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Commission des affaires étrangères

Mercredi 22 janvier 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 35

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente puis de M. Axel Poniatowski, vice-président

– Présentation du rapport de la mission d’information sur la Francophonie, par M. Pouria Amirshahi, rapporteur, et M. François Rochebloine, président

– Information relative à la commission

Présentation du rapport de la mission d’information sur la Francophonie

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen du rapport de la mission d’information sur la Francophonie présidée par M. François Rochebloine et dont le rapporteur est M. Pouria Amirshahi.

M. François Rochebloine, président. Il y a un peu plus d’un an que notre mission d’information a entamé ses travaux. Elle s’est réunie une dernière fois hier après-midi pour adopter son rapport et les conclusions que notre rapporteur vous présentera dans quelques instants. Je crois pouvoir dire que les analyses et les recommandations qui vous seront détaillées sont originales et traduisent une ambition qui est à la hauteur des enjeux importants qui se posent aujourd'hui à nous.

Je voudrais souligner en premier lieu l’actualité du sujet. A plusieurs titres, en effet l’année qui vient de s’écouler aura été marquante pour la francophonie : au lendemain du Sommet de la francophonie de Kinshasa, en octobre 2012, la ministre Yamina Benguigui a présenté un Plan d’action pour la francophonie, mis en œuvre depuis 2013, qui montre la priorité que le sujet a désormais. Il y a quelques mois, notre parlement a débattu assez vivement sur le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche par lequel le gouvernement entendait notamment assouplir l’obligation d’enseignement en français consacré par la loi Toubon et simultanément, pour la première fois depuis dix ans, le Premier ministre signait en avril une nouvelle circulaire relative à l’emploi de la langue française, pour redonner une impulsion à la défense et à la promotion de notre langue, tant en France qu’à l’étranger. Les Jeux de la francophonie, enfin, se sont tenus à Nice en septembre dernier ; cela faisait près de 20 ans que la France n’avait pas été pays organisateur. Ils auraient mérité plus d’écho et de relais. Cela traduit ce que nous avons constaté par ailleurs : une relative indifférence, malgré les discours, dans laquelle on tient le sujet dans notre pays, à la surprise des autres pays francophones.

Notre sujet était particulièrement vaste et ambitieux, il nous imposait de traiter la francophonie sous trois angles complémentaires : la culture ; l’éducation ; l’économie. On a l’habitude depuis longtemps d’aborder la question essentiellement sous les axes linguistique et culturel. Un certain nombre de thématiques sont classiques, nous-mêmes et d’autres instances les avons abordées fréquemment : le rayonnement de notre langue à l’étranger ; le multilinguisme déclinant au sein des organisations internationales ; l’usage croissant de l’anglais en France même, etc. Ce sont les aspects sans doute les plus rebattus en matière de francophonie. Il nous appartenait néanmoins de les étudier ne serait-ce que pour en faire un état des lieux précis et actualisé, et creuser le cas échéant un certain nombre de pistes peut-être moins explorées que d’autres. Vous verrez à la lecture du rapport que nous avons aussi essayé de dégager les dynamiques qui sont à l’œuvre, afin de pouvoir mieux étayer les recommandations que nous pourrions formuler. Ainsi, on a parfois tendance à se satisfaire un peu vite du fait que la croissance démographique en Afrique pourrait permettre à l’espace francophone de compter un milliard de locuteurs d’ici au milieu du siècle, mais la réalité des choses et la combinaison de cette donnée avec d’autres, comme l’état des systèmes éducatifs des pays concernés, ou l’évolution du nombre d’enseignants de français notamment, font que les perspectives ne sont pas aussi déterminées pour notre langue qu’une analyse trop rapide pourrait laisser croire à tort.

Nettement moins fréquente, si ce n’est absente de nos préoccupations. la dimension économique de la francophonie est un thème sur lequel nos amis Québécois se penchent depuis plusieurs années, comme d’autres communautés linguistiques, anglophone et hispanophone, qui développent des stratégies particulières. En France, ce n’est que depuis peu que nous commençons à nous y intéresser réellement, et les avancées sont loin d’être probantes. Or, il faut souligner que l’intérêt de réaliser des affaires dans sa langue, de faire d’une langue un atout économique au sein d’un espace linguistique donné, est désormais considéré comme déterminant. Dans la mesure où l’aire francophone rassemble un nombre important de pays qui ont une langue, une culture, des valeurs, des procédures parfois, en partage, un gisement d’opportunités est ouvert, qui doit pouvoir être bénéfique pour tous les partenaires. L'Afrique francophone, même confrontée aux difficultés que l’on connaît, constitue une zone à privilégier et des initiatives sont à prendre pour concrétiser cet atout.

En outre, pour notre mission, la question francophone ne se pose pas seulement en termes institutionnels, autour de l'OIF, de ses membres, et de l’action qu’elle conduit. Elle se pose en termes de rayonnement, d’influence. Nous avons travaillé sur les trois dimensions du sujet : celle des pays francophones, bien sûr, celle des pays non francophones, et celle de la France même, et pour chacune de ces aires géographiques, nous avons abordé les enjeux culturel, éducatif et économique.

Nous avons procédé à plus d’une trentaine d’auditions avec des personnalités de tous horizons, de tous secteurs, publics ou privés, universitaires, politiques, représentants de la société civile ou des milieux culturels, qui tous partagent une même préoccupation et un même enthousiasme pour le français et, au-delà, pour la diversité culturelle. Nous avons aussi organisé des tables rondes, avec les milieux d’entreprises ou publicitaires.

La mission a aussi effectué des déplacements, auxquels j’ai regretté de ne pouvoir participer. Le plus important s’est fait au Québec. Il nous a semblé intéressant d’aller étudier sur place les politiques que mettent en œuvre nos amis Québécois en matière de défense et de promotion du français dans un environnement qui n’est pas favorable, afin de retenir quelques axes dont nous pourrions nous inspirer. Au cours de ses trois étapes, Québec, Montréal et Ottawa, la délégation a eu des entretiens sur l’ensemble des problématiques politiques, institutionnelles, culturelles, universitaires et économiques. De nombreuses rencontres ont été organisées avec l'Assemblée nationale du Québec, avec plusieurs membres du gouvernement, avec les universités et les chercheurs, les milieux économiques et enfin, avec les responsables du dispositif institutionnel de défense du français : Conseil supérieur de la langue française, Centre de la francophonie des Amériques, Office québécois de la langue française, Commissariat aux langues officielles, pour ne citer que ceux-ci. Le rapporteur s’est également déplacé à Bruxelles, pour étudier la défense et la promotion du français dans un pays francophone dans lequel la question linguistique fait débat, et il a également effectué un déplacement à Nice, en marge des Jeux de la francophonie, qui lui a permis de s’entretenir avec un certain nombre de délégations étrangères présentes.

Notre rapport se présente en deux grandes parties. La première propose de recentrer le projet francophone sur notre langue. C’est l’occasion de dresser un état des lieux de la francophonie dans les différents cercles géographiques. Le français est une langue majeure au niveau international, par le nombre de ses locuteurs, par son statut au sein des organisations internationales, par l'OIF aussi, mais il n’est pas dit que les choses soient stabilisées et garanties pour l’avenir. Ne serait-ce qu’au sein du système multilatéral, non seulement l’anglais s’impose mais d’autres langues tendent à s’affirmer et l’on ne peut exclure un effacement progressif du français. Dans un certain nombre de pays francophiles, on constate en outre un recul des positions de notre langue, que nous analysons. Dans notre pays on constate une désinvolture à l’égard de notre langue qui choque les autres pays francophones pour lesquels tout se passe comme si la défense et la promotion du français n’intéressaient pas notre pays.

Cet état des lieux appelle une réaction de notre part. Il était donc essentiel, pour la mission, de travailler dans plusieurs directions avec, un noyau dur, un premier cercle de pays francophones. De notre analyse sur la place du français dans le monde, nous proposons un certain nombre de pistes pour conforter la place du français partout où cela est nécessaire, y compris en France, ainsi que dans les organisations internationales et européennes. La seconde partie du rapport aborde des questions d’avenir. Nous développons le sujet de la francophonie économique pour laquelle des pistes sont à explorer sur les formations professionnelles, les normes, les investissements, les partenariats à imaginer au sein de l’espace francophone et notamment avec les pays africains. Nous traitons aussi la question de la science et de la recherche en français, forts de la conviction qu’il est possible d’organiser un pôle francophone universitaire, attractif tant pour les étudiants francophones que non francophones. Enfin, nous abordons un dernier sujet, celui de la francophonie populaire. La francophonie, c’est une culture, des œuvres, des spectacles. Il est essentiel qu’ils soient diffusés et qu’ils circulent. Nous formulons ici aussi quelques recommandations pour à la fois renforcer le sentiment d’appartenance à cette communauté et conforter son rayonnement international. Vous l’aurez compris, notre ambition, celle du rapporteur, aura été tout au long de cette réflexion de redonner au français les moyens de son attractivité mondiale, de son rayonnement, non seulement dans son aire géographique traditionnelle, mais aussi au-delà, dans les divers domaines qu’il couvre. Il ne s’agit pas pour nous d’être dans une posture défensive, qui serait contreproductive, mais au contraire dans une vision dynamique. Notre conviction est que le français est une langue d’avenir, qui a toute sa place dans la culture mondiale, et sur laquelle il est temps que nous nous mobilisions.

M. Pouria Amirshahi, rapporteur. Je souhaite souligner au préalable l’excellent climat qui a régné au sein de la Mission d’information. Nous avons beaucoup échangé entre nous, y compris en dehors des auditions qui nous réunissaient, dans un esprit très consensuel. Je remercie aussi la commission des Affaires étrangères d’avoir accepté de mettre en place une mission aussi essentielle pour la francophonie que stratégique pour la France.

La réorganisation du monde percute les identités et que d’autres aires géolinguistiques, arabophone, hispanophone, lusophone, pour ne citer que celles-là, s’affirment autour de leur langue, vecteurs de rayonnement de puissance, y compris économique. Or, nous avons très peu, pas assez en tous cas, réfléchi à ce que pourrait représenter l’espace francophone. Nous nous sommes retrouvés pris entre deux écueils. D’une part, une France négligente, y compris dans les organisations internationales – et dans son rapport au Président de la République de 2007, Hubert Védrine dénonçait déjà l’attitude scandaleuse des élites françaises, cette désinvolture, dont aucune autre nation ne ferait preuve à l’égard de sa propre langue. D’autre part, de mauvais avocats défendant une langue française supposée avoir des valeurs intrinsèques que d’autres n’auraient pas. Comme si la démocratie, les libertés ne se pensait pas en espagnol, en anglais ou même en arabe, à l’heure du printemps arabe… Il y a donc un impensé stratégique sur la francophonie.

2014 est une année importante, avec le Sommet de Dakar et le départ du Président Abdou Diouf, qui a certes su installer une OIF pesant diplomatiquement, mais sur laquelle on s’interroge, car elle donne le sentiment d’une dilution avec les élargissements successifs à des pays très peu francophones. Nous connaissons bien en Europe cette difficulté de combiner élargissement et intégration.

Pour faire vivre un sentiment d’appartenance à un ensemble mondial et mettre en mouvement une communauté d’intérêts, il nous faut probablement passer par une stratégie conduite par un noyau dur d’États francophones, dont hormis la France, tous sont plurilingues.

Cette diversité linguistique se ressent dans la trentaine de pays francophones par une appropriation différente de la langue française. En Belgique, elle est perçue comme très politique ; dans certains pays d’Afrique sub-saharienne elle est une langue de liaison, au Maghreb, elle est une langue sociale, avec cet effet à double tranchant d’être la langue de la réussite, mais aussi une langue de classe, se traduisant par ricochet par une mise en cause de la France.

