Réunion conjointe avec une délégation de la commission des affaires étrangères du Bundestag.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mme la présidente Élisabeth Guigou, coprésidente. Nous avons le plaisir d’accueillir une délégation de la commission des affaires étrangères du Bundestag. Beaucoup d’entre vous se connaissent déjà. Je remercie nos collègues allemands d’être venus si nombreux.
Je salue également la présence de Mme Susanne Wasum-Rainer, ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne en France, et de plusieurs diplomates de l’ambassade.
Afin de favoriser des échanges très libres, la réunion n’est pas ouverte à la presse. Elle fera toutefois l’objet d’un communiqué conjoint du président Röttgen et moi-même.
Cette réunion fait suite à une rencontre analogue qui s’est déroulée à Berlin en février de l’année dernière et a été l’occasion d’un échange très intéressant, marqué par une grande capacité d’écoute de part et d’autre. Nous avions débattu de la crise malienne et de l’avenir de la politique de sécurité et de défense commune – à l’aune, évidemment, de nos traditions respectives s’agissant du recours à la force. Sans jamais en faire le premier recours, la tradition française juge ce dernier légitime dès lors que certaines conditions sont réunies, c’est-à-dire lorsque les moyens diplomatiques ont déjà été utilisés, ou en cas d’urgence humanitaire ou politique – comme au Mali –, et ce au nom de la responsabilité de protéger. La culture allemande, en ce domaine, comporte davantage de retenue – héritage de l’histoire et vœu de l’opinion publique.
Toutefois, lors de la Conférence annuelle sur la sécurité qui s’est tenue à Munich en février dernier, de hauts responsables allemands – le président de la République fédérale, le ministre des affaires étrangères, la ministre de la défense – ont prononcé à ce sujet plusieurs déclarations qui ont fait grande impression. Le président Gauck a souhaité que la République fédérale s’implique « plus tôt, avec plus de détermination et de manière plus substantielle ». Quant à M. Steinmeier, il a observé que « l’engagement militaire est un moyen de dernier recours » et que « la retenue est de mise », mais qu’« une culture de la retenue ne doit pas se transformer en culture du retrait à l’écart », ajoutant que « l’Allemagne est un trop grand pays pour se contenter de commenter la politique internationale de l’extérieur ». La ministre de la défense a précisé que « l’indifférence n’est pas une option ». Cette question fait donc débat en Allemagne.
M. Steinmeier a ensuite demandé à ses services de faire une enquête sur le point de vue des autres diplomaties quant à la politique étrangère de l’Allemagne. Différents think tanks européens et internationaux ont été interrogés, leurs contributions ont été réunies, et, hier, j’ai été moi-même invitée, à l’instar d’autres responsables, à donner le point de vue de mon pays, en présence du ministre Steinmeier et devant quelque cinq cents personnes. Ce grand colloque, auquel le président Röttgen a également pris part, sera suivi de débats dans les Länder, ce qui est tout à fait remarquable.
Ce travail a également donné lieu à un sondage, réalisé par la Fondation Körber, qui révèle un écart important entre les responsables gouvernementaux allemands et une opinion publique encore très attachée à la culture de la retenue. La position du Bundestag sur ce point nous intéresse évidemment beaucoup.
Mais ce sondage apporte aussi une information qui, pour nous, Français, est extraordinaire et très réconfortante : parmi les pays avec lesquels l’Allemagne devrait coopérer davantage, la France est citée par 79 % des sondés, loin devant la Pologne, le Royaume-Uni, la Chine, les États-Unis et la Russie.
Nous sommes convenus de nous concentrer ce matin sur un nombre limité de sujets d’actualité à propos desquels, si nos assemblées respectives peuvent évidemment avoir des positions différentes, il me paraît important que nous trouvions un compromis. Ces sujets ont trait à l’amélioration de notre politique de voisinage à l’Est et au Sud – où je suis personnellement convaincue que les approches allemande et française ne sont pas concurrentes, mais complémentaires.
Il s’agit tout d’abord des leçons de la crise ukrainienne. Nous pourrions discuter des positions et du rôle actuels de l’Union européenne et de ses États membres, ainsi que des conséquences à tirer de cette crise pour notre politique de voisinage.
Se pose également la question de savoir comment, et à quelles conditions, reconstruire un partenariat exigeant avec la Russie. Il n’y a pas d’avenir pour le peuple russe dans une confrontation avec l’Union européenne. Quant à l’Union européenne, elle n’a pas intérêt à une confrontation durable – même si la plus grande fermeté s’impose aujourd’hui, notamment pour que les élections du 25 mai se déroulent le plus correctement possible, afin de donner à l’Ukraine un président légitime qui engagera la réforme de la Constitution et organisera les élections législatives et locales.
Dans l’hypothèse où la Russie empêcherait la tenue des élections par une intervention extérieure, nous n’hésiterons pas à passer à la phase 3 des sanctions économiques, même si nous préférerions l’éviter. Norbert Röttgen et moi-même l’avons dit lorsque nous sommes allés à Kiev, où nous avons montré la plus grande fermeté tout en laissant naturellement ouverte la voie du dialogue.
Nous pourrions aborder ensuite la question du partenariat qui reste à construire avec l’Afrique. Elle a deux visages. D’abord celui, que les médias privilégient, d’un continent en proie à des crises récurrentes et à la menace terroriste, qui ont conduit la France à intervenir, au cours des dernières années, en Côte d’Ivoire, puis au Mali et en République centrafricaine. Dans cette tâche, nous souhaiterions bien entendu que nos partenaires européens nous aident et nous accompagnent. C’est déjà le cas au Mali ; nous pourrons revenir sur le détail de l’appui allemand sur place, avec la brigade franco-allemande. Mais nous serions heureux que cette aide soit plus importante, notamment en Centrafrique.
L’autre visage de l’Afrique, que nous avons tendance à négliger, c’est celui d’un continent d’avenir – qui commence à émerger, fort d’un formidable potentiel économique et humain. La Chine, la Turquie, l’Inde, le Brésil et d’autres l’ont déjà compris ; l’Europe devrait être plus allante sur cette voie. Nous pourrons discuter des initiatives à lancer ensemble pour sécuriser le continent et pour relever conjointement les défis communs de la croissance et de la consolidation démocratique. Les suites des printemps arabes, qui ne se présentent pas trop mal en Tunisie – où notre aide est toutefois nécessaire –, sont plus problématiques ailleurs. Je suis pour ma part convaincue qu’un partenariat stratégique euro-méditerranéen devrait être mis à l’étude ; il pourrait servir d’ébauche à une verticale Europe-Méditerranée-Afrique subsaharienne, pour la croissance, le climat et la maîtrise des migrations.
Parmi les autres sujets d’actualité que nous pourrons également évoquer figurent les négociations commerciales transatlantiques, auxquelles notre commission s’intéresse beaucoup et qui font l’objet d’une proposition de résolution inscrite demain à l’ordre du jour de la séance publique. Sur cette question, la France et l’Allemagne ont tout intérêt à définir des positions communes. J’ai noté avec intérêt que le gouvernement allemand avait émis, par la voix de Sigmar Gabriel, les plus vives réserves quant à la création d’un éventuel mécanisme de règlement des différends, et que de cette question pourrait dépendre son adhésion à un accord final.
M. Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, coprésident. Chère Élisabeth Guigou, chers collègues, madame l’ambassadeur, merci de nous accueillir à Paris où nous sommes venus en nombre, en effet, et très volontiers ! Nous avons certes laissé à Berlin des températures estivales et un grand soleil pour trouver ici un temps un peu plus sombre, mais la bonne humeur est au rendez-vous. Nous sommes très heureux de vous retrouver et de pouvoir discuter avec vous en toute franchise et amitié, dans un cadre qui n’a plus rien d’exceptionnel.
De notre côté, l’actualité a été très chargée depuis le début de l’année, avec la conférence de Munich, qui comptait de nombreux participants français, et le débat ouvert par notre président fédéral, notre ministre des affaires étrangères et notre ministre de la défense sur l’opportunité d’un engagement allemand plus poussé en politique extérieure. Le sondage auquel vous avez fait référence, réalisé fin avril et début mai, a montré que la population allemande n’était pas tout à fait réceptive à cet appel : selon 60 % des sondés, l’Allemagne ne devrait pas s’engager davantage – et cette proportion est deux fois plus élevée qu’il y a vingt ans.
L’interdépendance entre les différents pays du monde ne cesse de croître, de même que le nombre de conflits, et de ceux auxquels nous pouvons être appelés à participer. Cela nous confère une responsabilité importante. Nous devons justifier toute intervention, réaffirmer notre vision de la place des Européens dans le monde et dire qu’ensemble, nous souhaitons exercer une influence sur la forme que va prendre la mondialisation, pour que nos valeurs – liberté, démocratie, État de droit –, bien que minoritaires, soient reconnues. Il est indispensable que nous le fassions, dans le respect, naturellement, de la manière dont d’autres États ou sociétés pourront décider de s’organiser.
La crise d’Ukraine est moins une crise ukrainienne qu’une crise à propos de l’Ukraine, provoquée par le comportement de la Russie – ou plutôt celui de Poutine. Il nous a pris par surprise en remettant en question le consensus européen, né de deux guerres sanglantes, selon lequel on ne saurait déplacer les frontières en Europe par la violence ni par l’intimidation. Les revendications, ici, ne sont pas simplement territoriales ; sans même parler du droit international, ce sont l’intégrité et la souveraineté étatiques qu’il s’agit de faire respecter. Il y va de la paix, de la liberté et de la sécurité en Europe.
Je crois pouvoir dire qu’aucun d’entre nous n’avait prévu ces événements. La vitesse à laquelle la situation évolue nous oblige à prendre des décisions concrètes. L’Europe doit absolument réagir à cette crise. La coopération franco-allemande est là aussi indispensable : sans elle, l’Europe ne pourra avancer d’un seul élan. La manière dont l’Europe va définir son rôle et ses valeurs sera déterminante. Sur ce point, je suis optimiste : en relevant ce défi, nous serons plus forts que nous ne l’aurions été sans cette crise. Nous en avons fait l’expérience dans des cas comparables.
Mme Guigou, notre homologue polonais et moi-même nous sommes rendus en délégation parlementaire à Kiev, afin de contribuer, à notre échelle, à maintenir le lien et d’exprimer notre position commune. La voici : cette crise va s’inscrire dans la durée et faire sentir ses effets pendant plusieurs années ; c’est donc la capacité de résistance à long terme des démocraties européennes qui est mise à l’épreuve, ainsi que la valeur que nous accordons au principe d’autodétermination. La tactique de Poutine consiste à déstabiliser l’Ukraine afin d’y rétablir l’influence russe. Notre mission consiste donc à stabiliser le pays pour qu’il puisse décider lui-même de son destin. Naturellement, il ne faut pas en venir à la confrontation militaire. Le conflit est asymétrique : nous ne réagirons pas aux provocations militaires par le recours aux armes, préférant miser sur des solutions diplomatiques, politiques et économiques, et nous inscrire dans la durée.
S’agissant des élections de dimanche, puis de la suite, comment agir sans nous contenter de rechercher le plus petit dénominateur commun ? Comment nous montrer réactifs face aux initiatives de Poutine ? Telles sont les questions dont nous devons parler ensemble.
Mais ce ne sont pas les seules : ne l’oublions pas, avant cette crise entre l’Ukraine et la Russie, nous étions tournés vers la Syrie, qui a maintenant presque disparu des médias et du débat politique, comme l’Afrique d’ailleurs. Tout se passe comme si nous n’avions ni la capacité mentale ni l’énergie de traiter plus d’une crise à la fois. Nous n’avons pas le droit d’agir ainsi. La guerre en Syrie a fait 150 000 morts et le conflit est dans l’impasse. Comment détournerions-nous le regard ?
Aucun pays européen ne pourra agir seul en Syrie : c’est ensemble que nous pourrons user de notre influence. Voir ce que nous pouvons faire ensemble, tel est le sens de la présente rencontre, qui s’inscrit dans un processus de normalisation : nous ne sommes pas là pour faire de grandes déclarations, mais pour avoir des discussions de fond entre collègues.
M. Philipp Missfelder (CDU/CSU). Je suis porte-parole de mon groupe parlementaire et, avec mon collègue Schockenhoff, chargé des affaires étrangères au Bundestag.
Notre groupe de travail a passé hier en revue les pays en situation de conflit. Il est terrible en effet de voir le conflit syrien, qui monopolisait notre attention il y a deux ans, ainsi relégué au second plan. D’une manière générale, nous devons continuer de débattre, publiquement comme à l’intérieur de nos partis respectifs, de la place et de la valeur de la politique étrangère. Cette question est très actuelle en Allemagne, on l’a dit.
S’agissant de l’Ukraine, on s’interroge beaucoup sur le vaste catalogue des sanctions envisageables. Aux États-Unis, la liste des avoirs gelés et des personnes concernées par les restrictions d’octroi de visas n’est pas du tout la même qu’en Europe. Au sein même de l’Union, des points de vue très différents s’expriment, comme on l’a vu chaque fois qu’il en a été question au Conseil européen. À Londres, lors d’une réunion avec le parti conservateur, tout le monde s’est montré très intéressé par l’hypothèse de sanctions commerciales, mais la discussion a tourné court dès qu’il s’est agi de toucher aux avoirs financiers, éventualité exclue par le gouvernement britannique.
Il n’est pas envisageable que l’Ukraine explose, pour des raisons morales et politiques, mais aussi dans notre propre intérêt, puisque le conflit se déroule sur le sol européen. Naguère, en Allemagne, nous avons longuement hésité à apporter notre soutien à la Grèce, mais la crise pourrait être bien plus durable en Ukraine, de sorte que le coût à long terme serait beaucoup plus élevé et l’effort de stabilisation plus long.
À notre avis, le scrutin de dimanche devrait se dérouler normalement et dans un calme relatif. En revanche, il y aura certainement à l’Est des troubles importants qui risquent de compromettre la légitimité des élections. Mais nous ferons tout pour que leur résultat soit reconnu.
Hier, nous avons assisté à une présentation très complète des liens que certaines personnalités politiques entretiennent avec des oligarques. Là aussi, nous devons accepter des compromis : il nous faut bien composer avec ceux que nous avons en face de nous.
M. Axel Poniatowski. Madame la présidente, je me réjouis de cette réunion. Peut-être n’aurait-il pas été inutile que l’opposition soit associée à l’organisation d’une rencontre aussi importante. Mais vous êtes seule maîtresse de l’ordre du jour, et celui que vous avez arrêté est très intéressant.
Je souhaite toutefois que nous ne n’en restions pas aux sujets d’actualité sur lesquels nos avis et nos approches sont très similaires. Certes, votre déplacement à Kiev avec le président Röttgen et votre homologue polonais était une heureuse initiative. Mais j’aimerais connaître plus généralement le point de vue de nos collègues allemands sur la politique étrangère européenne. L’Union européenne, géant économique, n’a aucune existence diplomatique ni militaire. L’appui d’une organisation de défense est pourtant essentiel en politique étrangère : il suffit pour s’en convaincre de voir M. Poutine aligner ses tanks et ses troupes le long de la frontière ukrainienne, quand bien même il ne les utiliserait pas.
Le budget allemand de la défense est inférieur à 1 % du PIB. Ne faudrait-il pas aller plus loin ?
Depuis cinq ou six ans, les priorités françaises et allemandes ont beaucoup divergé, les Allemands privilégiant le partenariat oriental quand les Français se tournaient vers le Sud, comme en témoigne notamment l’Union pour la Méditerranée lancée par le président Sarkozy. Tout cela est normal, notamment compte tenu de nos problèmes d’immigration. Mais ce faisant, nous nous sommes affaiblis mutuellement. Nous, Français, nous sommes trop peu intéressés à ce qui se passait à l’Est – nous en avons la preuve aujourd’hui –, comme nos amis allemands s’agissant du Sud.
M. Niels Annen (SPD). Dans la situation de crise que nous connaissons, il est bon de travailler ensemble, au niveau gouvernemental mais également parlementaire.
En ce qui concerne la politique étrangère commune, ne parlons pas uniquement de ce qui fait défaut : cette politique existe lorsque la France et l’Allemagne sont d’accord. C’est du moins ce que nous enseigne l’expérience. De ce point de vue, et au-delà de la gestion de crise, le déplacement conjoint des trois ministres des affaires étrangères a sensibilisé l’opinion.
S’agissant de l’Ukraine, il me semble que le président Poutine a sous-estimé la volonté européenne de parler d’une seule voix. En d’autres termes, nous avons des moyens d’action. L’histoire explique que nous n’ayons pas la même perception de la situation que nos collègues des pays baltes, avec lesquels, disons-le franchement, je ne suis pas d’accord. Mais nous devons parler ensemble de nos craintes respectives.
La période actuelle est décisive ; nous espérons tous que nous n’aurons pas besoin de passer à l’étape suivante des sanctions, qui serait une véritable épreuve pour la politique extérieure de l’Union. Je suis très sceptique et très réticent vis-à-vis des sanctions économiques, mais le Bundestag est prêt au compromis si celles-ci recueillent l’assentiment de la majorité des Européens. Il est essentiel de préserver la crédibilité de notre action commune. Si nous devions en arriver à une décision cruciale, il faut que nous soyons parfaitement d’accord.
Nous devons gérer une crise. Nos décisions auront un effet durable sur notre relation avec la Russie. Si la violation de l’intégrité territoriale d’un pays souverain est inacceptable, nous n’en devons pas moins mesurer ce que nous risquerions en nous détournant économiquement, politiquement, culturellement de la Russie. Au cours des dernières semaines, j’ai suivi avec attention ce qui se dit dans certains États membres, mais aussi à l’OTAN. Le dilemme auquel nous sommes confrontés est le suivant : si nous apportons une réponse stratégique à cette crise, nous devrons abandonner une partie de ce qui a fondé l’Union européenne. En outre, à long terme, la Russie risque de faire des choix en matière économique : ce n’est pas un hasard si le président Poutine cherche à intensifier ses relations avec la Chine. Je n’ai pas de certitude à ce sujet, mais je constate une contradiction entre la nécessité de tenir compte des craintes de nos voisins européens de l’Est et notre attachement à certains principes de politique internationale. Bref, nous devons jouer les équilibristes.
Nous avons probablement sous-estimé la sensibilité et la détermination qui s’expriment du côté russe. Nos deux parlements devront réfléchir aux instruments à mettre en œuvre pour que notre politique de voisinage reste efficace. Parlons-en en toute franchise.
M. Pierre-Yves Le Borgn’. Comme président du groupe d’amitié France-Allemagne de l’Assemblée nationale, je souhaite la bienvenue à nos collègues allemands, que je suis heureux de retrouver ici.
À propos de l’Ukraine, le président Röttgen a bien identifié l’objectif : la stabilisation du pays – très probablement par l’édification d’une structure institutionnelle pérenne qu’il reviendra aux Ukrainiens d’abord, mais peut-être aussi à leurs partenaires, de définir et qui pourrait impliquer la fédéralisation. Il s’agit aussi de veiller à la légitimité démocratique du scrutin à venir et des élections législatives qui suivront.
Madame la présidente, vous avez évoqué l’éventualité du passage à la phase 3 des sanctions économiques, que personne ici ne souhaite, mais que nous devons bien envisager dans l’hypothèse où des manœuvres russes tendraient à empêcher ou à perturber le scrutin de dimanche. Soyons clairs. Ce qui se passe depuis quelques mois en Ukraine est suffisamment choquant, du point de vue des règles fondamentales du droit international – à commencer par l’inviolabilité des frontières –, pour que nous ne sous-estimions pas l’urgence d’agir.
Nous pouvons le faire au Conseil de l’Europe, notre maison européenne du droit, dont l’assemblée parlementaire – où siègent plusieurs d’entre nous, Allemands et Français – est le lieu d’exercice privilégié de la diplomatie parlementaire. Début avril, deux débats longs et inhabituellement rudes ont animé l’hémicycle du Palais de l’Europe à propos de l’éventualité de sanctions visant la délégation russe. Nous avons finalement voté la suspension de certains de ses pouvoirs jusqu’à la fin 2014, implicitement assortie d’une clause de revoyure en juin, après l’élection présidentielle ukrainienne. Dans quelle mesure nous, membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, devrions-nous en profiter pour prendre des initiatives vis-à-vis de la Douma ? Faut-il envisager, au-delà de la suspension des pouvoirs de la délégation russe, de remettre en question sa présence à l’APCE si des manœuvres de la Russie empêchent ou perturbent le scrutin ?
M. Wolfgang Gehrcke (Die Linke). La politique, c’est l’art de gérer les alternatives. Je vais donc tenter de vous présenter les différents cas de figure qui s’offrent à nous.
Nous qui avons célébré en grande pompe l’an dernier le cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, nous devrions commémorer aussi tous ensemble le centenaire de la Première Guerre mondiale. À ce propos, je me réjouis que la population allemande approuve la retenue en matière militaire, car il n’en a pas toujours été ainsi. Essayons d’en tirer des leçons. L’emploi de la force militaire est un dernier recours, avez-vous dit, madame la présidente. Mais je préfère la formule de Willy Brandt, dans le discours qu’il a prononcé en recevant le prix Nobel de la paix : la force n’est pas l’ultima ratio, mais l’ultima irratio ?
Tâchons de construire en Europe une maison commune incluant la Russie, car elle fait partie de l’Europe, elle ne lui est pas opposée. Il ne faut pas l’isoler. Aux sanctions, qui risquent de renforcer la position de Poutine, je préfère donc le dialogue : j’encourage tous mes collègues à parler avec nos homologues de la Douma de ce dont nous sommes témoins – parler, c’est-à-dire discuter sans être nécessairement d’accord.
En Ukraine, nous devrions nous en tenir à une politique de non-alignement. Le traité d’association n’aurait pas dû s’étendre aux questions militaires. Nous devrons continuer d’organiser des tables rondes après les élections, et il faudra bien que ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord viennent s’y asseoir, sans quoi elles n’auraient pas de sens. En Allemagne, en pareil cas, nous avons toujours fait participer tout le monde.
Nous avons une responsabilité commune : faire triompher la démocratie en Europe. C’est ce qui motive ma position.
M. Jacques Myard. Selon le président Röttgen, Poutine cherche à déstabiliser l’Ukraine. Il y a sans doute une part de vérité dans cette assertion. Mais ne pensez-vous pas que les Ukrainiens se sont aussi déstabilisés eux-mêmes, par leurs excès, par la corruption de leur classe politique tout entière, par leur manière de faire monter les enchères à propos de ce qu’ils pourraient prendre soit du côté russe, soit du côté de l’Union européenne, par leur politique aventureuse en matière linguistique ?
Je citerai en outre l’ancien président Giscard d’Estaing : « Le jeu des Américains en Ukraine n’est pas clair. Ils ont poussé au désordre, probablement pour affaiblir la Russie. »
Je ne sais pas où est la vérité et je suis convaincu que la crise est très complexe. Mais, comme cela vient d’être dit, la Russie fait partie du système européen, même si Poutine n’est pas facile et même si l’on ne voit pas trop où il va. En tout cas, on sait où les sanctions commencent, mais on ne sait jamais comment elles finissent.
Quant à la politique étrangère commune, ne rêvons pas : vos intérêts et vos idées ne sont pas toujours identiques aux nôtres, et réciproquement. Mais il est bon que nous parlions, et nous allons continuer de le faire.
M. Jürgen Trittin (Alliance 90/Les Verts). Je pense comme M. Poniatowski que la politique extérieure commune de l’Europe sera forte dans la mesure où nous voudrons qu’elle le soit. Avec le Traité de Lisbonne, nous l’avons renforcée, notamment du point de vue institutionnel. Mais avons-nous utilisé toutes les possibilités qui s’offrent à nous ? J’en doute. Ainsi, je ne crois pas que ce soit à la France, à l’Espagne ou à l’Italie de se tourner en priorité vers les pays du Sud, ni que le voisinage à l’Est soit l’affaire des seuls Allemands. Nous devons renoncer à cette forme de division du travail. Les Allemands sont en train de le comprendre grâce à l’exemple du Mali. Nous avons en Afrique une responsabilité européenne commune. N’est-ce pas la déstabilisation du continent qui a provoqué la noyade de milliers de personnes en Méditerranée ?
Quant à la crise en Ukraine, c’est tout l’ordre établi en Europe après la guerre froide qu’elle remet en question. L’Union européenne est une union de paix, fondée notamment sur l’acceptation des frontières, principe essentiel que nous devons défendre ensemble.
Il est vrai que le régime en place en Ukraine était corrompu, et les Français comme les Allemands feraient bien de se demander si leur politique de voisinage était adaptée. Toutefois, en février dernier, l’Allemagne, la France et la Pologne ont entrepris, tardivement peut-être, d’assumer leurs responsabilités. La population de Kiev a souhaité que ce régime corrompu disparaisse, et combattu pour que triomphe le droit, bref au nom de valeurs européennes fondamentales ; notre responsabilité, c’est d’aider le pays à continuer sur cette voie et à se stabiliser.
Ce faisant, il nous faut prendre en considération les intérêts légitimes de la Russie : non pas tant la référence historique à la Crimée ni la volonté de diriger un pays voisin, que ses relations économiques très étroites avec l’Ukraine, essentielles au secteur de la construction aéronautique russe, par exemple. En a-t-on suffisamment tenu compte dans le processus d’association ?
Je suis favorable à l’association. C’est d’ailleurs la position de l’Allemagne depuis 2008 : l’Ukraine, qui ne fait pas partie de l’OTAN, doit bénéficier de ce régime.
Les élections sont nécessaires non seulement pour désigner un président mais pour garantir la légitimité du Parlement, l’ordre constitutionnel, le respect des droits des minorités et de la diversité culturelle. Nous n’atteindrons ces objectifs qu’en renforçant encore l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
Par ailleurs, restons fidèles à nos principes. Les conséquences économiques pour la Russie commencent à se manifester, indépendamment des sanctions : le recul du PIB, la chute du rouble vont nécessairement faire réfléchir le gouvernement russe. Mais, puisque nous parlons de mesures communes, avant même d’envisager les sanctions économiques, soyons cohérents. Si l’Europe décide d’interrompre sa coopération militaire avec la Russie tant que la situation perdure, avec tout le respect que je vous dois, je ne saurais approuver la fourniture de deux porte-hélicoptères français, dont le bien nommé Sébastopol.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Personne ne souhaite un conflit militaire en Ukraine : ni nous, ni les Russes. Par conséquent, les seuls instruments à notre disposition sont diplomatiques.
Notre meilleure arme, c’est notre unité ; jusqu’à présent, nous avons réussi à la maintenir. C’est parce que nous avons fait une démonstration d’unité les 20 et 21 février derniers, grâce à la démarche conjointe à Kiev des ministres des affaires étrangères du Triangle de Weimar, qu’il a été mis un terme au bain de sang en cours et que la situation a pu évoluer, avec le renversement de la majorité à la Rada et le lancement du processus démocratique.
Or cette unité pourrait être mise à mal si l’on devait passer aux sanctions de « phase 3 ». Tout le monde préfèrerait éviter que l’on en vienne là, d’autant que cela signifierait que la Russie a décidé de contrarier le bon déroulement des élections du 25 mai.
Vous aurez remarqué qu’il existe des nuances dans la position des parlementaires français vis-à-vis de la Russie. En ce qui me concerne, je pense qu’il convient de faire preuve de la plus grande fermeté : d’abord, parce que l’on ne peut pas se résigner à une annexion de la Crimée en violation de trois principes fondamentaux du droit international – principes qui avaient été respectés par tous les pays depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, y compris par l’Union soviétique : l’intangibilité des frontières, la garantie de l’intégrité territoriale des pays ayant renoncé au nucléaire, le respect de la volonté des peuples ; ensuite, parce qu’il importe de résister aux manœuvres évidentes de déstabilisation des futures élections, notamment dans l’est du pays. Nous avons donc bien fait de prendre des sanctions. Certes, celles-ci ne concernent pour l’instant que le gel des avoirs personnels, mais il ne faut pas sous-estimer les sanctions financières, qui sont un poison lent : il suffit d’observer les sorties de capitaux de Russie, les efforts consentis par la Banque centrale russe pour défendre le rouble, ou la défiance des investisseurs internationaux pour avoir la confirmation qu’elles ne sont pas sans effet.
Il convient toutefois de poursuivre le dialogue avec la Russie, en reconnaissant que l’Union européenne a commis des erreurs par le passé. Sous le coup de l’émotion provoquée par la Révolution orange, nous avons été trop vite et trop loin, en affirmant lors du Sommet de Bucarest, non seulement que l’Ukraine devait adhérer à l’Union européenne, mais qu’elle avait vocation à devenir membre de l’OTAN ; peut-être eût-il fallu prendre quelques précautions. De même aurions-nous dû parler davantage aux Russes, au lieu de laisser s’engager sans aucune espèce de contrôle politique des négociations sur un éventuel accord d’association. Mais ces regrets n’excusent pas l’attitude actuelle de la Russie.
Il n’est pas dans notre intérêt que l’Ukraine, la Moldavie ou la Géorgie soient durablement un terrain de confrontation entre l’Union européenne et la Russie. Nous devons donc définir, en direction de ce grand voisin, une politique étrangère commune – ce qui nous a cruellement manqué jusqu’à maintenant. J’espère que nous saurons rester unis durant les prochaines étapes.
Le président Röttgen a raison : on n’a peut-être pas pris la mesure du fardeau économique et financier que va être l’Ukraine. Il faut donc aussi faire preuve de fermeté envers les Ukrainiens et, dès qu’ils auront élu un président, leur demander d’engager des réformes, afin de mettre un terme à la corruption et à la kleptocratie et d’engager un processus démocratique – sur ce point, Jacques Myard a parfaitement raison. Malheureusement, comme toujours dans ce genre de situation, le peuple souffre énormément.
Quant à la politique étrangère européenne, monsieur Poniatowski, il nous faut la construire en effet. Il ne servirait à rien de se complaire dans la litanie de nos différences historiques et géopolitiques. Essayons plutôt de concevoir une démarche commune, sans chercher à nier nos différences, mais en examinant comment avancer ensemble. Tel est le défi lancé par la politique étrangère et de sécurité commune.
Ce que l’Ukraine a également fait éclater au grand jour, c’est le besoin d’une politique énergétique commune, qui permette à la fois d’améliorer la situation sur le plan intérieur et de nous éviter de nous présenter en ordre dispersé devant les grands fournisseurs d’énergie, de façon quelquefois humiliante, et d’accepter que l’on nous impose des prix à la tête du client.
Une politique commune est indispensable, que l’on aime l’Europe ou non, monsieur Myard : de toute façon, nos intérêts nationaux nous conduisent à rechercher une entente franco-allemande sur des sujets qui mettent en jeu notre économie et notre sécurité.
M. le président Norbert Röttgen. Je suis entièrement d’accord avec ce qui vient d’être dit. La politique énergétique doit faire partie intégrante de la politique européenne de sécurité, c’est urgent. Et il convient d’être solidaire des petits États membres, comme les pays baltes, qui sont totalement dépendants de l’extérieur pour leur approvisionnement.
M. Andreas Schockenhoff (CDU/CSU, président du groupe d’amitié Allemagne/France). Quelles conséquences l’évolution de la situation intérieure en Russie peut-elle avoir sur les États membres de l’Union européenne ? À l’occasion de la crise ukrainienne, on a observé un nouvel élan d’enthousiasme nationaliste en Russie. En Europe, il existe déjà plusieurs formes de nationalisme : un protectionnisme opposé à tous types de migrations ; un nationalisme ethnique avec des tendances séparatistes, comme en Catalogne ou en Écosse. Voici un nationalisme impérialiste : Poutine et Lavrov déclarent depuis des semaines à la télévision que si des citoyens russes appellent au secours, ils ne les laisseront pas en plan, où qu’ils se trouvent. Des dizaines de milliers de passeports russes ont été délivrés en Transnistrie ; il s’était produit exactement la même chose à l’époque avant la crise en Georgie, en 2008. Un de nos collègues de la Douma a même affirmé, devant la télévision d’État russe, que la Russie est là où vivent des Russes. Imaginez l’effet d’une telle déclaration sur les pays baltes, la Moldavie ou la Biélorussie ! Que se passerait-il si Viktor Orbán disait la même chose ? Tous ceux qui se montrent compréhensifs à l’égard de la Russie devraient prendre garde à de tels propos.
Il reste que l’Europe ne peut pas concevoir de politique internationale sans la Russie, et réciproquement. L’Europe ne doit pas se laisser diviser par cette crise, elle ne doit pas considérer les choses, point par point, mais envisager la question dans sa globalité.
Pour que la politique extérieure commune devienne opérationnelle cher collègue Poniatowski, il faut lui donner des moyens. À l’est, nous avons affaire à un interlocuteur qui a des prétentions hégémoniques, tandis qu’en Afrique, les Américains estiment qu’une politique de sécurité est accessoire. Aucun État membre de l’Union ne dispose de moyens suffisants pour mener isolément une politique étrangère ambitieuse : celle-ci ne peut être que transnationale. Si nous voulons intervenir en Afrique, il faudra pouvoir assurer une présence militaire ; si nous souhaitons mener une politique de voisinage digne de ce nom, il ne faut pas hésiter à recourir à tous les moyens dont nous disposons, y compris les sanctions.
Nous sommes prêts à une intégration politique en Europe. Les débats auxquels ont donné lieu le traité de Maastricht et le traité constitutionnel européen devraient nous conduire à nous interroger sur nos possibilités d’actions transnationales. Il nous faut donner une capacité d’agir à l’Europe, sinon celle-ci se trouvera marginalisée.
Un dernier mot : on peut aimer l’Europe et apprécier le collègue Myard, ce n’est pas incompatible !
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je le confirme bien volontiers !
M. Jacques Myard. Chers collègues, il y a un moment où il faut savoir changer de logiciel ! Le monde a changé : l’idée même d’un bloc européen est dépassée par la mondialisation et les intérêts multiples que nous avons quotidiennement, en matière commerciale, touristique ou linguistique. La dimension transnationale ne vaut plus seulement au plan européen, mais au plan mondial. Quand vous aurez compris cela, nous pourrons abandonner la conception intégriste de l’Europe au profit d’une approche plus souple et d’un partenariat européen renforcé.
M. Pierre Lequiller. Je pense moi aussi que l’Union européenne a commis une erreur de politique étrangère. Je crains que nous n’ayons été influencés, au sein de l’Union, par les pays d’Europe de l’est, qui, pour des raisons bien compréhensibles, craignent énormément la Russie. Cette crainte ne doit pas conduire à adopter une attitude hostile envers celle-ci.
Pour que l’Europe puisse prendre son destin en main, il lui faut à la fois une politique de défense commune et une politique de l’énergie commune, car M. Poutine use de l’énergie comme d’un instrument de division contre l’Union européenne et comme d’une arme contre l’Ukraine et les autres pays de l’Est.
Il a manqué durant cette période une position franco-allemande commune sur le sujet ; il serait grand temps que nos deux gouvernements s’entendent sur ces différents points.
M. Rolf Mützenich (SPD). Depuis mon entrée au Bundestag en 2002, le rôle des Parlements s’est accru dans la réflexion et la prise de décision en matière de politique extérieure. Les choses avancent : nous en avons fait l’expérience ces dernières années, à l’Assemblée nationale française et à la Chambre des communes britannique, où des débats intéressants ont eu lieu et où la majorité parlementaire a pu exprimer un point de vue différent de celui du Gouvernement.
Attention toutefois, en tant que parlementaires, à ne pas conforter certains clichés ; nous avons tous à l’esprit des exemples où la politique extérieure de l’Union européenne n’a pas fonctionné. Le Parlement européen devrait voir prochainement s’accroître ses prérogatives, et c’est une bonne chose. Il est également appréciable que nos deux présidents, M. Röttgen et Mme Guigou, se soient rendus ensemble à Kiev avec leur homologue polonais : cela montre que l’un ne regarde pas vers l’est et l’autre vers le sud. Par le passé, l’engagement commun de la France et l’Allemagne sur le nucléaire iranien, avait permis de traiter cet enjeu difficile par la diplomatie. Mme Asthon fait du reste du bon travail avec les moyens de la diplomatie européenne et j’espère que nous résoudrons ainsi la présente crise de manière pacifique, par la voie diplomatique.
M. Schockenhoff a raison : prenons garde à ne pas nous focaliser aujourd’hui sur la Russie, en oubliant ce qui se passe au sein même de l’Union européenne. J’irai même plus loin : certains dirigeants européens, comme le Premier ministre hongrois, jouent une carte inacceptable.
Madame la présidente, vous avez signalé que l’annexion de la Crimée s’était faite en violation de plusieurs règles du droit international, dont le mémorandum de Budapest, qui apportait aux pays qui renonçaient au nucléaire l’assurance que leur intégrité territoriale et leur indépendance seraient respectées. Cette garantie négative de sécurité est un principe très concret, qui doit être garanti par les puissances nucléaires – à travers le monde, plusieurs projets d’accord attendent la signature de l’une d’entre elles. La France ne pourrait-elle pas le promouvoir ? Je suis sûr qu’elle recevrait le soutien de l’Allemagne.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous propose de passer maintenant au second point de l’ordre du jour, notre politique de voisinage en direction du sud de l’Europe.
M. Johann Wadepfuhl (CDU/CSU). Sur ce point, une leçon est à retenir : ni la France ni l’Allemagne ne peuvent continuer à mener isolément une politique en défendant leurs propres intérêts au sud de l’Europe. Par le passé, l’Allemagne a concentré son attention sur Israël et sur le conflit au Proche-Orient, en défendant, pour des raisons historiques, une position bien particulière. Nous sommes heureux que le Gouvernement américain, et notamment le secrétaire d’État, M. John Kerry, s’intéresse enfin à ce conflit ; nous espérons qu’une issue positive sera trouvée avant la fin du second mandat du président Obama.
L’Union européenne est appelée à s’impliquer davantage dans les affaires méditerranéennes. Aucun des conflits en cours ne pourra être résolu si l’on ne prend pas en considération les différents intérêts en jeu – notamment ceux de la Russie. L’action des États-Unis d’Amérique ne suffira pas ; nous devons nous aussi agir.
Il est scandaleux de constater que la Syrie a presque totalement disparu de la scène médiatique ! On a l’impression que la résignation l’emporte ; M. Brahimi a jeté l’éponge et personne ne se semble plus se préoccuper du conflit.
En dépit des élections législatives, la situation s’aggrave en Irak. Une entité comparable à un État est en train d’émerger : Isis, l’État islamique en Irak et au Levant. On constate une situation similaire dans le nord de l’Afrique ; en Libye, tout laisse à penser que l’État va s’effondrer. Quelques années après le printemps arabe, l’on est encore loin de voir régner la paix dans le bassin méditerranéen, que ce soit sur la rive asiatique ou sur la rive africaine.
Nous autres Européens sommes appelés à promouvoir des solutions humanitaires. Je ne pense pas que l’option militaire soit une solution. Nous n’étions pas des admirateurs de Kadhafi, mais il faut bien reconnaître que l’intervention militaire en Libye n’a pas été positive au bout du compte. Nous devons mener dans cette région une politique responsable, qui implique l’Europe dans son ensemble. Celle-ci doit faire des propositions de résolution des conflits, notamment en Syrie et en Libye. Mais on n’arrivera à faire avancer les choses que si l’Allemagne et la France prennent l’initiative, qu’elles agissent de concert et qu’elles sont prêtes à s’engager, chacune avec les moyens dont elles disposent. Voilà l’appel que je veux lancer.
M. Guy-Michel Chauveau. La question des relations avec le sud de l’Europe est très importante. Nous nous sommes félicités de l’évolution démocratique des pays arabes durant ces dernières années, mais dans les années 1990, nous avions fait de même au sujet de certains pays africains, lorsqu’avaient été organisées pour la première fois des élections au suffrage universel, qu’avaient été réunies des assemblées de représentants du peuple et que ces mutations avaient été accompagnées par les structures traditionnelles, notamment les chefs de village.
Hélas, il n’y a pas d’expression des libertés sans sécurité, et cela s’est vérifié. Dès que les exécutifs se sont affaiblis, des tensions sont apparues. C’est ce qui s’est passé au Mali, où la faiblesse de l’exécutif a favorisé, à compter de 2005, l’installation des narcotrafiquants et la progression des djihadistes. Lorsque la crise parvint à son acmé, en 2012, il apparut évident que l’on ne pouvait pas laisser faire les djihadistes. Le 11 janvier 2013, la France est donc intervenue, afin d’éviter la prise de Bamako. Nous avons par la suite travaillé à la formation des forces de sécurité maliennes, en collaboration avec l’Union africaine et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Cependant, la France n’a pas vocation à rester durablement dans le pays.
En République centrafricaine, qui n’avait pas été atteinte par le courant de réformes des années 1990, il n’y avait pas d’État de droit. Mais dans les deux cas s’est posée la question des partenariats à mettre en œuvre dans le cadre de la gestion d’une crise en temps réel.
Maintenant, il reste un travail diplomatique à accomplir. Nous avons ainsi participé, avec les représentants de l’Union européenne, à la Conférence des donateurs pour le développement du Mali, afin d’examiner comment faire progresser l’État de droit, permettre le retour des réfugiés à Bamako et, surtout, assurer le développement économique du pays.
Telle est la principale tâche qui nous attend dans ces pays à forte croissance démographique. Comment faudra-t-il s’y prendre ? En privilégiant le Fonds européen de développement, ou en utilisant d’autres instruments ?
M. Stefan Liebich (Die Linke). Notre groupe parlementaire a un nouveau rôle à jouer : il est désormais le leader de l’opposition, non parce qu’il aurait obtenu d’excellents résultats aux élections, mais en raison de la composition du Gouvernement. J’aimerais donc exprimer notre position sur la politique africaine.
Il a été dit qu’il conviendrait de mettre en œuvre la politique étrangère et de sécurité commune, dont le noyau dur serait formé par la France et l’Allemagne. Mais pour que cette politique soit vraiment commune, il faudra nécessairement renoncer à des droits souverains. Dans son introduction, la présidente Guigou a rappelé qu’il existait en France et en Allemagne des traditions bien différentes en matière d’opérations militaires. Dans plusieurs cas récents, la France a décidé, puis elle a demandé le soutien de l’Union européenne et de l’Allemagne. Cela n’est pas bien perçu en Allemagne.
En Libye, après un rapide débat, l’Allemagne a décidé de ne pas apporter ce soutien. On voit aujourd’hui les conséquences en chaîne de l’intervention en Lybie sur le Mali, et cela oblige à réfléchir quand arrivent de nouvelles demandes. En ne soutenant pas les interventions, notre groupe est en minorité au Parlement, mais il exprime l’avis d’une majorité de la population allemande, qui est défavorable à ce genre d’actions tout en estimant qu’il faut faire plus pour l’Afrique. Nous ne tarirons pas les flots de réfugiés en envoyant des navires en Méditerranée, mais en aidant l’Afrique subsaharienne à bâtir des États qui offriront des perspectives à leurs habitants. Nos deux pays ont beaucoup à faire ensemble de ce point de vue, au Soudan du Sud par exemple. La solution militaire est toujours la pire.
Je terminerai en posant deux questions à nos collègues français.
La première a trait à l’Algérie, qui a déployé 20 000 soldats à ses frontières avec la Libye et le Niger. Compte tenu des intérêts de la France au Niger, comment réagissez-vous à cette nouvelle ?
Nous avons eu au Bundestag un débat très émouvant sur le génocide rwandais. Les médias ont fait part d’un accroissement des tensions entre le Rwanda et la France. Qu’en est-il ? Où en est le débat sur le sujet en France ?
M. Jean-Pierre Dufau. La France a été amenée à intervenir en Afrique avec un mandat international de l’ONU ; cela a notamment été le cas au Mali, en République centrafricaine et, il y a quelques années, en Libye. Je pense moi aussi que le développement est le meilleur moyen pour établir des régimes démocratiques stables dans ces pays, mais le problème, c’est que l’on a été confronté à des situations de crise qui ont imposé de décider dans l’urgence d’une intervention militaire. Comment répondre aux agressions militaires, aux sollicitations des pays, aux tentatives de génocide ? Voilà le véritable enjeu.
Le Rwanda en est une bonne illustration. Les commissions d’enquête successives ont démontré que la présence des troupes françaises avait été bénéfique, dans la mesure où elle avait permis d’éviter des exactions encore pires que celles qui ont eu lieu. Quel est le pire : essayer d’éviter un génocide potentiel ou se borner à constater notre impuissance face à une situation trop compliquée ?
Tout cela n’est que le résultat d’un déficit européen en matière de défense, de moyens d’intervention militaire et de politique extérieure. Il faudrait examiner cette question de près, notamment s’agissant des aspects budgétaires et de la mutualisation des dépenses des pays qui engagent des opérations sous un mandat international.
De même, en matière d’immigration clandestine, ne conviendrait-il pas de chercher une réponse européenne, plutôt que de laisser les pays riverains de la Méditerranée régler les problèmes comme ils le peuvent ?
Autant de sujets majeurs sur lesquels il sera difficile de faire l’impasse ! Quel sens aurait l’Europe si elle se contentait d’être une zone de libre-échange ?
M. Rolf Mützenich. De nos jours, la société civile se fait entendre bien plus que par le passé : voyez ce qui s’est passé dans le monde arabe ou en Ukraine. Elle exerce une influence grandissante sur les questions internationales. Même si l’on assiste aujourd’hui à un certain recul, les acquis resteront.
Je ne suis pas pessimiste quant à l’avenir, car de nombreux sujets de revendication seront toujours d’actualité : le respect, la participation des peuples, par exemple. Les Gouvernements concernés vont-ils donner satisfaction sur ces points ? Notre présidente dit avoir l’espoir que la Tunisie devienne un exemple de travail mené en commun par des forces politiques différentes, afin de préserver la cohésion de la société. Si nos deux pays apportent leur soutien aux pays qui se sont engagés sur cette voie, ce sera certainement très utile.
Je suis choqué par ce qui se passe en Syrie. De nombreux collègues sont allés sur place visiter les camps de réfugiés : l’État est en train de s’effondrer. M. Brahimi a renoncé à poursuivre sa mission. Il ne nous reste d’autre choix que d’agir avec les Nations unies et la communauté internationale en vue de trouver une solution.
Personnellement, je ne pense pas que vouloir marginaliser l’Islam politique soit une bonne chose. Il ne faut jamais refuser le dialogue. Soyons attentifs et essayons plutôt de corriger certains comportements. Il va notamment falloir décider, au niveau européen, de notre réaction à l’arrivée au pouvoir du candidat victorieux de la présidentielle en Égypte. Il existe un risque de nouvelles persécutions à l’égard des frères musulmans : que dira l’Europe dans ce cas ?
Aujourd’hui, le Gouvernement fédéral doit décider du nouveau « concept africain » de l’Allemagne, qui comprend quelques aspects militaires, mais surtout une politique de développement, un volet humanitaire et un soutien à la construction des États. Il serait bon que nos gouvernements se réunissent pour prévoir des actions communes. Des échanges ont déjà eu lieu par l’intermédiaire des ministres des affaires étrangères, mais il faudrait consolider le processus.
Bien évidemment, tout cela devra être débattu au sein de nos parlements respectifs. Cette semaine, un débat a eu lieu au Bundestag sur l’accompagnement militaire de plusieurs actions sur le continent africain ; nous devrons également nous prononcer sur la poursuite de la mission Atalante – sans oublier que derrière la piraterie, il y a des commanditaires.
Mme Nicole Ameline. C’est à l’échelle européenne qu’il faut répondre aux défis de l’Afrique. Le premier est celui de la sécurité collective, les cas du Mali et du Nigéria nous ayant montré à quel point il est essentiel de gérer les conflits et de mettre la force au service du droit, non seulement pour apporter des réponses directes à ces pays en crise mais aussi pour garantir à l’Europe un environnement pacifié. Nous pourrions d’ailleurs évoquer de manière plus globale les événements qui se déroulent entre le golfe d’Aden et le golfe de Guinée.
Pour assurer le développement, il faut commencer par consolider la gouvernance des États en difficulté. Le cas du Nigéria est exemplaire. La question du droit des femmes en particulier est très prégnante dans cette partie du monde, celles-ci étant généralement les premières victimes des conflits. Le respect des droits fondamentaux et le soutien à la société civile constituent donc un enjeu majeur.
Je salue l’engagement de la Chancelière Angela Merkel en faveur d’un renforcement de la présence allemande en Afrique, mais il me paraît essentiel d’assurer la coordination de nos actions sur ce continent. Les enjeux financiers y sont considérables. D’autres États, tels que la Chine, se sont d’ailleurs engagés dans cette partie du monde, il nous faut relever ce défi à court et à moyen terme. Ce continent est notre voisin, notre horizon, notre frontière. Je ne saurais donc me résoudre à ne voir l’Europe évoquer à son propos que l’immigration ou les questions intéressant la sécurité de son territoire – comme nous le voyons encore aujourd’hui avec l’arrivée, dans des conditions inhumaines, d’immigrants sur nos côtes. Nous avons une responsabilité historique. Et la France et l’Allemagne constitueraient sans doute des moteurs de développement exceptionnels si nous pouvions adopter une vision plus cohérente.
M. Frithjof Schmidt (Alliance 90/Les Verts). Nous semblons tous partager la conviction que la coopération franco-allemande est un facteur déterminant de réussite de toute politique extérieure et de sécurité européenne. Outre l’Ukraine, il y a un autre champ évident pour cette action commune : le Sahel et le Maghreb. Dans le cas de la Libye, nous aurions eu de nombreuses possibilités de développer une politique européenne commune mais la réponse de l’Union s’est concentrée sur le printemps arabe. Si la France et l’Allemagne avaient agi de concert en Lybie, les choses se seraient présentées différemment. Mais nous n’avons mené qu’une politique sectorielle à l’égard des réfugiés et une politique de contrôle aux frontières, considérant que la stabilisation économique et politique relevait plutôt des Nations unies. Et il me semble que ni le gouvernement français, ni le gouvernement allemand, ni les deux à la fois, n’ont fait quoi que ce soit pour faire émerger une véritable politique libyenne en Europe. Une chance a été perdue.
S’agissant du Sahel, il était très important pour l’Allemagne que le Président Hollande affirme, dans son grand discours de Dakar, que la notion de « Françafrique » est dépassée et qu’il propose une implication accrue de l’Europe et de l’ONU. Nous sommes très favorables au soutien de l’Allemagne en la matière. Cela étant, dans le cas du Mali, si l’on relève des avancées positives, l’Union européenne ayant pris l’initiative de définir une politique commune, ce processus est demeuré beaucoup trop lent : l’Europe a commencé par affirmer qu’il convenait d’agir de concert mais la situation à Bamako est ensuite devenue si urgente que la France a fini par y intervenir seule. La politique européenne n’a donc guère été efficace. Parviendrons-nous à élaborer un concept européen qui ne se résume pas à des interventions militaires d’urgence mais qui s’appuie sur une stratégie de développement ?
En République centrafricaine (RCA) et au Soudan du Sud, avez-vous relevé l’existence d’une quelconque politique européenne ? C’est essentiellement la France qui a élaboré un concept portant sur une période de transition, avec l’espoir qu’en septembre, l’ONU envoie dans cette zone une mission et y restaure une stabilité durable. Quant à l’Union européenne, elle n’a établi aucune politique commune à l’égard de cette mission onusienne, de même qu’aucun concept politique n’a été défini, si ce n’est encore une fois un concept d’urgence militaire fondé sur une perspective de six à douze mois. Nous n’avons défini aucune initiative européenne – sachant que celle-ci serait menée par la France et l’Allemagne. D’autre part, nous savons que des réfugiés de RCA se sont enfuis au Soudan du Sud, désormais théâtre d’une véritable catastrophe humanitaire. Si une conférence internationale des donateurs a certes permis d’apporter une aide humanitaire à la population, aucune initiative, ni européenne, ni allemande ni française, n’a été prise en vue de faire intervenir l’Union européenne aux côtés des Nations unies au Soudan du Sud.
Autrement dit, si nous partageons tous une ambition justifiée, le bilan concret des affaires libyenne, malienne, centrafricaine et sud-soudanaise n’est guère glorieux. S’il se peut que notre coopération devienne réalité dans l’une de ces crises, dans les trois autres exemples, en revanche, personne n’a essayé d’engager un processus concret en ce sens à Bruxelles. Or, on ne peut évaluer une politique qu’en fonction de situations concrètes comme celles-ci. En Allemagne, nous avons des discussions difficiles sur le rôle de l’armée et la manière de régler la situation humanitaire. Si notre parti est tout à fait disposé à aborder ces questions, y compris avec nos collègues français, il convient d’abord d’établir un bilan sincère de la situation.
M. Jacques Myard. Autant il ne me semble pas y avoir de danger que les chars russes déferlent sur l’Europe, autant en Afrique, nous sommes confrontés à une situation de guerre larvée directe qui durera cent ans. La situation de tous les États concernés est marquée par l’absence de structure étatique, la dépression économique et l’explosion démographique. Ainsi, si l’Égypte comptait 22 millions d’habitants en 1970, elle en compte près de 87 millions aujourd’hui et en comptera 140 dans vingt-cinq ans. Elle est donc incapable de se stabiliser et d’assurer son autosuffisance alimentaire. C’est à juste titre que la France est intervenue pour essayer d’éviter un génocide, notamment en Centrafrique. Et bien que je fasse partie de l’opposition, j’ai soutenu le Gouvernement français lorsqu’il est intervenu au Mali et en Centrafrique, où nous nous trouvons pour très longtemps. Toutes ces régions sont traversées par la montée de l’islamisme qui dure depuis des années. Lorsque j’étais diplomate, j’ai été en poste au Nigéria dans les années 1980 : or, déjà à l’époque, on relevait de formidables tensions entre les Haoussa musulmans et les Chrétiens. Cela n’a fait qu’empirer. Face à une telle situation, il ne s’agit nullement de savoir s’il convient de mener une politique européenne. C’est en tant qu’États-nations que l’Allemagne et la France sont concernées car c’est dans cette région et non en Ukraine que la paix du monde peut basculer.
Quant à l’Algérie, elle n’intervient pas hors de ses frontières. Elle a cependant compris que le terrorisme et les mouvements intégristes et djihadistes représentaient pour elle un grand danger. Nous sommes en effet confrontés à une dérive djihadiste de long terme, qu’il sera difficile de contrer en raison des multiples déséquilibres internes qui affectent ces sociétés.
S’agissant du Rwanda, les accusations selon lesquelles les troupes françaises auraient participé au génocide lors de leur intervention de 1994-1995 sont parfaitement scandaleuses ! Dans cette salle même, j’ai passé six mois à étudier, dans le cadre d’une commission d’enquête, le déroulement de cette intervention. Le Président Mitterrand avait parfaitement compris qu’une fois l’avion du Président Habyarimana abattu le 4 avril 1994, les événements allaient devenir terribles. Il vous faut bien comprendre que M. Kagamé est un criminel de guerre. Certes, des massacres ont eu lieu et la haine s’est déchaînée. Mais il a sciemment utilisé la force pour conquérir le pouvoir car il savait que le processus démocratique enclenché grâce aux accords d’Arusha ne le conduirait pas au pouvoir. Il a donc décidé de le prendre par des moyens militaires en attaquant le Rwanda depuis l’Ouganda, avec le soutien de nombreux Ougandais et de membres des services secrets de plusieurs États. Et ce fut la catastrophe. S’il accuse aujourd’hui la France d’avoir participé à un génocide, c’est parce qu’il est lui-même un criminel de guerre. Cette situation aura d’ailleurs encore des suites judiciaires puisqu’il a fait tout récemment assassiner en Afrique du Sud d’anciens agents des services secrets rwandais qui étaient sur le point de l’accuser. Mais en attendant qu’elle s’achève, cette affaire constitue une « boule puante » dans des relations franco-rwandaises que notre gouvernement actuel, comme le précédent, souhaiterait rasséréner. Il ne faut cependant pas travestir la réalité : la responsabilité de M. Kagamé est majeure.
Ainsi, s’il convient effectivement que nous nous concertions et que nous agissions ensemble en Afrique, la guerre y durera certainement très longtemps.
M. Norbert Röttgen, coprésident. Pour être franc, j’ai du mal à concevoir ce que recouvre l’expression de « stratégie africaine », tant elle me paraît rendre peu compte de la diversité de situation des pays d’Afrique, aussi bien du point de vue économique que politique, ethnique ou religieux. Songez seulement au Maroc, à la Libye, au Sahel ou à l’Afrique du Sud …
S’il nous faut distinguer entre les différentes situations existantes, il conviendrait également d’établir une évaluation réaliste de nos moyens économiques, politiques et militaires. L’Europe n’a mené aucune politique face aux situations libyenne et sud-soudanaise. Et dans le cas de la RCA, nous nous sommes aperçus à quel point nos ressources étaient limitées. Sans un tel réalisme, le fossé entre nos prétentions rhétoriques, notre volonté et nos capacités d’action sera si important qu’il causera des dégâts.
Ensuite, dans quel but souhaitons-nous recourir à ces moyens limités ? Comment envisageons-nous notre rôle ? S’agit-il d’intervenir dans des conflits ou de mener des opérations humanitaires ? Notre motivation est-elle politique – question qui a joué un rôle important au Mali – ou bien avons-nous des intérêts à défendre, notamment d’ordre économique, lorsque des matières premières sont en jeu ? Avons-nous à intérêt à agir ensemble ou allons-nous nous retrouver en concurrence les uns avec les autres ?
Il est par ailleurs indispensable que nous adoptions une vision fondée sur l’imbrication des différents domaines que sont la politique extérieure, la politique de développement et les interventions militaires. On ne saurait réduire la politique africaine à des actions militaires : non seulement cela est insensé, mais ce n’est pas viable et ne recueillera pas un écho favorable en Allemagne.
Enfin, nous devrions nous concentrer sur les modèles qui ont réussi. La Tunisie constituant le seul succès du printemps arabe, de nombreux éléments militent en faveur d’un soutien renforcé de l’Europe à ce pays, afin d’accroître sa force d’attraction. Car le risque existe toujours que nous nous retirions lorsqu’une situation s’améliore. S’agissant de la Syrie, M. Kinkel, l’ancien ministre des affaires étrangères allemand aujourd’hui âgé de 78 ans, m’a raconté que les deux événements qui l’avaient le plus profondément traumatisé étaient ceux de Srebrenica et du Rwanda. Puis il a ajouté : « Lorsque je pense qu’en Syrie, les assassinats continuent et que l’on y utilise certainement à nouveau des armes chimiques, je n’arrive pas à comprendre que l’Europe en détourne les yeux ». Nous perdrons toute crédibilité si nous continuons à attendre, avant de réagir, qu’une catastrophe humanitaire prenne des dimensions telles que nous ne puissions plus en détourner les yeux. Il faut au contraire refuser la catastrophe et en dénoncer le caractère inadmissible. Il nous faut absolument, en tant qu’Européens et, pourquoi pas, après avoir consulté la Russie, instaurer des corridors humanitaires en Syrie. Peut-être certaines situations sont-elles insolubles sans le soutien de la Russie mais il revient à l’Europe de prendre l’initiative.
M. Michel Destot. Je voudrais plaider ici pour une intervention plus allante de l’Union européenne et de nos deux pays en Afrique et, de façon plus générale, dans les pays les moins développés. L’action internationale de l’Union européenne et de nos deux États ne saurait se résumer à la seule diplomatie, voire à des interventions militaires dans des pays en conflit pour leur permettre de retrouver la paix et l’équilibre hors de leurs conflits sanglants. Même dans ceux de ces pays qui sont les plus éloignés des conflits les plus durs, tels que la Tunisie, aucune solution politique d’avenir ne peut se concevoir sans perspective économique, sociale et de développement. Notre action internationale doit donc se diversifier et intégrer davantage les questions de solidarité, de développement et de coopération entre le Nord et le Sud – la coopération décentralisée permettant une coordination avec l’action de nos collectivités territoriales et de nos gouvernements locaux. Cette action implique également que nous maîtrisions les flux migratoires et que nous favorisions le développement économique international. On parle d’ailleurs de plus en plus en France de diplomatie économique et à cet égard, nous avons évolué sur le plan institutionnel grâce à l’intégration, au sein du ministère des affaires étrangères, du développement international et du commerce extérieur. Si chaque pays se dote de sa propre stratégie, il ne nous est pas pour autant interdit de définir parfois des stratégies plus concertées.
Comment se fait-il que, face à un continent tel que l’Afrique, sur lequel les États-Unis mais surtout la Chine sont de plus en plus présents, nous restions souvent les bras ballants sans être capables d’une concertation minimale qui nous permettrait de réagir et d’intervenir efficacement – non seulement afin de soutenir notre commerce et notre développement internes, mais aussi afin d’aider au développement des pays du Sud ? L’Europe représente 7 % de la population mondiale et 20 % de la production économique mondiale, et distribue 50 % des prestations sociales dispensées sur la planète. Vivant sur le continent le plus égalitaire, comparé à l’Asie et aux Amériques, et le plus enclin à développer un modèle de liberté, nous avons une responsabilité propre qui doit pouvoir mobiliser nos populations. C’est au nom de ces valeurs que nous pourrons aussi faire en sorte que l’Europe ait un sens et un avenir.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je m’aperçois à quel point l’interpénétration des réflexions allemande et française est forte, la Chancelière allemande citant souvent les caractéristiques du continent européen que vous venez d’énumérer.
M. Niels Annen. Je souhaiterais compléter le propos du président Röttgen sur la Syrie. Ce n’est pas uniquement pour des raisons humanitaires que cette catastrophe est incroyable. Compte tenu de nos valeurs communes, nous ne pouvons laisser les événements se dérouler ainsi : aujourd’hui, l’État syrien n’existe plus, au point que, du côté des acteurs syriens du conflit, personne ne se bat pour son maintien. Comme tous les autres, le Président Assad se comporte comme un chef de milice essayant de maintenir quelques forteresses. S’il nous faut tous nous inquiéter, c’est que nous avons depuis longtemps affaire à une crise régionale dans laquelle sont impliqués des États avec lesquels nous entretenons de bonnes relations. Comment en revenir à une initiative politique après l’échec des négociations de Genève II ? Comment le Liban, où je me suis rendu il y a quelques semaines et avec lequel vous entretenez des relations étroites, pourra-t-il supporter la présence d’un million de réfugiés sur son territoire, alors qu’il ne compte que quatre millions d’habitants, qu’il est déjà profondément divisé et qu’il court un risque de déstabilisation dans la perspective de son élection présidentielle ?
N’oublions pas qu’il y a cent ans éclatait la première Guerre mondiale. Si nous ne réagissons pas aux événements qui se déroulent au Moyen Orient, tout s’écroulera. Je n’ai pas de proposition concrète à formuler mais l’on imagine bien vers qui vont se tourner les millions de Syriens qui ont aujourd’hui besoin d’une aide humanitaire. Et si je suis très heureux que nous ayons débattu de cet enjeu en séance plénière au Bundestag, cela n’a cependant donné lieu à aucune réaction dans l’opinion. Je vous remercie donc, Madame la présidente, d’avoir rappelé à quel point la situation est dramatique en Syrie.
M. Hervé Gaymard. Je concentrerai mon intervention sur trois aspects.
J’estime tout d’abord que la France et l’Allemagne s’honoreraient, au sein de l’Union européenne, à présenter une démarche plus ambitieuse pour l’Afrique. Je suis en effet assez frappé, lorsque j’examine le volet développement de la politique extérieure de l’Union européenne, de l’absence de coordination entre la politique d’aide au développement, la politique agricole commune et la politique commerciale. Après le sommet de Cotonou, la négociation des accords de partenariat économique s’est soldée par un véritable fiasco très mal perçu par nos partenaires africains. Nous nous honorerions donc de leur présenter une politique de développement globale et innovante. Nous devons réinventer nos politiques de développement. Nos deux pays, ainsi que l’Union européenne, devraient concentrer leur financement et leur expertise sur trois axes structurants : la question agricole et alimentaire, l’électricité et les réseaux et enfin, les infrastructures de transport. Nous avons pris beaucoup de retard dans ces trois domaines depuis un demi-siècle, malgré de nombreux financements internationaux.
S’agissant de l’intervention militaire au Mali, nous nous sommes rendus avec Élisabeth Guigou et d’autres parlementaires en décembre 2012 aux Nations unies, où nous avons pu rencontrer l’ensemble des parties concernées par l’éventualité de cette intervention. Et si, à l’époque, chacun était conscient du danger, on s’orientait vers une intervention qui aurait eu lieu juste avant ou après la saison chaude, c’est-à-dire à l’automne. Il a cependant fallu l’accélérer lorsque les Djihadistes ont fondu sur Mopti, porte de Bamako. Il y a toujours une contradiction entre la nécessité de la concertation entre alliés et celle de prendre à un moment donné une décision militaire : Jupiter se marie mal avec les conciliabules. S’il importe de discuter en amont, le moment venu, il nous faut passer à l’acte afin d’être efficaces, comme nous l’avons fait au Mali. Et bien qu’appartenant à l’opposition, j’ai soutenu la démarche du Président de la République et du Gouvernement français sur ce sujet.
Enfin, je partage les propos de Jacques Myard sur le Rwanda. Le Parlement français a mené une commission d’enquête approfondie sur la question en 1998, dont les conclusions restent valides. Comme le disent Hubert Védrine et le Premier ministre de l’époque, Alain Juppé, tous deux anciens ministres des affaires étrangères, il ne faut pas considérer cette question en se bornant à l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana en 1994 et au génocide qui s’est ensuivi. Il convient de prendre en compte d’une part, le temps long des événements qui se sont produits lors de l’accession du Rwanda à l’indépendance au début des années 1960, puis de ceux des années 1970, et d’autre part, le temps plus court qui commence non pas en 1994 mais en 1990, lorsque M. Kagamé se trouvant dans des maquis en Ouganda a souhaité prendre le pouvoir par la force au Rwanda. C’est à partir de ce moment qu’en vertu d’accords de coopération militaire, le Président Mitterrand a décidé de mener une politique équilibrée tendant à aider le gouvernement rwandais à résister à cette attaque et, dans le même temps, à le forcer dans sa gestion intérieure des minorités à mener une politique plus équitable. À l’époque, les accords d’Arusha furent d’ailleurs considérés comme une victoire. Mais entre-temps, la France connaissait l’alternance et la cohabitation s’installait. Le Président de la République, François Mitterrand, le Premier ministre, Édouard Balladur, et son ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, ont conforté cette politique équilibrée de résistance à l’agression et de meilleure gestion des minorités. Mais à la suite de l’attentat contre l’avion du Président rwandais, la situation s’est rapidement dégradée. C’est alors sous mandat des Nations unies qu’est intervenue la France – seul pays à accepter d’envoyer des troupes. Par-delà la douloureuse question rwandaise – qui nous bouleverse tous d’autant plus que ce qui s’est passé au Rwanda pourrait se reproduire ailleurs –, se pose la question générale du droit d’ingérence en cas de drame.
La question centrafricaine se pose. Et l’on reprochera peut-être un jour aux militaires français d’être aujourd’hui en Centrafrique, alors que la France est le seul pays à y être intervenu pour éviter les massacres. Il convient d’adopter une approche objective de la douloureuse question du Rwanda.
Mme Isabelle Le Callennec. Il me tardait d’entendre nos homologues du Bundestag s’exprimer sur leur perception de la crise ukrainienne mais également de savoir comment ils avaient perçu le fait que la France soit intervenue au Mali et en Centrafrique, pour ne demander son soutien à l’Allemagne que par la suite. J’ai cru comprendre que si l’on souhaite à l’avenir instituer une politique étrangère commune, mais il faudra nous y prendre autrement et faire en sorte que nos deux pays se concertent davantage tout en utilisant nos expériences antérieures.
J’aurais également souhaité vous entendre sur le Traité transatlantique en cours de négociation, qui s’est invité dans la campagne électorale préalable au vote de dimanche prochain.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je remercie l’ensemble des parlementaires qui sont intervenus. Je vais à présent réagir aux propos que j’ai entendus, tout en précisant que nous n’aurons malheureusement pas le temps, chère collègue, d’aborder aujourd’hui le Traité transatlantique.
S’agissant du Rwanda, j’aurais pu dire mot pour mot ce que vient d’affirmer Hervé Gaymard. J’enverrai d’ailleurs à Norbert Röttgen les références du rapport de la commission d’enquête de 1998, dont les conclusions restent valables aujourd’hui, ainsi qu’un texte beaucoup plus court, résumant parfaitement notre position commune, qui a été publié dans la dernière lettre de l’Institut François Mitterrand par Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée lors de ces événements.
Quant à la crise syrienne, elle constitue sans doute la plus grande tragédie depuis la seconde Guerre mondiale : on recense 150 000 morts en Syrie ; la moitié de la population y a été déplacée et un quart de celle-ci s’est réfugié à l’extérieur. Enfin, les attaques chimiques se poursuivent. Si nous ne sommes pas restés inactifs, il nous faut continuer à alerter l’opinion et cesser de détourner les yeux. Nous pourrions instituer des corridors humanitaires, comme l’a rappelé tout à l’heure Norbert Röttgen. Nous plaidons d’ailleurs en ce sens lors de toutes nos rencontres aux Nations unies, mais nous nous heurtons malheureusement à un blocage. Les Russes ont certes exercé une pression modérée sur Bachar el-Assad pour que nous puissions le faire par intermittences mais ils ne se montrent guère coopératifs sur ce sujet non plus. Nous sommes donc en train d’accumuler des preuves, grâce à nos services de renseignements respectifs, que nous remettrons aux Nations unies de sorte que M. el-Assad puisse un jour comparaître devant la Cour pénale internationale.
En Libye, le chaos règne : il n’y a plus d’État – et il n’y en a d’ailleurs jamais eu. La situation y est fort inquiétante puisque c’est de ce pays que proviennent les armes servant aux groupes terroristes du Sahel. Ce n’est pas rien, dans la mesure où Boko Haram est équipé de chars et non seulement d’armes de poing, de sorte que ce groupe peut pénétrer dans des bâtiments publics. La Libye constitue un foyer de déstabilisation. Et s’il est vrai que lorsque nous étions dans l’opposition, nous avons soutenu l’intervention militaire afin d’éliminer Khadafi, on ne s’est pas préoccupé des suites à donner à celle-ci. Or, une intervention militaire n’est jamais un but en soi. Nous partageons donc vos préoccupations à cet égard : une intervention militaire n’est utile qu’en cas de situation d’urgence, comme au Mali où, sans notre intervention, un gouvernement islamiste se serait installé à Bamako, qui aurait gouverné l’ensemble du pays, avec les risques de contagion que cela emporte. Si nous avons jugé qu’il fallait intervenir, c’est que c’était une question d’heures. Je reviendrai néanmoins sur les mesures à prendre pour éviter de mettre nos partenaires devant le fait accompli.
Il ne faudrait pas sous-estimer la gravité de l’expansion des groupes terroristes dans toute la bande du Sahel qui va de la Mauritanie, à l’ouest du continent, jusqu’à la Somalie, à l’est. Il s’agit là d’un sujet d’intérêt pour la sécurité européenne. S’agissant de notre sécurité économique, Nicole Ameline a évoqué tout à l’heure les actions que nous avons menées au large de la corne de l’Afrique afin d’y sécuriser la circulation maritime mais il faudrait en faire autant dans le Golfe de Guinée qui connaît le même phénomène – toute la drogue déversée dans l’Union européenne arrivant par là. Si vous avez tout à fait raison, Norbert Röttgen, d’évoquer nos intérêts économiques en Afrique, nous en avons également en Ukraine. C’est justement parce que nous avons des intérêts économiques à défendre que nous aurions intérêt à rapprocher nos points de vue. Mais plus encore, nous partageons collectivement un intérêt de sécurité majeur car de nombreux jeunes Français se rendent en Syrie pour y faire le djihad.
Jacques Myard ayant bien répondu sur la question algérienne, je n’ai rien à ajouter à ce propos.
S’agissant du Mali, l’intervention militaire fut rapide au départ et nous a permis d’empêcher ce que nous souhaitions éviter. Par ailleurs, pour ne pas répéter l’erreur commise en Libye, nous avons encouragé un processus politique, considérant encore une fois qu’une intervention militaire ne constituait pas un but en soi. Notre but politique était d’établir enfin un gouvernement démocratiquement élu qui, espérons-le, veuille éradiquer la corruption ayant miné ce pays. Les élections présidentielle et législatives s’étant bien déroulées – à la surprise générale –, nous avons insisté sans relâche pour que le gouvernement engage un dialogue avec les Touaregs dans le nord. Malheureusement, cela n’a pas été suffisamment fait de sorte que la situation se dégrade dans cette région et donne lieu à des incidents dramatiques. Nous ne cessons de faire pression car nous sommes convaincus comme vous que c’est par une action globale, intégrant l’humanitaire, le développement et la coopération politique, que nous parviendrons à aider ces pays africains à sortir de la grave situation dans laquelle ils se trouvent. Bien entendu, chaque pays représente un cas différent, ainsi que l’a parfaitement souligné Norbert Röttgen. Je ne pense donc pas non plus que l’on puisse adopter de stratégie complète à l’égard de ce continent. Si la France s’est dotée d’une stratégie africaine globale, c’était afin de rompre avec les fâcheuses habitudes de la Françafrique, malheureusement entretenues par différents gouvernements de notre pays, ayant consisté à mêler des intérêts financiers concrets et à fermer les yeux sur le maintien de gouvernements qui ont pillé leurs pays respectifs. Tout cela est terminé. Nous surveillons d’ailleurs mois après mois, avec les responsables européens, l’utilisation concrète des aides européennes qui sont versées au Mali.
Je remercie Norbert Röttgen d’avoir souligné qu’il convenait de soutenir la Tunisie : il s’agit certes d’un petit pays mais il n’en est pas moins emblématique. Si la Tunisie réussit, cela aura un impact ailleurs. Je n’ai rien à ajouter aux propos de Jacques Myard sur l’Égypte, celui-ci ayant rédigé un rapport d’information sur le sujet avec Jean Glavany. Cela étant, il me paraît important que nous puissions adopter une démarche commune à l’égard de ces pays, ainsi que l’a souligné Michel Destot, et que nous essayions d’anticiper nos actions. Si cela fut impossible au Mali, Hervé Gaymard a néanmoins bien rappelé que nous avions accompli une démarche coopérative aux Nations unies. En tout état de cause, il conviendrait que nous puissions prendre l’habitude de travailler davantage à l’échelle bilatérale ainsi qu’au sein de l’Union européenne de manière à parvenir à construire des consensus, à nous partager le travail, et quelquefois, à agir ensemble – comme nous le faisons en Ukraine. Et il est normal que la France ait davantage de liens avec l’Afrique, et l’Allemagne, avec la Russie, car cela découle de l’Histoire, de la géographie et de la culture. Nous ne devons pas en prendre ombrage mais essayer, chaque fois que cela est possible, de faire progresser nos valeurs.
Si nous ne nous occupons pas ensemble de l’Afrique, d’autres États, tels que la Chine, le feront et ce, avec des visées souvent prédatrices. Nous aurions donc intérêt à être beaucoup plus actifs sur ce continent.
S’agissant enfin du Traité transatlantique, nous abordons la négociation de façon positive et offensive. Nous sommes très attentifs au respect du mandat confié au négociateur européen – mandat dans lequel figurent d’ailleurs nos lignes rouges. Nous avons exprimé des réserves à l’égard du mécanisme d’arbitrage de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) dans la mesure où il ne respecte pas la législation des États. In fine, nous déciderons que faire en fonction de l’équilibre qui nous sera présenté dans le cadre des négociations. Nous tiendrons d’ailleurs demain matin un débat en séance publique sur ce sujet. Si nous sommes par conséquent favorables à la poursuite des négociations, nous protégerons nos intérêts défensifs et exprimerons des demandes offensives telles que l’ouverture des marchés publics américains – sachant que les nôtres sont ouverts à 80 % et les leurs, à 25 %.
M. le président Norbert Röttgen. Lorsque vous avez évoqué le Traité transatlantique, vous avez instantanément provoqué plusieurs demandes de prise de parole. Je propose donc que ce sujet central soit inscrit à l’ordre du jour de notre prochaine réunion. De toute façon, aucune décision ne sera prise en la matière avant le premier semestre de l’année 2015.
Un mot pour résumer mes impressions au terme de ce débat. Nous n’avons pas assisté à la réunion de deux commissions : on a plutôt l’impression qu’une seule commission s’est réunie ce matin, avec des participants français d’une part, et allemands d’autre part. Il existe certes des controverses entre les représentants de nos deux pays mais cela est bien normal et nous devrions en être très heureux. Je suis donc moi-même enchanté de la manière dont s’est déroulée cette discussion. Nous avons tous le sentiment qu’il était important de nous entretenir de ces sujets et il serait bénéfique que ce débat ait une suite. Nous avons beaucoup à accomplir mais peu à peu, les choses avancent.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Chers collègues, nous vous remercions d’être venus si nombreux nous rendre visite.
La séance est levée à douze heures vingt-cinq.
*
Membres de la délégation du Bundestag
CDU/CSU
Dr. Norbert Röttgen, Président
Peter Beyer
Prof. Dr. Egon Jüttner
Philipp Missfelder
Elisabeth Motschmann
Dr. Andreas Nick
Dr. Andreas Schockenhoff
Dr. Hans-Peter Uhl
Michael Vietz
Dr. Johann Wadephul
SPD
Niels Annen
Dr. Rolf Mützenich
Dirk Wiese
DIELINKE
Wolfgang Gehrcke
Stefan Liebich
BUNDNIS90/DIEGRUNEN
Dr. Frithjof Schmidt
Jürgen Trittin
Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mercredi 21 mai 2014 à 9 h 30
Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Marc Ayrault, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Pascale Boistard, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, M. David Habib, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Patrick Lemasle, M. Pierre Lequiller, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot
Excusés. - M. Paul Giacobbi, Mme Françoise Imbert, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. François Scellier
Assistaient également à la réunion. - M. Serge Bardy, Mme Sylviane Bulteau, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Audrey Linkenheld