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Commission des affaires étrangères

Mardi 20 mai 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 60

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international

Audition de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international.

La séance est ouverte à dix-sept heures

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Laurent Fabius, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation. Parce qu’il doit impérativement nous quitter assez vite, il a proposé que nous passions directement aux questions.

Après l’assassinat, à Kidal, de six membres du corps préfectoral, de civils et de militaires maliens, et après la prise de fonctionnaires en otages dans le bâtiment du gouvernorat, nous sommes naturellement intéressés par votre analyse de la dégradation de la situation depuis la signature de l’accord de Ouagadougou. L’accord laissait espérer un dialogue entre les autorités maliennes et le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), qui ne s’est jamais noué, ou de manière insatisfaisante.

En Ukraine, l’élection présidentielle, échéance cruciale, est prévue dimanche prochain. Chacun s’interroge sur la possibilité d’assurer le déroulement du scrutin dans les provinces de l’Est de manière suffisamment correcte pour qu’il puisse être considéré comme parfaitement légitime alors que les locaux des commissions électorales locales sont, par endroits, occupés par les séparatistes. Quelle appréciation portez-vous sur l’évolution de la situation et sur les signaux contradictoires de la Russie, qui annonce le retrait de ses troupes massées à la frontière et ne formule pas d’objection à l’organisation de « tables rondes de l’unité nationale » en Ukraine mais qui, dans le même temps, soutient en sous-main les prétendues « républiques populaires » ?

Après que s’est réuni à Paris le Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria, pouvez-vous détailler le plan d’action adopté pour lutter contre Boko Haram et les autres groupes terroristes, tels qu’Aqmi, au Sahel, et les Shebab, à l’Est de l’Afrique?

Enfin, notre Assemblée examinera jeudi en séance publique la résolution sur la négociation du partenariat transatlantique de commerce et d'investissement que notre commission a adoptée la semaine dernière, après avoir sérieusement amendé le texte que nous avait soumis notre collègue André Chassaigne. Le sujet inquiète, je le constate dans ma circonscription de Seine-Saint-Denis, où l’on m’interroge avec pertinence sur le mécanisme d’arbitrage. Notre commission considère que davantage de vigilance et de transparence sont nécessaires mais qu’il ne faut pas suspendre des négociations dont on ne peut préjuger l’issue. Nous avons noté la réserve exprimée par le ministre allemand Sigmar Gabriel sur l’éventualité d’une clause de règlement extra-judiciaire des différends entre États et investisseurs ; quelle est la position du gouvernement français à ce sujet ?

Mme Odile Saugues. Au regard de l’échec des négociations de paix avec les Israéliens, quelle appréciation portez-vous sur les récentes initiatives de l’Autorité palestinienne – démarches aux Nations Unies, adhésion à des conventions internationales mais aussi accord de réconciliation avec le Hamas ? La France est-elle prête à travailler avec un gouvernement issu de cet accord, et si oui, à quelles conditions ?

En Syrie, alors que se prépare pour le 3 juin une élection présidentielle dont le résultat semble joué d’avance, la situation se détériore de jour en jour pour les rebelles et l’impasse diplomatique semble totale. Quelles initiatives sont engagées par la France et ses partenaires du groupe des Amis de la Syrie ?

M. Michel Destot. Je me suis rendu en février au Mali auprès des troupes françaises et je tiens à saluer à nouveau l’excellence du dispositif Serval. Cette excellence n’est pas seulement militaire : elle se traduit aussi par une remarquable aide humanitaire et en termes de développement. Mais, concomitamment, j’ai été frappé par l’extrême faiblesse de l’administration au Nord du Mali, y compris dans la région de Gao, où chacun doute de la volonté du président Ibrahim Boubacar Keita de parvenir à la réconciliation nationale. Dans ce contexte, est-il opportun de procéder au redéploiement régional de nos forces prévu par le ministre de la défense ? N’est-il pas préférable d’accentuer la présence française au Nord du Mali ? Pendant combien de temps les unités françaises seront-elles maintenues ?

M. Philippe Baumel. Quelles seront les suites du Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria ? Une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies est-elle prévue à propos de Boko Haram ? Quels sont les termes de la coopération envisagée entre les pays qui ont participé à ce Sommet en matière de renseignement et de lutte contre le terrorisme ?

En Libye, on constate des mouvements militaires. Est-ce un tournant ? Le gouvernement est très affaibli, l’armée tente de peser de plus en plus, l’assemblée délibérante est empêchée de délibérer et la perspective d’élections est de plus en plus incertaine. Se dirige-t-on vers une prise en mains du pays par l’armée ?

M. Guy-Michel Chauveau. J’aimerais connaître votre analyse des graves événements survenus à Kidal samedi dernier et des suites qu’ils peuvent entraîner.

M. Michel Terrot. Quels résultats opérationnels escompter du Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria ? Quelles décisions ont été prises, non seulement pour permettre la libération des jeunes filles enlevées mais aussi pour faire cesser la menace permanente que le groupe Boko Haram fait peser sur le Nigeria et, à terme, sur les pays limitrophes ?

M. Axel Poniatowski. Depuis que le « referendum d’auto-détermination » a été organisé dans le Donbass, le silence s’est fait sur la situation en Ukraine. Or, quels que soient les résultats de l’élection présidentielle du 25 mai, on semble s’acheminer vers une scission du pays. Si tel était le cas, quelle serait la réaction de la France et de l’Union européenne ? Quels sont leurs objectifs ? Des initiatives ont-elles été prises pour rétablir le dialogue avec le président Poutine ?

M. Pouria Amirshahi. J’étais au Mali hier encore et j’aimerais également connaître l’appréciation politique que vous portez sur les tensions à Kidal. Le premier ministre malien s’est rendu au gouvernorat, comme il lui était loisible, mais cette visite, manifestement jugée prématurée, a permis au MNLA d’arguer de la rupture de l’esprit de l’accord de Ouagadougou. La France peut-elle contribuer à calmer le jeu pour éviter l’exacerbation des tensions ?

M. Jean-Pierre Dufau. Considérez-vous que l’élection présidentielle prévue le 25 mai en Ukraine puisse se tenir dans des conditions acceptables ?

M. Meyer Habib. Quelle est la position de la France sur l’alliance conclue entre le Hamas et l’Autorité palestinienne ? A-t-on des nouvelles des lycéennes enlevées par le groupe Boko Haram au Nigeria ? Des rumeurs pessimistes courent sur l’issue des négociations en cours avec l’Iran ; sont-elles fondées ?

M. Jacques Myard. Vous avez eu l’occasion de nous dire, à propos de la crise en Ukraine, que l’on ne ferait pas la guerre, ce que j’approuve. Il importe donc de trouver l’équilibre permettant de limiter les excès de M. Poutine tout en renouant avec lui un dialogue indispensable, la Russie faisant partie du système européen. C’est tout l’art, difficile, de la diplomatie, qui doit conduire à résoudre ce problème particulier et à en traiter d’autres, en Iran et en Syrie.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Plusieurs d’entre vous s’interrogent à juste titre sur l’action que peut avoir la France au Mali après les événements qui se sont déroulés samedi. Vous connaissez les faits : le Premier ministre malien a souhaité se rendre à Kidal, mais cette visite a déclenché de très graves incidents. Alors que la population de Kidal manifestait contre sa présence, l’armée malienne et le MNLA se sont violemment affrontés. Le MNLA a pris d’assaut le gouvernorat ; quatre sous-préfets et deux préfets ont été tués, et une trentaine de fonctionnaires et de militaires maliens pris en otages – qui ont été libérés hier soir grâce aux efforts conjugués de la MINUSMA, du Comité international de la Croix-Rouge, nous-mêmes ayant fait ce que nous devions. Plusieurs civils et militaires ont aussi été tués. Il n’est pas clairement déterminé si l’initiative du déclenchement des affrontements revient aux chefs du MNLA ou à de jeunes combattants de ce groupe.

Quoi qu’il en soit, on ne peut que condamner vigoureusement ces violences et demander que le MNLA restitue le bâtiment du gouvernorat qu’il a investi. Un cessez-le-feu a été obtenu mais même si notre ambassadeur perçoit l’amorce d’une décrue, la tension sur place demeure et de nouveaux affrontements, dont on ne sait quelle serait l’issue, peuvent se produire entre l’armée malienne, qui a envoyé des renforts à Kidal, et le MNLA.

Sur le plan général, la situation au Mali présente des aspects contradictoires. On avait constaté quelques signaux encourageants : alors que l’un des éléments déclencheurs du conflit inter-malien a été l’absence de dialogue entre le Nord et le Sud depuis des années, le président Ibrahim Boubacar Keita avait nommé un Haut Représentant pour le dialogue inclusif inter-malien, le ministre de la réconciliation nationale avait préparé une feuille de route pour préparer les discussions prévues pour septembre et des contacts avec certains groupes armés avaient été noués par le truchement de pays voisins. Voilà pour le côté positif.

Mais les événements qui se sont déroulés à Kidal font courir le risque d’une radicalisation, au Nord comme au Sud. Comment aider à en sortir ? J’ai demandé à notre ambassadeur d’organiser une réunion du « groupe des amis », qui rassemble les représentants au Mali de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), de l’Union européenne, de la France et des États-Unis, afin de contribuer à calmer le jeu. D’autre part, l’état-major de Serval a dépêché 30 soldats supplémentaires à Kidal pour assurer notre propre protection. Nous aidons la Minusma ; nous poursuivons notre combat contre les groupes terroristes, dans lequel nous avons obtenu des résultats significatifs. D’autre part, nous avons différé la réorganisation régionale de notre dispositif militaire, non que nous comptions le modifier mais parce qu’il nous a paru inopportun d’en rester au calendrier de redéploiement initialement prévu alors que des affrontements avaient lieu. Ce report ne remet pas en cause notre décision de maintenir au Mali 1 000 hommes affectés au contre-terrorisme.

En résumé, on ne peut admettre ce qui s’est passé à Kidal ; dans le même temps, il faut, pour éviter l’embrasement, susciter un dialogue qui ne se crée pas spontanément entre le pouvoir et certains groupes, et ne pas nous laisser entraîner là où ne nous voulons pas aller.

La cause immédiate de la réunion du Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria a été l’épouvantable enlèvement de dizaines de lycéennes dans la zone où la famille Moulin-Fournier avait été prise en otage. Une fois localisé le lieu de rétention des jeunes filles, que faire ?

Des contacts ont eu lieu entre le président de la République et le président Goodluck Jonathan. Étant donné les raisons qui ont poussé à l’organiser, nous ne nous félicitons certes pas que ce Sommet ait dû avoir lieu, mais il n’est pas indifférent que se soient rassemblés à Paris, pour traiter du fort peu francophone Nigeria, les chefs d’État du Bénin, du Cameroun, de la France, du Niger, du Nigeria et du Tchad, ainsi que des représentants des gouvernements américain et britannique et M. Herman Van Rompuy, président du Conseil européen.

Nous avons traité du sort des jeunes filles enlevées et des pistes envisageables pour tenter de les faire libérer. Il a été longuement question de Boko Haram, groupe à l’extrême dangerosité, malheureusement très bien équipé. L’un des risques qui guettent, c’est la formation d’une coalition entre plusieurs groupes armés, aussi différents soient-ils.

Le Sommet a décidé d’intensifier la coopération entre les États de la région pour lutter contre Boko Haram. Sur une base bilatérale, cela se traduira par la formation de patrouilles coordonnées entre le Nigéria et les pays voisins ; le partage du renseignement et l’échange d’informations sur les trafics d’armes ; le renforcement des mesures de sécurisation des stocks des armées ; l’établissement de mécanismes de surveillance des frontières.

Sur une base multilatérale, une cellule de fusion du renseignement sera créée. Une équipe spécialisée sera instituée, chargée de définir les moyens à mettre en œuvre pour élaborer une stratégie régionale de lutte contre le terrorisme, dans le cadre de la Commission du bassin du lac Tchad.

Au niveau international, les participants se sont engagés à accélérer la mise en œuvre de sanctions à l’encontre de Boko Haram et d’Ansaru, en ajoutant ces groupes à la liste des organisations considérées comme terroristes par les Nations Unies, et à entreprendre des actions en matière de développement. Il a également été beaucoup question de la Libye, véritable hub du terrorisme.

Le sommet a été positif. Outre que nous disposons de quelques éléments au sujet des jeunes filles enlevées, les décisions prises permettent de renforcer la coordination de la lutte contre Boko Haram, groupe terroriste également soupçonné d’être l’auteur d’une attaque, samedi dernier, contre une usine à capitaux chinois située au Nord du Cameroun ; cela dit sa détermination.

En Ukraine, où un vote décisif est imminent, les vents soufflent alternativement froids et tièdes. Côté froid, on observe qu’à l’Est du pays et singulièrement à Donetsk, certains s’organisent pour que l’élection n’ait pas lieu, non sans un début de conflit entre pro-Russes eux-mêmes, les appétits de pouvoir s’aiguisant ; visiblement, on ne pourra voter partout totalement. Je pense que l’on peut s’abstenir de commenter au jour le jour les déclarations contradictoires des Russes : ainsi M. Poutine annonce-t-il que les troupes russes massées à la frontière avec l’Ukraine ont été priées de rentrer dans leurs casernes sans que rien ne permette encore de confirmer de tels mouvements – qui pourraient cependant s’amorcer ; de même, les autorités russes déclarent que la tenue d’un scrutin ne serait pas une mauvaise chose, avant d’expliquer que voter avant que tous les problèmes aient été résolus conduira à une dégradation de la situation…

L’aspect positif, ce sont d’abord les tables rondes de l’unité nationale organisées avec des opposants par le Premier ministre Arseni Iatseniouk, sous l'égide des anciens présidents Léonid Kravtchouk et Léonid Koutchma. Les Russes eux-mêmes ont reconnu que la deuxième de ces réunions, qui a eu lieu à Kharkiv, a été positive. On y discute des sujets qui seront décisifs après les élections : fédéralisme, autonomie, décentralisation ; place, légitime, accordée à la langue russe, un sujet sur lequel des progrès ont été accomplis ; neutralité éventuelle de l’Ukraine après l’élection présidentielle ; décélération du conflit et désarmement.

Autre élément important : la prise de position de l’oligarque Rinat Akhmetov, qui a appelé ses 300 000 ouvriers à manifester en faveur de la tenue de l’élection présidentielle et pour qu’elle se déroule de manière civilisée. Il est intéressant de constater que cet entrepreneur connu pour être proche des Russes a pris fait et cause pour l’organisation du scrutin dimanche.

Par ailleurs, les sanctions internationales demeurent, et tout le monde est à peu près d’accord pour envisager un échelon supplémentaire si des pressions étaient exercées de l’extérieur pour entraver la tenue de l’élection présidentielle en Ukraine dimanche prochain ou pour empêcher que le scrutin se déroule convenablement.

Il est peu probable que l’élection présidentielle en Ukraine se déroule sans anicroche d’aucune sorte. On peut néanmoins envisager deux hypothèses. La première est que les choses se passent correctement. Certes, tout le monde ne pourra pas voter – on peut estimer qu’un million de personnes environ, sur quelque 30 millions d’électeurs, éprouveront des difficultés. Pour autant, nemo auditur propriam turpitudinem allegans : on ne peut tenter de paralyser un système pour expliquer ensuite qu’il est sans valeur ! Il faut donc éviter de placer la barre trop haut.

L’autre hypothèse, c’est que les choses se passent mal en raison d’affrontements nombreux. L’Union européenne et la France ont intérêt à ce que l’élection présidentielle en Ukraine se déroule bien. Nous voulons la désescalade des tensions ; la poursuite du dialogue engagé par le Premier ministre ; des élections, comme le souhaitent tous les démocrates en pareil cas ; une modification de la Constitution ukrainienne permettant que chacun se sente à l’aise dans le pays. Notre position n’a pas varié : la géographie est celle que l’on sait, l’Ukraine est en Europe et elle n’a pas à choisir entre l’Union européenne ou la Russie ; il faut essayer de parvenir, sans naïveté, de faire qu’elle ait des relations avec les deux.

Si les résultats du scrutin du 25 mai rendaient nécessaire un second tour, il aurait lieu le 15 juin ; mieux vaudrait cependant qu’un président soit élu au premier tour, sa légitimité en serait plus forte. Quoi qu’il en soit, la période qui s’écoulerait entre les deux tours pourrait donner lieu à bien des mouvements, particulièrement de la part de la Russie. Au cours de ces quelques semaines une réunion du G7 aura lieu les 4 et 5 juin à Bruxelles ; le 5 juin, M. Poutine viendra en France, où il est, comme M. Obama, invité à assister, le 6 juin, aux cérémonies commémorant le Débarquement. Tout cela peut être positif… ou explosif.

Même si nous le faisons avec discrétion, nous entretenons évidemment un dialogue avec les autorités russes. Je discute avec mon homologue, Sergueï Lavrov, et des discussions ont lieu avec M. Poutine comme avec M. Obama, Mme Merkel et d’autres personnalités. Prétendre ne s’adresser qu’à des interlocuteurs avec lesquels on est en parfait accord serait se livrer à un exercice de haute spiritualité, le silence des carmélites… Nous espérons que les esprits se calmeront, mais d’autres peuvent souhaiter que la tension persiste.

J’en viens au partenariat transatlantique de commerce et d'investissement. La discussion commence ; elle présente un intérêt et comporte des risques. L’intérêt, c’est de favoriser l’accès aux marchés publics, actuellement ouverts à la concurrence internationale à hauteur de 100 % en Europe et de 47 % seulement aux États-Unis. Si l’on parvient à accroître cette proportion, ce sera très bien pour l’Union européenne. La discussion présente aussi un intérêt pour certains de nos produits agricoles. Et, d’une manière générale, tout ce qui peut développer le commerce est une bonne chose.

Mais parce que cette négociation présente aussi des risques, nous avons dit nos exigences. Ainsi avons-nous demandé le maintien de l’exception culturelle ; sera-ce respecté ? Je l’espère. Nous avons aussi fait valoir l’indispensable respect de nos préférences collectives en matière de santé ou de protection des consommateurs, ce qui revient à dire : « Pas question de poulets chlorés si nous n’en voulons pas ». Enfin, nous avons insisté sur l’ouverture des marchés publics.

La secrétaire d'État au commerce extérieur, a répondu tout à l’heure, en séance publique, à une question relative à la transparence des négociations.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevrons Mme Pellerin le 17 juin.

M. le ministre. Les réunions de négociation ont lieu tous les trois mois ; je suis partisan qu’on vous dise, à chaque fois, où l’on en est – nous n’avons rien à cacher

M. Jacques Myard. C’est la Commission européenne qui cache ce qu’elle fait.

M. le ministre. La Commission ne peut pas cacher grand-chose aux gouvernements des États membres, et nous pouvons vous dire ce que nous savons.

Une fois la discussion venue à son terme, le bilan sera fait des conclusions auxquelles elle a abouti. Si ce bilan est bon, il serait stupide de ne pas l’accepter ; s’il est mauvais, il sera refusé. Le Gouvernement aura son mot à dire et le Parlement devra se prononcer, tout comme le Parlement européen. Peut-être l’intérêt que l’on porte au partenariat transatlantique en Seine-Saint-Denis est-il dû aux élections européennes à venir. Je m’en félicite mais il me surprend, madame la présidente : à titre personnel, je n’ai encore jamais été abordé par quiconque souhaitant évoquer le sujet avec moi.

M. Jacques Myard. Vous savez bien, monsieur le ministre, qu’à partir du moment où la Commission européenne lâchera quelque chose, on dira que l’on ne peut plus revenir en arrière. Or, visiblement, la Commission a outrepassé son mandat de négociation sur certains points précis ; voilà pourquoi il faut mettre les points sur les « I ».

M. le ministre. Je n’ai pas d’informations en ce sens. Si c’était le cas, il faudrait désavouer la Commission. Quoi qu’il en soit, la négociation ne sera pas bouclée cette année, tant s’en faut. En bref, l’acceptation ou le refus de la proposition d’accord se fera sous bénéfice d’inventaire.

Pour le moment, les négociations israélo-palestiniennes sont bloquées. J’en ai parlé avec les Israéliens, les Palestiniens et les Américains ; ces derniers, toujours optimistes, considèrent que les discussions vont reprendre. Après la conclusion de l’accord de réconciliation entre le Hamas et le Fatah, j’ai rappelé que la France a toujours été favorable à l’unité palestinienne mais que tout nouveau gouvernement devra respecter les conditions connues : reconnaître l’existence de l’État d’Israël, refuser le recours à la violence et accepter l’ensemble des accords conclus. 

L’échéance du 29 avril, date fixée par John Kerry pour la fin des négociations israélo-palestiniennes, est dépassée. À ce jour, aucun élément ne montre qu’elles vont reprendre, mais c’est pourtant ce que disent les Palestiniens et les Américains. Dans ce contexte, la France peut-elle prétendre favoriser une solution là où si nombreux sont ceux qui ont échoué ? Si nous pouvons être utiles, nous le serons, mais nous devons éviter de jouer le rôle de l’éléphant dans le magasin de porcelaine.

Une séance de négociation avec l’Iran a eu lieu la semaine dernière. Il était prévu que l’on commencerait à rédiger un accord ; cela n’a pas été possible. Je rappelle que la négociation se termine théoriquement fin juillet mais qu’elle peut être prolongée de six mois en tant que de besoin. Des progrès ont eu lieu à propos du réacteur d’Arak : si les Iraniens veulent trouver une solution, la technique le permet. En revanche, l’absence d’accord est patente pour ce qui concerne l’enrichissement, et les valeurs de référence des négociateurs sont considérablement éloignées : alors que le groupe « 5+1 » évoque quelques centaines de centrifugeuses, l’Iran compte en centaines de milliers ! Cette divergence a des conséquences sur la question du « break out » autrement dit le temps nécessaire pour que nous puissions réagir au cas où l’Iran, ayant signé l’accord, ne respecterait pas sa signature.

Pour le moment, le différend avec la Russie à propos de l’Ukraine n’a pas d’incidence au sein du groupe 5+1 sur la négociation avec l’Iran, les Russes ne tenant pas à ce que les Iraniens se dotent de l’arme nucléaire. La Chine est d’une grande prudence dans cette affaire. Elle est très sensible à l’argument que l’annexion de la Crimée par la Russie donne aux pays qui veulent disposer de l’arme nucléaire. Rappelez-vous : en 1994, l’Ukraine a renoncé au nucléaire en contrepartie du fait que sa sécurité territoriale serait garantie, notamment par la Russie ; vingt ans plus tard, non seulement la Russie ne garantit pas l’intégrité du sol ukrainien mais elle envahit la Crimée. Il en résulte que certains pays sont fondés à se dire qu’ils n’ont pas de meilleure garantie que l’arme atomique. Au cours des 25 dernières années, Afrique du Sud mise à part, les trois pays qui ont renoncé au nucléaire sont la Libye, l’Irak et l’Ukraine ; voilà qui peut donner à penser.

M. Meyer Habib. Quelle conclusion tirer de tout cela ?

M. le ministre. Que bien peu nombreux sont ceux qui souhaitent voir l’Iran disposer de l’arme nucléaire.

J’en viens pour finir à la Libye, où la situation est extrêmement préoccupante. Il n’y a pas d’un côté les militaires et de l’autre le reste de la population : on y trouve des hommes en armes partout, qui appartiennent à diverses katibas ; certains se disent nationalistes, d’autres islamistes. Tout cela est très dangereux, parce qu’il y a beaucoup d’armes en circulation, que le pays est riche, qu’il n’y a pas d’État, que le Congrès général national, régulièrement envahi, est empêché d’agir, et que, au Sud et à l’Est, de nombreux groupes terroristes s’affairent.

Samedi, j’ai demandé au Secrétaire général de l’ONU de nommer un représentant de haut niveau chargé d’engager une discussion politique entre tous ces groupes ; il y réfléchit. Il est temps que les Nations Unies fassent leur travail politique. Après les élections prévues en juillet, il faudra essayer de calmer les pays qui soutiennent les différentes katibas tout en prétendant n’en rien faire. Ensuite, il reviendra aux États-Unis, au Royaume-Uni, à nous-mêmes, à l’Algérie et à l’Egypte de faire preuve de vigilance pour éviter tout débordement de forces terroristes en dehors des frontières libyennes.

Vous m’avez plusieurs fois entendu dire que la Libye était l’un de mes grands sujets de préoccupation ; malheureusement, cette inquiétude se vérifie aujourd’hui. Peut-être des initiatives seront-elles prises, peut-être convoquerons-nous une réunion internationale à Paris. Les pays occidentaux principalement intéressés sont la France, les États-Unis, l’Italie et le Royaume-Uni ; les pays concernés sont les pays limitrophes ; les pays de bonne volonté et qui peuvent agir sont l’Algérie et l’Egypte ; enfin, les pays du Golfe peuvent agir… en s’abstenant d’agir. Voilà ce qu’il en est. Vous l’aurez compris : l’ordre, en Libye, reste à parfaire.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, je vous remercie.

*

Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du mercredi 20 mai 2014 à 17 heures, la commission a nommé M. Jean-Claude Mignon en remplacement de M. Edouard Courtial en tant que rapporteur sur la convention Luxembourg-sécurité sociale (n° 1098).

La séance est levée à dix-huit heures

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 20 mai 2014 à 16 h 45

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Claude Buisine, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Guy-Michel Chauveau, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, M. Meyer Habib, M. Serge Janquin, M. Jean-Philippe Mallé, M. Alain Marsaud, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Danielle Auroi, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. François Scellier, M. Michel Vauzelle