Nous nous sommes donc attachés à déterminer comment la communauté linguistique pouvait faire sens en formulant un certain nombre de propositions.

À mon tour, je veux mettre en garde contre des facilités de raisonnement, à commencer par celle de l’effet positif de la démographie africaine sur l’avenir de la francophonie. Compte tenu de l’état actuel des systèmes éducatifs, cette démographie abouti à une diminution de la qualité de l’instruction et donc une diminution du nombre de francophones. Nous avons donc l’ardente obligation, comme le rappelle souvent Jean-Paul Bacquet et d’autres collègues, de mettre en place une stratégie éducative qui garantisse une éducation de base et un maintien des élèves dans le système scolaire le plus longtemps possible pour pérenniser le français. Il s’agit aussi de mettre en place une stratégie éducative mondiale, incluant la mise au point de formation communes, de co-diplomations, œuvrant à la convergence des contenus, qui est tout à fait possible dans un certain nombre de matières. En France même, nous devrions y réfléchir, pour mettre fin par exemple à la prédominance voire l’exclusivité de la littérature française dans les programmes. Nous devons faire nôtre le patrimoine de l’ensemble de la littérature d’expression française, car le projet francophone n’est pas possible s’il ne se fonde pas sur un rapport d’égalité entre les cultures, les arts et les littératures francophones.

Toujours concernant les contenus, un effort doit être fait pour que les outils éducatifs, les manuels, les didacticiels, soient adaptés aux contextes locaux, et la stratégie des Éditions Belin nous a paru à cet égard très pertinente, afin que chacun se sente aussi respecté dans son identité et se reconnaisse dans ce qui lui est proposé à étudier. J’insiste à nouveau sur cette diversité parce qu’elle me semble essentielle. Dans tous ces pays plurilingues, nous devons penser à organiser d’abord la cohabitation des langues et non à imposer le seul français. Imaginer que demain les Maghrébins iront à l’école uniquement en français n’a aucun sens. La stratégie éducative à déployer doit favoriser le bilinguisme et le développement des filières francophones, en s’appuyant aussi sur nos écoles françaises à l’étranger.

Le deuxième axe d’une nouvelle ambition francophone a trait aux mobilités. Il ne peut y avoir d’espace francophone sans mobilité des œuvres, des savoirs et des personnes. S’agissant des personnes, la réglementation française a évolué, mais il n’y a pas eu une seule audition, y compris de représentants de notre réseau, des acteurs de la vie culturelle et du monde économique, au cours de laquelle n’ait été évoquée la question des visas. Soit on nous citait des exemples de refus de visa, soit des délais de délivrance qui dissuadent ceux qui ont pourtant beaucoup à apporter de venir en France, qui optent pour les États-Unis, l’Allemagne ou d’autres pays, beaucoup plus réactifs et conscient de l’intérêt à les accueillir. La France donne l’image d’une citadelle assiégée et il faut vraiment que cela change.

Cela concerne aussi les jeunes, d’où l’idée d’un Erasmus francophone, de campus d’été régionalisés, de réseaux reliant la jeunesse francophone, d’un visa francophones, pour que de plus en plus de jeunes ayant eu des liens avec les pays francophones portent cette ambition et contribuent à la constitution de cet espace.

La mobilité des œuvres est aussi un véritable enjeu. Le rapport formule plusieurs propositions sur l’accès, la coédition qu’il nous faut développer, la promotion des œuvres notamment et souligne l’importance des lieux de création. La circulation des idées est quant à elle permise d’abord par les media. Les chaines de radio et de télévision font beaucoup pour la francophonie, pour installer dans le décor quotidien des auditeurs, des téléspectateurs, la langue française. On apprend en français, on débat en français, on conteste en français. Cette dimension est structurante car il n’y a pas de francophonie durable qui ne soit populaire. Elle ne peut pas être uniquement institutionnelle ou réservée à des élites. Il faut la démocratiser si l’on veut qu’elle ait du sens à l’échelle mondiale. Cela passe aussi par les outils modernes qui peuvent permettre de faire vivre un « bain francophone » de véhiculer des mots, des concepts, des contenus francophones : Internet, les nouvelles technologies sont des instruments essentiels, et il faut les investir.

Je veux aborder aussi le domaine des sciences, qui doit relever de notre perspective stratégique. De nombreux chercheurs sont contraints vis-à-vis de l’anglais pour des raisons de carrière, de visibilité. A l’instar d’autres communautés linguistiques qui réagissent et développent leurs publications scientifiques dans leur langue, il nous appartient de définir une stratégie pour que d’ici à dix ans une revue scientifique internationale de référence en français ait vu le jour, qui remette en position ce que les génies francophones, et pas seulement le génie français, sont capables de formuler et de le faire valoir. Il faut sortir de cette démission générale ou de l’absence de croyance en nos propres capacités.

Le fait, y compris en sciences dites dures, de pouvoir travailler et publier en français présente un intérêt manifeste pour la communauté francophone, pour sa créativité qui repose beaucoup sur la maîtrise des concepts, l’accès à des contenus et l’échange, et le rapport argumente beaucoup ce point. Le Québec nous montre la voie : depuis des décennies, l’Acfas regroupe des milliers de chercheurs francophones qui démontrent qu’il est possible de travailler et produire en français, dans tous les domaines scientifiques, pas seulement les sciences humaines ou la littérature, domaines dans lesquels on cantonne le français. L’Acfas s’ouvre sur les chercheurs francophones, notamment africains, qui sont en demande car échanger et faire circuler les concepts dans une même langue est évidemment plus facile que de s’adapter à une autre qu’on maîtrise moins. C’est donc aussi une question de démocratisation du savoir.

Cette francophonie universitaire et scientifique passera aussi par la définition des programmes et cursus, d’une offre de qualité et adaptée, d’une mobilité étudiante, professorale et doctorale facilitée, de pôles d’excellence. Il y a aussi l’outil des MOOCs, comme disent les Anglo-Saxons, que les Québécois appellent les CLOMs, pour Cours en ligne ouverts et massifs. Je vous invite à cet égard à adopter l’acronyme francophone et me donne l’occasion de rappeler le travail de la DGLF, dont l’une des tâches est de traduire les anglicismes, de faire des recommandations remarquables que l’on a trop souvent tendance, en France, à ne pas suivre alors qu’au Québec les propositions de traductions sont retenues ; comme s’il était ridicule ici de soutenir notre propre langue. L’Office québécois de la langue française a à peu près les mêmes missions que la DGLF, avec des pouvoirs de police en plus pour le respect des obligations linguistiques, et cela marche. On pourrait d’ailleurs rapprocher les organismes.

Un autre axe d’actions est celui de la mobilisation des pouvoirs publics notamment sur la scène internationale. Très souvent dans les organisations internationales ou européennes, la part de l’anglais croît au détriment des autres langues et du français. Au-delà de quelques coups d’éclat, sans effet, malgré l’indignation ponctuelle, le volume des documents rédigés en anglais ne cesse d’augmenter. Il faut réfléchir à une stratégie adaptée. Au sein des organisations internationales, la démission est incroyable et se pose en premier lieu la question du respect de notre langue par les Français eux-mêmes, par nos élites, sur la scène internationale. Les exemples sont multiples, André Schneider pourra y revenir. Nous formulons deux propositions sur ce sujet. En premier lieu, imposer la simultanéité dans les langues officielles de toute communication officielle de toutes les institutions européennes dans les langues officielles sur les sites internet et dans les communiqués de presse. Il y a aujourd'hui des délais inacceptables ; la force politique de l’anglais est sa capacité à aller vite dans la communication et si la France, avec l’Allemagne et d’autres, réussissait à imposer cette simultanéité, on pourrait inverser la tendance au sein de l’UE. Sans doute faut-il aussi reconnaître le caractère officiel d’autres langues centrales qui s’inscrirait dans la défense collective du plurilinguisme du monde et dans un combat commun. Il s’agit que le français ne soit pas seulement dans une posture défensive et de recherche d’une grandeur passée, mais de rechercher des alliés sur la scène internationale. Ils existent, je les ai cités en introduction.

Vis-à-vis de l’OIF, de nos partenaires, du gouvernement aussi, nous formulons deux propositions : en premier lieu, la constitution d’un noyau dur de pays francophones, pas forcément membres de l’OIF (je pense à l’Algérie, avec laquelle nous avons beaucoup de choses en partage et beaucoup de choses à construire, d'ores et déjà en cours, en matière de co-diplomation par exemple). A partir de ce noyau dur, on peut avoir une capacité de rayonnement vers l’extérieur, ensemble. Si l’on veut demain une meilleure reconnaissance sur la scène internationale, des brevets, des co-diplomations francophones, comme le font les autres communautés linguistiques, il faut avancer ensemble.

J’en finis avec la francophonie économique, qui était le troisième volet du champ de notre Mission. C’est la grande nouveauté de la réflexion et prochain sommet de l’OIF doit tirer les conclusions d’une réflexion qui a été confiée à Kinshasa à un groupe de travail. Le Québec est en avance sur ce sujet. Jean-François Lisée, ministre de la Francophonie, vient de faire une importante tournée en Afrique avec 100 chefs d’entreprises. C’est peut-être plus facile pour le Québec compte tenu de l’absence de contentieux historique conflit mémoriel, mais il faut reconnaître qu’ils ont su anticiper, en étant à l’initiative du forum francophone des affaires, des rencontres internationales de la francophonie économique, par exemple et en avançant l’idée de convergence des intérêts économiques possibles en matière de normes, de formations comme sur d’autres sujets. En matière de formation professionnelle, élément-clé, il serait envisageable de travailler ensemble, de définir des cursus communs, avec les mêmes contenus, qui intéresseraient des filières industrielles dans plusieurs pays, je pense par exemple au bois, à l’énergie, aux transports ainsi que des stratégies francophones économiques qui permettraient la consolidation d’un espace commun.

Si l’on combine l’ensemble de ces orientations, si l’on réussit à trouver des convergences, à développer des complicités géopolitiques, une conscience commune, alors la communauté francophone pourrait croître sur la scène internationale. C’est possible. Il ne faut pas renoncer au projet francophone. Entre incantation et renoncement, il y a un espace pour une stratégie géopolitique pour la francophonie.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je crois qu’il serait particulièrement important que nous insistions pour que les ministres français s’expriment toujours en français dans les enceintes internationales, en particulier lorsque les réunions sont organisées à leur propre initiative.

Mais il faut aussi bien enseigner l’anglais chez nous. Je suis plus réservé que le rapporteur sur la question de l’anglais dans l’enseignement supérieur. Il s’agit d’attirer des étudiants qui ne parlent certes qu’anglais au début, mais qui finiront par parler français, par s’intéresser à notre culture et par connaître notre pays.

M. Jean-René Marsac. J’ai participé avec beaucoup de plaisir à cette mission importante, dont on peut espérer qu’elle aura des prolongements au plan opérationnel.

Je crois beaucoup à l’idée d’un travail resserré avec un noyau dur de la francophonie, notamment grâce à l’approfondissement de nos relations avec les Québécois et les Belges, qui ont beaucoup à apporter aux autres pays francophones par leur créativité et leur combativité.

La francophonie économique constitue un axe essentiel. Nous avons pu constater que les grands groupes étaient aussi très demandeurs d’une approche francophone et désireux de contribuer au rayonnement de la francophonie. La question de la formation professionnelle dans les pays francophones est absolument déterminante. L’avenir du français, souvent perçu comme une langue des élites, dépendra de la promotion professionnelle et sociale en français. C’est un investissement intéressant à réaliser pour le développement de notre langue dans le monde et pour notre influence.

La créativité et l’innovation à l’intérieur de notre langue est un autre champ considérable, au sein duquel les Québécois nous apportent beaucoup. Notre langue ne doit pas seulement être une langue culturelle ou du patrimoine.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Pour l’anecdote, François Mitterrand avait félicité les Québécois pour avoir traduit le mot « pin’s » par le mot « épinglette ».

M. André Schneider. Je tiens à féliciter le rapporteur pour sa précision quasi-horlogère ! Le rapport commence par le fronton de la francophonie : « ma patrie est la langue française ». J’émettrai toutefois un bémol : pas une seule fois l’Assemblée parlementaire de la francophone n’a été citée ce matin…

M. François Rochebloine. Si, si. Je l’ai mentionnée.

M. André Schneider. Nous, députés, sommes un vecteur de la diplomatie parlementaire. Il nous arrive parfois de claquer la porte lorsqu’un Français parle en anglais. Nous voulons tous défendre la langue française et nous devons nous battre. Nous avons la foi. Le rapport donne des pistes afin de sortir de ce contexte difficile pour redonner corps à la politique de développement de la langue française. Le taux de pénétration d’une langue a des conséquences politiques et économiques. Soyons des militants convaincus, tous les jours, de notre langue. Ce rapport doit être notre serment de Konfra ! C’est un Alsacien qui n’a pas appris le français dans son berceau qui vous le dit.

M. Michel Terrot. Malgré nos différences idéologiques, nous avons pu, au sein de la Mission, nous accorder et trouver un consensus. Je suis d’accord avec la quasi-totalité du rapport. Je veux insister sur la grande idée fausse du moment selon laquelle la francophonie ne connaîtra pas de difficultés car l’Afrique francophone est appelée à croître. C’est faux : le système éducatif va se dégrader. Il faut donc mettre les moyens car sans aide, il n’y aura plus de développement du français en Afrique. Aidons à reconstruire les systèmes éducatifs. Comme chacun le sait, je suis ardemment convaincu qu’il nous faut pour cela privilégier l’aide bilatérale.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vais écrire au Premier ministre pour évoquer la question que je soulevais tout à l’heure, lors de ma première intervention. Par ailleurs, soyons aussi attentifs à ce qui se passe dans nos circonscriptions. Récemment, en Seine Saint-Denis, je visitais une association qui, certes, faisait un travail intéressant auprès des jeunes mais employait plein de mots anglais. Je me suis insurgée ! Faisons preuve de vigilance citoyenne !

M. Axel Poniatowski, vice-président de la commission. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet.

M. Jean-Paul Bacquet. Le problème de la défense de la langue française n’est pas nouveau. Lorsque j’étais lycéen, René Étiemble avait écrit Parlez-vous franglais ? J’ai eu l’occasion de faire plusieurs missions à l’étranger avec Christine Lagarde et je ne l’ai jamais entendue parler français ! Souvenons-nous aussi de Philippe Douste-Blazy qui, en son temps, était brocardé car il ne parlait pas anglais. Le président et le rapporteur de la Mission d’information ont donné des chiffres sur la pratique du français dans le monde mais il aurait été bien d’avoir des comparaisons avec les autres langues. Sous la précédente législature, nous avions auditionné Dominique Wolton qui nous avait dit que pour que l’on parle davantage le français, il fallait connaître la langue des autres ; or je ne suis pas sûr que l’enseignement des langues étrangères en France se soit amélioré. Il avait annoncé que, dans 30 ans, l’espagnol serait la langue majoritaire aux Etats-Unis et qu’en Espagne, sous Franco, il y avait 2 millions de francophones et qu’il n’y en aurait plus que 200.000 ou 300.000 aujourd’hui. Donnez-nous des chiffres : où le français régresse-t-il ? Ou progresse-t-il, notamment parce qu’on l’apprend ? Je me rappelle que le Nigéria a rendu obligatoire l’enseignement du français, non sans quelques préoccupations d’ordre économique.

M. Jean-Luc Bleunven. Je tenais à souligner le paradoxe à évoquer la francophonie au moment même où nous allons débattre de la question des langues régionales en séance. On a fait preuve de beaucoup de créativité sur les langues régionales, avec de nouveaux mots, un vrai travail de diversité qui existe également dans les langues minoritaires malgré le faible nombre de locuteurs. La question de la reconnaissance de la diversité est essentielle car elle permet aux langues de vivre. La charte des langues régionales et minoritaires participe de cette reconnaissance et j’invite chacun à être attentif à cette question, car nous devons être irréprochables chez nous si nous voulons être en mesure de donner des leçons à l’étranger.

M. Pierre Lellouche. J’ai beaucoup apprécié que le cas du Québec soit mis en avant par le Rapporteur car je pense que l’on devrait plus souvent s’inspirer de leurs pratiques. En effet, au sein d’un continent peu favorable au maintien de la langue française, les Québécois prouvent que l’on peut respecter sa langue et qu’il peut en ressortir un impressionnant succès économique. On devrait donc arrêter de les traiter en petits cousins. On devrait notamment retenir d’eux le lien qu’ils font entre la langue et l’économie et non, comme on a tendance à le faire en France, le lien entre la langue et la Françafrique. Cela est gênant car ensuite la langue devient un passeport, encourageant de fait l’immigration et non le développement local. Nous avons donc beaucoup à apprendre des Québécois.

Par ailleurs, j’ai été énormément choqué, en tant que Ministre des affaires européennes, par ce qui se passe au niveau européen. Au Parlement européen par exemple, à Strasbourg, l’ordre du jour de l’assemblée qui apparaît sur les écrans est toujours en anglais. Qu’en territoire français, la langue officielle des traités ne soit pas respectée est quelque chose d’invraisemblable. La lettre que j’avais adressée au Président du parlement européen n’y avait bien sûr rien changé. Le paradoxe c’est que le français est davantage utilisé à l’OTAN qu’a l’Union Européenne.

Mme Chantal Guittet. Je tenais à revenir sur le Sommet de Dakar qui se tiendra l’année prochaine et définira les grandes orientations de la Francophonie pour les dix années à venir. Peut-on espérer qu’en ce qui concerne l’Algérie, grâce à l’amélioration de nos relations bilatérales, il puisse y avoir des avancées sur sa possible adhésion à l’OIF ? J’ai bien conscience du contexte historique qui explique que l’Algérie ne soit pas membre de l’OIF, mais je trouve malgré tout dommage qu’un pays qui compte autant de locuteurs francophones ne soit pas membre de l’organisation. Par ailleurs, j’ai rencontré à Québec, dans le cadre de la francophonie, des Roumaines qui me disaient que nous devions les aider dans leur développement économique et dans leurs relations avec la Francophonie au risque de voir le français se perdre. C’est le cas aussi en ce qui concerne les Flamands. De moins en moins de jeunes Flamands parlent français, il y’a donc surement quelque chose à faire.

M. Jacques Myard. Dans un premier temps, je crois qu’il faut dénoncer fortement la vision des élites françaises qui n’ont de considération que pour le « globish ». C’est une vision des années 60 qui n’a plus lieu d’être. Ce monde-là s’écroule, nous sommes désormais entrés dans l’ère des puissances relatives et donc des langues relatives. L’anglais va diminuer d’année en année et c’est une faute stratégique que de former des ingénieurs en anglais qui seront en activité encore dans quarante années alors qu’on peut s’attendre à ce que les Chinois, les hispaniques et tout le monde arabe imposent leurs langues. Privilégier l’anglais comme on le fait aujourd’hui consiste donc à rêver le monde des années 60. La langue est un portail sur un monde économique global, les jésuites l’avaient compris bien avant nous.

Deuxièmement, Flaubert disait que la langue « sort par le gueuloir ». Cela signifie que nous ne devons plus nous satisfaire de ce que quelques élites chinoises ou iraniennes pratiquent un français parfait, il faut que l’on « tape populaire », c’est la seule façon d’y arriver.

Troisièmement, ce qui se passe au sein de l’Union Européenne est intolérable ; je pense que nous devons tout simplement couper les vivres ! Car lorsqu’on constate qu’il y a des murs à Bruxelles entre lesquels on ne parle plus qu’anglais c’est inadmissible, et notre ambassadeur sur place, M. Philippe Etienne, s’attend d’ailleurs à une crise majeure en raison de la querelle linguistique.

Enfin, je considère, comme le Rapporteur, qu’il ne faut pas être dans un rapport de forces bilatéral face à l’anglais. Nous devons opérer à plusieurs, avec les Chinois, les hispaniques notamment, et mettre dans les cordes les tenants du tout-anglais. J’approuve donc ce rapport sans hésitation.

Mme Seybah Dagoma. Je tenais à vous interroger sur la question des visas. Cette question est un serpent de mer. Vous disiez que cela favoriserait la circulation des étudiants mais également des hommes et des femmes de culture. Pourriez-vous nous préciser quelle pourrait être l’influence d’une telle initiative sur la dynamisation culturelle de l’espace francophone et quelle serait la bonne stratégie pour y parvenir ?

M. Philippe Cochet. La question centrale est la suivante : Vu du dehors, pourquoi apprendre le français ? C’est une question basique qui me parait être au cœur du sujet. J’ai apprécié les trois axes évoqués, l’éducatif, le culturel et l’économique. Mais avant de préconiser, peut être devrions nous regarder ce que l’on a fait auparavant. Sur le culturel par exemple, beaucoup d’investissements n’ont connu aucun retour et cela nécessite de s’interroger. J’apprécie que vos propos associent cette notion économique, mais il y a quand même une réalité qui s’impose à nous. Lorsqu’on regarde l’évolution économique, de nombreuses langues nous viennent en tête. L’anglais, le chinois, le portugais, l’espagnol…. Je pense que l’influence de la langue française reviendra avec le retour de notre puissance économique. Si nous continuons à nous agiter ainsi, on risque de faire fausse route, la seule question méritant d’avoir des réponses est la suivante : Moi qui ne suis pas Français, qu’est ce qui me motive à apprendre le français ?

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Je voudrais faire part d’une certaine inquiétude quant à une forme de rigorisme sur l’emploi obligé du français par les membres du gouvernement ou des parlementaires en déplacement à l’étranger. La semaine passée, j’étais comme d’autres collègues avec le Premier ministre en Autriche et j’ai vu tout l’impact réel que provoque l’utilisation de l’allemand, tant par le Premier ministre que par la délégation, auprès du gouvernement autrichien, du gouvernement fédéral comme de nos interlocuteurs économiques. Faisons attention à ne pas en faire trop dans l’autre sens. Parfois, il est arrivé que l’absence d’efforts - alors qu’il existe parmi nous des gens qui parlent l’allemand - entraine des incompréhensions ou des situations embarrassantes.

Il est bien naturel en revanche, et Mme la Présidente a bien fait de le souligner, que lorsque le français est une langue officielle, comme c’est le cas dans les institutions internationales, nous ne parlions qu’en français.

Je regrette enfin que Jacques Myard soit parti parce que, si j’entends l’argument qu’il y a certaines directions générales de la Commission européenne qui ne travaillent qu’en anglais, je voudrais rappeler que la seule et unique langue officielle de délibéré de la Cour de justice de l’Union européenne reste à ce jour le français. Restons équilibrés dans notre appréciation plutôt que de partir dans des digressions un peu trop caricaturales.

M. Axel Poniatowski. Je veux simplement souligner deux points. Le premier pour répondre à Chantal Guittet lorsqu’elle évoquait l’intégration de l’Algérie à l’OIF. Lorsque nous avons mené notre mission d’information sur l’Algérie avec Jean-Paul Dufau, c’est un sujet que nous avons traité. En un mot, l’Algérie n’est pas prête aujourd’hui à intégrer la Francophonie. La raison principale, sans que ce soit explicitement dit, c’est que l’OIF continue à ses yeux de s’apparenter à une forme de colonialisme. C’est très regrettable car une très grande majorité des Algériens parlent le français.

J’aimerais ensuite soulever la question du statut de France 24 car je n’ai pas l’impression que vous l’ayez évoqué dans votre rapport. C’est une question qui me semble primordiale et je ne vois pas comment on peut l’éluder dans une réflexion sur la francophonie, à moins peut être que vous ne trouviez formidable que France 24 émette en anglais et en arabe. Je considère que c’est une absurdité qui absorbe une grande partie du budget de France 24. La création de cette chaîne d’information qui émet dans le monde entier fut une très bonne initiative, mais parce qu’elle émet en anglais, elle fait la promotion de la langue anglaise ! Moi qui suis anglophone et un ami des anglo-saxons, je trouve que cet outil ne devrait être utilisé qu’en français. C’est le seul outil mondial que nous ayons pour la promotion du français et de la francophonie ! Certes il y a TV5, mais ce n’est pas une chaîne d’information et son audience reste confidentielle. Cette chaîne n’a pas la même exposition que France 24.

A chaque fois, la réponse de l’exécutif et du gouvernement est la même : il est important que la culture française puisse pénétrer tel ou tel pays, que la spécificité française puisse se faire entendre… Mais lorsque vous êtes aux Emirats arabes unis, en Arabie saoudite ou en Chine et que vous voulez entendre des informations en anglais, vous ne regardez pas France 24 ! Tout le monde regarde la BBC ou CNN, mais surement pas France 24 en anglais, qui n’intéresse personne. Je ne comprends pas pourquoi nous, parlementaires, ne sommes pas plus fermes sur ce sujet. Le pouvoir actuel, tout comme le pouvoir précédent, ne s’occupait pas de cette question. Elle est pourtant primordiale.

M. Pouria Amirshahi, rapporteur. Je vais tenter de répondre rapidement à vos questions. Je salue tout d’abord les initiatives salutaires annoncées par Élisabeth Guigou auprès du Premier ministre. Je pense qu’elle peut se prononcer en notre nom à tous car il y a un consensus pour que les responsables et les dirigeants assument la langue française dans les institutions internationales.

Je pense que Pierre-Yves Le Borgn’ a raison quand il dit que le fait de parler la langue du pays qui nous accueille est toujours un plus. Le problème est lorsqu’on parle anglais dans un pays qui n’est pas anglophone. En revanche, parler allemand en Autriche ou en Allemagne renforce évidemment le cœur et les esprits des interlocuteurs.

La Présidente a soulevé une question sur l’Université et les langues étrangères. Au moment de la polémique sur le fameux article 2 du projet de loi sur l’Enseignement supérieur et la recherche, on a été confronté à une impasse, car on l’idée était que pour réussir, il fallait absolument maîtriser l’anglais. Or, souhaiter que tous les français maîtrisent l’anglais n’est pas souhaitable ; je dirais même que ce n’est pas utile, car dans le monde qui vient il faudra maitriser d’autres langues indispensables, Jacques Myard l’a bien rappelé. Il y a donc une difficulté que Jean-Paul Bacquet a soulevée : notre capacité à enseigner les autres langues, chez nous et dans le monde. On n’est pas très bons, mais ce n’est pas qu’un problème de qualité pédagogique. Prenons l’exemple du Japon et du Brésil. Ces pays ne comprennent pas et trouvent injuste le fait qu’ils font beaucoup d’efforts pour la langue française et que nous en fassions très peu pour la leur : on n’enseigne peu japonais et le portugais. Ces pays trouvent que l’on fait de nombreux efforts pour enseigner le chinois, alors que la Chine n’en fait presque aucun pour enseigner le français… Il faut avoir une réflexion stratégique, intégrée à notre diplomatie. Dans les accords bilatéraux que l’on passe avec d’autres pays, il faut se battre pour que le français soit bien enseigné dans le système éducatif de ces pays, mais que la réciprocité soit vraie aussi et que l’on assume de donner une plus grande part à des langues importantes et dont nous aurons besoin stratégiquement.

La question des professeurs de français posée par Michel Terrot est évidemment centrale et c’est vrai que je ne l’ai pas développée dans mon propos introductif alors qu’elle est traitée dans le rapport. La Fédération internationale des professeurs de français alerte sur les départs massifs à la retraite de professeurs de français et sur les difficultés liées à la qualité des recrutements. Or, la qualité des enseignants était une des forces de l’enseignement du français dans le monde. Ils restent des militants de la francophonie mais ils ne sont pas beaucoup aidés. On en envoie moins à l’étranger, ils sont moins formés et les recrutements locaux sont souvent insatisfaisants. Il faut saluer les initiatives telles que l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) et d’autres projets annoncés, notamment « 100 000 professeurs pour l’Afrique », de même que les formations effectuées par le réseau et les formations par internet de professeurs. Il faut garder à l’esprit que tout ne peut pas passer par internet, dans des pays africains en particulier. Les crises énergétiques sont telles que l’accès à internet n’est pas toujours possible.

Jean-René Marsac et d’autres ont, à juste titre, soulevé le problème de la francophonie économique. Je crois que l’on pourrait se mettre d’accord avec les Québécois pour multiplier les accords économiques comme celui qui a été signé récemment dans le domaine de l’électricité. Ces accords signifient des formations professionnelles, des normes technologiques, des brevets et des inventions français. C’est donc très important. Cela pourra nous donner une capacité de projection sur des marchés, par exemple africains, où il y a une demande extraordinaire. C’est de notre intérêt national que d’appuyer cette stratégie de francophonie économique.

Sur les chiffres du plurilinguisme, je dispose de quelques ordres de grandeurs : aujourd’hui, il y a 250 millions de lusophones, 380 millions d’hispanophones et 1,4 milliards de sinophones. Mais les effets démographiques sont trompeurs en dynamique. Même aux États-Unis, personnellement, je me méfie de l’idée que l’espagnol sera jour majoritaire, car la capacité d’intégration et d’assimilation de la société américaine est très forte et de nombreuses générations d’hispanophones ont certes continué à parler espagnol en privé, ou sein de leur communauté, mais parlent anglais au quotidien. Il n’empêche, c’est juste, que ce sont des langues dynamiques, qui se développent, qui se consolident, qui s’organisent et qui augmentent le nombre de leurs locuteurs. On a proposé dans le rapport un atlas de la francophonie pour situer en tendance ces indications concernant l’espace francophone.

J’en viens aux zones de progression et de recul : certains pays renouent avec le français : le Brésil, la Colombie (l’intérêt pour le français est marqué en Amérique latine), la Chine et le Qatar, pour en citer quelques-uns, et les raisons de l’intérêt pour notre langue sont les mêmes ou presque, hormis l’attrait culturel et historique : c’est l’Afrique et les perspectives économiques de ce continent. Si l’on prend l’exemple des pays du Golfe, les Qataris, arabophones pourtant, passent par le français dans leurs relations avec les pays du Maghreb. La langue française devient donc une porte d’entrée pour l’Afrique. Quant aux pays où la place du français régresse, c’est surtout en Europe que le recul est catastrophique. Il y a encore des cœurs battants, par exemple la Roumaine, mais la pratique du français est un peu partout en chute libre avec un phénomène de génération marqué : en dessous de 40 ans, presque personne ne parle français ; au-delà, on trouve encore des francophones pour des raisons relatives à l’ancien système éducatif, l’attachement à la langue et la culture françaises et la transmission par les aînés. On est confrontés à une vraie difficulté pour attirer à nouveau à la langue française.

Si on adoptait une stratégie commune avec d’autres Etats francophones impliqués pour faire valoir les atouts du français, si nos coopérations bilatérales parvenaient à faire en sorte que la langue française soit à nouveau enseignée dans les écoles, ou plus enseignée, et qu’on assumait plus de réciprocité en développant l’enseignement des langues étrangères en France, on serait alors en capacité de donner une dynamique positive et de faire progresser au plan mondial la langue française.

Sur la question de l’Algérie, Axel Poniatowski a raison : ce pays considère toujours, à tort selon moi, l’OIF comme un organisme satellite de la France. Je crois que nous pouvons néanmoins avancer avec l’Algérie dans le sens du renforcement de la francophonie.

La question du visa francophone n’a pas pu progresser du fait de la peur migratoire : elle s’est retrouvée coincée dans le débat entre la volonté de fermeture des frontières et les velléités d’immigration choisie. Il existe pourtant une position intelligente, celle de la mobilité et des allers-retours. En limitant les démarches administratives, on désengorge nos consulats et nos préfectures et cela favorise en particulier la circulation des créateurs et des chefs d’entreprise. Par exemple, trop souvent, nous sommes encore confrontés au cas d’entreprises implantées à l’étranger qui veulent envoyer leurs cadres pour une formation professionnelle en France et se heurtent à un refus de visa.

C’est vrai, le rapport traite peu de la question de France 24, car cette chaîne a été créée pour être un outil d’influence française et non une chaîne francophone. Je suis d’accord pour dire que France 24 en anglais n’a pas beaucoup d’influence propre, sauf peut-être dans les pays anglophones où la France conserve un rayonnement. Pour France 24 en arabe, il faut être plus nuancé : par exemple, France 24 en arabe est la chaîne d’information du groupe la plus regardée en Tunisie, même si en revanche c’est en français que cette chaîne est plutôt regardée en Algérie et au Maroc. C’est surtout TV5 Monde qui devrait sans doute voir sa diffusion renforcée, car c’est vraiment une chaîne francophone qui s’inscrit dans l’idée de francophonie intégrée en s’ouvrant aux programmes des autres pays francophones.

Dans l’optique de l’alliance stratégique qu’il faut entre les pays francophones, nous devons effectivement, comme le dit Philippe Cochet, répondre à la question : « Pourquoi apprendre le français ? ». Elle appelle plusieurs réponses. Il y a les enjeux économiques, avec des débouchés considérables en Afrique, une sphère d’influence française qui se maintient, enfin un patrimoine des cultures francophones à promouvoir, au nom d’une certaine idée du dialogue entre les cultures et de l’universalité.

À cet égard, je voudrais revenir sur une proposition du rapport qui est très importante, à savoir la une mise en commun des outils à la disposition des différents pays francophones, tels que par exemple les Alliances et Instituts français en ce qui nous concerne. Nous pourrions sans doute ouvrir nos outils à d’autres pays francophones, tout en gardant la main naturellement parce qu’ils répondent aussi à d’autres enjeux. Par ailleurs, un rapprochement me paraîtrait particulièrement opportun : celui entre l’Office québécois de la langue française et notre Délégation générale à la langue française ; on pourrait ainsi avoir une stratégie linguistique commune avec le Québec.

M. François Rochebloine. Je remercie le rapporteur pour ces réponses très complètes. J’ajouterai juste une remarque : le français et l’anglais sont deux langues officielles du sport international ; or, on constate dans tous les événements sportifs que le français y est de moins en moins utilisé.

La commission autorise la publication du rapport d’information.

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Information relative à la commission

Au cours de sa réunion du 22 janvier 2014, la commission a nommé :

– M. Jean-René Marsac, rapporteur pour avis sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l’économie sociale et solidaire (n° 1536) ;

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 22 janvier 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. François Asensi, M. Avi Assouly, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Édouard Courtial, Mme Seybah Dagoma, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Alain Bocquet, M. Philip Cordery, M. Jacques Cresta, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Claude Guibal, Mme Thérèse Guilbert, M. Serge Janquin, M. Patrick Lemasle, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle