense reste à bâtir pour l’essentiel, comme la politique étrangère, dont elle est l’expression. Le souffle politique provenant des États, indispensable pour avancer dans ce domaine, va-t-il parvenir jusqu’au Conseil ? Comment pourra-t-on dépasser les blocages de certains États membres, en particulier de la Grande-Bretagne, qui est à la fois un partenaire incontournable et l’empêcheur d’une intégration plus poussée ?

Monsieur le ministre, je vous poserai rapidement trois questions principales. Premièrement, pouvez-vous nous préciser les suites que le Gouvernement a souhaité donner aux propositions contenues dans la résolution européenne de l’Assemblée nationale du 4 mai dernier sur l’Europe de la défense ? À ce stade de préparation du Conseil européen, que peut-on espérer qu’il retiendra ?

Certaines de nos propositions s’appuient simplement sur les dispositifs prévus par le traité de Lisbonne : la coopération structurée permanente, qui constitue pour nous une voie de progrès indépassable si l’on veut aller de l’avant sans être bloqués par la règle de l’unanimité ; le recours à des fonds communautaires pour le financement de certaines activités. Le Conseil européen va-t-il enfin permettre d’avancer sur la mise en œuvre effective de ces dispositifs ?

Deuxièmement, l’Union européenne ne pourrait-elle pas jouer un rôle plus important en matière de prévention des conflits ? Il y a quinze ans, en tant qu’eurodéputée, j’avais travaillé avec Catherine Lalumière sur un rapport du Parlement européen de la défense, qui traitait de ce sujet. Or, aujourd’hui, il me semble que nous en sommes toujours au même point. Peut-on espérer voir la situation évoluer ?

Troisièmement, est-ce que l’Union va aider plus spécifiquement la France, qui s’engage en Centrafrique ? L’Union a l’habitude d’apporter son aide en matière de développement, et Pascal Canfin a souligné qu’il y avait beaucoup à faire en ce domaine, au moment où les ONG sont à nouveau sollicitées sur le terrain. Mais cela ne peut avoir de sens qu’en coordination avec la défense.

Enfin, récemment, les experts de l’Union européenne ont évoqué la possibilité de déployer les groupements tactiques de l’Union européenne pour faciliter la distribution des aides humanitaires. Cette option sera-t-elle examinée aussi par le Conseil ?

M. le président Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre, peut-on s’attendre à des avancées concrètes sur les trois corbeilles ? Je pense aux groupements tactiques qui, depuis leur création, il y a dix ans, n’ont encore jamais été déployés sur le terrain. Je pense aussi au partage et à la mutualisation. Mais comment peut-on parler de partage et de mutualisation, comment peut-on espérer une véritable Europe de la défense tant que les chefs d’État ne consentiront pas à abandonner une partie de leurs prérogatives ? N’est-on pas en train de courir après une chimère ? Pourtant, selon l’Agence européenne de défense, la mutualisation pourrait nous assurer, sur les dix prochaines années, près de deux milliards d’économies sur le spatial militaire, 5,5 milliards sur les véhicules blindés et plus de deux milliards sur les frégates. Ce serait intéressant, en cette période de vaches maigres.

Monsieur le ministre, peut-on s’attendre à des avancées, dans des domaines qui tiennent particulièrement à cœur à la commission du Sénat : ravitaillement en vol, drones, spatial militaire, surveillance maritime ou cybersécurité ?

Je partage l’idée exprimée par Mme la présidente de la commission des Affaires étrangères, confortée par certains amis qui se déclarent dans l’opposition. Néanmoins, je m’interroge. Avons-nous vocation à être les mercenaires d’une Europe qui financerait nos actions ? Nous devons réfléchir aux modalités d’un tel financement. Je n’y serais pas hostile, mais je méfie de toute systématisation et je préférerais, monsieur le ministre, que nous nous engagions vers une véritable Europe de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. Mesdames les présidentes, monsieur le président, mesdames et messieurs, députés ou sénateurs, je n’ai pas l’intention de refaire devant vous l’Europe de la défense, comme certaines interventions m’y invitent. Je me contenterai, en homme pragmatique et concret, de vous dire comment je sens le prochain Conseil et ce que nous pouvons en attendre.

J’attends au moins qu’il se réunisse régulièrement. En effet, c’est la première fois depuis cinq ans que le Conseil européen traite des questions de défense. Je ne trouve pas cela très convenable. Donc, si les chefs d’État et de gouvernement décidaient que l’enjeu des questions de défense et l’importance de la PSDC justifient qu’on en parle au moins une fois par an pour faire le point sur les menaces et les risques ou sur la nécessaire convergence des efforts européens, ce serait déjà un résultat significatif. Lors de la réunion des ministres de la Défense qui s’est tenue les 18 et 19 novembre derniers, cette posture a été largement approuvée. Mais bien sûr, ce n’est pas acquis. Ce n’est à ce stade qu’un souhait.

Maintenant, le président Carrère a fait tout à l’heure référence aux trois corbeilles, ou aux trois paquets : l’opérationnel, le capacitaire et l’industriel. Quelles sont donc, en premier lieu, les avancées que l’on peut attendre sur le plan opérationnel ?

Tout d’abord, et sous toute réserve, il me semble que les conditions sont réunies pour que l’Union européenne affiche et mette en œuvre une stratégie de sécurité maritime qui lui permettrait de prendre pleinement la mesure de ce défi. Je ne vais pas énumérer l’ensemble des risques et des menaces, mais l’affaire de Lampedusa, la situation dans la Corne de l’Afrique ou dans le Golfe de Guinée, devraient entraîner une prise de conscience et un début de réponse, par des moyens appropriés, à ces risques et à ces menaces. Il y a déjà eu un précédent, dont on ne parle pas assez : la mission Atalanta – dirigée par un Britannique – qui a permis la réduction des risques et des attaques dans la Corne de l’Afrique. Mais il faut aller au-delà et faire en sorte que le Conseil européen se saisisse à bras-le-corps de cette question de la sécurité maritime. Je suis assez optimiste. La France y a beaucoup travaillé et peut compter sur de bons alliés : non seulement les Italiens et les Espagnols, mais aussi les Polonais. Je pense donc que nous pouvons aboutir.

Ensuite, nous devrions pouvoir obtenir que l’Union européenne s’implique davantage dans la question des frontières au Sahel. Je souhaite que l’on donne mandat à Mme Ashton pour que l’Union européenne aide les États de cette région à renforcer leurs capacités de contrôle aux frontières. Ce pourrait être une des missions prioritaires de l’Union européenne pour l’année 2014. Certaines frontières, comme la frontière libyenne ou l’ensemble des frontières sahéliennes, sont très sensibles. Il est donc nécessaire de définir une stratégie globale et de mettre en place une politique d’assistance et de coopération avec les pays concernés, afin de garantir leur stabilité. La mission EUBAM, diligentée en Libye, a du mal à aboutir concrètement en raison de la situation sécuritaire ; une partie de la mission a même dû se replier sur Malte. Il n’empêche qu’il faut gérer de manière globale l’ensemble de cette question qui n’est pas exclusivement militaire, puisqu’elle intéresse aussi les douanes, la police aux frontières, la surveillance, la reconnaissance et l’identification. Je pense que c’est le deuxième domaine dans lequel nous pouvons attendre des avancées.

En revanche, sur les groupements tactiques de l’Union européenne, dont chacun souhaite l’intervention, je suis plus réservé. Ces GTUE existent depuis déjà un certain temps. Tous les six mois, des éléments de pays qui assurent la fonction de groupement tactique sont en alerte : en ce moment, c’est la Grande-Bretagne et la Lituanie ; le semestre prochain, ce sera la Grèce et la Bulgarie, et celui d’après, la Belgique et l’Allemagne. Cela étant, jusqu’à présent, les groupements tactiques n’ont jamais été mobilisés. Il est vrai que pour mobiliser les groupements tactiques, il faut d’abord que les pays qui en fournissent les capacités manifestent la volonté de s’engager ; ce n’est pas l’Union européenne, mais les pays en situation d’alerte qui, au préalable, doivent exprimer leur capacité à agir. Ensuite, il faut un accord à 28 – c’est peut-être là que réside la difficulté. Certes, nous sommes favorables à ce que les GTUE soient animés, renforcés et diligentés le plus souvent possible. Mais, pour l’instant ce n’est pas le cas. Chacun a pu le constater à l’occasion de la crise en République centrafricaine, les GTUE ne sont pas au rendez-vous.

En deuxième lieu, sur la partie capacitaire, je pense que l’on peut attendre des progrès dans plusieurs domaines, où la France s’est fortement mobilisée. J’ai moi-même participé à de nombreux entretiens pour faire en sorte d’aboutir.

D’abord, le transport aérien militaire avec l’EATC (European Air Transport Command), dont le siège est à Eindhoven. Le transport aérien militaire est aujourd’hui mutualisé entre la France, l’Allemagne et le Benelux. Ce dispositif astucieux a donné récemment satisfaction, ne serait-ce qu’au Mali. Il fonctionne par « droits de tirage » : celui qui assure tel transport avec tel avion pour son partenaire obtient, en échange, un « droit de tirage » pour lui-même, pour la même qualité de transport, à telle ou telle période. Je suis assez optimiste sur le fait que le Conseil de décembre aboutira à un élargissement de l’EATC qui pourra concerner l’Espagne, qui est en cours d’adhésion, l’Italie qui en a exprimé le souhait ou à la Pologne qui est très intéressée, voire à d’autres pays. Mais encore faut-il, pour participer, avoir des avions et pouvoir échanger : le service n’est pas gratuit. Je n’exclus pas non plus que la Grande-Bretagne soit elle aussi intéressée ; en effet, les entretiens que j’ai eus avec Philip Hammond sur le sujet ont été positifs. Ce serait là une grande avancée. En effet, la logistique est essentielle au succès des interventions – y compris celle des GTUE s’ils étaient activés.

Ensuite, le ravitaillement en vol, secteur sur lequel nous avons un déficit capacitaire. Il me paraît vraisemblable qu’il y aura une prise de position sur la mise en œuvre d’une flotte européenne d’avions ravitailleurs, afin d’engager une dynamique comparable à celle sur le transport tactique et stratégique. Peut-être même qu’en fin de compte, ce serait le même outil. Quoi qu’il en soit, dès à présent, nous pouvons attendre du Conseil une avancée significative dans le domaine de la mutualisation du ravitaillement en vol.

Enfin, c’est sur les drones que je suis le plus optimiste, alors qu’a priori on pouvait s’attendre à beaucoup de résistances et de réserves. Cela s’explique sans doute par le choix que nous avons fait d’acquérir rapidement, et sur étagère, des drones Reaper. Je vais vous dire pourquoi :

Premièrement, parce que nous allons créer – et que je pense que ce sera acté – un club des utilisateurs de drones, à la fois pour échanger nos expérimentations, pour adopter une attitude commune par rapport à l’industriel, et pour faire en sorte que des échanges puissent avoir lieu entre l’ensemble de nos machines. Aujourd’hui, les choses s’orientent plutôt bien, du côté des Allemands, des Italiens, comme des Britanniques. Je précise qu’il s’agit de drones d’observation.

Deuxièmement, parce je pense que nous allons progresser, s’agissant de la prise en compte de l’insertion des drones – d’observation toujours – dans l’espace aérien européen.. Vous savez que dernièrement, cette question de l’insertion des drones dans le trafic aérien a causé beaucoup de souci à mon collègue allemand.

Troisièmement, parce que je pense que nous allons assister au lancement de la première étape d’un programme de drones de nouvelle génération européens. Si tout se passe comme au Conseil des ministres de la Défense, le Conseil des chefs d’État et de gouvernement pourra décider de confier à l’Agence européenne de défense (AED) la mise en œuvre du processus. Nous sommes sur le bon chemin, sous réserve que l’AED se limite, pour l’instant, à la définition du besoin opérationnel. Nous n’en sommes pas encore à la phase industrielle. Reste que certains industriels européens, en particulier après le salon du Bourget, ont décidé de se mettre d’accord les uns avec les autres. Ainsi, EADS, Dassault et Finmeccanica ont-ils décidé de travailler ensemble sur le projet du futur. Quoi qu’il en soit, la décision de demander à l’AED de définir le besoin opérationnel constituerait une première avancée.

Maintenant, entre le capacitaire et l’industriel, une question délicate a fait l’objet de beaucoup de discussions, sur laquelle nous souhaitons voir les chefs d’État et de gouvernement rebondir. Je veux parler de l’incitation à la coopération et à l’acquisition en commun. Mme Ashton, par exemple, avait proposé au départ une exemption de TVA en cas d’acquisition et de mise en œuvre en commun de capacités militaires ; ce qui existe pour les agences de l’OTAN mais n’existe pas quand il s’agit de programmes européens.

Le principe d’un moyen fiscal incitatif a été admis et renvoyé à la discussion des chefs d’État et de gouvernement. La question posée est donc : est-ce que les chefs d’État et de gouvernement décident de demander à la Commission, à la Haute représentante et aux ministres de la Défense de l’Union, de poursuivre la réflexion sur une telle éventualité ? Cela constituerait un pas très significatif. Mais ce n’est pas gagné pour autant. Jusqu’à présent, le point a simplement été porté à l’ordre du jour, ce qui a déjà entraîné des discussions assez sensibles.

En troisième lieu, la partie industrielle. Le débat sur une définition commune de la base industrielle de défense européenne vient à peine de s’engager, et les discussions ne seront pas closes lorsque le Conseil se réunira. En revanche, nous pourrions avancer sur la capacité d’accès à certains fonds européens liés à la recherche, en particulier pour tout ce qui touche à l’innovation et à la recherche duales – la communication des commissaires Barnier et Tajani a permis des ouvertures en ce sens. Nous pourrions également progresser sur un dispositif d’encouragement, d’incitation et d’appui pour l’accès des PME aux marchés de défense.

Un débat s’est engagé entre les partisans de la concurrence et les tenants d’une forme de « protectionnisme militaire ». Certains estiment que c’est la compétition qui permettra d’avoir le meilleur produit militaire. D’autres pensent que l’Europe doit se doter d’une capacité industrielle propre, et que si l’on met au point des mécanismes incitateurs pour que les PME accèdent aux marchés de défense et pour que des projets à la fois civils et militaires soient éligibles à certains fonds européens liés à la recherche, il faudra définir le périmètre des bénéficiaires. Cela nous ramène au débat précédent sur la base industrielle de défense européenne.

Tels sont les points sur lesquels je sens que la discussion pourrait avancer. Je terminerai sur l’essentiel de la démarche que j’ai menée au cours de cette année de préparation. Cette démarche peut se discuter, mais je tenais à vous en expliquer les fondamentaux.

Certains de nos collègues voulaient que ce Conseil puisse permettre aux chefs d’État et de gouvernement de lancer la rédaction d’un document de réflexion stratégique sur les risques et les menaces en Europe, et sur la posture globale de l’Europe par rapport à ces derniers. Ce document aurait fait suite au rapport publié il y a quelques années par Javier Solana sur la stratégie de sécurité et de défense. Nous n’y sommes pas opposés et sans doute faut-il adapter le document Solana à la nouvelle réalité des risques et des menaces. Mais la démarche que j’ai entreprise a été beaucoup plus pragmatique et concrète. Elle a porté sur ce qu’il était possible de faire à deux, trois, quatre, ou 28 pays dans les trois domaines : opérationnel, capacitaire ou industriel. Nous savons, pour avoir déjà essayé, qu’il est illusoire de trouver d’emblée un accord à 28. Commençons donc à le faire avec l’un, avec l’autre, avec plusieurs si c’est possible. Ainsi pourra-t-on obtenir quelques avancées, dont certaines seraient mêmes applicables aux 28 pays. Une telle méthode n’empêche pas de réfléchir par ailleurs, mais elle a au moins le mérite du concret. De fait, certaines dispositions seront approuvées par le Conseil des chefs d’État et de gouvernement à la fin du mois de décembre.

M. le sénateur Daniel Reiner. Comme vous le savez, le Sénat s’intéresse aux questions de défense européenne. Il a déjà produit un rapport sur le sujet, dont le titre était quelque peu provocateur : « Pour en finir avec l’Europe de la défense : vers une défense européenne ». Il s’est également intéressé aux drones MALE en France. Nous allons progresser doucement en la matière. Reste qu’on peut s’interroger : existe-t-il un drone de troisième génération ? Si oui, lequel ? Peut-il exister au plan européen ? Y a-t-il un marché suffisant pour développer une filière ? L’AED aura, d’une certaine façon, la charge d’y travailler.

Au-delà, sur le plan capacitaire, tout le monde sait que le Rafale n’aura pas de successeur français, que le Typhoon n’aura pas de successeur britannique, et que le Gripen n’aura pas de successeurs suédois. En clair, aucune nation européenne n’aura d’avion de chasse de génération suivante. Mais s’il n’y a pas d’avion européen de chasse, il n’y aura plus sur nos territoires d’avions de combat autres qu’américains. J’entends bien qu’il faut adopter une démarche pragmatique et avancer pas à pas. Il reste que la France a pour mission de porter un message européen fort, y compris en matière stratégique. Si la France ne le porte pas, qui le fera ?

M. le sénateur Jean-Marie Bockel. Le Conseil européen consacré à la défense envisage de lancer une politique européenne de cyberdéfense. Côté français, notre loi de programmation en a fait une priorité. Nous voyons tous l’intérêt de coopérer en ce domaine au vu de la montée de la menace. Monsieur le ministre, quelles sont les attentes de la France ? Qu’est-ce qui doit relever de la souveraineté nationale ? Qu’est-ce qui peut faire l’objet de partenariats ? Je pense notamment à la réflexion – qui a d’ailleurs été lancée également au niveau du gouvernement français – sur une politique industrielle en matière de cybedéfense. Il y a là un potentiel très important, y compris en termes d’emplois qualifiés.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le ministre, nous avons entendu la semaine dernière le rapporteur de la sous-commission « sécurité et défense » du Parlement européen. Nous avons ainsi pu constater qu’une quinzaine des résolutions que nous avions proposées à l’Assemblée étaient similaires à celles de cette sous-commission du Parlement européen. Cela veut dire que l’Europe de la défense progresse un peu dans l’opinion publique européenne. Malgré tout, je m’interroge. Les États-Unis se tournent de plus en plus vers le Pacifique ; au Moyen-Orient, l’instabilité s’est aggravée ; l’Afrique sahélienne pose de réels problèmes de sécurité ; les capacités budgétaires des pays de l’Union européenne, en termes de défense, ont diminué. N’est-il pas temps de redéfinir la stratégie européenne de sécurité et de défense ? Je le crois d’autant plus que la déclaration sur le renforcement des capacités – qui date de 2008 – n’a pas atteint ses objectifs. Certes, les obstacles diplomatiques sont nombreux, et l’unanimité est requise. Mais ne pourrait-on pas passer par la coopération structurée permanente (CSP), notamment entre les pays qui veulent agir de concert ?

Ensuite, monsieur le ministre, que pensez-vous de ceux qui proposent de mettre en place un véritable état-major opérationnel dédié, indispensable à la planification et à la conduite des opérations militaires ? Après tout, cela fonctionne bien dans le domaine civil. Cette question est toujours en suspens, et des spécialistes nous posent la question.

Par ailleurs, la présidente Adam a soulevé la question du financement. Dans le cadre de l’examen de la LPM, nous avons voté un amendement proposant l’élargissement du mécanisme Athena. Est-ce que vous pensez que la question puisse évoluer lors du prochain Conseil européen ?

Enfin, monsieur le ministre, je souhaiterais que ce Conseil européen donne une impulsion à l’industrie de la défense européenne, qui est tout de même un facteur de croissance et d’autonomie stratégique, surtout si l’on s’appuie davantage sur l’Agence européenne de défense.

J’ai peut-être été un peu long, mais j’avais vraiment à cœur de vous parler de stratégie. Car c’est elle qui donnera tout son sens à l’Europe de la défense.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, ce que je vais dire n’a rien à voir avec toute l’estime que je vous porte, mais, franchement, allons-nous continuer longtemps à nous raconter des histoires ? Voilà maintenant cinquante ans que la France se fait inlassablement l’avocate de la défense européenne, et cinquante ans qu’il ne se passe rigoureusement rien. Vous en êtes réduit à invoquer des réductions de TVA pour lancer une Europe de l’industrie de défense ! Quand j’entends que vous créez un club d’utilisateurs de Reaper, qui est un matériel américain, et que vous mettez cela sous la rubrique « défense européenne », les bras m’en tombent ! Il y a le feu tout autour de la Méditerranée, nous sommes engagés dans deux conflits en Afrique, il y a un problème majeur en Syrie, des menaces de prolifération tout autour de l’Europe et tout le monde regarde ailleurs en Europe, sauf la France. Il faut arrêter de se payer de mots : on ne peut pas continuer comme cela.

Aujourd’hui, l’Europe de la défense se résume en trois mots : désarmement budgétaire unilatéral, France comprise, dénucléarisation et neutralisation. L’ambition secrète de la plupart de nos partenaires est que l’Europe devienne une grande Suisse neutre. N’est-il pas temps que la France change de braquet et que vous tapiez du poing sur la table ? J’ai proposé à la commission des Affaires étrangères, au nom de mon groupe, que la France demande officiellement des contributions obligatoires aux opérations militaires extérieures, sous l’intitulé de « fonds européen pour les opérations militaires extérieures ». Je suis heureux de constater que cette idée commence à progresser. Reste que je m’étonne que dans une Europe où l’on multiplie les contraintes budgétaires, où l’on parle de critères de convergence, que l’on ne soit pas capable d’envisager de façon sérieuse la sécurité commune.

Je suis favorable à ce que, au besoin, vous provoquiez une crise, que vous décidiez d’un boycott, pour faire prendre conscience aux Européens que cette cécité volontaire ne peut pas continuer, alors même que le continent qui est en face de nous va atteindre 2,5 milliards d’individus. Arrêtons de dire que nous sommes des bons garçons et que nous évoluons vers l’Europe de la défense. Il ne se passe rien, monsieur le ministre. La seule nouveauté, c’est que les Américains se sont retirés et que nous sommes face à nous-mêmes. Il vous appartient, car vous êtes aux manettes, de préserver notre outil militaire – ce qui n’est malheureusement pas le cas, avec la loi de programmation militaire – et de faire en sorte que l’Europe se réveille. J’attends de vous une politique forte.

Enfin, ma dernière question sera très technique : à combien estimez-vous le coût de l’opération menée en République centrafricaine ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. M. Lellouche a fait effectivement, au nom de son groupe, une proposition tendant à la création d’un fonds de mutualisation. Mais dans le document publié en annexe de ce rapport, il n’est pas proposé que la contribution à ce fonds soit obligatoire. En effet, lorsque j’ai repris l’idée de cette proposition, j’ai estimé que rendre cette contribution obligatoire serait la meilleure façon de faire fuir nos partenaires. On peut s’indigner et se lamenter, mais notre but est de convaincre, malgré des positions extrêmement éloignées. On peut toujours dire qu’il faut aller jusqu’à la crise, mais, oui ou non, veut-on avancer ? Bien sûr, sur le fond, il serait souhaitable d’obtenir davantage de contributions de la part de nos partenaires. Je tiens tout de même à préciser que lorsque ces derniers fournissent des avions de transport, ce sont eux qui les paient.

Certes, monsieur Lellouche, nous avons un budget militaire. Mais attention à ne pas lier cette question de la mutualisation des financements avec le respect des critères de convergence. On risquerait de perdre sur les deux tableaux.

M. le ministre de la Défense. La première question de M. Reiner portait sur les drones. Je pense qu’en ce domaine, une avancée est possible. Mais je parlais de drones d’observation de troisième génération.

Sa deuxième question portait sur la succession de la chasse, après les vecteurs de chasse qui sont aujourd’hui dans les forces et se trouvent en concurrence sur les marchés extérieurs. Peut-on penser à une nouvelle génération – à l’horizon 2030 – permettant d’éviter que l’Europe ne soit dépendante ? Nous y travaillons, en particulier avec des Britanniques – qui sont les seuls à cofinancer les études en cours. Un sommet franco-britannique devrait se tenir fin janvier, où l’application et la suite du traité de Lancaster House seront à l’ordre du jour. Plusieurs options sont possibles : drones de combat/avions de chasse sans pilote ; ou avions de chasse avec pilote ; ou les deux à la fois. L’affaire n’est pas encore tranchée, mais nous y réfléchissons. Si d’autres États veulent participer, nous pourrons l’envisager. Pour l’instant ce n’est pas le cas.

M. Jean-Marie Bockel a soulevé la question de la cyberdéfense européenne. En fait, toute la stratégie « cyber » européenne fait aujourd’hui l’objet de discussions. Nous nous interrogeons encore en matière de cyberdéfense, et je ne suis pas le plus allant sur cette question : d’abord en raison de notre propre posture, qui est peut-être plus avancée que d’autres ; en raison ensuite du caractère sensible du sujet. En revanche, nous sommes favorables à un travail en commun portant sur la filière industrielle et innovation de la « cyber », qui n’est pas uniquement civile. Quoi qu’il en soit, le sujet vient d’être acté dans la stratégie de la défense française – je ne rappellerai pas à M. Lellouche que la loi de programmation militaire a été votée définitivement hier soir.

M. Joaquim Pueyo s’est exprimé, entre autres, sur la nécessité de redéfinir la stratégie de défense de l’Europe et la PSDC. Je suis d’accord avec lui, mais j’observe tout de même que si la logique que j’avais développée depuis un an n’avait consisté qu’à écrire un discours, nous n’aurions abouti à rien. Oui, il faudra mettre en place cette stratégie. Oui, il faudra faire les avancées nécessaires. Mais on ne va pas confier à Mme Ashton, dont le mandat va se terminer bientôt, le soin de mener cette politique. Oui, sur le fond, la question sera abordée. Mais il faudra attendre la nouvelle Commission.

Ensuite, si la question d’un état-major dédié au niveau européen (OHQ) n’a pas avancé jusqu’à présent, c’est parce que les Britanniques s’y sont opposés. Faut-il passer outre et courir à un nouvel échec ? Ce n’est pas ma logique. Pour l’instant, on ne pourrait aboutir à 28, étant donné l’attitude de la Grande-Bretagne. Pourtant, il arrive que l’on utilise l’état-major britannique pour mener une opération européenne – ainsi, l’état-major opérationnel de l’opération Atalanta est basé à Northwood.

Monsieur Lellouche : je me souviens d’un grand homme politique qui déclarait : « …on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l’Europe, l’Europe »… mais cela n’aboutit à rien… » Il en est de même pour l’Europe de la défense. Pour ma part, je préfère le pragmatisme aux incantations. J’approfondis les relations avec nos partenaires, en les voyant souvent et en essayant d’avancer ensemble. Et je rejette le pessimisme que vous avez affiché à cet instant, tout en étant très conscient de nos limites et de nos insuffisances.

Je vais vous donner un exemple. Même si on a pu considérer que l’Europe n’avait pas été au premier rendez-vous sur le Mali, c’est elle, aujourd’hui, qui construit l’armée malienne du futur. Je me suis rendu à l’école interarmes de Kolikouro, où une vingtaine de nationalités sont représentées dans une même unité de formation, dirigée par un Français. Le quatrième bataillon sera formé dans quelques jours. L’Union européenne vient de décider de doubler le temps de cette opération, qui fonctionne bien. Qui aurait dit, il y a un an, que des Polonais ou des Tchèques seraient aujourd’hui à Bamako pour former l’armée malienne du futur ? Là, il y a une vraie avancée. Je pense que cela pourrait faire partie d’un partenariat à envisager avec l’Afrique. En effet, si on veut que celle-ci puisse se doter d’une force de réaction rapide pour elle-même, encore faudra-t-il la former. Je souhaite d’ailleurs que l’on puisse réfléchir, avec l’Union européenne, sur la façon d’aider l’ensemble des pays africains à se doter d’une force de réaction rapide, et donc à former des militaires dans ce but. J’espère que le Président de la République pourra mettre ce sujet sur la table lors du prochain Conseil européen. Ensuite, s’agissant la présence de l’Europe, qui nous aurait dit il y a encore un an que près de 400 militaires néerlandais au sol participeraient à la MINUSMA pour permettre le rétablissement de la sécurité au Mali ? Ce sont de réelles avancées.

Monsieur Lellouche, vous avez balayé d’un revers de main la question fiscale, qui a été inscrite à l’ordre du jour du prochain Conseil. Bien sûr, ce sera la plus difficile des questions qui seront abordées. Mais si l’Europe décidait d’instituer un dispositif d’incitation fiscale pour que les États membres coopèrent en matière d’acquisition de capacités ou industrielle, ce serait un progrès essentiel.

Ensuite, nous avons inscrit, à la demande de l’Assemblée nationale, dans le texte de la loi de programmation militaire, l’ouverture et l’élargissement du dispositif Athena. Il va falloir se battre, mais c’est un bon terrain, sur lequel nous pouvons avoir beaucoup d’alliés – d’autant qu’un nombre plus important de pays participe aujourd’hui à des opérations comme la mission EUTM, au Mali.

Enfin, ce n’est pas au troisième ou au cinquième jour que je peux vous donner une estimation du coût de notre intervention en RCA. Je peux toutefois vous indiquer qu’il sera beaucoup moins important que celui de l’opération du Mali : nous avons engagé moins de moyens humains, moins d’armements lourds, pour une logistique moindre ; nous avons mobilisé les forces prépositionnées ; l’acheminement se fait par bateaux. Cela devrait nous permettre d’avoir des coûts relativement modestes, qui s’inscriront normalement dans l’enveloppe affectée aux OPEX dans le budget 2014 – au moins pour l’instant. Mais dès que j’aurai des chiffres, je les transmettrai au fur et à mesure aux commissions. C’est ce que j’ai fait pour le Mali, quasiment tous les mois

M. Michel Vauzelle. Je constate que l’assistance s’est clairsemée brutalement. C’est sans doute dû à l’aspect surréaliste de la situation : nous parlons de la défense européenne tout en suivant avec beaucoup d’inquiétude les événements de Bangui, en Centrafrique ; nous écoutons M. Lellouche, qui a soutenu pendant dix ans un gouvernement qui n’a absolument rien fait pour faire avancer l’idée de défense européenne. Le chef des armées n’avait pas fait grand-chose non plus… Pardonnez-moi, monsieur le ministre, pour cette question qui n’en n’est pas une. Mais il y a quelque chose d’un peu étrange dans la séance de ce matin.

M. Philippe Folliot. Mes premières pensées iront à Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, soldats du 8RPIMA de ma ville de Castres, qui sont tombés à Bangui il y a deux jours. Ils sont morts pour la France, mais aussi pour l’Europe. Je crois que cela mérite d’être souligné.

Dans le cadre de la loi de programmation militaire, monsieur le ministre, vous avez accepté un amendement du groupe UDI, visant à affirmer que la France doit jouer un rôle moteur dans la construction de l’Europe de la défense. Ce que nous attendons de vous, dans le cadre de ce prochain sommet européen, c’est que l’on puisse le mettre en pratique.

Vous avez développé un certain nombre d’idées, auxquelles nous ne pouvons que souscrire, sur la régularité du Conseil européen de défense, sur le dispositif Athena, sur les transports, sur les drones, etc. Mais il me paraît essentiel, dans le cadre de ce sommet européen, d’insister auprès de nos partenaires sur plusieurs points : identifier nos intérêts géostratégiques européens communs ; définir le niveau de solidarité entre les Européens et ses moyens financiers, logistiques et humains ; clarifier la place de la défense dans la panoplie des instruments de la politique de sécurité et de défense commune, notamment en termes de légitimité et de capacités ; lancer la rédaction d’un concept stratégique de l’Union européenne – c’est le Livre blanc européen. Enfin, pourquoi ne pas proposer la convocation d’Assises parlementaires européennes afin d’impliquer davantage le Parlement européen et les parlements nationaux – sur le modèle de ce qui avait déjà été expérimenté, dans le cadre de la Charte des droits fondamentaux, en décembre 2000 – dans la construction de l’Europe de la défense ? L’enjeu me semble en effet important.

Au-delà, et pour compléter vos propos sur le dispositif Athena, tant qu’il n’y aura pas de budget européen consacré à la défense, nous aurons beaucoup de mal à nous faire payer l’investissement humain, matériel et financier que nous engageons, non seulement pour notre compte, mais encore pour le compte de l’ensemble de l’Union européenne, dans le cadre des opérations que nous menons, en Afrique notamment.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le ministre, les députés du Front de gauche ont bien réfléchi sur le dossier, et je vous ferai part de leurs remarques, de leurs inquiétudes et de leurs questions. Nous souhaitons que notre pays retrouve une stratégie de défense indépendante et une visée universelle. S’agissant de la défense européenne, une armée ne peut que servir une volonté politique. Or l’Union européenne n’a pas de politique extérieure commune. Cela rend caduque l’idée d’une armée européenne ou de commandement européen intégré permanent. Mais je suivrai de très près les travaux du Conseil européen de fin décembre.

En revanche, des coalitions ponctuelles sont possibles pour certaines opérations. J’en veux pour exemple la réussite de l’Airbus A400M. Par ailleurs, les entreprises EADS, Dassault Aviation et une entreprise italienne sont prêtes à collaborer pour mettre au point la prochaine génération de drones MALE. Monsieur le ministre acceptez-vous cette initiative ? Je pense que oui.

D’après ce que j’ai entendu tout à l’heure, la Grande-Bretagne est plus que jamais tournée vers les Américains. Ce pays est pleinement intégré au réseau d’espionnage de la NSA. Les futurs porte-avions britanniques seront armés de F-35 américains et non de Rafale marine. L’entreprise anglaise BAe Systems, à travers ses produits comme le Typhoon ou le Taranis, est une concurrente de l’industrie européenne continentale. Pourquoi privilégier la coopération avec la Grande-Bretagne en termes de drones de combat et d’avions de combat ?

Ma troisième question porte sur EADS. Ce groupe européen prévoit la suppression de 5 800 postes en Europe, dont 1 700 en France. Si l’État français n’avait pas vendu une partie de ses participations, s’il avait racheté celles de Lagardère, EADS aurait pu devenir le premier groupe de défense européen à capitaux publics, et on aurait pu éviter la catastrophe. Pourquoi la France n’a-t-elle pas saisi cette occasion pour faire de EADS un groupe européen public ?

Ensuite, la création d’un bouclier anti-missiles en Europe serait contre-productive, car elle encouragerait la course aux armements sur une nouvelle ligne Maginot. Comptez-vous abandonner ce projet de l’OTAN ?

Enfin, monsieur le ministre, quelles mesures concrètes comptez-vous prendre, avec nos partenaires européens, pour que cessent les activités d’espionnage de la NSA sur les citoyens de l’Union européenne ?

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, je vous trouve très « euro-réaliste ». En effet, il vaut mieux ne pas trop rêver sur un projet qui est une idée d’avenir, et qui le restera longtemps. Il est clair qu’il serait illusoire de parler d’une défense à 28. En revanche, il peut y avoir un certain nombre de coopérations entre États. La formule ne date d’ailleurs pas de l’Union européenne. Je vous rappelle, par exemple, qu’en 1901 nous sommes intervenus à Pékin avec les Anglais et les Allemands pour protéger nos ressortissants. Aujourd’hui, on voit bien, comme disait Roosevelt, que c’est la mission qui commande la coalition.

Sur le plan industriel, on ne parle pas non plus à 28. On parle avec ceux qui comptent. Inutile donc de vouloir construire quoi que ce soit au niveau européen, ce serait perdre son temps. Mais on peut s’allier aux Allemands, aux Anglais ou aux Italiens. Ce serait plus efficace, à condition qu’il y ait un pilote dans l’avion. Contrairement à ce qui a été dit, il peut y avoir un successeur au Rafale, car les Français sont aujourd’hui les seuls, en Europe, à avoir encore la capacité de construire un avion. Nous devons donc, ce qui nous demandera un effort au niveau national, jouer ce rôle de pilote. Sinon, il faudra que l’Europe cesse de vouloir jouer un rôle dans l’Histoire.

M. Pouria Amirshahi. Monsieur le ministre, je souhaite aborder deux thématiques. La première est relative à la solidarité européenne. Nous avons le réseau consulaire le plus développé au monde et, à ce titre, nous avons la responsabilité – à travers nos chefs d’îlot, en particulier – d’assurer la sécurité de nos ressortissants mais aussi, de fait, celle des autres ressortissants européens. Très souvent, ce sont les chefs d’îlot français qui informent leurs homologues britanniques, allemands, espagnols, etc. Et très souvent, dans les dispositifs d’évacuation de nos ressortissants, les Français sont en première ligne. Cette situation est-elle prise en compte par nos partenaires européens ? Elle devrait l’être. Une telle responsabilité nous honore, mais elle est coûteuse. Il serait bon que l’ensemble des États européens apporte sa contribution. Mais puisque l’on parle de solidarité, et avant que le projet d’un fonds européen pour les opérations extérieures voie le jour, pourrait-on au moins plaider pour que les coûts des actions militaires soient défalqués du calcul des déficits publics ? En effet, cela pèse sur nos comptes de manière injustifiée.

Par ailleurs, j’ai bien compris qu’il y avait deux options possibles : soit une compétition entre les différentes industries ; soit une industrie intégrée. Mais peut-on envisager un principe de préférence européenne ou une clause d’exclusivité ? Que des bombardiers F-35 américains aient été achetés par nos partenaires européens nous amène à nous interroger sur l’Europe de la défense. Dans les négociations à venir, pourrions-nous faire en sorte qu’à tout le moins, ce soit les Européens qui sortent gagnants de la défense européenne ?

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le ministre, dans le monde réel, seul le soldat français paie le prix du sang – éventuellement, avec le soldat de Sa Majesté. Dans le monde réel, monsieur le ministre, le couple franco-allemand ne fonctionne plus. L’Allemagne dispose de trois à quatre fois plus de machines-outils que nous. Elle est numéro 1 dans la production de protéines animales et sera numéro 1 dans la production céréalière grâce à la nouvelle politique agricole commune. L’Allemagne devient la première puissance industrielle en armements terrestres en Europe et deviendra la première puissance européenne exportatrice.

Alors, monsieur le ministre, allez-vous renforcer la collaboration des accords de Lancastre ? Car c’est le vrai terme français, pour ceux qui connaissent leur histoire. Allez-vous renforcer un éventuel partenariat stratégique avec la Fédération de Russie pour relancer nos anciennes alliances ? Allez-vous cesser de faire rentrer au sein de l’Union européenne le cheval de Troie que représente le drone Reaper dont vous savez pertinemment que le rayon de virage est insuffisant pour aider nos soldats en combat en zone urbaine, alors que nous possédons un système intérimaire défendu par le général Ract-Madoux ? C’est vital pour nos soldats qui sont au combat pendant que nous parlons. Monsieur le ministre, allez-vous faire cesser les incantations selon lesquelles le prochain appareil de combat ne sera pas français, au détriment de notre dernier industriel national ?

Monsieur le ministre, quand la France va-t-elle enfin faire l’effort nécessaire – au moment où les États-Unis se désengagent – dans sa loi de programmation militaire pour disposer d’un budget lui assurant une vraie défense ? Sans la France, il n’y aura plus de défense européenne. Et comme certains l’ont dit, nous deviendrons une Suède ou une Suisse ouverte à tous les vents de la colonisation !

M. le ministre de la Défense. Je ne vais pas refaire la loi de programmation militaire, après avoir parlé plusieurs heures sur le sujet. Par ailleurs, certains des intervenants ont fait des déclarations, que je respecte tout à fait, mais qui ne nécessitent pas forcément de réponse.

Monsieur Dhuicq, vous m’avez parlé de drones, et vous visiez le drone européen Watchkeeper – autant le citer. Je vous répondrai qu’il y a une cohérence dans les choix que j’ai effectués, et que j’assume. Je me suis d’ailleurs expliqué à plusieurs reprises devant les commissions sur ma stratégie en la matière. Au moins ai-je fait des choix – alors qu’il n’y en avait pas eu de faits antérieurement. Ceux-ci vaudront aussi pour le futur. Il y aura une réponse européenne dans l’avenir, et ce sera peut-être l’un des résultats importants du Conseil de décembre.

Monsieur Amirshahi, il est exact que nous assumons parfois une forte responsabilité à l’égard des ressortissants européens sur les territoires en crise. Ce fut le cas au Mali, c’est le cas en ce moment en RCA. Je ne suis pas sûr que cela nous coûte extrêmement cher. Nous assurons, par solidarité, un certain confort à ces ressortissants, et je ne vois pas comment on pourrait le faire payer. En revanche, vous avez raison à propos du dispositif Athena. C’est une action commune, avec un financement européen commun. Mais aujourd’hui, il n’est pas possible de défalquer les frais engagés à ce titre du calcul des déficits budgétaires.

La question de la préférence européenne concerne aussi bien le stade de l’acquisition que de la production. En matière d’acquisition, une incitation fiscale constituerait déjà un progrès important, à condition de le faire en coopération. En matière de production, il faut que nous soyons au rendez-vous s’agissant des nouvelles générations d’armement produites en Europe. D’où les initiatives que j’ai prises en matière de drones – sur lesquels M. Candelier m’interrogeait – et en particulier de drones MALE.

J’en profite pour dire à M. Candelier que je suis préoccupé moi aussi par les mesures de suppression de postes qui ont été annoncées dans la branche « défense » de EADS – non seulement en France, mais aussi en Allemagne et en Espagne. J’ai fait savoir aux responsables d’EADS qu’au vu de la situation florissante de son activité civile, il serait inconcevable de procéder à des licenciements dans la branche « défense ». Tout au moins le groupe pourrait-il faire des propositions pour qu’une certaine déflation dans la branche « défense » soit compensée par des ouvertures de postes dans les secteurs civils.

Monsieur Folliot, j’ai entendu vos propos sur la définition d’un concept stratégique européen. Nous sommes bien conscients qu’il faut le mettre en œuvre. J’ai indiqué tout à l’heure que ce n’était sans doute le moment idéal, en fin de mandature de la Commission et du Parlement européen. Mais que le sujet soit abordé juste après nous paraîtrait tout à fait utile, même si je reste convaincu, pour ma part, que l’on n’avance que dans le concret, comme M. Myard a bien voulu le reconnaître.

Sur les accords avec les Britanniques, j’ai indiqué à M. Dhuicq qu’à la fin du mois de janvier se tiendrait un sommet au cours duquel on ferait le point sur les dossiers de défense, dans le cadre de Lancaster House.

Je crois que j’ai dit l’essentiel. Je terminerai sur cette observation : s’il est un point de l’Europe de la défense sur lequel nous devons réfléchir en urgence, c’est le concept de groupement tactique. Comment l’utiliser à bon escient dans le cadre de la relation entre l’Europe et l’Afrique, qu’il faut remettre à l’ordre du jour ? Le sujet ne sera sans doute pas traité à l’occasion de ce Conseil, mais nous devons faire en sorte de nous en préoccuper tout de suite après.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Si l’on sortait du Conseil européen de la défense avec une feuille de route indiquant ce que l’on doit faire dans les cinq ou dix prochaines années, le terrain serait balisé, ce qui obligerait les institutions européennes à être un peu plus allantes sur le sujet.

Monsieur le ministre, je vous remercie.

La séance est levée à treize heures dix.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 11 décembre 2013 à 11 h 30

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Guy-Michel Chauveau, M. Michel Destot, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Meyer Habib, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. François Rochebloine, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Philip Cordery, M. Paul Giacobbi, Mme Thérèse Guilbert, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-Luc Reitzer, M. André Schneider

Assistaient également à la réunion. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Patricia Adam, M. François André, Mme Kalliopi Ango Ela, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Jean Besson, M. Jean-Marie Bockel, M. Daniel Boisserie, M. Michel Boutant, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, M. Jean-Louis Carrère, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Jean-Pierre Chevènement, M. Alain Chrétien, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, Mme Josette Durrieu, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Alain Gournac, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Christophe Léonard, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Alain Néri, M. Jean-Marc Pastor, M. Jean-Claude Peyronnet, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Yves Pozzo di Borgo, M. Joaquim Pueyo, M. Daniel Reiner, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gilbert Roger, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin